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Chambres des représentants de Belgique
Séance du jeudi 5 décembre 1861

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1861-1862)

(page 157) (Présidence de M. Vervoort.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. Thienpont, secrétaire, procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart, et lit le procès-verbal de la séance d'hier.

- La rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Moor, secrétaire, présente l'analyse des pièces qui ont été adressées à la Chambre.

« Le sieur Ignace-François Vandermersch, négociant à Wervicq, né dans cette ville, demande la naturalisation ordinaire. »

- Renvoi au ministre de la justice.


« Des ouvriers à Braine-le-Comte demandent qu'il soit pris des mesures pour maintenir le travail dans les fabriques, diminuer la cherté des vivres et réduire les impôts qui frappent le plus lourdement sur la consommation. »

-Renvoi à la commission des pétitions.


« Des habitants de Saint-Hadelin demandent que ce hameau de la commune d'Olne soit érigé en commune spéciale. »

- Même renvoi.


« Les membres du conseil communal de Wardin réclament l'intervention de la Chambre, pour que la ville de Bastogne fasse une liquidation de comptes avec cette commune. »

- Même renvoi.


« Des habitants d'Herbeumont présentent des observations sur le chemin de fer projeté de Bastogne à Sedan par Longlier et demandent que cette ligne passe par Herbeumont et Bouillon. »

- Renvoi à la commission des pétitions avec demande d'un prompt rapport.


« Le sieur Charles de Blochausen, maréchal des logis au 2ème cuirassiers en congé à la réserve, demande une place de facteur rural ou d'éclusier. »

- Même renvoi.


« Des fabricants à Braine-le-Comte demandent que le gouvernement ajourne à deux ans la conclusion d'un traité de commerce avec l'Angleterre, ou du moins, que le tarif de douane soit modifié par voie de disposition législative et non par traité. »

M. Kervyn de Volkaersbeke.— Je demande le dépôt de cette requête sur le bureau pendant la discussion relative au rapport sur les pétitions des industriels à Bruxelles concernant le même objet.

- Adopté.


« M. Ansiau, obligé de s'absenter pour affaires urgentes, demande un congé de deux jours. »

- Accordé.


« M. d'Hoffschmidt demande un congé pour le même motif. »

- Accordé.


« M. Snoy demande un congé pour le même motif. »

- Accordé.


« M. Quetelet fait hommage à la Chambre d'un exemplaire du tome XXX des mémoires couronnés et du tome XXXIII des mémoires des membres de l'Académie royale de Belgique. »

- Dépôt à la bibliothèque.

Projet d’adresse

Discussion des paragraphes

Paragraphe 13

« Nous le constatons avec fierté, Sire, la ville de Rubens et de Van Dyck a magnifiquement prouvé aux artistes de tous pays que notre métropole commerciale est aussi la métropole des arts. »

- Adopté.

Paragraphe 14

« Nous nous réjouissons avec Votre Majesté de pouvoir, malgré la crise, envisager sous un aspect favorable la situation financière. »

M. Hymans a proposé l'amendement suivant :

« Nous nous réjouissons avec Votre Majesté de pouvoir, malgré la crise, envisager sous un aspect favorable la situation financière, et nous espérons qu'elle permettra, dans un avenir prochain, de mettre les traitements des employés de l'Etat en rapport avec les nécessités de la vie. »

M. Joseph Lebeau a sous-amendé cet amendement de la manière suivante :

« Nous nous réjouissons avec Votre Majesté de pouvoir, malgré la crise, envisager sous un aspect favorable la situation financière, et nous avons l'espoir que cette situation permettra d'améliorer le sort de la plupart des employés de l'Etat et d'une grande partie du clergé, dont les traitements ne sont plus, depuis longtemps, en rapport avec la nécessité de la vie. »

(page 161) M. Hymans. - Les observations faites par l'honorable M. de Brouckere ne sont pas de nature à me faire renoncer à l'amendement que j'ai eu l'honneur de proposer.

Je désire autant que possible ne point prolonger ces débats, et l'on me rendra cette justice que je n'ai point abusé jusqu'ici des instants de l'assemblée.

Mais la question que je soulève ne se rattache spécialement à aucun budget ; elle ne peut mieux se débattre qu'à propos de notre situation financière. Si du reste la Chambre était désireuse de se hâter, je lui offre un excellent moyen de marcher vite. Que le gouvernement se rallie à ma proposition, que le rapporteur de la commission d'adresse l'accepte, et que l'assemblée la vote à l'unanimité. De cette façon nous aurons bientôt fini.

Pour le reste, que vous discutiez la question aujourd'hui ou dans un mois, vous n'y échapperez pas.

J'aime à croire que personne dans cette enceinte n'aura éprouvé de surprise en la voyant surgir. Personne, à coup sûr, n'en sera surpris dans le pays, tandis que beaucoup ont regretté le silence du discours du trône sur un objet qui depuis longtemps préoccupe les meilleurs esprits.

J'avoue pour ma part qu'en entendant, il y a huit mois, le 21 mars de cette année, l'héritier du trône exprimer devant le Sénat le vœu de voir consacrer une partie de l'excédant des budgets à l'augmentation des traitements des fonctionnaires ; qu'en voyant presque en même temps M. le ministre des finances, dans la note préliminaire de son budget, affirmer la nécessité de l'augmentation des traitements et de la simplification des rouages administratifs, j'avais espéré que le gouvernement nous annoncerait, au début de la session actuelle, l'accomplissement prochain d'une réforme dont l'urgence est universellement reconnue.

Notre situation financière serait moins favorable que je n'insisterais pas moins pour une prompte solution de ce problème ; la justice veut que tous ceux qui consacrent à l'Etat leur intelligence et leur temps puissent vivre honorablement, et l'on ne retarde point ce qui est juste, sans nuire aux intérêts les plus précieux d'un peuple.

J'aime à croire encore une fois que sur ce point il n'y a pas deux opinions dans cette Chambre.

L'économie est fille de la sagesse, on en a fait chez nous la fille du préjugé. En administration, a dit J.-B. Say, l'un des pères de la science, la véritable économie consiste à ne pas compliquer les rouages, à ne pas multiplier les places, à ne pas les donner à la faveur, et non à les payer mesquinement.

C'est cependant ce que nous faisons, messieurs, c'est ce que nous faisons à tous les degrés, et la Belgique, si riche et si loyale, fournit peut-être la meilleure illustration de ce mot cruel, mais profondément vrai, de Tocqueville : Ia démocratie donne à peine de quoi vivre honnêtement à ceux qui la gouvernent.

Tout cela peut sembler banal à quelques-uns d'entre vous, et j'affirme peut-être des lieux communs, indignes de cette Chambre ; mais quand je songe que, depuis cinquante ans, ces lieux communs ont été produits avec l'autorité du savoir, développés avec une éloquence magistrale par des hommes tels qu'Adam Smith, Say, Tocqueville, Vivien, Michel Chevalier, et que, malgré leurs conseils et leurs avertissements, nous continuons à marcher dans la vieille ornière, offensant les principes par respect du préjugé, payant mal et compliquant à plaisir, n'osant pas regarder le péril en face, et nous contentant de plaindre des maux que nous devrions guérir, je me condamne volontiers au métier d'importun, pour hâter autant qu'il est en moi la réalisation d'une mesure radicale que tout le monde désire, que personne n'oserait combattre, mais que personne, en définitive, n'a l'audace de proposer.

Je n'ai pas même appris, à l'occasion d'une réforme qui a tant besoin des lumières des hommes pratiques, que l'on eût confié la recherche, des moyens de l'accomplir à l'une de ces commissions dont on est si prodigue à propos des objets les plus futiles.

C'était cependant l'honorable M. Rogier qui, en 1857, dans la discussion du crédit sollicité par le cabinet d'alors pour améliorer la position des employés inférieurs, défendait le plus énergiquement, défendait à peu près seul dans cette Chambre, la cause des fonctionnaires de tous rangs et de tous grades ; c'était l'honorable M. Rogier qui, aux hésitations du gouvernement de cette époque, répondait : Il ne serait pas difficile, si l’on voulait entrer outrageusement dans la voie des réformes, d'introduire des économies suffisantes pour couvrir des augmentations de dépenses, que je considère, quant à moi, comme indispensable.

Depuis que, sur les bancs de l'opposition, il tenait ce langage, l'honorable M. Rogier est devenu chef du cabinet. Il est en mesure depuis quatre ans d'accomplir la réforme dont il proclamait la justice et l'opportunité, et qui depuis 1857, n'est devenue que plus urgente et plus indispensable.

J'ai donc le droit d'être surpris du silence du discours du Trône, plus surpris encore de l'absence de toute mesure sérieuse tendante à réaliser une œuvre déclarée nécessaire par tous les hommes d'Etat, et ratifiée d'avance par tout ce qu'il y a de raisonnable dans l'opinion publique.

La discussion de 1857 prouve assez qu'en Belgique la question que je soulève n'a rien d'imprévu.

En France, elle occupe depuis quatre ans le Corps législatif ; ailleurs elle est la préoccupation constante des hommes d'Etat.

Le gouvernement français pénétré depuis longtemps du devoir que lui imposait une situation anomale, a successivement augmenté, jusqu'à ce jour, les traitements des préfets, des sous-préfets, des conseillers de préfecture, des magistrats d'appel et de première instance, des inspecteurs de l'instruction primaire, des censeurs et professeurs des lycées impériaux, des desservants âgés de plus de cinquante ans, des greffiers des tribunaux de première instance et de police, des juges de paix, des maîtres de poste de troisième et quatrième classe, des conducteurs des ponts et chaussées, des gardes de navigation et éclusiers, des maîtres et gardiens de phares, de 60,000 agents de l'administration des finances, des facteurs de poste, etc. ; en un mot, par des crédits successifs, échelonnés par exercices, et qui seront suivis de propositions ultérieures, il s'est mis en mesure de répondre dans un avenir prochain à des besoins trop légitimes pour qu'il fût possible de tarder plus longtemps à les reconnaître.

Or, je n'ai pas vu, dans le rapport de M. Fould à Napoléon III, que ces dispositions réparatrices figurassent parmi les causes du désordre financier de l’Empire.

Je n'ai pas besoin, messieurs, de démontrer devant vous et moins encore devant le pays que le traitement de la grande masse des fonctionnaires n'est plus en rapport avec le prix de toutes choses, et que le plupart des employés sont dans une position des plus précaires.

Cela se conçoit sans peine. Comme le dit M. Dalloz, la hausse des prix est générale ; elle croît d'année en année, sans que rien puisse l'arrêter. Ce n'est pas une crise passagère, mais une révolution économique qui bouleverse une foule d'existences, et particulièrement celle des employés, dont les charges augmentent, mais dont les ressources restent invariablement les mêmes.

L'accroissement du prix des choses n'a pas été funeste aux ouvriers, aux propriétaires, aux cultivateurs, aux commerçants, aux industriels comme il l'a été aux employés.

Depuis cinquante ans les salaires de l'ouvrier se sont élevés progressivement de 25 à 30 p. c. L'ouvrier, par suite de la libre concurrence, peut réclamer une augmentation de salaire ou quitter l'atelier où il est mal rétribué et trouver ailleurs l'emploi de ses aptitudes. L'employé, au contraire, quel que soit le prix des objets de consommation, ne peut exiger une augmentation de traitement ; il est condamné à rester attaché à son emploi parce que, dans les fonctions publiques, il n'y a pas d'autre concurrence que celle qui consiste à les briguer.

