Accueil Séances Plénières Tables des matières Biographies Livres numérisés Note d’intention

Chambres des représentants de Belgique
Séance du vendredi 6 juin 1862

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1861-1862)

(page 1481) (Présidence de M. Vervoort.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. Thienpont, secrétaireµ, procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.

M. de Florisone, secrétaire, donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Thienpont, secrétaireµ, présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre.

« Les membres du conseil communal d'Exel déclarent s'engager à céder gratuitement les terrains communaux incultes qui pourraient être compris pour la construction du chemin de fer de Liège à Tongres et de Hasselt à Eindhoven, par Zonhoven, Hechtel, etc., si la législature accorde le minimum d'intérêt de 4 p. c. à la société concessionnaire de cette ligne. »

« Même déclaration des membres des conseils communaux de Hechtel et de Peer. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Les membres du conseil communal de Houffalize demandent que le projet de loi concernant des travaux d'utilité publique comprenne la concession, sur le territoire belge, du chemin de fer projeté de Sedan vers Coblence, par Herbeumont, Neufchâteau et Bastogne. »

« Même demande des membres du conseil communal de Morhet. »

- Même renvoi.


« Le conseil communal de Thuillies prie la Chambre d'accorder à la compagnie Delval la concession d'un chemin de fer de Manage vers Chimay, par Thuin, Thuillies et Beaumont. »

- Même renvoi.


« Des habitants de Tillier demandent la construction du chemin de fer de Namur à Landen. »

« Même demande d'habitants de Waret-la-Chaussée. »

- Même renvoi.


« La veuve Vanderswalm demande un congé pour son fils, milicien de la levée de 1862. »

- Même renvoi.


« Les huissiers audienciers du tribunal de Tongres prient la Chambre d'élever le chiffre de leurs émoluments et de leur allouer un traitement fixe et annuel pour le service intérieur du tribunal. »

- Renvoi à la commission chargée d'examiner le projet de loi sur l'organisation judiciaire.


« Des greffiers de justices de paix dans l'arrondissement de Namur demandent que le projet de loi sur l'organisation judiciaire assimile, dans leurs revenus, les greffiers des justices de paix aux commis greffiers des tribunaux de troisième classe. »

- Même renvoi.


« M. Henri Dumortier, obligé de s'absenter par suite du décès d'un proche parent, demande un congé de deux jours. »

- Accordé.

Prompts rapports de pétitions

M. Vander Donckt, rapporteur. - Par pétition datée de Poperinghe, le 10 mars 1862, la dame Bouteca, dentellière à Poperinghe, demande une réduction sur le droit de patente dont elle est frappée.

Par pétition datée de Clercken, le 25 avril 1862, des échevins, membres du bureau de bienfaisance et répartiteurs à Clercken, se plaignent que l'administration impose à l'école des pauvres de cette commune une patente de fabrication de la dentelle.

Par pétition datée de Bruges, le 1er avril 1862, la dame Lierman, supérieure-mère des sœurs religieuses Maricoles à Bruges, se plaint d'un droit de patente auquel elle est imposée du chef d'une école d'apprentissage de dentelles.

Par pétition datée de Zarren, le 29 mars 1862, le sieur Lefevre, curé à Zarren, se plaint d'un droit de patente auquel est imposée la maîtresse de l'école d'apprentissage de dentelles qu'il a ouverte dans cette commune et demande le remboursement des payements qui lui ont été réclamés de ce chef.

Par pétition datée de Thielt, le 5 mai 1862, la dame Jourdan se plaint d'un droit de patente auquel elle est imposée du chef de fabrication de dentelles et demande qu'il soit ordonné une enquête sur les faits qui motivent cette imposition.

Par pétition sans date, la dame Vermandere, directrice d'une école dentellière à Pitthem, se plaint de ce qu'on lui impose une patente comme fabricante de dentelles.

Messieurs, la commission a examiné successivement les diverses considérations que les pétitionnaires ont fait valoir respectivement à l'appui de leurs requêtes, ainsi que les griefs dont ils se plaignent.

La première pétition est présentée par Adèle Bouteca ; elle signale l'état de malaise et de grande gêne où. elle se trouve ; elle réclame une diminution sur sa patente, vu que, déjà réduite, en quelque sorte, à la misère, et soutenant à peine son école, sans autre ressource pour pourvoir à ses besoins, elle deviendrait finalement une charge du bureau de bienfaisance, si elle devait être contrainte à payer une patente aussi forte que celle dont elle est frappée, ainsi que ses autres charges et contributions.

La deuxième pétition émane des échevins, membres du bureau de bienfaisance et répartiteurs à Clercken ; ils exposent que l'école qui existe dans cette commune a été instituée sur les instances de l'autorité supérieure ; que cette institution a été subventionnée sur les fonds de l'Etat, de la province et de la commune ; que l'école est un véritable atelier d'apprentissage qui n'a jamais été astreint au droit de patente ; qu'il y a trois ans seulement qu'on a voulu lui imposer de force une patente.

Les membres du conseil communal et les répartiteurs, chacun de son côté, se sont opposés autant que possible, ont protesté contre cette imposition parce que l'atelier d'apprentissage avait existé depuis longtemps sans être frappé du droit de patente.

On ne comprend pas comment on peut lui imposer un droit de patente alors qu'il remplit toutes les conditions d'un atelier d'apprentissage. C'est cependant ce qui arrive dans la commune de Clercken.

Les ateliers d'apprentissage ou écoles professionnelles pour les autres objets de fabrication sont partout exempts de la patente, tandis que le seul atelier d'apprentissage de dentellières à Clercken est imposé contre l'avis du conseil communal, du bureau de bienfaisance, qui subsidient régulièrement et annuellement l'atelier d'apprentissage, et contre l'avis des répartiteurs qui se sont vivement opposés à l'imposition de la patente.

La troisième pétition est de la dame Lierman, supérieure, mère des sœurs religieuses Maricoles à Bruges, qui se plaint aussi d'être imposée d'un droit de patente du chef d'une école d'apprentissage de dentelles. Après avoir été vivement sollicitée de signer une déclaration de patente, elle a réclamé ; elle s'est adressée à la députation permanente ; pendant qu'elle était en instance auprès de la députation, les agents du fisc ont redoublé de sévérité et d'exigence pour lui faire payer la patente sans qu'elle ait reçu aucune solution, aucune décision de la part de la députation permanente.

Cependant, comme elle était en quelque sorte mise en demeure, menacée d'exécution, elle s'est soumise, et depuis la députation, le gouverneur lui a fait savoir plus tard que sa demande ne pouvait être prise en considération que pour autant qu'elle fût écrite sur timbre, appuyée de quittances justifiant du payement des termes échus. De son côté la pétitionnaire proteste positivement contre la qualification de marchande de dentelles, ce qu'elle conteste formellement ; elle déclare que jamais elle n'a profité en rien, que le profit retourne aux pauvres apprenties dentellières et aux écoles qu'elle entretient dans la ville de Bruges.

(page 1482) La quatrième pétition est du sieur Lefebvre, curé à Zarren, qui se plaint également d'un droit de patente imposé à la maîtresse d'école d'apprentissage de dentelles qu'il a organisée dans cette commune et demande le remboursement des payements qui lui ont été réclamés de ce chef.

Voici dans quels termes le pétitionnaire s'exprime :

« Révolté de voir mon droit tel que j'en avais la conscience, si ouvertement violé et ne sachant, dans mon ignorance des lois fiscales, comment me faire rendre justice, je défendis à la maîtresse de payer la patente ; j'avouerai que j'espérais qu'on reculerait devant l'odieux d'une saisie de meubles qui d'ailleurs n'appartenaient point à la prétendue fabricante. Nous eûmes le déboire d'assister à un petit scandale dans ma paisible paroisse. Mes meubles furent vendus aux enchères le dimanche à l'issue de la grand-messe ; il me fallut aussi racheter mes propres meubles et en payer tous les frais.

« Entre-temps, j'eus connaissance de la circulaire de M. le ministre des finances, du 10 novembre 1859, qui exige que les enfants apportent elles-mêmes les matières premières, et emportent la matière fabriquée, pour en disposer à leur gré, et décide qu'un établissement monté sur ce pied n'est pas patentable.

« Pour éviter les difficultés ultérieures, j'annonçai aux écolières que dorénavant elles avaient à se procurer les dessins et les matières premières où elles voudraient, et qu'elles disposeraient à leur gré de leur dentelle. Dès l'année 1860 nous avons suivi cette marche ; elle a été publiée dans toute la commune, nous avons donné connaissance de ce changement par lettre au receveur des contributions. Dans le courant de l'année 1860 je remplaçai les maîtresses laïques par des religieuses, sans rien changer à l'apprentissage.

« Voilà, messieurs, dans quelles conditions je me vis amené à placer et à maintenir mon école. Je suis désolé, je dois le dire, des pertes qu'éprouvent les pauvres par suite de cette modification. Pour l'année 1860, cependant, même menace fut adressée à l'école.

« M. le contrôleur insista pour obtenir une déclaration de patente, il n'écouta aucune explication, n'établit ni enquête, ni information ; seulement il constata par voie de recensement le nombre d'élèves présentes, et je crois même que par une indulgence dont il désirait se faire un mérite, il se contenta de réduire un peu le chiffre réel. En temps utile, sa deuxième patente fut remise à la maîtresse, et la cote s'élevait encore à 43 fr. Cette fois, je consultais un homme probe, attaché à l'administration, il me donna conseil de payer, sous réserve, et de réclamer ensuite auprès du gouverneur de la province, après avoir avoué, dans l'intimité, que les écoles de charité étaient victimes d'un procédé sans exemple dans l'administration. Je suivis donc cette marche, et dans ma supplique j'indiquai la mesure que j'avais prise depuis 1860, ne désirant rien tant qu'une enquête impartiale dans la commune pour constater la vérité de ma déclaration. Information fut prise par le gouverneur auprès de la régence de la commune, qui constatait, dans sa réponse, la vérité de mes allégations. Ce nonobstant, ma supplique fut rejetée et la maîtresse obligée de payer. Entre-temps, M. le contrôleur insista auprès des répartiteurs pour les porter à concourir à la cotisation de l'exercice 1861. Tous refusent d'imposer la patente, alléguant comme motif de leur refus, les changements que j'avais introduits dans le mode de travail, changements qui mettaient la maîtresse de l'école hors de cause.

« Sur ces entrefaites M. le gouverneur avait statué en ma défaveur sur une réclamation contre la patente de 1860. Je payai de bon cœur, dans l'espoir d'échapper, dans la suite, à toute nouvelle difficulté et à tout danger d'imposition de ce chef.

« Un nouveau dénombrement que M. le contrôleur vint faire à l'école, vers la fin de 1861, me détrompa. Cette fois, le contrôleur en enfla tellement le chiffre qu'il fit passer pour ouvrières, des enfants à peine échappées de l'école gardienne, et encore impropres à toute espèce de travail, il en compte 93 ! Après quoi il réunit les répartiteurs et insiste de toutes les manières pour les déterminer à imposer une patente de l'exercice 1862, première année qui suivit sa déclaration de non-patentabilité adressée officiellement au receveur !

« Les répartiteurs refusèrent, et l'un d'eux, interpellé par le contrôleur, sur la sincérité de ses affirmations, alla jusqu'à déclarer qu'il déposerait sous la foi du serment, et partout, et autant de fois qu'on le voudrait, que l'école se trouvait dans les conditions expliquées par lui, Alors M. le contrôleur les invita à motiver leur refus, en ajoutant qu'il se réservait de dire que leurs allégations étaient fausses.

« En conséquence, on signifia, le 22 février 1862, une patente de 37 fr. imposée d'office et en rappel pour l'exercice de 1860, en supplément de celle que j'avais payée pour cette même année, attendu, y est-il dit, que le nombre d'ouvrières était augmenté de 30 à 65, et à la date du 12 mars 1862, une autre patente, se rapportant à 1861, élevée à 107 fr., et enfin une troisième, exercice courant de 1862, également de 107 fr. Déjà les avertissements ont été remis par le porteur des contraintes. Je n'ai rien payé jusqu'ici, et il m'a paru que les circonstance sont tellement irrégulières, que je ne puis mieux faire que de saisir les Chambres de mon affaire, et d'attendre par son intervention, que M. le ministre lui-même termine le conflit. »

Il espérait donc qu'il aurait été délivré de cette nouvelle charge, mais sur ces entrefaites on lui a signifié un arrêté et une circulaire du ministre des finances du 19 novembre 1859 qui lui ordonnait de faire tout ce que prescrit l'arrêté ministériel, il s'est strictement conformé aux mesures indiquées dans cette arrêté, nonobstant ceci.

Messieurs, il y a une cinquième pétition, c'est celle datée de Thielt, et signée par Pauline Jourdan.

Celle-là ne s'est pas contentée de réclamer devant la députation permanente. Mais la députation permanente ne lui donnant aucune satisfaction et ayant rejeté sa réclamation non seulement contre l'avis de l'administration communale, non seulement contre l'avis des rapporteurs, mais contre toute évidence, la pétitionnaire s'est adressée à la cour de cassation. Cette cour a pris également pour motifs de son arrêt la décision de la députation permanente.

