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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mercredi 11 décembre 1861

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1861-1862)

(page 210) (Présidence de M. Vervoort.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. de Florisone, secrétaire, procède à l'appel nominal à I heure et un quart.

M. de Boe, secrétaire, lit le procès-verbal de la dernière séance.

- La rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Florisone, secrétaire, présente l'analyse des pièces qui ont été adressées à la Chambre.

« Des habitants de Kerkxken demandent qu'il soit pris des mesures pour maintenir le travail dans les ateliers et diminuer la cherté des vivres. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Les membres du conseil communal d'Assenede prient la Chambre de décréter la construction d'un chemin de fer de Gand à Terneuzen, par Wondelgem, Evergem, Cluysen, Ertvelde, Zelzaete et Assenede.

- Même renvoi.


« Des ouvriers à Leuze demandent qu'il soit pris des mesures pour maintenir le travail dans les ateliers, diminuer la cherté des vivres et réduire les impôts qui pèsent le plus lourdement sur la consommation. »

- Même renvoi.


« Le sieur De Bast, ancien sous-officier, prie la Chambre d'examiner si ses années de service ne lui donnent aucun droit à la pension. »

- Même renvoi.


« Les chef de bureau et employés du commissariat de l'arrondissement de Namur prient la Chambre de voter au budget de l'intérieur le crédit nécessaire pour améliorer leur position. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du budget de l'intérieur.


« Des industriels de Tournai demandent que le gouvernement ajourne à deux ans la négociation d'un traité avec l'Angleterre, et qu'il ne soit apporté des modifications au tarif que par voie de disposition législative. »

MpVµ. - Je propose de renvoyer cette pétition à la commission des pétitions.

M. B. Dumortier. - Je demande que cette pétition fasse l'objet d'un prompt rapport et qu'elle soit réunie à toutes celles qui ont le même objet. De cette manière elles pourraient toutes faire partie d'une seule et même discussion.

- Adopté.


« M. Van Volxem demande un congé de quelques jours pour cause d'indisposition. »

- Accordé.

Projet d’adresse

Discussion des paragraphes

Paragraphe 18

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Messieurs, j'ai oublié hier, en terminant mon discours, de vous citer un fait qui n'est pas sans importance.

Par suite des réclamations adressées au gouvernement relativement au décret du 53 décembre 1809, j'ai cru devoir faire une instruction.

Je me suis adressé aux autorités provinciales du pays, afin d'avoir leur avis sur l’utilité d'une réforme à introduire, sur les lacunes à combler, sur les dispositions à modifier.

J'ai reçu jusqu'à présent, messieurs, les réponses de sept des neuf députations permanentes du pays ; et de ces sept députations, six sont d'avis qu'il y a utilité, qu'il y a nécessité de procéder à la révision de la législation sur les fabriques d'église.

La seule qui ne soit pas de cette opinion, c'est celle du Limbourg.

Les réponses des députations permanentes du Hainaut et d'Anvers ne sont pas encore arrivées.

Ainsi, messieurs, voilà encore 6 députations permanentes qu'il faut ajouter aux nombreux ennemis du pays que je vous ai nommés hier.

J'aborde, messieurs, un autre ordre d'idées.

Ce paragraphe de l'adresse a donné lieu à des reproches de toute nature.

On n'a pas seulement contesté l'utilité, l'opportunité, la nécessité de la mesure, mais on nous a dit que le ministère par la marche qu'il suivait, par les projets de loi qu'il annonçait, désaffectionnait complètement le pays

Je crois, messieurs, pour la bonne pratique de nos institutions qu'il est temps de faire une bonne fois justice de cette accusation.

Déjà, messieurs, un de mes honorables amis, M. Dolez,dans une séance précédente, vous a dit tout ce que ce langage avait de peu patriotique.

Je dirai, messieurs, qu'il serait coupable s'il était réfléchi.

Mais, messieurs, ceux qui se permettent ces reproches ne tiennent pas compte de la situation politique du pays.

Ce n'est pas une chose nouvelle que de vous dire qu'il y a en Belgique des partis, des opinions différentes, et que par suite de ces opinions diverses, il doit y avoir aussi et nécessairement deux politiques différentes. Ces deux politiques existent : nos adversaires en pratiquent une, nous en suivons une autre.

Et, remarquez-le bien, tous les griefs qu'on articule contre nous sont inhérents, non pas à notre manière de pratiquer notre politique, mais à notre politique même, sont de l'essence même de la politique que nous représentons au pouvoir, car, depuis l'ouverture de ces débats, en dehors des reproches qui s'adressent plutôt à la politique libérale qu'à nous, on n'a pas su articuler un seul fait, un seul acte qui pût être sérieusement critiqué.

Nous cesserions d'être libéraux si la droite n'avait plus de griefs contre nous ; notre politique s'inspire de l'esprit de nos institutions, elle veut, en réalité, ce qui est en droit ; la séparation du pouvoir et l'indépendance sérieuse du pouvoir civil : c'est là la politique que nous pratiquons. La politique de nos adversaires, au contraire, procède de l'idée de la suprématie du clergé et de la subordination de l'Etat. L'on admet ou l'on subit cette prétention qu'à l'autorité spirituelle appartient toute la direction morale de la société, qu'à l'autorité spirituelle appartient le droit d'ordonner, de commander, qu'à l'autorité civile incombe l'obligation d'obéir et d'exécuter.

Voilà, messieurs, les principes différents qui se trouvent continuellement en présence dans l'enseignement, dans la question de la charité, dans la question du temporel du culte ; dans toutes les grandes manifestations de l'existence sociale, ces deux politiques se rencontrent et viennent se combattre.

En effet, dans l'enseignement, qu'a toujours voulu la droite ? Elle a voulu en exclure l'Etat ; et l'honorable M. Dechamps, dans son rapport de 1835, le notifiait très clairement au pays, en déclarant que le plus beau résultat de la liberté de l'enseignement serait que, sous peu de temps, les universités de l'Etat fussent désertes.

La droite espérait arriver au monopole par la liberté.

Et c'est dans cet ordre d'idées, afin d'assurer le plus tôt possible ce résultat que, l'université de Louvain étant créée, l'on a organisé un mode de nomination du jury qui donnait à l'université catholique des avantages marqués sur les établissements de l'Etat et sur l'université libre. C'est dans le même ordre d'idées que, alors que d'un côté l'on proclamait que les arrêtés de Guillaume qui avaient ordonné que tous les boursiers eussent à faire leurs études dans les universités de l'Etat, l'on maintenait d'un autre côté un système qui assurait toutes les bourses de fondation à l'université de Louvain ; et que dans la répartition des bourses de l'Etat, l'université de Louvain en recevait à peu près à elle seule autant que les deux universités de l'Etat.

Ainsi, nous trouvons, en 1838, l'université de Gand et l'université de' Liège réunies ne posséder ensemble que 20 bourses pour leurs élèves, alors que l'université de Louvain en avait, à elle seule, 25.

Pour l'enseignement moyen qu'cst-il arrivé ? On l'a abandonné, on l'a laissé se désorganiser pour pouvoir s'en emparer plus facilement ; il a fallu qu'en 1850, l'opinion libérale vînt faire une loi que le pays attendait depuis vingt ans.

Dans l'enseignement primaire, afin d'arriver à la même absorption, nous voyons faire, contrairement à la loi, l'application aux congrégations enseignantes d'un décret fait pour les congrégations charitables.

Qu'a fait, au contraire, l'opinion libérale ? Elle a pensé que l'Etat avait aussi une mission morale à remplir dans la société ; elle a pensé que la liberté de l'enseignement ne serait qu'un vain mot, si tous les établissements d'enseignement pouvaient être dans les mains d'une seule classe de la société ; elle a voulu qu'il y ait un enseignement organisé à tous les degrés, par la commune, par la province, par l'Etat.

Dans ses rapports avec le clergé, l'opinion libérale s'est-elle montrée hostile à la religion, a-t-elle repoussé le clergé de ses établissements ?

Au contraire, elle l'a convié à venir dans ses écoles, elle a fait toutes les concessions compatibles avec l'indépendance du pouvoir civil.

En ce qui concerne les administrations charitables au moyen d'administrateurs spéciaux qu'il est toujours facile au clergé d'imposer aux (page 211) testateurs, on a soustrait aux administrateurs légaux les fondations de l’avenir.

Grâce à une interprétation de l'article 84, interprétation que rien, dans toutes les discussions qui en ont précédé le vote, ne devait faire prévoir, on était parvenu à créer en dehors des bureaux de bienfaisance et des hospices, des administrations qui échappaient au contrôle sérieux de l'autorité civile.

Quand plus tard on présenta un projet de loi sur la charité, on chercha par un ensemble de dispositions et de combinaisons très habilement conçues à donner la personnification civile non seulement à ces institutions de charité, mais encore à des congrégations enseignantes.

On renouvelait ainsi des abus contre lesquels depuis Charles V jusqu'à Marie-Thérèse on n'avait cessé de réclamer. On faisait revivre un régime qui, quand il florissait, donnait au vagabondage, à la mendicité, à la fainéantise des ressources plus grandes que celles que procurait le travail.

L'opinion libérale, au contraire, en condamnant un abus, a toujours cherché à concilier la volonté des testateurs avec les nécessités de l'administration, et c'est ainsi qu'elle a proclamé le principe de l'intervention d'administrateurs spéciaux gérant avec les administrateurs locaux ; elle a protesté contre tout système qui tendrait à rétablir directement ou indirectement la personnification civile des congrégations religieuses.

Quant au temporel des cultes, les deux opinions ne se sont jamais trouvées autant en présence dans nos débats qu'elles l'ont été dans la question de l'enseignement et dans la question de la charité. Mais, grâce aux documents officiels que j'ai sous la main, qui tous se rapportent à la réclamation faite en 1837, par le conseil provincial de Namur, il est très facile de reconnaître que l'honorable chef de la droite a été fidèle à la politique catholique qu'il a toujours suivie.

L'honorable comte de Theux avait dit, en 1836, au Sénat, qu'il ne voyait aucun inconvénient à laisser aux administrations communales l'approbation des comptes.

En 1837, le conseil provincial de Namur demande que cette approbation des comptes soit confiée à la députation permanente. Le conseil provincial de Namur devait espérer que ce serait à la députation permanente, ou au moins, après le langage qu'avait tenu l'honorable comte de Theux, au conseil communal qu'on déférerait le droit d'intervenir pour contrôler la bonne comptabilité des conseils de fabrique.

L'honorable comte de Theux, saisi de la question, consulte l'épiscopat, consulte les différents évoques du pays ; mais il ne consulte qu'eux.

Après ces réponses qui, favorables à la révision de la législation sur les fabriques, n'acceptaient pas cependant le système préconisé par le conseil provincial de Namur, l'honorable comte de Theux, arrête les modifications qu'il se propose d'introduire dans la décret de 1809. Je les trouve consignées dans une lettre qu'il a écrite à la date du 2 mai 1838, au ministre de la justice et que voici :

« M. le ministre,

« Le conseil provincial de Namur a demandé dans sa dernière session que les comptes des fabriques d'église fussent soumis à un contrôle plus efficace.

« Je regarde cette demande comme fondée et je désire y faire droit, mais par des moyens autres que ceux proposés par le conseil qui ne me semblent pas pouvoir être accueillis.

« L'expérience m'a d'ailleurs démontré l'opportunité de modifier ou de compléter quelques dispositions du décret du 30 décembre 1809 sur les fabriques.

« Les deux modifications principales que je me propose d'introduire seraient d'ôter aux conseils de fabrique l'approbation définitive des comptes et de la transférer aux ordinaires diocésains, déjà investis de l'approbation des budgets et, en second lieu, d'attribuer au gouvernement le droit de dissoudre au besoin les conseils de fabrique sur la demande de l'évêque et l'avis du gouverneur.

« Avant de donner suite à ce projet, je désirerais me fixer, M. le ministre, sur le point de savoir si ces nouvelles dispositions exigent une loi ou si elles peuvent être prises par arrêté royal.

« Il est bien vrai que, par l'effet des lois constitutionnelles du temps, les décrets impériaux ont force de lois ; mais d'un autre côté, ces matières semblent regarder l'administration plutôt que le pouvoir législatif. Il est à remarquer à ce propos qu'en France, une ordonnance royale du 12 janvier 1825 a modifié en plusieurs points le décret impérial du 30 décembre 1809 et a établi précisément ce droit de dissolution des conseils de fabrique que je désire lui emprunter.

« Il faut donc en inférer que, dans le pays même où l'on peut le moins se tromper sur la force des décrets impériaux, on a cru que leurs dispositions pourraient être modifiées par le pouvoir exécutif, lorsqu'elles concernaient des matières de sa compétence.

« Je vous prie, M. le ministre, de vouloir bien me faire connaître votre opinion sur ce point et d'agréer l'assurance de ma haute considération. »

Ainsi, messieurs, l'honorable comte de Theux abandonnait son opinion de 1836 ; à cette époque, il ne voyait aucun inconvénient à confier aux conseils communaux l'examen et l'approbation des comptes, et en réponse au conseil provincial de Namur, qui demandait que cet examen et cette approbation fussent dévolus à la députation permanente, M. de Theux décidait que dorénavant les conseils de fabrique, corps laïques, seraient dépouillés de ces attributions, et que ce serait l'ordinaire diocésain qui en serait investi.

Il ajoutait cette disposition qu'à la demande de l'évêque et de l'avis du gouverneur, le gouvernement aurait le droit de dissoudre le conseil de fabrique.

Voilà la réforme que se proposait de faire l'honorable comte, de Theux.

Ainsi, messieurs, du même coup l'honorable comte de Theux dépouillait les conseils de fabrique et érigeait les évêques en autorité dont les décisions peuvent avoir la plus sérieuse influence sur les finances des communes, des provinces et de l'Etat.

L'évêque de Liège, dans la lettre que je citais hier avait, avec beaucoup de bon gens, dit : « Mais si l'état des finances des fabriques est mauvais, ce n'est pas mon traitement qui suppléera aux besoins, ce n'est pas sur mon traitement que sera pris le traitement du vicaire, qui aurait été payé par la fabrique si ses finances avaient été bien administrées. »

Cette objection ne touche pas l'honorable comte de Theux. Il ne recule pas devant cette inconséquence et cette injustice de laisser subir aux communes à la province et à l'Etat, la conséquence de la mauvaise administration des fabriques et d'abandonner à l'autorité ecclésiastique toute la comptabilité fabricienne.

L'honorable comte de Theux consacrait ainsi de la manière la moins équivoque la suprématie de l'autorité spirituelle sur l'autorité civile.

Maintenant, messieurs, pourquoi l'honorable comte de Theux n'a-t-il pas réalisé son projet ? L'honorable comte de Theux a trouvé dans le département de la justice une opposition invincible à sa prétention de réformer le décret de 1809 par arrêté royal.

Le département de la justice a répondu à l'honorable comte de Theux qu'il était impossible de toucher au décret de 1809, surtout à des dispositions aussi importantes, par voie d'arrêté royal. Le ministère de la justice était alors occupé par l'honorable M. Ernst.

L'honorable comte de Theux a insisté à plusieurs reprises, et le département de la justice, de son côté, n'a pas cru pouvoir modifier sa manière de voir.

Il paraît que l'honorable comte de Theux avait si peu de confiance dans son système que, lui, qui semble professer un si profond respect pour les prérogatives parlementaires, n'a jamais osé saisir la législature de ces modifications.

Eh bien, messieurs, la politique libérale, comment procède-t-elle dans les mêmes circonstances ? Après les réclamations qui se sont élevées de la part des différents conseils provinciaux, après les observations faites dans le sein de cette Chambre, nous nous trouvons aujourd'hui dans une situation analogue à celle où se trouvait l'honorable M. de Theux en 1837.

