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Chambres des représentants de Belgique
Séance du samedi 13 janvier 1849

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1848-1849)

(Présidence de M. Verhaegen.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 429) M. de Luesemans procède à l'appel nominal à midi et un quart.

M. Troye lit le procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est adoptée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Luesemans présente l'analyse des pièces adressées à la chambre.

« L'administration communale d'Ingelmunster présente des observations contre la demande tendant à ce que la justice de paix du canton soit transférée d'Ingelmunster à Iseghem. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Les médecins et chirurgiens d'Ypres et de l'arrondissement de ce nom demandent l'abolition du droit de patente sur les médecins. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le tribunal de commerce de Namur présente des observations contre le projet de loi sur la compétence en matière civile et commerciale. »

- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi.


« Plusieurs habitants de Beerst demandent que le tribunal de première instance de Furnes soit transféré à Dixmude. »

« Même demande de plusieurs habitants de Woumen, Clercken et Saint-Jacques-Cappelle.

- Renvoi à la commission des pétitions.

Projet de loi portant institution d’une cour militaire

Second vote des articles

Il n'y a pas eu d'amendement à l'article premier lors du premier vote.

Article 2

« Art. 2. Elle (la cour militaire) est composée de cinq membres : un conseiller du la cour d'appel de Bruxelles, délégué pour une année par cette cour, président, et quatre officiers généraux ou supérieurs désignés par le sort.

« A cet effet, il sera dressé chaque mois, par les soins du ministre de la guerre, une liste des officiers de grade supérieur à celui du capitaine, ayant leur résidence à Bruxelles et qui seront en activité, en disponibilité ou à la section de réserve. Le ministre de la guerre sera seul excepté.

« Si le nombre des officiers portés sur cette liste est inférieur à 50, on y fera figurer tous les officiers supérieurs faisant partie de la division militaire.

« Cette liste sera envoyée par le ministre de la guerre, au président de la cour militaire, lequel retranchera les noms des officiers qui auront siégé comme membres titulaires dans le courant des six mois précédents, et procédera ensuite, avant le 20 de chaque mois et publiquement, au tirage au sort des quatre officiers qui feront partie de la cour pendant le mois suivant, savoir : un lieutenant général ou général-major, un colonel ou lieutenant-colonel et deux majors.

« Il sera également désigné de la même manière quatre officiers des mêmes grades, pour suppléer, en cas d'empêchement, les membres titulaires.

« En cas d'empêchement du président, la cour d'appel déléguera un autre de ses membres pour le remplacer.

(page 430) « Dans aucun cas, les officiers qui auront pris part au jugement d'une affaire, comme membres du conseil de guerre, ne pourront siéger à la cour, quand cette affaire y sera portée par suite d'appel. »

- Les amendements introduits lors du premier vote dans cet article, et qui sont imprimés en caractères italiques, sont définitivement adoptés, avec le retranchement du mot « également » dans le cinquième paragraphe, sur la proposition de M. Delfosse.

Article 3

L'article 3, qui a été amendé, est définitivement adopté.

Article 7

M. le président. - Un amendement a été introduit au troisième paragraphe de l'article 7 dans les termes suivants :

« Toutefois la mise en liberté de l'accusé acquitté ne pourra être suspendue lorsqu'aucun appel n'aura été notifié dans les 15 jours du jugement. »

- Cet amendement est définitivement adopté.

Article 8

M. le président. - A l'article 8, le paragraphe additionnel suivant a été adopté.

« L'exécution de cette disposition sera constatée par un procès-verbal que signeront le condamné et l'auditeur militaire. Si le condamné ne sait ou ne veut pas signer, le procès-verbal en fera mention. »

M. Orts. - Il est un cas que ne prévoit pas la disposition additionnelle adoptée à l'article 8. Il peut arriver qu'un individu se trouvant en état de parfaite liberté soit condamné par la haute cour militaire. Or, cet individu peut au moment de la signification de l'arrêt se mettre de côté, quitter le pays. Je ne sais comment le délai de pourvoi expirerait et la condamnation deviendrait définitive puisque l'auditeur ne rencontrerait nulle part le condamné pour lui présenter le procès-verbal à signer.

Je voudrais donc que cette lacune fût comblée, que l'on prévît également le cas où l'auditeur militaire ne rencontrerait pas l'individu condamné étant à l'état de liberté, soit parce que cet individu, sans se dérober définitivement aux poursuites, se cacherait momentanément dans l'intérieur du. pays, soit parce qu'il se tiendrait chez lui, où l'auditeur militaire n'a pas le droit d'entrer, malgré lui, pour dresser un procès-verbal quelconque. Je signale cette lacune à la chambre.

M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - Je ne sais trop si ce cas peut se présenter. Je crois que devant les tribunaux militaires le prévenu est toujours ou contumace, ou en état d'arrestation, et alors l'hypothèse prévue par l'honorable M. Orts ne pourrait se réaliser.

Je doute qu'un individu en liberté puisse être traduit devant la cour militaire. Le code militaire, je pense, s'y oppose.

M. Orts. - Le cas que j'ai signalé peut se présenter, et voici dans quelles circonstances. Les officiers supérieurs, traduits devant la cour militaire, sont laissés à l'état de liberté, à moins qu'il ne s'agisse d'un crime ordinaire, prévu non par le Code militaire mais par la loi commune.

Les officiers appartenant à des grades inférieurs sont ordinairement laissés dans une position qui n'est pas précisément l'emprisonnement : c'est la position de l'officier aux arrêts chez lui sans être gardé à vue par aucun agent de la force publique, et cette position peut évidemment se changer, d'après la volonté de l'officier inculpé, en position de liberté complète.

M. Lelièvre. - Je proposerai d'ajouter à l'article la disposition suivante :

« Si cette communication ne peut avoir lieu, l'arrêt sera signifié au condamné dans les formes prescrites par les lois ordinaires. »

M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - Je ne m'oppose pas à cet amendement, mais je n'en vois pas la nécessité. Si l'officier supérieur, dont a parlé l'honorable M. Orts, est laissé en liberté, il devra comparaître devant la cour militaire et, au moment de sa condamnation, il sera averti du délai qu'il a pour se pourvoir en cassation. Si, au contraire, il ne comparaît pas, il sera traité comme contumace, et alors il ne peut jamais y avoir lieu à cassation. Je le répète, je ne prévois pas réellement que l'hypothèse prévue par l'honorable M. Orts puisse se présenter.

M. Orts.- Je regrette de devoir prendre une troisième fois la parole; mais l'inconvénient est réel et sérieux.

M. le ministre oublie que, devant la cour militaire, les arrêts ne sont pas toujours prononcés, comme dans la justice civile, en présence de la partie condamnée. La cour prononce quand bon lui semble et fait signifier ses arrêts.

M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - Je ne m'oppose pas à ce que la disposition soit insérée. Mais je n'en aperçois pas la nécessité.

M. Bruneau. - La rédaction n'indique pas le cas que la disposition veut prévoir. On pourrait dire : « Dans le cas où le condamné ne serait pas en état d'arrestation, la signification sera faite dans la forme ordinaire. »

M. Lelièvre. - Je me rallie à cette rédaction qui remplit entièrement mon but.

M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - Je me rallie à cet amendement, auquel je ne vois pas de difficulté. C'est le droit commun.

- L'amendement est adopté avec la rédaction proposée par M. Bruneau. L'article ainsi amendé est adopté.

Vote sur l’ensemble du projet

Il est procédé au vote par appel nominal sur l'ensemble du projet de loi oui est adopté par 62 voix contre 2. (MM. de Renesse et Allard), un membre (M. de Baillet-Latour) s'étant abstenu.

Ont voté pour l'adoption :MM. Boedt, Boulez, Bruneau, Christiaens Clep, Coomans , Dautrebande, David, de Baillet (Hyacinthe), de Bocarmé, de Brouckere (Henri), de Brouwer de Hogendorp , Debroux de Chimay, Dedecker , Delescluse, Delfosse, Deliége , de Luesemans, de Meester, de Perceval, de Pilleurs, Desoer , Destriveaux , de Theux, de T'Serclaes, d'Hont, Dubus, Frère-Orban, Jacques, Lange, le Bailly de Tilleghem, Lelièvre, Lesoinne, Liefmans, Mascart, Mercier, Moxhon Orts, Osy, Peers, Pirmez, Rolin, Schumacher, Sinave , Thibaut, Troye' Van Cleemputte, Vanden Berghe de Binckum, Vanden Brande de Reeth, Vandenpeereboom (Alphonse), Vandenpeereboom (Ernest), Van Grootven, Van Hoorebeke, Van Iseghem, Van Renynghe, Vermeire, Veydt, Ansiau et Verhaegen.

M. de Baillet-Latour. - Messieurs, je me suis abstenu parce que la discussion ne m'avait pas assez éclairé sur le mérite de la nouvelle loi. Je n'ai pas voulu voter pour la loi, parce que je n'y ai pas retrouvé les garanties que donne aux accusés l'inamovibilité des juges.

Je n'ai pas voulu voter contre la loi, parce qu'il est possible que les garanties nouvelles qui sont données aux accusés soient suffisantes et que, d'ailleurs, elle réalise une importante économie.

Motion d’ordre

Compte-rendu parlementaire

M. H. de Brouckere (pour une motion d’ordre). - Messieurs , on s'est, à différentes reprises, plaint du peu de soin avec lequel les Annales parlementaires sont imprimées. Je n'ai jamais pris part à ces plaintes ; mais le compte rendu de la séance d'hier est tellement défectueux qu'il m'est impossible de garder le silence. Non seulement l'ordre des orateurs est complètement interverti, mais on a mis dans la bouche d'un orateur une partie du discours d'un autre orateur. Tout le compte rendu de la séance est dans un tel désordre qu'on semblerait avoir imprimé au hasard les feuillets des sténographes.

Je demande que le bureau ordonne la réimpression de toute la séance d'hier.

Et remarquez, messieurs, que la chose est assez importante. Pour l'application de la loi votée hier, on aura plus d'une fois recours à la discussion qui a eu lieu dans cette assemblée; eh bien, je défie d'en rien tirer, tellement la séance a été mal rendue.

Il est temps, messieurs, qu'on prenne des mesures relativement au Moniteur; ce sont des plaintes qui se renouvellent tous les jours, et qui tous les jours deviennent plus fondées.

M. le président. - Le bureau se réunira après la séance pour s'occuper de cet objet.

M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - J'ai remarqué également, messieurs, que la séance d'hier a été entièrement dénaturée, et j'ai déjà donné des ordres pour que ce numéro soit réimprimé. J'aurai soin de prendre les mesures nécessaires pour que cela ne se reproduise plus.

M. de Brouckere. - Je ferai remarquera M. le ministre de la justice, qu'il faudra nécessairement consulter les orateurs à moins qu'on n'ait conservé les manuscrits, car, je le répète, on a confondu plusieurs discours.

M. Delfosse. - Les erreurs signalées proviennent de ce que la mise en page a été défectueuse. Ainsi, la page 406 suit immédiatement la page 401.

M. de Brouckere. - Il y a d'autres erreurs.

Je demande que le compte rendu de la séance d'hier ne soit réimprimé qu'après que l'on aura consulté les orateurs qui se sont fait entendre dans cette séance.

M. de Baillet-Latour, questeur. - Plusieurs membres se plaignent de n'avoir pas encore reçu, à l'heure qu'il est, le Moniteur de ce matin.

M. H. de Brouckere. - Ils n'y ont rien perdu.

M. de Baillet-Latour. - La chambre n'a pas non plus l'exemplaire qui lui est destiné. Je suppose que ce retard tient à la circonstance qu'on vient d'indiquer. Je ferai tout à l'heure mes observations au bureau.

M. le président. - Le bureau s'occupera très sérieusement de cet objet.

Ordre des travaux de la chambre

M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - L'ordre du jour appelle le vote définitif du budget de la justice; je prie la chambre de passer à un autre objet; je n'ai pas encore les chiffres relatifs à la haute cour militaire; je ne tarderai pas à les avoir.

M. Lelièvre. - La chambre pourrait nous entendre, M. Christiaens et moi, dans les développements de notre proposition, concernant la réduction du traitement des membres des députations permanentes.

- Cette proposition est adoptée.

Proposition de loi fixant le traitement des membres des députations permanentes provinciales

Développements et prise en considération

M. Christiaens. - Le gouvernement, en présentant à la chambre le projet de loi tendant à diminuer le personnel des députations permanentes, avait uniquement en vue de réaliser, de ce chef, une économie de 54,000 francs.

Vous avez cru, messieurs, ne pas pouvoir accepter l'économie que le gouvernement est venu vous offrir, au prix de la perturbation que l'adoption de cette mesure pouvait entraîner dans l'organisation d'un des corps électifs de l'Etat.

(page 431) Pourtant, messieurs, en rejetant le projet de loi du gouvernement, vous n'avez pas entendu le moins du monde décider qu'il n'y avait de ce chef aucune économie à réaliser au profit du trésor public.

Non, messieurs, vous l'avez si peu voulu que, lorsque je proposais, dans la discussion de ce projet de loi, de substituer à la diminution du personnel des députations permanentes, une réduction sur le traitement de ce même personnel, la chambre semblait être heureuse de trouver dans cette proposition le moyen de conserver intacte l'organisation actuelle des députations permanentes, et d'y trouver en même temps un moyen de pouvoir répondre au désir du gouvernement, d'entrer partout où passible dans la voie des économies.

