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Chambres des représentants de Belgique
Séance du vendredi 27 avril 1849

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1848-1849)

(Présidence de M. Verhaegen.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 1221) M. A. Vandenpeereboom fait l'appel nominal à 2 heures et un quart.

- La séance est ouverte.

M. de Luesemans lit le procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. A. Vandenpeereboom présente l'analyse des pièces adressées à la chambre.

« Les sieurs Cailliau et Matthys, przsident et secrétaire du cercle pharmaceutique de la Flandre occidentale, présentent des observations sur le projet de loi qui modifie la loi sur l'enseignement supérieur. »

- Renvoi à la section centrale qui sera chargée d'examiner le projet de loi.


MM. Olivier et Casterman, de Tournay, adressent à la chambre 110 exemplaires d'un travail sur le jury d'examen, travaux dont ils sont les auteurs.

- Distribution aux membres de la chambre et dépôt à la bibliothèque.

Projet de loi réduisant le personnel de certaines cours et de certains tribunaux

Second vote des articles

Article premier

Les amendements apportés au tableau annexé à la loi et mentionné à l'article premier, sont définitivement adoptés.

« Art. 1er. Le personnel de la cour de cassation, des cours d'appel et des tribunaux de Mons, Bruges, Anvers, Namur, Arlon et Tongres, est composé conformément au tableau annexé à la présente loi.

« Les réductions du personnel actuel, s'il y a lieu, seront opérées au fur et à mesure de la vacance des places.

« Le gouvernement pourra aussi les opérer par la mise en disponibilité, avec deux tiers de traitement, des magistrats qui en feront la demande.

« II est autorisé à conserver leur ancien traitement aux magistrats qui auront accepté ou qui accepteront une place moins rétribuée que celle qu'ils occupaient dans une cour ou dans un tribunal dont le personnel est réduit par la présente loi, ou l'a été par une loi antérieure. »

- Les deux derniers paragraphes forment amendement.

M. H. de Brouckere. - Messieurs, je crains que la disposition dont M. le président vient de vous donner lecture, n'amène dans l'application des difficultés que je vais soumettre à la chambre et particulièrement à l'honorable auteur de la disposition.

Il est bien entendu, et cela doit être dans l'intention de la chambre comme dans celle de l'honorable M. Delfosse, que lorsqu'un magistrat est mis en disponibilité, il reste faire partie du corps auquel il appartenait et qu'il rentre dans ce corps de plein droit, à la première vacance qui se présente. Il ne saurait y avoir désaccord sur ce point.

Mais si d'un corps judiciaire quelconque il se présente plus de membres pour solliciter leur mise en disponibilité que la loi actuelle n'en supprime, que fera le gouvernement? Ainsi, dans un tribunal dont nous avons diminué le personnel d'un seul membre, il peut s'en présenter deux qui demandent à être mis en disponibilité : Sera-ce le gouvernement qui déterminera lequel des deux restera en activité, lequel obtiendra sa mise en disponibilité? Première difficulté.

Une seconde, qui me semble plus grave, est celle-ci :

Je suppose plusieurs membres d'une cour d'appel ou d'un tribunal, mis en disponibilité. Une place devient vacante. Par qui sera désigné celui des membres en disponibilité qui reprendra son siège? Sera-ce par le gouvernement? Etablira-ton un ordre dans lequel chacun reprendra sa place?

Enfin voici une troisième question.

Le gouvernement pourra-t-il user de la faculté que cette disposition lui accorde, non seulement immédiatement après la publication de la loi, mais à toutes les époques? Ainsi, pour la cour d'appel de Bruxelles, nous supprimons six membres. Je suppose que deux ou trois membres demandent immédiatement à être mis en disponibilité. Pourra-t-on, dans un an, dans deux ans, en mettre un troisième, un quatrième en disponibilité ? Il faut que la loi s'explique à cet égard, et, pour ma part, je crains qu'il ne résulte de l'amendement tel qu'il est conçu, cette conséquence très fâcheuse que le gouvernement ne puisse être accusé d'en avoir profilé, pour exercer sur certains corps judiciaires une influence dont le soupçon ne doit pas même être possible.

J'attendrai, du reste, les explications de l'honorable M. Delfosse.

M. Delfosse. - Messieurs, l'honorable M. de Brouckere me soumet trois questions : la première est celle-ci : il y a un juge de trop dans un tribunal ou un conseiller de trop dans une cour ; le gouvernement peut, d'après ma proposition, en mettre un en disponibilité; plusieurs juges, plusieurs conseillers demandent leur mise en disponibilité ; qui aura le droit de choisir? Evidemment c'est le gouvernement.

Remarquez, messieurs, que par ma proposition je donne une faculté au gouvernement ; je donne au gouvernement la faculté de mettre un magistrat en disponibilité sur sa demande.

Le gouvernement peut accorder ou ne pas accorder la mise en disponibilité, il peut rejeter l'une des demandes et admettre l'autre. Le gouvernement décidera quel est le juge, quel est le conseiller dont la présence au tribunal ou à la cour peut être le plus utile.

Deuxième question. Plusieurs membres sont mis en disponibilité ; une place devient vacante ; quel est celui qui prendra la place vacante? Je réponds de même que le gouvernement peut choisir entre les demandes de mise en disponibilité ; il pourra choisir entre ceux qui, mis en disponibilité désireront obtenir la place vacante. Je ne vois pas que par là le gouvernement puisse exercer la moindre influence sur les décisions de l'ordre judiciaire; les membres de l'ordre judiciaire mis en disponibilité ne prendront plus part aux décisions, et celui d'entre eux qui sera remis en activité se trouvera, une fois le choix fait, dans une position entièrement indépendante ; il sera inamovible.

Troisième question. Le gouvernement pourra-t-il user à toute époque de la faculté de mettre un conseiller ou un juge en disponibilité? Ici, messieurs, je pense, comme l'honorable M. de Brouckere, qu'il convient de fixer le délai pendant lequel le gouvernement aura cette faculté. On pourrait ajouter à l'amendement ces mots : « Le gouvernement pourra, dans les six mois de la publication de la présente loi, les opérer, etc. » Il est bon que le gouvernement n'ait pas cette faculté pour un temps illimité.

Il suffit que le gouvernement puisse en user pendant six mois pour que le but de mon amendement soit atteint.

Si le gouvernement pouvait ajourner indéfiniment la décision à prendre sur les demandes de mise en disponibilité, il pourrait exercer une certaine influence sur les magistrats. Ceux-ci ne présenteraient plus les garanties d'indépendance dont on a voulu entourer les membres de l'ordre judiciaire.

- Le sous-amendement est appuyé.

Il est ensuite adopté.

La disposition adoptée au premier vote, et ainsi sous-amendée, est ensuite mise aux voix et adoptée.

Le dernier paragraphe de l'article, qui constitue également un amendement, est mis aux voix et adopté avec ce changement-ci, proposé par M. le ministre de la justice : « aux magistrats qui ont accepté, » au lieu de : « aux magistrats qui auront accepté, etc. »

Articles 5, 7 et 9

La chambre confirme successivement les amendements introduits lors du premier vote dans les articles 5 et 7; sur la proposition de M. H. de Brouckere, elle retranche dans l'article 7 le mot « intégrale » qui suit le mot « indemnité ».

Elle rejette définitivement l'article 9 du projet primitif, qui n'a pas été adopté lors du premier vote.

Vote sur l’ensemble du projet

Il est procédé au vote par appel nominal sur l'ensemble du projet. En voici le résultat :

68 membres ont répondu à l'appel.

61 membres ont répondu oui.

6 membres ont répondu non.

1 membre s'est abstenu.

En conséquence, le projet de loi est adopté. Il sera transmis au sénat.

M. Lelièvre est invité à faire connaître les motifs de son abstention.

M. Lelièvre. - Je me suis abstenu parce que, si la loi renferme des améliorations, je ne puis donner mon assentiment à quelques-unes de ses dispositions, notamment en ce qui concerne le personnel du tribunal de Namur, dont la réduction me paraît de nature à compromettre le bien-être du service.

Ont répondu oui : MM. de Perceval, de Pitteurs, de Royer, d'Hoffschmidt, d'Hont, Dumortier, Jullien, Lange, le Bailly de Tilleghem, Lebeau, Le Hon, Lesoinne, Liefmans, Manilius, Moreau, Osy, Pirmez, Reyntjens, Rodenbach, Rolin, Sinave, Thibaut, Thiéfry, T'Kint de Naeyer, Tremouroux, Van Cleemputte, Vanden Berghe de Binckum, Van den Brande de Reeth, (page 1222) Vandenpeereboom (Alphonse), Vandenpeereboom (Ernest), Van Hoorebeke, Van Iseghem, Van Renynghe, Veydt, Vilain XIIII, Allard, Ansiau, Anspach, Boulez, Bruneau, Cans, Christiaens, Clep, Coomans, Cumont, David, de Baillet (Hyacinthe), de Bocarmé, Debourdeaud'huy, de Brouckere (Henri), Debroux, Dedecker, Delehaye, Delescluse, Delfosse, d'Elhoungne, Deliége, de Luesemans, de Man d'Attenrode, de Meester, et Verhaegen.