Nous avons eu une instruction à faire, nous avons l'opinion de l'épiscopat, et nous consultons les autorités civiles.

D'un autre côté, nous croyons pouvoir dire dès à présent que c'est à l'autorité civile que nous confierons l'approbation des comptes des fabriques, que c'est à elle que sera dévolu le contrôle de la gestion des biens des fabriques.

Enfin, nous ne craignons pas d'appeler la discussion sur cette question et nous la soumettons très loyalement aux délibérations des Chambres.

Voilà la différence de procéder des deux opinions.

Regardez l'instruction, regardez la nature des modifications, regardez le mode par lequel la réforme doit se faire, et vous remarquerez combien est exacte l'appréciation que je faisais tantôt des principes auxquels obéissent les deux opinions qui tour à tour ont occupé le pouvoir.

Si donc, comme je viens de le démontrer, la politique catholique et la politique libérale diffèrent essentiellement, quelle est la valeur du reproche qu'on nous fait de désaffectionner le pays ? Est-ce à dire qu'aussi souvent que la politique libérale sera au pouvoir, que les ministres seront fidèles à leurs opinions, à leurs antécédents, à leurs principes, fidèles à la majorité qu'ils représentent, la minorité aura le droit de reprocher au cabinet qu'il désaffectionne le pays !

(page 212) Mais alors la gauche, si elle devient minorité, pourra dire la même chose, et quand la droite, fidèle à sa politique, présentera ses projets, nous aurons aussi le droit de lui dire qu'elle désaffectionne le pays. Tour à tour nous nous montrerons disposés à sacrifier notre indépendance, à nous dénationaliser, parce que nous ne serons pas le pays tout entier, parce que nous ne sommes pas au pouvoir.

Je dis que si nos institutions devaient avoir de semblables résultats, il faudrait les condamner.

Nos honorables adversaires ont-ils beaucoup redouté ce reproche, quand ils ont présenté la loi sur la charité ? C'était sans contredit la loi la plus savamment réactionnaire qu'on ait jamais imaginée. Nous n'avons pas dit cependant qu'on désaffectionnait le pays et que nous étions prêts à nous dénationaliser. Nous n'avons pas tenu un semblable langage ; nous avons combattu la loi, nous l'avons combattue de toutes nos forces, mais nous n'avons pas fait intervenir des sentiments que jamais on ne doit oublier vis-à-vis du pays.

Lorsque les whigs sont au pouvoir en Angleterre, est-ce que les torys en aiment moins leur pays. Quand les torys occupent le ministère, les whigs regardent-ils du côté de l'étranger ?

En France, n'importe l'opinion qui était au pouvoir, est-ce que jamais la minorité a tenu le langage que nous entendons ici ?

Il est temps, messieurs, d'abandonner un semblable langage ; au lieu de se livrer à de semblables reproches, l'on devrait puiser dans nos luttes, dans la liberté de nos discussions, dans le droit qu'a chacun de nous de défendre ses opinions et de les faire prévaloir, un respect plus grand pour nos institutions, et plus d'amour pour notre indépendance et notre nationalité.

- Plusieurs membres à gauche. - Très bien ! très bien !

M. de Theux. - Messieurs, M. le ministre de la justice a détourné très habilement votre attention de la question principale, de la question unique qui devrait nous occuper.

C'est sur le terrain de la politique générale qu'il a placé son discours.

Vous comprendrez que, quelque facile qu'il me soit d'y répondre à l'instant même, je ne le suivrai pas dans cette déviation. J'attendrai un moment plus opportun, et j'espère qu'il ne me fera pas défaut.

Je me renfermerai donc strictement dans la discussion du paragraphe de l'adresse.

J'ai dit que ce paragraphe était insolite et qu'il renfermait une inconnue dans ces expressions « sont laïques. »

Maintenant que la discussion a un peu éclairci le fond de la pensée qui a présidé à cette rédaction, je suis plus fondé encore à combattre cette expression.

En effet, l'honorable M. Orts vous a dit que les biens ecclésiastiques sont devenus biens nationaux par la loi des 2-4 novembre 1789 et que dans son opinion ils sont restés nationaux, de manière que ce ne sont pas seulement les biens possédés par l'Eglise à cette époque qui ont été nationalisés, mais encore tous les biens que l'Eglise a acquis depuis qui sont restés sous l'empire du même décret.

L'honorable membre ne le contestera pas, je pense, tel est clairement et littéralement le sens de sa pensée.

J'ai écouté son discours avec la plus grande attention, il est impossible de conserver le moindre doute à cet égard.

Nous disons, messieurs, une chose toute simple ; nous disons que si la loi des 2-4 novembre 1789 avait été publiée en Belgique, ce que l'on conteste, il n'en serait pas moins vrai que, par diverses dispositions d'autres lois, les cultes ont pu posséder des biens meubles et immeubles à titre de propriété, et que, sous ce rapport, cette loi a été abolie tout aussi bien que la loi réglant la constitution civile du clergé et que celle portant les peines de la mort ou de la déportation contre les membres du clergé qui restaient fidèles à l'Eglise catholique.

Tout cela est de l'histoire ancienne, tout cela est aboli.

La confiscation a été abolie par notre Constitution. Le droit de prononcer sur les questions de propriété appartient aux tribunaux.

Nous n'avons donc pas à nous inquiéter de ces questions de propriété puisqu'il ne nous appartient pas de les résoudre.

Aussi ai-je le droit, messieurs, de repousser ce préjugé que veut établir l'adresse.

Mais, nous dit M. le ministre de la justice, la question de propriété est indifférente ; il ne s'agit en aucun cas d'enlever à l'Eglise ce qu'elle possède puisque la province, la commune, l'Etat doivent intervenir dans les dépenses du culte, puisque, si on les confisquait d'une part, on devait d'autre part fournir aux besoins du culte par d'autres moyens.

Il n'est donc point dans notre pensée, il n'est pas de notre intérêt d'arriver à une confiscation ni à l'aliénation des biens de l'Eglise.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Je n'ai pas dit cela.

M. de Theux. - Messieurs, je n'ai pas pensé que personne fût assez insensé pour nous proposer, quant à présent ou dans un avenir prochain, la confiscation des biens de l'Eglise.

Mais indépendamment de la question de propriété, il est de notre intérêt, comme principe, que les mots « sont laïques » disparaissent de l'adresse à cause des conséquences qui pourraient dériver de la définition du mot « laïque. »

Ces conséquences sont que l'on pourrait proposer une autre répartition des biens entre les établissements ecclésiastiques ; en vertu du droit de propriété, l'administration pourrait proposer une autre répartition.

Ce serait déjà une atteinte.

Indépendamment de cela, messieurs, et ceci touche au cœur de la question, il y a la composition de l'administration des biens des églises, il y a la part d'intervention à assigner aux diverses autorités.

Voilà la question fondamentale et c'est pour cela que le mot « laïque » est proposé dans l'adresse. Il n'est impossible de conserver aucun doute à cet égard.

L'honorable M. De Fré, dans un très long discours, vous a donné un spécimen de l'intervention qui est dans sa pensée.

L'honorable M. Dumortier a combattu ce mode d'intervention dans toutes ses parties, dans tous ses détails des dépenses du culte avec beaucoup de vivacité.

M. le ministre de la justice est venu ensuite, sans parler ni des principes posés par l'honorable M. Orts, ni de toutes les conséquences que l'honorable M. De Fré veut en tirer ; il ne vous a parlé que des comptes et des budgets, mais il ne nous a pas expliqué quel serait, le système du gouvernement à cet égard.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Certainement non ; je ne discute pas cela en ce moment-ci.

M. de Theux. - Il nous a dit que déjà le gouvernement des Pays-Bas avait prescrit la communication des comptes des fabriques d'église en même temps que des demandes de subsides aux conseils communaux. Mais, messieurs, personne n'a jamais contesté cette communication au fond. C'est la chose la plus simple du monde.

Le décret de 1809 est même très formel à cet égard, car il ordonne la communication d'un double des comptes annuellement à l'autorité communale et spécialement quand une demande de subside est formulée par le conseil de fabrique.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - C'est une communication.

M. de Theux. - Et en outre, dans ce second cas, le budget de l'année suivante pour que le conseil puisse apprécier, par l'examen des comptes et du budget suivant s'il y a réellement lieu de fournir un subside.

Tout cela, messieurs, ne peut souffrir, dans la pratique, aucune espèce de difficulté.

M. le ministre nous a rappelé la discussion de la loi communale, et entre autres l'amendement proposé par l'honorable M. Gendebien, qui consistait à dire que les budgets des fabriques seraient approuvés par les conseils communaux, et qu'en cas de réclamation, on s'adresserait à la députation permanente, et enfin au conseil des ministres

Je me suis alors opposé à cette proposition. Elle a été rejetée par la Chambre à la presque unanimité. Je m'y suis opposé, parce que dans les conséquences il en serait résulté une atteinte formelle à la liberté des cultes. Et pour comprendre la portée de cette atteinte, qu'il me soit permis de vous lire l'article 37 du décret de 1809. Il contient la disposition suivante quant aux charges des fabriques d'église.

« Les charges de la fabrique sont :

« l° De fournir aux frais nécessaires du culte ; savoir, les ornements, les vases sacrés, le linge, le luminaire, le pain, le vin, l'encens, le payement des vicaires, des sacristains, chantres, organistes, sonneurs, suisses, bedeaux et autres employés au service de l'église, selon la convenance et les besoins des lieux ;

« 2° De payer l'honoraire des prédicateurs de l’avent, du carême et autres solennités.

« 3° De pourvoir à la décoration et aux dépenses relatives à l'embellissement intérieur de l'église.

« 4° De veiller à l'entretien des églises, presbytères et cimetières ; et, en cas d'insuffisance des revenus de la fabrique, de faire toutes diligences nécessaires, pour qu'il soit pourvu aux réparations et reconstructions. »

En voyant, messieurs, les détails des dépenses relatives au culte l'on peut comprendre facilement que la discussion de la nécessité, de la convenance des dépenses doit échapper à la compétence des conseils communaux qui sont composés à un tout autre point de vue que les conseils de fabrique.

(page 213) Les conseils communaux peuvent être composés de membres n'appartenant pas à la religion catholique ; ils peuvent même être composés de membres n'appartenant à aucun culte ; d'un autre côté, on voit souvent s'agiter dans les conseils communaux des passions politiques qui ne peuvent pas se concilier avec la discussion calme et paisible des intérêts religieux.

Que faisait le décret de 1809 ? Il a été porté à l'époque où la France n'avait guère conservé de sentiments religieux.

Eh bien, il a exigé que tous les membres des conseils de fabrique fussent catholiques et domiciliés dans la paroisse. De plus, comme l'intérêt religieux est ici prédominant en ce qui concerne les besoins du culte, il a laissé au juge le plus compétent en pareille matière, à l'évêque, le soin de nommer la majorité des conseils de fabrique.

Ainsi, messieurs, si le conseil est composé de neuf membres, l'évêque en nomme cinq et le préfet quatre ; s'il est composé de cinq membres, l'évêque en nomme trois et le préfet deux.

Il est donc évident que, dans la pensée de l'auteur du décret de 1809, pensée conforme à la nature des faits, l'élément religieux doit être prédominant. Mais le décret de 1809 n'est pas exclusif : il y a aussi des intérêts laïques qui demandent satisfaction, et nous avons eu bien soin d'en tenir compte dans notre amendement ; car nous demandons que, s'il y a des lacunes on les comble, que s'il y a des abus à réformer on les réforme.

Mais, par notre amendement, nous demandons aussi le rejet d'une définition qui nous conduit je ne sais où, et qui ne peut produire aucun fruit.

On nous a dit que les conseils de fabrique laissaient souvent les églises se détériorer pour avoir plus tard l'occasion de demander aux communes de concourir aux frais de grosses réparations.

C'est là une allégation facile ; mais elle est en contradiction directe avec l'intérêt des représentants du culte. Pourquoi ? Parce que quand il s'agit d'obtenir des subsides importants des conseils communaux, on y rencontre souvent de très grandes difficultés et beaucoup d'opposition, et l'on n'est jamais certain d'obtenir les fonds nécessaires à la restauration, bien que l'opportunité, la nécessité même en soient parfaitement démontrées. Car il ne faut pas croire qu'il n'y aurait eu de difficultés que d'un côté ; il y en a eu des deux côtés. L'expérience le prouve.

M. le ministre de la justice nous a cité l'opinion de l'évêque de Liège ; je m'en souviens parfaitement, car à cette époque j'étais à la tête du département de l'intérieur. Or, que demandait Mgr l'évêque de Liège ? Il demandait la vérification des comptes par la députation permanente du conseil provincial. M. le ministre nous dit que l'évêque de Liège, Mgr Van Bommel, était d'accord avec M. Gendebien. Or,' messieurs, la vérité est qu'ils différaient du tout au tout. M. Gendebien voulait l'approbation des budgets par le conseil communal, et si l'on avait proposé cela à l'évêque de Liège, je suis parfaitement convaincu qu'il aurait protesté avec l'énergie que, pour la plupart, vous lui avez connue, et qu'il aurait défendu les intérêts de l'Eglise avec ce zèle dont il a donné tant de preuves incontestables.

On a parlé de la discussion qui a eu lieu au sénat. Il y aurait été question, paraît-il, de l'opportunité de remettre l'approbation des comptes à l'autorité communale.

Quant à moi et malgré ce qu'a dit M. le ministre de la justice, je n'ai jamais admis cette idée.

Pourquoi ? Parce que la discussion détaillée des comptes de toutes ces petites dépenses pourrait devenir une source de tracasseries et d'oppositions plus ou moins scandaleuses même dans les communes. J'ai pensé que la communication des comptes suffisait pour satisfaire au décret de 1809 ; mais qu'il valait mieux, si l'on voulait changer quelque chose, ordonner l'approbation de ces comptes à la députation permanente.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Le Moniteur ne dit pas cela.

M. de Theux. - C'est possible, mais telle a toujours été ma pensée.

Je dis donc que la députation permanente, étrangère à tous ces petits conflits locaux, et pouvant, par conséquent, examiner toutes ces choses avec plus de calme, pouvait être désignée pour remplir cette mission plutôt que l'autorité communale.

Il est vrai que, plus tard, j'ai consulté le département de la justice pour savoir s'il n'était pas plus convenable de remettre l'approbation des comptes à l'évêque diocésain, qui avait déjà l'approbation des budgets.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Pardon ! pardon ! Ce n'est pas cela.

M. de Theux. - Vous avez dit que j'avais consulté le département de la justice. (Interruption.) Voulez-vous bien expliquer votre pensée ?

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - L'honorable M. de Theux n'a pas consulté le département de la justice sur la question des réformes à introduire dans le décret de 1809. Mais il a indiqué au département de la justice quelles étaient les réformes qu'il comptait opérer, et il l'a consulté sur le point de savoir si cela pouvait se faire par arrêté royal. C'est la seule question qui ait été soumise au département de la justice, et c'est la seule aussi à laquelle celui-ci ait répondu.

M. de Theux. - Soit ! Cela prouve seulement, pour le dire en passant, combien je tenais à ne point sortir de la légalité, puisque je voulais m'assurer l'avis du département de la justice qui était plus spécialement compétent en pareille matière.

Quant à la question administrative, elle rentrait spécialement dans les attributions du département de l'intérieur qui avait alors l'administration générale des affaires du culte. Mais cela n'y change rien.

