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Chambres des représentants de Belgique
Séance du jeudi 24 janvier 1850

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1849-1850)

(Présidence de M. Verhaegen.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 549) M. de Perceval procède à l'appel nominal à 1 heure et quart.

M. T'Kint de Naeyer donne lecture du procès-verbal de la dernière séance.

- La rédaction en est adoptée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Perceval communique l'analyse des pièces adressées à la chambre.

a Les administrations communales de Grootenberge, Boosebeke, Oombergen, Leeuwergem et Schendelbeke prient la chambre de modifier les dispositions qui règlent les frais d'entretien des indigents. »

- Renvoi à la commission des pétitions.

M. Rodenbach. - On a demandé un prompt rapport pour des pétitions analogues, je fais la même demande pour celle-ci.

- Cette proposition est adoptée.


« Le sieur Steenkiste demande que la Pharmacopée belge soit rédigée en latin, en français et en flamand.»

- Même renvoi.


« Plusieurs cultivateurs de Heffen demandent une augmentation de droits d'entrée sur les céréales.»

« Même demande de plusieurs cultivateurs des hameaux de Battel et de Stuyremberg, dépendants de Malines. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi sur les denrées alimentaires.


« Plusieurs propriétaires et cultivateurs de Rumbeek présentent des observations contre le projet de loi sur les denrées alimentaires. »

- Même décision.


« Le baron de Vivario demande la réduction de l'armée, la suppression de la marine, de l'autorité forestière et un impôt élevé sur le tabac et sur les distilleries. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Raikem, pharmacien, demande que l'armée soit maintenue sur un pied respectable. »

- Même renvoi.


« Plusieurs propriétaires et chefs d'établissements industriels de la rive gauche de la Meuse, en amont de Liège, demandent que le gouvernement prenne, sans retard, les dispositions nécessaires pour que la société concessionnaire du chemin de fer de Namur à Liège fasse construire l'embranchement de la rive gauche de la Meuse, se rendant des Guillemins au pont du Val-Saint-Lambert. »

M. Deliége. - Cette pétition mérite de fixer votre attention. Vous savez que le pont du chemin de fer établi au Val-Benoit, à Liège, a fait un mouvement.

L'industrie, le commerce sont fortement intéressés, si l'on devait reconstruire ce pont, à ce que le chemin de fer de Liège à Namur soit construit sur la rive gauche, pour que l'on puisse se servir du pont établi à Flémalle.

La pétition a pour but de demander qu'on hâte cette construction.

Je prie la chambre de vouloir en ordonner le renvoi à la commission des pétitions, avec invitation de faire un prompt rapport.

M. Lelièvre. - Je me joins à M. Deliége pour faire la même demande.

M. Moxhon. - Et moi aussi.

M. Moncheur. - Et moi également.

- La proposition de M. Deliége est adoptée.


« Le sieur Théodore-Charles Antoine Catteau, éclusier du canal de Charleroy à Bruxelles, né à Tourcoing, France, dont la demande en naturalisation a été rejetée, prie la chambre de revenir sur sa décision. »

M. Destriveaux. - Je demande le renvoi de cette pétition à la commission des naturalisations.

- Adopté.

Projet de loi sur les denrées alimentaires

Discussion générale

M. le président. - On a remis à statuer sur l'amendement de M. Bruneau qui, jusqu'à présent, n'a pas été appuyé. Plusieurs membres ont demandé le complément de cet amendement.

M. Bruneau. - L'amendement que j'ai eu l'honneur de soumettre à la chambre se rapporte à un tableau où se trouvent indiqués les différents droits auxquels je propose de soumettre les céréales, farineux, viandes, ainsi que le bétail.

Je dépose ce tableau, qu'il conviendra d'imprimer à la suite du texte de mon amendement, pour qu'on puisse l'apprécier dans son ensemble.

- L'amendement de M. Bruneau est appuyé.

M. Moreau. - Messieurs, je ne vous parlerai pas, comme l'honorable orateur qui a pris hier le dernier la parole, du libre-échange, de la protection duc au travail national, de l'intervention de la loi dans les conventions qui peuvent se faire entre le propriétaire et le fermier. Je laisserai à d’autres, plus habiles que moi, le soin de réfuter la théorie qu’il avance, le système économique qu’il préconise au milieu du XIXème siècle, et leur tâche, je pense, ne sera pas bien difficile. L'erreur dans laquelle tombe l'honorable M. Coomans provient, ce me semble, uniquement de ce qu'il croit que ce que l'étranger nous donne pour les matières premières n'est pas tout profit, et que ce qu'il nous paye pour notre main-d'œuvre est, au contraire, tout profit. Je me permettrai cependant de faire quelques observations sur les considérations qu'il a présentées à l'appui de son amendement.

