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Chambres des représentants de Belgique
Séance du vendredi 12 décembre 1862

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1862-1863)

(page 117) (Présidence de M. Vervoort.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. de Florisone, secrétaire, procède à l’appel nominal à 2 heures et un quart.

M. de Boe, secrétaire, donne lecture-du procès-verbal de la séance d'hier.

- La rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Florisone, secrétaire, présente l'analyse des pièces adressées à la Chambre.

« Le conseil communal d'Emelghem demande que le chef-lieu du canton de la justice de paix d'Ingelmunster soit transféré à Iseghem. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Paris propose des moyens pour éviter les fraudes électorales. »

- Renvoi à la section centrale du projet de loi sur les fraudes électorales.

Projet de loi fixant le contingent de l’armée de l’année 1863

Rapport de la commission

M. Allard dépose le rapport de la commission qui a examiné le projet de loi sur le contingent de l'armée pour 1863.

- La Chambre ordonne l'impression et la distribution de ce rapport et le met à la suite de l'ordre du jour.

Projet de loi sur les fondations de bourse

Motion d’ordre

MpVµ. - Je viens de recevoir la note suivante de M. de Theux :

« Le gouvernement s'est borné à publier, à la suite du projet de loi relatif aux fondations pour l'enseignement, le texte des arrêtés de 1818, 1823 et 1829.

« D'autres renseignements sont nécessaires pour que cet important projet puisse être utilement examiné par les sections.

« Il y a lieu de demander la publication préalable et la distribution aux membres de la Chambre des documents dont la désignation suit ;

« 1° Arrêté du 12 décembre 1830 par lequel le gouvernement provisoire a rétabli le comité consultatif.

« 2° Arrêté du 7 janvier 1831 prescrivant des mesures financières relatives aux fondations.

« 3° Etat des fondations existantes et rétablies depuis 1818.

« Les fondations y devraient être classées par provinces.

« Outre les indications données par le tableau publié au Moniteur en 1846, le revenu actuel de chaque fondation et la nature des biens qui produisent ces revenus, y seraient indiqués.

« Si l'on ne veut pas réimprimer cet état détaillé des fondations, il faudrait du moins en donner un résumé complet, c'est-à-dire indiquer, par province, le nombre de fondations, leur dotation, le genre d'études auquel elles sont affectées, en les distinguant par catégories, le nombre et l'importance des fondations dont l'administration et la collation appartiennent aux familles et de celles qui appartiennent à des personnes successives laïques ou ecclésiastiques.

« 4° Publier les rapports que les députations permanentes ont adresses au gouvernement, depuis quelques années, en exécution de l'article 8 de l'arrêté organique de 1818.

« 5' Les rapports des inspecteurs du gouvernement, s'il a cru devoir user du droit d'inspection que l'article 31 de l'arrêté de 1823 lui attribue.

« 6° Les avis du comité établi au ministère de la justice :

« a) Sur le présent projet de loi, si ce comité a été consulté.

« b) Sur la question de constitutionnalité et de force obligatoire des arrêtés organiques.

« 7° Publier une analyse des jugements et arrêtés rendus en matière de fondations de bourses d'études.

« 8° Publier quelques actes de fondations appartenant à diverses époques, par exemple quatre ou cinq par siècle, en choisissant les institutions les plus importantes et notamment les actes qui contiendraient des clauses de retour des biens aux familles des fondateurs, en cas d'inexécution. »

MFOFµ. - Mon collègue, M. le ministre de la justice, ne se trouve pas en ce moment à la séance ; il n'a pas été averti de la motion de l'honorable M. de Theux ; je crois donc devoir, en son absence, présenter quelques observations.

La Chambre, après avoir examiné dans ses sections le projet de loi qui lui est soumis, verra si elle a besoin de renseignements. (Interruption.) Comment peut-on dire a priori que la Chambre a besoin des renseignements indiqués par l'honorable M. de Theux ? L'honorable membre peut bien, lui personnellement, désirer ces renseignements ; mais les autres membres de la Chambre peuvent n'être pas du même avis.

Que demande-t-on ? A ce que je viens d'entendre, on demande l'impression d'une partie du Recueil des lois, d'un état des fondations, qui a déjà été publié, qui est un document public déjà produit plusieurs fois à la Chambre. Il me semble, messieurs, que cette demande n'a rien de sérieux, et qu'elle ne peut avoir qu'un seul but : celui de retarder l'examen du projet de loi. Je le répète, il s'agit de documents publics et imprimés, et ceux qui veulent en prendre connaissance peuvent très facilement se les procurer, sans qu'on ait besoin d'en faire une nouvelle édition pour les membres de la Chambre.

M. Orts. - Messieurs, je demande à ajouter quelques mots aux explications que vient de présenter M. le ministre des finances. La position que j'ai occupée dans quelques commissions qui ont examiné les questions relatives aux fondations de bourses d'études, me permettra de m'expliquer d'une manière plus précise encore que M. le ministre.

Messieurs, les documents qu'on demande de faire réimprimer et distribuer aux membres de la Chambre, constitueraient, je ne dirai pas un volume, mais plusieurs volumes considérables de texte qui n'auraient pas même le mérite, pour la plupart, d'être neufs. D'autres n'existent pas.

L'honorable M. de Theux demande, par exemple, en premier lieu, que le gouvernement réimprime et communique à la Chambre deux arrêtés du gouvernement provisoire, en date du 12 décembre 1830 et du 7 janvier 1831.

(page 118) Or, ces arrêtés se trouvent imprimés dans tous les recueils de lois imaginables. Ils ont été également insérés dans le premier rapport général sur l'enseignement supérieur que l’honorable M. Nothomb a présenté à la Chambre en 1843. Voilà pour les deux premiers documents.

On demande ensuite l'état des fondations existantes ou rétablies depuis 1818.

Cet état constitue un volume in-4°, imprimé et publié en 1846 par les soins de M. d'Anethan, alors ministre de la justice. On peut se le procurer chez tous les libraires et dans toutes les bibliothèques. C'est un tiré à part du Moniteur. Ce recueil est analysé de plus dans l'œuvre de M. Jamart, employé supérieur au ministère de l'intérieur et qui remonte, je pense, à peu près à la même date.

On demande 3° la publication des rapports que les députations permanentes ont adressés au gouvernement sur l'exécution de l'arrêté de 1818.

Le besoin de ces rapports n'a jamais été éprouvé par aucune des commissions, et elles ont été nombreuses, que le gouvernement, sous tous les ministères, à toutes les époques, a chargées d'examiner la législation sur les fondations de bourses ; je parle notamment de la commission qui a été nommée en 1849 et dont je faisais moi-même partie. Je doute d'ailleurs très sérieusement de l'existence même de ces rapports.

On demande ensuite l'impression des rapports des inspecteurs du gouvernement, s'il a cru devoir user du droit d'inspection que l'article 31 de l'arrêté de 1825 lui attribue.

. Je crois, si mes souvenirs sont exacts, et je demande pardon à la Chambre de leur inexactitude très probable, car je suis pris un peu à l'improviste, je crois que cette inspection n'a jamais été organisée.

Mais qui doit le savoir mieux que moi, c'est incontestablement l'honorable M. de Theux, car il a été ministre de l'intérieur pendant de longues années, avec l'instruction publique dans ses attributions. On peut voir et l'on peut demander l'avis du comité consultatif établi près du département de la justice, sur le projet de loi dont la Chambre est saisie. Cela ne peut souffrir aucune difficulté, mais la demande est prématurée. Si la section centrale qui examinera le projet de loi, désire voir cet avis, le gouvernement le lui communiquera, en supposant toutefois que le comité ait été consulté, comme le gouvernement communique à la Chambre toutes les instructions préalables des projets de loi qu'il soumet à la législature.

L'honorable comte de Theux demande encore l'avis de ce comité sur la force obligatoire et constitutionnelle des arrêtés organiques pris par le roi Guillaume en matière de fondation de bourses.

Messieurs, il est évident que le comité consultatif établi près du département de la justice répondra que ces arrêtés sont parfaitement constitutionnels et obligatoires et la raison en est bien simple. Ces arrêtés ont créé le comité, et si les arrêtés n'avaient été ni obligatoires, ni constitutionnels dans la pensée de ses membres, le comité aurait donné immédiatement sa démission.

Du reste, comme le reconnaît l'honorable M. de Theux lui-même, au n°7° de sa proposition, la question de constitutionnalité et de force obligatoire de la législation sur les fondations de bourses, a été soumise à diverses reprises à l'autorité judiciaire.

La jurisprudence de toutes nos cours est unanime pour reconnaître que ces arrêtés étaient obligatoires et constitutionnels ; et encore une fois, je pense que l'honorable M. de Theux, qui a été ministre de l'intérieur pendant de longues années, n'aurait pas exécuté ou laissé fonctionner des arrêtés qu'il aurait estimés inconstitutionnels et non obligatoires.

Enfin, on demande la publication des actes de fondation eux-mêmes.

En 1855 ou en 1856, - ici l'honorable M. Nothomb pourra me rectifier, si je me trompe de date, - une commission a été institué par les soins de l'honorable membre que je viens de nommer, alors ministre de la justice.

Elle fut chargée, à la suite d'une discussion au sein de la Chambre, d'organiser une publication dont le but était de réimprimer toutes les chartes constitutives de fondations de bourses dans notre pays.

La commission m'avait fait l'honneur de me nommer son président, nous avons tenu quelques séances et nous avons constaté que cette publication coûterait un argent fou, dépasserait évidemment tout ce qu'il était légitime de consacrer de ressources financières pour un objet d'une utilité relative aussi restreinte. Nous avons abandonné la tâche, d'accord avec le gouvernement, et la Chambre n'a pas insisté.

Voilà, messieurs, l'analyse rapide des documents dont on nous demande la publication. Sauf, en définitive, les divers avis des autorités consultées sur le projet actuel, il est impossible de songer à faire imprimer tout le reste, soit parce que la dépense serait trop considérable, soit parce que les documents désignés ont été imprimés déjà depuis longtemps, soit parce qu'enfin ils se rapportent à des questions qui ne peuvent plus être douteuses pour personne.

M. de Theux. - Je sais parfaitement bien qu'à force de rechercher, les membres de la Chambre parviendraient à réunir une partie des renseignements que j'ai indiqués et qui sont épars dans de nombreux recueils. Mais, dans une matière aussi importante, aussi controversée et si peu connue, je crois qu'il est convenable que les membres de la Chambre soient nantis de tous les documents relatifs à la question des fondations d'instruction et de bourses, et puissent les consulter avec facilité ; et il convient qu'ils soient mis en possession de ces documents avant l'examen en sections du projet de loi, si l'on veut que cet examen soit sérieux ; sans cela l'opinion des sections n'aura aucune valeur aux yeux du pays.

Je sais, messieurs, qu'un état des fondations a été publié au Moniteur ; cet état est assez volumineux, mais la plupart des membres actuels de la Chambre ne le possèdent pas. Je ne vois donc aucune objection raisonnable à ce qu'on satisfasse, pour ce cas spécial, à la demande que j'ai présentée. Maintenant, si l'on ne veut pas réimprimer cet état de fondations de bourses, au moins faudrait-il un résumé complet indiquant, par province, le nombre des fondations, leurs dotations, le genre d'études auxquelles elles ont été affectées, en distinguant, par catégories le nombre et l'importance des fondations dont l'administration et la collation appartiennent aux familles et de celles qui appartiennent à des personnes successives, laïques ou ecclésiastiques.