On a cru, messieurs, trouver dans cette idée de modifier le décret de 1809 par arrêté royal, un désir de soustraire la question à la discussion de la Chambre..

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Certainement.

M. de Theux. - Non, messieurs, cela ne résulte d'aucun fait. Mais il est du devoir du ministre de ne point soumettre aux Chambres ce qui est dans les attributions du pouvoir exécutif.

Et fort de ce qui s'est passé en France, là où le décret de 1809 avait pris naissance et avait subi des modifications, j'ai cru qu'en Belgique il n'y avait rien qui s'opposât à ce qu'on suivît la même marche.

On a demandé pourquoi je n'avais pas donné suite au projet élaboré en 1838. La raison en est, messieurs, qu'à cette époque se poursuivaient les négociations du traité avec la Hollande ; et l'on sait à combien d'embarras et de discussions ces négociations ont donné lieu.

Le moment n'était donc pas opportun pour saisir la Chambre de cette question. Mais que l'honorable membre en soit bien convaincu : Jamais je n'ai déserté la discussion d'aucune question, quelque difficile, quelque importante qu'elle fût, ni comme représentant, ni comme ministre. Je pourrais citer une foule de faits qui prouveraient que je n'ai jamais redouté une opposition ni une discussion.

Toujours je me suis efforcé de faire triompher ce que j'ai cru juste, sauf à me soumettre aux décisions du pouvoir parlementaire quand elles me donnaient tort.

On a parlé, messieurs, des avis des chefs diocésains. Aucun n'a approuvé l'intervention de l'autorité communale aux fins d'approuver définitivement les comptes. Cela n'existe pas non plus en France. Je crois que le gouvernement fera bien, non seulement d'attendre le complément des avis des autorités provinciales dont il a déjà reçu plusieurs rapports, mais aussi des autorités diocésaines, car non seulement il s'agit ici d'une question mixte, mais principalement d'un intérêt religieux ; le gouvernement fera bien de consulter aussi les consistoires des cultes dissidents, juifs et protestants, en un mot de tous les cultes dissidents.

Je crois, messieurs, pouvoir borner ici la réponse que j'avais à faire sur ce paragraphe du projet d'adresse, tant à l'honorable rapporteur de la commission qu'à M. le ministre de la justice.

J'ai cependant un mot à dire à l'honorable député de Bruxelles qui m'a inculpé, même d'une manière très peu parlementaire, de subir les injonctions des chefs diocésains, quand j'avais la conscience qu'elles étaient contraires aux lois.

Je dirai que jamais, en aucune circonstance, je n'ai reçu d'injonction d'aucun chef diocésain, aucune demande même ne m'a été faite avec une apparence d'autorité qui aurait pu embarrasser la conscience ou l'indépendance d'un homme politique.

En aucune circonstance, rien ne m'aurait déterminé à poser sciemment un acte contraire aux lois. Il est possible que dans quelque circonstance j'ai pu mal apprécier une disposition de loi, mais cela arrive au plus grand jurisconsulte, aux corps judiciaires les plus éminents.

Si je voulais rétorquer l'argument, je dirais que l'article 84 de la loi communale que j'ai fait prévaloir, a été interprété par les cours de cassation et les cours souveraines dans le sens que j'ai toujours donné à cet article et que l'interprétation de M. de Haussy a été condamnée par la jurisprudence ; on a soustrait au pouvoir judiciaire la décision finale de la question, on n'a pas attendu qu'il y eût conflit entre la cour de cassation et les cours d'appel, ce conflit n'aurait probablement pas eu lieu.

Mais pour donner raison à l'honorable M. de Haussy, on a saisi le pouvoir législatif de l'interprétation de la loi. J'espère que ce sera sans imitation dans l'avenir, ce serait sans raison que nous donnerions tant d'éloges à la magistrature, si nous nous défiions de ses décisions.

L'interprétation des lois appartient au pouvoir judiciaire et ce n'est que quand il y a impossibilité de faire cesser un dissentiment entre les cours que le pouvoir législatif intervient à titre de nécessité, mais il ne faut jamais le faire anticipativement, dans quelque cas que ce puisse être.

(page 214) Changer la loi, c'est autre chose, mais nous ne pouvons pas l'interpréter par voie législative, ce n'est pas de notre compétence, si ce n'est quand tous les degrés de juridiction ont été épuisés.

Ce n'est pas seulement à raison de l'article 84 que mon opinion a reçu la confirmation de l'autorité judiciaire. En qualité de rapporteur de la section centrale de la Chambre des représentants, j'ai exposé les motifs pour lesquels les biens des bénéfices simples appartenaient aux églises, tandis que le gouvernement des Pays-Bas prétendait qu'ils appartenaient au domaine. La cour de cassation a décidé dans le sens de mon rapport.

Dans la question des pillages, on avait voulu, contrairement à mon opinion, mettre la responsabilité à la charge du gouvernement ; les tribunaux m'ont donné raison.

Dans la question des propriétés des cimetières il en a été de même, j'ai soutenu qu'ils appartenaient aux fabriques, cette opinion a encore été confirmée par l'autorité judiciaire.

A propos de ceci, qu'il me soit permis de dire que l'honorable M. Nothomb n'a pas contrevenu aux lois, en autorisant une fabrique à acquérir un cimetière. Si le gouvernement refuse l'autorisation aux fabriques, ce sont les communes qui font l'acquisition des terrains nécessaires à l'extension des cimetières ; qu'il me soit permis de citer l’honorable M. de Brouckere, le bourgmestre de Bruxelles, qui a insisté près du département de la justice, pour que les conseils de fabrique de la ville de Bruxelles pussent augmenter les cimetières ; il se plaignait de la charge qu'on voulait imposer à la ville.

Je crois avoir répondu à tous les points principaux de la discussion, je n'en dirai pas davantage, mais je maintiens que l'amendement que j'ai signé avec plusieurs amis est le plus rationnel, celui qui répond le mieux à la situation.

M. Gobletµ. - Je pense que la discussion actuelle a déjà assez duré et je suis certain que la Chambre, après le remarquable discours de M. le ministre de la justice, est suffisamment éclairée pour qu'en l'absence d'un projet de loi que nous ne connaissons pas, elle doive clore ce débat.

Je n'ai donc demandé la parole que pour motiver le vote qui j'émettrai en faveur du paragraphe du projet d'adresse et contre l'amendement qu'on propose d'y substituer.

Les honorables membres de la droite qui ont proposé cet amendement ont prétendu en motiver la nécessité en soutenant que le paragraphe du projet d'adresse n'était ni clair ni net ni précis ; il lui ont reproché de laisser des incertitudes dans les esprits sur la question spéciale qui nous occupe.

Pour moi, je pense que le reproche de manquer de clarté, de netteté et de précision peut bien plus justement s'adresser à l'amendement qu'au paragraphe ; l'amendement laisse tout en question, ne décide rien, tandis que le paragraphe du projet d'adresse constate les abus dont nous voulons la répression et dit formellement que les biens affectés au temporel des cultes sont laïques. Voilà pourquoi je vote ce paragraphe et je repousse l'amendement.

L'amendement, quoi qu'en disent ses auteurs, reconnaît si peu les abus, le fait du moins d'une manière si dubitative, que c'est comme s'ils en niaient l'existence. Grâce aux développements donnés par les auteurs, on doit supposer qu'ils entendent conserver cette illusion qu'en Belgique il existe encore des biens ecclésiastiques.

Messieurs, il y a des abus. Nos conseils communaux, nos conseils provinciaux, les Chambres elles-mêmes ont retenti, depuis longues années, des plaintes que soulevaient ces abus criants. Il n'existe aucun contrôle dans la gestion des biens de fabriques d'église.

Dans la législation actuelle, on impose aux communes des dépenses qu'elles ne seraient pas obligées de faire, si l'on administrait d'une manière convenable le temporel des cultes. Le recours à l'évêque n'en est pas un. Car ce recours à un homme qui est irresponsable, qui n'est pas tenu de vous donner de réponse, constitue une véritable dérision.

Il m'est d'un autre côté impossible d'admettre que dans notre pays, dans notre législation, il soit possible de posséder d'autres biens que des biens laïques.

En France, cela ne forme pas l'ombre d'un doute. En France, le décret de 1809 et la constitution de 1791 sont encore en vigueur, et malgré le concordat, qui reconnaît la religion catholique comme étant celle de la majorité des Français, personne n'admettrait le contraire.

En Belgique, il n'est pas un texte de loi, il n'est pas un mot dans notre Constitution ni dans nos lois qui puisse faire préjuger de la religion des citoyens, et vous voulez, malgré cela, que, dans notre pays où tous les biens sont régis par le Code civil, il y ait encore des biens ecclésiastiques.

N'objectez pas que la déclaration de 1789 devait être renouvelée en 1814, devait être renouvelée en 1830, pour continuer à exister, à avoir force de loi. Il était inutile, en 1814 et en 1830, de déclarer, par une loi, qu'il n'y avait plus deux espèces de biens, parce qu'on était en présence d'un état de choses qui n'en comportait qu'une seule : il n'y avait plus que des biens laïques, régis par le Code civil.

Messieurs, reconnaître des biens ecclésiastiques, c'est vouloir évidemment aller à rencontre de toutes les concessions que le progrès et la liberté ont obtenues. C'est vouloir reconnaître l'institution des paroisses comme institution officielle, c'est vouloir constituer un Etat dans l'Etat, c'est vouloir reconstituer une société dans la société ; en un mot, c'est vouloir reconstituer tout logiquement et tout naturellement la mainmorte eu faveur du clergé.

Si vous admettez l'existence des biens ecclésiastiques, ces biens deviendront en un temps donné la propriété du clergé catholique ; ils ne pourront plus, évidemment, être affectés au temporel du culte catholique d'une commune, lorsque cette commune aura changé de religion. Si, comme nous en avons eu plusieurs exemples dans notre pays, une commune entièrement catholique se fait protestante, que deviendront ces biens ?

S'ils ne sont pas des biens laïques, ils ne pourront retourner à l'Etat et demeureront tout logiquement des biens de la société religieuse.

Messieurs, je ne m'étendrai pas davantage sur ce point, la Chambre doit être suffisamment éclairée.

Quelques mots encore à l'honorable M. Dumortier. Qu'il me permette de lui dire que je ne crains nullement, en défendant la cause des communes, de mériter l'épithète de sacristain.

Je réponds, j'en suis convaincu, au vœu de la majorité, de la grande majorité du pays.

Non seulement parmi ceux qui marchent avec nous au dehors de cette enceinte, mais même parmi les citoyens qui marchent sous la même bannière politique que nos honorables adversaires, il en est beaucoup qui sont las de cette législation qui ne fait que provoquer répugnance et dégoût et qui décourage les autorités communales les mieux disposées.

Que l'honorable M. Dumortier se rassure, les deux grands partis auxquels nous appartenons réciproquement conserveront leur qualification de libéral et de clérical.

En défendant l'intérêt de tous, nous resterons libéraux, et dans cette circonstance comme dans d'autres, dans cette circonstance toute spéciale, les catholiques conserveront parfaitement leur qualification de cléricaux, en défendant les immunités, les privilèges que le clergé veut s'attribuer indûment.

Messieurs, on a beaucoup parlé de 1789, on a déclaré que cette époque a été féconde, parce qu'elle avait aboli la féodalité. Eh bien, 1789 a aboli beaucoup d'autres choses. 1789 a déclaré qu'il n'y avait plus de clergé comme corps politique ; 1789 n'a pas voulu une société dans la société ; 1789 a déclaré que l'indépendance du pouvoir civil serait constante, et abolissant les privilèges des castes et des individus, il a voulu que la soumission à la loi soit uniforme et générale.

Confiant dans les promesses du ministère, je suis convaincu qu'il présentera, dans la session actuelle, un projet de loi complet sur la matière, projet que la gauche tout entière pourra voter.

Par suite, je voterai le paragraphe tel qu'il a été rédigé par la commission et je repousserai l'amendement proposé par la droite.

M. Nothombµ. - Je ne serais pas rentré dans le débat, si l'honorable M. De Fré ne m'avait mis, hier, personnellement en cause, en m'imputant un fait qui doit toucher tous ceux qui ont eu l'honneur de prendre part au gouvernement du pays. L'honorable membre m'a accusé de violation des lois à propos de l'agrandissement de quelques cimetières.

Violation de la loi ! C'est un bien grand mot à propos d'une affaire fort simple et que la Chambre, j'espère, appréciera après quelque courtes explications que je demande la permission de lui soumettre.

Quand je suis entré au ministère de la justice, j'ai trouvé que trois ou quatre fabriques d'église, entre autres celle de la ville d'Ypres, celle de la commune de Wetteren, une autre de Bruxelles demandaient l'agrandissement des cimetières qui leur appartiennent. Cet agrandissement était signalé par toutes les autorités comme des plus urgents. Non seulement il s'agissait d'une question de dignité pour les inhumations et le respect dû aux morts, mais il y allait d'une grave question sanitaire. En un mot, il y avait péril en la demeure. C'est dans cet état que j’ai trouvé ces différentes affaires.

Je bornerai ma réponse à l'honorable M. De Fré par une seule citation que j'emprunterai au dossier, dont je dois la communication à l'obligeance de M. le ministre de la justice, ce dont je le remercie.

(page 215) Je trouve dans ce dossier, que je viens de parcourir à la hâte, une note manuscrite de moi, que je prie la Chambre de me permettre de lui lire. Toute la question y est résumée.

Il s'agissait de l'agrandissement du cimetière d'Ypres, et à la date du 7 juillet 1855, je mettais au dossier, en prenant ma détermination, la note suivante :

« L'agrandissement est signalé comme des plus urgents. Il faut donc s'arrêter à une décision. Je remarque que pour Ypres on a invité (n° 2 du dossier) le conseil communal à régler cet objet. Il n'en a rien fait. Au contraire, il persiste à demander l'autorisation dans le chef de la fabrique. II faut absolument sortir de cette impasse.

« J'admets pleinement que s'il s'agissait d'établir, de créer un cimetière nouveau, la fabrique est inhabile. C'est le droit ou plutôt l'obligation de la commune. Mais il s'agit ici d'agrandir un cimetière qui en droit, d'après le dernier état de la jurisprudence, peut appartenir à la fabrique et qui, en fait, lui appartient réellement, au moins pour Ypres ; cela est parfaitement justifié.

« La fabrique d'Ypres est donc propriétaire ; ne peut-on pas autoriser un propriétaire à agrandir sa chose ? Je le crois, et ce n'est pas être inconséquent vis-à-vis du principe général. On ne crée pas une situation nouvelle, on ne donne pas naissance à un droit nouveau. On maintient ce qui est. Pour devenir plus grand, le cimetière reste ce qu'il est. On n'innove pas.

« Je remarque encore que toutes les autorités sont d'accord pour demander l'autorisation dans le chef de la fabrique.

« J'estime que, vu l'extrême urgence, il faut autoriser immédiatement la fabrique d'Ypres à agrandir son cimetière. »

Telle est, messieurs, la décision que j'ai prise à cette époque, et voilà en quels termes je l'ai motivée. J'ai suivi cette marche pour la ville d'Ypres, pour la fabrique de Wetteren ; et quand j'ai quitté le ministère, le dépatlement s'occupait d'une question de ce genre concernant la ville de Bruxelles ; et comme l'a fait remarquer l'honorable M. de Theux, le chef de l'administration de Bruxelles attachait la plus grande importance à cette affaire ; il ne mettait pas en doute que la fabrique ne pût être régulièrement autorisée à agrandir son cimetière.