M. Allard. - Eh bien, tout est dit. Qu'est-ce que la Chambre a à voir là-dedans ?

M. Muller. - Vous attaquez une décision judiciaire.

M. Allard. - On attaque tout.

M. Vander Donckt. - Messieurs, les pétitionnaires sollicitent vivement une enquête contradictoire sur les lieux. Ou les administrations communales et les répartiteurs ne sont plus rien, ou il y a lieu à examiner au moins les motifs que les pétitionnaires font valoir pour se faire rendre justice.

On n'attaque rien du tout, on expose les faits. Attendez.

Enfin, messieurs, il est encore une autre école professionnelle ou d'apprentissage qui a été établie dans la commune de Pitthem, par le bureau de bienfaisance avec des subsides de l'Etat, de la province et de la commune qui, de son côté, continue à subsidier régulièrement l'école et, nonobstant tout cela, quoi que ce soit un simple atelier d'apprentissage, on impose d'office la patente et on la fait payer.

Toutes ces pétitions, messieurs, la commission les a examinées avec soin et elle vous en propose le renvoi à M. le ministre des finances.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Pour quoi faire ?

M. Rodenbach. - Messieurs, il nous est arrivé, depuis quelque1 temps, plusieurs pétitions de la Flandre occidentale, notamment de Poperinghe, Clereken, Thielt, Bruges, Pitthem et Zarren.

Les pétitionnaires se plaignent du droit de patente, qui est imposé aux écoles dentellières pauvres, par l'administration des finances.

Au milieu de la crise actuelle qui afflige les Flandres, on devrait employer tous les moyens possibles pour ne point imposer de droit de patente aux enfants pauvres qui fréquentent les écoles dentellières pour apprendre un état.

C'est au clergé, lors des calamiteuses années, que l'on doit l'organisation des écoles dentellières ; c'était pour diminuer la misère que l'on a fondé ces institutions après la chute du filage à la main. Ce n'était ni par esprit de lucre, ni par spéculation que le clergé et les sœurs de charité ont établi ces écoles, c'était par humanité.

Messieurs, si je suis bien instruit, la patente est même imposée aux écoles qui se sont conformées aux dispositions prescrites par M. le ministre des finances pour être exemptes de la taxe.

M. le ministre avait dit et écrit que, lorsque les enfants apportent à l'école, la matière première, et emportent la dentelle chez leurs parents, afin que ceux-ci en disposent à leur gré, il n'y avait pas lieu, d'appliquer le droit de patente.

Les maîtresses se sont conformées à cette circulaire ministérielle afin d'échapper aux vexations dont elles étaient l'objet de la part des contrôleurs ; cela a été infructueux, le fisc a persisté dans ses exigences et dans ses rigueurs qui atteignent non pas les maîtresses, mais les enfants pauvres qui vont à l'école pour être sous la surveillance de la maîtresse qui. enseigne à faire de la dentelle.

On pourrait soutenir qu'en cette occurrence M, le ministre est en (page 1483) contradiction avec lui-même, car il a exempté du droit de patente les artisans dénommés dans la loi du 22 janvier 1849, dans laquelle devraient être comprises les dentellières.

S. M. le ministre persiste à soutenir que ces établissements doivent être soumis au droit de patente, que la loi est formelle, à cela je répondrai que, dans l'intérêt des enfants pauvres qui apprennent un état, on devrait modifier la loi.

L'impôt de patente ne fait qu'augmenter. II y a quelques années, il ne rapportait que 3 millions, maintenant il en rapporte 4 : une légère diminution de ce droit serait de peu d'importance pour la caisse de l'Etat.

En terminant j'ajouterai que j'appuie le renvoie de ces diverses pétitions à M. le ministre des finances.

M. le Bailly de Tilleghem. - J'ai demandé la parole pour dire quelques mots à l'occasion des conclusions de la commission pour le renvoi des pétitions à M. le ministre des finances.

L'honorable ministre dans ces derniers temps a donné des explications, et je crois même des instructions aux agents de l'administration pour bien se pénétrer de l'esprit de la loi, dans son application aux faits dont on se plaint.

Sans me prononcer sur la question de savoir jusqu'à quel point les griefs qu'on expose sont fondés dans leur espèce, je crois cependant, et consciencieusement, que les termes formulés dans le narré des circonstances qui s'y rapportent, sont d'un caractère assez sérieux et de bonne nature, pour pouvoir recommander particulièrement à l'appréciation bienveillante de l'honorable ministre le vrai mérite des remontrances établies dans ces requêtes, et c'est dans ce but, et pour ma part, que j'appuie avec un véritable et sincère intérêt pour la justice le renvoi des requêtes à M. le ministre des finances.

M. Muller. - L'honorable rapporteur de la commission des pétitions, ainsi que les honorables M. Rodenbach et le Bailly de Tilleghem, s'imaginent, à en juger par leur langage, que c'est le gouvernement qui est juge des questions que peuvent soulever les réclamations en matière de patente.

On se récrie ici contre les agents du fisc ; on invoque l'intervention de M. le ministre des finances.

Or, ni les agents du fisc, ni l'intervention de M. le ministre des finances ne peuvent détruire des décisions réellement judiciaires qui ont été rendues par les députations permanentes.

M. Rodenbach. - Et la circulaire ministérielle ?

M. Muller. - On me parle de circulaire ministérielle ; mais la députation permanente, qui a prononcé sur les cas qui nous sont déférés, a dû examiner si cette circulaire était, oui ou non, conforme à la loi.

Les députations permanentes ne se décident pas d'après des circulaires ; elles appliquent exclusivement la loi. Eh bien, que diriez-vous si un simple particulier venait ici réclamer contre une décision rendue par une députation permanente et par suite de laquelle une patente lui aurait été imposée ou aggravée injustement, selon lui ?

Mais vous répondriez : Vous vous êtes pourvu devant le pouvoir compétent ; ce pouvoir vous a condamné ; il y a donc chose jugée. Vous aviez votre recours en cassation ; vous en avez usé et vous avez été condamné, ou vous n'en avez pas usé et vous avez accepté la chose jugée. La législature n'a pas mission de réviser les décisions judiciaires. Or, que peut donc signifier et quelle conséquence peut avoir le renvoi à M. le ministre des finances ?

Il induira les pétitionnaires en erreur.

M. Allard. - C'est cela.

M. Muller. - Vous ferez croire qu'il appartient à M. le ministre des finances de dégrever de telle ou telle contribution, des établissements, des particuliers qui ont été reconnus devoir cette contribution par le seul pouvoir compétent en cette matière.

Je pense, messieurs, qu'il n'entre pas dans les intentions de la Chambre de donner implicitement à M. le ministre des finances un droit exorbitant, qui aurait indirectement pour effet de lui permettre de réformer des décisions judiciaires ; car, remarquez-le, messieurs, lorsqu'une députation permanente statue sur les réclamations des contribuables, elle exerce des attributions judiciaires.

M. de Haerne. - Messieurs, j'admets avec l'honorable M. Muller qu'il n'appartient pas à M. le ministre des finances de juger ces questions en dernier ressort ; mais des irrégularités se sont glissées dans l'administration inférieure, et il en est résulté des erreurs, dont les décisions de la députation et de la cour suprême ont dû naturellement être entachées.

Il est évident, l'honorable M. Muller le sait beaucoup mieux que moi, il est évident que la cour de cassation aussi bien que la députation permanente jugent dans ces questions d'après les faits exposés ; or, si les faits sont mal exposés, on arrive à des conclusions qui sont fausses et à des règles d'application qui sont également fausses. Et cependant c'est une question de fait plutôt qu'une question de droit, comme l'a reconnu officiellement M. le ministre des finances.

Il s'agit donc, messieurs, d'examiner s'il n'y a pas moyen de faire entrer dans une meilleure voie l'administration subalterne qui ne comprend pas toujours le mot de Talleyrand : « Pas de zèle ».

Il y a des gens qui croient rendre service et qui le font d'une manière qui n'est pas dans l'intention du ministère ; ils compromettent tout et donnent lieu à ces plaintes que, pour ma part, je regrette.

Pour vous prouver, messieurs, que les faits ont été très mal posés dans plusieurs circonstances, je dois donner à la Chambre quelques explications.

Plusieurs personnes ont été frappées de la patente après les décisions prises par la députation permanente et par la cour de cassation, et ces personnes n'ont pas même été entendues.

Il y a, entre autres, une protestation de M.de Craemer, de Thielt, adressée à M. le gouverneur de la Flandre occidentale ; le signataire de cette pièce se plaint vivement de ne pas avoir été entendu.

Or, si l'on n'a pas entendu les parties intéressées, comment voulez-vous que la députation permanente et la cour de cassation aient été mises à même d'apprécier les faits ?

Les écoles dentellières sont créées par la charité privée. Il ne s'agit pas seulement, messieurs, d'écoles dentellières, il y a aussi des écoles pour la couture, il y en a pour la ganterie, et plusieurs pétitions, une pétition de Bruges entre autres, attestent que dans le même atelier on fabrique différentes espèces de produits, afin de pouvoir donner à l'enfance du travail et en même temps l'instruction primaire.

C'est là-dessus, messieurs, que j'appelle l'attention de la Chambre, et c'est pour cela surtout que j'ai pris la parole, c'est afin de faire comprendre la liaison qui existe entre ces écoles et les écoles primaires.

Cela se présente à un certain degré dans tous les pays où la liberté existe comme en Belgique, en Angleterre, en Hollande, par exemple. Il est très difficile d'attirer les enfants de la classe ouvrière à l'école primaire, il faut un certain appât, non pas tant pour les enfants que pour les parents. C'est pour cela qu'on a combiné dans les Flandres le travail avec l'instruction et qu'on est parvenu a procurer aux apprenties l'instruction. D'après les ordres de l'autorité ecclésiastique dans toutes les maisons religieuses où l'on fait la dentelle, l'instruction primaire doit être donnée au moins pendant une heure et demie ou deux heures par jour.

C'est un système qui a été mis en pratique en Angleterre ; l'Angleterre a combiné aussi le travail avec l'instruction primaire dans ce qu'elle appelle les industriel schools.

C'est absolument le même système que chez nous. On y affecte de larges subsides.

Vous voyez que ces deux questions se tiennent et que si l'on gêne trop ces écoles sous le rapport du travail, il en résultera que le niveau de l'instruction primaire finira par baisser parmi les filles.

Je faisais tout à l'heure allusion au caractère politique qui marque les tendances et les décisions des administrations subalternes.

Je dois ajouter un mot à ce sujet : il y a des écoles laïques qui tombent sous l'application du droit de patente ; mais ce sont principalement celles-là qui échappe à la patente, là existe parfois une véritable spéculation. Je dis parfois, car il y en a de très bonnes qui sont dirigées par des personnes laïques dans des vues charitables.

En quoi consiste cette spéculation ? A ne pas donner l'instruction primaire en même temps que le travail à l'enfant, à remplacer l'instruction primaire par un surcroît de travail, afin d'assurer aux enfants un peu plus de bénéfice, mais en prenant en même temps sur ce bénéfice un droit d'école plus élevé.

Si donc vous imposez spécialement une patente aux associations religieuses, vous allez à rencontre des intentions du gouvernement, quant à la diffusion de l'enseignement primaire.

C'est pour favoriser cet enseignement qu'on a voté, cette année, un subside spécial de 7,000 fr. pour les ateliers de tissage. Et par contre, vous frappez d'une patente l'atelier d'apprentissage pour la dentelle. On fréquente cet atelier pendant sept ou huit ans, et quelquefois plus longtemps. De cette manière, lorsque les enfants sortent de l'atelier d'apprentissage, ils possèdent une bonne instruction primaire. Voilà le beau résultat qu'on obtient dans les Flandres. On assure aux enfants dans les écoles dentellières le pain matériel pour le moment et pour l'avenir, ainsi que le pain intellectuel, moral et religieux. Sous ce rapport, ce sont de très précieuses institutions qu'on ne saurait trop encourager.

(page 1484) Ces écoles ont été subsidiées sous divers ministères, à quelque opinion qu'ils appartinssent ; et maintenant on veut leur imposer une patente, après les avoir subventionnées ! C'est une dérision.

J'admets que M. le ministre des finances s'est laissé induire en erreur par certains précédents. Comment ces précédents ont-ils été posés ? Parce qu'on ignorait le véritable état des choses ; parce qu'on confondait les ateliers d’apprentissage avec les écoles-manufactures. Malheureusement le libellé dans les rapports triennaux était défectueux sous ce rapport ; on y a qualifié ces écoles d’écoles-manufactures, c'est une des causes de l'erreur dans laquelle on est tombé.

Si on avait été mieux instruit de ce qui se passait, on aurait vu que jamais la patente n'a été exigée de ces écoles sous le gouvernement hollandais. Ainsi, sous le régime hollandais, sous le ministre Appelius, dont le droit de mouture et le droit d'abatage indiquaient suffisamment, je pense, les tendances fiscales, on n'avait pas soumis à la patente les écoles dentellières, qui existaient alors, non dans les campagnes, mais dans les villes.