C'est donc dans cette disposition bienveillante et antérieure de la chambre, que se trouve en partie l'origine de la proposition qui vous est soumise en ce moment.

Vous comprenez, messieurs, qu'un semblable antécédent comme appui à une proposition, était de nature, même indépendamment de toute autre considération, à donner quelque encouragement à son auteur. Pourtant il paraît que, pendant l'intervalle qui nous sépare du jour de la discussion dont je parlais tout à l'heure, un pas immense a été fait, je ne dirai pas par la Chambre ; mais dans la chambre.

On a été jusqu'à refuser la lecture de la propositions que vous avez maintenant sous les yeux !

Sera-t-il donc vrai, messieurs, que j'aie eu le malheur de proposer quelque chose d'immoral à l'honorable assemblée devant laquelle je me trouve ? Veuillez me le dire, messieurs, et à l'instant même je retire ma proposition.

Quoi! refuser à cette tribune élevée là pour y défendre l'intérêt du peuple, la simple lecture d'une proposition, qui ne tend en définitive qu'à procurer à ce peuple un peu de pain quotidien !

Je serais presque effrayé pour mon pays, si je devais croire que le dédain exprimé dans cette occasion par quelques-uns de mes honorables collègues, pour le droit d'initiative individuelle des membres de la représentation nationale, fût partagé par la majorité de cette assemblée.

Mais je n'insisterai pas davantage sur ce point. Le sujet n'en est que triste. J'aborde le fond de ma proposition.

Messieurs, je crois encore aujourd'hui à la nécessité pour le gouvernement de devoir entrer largement dans la voie des économies.

J'y crois même depuis qu'un de nos honorables ministres vous a présenté naguère ce tableau de la situation relativement prospère du pays.

Ce tableau assez brillant n'a pas fait disparaître, à mes yeux, les ombres qu'on a eu soin d'en écarter, et qu'à mon grand regret je suis forcé d'indiquer ici sommairement à la chambre.

Je me permettrai donc de demander : Est-il vrai, oui ou non, qu'un grand tiers de la nation se trouve dans un état de malaise financier ?

Est-il vrai que dans presque toutes les communes de la Belgique, les ressources des bureaux de bienfaisance sont épuisées et au-delà ?

Est-il vrai que toutes les caisses communales y sont vides et endettées?

Est-il vrai que les conseils provinciaux en sont réduits aux moyens extrêmes pour pouvoir répondre aux exigences de la situation?

Est-il vrai enfin que le trésor de l'Etat demande de nouveaux subsides pour venir au secours de nos industries mourantes ?

Est si tout cela est vrai, n'est-il pas vrai alors de dire que la situation financière des contribuables et des caisses publiques est peu rassurante ?

Mais on nous reproche de ne proposer que des économies de bouts de chandelle. Je réponds : En vérité, des bouts de chandelle, cela est très indécent dans nos salons.

Mais j'ajoute que nous ne devons pas oublier que c'est à la lueur d'un bout de chandelle, que le peuple doit travailler dans les longues soirées d'hiver pour ne pas mourir de froid et de faim!

Ce ne sont que des rognures, nous dit-on encore, sur les traitements des fonctionnaires que vous nous proposez; rognures qui ne procurent au trésor que des ressources insignifiantes. i

Ici, je dirai : Mais vous, montrez-nous le moyen unique, à lui seul assez efficace pour remplir le trésor de l'Etat vide et pour donner un peu de bien-être au peuple et aux classes moyennes qui souffrent. Je dis que, pour atteindre ce but, un moyen de cette nature n'existe pas pour la Belgique. Je dis qu'il en faut de multiples; qu'il faut un concours de divers moyens pour combattre le paupérisme qui fait invasion dans le pays sur une vaste échelle. Les réductions sur certains traitements exagérés, la suppression des sinécures, doivent être au nombre de ces divers moyens; et si les ressources qu'on y trouvera ne se comptent par millions, elles auront du moins l'avantage d'être des ressources positives, et non de ces chimères trompeuses dont on a longtemps bercé le pays; elles auront encore cet autre avantage, d'être d'une influence morale immense sur l'esprit de la nation qui, aujourd'hui plus que jamais, observe le gouvernement et qui a les yeux fixés sur la chambre.

Vous l'avez entendu, messieurs; on nous a reproché l'autre jour de faire passer les fonctionnaires publics comme des espèces d'ogres aux yeux du peuple.

Je réponds que ce n'est pas nous, nous qui demandons des économies rationnelles sur certains traitements exagérés, qui dépeignons au peuple les fonctionnaires sous cet effrayant aspect. Non, quand le peuple considère certains fonctionnaires comme des vampires, comme des ogres, ainsi que l'a dit un honorable ministre, c'est que cette idée-là lui vient lorsque, dans sa misère, il compare quelquefois le dénuement où il se trouve avec ce luxe imprudent que certains fonctionnaires osent étaler devant les haillons dont le peuple est couvert.

Je dis que, si la chambre veut porter une main sévère, mais prudente, sur certains traitements exagérés, elle aura doublement mérité, en se montrant économe des deniers publics, et en contribuant à faire disparaître un préjugé populaire que l'on ne doit pas trop mépriser.

Je soutiens d'ailleurs qu'il n'est pas question de traitement peur les députations permanentes.

Il ne s'agit là que de frais de déplacement et de séjour, et c'est à tort que l'on confond deux choses si distinctes.

Sans doute, le titulaire d'un emploi rémunéré par un traitement, dans le vrai sens du mot, a le droit de compter sur cette rémunération comme sur un moyen d'existence pour lui et pour sa famille ; mais le délégué, élu temporairement et ne fonctionnant qu'à certains intervalles éloignés, par un corps élu lui-même pour un court terme, ne doit pas chercher dans l'indemnité qu'on lui accorde pour ce mandat temporaire ce qu'on appelle une existence de famille. Il ne doit y voir qu'une simple indemnité pour les frais personnels auxquels son mandat le soumet.

Or, je dis que 2,300 francs suffisent amplement dans la petite Belgique pour indemniser de ce chef les membres des députations permanentes.

Il y a même danger à porter leur indemnité au-delà de cette limite et à laisser croire aux titulaires de ces fonctions que celles-ci doivent leur procurer ce qu'on appelle l'existence du père de famille.

Car il arriva alors une chose fort triste : cette carrière devient un objet de spéculation pécuniaire, on s'y attache, on s'y cramponne, on veut s'y perpétuer.

Or, il n'y a rien de si contraire à leur origine et à leur nature que des corps électifs qui ont un intérêt d'existence personnelle pour se perpétuer dans des fonctions essentiellement temporaires et dont le mandat, dans l'esprit démocratique bien entendu, devrait être soigneusement renouvelé aux époques fixées par la loi.

Il est des cas à ma connaissance certaine où des secrets financiers auraient vu le jour en temps utile, au grand profit de telle province, si les membres de la députation permanente étaient venus se retremper en dehors de la députation et se. rasseoir au sein du conseil provincial lui-même.

On nous dit encore : Votre proposition va directement à l'encontre de l'esprit démocratique sur lequel repose l'institution des députations permanentes.

C'est là une erreur à laquelle il a déjà été répondu en partie par ce que je viens de dire à l'instant même.

J'y ajouterai que l'esprit démocratique se ne maintient pas parmi les fonctionnaires électifs au moyen de gros traitements ; au contraire, les gros traitements y tuent l'esprit démocratique. ,

C'est par le renouvellement périodique et à courts termes que l'esprit démocratique s'y maintient.

Rien n'est aussi puissant pour modifier l'opinion des hommes que la possession de l'argent jointe au pouvoir. Et pour voir la transformation que ce double agent est capable d'opérer, il n'est pas besoin d'aller au cap de Bonne-Espérance; cela peut se voir beaucoup plus près de nous.

Je me résume, messieurs.

A mon point de vue, j'ai prouvé que le gouvernement a lui-même cherché à réaliser une certaine économie du chef des députations permanentes.

J'ai trouvé que la chambre a antérieurement accueilli, avec une certaine faveur, la proposition reproduite formellement aujourd'hui, afin de pouvoir répondre aux vues du gouvernement en matière d'économies.

J'ai prouvé que la situation du pays réclame des économies partout où, elles sont trouvables sans désorganiser.

J'ai prouvé que celle que je propose à la chambre réunit complètement cette double condition.

J'ai prouvé enfin que ma proposition n'a rien de contraire à l’esprit démocratique sur lequel repose l'institution des députations permanentes.

Je persiste donc dans ma proposition, et je la livre à la chambre sans plus.

- La proposition est appuyée.

Prise en considération

La discussion est ouverte sur la prise en considération. La parole est à M. Lelièvre.

M. Lelièvre. - Messieurs, dans la séance du 10 novembre dernier, le gouvernement a proposé de réduire le personnel de la députation permanente du conseil provincial.

A l'appui de ce projet, le ministère faisait observer que le travail des députations permanentes était considérablement diminué. « Les affaires qui leur sont soumises, parlait l'exposé des motifs, ont presque toutes fait l'objet, par les soins du gouverneur, d'une instruction complète. Il y est statué en séance après lecture des pièces, et les résolutions sont préparées et expédiées dans les bureaux du gouvernement provincial. D'un autre côté, le nombre des affaires soumises à l'examen préalable des membres individuellement, est très restreint. Dans des provinces des plus importantes, il est tout au plus de deux par semaine pour chaque membre.

« Aussi, plusieurs députations sont parvenues, en ne se réunissant qu'une seule fois la semaine, à satisfaire à toutes les exigences du service. »

La chambre a pensé qu'il ne fallait pas amoindrir la force de nos institutions provinciales, et que la réduction du personnel d'un corps, produit de l'élection, pouvait présenter de graves inconvénients. Habitué à respecter le vote de la majorité, nous ne critiquons pas cette décision, mais les motifs déduits par le gouvernement et dont la justesse n'a pas été méconnue dans la discussion, démontrent que, dans l'état actuel des choses, le traitement de 3,000 fr., accordé à chaque membre de la députation, est trop élevé et qu'il peut être convenablement réduit.

(page 432) Le maintien d'un personnel nombreux et supérieur à celui rigoureusement nécessaire pour les besoins du service, maintien fondé sur des considérations politiques, appuie cette réduction. On conçoit en effet que si l’on exagère le personnel d’un corps par des motifs étrangers à la prompte et régulière expédition des affaires, il est impossible de ne pas mettre le traitement en rapport avec le travail qui doit naturellement se répartir entre tous les membres du collège.

D'ailleurs, lorsqu'il s'agit de fonctions électives auxquelles on ne peut dénier certain caractère politique, le citoyen qui en est honoré doit recevoir moins un traitement proprement dit, qu'une indemnité pour les dépenses réelles résultant de l'exécution de son mandat.

A ce point de vue, le chiffre admis par la proposition paraîtra même excéder les limites auxquelles il aurait pu convenablement s'arrêter.

Telles sont les considérations qui nous ont déterminés, l'honorable M. Christiaens et moi, à vous soumettre le projet dont nous nous occupons.

Nous avons du reste pense qu’il fallait poser une règle, une forme pour toutes les provinces. En conséquence nous avons adopté un chiffre assez élevé pour satisfaire à toutes les exigences légitimes, sans distinction de localités.

Réaliser une économie immédiate et permanente de 27,000 francs, en fixant une allocation proportionnée aux services, sans porter atteinte à des positions acquises, tel est l'avantage de la proposition soumise à vos délibérations.

Il ne s'agit, pour le moment, que de décider si elle sera prise en considération. Cette mesure, comme l'on sait, ne préjuge rien, elle n'est que la déclaration émanée de la chambre qu'aucun motif d'ordre public ou politique ne s'oppose à un examen qui, après avoir été renvoyé aux sections, doit ensuite être traité en séance publique. La chambre voudra bien s'éclairer des lumières de la discussion, et en conséquence elle ne verra aucun obstacle à l'adoption de cette disposition préliminaire, la seule qui lui soit actuellement soumise.

- La chambre consultée prend la proposition en considération.

La proposition est, en conséquence, renvoyée à l'examen des sections

Projet de loi portant le budget du ministère de la justice de l’exercice 1849

Discussion du tableau des crédits

Chapitre III. Justice militaire

Discussion générale

M. le président. - Messieurs, je crois que la chambre doit s'occuper avant tout du chapitre III (Justice militaire), qui a été tenu en suspens.

M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - Messieurs, j'ai fait faire le calcul des sommes nécessaires pour le service de la justice militaire, d'après les dispositions de la loi qui vient d'être votée.

Je ferai observer à la chambre que j'ai ajouté 2 mois de prorata du traitement des magistrats actuels de la cour militaire, parce qu'il sera à peu près impossible que la loi soit mise à exécution à partir du 1er février ; elle ne pourra l'être avant le 1er mars.

M. le président. - Je prie l'un des secrétaires de faire lecture de l'état que M. le ministre de la justice vient de me faire remettre.

M. de Luesemans fait lecture de ce tableau qui est ainsi conçu : (Tableau non repris dans la présente version numérisée.)

M. Delfosse. - On aurait dû faire imprimer ces chiffres.

M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - Messieurs, si la chambre désire ajourner à lundi le second vote du budget de la justice, les développements dont il vient d'être fait lecture pourraient être imprimés. Le projet amendé a été distribué il y a à peine deux heures; je n'ai pas pu moi-même encore vérifier les chiffres ; je ne pense pas qu'il s'y soit glissé des erreurs ; mais je n'en suis pas certain. Il serait préférable de remettre le second vote à lundi.

