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Chambres des représentants de Belgique
Séance du samedi 7 décembre 1861

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1861-1962)

(page 181) (Présidence de M. Vervoort.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. de Florisone, secrétaire, procède à l'appel nominal à 1 heure et un quart.

M. de Moor, secrétaire, lit le procès-verbal de la séance d'hier.

- La rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Florisone, secrétaire, présente l'analyse des pièces qui ont été adressées à la Chambre.

« Le sieur Sohet, chanoine de la cathédrale de Namur, demande une augmentation de traitement. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Les chefs de bureau et employés du commissariat de l'arrondissement de Dinant prient la Chambre d'allouer au budget de l'intérieur la somme nécessaire pour améliorer leur position. »

- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le budget de l'intérieur.


« Des facteurs ruraux, à Puers, demandent une augmentation de traitement. »

- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le budget des travaux publics.

Projets de loi de naturalisation

M. Savart. - J'ai l'honneur de déposer cinq rapports de la commission des naturalisations sur autant de demandes d'étrangers qui briguent la faveur et l'honneur de devenir Belges.

- Ces rapports seront imprimés, distribués et mis à la suite de l'ordre du jour.

Projet de loi portant le budget du ministère de la guerre de l’exercice 1862

Rapport de la section centrale

Projet de loi fixant le contingent de l’armée de l’année 1862

Rapport de la section centrale

M. Ch. Lebeau. - J'ai l'honneur de déposer le rapport de la section centrale qui a été chargée d'examiner le budget de la guerre pour l'exercice 1862.

J'ai également l'honneur de déposer le rapport de la commission spéciale qui a été chargée d'examiner le projet de loi fixant le contingent de l'armée pour l'année 1862.

- Ces rapports seront imprimés, distribués et mis à la suite de l'ordre du jour.

Projet de loi portant le budget des voies et moyens de l’exercice 1862

Rapport de la section centrale

M. de Boe. - J'ai l'honneur de déposer le rapport de la section centrale qui a examiné le budget des voies et moyens pour l'exercice 1802.

- Ce rapport sera imprimé, distribué et mis à la suite de l'ordre du jour.

Projet de loi étendant le ressort du conseil de prud’hommes de la ville de Renaix

Rapport de la commission

M. Crombezµ. - J'ai l'honneur de déposer le rapport de la commission qui a examiné le projet de loi ayant pour objet d'étendre le ressort du conseil des prud'hommes de la ville de Renaix.

- Ce rapport sera imprimé, distribué et mis à la suite de l'ordre du jour.

Rapports sur des demandes en naturalisation

M. Van Volxemµ. - J'ai l'honneur de déposer plusieurs rapports sur des demandes de naturalisation ordinaire et de grande naturalisation.

- Ces rapports seront imprimés, distribués et mis à la suite de l'ordre du jour.

Projet de loi approuvant le traité de commerce et de navigation avec la Turquie

Rapport de la section centrale

M. Van Iseghem. - J'ai l'honneur de déposer le rapport de la section centrale qui a examiné le traité de commerce et de navigation conclu entre la Belgique et la Turquie.

- Ce rapport sera imprimé, distribué et mis à la suite de l'ordre du jour.

Projet d’adresse

Discussion des paragraphes

Paragraphe 18

« Les biens affectés aux études et au temporel des cultes sont laïques ; le pouvoir civil est comptable envers la société de leur bonne gestion. Les lacunes que présente la législation qui les régit aujourd'hui une fois constatées ne peuvent être tolérées davantage sans défaillance vis-à-vis d'un devoir social. »

M. Notelteirs. - Le gouvernement nous annonce, dans le discours du Trône, la révision des lois sur les biens consacrés aux cultes et sur les fondations de bourses d'études.

Lorsqu'il nous aura communiqué ses projets, nous aurons à juger leurs dispositions. Jusque-là nous pourrions, à la rigueur, nous dispenser de discussions sur ces matières, si le projet d'adresse ne posait un principe que je ne puis laisser passer sans observation.

Je remarque d'abord que le projet d'adresse se montre singulièrement préoccupé des droits de l'Etat, et qu'il n'a pas un mot en faveur des intéressés directs. Ainsi, quant aux bourses d'études, pas un mot des droits des familles ; mais je ne veux parler aujourd'hui que des biens consacrés aux cultes.

Le discours du Trône se borne à affirmer « que l'on a reconnu la nécessité de combler les lacunes que présente la législation existante tant pour les fondations et l'administration des biens affectés aux études que pour la gestion et le contrôle de ceux qui sont consacrés aux cultes. »

Répondant à ces paroles, le projet d'adresse dit : « Les biens affectés aux études et au temporel des cultes sont laïques ; le pouvoir civil est comptable envers la société de leur bonne gestion, les lacunes » etc. Quelle est la signification de cette déclaration de principe ? Je ne puis me le dissimuler, je crois que dans l'esprit du rédacteur de l'adresse cela veut dire : les biens des fondations de bourses, les biens des fabriques d'église appartiennent à l'Etat, ils sont une fraction du domaine national affectée à un service public spécial.

Dans le discours du Trône, les biens de l'église s'appelaient encore biens consacrés aux cultes ; dans l'adresse, ce ne sont plus que des biens affectés au temporel des cultes, et de sacrés ils sont devenus laïques.

On a dit naguère : la charité est laïque, et au nom de cette déclaration on a banni l'influence religieuse de la charité.

On a dit encore : l'instruction est laïque, et au nom de ce principe l'on veut bannir l'autorité religieuse de l'école.

J'ai donc le droit de me demander si sous le mot « laïque » l'on pose un principe pour exclure l'autorité religieuse de l'administration des biens de l'Eglise. La chose me semble peu douteuse, car le projet ajoute immédiatement : Le pouvoir civil est comptable de la gestion de ces biens, mais envers qui ? Envers l'Eglise ? Non.

Envers qui le pouvoir civil est-il donc comptable, selon l'adresse ? Envers la société, c'est-à-dire la nation.

En droit le gérant est comptable envers le propriétaire. L'adresse, en déclarant le pouvoir civil comptable envers la nation, déclare celle-ci propriétaire ; et tous les biens de l'Église deviennent biens de la nation. En un mot : l'on dénie à la société religieuse la propriété de ses biens.

Voilà le principe sur lequel l'adresse invite le gouvernement à bâtir sa nouvelle loi.

Ce principe, messieurs, je ne saurais l'admettre.

L'église encore reléguée dans les catacombes, possédait des biens pour les besoins du culte, pour l'entretien de ses ministres et pour le soutien de ses pauvres. La reconnaissance de son droit de propriété date du jour où, après trois siècles de persécutions, la liberté lui fut octroyée.

Jamais ce droit ne lui fut contesté sans que sa liberté le fût en même temps.

C'est que la société religieuse, comme société permanente, a besoin de moyens permanents pour exister. Aussi ce n'est qu'en temps de troubles et d'oppression, que l'Eglise s'est vue spoliée de son patrimoine.

Je m'imagine que notre Constitution, en garantissant aux Belges la liberté des cultes, a garanti en même temps à l'Eglise sa liberté, et comme conséquence nécessaire à l'exercice de cette liberté, le droit de posséder. L'Eglise n'est pas libre si elle ne peut pas posséder en propriétaire.

En invoquant ici la Constitution j'admets évidemment le même droit pour les autres cultes.

Je comprends et j'accepte un contrôle et un contrôle sérieux, mais je ne saurais admettre que la nouvelle loi qui nous est annoncée soit basée sur une déclaration de principe qui fut inventée au siècle dernier pour légitimer la confiscation.

En interprétant ainsi le paragraphe qui nous occupe, je crois ne m'être pas trompé. Je serais heureux d'apprendre que je suis dans l'erreur. Jusqu'alors je soutiens que la déclaration que je viens de combattre contient en principe la négation de la liberté de l'Eglise et l'arrêt de la confiscation dont l'exécution n'est plus qu'une question de temps.

Je voterai contre le paragraphe, à moins qu'il ne soit profondément modifié ; à moins, quant aux bourses d'études, qu'il ne reconnaisse les droits des familles, et quant aux biens consacrés aux cultes, à moins que le parlement de la libre Belgique ne reconnaisse à l'Eglise libre le droit de posséder son patrimoine en propriétaire.

M. Vanden Branden de Reeth. - Je désire motiver mon vote par quelques considérations, et j'ai demandé la parole au (page 82) paragraphe qui nous occupe, parce que c'est celui qui, d'après moi, caractérise le mieux la politique du gouvernement à l'intérieur.

Je ne comptais pas prendre part à la discussion, mais les circonstances exceptionnelles au milieu desquelles se produit ce débat, qui a été provoqué par le gouvernement à diverses reprises, me font un devoir de dire avec franchise et sans aucun détour, quels sont les motifs principaux qui ne me permettent pas d'accorder ma confiance au ministère actuel.

Vous avez vu, messieurs, dans la discussion solennelle qui s'est terminée, il y a quelques jours, et qui a eu un grand retentissement dans le pays, quelle a été la conduite du gouvernement dans nos relations extérieures en ce qui concerne la question italienne, et d'énergiques protestations sont parties de ces bancs pour blâmer la reconnaissance précipitée, inopportune et impolitique d'un état de choses qui est le produit de la violence la plus inouïe dont l'histoire fasse mention. Et à cette occasion qu'il soit permis aux membres de la droite qui n'ont pas pris une part active à la discussion, d'exprimer un sentiment qui ne sera désavoué par aucun de nous, j'en ai la conviction, c'est celui de notre gratitude envers nos amis politiques qui ont été nos éloquents et énergiques interprètes dans ce mémorable débat.

Mais après avoir jugé, comme c'était notre droit, la politique du gouvernement à l'extérieur, nous avons encore le devoir, non moins impérieux, d'apprécier les résultats de sa politique à l'intérieur.

Nous avons à nous demander si, en présence de la situation de l'Europe et pour parer aux éventualités de l'avenir, le gouvernement semble disposé à suivre une ligne de conduite politique que l'on puisse appeler nationale et qui ait pour résultat de réunir autour de lui, comme en un seul faisceau, toutes les forces vives de la nation.

Pour faire cet examen, qui d'ailleurs sera court, j'ai besoin de me livrer à une revue quelque peu rétrospective.

Quelle était la situation à la fin de notre dernière session ? Quelles étaient les impressions d'un grand nombre à cette époques ?

L'on se disait : Le ministère a fait son temps ! Et quelle était la signification de cette formule qui était dans toutes les bouche ?

Elle signifiait que l'on voulait en revenir à une situation plus calme, plus normale et que le moment était venu d'effacer, si c'était possible, les dernières traces des tristes et déplorables événements du mois de mai 1857, où la violence prit momentanément la place du droit, et amené une situation qui semblait à plusieurs être le produit d'une émeute triomphante.

L'on se disait encore : Le rôle d'un gouvernement ne doit pas consister à provoquer l'agitation et à fournir des aliments à la discorde... ; les questions irritantes doivent être écartées, car la Constitution a été une œuvre de transaction et de conciliation, et il ne faut pas, en la mutilant, ou en méconnaissant son esprit, en faire sortir des germes de lutte et de division.

Chacun signalait le contraste qui existait entre la conduite d'un gouvernement qui, d'une part, demandait au pays des sacrifices énormes pour le prémunir contre les dangers de la guerre qui pouvait nous venir de l'intérieur, et qui, d'autre part, ne cessait de l'affaiblir en provoquant à l'extérieur la guerre des partis.