Ont répondu non : MM. de Mérode, Destriveaux, Julliot, Moncheur, Schumacher et de Liedekerke.

Projet de loi accordant un crédit supplémentaire au budget du ministère de la justice

Dépôt

M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - M. le ministre de la justice présente un projet de loi tendant à ouvrir à son département, pour l'exercice courant, à titre d'avance, un crédit supplémentaire de 800,000 francs pour fabrication de toiles destinées à l'exportation par l'entremise des prisons et des ouvriers des Flandres, et à porter au budget des voies et moyens une même somme de 800,000 francs.

- La chambre donne acte à M. le ministre de la justice de la présentation de ce projet de loi, en ordonne l'impression et la distribution et le renvoi à la section centrale qui examinera le budget de la justice de l'exercice prochain.

Proposition de loi sur le recours en cassation en matière de milice

Prise en considération

La chambre prend en considération, sans discussion, la proposition de M. Lelièvre, relative aux pourvois en matière de milice, et la renvoie à l'examen des sections.

Projet de loi relatif au code disciplinaire et pénal pour la marine marchande et la pêche maritime

Discussion des articles

Titre I. De la pénalité

Chapitre II. Des infractions et de leur punition
Section II. Des délits maritimes
Article 20

M. le président. - La discussion est, conformément à la décision de la chambre, rouverte sur l'article 20 ainsi conçu :

« Art. 20. Les complices de la désertion seront punis d'un emprisonnement d'un mois à un an et d'une amende de 16 à 500 francs. »

M. d'Elhoungne. - Messieurs, l'honorable M. H. de Brouckere, la fin de la séance d'hier, a demandé si l'article 20 du projet de loi s'applique à tous les complices qui favoriseraient la désertion des marins de la marine marchande. Cet article, par la généralité de ses termes, semble s'appliquer au complice, qu'il fasse ou non partie de l'équipage. Mais comme il s'agit d'une loi spéciale, applicable aux matelots et aux personnes de l'équipage, il est impossible qu'elle s'applique aux personnes étrangères au navire, qui auraient favorisé la désertion d'un matelot.

En effet, en matière de désertion ordinaire, ce délit est puni par le Code pénal militaire. Mais le recel du déserteur et la complicité sont punies par une loi toute spéciale en dehors du Code pénal militaire. Donc si l'on voulait créer une complicité spéciale en matière de désertion des marins de la marine marchande, il faudrait qu'on fît une loi spéciale applicable à tous les citoyens indistinctement. Je crois qu'une pareille loi, bien loin qu'elle soit sous-entendue dans l'article 20, ne peut-être faite; car si le délit de désertion, en règle générale, peut être puni parce qu'il est une atteinte aux intérêts de la société, il ne peut en être de même pour la désertion des marins de la marine marchande, qui, en désertant, ne commettent pas, à proprement parler, un délit, mais ne font que violer un simple contrat civil.

Maintenant que la loi considère ce contrat comme tellement important, qu'on attache une pénalité à son infraction, cela peut se concevoir. Mais que l'on punisse la personne qui n'a fait qu'aider à cette infraction, elle qui n'est engagée dans les liens d'aucun contrat, cela ne pourrait se concevoir.

L'article 20 ne peut donc punir la complicité de désertion d'un marin appartenant à la marine marchande. On ne peut considérer comme un délit la complicité d'une personne étrangère à l'armement.

M. Delfosse. - L'opinion de l'honorable M. d'Elhoungne peut être fondée. Je dois faire remarquer cependant qu'il a été dans l'intention des auteurs du projet de punir par l'article 20 tous les complices de la désertion, qu'ils fassent ou ne fassent pas partie de l'équipage.

S'ils avaient voulu se borner à punir les hommes qui font partie de l'équipage, ils n'auraient pas inséré dans la loi une disposition spéciale ; les complices de la désertion auraient été punis en vertu du droit commun, comme les déserteurs eux-mêmes, puisque l'article 65 et dernier du projet déclare que l'article du Code pénal relatif à la complicité, est applicable aux délits prévus par la présente loi.

Si on a établi par l'article 20 une peine spéciale pour les complices, ce ne peut être, du moins je ne vois pas d'autre raison, que parce que la peine qu'on a prononcée contre les déserteurs, ne peut s'appliquer qu'aux personnes de l'équipage; c'est qu'on a supposé qu'il y aurait parmi les complices des personnes auxquelles la peine d'embarquement' ne pourrait être appliquée.

(erratum, page 1231) Il est impossible que l'honorable M. d'Elhoungne ait raison; mais je tenais à faire remarquer que d'après toutes les apparences, il a été dans l'intention des auteurs du projet que les complices de la désertion fussent punis, alors même qu'ils ne feraient pas partie de l'équipage. C'est à M. le ministre de la justice à nous donner des explications sur ce point.

M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - Messieurs, l'article 59 du Code pénal dit que les complices d'un crime ou d'un délit seront punis de la même peine que les auteurs de ce crime ou de ce délit, sauf les cas où la loi en aurait disposé autrement, or l'article 65 du projet se référant à l'article 59 du Code pénal, il est évident que le principe consacré par cet article que les complices d'un crime ou délit sont punis de la même peine que les auteurs de ce crime ou de ce délit, sera applicable aux complices quelqu'ils soient de tous les crimes et délits prévus et punis par le projet actuel, sans autre exception que celle qui est faite par l'article dont nous nous occupons en ce moment, qui établit une peine spéciale contre les complices de la désertion.

Je ne sais pas quelle a été la pensée de la commission en établissant une disposition spéciale pour ce cas de complicité. Je présume, avec l'honorable M. Delfosse que c'est, parce que parmi les peines établies contre les déserteurs, il y eu avait qui ne pouvaient être appliquées en fait aux complices du délit de désertion ; mais je crois qu'on ne peut soutenir que les complices des crimes nombreux définis par la loi actuelle, ne seraient pas punissables des mêmes peines que celles qui sont appliquées aux auteurs principaux.

Il y a dans le projet actuel plusieurs crimes et délits qui ne sont pas atteints par la législation du Code pénal et qui le seront maintenant par les dispositions spéciales du projet. Or, je ne pense pas que l'on veuille prétendre que les complices de ces crimes ou délits doivent rester impunis. Je ne vois aucun motif pour s'écarter de la règle générale, tracée par l'article 59 du Code pénal, règle qui est, je crois, de toutes les législations, et suivant laquelle les complices sont toujours passibles de la même peine que les auteurs principaux.

M. d'Elhoungne. - Messieurs, la théorie que vient de poser M. le ministre de la justice me paraît tout à fait inadmissible. Ainsi que je l’ai dit, il ne s'agit pas ici d'un délit proprement dit. L'article 20 parle de la complicité d'un délit tout à fait conventionnel .Quand un matelot de la marine marchande déserte, il ne commet pas un crime ou un délit; il viole un simple contrat, il ne remplit pas ses engagements et voilà tout. Maintenant, si sa mère lui donne un asile dans sa maison, elle n'est pas complice d'un crime ni d'un délit et dès lors vous ne pouvez pas la condamner à un.an d'emprisonnement.

Or, votre loi, interprétée comme vous le faites, aurait cette portée. Il y aurait complicité pour la mère, pour la femme, pour les parents du matelot. Votre loi n'excepte personne.

La désertion, comme je l'ai dit, en thèse générale, peut être considérée comme un délit, parce qu'il s'agit là d'un fait qui est désavantageux à la société. Le soldat qui déserte son drapeau commet, on le conçoit, un délit. Le Code pénal militaire punit le militaire qui déserte son drapeau, soit en temps de guerre, soit en temps de paix. Mais les peines du Code pénal militaire ne s'appliquent jamais à celui qui est complice du déserteur. Pour la complicité dans la désertion, on a fait une loi spéciale qui commine des peines spéciales.

L'article 20 du projet commine une peine spéciale. Mais il ne peut s’appliquer qu'aux personnes qui sont engagées dans les liens du contrat qui lie le déserteur. S'il en était autrement, si M. le ministre de la justice persistait à vouloir que l'art. 20 s'appliquât à tous les complices quelconques, il faudrait qu'il fît des catégories de complices. Il est certain que les personnes qui sont unies par les liens de la parenté au déserteur ne peuvent être punies pour avoir été les complices plus ou moins directs de sa désertion.

M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - L'honorable M. d'Elhoungne confond le recel du déserteur avec la complicité du délit de désertion.