M. le président. - La chambre pourrait remettre à lundi le chapitre relatif à la justice militaire, et s'occuper aujourd'hui des autres amendements introduits dans le budget de la justice lors du premier vote.

- La chambre consultée décide qu'on laissera en suspens le chapitre de la justice militaire jusqu'à lundi, et qu'elle s'occupera immédiatement des autres amendements apportés au budget de la justice.

Second vote des articles

Chapitre II. Ordre judiciaire

Article 10

A l'art. 10 : « Tribunaux de première instance et de commerce, » une augmentation de 3,946 francs a été adoptée.

Cet amendement est confirmé.

Chapitre IV. Frais de justice

Article 16

« Art. 16. Frais de justice », une réduction de 100,000 fr. est adoptée au premier vote.

M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - Messieurs, si je viens insister pour le rétablissement dans son intégrité du crédit des frais de justice sur lequel une réduction de 100,000 francs a été adoptée, ce n'est pas par une vaine obstination ou pour obtenir une satisfaction d'amour-propre, c'est parce que, après avoir examiné de nouveau le chapitre des frais de justice et mesuré dans toute leur étendue l'importance des charges qui doivent peser sur ce crédit, j'ai acquis la conviction profonde que le crédit voté sera insuffisant pour couvrir toutes les dépenses.

Or, compromettre le service des frais de justice c'est, messieurs, quelque chose de fort grave; l'action de la justice pourrait avoir à en souffrir, la police répressive pourrait en être affaiblie ; en un mot, il est impossible de calculer les conséquences fâcheuses de l'insuffisance de ce crédit.

Messieurs, lorsque j'ai appris que la section centrale se proposait de demander une réduction de 100,000 francs sur ce crédit, et qu'elle fondait cette réduction sur la possibilité de substituer, pour les notifications judiciaires en matière répressive, le ministère des agents de la force publique aux huissiers, je me suis empressé de consulter les procureurs généraux et les procureurs du roi qui étaient le mieux à même de m'éclairer sur la mesure proposée. Lors de la discussion qui a eu lieu mardi dernier, les rapports de ces fonctionnaires ne m'étaient pas parvenus; aujourd'hui même je ne les ai pas reçus tous ; mais seulement celui de procureur général de Liège qui me fait passer les avis des procureurs du roi de son ressort; et il y a deux heures le rapport du procureur général de Gand m'est également parvenu ; j'ai eu à peine le temps de les parcourir, mais j'en ai vu assez pour m'assurer que ces magistrats protestent unanimement contre l'opinion de la section centrale qu'on pourrait, en règle générale, substituer le ministère des agents de la force publique à celui des huissiers pour les notifications et significations à faire en matière répressive.

Ces magistrats qui tous possèdent une longue expérience, qui peuvent le mieux nous éclairer sur de semblables questions, signalent une foule d'objections et de difficultés pratiques que rencontrerait le système de la section centrale. Ils ne méconnaissent pas que la loi autorise l'emploi de ces agents pour l'exécution des notifications et mandats judiciaires ; mais ils sont d'avis que ce n'est qu'exceptionnellement que leur ministère peut être employé.

D'abord tous reconnaissent que ce serait désorganiser la gendarmerie et l'entraver dans les fonctions qu'elle exerce pour la surveillance de la police générale, que de la charger habituellement des significations à faire en matière de justice répressive. Beaucoup d'autres inconvénients sont signalés par ces magistrats. M. le procureur général de Liège observe que les huissiers sont responsables de la nullité de leurs exploits; qu'ils sont passibles de peines disciplinaires et même de peines plus sévères quand ils contreviennent aux lois. A l'égard des gendarmes, aucune peine n'est comminée dans les mêmes cas, et lorsqu'ils sont soumis à des peines disciplinaires, c'est en vertu des lois militaires.

Les huissiers ont l'habitude de ces sortes d'exploits, ils possèdent l'instruction nécessaire pour les faire; les gendarmes, sans être dépourvus d'instruction, n'ont pas cette habitude; ils commettraient fréquemment des nullités qui entraveraient les procédures, arrêteraient le cours de la justice devant les cours d'assises et occasionneraient des frais nombreux qui compenseraient et au-delà l'économie qu'on pourrait réaliser.

Il a été si peu entendu que les gendarmes seraient chargés de cette besogne d'une manière permanente, que la loi du 28 germinal an VI sur l'organisation de la gendarmerie place dans les attributions extraordinaires de ce corps la signification des mandats de dépôt et d'amener en matière criminelle.

Ce n'est donc qu'extraordinairement, exceptionnellement, que la loi organique suppose la possibilité de l'emploi des gendarmes ; je ne parle pas des gardes champêtres, car tous les avis sont d'accord pour les présenter comme ne pouvant pas être convenablement employés; ils n'ont pas l'instruction nécessaire, plusieurs savent à peine écrire; quand des notifications devront être faites dans plusieurs communes. le garde champêtre ne pouvant pas instrumenter en dehors de sa commune, il faudra employer plusieurs agents pour faire les notifications dans une même affaire, multiplier les cédules, les copies, les écritures dans une proportion qu'il est impossible de calculer.

Il y a une autre observation : les huissiers chargés par le juge d'instruction et le procureur du roi des notifications en matière correctionnelle et criminelle prêtent leur ministère gratuitement, assistent aux audiences correctionnelles sans rétribution. Si vous enlevez aux huissiers le bénéfice des notifications dont ils sont chargés, vous devrez les payer pour le service gratuit qu'ils font près des tribunaux correctionnels et des cours d'assises, ce sera déplacer la dépense sans aucun bénéfice pour le trésor.

Les magistrats consultés sont également d'accord que les huissiers présentent beaucoup plus de garanties que les gendarmes, que toute notre législation a prévu l'emploi des huissiers pour ce service, qu'elle contient une foule de prescriptions qui ne seraient pas applicables aux agents de la force publique, de sorte que la législation présenterait désormais de nombreuses lacunes en cette matière.

Il y a encore une observation importante, c'est qu'il ne convient pas d'employer les gendarmes pour ces nombreux exploits aux témoins et aux prévenus en matière correctionnelle et pour les délits les plus minimes ou pour de simples amendes. La gendarmerie, si on veut maintenir le respect dû à cette arme, ne doit pas se montrer inutilement ; il ne faut pas la faire trop apercevoir aux populations des campagnes. Quand un gendarme paraît dans un village, c'est qu'un crime a été commis, c'est que la justice répressive a des devoirs à y remplir. Si on le voyait à chaque instant pénétrer dans le domicile du citoyen pour de simples actes de procédure, ce serait un mal, car l'intimidation qu'il doit inspirer dans l'exercice de ses fonctions viendrait nécessairement à s'affaiblir.

L'on répétera sans doute que les dispositions du code d'instruction criminelle permettent l'emploi des agents de la force publique pour ces sortes d'exploits ; mais si la chose avait été possible dans la pratique, croyez-vous que depuis plus de 40 ans qu'existe le Code d'instruction criminelle on n'aurait pas eu recours à ce moyen? Croyez-vous que les magistrats qui cherchent aussi à apporter le plus d'économie possible dans les frais judiciaires n'auraient pas songer à confier aux gendarmes (page 443) toutes les notifications en matière criminelle? S'ils ne l'ont pas fait, c'est qu'ils avaient la conviction de toutes les difficultés pratiques qui devaient en résulter.

Je ne fais ici, messieurs, qu'analyser à la hâte les principaux motifs invoqués par MM. les procureurs généraux et par MM. les procureurs du roi pour repousser le système de la section centrale.

Je ferai observer, en finissant, que le crédit des frais de justice n'est pas un crédit qui soit dépensé par le gouvernement. Le gouvernement ne fait que régulariser, que vérifier, qu'approuver la dépense ; mais il doit payer tout ce qui est taxé conformément aux lois et aux tarifs existants. Or, tant que ces lois n'auront pas été modifiées, il sera à peu près impossible de rien changer à ce qui existe.

Messieurs, tout ce qui serait possible, et je l'ai déjà dit, ce serait peut-être d'employer un peu plus qu'on ne le fait, et dans une certaine mesure, les agents de la force publique.

Eh bien! à cet égard je réitère la déclaration que j'ai faite à la chambre, que des instructions seront données à MM. les procureurs du roi pour que l'on fasse plus, s'il est possible, que ce qui a été fait jusqu'ici. Mais, je le répète, il est impossible, en règle générale, sans s'exposera de très fâcheuses conséquences, d'employer le ministère des agents de la force publique au lieu de celui des huissiers ; je soutiens même que ce ne serait pas, en définitive, une économie, mais un surcroit de dépense important pour le trésor.

M. Orts, rapporteur. - Messieurs, l'appel que vient de faire M. le ministre de la justice à la sensibilité de la chambre relativement à la position des huissiers, et l'invocation de la dignité méconnue de la gendarmerie par l'emploi de son ministère au lieu de celui des huissiers, n'auront pas plus de succès que les moyens de défense qui ont été présentés lorsque la réduction du crédit a été votée. Je crois qu'il n'est rien de plus facile, de plus utile et de plus urgent, en présence du besoin d'économies pressant où nous nous trouvons, que d'opérer la réduction de 100,000 francs votée par la chambre. Je demande donc à la chambre de maintenir son chiffre, et je suis persuadé que les bons résultats ne s'en feront pas attendre.

Messieurs, une autorité nouvelle à l'appui du système que défend M. le ministre de la justice, a été versée aujourd'hui dans le débat : l'autorité des parquets consultés. Cette autorité, il m'est impossible de la discuter, et cependant je devrais pouvoir le faire pour que la chambre soit suffisamment éclairée. Il est évident que l'autorité des deux parquets dont les avis sont arrivés, dépend tout entière de la manière dont la question aura été posée aux chefs de ces parquets. Si l'on est allé demander aux chefs des parquets de Gand et de Liège s'il convenait de remplacer, toujours, complètement le ministère des huissiers par l'action des gendarmes et des agents de la force publique en matière criminelle, ces chefs ont dû et pu répondre ce qu'on dit qu'ils ont répondu. Mais, incontestablement, si la question a été posée devant ces magistrats dans ses termes réels, dans les mêmes termes où elle a été posée devant la chambre au nom de la section centrale, la réponse aurait dû être toute différente. Or pour le savoir, il nous faudrait avoir vu ces avis : ils n'ont pas été communiqués.

Du reste, l'instruction dont a parlé M. le ministre de la justice n'est pas complète. L'avis des chefs de parquet du ressort de la cour d'appel de Bruxelles n'est pas arrivé. Et j'ai d'excellentes raisons de croire que cet avis sera diamétralement opposé à ceux que M. le ministre de la justice a reçus des procureurs généraux de Gand et de Liége. Or, je ferai remarquer que les actes de procédure criminelle du genre de ceux que la mesure doit modifier, sont posés par le parquet de Bruxelles, et je n'entends parler que du parquet de première instance, pour plus d'un tiers, parmi ceux que posent tous les parquets réunis du royaume.

On n'a pas parlé non plus d'autres fonctionnaires à qui on a demandé si la mesure que nous proposions était praticable, et ces fonctionnaires, mieux que tous autres, pouvaient répondre au nom de l'expérience et des habitudes pratiques. Je veux parler des chefs de la gendarmerie. La gendarmerie elle-même, si mes renseignements sont exacts, n'hésite pas à se reconnaître parfaitement capable de faire ce qui, en définitive, est pour elle une augmentation de besogne purement gratuite...

Ramenons, messieurs, la question à ses véritables proportions, et voyons les chiffres. Je ne demande pas, au nom de la section centrale, que la chambre, par le système qui a été adopté, supprime définitivement l'intervention des huissiers en matière de justice criminelle. Je crois qu'une semblable mesure serait dangereuse pour la bonne administration de la justice, qu'elle serait pénible, qu'elle serait dure pour certains de ces officiers ministériels.

Voici ce qu'il faudra faire par la suite, à un centime près, pour atteindre le chiffre de 100,000 fr. d'économie. '

D'après les renseignements que M. le ministre de la justice lui-même a déposés sur le bureau, dans le but d'établir le nombre des arrestations préventives en matière correctionnelle, il est constant que dans le courant de 1847, et je prends le chiffre de 1847 pour raisonner sur la vérité la plus rapprochée de nous et la plus probable pour l'exercice prochain ; il est constant, dis-je, que dans le courant de 1847, 15,472 personnes ont été arrêtées préventivement en matière correctionnelle. Ces 15,472 arrestations ont nécessité 15,472 actes d'écrou qui ont coûté, en moyenne, d'après le tarif, la somme de 1 fr.80 c. Je demande que ces actes d'écrou soient remis aux gendarmes, par la raison qu'aujourd'hui les gendarmes marchent à côté de l'huissier, qui ne fait rien autre que de porter un imprimé, de le présenter à la signature du directeur de la maison d'arrêt, et de le rapporter au juge d'instruction. Le gendarme peut fort bien faire cela seul, tout le monde le reconnaît. Il n'y a pas un homme pratique, pas un magistrat du parquet qui ne vous déclare que rien n'est plus facile.

Multipliez 1 fr. 80 par 15,472, vous obtenez un chiffre de 27,849 fr. 60 c. qui peut disparaître.

Voilà une première base d'économie.