L'on faisait le parallèle entre 1830 et 1860. En 1830, l'on avait à craindre une guerre imminente, et l'on s'y préparait en resserrant l'union des citoyens à l'intérieur du pays.

En 1860, l'on élève des citadelles contre l'étranger, qui ne nous menace pas, mais en même temps, l'on étouffe le patriotisme de l'intérieur, en divisant le pays, en le mécontentant et en portant avec obstination les débats sur un terrain où la discussion ne peut être qu'irritante.

Telles étaient, à l'époque que je viens de rappeler, les impressions d'un grand nombre de bons citoyens qui placent les intérêts du pays au-dessus des intérêts de parti.

Vinrent les élections du mois de juin, et nul ne peut prétendre qu'elles se firent dans un sens favorable au gouvernement.

A Gand, la majorité des électeurs se déclara pour une politique plus modérée, plus conciliante, plus nationale ; en un mot, le système qui consiste à considérer la lutte ardente entre les partis et la division entre les citoyens comme la perfection du régime représentatif, y reçut un éclatant échec ; et l'on sait par suite de quelles circonstances le triomphe des conservateurs n'y fut pas complet. A Louvain, tous les efforts des loges, toutes les menées libérales, toutes les influences du gouvernement mises à la disposition d'un parti, ne parvinrent pas à triompher des électeurs indépendants.

Dans un grand nombre d'autres collèges électoraux, la majorité, en faveur des ministériels fut que de quelques voix.

Enfin si nous avons à regretter la perte d'un seul de nos amis qui succomba dans la lutte à Alost, d'un autre côté, nous avons vu plusieurs nouveaux membres venir s'asseoir sur nos bancs et grossir nos rangs.

C'est donc en présence de ce résultat que je suis autorisé à me demander quelle est donc la signification, quelle est la raison d'être du nouveau ministère reconstitué des mêmes éléments qu'avant les élections ?

MM. les ministres nous apportent-ils dans les plis de leurs manteaux la paix ou la guerre ?

Le discours du Trône, qui, en définitive, est le programme du ministère, et le projet d'adresse, qui en est la paraphrase avec commentaires, nous répondent : La guerre.

Pourquoi, en effet, faire figurer parmi les mesures qu'il annonce devoir soumettre à nos délibérations, et cela sans aucune urgence, sans aucune nécessité, des projets de loi qui seront des brandons de discorde lancés au milieu du pays ?

Ce n'est pas ici le moment d'aborder le fond des discussions que les projets soulèveront, et dans cette enceinte, et en dehors de cette enceinte, mais je puis affirmer, dès à présent, qu'il est impossible d'en aborder la discussion sans agiter profondément le pays.

Car ces lacunes, ces abus que vous signalez, ne sont, pour la plupart, que des prétextes ; la Belgique a passé trente années sans s'en apercevoir, sans même s'en douter ; le but que vous poursuivez est un but politique ; s'il n'en était pas ainsi, vous ne songeriez pas à soulever pareille discussion.

J'ai dit, messieurs, que les projets de loi auxquels je fais allusion seraient présentés sans nécessité. Je me suis peut-être trompé ; il y a nécessité, je le reconnais, mais c'est une nécessité toute spéciale au ministère, une nécessité de position.

Il est un point sur lequel l'on est peut-être tous d'accord, les uns ouvertement, les autres tacitement.

Si le ministère, tel qu'il est composé, ne trouve pas le moyen de passionner la discussion en portant les débats sur certaines questions, et vous savez lesquelles, qui doivent par leur nature diviser profondément la Chambre, il ne peut pas compter sur huit jours d'existence.

Ce n'est pas ici un reproche direct que j'adresse au ministère, mais c'est une situation forcée de sa part que je constate.

C'est aussi contre ce système auquel le gouvernement ne peut se soustraire, s'il veut prolonger son existence, que je proteste ; je devrais presque le flétrir, car je le considère comme éminemment fatal à mon pays, et je ne puis accorder ma confiance à un ministère qui en est l'expression et la personnification.

Un honorable membre de cette assemblée dont le patriotisme ardent ne peut être mis en doute par personne, mon honorable collègue et ami M. de Decker, dans une des dernières séances, a parlé de désaffection, et ce mot a fort scandalisé l'honorable M. Dolez. Je regrette de devoir le dire de nouveau, mais nous devons avant tout la vérité au pays ; oui, la désaffection est grande, elle grandit chaque jour ; c'est le système suivi par le gouvernement qui l'a fait naître, et s'il continue à le pratiquer encore quelque temps, la désaffection deviendra complète.

Vous avez beau entasser canons sur canons, élever murailles sur murailles, puiser à pleines mains dans la poche du contribuable pour perfectionner tous nos engins de destruction, nous serons faibles en présence de l'ennemi au jour du danger si nous restons désunis.

Ce qui fait la force des petites nations c'est la force morale que donne l'union de tous les citoyens d'un Etat libre !

Si vous n'y croyez pas, si vous accueillez mes paroles avec un superbe dédain, effacez alors notre devise nationale et remplacez-la par ces mots sinistres : La désunion fait notre force. Je voterai contre l'adresse.

M, J. Lebeauµ. - Messieurs, comme membre de la commission d'adresse, je ne saurais, en présence du jugement qu'on vient de porter sur son œuvre, attendre plus longtemps pour faire voir, en peu de mots, à quel point on méconnaît les intentions de cette commission.

Ce qu'on a dit quelquefois de la prérogative royale et de la prérogative parlementaire, savoir qu'elles ne s'entendent jamais si bien que lorsqu'on n'en parle pas, on peut le dire des droits du pouvoir civil et de ceux de l'autorité religieuse mis en présence.

Mais en voyant de nombreuses plaintes qui s'élèvent, depuis quelque temps surtout, à l'égard de l'administration confiée aux fabriques d'église, la législature ne pouvait s'abstenir.

C'est une question à la fois politique et religieuse, dit-on. Je l'accorde, et c'est une raison de plus, messieurs, pour que nous l'abordions avec tout le sang-froid, avec toute l'impartialité que notre devoir nous impose en pareille occurrence.

Quant à moi, messieurs, j'ai assez prouvé que si, dans l'examen d'une question de cette nature, je pouvais m'égarer, je n'y ai, du moins, jamais apporté qu'un esprit de modération et d'impartialité. C'est encore, messieurs, en restant dans ces dispositions d'esprit, que (page 183) je veux présenter quelques observations à la Chambre en faveur du projet d'adresse.

Y a-t-il, messieurs, un pouvoir spirituel, un pouvoir temporel ? Poser cette question, c'est, comme on dit, la résoudre, et nous n'avons pas besoin de faire appel à l'illustre évêque de Meaux, à l’immortel Bossuet, pour justifier la légitimité et la justesse de cette division en pouvoir spirituel et en pouvoir temporel.

Il est regrettable peut-être d'avoir à discuter de pareilles questions. Mais je crois qu'en procédant à leur examen avec bonne foi et dans un esprit de modération, nous pouvons espérer d'arriver aune solution équitable, acceptée par tous les esprits impartiaux et pratiques.

Ainsi, messieurs, que chacun de nous, en abordant cette question délicate des rapports du pouvoir religieux et du pouvoir politique, s'efforce, comme je le fais, de rester sous l'influence des sentiments de justice et d'impartialité que je viens d'exprimer.

Un des hommes qui ont le plus contribué au progrès des sciences politique et sociale, un homme qui, étranger à vos croyances, n'en jouit pas moins, grâce à son esprit élevé, de votre confiance, M. Guizot a constamment cherché à établir, comme condition fondamentale de la liberté moderne, la séparation de l'Eglise et de l'Etat.

Or, c'est le principe de la séparation de l'Eglise et de l'Etat, dont le paragraphe en discussion n'est qu'une conséquence, que le projet d'adresse veut maintenir et mieux réaliser dans l'administration.

Mais, messieurs, il ne suffit pas de reconnaître en principe la séparation de l'Eglise et de l'Etat.

Pour des législateurs, pour des hommes pratiques, quand on a fait luire ce phare de la liberté moderne, on n'a pas décidé toutes les questions qui dérivent de ce principe ; il faut arriver à ses conséquences rationnelles et pratiques.

En quoi, messieurs, la religion est-elle intéressée, quand il s'agit de construire un temple, à ce que le pouvoir civil n'ait rien à y voir ? lui qui d'ordinaire est appelé à pourvoir à la dépense qu'exigent la construction et l'entretien du nouvel édifice ? Pourquoi lui serait-il interdit de donner son opinion, de présenter ses plans, ses observations, et au besoin d'opposer son veto, quand il s'agit de l'achat d'un orgue, ou de toute autre dépense analogue, ayant pour but d'augmenter la pompe des cérémonies du culte ?

Le pouvoir temporel, en d'autres termes le pouvoir laïque, est-il un simple payeur, obligé de tout liquider sans avoir été consulté ? Personne ne peut le vouloir.

Voilà pourtant quelques-unes des conséquences qui dérivent du principe contraire à celui que pose le paragraphe que nous discutons. Avant d'avoir pu en examiner mûrement les dispositions, vous le frappez d'anathème, ainsi que les projets de loi qui vous sont annoncés pour en assurer l'exécution.

De même que les objets que je viens d'énumérer appartiennent incontestablement au pouvoir laïque, l'administration des sacrements, la prédication, les offices, le catéchisme, appartiennent exclusivement au pouvoir religieux.

Sur ce point, le pouvoir civil n'a absolument d'autre compétence que celle qui est inscrite dans la loi pénale pour le cas où, dans les fonctions religieuses, on braverait les dispositions des lois répressives.

Eh bien, messieurs, quoique la séparation du pouvoir civil et du pouvoir religieux soit inscrite virtuellement dans nos lois, dans nos lois constitutionnelles comme dans nos lois ordinaires, je reconnais très volontiers que la législation est impuissante à empêcher tout conflit ; il en naîtra toujours de temps en temps.

Il n'y a, pour les résoudre, de manière à concilier la dignité du pouvoir religieux avec l'indépendance du pouvoir civil, que l'esprit de conciliation, que l'esprit pratique qui se développe si bien sous l'influence de nos institutions.

Je crois qu'il y a beaucoup à espérer de cet esprit de conciliation.

Je ne parle pas ici en simple théoricien ; j'ai eu l'honneur d'administrer une province pendant plusieurs années. J'ai eu l'avantage d'y rencontrer successivement deux prélats doués d'un remarquable esprit de modération et de conciliation.

Eh bien, nous sommes convenus, ces prélats et moi, d'établir une sorte de tribunal de conciliation disposé à accueillir les plaintes émanant tantôt du clergé, tantôt du pouvoir civil à l'égard du clergé, et d'essayer de commun accord une conciliation en faisant comparaître officieusement les intéressés devant nous. Nous sommes presque toujours parvenus à réconcilier les parties.

Croyez-vous que c'était sur des questions de l'ordre spirituel, sur des questions ressortissant exclusivement à l'autorité ecclésiastique, qu'il y avait conflit ? Jamais, ou presque jamais. Ces discussions s'étaient engagées sur des intérêts purement temporels, sur des dépenses à faire, sur des réparations, embellissements, etc.

Et remarquez quelles passions les discussions de ce genre peuvent soulever. Des bourgmestres, très sincères catholiques, se sont parfois vengés du curé, non pas en abjurant leur foi, mais en allant ostensiblement, eux, leurs familles et leurs domestiques, à l'église du village voisin le dimanche pendant plusieurs mois.