Les propriétaires et les cultivateurs ne souffrent pas, ils s'enrichissent même dans les temps de crise, parce qu'une récolte médiocre leur est souvent plus profitable qu'une récolte abondante.

Pour eux la valeur de la monnaie a beau diminuer, la plus-value du sol et, par conséquent, l'élévation des fermages comble toujours la différence.

La crise monétaire n'atteint non plus que faiblement le commerce et l'industrie qui ont pris depuis quelques années un énorme développement. D'ailleurs, le prix de vente des objets manufacturés et les conditions des transactions commerciales finissent toujours par se régler d'après la situation économique du pays. Mais pour les employés de l'Etat, rien n'a changé. Leur position s'est même aggravée.

Chaque année la cherté est venue diminuer leurs moyens d'existence.

Leurs traitements qui sont à peu près les mêmes qu'il y a cinquante ans, se trouvent, par le fait, avoir subi une véritable réduction de plus du tiers.

Il va de soi, messieurs, que ces considérations ne s'appliquent pas seulement aux emplois inférieurs, et ceux qui occupent des fonctions élevées auxquelles on n'arrive que par de longs services, n'ont pas moins de droits à la justice de l'Etat.

Les charges augmentent avec le rang, et l'on ne saurait trop se pénétrer de cette vérité que, si le sacrifice est au début de la carrière, la récompense doit être au bout.

(page 162) On l'a fort bien dit, les employés qui ne font pas leur devoir ne font rien ; il faut plus que le devoir, il faut du zèle. Or, le zèle se soutient quand on est assuré que son existence doit être progressivement améliorée ; il s'éteint vite lorsqu'un avancement se résume en un surcroît de charges.

Les considérations que je viens de présenter sont d'une application générale. Elles s'étendent à toutes les catégories de fonctionnaires ; elles sont irréfutables à ce point, que ma seule crainte est qu'elles ne semblent trop banales à la très grande majorité d'entre vous.

Peut-être ne serons-nous point d'accord lorsque je vous dirai tout à l'heure de quelle façon je comprends la réforme administrative, mais je suis certain de rencontrer votre adhésion, en ce qui concerne certaines catégories de fonctionnaires indispensables, tels que les magistrats, les membres du corps enseignant, l'armée.

Je ne sais pas si la loi sur l'organisation judiciaire, annoncée par le discours du Trône, impliquera une amélioration du sort de la magistrature...

MFOFµ. - C'est évident.

M. Hymans. - J'en prends acte.

MJTµ. - Ce n'est pas nécessaire du tout.

M. Hymans. - En ce cas, vous avez ou bien tort d'attendre si longtemps. Mais je ne crains pas d'affirmer que ce corps d'élite, l'une de nos gloires les plus pures, l'une des sauvegardes les plus précieuses des institutions et de la paix publique, a le droit d'attendre des Chambres et du pays une preuve éclatante de sollicitude. Depuis les juges des tribunaux de quatrième classe, payés 2,800 francs jusqu'aux conseillers de nos cours d'appel, qui ne touchent que 6,000 francs, l'Etat fait à nos magistrats une position insuffisante. Je ne comprends pas qu'un docteur en droit, se sentant quelque valeur, ayant devant les yeux la perspective d'une carrière honorable dans les rangs du barreau, consente à entrer dans la magistrature.

Je ne fais que répéter ici des paroles prononcées par l'honorable ministre des affaires étrangères en 1857.

Pour l'immense majorité, un maximum de 5,000 à 6,000 francs est le dernier mot de l'avenir et de la fortune.

Ce maximum, ils ne peuvent l'atteindre que dans les grandes villes, là précisément où la vie est le plus chère, là où il est impossible qu'un père de famille, placé par son titre sur les premiers échelons de l'échelle sociale, suffise avec un tel salaire aux exigences de sa position. J'en connais qui, après trente années d'éminents services, vivent dans la gêne et les privations, au milieu du luxe d'une société florissante. En France, où la situation, à vrai dire, était plus fâcheuse encore, ou a commencé par des décrets du 20 et 26 octobre 1852 à y porter remède, et la loi de finances du 20 juillet 1860 a consacré le principe de l'élévation des traitements de l'ordre judiciaire, en répartissant l'accomplissement de la réforme sur trois exercices.

En même temps on a supprimé dans les 27 cours impériales, 55 magistrats sur 716, et dans les 361 tribunaux de première instance 127 juges sur un nombre total de 1,662.

En Hollande on a supprimé tout récemment quatre cours d'appel ; je cite, sans les recommander en Belgique, ces réductions importantes, mais je constate qu'ailleurs on a résolu ces graves questions qui chez nous devraient au moins être mises à l'étude, et je me permets de croire qu'en dehors même de toute réforme de ce genre, il y a lieu d'augmenter les traitements d'un corps dont chacun reconnaît le mérite, et dont la haute intégrité constitue l'une des gloires de notre blason.

Voulez-vous qu'avant d'abandonner ce terrain, je vous montre à quoi mène ici notre façon d'entendre l'économie publique ? Je serai obligé de blesser la modestie d'un homme supérieur, à qui l'opinion publique a fait une position que les plus haut placés pourraient envier. Vous aviez à Bruxelles, à la tête du tribunal de première instance, un jurisconsulte, devant lequel s'inclinent avec respect les gloires de notre barreau. Cet homme remplissait une tâche herculéenne ; vous savez quelles sont ses attributions multiples. Les membres du barreau de la capitale, qui siègent dans cette Chambre, vous diront comment il les a remplies. A cet homme dont les collègues les plus distingués redoutent l'héritage, vous donnez 6,000 fr., un traitement inférieur à celui du commissaire de police de la ville de Bruxelles. Aussi qu'arrive-t-il ? Un siège devient vacant à la cour de cassation, il le sollicite. La cour et le Sénat le présentent d'une voix unanime ; ce magistrat que l'on devrait tenir, à tout prix, à conserver à son poste, va aller, dans la force de l'âge et du talent, siéger à la cour suprême pour y rédiger peut-être six arrêts par an.

Je suis fâché de devoir citer si souvent l'exemple de l'Empire français, mais je ferai observer qu'en France on a prévenu cet inconvénient, A Paris le traitement des juges au tribunal de première instance est de 7,333 fr., celui des vice-présidents de 9,000 fr., celui du président de 18,000 fr. Et comme vous pourriez me reprocher de citer l'exemple d'une capitale de 1,500,000 âmes, je vous dirai qu'à Lyon, qu'il est bien permis de comparer à Bruxelles, le président du tribunal de première instance jouit d'un traitement de 10,000 fr., tant on a bien compris, en France, qu'il fallait retenir dans ces hantes fonctions des hommes éminents que leur mérite rendait dignes de figurer à de plus hauts degrés encore de la hiérarchie.

De la magistrature je passe à l’enseignement.

D'après le dernier rapport triennal sur l'instruction primaire, la moyenne des traitements et émoluments est, pour les instituteurs, de 745 fr. 82 c. ; pour les sous-instituteurs de 505 fr. 92 c ; pour les institutrices et sous-institutrices de 766 et 492 fr.

Dans l’enseignement moyen, le traitement le plus élevé est de 3,800 fr., sans le minerval.

Dans les écoles moyennes, les traitements varient de 700 à 2,500 fr. La différence du minimum au maximum dans les établissements des divers ordres est au plus de 400 fr.

Dans les universités, les traitements varient de 4,000 à 6,000 francs sauf des exceptions faites par la loi, dans une certaine mesure, en faveur de services éminents.

Je dis qu'à tous les degrés, ces traitements sont d'une déplorable insuffisance. Depuis l'instituteur primaire, dont l'œuvre est un sacerdoce, et à qui l'on donne à peine de quoi payer le pain quotidien, jusqu'au savant qui transmet à la jeunesse le fruit de vingt années d'études, je ne vois, encore une fois, que des hommes condamnés à la misère, à la gêne, s'ils ne trouvent, les uns dans une industrie qui les distrait de leur œuvre, les autres dans leur patrimoine, de quoi compléter leurs ressources.

J'en pourrais dire très long sur cet objet, si je ne craignais d'abuser des moments de la Chambre, suffisamment édifiée d'ailleurs sur cette grave question. Je pourrais dire ce que l’enseignement supérieur gagnerait en vigueur, si nous n'avions qu'une seule université de l'Etat avec moitié moins de professeurs, recevant un traitement double ; je pourrais vous attendrir sur les infortunes de plus d'un professeur criblé de dettes, de plus d'un régent d'école moyenne qui abandonne l'enseignement pour l'administration ou l'industrie ; je pourrais m'étendre longuement sur la mission de l'instituteur dans la société moderne. Je ne le ferai pas ; vos sentiments sur ce point sont unanimes.

Permettez-moi cependant de vous citer quelques faits. Vous savez quels sont, en Belgique les traitements des professeurs des athénées royaux. Le professeur de rhétorique latine a 3,300 fr. à Bruxelles, 3,100 à Anvers, Gand et Liège ; 2,900 à Bruges, Mons, Namur et Tournai, 2,600 à Hasselt et Arlon. Les professeurs des classes préparatoires ont respectivement 2,100, 1,900 et 1,700 fr., sans compter, il est vrai, le minerval. En France, sans compter le même minerval, ou l'éventuel, les professeurs de lycées sont répartis en trois classes, touchant à Paris un traitement de 4,500, 4,000 et 3,500 fr., dans les départements un salaire de 2,400, 2,200 et 2,000 fr.

Les proviseurs des lycées français ont un traitement qui est à Paris de 6,000 fr. et qui dans les départements varie de 5,500 à 4,500 sans compter l'éventuel, le logement, le chauffage et la lumière, dont ils jouissent comme les préfets des études en Belgique. En France les professeurs de faculté touchent un traitement de 5,000 fr. à Paris, et 4,000 fr. dans les départements, mais à ce traitement fixe viennent s'ajouter les droits d'examen qui le portent parfois à 10,000, 12,000 et même 15,000 fr.

En Prusse, les directeurs des gymnases, dont la position correspond à celle de nos préfets, touchent un traitement maximum de 2,900 thalers, soit 10,875 fr., et le Sénat de la ville libre de Francfort vient de donner aux professeurs de son athénée un salaire qui varie de 1,800 à 3,000 florins, et au directeur 4,000 florins, outre le logement.

Ce que j'ai dit des instituteurs primaires s'applique aux desservants, que je n'ai pas voulu exclure de mon cadre, comme a paru le supposer l'honorable M. J. Lebeau.

Cette classe, si digne de l'intérêt et de la sollicitude du gouvernement, est peut-être une des moins rétribuées sur le budget de l'Etat. Leur traitement, déjà minime, même pour des époques antérieures, est tout à fait insuffisant aujourd'hui. Le prêtre n'a pas, comme un ouvrier, les moyens d'améliorer sa position ; et cependant il a des dépenses afférentes à son ministère : achat de livres, souscriptions religieuses, aumônes ; comment peut-il y subvenir, comment peut-il secourir les indigents, s'il est lui-même dans une situation précaire ; car il ne faut pas compter sur le casuel, qui est presque nul dans les campagnes.

Je dois vous parler enfin de l'armée, dont la solde, vraiment dérisoire (page 163) pour les grades inférieurs du moins, est devenue dans la presse et le publie l'objet des plus dangereux sarcasmes.

Je voudrais pouvoir ici crier à l'exagération, mais il n'est malheureusement que trop prouvé pour tout homme impartial, que la position des officiers et des soldats exige, dans un intérêt de justice, d'humanité et de sécurité publique, une prompte et sérieuse amélioration.