Il est incontestable que les gendarmes qui vont tous les jours à la prison, peuvent, sans augmentation de besogne, laisser aux prévenus correctionnels qui s'y trouvent, la citation en vertu de laquelle ils comparaîtront au tribunal correctionnel. C'est encore une formule imprimée à laquelle il ne manque que trois ou quatre mots d'écrit que mettent ou les greffiers des juges d'instruction ou les directeurs de la maison d'arrêt, et l'huissier appose sa signature. Le gendarme est tout aussi capable d'y mettre la sienne.

Ces actes coûtent en moyenne 1 fr. 20. Multipliez cette somme par le chiffre de 15,472, vous arrivez à une dépense de 18,566 fr. 40 c. qui, réunie à la première somme de 27,849 fr. 60 c., vous donne un chiffre de 46,416 fr. pour une besogne dont les gendarmes peuvent s'acquitter, sans faire un pas de plus, sans y mettre une minute de plus que les pas et les minutes qu'ils consacrent aujourd'hui à leur service.

Voilà la moitié de l'amendement justifié.

Maintenant quel est le surcroît de besogne pour les gendarmes ? Je vais encore l'établir par francs et centimes.

Il y a eu en 1847, 32,894 affaires portées devant les tribunaux correctionnels. Je laisse de côté les affaires de simple police, et les affaires criminelles. Si j'admets nue la gendarmerie peut dans les affaires correctionnelles, c'est-à-dire dans les affaires qui se traitent dans les villes, donner en partie des assignations aux témoins devant la police correctionnelle, si je suppose que le nombre de ces témoins soit de deux par affaire, ce qui est au-dessous de la vérité, j'arrive à une dépense de fr. 1-70 par affaire, qui multipliée par le chiffre de 32,894, me donne fr. 59,919-30 ; cette somme jointe à la précédente de fr. 46,416 amène un chiffre de fr. 106,335-60.

Voilà l'amendement que je défends au nom de la section centrale, justifié de la manière la plus catégorique, la plus formelle. Je suis de 6,555 fr. 80 c. au-dessus des prévisions de cette section. Comment ce résultat est-il atteint? Par la substitution de la gendarmerie aux huissiers pour trois actes de procédure seulement, alors que la procédure en contient un nombre infini ; pour trois actes de procédure correctionnelle, parmi lesquels il en est déjà deux qui ne donneront aucun surcroît de besogne aux gendarmes. N'est-il pas évident que l'économie sera atteinte facilement et sans augmenter la besogne de la gendarmerie?

Maintenant quelle sera, pour les huissiers, l'influence de ces trois actes qui leur seront enlevés? J'ai fait le relevé, d'après les documents officiels, des personnes poursuivies devant les tribunaux de toute espèce en 1847 ; j'ai fait le même relevé pour 1839. J'ai fait ensuite la comparaison des deux chiffres, et il en résulte que le nombre des inculpés est aujourd'hui double de ce qu'il était en 1839. En effet, il y avait en 1853, 43,941 inculpés, pour toutes les matières répressives; en 1847, 87,372.

Eh bien, messieurs, si aujourd'hui l'on poursuit en Belgique deux fois autant d'individus qu'on en poursuivait il y a dix ans, je suis autorisé à dire que l'on doit aujourd'hui payer un nombre d'actes de procédure double de celui qu'on payait en 1839. En 1839 il a été payé aux huissiers du chef de leur besogne en matière criminelle 168,462 fr. 98 c, ce qui, en moyenne, attribuait aux huissiers un salaire de 3 fr. 83c. par individu poursuivi. Si maintenant je prends la moyenne des inculpés en 1847, je trouve que pendant cette année les huissiers ont dû recevoir une somme de 326,914 fr. 76 c, ou 3 fr. 8 c. multipliés par 85,372. Je déduis de cette somme celle de 100,000 fr. qui a été retranchée du crédit au premier vote, et je vois que le budget des voies et moyens des huissiers sera diminué tout au plus du tiers de ce qui a dû leur être alloué en 1847.

La chambre sait quelle hauteur atteint le salaire de certains officiers ministériels. Chacun sait que les quatre officiers attachés au parquet de Bruxelles se sont partagé en 1848 une somme de 24,000 fr. ; que les huissiers attachés au tribunal de simple police de Bruxelles arrivent à un salaire moyen de 7,600 fr. pour chacun d'eux, par année. De plus les huissiers des juges de paix ont encore le monopole de tous les actes que nécessite la procédure civile devant ces magistrats.

Ainsi, messieurs, je ne veux retirer aux huissiers que trois actes de procédure qui ne donneront pas une très grande besogne à la gendarmerie. Je ne propose de leur retirer que le tiers environ de ce qui leur est payé dans le système actuel. Je leur laisse toute la procédure de simple police; je n'enlève rien aux huissiers de campagne; je ne touche pas à la procédure des cours d'assises.

Maintenant, messieurs, on a présenté des considérations relatives à la dignité de la gendarmerie. Mais en quoi la dignité de la gendarmerie sera-t-elle compromise parce qu'elle serait chargée de remettre de temps en temps des citations ou d'autres actes judiciaires? En les employant à cela, on ne fera que les employer conformément à la loi. La loi n'a pas trouvé qu'un gendarme dérogerait à sa dignité de gendarme en remettant des pièces de cette nature à ceux qui doivent les recevoir.

Je crois, messieurs, que l'intervention de la gendarmerie produira ici un effet salutaire en ce sens qu'elle fera peut-être arriver plus vite (page 434) les témoins auxquels les citations seront remises, ce qui amènera une nouvelle diminution de frais.

On a dit que la motion rencontrerait des difficultés d'exécution dans les communes rurales; mais qu'on veuille bien ne pas perdre de vue que je ne touche pas aux communes rurales. Si nous avions voulu substituer les agents de la force publique aux huissiers, pour tout ce qui concerne la procédure en matière rurale et de simple police, nous aurions demandé une réduction de 2 ou 300,000 francs. C’est ce que nous ne proposons pas; parce que nous concevons que dans les campagnes., la mesure pourrait rencontrer des difficultés d'exécution.

On dit : La loi n'a pas voulu que la gendarmerie fût employée à cet usage. Et on cite la loi du 28 germinal an VI. Oui il est vrai que la loi du 28 germinal an VI a voulu conserver la gendarmerie pour une autre mission; mais pourquoi? Chacun sait que la gendarmerie était alors bien plus un instrument de police politique qu'une institution de police judiciaire. Ce n'est pas à ces sortes de temps qu'il faut demander des exemples. Du reste, vous remarquerez que si en l'an VI on pensait de cette manière à l'égard de la gendarmerie on a bientôt changé de sentiment, car la loi de l'an XII est venue modifier la loi de germinal an VI, et le Code pénal ainsi que le Code de procédure criminelle ont confirmé ce qui avait été fait en l'an XII.

On a allégué que les garanties des justiciables ne seraient plus les mêmes ; pourquoi? Parce que, dit-on, les huissiers sont soumis à des pénalités plus considérables que les gendarmes lorsqu'ils manquent à leurs devoirs comme exploitants en matière de procédure criminelle. Je ne sais, messieurs, où se trouve cette différence. Je ne puis la rencontrer; je ne la connais pas , et j'avoue qu'elle me paraît impossible. En effet dans tous les actes qui se font en matière de procédure criminelle, soit par les huissiers, soit par les gendarmes et qui ont rapport à la liberté des citoyens, je ne connais que deux cas où cette liberté puisse être menacée ; ce sont ou des fraudes commises dans les actes ou des arrestations arbitraires. Eh bien, dans les deux cas la peine est la même, que la faute ou la fraude ait été commise par un huissier ou par un gendarme. Si un gendarme fait un faux dans un acte qui lui est confié par la loi, il est puni de la même manière que l'huissier qui aurait commis un faux de la même nature. Si un gendarme commet une arrestation arbitraire, il est puni de la peine comminée contre l'huissier pour un fait semblable. La loi ne fait pas de distinction.

D'ailleurs, messieurs, cette considération est en dehors des faits et des réalités. Quels sont les actes que je propose de confier aux gendarmes? Ce sont des actes qui ne compromettent pas le moins du monde la liberté individuelle. Il s'agit d'abord d'actes d'écrou, c'est-à-dire d'actes qui consistent à transmettre au directeur d'une maison d'arrêt l'ordre de « conserver » un homme déjà arrêté, un homme qui ne jouit plus de sa liberté, qui est déjà sous la main de la justice. Il n'y a donc pas là de possibilité d'arrestation arbitraire, car l'arrestation est déjà opérée avant l'intervention de la gendarmerie. Le gendarme portera l'ordre de la rendre définitive, ordre qui est écrit dans le cabinet du juge d'instruction et qu'il aura simplement à remettre. Il s'agit, en second lieu, de remettre des citations à des témoins. Eh bien, ici encore, en quoi la liberté individuelle peut-elle être compromise ?

Quant à la question de savoir si le gendarme sera assez intelligent pour découvrir les individus auxquels il devra remettre des actes, je crois que la gendarmerie a donné à cet égard des preuves suffisantes de capacité. Comment! tous les procès-verbaux, toutes les arrestations se font par les agents de la force publique, et vous ne voudriez pas leur confier des actes de procédure, qui ne compromettent en rien la liberté des personnes! Aujourd'hui, dès qu'il s'agit de mettre quelqu'un sous la main de la justice, c'est aux agents de la force publique qu'on s'adresse. Il en est de même lorsqu'il s'agit d'opérer l'arrestation après que la condamnation a été prononcée. Les captures, comme on les appelle dans le langage du métier, se font généralement par les agents de la force publique.

Je pense, messieurs, que ces considérations suffisent pour vous engager à maintenir votre premier vote.

M. Lelièvre. - Messieurs, des plaintes se sont élevées généralement contre la hauteur des frais de justice et, je dois le dire, elles sont certainement fondées. Toutefois, il est essentiel de ne pas se méprendre sur les moyens d'obtenir une réduction; car il peut se faire qu'au lieu de réaliser des économies et d'atteindre le but qu'on se propose, on arrive à un résultat directement opposé. Or, messieurs, je le dirai franchement, je ne saurais, en ce qui me concerne, abandonner aux gardes champêtres et aux gendarmes le soin de notifier des assignations. Ces actes exigent de la part des fonctionnaires certain degré d'intelligence et d'instruction que l'on chercherait en vain, au moins pour le moment, chez les gendarmes et les gardes champêtres. Il y a plus, messieurs, pour assigner les témoins, il est souvent nécessaire de recueillir sur les lieux les renseignements qui supposent un homme de certaine capacité pour les obtenir. Que l'on confie les actes importants à des agents qui n'ont fait aucune étude et à qui manque l'expérience des affaires, les procédures seront irrégulières et des frais notables resteront à charge du trésor public. Une quantité de délits, qui sont couverts par de courtes prescriptions, échapperont à la répression, et la poursuite n'aura abouti qu'à occasionner des frais à l'Etat.

Qu'un garde champêtre ou un gendarme ne trouve personne au domicile d'un prévenu, et je le défie de pouvoir remplir les formalités prescrites par la loi en semblable hypothèse.

Toutefois, messieurs, je pense qu'il y a quelque chose à faire pour réaliser des économies sur le chapitre important des frais de justice.

C'est ainsi que j'estime avec l'honorable M. Orts que les mandats d'arrêt ou de dépôt peuvent, sans inconvénient, être mis à exécution par les gendarmes.

D'autre part, il existe incontestablement des abus réels. Ainsi on entend un trop grand nombre de témoins dans les affaires de simple police et de police correctionnelle, surtout lorsqu'il s'agit de faits de peu de gravité. Il en est de même dans les procédures portées devant les cours d'assises. Les témoins sont souvent produits sans discernement éclairé.

D'un autre côté, on pourrait être plus réservé à provoquer des informations préalables relativement aux faits qui constituent de simples délits. La détention préventive qui ne doit jamais, selon moi, être ordonnée sans nécessite absolue, est une mesure à laquelle, en général, on recourt aussi trop fréquemment. Une simple circulaire de M. le ministre de la justice peut faire cesser tous ces abus.

Enfin, messieurs, je voudrais que le nouveau projet des tarifs en matière criminelle renfermât une disposition formelle autorisant les tribunaux à mettre les frais de la poursuite à charge de tout individu qui aurait formé une plainte évidemment mal fondée, alors même qu'il ne se serait pas porté partie civile.

Tels sont, messieurs, à mon avis, les véritables moyens de parvenir à une réduction des frais dont nous nous occupons.

La justice est une dette sacrée de la société ; il est possible de rendre l'obligation moins onéreuse, mais il faut se souvenir que la justice est le premier besoin des peuples, que sur elle repose l'ordre social, et qu'elle ne doit pas fléchir devant des questions d'argent. Je n'hésiterais pas, en conséquence, à voter contre toute mesure qui tendrait à sacrifier les intérêts importants de la société à des considérations pécuniaires.

Toutefois, je pense qu'il est possible, par les moyens que j'ai indiqués, d'atteindre la réduction adoptée par la chambre, sans porter atteinte à la position des huissiers.

J'attendrai les explications du gouvernement avant de me prononcer.