Vous voyez à quel point l'administration laïque, si respectueuse sur les questions de dogme, se montre susceptible quand il s'agit de ses prérogatives ; à quel point dès lors il est important de bien tracer les limites des attributions réciproques du pouvoir civil et du pouvoir religieux. Si vous voulez maintenir l'union entre les fonctionnaires de l'Etat, représentant la commune et le clergé, tracez, mieux qu'elle ne l'est aujourd'hui, leur ligne de démarcation.

Je vous parle, messieurs, par expérience. Ce n'étaient pas des esprits forts, c'étaient de très bons catholiques qui se portaient aux extrémités que je viens de dire.

S'il y a des abus, messieurs, et il y en a eu, aucun de vous, surtout ceux qui ont eu l'honneur d'administrer le pays, d'être à la tête du gouvernement, ne peut le nier, ces abus, il faut les faire disparaître, et certainement la religion y est au moins aussi intéressée que le pouvoir civil et l'ordre public.

Messieurs, je crois que les abus et principalement que les conflits qui se sont produits et qui nuisent à tout le monde, surtout à la religion, je crois, dis-je, que ces abus et ces conflits attestent que la législation a encore quelque à faire ; que la législation actuelle est inefficace.

Certes, nous n'aurons pas tout fait quand nous aurons voté une nouvelle loi. Eh ! mon Dieu, la nature des choses est bien trop complexe 'pour que les faits n'aillent pas au-delà des prévisions du législateur.

Mais je crois qu'il y a aujourd'hui assez d'abus constatés, assez de difficultés très fâcheuses pour le pouvoir religieux, fâcheuses aussi pour le pouvoir civil, pour qu'il soit du devoir de la législature de chercher à y mettre un terme ou du moins à en en diminuer le nombre.

Messieurs, il fut un temps où ses autorités qui ne sont pas suspectes pour cette partie de la Chambre à laquelle je m'adresse spécialement en ce moment ; il fut un temps où, quand on voulait parler de la vraie liberté civile et religieuse, des bouches autorisées pour la plupart d'entre vous s'écriaient : « La liberté comme en Belgique. »

Et ce n'étaient pas, messieurs, des bouches suspectes desquelles sortaient ces paroles ; c'était M. de Falloux, c'était M. de Montalembert.

Eh bien, je n'hésite pas à dire que s'ils nous ont rendu cette justice, nous n'avons pas mérité, depuis, un autre jugement ; et pour moi, j'en ai la profonde conviction, nous sommes restés fidèles, dans la pratique, à ces grands principes de notre Constitution, qui nous ont valu les suffrages de ces autorités dont personne ici certes ne récusera la compétence.

L'Eglise libre dans l'Etat libre, formule qu'on regarde comme une utopie dans d'autres pays, qu'on y regarde peut-être comme une énormité, comme un scandale ; l'Eglise libre dans l'Etat libre, voilà bien réellement ce qui existe en Belgique. Et si on le conteste, cela s'explique par cette réflexion si juste de M. Joseph de Maistre : c'est que l'œil ne voit pas ce qui le touche.

Oui, messieurs, la vraie liberté religieuse existe en Belgique à côté de la vraie liberté politique. Il ne devrait pas y avoir ici un seul homme qui essayât d'amoindrir la réputation qui nous est faite en Europe sur ce point, et qui est pour ainsi dire unique sur le continent.

C'est vous dire, messieurs, dans quel esprit nous examinerons le projet de loi qui nous sera présenté, et dans quel esprit nous le voterons.

M. B. Dumortier (pour une motion d'ordre). - Messieurs, je voudrais que le gouvernement nous dît sur quel point nous discutons. On nous parle d'abus, de conflits qui ont lieu entre les fabriques d'église et je ne sais qui. On vous parle de lois destinées à y remédier. Eh bien, je voudrais avant tout que M. le ministre de la justice, que la chose concerne, puisqu'il a les cultes dans ses attributions, veuille bien répondre aux questions qui lui ont été posées par mon honorable collègue et ami, M. Notelteirs, et nous dire en quoi consistent ces abus, ces conflits.

Je lui demanderai s'il accepte cette définition de l'honorable préopinant qui vient de se rasseoir, que ce qui concerne les sacrements, le prêche, les offices, la doctrine religieuse appartient au pouvoir religieux, mais que tout ce qui entraîne une dépense appartient au pouvoir civil.

Je désirerais savoir aussi si M. le rapporteur accepte cette définition.

(page 184) Il est nécessaire que nous sachions de quoi il s'agit ; encore une fois, nous ne pouvons rester dans un pareil vague.

Hier encore, vous nous avez tenus toute la séance sans nous dire ce que vous vouliez.

Expliquez-vous.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - L'ignorance de l'honorable M. Dumortier est véritablement extrême.

On ne se douterait pas, à l'entendre, qu'il habite la Belgique et que depuis longtemps il fait partie de nos assemblées délibérantes.

M. B. Dumortier. - Je n'ai jamais entendu parler du plus petit abus.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Si l'honorable M. Dumortier n'a jamais entendu parler du plus petit abus, c'est que, dans la réalité, il n'a pas voulu entendre, car il en a été question à plusieurs reprises dans cette assemblée.

Et il n'en a pas seulement été question ici, mais il en a été question dans la plupart des conseils provinciaux du pays. C'est un fait que personne ne peut nier.

M. B. Dumortier. - Je le nie.

M. le ministre de la justiceµ. - M. Dumortier le nie. Il est tout aussi facile de nier la lumière en plein soleil que de nier les faits que j'avance en ce moment.

M. B. Dumortier. - Fournissez-les.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Je les fournirai en temps et lieu. Je ne veux pas plus obtempérer à vos sommations, sous ce rapport, que je n'entends m'expliquer en ce moment sur les définitions que vous me soumettez.

Je répondrai ce que je croirai devoir répondre, sans me laisser mettre en demeure par qui que ce soit dans cette Chambre.

Quant au paragraphe de l'adresse, je l'accepte avec cette signification que les biens affectés aux bourses d'études, que les biens affectés au service du culte sont consacrés à des besoins sociaux pour lesquels, si ces biens n'existaient pas, la société devrait intervenir ; que par conséquent l'administration de ces biens doit être confiée à une administration civile et être soumise au contrôle, à la surveillance de l'autorité publique.

Voilà comment je comprends le paragraphe de l'adresse et je ne vois aucune utilité pratique à une discussion sur la nature de ces biens.

J'attendrai, du reste, les observations ultérieures qui seront faites, pour entrer plus avant dans le débat.

M. B. Dumortier. - Je demande la parole sur l'incident.

- Un membre. - Il n'y a pas d'incident.

M. B. Dumortier. - Lorsqu'on adresse une interpellation à un ministre et que le ministre n'y répond pas, cela constitue incident.

MpVµ. - M. B. Dumortier a la parole.

M. B. Dumortier. - Messieurs, j'ai vraiment lieu de m'étonner qu'un gouvernement qui s'intitule du beau nom de libéral vienne dire : Je ne dirai dans cette Chambre que ce que je voudrai et je ne répondrai aux questions qui me seront posées que quand cela me fera plaisir.

Ce sont là, messieurs, des airs de pacha qui en définitive sont intolérables dans un gouvernement représentatif, et s'il n'est pas en mon pouvoir de les empêcher, je puis au moins les signaler à la Chambre et au pays.

Le pays jugera la conduite de ministres libéraux qui veulent conduire la Chambre avec un despotisme dont il n'y a pas d'exemple.

M. de Theux. - Je dois encore faire remarquer à la Chambre que c'est pour la première fois que l'on cherche à introduire dans le projet d'adresse et même, je dirai, dans nos lois, des définitions du genre de celle que nous propose le paragraphe en discussion.

En effet, on nous dit : les biens affectés aux études et au temporel des cultes sont laïcs.

Des définitions de ce genre, nous n'en avons trouvé jusqu'à présent ni dans aucune de nos adresses ni dans aucune de nos lois.

Dire que les biens affectés aux études et au temporel des cultes sont régis par les lois civiles, sont jugés par les tribunaux civils, est chose aussi superflue que de proclamer que, quand le soleil luit, il fait jour.

Personne de nous, je pense, n'a contesté ces faits ; ils sont établis par nos lois, et ils échappent, par conséquent, à toute discussion.

Quel est donc le but, quelle est l'utilité de cette définition ? Il est impossible de le comprendre, à moins qu'elle ne renferme une arrière-pensée, et à coup sûr, nous ne voulons pas nous en rendre complices en l'acceptant aveuglément.

Il est incontestable que les biens affectés aux études et au temporel des cultes constituent, et pour les ayants droit aux bourses d'études et pour les différentes communions religieuses, une propriété, un droit acquis, et on ne peut les spolier, sans enfreindre la Constitution qui y garantit la propriété, de quelque nature qu'elle soit.

On ne peut pas l'exproprier sans indemnité préalable et seulement dans les mêmes cas où l'on peut exproprier d'autres propriétés.

Il est également très incontestables que ces biens ont droit à une administration spéciale, quant aux bourses d'études constituées par les actes reconnus par l'autorité publique, soit qu'elles aient été créées par testament ou par donations.

Il en est de même des biens résultant d'actes de donation ou d'acquisition qui ont été faits en faveur des différentes communions religieuses. Ces administrations spéciales sont une conséquence directe et nécessaire de la propriété, car une propriété sans administration spéciale, sans défenseurs spéciaux, n'est plus une propriété.

Le concordat de 1801, en ce qui concerne le culte, consacre formellement l'opinion que je viens d'émettre ; je dirai même que ce n'est pas seulement une opinion, mais une chose positive, qui résulte de toutes nos lois.

On ne peut spolier ni les études ni les cultes qu'au moyen de mesures révolutionnaires. Sans doute, nous en avons vu, mais j'espère que nous ne sommes plus destinés à en voir de même nature.

Il est encore, messieurs, une chose inusitée dans ce paragraphe, c'est l'affirmation si spéciale, si positive des abus qui existeraient dans l'administration des biens affectés aux études et au temporel des cultes.

Certes, messieurs, jusqu'à présent je n'ai pas entendu articuler les abus qui existent dans l'administration des biens affectés aux études. Cette administration a été réglée par le gouvernement des Pays-Bas ; je n'ai pas entendu articuler de plaintes. Il est vrai que dans quelques-unes de nos discussions, dans certains conseils provinciaux, on s'est occupé de l'administration du temporel des cultes.

Pourquoi ne pas se borner à dire en réponse au discours du Trône que les projets annoncés seront examinés avec la maturité que commandent l'importance et la destination des biens dont il s'agit. De cette façon, la commission aurait rempli son devoir entier ; tout ce qui excède est un abus de majorité. On a révélé par ci, par là, des abus qui ont été commis par certaines administrations des biens destinés au culte. Mais nous avons vu aussi des abus dans l'administration des finances qui certainement est réglée par des lois et des mesures administratives avec toute la rigueur qu'on peut imaginer à tous les degrés, contrôleurs inspecteurs, cour des comptes, nous avons vu les deniers de l'Etat, pour des sommes considérables, détournées ; l'administration des biens des pauvres est entièrement sous la direction et le contrôle de l'autorité communale, et cependant des abus ont été signalés, ils sont connus de vous, je ne veux pas rappeler les faits.

Je pourrais citer telle province dans laquelle des sommes considérables qui appartenaient aux pauvres ont été perdues. Un autre abus auquel il importe de porter remède, c'est de faire passer les biens des pauvres entre les mains de certains parents et amis des administrateurs qui les détiennent à bail à vil prix. Cet abus a été signalé à plusieurs reprises, je l'ai fait pour mon compte plusieurs fois comme je le fais encore aujourd'hui. C'est de notoriété publique. On ne parle pas de ces abus, ni dans le discours du Trône, ni dans le projet d'adresse.