On ne peut, en effet, se défendre d'une impression de profonde tristesse quand on voit à quelles ressources sont réduits les hommes qui payent à la patrie l'impôt du sang, et qui exercent ce que le discours de la Couronne appelle, d'après un usage traditionnel, le noble métier des armes.

La solde des miliciens, fixée à 70 centimes par jour en 1832, avec une retenue de 18 centimes au profit de la masse d’habillement, n'a fait que diminuer depuis cette époque. La retenue de 18 centimes a été portée à 25 centimes en 1847, à 26 centimes en 1852, tandis que l'on réduisait la première mise de 18 florins à 10 francs et que l'on portait la dette de 132 fr. à 156 fr. 40 c. Je ne dirai rien du principe même de la masse. que je considère comme une institution profondément immorale de tous points, semblable à ce qu'on appelait le truck system dans les fabriques anglaises. Ce n'est pas ici le moment. Je me borne à constater que c'est avec 44 centimes que le soldat, à qui l'on donne 750 grammes de pain, doit remplir sa gamelle, payer la cire et le cirage, sa goutte de genièvre, ou son verre de bière, et le tabac qui est tout le luxe de sa vie.

Depuis 1849, les sous-officiers et soldats qui occupent les camps d'instruction en temps de paix, doivent faire ménage comme en garnison, et ne reçoivent plus de rations de campagne, plus de viande, plus de riz, plus de sel, plus de genièvre, plus de bois de chauffage. Les rudes labeurs de la vie de. campagne pour 44 c. par jour ! Rapprochez un tel état de choses de cette parole du maréchal Bugeaud qui disait dans son langage pittoresque « qu'il faut à tout, soldat son picotin d'avoine,» et cette autre parole du grand Frédéric, d'après qui « le ventre du soldat est la base d'une armée » et dites-moi si le pays n'a pas ici un grand devoir à remplir.

Comment ! messieurs, le soldat qui ne doit rien à sa masse, doit vivre avec 70 centimes par jour, et un arrêté royal du 3 mai 1861 fixe à 70 centimes par jour le prix d'entretien des mendiants valides au dépôt de mendicité de Reckheim. Le milicien qui doit à sa masse, doit vivre avec 44 centimes par jour, et le prix de la journée d'entretien est fixé par arrêté royal à 48 centimes au dépôt de la Cambre, à 67 centimes à Bruges, à 55 centimes à Mons, à 38 centimes au dépôt de mendicité de Reckheim, pour les enfants âgés de moins de deux ans !

On me dira ici que le prix de la journée d'entretien des reclus au dépôt de mendicité comprend les frais d'administration, l'habillement, le chauffage, etc.. Nous allons voir.

En prenant pour base le budget de l'exercice courant, établi sur une population moyenne de 973 individus, on arrive, pour le dépôt de la Cambre, à un prix de journée de 54 centimes pour les reclus valides et de 84 centimes pour les infirmes et septuagénaires..

Ces chiffres ont été réduits - j'ai pris mes renseignements à une source officielle - à 48 et 78 centimes, parce que l'autorité supérieure a tenu compte, au titre des recettes, des excédants antérieurs, de même que des produits de la fabrication. Avec le chiffre de 54 centimes, voici le résultat auquel on arrive.

a. Nourriture du reclus : 0,37 159/365

b. Habillement couchage, lessivage, éclairage, chauffage, frais d'hôpital : 0,12 201/365.

Le restant du prix de la journée sert à couvrir les frais généraux, l'entretien des bâtiments et du mobilier, les frais du culte et des écoles, etc.

La nourriture des reclus absorbe donc 57 1/2 centimes. Mais ceux qui travaillent touchent, s'ils sont employés au service intérieur, 18 centimes dans les ateliers, 10 centimes, ce qui porte leur revenu quotidien, toute retenue à part, à 55 et 56 centimes, 12 centimes de plus que le soldat.

Douze centimes de plus au vagabond qu'au soldat, qui peut être appelé à toute heure à verser son sang pour la patrie ! C'est une honte qui doit faire monter le rouge au visage d'un honnête homme.

J'ose à peine le dire, on est moins bien traité dans le noble métier des armes que dans l’ignoble métier de mendiant !

j'en pourrais dire très long, messieurs, sur la position malheureuse de la plupart des officiers, surtout dans les grades inférieurs, mais aussi dans les grades intermédiaires, mais je crains d'abuser des moments de la Chambre.

Je dirai seulement que l'heure est venue de prendre une grande résolution, de déclarer franchement si l'on vent ou si l'on ne veut pas d'armée.

Qu'on la réduise si le budget l'exige et si la situation le permet, mais si on la garde, si l'on veut qu'elle soit forte et dévouée, que l'on donne satisfaction à ses légitimes besoins. Le salut du pays en fait une loi.

J'aborde maintenant, messieurs, le chapitre de l'administration proprement dite.

Si l'on faisait une enquête sur la position du plus grand nombre des employés, si l'on sondait le mystère de bien des ménages, depuis celui de garde du chemin de fer qui doit avoir un uniforme, se montrer poli avec tout venant, passer un examen, travailler sans relâche et hors de son domicile pour 80 francs par mois, jusqu'à celui du chef de division qui doit faire honneur à son rang, dans la capitale, on reculerait effrayé devant le spectacle de misères et de privations dont on serait le témoin.

Ils ne peuvent ignorer, sans une coupable négligence, les privilégiés d'ici-bas, ceux qui ont fait leur carrière dans l'industrie, dans le commerce, dans le barreau, dans les arts, ou même dans l'oisiveté, ce qu'il y a de souffrances cachées sous la position que tant d'esprits faibles envient ; et le public qui a des rapports avec les bureaux, qui n'en sort pas toujours satisfait, qui se demande à quoi attribuer cette tiédeur dans les services publics, ce dégoût qui fait que le petit employé ne souhaite qu'une chose dans le présent, la fin de sa journée de travail, qu'une chose dans l'avenir, l'heure de la retraite, peut aisément trouver le mot de l'énigme dans l'insuffisance absolue des moyens d'existence.

Un orateur le disait à la tribune française il y a plusieurs années :

« Non seulement un certain nombre d'employés manquent d'instruction ou n'en ont qu'une fort incomplète, mais l'Etat est menacé de manquer d'employés. Je m'étonnerais qu'il pût en être autrement, quand, à côté de l'Etat, se forment, tant de compagnies puissantes, toujours à l'affût des gens capables, et qui, avec l'appât de gros traitements, recrutent, dans les cadres de l'administration, les hommes qui pourraient être pour le gouvernement des auxiliaires utiles. Cette fâcheuse situation ne saurait être niée, et elle tend incessamment à s'aggraver avec l'augmentation du prix des loyers, avec la cherté progressive des denrées alimentaires. Quoique condamné par la nature et par la morale, le célibat est une nécessité pour le petit employé ; il développe chez lui l'esprit d'égoïsme, et cela encore sans le mettre à l'abri de la misère. »

« De la misère », le mot n'est pas trop énergique.

Un économiste français a publié le budget d'un employé de quarante ans, père d'une famille de trois enfants, dont l'aîné a douze ans, le second neuf et le troisième cinq. Son traitement est de 2,000 fr. En consommant par jour un pain de 4 livres, un demi-litre de vin, 20 centimes de charbon, en payant 400 fr. de loyer par an, 3 centimes par jour d'éclairage, et 5 centimes d'imprévu, cette famille, réduite à 1,900 fr. par la retenue pour la caisse des pensions, dépense, sans avoir suffisamment mangé et sans prévoir le cas de maladie, bon an mal an, 709 fr. de plus que ses ressources. Je mettrai le tableau au Moniteur.

(page 164) J'ai publié moi-même dans un journal et je reproduis ici le budget d'un employé de classe moyenne ayant femme et deux enfants, et jouissant de 2,000 fr. de traitement, J'arrive à un résultat plus lamentable encore que l'auteur français que je citais à l'instant, c'est-à-dire à un déficit annuel de 996 fr. Je mettrai les chiffres au Moniteur. Je me borne à constater ici qu'ils ne comprennent pas un centime pour service, vin, bière, menus plaisirs, ni éducation des enfants.

Or, remarquez bien que je parle d'un employé gagnant 2,000 fr. Que dirai-je du père de famille dont le salaire est moins élevé ?

Les employés inférieurs des gouvernements provinciaux nous ont adressé des pétitions qui sont déposées au greffe, et qu'accompagnent des tableaux, certifiés exacts par les autorités compétentes.

Je trouve, au gouvernement provincial de la Flandre orientale, des commis mariés, ayant cinquante-deux ans, trois enfants, vingt ans de services et 900 fr. de traitement ; d'autres ayant quarante-cinq ans, huit enfants, vingt-sept ans de service et 800 fr. de traitement. La même situation se reproduit dans les autres bureaux provinciaux.

A Bruxelles, dix employés, ayant ensemble trente-six ans de services, gagnent ensemble 2,875 fr., c'est-à-dire en moyenne 287 fr. 50 c. par tête. Le plus ancien, à vingt-sept ans avec six années de service, jouit d'un traitement de 600 fr. ; un autre, après trois ans de service, gagne 400 fr. ; un autre encore, après un an et demi, plus deux ans passés au commissariat d'arrondissement de Bruxelles, ne gagne absolument rien.

J'en connais un parmi ces employés qui, avec son traitement de 400 francs, est obligé de soutenir sa vieille mère. Je vous demande quel travail on peut attendre de tels employés, moins payés que des manœuvres, tenus à faire bonne figure dans le monde, tenus en outre à souhaiter chaque jour la mort de leur supérieur qui leur offre la seule chance d'un misérable avancement !

Un fonctionnaire supérieur d'une administration provinciale m'écrit que, par suite de la situation précaire faite aux employés de cette catégorie, ceux-ci saisissent la première occasion qui se présente de se placer ailleurs ; à tout moment l'administration doit chercher de nouvelles recrues. Les annonces de places vacantes faites dans les journaux doivent se renouveler périodiquement pour parvenir à rencontrer un amateur qui s'en va bientôt désillusionné et dégoûté, et le personnel inférieur, peu dévoué, peu encouragé, se déplace fréquemment. Croit-on que ce soit pour le bien du service ? Cela est-il raisonnable et utile ? Est-ce là de l'économie bien entendue ? Quant à moi, je considère cette façon d'entendre l'économie comme un mal qui réclame, dans l'intérêt de tous, un prompt remède, une réforme radicale, et non pas un palliatif, un de ces tempéraments dérisoires, comme l'augmentation de 1857, qui perpétuent le vice sous prétexte de le corriger.

Mais, dira-t-on, que faites-vous des contribuables, dont nous sommes appelés à gérer ici les intérêts ? J'ai vu cet argument reproduit sous toutes ses formes dans la discussion de 1857. Déjà, s'écriait-on, de lourdes charges accablent les citoyens, et vous allez, pour les besoins de 11,000 ménages, en grever 100,000 ! C’est de l'injustice, du privilège, de la prodigalité ! Singulières protestations en vérité et qui ne devraient pas se faire entendre dans une assemblée d'hommes sages, connaissant les faits et tenus de redresser les erreurs de la foule au lieu d'y souscrire et de les encourager !

Le contribuable n'est-il pas en réalité la première victime du mal que je vous signale ?

Ne lui importe-t-il pas d'avoir des administrateurs zélés, des magistrats capables, des instituteurs dévoués, des professeurs éminents ?