II est bon que nous sachions sur quoi nous aurons à statuer, d'après le projet de loi. Aujourd'hui, nous ne le savons, pas ; nous restons à cet égard, dans le vague le plus complet.

Ainsi, le gouvernement veut faire des fondations de bourses une institution provinciale ; il remet tout à une commission provinciale ; eh bien, je demande qu'on classe les diverses fondations par province et par catégorie.

Ce travail serait peu de chose pour les employés du ministère ; tandis que, pour nous, membres de la Chambre, ce serait un véritable labyrinthe. Je ne pense pas que M. le ministre de la justice se refuse à cela.

Quant aux rapports des députations permanentes, c'est encore une chose que le gouvernement peut facilement nous procurer ; tandis que si chacun de nous devait aller annoter les neuf rapports qui ont été publiés depuis plusieurs années par les administrations provinciales, ce serait un travail interminable et auquel bien peu d'entre nous seraient disposés à se livrer.

Si les rapports des inspecteurs existent, c'est encore très peu de chose.

Maintenant, quant aux travaux du comité qui a été institué au département de la justice, comme l'honorable M. Orts déclare qu'il n'y a nul doute que ce comité a considéré les arrêtés du gouvernement des Pays-Bas, relatifs aux fondations de bourses, comme parfaitement constitutionnels ; quant aux jugements rendus en matière de fondation de bourses d'études, l'honorable M. Orts ayant déclaré que les tribunaux avaient reconnu la légalité et la constitutionnalité des arrêtés, je n'insiste pas pour les numéros 6 et 7 la déclaration de M. Orts me suffit.

Publier les actes de fondation, M. Orts a déclaré que la commission avait reculé devant le travail ordonné par le gouvernement à la suite d'une décision de la Chambre sur une proposition de M. Frère, qui avait demandé qu'on fît imprimer tous les actes de fondation en matière d'enseignement en général ; s'il fallait imprimer tous ces actes, ce serait, comme on l'a dit, un travail extrêmement considérable ; mais toujours est-il que M. Frère a reconnu l'utilité de ce renseignement la Chambre l’a reconnu également ; au lieu du travail général devant lequel on a reculé, je demande un travail partiel, je demande la publication de quelques actes appartenant à diverses époques, par exemple quatre ou cinq par siècle en choisissant les institutions les plus importantes et notamment les actes qui contiendraient les clauses de retour des biens aux familles des fondateurs en cas d'inexécution.

Cette demande ainsi simplifiée peut-elle raisonnablement être repoussée par le gouvernement dans une matière compliquée, très peu connue, très importante en elle-même ? Je crois qu'il est juste de satisfaire à cette demande de renseignements.

MTJµ. - La proposition de l'honorable M. de Theux est assez insolite : jusqu'à présent quand un projet était déposé, il était examiné en sections.

Mi. de Theuxµ. - C'est une question spéciale.

MTJµ. - On peut appliquer cela à tous les projets et ce serait un moyen de les écarter en en ajournant l'examen, Y a-t-il lieu de déroger à la marche suivie jusqu’à présent ?

(page 119) Je n’en vois pas la raison.

Le projet n'a pas encore été examiné, personne ne sait si les renseignements qu'on demandes sont ou ne sont pas réellement nécessaires ou utiles pour la discussion du projet qui vous est présenté.

Je vais, au surplus, parcourir les différentes demandes de l'honorable M. de Theux.

« Un résumé des fondations, indiquant par province le nombre des fondations, leur dotation, le genre d'études auquel elles sont affectées en les distinguant par catégorie, le nombre et l'importance des fondations dont l'administration et la collation appartiennent aux familles et de celles qui appartiennent à des personnes successives laïques ou ecclésiastiques. »

Semblable résumé n'existe pas et je ne voudrais pas prendre la responsabilité de le faire. Je serais inévitablement accusé de manquer d'exactitude.

« L'arrêté du 12 décembre 1830, par lequel le gouvernement provisoire a rétabli le comité consultatif. »

Je suppose que cet arrêté est dans tous les recueils.

« L'arrêté du 7 janvier 1831 prescrivant des mesures financières relatives aux fondations. »

Je dois encore croire que cet arrêté est dans le journal officiel et dans la Pasinomie, pourquoi donc demander la réimpression d'un document qui est à la disposition de tout le monde ?

« L'état des fondations existantes et rétablies depuis 1818 ? »

Cet état a été publié, il est dans toutes les mains, il est même, je pense, dans le commerce.

M. B. Dumortier. - Qu'on en achète 120 exemplaires et qu'on nous les distribue.

MTJµ. - Cela se trouve à la bibliothèque et là chaque député peut en prendre connaissance.

Publier les rapports que les députations permanentes ont adressés au gouvernement depuis quelques années en exécution de l'arrêté organique de 1818.

Je dois dire que s'il y a des rapports de députations permanentes, je n'en ai jamais vu, jamais on ne m'en a mis aucun sous les yeux. Ce sont là des documents qui me sont complètement inconnus.

« Les rapports des inspecteurs du gouvernement, s'il a cru devoir user du droit d'inspection que l'article 31 de l'arrêté de 1823 lui attribue. »

Jamais, je pense, personne n'a usé de ce droit. Quant à moi je ne l'ai pas fait et je ne pense pas qu'aucun de mes prédécesseurs ait fait faire une inspection de ce genre.

« Les avis du comité établi au ministère de la justice (a) sur le présent projet, si ce comité a été consulté (b) sur la question de constitutionnalité et de force obligatoire des arrêtés organiques. »

Il n'a pas été consulté sur le projet de loi. Quant aux décisions intervenues sur la force obligatoire des arrêtés organiques, elles sont dans tous les recueils.

« Publier une analyse des jugements et arrêts pris en matière de bourses d'études. »

Je déclare que je n'entends pas me charger de l'analyse des jugements ou arrêts rendus en cette matière ; ce serait là une mission trop délicate.

Il faut bien se condamner à lire les arrêts en entier si l'on veut se rendre compte des motifs des décisions intervenues.

« Enfin publier quelques actes de fondation appartenant à diverses époques, par exemple, quatre ou cinq par siècle, en choisissant les institutions les plus importantes et notamment les actes qui contiendraient des clauses de retour des biens aux familles des fondateurs en cas d'inexécution. »

Messieurs, les sections examineront. Si elles trouvent que ces actes sont nécessaires pour la discussion, on pourra les faire imprimer ; mais ce n'est pas là un motif pour suspendre l'examen du projet de loi.

M. de Theux. - Messieurs, je suis vraiment étonné et je regrette que M. le ministre de la justice semble s'opposer à une demande aussi simple que celle que je fais, surtout lorsque j'ai fait remarquer que son collègue M. le ministre des finances, comme membre de la Chambre, avait demandé l'impression de toutes les fondations relatives à l'enseignement et aux bourses d'étude, que le gouvernement y avait consenti et que la Chambre l'avait ordonnée.

Il me semble, messieurs, que c'était là un travail considérable. Je le limite énormément, puisque je ne demande que quelques actes de fondation partiels.

Je dis qu'il importe que la Chambre, dans une matière si peu connue, ait réunis sous les yeux en un seul document la plupart des renseignements pour pouvoir les consulter avec fruit.

Dans une infinité de circonstances, les renseignements de ce genre ont été fournis et réimprimés pour la commodité des membres de la Chambre.

Admettez donc que chacun de nous soit dans le cas de devoir consulter tous ces divers actes épars ; cela prendrait presque tout notre temps et ne pourrait se faire méthodiquement et avec fruit comme lorsque l'on a sous la main un recueil réunissant tous ces documents, soit pour l'examen en section, soit pour la discussion publique. Sans cela, on sera dans le vague, dans l'absence complète de renseignements.

Mais il est des renseignements que M. le ministre déclare ne pas posséder.

Qu'il les réclame aux administrations provinciales et chacune d'elles fournira avec facilité le travail résumant les fondations par province et par catégorie, suivant leur nature, que la collation appartienne aux particuliers ou à la famille, qu'il y ait des collateurs spéciaux.

Voilà des renseignements que chaque province pourra très facilement réunir et communiquer au ministre, qui pourra alors les faire imprimer, s'il ne persiste pas dans son opposition et si la Chambre ordonne la réunion des renseignements comme je les ai indiqués.

Je crois que la demande est excessivement simple et que l'on ne peut de bonne grâce la refuser.

MFOFµ. - Messieurs, l'honorable comte de Theux me paraît avoir grand tort d'essayer de s'autoriser de la proposition que j'ai faite, à une autre époque, d'imprimer tous les actes de fondation, pour en déduire qu'il y a lieu maintenant d'adopter la proposition qu'il vous soumet. Les deux motions n'ont absolument rien de commun.

Je n'ai pas fait la motion qui vient d'être rappelée pour retarder l'examen d'un projet de loi. J'ai fait une motion qui avait un caractère d'intérêt public, d'intérêt général. Il s'agissait de savoir si l'on pouvait former un recueil de tous les actes de fondation, afin qu'on pût apprécier ce qu'ils contenaient réellement, et savoir ainsi quels étaient, d'après ces actes, les collateurs ou administrateurs désignés par les fondateurs, et cela afin que l'on pût apprécier si les faits existants étaient en harmonie avec les dispositions contenues dans les actes.

J'agissais donc dans une toute autre pensée que ne le suppose l'honorable membre. Une commission a été instituée par le cabinet précédent. Cette commission, appelée à délibérer sur l'exécution à donner à la proposition que j'avais soumise, et qui avait été accueillie, n'y a pas donné suite ; elle a déclaré qu'il était impossible d'entreprendre le travail considérable qu'aurait exigé la réunion de tous ces documents ; les frais d'impression d'un pareil recueil eussent d'ailleurs été considérables. Les choses en sont donc restées là. Maintenant que démarque l'honorable M. de Theux ? Nous ne connaissons pas, dit-il, les documents législatifs, administratifs et judiciaires, relatifs aux fondations de bourses ; il faudrait se livrer à un long travail de recherche pour les réunir. Je désire donc que le gouvernement nous les fournisse.

Je comprendrais, à la rigueur, qu'une pareille motion fût faite, s'il s'agissait de documents purement administratifs qui n'eussent pas été publiés. Mais que désire, en réalité, l'honorable comte de Theux ? Je vous demande, dit-il, de bien vouloir faire imprimer l'arrêté de telle date, la décision de telle date.

Vraiment, messieurs, il faut en convenir, cela ne se comprend pas. Il suffit d'ouvrir le premier recueil de législation ou de jurisprudence, pour y trouver ce que demande l'honorable membre. Il prouve d'ailleurs lui-même, par la manière dont sa motion est formulée, qu'elle est sans intérêt, sans objet utile.