L'honorable M. Coomans a prétendu que, parce que l'honorable M. Cans avait considéré la propriété comme un monopole naturel, en prenant ce mot dans certaine acception et en donnant à cet égard les explications les plus satisfaisantes, il portait indirectement atteinte au droit de propriété; qu'ainsi son système était plus ou moins en rapport avec les théories nouvelles du communisme ou du socialisme.

J'en demande bien pardon à l'honorable M. Coomans et je suis loin de vouloir le moins du monde lui imputer d'être socialiste et de partager ces opinions excentriques. Mais si, comme il l'a fait à l'égard de l'honorable M. Cans, je voulais me servir de semblable argumentation, ne pourrais-je pas lui demander : Qu'est ce faire que d'assurer par une loi un prix rémunérateur aux travailleurs agricoles? N'est-ce pas là un peu leur donner de par la loi le droit au travail? N'est-ce pas vouloir leur assurer qu'en toutes circonstances ils trouveront toujours le juste prix de leurs labeurs? N'est-ce pas, en d'autres termes, soutenir qu'il faut nécessairement porter, au moyen de mesures législatives, l'hectolitre de froment à 20 fr. pour que chaque producteur agricole ait la certitude d'être suffisamment rémunéré? N'est-ce pas, en un mot, en faisant agir une loi sur le prix des grains, faire indirectement ce que d'autres veulent ériger en système général?

Je soumets, messieurs, ces observations aux méditations de l'honorable M. Coomans, dont l'intention, je le reconnais bien volontiers, n'a jamais été de préconiser ni de défendre ces nouvelles théories.

Si, dit cet honorable membre, le producteur agricole trouve dans la vente des céréales un prix rémunérateur, tout ira pour le mieux en ce bas monde, les ouvriers agricoles pourront peut-être devenir riches, nous n'aurons plus un million de pauvres, la misère disparaîtra des campagnes, la valeur du sol se maintiendra et nos bruyères comme par enchantement deviendront bientôt productives avec la plus grande facilité.

Et, messieurs, pour faire de la Belgique cette espèce d'Eldorado, que faut-il ? Faut-il adopter l'amendement que propose l'honorable M. Coomans? établir un droit de 1 fr.50 sur le froment, de 1 fr. sur le seigle, etc.? Cet amendement est probablement une véritable panacée. Mais non, il n'en est rien ; car, ajoute l'honorable M. Coomans, vous pouvez voter mon amendement en toute sécurité; il est tout à fait anodin, il produira un grand bien sans porter préjudice à personne, il sera même peu efficace : telle est l'expression dont s'est servi l'honorable M. Coomans. S'il en est ainsi, messieurs, qu'il me permette de lui demander comment il peut se faire que cet amendement, s'il doit être si peu efficace, pourra produire des résultats aussi heureux? Comment, s'il n'a pas pour but de faire hausser le prix des grains et en conséquence celui du pain, il protégera et les propriétaires, et les fermiers, et les ouvriers agricoles? Comment il sera cause que nos landes se convertiront en terres fertiles? Comment enfin il donnera de quoi vivre à la majeure partie du million de pauvres qui, prétendument, étalent leur misère en Belgique?

Quant à moi, messieurs, je ne veux pas de cet amendement peu efficace; il faut, ce me semble, placer la question sur son véritable terrain. Si la section centrale, si les honorables membres qui soutiennent ses conclusions ne demandent aujourd'hui qu'une augmentation de droit de 50 centimes ou d'un franc, il ne faut pas oublier que l'année dernière il leur en a été accordé 25 centimes par mode de transaction. Ce n'est donc qu'à titre d'essai que la section centrale et ses défenseurs veulent le droit d'un franc; ce n'est qu'un jalon qu'ils mettent en avant pour que la chambre le suive dorénavant dans la direction qu'ils indiquent comme étant la voie la seule bonne pour sauvegarder les intérêts agricoles.