La patente a été réglée par une loi de 1819, qui régit encore aujourd'hui la Hollande sous ce rapport ; cette loi est également en vigueur en Belgique.

Dans la séance du 17 mars 1859, je pense, j'ai eu l'honneur d'appeler l'attention de la Chambre sur ce point. J'ai prouvé, d'après des ouvrages que j'ai cités, qu'il y avait à Amsterdam une foule d'écoles publiques d'apprentissage. On s'appuyait alors en Belgique sur le mot « écoles publique »s, pour soutenir que nos écoles dentellières, n'étant pas publiques ou officielles, sont soumises à la patente, En effet, le mot hollandais openbare veut dire publiques ; mais il faut voir dans quel sens le mot est employé. On ne l'entend pas de la même manière dans tous les cas.

Ainsi par exemple, lorsque en Angleterre on parle d'institutions publiques, on entend par-là des institutions fréquentées par tout le monde et principalement par les pauvres. Voilà quel sens on attache aussi en Hollande au mot « publiques » en ce qui concerne les institutions du genre de celles dont je parle.

Pour être publiques, elles ne sont pas moins libres car il n'y en a pas qui appartiennent à l'Etat. Ainsi les écoles d'Amsterdam, qui sont des écoles libres, ne sont pas assujetties au droit de patente.

Pour ce qui regarde ces écoles, qui sont sous le même régime que les nôtres, j'ai reçu en 1859, d'un haut fonctionnaire de La Haye, une lettre qui atteste l'exactitude de mes assertions. Si la Chambre le désire, je lui donnerai lecture de cette lettre, que j'ai invoquée en 1859.

il y a également dans les Pays-Bas des écoles dentellières, dirigées par des religieuses ou des personnes laïques, particulièrement dans le Brabant septentrional ; il y en a aussi en Zélande. Nulle part elles ne payent la patente.

Je tiens en mains plusieurs lettres qui l'attestent. - Voici une lettre de l'Ecluse, ville de la Flandre zélandaise :

« Sluis, 2 juny 1862.

« In antwoord op den brief my toegezonden, kart ik u berigten dat ik nooit patent gehad heb voor de kantsckool noch voor de kinderen, en ik geloof niet dat de protestansche school patent gehad heeft voor hare leerlingen.

« De kanten in Sluis gemaakt worden meest in Holland verkocht.

« Met achting, enz.

« J. Aelen, Pastor. »

Voici la traduction de cette lettre :

« L’Ecluse, le 2 juin 1862,

« En réponse à la lettre qui m'a été adressée, je puis vous informer que jamais je n’ai eu à payer patente pour l'école dentellière ni pour les enfants, et je ne pense pas que l'école protestante en ait eu à payer pour ses élèves.

« Les dentelles fabriquées à l'Ecluse sont vendues, pour la plus grande partie, en Hollande.

« J. Aelen, Curé. »

C'est le même système que celui qui est mis en pratique dans les Flandres ; dans le Brabant septentrional surtout, il y a des écoles dentellières dirigées par des religieuses ; elles sont exactement placées sous le même régime légal que les nôtres, sous le régime de la loi de 1819 et de la circulaire de 1825. Cependant nos écoles sont, sous le rapport dont il s'agit, traitées d'une manière toute différente. Elles payent une patente, en Hollande elles n'en payent pas. Il résulte de là des anomalies incroyables ; nos populations sont en contact presque journalier avec les populations hollandaises ; de Bruges, par exemple, on se rend à l'Ecluse ; là on voit que les écoles dentellières ne sont pas soumises à la patente, tandis que les nôtres le sont avec accompagnement de vexations inconnues chez nos voisins ; il en résulte des comparaisons fâcheuses au point de vue patriotique ; ce sont parfois des quolibets, des lazzis échangés, comme dernièrement, à l'occasion du voyage fait par S. M. Guillaume III dans la Flandre zélandaise. Un Flamand présent à cette fête me l'a raconté.

Voilà comment les choses se passent. Pourquoi la même loi ne fonctionne-t-elle pas chez nous comme chez nos voisins ? C'est ce que nous demandons. Nous réclamons, avec les pétitionnaires, l'intervention du gouvernement ; nous désirons que M. le ministre des finances veuille bien éclairer les administrations subalternes qui s'égarent et qui ne comprennent pas le but louable, humanitaire que poursuivent les personnes qui se trouvent à la tête de ces écoles. Elles agissent par charité, sans bénéfice, et c'est pour cela qu'elles regardent comme une flétrissure la qualification de commerçantes qu'on leur attribue par la patente, quelque insignifiante que puisse être cette patente.

Elles combinent le travail avec l'instruction primaire afin d'assurer une bonne éducation à l'enfance, qui en a le plus grand besoin et qui, sans les efforts extraordinaires de la charité privée, resterait dans l'ignorance et croupirait dans la misère, faute d'avoir du travail. Ne découragez donc pas ces institutrices, n'entravez pas l'instruction professionnelle et intellectuelle.

Encore un mot, messieurs, et je finis. Il me reste à vous présenter une observation pour établir la nécessité d'apporter un prompt remède à l'état actuel des choses.

La crise qui sévit en ce moment pèse particulièrement sur l'industrie de la dentelle à cause de la fermeture d'un de nos plus grands débouchés, Etats-Unis. Cette crise doit nécessairement s'aggraver encore par suite du renchérissement du coton. On peut placer les dentellières sur la même ligne que les ouvriers de Gand. Ce sont là, messieurs, deux circonstances qui méritent l'attention particulière de M. le ministre des finances, et je suis persuadé que, s'il veut y mettre la bonne volonté, sur laquelle nous croyons pouvoir compter, les choses se redresseront, et vous n'entendrez plus les plaintes qui retentissent si désagréablement, je le reconnais, à chaque instant dans cette enceinte.

M. B. Dumortier. - La question qui est soulevée par les pétitions dont nous nous occupons en ce moment n'est pas neuve pour nous. Déjà depuis 5 ou 6 ans elle se présente à chaque session dans cette chambre. C'est que ces pétitions soulèvent deux ordres de questions : une question de droit, le travail, et une question d'humanité.

Il s'agit de savoir s'il est permis, sans être soumis au fisc, de donner l'instruction, l'apprentissage aux enfants pauvres, ou si, en donnant cet enseignement d'apprentissage aux enfants pauvres, on s'expose, oui ou non, à être frappé d'un droit de patente considérable.

Pour mon compte, je dois dire que je n'ai jamais compris la loi dans ce sens, et il est évident qu'elle ne peut pas être comprise ainsi.

Quand on donne l'enseignement aux enfants pauvres, on n'est point soumis à la patente ; et on ne l'est pas plus quand on enseigne aux pauvres l'exercice d'un métier que quand on leur enseigne la lecture et l'écriture.

Mais, nous dit-on, il y a ici des jugements de députations permanentes, et même un jugement de la cour de cassation. Je réponds que cela ne me touche en aucune manière, car les jugements de cette nature, on nous l'a dit, reposent uniquement sur les faits, et il importe d'abord de voir si la loi est, oui ou non, sainement interprétée ; si des circulaires ou des mesures quelconques n'ont point eu pour effet de faire vicier l'application de la loi par les députations.

Pour mon compte, je suis frappé d'une chose, c'est que cette question n'a commencé à être soulevée que depuis la fameuse discussion de 1857 sur les établissements de charité. A cette époque, M. le ministre des finances, alors simple député, faisait de ces écoles d'apprentissage un grief contre la loi. Il s'en est beaucoup occupé ; on lui a répondu ; mais je suis fort porté à croire qu'aujourd'hui une foule d'employés inférieurs veulent faire payer par de pauvres diables la dette de l'honorable M. Frère. Eh bien, je dois dire qu'un pareil système ne serait vraiment pas tolérable.

Messieurs, si l'instruction primaire doit être frappée du droit de patente, je demanderai pourquoi vous n'établissez pas ce droit sur les écoles d'apprentissage que le gouvernement a fondées et que nous rétribuons tous les ans.

Car enfin, il n'y a pas deux lois : une pour certains établissements ; l'autre pour tous les autres établissements. Si les écoles d'apprentissage fondées par la liberté doivent être soumises au droit de patente, celles que vous établissez et que nous rétribuons au moyen des deniers publics doivent l'être au même titre ; et certes si une exception pouvait être faite pour l'une de ces deux catégories, ce devrait être en faveur des écoles fondées par la liberté.

Mais, dit-on encore, les écoles fondées en vue de la réalisation d'un bénéfice payent une patente.

Je ne le conteste pas, personne ne le conteste. Mais la question n'est pas là : la question réside dans ce fait qu'une foule d'écoles qui ne forment des élèves que pour leur apprendre un métier et nullement en vue de la réalisation d'un bénéfice, se trouvent frappées par votre interprétation de la loi.

Ainsi ces établissements fournissent aux jeunes gens ce qui est nécessaire à l'apprentissage de leur métier.

Je suppose une école dentellière où l'on fournirait aux enfants le carreau, les bobines, en un mot tout ce qui est nécessaire pour apprendre le métier, et où l'on retiendrait par petites sommes le prix de ces instruments de la fabrication pour qu'ils appartiennent à l'élève au bout d'un certain temps.

Serait-ce là un établissement fondé en vue de réaliser des bénéfices ? Evidemment non. L'opération dont je parle ne serait, en réalité, qu'une avance faite à l'ouvrière pour l'aider à devenir propriétaire du métier sans lequel elle ne pourrait pas travailler.

Mais voilà uniquement, messieurs, par quelle interprétation vicieuse de la loi on est arrivé à faire croire à des bénéfices là où il n'en existe évidemment pas. Encore une fois, il s'agit ici d'une question d'humanité, de légalité. Lorsqu'il n'y a point de bénéfice réel, c'est-à-dire quand il n'y a point commerce, quand il n'y a point fabrication pour revendre, en un mot quand il n'y a point opération commerciale, les établissements qui donnent l'instruction non seulement ne peuvent pas être frappés au profit du trésor public, mais il faut leur savoir une vive gratitude de ce qu'ils font pour la classe pauvre et, par cela même, pour la société.

Il est donc nécessaire que les pétitions soient renvoyées à M. le ministre des finances ; et si ces abus continuent, s'il n'y est point mis un terme d'ici à la prochaine session, nous aurons alors un devoir à remplir, nous députés de ces provinces particulièrement frappées par cette manière de procéder, ce sera de demander à la Chambre de constituer une enquête parlementaire pour s'enquérir des faits et eu faire rapport à l'assemblée.

M. de Muelenaereµ. - Je ne veux pas, à l'exemple de quelques-uns de mes honorables collègues, placer cette question sur le terrain de la stricte légalité. Je prévois que, dans ces termes, la question n'aboutira pas.

Je suis persuadé que M. le ministre des finances, un esprit si distingué, eût depuis longtemps fait droit aux nombreuses réclamations qui sont parvenues à la Chambre, s'il n'avait été retenu par un scrupule peut-être exagéré de légalité.

Messieurs, c'est donc à un autre point de vue que je veux dire quelques mots sur le débat porté devant vous.

Vous savez, messieurs, que la création des écoles dentellières est due à la sollicitude du gouvernement ; c'est par la sollicitude du gouvernement qu'un grand nombre de ces écoles ont été créées et existent encore aujourd'hui ; et il est incontestable que ces écoles, subsidiées autrefois en raison de leur caractère évident d'utilité publique, ont rendu un service immense à la population ouvrière.

Or, messieurs, vous n'ignorez pas, je pense, que dans beaucoup de nos villes, même des plus importantes et que dans la plupart des grandes localités des Flandres, la fabrication de la dentelle procure des moyens de subsistance à la partie la plus nombreuse de la classe ouvrière et même de la classe pauvre.

La ville de Bruges, notamment, qui compte 50,000 âmes environ, se trouve dans ce cas : une grande partie de la population y vit de la fabrication de la dentelle.

Vous voyez, messieurs, qu'au fond cette question a une grave importance. Eh bien, je me borne à faire un appel au cœur compatissant et à la bienveillance de M. le ministre des finances en faveur de nos classes ouvrières.

C'est surtout dans les circonstances actuelles que l'honorable ministre des finances devrait porter son attention toute spéciale sur cette affaire. Depuis le commencement de la lutte qui divise si malheureusement une grande partie des provinces de l'ancienne Union américaine, il existe dans l'industrie dentellière une de ces crises prolongées et terribles qui n'a peut-être d'égale en Belgique en ce moment que celle qui frappe l'industrie cotonnière.

Si cette crise se prolongeait, si nous devions arriver à l'hiver dans cet état de choses, je suis convaincu que nous rencontrerions de très grands embarras pour notre classe ouvrière.

Il serait désirable que le ministre des finances, ne fût-ce que par un sentiment d'humanité, cherchât à aplanir les difficultés.

Je n'examine pan par quel motif, mais il existe des difficultés graves et sérieuses.

On a posé des actes qu'on considère comme vexatoires à l'égard de ces établissements si éminemment utiles à la classe pauvre.