Il n'est qu'un résultat qu'elle puisse atteindre : c'est de retarder l'examen du projet de loi. C'est, sous une forme détournée, une véritable motion d'ajournement. Cela revient à dire : Nous demandons beaucoup de documents : il faudra longtemps pour les imprimer, et pendant ce temps on n'examinera pas le projet de loi. Voilà tout ; mais quant aux documents dont les dates sont indiquées dans la motion de l'honorable comte de Theux ; qu'on apporte le recueil des lois, la Pasinomie, qu'on ouvre ces ouvrages aux dates indiquées, et l'on reconnaîtra sur-le-champ que la motion de l'honorable membre n'a pas de raison d'être.

Quant aux autres renseignements demandés, ils consistent en des documents dont M. le ministre de la justice n'a pas même connaissance. Il faut donc bien y renoncer.

Reste l'état des fondations ; mais il existe ; il a également été imprimé ; Il est facile de se le procurer. (page 120) Il est assurément à la bibliothèque de la Chambre ; il est dans vingt bibliothèques. Il est même, nous a dit M. Orts, dans le commerce.

M. Orts. - Et au Moniteur de 1846.

MFOFµ. - Effectivement, il a été imprimé au Moniteur. Il suffira donc d'indiquer la date sous laquelle ce document a été inséré au Moniteur pour qu'il soit fait droit à la réclamation de l'honorable comte de Theux,

Je demande en conséquence à la Chambre de ne pas retarder, par l'adoption de la motion qui vient d'être faite, l'examen du projet de loi sur les fondations de bourses.

M. de Theux. - Messieurs, tout ce que j'ai compris dans la réponse du ministre, c'est qu'il ne désire pas que l'examen de cet important projet soit facilité autant qu'il devrait l’être pour tous les membres de la Chambre, que l'on met les membres de la Chambre en présence d'un véritable labyrinthe en ce qui concerne les fondations, et que le gouvernement sera seul nanti de tous les documents, de tous les renseignements parfaitement classés, quand il s'agira de la discussion.

II suppose que mon intention est de retarder l'examen du projet de loi en sections. C'est une supposition toute gratuite ; cette intention n'est pas dans ma pensée. Car alors même que la Chambre ne jugerait pas à propos d'ordonner l'impression des documents que j'ai indiqués avant l'examen en sections, je demande qu'ils soient distribués avant l'époque de la discussion publique afin qu'au moins, on discute en présence de renseignements positifs et complets. Cette dernière proposition ne peut, je pense, souffrir aucune espèce de difficulté.

MTJµ. - Si la section centrale demande certains renseignements, le gouvernement fera tout ce qui dépendra de lui pour les fournir, mais c'est certainement une marche très insolite que de demander des documents avant que personne ait examiné. Au surplus les renseignements que je pourrais fournir sont à la disposition de tout le monde ; ceux que je n'ai pas, il m'est impossible de les fournir.

Si nous combattons la motion de l'honorable M. de Theux, ce n'est pas, comme il semble l'insinuer, pour faire en quelque sorte une surprise à la Chambre, mais, je le répète, la plupart des documents dont il s'agit, ou bien sont imprimés, ou bien ne sont pas en la possession du gouvernement.

Il me semble que la marche logique c'est d'examiner le projet dans les sections, comme on le fait toujours et de laisser à la section centrale le soin d'indiquer les documents qu'elle trouvera nécessaires à la discussion. Je le répète, le gouvernement fera tout ce qui sera en son pouvoir pour procurer ces documents à la Chambre.

M. Orts. - La marche que propose M. le ministre de la justice est évidemment la marche rationnelle, la seule conforme aux précédents, aux usages de la Chambre. Quand une section centrale demande des renseignements, le gouvernement ne se refuse jamais à les fournir. Mais, il appartient à la section centrale seule de les demander.

Afin d'obtenir une solution prompte et régulière sur l'utilité des renseignements réclamés par 1'honorable M. de Theux, voici ce que je me permets de proposer à la Chambre. Suivant en ce l'exemple donné par l'honorable membre, à l'occasion d'un autre projet, je demande que la Chambre fixe à mercredi prochain le commencement de l'examen en sections du projet de loi sur les bourses.

M. B. Dumortier. - Je n'avais pas l'honneur de connaître la motion de l'honorable M. de Theux, il m'est donc impossible de l'examiner en détail ; mais une chose me frappe dans l'attitude du ministère : ce ne sont pas des arguments qu'il nous oppose, ce sont des fins de non-recevoir. Que dit M. le ministre des finances ? « C’est pour retarder l'examen en sections que vous faites votre motion. »

Eh bien, je demande que l'honorable ministre veuille bien faire un petit retour sur sa propre conscience et nous dire si en 1857 lorsqu'il a proposé l'impression de certaines pièces de la nature de celle dont il s'agit dans la proposition de l'honorable M. de Theux, si nous n'étions pas les premiers à voter l'impression de ces pièces ?

Il n'est venu alors à l'idée de personne de soutenir que cette demande était faite dans le but de retarder l'examen du projet de loi.

Le règlement veut, messieurs, que tout projet de loi subisse trois épreuves, évidemment il n'entend pas que la troisième épreuve qui est la discussion publique, soit seule efficace. C'est cependant ce qui arriverait si les documents nécessaires pour éclairer les membres de la Chambre n'étaient fournis qu'après l'examen en section centrale.

II s'agit, messieurs, d'une matière tellement spéciale, tellement hors de nos débats habituels, que peut-être il n'est pas dix membres dans cette assemblée qui puissent en raisonner sans connaître les documents demandés par mon honorable ami, Le projet de loi soulève des questions d'une énorme gravité, il soulève une question de propriété. Le gouvernement peut-il venir confisquer...

- Un membreµ. - C'est le fond.

M. B. Dumortier. - Il est possible que cela vous gêne, mais je le dirai : le gouvernement peut-il confisquer les fondations de bourses ? N'y a-t-il pas là une atteinte violente portée au droit de propriété ?

Eh bien, messieurs, pour examiner une question aussi grave, il faut connaître quelles sont les fondations et quelles sont les attributions données par les fondateurs à ceux qui gèrent aujourd'hui.

Ce n'est pas tout, messieurs ; le projet de loi soulève une autre question qui est également d'une excessive gravité ; il s'agit de transférer au chef-lieu de chaque province toutes les fondations de la province entière. Eh bien, croyez-vous qu'il me convienne à moi. par exemple, qui habite la ville de Tournai, de voir transporter à Mons les fondations si nombreuses qui existent à Tournai ?

Messieurs, quand il s'agit d'une loi qui est si fortement empreinte des idées de 1793, je dis que la Chambre ne peut pas s'entourer d'assez de lumières et que son premier devoir est de consentir à l'impression de tous les documents qui peuvent l'éclairer.

Que l'honorable membre qui a présidé la commission nommée pour l'examen du projet, soit parfaitement au courant de toutes les questions que le projet soulève, je l'admets parfaitement, mais la plupart des membres de la Chambre ne sont pas dans ce cas et en ce qui me concerne personnellement, je déclare que j'ai grand besoin d'être éclairé sur ces questions.

L'honorable M. Orts voudrait nous obliger à examiner mercredi prochain un projet de loi qu'aucun de nous ne connaît, sur lequel l'opinion publique ne s'est point encore fait jour, dont la presse commence seulement à s'occuper. Évidemment, messieurs, c'est là une chose impossible, la Chambre n'abordera pas l'examen d'un projet aussi important, d'un projet qui touche au principe de la propriété et au droit constitutionnel, avant de s'être éclairée par tous les moyens possibles.

MTJµ. - La Chambre aura remarqué que l'honorable M. Dumortier a beaucoup moins parlé de la motion de l'honorable M. de Theux que du fond même de la question. Elle n'attend pas de moi que je suive l'honorable membre sur ce terrain, mais quand le jour de la discussion sera venu, je prouverai que le projet ne confisque rien du tout, qu'il ne touche pas aux questions de propriété et qu’il n'a rien emprunté aux idées de 1793.

Voilà ce que j'établirai en m'appuyant de l'autorité d'hommes auxquels on ne peut reprocher ni les principes de 1793, ni d'être moins conservateurs que l'honorable M. Dumortier lui-même.

Du reste, les documents réclamés n'apprendront absolument rien à l'honorable M. B. Dumortier sur les questions qu'il soulève. Les questions de confiscation, du transfert de l'administration d'une fondation d'un lieu à un autre, de Tournai à Mons, par exemple, ne seront pas éclairées par les actes. L'honorable membre trouvera dans les traités de droit public de quoi former sa conviction.

MpVµ. - M. de Theux, quels numéros de votre proposition maintenez-vous ?

M. de Theux. - M. le président, je maintiens les numéros 3°, 4°, 5° et 8° et je supprime les autres numéros, en suite de certaines déclarations qui ont été faites.

MpVµ. - Je mets aux voix cette partie de la proposition.

- Des membresµ. -L'appel nominal.

- Il est procédé à cette opération.

En voici le résultat ;

83 membres sont présents.

48 répondent non.

35 répondent oui.

La Chambre n'adopte pas.

Ont répondu oui : MM. Rodenbach, Royer de Behr, Tack, Thibaut, Thienpont, Vander Donckt, Van de Woestyne, Van Overloop, Verwilghen, Wasseige, Coomans, Coppens, Debaets, de Decker, de Haerne, de Liedekerke, de Mérode, de Montpellier, de Muelenaere, de Naeyer, de Pitteurs-Hiegaerts, de Ruddere de Te Lokeren, de Smedt, de Terbecq, de Theux, B. Dumortier, H. Dumortier, d'Ursel, Julliot, Kervyn de Lettenhove, Landeloos, Magherman, Moncheur, Notelteirs et Nothomb.

Ont répondu non : MM. Rogier, Sabatier, Tesch, A. Vandenpeereboom, E. Vandenpeereboom, Van Humbeeck, Van Iseghem, Van Leempoel de Nieuwmunster, Van Volxem, Allard, Ansiau, Bara, Braconier, Carlier-Dautrebande, Crombez, Cumont, de Baillet-Latour, de Boe, de Breyne, de Brouckere, Dechentinnes, de Florisone, De Fré, de Gottal, de Renesse, de Ridder, (page 121) de Rongé, d'Hoffschmidt, Frère-Orban, Frison, Goblet, Grandgagnage, Grosfils, Hymans, Jacquemyns, Jamar, J. Jouret, M. Jouret, Lange, Laubry, Moreau, Mouton, Muller, Nélis, Orban, Orts, Pirmez et Vervoort.


M. B. Dumortier. - Messieurs, la Chambre devant continuer à s'occuper dans les sections de l'examen des budgets, pour éviter autant que possible les crédits provisoires, je demande que le projet de loi sur les fondations de bourses soit mis à l'ordre du jour des sections le lendemain de la rentrée de la Chambre.

M. Nothombµ. - Pendant que j'ai occupé le département de la justice, j'ai fait imprimer deux gros volumes qui contiennent outre les discussions de 1857 différents documents relatifs aux fondations de bourses d'études ; il s'y trouve les textes de loi, des arrêts judiciaires, même, je crois, des actes de fondations. Je crois qu'il reste un assez grand nombre d'exemplaires de cette publication qui offre un intérêt d'actualité.