C'était l'opinion bien arrêtée de feu l'honorable M. Ch. de Brouckere. Je ne regrette nullement d'avoir pris cette décision, et dans une situation pareille je n'hésiterais pas à poser le même acte.

Il était commandé par la dignité du sentiment religieux comme par l'intérêt public, et toutes les autorités intéressées le réclamaient ; la commune, la fabrique et l'autorité provinciale.

Par l'autorisation donnée à la fabrique d'agrandir son cimetière, la commune était déchargée du soin très onéreux d'établir un cimetière nouveau.

Voilà, messieurs, les courtes observations que j'avais à présenter sur ce point.

L'honorable ministre de la justice vient de terminer son discours en faisant une revue rétrospective et en s'occupant particulièrement de la question de la charité.

Mon intention n'est pas de le suivre sur ce terrain où nous pourrions être entraînés très loin. D'ailleurs l'honorable ministre n'a fait qu'effleurer la question, et elle mérite certes les honneurs d'une discussion approfondie.

Ne pouvant pas m'y livrer dans ce moment, qui serait inopportun, je veux me borner à répondre quelques mots.

L'honorable ministre nous dit que dans la question de la charité nous avons voulu soustraire la charité au contrôle de l'autorité civile. Mais, messieurs, si jamais on a établi un contrôle sérieux, un contrôle méticuleux même, c'est bien dans ce projet de loi, et qu'il me soit permis de rappeler ici un souvenir qui m'est personnel et qui dépeint parfaitement la situation.

Peu de jours après le dépôt du projet de loi, je rencontrais un homme éminent qui n'est plus et qui s'était beaucoup occupé de ces matières et qui me dit :

« Vous venez donc de déposer le projet de loi sur la bienfaisance et vous appelez cela la liberté de la charité ! Elle est joliment arrangée notre liberté ! »

Voilà comment un homme connu par l'indépendance de son caractère et la franchise de ses opinions, appréciait mon projet.

Il s'est même servi d'une expression bien autrement énergique que je vous laisse à deviner !

- Un membre. - Il ne connaissait pas la Belgique.

M. Nothombµ. - Comment ! il ne connaissait pas la Belgique ! mais pendant plus de trente ans il s'était occupé de ses intérêts. Il connaissait parfaitement son pays qui l'a unanimement regretté et il était respecté, je le répète, pour la vigueur de son caractère, la franchise souvent rude de sa parole, pour son libéralisme sage et tolérant et son patriotisme à toute épreuve ! (Interruption.)

L'honorable ministre fait donc le procès à ce projet. Je lui cède, pour aujourd'hui, ce terrain ; mais il me fait à cette occasion un compliment aigre-doux que je n'accepte pas, en disant que c'était le projet le plus savamment réactionnaire que l'on ait jamais imaginé. Eh bien, ce projet a été jugé par des hommes placés dans une position de complète impartialité, il a reçu l'approbation d'un grand nombre d'hommes d'Etat et de publicistes en Europe, il a eu l'assentiment des esprits les plus libéraux, notamment de M. Guizot, dont l'honorable M. Lebeau a parlé ces jours derniers avec un si grand et si légitime éloge, assentiment, qui, fût-il isolé, me consolerait de cent sarcasmes de l'honorable M. Tesch ; il a été approuvé par M. Saint-Marc Girardin et tant d'autres que je pourrais citer.

Eh bien, l'approbation de ces hommes me dédommage de la critique posthume de l'honorable ministre de la justice.

M. De Fré. -— C'est de la glorification posthume.

M. Nothombµ. - Non, c'est de la défense ; je vous en prie, M. De Fré, ne m'interrompez plus, je ne vous al pas interrompu hier quand vous m'accusiez d'une énormité, et quand je me défends, laissez-moi parler.

Nous n'avons pas voulu soustraire la charité au contrôle de l'autorité publique, (Interruption.)

Vous m'avez opposé des banalités, je vais vous répondre par une considération générale et je vous dis : « Vous avez confisqué la liberté de la charité sous prétexte d'administration ; nous, nous avons voulu concilier la liberté avec l'administration. » voilà la différence entre les deux systèmes. Le vôtre a triomphé, soit ! Cela ne prouve pas que vous ayez raison : et le succès n'absout pas toujours !

Je laisse maintenant ce point et j'arrive à l'objet qui est plus spécialement en discussion.

M. le ministre de la justice nous a fait hier de nombreuses lectures, d'ailleurs très intéressantes ; il y a une autre lecture qui sera bien à sa place, c'est celle de notre amendement. Nous demandons simplement ceci :

« Les mesures qui nous seront soumises pour combler les lacunes dont l'existence serait constatée dans la législation relative à l'administration des fondations affectées aux études et des biens consacrés aux cultes, seront examinées par la Chambre avec la plus sérieuse attention, afin de concilier le respect dû à la propriété avec les nécessités d'une bonne gestion. »

Comme j'ai rédigé et signé cette proposition, la Chambre trouvera bon que je lui restitue en quelques mots sa véritable physionomie, que l'on a mal saisie ou défigurée.

C'est ainsi que nous avons entendu hier l'honorable M. De Fré parler constamment des biens du clergé, nous représenter comme voulant revendiquer ici les biens du clergé.

Il n'y a plus de biens du clergé. Personne, en Belgique, n'en connaît. s'agit de biens des fabriques. Ces biens, je les ai appelés, je le reconnais : biens ecclésiastiques. Pourquoi ? Parce que je n'avais pas d'autre expression, parce que ni la loi, ni les jurisconsultes n'en fournissent d'autre. Mais, par contre, j'ai défini bien clairement ce que j'entends par biens ecclésiastiques.

Je vais relire ma définition, parce que nous n'entendons pas, nies honorables collègues et moi, qu'on fasse prendre le change sur nos intentions et qu'à l'aide d'un mot, on vienne travestir notre pensée. Nous savons d'expérience ce que vaut l'abus d'un mot.

Voici ce que j'ai dit dans la séance du 7, à l'appui de notre amendement :

« Parcourez les arrêts comme les auteurs et vous verrez que ces biens sont appelés biens ecclésiastiques, c'est-à-dire biens appartenant, non pas aux églises ni aux ministres du culte, ni à aucune individualité, mais à une communauté de citoyens et devant servir à pourvoir aux besoins de leur culte.

« En ce sens les biens des fabriques sont les biens ecclésiastiques affectés particulièrement aux besoins du culte catholique. »

Telle est notre définition, et nous ne permettrons pas qu'on la falsifie.

Il ne s'agit donc pas de biens du clergé, et j'espère que l'honorable M. De Fré, s'il rentre dans la discussion, voudra bien désormais employer les expressions que nous employons, les seules que nous connaissions et qui puissent servir à une discussion sérieuse et loyale. Messieurs, dans le discours de l'honorable ministre de la justice, j'ai (page 2016) trouvé une déclaration que j'ai entendue volontiers et dont j'ai pris note à savoir que la propriété des biens de fabriques serait respectée.

M. le ministre nous a fait cette déclaration hier...

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Je la renouvelle aujourd'hui.

M. Nothombµ. - très bien. M. le ministre ne l'avait pas fait samedi d'une manière aussi formelle...

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Si ! si !

M. Nothombµ. - Permettez. Je ne nie pas qu'elle ne fût dans votre pensée, mais je constate que l'expression n'y était pas ; cette expression, nous venons de l'entendre, et j'avoue que j'aime mieux ça.

Messieurs, pour nous le point capital, c'est cette question de propriété. Tout à l'heure l'honorable M. Goblet prétendait que les biens des fabriques appartiennent à l'Etat. Précisément c'est cette signification-là que nous avons cru découvrir dans le projet d'adresse, c'est cette conclusion que nous combattons et contre laquelle nous avons présenté notre amendement.

Il est donc essentiel que la question de propriété soit remise en plus grande lumière, dans le plus de relief possible, et pour cela je vous demanderai, messieurs, de vous faire encore une lecture.

On a fait beaucoup de lectures depuis hier ; celle-ci ne sera pas très longue, et elle a le mérite de résumer parfaitement l'état de la question. La citation est empruntée, d'ailleurs, à un jurisconsulte étranger, et à ce point de vue, complètement désintéressé dans le débat, de manière qu'on ne puisse pas soupçonner de lui que la pensée politique reflète sur l'écrivain.

Voici ce passage :

« Les propriétés (des fabriques) forment-elles au profit des fabriques un droit complet ? ou bien la propriété réside-t-elle en réalité dans les mains de l'Etat, de telle manière que la fabrique ou l'église dussent être considérées comme de simples possesseurs ou usufruitiers ? Cette question a été discutée par Mgr Affre dans son excellent traité sur la propriété des biens ecclésiastiques avec une profondeur qui ne laisse rien à désirer.

« Nous entrerons nous-mêmes dans quelques détails, lorsque nous nous occuperons des biens du culte en général.

« Quant à présent, en nous bornant à ce qui touche aux biens des fabriqués, il nous semble facile de résoudre la question. Si l'on veut dire que les fabriques constituent des établissements de mainmorte, existant par la volonté de la loi civile, et auxquelles dès lors la puissance civile peut ôter la vie, si l'on ajoute qu'après les avoir ainsi anéanties, l'Etat s'emparera de leurs bien par une sorte de droit de déchéance, il est clair que, dans ce sens, les biens des fabriques peuvent toujours devenir la propriété de l'Etat. Mais ce serait là un abus de la puissance, et non l'exercice d'un droit régulier. Ce serait tuer un corps pour en hériter.

« La fabrique, comme l'église, est établie pour subsister à jamais et pour subvenir aux besoins religieux de toute population catholique. Tant que la fabrique sera maintenue, lui contester le droit de la pleine et entière propriété de ses biens, nous paraît la théorie la plus illégale que l'on puisse soutenir. Un corps de mainmorte constitue une personne capable de tous les actes de la vie civile, sauf les modifications imposées par les lois.

« Or, aucune loi n'a jamais dit que les corps légalement organisés ne fussent pas propriétaires de leurs biens ; leur acquisition et leur aliénation ont seulement été assujetties à des formalités dans l'intérêt de la masse des citoyens ; mais quand ils sont propriétaires, ils le sont aussi complètement que toute personne privée.

« Leur enlever leurs biens serait donc une spoliation ; leur en contester la pleine propriété serait les frapper de mort, en même temps qu'on leur donne une vie légale.

« Ainsi les fabriques étaient et sont encore propriétaires de leurs biens à un titre aussi complet que les individus. »

Ainsi s'énonce M. Gaudry, ancien bâtonnier de l'ordre des avocats à Paris, dans son Traité sur la législation des cultes, imprimé en 1854.

Je n'ai rien à ajouter à cette opinion, si nettement et si solidement établie.

En second lieu, notre proposition admet les nécessités d'une bonne gestion. Veuillez, messieurs, remarquer le mot « nécessité » ; je n'en connais pas déplus significatif ni de plus énergique.

Nous voulons une bonne gestion. Tout le monde sait qu'une bonne gestion est celle qui écarte les abus autant qu'il est possible de le faire.

Il y aura toujours des abus, ils dureront tant qu'il y aura des hommes. Nous ne pouvons pas nous flatter de les supprimer complètement, en ce qui concerne les fabriques d'église, pas plus que nous ne pouvons espérer de les faire disparaître tout à fait, en matière de bienfaisance publique, dans l'administration des biens communaux, comme dans celle de l'Etat.

J'ai donc le droit de dire que nous sommes d'accord avec M. le ministre de la justice sur deux points : le respect dû à la propriété et les exigences d'une bonne gestion. Toute bonne gestion implique nécessairement un contrôle et un contrôle sérieux, pourvu que, sous prétexte de ce contrôle, on ne touche pas au principe même.

Reste un troisième point : les lacunes dans la législation actuelle.

Nous admettons dans notre proposition l'hypothèse qu'il y ait des lacunes.

Nous ne sommes pas de ceux qui disent qu'il n'y a rien à faire. Il y a des imperfections ; nous ne disons pas à priori et d'une manière absolue, qu'il n'y en a pas.

Nous les trouvons dans telle partie de la législation, vous les voyez dans telle autre ; quand vous présenterez votre projet, nous les discuterons ces lacunes ; jusque-là, nous réservons notre liberté d'appréciation. Mais que M. le ministre de la justice en soit convaincu : lorsqu'il aura saisi les Chambres de son projet, nous examinerons ses propositions, sans prévention et avec le désir sincère d'aider à améliorer une législation qui serait reconnue défectueuse.

Je termine en disant que notre amendement traduit au fond la pensée de M. le ministre de la justice et que la conclusion logique de son discours serait qu'il le votât avec nous.

MiVµ. - Messieurs, je n'ai pas l'intention de discuter la question de savoir s'il est important et opportun de réviser la législation sur les conseils de fabrique : la Chambre connaît mon opinion à cet égard.

Mon honorable ami, M. le ministre de la justice, a démontré, du reste, la nécessité de cette révision, et d'un autre côté, l'honorable M. Nothomb vient de l'admettre lui-même : Il peut, a-t-il dit, y avoir des abus en cette matière et il ne demande pas mieux que d'aider le gouvernement à les faire disparaître.

Si donc je prends la parole, c'est uniquement pour donner quelques courtes explications sur un fait qui a été rappelé dans cette discussion, c'est-à-dire sur l'opinion émise par l'administration communale d'Ypres à l'occasion de l'arrêté royal du 31 août 1855, autorisant les conseils de fabrique d'Ypres à acquérir un terrain destiné à l'agrandissement du cimetière de cette ville.

Cet acte a été posé à une époque où j'avais l'honneur de faire partie de cette administration, en qualité d'échevin. Je tiens à bien préciser quelle était alors et qu'elle est encore aujourd'hui l'opinion de cette administration sur la question si controversée des cimetières.

Il est très vrai, messieurs, que l'administration communale d'Ypres a appuyé les demandes des conseils de fabrique d'église à l'effet de pouvoir agrandir les cimetières qui leur appartenaient et qui avaient été acquis par les fabriques en exécution d'un édit de 1784, si je ne me trompe.

Cette administration a donc pensé que les fabriques d'église pouvaient acquérir les terrains nécessaires pour cet agrandissement.

Messieurs, plusieurs opinions ont été émises sur la question de savoir à qui doivent appartenir les terrains consacrés aux inhumations.

D'après les uns, et c'est l'avis de l'honorable M. De Fré, les cimetières doivent être la propriété exclusive des communes ; d'après d'autres, ils doivent être la propriété des fabriques et, en tous cas, ils peuvent être la propriété de ces dernières.

Le conseil communal d'Ypres a pensé qu'il était assez indifférent que les cimetières appartinssent soit aux fabriques, soit aux particuliers, soit aux communes ; et voici pourquoi :

Les honorables membres qui soutiennent que les fabriques doivent être propriétaires des cimetières prétendent que du droit de propriété résultent, pour le propriétaire du cimetière, certains droits spéciaux.

Tout en reconnaissant que la commune a le droit d'exercer la police sur les cimetières, ils soutiennent que le propriétaire conserve, comme je viens de le dire, certains droits, et spécialement celui d'interdire l'entrée du cimetière à certaines personnes, et l'inhumation dans les cimetières des dépouilles mortelles des citoyens auxquels la sépulture ecclésiastique est refusée.

L'administration communale d'Ypres, tout en admettant que les fabriques peuvent être propriétaires des cimetières, tirait de ce principe des conclusions toutes différentes.

Elle disait que le droit de propriété absolue disparaît sous l'espèce de servitude légale dont ces cimetières sont frappés.

Elle soutenait que le droit de police et d'autorité, résultant du décret de prairial an XII, est, au contraire, absolu et sans réserve aucune et qu'ainsi, même dans un cimetière appartenant à une fabrique d'église la (page 217) commune a le droit d'ordonner les inhumations comme elle l'entend et sans que la fabrique ait rien à y dire.