Eh bien, si aux termes de la loi existante, il n'y a pas moyen de remédier à cet état de choses, à ces plaintes réitérées, je conjure M. le ministre de faire appel au pouvoir législatif, je suis sûr que s'il consent à proposer une mesure à cet égard il ne rencontrera pas dans cette enceinte une seule voix pour combattre ou contrarier ses bonnes intentions.

Il en résultera un très grand bienfait. La classe dentellière étant très souffrante en ce moment, le ministre lui fera comprendre que le gouvernement porte un vif intérêt à leur situation, ce sera déjà une chose très heureuse en ce sens que cette mesure relèvera le courage et l'énergie de cette classe si malheureuse aujourd'hui, et nous pourrons ainsi attendre peut-être sans inquiétude l'hiver.

Si nous devons entrer, au contraire, dans la saison rigoureuse, sous l'empire des circonstances calamiteuses qui existent aujourd'hui, nous aurons de graves difficultés à surmonter.

Je crois qu'il y a là des motifs suffisants pour engager M. le ministre à se préoccuper incessamment, avec bienveillance, de cette importante affaire, importante surtout en ce qu'elle jette le découragement dans un grand nombre d'établissements, qui se sont voués avec un zèle, digne des plus grands éloges, aux classes indigentes dans le pays.

J'espère donc que M. le ministre des finances voudra bien examiner la question sous ce nouveau point de vue.

Laissons de côté la légalité, n'examinons pas si la loi a été bien ou mal appliquée par les agents de l'administration, si les instructions ont été bien ou mal comprises par ceux qui étaient chargés de les mettre à exécution ; occupons-nous de l'avenir. Je demande que M. le ministre examine si la loi a besoin d'être modifiée, et si cela est nécessaire, qu'il en prenne courageusement l'initiative. C'est le seul moyen de mettre un terme aux plaintes qui s'élèvent de toute part et qui deviendront de plus en plus nombreuses à mesure que la crise deviendra plus intense. Je recommande donc cette affaire, qui est plus grave qu'on ne pense, à la bienveillance toute particulière du ministre des finances,

M. Muller. - Le débat commence à dévier complètement de son point de départ. Quand l'honorable M. de Muelenaere fait un appel aux sentiments d'humanité dont tous les membres de la Chambre et M. le ministre des finances sont animés pour les populations qu'occupe l'industrie dentellière, populations qui, au surplus, ne sont pas les seules souffrantes actuellement en Belgique, il perd de vue une observation simple et péremptoire : c'est que le remède qu'il propose serait bien faible et complètement inefficace, en supposant qu'il fût admissible.

En effet, ce n'est pas en soustrayant à la patente quelques établissements qui doivent la payer en vertu de la législation en vigueur, que vous apporterez un soulagement appréciable à la misère de l'industrie dentellière.

D'autre part, cette mesure offrirait le grave inconvénient de ne pas maintenir le principe de l'égalité de l'impôt pour tous, à moins que l'honorable membre ne propose d'affranchir de la patente non seulement les établissements religieux qui se livrent directement ou indirectement au commerce, à la fabrication pour leur propre compte, mais aussi les particuliers qui exercent la même industrie, et qui ont droit à une sollicitude égale, à un même traitement. (Interruption.)

J'entends objecter qu'il ne s'agit pas des particuliers, qu'il n'est question que des établissements religieux qui ne font pas de spéculation ; mais c'est précisément sur ce dernier point que porte le dissentiment entre les plaignants et l'autorité qui leur a donné tort.

En fait, les députations ont décidé que, dans les cas dont nous nous occupons, les réclamants exerçaient réellement à leur profit des industries qui devaient être frappées du droit de patente.

D'honorables préopinants ont vainement objecté que les députations s'étaient prononcées, sans avoir des renseignements suffisants, sur les faits : car, cette supposition derrière laquelle ils se réfugient est toute gratuite et inadmissible, il est évident que les députations se sont entourées de toutes les lumières nécessaires pour juger eu parfaite connaissance des faits.

Si tous nous voulons l'égalité en matière d'impôt, il ne faut pas de privilège pour des établissements qui livrent leurs produits au public : il ne faut pas que les particuliers soient soumis à un droit dont des institutions religieuses ou autres seraient affranchies.

Je m'associerai, s'il en est besoin, à toute mesure qui aurait pour objet (page 1486) de venir en aide à des misères comme celle dont souffrent les industries dentellière, cotonnière et bien d'autres, dont on ne parle pas en ce moment.

Evidemment, la sollicitude de la législature ne fera jamais défaut à la cause du malheur ; mais je ne pense pas que ce soit au ministre des finances qu'on puisse s'adresser, ni qu'on puisse le mettre en demeure en lui disant : Venez-nous en aide en vous mettant en opposition avec l'interprétation donnée à la loi sur les patentes par les députations permanentes et par la cour suprême, en décidant que les établissements religieux n'y sont pas astreints.

Qu'on le remarque d'ailleurs, si le droit de patente, tel qu'il a été fixé dans les cas dénoncés à la Chambre est trop élevé, par suite de la stagnation actuelle de l'industrie dentellière, il y a lieu à révision et à contrôle tous les ans ; la patente d'une année n'est pas celle d'une autre ; on pourra tenir compte de l'état de souffrance de la fabrique, mais sans prendre de mesure ayant un caractère de privilège, en appliquant les tempéraments qu'autorise la loi, d'une manière uniforme et générale.

Avant de terminer, je demanderai de nouveau quelle peut être la portée au juste du renvoi au ministre des finances qu'on propose ? Est-ce pour l'engager à ne point faire exécuter la loi telle qu'elle existe ? C'est impossible. Est-ce pour faire changer cette loi ? C'est alors une toute autre question. Si l'on veut arriver à ce résultat, qu'on le dise franchement. Le débat prendra de plus vastes proportions ; mais renvoyer la pétition d'une manière vague, sans dire vers quel but précis doivent tendre les investigations et les études du gouvernement, cela ne pourrait aboutir, comme je le disais au commencement, qu'à une fâcheuse conséquence, à induire les pétitionnaires en erreur sur l'étendue des pouvoirs du ministre des finances.

M. Tack. - J'aurais renoncé à la parole après le discours de l'honorable M. de Muelenaere, qui a recommandé les pétitions, dont vous avez entendu le rapport, à la bienveillance de M. le ministre des finances. Mais l'honorable M. Muller vient de replacer la question sur le terrain de la légalité, je tiens à répondre quelques mots à ses observations. Que dit M. Muller ?

M. le ministre des finances ne peut pas écouter vos doléances ; la loi est là ; il doit la respecter, il doit l'exécuter, c'est son devoir. Jusqu'ici nous sommes d'accord. Si vous vous croyez lésé, ajoute l'honorable membre, adressez-vous à la députation permanente, et si vous n'obtenez pas satisfaction en première instance, recourez à la cour de cassation. C'est très bien ; mais est-ce que nos écoles des Flandres peuvent faire les frais de première instance devant la députation ?

M. Muller. - Il n'y en a pas.

M. Tack. - Certainement, il y en a ; il y a les requêtes à rédiger, et ensuite devant la cour de cassation plaide-t-on sans frais, sans mémoires, sans avocats ?

M. Muller. - Vous voulez un privilège.

M. Tack. - Pas même l'ombre d’un privilège, laissez-moi le temps de vous le démontrer, j'y arrive à l'instant, je ne puis pas tout dire en un mot.

Vous faites observer encore qu'il est des établissements qui ont exercé le recours en cassation et qui ont été éconduits, ils ont perdu leur procès. Mais comme l'a dit l'honorable M. Rodenbach, toutes les espèces ne sont pas les mêmes. La cour de cassation a statué sur un cas ; mais chaque cas présente des nuances différentes.

II y a, en ce moment même, d'autres affaires pendantes qui ne sont pas encore jugées et qui seront probablement déférées aussi à la cour de cassation.

Mais, messieurs, je répète ma question : Peut-on ainsi obliger toutes nos pauvres écoles dentellières, laïques ou autres, à se présenter successivement en justice réglée ? N'y a-t-il pas autre chose à faire ? Il me semble que l'intervention de l'administration pourrait arriver à ce résultat de concilier bien des affaires de la nature de celles qui sont soumises à vos délibérations.

Vous pouvez forcer les établissements dont nous défendons la cause à plaider, à faire des frais ; vous avez la force en main, mais je crois du reste que l'intention de l'honorable ministre des finances n'est pas telle.

J'en ai pour garant cette circulaire qui a été invoquée par l'honorable M. Rodenbach, que j'ai sous la main et qui est du 11 novembre 1859. Je demande l'exécution pure et simple de ce document officiel, pas davantage ; est-ce se montrer trop exigeant ?

Que porte-t-il ? Voici un des passages que j'y rencontre :

« Avant de vous faire parvenir ces instructions au sujet de l'application de la loi des patentes aux écoles dentellières, de nouvelles réclamations l'étant fait jour, j'ai jugé utile de prescrire une enquête sur les faits tels qu'ils se produisent en réalité dans les divers établissements du royaume où l'on s'occupe de fabrication de dentelles. Les résultats de cette enquête, qui a embrassé 663 instituions de cette nature, démontrent qu'ils rentrent tous dans l'une ou l'autre catégorie ; partout, à peu d'exceptions près, il y a des institutions ayant droit à l'exemption et d'autres que le législateur ne permet pas d'exempter de la patente, tout dépend ici d'une question de fait, dont la solution ne peut présenter de difficulté sérieuse si les fonctionnaires que la chose concerne se pénètrent bien des principes que je viens de rappeler et qui doivent les guider. »

Or, messieurs, quels sont ces principes ? Ils sont consignés sous les n°3 et 4 de la circulaire en question ; ces numéros sont conçus dans les termes suivants :

« 3° Les écoles dentellières dont les élèves ou ouvrières emportent la matière fabriquée pour en disposer à leur gré ne sont pas soumises au droit de patente comme fabriques de dentelles ;

« 4° Les ouvrières en dentelles qui se réunissent dans un local commun dans le seul but d'économiser les frais de chauffage et d'éclairage, ne sont pas assujetties à la levée d'une patente si chacune d'elles travaille pour son compte particulier et dispose librement, à son profit des produits fabriqués. »

C'est donc, comme l'a dit l'honorable ministre des finances, en général une question de fait qui se présente plutôt qu'une question de droit. Et ici, messieurs, il n'y a pas de distinction à établie entre les écoles publiques et les écoles privées. L'honorable ministre des finances admet qu'il y a des écoles privées qui peuvent être exemptes du droit de patente.

Les conditions, d'après M. le ministre des finances, pour qu'une école, même privée, soit exempte du droit de patente, c'est que les ouvrières apportent avec elles la matière première, c'est-à-dire le fil qui sert à la confection de la dentelle et qu'elles vendent elles-mêmes les dentelles qu'elles ont fabriquées ; alors il y a la preuve irréfragable qu'elles travaillent pour leur propre compte.

Maintenant, parmi les pétitions dont on vient de faire l'analyse y en a-t-il émanant d'établissements qui se trouvent dans le cas d'exemption prévu par M. le ministre des finances ? Evidemment ; il en est ainsi de l'établissement de Zarren.

Permettez-moi de revenir un instant sur la pétition que vous adresse le curé de cette localité.

Que s'est-il passé à Zarren ? Antérieurement à 1859, le curé de Zarren avait établi, sous le contrôle de l'administration communale, un établissement d'enseignement primaire avec atelier d'apprentissage. Il l'avait meublé à ses frais. L'instruction s'y est toujours donnée gratuitement : l'apprentissage y a été aussi gratuit.

Le même curé de Zarren avait créé dans l'atelier d'apprentissage un dépôt de fil ; l'atelier faisait l'achat du fil en gros, afin de le vendre en détail à meilleur compte aux ouvrières. Les directrices de l'établissement n'avaient d'autre mission que de surveiller le travail des enfants, puis de placer, au profit exclusif des apprenties, les produits obtenus. C'est à cela que se bornait l'intervention des directrices de l'établissement.

Le curé de Zarren pouvait croire que, dans ces conditions, il était exempt du droit de patente. Mais non. Bien qu'il fût démontré que l'établissement ne faisait que rendre des services gratuits, on prétendit qu'il tombait sous le coup de la loi ; le curé de Zarren, se croyant fort de son droit, fit opposition et refusa de payer l'impôt. Ou vendit les meubles de l'école, et ainsi l'on réalisa au profit du fisc le droit de patente.

Après, est venue la circulaire dont je viens de vous donner lecture. Le curé de Zarren jugea convenable, pour éviter tout désagrément à l'avenir, de se placer exactement dans les termes de l'instruction ministérielle.

II supprima le dépôt de fil et défendit aux directrices de l'école de se charger désormais de la vente des produits ; en même temps il fit connaître aux apprenties qu'elles auraient à se défaire elles-mêmes de leurs dentelles.

Croyez-vous qu'il va obtenir l'exemption ? Pas du tout. En 1860, M. le contrôleur réclame de sa part une déclaration de patente. M. le curé objecte vainement que le régime de son école est changé, M. le contrôleur n'écoule aucune explication ; il refuse d'ouvrir une enquête, et finalement il engage M. le curé à prendre une patente, s'élevant à la somme de 45 fr. pour 30 élèves. Il avait été indulgent, je le reconnais, il ne s'était pas montré fort difficile sur le dénombrement des élèves.