Je demanderai à M. le ministre de la justice s'il voit de l'inconvénient à les distribuer aux membres de la Chambre.

MTJµ. - Je ne vois aucun inconvénient à distribuer ces exemplaires, s'il en reste un nombre suffisant ; mais je crois que ce document a déjà été distribué aux membres de la Chambre ; de sorte qu'on pourrait se borner à remettre un exemplaire à ceux qui n'ont pas reçu le volume. Je prierais ces membres de me remettre une note.

M. Nothombµ. - Il y a en effet plusieurs membres de la Chambre qui n'ont pas reçu ce document.

MFOFµ. - On se déclare prêt à leur en donner un exemplaire.

MpVµ. - Maintenant viennent les propositions de MM. Orts et B. Dumortier ; M. Orts, maintenez-vous votre proposition ?

M. Orts. - Non, M. le président.

MpVµ. - Je mets donc aux voix la proposition de M. Dumortier qui tend à remettre au lendemain de la rentrée de la Chambre après les vacances de Noël l'examen en sections du projet de loi sur les fondations de bourses.

- Cette proposition est adoptée.

Projet de loi portant le budget des voies et moyens de l’exercice 1863

Discussion générale

M. de Naeyer. - Messieurs, mon intention n'est pas de passer en revue les chiffres en quelque sorte innombrables qui ont été mis en campagne au sujet de la question du sel ; je crois que cela n'est pas nécessaire pour les besoins de la cause que j'essayerai de défendre. D'ailleurs, messieurs, on a répété souvent et avec raison qu'il est possible de faire dire aux chiffres à peu près tout ce qu'on veut : cela dépend de la manière dont on veut bien les aligner et les grouper, et je crois que l'honorable M. Jamar a prouvé d'une manière très claire et très péremptoire que M. le ministre des finances avait un peu abusé de cette faculté de faire parler les chiffres dans l'intérêt de sa cause.

Messieurs, on aura beau, dans cette question, entasser subtilités sur subtilités ; on aura beau étaler un véritable luxe de calculs et d'évaluations ; il y a un fait qui est constant, c'est que nous sommes ici réellement en présence d'un des abus les plus criants d'un autre âge. Car, je vous le demande franchement, frapper un objet de première nécessité, surtout pour les classes inférieures de la société, le frapper d'un impôt absorbant plusieurs fois la valeur de l'objet imposé, je le demande, cela est-il conforme à l'esprit de notre siècle, cela est-il en harmonie avec les progrès de notre civilisation ?

Messieurs, si une idée pareille pouvait naître aujourd'hui pour la première fois, évidemment il n'y aurait pas assez de sifflets pour en faire prompte et complète justice.

Il s'agit toujours, au fond, de la fameuse gabelle ; on l'a modernisée, mais on n'a pas pu effacer les grands vices de sa honteuse origine. Voici en deux mots l'histoire de cet impôt ; c'est évidemment le despotisme qui a créé l'impôt sur le sel ; il ne pouvait en être autrement.

Aussi, messieurs, la première révolution française, celle de 1789, l'avait aboli, et comment a-t-il été rétabli ? Par la main despotique du premier Napoléon ; voilà son histoire.

Maintenant, c'est une pensée souverainement inhumaine qui a présidé à cette création. Qu'a-t-on voulu ? On a voulu rendre tributaire du fisc même celui qui ne possède rien. Voilà l'odieux problème qu'on est parvenu à résoudre. Dès lors, les déshérités de la fortune ont eu beau invoquer la maxime : « Là où il n'y a rien, Je roi perd ses droits » ; on leur a répondu impitoyablement : « Vous payerez ou vous cesserez de vivre. »

Et en effet, messieurs, non seulement le sel est un objet de première nécessité, mais c'est une substance qui n'admet pas de succédanum. Ainsi l'homme privé de viande peut encore soutenir son existence en mangeant du pain, et s'il est privé de pain, il peut se nourrir de plusieurs autres substances végétales. Mais s'il est privé absolument de sel, il n'a plus qu'un seul parti à prendre, c'est de se résoudre à faire le grand voyage qu'on ne fait qu'une fois. (Interruption.)

Messieurs, il n'est donc pas étonnant que cet impôt ait été non seulement condamné, mais, disons-le, flétri, livré à l'exécration publique par la grande majorité des économistes et des publicistes modernes. Aussi, on vous l'a déjà dit, lorsque en 1846, l'opinion libérale était à la veille d'occuper le pouvoir, elle publia un programme des réformes qu'elle entendait réaliser. Lisez ce programme, vous y verrez inscrite en termes formels, la réduction successive du droit sur le sel, afin d'arriver à l'abolition définitive de ce droit qui constitue, disait-elle, un anachronisme dans un Etat démocratique.

MFOFµ. - Ce n'est pas en 1846, mais en 1848, que cette réforme a été indiquée.

M. de Naeyer. - Soit ! Je me trompe donc de deux années.

MFOFµ. - Cela fait beaucoup,

M. Coomans. - C'est en 1847.

M. de Naeyer. - 1847 ou 1818, qu'importe ? ne chicanons pas sur de pareilles misères. Voilà donc ce que demandait le congrès libéral...

M. Muller. - Ce n'est pas le congrès libéral, mais l'association libérale de Bruxelles qui a préconisé la suppression de l'impôt sur le sel.

M. de Naeyer. - Soit, encore ; je ne suis pas tout à fait initié à ce genre d'institutions... (Interruption.) Cela se conçoit, mon erreur est donc excusable. L'association libérale de Bruxelles était cependant l’organe du parti libéral.

MFOFµ. - D'une fraction.

M. de Naeyer. - Enfin, je dirai l'opinion libérale ; aimez-vous mieux cela ?

Eh bien, je me demande comment il se fait que ce qui était déjà un anachronisme il y a 14 ou 15 ans est devenu aujourd'hui une chose toute simple, toute naturelle ; un impôt comme un autre, dont il serait même peu raisonnable de demander l'abolition ! Voilà un revirement que je m'explique difficilement à moins d'avoir recours à l'adage qui dit :

Tempora mutantur quia nos mutamur in illis.

M. le ministre des finances a employé un genre d'argumentation très adroit, très subtil. Il disait l'année dernière assez ironiquement aux adversaires de l'impôt sur le sel, et il a répété cette année encore en d'autres termes : « Ainsi cet impôt sur le sel, vous le trouvez mauvais, vous le trouvez odieux ; mais, mon Dieu ! admettons que tout cela soit vrai, mais cela ne vous avance guère, car vous prouvez beaucoup trop et par conséquent, vous ne prouvez rien. Tous les impôts sont mauvais et odieux, voilà ce que vous perdez de vue ; et ils sont mauvais et odieux à tel point, que moi, ministre des finances (je crois que c'est l'année dernière que ce langage a été tenu), si j'avais un choix à faire entre les impôts je ne saurais trop lequel préférer ; tout ce que je puis dire à cet égard, c'est que les impôts qui existent, par cela même qu'ils existent, sont les moins mauvais. » Par conséquent nous dit l'honorable ministre, la conclusion logique de vos prémisses serait l'abolition de tous les impôts.

Je serais disposé à me ranger à cet avis ; j'y mets cependant une petite condition, c'est que vous aurez la bonté de m'indiquer le moyen de gouverner sans impôt.

Ainsi tous les impôts seraient mauvais, et les impôts existants, par cela même qu'ils existent, seraient les moins mauvais. Cette doctrine, si elle était vraie, serait réellement désolante.

Comment ! depuis plusieurs années, les hommes doués du plus grand talent ont publié des ouvrages remarquables, frappés au coin d'une profonde science, dans lesquels ils se sont attachés à déterminer les conditions que l'impôt doit réunir pour être juste et équitable ! Ils auraient donc poursuivi une chimère, ils auraient consumé leurs forces dans un travail stérile !

Mais la doctrine du ministre serait la condamnation de sa propre conduite ! En effet, n'a-t-il pas apporté des changements importants à notre système d’impôts : n'en a-t-il pas aboli quelques-uns et introduit d'autres ?

Il aurait eu grandement tort d'après le principe qu'il professe aujourd'hui, car les impôts qu'il a abolis étaient moins mauvais que ceux qu'il (page 122) a introduits, cela est évident, d'après ses principes ; c'est le cas de dire que le jeu ne valut pas la chandelle.

Messieurs, je comprends que si on voulait s'amuser à faire des jeux de mots, on pourrait dire que tous les impôts sont mauvais, de même que toutes les dettes sont mauvaises. Car les dettes en général, et les impôts en particulier, entraînent l'obligation de payer, et ce mot-là est dur, durus est hic sermo, il contrarie cet instinct de conservation qui est si naturel à l'homme, et dont je ne veux pas médire, pour ma part. Toutefois, à côté de cet instinct de conservation, qui fait en quelque sorte partie de notre être; à côté de l'égoïsme, puisqu'il faut l'appeler par son nom, il y a aussi des sentiments de justice, il y a des idées de bon droit qui fort heureusement exercent aussi un grand empire sur l’homme et les destinées humaines.

Eh bien, en se plaçant à ce point de vue on distingue parfaitement entre (erratum, page 133 ) les dettes légitimes et les dettes illégitimes, entre les impôts justes et les impôts injustes, entre ceux qui sont essentiellement mauvais et ceux qu'on ne peut raisonnablement considérer comme tels.

On peut ainsi facilement se convaincre que l'impôt cesse d'être mauvais quand il remplit certaines conditions qui (erratum, page 133) me paraissent pouvoir être déterminées comme suit :

1° Il faut qu'il serve exclusivement à procurer à l'Etat les ressources qui lui sont indispensables pour exercer ses véritables attributions ;

2° Il doit être proportionné aux ressources des contribuables ;

3° Il ne doit coûter aux contribuables que les sommes qui entrent dans les caisses de l'Etat.

Enfin il ne peut entraîner des frais de répartition et de recouvrement exagérés, car ce n'est qu'après déduction de ces frais que l'impôt est réellement employé aux dépenses publiques. Or, n'est-il pas évident que l'impôt du sel viole pour ainsi dire entièrement toutes ces conditions ?

En ce qui concerne l'emploi qui en est fait, je veux bien admettre que c'est un impôt comme un autre puisque le produit qu'il donne se confond avec les autres ressources du trésor. Toutefois je dois relever ici une considération qu'on fait valoir assez souvent pour plaider en quelque sorte des circonstances atténuantes en faveur de l'imposition dont il s'agit.

Ainsi, j'ai entendu dire quelquefois que quels que soient les vices de l'accise sur le sel, il faut cependant reconnaître qu'il en est fait un excellent usage, parce que c'est au moyen des ressources qu'il procure qu'on répand les bienfaits de l'instruction primaire, qu'on ouvre partout d'excellentes voies de communication.

Messieurs, en raisonnant de cette sorte, on a perdu absolument de vue que l'impôt du sel n'a plus aujourd'hui une affectation spéciale. Il en était autrement sous l'empire de la loi de 1806 qui a rétabli cet impôt en lui donnant une affectation spéciale. Savez-vous à quoi il était destiné ? Par une disposition formelle de la loi de 1806, il était exclusivement affecté à l'entretien des routes.