Quant à nous, nous désirons sincèrement une bonne comptabilité des biens affectés aux études et au temporel des cultes ; tous ceux qui s'intéressent sérieusement aux études et aux cultes doivent partager cette opinion. Mais en partageant cette opinion qu'il faut une bonne comptabilité de ces biens, je veux qu'ils restent consacrés à leur destination.

Il est évident aussi qu'il ne doit pas s'agir d'introduire dans une loi des dispositions qui seraient la source de tracasseries, de contestations ; qui porteraient le trouble dans le culte et dans la commune ; si on pouvait avoir une pareille pensée, je protesterais de toute l'énergie de mon âme, car ce serait le plus funeste cadeau qu'on pourrait faire au pays.

Cependant qu'est-ce que c'est que cette recommandation si étrange que contient le projet d'adresse ?

«Les lacunes que présente la législation qui régit aujourd'hui les biens dont il s'agit une fois constatées ne peuvent être tolérées davantage sans défaillance vis-à-vis d'un devoir social. »

Dans quelle circonstance, je le demande, a-t-on eu recours à une telle solennité de paroles ?

Il faut donc qu'il s'agisse de quelque chose de bien grave.

J'espère que des projets de cette nature n'auront pas de succès devant une représentation nationale pénétrée du sentiment de ses devoirs, et qu'ils s'évanouiront encore une fois comme de la fumée.

Je ne repousse pas les améliorations vraiment utiles dictées par une pensée de bonne administration, empreintes d'un véritable esprit de paix et de concorde.

(page 185) On nous a demandé si la Belgique ne jouit pas de toute la liberté politique et religieuse qu'elle peut désirer.

Heureusement, je reconnais que la Constitution à laquelle l'honorable M. Lebeau ainsi que moi, avons pris part, proclame ces libertés, mais je ne puis pas dire qu'elles n'aient pas subi des atteintes dans diverses lois et qu'on n'ait pas essayé d'en porter de plus graves, et que dans la collation des emplois, ces libertés soient respectées.

Je n'en dirai pas davantage quant à présent.

Projet de loi portant le budget du ministère de l’intérieur de l’exercice 1862

Rapport de la section centrale

M. Jamar. - J'ai l'honneur de déposer le rapport de la section centrale qui a examiné le budget de l'intérieur.

- Ce rapport sera imprimé, distribué et mis à la suite de l'ordre du jour.

Projet d’adresse

Discussion des paragraphes

Paragraphe 18

MpVµ. - Un amendement vient d'être déposé ; il est ainsi conçu :

« Amendement au paragraphe 18 :

« Les mesures qui nous seront soumises pour combler les lacunes dont l'existence serait constatée dans la législation relative à l'administration des fondations affectées aux études et des biens consacrés aux cultes, seront examinées par la Chambre avec la plus sérieuse attention, afin de concilier le respect dû à la propriété avec les nécessités d'une bonne gestion.

« Comte de Theux, Alp. Nothomb, de Liedekerke-Beaufort, B.-C. Dumortier, F. Notelteirs. D. de Haerne, Dechamps, Thibaut, E.-J.-Isidore Van Overloop. E. Coppens-Bove. »

M. de Theux. - Le discours que je viens de prononcer sert de développement à l'amendement que j'ai signé.

M. Orts, rapporteur. - Messieurs, le paragraphe en discussion a été l'objet des critiques de quatre orateurs siégeant sur les bancs de la droite. Ce paragraphe comprend deux ordres d'idées ; il s'occupe des biens affectés aux études et ensuite des biens qui constituent le temporel des cultes.

Quant aux biens affectés aux études, une seule observation a été soumise à la Chambrc par l'honorable M. Notelteirs. L'honorable membre reproche au projet d'adresse de n'avoir pas dit un mot du respect des droits des familles en matière de fondations de bourses.

Il y a, pour expliquer ce silence, une raison déterminante ; je suis convaincu qu'elle sera immédiatement appréciée par tout le monde. La commission d'adresse n'a pas cru devoir recommander au gouvernement le respect du droit des familles en matière de fondations de bourses, parce que la commission est convaincue que le gouvernement respectera toujours les droits légitimes attribués aux familles par les actes constitutifs des fondations.

Nous avons confiance pleine et entière ; si quelqu'un se défie, qu'il se lève, qu'il parle, et propose une autre rédaction.

J'arrive à la dernière partie du paragraphe.

La phrase critiquée est ainsi conçue ; elle contient trois mots qui effarouchent, paraît-il, singulièrement quelques opinions : « Les biens affectés aux études et au temporel des cultes sont laïques ; le pouvoir civil est comptable envers la société de leur bonne gestion. »

La formule du principe dont le paragraphe tire ensuite les conséquences, paraît d'un vague propre à inspirer des craintes. On y voit non ce qui y est mais ce que l'on veut y voir, pour tâcher de faire partager ces craintes à ceux qui jusqu'à présent ne les éprouvaient pas.

Messieurs, si, pour bien comprendre la portée de la formule employée dans la rédaction de l'adresse, on consentait à se préoccuper uniquement du sens qu'y a attaché la commission, on trouverait la réponse ou plutôt le calmant de toutes les craintes que l'on éprouve dans les conséquences tirées du principe par la commission elle-même, et qui se traduisent dans les mots que voici : « Le temporel du culte est laïque ; c'est pourquoi le pouvoir civil est comptable envers la société de leur bonne gestion. »

Ainsi donc, le pouvoir civil doit, par suite de la nature même des biens dont nous nous occupons, assurer la bonne gestion de ces biens, et nous ne voyons pas en quoi ces conséquences tirées du principe peuvent effrayer.

De bonne foi, envisageant le paragraphe sans aucune espèce de préoccupation hostile et surtout sans céder à cette disposition fatale des esprits de voir toujours des ennemis où l'on devrait tout au plus voir des adversaires, sans chercher de parti pris à se placer sur un terrain qui n'est pas le vrai terrain de la discussion, l'on ne peut s'autoriser des termes de l'adresse, pour présenter comme sérieuses les craintes évoquées devant vous.

Du reste, nous ne sommes pas au premier jour où le principe dont la commission d'adresse a rappelé la formule, s'est produit dans cette Chambre. Dès ce jour il a appelé les protestations qui sont, en définitive, une protestation véritable contre le droit public et contre le droit privé du pays. Lorsque l'on conteste notre affirmation, le temporel des cultes est laïque, mais l'on oublie que ce principe est le point de départ de la création de ce qui constitue le temporel des cultes d'après notre législation. Vous oubliez que les principes qui nous régissent aujourd'hui en cette matière sont écrits dans un document législatif toujours en vigueur, dans une loi fondamentale de notre libre Belgique.

Les principes dont les conséquences seront appliquées par notre législation réformée sur cette matière sont écrits dans le décret du 4 novembre 1789, loi du royaume et que vous devez respecter jusqu'à ce que vous soyez parvenus à la faire rapporter par le législateur contemporain.

Comment s'explique la loi du 4 novembre 1789 ?

« Tous les biens ecclésiastiques sont à la disposition de la nation, à la charge de pourvoir d'une manière convenable aux frais du culte, à l'entretien de ses ministres et au soulagement des pauvres. »

Voulez-vous que le décret de 1789 disparaisse ? Proposez-le, nous discuterons.

Voulez-vous que ce décret subsiste ? Alors ne critiquez plus l'adresse. Il n'y a rien de plus, il y a même beaucoup moins dans la rédaction de la commission. Si vous voulez que ce décret disparaisse, si vous voulez que cette loi du royaume soit appelée par une majorité parlementaire, comme elle a été appelée tout à l'heure par un membre isolé de la minorité, une œuvre de confiscation, de spoliation, prenez garde ! car vous ébranlez considérablement dans sa base une partie notable de la propriété territoriale du pays. (Interruption.) Positivement, s'il y a eu confiscation en 1789, l'aliénation des biens du clergé au profit de la nation est un vol et les acquéreurs sont des complices, sans titres légitimes.

M. Vanden Branden de Reeth. - On n'a pas dit cela.

M. Orts. - Ce n'est pas vous, c'est l'honorable M. Notelteirs qui a prononcé le mot « confiscation ». Je le répète, s'il y a eu confiscation, s'il y a eu spoliation en 1789, pas une aliénation de biens nationaux n'est à l'abri des attaques comme étant une œuvre de vol et de spoliation.

Est-ce là ce que vous voulez dire ? Dites-le bien haut alors, pour qu'on le comprenne au-dehors. Et, pour le dire en passant, savez-vous ce que vous feriez en allant jusque-là ? Vous reculeriez devant les déclarations que feraient, au nom de votre opinion, des hommes considérables, dans cette enceinte, il y a quatorze ans. La discussion d'aujourd'hui est vieille ; je l'ai déjà rappelé ! cette discussion s'est produite du jour où le ministère libéral, dont trois membres se trouvent encore aujourd'hui au banc ministériel, a eu à s'expliquer sur sa politique et ses doctrines.

En 1847, l'honorable M. Frère qui parlait, je crois, pour la première fois devant le Parlement, répondit à ceux qui flétrissaient du nom de spoliation la grande et légitime œuvre de 1789 :

« En 1789, trois choses essentielles qui étaient dans les mains du clergé, ont été confiées à la garde de l'autorité civile. C'est le temporel des cultes, c'est l'instruction, c'est la bienfaisance publique. » Et l'honorable ministre ajoutait : « On nie audacieusement (le mot est vrai), s'écriait-il, audacieusement le droit du pouvoir civil sur les biens affectés au culte. »

Et croyez-vous que vos amis contredisaient ce fier langage ? Ils répondaient : « Les principes de 1789, c'est l'application politique du principe le plus élevé du catholicisme. » Et qui répondait cela ? L'honorable M. de Decker.

M. de Decker. - Et je le répète.

M. Orts. - L'honorable M. Malou ajoutait : « Je m'associe, je m'associerai toujours, qu'il s'agisse de l'instruction publique, de la bienfaisance ou du temporel des cultes, aux grands principes de sécularisation du pouvoir, ces grands principes qui sont dans la Constitution de 1789 et dans la Constitution de 1830. »

L'honorable M. Nothomb, il y a huit jours, avait la bonté de me dire qu'il serait toujours avec moi pour défendre 1789 contre 1793, que je n'avais nulle intention de soutenir. Il voudra bien, cette fois encore, je l'espère, se joindre à moi et à ses honorables amis politiques de 1847 pour m'aider à maintenir debout l'œuvre de 1789.

Nous ne voulons donc, messieurs, que ce que voulaient il y a quatorze ans les hommes les plus éminents de la droite. Nous lisons dans l'adresse, (page 186) avec l'honorable. M. Frère, que le temporel des cultes est un objet confié aujourd'hui à la garde de l'autorité civile, grâce à I789 et depuis cette date. Nous persistons à penser avec l'honorable M. de Decker que c'est là l'application du principe le plus élevé du catholicisme et nous demandons, comme le demandait l'honorable M. Malou, que vous vous associiez avec nous, en ce qui concerne le temporel des cultes, aux grands principes de la sécularisation qui sont ceux de 1789 et de 1830.

M. B. Dumortier. - De 1830 ! C'est plaisant.

M. Orts. - Ce n'est pas moi qui le dis, c'est l'honorable M. Malou.

M. B. Dumortier. - C'est tout le contraire.

M Ortsµ. - Dites-le donc à l'honorable M. Malou.