Leur nombre avait été fixé seulement, comme je viens de le dire, à trente.

M. le curé, tout en protestant, paya la patente, mais il réclama. Il provoqua une enquête devant l'administration communale. Celle-ci confirma la vérité des faits allégués par lui.

(page 1487) En 1861, M. le contrôleur insiste auprès des répartiteurs pour qu'ils imposent d'office l'école de Zarren. Ils refusent et cela obstinément. M. le contrôleur revient à la charge ; les répartiteurs offrent de prêter serment pour étayer leurs affirmations. Rien n'y fait. M. le contrôleur devait triompher, et vous allez voir s'il parvint à son but.

Il procède pour 1861 à un nouveau recensement, et cette fois aussi sévère qu'il avait été d'abord indulgent, il arrive à constater la présence de 65 apprenties dans l'école. II y avait compris, bien entendu, les apprenties à peine échappées de l'école gardienne. Immédiatement après ce dénombrement, à la date du 22 février, signification d'une patente supplémentaire de 37 fr. applicable, par rappel, à 1860 : quelques jours s'écoulent et le 12 mars 1862, signification d'une seconde patente de 107 fr. pour 1861 et enfin d'une troisième patente également de 107 fr. pour 1862 ; il a soin de faire remettre au porteur de contrainte les pièces requises pour exercer des poursuites.

Voilà les faits allégués dans la pétition ; je les énonce tels qu'ils sont articulés ; si on les conteste, qu'on fasse une enquête, mais une enquête contradictoire dans laquelle on entendra tous les intéressés, et les parents des élèves, et les directrices de l'atelier, et les apprenties elles-mêmes, et le collège des bourgmestre et échevins et les répartiteurs.

Messieurs, cette manière sommaire de procéder n'accuse-t-elle pas une sévérité outrée, et mes honorables collègues n'avaient-ils pas raison de dire qu'il se manifeste certain excès de zèle chez quelques fonctionnaires ? Plusieurs autres écoles ont franchement inauguré le même régime que celui adopté à Zarren, et se sont placées dans les conditions de la circulaire de M. le ministre des finances, entre autres, si je ne me trompe, l'école de Dudzeele et celle de Cortemarcq ; d'autres, je l'avoue, tombent sous l'application de l'arrêt de la cour de cassation, et quant à celles-là, je ne réclame point d'exception. Je. comprends qu'il est impossible que M. le ministre des finances affranchisse, pour le moment, du droit de patente celles qui sont dans ce cas.

L'imposition d'office, c'est fâcheux à dire, est devenue la règle ordinaire ; on impose sur de simples préventions, sur de vagues soupçons, malgré les réclamations des établissements intéressés, malgré les attestations de témoins irrécusables, malgré les protestations des administrations locales, malgré les instances des répartiteurs.

Les rôles sont désormais renversés ; ce n'est plus le fisc qui démontre que la base de l'impôt existe ; non, il exige que le contribuable prétendument assujetti de par la loi prouve l'absence de toute base d'impôt ; c'est-à-dire qu'on exige de lui une preuve négative, qui est une preuve impossible.

Je voudrais, pour ma part, que des instructions fussent données à MM. les directeurs des provinces dans un sens large, libéral ; c'est à eux de statuer définitivement, quand il y a désaccord entre les répartiteurs et le contrôleur.

Je. voudrais qu'ils fussent chargés, chaque fois que le cas se présente, d'instituer une enquête sérieuse, afin d'être en mesure de se prononcer en pleine connaissance de cause. Cela vaudrait beaucoup mieux que continuer à renvoyer les intéressés en leur répétant éternellement la même chose :

« Adressez-vous à la députation permanente, puis à la cour de cassation. »

L'honorable ministre des finances reconnaît dans sa circulaire qu'il y a partout des écoles qui doivent être exemptées de la patente, aussi bien des écoles privées que des écoles publiques. Or, je me demande comment il se fait que dans certains arrondissements il n'y a guère d'établissements qui échappent à l'impôt, tandis que dans d'autres presque tous trouvent moyen de s'y soustraire ? Cela provient évidemment de ce que la circulaire de M. le ministre des finances est interprétée différemment par les divers fonctionnaires chargés de l'appliquer.

J'ai déjà dit que je comprends parfaitement, messieurs, que l'honorable ministre des finances n'accorde pas d'exemption à des établissements auxquels s'appliquent les récents arrêts de la cour de cassation, mais, messieurs, voyons ce que décident ces arrêts ?

.La cour de cassation a donné gain de cause à M. le ministre des finances sur ce point-ci.

Un établissement privé où les ouvrières travaillent pour compte d'un tiers, d'un négociant, si la distribution des matières premières, des patrons et dessins et la remise des objets fabriqués se font par l'intermédiaire de la directrice, peu importe que celle-ci réalisé un bénéfice ou ne fasse aucun lucre, est passible de la patente.

Messieurs, je constate en passant qu'il a été établi à toute évidence dans les débats qui ont eu lieu devant la cour de cassation, que les établissements qui ont réclamé contre l'impôt de patente qu'on voulait mettre à leur charge, rendent des services gratuits,

C'est un point sur lequel il ne peut plus rester aucun doute, il est acquis que ces établissements n'ont en vue que le bien-être des classes pauvres et qu'aucun d'eux n'est guidé par le moindre esprit de lucre. Cependant la cour de cassation a jugé qu'il y avait lieu de les frapper du droit de patente. Un point à noter, c'est qu'ils ne se trouvent pas dans la catégorie de ceux que la circulaire ministérielle exempte.

J'espère, messieurs, que la jurisprudence de la cour de cassation n'es pas définitive. D'abord, j'ai toujours devant moi l'article premier de la loi du 21 mai 1819 ; il porte : « Tous ceux qui exercent une profession, ou un métier, doivent être munis d'une patente »

J'ai en même temps présent à la mémoire l'esprit de cette loi qui est exprimé clairement dans l'exposé des motifs qui la précède.

Quel est cet esprit ? C'est que la patente est un impôt prélevé sur le bénéfice du marchand ou du fabricant, de même que la contribution foncière est un prélèvement fait sur le revenu du propriétaire.

Or, messieurs, pour les neuf dixièmes des écoles dentellières, on affirme sans crainte de se tromper que les maîtresses qui les dirigent n'exercent point de métier et sont de simples intermédiaires qui ne s'attribuent pas le moindre bénéfice.

En second lieu il me paraît aussi évident que l'article 3, littera R, de la lo du 21 mai 1819 est applicable aux écoles dentellières.

Cet article stipule, en effet, que les ouvrières qui travaillent à domicile sont dispensées du payement de l'impôt de la patente.

Or j'ai toujours considéré comme l'a décidé en termes clairs une circulaire ministérielle publiée sous le régime hollandais et datée du 24 mars 1825, que les ouvrières réunies dans un atelier où elles travaillent chacune pour son compte particulier, doivent être assimilées aux ouvrières travaillant à domicile, du moment que la surveillance s'y exerce gratuitement. Cela est logique, l'atelier ici n'est pas autre chose qu'un domicile commun. Et pour moi, peu importe que les directrices de l'établissement viennent charitablement en aide aux apprenties pour vendre leurs dentelles au mieux de leurs intérêts, en leur fournissant, sans réaliser le moindre bénéfice, la matière première, cela ne change en rien le principe admis par la circulaire de 1825 ; au contraire il y aurait là un motif de plus de l'appliquer.

Messieurs, décider autrement c'est établir un privilège en faveur des ouvrières à domicile, et ceci répond à l'interruption par laquelle j'ai été accueilli au moment où j'ai pris la parole.

Pourquoi y aurait-il une différence entre les ouvrières qui travaillent à domicile et celles qui travaillent dans un atelier d'apprentissage ?

Les apprenties réunies dans les ateliers sont-elles dans une position autre que les ouvrières qui travaillent à domicile ? S'il y a une différence, elle est en faveur des premières.

Ne sont-elles pas les plus faibles, les plus inexpérimentées, les moins habiles, sont-elles moins dignes d'intérêt, moins dénuées de fortune que les ouvrières faites ; en définitive ne sont-elles pas, ces apprenties, les enfants des ouvrières en dentelles qui sont elles-mêmes exemptées de la patente ? On semble toujours croire que c'est en faveur des écoles et non en faveur des pauvres qui les fréquentent que nous réclamons. _

Messieurs, je conclus, avec mes honorables collègues qui m'ont précédé à cette tribune, que si la loi était telle que l'interprète la cour de cassation, il faudrait en faire une autre ; car elle est absurde. D'autre part, il ne faut pas oublier, messieurs, que l'industrie dentellière a rendu de très grands services aux Flandres. Cela n'est point contestable. Or, elle souffre actuellement, ce n'est pas le moment de l'accabler de charges qu'elle n'a jamais supportées jusqu'à présent.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Messieurs, toutes les industries ont pour résultat, sinon pour but, de procurer des salaires à la classe ouvrière. L'industrie dentellière n'est pas dans une situation exceptionnelle sous ce rapport ; elle ressemble, à ce point de vue, à toutes les autres. Lorsque l'on invoque les résultats de l'industrie dentellière en faveur des classes ouvrières, pour conclure à l'exemption de l’impôt, on oublie que, pour être juste, il faudrait prononcer également cette exemption en faveur de toutes les autres industries. Cet argument n'a donc absolument aucune valeur.

L'industrie dentellière est-elle, par hasard, grevée d'un impôt excessif, d'un impôt hors de proportion avec son importance ? Vous savez tous, messieurs, que les produits de l'industrie dentellière ont une très grande valeur ; on compte par millions la valeur des produits de cette riche industrie.

Eh bien, messieurs, quel est le montant de cet impôt, dont on réclame si chaleureusement l'exemption, exemption qui, prétend-on, sauverait tous les établissements qui s'occupent de cette fabrication et ferait le bonheur de toute la classe ouvrière qu'elle emploie ? De quoi s'agit-il, en réalité ? Il (page 1488) s'agit d'une somme de 40,000 fr., qui se répartit sur toutes les fabriques de dentelles du pays, quelles qu'elles soient, laïques et autres.

Il ne s'agit donc que de 10,000 fr. pour toutes les fabriques de dentelles de la Belgique, et vous voyez, messieurs, ce que vaut l'argument tiré de ce qu'un pareil impôt serait une entrave à la prospérité de cette industrie.

Parmi ces fabriques, il en est un certain nombre, particulièrement dans les deux Flandres, et plus particulièrement encore dans la Flandre occidentale, qui sont dirigées par des corporations religieuses.

Eh bien, on a toujours éprouvé une résistance extrême à obtenir d'elles le payement d'une patente qui, en moyenne, représente une quarantaine de francs par établissement.

Depuis un grand nombre d'années, cette résistance s'est manifestée sous toutes les formes.

Tout à l'heure, l'honorable M. Dumortier, avec la bienveillance qui le caractérise, supposait ingénieusement que, comme on s'était occupé de la question des écoles dentellières lors de la discussion de la loi sur la charité, c'est en conséquence de cette discussion que la question de la patente des écoles dentellières a été soulevée dans un temps assez rapproché de nous.

Il voyait là une espèce de vexation exercée par les agents de l'administration pour complaire au ministre.

Messieurs, si l'honorable membre avait bien voulu relire les longs débats qui ont eu lieu sur le même objet dans cette Chambre, lui présent, il aurait vu que la question a été soulevée il y a fort longtemps ; qu'elle l'a été notamment en 1845, sous le ministère de l'honorable M. Mercier et de ses amis ; que l'honorable M. Mercier l'a résolue exactement comme je l'ai résolue moi-même depuis.

C'est apparemment en prévision de la loi sur la charité que l'honorable M. Mercier a décidé dans ce sens.

En 1847, la question s'est présentée de nouveau ; c'était encore un honorable adversaire, M. Malou, qui dirigeait alors le département des finances, et qui a résolu la question exactement comme l'avait tranchée, avant lui, l'honorable M. Mercier. (Interruption.)

Oui, il a expliqué sa décision trois jours après. (Nouvelle interruption.)

M. de Haerne. - Six jours après.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Soit, six jours après, mais sans altérer en aucune façon le principe.

Quand, plus tard, des réclamations m'ont été adressées, j'ai décidé comme mes honorables prédécesseurs, j'ai interprété la loi dans le même sens qu'eux. Cette interprétation de la loi a été vivement attaquée, elle a été dénoncée à cette Chambre, l'assemblée a discuté largement la question, et j'ai fait connaître à cette occasion quels étaient les principes qui nous dirigeaient.

L'honorable M. de Haerne en particulier a contesté, comme vient de le faire encore l'honorable M. Tack, que le sens de la loi fût tel que nous le soutenons.

Qu'ai-je dit ? Ce que je dis encore aujourd'hui : Je ne veux pas attacher une grande importance à une recette de 16,000 fr. ; mais le ministre n'a le pouvoir d'exempter qui que ce soit de l'exécution de la loi. Le ministre soutient que la loi est exécutée conformément à son esprit. Si on conteste cette appréciation, il n'y a qu'un recours, c'est devant les tribunaux.