Depuis lors on a créé d'autres ressources pour assurer le bon entretien des routes. La conséquence logique était de supprimer l'impôt sur le sel ; on n'en a rien fait, on a pratiqué cette maxime que ce qui est bon à prendre est bon à garder ; voilà comment l'impôt du sel, qui avait une destination spéciale, a été maintenu pour se confondre avec toutes les autres ressources de l'Etat.

De sorte que, au lieu de dire que l'impôt du sel est aujourd'hui employé à favoriser l'instruction primaire et à construire des routes, des canaux et des chemins de fer, on pourrait avec tout autant de raison dire que c'est à l'aide de cette ressource que le gouvernement trouve le moyen de grossir dans des proportions effrayantes le chiffre des pensions de maintenir une foule de petits rouages administratifs reconnus à peu près inutiles, enfin de couvrir une foule de dépenses bien moins populaires que celles derrière lesquelles on cherche à abriter la gabelle modernisée.

J'en viens à la seconde condition, celle de la proportionnalité de l'impôt. Cette condition existe-t-elle pour l'impôt du sel ? Il est évident que la proportionnalité existe, mais qu'elle est renversée.

C'est-à-dire que l'impôt croît en raison de la diminution des ressources des contribuables.

Pour le prouver, je n'ai pas besoin de chiffres ; il suffit d'une seule observation. N'est-il pas vrai qu'il faut une quantité plus considérable de sel pour rendra assimilables les aliments grossiers, fades et insipides qui forment la nourriture du malheureux, que pour digérer parfaitement et même avec délices les mets succulents servis sur la table du riche ?

Je crois qu'il est inutile d'insister sur ce point, et que toute démonstration ultérieure est superflue. C'est donc ici la violation la plus complète du principe de la proportionnalité de l'impôt. Cependant une chose aussi évidente et aussi palpable a été révoquée en doute par l'honorable ministre des finances. Il admet que c'est un impôt de consommation. Malgré cela, en réalité l'impôt ne serait pas payé par le consommateur.

Voici sa doctrine, il paraît que les impôts de consommation renferment un grand mystère, quelque chose que Dieu seul pourrait faire connaître ; on sait parfaitement que l'impôt entre dans la caisse du trésor, mais on ne sait pas qui le paye, nul ne peut le savoir. Ainsi pour l'impôt sur le sel, évidemment celui qui achète cette marchandise rembourse au producteur ou fabricant les 18 centimes d'impôt par kil. Mais, dit l'honorable ministre, cet acheteur a bien soin de se faire rembourser à son tour en calculant son salaire, soit comme industriel, soit comme commerçant, soit même comme ouvrier.

Messieurs, ce système n'est pas nouveau ; il s'appelle, si je ne me trompe, le système de répercussion. M. Thiers en a fait un très grand usage.

On pourrait aussi l'appeler l’indifférentisme en matière d'impôt, car suivant ce système, peu importe le genre d'impôt qu'on perçoit, il ne faut faire attention qu'à la somme perçue, qui seule représente le capital enlevé à l'activité privée. Quant à la répartition de l'impôt, elle s'opère d'elle-même par suite d'une loi d'équilibre qui fait que l'impôt est toujours payé par celui qui doit le payer, en bonne justice.

Si je ne me trompe, M. Thiers a comparé l'impôt à une espèce de fluide impondérable qui traverse avec une facilité étonnante toutes les fibres de l'organisme social et qui en définitive finit toujours par former une partie intégrante du prix des choses.

Vous voyez que c'est excessivement spirituel, mais ce n'est absolument que cela.

Le système a été, on peut le dire, à différentes reprises renversé de fond en comble, réfuté complètement, et s'il y a quelque chose d'étonnant, c'est qu'il soit reproduit encore ici par M. le ministre des finances.

Les partisans de ce système que font-ils en définitive ? Pour atténuer la portée de faits certains, positifs, ils allèguent des suppositions, des possibilités qui sont subordonnées à mille circonstances, et qui peuvent être contrariées, paralysées même par une foule d'obstacles.

Ainsi l'ouvrier peut-il donc calculer librement son salaire comme il le veut ? Mais très souvent il est réduit à cette triste nécessité d'avoir à travailler avec un salaire réduit ou bien de mourir de faim. Et puis, puisque vous prétendez que votre impôt est compensé par une augmentation artificielle du salaire, mais dès lors n'est-il pas évident que dans les moments de crise et de stagnation les privations et les souffrances de l'ouvrier sont rendues plus cruelles ?

Vous voyez donc, messieurs, que ces subtilités-là ne détruisent, en aucune façon les vices que nous reprochons à l'impôt du sel.

Il reste constant que c'est une violation manifeste, flagrante scandaleuse, je le dirai, du principe de la proportionnalité.

Messieurs, je veux bien le reconnaître, on peut reprocher ce défaut de proportionnalité aux impôts de consommation en général. Voyons au moins si sous ce rapport l'impôt du sel est en quelque sorte en harmonie avec les autres charges qui grèvent la consommation.

Notre système d'impôts de consommation se compose, comme vous le savez, des accises sur le vin, sur les boissons alcooliques, sur le sucre la bière et le sel.

Or, pour le vin, objet de luxe, évidemment, et qui ne doit être consommé que par ceux qui sont parfaitement en état de le payer, le droit est insignifiant. Il s'agit de 4, 5, 6 p. c. On dira que c'est en vertu de traités ; mais l'insignifiance du droit n'en est pas moins réelle pour cet objet de luxe.

Pour le sucre, pour les boissons alcooliques, la proportion est plus élevée.

Quand nous arrivons à la bière qui est un objet de consommation en quelque sorte nécessaire à la classe ouvrière, le droit s'élève à 30, 40 pour cent.

Mais enfin, messieurs, pour le sel c'est bien autre chose. Le fisc ne se contente plus de 40 ou 50 p. c ; non, il lui faut au moins plusieurs fois la valeur de l'objet.

Eh bien, messieurs, ce système est-il justifiable ? Est-il possible de le maintenir et de le maintenir d'une manière illimitée ?

On nous dit qu'on n'est pas d'accord si l'impôt s'élève à 700, à 800 p. cent, ou bien seulement à 200p. c, mais mon Dieu ! qu'importe ! 200 p. c. n'est-ce pas plus que suffisant pour le rendre profondément odieux et pour révolter la conscience publique ?

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Il est de 50 p. c.

M. de Naeyer. - Voici les faits, et je crois qu'ils ne seront pas contestés. Je crois que le sel brut vaut 2 ou 3 fr. par cent kil.

M. Royer de Behrµ. - Deux francs.

(page 123) Eh bien, pour avoir la permission d'employer cet objet qui vaut 2 ou 3 fr. le fisc exige 18 fr. Voilà les faits dans toute leur simplicité ; je vous demande si cela n'est pas exorbitant au dernier point.

Je veux bien admettre qu'il y aurait quelque exagération dans les calculs qui tendent à prouver que l'impôt serait de 900 p. c ; mais il m'est aussi impossible d'admettre l'évaluation de l'honorable M. de Boe qui ne l’élève qu'à 200 p. c.

MFOFµ. - Voilà une évaluation qui est évidemment inexacte. Je vais le prouver.

M. de Naeyer. - Voici comment raisonne l'honorable M. de Boe, qui est d'ailleurs favorable à l'abolition de l'impôt, il dit : Le sel raffiné et livré à la consommation se vend 27 1/2 fr. (erratum, page 133) les 110 kil.

Or, dans ces 27 1/2 fr. il y a 18 fr. d'impôt.

Eh bien, l'honorable membre perd ici complètement de vue qu'en violation d'une des conditions requises pour rendre un impôt acceptable, l'impôt sur le sel coûte bien plus au contribuable que la somme perçue par le trésor. Il appartient à cette catégorie d’impositions qui ne se payent pas seulement en argent, mais encore en pertes de temps, en vexations et en tracasseries de tout genre.

Je ne pense pas qu'il soit possible de soutenir que si l'impôt était aboli, 110 kilog. de sel coûteraient encore neuf francs et demi, comme le suppose l'honorable M. de Boe. Je ne pense pas qu'il soit admissible que les frais de raffinage puissent tripler, quadrupler même le prix de la marchandise.

Mais que doit faire le raffineur en fixant son prix ?

II doit faire entrer en ligne de compte non seulement ce qu'il a payé au fisc, mais aussi toutes les pertes de temps que lui font subir les formalités qu'il doit remplir, tous les obstacles en un mot qu'il rencontre au libre exercice de son industrie.

Vous le voyez donc, cette évaluation n'est pas exacte : L'impôt s'élève plus haut ou plutôt il coûte plus cher au contribuable.

On a dit, messieurs, que cette élévation de l'impôt n'a pas grand inconvénient, parce qu'en définitive il s'agit d'un objet de très peu de valeur, et même en y ajoutant l'impôt, le prix ne peut jamais s'élever de telle façon que la marchandise soit en quelque sorte inaccessible.

Eh bien, je vous avoue franchement que cet argument me fait de la peine, car il conduit directement à cette triste conclusion que le fisc aurait reçu la mission de traverser les desseins évidents de la Providence. En effet, le sel a été créé à profusion ; c'est évidemment un bienfait considérable du Créateur en faveur des classes inférieures de la société, et voilà donc le fisc qui aurait le droit de confisquer ce bienfait et de dire : Cela a été fait pour moi, pour me procurer l'occasion de percevoir un impôt tout à fait exceptionnel.

Messieurs, c'est le renversement, me paraît-il, de toutes les idées de justice et d'humanité.

L'argument favori de l'honorable ministre des finances consiste à dire que l'impôt ne peut pas avoir une influence un peu sensible sur la consommation et voici pourquoi.

II y a, dit-il, pour le sel, un minimum de consommation indispensable et ce minimum ne peut pas être considérablement dépassé, parce que le sel atteignant certaines proportions, répugne à l'homme. Ce n'est pas ici un objet de luxe ; ce n'est pas même un objet dont on puisse abuser. Dès lors la consommation reste nécessairement dans certaines limites. En deux mots, il n'y a presque pas de marge entre le minimum et le maximum de la consommation. Dès lors l'impôt ne peut exercer qu'une influence à peine perceptible, et son élévation ne présente aucun inconvénient sérieux, et cependant il reste toujours un inconvénient qui révolte au plus haut degré, c'est de frapper outre mesure un objet plus nécessaire aux pauvres qu'aux riches. Cela seul suffirait pour justifier nos réclamations.

Mais je pense en outre que l'honorable M. Jamar a parfaitement démontré que là où l'impôt n'existe pas, la consommation est plus considérable, et que là où l'impôt est moindre, la consommation prend aussi des proportions plus grandes qu'en Belgique où le droit est de 18 fr. par 100 kil. et il ne pourrait en être autrement sans faire mentir toutes les lois économiques.

D'ailleurs l'honorable ministre s'est mis sous ce rapport en contradiction évidentes avec lui-même. En effet il a cherché à prouver que, même en Belgique, où l'impôt est resté constamment le même, la consommation se développe, qu'elle prend un certain accroissement, et il a attribué cela à quoi : à l'accroissement de l'aisance publique. Mais si l'accroissement de l’aisance publique peut avoir cet effet, l'abolition de l'impôt l'aurait a fortiori et je vais vous le prouver eu deux mots.