L'article dont nous nous occupons en ce moment ne punit pas le recel du déserteur. Nous ne demandons pas à insérer dans cet article une disposition analogue à celle de la loi du 12 décembre 1817, qui établit des peines contre ceux qui ont favorisé la désertion des militaires. Là, le recel est puni par une disposition spéciale. Nous, au contraire, nous ne proposons pas de peine contre le recel; l’article 20 n'atteint que la complicité. Or, le recel n'est pas la complicité. Il n'est donc pas douteux que le marin déserteur qui rentrera à la maison paternelle ne rendra pas pour cela son père complice du délit de désertion qu'il aura commis.

Mais s'il est prouvé par d'autres circonstances que le père est complice du délit de désertion, qu'il l'a favorisé ou qu'il l'a provoqué de toute autre manière, si le recel est accompagné, en un mot, de faits, de circonstances qui caractérisent la complicité, alors je ne vois pas pourquoi le père, pourquoi les parents, même les plus proches ne subiraient pas la peine de la complicité.

Je considérerais comme quelque chose inouïe d'insérer dans une loi pénale quelconque que la complicité n'est pas punissable; ce serait, en quelque sorte, provoquer à la désobéissance à la loi, et proclamer l'impunité du délit lorsque la complicité serait le fait de proches parents du coupable. Messieurs, dès que la loi déclare que la désertion d'un marin est un délit, dès lors la complicité du fait de désertion est punissable en vertu du principe général de l'article 59 du Code pénal.

(page 1223) Maintenant faut-il proclamer par la loi que les complices de la désertion ne sont pas punissables? Je crois que cela serait extrêmement dangereux. L'honorable M. d'Elhoungne dit que la désertion d'un marin n'est que la violation d'un contrat. Oui, messieurs, mais c'est une violation tellement grave, que la loi a cru nécessaire de la punir de peines assez sévères, pourquoi dès lors les complices ne seraient-ils pas punis ? Quant au recel du déserteur, je le répète, ce n'est point un délit; il n'est pas atteint par la disposition que nous discutons et, à cet égard, il y a une différence essentielle entre cette disposition et celle de la loi de 1817, qui punit le recel de déserteurs de l'armée de terre ou de l'armée de mer. Là le recel est puni et même alors on a proposé de faire une exception en faveur des père, mère, ou proches parents du déserteur; mais cette exception a été écartée et la section centrale qui a présenté le rapport sur ce projet de loi, aux états généraux, à cette époque, a conclu formellement au rejet de l'exception parce qu'elle était, dans son opinion, une violation d'un principe dont on ne s'était jamais écarté.

M. H. de Brouckere. - Je crois, messieurs, que l'honorable ministre de la justice donne à l'article 20 une portée qu'il ne doit pas avoir. A mon sens, cet article qui règle la complicité en matière de désertion, ne doit être applicable qu'aux personnes pour lesquelles la loi dont nous nous occupons, est faite. Or, c'est dans l'article 3 que nous trouvons l'énumération de ces personnes : ce sont celles qui sont embarquées, inscrites au rôle d'équipage, employées ou reçues à bord, à quelque titre que ce soit. Voilà les seuls individus pour lesquels nous faisons la loi, les seuls auxquels la loi puisse être appliquée. Eh bien, si c'est dans ce sens que l'on entend l'article 20, je veux bien l'adopter; mais si M. le ministre de la justice ou la commission entend que l'article 20 soit applicable à tout citoyen quelconque, je devrais le repousser. Si donc l'explication que je réclame n'est pas de nature à me satisfaire, je proposerai l'amendement suivant :

« Les personnes appartenant aux catégories mentionnées à l'article 3, qui se seraient rendues complices, etc. »

M. Delfosse. - Messieurs, je ne puis pas admettre, d'une manière absolue, que la loi actuelle ne serait faite que pour les personnes dont on vient de parler. En matière de complicité, cette loi veut bien certainement frapper des individus qui ne font pas partie de l'équipage, qui ne sont pas même passagers. C'est pour cela que l'article 65, comme je le disais tantôt, a rendu l'article du Code pénal relatif à la complicité, applicable aux crimes et délits maritimes.

La loi que nous discutons ne prévoit pas seulement des délits spéciaux, tels que celui de la désertion ; elle prévoit aussi des crimes qui donnent lieu à des peines très sévères. Les complices de ces crimes, qui ne font pas partie de l'équipage, doivent être passibles des mêmes peines que ceux qui en font partie.

Je citerai, par exemple, l'article 42 qui porte :

« Les marins ou passagers qui, par fraude ou violence envers le capitaine, s'empareront du navire, seront punis des travaux forcés à perpétuité, s'ils sont officiers ou chefs de complot ; les autres hommes de l'équipage seront punis des travaux forcés à temps.

« Si le crime a été précédé, accompagné ou suivi d'homicide, la peine comminée par l'article 304 paragraphe premier du code pénal, sera indistinctement prononcée contre tous les hommes de l'équipage ou passagers. »

Supposons qu'un individu étranger au navire se joigne à l'équipage pour s'emparer du navire par fraude, qu'il y ait une lutte, des blessures graves, des hommes tués; croyez-vous que cet individu ne devrait pas être puai comme complice du crime qu'il aurait aidé à commettre? N'est-ce pas pour que la loi leur soit applicable que l'art. 65 du projet renvoie à l'article du Code pénal qui assimile les complices à l'auteur principal d'un crime ou d'un délit.

Je comprends l'objection, pour ce qui concerne l'article 20, parce qu'il s'agit là d'un délit qui n'est au fond que la violation d'un contrat et qui, en règle générale, ne devrait donner ouverture qu'à l'action civile; mais comme ce fait est de nature à compromettre la sûreté du navire, le projet de loi l'érigé en délit.

Il était dans l'intention de la commission qui a prêtre le projet de loi, que l'article 20 fût applicable aux complices de la désertion, alors même qu'ils ne feraient pas partie de l'équipage; j'ai dit tantôt les motifs qui me portent à le penser; si l'on n'est pas de l'avis de la commission, il faut faire disparaître l'article 20, on resterait alors dans le droit commun, en matière de complicité, ou la modifier; sans cela, il s'appliquerait à tous les complices indistinctement.

M. Lelièvre. - Pour résoudre la question qui vous est soumise, il me semble nécessaire de ne pas perdre de vue la nature du délit de désertion. Celui-ci consiste dans la violation de l'engagement contracté par le marin, par conséquent on ne peut concevoir de complicité de la part des individus qui, étrangers à l'équipage, n'ont pas commis une violation d'une obligation quelconque.

Il s'agit ici d'un délit tout spécial, et par conséquent ne peuvent s'en rendre coupables comme auteurs ou complices, que ceux qui réellement ont commis une infraction à une obligation par eux contractée. M. Delfosse prétend que bien certainement dans le cas de l'article 42 il y aurait complicité punissable.

Mais, messieurs, dans l'hypothèse dont parle M. Delfosse, tous individus en s’emparant du navire commettent un fait illicite, on conçoit donc une complicité réelle que la loi peut atteindre, il n'en est pas de même dans le cas qui nous est soumis.

M. d'Elhoungne. - Si nous voulons connaître la pensée de la commission, je pense qu'elle se révèle assez clairement dans l'intitulé de la section II, sons lequel est placé l'article en discussion. Cet intitulé est ainsi conçu : « Des délits maritimes commis par les marins subalternes. » Or, c'est un article de cette section toute spéciale, dont, d'après l'interprétation de M. le ministre de la justice, on veut faire une disposition générale, s'appliquant à une personne quelconque, même à celle qui serait tout à fait étrangère à l'expédition. Cela me paraît tout à fait impossible.

On dit: Mais est-il entré dans la pensée des rédacteurs du projet de rendre les règles en matière de complicité applicables à tous les délits prévus par la loi? C'est pour cela que l'article final du projet renvoie à une multitude d'articles du Code pénal.

La loi, messieurs, prévoit deux espèces de délits; il y a d'abord les délits maritimes, qui ne peuvent être commis que par les gens de l'équipage ou par les passagers qui sont à bord du navire. Il y a ensuite les délits de droit commun, et pour lesquels la loi spéciale se borne à renvoyer aux dispositions du droit commun. Maintenant il va de soi que dans tous les cas où le droit commun doit être appliqué, il doit être appliqué dans toute son étendue. Mais partout où il s'agit de délits tout spéciaux, il est évident qu'il faut appliquer les dispositions de la loi à cette catégorie spéciale de délits et de délinquants.

On dit que l'article 42 prévoit un délit pour lequel il pourrait y avoir des complices étrangers à l'équipage, et l'on demande si dans ce cas les complices seront punis de la même peine. Je crois que ce serait là une difficulté très grave; pour mon compte, j'hésiterais à appliquer l'article 42 aux complices étrangers à l'équipage.