M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - Messieurs, je ne sais à quoi aboutirait l'amendement proposé par la section centrale. L'honorable M. Orts n'a point formulé une disposition portant que les huissiers seraient remplacés par les gendarmes dans telle ou telle circonstance ; il n'a proposé, sous ce rapport, aucune modification à la législation existante. Eh bien, messieurs, que pourrons-nous faire en présence de cette réduction? Rien autre chose que de donner, comme nous l'avons déjà fait et comme nous avons promis de le faire encore, des instructions à MM. les officiers des parquets et à MM. les juges d'instruction, pour qu'ils emploient le ministère de la gendarmerie autant que cela sera possible sans désorganiser le service spécial de cette arme. Voilà, messieurs, tout ce qu'il est possible de faire ; et la réduction proposée par l'honorable M. Orts n'aboutira pas à autre chose qu'à ce que nous avons promis de faire. Mais j'ai la conviction que le crédit sera insufflant, qu'il sera épuisé avant la fin de l'année, à une époque où la chambre ne sera pas réunie, et où, par conséquent, il sera impossible de demander un crédit supplémentaire.

On a parlé des actes d'écrou et de l'exécution des mandats d'amener et d'arrêt. Eh bien, messieurs, déjà aujourd'hui ces mandats s'exécutent en grande partie par le ministère de la gendarmerie. Il y a des localités encore où l'on emploie les huissiers, il y a sous ce rapport quelque chose à faire et cela sera fait, mais il ne faut pas s'exagérer l'économie qui en résultera. Ainsi que j'ai eu l'honneur de le dire mardi dernier, le chiffre total des émoluments payés aux huissiers attachés aux cabinets des juges d'instruction, a été de 45,000 fr. en moyenne; et dans ces 45,000 fr., il y avait environ 15,000 fr. affectés à l'exécution des mandats de dépôt et d'amener. Or, en supposant que cette somme de 45,000 fr. réponde à la moitié des frais d'exécution de semblables mandats, vous voyez qu'il n'y aurait qu'une légère économie à faire en étendant plus qu'on ne l'a fait jusqu'ici, l'emploi de la gendarmerie pour ces sortes d'actes.

L'honorable M. Orts est allé puiser dans les statistiques, et il a trouvé un chiffre beaucoup plus élevé parce qu'il a cumulé les frais d'huissiers en matière de simple police et en matière correctionnelle et criminelle.

Cependant, en matière de simple police, l'honorable M. Orts n'a pas prétendu que l'on pût employer le ministère des gendarmes et des autres agents de la force publique, et il le prétendrait vainement, en présence de la disposition précise de l'article 145 du Code d'instruction criminelle qui dit que les citations en matière de simple police seront faites par des huissiers.

Maintenant, en matière de police correctionnelle , peut-on employer le ministère des gendarmes? Cela est très controversé. M. le procureur général de Gand, dans la dépêche que j'ai reçue tout à l'heure, élève un doute à cet égard, un doute que je crois très sérieux.

« On peut d'ailleurs soutenir, dit ce magistrat, dans l'état actuel de la législation, que l'article 72 du Code d'instruction criminelle et les dispositions du même Code relatives au mode de citation des témoins appelés aux audiences des diverses juridictions, ont dérogé à l'article premier de la loi du 5 pluviôse an XIII dans ce sens que la faculté d'employer les agents de la force publique pour faire les assignations des témoins, doit être limitée au service du cabinet du juge d'instruction. »

(page 435) Eh bien, je crois que cette opinion peut se justifier par la combinaison de plusieurs textes du Code d'instruction criminelle. En effet, les articles 72 et 97 de ce Code, les seuls qui parlent de l'emploi des agents de la force publique, ne concernent que les citations des témoins qui doivent comparaître devant les juges d'instruction, ainsi que l'exécution des mandats d'amener, de dépôt et d'arrêt. Or, par cela même que le Code d'instruction criminelle n'a permis l'emploi des agents de la force publique que dans les cas déterminés, ne peut-on pas soutenir, avec raison, qu'en matière correctionnelle aussi bien qu'en matière de simple police, l'emploi de ces agents n'est pas permis ?

Je crois donc que c'est là une question très sérieuse, et qu'on ne pourrait pas, sans risque de compromettre la légalité des procédures en matière correctionnelle, employer le ministère de la gendarmerie.

Ici je dois encore répondre à une observation qui a été faite par l'honorable M. Orts. L'honorable membre en revient toujours à ces quatre huissiers de Bruxelles, qui, suivant lui, auraient touché 24,000 fr. pour émoluments à raison du service qu'ils font auprès des juges d'instruction.

Eh bien, messieurs, cela est inexact, en ce sens que ces huissiers ne se bornent pas au service des juges d'instruction, mais qu'ils font également le service de la police correctionnelle.

Sans cela, il serait impossible que ces quatre huissiers gagnassent 24,000 fr. d'émoluments pour les citations qu'ils font pour le service des juges d'instruction de Bruxelles, alors que ces émoluments pour tout le royaume ne s'élèvent pas à plus de 30,000 fr., car quand j'ai parlé du chiffre de 45,000 fr., j'ai fait observer que 15,000 fr. environ en étaient appliqués à' l'exécution des mandats de dépôt et des mandats d'arrêt.

Je sais qu'il y a certains huissiers dont les émoluments s’élèvent à une somme assez importante; mais ces huissiers travaillent du matin au soir, il leur serait impossible de vaquer à d'autres travaux, de sorte que ces émoluments sont leur unique revenu.

M. le procureur général de Gand, dans son rapport, parle également des huissiers de la Flandre; voici comment il s'exprime :

« La mesure dont il s'agit causerait la ruine des huissiers. Il faudrait accorder une indemnité fixe aux huissiers audienciers pour les services qu'ils rendent aujourd'hui aux audiences correctionnelles et de simple police sans autre rémunération que les émoluments qu'ils reçoivent pour significations et citations. Dans l'arrondissement de Gand les états d'honoraires des quatre huissiers audienciers chargés du service des audiences correctionnelles et des cabinets des juges d'instruction s'élèvent annuellement pour chacun à environ 1,000 ou 1,700 francs, et d'après M. le procureur du roi, ils n'ont pas le temps de s'occuper d'autre chose que de ce service spécial. A Audenarde on évalue à environ 850 francs les émoluments annuels de chacun des quatre huissiers audienciers. Dans l'arrondissement de Termonde, les citations et significations réparties d'une manière aussi égale que possible entre les 21 huissiers, tant ordinaires que des justices de paix, produisent pour chacun environ 470 francs d'émoluments et indemnités. De ces sommes il faut déduire le papier, les impressions et les frais de déplacement. M. le procureur du roi à Courtray estime que si l'on privait les huissiers audienciers du bénéfice des actes qu'ils font aujourd'hui à la requête du ministère public, il faudrait leur allouer une indemnité d'un franc par heure, ce qui s'élèverait pour le tribunal correctionnel de Courtray à la somme de 800 fr. »

Vous voyez donc, messieurs, que les émoluments de ces officiers ministériels sont loin d'être aussi importants qu'on le prétend, et surtout qu'ils ne sont pas assez élevés pour justifier une mesure qui, à mon avis, serait désastreuse et contraire à tout ce qui a été pratiqué jusqu'ici.

M. Bruneau. - Messieurs, je pense avec l'honorable M. Lelièvre, que la substitution des gendarmes aux huissiers pour les significations, surtout dans les campagnes, ne serait pas heureuse, indépendamment de la question de savoir si elle serait légale. Je pense aussi que les habitants de la campagne n'accueilleraient pas avec plaisir cette innovation. Même à présent, la visite des huissiers pour les assignations de témoins n'y est pas vue avec plaisir ; la substitution des gendarmes aux huissiers y exciterait des répugnances plus vives encore.

Il est encore une économie que je crois nécessaire de signaler et qui pourrait s'opérer sur les frais de justice, c'est aux dépens des greffiers des tribunaux. Aujourd'hui, les greffiers reçoivent, pour les extraits des jugements correctionnels, une somme qui s'élève ce 60 à 75 centimes par extrait; ils délivrent deux ou trois extraits pour chaque condamnation et pour chaque condamné. Le nombre de ces extraits monte à un chiffre assez considérable.

Ainsi, par exemple, il est tel greffier qui a reçu de ce chef 2 ou 3,000 francs par an. Ces extraits sont donnés entre autres pour le recouvrement des amendes, mais souvent ces amendes ne peuvent être recouvrées, à cause de l'insolvabilité de ceux qui ont été condamnés à les payer. De ce chef on pourrait réaliser une économie assez notable.

Je recommande donc à M. le ministre de la justice de porter aussi son attention sur ce point, et de chercher à réaliser toutes les économies possibles sur les frais de la justice correctionnelle.

Mais, messieurs, en admettant même que de ce chef on put obtenir une économie de 25,000 fr., quel serait le résultat du vote qui a été émis précédemment ? En résumé, ce n'est qu'un crédit qu'on met à la disposition de M. le ministre de la justice. Mais ce n'est pas lui qui en réalité dispose de ce crédit; car voici comment les choses se passent : les états des huissiers, comme ceux des greffiers, sont taxés par une autorité autre que M. le ministre de la justice : les mandats sont délivrés et sont perçus indépendamment de la volonté de M. le ministre de la justice. Je suppose donc maintenant que le crédit qui sera porté au budget sera insuffisant. La dépense en sera-t-elle moins opérée ?Alors on devra venir demander un crédit supplémentaire; il arrivera que les dépenses qui auront été faites dans les premiers mois de l'année seront soldées, que les parquets qui auront mis plus d'empressement recevront le payement de leurs frais sur l'année courante, tandis que ceux qui auront cherché à faire des économies devront attendre et mettront dans l'embarras les huissiers qui ne pourront toucher leur argent qu'au bout de quatre mois ou un an, quand la chambre aura voté un crédit pour couvrir la dépense.

. M. le ministre pourra engager ceux qui sont chargés de dépenser le crédit dont il s'agit, à apporter toute l'économie possible ; et la discussion qui a eu lieu ne sera pas perdue.

On pourra substituer, quand la chose ne présentera pas d'inconvénients, les gendarmes aux huissiers, et d'un autre côté réduire le nombre des extraits délivrés par les greffiers ainsi que de certaines poursuites dont on ne croirait pas pouvoir recouvrer les frais.

Je voterai contre !a réduction proposée.

M. Toussaint. - Messieurs, ce qu'on vous propose, c'est de faire décider par une question de chiffre qui n'a jamais été limitatif une question d'instruction criminelle. Or il est d'habitude, depuis la promulgation du Code d'instruction criminelle, d'agir comme on le fait aujourd'hui.

Je crois que pour opérer à cet égard un changement convenable, que plusieurs d'entre nous doivent désirer, il faut le faire dans le projet de loi modifiant le tarif en matière d'instruction criminelle. C'est là la place de cette question qui touche aux intérêts des prévenus; il faut que nous l'abordions franchement ; pour ma part, je m'engage à le faire dans la discussion du projet dont nous sommes saisis.

M. le ministre a promis d'étendre à tout le pays judiciaire une modification déjà introduite dans certaines parties, c'est-à-dire de faire faire les actes d'écrou par les gendarmes qui portent la main à l'exécution.

Cette économie se trouve en partie réalisée dans le crédit proposé par M. le ministre, qui est inférieur de 40,000 fr. au moins à celui de l'exercice précédent.

Il ne faut pas procéder par surprise ; je suis persuadé que M. le ministre abordera franchement et directement la question, quand l'occasion s'en présentera, et ce sera d'ici à quelques jours.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je désire présenter une courte observation. Il ne faut pas qu'on se fasse illusion à propos de l'amendement en discussion ; il ne faut pas qu'on se persuade qu'on fait une économie parce qu'on décrète que le crédit destiné à couvrir les frais de justice est réduit de 100 mille francs. C'est une économie en théorie ; mais qu'en sera-t-il en pratique? Voilà un point sur lequel on n'oserait pas faire une affirmation. Qui peut certifier que ce crédit sera suffisant avec 100 mille francs de plus ou de moins? Ni le gouvernement ni aucun membre de la chambre ne le pourrait.

L'honorable M. Orts dit bien : Employez tel système, il est probable que vous arriverez à cette économie. Mais une chose me frappe; est-ce que les dispositions légales qu'on invoque sont récentes? Elles existent depuis un demi-siècle à peu près et, chose étrange, on ne les aurait pas mises en pratique ! Est-ce mauvais vouloir ou désir de rémunérer les huissiers ? Quand il s'agit d'allocations dépensées sous la direction du ministre, je conçois qu'on puisse suoposer que, subjugué par son entourage, cédant à des obsessions, il emploie les fonds mis à sa disposition avec une certaine largesse.

Mais ici, il s'agit de sommes dont le ministre ne peut réellement pas régler l'emploi ; il s'agit de sommes mises, dans le fait, à la disposition des magistrats, la plupart indépendants, sur lesquels on ne peut agir que par voie de conseil, qui pourtant effectuent la dépense, choisissent le personnel à employer et taxent les frais qui ont été faits. Limiter un pareil crédit dans les mains du gouvernement, ce n'est absolument rien faire. L'honorable M. Orts affirme que les lois en vertu desquelles il voudrait que le ministère des gendarmes fût substitué à celui des huissiers sont claires et précises, et qu'il est impossible de douter que, dans tous les cas indiqués par l'honorable membre, les gendarmes puissent instrumenter aussi bien que les huissiers. Cependant, on n'est pas d'accord ; M. le procureur général de Gand soulève des doutes sérieux. Je ne me prononce pas, mais cette opinion mérite au moins un examen. La limite dans laquelle vous pouvez employer les gendarmes au lieu d'huissiers est incertaine ; c'est la question de droit.