Pourquoi l'accroissement de la richesse publique peut-il faire augmenter la consommation du sel ? Mais évidemment parce qu'elle procure beaucoup de ressources pour acheter du sel. Mais s'il en est ainsi de l'accroissement de la richesse publique, je le répète, il en sera ainsi a fortiori de l'abolition de l'impôt, parce que l'individu qui peut dépenser 10 fr. pour acheter du sel, ne peut s'en procurer aujourd'hui avec cette somme que 30 à 40 kilog., et lorsque l'impôt sera aboli, il pourra s'en procurer 100 kilog., peut-être 200.

Vous voyez donc qu'ici vous avez l'équivalent de l'accroissement de la richesse publique ; mais vous avez un accroissement de ressources qui agit d'une manière plus directe et d'une manière plus énergique et plus efficace.

Vous voyez que, sous ce rapport, vous êtes réellement en contradiction avec vous-même.

MFOFµ. - Du tout ! Du tout !

M. de Naeyer - Du tout ! Mais n'avez-vous pas insisté sur ce point, en produisant même de nombreux chiffres, qu'en Belgique, où l'impôt est resté le même, la consommation a augmenté, et n'avez-vous pas attribué cela à l'augmentation de la richesse publique, c'est-à-dire à ce que les habitants, en général, avaient plus de ressources pour acheter du sel ?

MFOFµ. - Non pour acheter du sel, mais pour acheter d'autres objets de consommation pour lesquels il faut du sel, c'est-à-dire que les consommations générales se sont accrues.

M. de Naeyer. - Mais c'est une erreur profonde.

Vous croyez que c'est parce qu'on se procure plus d'objets de consommation et en quelque sorte des objets de luxe, qu'on emploie une plus grande quantité de sel. C'est tout le contraire. C'est lorsque l'on est dans la misère, c'est lorsqu'on doit se nourrir d'aliments de peu de valeur que l'on est forcé d'employer proportionnellement la plus grande quantité de sel.

Ainsi votre argument prouve beaucoup trop, il. vient à l'appui de ce que je soutenais ; c'est que par la suppression de l'impôt, vous aurez immédiatement une consommation plus considérable.

Messieurs, nous ne prétendons pas que cet accroissement prendra des proportions fabuleuses ; mais la consommation sera incontestablement augmentée d'après les faits mêmes allégués par l'honorable ministre et cette augmentation sera un bienfait incontestable en faveur des classes inférieures de la société. Cela ne suffit-il pas pour justifier nos réclamations ?

Nous n'avons pas besoin d'autre argument que celui-là et nous le puisons dans les allégations mêmes de l'honorable ministre.

Messieurs, en parlant des entraves que l'impôt apporte à la consommation du sel, nous n'avons pas eu seulement en vue le sel consommé par l'homme, nous avons eu aussi en vue les applications que cette substance peut recevoir dans l'agriculture et dans l'industrie. Nous avons soutenu et nous soutenons encore que c'est une véritable matière première pour l'industrie et pour l'agriculture, et que dès lors, sans violer manifestement vos principes économiques, vous ne pouvez pas le grever d'un impôt exorbitant.

Ici M. le ministre a produit de nombreuses citations pour prouver que l'importance du sel en agriculture est tout au moins sujette à controverse. Messieurs, il ne me serait pas bien difficile, je suis sûr que M. le ministre lui-même en est convaincu, d'opposer à ces citations des citations plus nombreuses encore. Mais enfin cela ne nous conduirait pas à grand-chose. Ce serait nous engager dans une discussion scientifique qui n'est pas tout à fait dans notre rôle. Il me paraît préférable de présenter quelques observations de simple bon sens.

J'admets que nous sommes ici en présence d'un problème qui n'est pas entièrement résolu, en ce sens qu'il peut y avoir du doute sur la question de savoir, non pas si le sel est utile en agriculture, mais quel est le degré absolu de son utilité. Ce sont deux questions très différentes.

J'ajouterai, messieurs, que le grand obstacle à ce que ce problème soit une fois bien résolu, c'est l'impôt, qui ne permet pas de faire des expériences sur une échelle un peu vaste, de façon à éclairer complètement le cultivateur.

Messieurs, en agriculture surtout il n'y a rien d'absolu ; tout est, en quelque sorte, relatif et subordonné aux circonstances et je crois avoir suffisamment suivi les citations faites par l'honorable ministre pour pouvoir constater que cette idée-là domine aussi dans ces citations. En général, les passages que l'honorable ministre a eu la bonté de nous lire se rapportent à des faits particuliers qui prouvent que dans des circonstances données les effets du sel employé en agriculture ont été nuls (page 124) ou insignifiants. Cela est tout simple, il ne peut pas en être autrement. Il en est de même de toutes les substances qui ne sont pas des engrais proprement dits, mais qu'on appelle des amendements ou des stimulants ; elles sont utiles et même très utiles dans certaines circonstances, elles peuvent être sans valeur et même nuisibles dans d'autres circonstances.

La chaux elle-même, si elle n'est pas employée avec discernement, peut être très nuisible ; si vous l'appliquez à un champ déjà suffisamment pourvu de calcaire vous aurez un résultat nul, sinon mauvais.

Il en sera de même si vous mettez du sel là où il y en a déjà suffisamment, si vous donnez au bétail des aliments suffisamment (erratum, page 133 pourvus des éléments constitutifs du sel, évidemment une nouvelle addition de cette substance pourra avoir de graves inconvénients ; mais cela n'empêche pas qu'il y a des terrains qui ont besoin d'être amendés, stimulés par le sel, afin de se trouver dans de bonnes conditions de production ; de même qu'il y a des substances alimentaires qui peuvent être considérablement améliorées par une addition de sel et qui, même, ont absolument besoin de ce condiment dans l'intérêt de la santé du bétail.

Voilà, je pense, ce qui ne saurait être sérieusement contesté, et les citations de l'honorable ministre sont loin de prouver le contraire.

Il est donc évident, messieurs, que tout en réservant la question de l'utilité absolue du sel, le sel est une matière première précieuse en agriculture ; il est évident que l'usage qu'on peut en faire n'est pas assez connu, parce que notre impôt sur le sel met obstacle au progrès de l'agriculture. Voilà ce qui est, pour moi, de la dernière évidence.

Vous me direz : Le sel employé aux usages agricoles ne paye pas d'impôt en Belgique, il est exempt ; messieurs, cela n'est pas sérieux : l'exemption est subordonnée à des formalités qui inspirent en quelque sorte plus d'horreur que l'impôt lui-même ; il y a des cultivateurs qui aiment mieux payer l'impôt que d'avoir à subir toutes ces entraves, toutes ces tracasseries. Voilà le fait, et toutes les discussions possibles ne peuvent pas détruire ce fait. Donc le sel pourrait être utilement employé en agriculture, et il n'y est pas employé, parce que l'impôt y met obstacle.

N'est-il pas évident, messieurs, que le sel est également d'une importance très grande comme matière première dans l'industrie ? Je crois que cela ne sera révoqué en doute par personne. Mais ici, me dira-t-on, on accorde aussi l'exemption ; oui, messieurs, on accorde l'exemption, mais elle est, comme pour l'agriculture, subordonnée à toutes sortes de formalités.

L'honorable ministre a dit hier : Cependant ce régime convient beaucoup aux industriels, ils disent même qu'ils trouvent dans les agents du fisc des auxiliaires très utiles.

Soyons de bonne foi, messieurs ; je crois que les industriels aiment mieux ce régime-là que celui qui les obligerait à payer l'intégralité de l'impôt ; puis il est assez naturel qu'ils tâchent de vivre avec les employés du fisc dans les meilleures relations possibles ; mais je pense que nous sommes tous convaincus qu'ils préféreraient beaucoup être affranchis de toutes relations avec ces employés et avoir leurs allures complètement libres. Mais après tout, ce régime n'existe que pour une seule industrie. Maintenant croyez-vous qu'il n'y en ait pas une foule d'autres ou le sel puisse être utilement employé ? Je citerai à cet égard l'opinion d'un chimiste distingué, qui s'occupe principalement de chimie industrielle ;

Voici ce que je lis dans une brochure intitulée : Question du sel, par M. Bergé, professeur au musée royal de l'industrie, page 21 :

« La fabrication du sulfate de soude jouit seule de l'exemption de droit ; mais bien des industries emploient ou pourraient employer le sel ; ainsi on fait usage de ce produit pour la salaison des peaux et intestins, à la préparation des feuilles de tabac, à la fabrication du chlore, des savons durs, du sel ammoniac, des luts souples à la température du rouge sombre, au vernissage des poteries de grès ; il entre dans la composition des mélanges réfrigérants des glaciers, etc.

« L'intérêt du fisc a fait jusqu'ici prohiber l'emploi de l'eau de mer pour en retirer le sel. C'est évidemment tarir sottement une source de richesse publique ; c'est renoncer volontairement à jouir d'un bien dont la nature nous a dotés. »

Vous voyez donc que notre exemption est bien peu de chose, pour que le sel puisse prendre dans l'industrie le rôle qui lui est dévolu.

Il reste donc prouvé, je pense, qu'il s'agit ici, comme je l'ai déjà dit, d'une matière première précieuse pour l'agriculture et pour l'industrie. Eh bien, vous frappez cette matière première d'un impôt exorbitant, d'un impôt qui n'a pas de nom ; je dis que c'est la violation la plus flagrante des principes économiques professés par le gouvernement lui-même.

En effet, votre drapeau n'est-ce pas la liberté commerciale ? N'est-ce pas dans cet ordre d'idées que vous avez pris pour principe de dégrever complètement les matières premières ? Pourquoi ? Parce que vous vouliez que la Belgique fût dans les meilleures conditions possibles pour lutter avec l'étranger.

Pourquoi donc faites-vous ici une exception ? C'est parce qu'il s'agit d'un objet indispensable à tout le monde, mais surtout aux classes malheureuses de la société, et qui de cette manière ne saurait échapper à l'impôt ; et je vous défie de donner une autre raison. Eh bien, c'est plus qu'un anachronisme, c'est quelque chose que je ne veux pas qualifier.

Maintenant, le vœu qui a été émis par la section centrale, présente-t-il quelque chose d'exorbitant ? Veut-on porter la perturbation dans la situation financière du pays ? Evidemment non. Qu'est-ce qu'on demande ? C'est de faire un premier pas, c'est de ne pas maintenir d'une manière indéfinie cet impôt qui nous révolte et qui, je le dis franchement, est une tache dans notre législation ; c'est de commencer par réduire l'impôt pour arriver, dans un délai que je ne crois pas pouvoir être long, à une abolition complète.

Cela n'a absolument rien de compromettant. Le produit diminuera un. peu, si vous voulez bien ; mais tout nous permet de croire que l'accroissement de revenu des autres impôts rendra insensible la diminution de recettes qui pourrait résulter de l'adoption du système proposé par la section centrale.