Peut-il approuver que dans un pays d'égalité, où les emplois sont accessibles à tous, les hautes fonctions deviennent fatalement l'apanage de la fortune ? Ne sait-il pas que la corruption suit de près la gêne et que le vieux renom de probité de la Belgique ne se soutient, dans les rangs inférieurs de l'administration, que par des prodiges de courage et de vertu ?

Pour moi qui n'ai pas la prétention de changer la nature humaine, je dis que les employés de douanes et des accises, les percepteurs de postes, tous ces modestes serviteurs qui n'ont pas de quoi nourrir leurs familles, et entre les mains desquels circulent tous les jours des sommes considérables, sont de vrais héros dans notre société corrompue, des héros autant et plus que les hommes à qui vous décernez tous les ans des médailles de courage et de dévouement pour avoir, dans un élan généreux, sauvé leur prochain des flots ou de l'incendie.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - La masse de la population est dans cette position et elle est honnête.

M. Hymans. - Il n'y a pas d'ouvrier qui ne gagne plus de 400 fr.

Voilà ce qu'il faut faire comprendre au contribuable, au lieu de caresser ses préjugés et ses faiblesses. Nous savons bien braver ses critiques pour nous-mêmes. Quand il nous reproche le soir, dans ses conciliabules, de ne siéger que pendant deux heures, de n'avoir que cinq jours de séances par semaine, et de faire le lundi ; quand il va jusqu'à s'écrier que la mesquine indemnité des représentants de la nation est un salaire, et un salaire exagéré de leurs services, votre dignité et votre conscience ne savent-elles point répondre à ces attaques malveillantes ? Eh bien, qu'elles protestent au besoin contre les attaques et les quolibets que soulèverait une augmentation du traitement des fonctionnaires. Je dis « au besoin », car je crois très sincèrement que le contribuable n'est pas aussi déraisonnable qu'on paraît le croire. Il n'a jamais reculé devant l'impôt pour payer des dépenses utiles.

Il sait à merveille que la Belgique est l'un des pays les plus riches, et le pays le moins imposé de l'Europe. Il demande à l'impôt d'être juste, à la dépense d'être productive, et ce qu'il vous refuserait pour des folies auxquelles, du reste, vous ne songez pas, il vous l'accorderait sans murmurer pour satisfaire aux nécessités croissantes de notre état social et de notre prospérité intérieure.

Ah ! certes, quand vous lui parlerez d'augmenter en bloc, sans autre forme de procès, de 40 et 50 p. c. des traitements autres que ceux des magistrats, des instituteurs primaires, de tous les hommes en un mot qu'on est habitué à considérer comme indispensables au maintien et au progrès de nos institutions, il vous dira que la bureaucratie menace d'engloutir la nation, que la moitié du pays passe son temps à administrer l'autre ; il vous demandera s'il n'est pas possible de diminuer le nombre des fonctionnaires et d'augmenter leur travail en même temps que leur traitement.

Il vous rappellera les promesses de M. Rogier en.1857, les notables économies opérées par M. Frère, au département des finances ; il vous dira avec M. Thiers, rapporteur du budget de 1852 à la chambre des députés de France, que « c'est à diminuer le nombre des employés que doit tendre le véritable esprit d'économie. » Il se ralliera au langage d'un membre du corps législatif, M. Paul Dupont, qui en 1859 s'exprimait de la façon suivante :

« Dans ce siècle, où tant de gens vivent déclassés, où l'on rougirait de suivre la carrière de son père, des nuées de solliciteurs quittent leur province et l'agriculture, qu'ils dédaignent, pour venir demander des places dans les administrations publiques, comme si le gouvernement était tenu de les nourrir et de leur faire des rentes. Il leur suffit d'être connu d'un ministre, d'avoir voté en faveur de quelques députés influents, pour se croire tous les droits possibles à exiger une position. Leur convoitise est d'autant plus grande que, dans leur pensée, ils espèrent n'avoir rien à faire, comme cet employé, qu'un auteur critique représentait arrivant à son bureau à midi, taillant sa plume et lisant son journal jusqu'à deux heures ; puis, occupant le surplus de la séance à ranger ses papiers et à faire ses préparatifs de départ.

« C'est cette fièvre honteuse de places, qui semble agiter la France jusque dans ses derniers hameaux, qui a indisposé certains esprits contre la bureaucratie au point de leur faire souhaiter que les emplois fussent si mal payés que personne n'en voulût. Les ministres, de leur côté, cherchent en vain à se garantir contre cet envahissement par des examens et des conditions d'âge et de capacité. Mais ils résistent en vain ; le flot les emporte, et bon gré mal gré les bureaux de certaines administrations se recrutent de surnuméraires, d'attachés, d'auxiliaires, etc., etc., qui sont le plus ordinairement de fort mauvais travailleurs.

« Tous ces inconvénients disparaîtront lorsqu'on pourra rétribuer convenablement les employés, les choisir parmi des gens capables et expérimentés, et qu'on les astreindra, par cela même qu'ils seront suffisamment payés, à une large part de travail.

« En attendant, il faudrait qu'une épuration complète eût lieu bureau (page 165) par bureau et que tous les gens inutiles fussent renvoyés et placés dans d'autres postes, sauf, au fur et à mesure des extinctions, à répartir les appointements entre ceux qui seraient conservés.

« Le travail journalier n'en souffrirait nullement ; ou arrive d'ordinaire de neuf à dix heures, et c'est à peine si on s'occupe sérieusement à onze heures. Que chaque commis soit abondamment pourvu de travail, qu'on le rémunère convenablement, et il ajoutera avec empressement une, deux ou trois heures de plus à son travail. Or, sur 500 employés environ qu'occupe un ministère, ce dernier chiffre donne 1,500 heures de travail de plus par jour ; par mois, défalcation faite des dimanches, ce serait 39,600 heures, lesquelles, en comptant les journées de travail à dix heures, équivaudraient à un personnel du 100 employés de plus ! »

Le calcul est ici fait pour Paris ; mais il s'applique évidemment à la Belgique, comme le raisonnement qui le précède, et que tous les économistes depuis trente ans ont présenté sous toutes les formes, sans parvenir à vaincre la routine qui est la mère de la bureaucratie, comme le surnumérariat est le père de la sinécure. Que l'on compare le bureau d'un commerçant au bureau d'une administration publique. Là comme ici se traitent des affaires d'une importance capitale. On remue des millions ; on traite, on correspond avec le monde entier. Y trouvez-vous toutes ces écritures, toutes ces paperasses, ces ficelles, ces temporisations qui se rencontrent dans les régions administratives ? Un retard dans un payement amène un protêt ; l'honneur de la maison peut dépendre d'un chiffre mal posé ; sa fortune, d'un quart d'heure ou d'une minute ; on répond à la correspondance par retour du courrier ; la plume d'un commis remue des millions.

Est-ce donc une race d'hommes à part qui se meut dans cette atmosphère, dans cette fièvre de travail constant, accéléré et productif ? Point du tout, ce sont des jeunes gens bien payés, bien nourris, que le comptoir retient pendant dix ou douze heures par jour, mais qui ont devant eux la perspective de la fortune et la certitude de l'indépendance.

Encore une fois je vous dis des lieux communs. Eh mon Dieu, oui, tout cela a été dit depuis vingt-cinq ans, et par des hommes dont vous ne contesterez pas la compétence. Ecoutez comment parle un écrivain qui fut en France procureur général, préfet de police, conseiller d'Etat, ministre de la justice, pair et député sous la monarchie, vice-président du conseil d'Etat et ministre sous la république, et rien absolument sous l'Empire, M. Vivien :

« Les liens dont on garrotte l'administration, dit-il, compriment ses mouvements, loin de les régler, et de tant de précautions prises, il sort plus souvent l'obscurité que la lumière, une responsabilité amoindrie parce qu'elle est partagée, le doute à la place de l'affirmation, des opinions fausses qui autorisent des décisions injustes, une hésitation qui dicte des termes moyens dont le but est de ménager tout le monde et le résultat ordinaire de ne contenter personne, et enfin une langueur qui paralyse tous les efforts.

« On prodigue les correspondances et les écritures. La signature seule de ces myriades de pièces consomme un temps énorme. Roi, ministres, directeurs, gouverneurs, sont écrasés de signatures. Leur vie entière s'y épuise. Aucun ne peut lire ce qui se met sous sa plume, et par conséquent, la signature n'est qu'une formalité illusoire. Celui, en effet, qui voudrait connaître même superficiellement les actes sur lesquels il engage ainsi sa responsabilité y dépenserait ses jours et ses nuits, et ne pourrait consacrer un instant aux pensées générales, aux études, aux projets de réforme et d'améliorations qui doivent tenir la première place dans l'esprit des hommes publics investis d'une autorité élevée.

« Pour la moindre difficulté l'instruction d'une affaire est suspendue, les pièces sont renvoyées, des explications demandées, de nouvelles formalités prescrites.

« Une lettre accompagne la plus simple transmission. Toute lettre est écrite par un commis, soumise au chef ou sous-chef, expédiée ensuite par un autre employé et envoyée à la signature ; on croit nécessaire de garder minute de toutes les dépêches ; de là d'innombrables copies.

« Si le chef de l'Etat doit signer, il en est fait une pour lui, une autre pour l'agent qui sera chargé de l'exécution, une troisième pour les archives. Le résultat le plus certain de cette multiplication de papiers est que tout classement devient impossible, et qu'à force de tout conserver, on ne conserve rien.

« Notre administration ressemble à ces vieilles armées qui ne pouvaient faire un pas sans traîner à leur suite un lourd et embarrassant attirail ; qui s'astreignaient aux lois d'une stratégie timide et méthodique, et s'exposaient plus volontiers, presque, à perdre une bataille qu'à la livrer contrairement aux règles reçues. »

Ici se termine ma citation.

Je sais d'avance ce qu'on va me répondre. On me dira que la critique est aisée et l'art difficile ; que M. Vivien aurait bien fait d'indiquer le remède à côté du mal. Proposez une réforme, me dira-t-on. Usez de votre initiative !

Moyen facile d'ajourner ce qui est juste et nécessaire ; moyen que d'ailleurs je ne répudie point.

Mais on a fait des réformes aussi vastes et plus difficiles que celle que j'évoque.

La mienne n'a rien à démêler avec l'esprit de parti ; elle trouverait, pour l'accomplir, le concours unanime des Chambres et du pays.

Vous voulez une réforme sérieuse ? Eh bien, sans avoir blanchi sous le harnais de l'expérience, je me permettrai d'appeler l'attention des Chambres sur quelques points qui méritent tout au moins, je le crois, un bienveillant examen.

Montrez-vous difficile pour les admissions. Soyez aussi sévère pour la collation des emplois que pour la collation des diplômes.

Instituez des examens sérieux ou des concours comme en Angleterre, mais surtout supprimez le surnumérariat, comme on l'a fait en France dans la plupart des administrations.

Supprimez le surnumérariat qui est de la graine d'état-major, et fixez un minimum de traitement, calculé d'après les besoins d'une humble mais honnête existence.

Faites encore comme en France, où deux circulaires récentes du ministre de l'intérieur ont invité les préfets à donner une plus large part aux efforts personnels et directs, à hâter l'expédition des affaires, et enfin à faire une guerre incessante aux écritures inutiles.

Faites mieux encore, doublez le travail et doublez le traitement, mais surtout, et c'est là le nœud de la question, surtout décentralisez !

Examinez s'il n'y a pas lieu de modifier, dans l'intérêt général, certaines de nos lois organiques. Recherchez si, parmi les délibérations des communes que la loi ordonne de soumettre à l'approbation et de la députation permanente et du Roi, il n'en est pas un certain nombre que la commune et la députation permanente pourraient, sauf des cas exceptionnels, décider en dernier ressort et sans appel.