Mais en fait, est-il certain que vous puissiez disposer des gendarmes? Vous partez de la supposition qu'il y aura des gendarmes disponibles. On se plaint de l'insuffisance des gendarmes; on en demanda partout, il en manque, et vous supposez qu'ils auront le loisir de faire ce que font les huissiers. Maintenant pour l'exécution, on aura recommandé aux procureurs du roi, aux juges d'instruction d'employer autant que possible les gendarmes pour les notifications des significations; s'ils répondent, si les procureurs du roi justifient qu'il a été impossible de distraire les gendarmes de leur service, et que l'on a dû avoir recours aux huissiers, que faudra-t-il faire? Ne pas payer? C'est impossible. Il faudra (page 436) donc en revenir au crédit supplémentaire. Or, comme une telle éventualité est assurément fort probable, on arrête une allocation du budget en déficit, avec la conscience qu'il est en déficit.

Quand le gouvernement déclare qu'il fera tout ce qui dépendra de lui pour réduire les frais de justice, non seulement en employant le moyen indiqué par M. Orts, dans les limites de ce qui sera reconnu légal ou possible, mais encore en suivant l'avis émis par M. Lelièvre, en invitant les magistrats à ne pas assigner un aussi grand nombre de témoins, dès que le besoin n'en est pas démontré; à ne pas assigner devant les tribunaux des témoins qui, déjà entendus dans l'instruction, ont prouvé qu'ils ne savaient rien du litige; quand le gouvernement nous promet de faire toutes ces recommandations, quand le gouvernement peut ajouter qu'il a étudié d'autres systèmes, qu'il s'est occupé du point de savoir si l'on ne pouvait, pour les comparutions devant le juge d'instruction, par exemple, donner une première citation aux témoins par simple avertissement par la poste, sauf à renouveler cette citation, si le témoin ne se présentait pas, pour le faire condamner légalement; quand le gouvernement fait de telles déclarations et qu'il s'agit d'un crédit qui n'est pas à sa disposition, je ne conçois pas qu'on prétende réduire l'allocation.

On vous a fait remarquer que, sous prétexte de faire des économies, on pourrait arriver à engendrer des dépenses beaucoup plus considérables. Et, en effet, veuillez réfléchir à cette observation. Les gendarmes auront fait des citations en matière correctionnelle. Ils ne sont pas improvisés huissiers du jour au lendemain. Vous reconnaîtrez qu'il y a, en matière de citations, certaines précautions que la loi regarde comme importantes et qui sont prescrites à peine de nullité. Les gendarmes ne rempliront pas ces formalités. Il s'agit, par exemple, d'un témoin principal non régulièrement cité en matière correctionnelle. Tous les autres témoins seront présents à l'audience. Cependant l'affaire devra être remise pour qu'on ait le temps d'assigner de nouveau ce témoin, et on aura doublé, triplé, quintuplé la dépense, parce que le gendarme aura omis quelque formalité dans l'exploit d'assignation.

Voilà à quoi l'on ne pense pas, et cependant cette considération me paraît d'une certaine gravité.

On veut que le gendarme soit appelé constamment dans le cas que l'on indique aux lieu et place de l'huissier pour les affaires les moins importantes, à pénétrer dans le domicile des citoyens. Mais prenez-y bien garde. On attache à la présence du gendarme, à son intervention, un certain effet moral. Eh bien ! Vous détruisez entièrement cet effet en faisant trop souvent apparaître le gendarme. Vous le détruisez ; mais avant que vous ne l'ayez détruit, vous aurez un autre inconvénient, celui de faire croire à ces populations peu éclairées de la société auxquelles s'adressent généralement les gendarmes et les huissiers en matière de police, que pour la moindre chose il s'agit d'une affaire importante ; et lors même qu'il ne sera question que d'une citation à un témoin, le particulier chez lequel le gendarme pénétrera sera soupçonné d'avoir commis un crime ou un délit.

Je ne puis d'ailleurs me persuader que ce soit sans raisons graves que depuis un demi-siècle, on n'a pas usé d'une manière plus large des dispositions légales qui permettraient de substituer le ministère des gendarmes à celui des huissiers.

Je demande donc par ces considérations que le crédit soit voté tel qu'il est réclamé par le gouvernement.

M. Orts, rapporteur. - Je ne veux pas de meilleure preuve de la valeur qu'aurait la réduction, si elle était maintenue par la chambre, que l'insistance mise par deux ministres à la combattre. Il est évident que la chose en vaut la peine. Je ne concevrais pas que messieurs les ministres se donnassent la peine de parler deux ou trois fois, pour arriver à un résultat tout à fait indifférent.

Il est évident donc que, par le vote de la chambre, il y aura un effet produit; et cet effet quel sera-t-il? Que M. le ministre de la justice enverra des ordres aux agents chargés d'employer les huissiers, et qui ainsi seront obligés d'y substituer les gendarmes, chaque fois que la chose pourra se faire sans inconvénients. Or, ces agents n'attendent que les ordres de M. le ministre de la justice pour exécuter ce que la section centrale demande. Je suis persuadé qu'ils attendent ces ordres avec impatience, et à en juger par Bruxelles, la chose est parfaitement praticable.

Si cet ordre est envoyé par M. le ministre de la justice, il sera exécuté. Et ici je réponds à l'objection de l'honorable député d'Alost, de M. Bruneau.

Oui, M. le ministre de la justice n'est pas le maître de ne pas payer, quand on a taxé conformément à la loi. Mais, si M. le ministre adresse des instructions par lesquelles il déclare que la volonté bien formelle du gouvernement est que tels actes soient faits par des agents non salariés, au lieu de l'être par des agents salariés, dans le cas où ses instructions ne seraient pas suivies, il pourrait refuser de passer en taxe. Il pourrait faire retomber les frais sur le magistrat qui, pouvant employer des gendarmes, aurait employé des huissiers ; c'est ce qui se fait quand un magistrat donne à un témoin plus qu'il ne lui revient d'après la loi.

M. Bruneau. - Parce qu'il y a un tarif.

M. Orts. - Je dis que les officiers du parquet seraient obligés de suivre les instructions du ministre. Du reste, soyez persuadés que ces instructions seraient suivies et immédiatement suivies. Si ce système n'est pas adopté aujourd'hui, ce n'est pas parce que la loi le défend, c'est parce que les instructions antérieures y sont contraires. C'est parce que les gouvernements précédents préféraient employer les gendarmes à d'autres usages.

Quant au mauvais effet de la mesure appliquée dans les campagnes, je le répète, c'est un argument qu'on ne peut plus produire. De toutes les explications données depuis trois jours au nom de la section centrale, il résulte que ce n'est nullement de la population des campagnes qu'il peut s'agir.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - L'honorable M. Orts dit : L'affaire doit être extrêmement importante, puisque deux ministres veulent bien s'en occuper et prendre la parole sur l'article en discussion. L'honorable M. Orts suppose probablement que le gouvernement a un intérêt considérable à obtenir l'allocation qui est attaquée. Est-il donc si difficile de reconnaître que, si nous insistions, c'est uniquement dans l'intérêt du service public ?

Pourquoi demandons-nous cette allocation ? Mais pour avoir un budget sérieux. Voilà le seul intérêt qui nous préoccupe et le seul motif pour lequel je prends la parole. Je désire que le budget soit vrai ; je désire que, par des restrictions non justifiées, on ne rende pas des crédits supplémentaires inévitables, et je demande à l'honorable M. Orts s'il a la certitude que l'on peut économiser 100,000 fr. sur le chapitre des frais de justice.

M. Orts. - Oui! évidemment oui!

M. Dumortier. - L'économie peut être plus forte encore; elle peut être de 200,000 fr.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Que l'honorable M. Dumortier fasse une proposition. On ne doit pas s'arrêter en si beau chemin; il faut réduire le chiffre de 200,000 fr.

M. Dumortier. - C'est ce que nous aurons à examiner une autre année. Cela pourra peut-être se faire. Il y a quelques années, le chiffre des frais de justice s'élevait à 300,000 francs de moins qu'aujourd'hui.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Il y a cinquante ans, il y a un siècle, il était encore beaucoup moins élevé. Qu'est-ce que cela prouve? Si la population est plus considérable, s'il y a plus de délits, s'il y a plus de gens à poursuivre, plus de gens à condamner, comment voulez-vous que les frais de justice restent stationnaires ?

Mais la chambre ne peut avoir la conviction qu'il soit possible de réduire l'allocation de 100,000 francs. Supposez qu'il y ait autant de poursuites à exercer en 1849 qu'il en a été exercé en 1848, en 1847, et je soutiens que la réduction de 100,000 francs n'est pas possible.

L'honorable M. Orts raisonne ainsi : Je suppose par hypothèse et à la vue des statistiques, qu'il y aura autant d'arrestations en 1849 qu'en 1847 ; ces arrestations, faites par les huissiers, ont coûté autant, ont absorbé une somme de...; donc, si l'on substitue le gendarme gratuit à l'huissier salarié, la réduction sera de... Mais M. le ministre de la justice lui a répondu qu'il était dans l'erreur.

Vous avez fait un faux calcul. Lors même qu'il serait exact d'après les statistiques, il n'en résulterait pas que l'économie serait de 100,000 fr. Cette économie, vous ne l'avez pas justifiée.

M. Orts. - Elle serait de 106,355 fr. 80 c.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - M. le ministre de la justice vous a répondu que vous vous trompiez, que vos calculs n'étaient pas exacts, puisque du chef des dépenses que vous signalez pour les huissiers attachés aux parquets des juges d'instruction, il n'y a qu'une somme de 45,000 francs pour tout le royaume. C'est ce qui est irréfutable.

Voilà donc le premier point sur lequel s'appuie l'honorable M. Orts pour donner à la chambre la conviction qu'on peut faire une économie de 100,000 fr. L'erreur est flagrante.

Mais encore une fois, si légalement il est possible d'employer les agents dont parle l'honorable M. Orts, cela est-il possible pratiquement? Si cela est possible, qu'on m'explique comment on ne l'a pas fait depuis un demi-siècle ?

M. Orts. - Parce qu'il y avait des instructions contraires. Je les ai vues.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - L'honorable M. Orts qui reçoit, paraît-il, les confidences de la gendarmerie, qui nous déclare qu’elle sera enchantée d'avoir le surcroît de charges qu'il propose de lui imposer, se persuade que, si l'on n'a pas utilisé ses services jusqu'à ce jour, c'est par mauvaise volonté. Mais comment croire que jamais, à aucune époque, on n'ait pas employé ces agents gratuits lorsqu'on pouvait le faire, si l'on n'en avait été empêché par des obstacles réels, par de sérieuses difficultés ?

Il existait aussi d'autres agents que l'on pouvait employer gratuitement. Mais qu'est-il arrivé peu de temps après ? C'est qu'on a dû les indemniser pour le service extraordinaire qu'ils faisaient ? Si ma mémoire est fidèle, une disposition formelle a accordé une indemnité à ces agents qui, primitivement, et d'après la loi, devaient faire le service gratuitement.

Vous n'avez pas répondu à une autre objection. Les huissiers, en compensation de ce qu'ils reçoivent du chef des citations dont ils sont chargés, font gratuitement le service des audiences criminelles et correctionnelles.

Est-ce que vous pourrez encore les obliger à faire gratuitement ce service, lorsqu'ils ne trouveront plus la compensation qui leur est aujourd'hui attribuée?

(page 437) Voilà ce que dans peu de temps on vous représenterait probablement, si votre système était suivi d'une manière absolue. On demanderait des indemnités pour le service des audiences.

Au surplus, il est incontestable que, le pût-on légalement, ce ne serait qu'exceptionnellement, comme service extraordinaire, qu'il y aurait possibilité d'employer les gendarmes ; mais en fait il n'est pas démontré qu'on puisse le faire ; et aussi longtemps qu'on ne l'a pas démontré, il n'y a pas lieu de réduire l'allocation.

L'engagement du gouvernement doit suffire. Il est complet ; il est absolu. Le gouvernement fera tous ses efforts pour empêcher que les frais de justice s'accroissent. De cet engagement, si formel, on pourra demander compte. Vous aurez le droit de demander, à la discussion du prochain budget : « Qu'a-t-on fait? Quel a été le résultat de nos recommandations? ». Si le gouvernement n'a pas satisfait à ce que le service exigeait, à ce qui était réellement utile et possible, il sera temps alors de prendre des dispositions pour régler les allocations. Mais à présent, cela est véritablement prématuré.

- La discussion est close.

Le chiffre de 746,385 fr., demandé par le gouvernement, est mis aux voix par appel nominal.

63 membres répondent à l'appel nominal.

26 votent l'adoption.

33 votent le rejet.

2 s'abstiennent. En conséquence ce chiffre n'est pas adopté.

Ont voté l'adoption : MM. Bruneau, Christiaens, H. de Baillet, Debroux, Dedecker, de Haerne, de Liedekerke, de Luesemans, de Renesse, Destriveaux, d'Hoffschmidt, Dubus, Dumont, Frère-Orban, Mercier, Osy, Rogier, Rolin, Schumacher, Thibaut, Toussaint, Troye, Van Grootven, Verhaegen, Veydt et Allard.