M. B. Dumortier. - Je le dirai à lui comme à vous.

M. Orts. - Je demanderai alors à l'honorable M. Dumortier pourquoi il ne l'a pas dit à l'honorable M. Malou à l'époque où ils siégeaient tous deux dans cette Chambre et où M. Malou tenait ce langage.

M. B. Dumortier. - Je n'étais pas dans la Chambre lorsque cela a été dit.

Si j'y avais été, j'aurais protesté contre un pareil langage, et établi que nous n'étions pas régis ici par 1789, mais par 1830.

M. Orts. - L'honorable M. Malou affirmait que 1789 et 1830, c'était absolument la même chose, quant à l'application des principes, et je crois que si l'honorable M. Dumortier l'avait contredit, l'honorable M. Malou eût eu facilement raison contre lui.

Ce n'est pas seulement dans cette loi mère de 1789 que je trouve inscrit le principe que nous n'avons pas l'intention d'exagérer, mais que nous voulons conserver entier, le principe de la sécularisation des biens d'église. En vertu de quoi les administrations des fabriques d'église administrent-elles leurs biens aujourd'hui ? En vertu du décret organique de 1809.

Et à quelle espèce de biens le décret de 1809 assimile-t-il ces biens des fabriques, lorsqu'il leur en confie la gérance ?

Il les assimile aux biens des communes. Le mot y est tout au long, pourquoi ? Pour une raison toute simple.

Lorsque la révolution eut fait table rase des vieux abus, il fallut édifier.

La décentralisation fut la première pensée de l'organisation nouvelle, une fois le calme rétabli. On détacha successivement de l'Etat, qui, dans la période révolutionnaire, absorbait tout, on détacha certains grands services publics pour les confier à des démembrements.

Ainsi d'abord de la commune, puis, vint la fabrique, chargée de pourvoir aux besoins du culte ; les administrations de bienfaisance, chargées d'administrer les biens des pauvres, à côté de la commune.

La fabrique,, c'est en effet la commune religieuse ; comme l'administration de la bienfaisance, c'est la commune pauvre. C'est ce que nous entendons conserver. Nous voulons aussi la réalisation, le complément de cette triple sécularisation dont parlait l'honorable ministre des finances en 1847, dans le discours que j'ai rappelé.

Nous ne voulons nullement porter la main sur les biens du culte, pas plus que nous ne voulons porter la main sur les biens de la bienfaisance publique.

Nous entendons respecter dans toute leur étendue les droits légitimes des fabriques sur les biens affectés aux dépenses du culte, comme nous respectons le droit au traitement de ses ministres ; voilà notre respect.

Il est acquis. Nous n'avons nulle intention d'en retrancher une partie quelconque.

Maintenant je continue mon assimilation et je dis : Nous appelons de tous nos vœux des dispositions qui rendent le contrôle du pouvoir civil sur l'administration et la gestion des biens composant le temporel des cultes, aussi efficace que le contrôle exercé sur les administrations de bienfaisance. Voilà notre vœu.

Voilà pourquoi s'il existe des lacunes dans la législation, ces lacunes doivent, selon nous, être comblées.

Ces lacunes existent-elles ?

Vous ne pouvez pas affirmer que dans l'état actuel des choses la bonne gestion des biens constituant le temporel des cultes soit aussi complètement sauvegardée que la gestion des biens constituant le patrimoine des pauvres ou des communes. Nous voulons ramener ces choses pareilles au même niveau.

Les lacunes existent. L'honorable comte de Theux a paru seul le contester.

Il nous reproche au moins d'exagérer le mal, d'employer de grands mots pour caractériser des imperfections minimes. En parlant des réformes à introduire dans la législation sur le temporel des cultes, remarquez-le d'abord, messieurs, l'adresse ne se sert pas même des expressions employées par l'honorable membre qui la blâme.

Pas plus que le discours du Trône, nous n'avons parlé d'abus, mot reproché par l'honorable M. de Theux.

On a constaté, disons-nous, des lacunes ; le mot « abus » n'a pas été employé en ce qui concerne l'administration des biens des fabriques ou des fondations de bourses.

On a parlé d'insuffisance de la législation. Nous avons ajouté, il est vrai, qu'à notre sens il y aurait défaillance de la part du pouvoir civil s'il reculait devant des protestations comme celles qui viennent de s'élever dans cette enceinte, et que nous attendions, s'il hésitait à accomplir un devoir dont il est comptable envers la société tout entière, et nous avons incontestablement eu raison.

Maintenant, messieurs, m'arrêterai-je à cette critique puérile des mots « comptable envers la société » ? Cela implique, s'écrie-t-on, que les biens du culte sont attribués à la nation comme les premiers biens nationaux, sans aucune affectation quelconque.

Eh mon Dieu, non !

Il faut encore une fois chercher dans l'adresse ce qui n'y est point pour lui donner une semblable interprétation. Le pouvoir civil est comptable envers la société de l'inaccomplissement de tout devoir qui, s'il n'est pas accompli convenablement, compromet les intérêts de la société.

Or, il est impossible de prétendre que la société n'est pas intéressée à ce que les dépenses du culte soient convenablement faites et les moyens de les couvrir convenablement assurés.

Vous ne sauriez nier que les pouvoirs publics ont un devoir à remplir en cette matière.

Je pense donc, messieurs, qu'il faut accepter le paragraphe de l'adresse ; à moins de contester ce qui est incontestable ; à moins de soutenir une thèse inconstitutionnelle et pleine de témérité, sinon d'audace comme le disait M. Frère en 1847, la thèse qu'il y a encore au XIXème siècle en Belgique, des biens d'église, des biens dont la propriété est à l'église, dont l'église ne doit compte à personne hors de son sein, pas plus qu'elle ne doit compte de l'exercice de sa mission spirituelle.

A moins de soutenir de pareilles énormités, il faut accepter la rédaction telle qu'elle est proposée.

C'est assez dire, messieurs, que je repousse l'amendement soumis à la Chambre par l'honorable M. Dumortier et ses amis.

M. Nothombµ. - L'honorable rapporteur nous reproche d'être trop prompts aux alarmes. Hier déjà on nous le disait, vous savez, messieurs, à propos de quoi, et aujourd'hui on se plaît à le répéter.

Si nous éprouvons des inquiétudes, à qui la faute ? N'est-ce pas, pour une grande partie, l'honorable membre lui-même qui nous les inspire ? C'est le langage inusité dont il s'est servi dans le projet d'adresse qui fait naître et qui justifie nos défiances.

Que voyons-nous en effet, messieurs, dans le paragraphe en discussion ? Nous y lisons en tête une véritable déclaration de principe : les biens affectés au temporel des cultes sont laïques.

Ceci est d'un style d'une nouveauté étrange et qu'à ma connaissance, depuis cinquante ans jusqu'à nos jours, depuis Merlin jusqu'à Dalloz, aucun jurisconsulte n'avait encore employé à l'égard des biens consacrés aux besoins des cultes. Parcourez les arrêts comme les auteurs, et vous verrez que ces biens sont appelés biens ecclésiastiques, c'est-à-dire, biens appartenant, non pas aux églises ni aux ministres des cultes ni à aucune individualité, mais à une communauté de citoyens et devant servir à pourvoir aux besoins de leur culte. En ce sens les biens des fabriques sont des biens ecclésiastiques affectés particulièrement aux besoins du culte catholique.

Si je me trompe, je prie l'honorable rapporteur de vouloir bien me rectifier et me produire un document, un texte de loi, un passage d'auteur où se rencontrerait, avec le sens qu'il paraît lui donner, l'expression dont il s'est servi.

J'ai donc le droit de m'étonner que cette locution nouvelle, insolite, singulière, se soit trouvée sous la plume d'un jurisconsulte ; à ce titre, elle doit nous frapper, et nous devons nécessairement nous demander ce qu'elle signifie ; est-elle là simplement par l'effet d'une distraction ou recèle-t-elle une arrière-pensée ou un piège ?

L'honorable rapporteur ne nous a pas donné les explications catégoriques qui lui ont été demandées par d'honorables préopinants.

Il ne s'est pas prononcé d'une manière précise sur la portée des mots que j'ai rappelés. Nous sommes réduits à faire des conjectures ; or dans une discussion aussi importante, ce n'est pas par des suppositions, c'est par des déclarations claires et franches, qu'on devrait nous mettre à même de former notre opinion.

M. Orts, rapporteur. - En voulez-vous une ? Laïque est l'opposé d'ecclésiastique.

M. Nothombµ. - Ce sont des mots ; ce n'est pas une réponse. Tenez, (page 187) allons droit au fond des choses ; nos débats en seront considérablement abrégés. Répondez-moi à ceci : Niez-vous la propriété spéciale dans le chef des fabriques ? (Interruption.)

Ces dernières paroles, si je les saisis bien, me confirment dans mon impression. Je ne puis me défendre de soupçonner dans le texte de l'adresse le prélude, le ballon d'essai, la tentative d'une entreprise quelconque. Vos réticences m'autorisent à le croire, et m'obligent à le dire, serait-ce par hasard une nouvelle édition, peu corrigée, mais fort déguisée, de la mainmise nationale ? Est-ce là ce que vous voulez ?

J'arrive à l'argument principal de l'honorable rapporteur ; il nous dit : « Nous sommes dans le décret de 1789 ; soyez avec nous, vous qui applaudissiez naguère à 89. »

Eh bien, moi qui applaudis à 89, je vais vous rappeler ce qu'a été le décret de 89.

Le décret des 4 août-4 novembre 1789 n'a rien à faire ici ; il ne s'applique en rien à votre prétention ; ce décret, c'est l'abolition du régime féodal et pas autre chose ; c'est la date d'une ère nouvelle, d'une grande époque pour la France et pour le monde ; c'est la charte de l'émancipation humaine. Laissez-la et n'abritez pas votre faux système derrière ce grand acte.

Que l'honorable M. Orts me permette de lui dire, à lui jurisconsulte, qu'il commet ici une profonde erreur ; il oublie les lois postérieures ; ce n'est pas le décret de 89 qu'il faut invoquer ; ce sont les dispositions formelles qui restituent aux fabriques d'église leurs biens ; l'honorable membre aurait dû y penser.

C'est le décret organique du concordat, c'est surtout le décret du 30 mai 1806 qui a été porté expressément sur cette matière et qui restitue aux fabriques les biens non encore aliénés, qui les réintègre dans leurs propriétés, ce sont ces décrets qui constituent le titre des fabriques ; voilà la base légitime des biens ecclésiastiques ; elle est là ; elle doit y rester.

Messieurs, vous saisissez maintenant sans peine la portée de notre amendement ; il n'a pour but que ceci : c'est d'opposer une déclaration simple et nette à une déclaration ambiguë ou dangereuse.

Nous affirmons par notre amendement la propriété spéciale, particulière, garantie par la loi, dans le chef des fabriques d'église. Nous l'opposons à une phrase qui nous apparaît comme la négation réelle, bien que timide encore, de ce droit. Et nous invoquons surtout la loi du concordat et le décret de 1806. Telle est la portée de l'amendement, et nous ne la laisserons pas travestir.

Je ne comprends vraiment pas comment nous ne sommes pas tous d'accord sur ce point. Nous disons simplement que les fabriques d'église possèdent à un titre particulier et spécial, c'est une propriété d'un genre privilégié, selon l'expression de Merlin, affectée aux frais du culte.

Encore une fois, c'est ce qu'on appelle la propriété ecclésiastique.