Quant à moi, si même une demande aussi modérée n'était pas accueillie par le gouvernement, je déclare qu'il me serait impossible de voter pour le budget des voies et moyens.

(page 135° MFOFµ. - Messieurs, il faut avouer que l'honorable préopinant, et d'autres honorables membres qui partagent son opinion, ont pris un rôle extrêmement commode dans cette discussion. Quoi de plus facile, en effet, que de venir s'écrier ici, sur le ton de la plus vive indignation : L'impôt est exécrable, odieux, désastreux, intolérable ! il faut à tout prix le supprimer.

Eh bien, messieurs, chose qui va sans doute beaucoup les surprendre, je n'entends en aucune façon les contredire ; je m'associe, au contraire, aux anathèmes qu'ils lancent contre l'impôt. Mais les honorables membres ne doivent pas se contenter de ce rôle agréable, de ce rôle populaire qu'ils remplissent avec tant d'enthousiasme, et qu'ils ne veulent cependant remplir qu'à demi.

M. de Naeyer. - Je ne suis pas esclave de la popularité.

MFOFµ. - Ils doivent également en accepter l'autre partie, qui leur paraîtra peut-être un peu moins séduisante : ils doivent se charger de combler le vide qu'ils veulent faire dans le trésor public.

M. de Naeyer. - Mais cela n'est pas nécessaire !

MFOFµ. - Oui ! vous voudriez opérer par décillionièmes ?

Messieurs, je le demande : une telle attitude dans un pareil débat est-elle digne d'hommes sérieux ? N'est-ce donc seulement que pour réclamer des réductions d'impôts que vous savez faire usage de votre initiative ? Ignorez-vous que cette initiative existe également pour proposer des impôts ? Je serais tenté de le croire, car si la conviction dont vous paraissez pénétrés est aussi forte que vous le prétendez, vous avez un moyen très simple de donner une satisfaction immédiate aux scrupules dont vous êtes tourmentés.

M. de Naeyer. - Cela n'est pas nécessaire.

MFOFµ. - Ah ! cela n'est pas nécessaire ! C'est la réponse de tous ceux qui se contentent du rôle qui peut leur conquérir les applaudissements du public ; mais elle ne peut être acceptée par ceux qui se préoccupent sérieusement de l'administration des finances du pays.

M. de Naeyer. - Encore une fois, vous savez bien que je ne suis pas l'esclave de la popularité.

MFOFµ. - Si vous n'en êtes pas l'esclave, adressez-vous donc à ceux qui doivent payer l'impôt, et proposez immédiatement et très nettement le moyen de combler le vide du trésor.

M. de Naeyer. - Encore une fois, cela n'est pas nécessaire.

MFOFµ. - Vous voulez, comme je l'ai déjà dit, opérer par décillionièmes. Mais je ne veux pas que vous puissiez vous retrancher derrière ce moyen ; car si l'impôt sur le sel a tous les caractères que vous lui attribuez, il doit disparaître immédiatement, entièrement et sur l’heure.

M. Coomans. - C'est mon opinion.

MFOFµ. - Telle étant votre opinion et celle de l'honorable M. de Naeyer, je vous convie à indiquer ce qu'il faut mettre à la place de cet impôt.

Voulez-vous augmenter l'impôt foncier d'une somme équivalente ?

M. Coomans. - Non !

M. Royer de Behrµ. - Je demande la parole.

MFOFµ. - Non !... Voulez-vous augmenter la contribution personnelle d'une somme équivalente ?

- Divers membres. - Non ! non !

MFOFµ. - Voulez-vous augmenter le droit de patente d'une somme équivalente ?

- Un membre. - Diminuez les dépenses.

MFOFµ. - Diminuer les dépenses !... Eh bien, expliquez-vous catégoriquement à cet égard ; l'occasion de le faire vous est précisément fournie en ce moment ; les budgets vous sont présentés ; dites quels sont les services publics que vous entendez faire disparaître. Mais n'oubliez pas cependant que le gouvernement a été convié, par la Chambre elle-même, à mettre les traitements de tous les fonctionnaires de l'Etat, ceux de la magistrature et du clergé, en harmonie avec les nécessités actuelles de l'existence. Or, savez-vous ce qu'il en coûtera pour opérer cette réforme dont l'utilité, dont la nécessité même a été proclamée sans contradiction ? Eh bien, de ce chef seulement, il faudra faire sur le trésor public un prélèvement qui ne sera guère inférieur à six millions, quand l'addition totale aura été faite. Qu'on veuille donc bien nous indiquer les réductions de dépenses qui pourraient être opérées pour compenser les réductions d'impôts qu'on nous propose. Aussi longtemps qu’on ne se placer pas sur ce terrain, aussi longtemps que l'on se bornera à déclamer - permettez-moi le mot - à déclamer contre l'impôt, on ne fera qu'une œuvre stérile au point de vue des résultats matériels, une œuvre mauvaise sous le rapport de ses conséquences morales.

Messieurs, on m'a reproché d'avoir apporté beaucoup de chiffres dans cette question, et d'avoir usé de grandes subtilités de discussion pour présenter ces chiffres sur un aspect favorable à la thèse que je défendais. Chacun, a-t-on dit, pourrait à son tour s'emparer de ses chiffres et leur faire dire à peu près tout ce que l'on voudrait.

D'abord je ferai remarquer que je n'ai pas soulevé la question, et que je n'ai pas non plus introduit de chiffres dans le débat. Je me suis borné à répondre en acquit de mon devoir, parce que je devais faire justice d'exagérations insoutenables, quant aux effets de l'impôt du sel.

Cet impôt ne me plaît pas plus qu'à aucun d'entre vous ; mais je suis obligé de faire face aux dépenses de l'Etat, et je ne puis, sans aller à rencontre de la mission qui m'est confiée, sans manquer à mes obligations vis-à-vis du pays, consentir à ce que l'on amoindrisse des revenus qui sont indispensables pour assurer les services publics. Je n'ai pu, d'ailleurs, entendre sans émotion et je n'aurais su accepter froidement l'accusation de maintenir un impôt odieux et inhumain.

J'ai apporté des chiffres pour réfuter des chiffres, pour établir, contrairement à ce que l'on avait prétendu, que la consommation du sel est à peu près la même partout ; en Angleterre, où il n'y a pas d'impôt ; en France, où il y a un impôt moindre qu'en Belgique ; en Belgique, où il y a un impôt plus élevé qu'en France. Je crois avoir réussi dans ma démonstration. Ce fait n'est pas sérieusement contestable, après les travaux auxquels se sont livrés les hommes de science les plus compétents, dont j'ai cité les opinions : la consommation humaine du sel se trouve à peu près partout dans les mêmes conditions.

Deux seulement des chiffres que j'ai cités ont été critiqués à raison des conséquences que l'on devait en déduire ; c'est d'abord le chiffre de l'accroissement moyen de la population en Belgique, et ensuite le chiffre auquel j'ai estimé l'accroissement de la consommation.

D'après les observations de l'honorable rapporteur de la section centrale, j'aurais commis une erreur tout à fait extraordinaire, en omettant, dans les calculs de la moyenne de l'impôt, de tenir compte des modifications introduites dans la législation en 1854, et qui auraient eu pour résultat d'augmenter les recettes de 300,000 francs à partir de cette dernière année.

D'un autre côté, j'aurais commis une autre erreur, en énonçant que l'augmentation de la population en Belgique a été de 6 p. c., en comparant la période décennale de 1841-1850 à la période suivante 1851-1860. L'honorable rapporteur a trouvé un chiffre plus élevé. Il en conclut que, contrairement à mon assertion, la consommation du sel n'a pas augmenté dans le pays. C'est sur ce fait que porte la discussion.

Eh bien, messieurs, j'ai de nouveau chargé mon administration de vérifier les chiffres que l'honorable rapporteur a contestés, et il résulte de cette vérification que je dois maintenir comme parfaitement exact le fait de l'accroissement de la consommation.

Quant à la population, on a dépouillé les statistiques officielles du département de l'intérieur, et ce travail qui me parvient à l'instant même, à la séance, prouve que l'accroissement moyen de la population de la période décennale de 1851-1860 sur la période précédente de 1841-1850, est, à peu près, de 6 p. c., et que les conséquences que j'ai tirées du taux de cette progression ne sont nullement erronées, comme on l'a prétendu.

Maintenant, quant aux chiffres relatifs au produit de l'impôt, chiffres dont l'honorable membre s'est emparé, en trouvant l'erreur tellement extraordinaire que sa confiance dans ma bonne foi pouvait seule lui donner la conviction que je n'avais point surpris la religion de la Chambre, quant à ces chiffres, dis-je, c'est l'honorable membre lui-même qui est tombé dans une profonde erreur en voulant les rectifier.

C'est surtout pendant les années 1851 à 1853 que se sont produits les abus auxquels les mesures prises en 1854 ont eu pour but de mettre un terme. C'est donc pendant ces trois années aussi, que la consommation apparente, calculée par le produit de l'impôt, a été déprimée. Or, messieurs, ces trois années pendant lesquelles les abus ont existé, pendant lesquelles la consommation constatée par la statistique descendait jusqu'à trois kilog. 829 grammes, sont comprises parmi celles sur lesquelles la moyenne de la seconde période a été établie. Ainsi le reproche que nous a adressé l'honorable rapporteur, d'avoir exagéré la consommation moyenne par suite de l’erreur qu'il croyait avoir découverte, n'est donc rien moins que fondé, puisque, tout au contraire, les détails que je viens de donner (page 136) (trois lignes sont illisibles) s’est développée, bien que l’impôt ait été maintenu au même taux jusqu’à présent.

Messieurs, pour en revenir aux arguments que l'honorable M. de Naeyer a fait valoir, ce qui le frappe surtout dans cette question du sel, c’est cette énormité, qui lui paraît dépasser tout ce qui existe de plus inique, de plus odieux, à savoir que la taxe représenterait 200, 300, 400 pour cent même de la valeur de l'objet imposé. C'est là un abus contre lequel il ne saurait protester avec assez d'énergie.

Pour le dire en passant, je crois avoir démontré, d'une façon que j'ai lieu de croire quelque peu rationnelle, que les 200, 300 ou 400 pour cent, se réduisent, en définitive, à 50 p. c. du prix de vente du sel au consommateur. Vous voyez qu'il y a une certaine marge entre l'appréciation de l'honorable membre et la mienne.

Quoi qu'il en soit, ce n’est pas la première fois que j'entends l'honorable membre se prononcer avec la même vivacité sur le caractère odieux de la taxe sur le sel. Mais je dois avouer que, jusqu'à présent, je ne suis pas parvenu à comprendre ce que cela fait à la question. On a coutume de dire aussi, par exemple, que l'impôt sur les fenêtres est un impôt sur l'air et le soleil, et, à certains points de vue, cela est exact.

M. de Naeyer. - Non, cela n'est pas exact !

MFOFµ. - Comment ! cela n'est pas exact ? Je maintiens que, sous certains rapports, cela est parfaitement exact. Cela est si vrai que, lors de l'introduction de la loi de 1822, un grand nombre de fenêtres ont été murées pour éviter le payement de la contribution. On peut donc soutenir qu'à un certain point de vue, l'impôt sur les fenêtres est un impôt sur l'air et le soleil.