Ont voté le rejet : MM. Boedt, Cans, Clep, Dautrebande, David, de Bocarmé, de Brouwer de Hogendorp, Dechamps, de Denterghem, Delfosse, Deliége, de Man d'Attenrode, de Meester, de Perceval, de Theux, de T'Serclaes, d'Hont, Dumortier, Jacques, Lange, le Bailly de Tilleghem, Lesoinne, Liefmans, Moxhon, Orts, Pirmez, Sinave, Vanden Branden de Reeth, À. Vandenpeereboom, E. Vandenpeereboom, Van Iseghem, Vermeire, Vilain XIIII, Ansiau et Anspach.

Se sont abstenus MM. Lelièvre et Vandenberghe de Binckum.

Les membres qui se sont abstenus sont invités à faire connaître les motifs de leur abstention.

M. Lelièvre. - Je pense qu'on peut opérer la réduction de 100,000 fr. Mais en présence de la déclaration de M. le ministre des finances, que rien ne serait négligé pour y parvenir, je me suis abstenu.

M. Vanden Berghe de Binckum. - Je me suis abstenu par les mêmes motifs.

- Le chiffre de 646,385 fr. proposé par la section centrale est définitivement adopté.

Chapitre IV. Frais de justice

Article 17

M. le président. - L'article 17 a été supprimé. Il est ainsi conçu :

« Art. 17. Indemnité pour le greffier de la cour de cassation, à charge de délivrer gratis toutes les expéditions ou écritures réclamées par le procureur général et les administrations publiques : fr. 1,000. »

M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - Il s'agit ici d'une somme de 1,000 fr. qui depuis quinze ans a toujours été accordée au greffier de la cour de cassation pour les expéditions qu'il délivre aux diverses autorités publiques.

La section centrale a proposé de supprimer ce crédit. Je dois faire observer que l'honorable rapporteur lui-même de la section centrale n'a pas insisté sur cette proposition.

Mais l'honorable M. Toussaint l'a soutenue en disant que, d'après le tarif de 1811, le greffier de la cour de cassation, comme tous les greffiers, devait fournir gratuitement les renseignements qui lui sont demandés. Cela est vrai, quant aux renseignements, mais non pas quant aux écritures, aux expéditions. Or, les écritures, les expéditions ne sont pas tarifées par le tarif de 1811 ; elles le seront prochainement par le nouveau tarif qui est soumis à la chambre. Cependant je n'insisterai pas sur cet objet s'il peut être entendu que les expéditions délivrées par le fonctionnaire dont il s'agit, depuis le commencement de l'année, pourront lui être bonifiées d'après le tarif nouveau. Je pense que cela ne souffrira aucune difficulté, et dès lors je ne demanderai pas le rétablissement du crédit.

- Le crédit est mis aux voix et définitivement supprimé.

Chapitre V. Palais de justice. - Chapitre VIII. Cultes

Articles 18, 19 et 36

Les amendements introduits dans les articles 18,19 et 26 sont successivement mis aux voix et adoptés sans discussion.

Chapitre XI. Frais de police

Article 54

La chambre passe à l'article 54 formé de la réunion de deux articles et libellé : « Mesures de sûreté publique, fr. 58,000. »

Le chiffre primitif des deux articles réunis était de 68,000 fr. ; il a été opéré une réduction de 10,000 fr. sur la proposition de M. le ministre de la justice.

M. de Man d'Attenrode. - Messieurs, l'amendement de M. le ministre de la justice tendant à réduire de 10,000 fr. le crédit demandé par son projet de budget pour le service des passeports, cet amendement a passé en quelque sorte inaperçu ; il n'y a presque pas eu de discussion. C'est tout simple : quand le gouvernement propose une économie, c'est une bonne fortune qu'on accueille avec faveur. Cependant je vous le déclare, messieurs, je suis loin d'avoir tous mes apaisements sur les résultats de cette réduction. Il s'agit ici d'une question grave, d'une question de sécurité publique ; voici, quant à moi, comment je l'apprécie après mûre réflexion. Il y a réduction de 10,000 fr. environ sur le crédit destiné aux mesures de sécurité publique ; il y a, en deuxième lieu, diminution des moyens dont le gouvernement dispose pour assurer la tranquillité du pays. Je m'explique : Le gouvernement avait proposé à l'article 53 un crédit de 20,000 fr. comme l'année précédente, pour le service des passeports ; il avait réclamé, en outre, ira crédit de 48,000 fr. pour mesures de sécurité publique.

Ce sont là, messieurs, les crédits qui étaient demandés quand le pays jouissait d'une complète sécurité, quand nous n'étions pas entourés d'éléments révolutionnaires et de désordre comme nous le sommes malheureusement encore dans les circonstances présentes. Eh bien, l'honorable M. de Haussy a cru devoir proposer une réduction de 10,000 fr. sur l'article relatif aux passeports. Et d'après ce qu'il nous a dit, les 10,000 fr. restant seront accordés comme subside à la ville de Bruxelles dont les employés vont être chargés du visa des passeports.

Mais, messieurs, il y a d'autres services de passeports pour lesquels le gouvernement est obligé de faire des frais, ce sont les services des bureaux de vérification de passeports aux frontières, et ces services ont pris assez d'extension depuis le mois de février.

Ensuite, messieurs, le gouvernement accorde (et j'ai vérifié le fait à la cour des comptes), le gouvernement accorde des gratifications aux agents préposés à cette vérification dans les grandes villes du pays et même dans les faubourgs de Bruxelles. Je me demande maintenant ce qui résultera de cette réduction du crédit de 20,000 à 10,000 fr.? Je me suis assuré que l'année dernière les 20,000 fr. ont été épuisés.

Il ne restera donc au gouvernement, qu'à mandater ces dépenses sur le crédit destiné aux autres mesures de sûreté publique, qui était de 48,000 fr. et je ne crains pas d'exagérer en disant que ce crédit, celui des dépenses secrètes, sera diminué de 8 ou 10,000 fr. et cela est d'autant plus évident, si j'ai bien compris, M. le ministre de la justice, que c'est précisément pour éviter les difficultés que la cour des comptes pourrait lui susciter à cet égard, qu'il a demandé la réunion des deux crédits en un seul article. Il est donc positif que le résultat de la proposition du gouvernement, si elle est adoptée, sera de réduire notablement le chiffre du crédit nécessaire aux mesures de sûreté publique, c'est-à-dire ce qu'on appelle, en France, les fonds secrets. Je vous avoue que je ne conçois réellement pas comment, lorsque la Belgique est entourée d'éléments de troubles, de fermentation, l'on ose venir demander (et cela provient de l'initiative du gouvernement) la réduction du crédit nécessaire pour assurer la sécurité publique. Je ferai remarquer ici en passant la différence qu'il y a entre la conduite de M. le ministre de la justice et celle de M. le ministre de la guerre, qui, lui aussi, a à répondre de la sécurité du pays, par d'autres moyens ; je fais partie de la section centrale du budget de la guerre, et l'honorable général Chazal paraît ne pas entendre diminuer d'un centime les crédits qu'il a demandés, tant il les croit nécessaires à la défense du pays, et cela sur un budget de 27 millions et au-delà; tandis qu'ici, sur un chiffre de 48,000 francs destiné aussi à assurer la sécurité du pays, M. le ministre de la justice trouve tout simple de proposer une réduction de 10,000 francs sur son petit budget de la sûreté publique.

Voici maintenant le deuxième point de vue sous lequel je pense que la mesure que M. le ministre de la justice se propose de prendre, est critiquable. C'est la mesure qui aura pour résultat de supprimer le bureau des passeports de son département, et d'en remettre les attributions à l'autorité municipale. Si cette mesure se réalise, le gouvernement abdique, en partie au moins, les faibles moyens de contrôle qu'il possédait sur le mouvement des étrangers dans la capitale, et il les a abandonnés à l'autorité municipale, à une autorité élective.

Nous possédons depuis 1832 un préfet de police réduit aux plus petites dimensions, chargé de centraliser l'action préventive ; eh bien, l'on juge convenable de réduire encore ses moyens d'instruction en chargeant l'autorité communale des vérifications qui s'opéraient dans ses bureaux.

Certes, messieurs, je n'entends pas élever ici des doutes sur la régularité du service de la vérification des passeports, qui s'opérera à l'hôtel de ville de Bruxelles, car je me plais à rendre hommage à l'énergique dévouement de l'homme qui préside son administration. Mais il ne faut pas perdre de vue que les hommes passent, et que les institutions sont destinées à leur survivre.

Mais l'honorable M. de Haussy a-t-il donc perdu de vue que les fonctionnaires communaux sont loin d'appartenir au gouvernement au même titre que les fonctionnaires de l'Etat? A-t-il donc oublié que leur mandat a une double origine, qu'il émane du corps électoral? Et à ce propos je demanderai à l'honorable ministre de la justice s'il s'est assuré de l'exécution complète des dispositions concernant la police des passeports, et notamment de l'arrêté du 6 octobre 1830 par l'administration communale de Bruxelles? arrêté dont M. le ministre de la justice a permis une large application depuis les événements du mois de février, j'aime à le reconnaître, malgré les critiques dont il avait été peu auparavant l'objet.

Aussi, je tiens à lui en témoigner ma reconnaissance, car j'attribue en partie à cette franche exécution de l'arrêté du 6 octobre 1830, le bonheur que le pays a eu d'échapper à cette irruption de gens sans aveu qui se sont (page 438) précipités sur nos frontières pour provoquer le désordre et le pillage sous prétexte de nous apporter la liberté, et j'ajouterai, pour être juste, que le personnel de la sûreté publique, qu'on veut licencier, y a eu sa bonne part.

Ai-je besoin de vous rappeler, messieurs, que dans les capitales des pays constitutionnels, qui nous environnent, l'exercice des mesures qui tendent à assurer la paix publique a été soigneusement réservé au pouvoir central, à l'exclusion de l'autorité municipale? C'est ainsi qu'à Paris la police s'exerce sous la direction d'un fonctionnaire, dont les pouvoirs émanent directement du gouvernement. C'est ainsi qu'à Londres, et même dans tout le royaume, les agents préposés au maintien de l'ordre ne tiennent leur mandat que du pouvoir central ; et en Belgique le gouvernement abandonne de lui-même une partie des faibles moyens d'action dont il pouvait disposer.

Cela me semble injustifiable, et j'en augure que l'honorable M. de Haussy n'a pas de vocation pour remplir les fonctions de ministre de la police. Au reste, s'il ne tient pas à en retenir les attributions à son département, je me hasarderais d'appuyer le vœu formulé par une section, qui a demandé que le service de la sûreté publique fasse retour à celui de l'intérieur. Il est d'ailleurs nécessaire, pour empêcher que la police préventive ne soit annulée par la police répressive, que ce service soit détaché du département de la justice. Ce service doit appartenir à un département ayant un caractère politique.

Je vous rappellerai ici, en passant, comment il se fait que l'administration de sûreté soit dans les attributions de la justice.

Lors de la formation du cabinet de 1840, l'honorable M. Liedts, que je regrette de ne plus voir siéger parmi nous, appelé à en faire partie, mit pour condition à son entrée au département de l'intérieur, que le service de sûreté ne serait pas dans ses attributions, et cela par des motifs, je suppose, inhérents à son ancienne position dans la magistrature.

Rien n'empêche maintenant que ce service ne fasse retour à l'intérieur; je crois pour ma part, que l'intérêt public l'exige ; au reste je suis persuadé que l'honorable chef de ce département, si franchement dévoué à l'existence nationale et à la prospérité du pays, ne reculera pas devant ce fardeau, parce que l'ordre et la sécurité en sont les conditions indispensables.

M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - Messieurs, il est étonnant que l'honorable M. de Man d'Attenrode, si grand éplucheur de budgets, et qui cherche partout des économies, vienne contester une économie de 10,000 francs, que le gouvernement a crue possible, et qui ne doit présenter, selon lui, aucune espèce d'inconvénient.

De quoi s'agit-il en effet? Un crédit de 20,000 francs était alloué pour les frais de vérification des passeports des étrangers dans la capitale ; un bureau spécial était ouvert à cet effet à l'administration de la sûreté publique. D'un autre côté il y avait à l'hôtel de ville un autre bureau de vérification pour les passeports à l'intérieur. Eh bien, nous avons cru qu'il était possible de réunir ces deux bureaux, en réalisant ainsi une économie de 10,000 francs sur un crédit de 20,000.

L'économie de tout le crédit aurait été faite, s'il n'avait pas été nécessaire d'en employer une partie pour continuer à payer les agents de la ville de Bruxelles qui sort chargés de !a vérification de ces passeports; attendu qu'ils font de ce chef un service extraordinaire et qui se rattache à la sûreté publique, il était donc juste que le budget de la sûreté publique continuât à les subsidier.

Il ne résultera pas de cette économie la moindre perturbation dans les attributions de l'administration de la sûreté publique ; ces attributions resteront ce qu'elles sont aujourd'hui.

La sûreté publique aura ses agents spéciaux aux frontières pour la vérification des passeports, tant que cela sera nécessaire ; elle en aura au besoin dans les principales villes du royaume; et les subsides qui sont payés aujourd'hui continueront à l'être sur le budget des fonds de police, comme ils l'ont toujours été.

Je ne puis en vérité concevoir la sollicitude de l'honorable M. de Man. Il craint que les fonds de la sûreté publique ne soient désormais insuffisants. Mais si ces fonds ont été suffisants pendant le cours de l'année dernière, pendant un exercice qui a nécessité des dépenses extraordinaires, vous pouvez être persuadés, messieurs, que le crédit que vous voterez aujourd'hui suffira largement à tous les besoins de l'année que nous commençons.