En effet l'article 42 porte :

« Les marins ou passagers qui, par fraude ou violence envers le capitaine, s'empareront du navire, seront punis des travaux forcés à perpétuité, s'ils sont officiers ou chefs de complot ; les autres hommes de l'équipage seront punis des travaux forcés à temps.

« Si le crime a été précédé, accompagné ou suivi d'homicide, la peine comminée par l'article 304, paragraphe premier du Code pénal (c'est-à-dire la peine de mort) sera indistinctement prononcée contre tous les hommes de l'équipage ou passagers. »

Eh bien, je pense que si une personne, étrangère à l'équipage, qui serait arrivée fortuitement sur le navire, avait aidé à commettre le délit, on ne pourrait la condamner ni à mort ni aux travaux forcés à temps.

En effet, le délit prévu par l'article 42 ne tire sa gravité que de la qualité de passager et de marin de l'équipage. Lorsque les marins et les passagers de l'équipage se coalisent contre le capitaine qui commande le navire, on conçoit toute la gravité du délit; il y a là des obligations, des engagements solennels. Mais lorsqu'au contraire, c'est un individu d'un autre pays, par exemple, qui est attiré par les marins de l'équipage et qui vient prendre part au délit, je ne pense pas qu'on puisse considérer son délit comme passible de la peine comminée par l'article 42.

Maintenant, comme l'a fait observer l'honorable M. Delfosse, le délit de désertion est un délit tout spécial, et tellement spécial que le projet de loi, au lieu du renvoi général aux principes sur la complicité, a cru devoir prendre une disposition toute spéciale même pour les personnes de l'équipage qui seraient complices; car l'article 20, qui s'applique aux personnes étrangères à l'équipage, s'applique aussi aux personnes de l'équipage, et c'est pour cela que là aussi l'on a cru devoir prendre des dispositions spéciales.

Je crois que c'est dans cette limite que l'article 20 doit se renfermer, sauf à examiner la question de complicité pour les autres cas prévus par la loi spéciale. Je pense que, pour le délit de désertion, il faut limiter la complicité aux seules personnes que la loi doit atteindre, c'est-à-dire aux gens de l'équipage et aux passagers.

M. Veydt, rapporteur. - Le premier argument de l'honorable M. d'Elhoungne n'a pas, suivant moi, la force qu'il lui a attribuée. Il le tire de l'intitulé de la section dont l'article 20 fait partie. Dans cette section, il est question des délits commis par les marins subalternes. Oui ; mais après avoir parlé de la désertion des marins, il n'y avait pas de place mieux indiquée pour punir les complices du délit de la désertion que celle qu'y consacre le projet, immédiatement après les diverses peines qui out été adoptées, hier, pour la désertion.

Un autre argument que l'honorable orateur a fait valoir, au début de cette discussion, et qu'il vient de reproduire, est de nature à arrêter plus sérieusement. Le fait de la désertion est la violation d'un contrat civil de ta part des marins engagés; c'est à cause de ses conséquences graves, compromettantes pour l'intérêt général de la navigation, que le législateur l'a érigé en délit. On comprend ce motif; mais la conséquence n'est-elle pas qu'il faut restreindre l'application d'une peine aux marins seuls? C'est un doute qu'il appartient surtout aux jurisconsultes, qui siègent dans la chambre, d'éclaircir. Pour moi, j'ai toujours compris l'article 20 comme ayant pour but de punir la complicité du délit de désertion, quand même le complice n'est ni marin, ni passager, dût-il n'avoir aucune relation sur le navire. Si, par les raisons alléguées, il ne peut en être ainsi, il y aura, messieurs, une lacune dans la loi. Je suis convaincu de la nécessité de rendre les dispositions sanctionnées hier, afin de prévenir le délit de désertion, plus efficaces, les compléter, en un mot, en décrétant une pénalité contre les complices. C'est l'appât du gain qui porte des hommes étrangers a la marine à favoriser la désertion ; c'est un trafic exercé dans les ports par ces gens que l'on nomme « huurbazen » en hollandais, et qui (page 1224) embauchent les matelots. Cet embauchage ne peut pas rester impuni. La lacune serait fort regrettable.

M. d'Elhoungne. - Messieurs, pour répondre à l'honorable M. Veydt, il suffirait d'ériger en délit l'embauchage des marins. Déjà, M. le ministre de la justice a dépouillé l'article 20 d'une grande partie de sa force, parce qu'il a dit qu'il ne s'applique pas au recel des marins déserteurs. Et cependant le recel est souvent le premier élément d'embauchage; c'est l'embaucheur qui ordinairement cache le marin déserteur. Il faudrait que M. le rapporteur, pour être conséquent avec lui-même, proposât d'appliquer la peine de la complicité aux embaucheurs; à la suite de l'amendement de l'honorable M. de Brouckere, on dirait :

« La même peine sera appliquée aux embaucheurs. »

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Messieurs, on me paraît se préoccuper ici de ce que le contrat qui intervient entre le marin et le capitaine est un contrat purement civil, et que l'infraction à ce contrat ne devrait pas, quant aux complices, être érigée en délit. Il me semble qu'on se trompe à cet égard. Lorsqu'un militaire a contracté un engagement purement volontaire, s'il déserte, ne serait-il pas puni des peines applicables aux déserteurs? Dirait-il pour sa défense : « J'ai fait un contrat purement volontaire, purement civil ; les peines de la désertion ne me sont pas applicables. »

On lui répondrait avec raison : La loi a érigé en délit le fait de désertion ; du moment qu'on est sous les armes, volontairement ou non, le fait d'abandonner les drapeaux est une désertion ; vous serez puni.

La désertion est un délit. Pourquoi veut-on affranchir les complices de ce délit, de la peine qui doit les atteindre...

M. d'Elhoungne. - Parce que nous sommes législateurs.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Mais c'est précisément parce que vous êtes législateurs que vous devez, guidés par la raison, appliquer les peines de la complicité à ceux qui aident à commettre, qui donnent les moyens de commettre une infraction à une loi pénale.

Il n'y a pas de raison, selon moi, pour affranchir de toute peine les complices d'une désertion ; vous devez les punir dans ce cas comme dans d'autres.

Si la disposition n'existait pas, les observations que nous venons d'entendre n'auraient pas été présentées, la question aurait été entière; eh ! bien, elle aurait été vidée par l'article 65, et l'on aurait appliqué sans nul doute, les peines de la complicité, puisque l'article 65 renvoie aux articles du Code pénal relatifs à la complicité.

Pourquoi l'article 20 a-t-il été introduit? Le motif en est-il facile à saisir. Les articles précédents déterminent les peines spéciales applicables aux marins qui violent leur engagement. Quelles sont ces peines ?

Ce sont des peines qui la plupart ne peuvent pas être appliquées à d'autres qu'à des marins : Par exemple l'embarquement pendant un certain temps sur un bâtiment de l'Etat à la demi-paye. Après avoir déterminé ces peines applicables aux marins, il a fallu dire que les complices, c'est-à-dire ceux auxquels les peines précédentes ne pouvaient être appliquées , seraient punis de telles peines. Voilà le motif de l'article 20.

Le fait de la désertion peut être commis par l'intervention, le secours de personnes autres que des passagers. C'est ce qui rend l'amendement de M. de Brouckere inadmissible.

Je suppose un navire en rade, un individu étranger à l'équipage va recevoir le marin dans une barque, facilite sa désertion : vous ne le puniriez pas, il échapperait à toute espèce de peine.

M. d'Elhoungne. -Quel est son crime ?

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - La complicité d'une désertion.

M. d'Elhoungne. - De la désertion d'un bâtiment marchand ?

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - La désertion est la violation d'une disposition pénale ; c'est un fait que vous considérez comme grave et que vous érigez en délit. Si la désertion d'un bâtiment marchand n'intéresse pas l'ordre public, ne l'érigez pas en délit; si au contraire vous trouvez que cela intéresse l'ordre public, vous devez punir le complice.

Pour la disposition de l'article 42 dont a parlé M. Delfosse, M. d'Elhoungne voudrait également qu'elle ne fût appliquée qu'avec la restriction proposée par M. de Brouckere, c'est à dire aux gens du bord et aux passagers seulement. Je ne puis admettre cette opinion.

Un navire en rencontre un autre qui est en pleine insurrection. C'est le cas de l'article 42; il vient prêter aide et assistance aux criminels ; ne leur appliquerez-vous pas la disposition relative à la complicité?

M. d'Elhoungne. - Le crime est commis lors de la rencontre, le fait est accompli ; il n'y a plus de complicité.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Il faut prendre mon hypothèse comme je la crée: je suppose que deux navires se rencontrent au moment où l'un s'insurge et que l'autre l'aide à consommer l'insurrection ; il me semble incontestable qu'il y aurait là complicité conformément aux principes généraux du droit en matière pénale et qu'il faudrait appliquer les peines à tous les complices.