Voilà pourquoi l'administration communale d'Ypres était d'opinion qu'il était assez indifférent que l'agrandissement du cimetière eût lieu au nom de la ville ou au nom des fabriques.

Il est à remarquer, messieurs, que le principe admis par cette administration et par quelques autres administrations communales n'est pas simplement une théorie ; cette administration l'a mise en pratique.

En effet, plusieurs fois avant et depuis cette époque, des personnes auxquelles on avait refusé la sépulture ecclésiastique ont été enterrées à Ypres dans le cimetière appartenant aux fabriques, et toujours elles l’ont été comme toutes les autres personnes sans distinction aucune, c'est-à-dire à la place indiquée par l'administration communale pour toutes les inhumations à faire dans la journée.

On a même été plus loin : Il y a quelque temps, une personne morte dans des circonstances telles que celles que je viens d'indiquer avait été enterrée à son numéro d'ordre ; la famille a demandé l'autorisation d'acquérir la parcelle de terrain où son parent était inhumé et d'y ériger un monument.

Cette concession et cttle autorisation ont été accordées et un monument a été élevé à la mémoire du défunt dont je viens de parler ; cependant la sépulture ecclésiastique lui avait été refusée.

Vous comprendrez qu'en présence d'un principe ainsi appliqué depuis de longues anuées, l'administration communale devait croire et doit croire encore qu'il était indifférent de savoir à qui appartient le sol du cimetière ; elle a donc pu admettre la demande faite par les conseils de fabriques à l'effet de pouvoir agrandir le cimetière qui leur appartient.

Il m'a paru que ces explications étaient nécessaires pour faire connaître les motifs qui ont guidé l'administration communale d'Ypres en cette circonstance, et je pense que si le principe qu'elle a adopté était admis partout, la solution de la question relative à la propriété des cimetières ferait un pas considérable et qu'on finirait par s'entendre facilement sur ce point encore si vivement controversé.

M. Moncheur. - Messieurs, je n'ai pas demandé la parole pour entrer bien loin dans le fond du débat ni pour faire un nouveau discours à ajouter à tous ceux que vous avez déjà entendus dans cette grave discussion ; mais j'ai cru nécessaire de vous donner une idée nette et précise du vœu émis par le conseil provincial de Namur et dont l'honorable ministre de la justice nous a entretenus hier et aujourd'hui.

Messieurs, j'ai eu recours, pour bien connaître moi-même la portée de ce vœu, aux procès-verbaux du conseil provincial de Namur.

C'est en 18337 que le fait a eu lieu. J'avais, à cette époque, l'honneur de faire partie de cette assemblée ; mais après 24 années, vous concevrez que les termes de sa résolution n'étaient plus présents à mes souvenirs.

J'ai donc trouvé dans le procès-verbal de la séance du 18 juillet 1837, ce qui suit :

« L'ordre du jour appelle la discussion du rapport de la première commission sur la proposition de M. Braas, tendante à émettre le vœu auprès de la législature qu'une loi oblige toutes les fabriques d'église de remettre, chaque année, leurs comptes aux administrations communales, pour les soumettre à l'approbation des députations permanentes.

« Quelques orateurs ayant été entendus, la discussion est fermée.

« Que l'on entend simplement charger les députations permanentes de vérifier et d'arrêter les comptes dont il s'agit, pour s'assurer si les dépenses sont appuyées des pièces justificatives, et si l'on n'a point outrepassé les allocations des budgets, tels qu'ils ont été arrêtés par les conseils de fabrique et approuvés par l'évêque. »

Voilà donc, messieurs, la pensée du conseil provincial telle qu'elle a été exprimée.

Je crois qu'il est intéressant de la connaître in terminis, parce que dans un sujet aussi grave chaque mot a sa portée.

Vous remarquerez d'abord, messieurs, que le vœu émis par le conseil provincial est expliqué d'une manière beaucoup plus nette, plus explicite que la proposition dont il avait été saisi.

Vous observerez en outre que les principes fondamentaux, quant à l'administration et à la nature des biens de fabrique, sont complètement réservés.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Il n'en est pas moins vrai qu'on reconnaît qu'il y a des lacunes.

M. Moncheur. - Ainsi, contrairement à |la proposition qui lui était faite, le conseil provincial n'admet point l'administration communale comme élément de contrôle possible des biens du conseil de fabrique.

Or, c’est là un point très important, puisque, comme on l'a dit, il faut éviter les conflits qui pourraient s'élever entre les conseils communaux et les conseils de fabrique.

Il faut éloigner toutes les petites tracasseries qui pourraient surgir dans l'appréciation des dépenses que les conseils de fabrique jugeraient nécessaires au point de vue du culte.

Le premier point que je constate donc, messieurs, dans l'expression du conseil provincial de Namur, c'est l'élimination de toute intervention des conseils communaux dans la gestion des conseils de fabrique.

La part de l'autorité communale est faite par la présence, de droit, des bourgmestres dans les conseils de fabrique.

Le conseil provincial de Namur a, en second lieu, maintenu implicitement la formation du conseil de fabrique, telle qu'elle existe aujourd'hui, car il ne touche en rien à cette formation, telle qu'elle est déterminée par le décret de 1809. C'est encore un point très important.

En troisième lieu, le conseil de fabrique ne touche non plus en rien au mode d'administration des biens de fabrique, ni à leur emploi. Il a soin, au contraire, de rappeler que les budgets et les allocations qu'ils contiennent sont arrêtés par les conseils de fabrique et approuvés par l'évêque, et il se borne à demander que les députations s'assurent que les dépenses sont appuyées de pièces justificatives, et que les allocations du budget ne sont point dépassées. C'est là un travail purement matériel.

Enfin, messieurs, le conseil provincial de Namur a été surtout bien loin de porter la moindre atteinte au principe fondamental que la propriété des biens destinés au culte réside dans le chef des conseils de fabrique même.

C'est là, je pense, le point capital et ce qui constitue la véritable question, la question palpitante d'intérêt qui vous divise.

En effet, qu'avons-nous entendu depuis hier, et que venez-vous d'entendre encore à l'instant même, messieurs ? Vous venez d'entendre que les biens des fabriques n'appartiennent pas aux fabriques.

Mais si les biens des fabriques n'appartiennent pas aux fabriques, à qui appartiennent-ils donc ? Est-ce à l'Etat ? sont-ils des biens du domaine, des biens nationaux ? Oui, répond l'honorable M. Goblet, et il proclame que c'est bien là le sens clair et positif du projet d'adresse qui vous est proposé. C'est, vous a-t-il dit, parce que le paragraphe de l'adresse qui porte que « les biens destinés aux cultes sont laïques » est parfaitement clair à cet égard, qu'il votera pour le paragraphe.

Eh bien, messieurs, quant à moi, c'est précisément aussi parce que la chose est si claire que je ne veux pas voter ce paragraphe ; c'est précisément parce que cette clarté frappe sans doute tous les yeux, comme ceux de M. Goblet, que je ne conçois pas que les membres de cette Chambre, qui prétendent vouloir maintenir le décret de 1809 sur ses bases principales, puissent voter le projet d'adresse tel qu'il a été rédigé par la commission. Il est évident que le paragraphe en discussion est une négation du décret de 1809, c'est le renversement de la propriété distincte des conseils de fabrique, et c'est parce que, comme on le dit, cela est tellement clair que cela saute à tous les yeux, que je ne veux pas donner la main à ce système nouveau.

Je reviens, messieurs, au vœu exprimé par le conseil provincial de Namur : j'ai cru devoir vous donner cette explication parce que ce corps est, comme on l'a dit, le premier qui ait exprimé l'opinion que des améliorations pourraient être utilement apportées aux dispositions du décret de 1809 sur les fabriques d'église, et j'ai tenu à ce que sa pensée fût exactement connue.

Quant à moi, je ne nierai point que des améliorations puissent être apportées à cette législation ; car je ne crois pas qu'il y ait une législation qui soit sortie parfaite de la main des hommes.

Sous ce rapport donc je me rallie complètement à l'amendement de quelques-uns de nos honorables collègues, amendement que j'aurais pu signer même si je n'avais été empêché d'assister à la séance où il a été déposé.

- Plusieurs membres. - Aux voix ! aux voix.

MpVµ. - La parole est à M. Van Humbeeck.

M. Van Humbeeckµ. - J'y renoncerai volontiers si la Chambre veut clore la discussion

- Plusieurs voix. - Non ! non ! parlez.

M. Van Humbeeckµ. - Le paragraphe de l'adresse qui, depuis trois jours, est, dans cette enceinte, chaleureusement critiqué par les uns, chaleureusement défendu par les autres, comprend, en définitive, deux appréciations seulement : l'une relative aux biens qui régissent le temporel des cultes, l'autre relative aux biens qui concernent les études.

Cette double appréciation consiste à dire, que la législation qui régit l'une et l'autre catégorie de biens doit être révisée. Mais à côté de ces (page 218) deux appréciations il y a un mot, le mot « laïques », qui produit sur les esprits des adversaires du paragraphe une impression beaucoup plus profonde que les appréciations elles-mêmes,

Chaque fois que l’on est entré dans les questions de détail, on les a examinées avec un esprit parfaitement calme, et la discussion a été exempte de toute passion. Mais lorsque l’on est arrivé à l'examen de ce mot « laïques », la discussion a pris des allures plus vives. La preuve de la grande importance qu'on attache à la suppression de ce mot, se trouve dans les discours que viennent encore de prononcer les deux derniers honorables préopinants, MM. Nothomb et Moncheur. Quant à moi, je crois qu'il n'est pas possible que ce mot « laïques » soit abandonné, surtout après les commentaires dont la discussion l'a entouré.

Avant cette discussion, oh ! la suppression, à mon avis, n'eût pas eu une grande importance. Dans la pensée de la commission, les mots « biens laïques » signifient simplement : biens pour la conservation desquels l'Etat a un droit de contrôle ; biens sur la gestion desquels l'Etat a un droit dc surveillance. Ils ne signifient rien dc plus ; ils formaient redondance avec le second membre de la phrase dans lequel ils se trouvent. Mais pour leur donner une importance bien autre, on s'est hâté d'opposer à ces mots « biens laïques », les mots « biens ecclésiastique »s ; pour faire produire à cette antithèse tous ses effets, on s'est empressé encore d'exagérer le sens de l'un et de l'autre terme.

De ces mots « biens laïques », qui, dans la pensée de la commission d'adresse, avait une signification excessivement anodine, on a fait presque le synonyme de biens nationaux. Les mots ont même été prononcés ; tout au moins on a dit que c'étaient des biens destinés à être placés immédiatement sous la mainmise nationale. Du mot « ecclésiastiques », qu'on allait chercher dans les auteurs, on a fait tout autre chose que ce que les auteurs en font.

Si les auteurs modernes emploient encore les mots « biens ecclésiastiques », en s'occupant des biens des fabriques, c'est qu'ils se préoccupent alors tout simplement du but auquel ces biens sont destinés, c'est-à-dire du temporel des cultes, et non pas de la propriété même dc ces biens.

Dans cette discussion les mots « biens ecclésiastiques » ont été d'abord employés dans le sens que leur donnent les auteurs, parce qu'on se fondait sur leur autorité ; mais les orateurs de la droite ont bientôt donné à ces mots un commentaire éloquent en en faisant l'équivalent de biens « appartenant à la société spirituelle » ; les mots ont été prononcés par les honorables MM. Van Overloop et Notelteirs.

Poussant plus loin que tous les conséquences de sa théorie, ce dernier a émis des considérations qui feraient supprimer tout contrôle, puisqu'il ne comprenait pas, disait-il, qu'il y eût une comptabilité relative à ces biens vis-à-vis d'autres que le propriétaire même, c'est-à-dire l'Eglise.

M. Notelteirs. - Je ne repousse pas tout contrôle ; mais je demande un contrôle sérieux.

M. Van Humbeeckµ. - Messieurs, savez-vous ce qu'il y a dans cette théorie ? Il y a tout simplement, les mots employés le démontrent, il y a le droit de posséder, reconnu à la société spirituelle, droit de posséder qui suppose, pour la société spirituelle, la personnification civile.

Comme conséquence directe des diverses considérations qui ont été produites, on doit aboutir à reconnaître que l'Eglise est aujourd'hui un être moral et que cet être moral a le droit de posséder.

On a dit plus, on a dit qu'elle devait nécessairement avoir ce droit, qu'aucune loi ne pouvait le lui refuser, parée qu'il se fondait sur un besoin impérieux, sur une nécessité.

Messieurs, je vous étonnerai peut-être, mais si l'on s'était borné là, la théorie préconisée sur les bancs de la droite ne m'aurait pas épouvanté encore.

J'aurais pu y souscrire ; je n'y aurais demandé qu'un corollaire ; j'aurais demandé que cette personnification civile, qu'on prétend exister déjà de par nos lois ou devoir être créée par elles, fût traitée aussi sur le même pied que les autres personnifications civiles.

Une personne civile ne peut exister que de par la loi. Tout ce qui concerne la personne civile, son existence comme ses attributions, dérive nécessairement de la loi.

Celle-ci peut modifier les conditions de son existence ; elle doit veiller à ce que ces conditions ne puissent jamais compromettre l'ordre social.

Aussi, quoi de plus naturel que d'exiger un droit de contrôle, qui se justifie d'ailleurs par cette seule considération, que les biens consacrés au temporel du culte ne sont pas seulement le patrimoine de la génération présente, mais aussi des générations à venir ; que si les générations à venir s'en trouvaient privées elles demanderaient à la société civile de réparer la brèche faite à leur patrimoine par une mauvaise gestion.

Il y a donc un intérêt puissant à l'établissement d'un contrôle efficace, et l'on est mal venu à prétendre qu'il ne puisse pas être établi ou à essayer de le rendre illusoire.

On a été cependant jusqu'à nier le droit de contrôle du pouvoir civil. En revendiquant pour l'Eglise la personnalité civile, on a revendiqué pour elle une liberté absolue même comme personne civile. On a dit que, pour toucher à la législation du temporel du culte, il fallait accorder à l'Eglise une liberté plus grande ; qu'une semblable réforme ne pouvait se concevoir dans un autre but.

Pour justifier cette théorie on s'est appuyé sur la Constitution. En la citant, on faisait une confusion évidente. On s'appuyait sur l'article qui proclame la liberté des cultes.

Or invoquer un pareil texte en faveur d'une personnalité civile, c'est évidemment se jeter dans l'hérésie juridique la mieux caractérisée. La Constitution consacre un droit politique en consacrant la liberté des cultes, les droits politiques sont précisément ceux que les personnes civiles n'exercent pas.

C'est une confusion qu'il suffit de signaler pour faire écarter les considérations qui ont été produites relativement à ce point du débat.

La liberté de fonder une personne civile n'est donc écrite nulle part dans la charte de nos libertés politiques ; elle ne peut être considérée comme une conséquence dc la liberté des cultes. Nulle part non plus vous ne trouvez cette personnification décrétée en faveur de l'Eglise.

Nous voulons, messieurs, dans l'ordre spirituel, intellectuel, dans le domaine dc la conscience, une liberté, une indépendance absolue, sans contrôle ; mais à côté de cette liberté illimitée, sans contrôle dans l'ordre intellectuel, nous voulons que la propriété dans le chef dc l'Eglise, si elle doit être considérée comme personne civile, soit réglementée.