Ainsi, je le répète, il n'y a eu qu'un simple changement de bureau ; il ne s'agit pas d'autre chose que de faire viser dans le bureau de l'hôtel de ville de Bruxelles, les passeports qui se visaient dans le bureau de la sûreté publique, au ministère de la justice. Du reste, la sûreté publique conserve tous ses moyens de surveillance et d'action ; elle recevra des agents spéciaux préposés à ce service tous les renseignements nécessaires, pour surveiller les étrangers qui voyagent ou séjournent dans le pays, dans la capitale. Rien absolument n'est changé dans ses attributions; c'est un simple déplacement de bureau qui doit amener une économie importante; ce n'est rien de plus.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Messieurs, la chambre peut entièrement se rassurer sur les effets de l'économie réelle qui lui est proposée, car c'est bien ici une économie réelle, à la différence de l'économie qui a été votée tout à l'heure sur les frais de justice, qui est une réduction tout éventuelle, mais qui n'est pas une véritable économie.

Messieurs, si l'on s'est décidé à proposer la réduction de 10,000 francs, c'est que l'on s'est assuré d'avance que la sûreté publique n'aurait nullement à en souffrir, soit dans ses moyens de vigilance, soit dans ses moyens de répression. On a pensé que si on a pu traverser avec succès l'année 1848, sans avoir à demander à la chambre aucune augmentation de crédit pour la sûreté publique, on arriverait vraisemblablement à atteindre le même résultat en 1849. J'espère que la chambre nous saura gré d'avoir fait face à tous les besoins de 1848, à l'aide des ressources ordinaires du budget.

Messieurs, l'on a bien voulu faire l'offre au département de l'intérieur de l'administration de la sûreté publique. Le département de l'intérieur a déjà un grand nombre d'attributions. Cette attribution nouvelle, déjà mon honorable collègue de la justice avait proposé de me la céder; Le gouvernement a examiné, an point de vue général, ce qui serait le plus convenable sous ce rapport. Le département de l'intérieur a déjà une partie de la police, il a la police municipale. Quant à l'administration de la sûreté publique proprement dite, convient-il de la faire rentrer au département de l'intérieur? C'est une question qu'on a examinée, je le répète, et qui n'est pas encore résolue ; mais si la sûreté publique venait à passer au département de l'intérieur, ce transfert n'impliquerait en aucune manière le blâme de l'administration précédente.

Je crois qu'au contraire la chambre et le pays ne peuvent que rendre hommage à la manière dont la sûreté publique a été dirigée dans les circonstances difficiles que nous avons traversées. Si donc un changement avait lieu, il ne faudrait le considérer ni comme un blâme ni comme une indication d'insuffisance quelconque du département de la justice, quant à cette branche de ses attributions.

Il faut rendre au ministre de ce département la justice, qui lui est due pour la manière dont il a dirigé la sûreté publique à l'aide des fonctionnaires qu'il a sous ses ordres ; mais il ne faut pas non plus attribuer à la seule action de l'administration de la sûreté publique la sécurité dont le pays a joui, l'attitude calme qu'il a gardée au milieu de l'ébranlement: général; ce serait aller trop loin. On a cité l'arrêté du 6 octobre 1830 comme la sauvegarde de la nationalité. Si la Belgique, messieurs, a vu l'ordre maintenu dans son sein, elle le doit avant tout à elle-même.

Sans doute, la police des passeports est quelque chose pour le maintien de l'ordre public dans le pays, mais tenez compte surtout de la confiance du pays en lui-même, et n'allez pas vous effrayer de quelques étrangers qui pourraient entrer frauduleusement dans le pays. La police des passeports est faite avec sévérité, elle continuera à l'être aussi longtemps que les circonstances l'exigeront ; nous ne souffrirons pas que, directement ou indirectement, un étranger recevant l'hospitalité chez nous, s'ingère dans nos affaires de manière à y jeter la moindre perturbation. Sous ce rapport, la chambre et le pays peuvent être tranquilles.

C'est sous notre responsabilité que la réduction de dépenses a été proposée ; nous croyons pouvoir maintenir en 1849 les choses dans l'état où nous les avons conservées eu 1848. Que si la chambre veut donner au gouvernement cette marque de confiance de lui allouer pour la police secrète au-delà de ce qu'il demande, libre à elle; nous aurions mauvaise grâce à refuser. Nous demandons ce que nous croyons suffisant ; si vous voulez aller au-delà, nous ne nous y refuserons pas ; mais cette fois la chambre aura repoussé du budget une économie réelle.

M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - L'arrêté du 6 octobre 1830 continuera à être exécuté; ce n'est pas l'hôtel de ville qui le fera exécuter ; c'est sous la responsabilité du gouvernement ou eu vertu de sa délégation qu'il le sera. Il ne faut pas croire que, parce que le visa des passeports sera donné à l'hôtel de ville, l'action gouvernementale soit transférée à l'hôtel de ville. A Liège et à Gand les passeports sont visés à l'hôtel de ville, il n'y a pas de raison pour qu'il n'en soit pas de même à Bruxelles.

M. de Man d'Attenrode. - M. le ministre vient de déclarer, en réponse aux paroles que j'ai prononcées, qu'à Liège, à Gand et ailleurs les passeports sont visés à l'hôtel de ville, et qu'il n'y a pas de raison pour qu'il n'en soit pas de même à Bruxelles. Ma réponse sera facile : Pourquoi y a-t-il à Paris une direction spéciale de police émanant exclusivement de l'autorité centrale, tandis que le service des passeports se fait dans les autres villes de France par l'intermédiaire des autorités municipales ? C'est que Paris est le siège du gouvernement; c'est que la sécurité de la France dépend de l'ordre qui règne à Paris. La police d'une capitale a un caractère politique qu'elle n'a pas dans les villes de provinces. Voilà les motifs qui font un devoir au gouvernement belge de veiller plus directement et par lui-même à la tranquillité de Bruxelles qu'à celle des autres villes.

M. le ministre s'étonne de ma sollicitude pour le service de la sûreté publique. Cet étonnement me surprend, en vérité.

La sécurité publique en Belgique serait-elle, par hasard, une chose à laquelle je devrais rester indifférent? N'ai-je pas quelque droit de m'y intéresser, comme citoyen d'abord, et ensuite comme représentant de mon pays?

M. le ministre de la justice est revenu ensuite pour faire valoir sa proposition d'économie de 10,000 fr.! Oui, mais il n'a pas établi que cette économie ne se ferait pas en réduisant le crédit destiné aux mesures de sûreté publique. Une économie semblable me semble dangereuse, et je ne puis l'admettre.

L'honorable M. de Haussy a ajouté encore que le service de la sûreté publique se fera comme jadis. L'honorable ministre de l'intérieur, lui venant en aide, a déclaré que puisque la police s'est bien faite en 1848, elle se fera bien en 1849. Voici ma réponse en deux mots : c'est parce que la police s'est faite de manière à satisfaire le pays en 1848, qu’il serait très convenable de ne pas modifier son service pour 1849.

(page 439) Savez-vous, messieurs, quelle est la fièvre qui nous dévore depuis quelque temps ? C'est de tout bouleverser, c'est de modifier les services les plus satisfaisants. Je vaudrais au moins qu'on n'étendît pas ce système à un service aussi important que celui qui tend à nous assurer la sécurité publique.

M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - Je n'ai pas reproché à l'honorable préopinant l'intérêt qu'il porte à la sûreté publique, je me suis étonné que lui qui épluche tant les budgets (il use de son droit, je ne lui en fais pas un reproche), vienne protester contre une économie que le gouvernement a spontanément offerte à la chambre.

M. de Man d'Attenrode. - Je suis pour les bonnes économies, et contre les mauvaises..

- La réduction est définitivement adoptée.

M. le président. - Il nous reste à voter le chapitre concernant.la haute cour militaire qui a été renvoyé à lundi.

Nous allons nous occuper de deux petits projets.

Projet de loi qui réunit les communes de Nederswalm et d'Hemerigem (Flandre orientale)

Discussion des articles

Articles 1 et 2

Personne ne demandant, la parole; on passe au vote des articles du projet;

« Article 1er. Les communes de Nederswalm et d'Hermelgem, province de la Flandre orientale, sont réunies en une seule commune, sous le nom de Nederwalm-Hermelgem.

« Les limites de cette commune sont axées conformément au plan annexé à la présente loi. »

- Adopté.


« Art.2. Le cens électoral et le nombre de conseillers à élire dans la nouvelle commune seront déterminés par l'arrêté royal fixant le chiffre de la population. »

- Adopté.

Vote sur l’ensemble du projet

Il est procédé au vote par appel nominal sur l'ensemble du projet.

61 membres prennent part au vote.

60 votent l'adoption.

1 vote le rejet.

En conséquence, le projet est adopté.

Ont voté l'adoption : MM. Boedt, Bruneau, Cans, Christiaens, Clep, Coomans, Dautrebande, David, de Baillet-Latour de Bocarmé, de Brouckere (Henri), Debroux, Dechamps, de Chimay, Dedecker, de Denterghem, Delescluse, Delfosse, de Liedekerke, Deliége, de Luesemans, de Man d'Attenrode, de Meester, de Mérode, de Pitteurs, de Renesse, de Royer, Desoer, Destriveaux, de Theux, de T'Serclaes, Dubus, Dumortier, Frère-Orban, Jacques, Lange, le Bailly de Tilleghem, Lelièvre, Lesoinne, Mercier, Moxhon, Orts, Osy, Peers, Pirmez, Rogier, Rolin, Schumacher, Sinave, Thibaut, Troye, Van Cleemputte, Van den Berghe de Binckum, Vandenpeereboom (Alphonse), Vandenpeereboom (Ernest), Van Hoorebeke, Van Iseghem, Van Renynghe, Vermeire, Veydt, Vilain XIIII, Allard et Verhaegen.

A voté le rejet, M. de Brouwer de Hogendorp.

Projet de loi portant le budget des non-valeurs et remboursements de l'exercice 1849

Personne ne demandant la parole dans la discussion générale, la chambre passe à la délibération sur les articles.

Discussion du tableau des crédits

Chapitre premier. Non-valeurs

Articles 1 à 5

« Art.1er. Non-valeurs sur la contribution foncière : fr. 310,000. »

- Adopté.


« Art. 2. Non-valeurs sur la contribution personnelle : fr. 370,000. »

- Adopté.


« Art. 3. Non-valeurs sur le droit de patente : fr. 80,000. »

- Adopté.


« Art. 4. Non-valeurs sur les redevances sur les mines : fr. 18,000. »

- Adopté.


« Art. 5. Décharge ou remise du droit de patente pour inactivité des bateaux : fr. 10,000. »

« Les crédits portés au présent chapitre ne sont point limitatifs. »

- Adopté.

Chapitre II. Remboursements

Contributions directes, douanes et accises
Articles 6 à 8

« Art. 6. Restitution de droits perçus abusivement : fr. 29,000. »

- Adopté.


« Art. 7. Remboursement de la façon d’ouvrages brisés par les agents de la garantie : fr. 1,000. »

- Adopté.


« Art. 8. Remboursement du péage sur l'Escaut : fr. 800,000. »

- Adopté.

Enregistrement, domaines et forêts
Article 9

« Art. 9. Restitution de droits, amendes, frais, etc., perçus abusivement en matière d'enregistrement, de domaines, etc. - Remboursement de fonds reconnus appartenant à des tiers : fr. 250,000. »

- Adopté.

Postes
Article 10

« Art. 10. Remboursement des postes aux offices étrangers : fr. 40,000. »

- Adopté.

Déficit des comptables
Article 11

« Art. 11. Déficit de comptables de l'Etat : fr. 10,000. »

« Les crédits portés au présent chapitre ne sont pont limitatifs.

- Adopté.

Vote de l’article unique et sur l’ensemble du projet

Le projet de loi est ainsi conçu:

« Article unique. Le budget des non-valeurs et des remboursements est fixé, pour l'exercice 1849, à la somme de un million neuf cent dix-huit mille francs (fr. 1,918,000), conformément au tableau ci-annexé. »

- Ce projet est adopté.


Il est procédé au vote, par appel nominal, sur l'ensemble du budget, qui est adopté à l'unanimité des 55 membres présents.

Ces membres sont : MM. Boedt, Cans, Clep, Coomans, de Baillet-Latour, de Bocarmé, de Brouckere. (Henri), Dechamps, de Chimay, Dedecker, Delescluse, Delfosse, de Liedekerke, Deliége, de Luesemans, de Man d'Attenrode, de Meester, dé Mérode, de Pitteurs, de Renesse, Desoer, de T'Serclaes, Devaux, Dubus, Dumortier, Frère-Orban, Jacques, Lange, le Bailly de Tilleghem, Lebeau, Lesoinne, Mercier, Moxhon, Orts, Osy, Pirmez, Rogier, Rolin, Schumacher, Sinave, Thibaut, Troye, Van Cleemputte, Vanden Berghe de Binckum, Vandenpeereboom (Alphonse), Vandenpeereboom (Ernest), Van Grootven, Van Hoorebeke, Van Iseghem, Van Renynghe, Vermeire, Vilain XIIII, Allard, Ansiau, Anspach et Verhaegen.

- La séance est levée à 4 heures.