Je vous répète que le mot n'est pas de moi. Tous les auteurs l'emploient.

Prenez le premier venu ; ouvrez Merlin qui consacre un chapitre aux biens ecclésiastiques, lisez Dalloz qui dans son Répertoire imprimé en 1860, parle au chapitre « culte » presque à chaque page, des biens ecclésiastiques.

Que contient notre amendement ? Trois choses. D'abord la reconnaissance d'un fait légal, celui de la propriété dans le chef des fabriques, comme droit spécial, particulier, droit qui veut être respecté comme toute autre espèce de propriété.

Cette prétention est, à coup sûr, des plus simples et des plus modestes ; et je m'étonnerais qu'elle pût rencontrer de l'opposition de qui que ce soit dans cette Chambre.

En second lieu, notre amendement admet l'hypothèse de lacunes dans la législation actuelle et nous vous disons : Ces lacunes, signalez-les, montrez-nous en quoi elles consistent ; nous examinerons, nous discuterons, et si elles sont réelles nous vous aiderons volontiers à les combler.

En troisième lieu, notre amendement admet les légitimes exigences d'une bonne gestion.

Nous voulons que la comptabilité des fabriques d'église suit régulière, que le contrôle en soit sérieux ; nous serions les derniers à vouloir nous y soustraire et y soustraire qui que ce soit ; pas plus ici que pour les biens charitables, nous ne voulons ni mystère ni privilège ; ici comme là, nous appelons un contrôle efficace. Nous sommes conséquents avec nous-mêmes. Nous voulons préserver un principe ; nous n'entendons protéger aucun abus réel que vous constateriez devant nous.

« L'administration des fabriques, dit-on, doit être laïque, s Mais elle l'est déjà, c'est l'un des auteurs du décret de 1809, c'est l'illustre Portalis qui dit positivement que « les administrateurs des fabriques étant pris parmi les laïques, ces administrations sont dès lors des corps laïques ; mais que les biens des fabriques font essentiellement partie des biens ecclésiastiques. » Ne devrions-nous pas être d’accord sur tout cela, et si aucune pensée secrète n’est en vous, pourquoi, je vous le demande, sommes-nous séparés ?

En ce qui concerne les fondations de bourses d'études, nous avons fait un grand pas ; nous paraissons d'accord en quelque sorte. J'ai entendu avec plaisir une déclaration de l'honorable rapporteur, qui m'a semblé satisfaisante. Si je l’ai bien compris, il a dit que les droits des familles seraient respectés en matière de fondations de bourses d'études. Je tiens note de cette promesse qui m'a enchanté.

Eh bien, nous demandons que le droit des fabriques à leurs propriétés particulières soit respecté comme les droits des familles à la propriété des fondations de bourses ; nous demandons le même traitement pour les deux genres de propriété.

Confondez-les avec nous dans le même respect, et nous joindrons nos efforts aux vôtres pour corriger tout ce que la gestion, tout ce que la comptabilité auraient de réellement défectueux.

D'accord sur le principe de la propriété qui se lie si intimement à l'indépendance comme à la dignité de tous les cultes, les législateurs animés tous par l'amour du bien public doivent aisément s'entendre sur les détails.

Notre amendement ne préjudicie à rien ; elle laisse la situation ce qu'elle est. Vous ne pouvez pas le rejeter.

M. Orts, rapporteur. - Je répéterai à l'honorable membre ce que j'ai dit tout à l'heure en termes assez clairs, je pense, quoique, à mon grand regret, il semble ne pas m'avoir compris.

Je tiens très fort à être on ne saurait plus catégorique dans mes explications ; l'honorable membre peut en être convaincu : je n'entends rien déguiser.

J'ai déclaré et je déclare derechef avoir employé le mot « laïques », pour qualifier les biens affectés au temporel des cultes, parce que je ne veux pas laisser croire que, dans le projet de la commission, les biens des fabriques d'église seraient la propriété de l'église, des biens ecclésiastiques.

J'ai employé ce mot « laïques » parce que la langue française n'offre pas d'autre mot pour exprimer l'idée opposée au mot « ecclésiastique ».

Maintenant, le droit des fabriques d'église sur ces biens, c'est le droit, droit des hospices et des bureaux de bienfaisance sur les biens des pauvres, c'est le droit de la commune sur les biens communaux. Mais de même que je veux que ce contrôle [du pouvoir civil s'exerce d'une manière efficace sur les biens des pauvres et sur les biens des communes, de même je veux que ce contrôle s'exerce sur les biens des fabriques d'église.

La fabrique d'église est une autorité civile, comme le bureau de bienfaisance et comme l'autorité communale. Voilà pourquoi ces biens sont laïques, comme sont laïques les biens des communes et des hospices. Est-ce clair ?

M. B. Dumortier. - Messieurs, nous entrons dans un système tout à fait nouveau pour le pays ; et bientôt, si nous continuons à suivre la même marche, le grand parti libéral qui nous appelle le parti clérical pourra bien mériter un nom beaucoup mieux approprié à sa position nouvelle ; je crois qu'on pourra l'appeler le parti sacristain.

On nous disait autrefois : « Le prêtre dans l'église, et le gouvernement dans l'administration civile. »

On a fait un grand pas : maintenant on veut introduire le gouvernement dans l'église, on veut introduire le gouvernement dans la sacristie.

Le gouvernement va tenir l'encensoir. Le gouvernement comptera le nombre des grains d'encens qu'il faut y mettre, et probablement les augmentera-t-il considérablement quand ce sera à son honneur et à son profit.

Le gouvernement fera mieux. Il ira compter le nombre de cierges qu'on mettra sur l'autel, et il déclarera la guerre à M. le curé quand celui-ci y mettra deux cierges de plus que ce qu'il conviendra au pouvoir civil d'y voir placer. Il comptera, comme le dit M. de Molière, le nombre de grains de sel qui entrent dans l'eau bénite. Le gouvernement deviendra, en un mot, un gouvernement sacristain.

Je dis que c'est faire jouer au gouvernement le rôle le plus ridicule qu'il soit possible d'imaginer et que si vous, libéraux, vous voulez entrer dans cette voie, vous allez vous faire honnir et bafouer d'un bout du pays à l'autre.

Ne vous faites pas illusion, la Belgique n'entend pas du tout que vous, messieurs, qui n'avez jamais brillé par votre amour pour les intérêts (page 188) religieux, vous alliez vous mêler des affaires du culte ; le pays n'entend pas cela et si, comme vous le dites, certains petits abus existent...

- Une voix. - Il n'y a pas d'abus.

M. B. Dumortier. - On me dit qu'il n'y en a pas ; mais en supposant qu'il y eût quelques abus, qu'il y eût quelques lacunes, le plus grand de tous les abus, ce serait de voir le gouvernement remplir le rôle de Joseph II.

Marchez dans cette voie, messieurs, continuez ; vous réglerez aussi le nombre des processions ; il y faut aussi des cierges et de l'encens, et l'on dira de vous ce que disait le grand Frédéric. Mon frère le sacristain perd la tête avec son régime de processions. (Interruption.)

Ceci, messieurs, est extrêmement sérieux... (interruption) au point de vue de l'avenir du pays.

Si vous vous imaginez que c'est en employant de pareils moyens que vous remplirez le vœu de la Constitution, que vous unirez tout le monde autour du Trône, près de l'autel de la liberté pour défendre la patrie, je dis, messieurs, que vous vous trompez fortement dans vos calculs et que vous ferez naître en Belgique des divisions très fâcheuses et funestes pour l'existence nationale.

Vous nous parlez de 1789, mais qu'est-ce que 1789 a affaire chez nous ?

Nous n'avons affaire qu'avec une seule époque, c'est celle de 1830.

Quelle est la position de la Constitution belge de 1830 vis-à-vis de la constitution de 1789 !

Mais notre Constitution de 1830, l'œuvre immortelle de l'immortel Congrès, est précisément la constitution de 1789 renversée dans les matières dont il s'agit.

La constitution de 1789 avait enlevé à l'Eglise tous ses moyens d'action sur la société.

Elle avait voulu rendre laïques et le temporel des cultes et la bienfaisance et l'instruction publique.

Eh bien, qu'a fait la Constitution de 1830 ?

Elle a fait précisément le contraire. Elle a commencé par déclarer que l'enseignement était libre, que les cultes étaient libres, que l'Etat n'avait pas le droit d'y intervenir.

La Constitution de 1830 est donc la constitution de 1789, renversée en tout ce qui concerne les rapports de l'Etat avec les cultes.

Ne venez donc pas en pareille matière nous parler de 1789. C'est la contre-révolution que vous voulez, c'est le renversement des grands principes de 1830 qui ont été ceux-ci : Vivre tous au moyen de la liberté, accorder la liberté à toutes les institutions, à toutes les opinions, afin que toutes les forces vives de la société viennent se réunir en un faisceau pour sauvegarder l'existence nationale dans toutes les crises qui peuvent survenir en Europe.

Au lieu de ce faisceau de forces vives réunies par le grand lien de la liberté, que voulez-vous dans votre système ?

Vous voulez remplacer en toutes choses la liberté par un pouvoir qui n'existe pas dans la Constitution, par un pouvoir inconstitutionnel, par un pouvoir administratif que vous créez dans le but unique, dans un but de persécution de la pensée religieuse.

Cette persécution, vous la poursuivez en toute circonstance, vous l'avez poursuivi, dans la loi de l'enseignement moyen, en expulsant le prêtre de l'instruction religieuse, et aujourd'hui vous voulez la poursuivre dans la question des fabriques d'église, dans la question du temporel des cultes, en entrant triomphant dans la sacristie, en vous y installant et en disant aux ministres du culte : Vous n'avez qu'à prêcher, vous n'avez plus que la parole pour vous ; le reste est à moi.

Un pareil système, messieurs, c'est la contre-révolution, c'est le renversement de nos institutions de 1830.

Le pays entier flétrira tout ministre, tout homme politique qui osera introduire un pareil système.

Le pays n'aime point, je le reconnais, de voir les ministres du culte intervenir dans les affaires civiles, mais il supporte bien moins encore que les pouvoirs civils s'immiscent dans les affaires du culte.

C'est parce que le gouvernement précédent a voulu intervenir dans ces matières que la révolution de 1830 est arrivée. C'était là le principal, le premier de tous les griefs, ne l'oubliez pas, je vous en prie. En les rétablissant, vous ébranleriez les bases de nos institutions, notre existence nationale, pour rétablir un régime qui n'a valu à la Belgique que des désastres et des catastrophes.

Continuez votre système, messieurs ; si c'est là ce que vous voulez, je vous prédis une chose, c'est que le glas de votre mort sonne déjà et que votre fin arrivera bientôt.

M. Van Overloop. - J'entends dire : C'est au nom de la sacristie qu'on parle. Je réponds que c'est au nom du droit.

M. Lesoinne. - Vous êtes le seul qui ayez entendu cette interruption.

M. Van Overloop. - Je l'ai entendue.

Je ne comptais pas, messieurs, prendre la parole, mais je ne puis laisser sans protestation quelques-uns des arguments que j'ai entendu mettre en avant sur les bancs de la gauche.

Le système qu'on veut introduire en Belgique, c'est, comme vient de le dire avec beaucoup d'esprit l'honorable M. Dumortier, c'est le système de Joseph II, dont les décrets publiés en France depuis 1789, sur les rapports de l'Eglise et de l'Etat, n'ont été que le plagiat.

Vous ne vous êtes peut-être pas rendu compte de la portée du décret du 4 novembre 1789, invoqué par l'honorable M. Orts. Quel a été le point de départ de ce décret ?