La section centrale aurait mieux fait, selon moi, en poursuivant logiquement la conséquence de ses principes, de proposer actuellement des droits plus élevés, des droits tels qu'ils assurassent, selon ses prévisions, le marché intérieur aux producteurs des céréales.

Mais aurait-elle atteint son but? Je ne le pense pas. Car il n'est pas exact de prétendre que tout droit élevé donne une protection à l'agriculture; il faut, cerne semble, faire ici une distinction; il faut distinguer entre les années où il y a abondance de grains, et celles où la récolte a été ordinaire ou mauvaise.

Dans le premier cas, si le pays a fourni assez de céréales ou plus qu'il n'en faut pour nourrir les habitants, si c'est une année d'abondance, vous aurez beau faire; en vain établirez-vous des droits protecteurs très élevés, en vain prohiberez-vous même l'entrée des céréales, la demande mise en rapport avec l'offre, base, comme vous le savez, du prix de toute chose, sera moindre; on pourra se procurer avec facilité toute espèce de denrées alimentaires et les grains se vendront à bon compte; parce que la quantité produite excédera les besoins des consommateurs et que ce surcroît de production, quoi que vous fassiez, réagira nécessairement sur le prix, sans même trouver souvent un débit plus avantageux à l'étranger.

(page 550) Vous avez, messieurs, pour exemple la France où malgré l'existence de droits protecteurs basés sur une échelle mobile, les grains se vendent moins cher qu'en Belgique et en Angleterre, où existe le régime de la libre entrée des céréales, parce que la France produit toujours assez de grains pour sa consommation intérieure, qu'elle se suffit à elle-même; et que les partisans des droits d'entrée sur les céréales y prennent garde, il pourrait très bien se faire, dans les circonstances actuelles, que leur proposition, loin d'être favorable aux producteurs agricoles, eût un résultat tout autre que celui qu'ils en attendent ; il pourrait très bien se faire que l'augmentation des droits d'entrée entravant la liberté des transactions commerciales , donnant lieu à des spéculations, fût cause que les producteurs ne cherchassent plus à les exporter. En effet, ceux-ci pourraient très bien croire que la loi nouvelle garantira leurs intérêts et que, comme le dit la section centrale, elle arrêtera la baisse du prix des céréales; et qu'arriverait-il alors si les producteurs conservaient maladroitement pendant quelque temps leurs grains, au lieu de les exporter en Angleterre ou ailleurs ? Il arriverait qu'à certaine époque donnée, ils seraient forcés de les mettre en vente sur le marché intérieur qui alors se trouvera encombré d'une trop grande quantité de céréales et qu'ils ne pourraient se défaire de cette denrée qu'en faisant des pertes. Ainsi donc, messieurs, si la production des céréales a été abondante, l'établissement d'un droit protecteur, loin de profiter à l'agriculture, peut lui devenir très nuisible.

Si au contraire il y a eu disette de grains, si le pays n'en a pas fourni assez pour nourrir ses habitants, si même lorsque la production des céréales a été ordinaire, le pays, comme cela a été prouvé, doit recevoir 500,000 hectolitres de grains pour parfaire sa consommation, en ce cas il est évident que tout droit protecteur sur les denrées alimentaires fera hausser le prix des grains puisqu'il diminuera l'importation et mettra obstacle à ce que l'équilibre dans le prix des grains s'établisse. Il est vrai de dire alors, mais seulement alors, que les droits sur l'importation des denrées alimentaires seront protecteurs et prélevés sur tous au profit de quelques-uns; il est vrai de dire alors que la loi fera hausser le prix dit pain et fonctionnera au préjudice du pauvre qui s'en nourrit.

Mais cette loi, qui fonctionnera en ce cas au détriment de la plus grande partie de la population, sera-t-elle même favorable à l'agriculture? Procurera-t-elle quelque avantage aux producteurs de céréales ? Non certainement, si ce n'est pendant un temps limité, pendant le temps qui s'écoulera entre la promulgation de la loi et l'expiration des baux. C'est en vain que l'on cherche à prouver le contraire, l'expérience donne un démenti formel à toute allégation opposé. S'il est vrai, comme le porte le rapport de la section centrale que la quantité de demandes qui ont lieu pour louer des fermes, comparée au nombre des fermes à donner en bail, exerce une certaine influence sur le taux des fermages, c'est seulement dans des limites très-restreintes, et cela parce que le nombre des fermes à louer est toujours moins grand que la quantité de capitaux nécessaires pour les exploiter.