Vous, nos adversaires, vous voulez donner la liberté dont vous jouissez comme individus composant la société spirituelle, liberté à laquelle vous avez droit, que personne ne peut vous contester, vous voulez la donner, dis-je, à cette même société spirituelle érigée en personne civile à l'effet de régir les intérêts temporels du culte ; là, encore, vous voulez une indépendance illimitée.

C'est trop ; nous ne pouvons y consentir ; avec ces deux libertés combinées, dont l'une est un droit, dont l'autre serait un privilège, vous mettriez la société moderne en péril.

Vous nous ramèneriez à l'ancienne organisation du clergé ; à son ancienne et fatale puissance, telle qu'elle existait avant 1789 ; l'œuvre de 1789 serait détruite.

Nous voulons au contraire rester fidèles aux principes que les idées de 1789 ont fait prévaloir, en matière dc création de personnalités civiles ; nous voulons les maintenir ; nous voulons particulièrement les appliquer en ce qui concerne la gestion des biens affectés au temporel des cultes.

Vous avez prétendu qu'en ce qui concernait le temporel des cultes l'œuvre de 1789 a été une véritable spoliation ; pour moi je trouve qu'en ce qui concerne les biens du clergé, l'œuvre de 1789 a été malhabile ; mais de là à y voir une spoliation, il y a loin.

Cette spoliation n'existe pas. Une société s'écroulait ; une nouvelle société se formait ; dans l'ancienne société le clergé jouissait de la personnification civile, dans la nouvelle société on lui ôte cette personnalité ; que deviennent alors les biens ? Les biens étaient sans maître ; d'après toutes les législations, les biens sans maître devaient retourner à l'Etat, il n'y. avait pas d'autre sort à leur assigner.

Il est d'autant plus inexact de dire qu'il y a eu spoliation, que dans le même décret qui attribue à l'Etat les biens du clergé, il est dit que l'Etat pourvoira à tous les besoins du culte.

Le seul motif qui a fait rétablir les institutions chargées de pourvoir aux intérêts temporels du culte, les fabriques, ce motif est respecté par le décret de 1789 ; le moyen seul diffère.

Ce n'est pas sans un étonnement profond que j'ai entendu un jurisconsulte soutenir dans cette enceinte qu'on ne pouvait se rallier à l'œuvre de 1789 qu'à une condition : c'était de soutenir que la propriété n'est pas un droit naturel, mais est une création de la loi. La propriété est un droit naturel, mais pour que la propriété soit de droit naturel, il faut qu'il s'agisse de l'être appelé par les lois naturelles à devenir propriétaire, de l'homme physique, dans ses rapports avec les choses extérieures destinées à composer son patrimoine.

Mais invoquer le droit naturel de propriété à propos d'êtres qui sont la création de la loi, à propos d'êtres fictifs, c'est la plus incroyable des confusions ; si le mot n'était pas peu parlementaire, si je ne craignais de froisser celui qui a avancé cette théorie, ce qui est loin de mes intentions, je dirais que c'est la plus inconcevable des absurdités.

(page 219) La distinction que je viens de signaler et qui doit être faite, a été d'ailleurs produite à l’assemblée constituante. Voici ce que disait M. Thouret :

« Il faut distinguer entre les personnes, particuliers ou individus réels, et les corps qui forment dans l'Etat des personnes morales ou fictives.

« Les individus et les corps diffèrent essentiellement par la nature de leurs droits et par l'étendue d'autorité que la loi peut exercer sur ces droits.

« Les individus existant indépendamment de la loi et antérieurement à elle, ont des droits résultant de leur nature et de leurs facultés propres, droits que la loi n'a pas créés, mais qu'elle a seulement reconnus, qu'elle protège et qu'elle ne peut pas plus détruire que les individus eux-mêmes. Tel est le droit de propriété relativement aux particuliers.

« Les corps au contraire n'existent que par la loi ; par cette raison, elle a sur tout ce qui les concerne et sur leur existence même, une autorité illimitée. Les corps n'ont aucun droit réel par leur nature, puisqu'ils n'ont pas même de nature propre. Ils ne sont qu'une fiction, une conception abstraite de la loi qui peut les faire comme il lui plaît, et qui après les avoir faits, peut les modifier à son gré.

« Ainsi la loi, après avoir créé les corps, peut les supprimer, et il y en a cent exemples.

« Ainsi la loi a pu communiquer aux corps la jouissance de tous les effets civils, mais elle peut examiner s'il est bon qu'ils conservent celle jouissance.

« Ainsi la loi qui a pu leur permettre de posséder des biens, peut ensuite le leur défendre.

«. Le droit qu'a l'Etat de porter une pareille décision sur tous les corps qu'il a admis dans son sein, n'est pas douteux, parce qu'il a dans tous les temps et sous tous les rapports une puissance absolue non seulement sur leur mode d'exister, mais encore sur leur existence. La même raison qui fait que la suppression d'un corps n'est pas un homicide, fait que la révocation de la faculté accordée aux corps de posséder des fonds de terre, ne sera pas une spoliation. »

On ne peut trouver nulle part un hommage au droit naturel de propriété plus positif, plus net, plus énergique, que dans cette dernière phrase, où on dit que le droit de propriété est aussi sacré que le droit de vie ; mais la propriété donnée à la personnalité civile n'est pas plus sacrée que la vie fictive donnée à cette personnalité !

Mais laissons de côté ces reproches adressés au décret de 1789.

Ne nous occupons pas davantage de savoir si le décret de 1789 a été ou n'a pas été publié en Belgique. Peu importe qu'il ait été publié ou non, on ne niera pas que toutes les lois françaises, toutes les constitutions françaises, toutes les dispositions qui ont modifié l'ancien ordre social, ont eu force de loi en Belgique. On ne niera pas que les dispositions qui ont enlevé au clergé la personnification civile, ont dû recevoir leur application dans ce pays. Or, dès l'instant où ces dispositions devaient recevoir leur application en Belgique, il est évident que les biens appartenant au clergé devaient retourner à l'Etat.

Le concordat est venu changer le nouvel ordre de choses que le décret de 1789 avait établi. Mais dans quelles limites ? Le concordat a-t-il rendu au clergé la personnification civile ? Non, messieurs. Le concordat a stipulé seulement la mise à la disposition du clergé des édifices et des objets qui devaient servir au culte.

En même temps, le concordat a stipulé que des fabriques seraient érigées auprès de chaque paroisse.

Qu'est-ce que ces fabriques ? Comment faut-il les concevoir ? Là est le nœud de la question qui nous occupe ; là nous verrons s'il faut appeler les biens dont les fabriques disposent, biens laïques ou biens ecclésiastiques.

Vous le savez, sous l'empire des idées nouvelles, à tort ou à raison, c'était un devoir pour l'Etat de subvenir aux besoins du culte. Pour que ce devoir pût être rempli, le concordat avait stipulé certaines restitutions et, en même temps, avait stipulé l'érection des fabriques.

Pour que l'Etat pût remplir ces devoirs, il avait le choix entre trois moyens.

Il pouvait y subvenir directement par des allocations qui auraient été portées au budget et qui auraient servi, non pas seulement au traitement des ministres des cultes, mais à tous les besoins du temporel. C'est à ce moyen que le décret de 1789 s'était arrêté.

Il y avait un second moyen : l'Etat pouvait donner à la société spirituelle la personnification civile et lui permettre de subvenir ainsi elle-même à ses besoins. Il pouvait, de cette personnalité civile, exiger toute garantie qui lui eût paru nécessaire.

Enfin il y avait un troisième moyeu, c'était de charger du temporel du culte un être tiers. A cet être tiers, on aurait accordé les moyens nécessaires pour l'accomplissement des devoirs de l'Etat, et l'on aurait veillé à ce qu'il ne se servît de ces moyens que pour l'accomplissement de ses devoirs.

On a reculé devant la personnification civile et peut-être a-t-on eu tort.

En l'entourant de certaines garanties, comme je l'ai dit tout à l'heure, elle pouvait fournir une excellente solution du problème.

On a combiné les deux autres moyens. Pour ce qui concerne les traitements des ministres des cultes, l'Etat y a pourvu directement, comme on continue à y pourvoir.

Pour l'entretien des églises, pour les autres dépenses nécessaires au prestige du culte, on a institué un établissement public chargé d'y pourvoir.

Cet établissement public, c'est la fabrique. La fabrique, messieurs, est donc un établissement public auquel l'Etat délègue l'accomplissement d'une partie des obligations qui lui incombent envers les cultes, obligations que l'Etat devrait remplir lui-même, s'il n'avait pas créé un être moral pour les remplir en son lieu et place.

Messieurs, dans les fabriques ainsi créées, voyez-vous la moindre représentation de la société spirituelle ? Pour ma part, je ne puis l'y voir.

Je vois plutôt dans les fabriques, telles qu'elles sont constituées aujourd'hui, un démembrement de l'Etat chargé de subvenir aux besoins temporels de la société spirituelle.

Et ce qui me confirme dans ces idées, ce sont les vicissitudes qu'a subies cet établissement dans ses différentes organisations.

Dans une première organisation, celle de 1806, si je ne me trompe, il y avait deux fabriques : une fabrique était chargée de veiller à l'entretien de tous les biens qui, avant le concordat, étaient biens nationaux non aliénés, et avaient ensuite été rendus à leur destination primitive. Les membres de cette fabrique étaient nommés par le préfet. Pour ce qui concernait les aumônes, c'est-à-dire pour ce que l'administration du temporel des cultes pouvait recevoir en dehors de ce que l'Etat avait abandonné, une fabrique était nommée par l'évêque.

Entre ces deux établissements il y avait des conflits, des conflits incessants ; pour que ces conflits n'existassent plus, le décret de 1809 est intervenu. Dans ce décret de 1809, faut-il voir comme principe dominant une renonciation de l'Etat à une partie de son droit de contrôle, une diminution de ce droit ?

Je crois plutôt à l'idée contraire, qui se justifierait par les principes, tandis qu'une renonciation partielle au droit de contrôle ne pourrait être justifiée par aucune considération.

Voici comment mon appréciation se justifie par les principes.

Un établissement public, fabrique ou autre, n'existe que pour répondre à des besoins ; du moment que les biens de cet établissement pourraient être supérieurs à ces besoins, il pourrait y avoir un danger social. De là un droit de contrôle de l'autorité civile, non seulement sur ce que l'Etat a abandonné aux fabriques, mais sur ce qu'elles peuvent acquérir d'autre part.

Voilà la véritable étendue du droit de contrôle, tout cela n'a rien d'effrayant pour ceux qui sont pénétrés des principes du droit. Ce n'est pas là une théorie d'absorption. Il s'agit de règles communes à tous les êtres moraux.

Ce que je viens de dire, messieurs, me paraît démontrer suffisamment que la fabrique doit être considérée comme un corps laïque et qu'en considérant les biens des fabriques au point de vue du propriétaire, il faut les nommer « biens laïques », comme on pourrait les nommer « biens ecclésiastiques ", en ne les considérant que dans leur destination.

L'honorable M. Nothomb nous a fait une citation empruntée à Portalis. Si c'est la même citation qui m'est tombée sous les yeux et qui est reproduite par Dalloz, je remarque que dans le passage où Portalis traite les biens des fabriques de biens ecclésiastiques, il dit en toutes lettres que la fabrique est un corps laïque.

Or, à quel point de vue voulez-vous vous placer pour la qualification de ces biens ?

Il est évident que si vous vous placez au point de vue de la qualité du propriétaire, c'est de laïques qu'il faut les qualifier.

Cependant, d'après ce que je vous ai exposé au début de mon discours, il résulte de toute cette discussion que la droite, en combattant le mot « laïque », l'a surtout combattu en prenant en considération le propriétaire des biens, dans lequel elle veut voir la communion religieuse revêtue de la personnification civile.

C'est pour cela qu'au début de la discussion, nous pouvions tenir assez peu au mot « laïques, » mais que nous devons y tenir beaucoup maintenant. Des théories étranges ont été produites, des idées surannées se sont (page 220) fait jour ; le mot « laïques » sera une protestation contre ces théories étranges, contre ces idées surannées.

A cette protestation voudront s'associer tous ceux qui revendiquent le nom de libéraux.

(page 235) M. Van Overloop. - On vient de faire allusion aux paroles que j'ai prononcées samedi. Je ne m'attendais réellement pas à avoir, à l'occasion de cette improvisation, l'honneur d'une réponse aussi étendue que celle que vient de me faire l'honorable préopinant.

Si je ne craignais de froisser l'honorable M. Van Humbeeck, je serais forcé de dire que les doctrines qu'il vient de professer, bien examinées, ne sont, au fond, que les doctrines du plus pur socialisme. D'après ces doctrines, il appartiendrait à l'Etat seul de constituer une personne civile, ce que je reconnais.

- Un membre. - A la loi.

M. Van Overloop. - A la loi ou à l'Etat, c'est parfaitement la même chose, je parle du souverain.

Il appartient donc à la loi seule de constituer des personnes civiles. Nous sommes d'accord sur ce point.

En second lieu, d'après la doctrine de l'honorable M. Van Humbeeck, il appartiendrait aussi à la loi de supprimer les personnes civiles. Nous sommes encore d'accord sur ce point.

Mais, d'après la théorie de l'honorable membre, il appartiendrait encore à l'Etat de s'attribuer les propriétés des personnes civiles qu'il aurait supprimées, et ici nous ne sommes plus d'accord du tout. Je n'admets pas qu'on puisse tuer une personne pour en hériter. (Interruption.)

Et voilà la doctrine à laquelle l'honorable M. Frère vient d'applaudir. (Interruption.)

J'appelle l'attention de l'honorable M. Frère et de tous ceux qui font partie de sociétés anonymes sur les conséquences de cette doctrine, car enfin une société anonyme est une personne civile à temps. (Interruption.)

Il appartiendrait donc à l'Etat de mettre la main sur les biens des sociétés anonymes, il n'aurait qu'à dire : « Je supprime telle société anonyme ; par conséquent ses biens m'appartiennent. » (Interruption.)

Je voudrais bien que l'honorable M. Frère m'indiquât quelle différence, autre que la durée, il y a entre une société anonyme et une autre personne civile. (Interruption.)

Je puis me tromper, je n'ai pas l'orgueil de prétendre que je ne me trompe jamais, mais ma doctrine est excessivement simple.

D'après le droit naturel, une société est une agrégation d'hommes unis dans un but donné, et, tout ce que l'homme peut faire individuellement, des hommes réunis peuvent le faire.

Or, si une société formée dans un sens quelconque non prohibé peut posséder, une société religieuse peut posséder comme une société financière, industrielle, scientifique, littéraire ou d'agrément.

Mais il peut se faire que certaines sociétés aient des besoins permanents, et ici je rentre dans l'ordre d'idées de l'honorable M. Tesch, qui considère les besoins du culte comme des besoins sociaux.

Si une société a des besoins permanents, l'Etat, non pas directement dans l'intérêt de cette société, mais dans l'intérêt de l'Etat lui-même, accorde à la société la personnification civile.

Eh bien, messieurs, c'est ce que l'Etat a fait pour les sociétés religieuses catholiques, protestantes ou israélites.

On parle toujours de l'état antérieur à 1789, et l'on perd de vue qu'il y avait alors le clergé proprement dit et, en outre, les fabriques d'église ; on ne distingue pas les biens du clergé des biens des fabriques, qui ont seuls été restitués, et de cette confusion proviennent les erreurs déplorables que l'on développe.

Une société existant ou étant créée personne civile par la loi, la loi peut la soumettre à certaines conditions ; par exemple, à des conditions de contrôle, à des conditions de bonne administration; mais, quand on veut combler des lacunes sous ce rapport, dans quel sens faut-il agir ?