Or, pour ne pas mettre les citoyens à la discrétion des agents du pouvoir, à quelque degré que ce soit, il existe, en cette matière spéciale, un tribunal offrant plus qu'aucun autre toute garantie de bienveillance aux citoyens ; c'est la députation permanente, corps électif, tout à fait indépendant du pouvoir, qui a à statuer en premier ressort, soit qu'on se pourvoie contre une patente imposée d'office par l'administration, soit qu'on vienne réclamer contre la cotisation déterminée par les répartiteurs.

Dans les deux Flandres on s'est pourvu devant les députations permanentes ; le nombre de ces réclamations a été assez considérable, puisqu'il s'est élevé, si je ne me trompe, de 60 à 80. Les députations permanentes ont statué, et l'administration n'a fait qu'exécuter leurs décisions.

Or, quelle influence peuvent avoir les agents de l'administration sur les décisions des députations permanentes ? absolument aucune ; ils sont tenus de fournir à ces collèges les renseignements qu'ils réclament pour apprécier les faits. Là se borne toute leur intervention. La députation entend, d'autre part, la partie adverse qui se pourvoit devant elle ; on se livre à une enquête très minutieuse et, à coup sûr, très impartiale. Les députations des deux Flandres ont donc rejeté toutes les réclamations qui leur ont été présentées, à l'exception de quelques-unes qui ont été reconnues fondées. En présence d'une telle situation, que peut faire le gouvernement ? Mais évidemment il doit exécuter la loi.

Quelqu'un se lèvera-t-il ici pour convier le ministre des finances à ne pas exécuter la loi, à violer la Constitution, qui proclame que nulle exemption ou modération d'impôt ne peut être établie que par une loi, qui proclame surtout qu'il ne peut y avoir de privilèges en matière d'impôts ? Personne, sans doute, ne demandera pareille chose. Il faut donc que le gouvernement exécute la loi.

Une des parties condamnées par la députation permanente s'est pourvue en cassation. Là, s'est agitée la question de droit qui avait fait l'objet des débats de cette Chambre.

Nous avions soutenu que l'exemption ne s'appliquait qu'aux établissements publics et non aux établissements privés. L'honorable M. de Haerne nous a dit alors, comme il nous l'a répété aujourd'hui, que la loi n'est pas appliquée en Hollande comme en Belgique ; j'ai dit alors, et je répète à mon tour aujourd'hui, que l'honorable M. de Haerne se trompe ; qu'on ne prouve rien, en démontrant que, en Hollande, dans tel ou tel établissement on n'exige pas de patente, car le même fait se présente ici ; et il reste vrai qu'en Hollande le principe de la loi est entendu de la même manière que chez nous.

Quant à la question de savoir si les établissements publics sont exempts de la patente, question à raison de laquelle on nous accusait de violer la loi, ou tout au moins de la mal interpréter, cette question a été déférée à la cour de cassation et jugée dans un sens favorable à l'interprétation donnée par l'administration.

Encore une fois, cette solution étant intervenue, que peut faire le gouvernement ? Car, messieurs, veuillez-le remarquer, parmi les pétitionnaires vous en trouvez qui ont échoué déjà en premier ressort devant les députations, et en dernier ressort devant la cour de cassation, et l'on vous propose le renvoi au ministre des finances, de pétitions adressées par des individus condamnés judiciairement, légalement, à tous les degrés.

Mais, messieurs, vous reconnaîtrez, je pense, que cela ne peut être sérieusement proposé.

- Un membre. - Qu'est-ce qui s'est passé à Zarren ?

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - J'ai ici les pièces de cette affaire ; je pourrais au besoin édifier la Chambre sur les moyens indirects qu'on a employés pour éluder la loi.

Messieurs, nous avons beaucoup parlé récemment de liberté, de droit commun en toute matière ; on ne veut que cela ; tenons-nous donc au droit commun ; si l'on exerce une industrie quelconque, que ce soit par une association religieuse ou autrement, n'importe, que l'on se soumette à la loi commune, que l'on paye là cette modique patente, comme on la paye ailleurs.

Voudriez-vous donc qu'on fît une loi déclarant que, s'il y a des fabriques ou écoles-manufactures dentellières dans des établissements religieux, dans des couvents, il n'y aura pas de patente ; mais qu'il en sera autrement s'il s'agit d'une fabrique de dentelles dirigée par des laïques ?

M. B. Dumortier. - Personne ne demande cela.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Non, on ne le demande pas, du moins ouvertement ; mais évidemment c'est là qu'on en viendrait si l'on accueillait les réclamations des pétitionnaires. C'est là le fond de la question, et c'est en quoi on commet ici une très grande faute. On ferait beaucoup mieux, pour une chose aussi insignifiante, de se soumettre simplement à la loi.

M. B. Dumortier. - Seize mille francs pris dans la poche du pauvre, est-ce si peu de chose ?

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Mais non, cela n'est pas pris dans la poche du pauvre. Si la patente intéresse le pauvre, elle exerce la même action à raison de toutes les industries, quelles qu'elles soient. Ce n'est pas l'industrie dentellière seule que cette question peut affecter, et c'est même cette industrie qu'elle intéresse peut-être le moins.

Mais, en réalité, il ne s'agit nullement de cela : le pauvre est ici tout à fait hors de cause ; ne nous cachons pas derrière le pauvre ; il ne faut pas déplacer la question. Il s'agit de savoir si l'on est exempt, oui ou non, du droit de patente, parce qu'on se trouve dans telle ou telle position spéciale. Je dis qu'on commet une grande faute en venant soutenir ici de pareilles réclamations, et qu'on devrait convier ces établissements à se soumettre purement et simplement à la loi.

Messieurs, s'il y avait quelque moyen de donner satisfaction aux pétitionnaires, en conservant les principes de justice et d'équité pour tous, les principes d'une sage répartition de l'impôt, je ne demanderais pas mieux. Mais cela est tout à fait impossible.

Vous prendriez en faveur des pétitionnaires la mesure qu'ils réclament, que vous devriez aussitôt l'étendre à d'autres individus, tout aussi dignes (page 1489) d'intérêt, et qui mériteraient tout autant d'obtenir une telle exemption.

Je le répète, messieurs, la question est sans importance ; elle ne mérite vraiment pas de fixer aussi longtemps l'attention de la Chambre. Voilà plusieurs années qu'elle se reproduit devant vous et cela pour la chétive somme que je viens d'indiquer. Je pense que cela doit avoir une fin.

On me renverrait les pétitions, que cela ne servirait absolument à rien, puisque je ne fais qu'exécuter la loi, et que je mériterais d'être mis en accusation si j'agissais autrement.

M. Allard. - Dites donc ce qui s'est passé à Zarren. (Interruption.)

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Mais non. A quoi bon maintenant ?

MpVµ. - La parole est à M. Tack.

- Plusieurs membres. - Aux voix ! aux voix !

M. Tack. - Je n'ai que quelques mots à ajouter. M. le ministre des finances invoque les principes de la justice pour repousser la demande des pétitionnaires et il nous dit : Placez-vous sous l'empire du droit commun. Eh bien, messieurs, c'est précisément ce que nous demandons ; nous réclamons l'application du droit commun et pas autre chose. Ce n'est pas plus la cause des établissements religieux que celle des écoles laïques que nous défendons ; c'est la cause de l'ouvrier. (Interruption.)

M. B. Dumortier. - C'est la cause du pauvre. (Interruption.)

M. Tack. - Et c'est ainsi qu'on a toujours interprété la chose, j'en atteste la circulaire ministérielle de 1825 dont j'ai déjà parlé et qu'on ne saurait trop souvent invoquer.

Il faudrait, dit-on, demander l'exemption de tous les industriels ! Mais l'exemption que nous demandons existe pour toutes les industries : à l'égard de toutes, l'ouvrier travaillant chez lui en famille ne paye pas de patente ; eh bien, nous disons que des ouvriers réunis dans un atelier d'apprentissage, travaillant isolément, chacun pour soi, pour son profit exclusif, ne sont pas dans des conditions différentes ; ils doivent par conséquent jouir de la même immunité.

- Un membre. - Cela dépend.

M. Tack. - Sans doute, s'il y a spéculation de la part des directeurs d'établissements, ceux-ci sont assujettis à l'impôt de patente. Mais dans les cas qui nous occupent, il n'y a aucune spéculation, aucun but de lucre et dès lors il n'y a pas lieu au payement d'un droit de patente.

Depuis longtemps, dit M. le ministre, la question a été soulevée. En effet, messieurs, elle l'a été en 1843 sous l'administration de l'honorable M. Mercier et plus tard sous l'administration de l'honorable M. Malou. Mais ces deux honorables ministres sont toujours partis de ce principe qu'il s'agissait d'établissements créés en vue d'une spéculation commerciale. Ce qui le prouve, c'est que l'honorable M. Malou ayant appris qu'on avait interprété autrement le sens qu'il avait donné à la loi, s'est empressé quelques jours après de s'expliquer de la manière la plus catégorique. M. le ministre des finances n'est donc pas d'accord avec M. Malou.

Nous ne demandons pas au gouvernement de ne pas exécuter la loi. Je l'ai déjà dit, pour les cas sur lesquels la cour de cassation a statué, nous nous inclinons devant ses décisions. Mais nous disons qu'il y a une foule d'espèces différentes de celles sur lesquelles la cour suprême a été appelée à se prononcer, nous demandons que M. le ministre tienne la main à ce qu'on ne s'écarte pas de sa propre circulaire ; nous n'allons pas au-delà.

- Plusieurs membres. - Aux voix ! aux voix !

- La clôture de la discussion est prononcée.

M. Allard. - Je demande la parole sur la position de la question.

MpVµ. - Je ne l'ai pas encore posée.

La commission propose le renvoi des pétitions à M. le ministre des finances.

M. Allard. - Eh bien, je demande, au contraire, que ces pétitions soient renvoyées au bureau des renseignements.

- Plusieurs membres. - L'appel nominal !

M. Guilleryµ. - Je demande la parole pour un rappel au règlement. La discussion a été close sans que le gouvernement se soit opposé au renvoi proposé par la commission.

On ne pourrait plus faire de proposition après la clôture de la discussion. Le gouvernement accepte le renvoi. (Interruption.)

M. Orts. - C'est une erreur.

M. Muller. - M. le ministre des finances a combattu le renvoi en en démontrant l'inutilité.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je rappelle, messieurs, ce que j'ai dit tout à l'heure ; j'ai dit : on me renverrait les pétitions, que cela ne servirait absolument à rien, parce que je ne puis absolument rien faire.

MpVµ. - On me fait remarquer que la proposition de M. Allard n'est plus valable. Personne ne prétend le contraire. Je mets aux voix les conclusions de la commission.

- Plusieurs membres. - L'appel nominal !

- Il est procédé à cette opération.

En voici le résultat :

73 membres répondent à l'appel.

43 répondent non.

30 répondent oui.

En conséquence, la Chambre n'adopte pas.

Ont répondu non : MM. de Paul, de Renesse, de Ridder, de Rongé, Devaux, Dupret, Frère-Orban, Goblet, Grandgagnage, Grosfils, Guillery, Hymans, Jamar, M. Jouret, Lange, Laubry, C. Lebeau, J. Lebeau, Mouton, Muller, Orban, Orts, Pierre, Pirmez, Prévinaire, Rogier, Sabatier, Tesch, A. Vandenpeereboom, E. Vandenpeereboom, Vanderstichelen, Van Humbeeck, Van Iseghem, Van Volxem, Allard, David, de Baillet-Latour, de Breyne, de Brouckere, Dechentinnes, de Florisone, De Fré, de Gottal et Vervoort,

Ont répondu oui : MM. de Haerne, de Man d'Attenrode, de Muelenaere, de Naeyer, de Pitteurs-Hiegaerts, de Ruddere de Te Lokeren, de Smedt, de Terbecq, de Theux, B. Dumortier, d'Ursel, Janssens, Kervyn de Volkaersbeke. le Bailly de Tilleghem, Magherman, Notelteirs, Rodenbach, Royer de Behr, Tack, Thienpont, Van Bockel, Vanden Branden de Reeth, Vander Donckt, Van Overloop, Van Renynghe, Verwilghen, Vilain XIIII, Wasseige, Coomans et de Decker.

Rapports de pétitions

Proposition de loi relative à la responsabilité ministérielle

Dépôt

MpVµ. - La parole est continuée à M. le rapporteur.

M. Vander Donckt, rapporteur. - Par pétition datée d'Anvers, le 10 avril 1862, le sieur Hayez, lieutenant-colonel pensionné, dénonce à la Chambre les faits dont il a été l'objet de la part du département de la guerre et réclame son intervention pour que réparation puisse lui être accordée.

Messieurs, je n'abuserai pas des moments précieux de la Chambre en entrant dans le fond de cette question sur laquelle je pourrais m'étendre longuement, ce que je ne ferai certainement pas. Ma tâche est d'autant plus facile que les deux pétitions ont été imprimées dans une brochure distribuée à tous les honorables membres de cette Chambre qui ont pu y prendre connaissance de la demande du pétitionnaire.