Vous n'avez, pour le savoir, qu'à consulter Mirabeau et Montesquieu.

Le point de départ du décret du 4 novembre 1789, c'est que la propriété n'est pas de droit naturel.

- Une voix à droite. - C'est cela.

M. Van Overloop. - C'est que la propriété est d'institution sociale.

Je vous le demande, voulez-vous admettre en principe que la propriété n'est pas de droit naturel et qu'elle est d'institution sociale ? Je ne pense pas que vous trouviez sur vos bancs quelqu'un pour défendre un semblable principe.

1789 ne s'est pas contenté, en vertu du principe que la propriété est d'institution sociale, d'anéantir la propriété religieuse ; 1789 ne s'est pas contenté de confisquer les biens de l'Eglise ; il a également confisqué les biens des corporations laïques et des communes ; et 1789, si ses conséquences avaient continué à se reproduire, serait arrivé à confisquer la propriété de tous les particuliers.

Si la propriété est, non pas de droit naturel, mais d'institution sociale, qu'est-ce qui pourrait empêcher le pouvoir social de décréter, dans des circonstances données, la suppression delà propriété ? Celui qui a le droit de créer a le droit de détruire.

Le décret du 4 novembre 1789 est encore une loi du royaume, nous dit l'honorable M. Orts. Quant à moi, j'en doute, car je crois que ce décret n'a jamais été publié en Belgique. Or, s'il en est ainsi, ce décret ne fait pas partie de la législation belge.

M. Orts. - Comment alors l'Etat eût-il pu vendre en Belgique les biens d'abbayes ?

M. Van Overloop. - Ce sont les commissaires du gouvernement fiançais qui, usant du droit du plus fort, ont mis en vente ces biens ; mais je le répète, le décret du 4 novembre 1789 n'a pas, que je sache, été publié en Belgique, et par conséquent l'honorable M. Orts a eu tort de l'invoquer.

M. Orts. - A quel titre l'Etat Belge est-il propriétaire aujourd'hui du temple des Augustins à Bruxelles, sinon en vertu du décret de 1789 ?

M. Van Overloop. - Je dis que les commissaires français ont exécuté la pensée de ce décret par la force, parce qu'ils ont pris la précaution de se faire suivre d'une queue de jacobins, pour en assurer l'exécution en Belgique, mais que le décret n'a pas, que je sache, été publié chez nous.

La question qui nous occupe ne doit donc pas être résolue par le décret du 4 novembre 1789, mais par le concordat.

Eh bien, la question de savoir si, aux termes du concordat, les fabriques d'église possèdent en Belgique, cette question est de la compétence des tribunaux, et ce n'est pas à nous, législateurs, de la résoudre. C'est là une question du mien et du tien.

La Constitution a proclamé la division des pouvoirs, gardons-nous de les confondre.

Si je veux de 1789 proclamant les principes de liberté, d'égalité, de fraternité, je n'en veux pas, je le déclare haut et ferme, au point de vue des rapports de l'Eglise et de l'État.

Pourquoi ?

Parce que 1789 voulait tout simplement la suprématie de la société civile sur la société religieuse.

Aussi le décret du 4 novembre 1789 a-t-il été suivi d'un décret sur la constitution civile du clergé, et celui-ci de la proscription en masse des prêtres.

Est-ce là que vous voulez en venir ?

M. De Fré. - Je demande la parole.

M. Van Overloop. - Quant à moi, je ne veux à aucun prix des principes de 1789 au point de vue des rapports de l'Eglise et de l'Etat.

(page 189) Ce que je veux, ce sont les principes consacrés par notre Constitution de 1830.

Or, quels sont ces principes ?

Lisez le remarquable ouvrage de M. Nothomb aîné, sur notre révolution de 1830, vous y verrez que le principe fondamental de notre Constitution de 1830, de cette Constitution que l'on proclame avec raison la plus progressive des temps modernes, c'est le principe de la séparation de l'Eglise et de l'Etat.

Avant 1830, tantôt l'Eglise avait eu la suprématie sur l'Etat ; tantôt l'Etat (et c'était la situation à la fin du siècle dernier), avait eu la suprématie sur l'Eglise. Au nom de la liberté, le Congrès ne voulut plus ni de l'une ni de l'autre suprématie : il proclama la séparation des deux pouvoirs. C'est à ce point de vue que notre Constitution prit les devants sur les chartes des autres peuples.

Je voudrais bien qu'on se mît d'accord sur les principes.

J'adopte complètement les prémisses avancées tout à l'heure par l'honorable M. Lebeau.

L'honorable membre, inspiré par les idées de 1830, a reconnu qu'il existe deux sociétés la société spirituelle et la société temporelle ; il existe donc deux pouvoirs : le pouvoir spirituel et le pouvoir temporel.

Or, messieurs, il est évident qu'aucune société ne peut vivre sans posséder des biens, cela est incontestable.

Je défie qu'on ne cite une seule société qui puisse vivre sans posséder des biens.

Si donc il y a une société spirituelle, il faut qu'elle puisse posséder, attendu que sans propriété elle ne pourrait pas exister.

Or, si la société spirituelle peut posséder, comme le propriétaire a le droit de gérer ses biens, il est évident que la société spirituelle a le droit de gérer les siens.

Que si la société religieuse s'avisait de venir demander des subsides à l'Etat où à la société civile, il est évident que, en vertu du principe de la séparation des deux pouvoirs, l'autorité civile aurait le droit de les refuser.

J'admets donc parfaitement que l'Etat refuse des secours à toute communion religieuse, soit catholique, soit protestante, soit israélite, qui n'en justifie pas la nécessité. J'admets même que l'Etat refuse, en cas de nécessité, toute intervention autre que celle du traitement du clergé.

Mais ce que je ne puis pas admettre, c'est que l'on vienne, d'une part, reconnaître l'existence d'une société, reconnaître qu'elle ne peut vivre sans bien, et, d'autre part, lui dénier le droit d'administrer ses propres biens.

Vous voulez une réforme, vous voulez une révision de la législation qui régit les fabriques d'église dans tout ce qui concerne le temporel du culte.

Eh bien, je voudrais, moi, une réforme d'une toute autre nature et qui établît d'une manière plus nette la séparation de l'Eglise et de l'Etat. Je préférerais, quant à moi, que l'Etat s'abstînt complètement, sauf en ce qui concerne le traitement du clergé, dont la Constitution, par son article 117, a mis le payement à charge de l'Etat, de s'immiscer dans les affaires de l'Eglise.

Voilà où je voudrais en venir ; c'est-à-dire à la reconnaissance en faveur des diverses sociétés religieuses, ou plutôt des diverses paroisses (par opposition aux communes) de la faculté de posséder des biens, sans que l'Etat intervienne pour juger la manière dont ces biens sont administrés.

Nous entendons rester maîtres chez nous, comme vous l'êtes chez vous ; et, quant à moi, je préfère de beaucoup la misère dans la liberté au luxe dans le despotisme.

Je crois en avoir dit assez pour justifier le vote que j'émettrai en faveur de l'amendement que j'ai signé avec les honorables MM. Nothomb et de Theux.

M. Notelteirs. - Je ne sais si j'ai bien compris l'honorable M. Orts. Il m'a paru que l'honorable membre m'a demandé si je conteste l'effet des ventes des biens ecclésiastiques faites en vertu de lois de 1789. En aucune manière, et je reconnais que la propriété de ces biens est aujourd'hui parfaitement acquise.

Les lois de 1789 sont encore en vigueur aujourd'hui, dit l'honorable M. Orts. J'ose demander à mon tour à l'honorable membre si, en vertu de ces lois, il croit l'Etat en droit de vendre encore aujourd'hui le patrimoine actuel de nos églises ?

M. Orts. - Non ; puisque la loi et la Constitution obligent l'Etat à fournir des églises.

M. De Fré. - Je ne comprends vraiment pas l'agitation qui se produit sur les bancs de la droite. De quoi s'agit-il ? Il s'agit d'améliorer le décret de 1809. Est-il vrai que ce décret offre des lacunes ? Est-il vrai qu'il ait donné lieu à des abus ? Méconnaissez-vous que, dans les conseils communaux, qui sont sans cesse obligés, quand les fabriques viennent leur demander des subsides, d'examiner les comptes des fabriques ; reconnaissez-vous que dans les conseils communaux des plaintes ont été proférées contre la mauvaise administration des biens de fabrique ?

Reconnaissez-vous que de pareilles plaintes ont retenti au sein des conseils provinciaux ? Dans cette Chambre même, à plusieurs reprises, des plaintes de toute nature se sont également produites.

Il y a eu une enquête administrative et cette enquête a signalé au gouvernement les vices du décret de 1809.

Messieurs, lorsqu'on compare le décret de 1809 au décret sur les cimetières, au décret sur la bienfaisance, on est frappé des lacunes qui existent dans ce décret. La législation de l'empire, en organisant la bienfaisance, a orné le pouvoir civil, le pouvoir laïque d'un contrôle sérieux et efficace.

Elle a voulu que ceux qui administrent les biens des pauvres fussent nommés par l'autorité civile, et rendissent annuellement compte à l'autorité civile.

Quand il s'est agi d'une autre matière délicate et où le spirituel touche au temporel, lorsqu'il s'est agi de l'administration des cimetières, la législation de l'empire a distingué entre l'acte d'inhumation, qui est de la compétence de l'autorité civile et les cérémonies religieuses qui ne sont pas de sa compétence et protégées par la liberté des cultes.

Je ne sais pourquoi, quand il s'est agi des fabriques d'église, il y a eu un si grand vague, des lacunes. si grandes dans la loi organique de 1809.

Et tout d'abord, l'autorité civile n'a pas sur l'administration des biens des églises un contrôle efficace.

Je comprendrais très bien que si les fabriques d'église n'étaient obligées en aucune circonstance de venir frapper à la porte des conseils communaux pour avoir de l'argent, je comprendrais qu'on laissât l'administration des fabriques agir comme elles l'entendraient. Cela pourrait se comprendre.

Mais voici ce qui arrive : l'administration communale étant obligée, quand les ressources des fabriques sont insuffisantes, de combler le déficit, elle doit pouvoir examiner si les biens de l'église sont administrés avec sagesse, vérifier les comptes chaque année.

Le décret impose au trésorier de la fabrique l'obligation d'envoyer un double du budget à la mairie. Cela ne se fait pas toujours, et quand cela ne se fait pas, il n'y a pas moyen de contraindre une fabrique à le faire ; quand cela se fait, les pièces justificatives ne sont pas produites.

Il y a, au budget des fabriques d'église, des dépenses facultatives, des dépenses de luxe et des dépenses obligatoires. Si, par exemple, les fabriques négligent l'entretien des toits, des murs du temple, pour acheter des objets de luxe qui ornent l'église, il arrive, au bout de quelques années, parce que la fabrique n'a pas fait de dépenses annuelles minimes, qu'elle doit faire des frais considérables pour des grosses réparations. Alors que fait-elle ? Elle s'adresse à la commune qui doit pourvoir au déficit.

C'est une déplorable habitude qu'on a contractée d'employer l'argent des fabriques à des dépenses luxueuses plutôt qu'à des dépenses obligatoires, pour tomber, à un moment donné, à charge de la commune.

Et vous vous étonnez qu'avant de payer les communes demandent un contrôle sérieux et efficace ?

Cette déplorable façon d'agir des fabriques ne peut pas être contestée. J'ai en mains un rapport fait au conseil communal de Gand, du 5 octobre 1860, en séance de la commission des finances, adopté par le conseil communal.