La plupart des objets que l'article 76 de la loi communale soumet à l'approbation de l'autorité supérieure, ne lui sont renvoyés que parce qu'ils l'étaient sous le régime hollandais. Je n'ai pas trouvé d'autre raison dans le rapport de l'honorable M. Dumortier.

Voyez si vous ne pourriez pas, en modifiant l'article 28 de la loi sur les chemins vicinaux, réduire énormément le luxe des attributions du pouvoir central.

Voyez si l'arrêté de 1849, sur les établissements dangereux, ne pourrait pas être révisé dans le même sens et épargner ainsi un travail considérable et stérile.

Recherchez s'il y aurait un si grand péril pour la société, à donner quelques pouvoirs de plus aux gouverneurs et surtout aux communes.

Voyez si, en réunissant entre elles un grand nombre de nos petites communes, dont quelques-unes ont 90, 70 et même 29 habitants, vous ne simplifieriez pas énormément le travail administratif, en assurant en même temps une position convenable aux secrétaires et aux autres fonctionnaires communaux.

Examinez s'il n'y a pas lieu de soustraire, pour beaucoup d'objets, l'administration des communes de moins de 5,000 âmes à l'intervention des commissaires d'arrondissement ; si, comme le disait le rapport de la section centrale chargée de l'examen du projet de loi d'organisation provinciale, à l'égard des villes, l'intervention des commissaires d'arrondissement n'est pas un rouage non seulement inutile, mais préjudiciable, en ce qu'il en résulte une complication d’écritures, et un retard dans l'expédition des affaires.

Ce sont là, je pense, des éléments de réforme qui mériteraient d'être pris en considération, et de servir de base à une mesure bien digune à coup sûr, d'exciter la sollicitude d'un homme d'Etat.

On peut différer d'opinion sur les moyens de l'accomplir, mais l'opportunité, la nécessité ne seront mises en doute par personne ; il n'est personne surtout qui puisse consentir à voir se perpétuel un état de choses aussi préjudiciable au pays, aussi directement opposé à tous les principes de justice, et je n'hésite pas à dire le mot, de probité publique.

Le système qui se pratique autour de nous est contraire aux principes de la vraie démocratie, parce qu'il fait d'un grand nombre de positions l'apanage de la fortune ; contraire aux principes d'une bonne administration, parce qu'il aboutit infailliblement à peupler les bureaux du rebut de toutes les professions ; il est dangereux, parce qu'il peut aboutir à créer un peuple de mécontents. Au milieu d'une société dont chaque jour la richesse augmente, au (page 166) milieu d'une prospérité croissante des affaires publiques et privées, l'employé, seul, vit de privations et de sacrifices.

Soldats et prêtres, professeurs et magistrats, commis et directeurs souffrent d'une gêne qui n'est que plus terrible, parce qu'elle doit se dissimuler héroïquement, ici sous l'habit noir, là sous l'uniforme et sous l'habit brodé.

Il n'y a pas un valet de chambre, pas un laquais en Belgique qui ne soit plus heureux qu'un commis, pas un teneur de livres d'une grande maison de commerce qui ne soit mieux payé que le secrétaire général d'un ministère.

Cela ne peut pas durer pour l'honneur du pays, et c'est pour donner à la Chambre l'occasion de le déclarer que je propose mon amendement au projet d'adresse. J'aime à croire qu'il sera favorablement accueilli par vous, et que le gouvernement en s'y ralliant, en recherchant surtout les moyens pratiques de mettre ces idées en œuvre, se souviendra de cette parole du plus grand prince des temps modernes : que les bonnes administrations font les bons règles.

Quant à moi, je le déclare, je serais heureux et fier de pouvoir contribuer, pour quelque faible part, à cette œuvre démocratique et féconde, dans laquelle se trouve à mes yeux, avec le développement de l'instruction publique et la chute des barrières fiscales, le véritable complément de l'œuvre de 1830.

(page 157) M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Messieurs, je dois remercier l'honorable préopinant du sentiment qui lui a inspiré l'amendement dont vous êtes saisis. D'ordinaire le gouvernement a beaucoup de peine à faire admettre des propositions d'augmentation de traitements et il est bien rarement convié, dans le sein des Chambres, à proposer de pareilles mesures. Nous sommes heureux d'avoir rencontré l'appui de l'honorable membre, et nous espérons que le même appui nous sera accordé par une grande majorité de cette assemblée, lorsque nous aurons à lui soumettre des propositions formelles pour l'amélioration de la position des employés de l'Etat.

Mais je dois dire que l'honorable membre n'a pas été tout à fait juste à notre égard. Il aurait dû reconnaître que c'est nous qui avons pris l'initiative de la mesure qu'il réclame. Nous avons annoncé, il y a quelques mois déjà, qu'il nous paraissait indispensable d'améliorer la condition des fonctionnaires publics en Belgique. A la vérité, l'honorable membre nous fait un grief de n'avoir dit mot à ce sujet dans le discours du trône. Mais est-ce bien dans un tel document qu'une proposition de ce genre devait trouver place ? Est-ce bien dans l'adresse en réponse à ce discours que se trouve la place d'un amendement tel que celui qui nous est proposé ? Devions-nous, en quelque sorte, interrompre la discussion de l'adresse pour nous occuper du traitement des fonctionnaires publics, de la réforme administrative, en d'autres termes pour nous occuper des budgets ? Car c'est aux budgets que la question doit nécessairement se présenter.

Je trouve donc la discussion actuelle parfaitement inopportune, et je n'entends nullement suivre l'honorable membre dans tous les développements qu'il a cru devoir donner à sa proposition. Je m'en abstiendrai, afin de ne pas engager dans ce moment une discussion de nature à traîner considérablement en longueur. Je dois cependant soumettre à la Chambre quelques observations sur certains arguments dont l'honorable membre a fait usage.

L'honorable membre dit avec raison (nous sommes d'accord avec lui sur ce point) qu'il faut améliorer la condition des fonctionnaires publics ; mais, pour démontrer cette nécessité, il exagère, au-delà de toute expression, la situation de ces fonctionnaires ; il en fait un tableau qui est beaucoup trop assombri ; il va jusqu'à dire, et ce seul mot caractérise toute son argumentation, qu'il n'est pas de teneur 'de livres dans les maisons de commerce...

M. Hymans. - Dans les grandes maisons de commerce.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Dans les grandes maisons de commerce, soit ; dans les plus grandes maisons de commerce, si vous voulez, qui ne reçoive un traitement supérieur à celui des secrétaires généraux des ministères !

Mais qui donc connaît des teneurs des livres à 9,000 fr. de traitement ? Mais cette position est le bâton de maréchal dans nos administrations. Il est très rare, très exceptionnel que, dans les administrations privées, soit industrielles, soit commerciales, un traitement de 9,000 fr. soit donné même à ceux qui sont au haut de l'échelle.

Je crois donc pouvoir persister à dire que l'honorable membre nous a dépeint la situation des fonctionnaires publics sous des couleurs beaucoup trop sombres.

Messieurs, on ne peut apprécier justement, équitablement la condition des fonctionnaires publics, qu'en la comparant à celle de la masse de la population ; il faut examiner quelle est en général la condition sociale dans un pays, pour juger sainement de la condition des fonctionnaires publics. On ne peut vouloir pour ces fonctionnaires une position exceptionnelle, privilégiée, qui serait au-dessus de celle qu'avec une capacité égale, avec un talent égal, avec une intelligence égale, on pourrait obtenir dans la société. Agir autrement serait commettre un véritable abus.

Or messieurs, considérons la position ordinaire des hommes dans la société et demandons-nous si tous sont dans une position aussi favorable que celle du fonctionnaire public ; et si même la condition sociale de la masse de la population était trouvée moins bonne encore que celle des (page 158) fonctionnaires, il ne faudrait pas perdre de vue que c'est cette masse qui rétribue les agents de l'administration.

Il y a pour le fonctionnaire public une condition qui n'existe nulle part ailleurs dans la société, et qui constitue un des plus grands biens que l'homme puisse souhaiter : c'est la sécurité. Les fonctionnaires publics sout assurés de leur sort ; quels que soient les événements, quelles que soient les calamités, malgré les maladies, en un mot malgré les accidents qui plongent tant de gens dans la misère, leur existence est toujours assurée.

En outre, lorsqu'ils ont bien rempli leurs devoirs, arrivés au terme de leurs travaux, ils ont ce que nulle autre carrière ne leur aurait procuré, ils ont une pension qui assure le bien-être de leurs vieux jours. (Interruption.)

Je ne parle pas de la pension des veuves et orphelins, qui est constituée à l'aide d'une retenue opérée sur le traitement des fonctionnaires publics. C'est une mesure de prévoyance qui leur a été imposée uniquement dans leur intérêt et qui n'occasionne aucune charge à l'Etat. Pour ce motif, je ne m'en occupe pas. Mais le fonctionnaire public est payé par l'Etat, et l'Etat lui accorde une pension, sans le prélèvement d'aucune retenue sur son traitement. C'est là sans doute une condition extrêmement avantageuse.

Messieurs, je dois dire aussi que le gouvernement n'a pas été aussi insoucieux du sort des fonctionnaires publics que le discours de l'honorable préopinant pourrait le faire supposer. A diverses époques, le gouvernement et les Chambres s'en sont occupés avec beaucoup de sollicitude.

Ainsi, à propos de la magistrature, dont l'honorable membre a parlé en des termes excellents, auxquels je m'associe, à propos de la magistrature qu'il a signalée comme n'étant pas suffisamment rémunérée, ce que j'accorde complètement, je dirai cependant que les traitements des magistrats ont été augmentés en 1832, qu'ils l'ont été de nouveau en 1845, et que nous proposons de les augmenter encore.

Mais on nous reproche de n'avoir pas déjà formulé des propositions. Vous avez annoncé votre intention, dit-on, et jusqu'à présent vous ne l'avez pas réalisée ; vous n'en avez pas dit un mot dans le discours du Trône.

Messieurs, nous n'avons pas fait de proposition, parce que le moment n'était pas venu de le faire. Des propositions vous seront soumises avec le budget prochain au mois de mars. Mais nous n'en avons pas fait jusqu'à présent par une raison qui recevra, je pense, l'approbation de toute la Chambre.

Ce n'est pas une chose secondaire, une mesure de peu d'importance que de décider une augmentation de dépense de plusieurs millions. Il ne nous paraît pas qu'on puisse venir à la légère, sans s'être livré à un examen approfondi de la question, soumettre à la Chambre des propositions d'une telle importance.

Nous avons donc décidé, messieurs, que, dans toutes les administrations, on rechercherait avec le plus grand soin (et l'étude se fait précisément en ce moment) quelles économies il serait possible de réaliser, quels emplois pourraient être supprimés, en annonçant aux fonctionnaires chargés de cette recherche et de l'étude de la question, que l'économie réalisée ne devait pas constituer un bénéfice pour le trésor, mais qu'elle serait consacrée à augmenter les traitements.

Il faut donc avant tout, messieurs, que ce travail soit complètement terminé et que nous puissions ainsi rendre compte à la Chambre de l'examen scrupuleux de la question.

En second lieu, nous avons dû prendre en considération l'état du trésor, la situation de nos budgets. S'il est d'un très grand intérêt pour un pays de rémunérer convenablement les fonctionnaires publics, il est également pour le pays, d'un intérêt non moins grand sans contredit, d'avoir une bonne situation financière.