Je pense que l'article 20 doit être maintenu.

M. H. de Brouckere. - J’adhère de grand cœur à l'amendement proposé par l'honorable M. d'Elhoungne, je n'ai jamais eu l'intention de soustraire les embaucheurs à la peine qu'ils méritent. Mais je persiste à croire que l'article 20, entendu dans le sens que lui donnent plusieurs orateurs, ne saurait être admis par la chambre. Le délit de la désertion est défini à l'article 16 du projet qui porte :

« Les gens de mer engagés sur des bâtiments de commerce ou de pêche qui, dans un port du royaume, auront déserté, refusé ou négligé de se rendre à boni, seront, en cas d'arrestation avant le départ du navire, remis à leur capitaine, et il ne leur sera payé, depuis le jour où ils auront commis ce délit jusqu'à l'expiration de leur engagement, que la moitié des salaires ou parts qu'ils auraient dû gagner. »

Il peut se présenter des cas, et ce seront les plus nombreux, où l'on se sera rendu complice de délit spécial, personnel, et où l'on ne sera pas réellement coupable ; un bâtiment est près de mettre à la voile, des parents retiennent un fils trop longtemps, ils ont de la peine à s'arracher de ses bras, préoccupés qu'ils sont du danger du voyage, et le bâtiment part, le marin est déserteur; c'est dans la maison paternelle qu'il a été retenu. Si vous laissez l'article 20 tel qu'il est rédigé, on poursuivra non seulement le marin déserteur, mais son père, sa mère qui l'auront retenu.

- Un membre. - Non! non!

M. H. de Brouckere. - Cela est incontestable, pour avoir favorisé la désertion, recelé le déserteur, car comme l'a dit l'honorable M. d'Elhoungne, le recel deviendra la véritable complicité de la désertion.

Il est évident que l'article 20 entendu comme il est interprété donnerait lieu à une foule d'applications injustes. Je persiste dans mon amendement et j'accepte le sous-amendement de M. d'Elhoungne qui assimile les embaucheurs aux complices de la désertion.

M. Liefmans. - Messieurs, il s'agit de savoir quelle interprétation on doit donner à l'article 20. A peine avons-nous commencé la discussion de la loi qui nous occupe, et déjà nous différons d'opinion sur la portée de ses articles. Interpellé sur les intentions de la commission spéciale chargée d'élaborer le projet, M. le ministre de la justice lui-même déclare qu'il ne peut pas nous les faire connaître ; il suppose cependant, nous dit-il, qu'on a voulu atteindre non seulement les gens de l'équipage, mais indistinctement toutes les personnes qui pourraient se rendre complices du délit de désertion. C'est là, messieurs, véritablement une erreur. La commission, d'après moi, n'a entendu punir le complice que lorsque celui-ci appartenait à l'équipage ; la place qu'occupe l'article 20 le prouve évidemment ; l'argument présenté par M. d'Elhoungne, et que M. Veydt trouve à tort assez futile, est un argument bien puissant pour le démontrer ; l'article 20, en effet, est inscrit sous la rubrique : « des délits maritimes commis par les marins subalternes ».

De là on peut avoir beaucoup de raison à croire et décider que les passagers eux-mêmes ne peuvent se rendre complices de ces délits, précisément parce qu'on n'énumère que les délits que peuvent commettre les marins subalternes, à l'exclusion des passagers comme des officiers.

Si on met cet argument en regard de l'article 3, rappelé par l'amendement de M. de Brouckere, on voit plus clairement encore que cet article 20 ne peut être applicable qu'aux marins subalternes. En effet, la loi que nous discutons est une loi spéciale.

L'article 3 du projet nous dit quelles sont les personnes soumises à cette loi spéciale. Les délits qui y sont prévus ne peuvent être commis que par les hommes de l'équipage. Il y a plus : les peines ne peuvent être appliquées qu'aux hommes de l'équipage; ce sont les dispositions formelles de l'article 3 du projet. Si vous comminez des peines spéciales contre d'autres individus, vous allez contre la portée de l'article 3, qui est ainsi conçu :

« Sont assujetties aux règles d'ordre de service et de discipline établies sur les navires de commerce et de pèche, et passibles des peines déterminées par le présent Code, pour les fautes de discipline, les délits et crimes y énoncés, toutes les personnes embarquées inscrites au rôle d'équipage, employées ou reçues à bord, à quelque titre que ce soit, à partir du jour de l'entrée en armement, jusques et y compris le dernier jour du désarmement. »

Ainsi il faut être inscrit au rôle pour être passible des peines prévues par la loi.

Du moment que vous n'êtes pas inscrit sur le rôle de l'équipage, vous n'êtes donc pas passible des peines comminées par la loi exceptionnelle. C'est ainsi qu'il faut interpréter l'article 20. Vous éviterez ainsi les inconvénients que présente l'interprétation plus large de M. le ministre de la justice.

C'est pour ces raisons que je voterai pour l'amendement proposé par les honorables MM. d'Elhoungne et de Brouckere, en ce sens que je désire que les gens de l'équipage soient seuls soumises à l'article 20.

M. Delfosse. - J'ai eu raison de dire tantôt qu'il entrait dans l'intention de la commission spéciale qui a préparé le projet de loi de punir tous les complices indistinctement, qu'ils appartiennent ou non à l'équipage.

Pourquoi faut-il une loi sur la matière? C'est parce que la cour de cassation a décidé que l'ordonnance française du 31 octobre 1784 n'était pas en vigueur en Belgique.

Cette ordonnance a été la base du travail de la commission. L'article que nous discutons est, en grande partie, la reproduction de l'article 20 de l'ordonnance, ainsi conçu :

« Tous ceux qui seront convaincus d'avoir engagé les matelots à déserter des navires marchands et d'avoir aidé et favorisé leur désertion, seront condamnés à 500 livres d'amende et seront tenus, solidairement avec le matelot déserteur, au remboursement des avances et au payement des dommages envers le capitaine ou les armateurs. »

Cette disposition fait connaître quelle a été l'intention de la commission spéciale; il est impossible après cela de supposer qu'elle n'aurait eu en vue que certaines catégories de complices.

C'est à la chambre à apprécier si elle veut introduire une disposition nouvelle qui assurerait l'impunité aux complices étrangers à l'équipage.

M. H. de Brouckere. - Je ferai remarquer que la disposition qu'a citée l'honorable M. Delfosse ne commine qu'une simple peine (page 1225) pécuniaire, tandis que l'article dont nous nous occupons ordonne l'application d'un emprisonnement d'un mois à un an. Je pourrais peut-être admettre une peine pécuniaire, mais jamais un emprisonnement d'un mois à un an.

M. de Luesemans. - Messieurs, il me semble que toute la difficulté roule sur la question de savoir si, en raison de la qualité tout exceptionnelle du délit, il convient d'assimiler le complice à l'auteur du délit, ou s'il convient de faire des catégories de délits, et d'appliquer des peines proportionnelles.

Et d'abord, il est certain, messieurs, que si vous admettez des pénalités pour les complices, les tribunaux auront à recourir au droit commun pour définir la complicité.

L'honorable M. de Brouckere a dit que si on laissait l'article tel qu'il est, le receleur serait considéré comme complice, parce qu'une des qualités constitutives de la complicité, c'est le recel.

Je ferai remarquer que pour que le recel soit considéré comme un délit ou comme constituant l'une des qualités constitutives de la complicité, il faut que la loi l'ait formellement déclaré; or l'article 65 du projet qui mentionne les articles du Code pénal déclarés applicables au fait prévu par le projet de loi excepte précisément la seule disposition du titre de la complicité qui parle du recel.

M. H. de Brouckere. - Au recel des objets volés.

M. de Luesemans. - Pardon. L'article 61 est excepté; le projet ne le mentionne pas ; or, l'article 61 est ainsi conçu :

« Art. 61. C. P. Ceux qui connaissent la conduite criminelle des malfaiteurs, exerçant des brigandages ou des violences contre la sûreté de l'Etat, la paix publique, les personnes ou les propriétés, leur fournissent habituellement logement, lieu de retraite ou de réunion, seront punis comme leurs complices. »

Or, cet article ne peut pas même s'appliquer aux receleurs de déserteurs, et se trouve d'ailleurs excepté par le projet en discussion.

C'est l'article 62 qui est relatif aux objets volés.

J'arrive à la question que j'ai posée en commençant : Faut-il restreindre la complicité aux seuls gens d'équipage et aux passagers, ou faut-il l'étendre à d'autres encore ?

Je pense, messieurs, ou bien que vous ne pouvez pas ériger la désertion en délit, c'est-à-dire déclarer qu'elle porte atteinte aux intérêts de la société à un degré assez élevé pour la punir de l'emprisonnement, ou bien que, si vous en faites un délit que vous punissez de cette peine, vous ne pouvez pas, par une conséquence, logique, vous dispenser de punir ceux qui auront provoqué à la désertion en employant des artifices ou des machinations.