Ainsi, messieurs, si l'honorable M. de Naeyer voulait s'indigner, il trouverait mieux encore l'objet de son indignation dans la contribution personnelle que dans la taxe du sel. Le sel, en effet, a toujours une valeur, si minime qu'elle soit. Mais voici l'air et la lumière, que le bon Dieu nous a départis gratis, et qui se trouvant frappés d'un impôt !

M. Coomans. - Le pauvre ne le paye pas.

MFOFµ. - Vous êtes dans l'erreur.

M. Coomans. - Comment cela ?

MFOFµ. - Oui, il y a une exemption d'impôt dont profitent un certain nombre de citoyens ; mais elle est motivé par cette considération que, si l'impôt direct était établi sur des habitations d'une valeur locative très minime, presque toujours cet impôt tomberait en non-valeur. Sans cela, il n'y aurait aucune raison de ne point percevoir l’impôt à charge de tout le monde. (Interruption.) Tout le monde, dans un Etat, doit contribuer aux charges publiques, parce que tout le monde, riches ou pauvres, participe dans une certaine mesure aux bienfaits de l'ordre et de la sécurité que l'Etat assure aux citoyens.

A l'origine, l'impôt sur les fenêtres a été critiqué comme constituant un impôt sur l'air et la lumière, et l'on aurait pu alors, si l'on avait voulu prendre le thème qui est si sympathique à l'honorable M. de Naeyer, on aurait pu faire un tableau beaucoup plus émouvant encore que celui que l’honorable membre vient d'esquiser.

Messieurs, quelle que soit la valeur du sel et quel que soit le rapport de l'impôt à cette valeur, il faut se demander si, malgré les conditions défavorables résultant de l'impôt, je le veux bien, cet impôt est tellement exorbitant qu'il ait un caractère inhumain, et soit en définitive un obstacle à la consommation du sel ? Voilà surtout ce qu'il faudrait démontrer. Or, je crois avoir prouvé péremptoirement, sans me faire, en aucune façon, le défenseur fanatique de l'impôt sur le sel, que les quantités réellement nécessaires sont tellement minimes (et je parle des quantités le plus largement nécessaires), qu'il est impossible que l'impôt vienne entraver l'extension de la consommation. Messieurs, convenons-en : Si l'on faisait appel aux faits que chacun de nous connaît, mais chacun répondrait que rien n'est plus gaspillé que le sel ! Dans toutes les maisons, dans toutes les conditions, par le riche comme par le pauvre, le sel est constamment gaspillé.

Un honorable membre, assis à mes côtés, me faisait cette observation que, dans les lieux où l'on vend des objets de consommation pour la classe ouvrière, des œufs par exemple, ces œufs sont vendus avec une quantité de sel ad libitum, qu'il est impossible de consommer. Aussi ce sel couvre toutes le tables des lieux où se font de pareils débits, sans que jamais personne prenne le soin de le recueillir.

Il ne faut donc pas, messieurs, qu'on se livre sous ce rapports à des exagérations que rien ne justifie, que le bon sens condamne, et que la conscience individuelle repousse.

Le sel est consommé bien plus par le pauvre que par le riche, vous dit encore l’honorable M. de Naeyer, parce qu'il faut une plus grande quantité de sel pour rendre savoureux les aliments du pauvre, que pour assaisonner ceux qui couvrent la table du riche.

Eh bien, messieurs, ce sont là des idées que je considère comme absolument insoutenables. Il faut, dans chacun des objets de consommation, la quantité de sel qu'il réclame ; or, la classe riche et la classe moyenne consomment beaucoup plus de denrées de toute nature que la classe pauvre, et elles emploient par conséquent beaucoup plus de sel. Cela est indubitable ; et, comme je l'ai dit aussi, à mesure que les classes laborieuses obtiennent plus d'avance, plus de facilité de se procurer des aliments plus abondants, elles font aussi, et par cela même, une consommation de sel plus grande.

L'honorable M. de Naeyer s'est écrié tantôt que le congrès libéral avait réclamé l'abolition de l'impôt du sel ; vous êtes, a-t-il dit, en contradiction avec cette partie du programme du congrès libéral. J'ai déjà fait remarquer à l'honorable membre que le congrès libéral n'a jamais rien demandé de semblable

M. de Naeyer. - L'association libérale ; soit !

MFOFµ. - Ce n'est pas précisément la même chose. Il est vrai qu'en 1848, comme à ces époques où l'on voit se reproduire tous les mêmes thèmes, que l'on croit extrêmement populaires, on a parlé en Belgique de l'impôt du sel, comme on en parlait énormément dans un pays voisin ; on a, dans certaines associations, réclamé l'abolition de l'impôt sur le sel, j'en conviens ; mais on a pensé alors qu'on le remplacerait par autre chose ; ces associations libérales n'ont pas demandé qu'on fît purement et simplement disparaître l'impôt sur le sel, en laissant les finances dans une situation fâcheuse.

Je serais, messieurs, s'il fallait en croire l'honorable, M. de Naeyer, en contradiction sous un autre rapport avec les principes que j'ai professés jadis. L'honorable membre a rappelé qu'un jour j'avais déclaré que, pour mon compte, je considérais l'impôt du sel, ainsi que les autres impôts, comme étant tous également mauvais ; mais que je considérais ceux qui existaient comme étant encore les meilleurs, et cela précisément parce qu'ils existaient. Dès lors, dit l'honorable membre, vous n'auriez dû rien faire de ce que vous avez fait, vous n'auriez dû opérer aucune espèce de réforme dans les impôts.

Est-il sérieux, est-il raisonnable, messieurs, je le demande à toute personne impartiale, de faire usage de tels arguments, d'émettre de telles idées, de défendre un semblable système ? J'en demande bien pardon à l'honorable membre, mais il abuse un peu de ce que j'ai dit ; des arguments de cette nature se prennent pro subjecta materia.

Les impôts pèsent les uns et les autres sur l'ensemble de la production d'un pays, sans qu'il soit possible de dire positivement quelle est la classe de la société qui acquitte, directement où indirectement, tel ou telle catégorie d'impôt ; c'est ainsi que j'ai parlé des impôts en général. Mais, me suis-je jamais avisé, par exemple, de prétendre, à aucune époque, que les tarifs de douane, antérieurement trop élevés, ne devaient pas être révisés ? Ai-je jamais prétendu que nos lois d'impôts ne contenaient aucun vice et qu'il n'y avait pas lieu de les réformer ? Est-ce que les inégalités qu'elles peuvent consacrer, de contribuable à contribuable, ont quelque chose de commun avec leurs effets généraux ? Mais, parce que ces lois donnent lieu à de justes critiques, faut-il les renverser sans y rien substituer ? Je me suis bien gardé d'en proposer la suppression pure et simple. Mais je suis tout disposé à admettre cette suppression, à la condition qu'on les remplacera par d'autres impôts, plus justes, plus équitables, mieux répartis, capables de combler le vide qu'une telle mesure laisserait dans les caisses de l'Etat.

Jamais, à aucune époque, je n'ai demandé l'abolition absolue d'un impôt quelconque, pas même des octrois. Je me suis donné la peine d'étudier la question des octrois, et quand j'ai cru avoir trouvé un moyen pratique d'arriver à leur suppression, j'ai proposé de l'appliquer.

Le système qu'on veut suivre, et que je dois nécessairement combattre, est entièrement différent ; pour les accises, pour les douanes, pour la taxe sur le sel, pour les barrières ou les postes, des propositions de réduction ou de suppression sont formulées. On applaudit, suivant l'expression qui paraît en ce cas à la mode, « à la courageuse initiative de l'auteur de la motion. » On trouve cela superbe ! Eh bien, messieurs, je suis aussi très disposé à trouver fort courageuse pareille initiative ; mais je la trouverais beaucoup plus courageuse encore, si elle s'appliquait à trouver les moyens de remplacer, d'une manière utile, pratique, les impôts dont on réclame si chaleureusement l'abolition.

Messieurs, que l'on veuille bien ne pas perdre de vue que l'impôt n'est pas, dans nos mains, un moyen de thésauriser; ce n'est pas pour enrichir l'Etat que nous percevons des impôts, ce n’est pas pour les (page 137) immobiliser d'une façon stérile dans les caisses du trésor ; c'est pour en appliquer le produit à des choses également utiles à toutes les classes de la population, mais surtout aux classes les plus nombreuses et les moins heureuses de la population. Or, on nous disait hier : « Si du moins vous annonciez l'intention d'introduire des améliorations nouvelles dans le pays ; si vous nous disiez que vous voulez doubler la dotation de l'enseignement primaire, accroître le réseau de nos voies de communication, nous aurions compris parfaitement la résistance que vous nous opposez. » Mais, en vérité, est-ce que nous résistons à la réduction de l'impôt par amour de l'impôt ? Nous faut-il faire des promesses quant à l'emploi de nos ressources ? Avons-nous trompé, sous ce rapport, la confiance que l'on a mise en nous ?

Il suffira, pour ne laisser place à aucun doute, de rappeler une partie de ce que nous avons fait pour l'amélioration de la condition générale du pays, tant dans l'ordre moral que dans l'ordre matériel ; il suffira de citer quelques-uns des crédits que nous avons introduits dans nos budgets, pour démontrer que nous avons précisément fait, du produit de l'impôt, l'emploi salutaire qui a été signalé, et j'ai la conviction que cette énumération engagera à reconnaître que ce que nous avons fait jusqu'à ce jour indique assez ce que nous saurons faire dans l'avenir.

Le crédit pour la voirie, qui n'était que de 713,000 francs en 1857, a été porté à 1,172,700 francs en 1862, y compris les sommes affectées à l'hygiène et au drainage. Lc crédit ordinaire pour l'instruction primaire, qui n'était, en 1857, que de 1,416,000 francs, a été porté, en 1862, à 2,293,192 francs, non compris le crédit extraordinaire d'un million affecté à la construction de maisons d'écoles. Ainsi le crédit ordinaire pour l'instruction primaire a été presque doublé en 5 ans ! Et avec le crédit extraordinaire, il se trouve que nous aurons consacré, en 1862, à ce service important, une somme totale de 3,293,193 fr., prise exclusivement sur les ressources ordinaires de l'Etat.

L'enseignement moyen qui, avant 1850, ne figurait pour ainsi dire que pour mémoire dans nos budgets, y figure aujourd'hui pour un million de francs, somme ronde. Enfin, en ne tenant pas compte de notre dernier emprunt, que je suppose appliqué exclusivement aux travaux exigés par la défense nationale, nous avons, depuis 1858, engagé nos ressources ordinaires, non seulement actuelles et acquises, mais futures et éventuelles, pour faire face à la somme énorme de 120 millions de francs, qui a été affectée presque exclusivement à des travaux d'utilité publique.

Je pense, messieurs, que quand on a de tels résultats à produire, quand on a contracté de pareilles obligations, on peut se permettre de défendre la conservation des impôts, même de l'impôt du sel.

(page 124) - La discussion est continuée à demain.

La séance est levée à 4 heures 3/4.