Mais il n'est pas moins vrai aussi que cette influence a existé avec la même intensité, si je puis le dire, avant 1834. Il n'en est pas moins vrai que le fermage des prairies est loin d'avoir augmenté depuis cette date, dans la même proportion que celui des terres.

Car il est naturel que si une partie du capital agricole est la chose du propriétaire, plus les terres donnent de bénéfices, plus les fermages augmentent, plus la rente de la terre s'élève. On ne peut nier l'évidence, les faits qui se sont passés depuis 1834 sont là, et je doute beaucoup que les propriétaires des terres arables demandent que l'on révise aujourd'hui les évaluations cadastrales faites en 1827, en prenant pour base la ventilation des baux de 1835 à ce jour, afin de répartir d'une manière plus équitable la contribution foncière entre les propriétés bâties et celles non bâties, entre les prés et les terres labourables.

Ce n'est donc pas en général la culture des terres qui sera favorisée par des droits protecteurs; ceux-ci seront presque toujours avantageux aux propriétaires ; et si momentanément le producteur, le fermier en profite, pour lui donner toujours cette bonne position, il faudra nécessairement qu'à chaque renouvellement de son bail vous augmentiez les droits d'entrée sur les céréales pour qu'il en relire continuellement un avantage.

Et quand bien même le droit protecteur en cas de récolte ordinaire ou de disette donnerait certain profit au producteur, aux propriétaires qui exploitent leurs fermes, une minorité aussi peu considérable a-t-elle le droit d'imposer un fardeau aussi lourd à la majorité, une minorité formée d'environ 4,000 familles peut-elle s'approprier les bénéfices résultant de l'appauvrissement du reste de la population. Et, messieurs, à quel prix cette minorité ferait-elle ces bénéfices? Ne serait-ce pas au détriment de la santé, du bien-être de la nation entière? Ne serait-ce pas souvent même au prix de la vie d'un grand nombre d'habitants? Car, messieurs, il est constant et démontré que chez tous les peuples, toutes les fois que le prix du blé augmente, la mortalité devient plus forte, que toutes les fois, au contraire, qu'il a diminué la mortalité a été moins grande.

Ce rapport est parfaitement établi, les chiffres de la mortalité d'une part et le prix du blé, d'autre part se suivent avec la plus grande exactitude. En voulez-vous la preuve pour la Belgique ? Eh bien, en 1845, le prix du blé qui était de fr. 17-75, en 1844, a été porté à fr. 20-22, en 1846 à fr. 24-27, en 1847 à fr. 31-14, et en 1845, 1846 et 1847 la mortalité est respectivement de 3,000, de 13,000 et de 25,000 âmes plus forte qu'en 1844. En 1848 le prix du grain diminue, et de suite le nombre des décès est moins élevé.

Personne ne peut donc sérieusement contester que le bien-être du peuple ne soit plus ou moins grand, suivant que le prix des céréales est plus ou moins élevé.

Messieurs, la Belgique a beaucoup souffert de la disette pendant les dernières années; les Flandres surtout ont été cruellement éprouvées et c’est alors que la misère qui les a frappées commence seulement à faire place à une situation meilleure, qu'on se plaint du bas prix des denrées alimentaires. Qu'on ne s'y trompe pas, messieurs, si, sans nul doute le ministère a fait beaucoup pour améliorer la situation des Flandres, s'il a usé de tous les moyens propres pour obtenir cet heureux résultat, il faut reconnaître que ses efforts auraient été impuissants, si la Providence ne lui était venue en aide, en donnant à ces malheureux habitants une récolte abondante, en les gratifiant d'un immense bienfait, celui de pouvoir se nourrir à bon compte. Le bas prix des denrées alimentaires a plus fait pour sauver les Flandres que tout ce que l'homme pouvait leur accorder pour porter un remède héroïque à leurs maux. Je le dis donc avec conviction, si les droits protecteurs que demandent certains membres de cette chambre ont pour résultat d'augmenter le prix des choses les plus nécessaires à la vie, et qu'ils soient adoptés, prenons garde de rouvrir d'une main peut-être des plaies que nous cherchons à cicatriser de l'autre.