Je crois donc que le fond de l'article doit rester, en étendant la complicité au-delà des gens d'équipage, et des passagers, en y ajoutant si l'on veut, l'amendement de l'honorable M. d'Elhoungne qui punit l'embaucheur ; de cette manière l'article serait complet.

Je voterai en ce sens.

M. Lelièvre. - La question dont nous nous occupons doit être résolue d'après les principes généraux. La qualité d'un délinquant n'est pas communiquée au complice. C'est ainsi que le complice d'un parricide subit seulement la peine attachée à un meurtre ordinaire. Il en est de même de celui qui s'est rendu complice d'un faux commis par un fonctionnaire public; ce dernier est frappé de la peine des travaux forcés à perpétuité, tandis que le complice en ce cas n'encourt que celle des travaux forcés à temps. Pourquoi? Parce que l'aggravation de la peine résulte de la qualité personnelle du délinquant. Si cela est vrai, messieurs, il résulte nécessairement de là que dans le cas où le délit n'existe qu'à raison d'un fait personnel à l'agent, il n'existe pas de complicité punissable, parce que l'agent a seul contracté l'obligation dont l'infraction constitue le délit. Donc le complice de la désertion ne peut être puni.

Je conçois une complicité de la part des gens de l'équipage, parce que évidemment ceux-ci, par leur admission sur le navire, ont contracté des obligations spéciales, que certes ils ont violées lorsqu'ils connivent à la désertion de l'un des marins ; mais de la part d'un étranger, il est évident qu'il n'est engagé par aucun lien qui puisse faire considérer comme un délit le fait prévu par l'article 20.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Si les observations qui viennent d'être faites par l'honorable M. Lelièvre étaient fondées, il faudrait déclarer que le passager ne peut être puni. Il vous dit que, pour certaines catégories de crimes ou de délits, l'auteur principal est puni d'une peine particulière, mais qu'il ne communique pas à son complice l'aggravation de sa faute. Il induit de ce principe général que l'article 20 ne doit pas être inséré dans le projet de loi. Mais, tout au contraire, selon moi, en appliquant ce principe au cas particulier qui nous occupe, nous devrions décider que si, dans l'intérêt public, nous avons cru devoir comminer une peine contre le fait de la désertion, au moins faut-il comminer une peine quelconque contre le complice; car on applique une peine au complice d'un crime ou d'un délit, loin de l'absoudre, lorsque l'auteur principal subit une aggravation, en raison de sa qualité. Donc, il faut une peine à raison de la complicité.

La question me paraît d'une extrême simplicité.

Est-ce que vous reconnaissez, oui ou non, que l'infraction que vous voulez réprimer offre tant d'intérêt qu'il faille l'ériger en crime ou en délit ? Voilà le premier point. Si vous admettez cela, la question est tranchée. Si vous ne l'admettez pas à quoi bon votre loi?

Si vous faites une loi pour déclarer que tel fait est un délit, il me semble tout naturel que vous punissiez le complice de ce même délit.

Maintenant que vous avez admis que le fait est grave, qu'il faut l'ériger en crime, en délit, également vous devez punir le complice. Vous ne pouvez me refuser cette concession. Donc la disposition de l'article 20 doit être maintenue.

Cela posé, y a-t-il quelque différence à établir entre le complice et l’auteur principal? Y a-t-il quelque raison de différence? Faut-il ne par punir de la même peine, conformément aux principes généraux ? Faut-il, en raison de circonstances particulières, appliquer une peine moindre, une peine pécuniaire? Ce n'est plus là la question de principe ; c'est une question relative à la quotité de la peine, que des considérations particulières peuvent vous porter à modifier. Mais si quelqu'un vient à bord, dans un canot, pour favoriser l'évasion d'un matelot, pour lui faire violer ses engagements, il est impossible que, punissant la désertion, vous ne punissiez pas celui qui participe comme complice.

L'honorable M. de Brouckere a dit à ce sujet : Un matelot s'est rendu dans sa famille; sa mère l'a retenu plus longtemps qu'il ne fallait ; vous allez la punir ! Mais dans le cas indiqué il n'y a pas de délit, puisqu'il n'y aura pas eu d'intention. Ce sera un fait à apprécier par le juge. (Interruption.)

Il est évident qu'il faut qu'on ait retenu le matelot dans l'intention de le faire déserter. C'est seulement alors qu'on prononcera une peine. Mais s'il n'y a pas eu intention il n'y a ni crime, ni délit; il n'y a ni auteur principal, ni complice à punir.

On vous a dit que le recel est un des caractères particuliers de la complicité ; c'est une erreur. Le recel est un délit sui generis. Il y a des dispositions spéciales de la loi, qui ne punissent le recel qu'en certains cas. Mais cela ne fait rien à la question de savoir s'il faut ou non punir les complices. Si vous ne les punissez pas, la loi sera inopérante ; elle n'atteindra pas son but.

M. H. de Brouckere. - Quoi qu'en ait dit M. le ministre des finances, il n'y a aucune anomalie, aucune contradiction, quelque minime qu'elle soit, à rendre l'article 20 seulement applicable aux passagers, et à ne pas le rendre applicable à tout citoyen quelconque. En d'autres termes, on peut adhérer aux principes développés par l'honorable M. Lelièvre et déclarer que l'article 20 est applicable aux passagers.

En effet, il résulte de l'ensemble de la loi et même de quelques dispositions expresses, que toute personne embarquée est astreinte à des obligations spéciales, à un ordre très sévère; elle s'y est soumise volontairement en prenant place à bord. Dès lors, il est logique, il est juste que des peines spéciales soient établies contre elle, pour le cas où elle viole ces obligations, où elle trouble l'ordre établi. Mais ces peines ne doivent pas pour cela être rendues généralement applicables à tout le monde.

Je répondrai maintenant à l'honorable M. de Luesemans. Il a argumenté de ce que l'article 65 ne rend pas applicable au fait particulier dont nous nous occupons l'article 61 du Code pénal qui s'occupe du recel des malfaiteurs. Il en tire la conséquence que la loi n'a pas voulu punir le recel des matelots déserteurs. C'est une erreur ; il ne sera pas difficile de le démontrer.

La loi ne punit pas d'une manière générale tous ceux qui recèlent des coupables; l'article 61 prévoit un cas tout spécial, vous allez en juger :

« Ceux, dit cet article, qui, connaissant la conduite criminelle des malfaiteurs exerçant des brigandages ou des violences contre la sûreté de l'Etat, la paix publique, les personnes ou les propriétés, leur fournissent habituellement logement, lieu de retraite ou de réunion, seront punis comme leurs complices. »

Ceux qui habituellement fournissent une retraite, un lieu de réunion à des malfaiteurs connus comme tels, sont de véritables complices, cela n'est pas douteux.

Mais je voudrais bien qu'on m'expliquât quelle relation il y a entre cette disposition et le fait dont nous nous occupons.

M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - Voyez l'article 248 du Code pénal qui punit le recel de l'auteur d'un crime emportant peine afflictive.

M. H. de Brouckere. - L'article cité par M. le ministre de la justice, et il le comprend lui-même, n'est pas plus applicable que l'article 261. Car en faisant l'objection, il y a répondu.

Nous disons que le recel, en matière de désertion, n'est pas une complicité; c'est un délit spécial, un délit sui generis.

Eh bien, je conçois qu'on punisse le fait de complicité de désertion, lorsqu'il est commis par un individu embarqué, par un homme astreint à des règles sévères, par un homme qui a abusé de la confiance qu'on lui a montrée en le recevant à bord. Mais je ne saurais admettre que l'on punît de la peine de l'emprisonnement d'un mois à un an celui qui aura tout bonnement recelé chez lui, qui? Un déserteur de la marine marchande, un homme qui n'a pas tenu ses engagements vis-à-vis d'un tiers, simple capitaine ou patron. Cela est de toute impossibilité.

M. le ministre de la justice a invoqué l’article 248. Voici comment cet article est conçu : « Ceux qui auront recelé ou fait receler des personnes qu'ils savaient avoir commis des crimes emportant peine afflictive seront punis de trois mois d'emprisonnement au moins, et de deux ans au plus. »

Puis viennent les exceptions : « Sont exceptés de la présente disposition les ascendants ou descendants, époux ou épouse même divorcés, frères ou sœurs des criminels recelés, ou leurs alliés au même degré. »

Et vous avez entendu M. le ministre des finances vous dire lui-même, dans l'hypothèse que j'avais posée, que la mère ou le père qui aurait agi avec intention, serait complice et astreint à la peine de l'emprisonnement.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je demande la parole.

(page 1226) M. H. de Brouckere. - M. le ministre des finances peut retirer ce qu'il a dit, mais j'en appelle à toute la chambre.