Il est bon de constater ici que le règlement de la Chambre a limité la commission des pétitions et ne lui laisse l'option qu'entre trois espèces de conclusions.

Je parle ici pour le public, parce qu'on a critiqué les conclusions de la commission.

La Chambre veut que la commission choisisse entre ces trois conclusions : le renvoi au ministre de la guerre, l'ordre du jour ou le dépôt au bureau des renseignements.

Entre ces trois conclusions il a fallu opter ; elle n'a pas cru devoir proposer le renvoi au ministre de la guerre, ce qui serait absurde puisque la demande est dressée contre ce ministre. La commission n'a pas voulu non plus proposer l'ordre du jour, parce qu'il est incontestable que le colonel Hayez a des griefs contre l'honorable ministre de la guerre.

Certainement l'ordre du jour n'aurait été ni juste ni équitable. Il n'aurait pas reçu un bon accueil dans la Chambre, car il faudra pour le colonel Hayez une mesure quelque peu réparatrice des griefs dont il a été victime, une faute a été commise, c'est incontestable ; mais le colonel Hayez après avoir exposé tous ces griefs à son point de vue et à sa manière, termine en disant :

« Je dénonce donc à la Chambre :

« 1° La violation de l'article 2 de l'arrêté royal du 21 mai 1861 ;

« 2° L'illégalité des arrêtés royaux des 2 et 21 novembre 1861 ;

« 3° Les deux violations de domicile et les deux arrestations arbitraires dont j'ai été victime ;

« 4° La séquestration illégale, de plus de dix jours, que j'ai subie dans une des casemates de la citadelle de Diest.

« Je ne parle que pour mémoire des frais que j'ai dû supporter pour me faire rendre justice et seulement pour constater que si j'avais été sans ressources, comme la plupart de mes camarades, il m'eût fallu, pour vivre, courber la tête sous le despotisme ministériel.

« Il est impossible qu'un pareil arbitraire reste impuni ou sans réparation. Malheureusement, en présence de l'article 90 de la Constitution qui, depuis 53 ans n'a pas reçu d'exécution, cette réparation, je ne puis la poursuivre sans le concours de la Chambre.

« Je ne puis pas même introduire une action civile devant les tribunaux, qui, dans des cas analogues, se sont déclarés incompétents.

« Je viens donc, MM. les représentants, réclamer votre intervention dans les termes qu'il vous plaira d'adopter.

(page 1490) « Croyez-vous qu'il y ait lieu de décréter le ministre d'accusation pour avoir violé la loi et les règlements, provoqué des arrêtés royaux illégaux, ordonné des arrestations arbitraires envers un citoyen et sa séquestration illégale pendant plus de dix jours ; croyez-vous qu'il suffise que j'exerce une action civile comme partie lésée, action que je suis prêt à introduire dès que vous m'y aurez autorisé ; pensez-vous devoir provoquer immédiatement une loi sur la responsabilité ministérielle, en réservant mon droit de poursuivre la réparation qui m'est due, conformément aux prescriptions que vous jugerez convenable d'adopter ; je me soumets respectueusement à votre décision.

« J'ai l'espoir, MM. les représentants, que vous daignerez prendre en sérieuse considération la demande que j'ai l'honneur de vous adresser. Il m'est impossible de penser que, dans notre libre Belgique, un ministre puisse impunément exercer un pouvoir arbitraire, ou que le citoyen lésé puisse craindre un seul instant de voir l'exercice de son droit entravé par un déni de justice. »

Messieurs, votre commission a cru devoir émettre un avis favorable à ce que le lieutenant-colonel Hayez fût autorisé par la Chambre à poursuivre la revendication de ses droits à ses risques et périls, contre qui de droit. Enfin votre commission n'a pu prendre d'autre conclusion que celle du dépôt au bureau des renseignements qui n'implique nullement, comme on l'a dit, le renvoi aux oubliettes, mais qui signifie que la Chambre reste saisie de la question jusqu'à ce qu'elle ait pris telle autre mesure qu'il appartiendra.

M. de Gottal. - Enfin, messieurs, justice est faite des étranges théories que le ministre de la guerre a cherché à défendre dans cette enceinte. Aujourd'hui le doute n'est plus permis. Aujourd'hui il est démontré à toute évidence, ce que personne, du reste, n'est venu contester ici, l'honorable M. Devaux seul ayant déclaré qu'il était d'une opinion contraire ; il est démontré à toute évidence que les arrêtés royaux des 2 et 21 novembre 1861 sont illégaux, que le ministre a fait illégalement arrêter le pétitionnaire dans son domicile, qu'il l'a fait illégalement conduire et détenir à Diest.

Ces faits constituent une violation flagrante des articles 7 et 10 de la Constitution. En appliquant au pétitionnaire la loi de 1836 sur la position des officiers, loi si bien qualifiée par l'armée du nom de loi d'amour, le ministre a distrait le lieutenant-colonel Hayez du juge naturel que la loi lui assignait dans l'article 4 du Code pénal militaire.

Ce fait constitue encore la violation de l'article 8 de notre pacte fondamental.

Ce sont là, messieurs, des faits de la plus haute gravité, sur lesquels j'ai déjà eu l'honneur d'appeler l'attention toute spéciale de la Chambre, et j'ai cherché à les prévenir par les explications que j'ai données lorsque je demandais un prompt rapport sur la première pétition de M. Hayez . Mais le ministre de la guerre n'a tenu aucun compte de mes observations. Il a persisté dans l'arbitraire. Il s'est fié à son infaillibilité et à celle de son jurisconsulte. Il a compté sans doute beaucoup aussi sur son habileté et sur ses succès oratoires devant cette Chambre.

Quoi qu'il en soit, la question aujourd'hui est résolue. Le doute n'est plus permis même à ceux qui semblaient vouloir douter à cette époque, et quant à ceux-là qui ne rencontraient aucun argument juridique chez ceux qui soutenaient l'illégalité des mesures prises par M. le ministre de la guerre, l'arrêt de la haute cour militaire et celui de la cour de cassation doivent leur donner amplement satisfaction, au moins quant à ce point.

Mais je le demande, messieurs, satisfaction est-elle également donnée au pétitionnaire, et la Chambre à son tour, qui représente le pays, peut, elle se contenter de ce que l'arbitraire, de ce que l'illégalité, de ce que la violation de la Constitution viennent d'être constatées ? Un citoyen a été arrêté, détenu arbitrairement, on a usé envers lui de rigueurs parfaitement inutiles. Suffit-il aujourd'hui de venir lui dire : Vous aviez raison de résister ? Suffît-il de reconnaître et d'avouer ses torts ? Est-ce là une réparation suffisante ? Je ne le pense pas et je doute qu'aucun membre de la Chambre vienne soutenir cette opinion.

Mais si une réparation me semble due, nous avons à examiner la question : Quelle sera cette réparation et comment le pétitionnaire pourra-t-il l'obtenir ? Car c'est à nous que le pétitionnaire s'adresse dans sa dernière pétition pour que le principe de la responsabilité ministérielle ne reste pas à l'état de lettre morte.

Examinons donc d'abord, messieurs, la question au point de vue de la responsabilité civile, au point de vue de la partie lésée.

L'article 24 de la Constitution porte que « nulle autorisation préalable n'est nécessaire pour exercer des poursuites contre les fonctionnaires publics, pour faits de leur administration, sauf ce qui est statué à l'égard des ministres. »

Comme cela résulte des discussions qui ont eu lieu au Congrès, cet article comprend aussi bien les poursuites civiles que les poursuites criminelles.

C'est d'un ministre qu'il s'agit ici. Voyons ce que la Constitution et les lois ont statué à cet égard :

L'article 90 de la Constitution porte que

« Une loi déterminera les cas de responsabilité, les peines à infliger aux ministres et le mode de procéder contre eux, soit sur l'accusation admise par la Chambre des représentants, soit sur la poursuite des parties lésées, »

L'article 134 ajoute qu'en attendant que cette loi soit faite, la Chambre des représentants aura un pouvoir discrétionnaire pour accuser un ministre, et la cour de cassation pour le juger a en caractérisant le délit et en déterminant la peine. »

Vous le voyez donc, messieurs, les articles de la Constitution ont tout prévu quant à la poursuite criminelle. L'article 134 de la Constitution donne un pouvoir discrétionnaire à la Chambre pour accuser un ministre, à la cour de cassation pour le juger et appliquer des peines.

Quant à la réparation civile, rien n'a été statué. L'article 90 s'est borné à dire que, quant à l'exercice de cette action par la partie lésée, il y sera statué par une loi.

Jusqu'ici cette loi n'a pas été faite. On n'en avait pas senti la nécessité. La Chambre ne s'était pas encore trouvée saisie d'une question semblable à celle que nous avons à discuter aujourd'hui.

En l'absence de pareille loi, quelle est la décision que nous avons, ou pour mieux dire, que nous pouvons prendre ?

D'après moi, la réponse à cette question ne peut guère sortir de ce dilemme, en l'absence d'une loi spéciale sur la matière, c'est à la loi générale qu'il faut avoir recours, c'est le droit commun qu'il faut appliquer.

Si vous n'adoptez pas cette solution, vous arrivez à la conclusion nécessaire qu'un ministre est au-dessus de la loi, qu'aucune poursuite n'est possible, que l'impunité lui est assurée au moins au point de vue de la réparation civile.

Entre ces deux solutions, il me semble que l'hésitation n'est pas possible.

L'adoption de la seconde opinion aurait un grave inconvénient, porterait une grave atteinte à notre régime constitutionnel, et serait en opposition flagrante avec le principe de responsabilité inscrit dans la Constitution ; messieurs, les conséquences en pourraient même être plus graves encore ; n'est-il pas à craindre que l'on découvre ainsi la personne royale, dont l'inviolabilité est garantie par notre Constitution ?

On ne pourrait pas prétendre, messieurs, que la répression civile serait subordonnée à la répression criminelle, que la poursuite en dommages-intérêts serait subordonnée à la poursuite criminelle, poursuite que la Chambre seule, aux termes de la Constitution, a le droit d'exercer.

Car, comme le fait remarquer un orateur français, un ministre peut en effet être responsable, quoique, de sa part, il n'y ait qu'une de ces erreurs qui constituent la faute sans arriver au crime. Telle est aussi l'opinion de Dalloz, qui professe que la réparation civile existe séparément de la réparation publique.

Cette opinion est partagée par d'autres auteurs. Permettez-moi de cher celle de Macarel à cet égard :

« S'agit-il de délits commis par les ministres envers des particuliers, dans l'exercice de leurs fonctions ?

« On peut admettre que le ministre sera affranchi, dans ce cas, de l'application des peines ordinaires, la convenance et la nécessité même de cette prérogative politique ne seraient pas difficiles à justifier.

« Lorsqu'un ministre blesse et compromet, par un délit commis dans l'exercice de ses fonctions, l'honneur, la liberté, la fortune d'un citoyen, l'action pénale peut, si l'on veut, ne pas l'atteindre, mais il doit au citoyen une indemnité qui sera demandée, débattue et allouée par les voies civiles. »

Si donc, messieurs, au point de vue théorique, la question ne semble pas offrir de grandes difficultés, il n'en est pas entièrement de même au point de vue pratique.

La réparation civile, l'action civile existe en principe, trouve son existence dans les principes généraux du droit, se trouve formulée dans l'article 1382 du Code civil, se trouve implicitement reconnue par l'article 90 de la Constitution ; ce qui est à régler, c'est l'exercice de cette action. La difficulté pratique provient d'un arrêt de la cour de Bruxelles, en (page 1491) date du 21 mai 1815, confirmatif d'un jugement rendu en première instance. Un M. Lecharlier avait intenté une action en dommages-intérêts au ministre de la guerre pour faits relatifs à ses fonctions. Le juge se déclara incompétent :

« Attendu, porte le jugement, que le fait à raison duquel la réparation des dommages est demandée émane d'un ministre dans l'exercice de ses fonctions ;

« Attendu que l'appréciation de ce fait dans ses rapports avec la responsabilité ministérielle n'appartient qu'à la Chambre des représentants et à la cour de cassation, etc. »

Cette doctrine se trouve encore professée dans un arrêt de la cour de cassation, rendu, en 1848, dans l'affaire de Mlle Jones contre M. Hody.

Vous voyez donc qu'aux termes de l'arrêt de la cour de Bruxelles, l'intervention de la Chambre est considérée comme nécessaire. Mais quelle sera cette intervention ? Nous ne trouvons à cet égard aucune disposition ni dans la loi ni dans la Constitution.

Entendra-t-on que c'est l'autorisation dont il est parlé à l'article 24 de la Constitution ? Ce système, messieurs, pourrait amener des conflits. Car la Chambre, en accordant une autorisation de poursuite, en désignant une juridiction, le pétitionnaire muni de cette autorisation, se présentant devant le tribunal, la question d'incompétence pourrait de nouveau être soulevée, soit que l'exception fût opposée par le ministre poursuivi, soit que la question d'incompétence fût soulevée d'office par le ministère public.