Mais, dit-on, il y a en Belgique un grand nombre de propriétaires terriens et leurs intérêts comme ceux des industriels doivent recevoir de la loi la même protection. Pourquoi laisser exister des droits protecteurs pour l'industrie manufacturière et ne pas en vouloir pour protéger l'industrie agricole? C'est là, messieurs, la principale objection qu'on ne cesse de nous présenter sous toutes les formes. Mais cette objection est, ce me semble, plus spécieuse que fondée. Ce n'est pas toutefois que je croie que tôt ou tard il ne faudra pas diminuer et même peut-être abolir les droits d'entrée sur toute chose; je pense même que le gouvernement agirait sagement en provoquant, dans certaines mesures, une diminution sur beaucoup d'articles de notre tarif des douanes, et il a déjà fait un pas dans cette voie en déclarant qu'il s'opposerait à toute augmentation des droits d'entrée. Mais, ajoute-t-on, pourquoi commencer par l'industrie agricole? Par la raison bien simple qu'il y a une différence essentielle entre l'industrie manufacturière et l'industrie agricole. Pour les céréales il n'y a malheureusement que trop souvent disette ; elle existe même chez nous lorsque la récolte est ordinaire; cela tient à ce que l'agriculture ne peut à volonté produire autant que les besoins l'exigent, la production est essentiellement limitée pendant certain temps, tandis que jamais on n'a vu une disette, un manque d'objets manufacturés. Pour l'industrie manufacturière, la matière première étant donnée, on peut produire autant que la consommation le demande. D'un autre côté, s'il est prouvé par la statistique officielle et par les faits qu'en temps ordinaire les produits de l'agriculture belge ne suffisent pas au besoin du pays, il en résulte que ces produits ont indubitablement presque toujours un débouché avantageux sur le marché intérieur, tandis que les objets manufacturés doivent chercher à l'étranger un débouché qu'ils n'y rencontrent pas toujours et ont à soutenir une concurrence désastreuse.

Mais, dit-on encore, si vous lésez les intérêts de tant de propriétaires, ils pourront moins dépenser et ainsi l'industrie en souffrira.

Voyez, dit la section centrale, lorsque les denrées alimentaires se vendent à bon compte, toutes les industries languissent. A cela je fais une réponse bien simple. Si les allégations de la section centrale étaient exactes, il serait aussi probablement vrai de dire que plus les denrées de première nécessité se vendraient à un prix élevé, que plus grande serait leur disette, que plus en un mot il y aurait misère, plus le pays serait riche.

Je ne dirai, messieurs, qu'un mot de l'augmentation du droit d'entrée sur le bétail, que demande la section centrale. L'honorable M. Bruneau a parfaitement prouvé que cette mesure serait nuisible à l'agriculture. Personne ne contestera, messieurs, que la Belgique ne peut élever le bétail dont elle a besoin, qu'il est nécessaire qu'elle en achète à l'étranger, tant afin d'avoir les animaux qui lui sont indispensables, que pour améliorer les races. Pourquoi donc faire payer plus chèrement à nos cultivateurs des choses qui sont véritablement pour eux une matière première ou plutôt des instruments de production.

J'appartiens, messieurs, à une partie du pays où l'on cultive beaucoup de prairies, je n'ignore pas que plusieurs des cultivateurs qui les exploitent désirent aussi des droits plus élevés ; mais je crois, messieurs, qu'ils se trompent, comme grand nombre de leurs confrères qui cultivent les terres; je crois que les uns et les autres mieux éclairés reconnaîtront que c'est à tort qu'ils demandent des augmentations du droit d'entrée et que dans peu ces préjugés disparaîtront.

Pour prouver aux premiers leur erreur, il suffit de jeter les yeux sur les tableaux statistiques.

En effet, en 1848, si l'on a importé 13,964 bœufs, taureaux et vaches, on en a exporté 9,045; il n'en est donc resté dans le pays que 4,919, tandis qu'il est entré 6,760 génisses et qu'il n'en est sorti que 1,268.

Pendant les neuf premiers mois de 1849, la même chose se présente : les bœufs, vaches et taureaux importés s'élèvent à 7,534 et ceux exportés à 5,875; l'excédant des importations sur les exportations n'est donc que de 1,661 animaux ; pour les génisses, au contraire, les chiffres sont respectivement de 4,877 pour l'importation, et de 333 pour l'exportation. Enfin, en comparant pour les veaux le nombre de ceux qui ont été importés avec le nombre qui a été exporté, on voit que la quantité sortie du pays est infiniment plus forte.