J'avais posé l'hypothèse d'un déserteur retenu par son père ou par sa mère, il a formellement déclaré que, dans ce cas, on consulterait l'intention; de manière que vous iriez plus loin pour ce fait si peu coupable de désertion d'un marin de la marine marchandé, que ne va la loi pour un crime puni d'une peine afflictive ou infamante.

M. d’Elhoungne. - Je voulais faire remarquer ce que l'honorable M. de Brouckere a rappelé, que nous ne plaidons pas ici en police correctionnelle, que nous sommes des législateurs et que, comme tels, nous avons à peser, dans l'intérêt de la société, les considérations d'ordre public qui doivent déterminer notre vote.

Messieurs, qu'on ne vienne pas grossir le fait de la désertion d'un matelot de la marine marchande; qu'on ne vienne pas dire que le matelot qui déserte après avoir contracté un engagement, commet un crime, et que tous les complices de ce crime doivent être punis. Ce serait une exagération et une injustice.

Le matelot qui contracté un engagement ne fait pas autre chose que contracter un engagement civil. L'homme qui contracte un engagement dans l'armée, et cet exemple a été posé par M. le ministre des finances, contracte un engagement d'honneur vis-à-vis son pays, et il y va de la sûreté du pays si cet engagement n'est pas tenu. Là il y a un véritable délit, et la loi pénale doit punir à la fois les auteurs et les complices de ce délit.

Mais le marin qui, souvent ivre lorsqu'on l'engage, va contracter un engagement qui n'est pour lui qu'une affaire d'argent, vis-à-vis d'un armateur pour qui ce n'est qu'une affaire d'argent, ne commet pas, lorsqu'il ne tient pas ses engagements, un délit proprement dit. C'est déjà une énormité que d'ériger ce fait en délit, et ce n'est peut-être pas une nécessité, puisque la marine a été maintenue lorsqu'il n'y avait pas de loi.

Mais si vous érigez ce fait en délit, au moins arrêtez-vous là ; ne faites pas une immoralité ; n'allez pas punir, pour complicité de la violation d'un contrat, des personnes qui n'ont pas contracté. Vous mettriez dans la loi un véritable mensonge législatif. Car le délit de désertion veut dire la violation d'un contrat. La complicité de désertion devrait donc être la complicité de la violation d'un contrat. Cela est-il possible? Celui qui n'est pas engagé dans les liens d'un contrat peut-il être coupable de violation de ce contrat? Evidemment non. Ne poussez pas surtout votre loi à ces conséquences qui en découlent naturellement, que toute personne pourrait être coupable de complicité, c'est-à-dire que les ascendants du marin pourraient être complices, que sa femme pourrait être complice, que son père, que sa sœur pourraient être complices. Vous ne pouvez mettre de pareilles dispositions dans la loi.

Cela peut être logique: mais on a vu souvent la logique conduire à d'étranges aberrations. La mort civile a été un entraînement de logique; et depuis sa consécration elle a soulevé des plaintes si vives, que vous l'avez effacée de vos codes.

Messieurs, je vous le répète, c'est assez d'attacher une pénalité au fait du matelot qui déserte ; n'allez pas étendre indéfiniment cette disposition pour atteindre des complices.

M. Delfosse. - J'ai fait observer tantôt que l'article 20 de l'ordonnance de 1784, qui a été appliquée en Belgique jusqu'en 1844, punit tous les complices indistinctement, qu'ils appartiennent ou non à l'équipage. C'est une disposition qui est encore appliquée en France.

Qu'a répondu l'honorable M. de Brouckere? Il a dit que la peine comminée par l'article 20 de l'ordonnance de 1784 est moins sévère que la peine comminée par le projet en discussion. Celte réponse de l'honorable membre peut faire croire que la peine comminée par l'article 20 du projet est trop forte, et qu'il y a lieu de la diminuer. Mais elle ne prouve en aucune manière qu'il faut soustraire à toute peine une partie des complices. Si l'honorable M. de Brouckere trouve que la peine est trop forte, qu'il présente un amendement pour l'atténuer, mais qu'il ne soutienne pas que les complices étrangers à l'équipage doivent rester impunis.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - L'honorable M. d'Elhoungne vient de s'élever tout à l'heure avec une extrême vivacité contre la disposition qui aurait pour objet de punir les complices de la désertion.

La désertion des marins, s'écrie-t-il, mais c'est une simple violation d'un contrat civil. Ce serait une disposition draconienne que de vouloir punir les complices de la violation d'un pareil engagement!

Mais il me semble que l'honorable M. d'Elhoungne a voté les dispositions draconiennes qui sont reprises dans les articles 16, 17, 18 et 19 pour la violation de ce simple contrat. Il a décidé que les gens de mer engagés sur des bâtiments de commerce ou de pêche, qui, dans un port du royaume, auraient déserté, refusé ou négligé de se rendre à bord, seront, en cas d'arrestation avant le départ du navire, remis à leur capitaine, et qu'il ne leur sera payé, depuis le jour où ils auront commis ce délit jusqu'à l'expiration de leur engagement, que la moitié des salaires ou parts qu'ils auraient dû gagner,

Il a décidé avec la chambre, dans l'article 17, que si le déserteur ou réfractaire ne peut être remis au capitaine avant le départ du navire, il perdra les salaires ou parts qui pourraient lui-être dus au jour du délit; qu'il sera en outre condamné à 15 jours d'emprisonnement et à l'embarquement, pendant le terme de six mois à un an, sur un bâtiment de l'Etat.

C'est donc que l'honorable M. d'Elhoungne a pensé que la désertion était un fait grave, qui pouvait préjudicier à la société, bien qu'à l'origine il n’y ait qu’un contrat de droit civil qui lie le matelot envers le capitaine. Et s’il y a là un fait assez grave pour qu’on le punisse ainsi que je viens de l’indiquer, comment admettre que le complice de celui qui aura commis ce délit, sera affranchi de toute espèce de peine, s'il n'est passager ?

S'il est passager, l'honorable M. d'Elhoungne m'en fait la concession,, il est juste de le punir s'il est complice du délit.

Et pourquoi donc le passager sera-t-il puni, lorsqu'il est complice de la violation des engagements entre le marin et le capitaine? Mais aucune espèce de raison n'existe. Vous dites : parce que le passager est à bord, parce qu'il a pris une sorte d'engagement en montant à bord. La belle raison pour le rendre complice de la désertion, alors que vous ne voulez pas admettre qu'un tiers soit puni comme complice!

Messieurs, je ne demande pas qu'on pousse la logique jusqu'au fanatisme. Mais je demande qu'on applique la logique dans de justes et raisonnables limites.

De deux choses l'une : ou le fait est grave, il mérite d'être qualifié, selon les circonstances, de crime ou de délit; et alors il est tout simple que les complices soient punis; ou bien ce sont des faits indifférents, alors ne les punissez pas; ne faites pas une loi spéciale pour ce cas.

Je demande, au nom du bon sens, que la disposition relative à la complicité soit applicable, comme en matière pénale ordinaire, à ceux qui sont complices d'un crime ou d'un délit.

M. H. de Brouckere. - Je prie M. le président de mettre aux voix cette question de principe: « L'art. 20 sera-t-il applicable ou non à des personnes autres que celles qui sont reprises à l'article 31 ? »

Si la chambre répond affirmativement, si elle donne à l'art. 20 son sens le plus large, je proposerai de supprimer la peine de l'emprisonnement comminée par cet article et de ne laisser subsister qu'une amende de 16 à 300 francs.

- L'amendement est appuyé.

M. Lelièvre. - Je proposerai le sous-amendement suivant :

« Sont exceptés de la présente disposition les ascendants ou descendants, épouse, frères ou sœurs du déserteur, ou leurs alliés au même degré. »

M. Lebeau. - Messieurs, je désirerais avoir une explication sur la portée de l'amendement de l'honorable M. H. de Brouckere. En droit commun, une certaine catégorie de parents ne sont pas punis du chef du recel de leurs proches, lors même qu'ils ont commis un crime, ce qui emporte une peine afflictive ou infamante. Mais cela suppose une passivité complète, et non pas le concours. Maintenant si, non contents d'un rôle purement passif, les proches ont facilité le crime ou le délit, et ici la désertion, si, par exemple, le frère est venu (je suppose le navire dans une rade en relâche), la nuit, prendre le marin dans un canot pour le mettre à terre et aider à sa fuite; s'il a compromis ainsi à la fois les intérêts du patron et très probablement la sûreté de l'équipage; si, par exemple, le déserteur était pilote-timonier; s'il avait été engagé exprès pour cette spécialité du service à bord, dira-t-on que dans ce cas le complice ne doit pas être puni, qu'il y a lieu d'assimiler ce fait à l'un de ces cas de recel, auxquels j'ai fait allusion plus haut? Cela me paraît inadmissible je ne pense pas même que cette conséquence soit dans-la pensée de l'honorable M. de Brouckere, bien qu'elle soit dans les termes de son amendement.