Voici ce que j'y lis, vous verrez s'il n'y a pas d'abus et si de pareils abus n'exigent pas une réforme dans la loi, puisque la loi est impuissante pour le faire cesser, Voici ce que je lis dans ce'rapport qui est de M. le conseiller Colson :

« Tandis que l'on voit figurer aux budgets des différentes fabriques d'église des dépenses facultatives, des dépenses intérieures qui paraissent excessives pour certains objets, des dépenses luxueuses qu'à notre sens la dignité du culte ni le respect de la religion ne requièrent pas, il n'y a, la plupart du temps, rien ou presque rien au chapitre des dépenses extraordinaires pour entretien ou restauration des églises, comme si elles n'étaient pas tenues à ces dernières dépenses et à la conservation de nos plus précieux monuments.

« Tandis que d'un côté, on érige de magnifiques chaires de vérité, qui coûtent environ cinquante mille francs, qu'ailleurs on fait l'acquisition d'orgues dispendieuses, que l'on prodigue des sommes considérables pour des peintures murales et des vitraux peints, que chacun, en un (page 190) mot, ordonnance ses dépenses comme bon lui semble, on néglige les réparations les plus pressantes dans les temples, on laisse tomber les églises en ruine.

« Je le dis bien haut, afin que si un jour un accident était à redouter ou une ruine à déplorer, on sache sur qui doit retomber la faute et la responsabilité.

« Et l'on oserait ensuite venir prétendre le tribut de la commune sous le prétexte apparent d'une insuffisance de revenus, injustifiable lorsqu'elle n'est pas le résultat des besoins réels et réguliers, mais la conséquence d'une administration mauvaise, ne sachant ou ne voulant pas proportionner ses dépenses à ses recettes, et de ces habitudes de faste et d'imprévoyance, contre lesquelles, encore une fois, nous ne sommes capables de protester, le cas échéant, que par des réclamations, peut-être vaines auprès de l'autorité supérieure sur les comptes des fabriques, ou par le moyen plus efficace, mais extrême, du refus de tous subsides. »

Voilà, messieurs, dans quelle position se trouve une commune. On s'adresse à une commune et on demande à cette commune un subside pour de grosses réparations parce qu'il y a un déficit. Mais comment ce déficit s'est-il produit ? Il s'est produit dans la caisse de la fabrique parce qu'on a préféré faire des dépenses de luxe plutôt que les dépenses nécessaires.

Maintenant quelle est la lacune dans la loi ? La voici : c'est que l'administration communale qui, à un moment donné, doit fournir de l'argent, ne peut pas empêcher ces dépenses. Or, elle doit pouvoir les prévenir. Il faudrait pour les fabriques ce qui existe pour les bureaux de bienfaisance, il faudrait que, tous les ans, les budgets des fabriques fussent soumis à l'administration communale.

Messieurs, n'est-ce pas une chose inouïe, dans notre régime de liberté, qu'une gestion financière sans contrôle ? N'est-ce pas une chose inouïe que de pouvoir s'adresser à une administration publique, sans être obligé de fournir, à l'appui d'une réclamation de subsides, des comptes annuels ? N'est-ce pas une chose inouïe, lorsque vous voyez une commune obérée, ne pouvant pas suffire aux frais de l'enseignement, ne pouvant pas suffire à entretenir ses pauvres, être obligée, cependant, de donner de l'argent aux fabriques d'église chaque fois qu'on lui en demande, bien qu'elle n'ait pas pu vérifier les besoins réels de ceux qui réclament, parce qu'elle n'a pas de contrôle sur l'administration des biens ?

Messieurs, venons-nous imposer aux fabriques une règle de conduite en ce qui concerne le spirituel ? Je suis moins suspect que tout autre lorsque je dis que je veux laisser au prêtre toute sa liberté.

Mais je dis au prêtre : Lorsque vous venez demander de l'argent, il faut que vous justifiiez d'une bonne gestion. Et cette justification, la loi ne donne pas aux communes le droit de l'exiger.

Voilà pourquoi je veux la réforme de la foi.

Messieurs, avec une comptabilité régulière, d'autres abus encore ne se commettraient pas. Je veux parler des comptes fictifs.

Je tiens en main un compte où, pour arriver à un déficit de 2,400 fr., l'on a majoré toutes les sommes qui avaient été portées au budget primitif. Ce compte a fait l'objet d'une discussion dans le conseil provincial de la Flandre orientale.

Le budget qui avait été adopté par le conseil de fabrique était inférieur de 2,400 fr. à la somme réclamée.

On s'est adressé à l'administration communale et on lui a demandé un subside, parce qu'il y avait insuffisance de fonds. Or, voici de quelle manière on était arrivé à établir ce déficit :

Le budget portait : Vin pour 8 messes par jour, 200 fr. Pour arriver à un déficit, on porte au compte qu'on a dépensé 747 fr. 44 c. Huile et chandelles rouges, la somme allouée au budget était de 230 fr. ; on porte au compte qu'on a dépensé 438 fr. Ornements intérieurs, la somme portée au budget était de 150 fr. Pour arriver à un déficit, on soutient qu'on a dépensé 829 fr.

Décoration intérieure, la somme portée au budget, était de 110 fr., et la somme qu'on soutient avoir dépensée est de 1,569 fr.

Voilà, messieurs, un compte fictif. Que voulait-on ? On voulait arriver par un compte de ce genre devant l'autorité communale et lui dire : Voilà le déficit ; je demande, puisqu'il y a insuffisance de fonds, que vous veniez à mon aide.

Je vous demande, messieurs, si ce fait ne prouve pas qu'il y a une lacune dans la loi. S'il y avait le contrôle voulu, s'il y avait le contrôle qui existe pour les bureaux de bienfaisance, pareil abus serait-il possible ?

Je suis étonné, messieurs, que les honorables membres de la droite viennent protester ici parce qu'on veut réformer la loi.

Ce qui m'étonne, c'est que les honorables membres de la droite ne demandent pas eux-mêmes la réforme de cette loi ; car cette loi est violée continuellement, par ce qu'on appelle en Belgique le parti catholique. La loi du 30 décembre 1809 défend les collectes dans les églises pour autre chose que pour les besoins du culte, et l'entretien des temples.

Eh bien, tous les jours, on fait des collectes dans les églises pour l'université catholique, pour le denier de Saint-Pierre. La loi est violée dans un intérêt de parti, violée par vous et les vôtres et vous devriez en demander la réforme.

M. B. Dumortier. - Je demande la parole.

M. De Fré. - Messieurs, lorsqu'il arrive qu'une paroisse se sépare en deux, il devrait y avoir partage des biens. Quand une commune est divisée en deux communes, on suit la procédure qui est indiquée par la loi communale, on partage les biens en raison du nombre des foyers. Mais voici ce qui est arrivé dans le cas de division d'une paroisse en deux paroisses ; l'honorable ministre de la justice a été impuissant à amener le partage des biens de la fabrique. Or, lorsque dans ce cas la fabrique en possession garde tout, l'autre doit s'adresser à l'administration communale pour obtenir des subsides. Celle qui reste en possession a plus qu'il ne faut pour vivre, pour administrer, pour subvenir aux frais du culte, et elle dit à celle qui n'a rien : Vous n'avez qu'à vous adresser à l'administration communale, aux termes du décret de 1830, et l'administration communale doit encore une fois payer. Elle dit à la fabrique pauvre : Adressez-vous à la commune.

Elle est obligée de vous donner des subsides, elle est obligée de vous entretenir puisque le culte est un objet d'utilité publique et les fabriques d'église des administrations publiques.

Mais, messieurs, n'est-ce pas encore un abus qu'il faut absolument faire disparaître ?

Maintenant, messieurs, il y a dans la loi un article 36 sur lequel j'appelle l'attention de M. le ministre de la justice. Cet article porte :

Les revenus de chaque fabrique se forment :

« 1° Des droits que, suivant les règlements épiscopaux approuvés par nous, les fabriques perçoivent, et de celui qui leur revient sur le produit des frais d'inhumation. »

Quant à cet article, les fabriques exploitent tout ce qui concerne les cérémonies funèbres, elles ont les corbillards, les draps et tout ce qui est nécessaire pour les funérailles.

Eh bien, dans une foule de circonstances, lorsqu'un citoyen est mort sans avoir la réputation d'être orthodoxe, comme l'église entend qu'on le soit, on fait de grandes difficultés pour accorder la corbillard et on va même souvent jusqu'à le refuser.

II s'est présenté des cas où il a fallu recourir à une voiture publique pour transporter le mort. Cela est arrivé à Bruxelles même. Eh bien, messieurs, n'y aurait-il pas quelque chose de plus simple ? Sous l'empire de notre constitution qui proclame la liberté des cultes et permet à chacun de mourir comme bon lui semble, ne conviendrait-il pas d'attribuer l'administration des pompes funèbres aux administrations communales qui, étant nécessairement tolérantes, ne pouvant pas avoir d'opinion religieuse, ne susciteraient pas de pareilles difficultés aux familles ?

On va peut-être me répondre que ce serait diminuer le revenu des fabriques, mais puisque, quand il y a insuffisance de revenus, c'est l'administration communale qui doit y pourvoir, si ce revenu entre dans la caisse communale, l'administration de la commune peut fort bien le rendre à la fabrique. Mais vous auriez de cette façon-là la liberté des cultes parfaitement garantie.

Je dois signaler à M. le ministre de la justice une autre lacune qui existe dans le décret de 1809.

Aujourd'hui lorsque vous plaidez contre une commune, vous n'avez contre cette commune aucun moyen d'exécution, mais l'autorité supérieure peut porter au budget communal le montant de la créance. Rien de semblable n'existe pour les fabriques d'église. Lorsqu'une fabrique n'exécute pas une sentence prononcée contre elle, il n'y a aucune autorité qui puisse l'y contraindre.

Ainsi les fabriques ne sont pas obligées de rendre compte. Elles sont armées contre les communes qui ne sont pas armées contre elles. Elles peuvent encore se passer de payer leurs créanciers.

Il faudrait que l'autorité civile pût porter au budget d'une fabrique le montant d'une condamnation ; Vous combleriez ainsi une lacune qui existe dans le décret de 1809.

Une modification qu'il serait nécessaire d'introduire aussi dans la loi sur les fabriques d'église, ce serait de bien définir quels sont les droits et quelles sont les obligations des fabriques. Le décret de 1809 a donné lieu (page 191) à de singulières interprétations. Le décret de 1809 a servi de prétexte à des ministres, à donner à ces fabriques d'église ce que l'ensemble de nos lois défendait de leur donner.

Ainsi des arrêtés royaux ont autorisé des fabriques à acheter des cimetières. Des arrêtés royaux ont permis à des fabriques d'accepter des legs à la condition d'établir des écoles. Eh bien, messieurs, les cimetières ne peuvent être possédés par les fabriques.

Je n'examine pas ici la question de savoir si les cimetières anciens sont ou non la propriété des fabriques ; mais je dis que, sous l'empire de la législation moderne, et surtout depuis le décret de prairial, les fabriques d'église ne peuvent pas posséder de cimetières.

Je dis encore que sous l'empire des lois qui organisent les pouvoirs publics et sous l'empire des lois qui organisent l'enseignement, les fabriques d'église ne peuvent pas établir des écoles.

Je crois, messieurs, que la Chambre est fatiguée, je le suis également un peu moi-même et je demande la permission de continuer dans la prochaine séance.

- La séance est levée à 3 heures 3/4.