Evidemment c'est dans le sens du but en vue duquel la personne civile a été créée et non pas dans un sens hostile à ce but. Eh bien, qu'on veuille bien me répondre, est-ce dans un sens favorable aux nombreuses sociétés religieuses appelées paroisses que l'on veut modifier la loi sur les fabriques d'église ?

J'admets pleinement, messieurs, les principes de 1789 en tant qu'ils proclament la liberté, l'égalité, la fraternité, la souveraineté nationale, etc., mais je ne puis pas du tout admettre les principes de 1789 en ce qui concerne les rapports entre l'Eglise et l'Etat.

D'un autre côté, messieurs, je n'aime pas à entendre toujours invoquer en Belgique les principes de 1789. Je prends souci de la dignité historique de mon pays, et tous ces principes de liberté, d'égalité, de fraternité, étaient des principes belges bien avant 1789.

Il semblerait vraiment, à entendre certaines personnes, que nous ne datons que de 1789.

Nous devons des bienfaits au mouvement de cette époque, mais nous ne lui devons pas tout.

J'arrive aux rapports entre l'Eglise et l'Etat, tels qu'ils avaient été établis en 1789.

Il y avait à l'assemblée nationale un parti anticatholique dont le plan était de ruiner l'Eglise pour l'asservir, de l'asservir pour l'avilir et de l'avilir pour la détruire.

Je sais qu'il s'est élevé dans l'assemblée nationale des protestations magnifiques contre cette tendance ; mais je n'ai pas oublié que les protestations contraires aux actes sont de nulle valeur.

Il y avait à l'assemblée nationale un comité ecclésiastique composé d'hommes hostiles à l'Eglise et de quelques membres du clergé, qu'on y avait appelés, paraît-il, pour dissimuler le but qu'on voulait atteindre.

Permettez-moi, messieurs, de jeter un coup d'œil rapide sur les événements qui justifient ce que j'ai dit, samedi, des principes de 1789, relatifs aux rapports de l'Eglise et de l'Etat et de la doctrine de l'assemblée nationale sur le droit de propriété.

M. Necker ayant exposé à l'assemblée la nécessité d'un emprunt, un membre émit l'avis qu'il était plus simple de s'emparer des biens du clergé.

Les discours des opposants furent interrompus par des cris de menaces partis des tribunes. C'est alors que Sieyès lui-même s'écria : « Vous voulez être libres et vous ne savez pas être justes. » (Interruption.)

La discussion porta d'abord sur les dîmes ecclésiastiques, auxquelles l'archevêque de Paris déclara renoncer au nom du clergé.

De grands applaudissements accueillirent cette déclaration.

Un mois plus tard, la proposition d'établir un nouvel impôt ayant été faite, on indiqua les biens du clergé comme constituant une ressource suffisante pour couvrir les besoins de l'Etat.

Puis, un membre de la gauche de l'assemblée proposa de dépouiller les autels de leurs ornements et de leurs vases sacrés, sous prétexte que « le plus bel appareil du culte était la magnificence de la nature. »

Cette motion fut accueillie avec des transports frénétiques.

Le clergé effrayé finit par consentir à l'abandon de toute la portion d'argenterie qui n'était pas indispensable à la défense du culte divin.

Ce sacrifice ne fil que précipiter les événements qu'on avait en vue de prévenir. L'archevêque de Paris, M. de Juigné, couvert peu de temps auparavant d'applaudissements, dut fuir à l'étranger. On demandait la tête des députés ecclésiastiques.

Enfin Talleyrand proposa la confiscation de tous les biens du clergé, pour subvenir aux besoins de l'Etat.

Il invoquait, à l'appui de sa proposition, le principe « que la nation est propriétaire des biens ecclésiastiques. »

Le système de Talleyrand était :

Réduction des revenus des titulaires qui paraîtraient trop considérables.. Attribution à chaque curé de 1,200 fr. par an au moins avec le logement.

Suppression des maisons religieuses. Pensions au clergé.

Le cardinal Maury combattit avec une rare éloquence la proposition de Talleyrand, et personne n'osa se lever pour lui répondre.

M. Orts. - Il n'était pas encore cardinal alors.

M. Van Overloop. - Vous avez raison, il n'était que simple abbé, mais il est devenu cardinal.

Je continue.

Lors du transport de l'assemblée à Paris, on fit courir des listes de proscription signalant Maury « comme le plus grand ennemi du peuple. »

La proposition de Talleyrand ayant été reprise, Treilhard mit en avant ce principe : « Les personnes, les choses, tout est soumis à la nation. » (Interruption.)

C'était l'ancien principe de Louis XIV.

J'ai donc eu raison de dire que l'assemblée considérait la propriété comme étant, non de droit naturel, niais d'institution civile.

Elle supprimait donc l'homme, être réel, au profit de la société, être abstrait.

C'était le retour au paganisme.

Maury, Mirabeau, frère du célèbre orateur, et quelques autres empêchèrent de nouveau l'adoption de la proposition.

Mais on voulait la faire passer à tout prix. Des bandes aimées de piques se rendirent dans les environs de l'assemblée, vociférant d'atroces menaces ; Maury demanda en vain la parole.

Enfin, le 4 novembre 1789, la proposition fut adoptée par 568 voix contre 346 et 40 abstentions.

La peur avait éloigné plusieurs membres ; la peur dicta le vote de plusieurs autres.

(page 236) Louis XVI, déjà prisonnier dans son palais, sanctionna le décret.

Mais il ne suffisait pas d'avoir décrète la mise à la disposition de la nation des biens du clergé, il fallait expulser les détenteurs.

A cet effet, dès février 1790, on proposa de décréter l'état constitutionnel du clergé.

Dans le courant du même mois, l'assemblée abolit les vœux et supprima les ordres et les congrégations religieuses.

On ne protestait pas moins « du plus profond respect pour la religion, pour cette institution divine qui seule peut rendre les hommes justes et heureux ». (Interruption.)

C'est de l'histoire, messieurs.

L'assemblée déclarait même : « que son attachement au culte catholique, apostolique et romain ne saurait être mis en doute. » (Interruption.)

Au nombre des membres de l'assemblée si attachés au culte catholique, apostolique et romain, se trouvait, je pense, Menou, qui plus tard, se lit mahométan.

Sur ces entrefaites, les passions populaires avaient été surexcitées à tel point que Cazalès et Maury faillirent être massacrés.

On se rappelle que Maury entendant crier : A la lanterne ! répondit : « En verrez-vous plus clair ?... »

Des pétitions, des protestations arrivaient inutilement à l'assemblée. On les traitait de libelles séditieux.

La constitution civile du clergé fut la conséquence logique des principes de l’assemblée.

Son but était de détruire la religion en portant la confusion dans la hiérarchie et le désordre dans sa discipline.

Le clergé refusant d'obtempérer à cette constitution, le serment fut décrété.

Je ne vous rappellerai pas, messieurs, le massacre des prêtres, la proclamation de la déesse Raison. Je ne vous rappellerai pas davantage ce que devint, l’ordre religieux étant détruit, l’autorité royale. (Interruption)

Je saute d'un trait de 1789 à 1830, pour abréger.

Ai-je eu raison de dire que, au point de vue des rapports de l'Eglise et de l'Etat, les principes de 1789 sont le contre-pied des principes de 1830 ?

La constitution civile du clergé est des 12 juillet-24 août 1790.

Elle défend de reconnaître l'autorité d'un évêque siégeant à l'étranger ;

Elle défend aux évêques de faire aucun acte de juridiction sans en avoir délibéré avec un conseil déterminé ;

Elle attribue la nomination des évêques et des curés aux corps électoraux, composés de personnes professant des cultes divers ou n'en professant aucun.

Elle accorde aux curés contre l'évêque un recours à la puissance civile, etc.

Il suffit de mettre ces principes en regard de l'article 16 de la Constitution pour être convaincu que l'on ne peut, sans violer notre pacte fondamentale, appliquer, en Belgique, les principes de 1789 sur les rapports de l'Eglise avec l'Etat.

(page 220) M. Orts. - Au risque d'être accusé de violer la Constitution par l'honorable préopinant, chaque fois qu'on viendra combative 1789, je me lèverai pour le défendre. Chaque fois que dans cette enceinte j'entendrai révoquer en doute que les principes proclamés en Belgique en 1830 sont les principes proclamés en 1789, à ce moment solennel qui marque, comme on l'a dit sur les bancs de la droite, l'heure de l'émancipation du genre humain, je protesterai au nom de 1830 en faveur de 1789, et ma protestation ne sera jamais isolée, j'en ai la ferme conviction.

Je m'étonne à bon droit d'entendre celle violente accusation contre les principes de 1789, après l'éclatant hommage que leur ont rendu, dans leurs discours, plusieurs amis politiques de l'honorable M. Van Overloop, les honorables MM. de Decker, Malou et Nothomb. L'honorable M. Van Overloop n'a qu'à chercher dans ces discours une réponse à son improvisation.

Messieurs, je ne suivrai pas l'honorable M. Van Overloop dans le cours d'histoire de France qu'il vous a improvisé, son cahier de notes à la main, je me bornerai à remarquer que dans la première partie de cette dissertation, l'honorable membre oublie, tout en voulant faire de l'histoire vraie, de vous montrer un côté important de ce long débat de 89 sur la nationalisation des biens du clergé.

II a parlé de la pression, de la terreur exercée sur les membres de cette illustre assemblée.

Je le rappelais tout à l'heure dans une interruption, ces hommes dont nous sommes les héritiers ont fait à leurs opinions des sacrifices qui devraient au moins les mettre à l'abri de l'accusation de lâcheté.

Mais en parlant de pression, l'honorable historien improvisé n'a pas tout dit.

La grande mesure de la nationalisation des biens du clergé proposée à l'assemblée nationale, ne fut pas seulement défendue par ce que l'honorable M. Van Overloop appelle la gauche d'alors, pour établir une solidarité entre cette gauche et la gauche de cette Chambre, solidarité que nous ne répudions nullement, je prie l'honorable membre de le croire. Ceux qu'il appelle la gauche d'alors n'étaient, pas exclusivement pris dans les rangs des libéraux laïques.

L'honorable membre a oublié que parmi les défenseurs de la nationalisation des biens du clergé, figurait un grand nombre d'ecclésiastiques.

L'aristocratie religieuse la combattait, le bas clergé sorti du peuple y applaudissait des deux mains.

Quatre ou cinq orateurs du clergé, cardinaux, archevêques et évêques, présents ou futurs, portant des noms aristocratiques, ont pris part à cette discussion et se sont élevés contre la mesure. Mais un nombre au moins égal de curés de campagne, de simples abbés, en ont pris la défense.

Et comme la nationalisation souriait aux instincts démocratiques du bas clergé, que fit-on pour presser sur sa volonté ? On fit intervenir un bref du pape Pie VI, adressé au cardinal de la Rochefoucauld, bref excommuniant à l'avance les membres du clergé qui voteraient l'incapacité de l'Eglise de posséder.

Voilà la pression dont l'honorable M. Yan Overloop a oublié de parler dans son cours d'histoire.

Messieurs, l'honorable M. Van Overloop se trompe encore ou oublie, lorsqu'il nous reproche d'ignorer ce qui se passait en Belgique et en France avant 1789.

Nous, les ignorants, nous appelons les fabriques des corps laïques - leurs biens, des biens laïques. - Nous n'y connaissons rien. Les fabriques restaurées avec le concordat de 1801, sont ce qu'elles étaient avant 1789, d'après l'honorable préopinant, et nous n'en savons pas le premier mot.

Je relève le défi.

Voulez-vous savoir, messieurs, comment on appelait les fabriques et leurs biens en Belgique avant 1789 ? Moi, qui n'improvise pas comme l'honorable M. Van Overloop, j'ai devant moi une citation préparée d'avance, et que je comptais vous lire, je l'avoue. Elle est empruntée à un auteur que l'on peut consulter avec toute confiance sur les matières ecclésiastiques anciennes, un auteur nullement libéral et qui n'a jamais siégé sur les bancs d'une gauche quelconque. Voici comment s'exprime M. Durand de Maillane, dans son Dictionnaire du droit ecclésiastique, v Flandre :

« Philippe II ne permit la publication du concile de Trente dans les Pays-Bas que sous la restriction, notamment, qu'il ne serait rien innové aux lois et ordonnances qui donnaient exclusivement aux magistrats et aux laïques, - vous l'entendez, le mot est vieux, - l'administration et la surintendance des hôpitaux, fondations et autres établissements de bienfaisance.

Lorsque Louis XlV voulut après la conquête de la Flandre, y introduire les lois françaises, les magistrats du pays conquis lui adressèrent des remontrances qui arrêtèrent, quant aux établissements de bienfaisance, l'exécution de l’édit de 1695 sur la juridiction ecclésiastique.

On suit sur ce point exactement en Flandre, disaient-ils, les lois des fondations qui ont donné aux seules administratifs laïques - et de deux - le droit de les faire exécuter et de les gouverner ; les magistrats dans les villes, les juges royaux, les lois ou officiers et échevins des villages ont la surintendance de ces fondations, ils en entendent les comptes ; ils ont été maintenus dans ce droit par des sentences et des arrêts, toutes les fois que les évêques les y ont voulu troubler.

« Cela a formé une instance au conseil entre le saint évêque de Tournai et les magistrats du lieu ; ce corps a fait voir qu'il a titre pour connaître de l'exécution des fondations de même que les magistrats des autres villes de Flandre : qu'il ne s'agit que d'une chose purement temporelle qui ne regarde que l'exécution des testaments et des intentions des fondateurs dont il n'appartient pas aux évêques de se mêler, suivant les lettres des archiducs d'Autriche, gouverneurs des Pays-Bas.

« Elles portent des défenses à l'officiat et à l'évêque de Tournai, de rien entreprendre à ce sujet ; et par leurs réponses ils ont paru abandonner cette prétention.

« ... Les biens des pauvres (que l'on appelle pauvreté dans le pays) et même ceux des fabriques (fabriques, vous l'entendez !) ne consistent que dans des aumônes ou des fondations à la charge de quelques obits ou messes, acceptées par les marguilliers à ces conditions.

« Le mandement de Jean, duc de Bourgogne, confirmé par l'ordonnance de Philippe, son successeur, et l'édit de l'empereur Charles-Quint, attribuent cette administration aux personnes laïques, de même que la juridiction aux juges laïques, suivant les édits sur les synodes de Cambrai et de Malines. »

Ainsi donc avant 1789 dans notre pays il y avait, pour gérer les biens des fabriques, des personnes laïques. Elles adoptaient les principes laïques comme règle de leur administration et puisque en général, ainsi que l'a très bien dit l'honorable M. Van Humbeeck, les biens quand on veut les qualifier empruntent leur qualification à leurs propriétaires, les biens des fabriques laïques pouvaient s'appeler laïques (Interruption), ou je ne comprends plus le français.

Maintenant ce qu'on disait dans notre pays on le disait aussi en France.

L'honorable M. Nothomb m'a mis au défi de citer un jurisconsulte qui ait jamais nommé les biens de fabriques, biens laïques. C'est un mot que vous créez, me dit-il, un mot gros de futures énormités.

L'honorable M. Van Humbeeck a déjà répondu à ce défi. Il a rappelé que l'autorité invoquée par l'honorable M. Nothomb était précisément là pour le contredire la première, que Dalloz, citant Portalis dans son Répertoire, appelait les fabriques des corps laïques.

M. Nothombµ. - Je l'ai dit moi-même.

M. Orts. - Les biens des corps laïques ne sont-ils pas alors des biens laïques, comme les biens des communes sont des biens communaux ? (Interruption.)