Or, il ne peut entrer dans nos idées de faire concorder des augmentations de traitement avec des augmentations d'impôts. Nous devons trouver dans les ressources qui existent aujourd'hui, qui sont à notre disposition, les moyens de faire face à ces nouvelles dépenses.

La Chambre le sait, nos budgets sont engagés pour un certain nombre d'années. Cependant nous pensons qu'il nous sera possible, dans les propositions qui vous seront soumises dans quelques mois, de donner immédiatement la moitié des augmentations qu'il sera reconnu convenable d'accorder aux fonctionnaires publics ; l'autre moitié leur serait donnée l'année suivante, ou, par quart, en deux ans. Un projet, ainsi réalisé, recevrait, je le crois, l'assentiment de la Chambre.

L'honorable membre, dans les critiques qu'il a faites au sujet de l'administration, me paraît s'être un peu trop renseigné à des sources étrangères à la Belgique. Il a pris ses éléments d'appréciation en France, et en opposant, en général, la situation des fonctionnaires français à celle des fonctionnaires belges, je crois qu'il s'est complètement mépris.

Sous le rapport de l'administration, tout le monde sait qu'elle est bien autrement centralisée en France qu'en Belgique, non pourtant que je prétende qu'on ne puisse décentraliser encore en Belgique.

Sous le rapport des traitements, il est bien vrai qu'en France, en règle générale, ceux des fonctionnaires supérieurs sont plus élevés que les traitements des fonctionnaires qui occupent des grades analogues en Belgique ; mais il est également vrai qu'en France la moyenne générale des traitements est inférieure à la même moyenne en Belgique. Cela est hors de doute. Ainsi, pour citer la magistrature, comme l'a fait l'honorable préopinant, il est bien vrai qu'exceptionnellement pour certains magistrats d'un rang élevé des sièges de Paris et de quelques autres grandes villes, on trouve des traitements supérieurs à ceux de certains de nos premiers magistrats en Belgique ; mais si l'on considère la magistrature dans son ensemble, en y comprenant tous les rangs de la hiérarchie judiciaire, juges de paix, juges de première instance, conseillers de cours d'appel, etc., on verra qu'en somme ils sont moins rétribués en France qu'en Belgique.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - C'est évident.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Et puis, messieurs, chaque fois que nous nous sommes occupés de réformes administratives en Belgique, nous l'avons fait dans la vue d'augmenter les traitements des employés d'un grade inférieur, avant de songer à augmenter ceux des fonctionnaires supérieurs. En général même, ceux-ci ont été réduits. Ainsi, par la réorganisation qui a été faite en l849, le maximum des traitements des secrétaires généraux et des directeurs généraux, qui était de 10,000 fr. (5,000 florins) en 1830, a été ramené à 9,000 francs. Mais, en même temps, les traitements de beaucoup d'employés inférieurs ont été augmentés. Et c'est au milieu de la crise de 1849 et des réformes qui ont été réalisées alors en vue de réduire les dépenses publiques, que la position des employés inférieurs a été ainsi améliorée.

L'honorable membre nous a parlé aussi de l'armée. Messieurs, ici encore, je le reconnais, les traitements sont fort peu élevés ; il y a lieu de les augmenter, cela est indubitable. Nous l'avons dit d'ailleurs : il n'y a pas plus d'exceptions à faire pour l'armée que pour le clergé dans cette révision générale des traitements. Mais l'honorable membre a encore beaucoup exagéré lorsque, parlant de l'armée, il a montré la position du soldat pire que celle du mendiant détenu dans nos dépôts de mendicité.

M. Hymans. - J'ai cité des chiffres.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Mais vos chiffres sont manifestement erronés ; vous vous êtes mal renseigné.

M. Hymans. - Je me suis renseigné aux dépôts de mendicité mêmes.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Il fallait vous renseigner aussi au département de la guerre.

M. Hymans. - Je l'ai fait.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - J'en suis bien fâché ; mais il ne me paraît pas possible que l'on vous ait bien renseigné.

Aux dépôts de mendicité, dit l'honorable membre, la journée d'entretien d'un individu est d'autant ; à l'année, le soldat reçoit tant, déduction faite des sommes qui doivent être retenues pour la masse, et il trouve que la condition du soldat est de beaucoup inférieure à celle du mendiant.

D'abord, première observation, il s'agit de savoir, non pas ce qui est ainsi payé de part et d'autre, mais ce que cela coûte réellement : il se pourrait fort bien qu'un mendiant, comme un prisonnier, coûtât plus qu'un soldat, sans que cela fût une preuve de la mauvaise condition du soldat, et cela par mille causes diverses : il se pourrait que les nécessités de la surveillance, l'entretien, l'administration, en un mot, donnât lieu, pour le prisonnier ou pour le mendiant, à des dépenses plus considérables que celles qui sont exigées pour le soldat.

La comparaison faite par ce seul côté vient donc à tomber. Mais si vous vouliez prendre chiffre par chiffre pour les opposer les uns aux autres, il fallait établir votre calcul d'une tout autre manière. Ainsi, vous prenez toute la dépense du détenu et vous ne prenez pas toute la dépense du soldat, car vous ne tenez pas compte de la ration de pain donnée au soldat, ration dont la valeur représentative n'est pas comprise dans la solde ; il en est de même pour ce qui concerne le couchage. Il faut nécessairement, pour pouvoir établir une comparaison rationnelle, distraire ces deux éléments du chiffre qui représente le montant de la journée d'entretien des reclus.

(page 159) Il est donc évident que les chiffres que vous avez présentés sont erronés. (Interruption.)

Vous avez déduit de la solde du soldat la retenue pour la masse d'habillement et vous avez établi qu'il lui restait quarante-deux centimes, tandis que la journée d'entretien du reclus au dépôt de mendicité coûte quarante-quatre centimes.

M. Hymans. - Distraction faite du couchage et de l’habillement.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je dis que vous êtes tombé dans cette erreur, de n'avoir pas tenu compte de la ration de pain et du couchage, qui ne sont pas compris dans la solde du soldat, tandis que ces éléments sont compris dans la journée d'entretien des reclus dans les dépôts de mendicité.

M. Hymans. - Mais pas du tout...

MpVµ. - M. Hymans, n'interrompez pas, vous aurez la parole pour répondre.

M. Hymans. - Je ne veux pas qu'on me fasse dire ce que je n'ai pas dit.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je puis avoir mal compris l'honorable membre, mais je n'ai nullement l'intention de lui faire dire autre chose que ce qu'il a dit. Répondant à des calculs que j'ai relevés à une simple audition, je puis commettre quelque erreur de chiffre, mais la question de quelques centimes en plus ou en moins est ici sans aucune importance ; c'est le vice de votre argumentation que je fais remarquer.

Aux considérations qui précèdent, j'ajouterai que la ration de pain du soldat a été augmentée considérablement depuis 1830. Mais, messieurs, nous n'en reconnaissons pas moins que la solde du soldat d'infanterie est insuffisante, et si l'honorable membre avait attendu la discussion du budget, au lieu d'introduire cette question dans la discussion de l'adresse en réponse au discours du Trône, il aurait vu que le gouvernement, n'attendant pas pour le soldat comme pour les autres employés de l'Etat, le budget de 1863, a proposé à la section centrale chargée de l'examen du budget de la guerre pour 1862, une augmentation d'un demi-million applicable exclusivement à la solde du soldat d'infanterie. Avec le surcroît de dépense qui résultera du haut prix des fourrages, nous aurons un million d'augmentation à porter au budget de la guerre.

Ainsi, l'honorable membre, en ouvrant cette discussion dans un moment opportun, aurait vu que la critique qu'il a faite, non sans raison, venait cependant à tomber.

Je n'ai d'ailleurs pas de motifs pour m'opposer à l'amendement de l'honorable membre ; il ne fait que demander une mesure que le gouvernement comptait prendre spontanément. Cependant, après les explications que je viens de donner, peut-être jugera-t-on à propos, pour ne pas continuer une discussion inutile, de retirer l'amendement et le sous-amendement.

M. J. Lebeau. - Je regrette qu'avant de prendre la parole, M. le ministre des finances ne m'ait pas permis de développer en peu de mots le sous-amendement que j'ai proposé ; la procédure, comme on dit, eût ainsi été complète ; nous n'aurions plus eu qu'à statuer immédiatement sur le débat. Après les observations qu'il a présentées (et ceci n'est nullement un reproche), j'ai le regret de devoir prolonger encore cette discussion.

Ce que je regrette plus encore, c'est d'avoir vu repousser la proposition si sage, si parlementaire de l'honorable M. de Brouckere. Je crois que nous serions rentrés dans la régularité des travaux parlementaires en adoptant cette proposition ; qu'elle aurait épargné beaucoup de temps, et peut-être sauvegardé jusqu'à un certain point la dignité de la Chambre.

Certes, messieurs, s'il passait en précédent parlementaire qu'on pût ainsi, à l'occasion de l'adresse, proposer une foule de projets de loi, véritablement les discussions seraient interminables.

Et cependant, messieurs, il y a, pour une prompte adoption de l'adresse, des raisons de haute convenance que nous ne devrions pas perdre de vue.

En Angleterre, savez-vous ce qui arrive à peu près toujours en pareil cas ? C'est le jour même de l'ouverture des travaux parlementaires que l'adresse à la reine est proposée et votée.

Après ces réflexions, la Chambre doit comprendre que je serai très concis. Mais il m'est impossible, vous en conviendrez, de ne pas produire quelques observations très sommaires à l'appui de mon sous-amendement. Je promets d'être très bref et je demande encore un peu de patience à la Chambre.

Messieurs, s'il y a une classe de fonctionnaires, participant au budget de l'Etat, qui doive attirer la sollicitude de la Chambre sans acception d'opinion, c'est bien évidemment le clergé, le clergé paroissial, et spécialement le clergé des campagnes. Les traitements du clergé sont, en général, et à quelques améliorations exceptionnelles près, ce qu'ils étaient il y a un demi-siècle. Or, le prix des objets de première nécessité est aujourd'hui à peu près doublé. C'est un fait qui ne saurait guère être contesté.

J'ajoute qu'il n'y a pas d'intérêt moins représenté dans la Chambre que celui dont j'entreprends en ce moment la défense. Le clergé n'est plus guère représenté dans cette chambre, depuis la loi des incompatibilités. Le clergé n'y a plus, comme les autres intérêts, ses défenseurs naturels. Et cependant nulle pétition ne nous est arrivée de sa part ; le clergé n'a pas, lui, d'associations qui puissent émettre des vœux ; il n'a pas ses meetings ; personne presque ne parle ici en sa faveur. Le clergé se résigne et se tait. C'est un 'raison de plus, à mes yeux, pour que ses intérêts soient embrassés avec sympathie et défendus dans cette Chambre.

Je dis, messieurs, que la réserve du clergé, en présence des demandes qui se produisent de toutes parts pour l'augmentation des traitements, est une raison de plus pour que la sollicitude de la Chambre s'attache à améliorer une situation qui devient de jour en jour plus pénible.

Les droits du clergé à un traitement raisonnable ne reposent pas sur d'anciennes lois. Ils ont reçu la consécration constitutionnelle. Elle est formulée dans l'article 117 de la Constitution, ainsi conçu :

« Les traitements et pensions des ministres du culte sont à la charge de l'Etat ; les sommes nécessaires pour y faire face sont annuellement portées au budget. »

C'est à l'esprit, du reste, et non seulement à la lettre de la Constitution que nous devons nous conformer.