Il serait donc, messieurs, aujourd'hui excessivement difficile, pour ne pas dire impossible, d'arriver à une solution.

Le pétitionnaire aujourd'hui est exposé à se trouver partout débouté par des exceptions d'incompétence.

Les discussions qui ont eu lieu au Congrès sur cette question ne peuvent guère nous donner d'éclaircissements. Permettez-moi, messieurs, de les rappeler aussi brièvement que possible.

Dans la séance du 20 janvier 1831, M. François proposa de placer à la suite de l’article 66 (qui est devenu l'article 90) de la Constitution, l'addition ou amendement suivant :

« Cependant lorsqu'un ministre s'est rendu coupable d'un crime ou délit hors de l'exercice de ses fonctions, il est justiciable des mêmes cours et tribunaux que les autres citoyens.

« Le ministre qui s'est rendu coupable d'un crime ou délit envers un ou plusieurs individus ou envers leurs propriétés, ne peut être traduit devant les tribunaux respectifs par l'individu lésé qu'après autorisation à donner par l'une des chambres de la cour de cassation.

« Lorsqu'un membre est traduit devant la cour de cassation par la Chambre des représentants, ceux qui se prétendent lésés par les faits sur lesquels porte l'accusation, peuvent intervenir comme parties civiles .

« Nulle autorisation ne peut être requise pour exercer des poursuites contre un ministre devant le 'tribunaux civils, afin d'obtenir réparation des dommages qu'il aurait causés, et qu'il résulteraient d'un délit ou d'un quasi-délit. »

Ainsi, dans la pensée de l'auteur de cet amendement, l'action civile devait pouvoir s'intenter devant le tribunal civil, n'importe que le fait pour lequel la réparation était demandée eût été commis par le ministre, dans l'exercice de ces fonctions ou en dehors de celles-ci.

M. Raikem fit observer que cet amendement ne pouvait trouver sa place dans la Constitution. Il en demanda l'ajournement jusqu'à ce que l'on s'occupât d'un projet de décret sur la responsabilité ministérielle.

Un autre membre, M. Van Snick, fui d'avis d'ajourner l'article 66 (aujourd'hui l'article 90) après la décision du Congrès sur le mode de composition de la cour de cassation, et présenta une disposition additionnelle ainsi conçue :

« La loi règle le mode de poursuite des crimes et délits commis par les ministres hors de leurs fonctions, ainsi que l'exercice des actions civiles résultant des faits relatifs à leurs fonctions. »

Après un vif débat, dont il n'est point de traces dans les publications de l'époque, l'amendement de M. François fut renvoyé aux sections et l'on finit par adopter la disposition additionnelle présentée M. Destouvelles, conçue de la manière suivante :

« Sauf ce qui sera statué par la loi quant à l'exercice de l'action civile par la partie lésée et aux crimes et délits que les ministres auraient commis hors de l'exercice de leurs fonctions. »

De cette manière, disait M. Destouvelles, on n'aura pas besoin de faire entrer dans la Constitution tous les détails, mais on posera clairement les principes qu'une loi devra régler.

Dans la séances du 21 janvier 1831, M. de Thorn déposa la proposition suivante :

« Les Belges ont le droit de refuser leur obéissance et au besoin d'opposer la force à tout acte illégal des autorités et à tout acte illégalement exercé.

« Ils peuvent poursuivre en réparation des atteintes portées à leur droit, tous ceux qui ont sollicité, expédié, signé, exécuté ou fait exécuter les actes dont ces atteintes sont résultées, et ce à partir de l'auteur immédiat de ces actes sans avoir besoin d'obtenir une autorisation préalable. »

Après le rejet de la première partie de cette proposition, la discussion s'ouvrit sur l'alinéa 3, en même temps que sur la disposition suivante présentée par la section centrale :

« Nulle autorisation préalable n'est nécessaire pour exercer des poursuites contrôles fonctionnaires publics, pour faits de leur administration, sauf ce qui est statué à l'égard des ministres. »

Disposition qui a passé dans l'article 24 de la Constitution.

L'honorable M. de Theux proposa la suppression des derniers mots de cette disposition, pensant qu'il ne fallait pas faire d'exception en faveur des ministres quand il s'agissait de dommages-intérêts.

« Il a été décidé hier, disait-il, qu'ils ne pouvaient être poursuivis pour délits qu'en vertu d'une autorisation de la Chambre des représentants, mais il a été reconnu que cette autorisation n'était pas requise pour agir civilement. L'exception devient donc inutile. »

L'honorable M. Lebeau, sans se prononcer sur l'amendement de M. de Theux fait remarquer qu'il lui semble présenter ce danger, c'est que si l'on constitue les tribunaux ordinaires juges des dommages commis par des ministres, et que l'on dispense les poursuites d'autorisation, il n'est pas de mauvaises contestations auxquelles ils ne soient en butte.

Il lui semble qu'il serait préférable de renvoyer l'examen de cette question aux rédacteurs du projet de loi sur la responsabilité ministérielle.

M. Forgeur partage la manière de voir de M. de Theux, en laissant intacte la question de savoir devant quels tribunaux l'action devra être intentée. D'après lui également, nulle autorisation n'est requise pour exercer l'action civile.

M. Van Meenen est du même avis, et voudrait voir modifier en ce sens la rédaction de la section centrale.

M. Barthélémy appuie la proposition de M. Lebeau, il pense qu'il faudrait distinguer pour quels cas l'autorisation sera ou ne sera pas nécessaire.

M. Fleussu pense que les ministres ne doivent être à l'abri des poursuites auxquelles ils s'exposent qu'en ce qui regarde la poursuite à fin publique.

« Pour celle-ci on leur donne un accusateur et un juge particulier d'après ce qui a été admis au chapitre des ministres.

« Pour les poursuites à fin civile, ils restent dans le droit commun. »

Plusieurs amendements furent encore proposés, entre autres celui d« M. Jacques, ainsi conçu ;

« Chacun peut poursuivre en réparation des atteintes portées à ses droits et sans autorisation préalable, tous fonctionnaires et agents publics qui ont signé, exécuté ou fait exécuter les actes dont ces atteintes sont résultées. »

M. Forgeur proposa d'ajouter à la rédaction de la section centrale, ces mots :

« Nulle autorisation n'est également requise pour poursuivre les ministres devant les tribunaux civils. »

Comme il arrive le plus souvent, dans ce dédale d'amendements, aucun ne rallia la majorité, et ce fut la proposition de la section centrale qui fut adoptée. (Article 24, Constitution.)

Vous le voyez, messieurs, les discussions du Congrès ne peuvent pas nous mettre à même de trancher la question.

Dans quel sens faut-il se prononcer ?

Faut-il appliquer le droit commun, faut-il se prononcer pour la poursuite sans l'autorisation de la Chambre, en soutenant comme le faisait en 1835, en France, un membre de la chambre des députés, en soulevant, dis-je, que subordonner la poursuite à cette autorisation revenait à dire : « Vous ne poursuivrez pas. »

« Je suppose, disait M. Salverte, que le ministre ait la majorité, croyez-vous que la Chambre, qui aura confiance en ce ministre et dans les principes qui le dirigent, consentira à ce qu'il soit mis en cause, qu'elle voudra lui infliger, pour ainsi dire, la déchéance du ministère pour une offense particulière.

« Non elle dirait que dans ce cas l'intérêt public, si elle croit que l’intérêt public est compromis, doit l'emporter sur l'intérêt particulier, que l'on ne peut pas exiger d'une chambre qui a confiance dans un ministre qu'elle se prononce contre lui pour un fait particulier encore à débattre.

(page 1492) Et M. Salverte conclut à ce que la poursuite doit pouvoir être intentée sans autorisation aucune.

Faut-il craindre comme le fait Benjamin Contant, qua si la garde de la liberté individuelle (par exemple) est confiée aux chambres législatives, si la poursuite en réparation des atteintes qu'on a portées à cette liberté est soumise à l'autorisation de la chambre, faut-il redouter que la liberté et la sûreté des citoyens se trouvent à la merci de la négligence, de la corruption ou de la servilité possible de ces assemblées ; et que ces deux biens inappréciables, pour lesquels l'homme a institué l'état social seraient menacés, compromis, par la coalition, toujours à craindre, du pouvoir représentatif et de l'autorité ministérielle ?

Mais si cette crainte n'est pas tout à fait chimérique, tout au moins dans notre pays pouvons-nous la regarder comme exagérée, et il n'en existe pas moins également des considérations d'un ordre élevé qui militent pour que l'exercice de l'action civile, surtout celle intentée du chef de dommages commis par les ministres dans l'exercice ou à l'occasion de leurs fonctions soit soumise à l'autorisation préalable de la Chambre.

Le caractère politique des ministres, disait M. Sauzet, leur position vis-à-vis des Chambres, ne commandent-ils pas cette garantie ?

N'est-il pas à craindre, comme le disait il y a trente ans, l'honorable M. Lebeau, que si l'on dispense les poursuites d'autorisation, il n'est pas de mauvaises contestations auxquelles les ministres ne soient en butte.

Quelle que soit l'opinion qu'on professe, il n'est pas moins vrai qu'aujourd'hui, une action civile intentée par le pétitionnaire en dommages-intérêts, ne saurait aboutir.

L'action civile, je ne puis trop le répéter, existe en vertu des principes généraux ; ce qui reste à régler, c'est l'exercice. Le seul moyen, à mes yeux, de trancher la difficulté, c'est la confection d'une loi de procédure, d'une loi de compétence, loi par laquelle on déclarera, non pour quels cas, pour quels faits l'action civile peut être intentée, mais devant quelle juridiction et dans quelles conditions elle doit l'être.

Cette loi, j'aurai l'honneur de la proposer à la Chambre, en me conformant aux prescriptions de l'article 35 du règlement.

Je bornerai là provisoirement mes observations sur ce point.

Comme j'ai eu l'honneur de le dire en commençant, les faits posés par M. le ministre de la guerre constituent la violation de plusieurs articles de notre Constitution, et de ce chef, nous avons à nous demander si une réparation n'est pas due à la société, au point de vue public, social ; si, comme Chambre, nous n'avons pas à poursuivre cette réparation, en vertu des pouvoirs qui nous sont attribués par les articles 90 et 134 de la Constitution.

Messieurs, lorsque j'ai examiné devant vous les premières réclamations du pétitionnaire, je ne vous ai pas caché le sentiment que me faisait éprouver la conduite tenue par M. le ministre de la guerre.

La Chambre alors n'a pas voulu trancher la question, n'a pas voulu se prononcer sur les faits. M. le ministre de la guerre, après s'y être longtemps refusé, a été forcé de traduire le pétitionnaire devant la haute cour militaire ; frappé par ses pairs, c'est devant la cour de cassation qu'il est allé chercher une condamnation nouvelle. Vous connaissez trop ces deux arrêts pour que j'aie besoin de vous en dire davantage.

Il me semble qu'en présence de ces arrêts, en présence du blâme universel que la conduite tenue par M. le ministre de la guerre a rencontré dans le pays, nous pouvons considérer la réparation, au point de vue social, comme suffisante jusqu'à un certain point et qu'il n'y a pas lieu de mettre en exercice le droit que nous avons en vertu de l'article 134 de la Constitution.

Quant à moi personnellement, je n'hésite pas à blâmer la conduite tenue, en cette circonstance, par M. le ministre de la guerre et je ne pense pas qu'il soit un membre de la Chambre qui vienne l'approuver.

Mais si, au point de vue de la réparation publique, la Chambre pourrait se contenter des deux arrêts et du blâme général dont la conduite tenue par M. le ministre de la guerre a été l'objet, il n'en est pas moins vrai que la question de la réparation civile est encore à résoudre et reste tout entière.

C'est dans cet ordre d'idées et après les explications que je viens de donner, que je crois pouvoir me rallier aux conclusions de la commission des pétitions, conclusions qui tendent à demander le dépôt de la pétition au bureau des renseignements.

De cette manière, la Chambre restera saisie de la pétition, et l'examen de la question trouvera plus naturellement sa place, après la discussion de la proposition de loi que je vais avoir l'honneur de transmettre au bureau.

Je le répète en terminant, c'est sous la réserve expresse de notifier les conclusions de la commission et de les modifier, que je m'y rallie provisoirement.

MpVµ. - La proposition de loi déposée par M. de Gottal est renvoyée aux sections qui auront à faire connaître si elles en autorisent la lecture.

MaeRµ. - Messieurs, l'honorable représentant d'Anvers a exprimé son opinion ; nous n'avons pas à la discuter en ce moment ; il a conclu à l'adoption des conclusions de M. le rapporteur de la commission des pétitions.

Nous ne voyons, quant à nous, aucun motif pour nous opposer au dépôt de la pétition au bureau des renseignements.

Nous attendrons que les sections se soient prononcées sur la proposition de loi qui vient d'être déposée par l'honorable membre, et quand elle reviendra dans cette Chambre, nous nous réservons de nous expliquer.

- La suite des débats est remise à demain à une heure.

Il est entendu que la Chambre reprendra, immédiatement après, la discussion du projet de loi relatif à la caisse d'épargne.

- La séance est levée à 5 heures.