M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - Messieurs, je conçois jusqu'à un certain point que l'on puisse contester que la désertion soit un délit; mais après avoir déclaré qu'elle est un délit, dire que la complicité de ce délit ne sera pas punie, ce serait inscrire dans nos lois pénales une chose inouïe. Je défie qu'on me cite une loi pénale, dans un pays quelconque, où le complice ne soit pas puni à l'instar des auteurs principaux du crime.

L'on a parlé de recel. Mais j'avais donné à cet égard des explications suffisantes. L'article 248 du Code pénal qui a été cité, suppose, comme l'a dit l'honorable M. Lebeau, que les proches parents qui ont recelé le coupable, ne sont pas complices; s'ils étaient complices, quel que fût le degré de parenté, ils seraient passibles des mêmes peines.

M. Jullien. - Messieurs, j'avais demandé la parole pour appuyer en leur entier les observations qui ont été présentées par M. le ministre des finances.

Vous avez, par les articles 16, 17,18 et 19, érigé en délit le fait de désertion des marins. Si, comme on l'a dit avec beaucoup de raison, ce fait est un délit, la complicité qui a amené la perpétration de ce délit est elle-même un fait coupable. Ce fait coupable , il faut l'atteindre d'une peine quelconque, à moins de fournir les moyens de violer la loi que vous voterez.

De quelque part que la complicité émane, soit de personnes à bord de l'équipage, soit de personnes étrangères à l'équipage, toujours est-il qu'il faut réprimer la complicité comme un fait immoral.

Maintenant j'admets que la complicité commise par des personnes étrangères à l'équipage, ne doit pas être rangée sur la même ligne que.la complicité commise par les personnes à bord de l'équipage, parce que celles-ci se rendraient coupables à un plus haut degré en enfreignant une loi de discipline à laquelle elles se sont expressément soumises. Dès lors, nous avons à nous prononcer sur l'échelle des pénalités à comminer. Voici, pour ma part, comment je propose de rédiger l'article 20.

« Les complices de la désertion, marins ou passagers, seront punis d'un emprisonnement d'un mois à un an.

(page 1227) « Tous autres complices seront punis d'une amende de 16 à 500 fr.

« Sont exceptées de la présente disposition les personnes désignées au paragraphe 2 de l'article 248 du Code pénal. »

Comme vous le voyez, mon amendement différentie les peines suivant la qualité des complices ; il commine une pénalité plus sévère contre le complice faisant partie de l’équipage que contre le complice étranger à l’équipage ; il punit le premier d'un emprisonnement d'un mois à un an, et le second d'une amende de 16 fr. à 500 fr.

Comme, selon quelques orateurs, le fait de receler un déserteur serait un acte de complicité; comme, selon d'autres, ce recel ne présenterait point ce caractère, il m'a semblé que, si le premier système était consacré, il faudrait introduire l'exception prévue par le deuxième paragraphe de l'article 248 du Code pénal, qui serait uniquement applicable au cas de recel ; je dois toutefois déclarer que, dans mon opinion, le seul fait de receler un coupable ne constitue pas un délit, et que, pour qu'il en soit ainsi, il faudrait une disposition spéciale qui le qualifiât tel.

M. de Brouckere. - Je retire mon amendement, et je me rallie à celui proposé par M. Jullien, avec l'exception des personnes mentionnées à l'article 248 du Code pénal, sauf l'époux, pour faire droit à l'observation de M. Lelièvre.

M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - La preuve que le recel d'un marin déserteur ne serait pas puni en vertu de l'article 20 du projet, qui n'atteint que les complices de la désertion, c'est qu'en règle générale, le recel de l'auteur d'un crime n'est délit que s'il est expressément déclaré tel par la loi; ainsi l'article 248 du Code pénal punit le recel, lorsqu'il s'agit de l'auteur d'un crime emportant peine afflictive; ainsi la loi du 12 décembre 1817 punit le recel du déserteur militaire; mais par l'article 20, nous ne punissons que le complice de la désertion, et non le receleur du déserteur, lequel ne peut être poursuivi à moins que le recel ne se combine avec d'autres faits ayant les caractères qui constituent la complicité.

M. Jullien. - M. le ministre ayant déclaré que le fait de receler un déserteur ne constitue pas dans les termes et dans l'esprit du projet, la complicité, je retire la dernière partie de mon amendement.

M. d'Elhoungne. - Je la reprends.

M. Lelièvre. - Je maintiens mon amendement.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je demande une triple division : Les complices seront-ils punis? de quelles peines les punira-t-on? y aura-t-il exception pour les personnes reprises dans l'amendement?

- La discussion est close.

M. le président. - Comment veut-on voter ? Veut-on voter par questions de principes ?

M. Delfosse. -Je crois qu'on peut voter par division sans poser de questions de principes, car ces questions sont posées par les amendements mêmes. Qu'on vote ces amendements successivement.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - C'est ce que j'ai demandé.

M. d'Elhoungne. - On devrait commencer par voter sur l'exception; sans cela les membres qui ne veulent de l'article qu'avec la limitation ne pourront pas voter ou devront voter contre le principe. C'est d'ailleurs l'amendement qui s'écarte le plus de la disposition principale, et à ce titre, il doit avoir la priorité du vote.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Il me semble qu'on ne peut pas commencer par voter l'exception, on ne peut pas voter une exception I une règle qui n'existe pas ; l'exception pourrait être adoptée et ensuite le principe rejeté.

M. d'Elhoungne. - L'exception tomberait.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - C'est la preuve que ce n'est point par là qu'il faut commencer. Il faut procéder logiquement, n'en déplaise à l'honorable M. d'Elhoungne, décider d'abord si la complicité sera punie avant de décider si certaines personnes no seront point considérées comme complices.

M. d’Elhoungne. - M. le ministre des finances a le monopole de la logique, je le lui concède bien volontiers, mais il n'a pas le monopole du règlement , et aux termes du règlement on doit voter d'abord les dispositions additionnelles qui s'écartent le plus de la disposition principale. Je veux du principe avec la limitation. Si on met d'abord aux voix le principe, je suis obligé de voter contre, ne sachant pas si la limitation sera admise. Il faut donc commencer par la limitation qu'on veut poser au principe; de cette manière beaucoup de personnes rassurées sur l’étendue donnée à la complicité la voteront.

Le règlement est ici d'accord avec la logique et le bon sens que M. le ministre des finances invoque toujours, mais auquel il est quelquefois infidèle.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je ne prétends pas au monopole du bon sens et de la logique, je l'abandonne volontiers à l'honorable préopinant.

M. d'Elhoungne. - Je n'ai pas revendiqué le monopole de la logique; je n'ai pas, moi, cette prétention.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Vos observations peuvent être fort spirituelles, mais elles tombent à faux.

M. d'Elhoungne. - La chambre jugera.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je m'en rapporte volontiers à la chambre, et particulièrement sur la convenance de vos expressions.

L'honorable membre veut qu'on vote d'abord sur le point de savoir s'il y aura des exceptions parmi les complices, sans que la chambre ait décidé si la complicité sera ou non punie. Cela vous paraît-il conforme ou non au règlement? Votons d'abord sur le point de savoir si les complices seront punis. Alors seulement, nous aurons à nous occuper des exceptions. Je conçois que l'honorable membre veuille que certains cas soient exceptés de la règle. Mais nous ne pouvons commencer par voter sur l'exception, avant d'avoir voté sur la règle générale.

M. de Luesemans. - Je pense, au contraire, qu'il faut commencer par voter sur la question de savoir s'il y aura des exceptions; voici pourquoi : M. le ministre des finances dit qu'il y a avantage à commencer par poser la règle, c'est-à-dire par poser la question de savoir s'il y aura complicité ou non. Mais il ne s'agit pas de savoir s'il y aura complicité; il s'agit de savoir si elle sera punie et quelle peine devra l'atteindre. Je pense qu'il est beaucoup plus logique de commencer par rassurer les membres qui n'admettent pas la complicité d'une manière absolue, et qui peut-être l'admettront si l'on vote l'exception.

M. de Mérode. - Mais quand on aura voté sur le point de savoir s'il y aura complicité, on sera toujours à même de repousser la complicité, si l'on n'obtient pas l'exception qu'on demande, puisqu'il y aura un vote sur l'ensemble.

- Il est procédé au vote par division sur l'amendement de M. Jullien.

Les deux premiers paragraphes de l'amendement sont successivement mis aux voix et adoptés.

Le troisième paragraphe est mis aux voix ; il n'est pas adopté.

L'ensemble de l'article 20, qui se compose des deux premiers paragraphes de l'amendement de M. Jullien, est mis aux voix et adopté.

- La séance est levée à 4 heures 3/4.