Dans le cours de ma carrière administrative, j'ai beaucoup visité les membres du clergé ; eh bien, j'ai été souvent témoin du regret qu'ils éprouvaient d'avoir si peu de ressources à leur disposition ; et savez-vous surtout pourquoi ? Parce que dans leurs rapports avec la classe la plus pauvre de leurs paroisses, ils étaient témoins du spectacle, parfois navrant, de la misère, sans posséder les moyens de la soulager ! J'ai reçu à cet égard bien des confidences ; j'ai entendu fréquemment exprimer le regret de n'avoir pas le moyen de soulager les malheureux qu'ils visitaient et auxquels ils portaient les consolations de la religion.

Je ne veux pas abuser des moments de la Chambre ; je suis convaincu, d'ailleurs, que ma proposition rencontrera un accueil sympathique sur tous les bancs. Je la recommande surtout à l'impartialité et aux bons sentiments qui animent M. le ministre des finances et ses honorables collègues.

Projet de budget de la chambre de l’exercice 1862

M. Braconierµ, au nom de la commission de comptabilité, dépose le rapport sur le budget de la Chambre pour 1862.

- La Chambre ordonne l'impression et la distribution de ce rapport et le met à la suite de l'ordre du jour.

Projet d’adresse

Discussion des paragraphes

Paragraphe 14

M. Rodenbach. - Messieurs, je commencerai par remercier mon honorable collègue M. Lebeau, ancien membre du Congrès, de ce qu'il vient de dire en faveur des vicaires, des desservants des curés, en un mot des membres du clergé inférieur. L'honorable membre a prouvé qu'il sait apprécier les besoins du pays, n'importe où ils se présentent.

Je suis aussi d'avis, messieurs, qu'il faut augmenter les traitements des petits employés et d'un grand nombre d'agents rétribués insuffisamment par l'Etat.

Je citerai également les pensionnés et les militaires d'un ordre peu élevé. Enfin, messieurs, il y a une foule de traitements qui doivent être augmentés dans une proportion raisonnable.

Mais, messieurs, comme on l'a dit avec beaucoup de raison, ce n'est pas dans la discussion de l'adresse qu'on doit faire une proposition à cet égard ; de semblables propositions ne sont pas dans le rôle des députés, comme l'a fort bien dit M. le ministre des finances. C'est ici une question de budget et il a fait valoir à ce sujet plusieurs considérations que je comptais présenter moi-même.

Et je suis aussi d'avis que c'est une question de budget, et ce sont MM. les ministres qui doivent connaître les besoins de leurs départements et les réformes qu'il est possible d'introduire dans leurs administrations. Ce sont eux qui peuvent le mieux apprécier dans quelle mesure on peut réduire le nombre des employés et arriver ainsi à mieux rétribuer ceux qui restent.

Si je suis bien informé, messieurs il y a en Angleterre, pays de trente millions d'habitants, des ministères où il y a moins d'employés que dans les nôtres, mais il y a là une organisation tout autre.

(page 160) Il s'agirait de savoir s'il est possible d'appliquer chez nous le même système de décentralisation qui existe en Angleterre.

Messieurs, j'ai jeté un coup d'œil rapide sur les chiffres, j'ai cherché à voir à combien pouvaient se monter les traitements des employés de l'Etat.

J'ai fait ce travail à la hâte et je puis m'être trompé, mais j'ai trouvé qu'il y a pour 30 millions de francs de personnes salariées dans le royaume et que le chiffre des pensions civiles et militaires s'élève à 6,400,000 francs ; cela représente un total de plus de 36 millions.

Eh bien, messieurs, si l'on augmentait de 20 p. c. toutes les rémunérations qui ne serait en définitive pas trop considérable pour ceux qui recevraient l'augmentation, puisque le renchérissement de la vie est d'au moins 40 p. c. depuis quelques années, si, dis-je, l'on augmentait de 20 p. c. le chiffre des traitements et des pensions, ce serait un accroissement de dépense de 7,200,000 fr. environ.

Je demanderai à M. le ministre des finances où il trouvera ce supplément de ressources et je demanderai ce qu'en pensera le public payant.

Est-il possible d'augmenter les impôts de 7 millions ? Je ne le crois pas.

Certainement, messieurs, la vie est chère pour les employés de l'Etat, mais n'est-elle pas chère également pour les petits boutiquiers,, les petits rentiers, pour les artisans patentés, pour tous les contribuables ? Et l'homme qui est chargé d'une nombreuse famille ne doit-il pas subir cette cherté ?

Je dis donc, messieurs, que le gouvernement doit y songer très sérieusement et qu'il doit éviter avant tout de nous faire tomber dans le gouffre du déficit.

Un pays voisin nous offre, sous ce rapport, une situation que nous ne saurions trop méditer ; on y paye, dit-on, les fonctionnaires plus largement qu'on ne le fait en Belgique, mais il se trouve qu'il y a dans ce pays un déficit d'un milliard et l'on y reconnaît la nécessité de prendre les plus grandes mesures et d'avoir recours à un ministre des finances d'un talent transcendant pour arriver à sortir d'embarras.

Cela prouve, messieurs, qu'il faut se garder d'augmenter les dépenses sans y apporter le plus grand discernement. Je demande, moi aussi, des augmentations de traitements pour certaines classes d'employés, mais je ne veux pas qu'on augmente tout le monde sans distinction, je ne veux pas d'exagération, je veux des augmentations que le pays puisse supporter.

Voilà, messieurs, en peu de mots ce que j'avais à dire. J'adopterai, je le répète, les augmentations que le gouvernement nous proposera, soit pour les employés civils, soit pour les militaires, soit pour le clergé, soit pour les pensionnés, pourvu que les sommes qu'il nous demandera soient en rapport avec les ressources de l'Etat.

(page 166) - M. E. Vandenpeereboom remplace M. Vervoort au fauteuil.

M. Hymans. - Messieurs, je comprends qu'on retire un amendement, lorsque cet amendement est combattu par tout le monde ; mais on me propose de retirer le mien en me déclarant qu'on s'y rallie.

L'honorable ministre des finances l'accepte ; la Chambre ne me paraît pas d'humeur à le combattre ; quel mal y a-t-il, dès lors, â ce qu'il figure dans l'adresse ?

L'honorable M. Lebeau regrette qu'on n'ait pas adopté l'autre jour la motion de l'honorable M. de Brouckere, qui nous engageait à ne pas présenter d'amendement à l'adresse, et l'honorable M. Lebeau lui-même présente un sous-amendement. Je dois dire que cela n'est pas très logique.

Je répondrai, du reste, à l'honorable membre, que son sous-amendement est implicitement compris dans le mien.

J'ai défendu tout à l'heure les droits qu'avaient les membres du clergé à une augmentation de traitement. Je rappellerai que dès l'année dernière, à propos de pétitions qui avaient été adressées à la Chambre par des curés de diverses provinces, et notamment du Luxembourg, j'ai présenté un rapport qui a été renvoyé à M. le ministre de la justice et dont les conclusions tendaient à améliorer la position de ces membres du clergé.

Si je tiens à ce que ma proposition figure dans l'adresse, ce n'est point parce que les déclarations de l'honorable ministre de finances ne me suffisent pas ; j'ai une entière confiance dans sa parole ; j'ai la conviction que les promesses qu'il nous a faites seront réalisées ; mais je tiens aux termes de ma proposition, parce que je crains que la réforme que M. le ministre des finances prépare en ce moment, ne réponde pas entièrement à mes espérances.

J'entends parler de la suppression de quelques emplois. A ce propos, j'ai eu soin de dire tout à l'heure que déjà autrefois l'honorable ministre des finances avait opéré des réductions notables dans son budget. Je crois qu'il pourrait opérer encore d'autres réductions ; un grand nombre de douaniers doit devenir inutile par suite de la suppression d'une partie des entraves douanières...

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Il n’y a pas moyen de réduire dans ce service.

M. Hymans. - C'est une raison de plus pour que j'insiste sur la réforme des autres services.

M. le ministre des finances a joué sur les mots ; il a trouvé dans mon discours des expressions mal choisies et des chiffres qu'il n'a pas bien saisis ; mais il n'a pas répondu un mot au plan de réforme que je lui ai soumis à la fin de mon discours. Or, j'ai la profonde conviction que si l'on ne veut pas entrer dans la voie de la décentralisation et de la réforme administrative, toutes les augmentations de traitement ne serviront absolument à rien.

Messieurs, je suis accusé d'exagération. Cependant il y a dans mon discours beaucoup plus de chiffres que de mots et beaucoup plus de faits que de phrases.

L'honorable ministre des finances, en cela très habile, s'est emparé d'un terme mal choisi dont je m'étais servi à la fin de mon discours, en disant qu'il n'y avait pas de teneur de livres dans une grande maison de commerce qui ne fût mieux payé que les secrétaires généraux dans nos administrations publiques.

II est à ma connaissance personnelle que, dans les villes de commerce, la position des employés des grandes maisons et même des maisons de second ordre est quatre, cinq fois meilleure que celle des employés de nos administrations. (Oh ! oh !)

Mais certainement, et je pourrais le prouver, en citant des noms propres, qu'il n'y a pas lieu évidemment de citer dans cette enceinte.

Et si je citais le traitement des gérants des grandes affaires industrielles, j'arriverais à une différence plus grande encore.

Du reste, ce que j'ai dit sous ce rapport, je l'ai répété à peu près textuellement d'après un discours qui a été prononcé en 1857, par l'honorable M. Rogier, alors qu'il était assis sur les bancs de l'opposition...

MRAEµ. - Qu'est-ce que j'ai dit en 1857 ?

M. Hymans. - Je n'ai pas sous les yeux les Annales parlementaires ; mais vous avez dit, avec infiniment de raison, qu'en Belgique, à tous les degrés de l'échelle administrative, les fonctionnaires publics étaient mal rétribués.

Vous avez ajouté une phrase que j'ai citée tantôt, « qu'il ne serait pas difficile, si l'on voulait entrer courageusement dans la voie des réformes, d'introduire des économies suffisantes pour couvrir des augmentations de dépenses que vous considériez comme indispensables. »

J'ai ajouté que depuis le jour où vous avez prononcé ces paroles, vous êtes entré dans le cabinet où vous siégez depuis quatre ans, et que j'attendais d'un moment à l'autre la réalisation de vos promesses. Je vous en fournis l'occasion. (Interruption.)

Vous avez prononcé ces paroles en 1857, à propos du crédit de 1,200,000 de fr. que l'honorable M. de Decker sollicitait pour augmenter le traitement des employés inférieurs ; j'ai dit, au commencement de mon discours, à l'éloge de M. le ministre des affaires étrangères, alors député de l'opposition, qu'à cette époque, seul, dans cette enceinte, parmi les membres de l'opinion libérale, il avait eu le courage de défendre la cause des fonctionnaires publics...

MaeRµ. - Courage bien facile !

M. Hymans. - Il faut toujours un certain courage pour combattre des préjugés ; ce courage-là vaut bien celui qu'on déploie sur les champs de bataille. Le préjugé est le plus grand ennemi qu'on ait à combattre dans la société moderne.