Je vais vous donner mieux encore, messieurs, je vais vous citer des autorités qui ne laissent aucune place à l'équivoque.

Vous avez parlé de Portalis. Portalis, dans une lettre écrite en sa qualité d'administrateur des biens de l'époque et datée du 4 prairial an XI, lettre transcrite au Répertoire du journal du palais, s'explique sur le caractère des biens donnés aux fabriques d'église antérieurement à 1789, en France.

Rappelant l'origine de leur patrimoine, il dit :

« Ces sortes d'établissements étaient dotés éminemment par des biens-fonds, par des rentes de toute espèce, par des donations purement laïcales. »

Ainsi c'est la donation elle-même, c'est l'objet donné qui est purement laïcal avant 1789 en France.

M. Nothombµ. - Il y a biens ecclésiastiques dans le même passage.

M. Orts. - L’honorable M. Nothomb se trompe parfaitement. Dans la lettre que j’ai ici et qui est très longue, le mot qu’il indique ne se trouve pas. (Interruption.)

Je la lirai si vous contestez.

M, Nothombµ. - Nous ne pouvons établir la discussion là-dessus.

(page 221) M. Orts. - Vous voyez donc, messieurs, que l'expression est ancienne.

M. Nothombµ. - Pas du tout.

M. Orts. - Comment pas du tout ! Si l'on dit que les biens donnés sont des donations laïcales, ils sont bien laïques.

M. B. Dumortier. -Est-ce que vos biens sont laïques ?

M. Orts. - Certainement.

M. B. Dumortier. - Servez-vous donc du langage ordinaire.

M. Orts. - Je dis que mes biens, à moi, sont des biens parfaitement laïques, comme ma personne est laïque.

- Plusieurs voix à droite. - Oh ! oh !

M. Orts. - Cela est incontestable. (Interruption.)

M. Wasseigeµ. - Les biens des militaires sont donc des biens militaires.

MpVµ. - Je prie les honorables membres de ne pas interrompre.

M. Orts. - J'aime les interruptions, mais je désire qu'on les fasse assez haut pour que je puisse les comprendre. Je n'ai pas compris une seule de celles qu'on vient de m'adresser et je le regrette.

M. Wasseigeµ. - On ne les permet pas.

M. Orts. -Je reprends donc et je dis : Puisque les propriétaires sont appelés laïques, les biens doivent être appelés laïques.

L'expression laïque n'a pas d'autre portée. Vous ne pouvez vous insurger contre elle, à moins que vous n'en preniez prétexte pour donner à l'adresse un sens que je n'y attache pas, et qu'on vous a signalé tout à l'heure.

La raison de tout ce tapage est facile à saisir. Le mot inverse à « laïque » est celui qu'on voudrait voir dans l'adresse. La droite voudrait dire, au moins implicitement, qu'il y a des propriétés religieuses et que le propriétaire est l'Eglise.

Et l'on-ne voit pas quand on élève cette prétention...

M. Nothombµ. - Qui a dit cela ?

M. Orts. - Vous n'êtes pas seul ici, M. Nothomb. Je conçois que certaines solidarités vous gênent, mais cela n'empêche que parmi vos collègues, parmi ceux qui ne négligent aucune occasion de se proclamer de vos amis, il en est qui tiennent ce langage.

L'honorable M. Van Overloop a dit : L'Eglise est une société. Toute société doit pouvoir posséder pour exister ; donc l'Eglise est propriétaire des biens qui constituent le temporel des cultes.

Cette prétention, je le répète, est insoutenable ; l'énoncer c'est retourner d'un siècle en arrière ; vous, M. Nothomb, personnellement, vous ne la soutiendrez pas, et pourtant c'est pour arriver à pareil résultat que vous faites opposition à la rédaction de l'adresse, que vous proposez votre amendement.

M. Van Overloop. - Je n'ai pas dit ce que vous me faites dire.

M. Orts. - Comment ! Mais vous avez même, à ce propos, comparé l'Eglise à une société anonyme ! J'ai fort bien compris et je n'ai pas compris seul. Permettez-moi une observation. Votre manière d'envisager la position de l'Eglise vis-à-vis de l'Etat est tout ce qu'il y a de plus dangereux pour un homme qui a à cœur les véritables intérêts de l'Eglise. Réfléchissez-y bien.

Pourquoi soutenons-nous que les biens des fabriques sont laïques ? Pourquoi nous sommes partisans de la séparation de l'Eglise et de l'Etat séparation qui assure à l'Eglise le plus précieux des biens, la liberté ? Si l'Eglise est une société que l'Etat doit reconnaître, l'Etat doit, après l'avoir reconnue, l'attirer dans son sein et s'arroger sur elle, comme sur tous les corps moraux qu'il crée des pouvoirs que, moi, je ne reconnaîtrai jamais à l'Etat sur l'Eglise que je veux indépendante.

Vous oubliez en outre que s'il y a des biens ecclésiastiques comme vous voulez le faire proclamer, que si l'Eglise en est propriétaire, que si le conseil de fabrique n'est qu'une sorte de gérant, d'administrateur pour compte de l'Eglise, vous oubliez qu'alors il faut régir les biens de l'Eglise non plus par les lois civiles, mais par les lois canoniques ; qu'ils deviennent inaliénables !

Vous oubliez que si ces biens sont en dehors de la société civile, ils sont régis par d'autres principes que les principes civils et qu'il faudra d'autres tribunaux, d'autres juridictions que les juges civils pour décider les questions qui les concernent.

Il y a dans un pareil système d'autres dangers encore, que signalait l'honorable M. Van Humbeeck ; possibilité de la suppression des établissements qui auraient dans leurs mains un intérêt religieux, et cette suppression vous mènerait à l'absorption par l'Etat des biens dont ils étaient dépositaire, car le propriétaire supprimé, les biens sont vacants et sans maître. (Interruption.)

« On n'hérite pas de ceux qu'on assassine, avez-vous dit. La théorie de l'honorable M. Van Humbeeck enseigne à tuer un homme pour avoir son héritage, c'est du socialisme ! »

L'honorable M. Van Overloop n'a pas vu jusqu'où son accusation de socialisme avait porté, je vais le lui montrer.

Lorsque les jésuites ont été supprimés, l'honorable M. Van Overloop peut trouver cela dans les sources de son cours d'histoire, sans grande peine, le fait n'est pas de beaucoup antérieur à 1789, qu'il a tant étudié, lorsque le pape Clément XIV a supprimé les jésuites, lorsque l'impératrice Marie-Thérèse et le roi de France tous deux souverains catholiques par excellence ont supprimés les jésuites, qu'ont-ils fait des biens des jésuites : Ils les ont bravement réunis au domaine de l'Etat.

Le pape l'a fait, l'impératrice Marie-Thérèse l'a fait, le roi de France, le roi très chrétien l'a fait sans hésiter, et je ne crois pas que cela les ait empêchés d'obtenir l'absolution après. (Interruption.) C'est de l'histoire très positive et je défie qu'on me contredise. Et puisque pape, impératrice et roi l'ont fait sans qu'on leur ait refusé l'absolution, je ne vois pas pourquoi nous serions plus difficiles que ceux qui ont absous. (Nouvelle interruption.) Eh bien, nous, messieurs, nous n'allons cependant pas jusque-là : nous demandons le maintien du mot « laïques » par les raisons que donnait tout à l'heure l'honorable M. Van Humbeeck à qui je suis bien désolé d'emprunter la plupart de mes arguments, car je ne saurais les présenter aussi bien que lui ; nous demandons le maintien du mot « laïques » parce que nous ne voulons pas que l'on mette dans l'adresse le mot contraire, parce que ce mot contraire emprunterait toute son importance aux commentaires qu'il a reçus des discours de la droite.

Est-ce à dire que par là nous avons manifesté, soit dans l'adresse, soit dans aucun des discours partis de nos bancs, une intention quelconque hostile à la propriété de ces biens ?

J'ai dit au nom de la commission, et je crois que c'est ce qu'il y a de plus caractéristique pour bien préciser notre pensée : Le droit de la fabrique d'église sur les biens, est le même droit que celui de la commune sur le bien communal, que le droit du bureau de bienfaisance sur le patrimoine du pauvre.

Croyez-vous que l'on puisse placer un droit, après pareilles assimilations, sous une protection plus efficace et plus respectable ? Nous mettons le droit des fabriques sur la même ligne que celui du bureau de bienfaisance et de la commune, nous l'assimilons au droit sacré du pauvre sur l'aumône, au droit de la commune, de ce qu'après la famille nous avons en Belgique de plus cher, de plus respecté ; au droit que nous défendons avec le plus d'énergie, chaque fois que la prérogative communale est en jeu.

Voilà ce que nous demandons. Nous n'avons pas été jusqu'à vous laisser entrevoir la possibilité d'une suppression législative des fabriques d'église. On l'a supposé sur les bancs de la droite dans la citation empruntée tout à l'heure par l'honorable M. Nothomb au livre de M. Gaudry : je ne crois pas à une pareille énormité, aussi longtemps (ce qui veut dire toujours dans un siècle sage, dans un siècle que n'agitent pas les tourmentes révolutionnaires, non de 1789 mais de 1793), aussi longtemps que le pouvoir civil reconnaîtra le devoir de veiller à ce que les intérêts religieux obtiennent les légitimes satisfactions qui leur sont dues, il n'est pas à craindre que l'on songe jamais à supprimer les fabriques d'église. Je ne crois pas à une pareille éventualité, je ne l'ai pas laissé entrevoir.

Rassurez-vous donc sur nos intentions : jamais nous ne songerons à toucher à la propriété que la loi garantit aux fabriques d'église pas plus que nous ne songerons jamais à dépouiller les pauvres de leur patrimoine, ni les communes de leurs prérogatives ou de leurs biens.

Voilà, messieurs, ce que je tenais encore à expliquer à la Chambre avant le vote, et je maintiens fermement le mot « laïques » dans l'adresse.

- Voix nombreuses. - Aux voix ! la clôture !

- La clôture est mise aux voix et prononcée.

MpVµ. - Avant de continuer, messieurs, je dois faire part à la Chambre d'une demande de congé qu'adresse M. de Rongé, retenu par la maladie grave de M. son père.

- Le congé est accordé.


MpVµ. - Voici, messieurs, le paragraphe de l'adresse sur lequel la Chambre vient de clore la discussion :

« Les biens affectés aux études et au temporel des cultes sont laïques ; le pouvoir civil est comptable envers la société de leur bonne gestion. Les lacunes que présente la législation qui les régit aujourd'hui une fois constatées ne peuvent être tolérées davantage sans défaillance vis-à-vis d'un devoir social. »

Voici l'amendement proposé par MM. de Theux et consorts :

« Les mesures qui nous seront soumises pour combler les lacunes dont l'existence serait constatée dans la législation relative à l'administration (page 222) des fondations affectées aux études et des biens consacrés aux cultes, seront examinées par la Chambre avec la plus sérieuse attention, afin de concilier le respect dû à la propriété avec les nécessités d'une bonne gestion.»

Je mets l'amendement aux voix.

- Plusieurs membres : L'appel nominal !

- Il est procédé à l'appel nominal.

101 membres y prennent part.

44 membres répondent oui.

57 membres répondent non.

En conséquence, l'amendement n'est pas adopté.

Ont répondu oui : MM. Rodenbach, Royer de Behr, Tack, Thibaut, Van Bockel, Vander Donckt, Van de Woestyne, Van Overloop, Van Renynghe, Vermeire, Verwilghen, Vilain XIIII, Wasseige, Beeckman, Coppens-Bove, Debaets, Dechamps, de Decker, de Haerne, de Liedekerke, de Man d'Attenrode, de Mérode-Westerloo, de Montpellier, de Naeyer, de Pitteurs-Hiegaerts, de Ruddere de Te Lokeren, de Smedt, de Terbecq, de Theux, B. Dumortier, H. Dumortier, d'Ursel, Faignart, Janssens, Julliot, Kervyn de Lettenhove, Kervyn de Volkaersbeke, Landeloos, le Bailly de Tilleghem, Magherman, Mercier, Moncheur, Notelteirs et Nothomb.

Ont répondu non : MM. Orts, Pierre, Pirmez, Pirson, Prévinaire, Rogier, Sabatier, Savart, Tesch, A. Vandenpeereboom, E. Vandenpeereboom, Vanderstichelen, Van Humbeeck, Van Iseghem, Allard, Ansiau, Braconier, Crombez, Cumont, Dautrebande, de Baillet-Latour, de Boe, de Breyne, de Bronckart, de Brouckere, Dechentinnes, de Florisone, De Fré, de Gottal, de Lexhy, de Moor, de Paul, de Renesse, de Ridder, Devaux, Dolez, Frère-Orban, Frison, Goblet, Grandgagnage, Grosfils, Guillery, Hymans, Jacquemyns, Jamar, M. Jouret, Lange, Laubry, C. Lebeau, J. Lebeau, Lesoinne, Loos, Moreau, Mouton, Muller, Orban et Vervoort.


MpVµ. - Je mets aux voix le paragraphe du projet d'adresse.

M. B. Dumortier. - Je demande le vote par division et par appel nominal.

MpVµ. - Votre proposition consiste à faire voler d'abord sur ce premier membre de phrase : « Les biens affectés aux études et au temporel des cultes sont laïques. »

M. B. Dumortier. - C'est cela.

- Il est procédé au vote par appel nominal.

En voici le résultat :

99 membres répondent à l'appel nominal.

43 membres répondent non.

56 membres répondent oui.

En conséquence, la Chambre adopte.

Ont répondu non : MM. Rodenbach, Royer de Behr, Tack, Thibaut, Van Bockel, Vander Donckt, Van de Woestyne, Van Overloop, Van Renynghe, Vermeire, Verwilghen, Vilain XIIII, Wasseige, Beeckman, Coppens-Bove, Debaets, Dechamps, de Haerne, de Liedekerke, de Man d'Attenrode, de Mérode-Westerloo, de Montpellier, de Naeyer, de Pitteurs-Hiegaerts, de Ruddere de Te Lokeren, de Smedt, de Terbecq, de Theux, B. Dumortier, H. Dumortier, d'Ursel, Faignart, Janssens, Julliot, Kervyn de Lettenhove, Kervyn de Volkaersbeke, Landeloos, le Bailly de Tilleghem, Magherman, Mercier, Moncheur, Notelteirs et Nothomb.

Ont répondu oui : MM. Orts, Pierre, Pirmez, Pirson, Prévinaire, Rogier, Sabatier, Savart, Tesch, Alphonse Vandenpeereboom, Ernest Vandenpeereboom, Vanderstichelen, Van Humbeeck, Van Iseghem, Allard, Ansiau, Braconier, Crombez, Cumont, Dautrebande, de Baillet-Latour, de Boe de Breyne, de Bronckart, de Brouckere, Dechentinnes, de Florisone, De Fré, de Gottal, de Lexhy, de Moor, de Paul, de Renesse, de Ridder, Devaux, Dolez, Frère-Orban, Frison, Goblet, Grosfils, Guillery, Hymans, Jacquemyns, Jamar, M. Jouret, Lange, Laubry, Ch. Lebeau, J. Lebeau, Lesoinne, Loos, Moreau, Mouton, Muller, Orban et Vervoort.

MpVµ. - Je mets aux voix le reste du paragraphe :

« Le pouvoir civil est comptable envers la société de leur bonne gestion. Les lacunes que présente la législation qui les régit aujourd'hui une fois constatées ne peuvent être tolérées davantage sans défaillance vis-à-vis d'un devoir social. »

- Cette seconde partie du paragraphe est adoptée.

L'ensemble du paragraphe est également adopté.

- La séance est levée à 4 heures et demie.