L'honorable ministre des affaires étrangères sur les bancs de l'opposition a déclaré que la magistrature était trop peu payée : que les ministres n'étaient pas suffisamment rétribués ; qu'en Belgique, dans ce pays éminemment démocratique, si l'on persévérait dans la voie où l'on marchait depuis 1830, les hautes fonctions administratives finiraient par devenir l'apanage de la fortune ; qu'on ne trouverait plus avec le temps, dans les rangs moyens et inférieurs de l'administration que des médiocrités, dans la magistrature, que des hommes qui ne verraient pas de carrière possible pour eux au barreau, dans les autres administrations que des hommes qui ne se sentiraient pas le courage de se faire, par un travail incessant et persévérant, une position au soleil. Je n'ai fait que répéter et développer les idées exposées avec courage, je le répète, à cette époque par l'honorable ministre des affaires étrangères.

Maintenant qu'ai-je exagéré ? L'honorable ministre des finances vient de dire que l'employé avait sur la masse de la population ce grand avantage, d'avoir une position sûre. Il n'y a rien de sûr dans ce monde. Les gouvernements tombent comme les maisons de commerce font faillite ; les trônes s'en vont comme les gouvernements. Si vous payez une pension à l'employé, c'est qu'il a subi une retenue sur son traitement pendant tout le temps qu'il a été en activité, c'est qu'il a contribué à la caisse des pensions...

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Pour les veuves et les orphelins.

M. Hymans. - Soit ; mais pour une somme minime, on se fait assurer par la première société venue.

Maintenant, si je n'ai pas très grande confiance dans ce qu'on fera, c'est parce que je me rappelle ce qui a été fait.

L'honorable M. de Decker en 1857, mû par un sentiment généreux, est venu demander à la Chambre un crédit de 1,200,000 fr. pour l'augmentation des traitements des petits employés. La Chambre a réduit ce crédit à un million ; elle trouvait que 1,200,000 fr. c'était trop. Elle a (page 167) expressément exigé que pas un denier de ce crédit ne fût affecté à l'augmentation de traitements supérieurs à 1,600 fr.

Permettez-moi, messieurs, de citer, à ce propos, un fait.

Un employé qui touchait un traitement d'un millier de francs dans une ville de province, avait reçu, grâce à la munificence dont les Chambres ont fait preuve à cette époque, une augmentation de traitement de 40 francs.

Ce sera le chiffre moyen de la plupart des augmentations qui nous seront proposées ; pour un traitement de 400 fr. à 10 p. c, l'augmentation sera de 40 francs.

Eh bien, cet employé ayant reçu 40 fr. d'augmentation, a cru pouvoir se permettre avec cette somme une petite débauche.

II a invité quelques amis à dîner et le lendemain il a reçu une verte admonestation de l'administration supérieure.

M. Allard. - C'était parfaitement juste.

MaeRµ. - On a très bien fait.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Certainement.

M. Hymans. - Pour avoir dépensé de la sorte les largesses du gouvernement !

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - 40 fr. pour celui qui n'a que 400 fr., c'est beaucoup.

M. Hymans. - M. le ministre des finances a dit tout à l'heure que la situation financière méritait bien aussi qu'on s'en préoccupât.

C'est évident, et c'est précisément parce que dans le discours du Trône on nous déclare que, malgré la crise, cette situation est très bonne...

- Un membre. - Satisfaisante.

M. Hymans. - Soit, parce qu'elle est satisfaisante, que je conseille au gouvernement d'en profiter.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Vous voulez la rendre mauvaise.

M. Hymans. - Mais non, vous n'ayez donc pas voulu écouter tantôt ce que je disais du rôle qu'on veut faire jouer aux contribuables.

A entendre les défenseurs du trésor, le contribuable serait l'adversaire de toute nouvelle dépense, quelle qu'elle fût, de tout nouvel impôt quel qu'il fût. On se sert de tels arguments dans certaines causes, on les oublie dans certaines autres.

Quand il s'agit de voter 40, 50, 80 millions pour la défense du pays, que dit-on ? Est-ce que l'emprunt qu'on fait pour couvrir ces dépenses n'est pas aussi un impôt ? (Interruption.)

Qui donc en paye les intérêts ? Est-ce que le pays n'a pas autant besoin d'être bien administré que d'être défendu ?

M. Gobletµ. - C'est juste.

M. Hymans. - Il faut le bien administrer, le faire vivre d'abord et le défendre ensuite.

M. le ministre des finances m'a reproché d'aller prendre nos éléments dans la situation telle qu'elle existe en France, mais j'ai pris mes renseignements où je les ai trouvés.

Il n'existe en Belgique que peu d'ouvrages sur cette importante question, tandis qu'en France il en existe beaucoup qui sont dus à des hommes éminents qui connaissent aussi bien qu'un ministre belge ce que c'est que l'administration dans d'autres pays.

J'aime à croire que lorsque M. Vivien, ancien ministre de la justice, ancien président du conseil d'Etat, membre de toutes les assemblées législatives qui se sont succédé depuis 1830, a formulé des théories, des doctrines générales sur l'administration, il avait étudié autre chose que ses propres bureaux et qu'il avait cherché ses renseignements à l'étranger aussi bien qu'en France.

J'aurais pu, du reste, citer des autorités en Belgique. Il n'y a pas bien longtemps, a paru un livre d'un homme dont les travaux sont fort appréciés des membres de cette Chambre, de l'honorable M. Ducpetiaux.

Il dit, dans son ouvrage sur l'administration, exactement ce que dit M. Vivien. Ces idées trouvent leur application partout, et s'il y a moins d'abus en Belgique qu'en France, si la centralisation est moins exagérée, j'en félicite M. le ministre des finances. La réforme n'en sera que plus facile à introduire.

Je ne veux pas, messieurs, que l'on me fasse dire des choses que je n'ai pas dites ; je tiens à rectifier un calcul que M. le ministre des finances a fait en ce qui concerne la solde du soldat et l'entretien du mendiant dans nos dépôts de mendicité.

J'ai parfaitement tenu compte des 750 grammes de pain qu'on donne au soldat, et des frais d'entretien, d'habillement, de couchage, de lessivage, de chauffage, etc., des reclus dans les dépôts de mendicité. J'ai affirmé, d'après des renseignements pris à des sources officielles, que la nourriture, et rien que la nourriture du mendiant coûte 37 1/2 centimes par jour, tandis que celle du soldat en coûte 44. J'ai ajouté qu'au dépôt de mendicité de la Cambre, le mendiant qui travaille touche, par jour, 19 centimes, à ajouter aux 37 centimes de la journée, ce qui lui fait une position supérieure de 12 centimes par jour à celle du soldat.

Voilà des chiffres auxquels il n'y a rien à répondre. J'ai parfaitement tenu compte de tous les éléments d'appréciation indiqués par M. le ministre des finances.

Je crois, messieurs, avoir répondu à toutes les objections présentées par M. le ministre des finances, et je ne vois pas de bonne raison pour retirer mon amendement.

Il consacre un principe sur lequel tout le monde est d'accord.

Je ne viens pas vous demander de discuter des détails ; je ne viens pas présenter un projet de réforme que je n'aurais pas le droit, du reste, de présenter maintenant ; je ne viens pas empiéter sur la discussion des budgets. Je saisis, au contraire, la seule occasion qui me soit donnée, pendant toute la session, de vous entretenir d'une question de cette nature.

Si je venais, à propos du budget de la guerre, vous parler du budget de l'intérieur, et, à propos du budget de l'intérieur, vous parler du budget des travaux publics, vous auriez de bonnes raisons pour m'interdire la parole. Mais aujourd'hui je parle d'une question générale qui s'applique à tous les budgets, qui ne peut être résolue qu'à la condition que tous les départements ministériels s'entendent et que la révision soit faite par eux d'un commun accord.

Du reste, il ne s'agit plus en ce moment de discuter l'opportunité de mon amendement. Il a été présenté, développé, combattu ; il fait partie de la discussion. Il peut être adopté ou rejeté, et je m'en réfère complètement à la décision de la Chambre.

(page 160) M. J. Lebeau. - Messieurs, prenant acte des paroles de M. le ministre des finances en particulier et ne pouvant pas douter qu'en vertu de l'article 117 de la Constitution qui concerne le traitement des ministres du culte, l'examen auquel on se livre ne s'applique également à ces fonctionnaires respectables, je retire mon sous-amendement.

M. le président. - Le sous-amendement est retiré. Il ne reste que l'amendement de M. Hymans. Cet amendement est-il maintenu ?

M. Hymans. - Oui, M. le président.

M. de Naeyer. - Je trouve qu'en présence des explications qui ont été données par le gouvernement, la proposition de l'honorable M. Hymans est devenue sans objet.

En effet, l'honorable membre demande que la position des employés de l'Etat soit améliorée, et le gouvernement répond que, dans un délai déterminé, il présentera un projet de loi destiné à améliorer la position des employés de l'Etat.

Quant au principe, l'honorable membre est donc d'accord avec le gouvernement, et il est évidemment inopportun de discuter maintenant le système qui pourrait être adopté pour la mise à exécution du principe ; mais si l'honorable M. Hymans maintient son amendement, je serai obligé de faire connaître les motifs qui m'empêchent de l'adopter, de même que je n'aurais pas adopté non plus le sous-amendement de l'honorable M. Lebeau, eu égard surtout aux termes dans lesquels ces deux propositions sont conçues, eu égard aux circonstances dans lesquelles elles sont produites, de même qu'à la plupart des développements que nous avons entendus. Il y aura donc probablement une discussion assez longue qui ne peut amener, pour le moment, aucun résultat positif.

Si l'honorable M. Hymans a voulu éveiller l'attention du gouvernement sur cette importante question, son but est complètement atteint ; il a traité la matière d'une manière très étendue, et le gouvernement a écouté attentivement ses observations ; sous ce rapport, son succès est complet. Dans cette position, provoquer un vote de la Chambre, ce serait en quelque sorte demander une adhésion aux observations qu'il a longuement développées ; or, l'honorable membre a énoncé plusieurs opinions qu'il m'est absolument impossible d'admettre ; et je crois qu'il est beaucoup d'autres membres dans cette Chambre qui sont dans le même cas. Nous serions donc obligés d'entamer une discussion longue et confuse par cela même qu'elle porterait sur des généralités, et qu'elle aurait lieu en l'absence de dispositions nettement formulées.

Je prends la liberté de soumettre ces observations à l'honorable auteur de l'amendement ; je pense qu'elles sont de nature à l'engager à imiter l'honorable M. Lebeau, c'est-à-dire à retirer sa proposition.

- Plusieurs membres. - Aux voix ! aux voix !

M. de Naeyer. - Je demande si l'amendement est maintenu ; dans ce cas je désirerais m'expliquer et faire connaître les motifs de mon opposition.

- Un membre. - Alors, à demain.

M. Hymans. - Je demande la parole.

M. le président. - Est-ce pour une motion d'ordre ?

M. Hymans. - Non, M. le président.

M. le président. - Dans ce cas, je dois consulter l'assemblée, attendu que vous avez déjà pris deux fois la parole.

- La Chambre consultée, autorise M. Hymans à prendre encore la parole.

M. Hymans. - Je veux bien retirer mon amendement, mais pour une seule raison ; c'est parce que j'espère qu'en donnant au parti auquel appartient l'honorable membre cet exemple, je l'engagerai à le prêcher à ses amis. Mais je me borne à constater un fait, c'est qu'hier le gouvernement s'était engagé de la manière la plus positive et la plus formelle, sans que personne pût mettre en doute sa parole, à rendre justice aux réclamations des populations flamandes, qu'on avait, pendant deux jours développées dans cette enceinte ; et malgré cela, les amis de l'honorable membre n'ont pas retiré leur proposition.

M. le président. - L'amendement de M. Hymans est retiré ; la discussion est close.

- Le paragraphe 14 est mis aux voix et adopté.

La séance est levée à 4 heures trois quarts.