(page 551) Ces chiffres établissent, selon moi, que le gros bétail qui reste en Belgique ne peut faire une concurrence bien rude à la production indigène, puisque, d'après le recensement de 1846, la Belgique renferme 772,354 œufs, taureaux et vaches, et qu'on y engraisse 49,534 de ces animaux. Ils prouvent, d'un autre côté, que le pays trouve de plus grands bénéfices en faisant venir du jeune bétail de l'étranger que de l'élever; car il retient une très grande quantité de génisses et exporte les veaux.

Messieurs, je me résume, et je dis que lorsque la Belgique, dans les années d'abondance, produit assez ou trop de grains pour nourrir ses habitants, vous ne pouvez par des lois arrêter la baisse du prix des céréales, ni les maintenir à un taux élevé; que seulement ces lois qui établissent des droits d'entrée peuvent exercer une influence sur le prix du pain alors qu'il y a disette relative pour la Belgique, c'est-à-dire que la récolte est ordinaire, et que, dans l'un et l'autre cas, l'agriculture, à proprement parler, n'en reçoit, n'en retire aucun avantage ; et savez-vous, messieurs, quelles sont les conséquences des lois qui forcent les travailleurs à acheter chèrement les denrées dont ils ont besoin pour subsister? C'est d'obliger l'ouvrier, ainsi la plus grande partie de la nation, à travailler plus qu'il ne devrait pour obtenir les nécessités de la vie, c'est-à-dire à travailler davantage et sans profit pour lui-même pendant une partie de la journée. La protection, comme l'a dit sir Robert Peel, est un impôt levé sur le travail ; et quel impôt, messieurs, que celui-là? Un impôt qui pèse sur les classes les plus pauvres ! un impôt qui dépouille les travailleurs pour ajouter à la fortune des classes riches!

Dernièrement, messieurs, vous avez voté une loi pour moraliser l'ouvrier, en l'encourageant à devenir économe, à se créer, par ses épargnes, des ressources pour ses vieux jours. Vous applaudissez aux mesures hygiéniques que l'on prend pour le mettre à l'abri des maladies et fortifier sa santé. Eh bien, ne défaites pas d'une main ce que vous faites de l'autre. Si vous voulez que l'ouvrier fasse des épargnes, si vous voulez que son état sanitaire s'améliore, laissez-lui ce que la Providence, dans sa bonté, dans sa munificence, lui a donné après deux années de calamité! Laissez-le jouir de ses bienfaits, laissez-lui manger le pain à bon compte pour qu'il puisse trouver, dans son modique salaire, un surcroît suffisant pour mettre sa vieillesse à l'abri de la misère; laissez-lui la faculté de se procurer à bas prix une nourriture saine et abondante qui conservera et fortifiera sa santé, et ne votez pas de lois qui établiraient, comme on le dit, le plus odieux des monopoles, celui de la nourriture humaine.

M. Vanden Berghe de Binckum. - Messieurs, lorsque je m'étais fait inscrire pour parler sur le projet de loi, mon intention était de présenter un amendement qui, par suite de celui qui a été présenté hier par l'honorable M. Coomans, devient un sous-amendement. Comme les mêmes motifs qui ont déterminé M. Coomans à proposer son amendement m'ont déterminé à déposer celui que je vais avoir l'honneur de vous soumettre, je n'abuserai pas des moments de la chambre en le développant; ce serait en effet abuser des moments de la chambre après les développements que M. Coomans a donnés à sa proposition, à laquelle mon sous-amendement n'offrira que quelques changements.

Ainsi il y a une différence dans le prix du sarrasin, qui est une petite affaire de rien du tout. Je crois donc pouvoir me borner à déposer l'amendement.

M. le président. - Le sous-amendement déposé par M. Vanden Berghe de Binckum est ainsi conçu :

« A dater du 15 février prochain et jusqu'à décision ultérieure du pouvoir législatif, il sera perçu par chaque 100 kilogrammes, un droit de douane de :

« fr. 1 50 sur le froment;

«fr. 1 00 sur le seigle;

« fr. 0 50 sur le sarrasin, maïs, vesces, avoine, pois, fèves, orge, escourgeon et le malt (orge germée) ;

« fr. 4 50 sur les farines. »

M. Thibaut. - Des devoirs de famille, que je tenais à accomplir, m'ont empêché, pendant quelques jours, de prendre part aux travaux de la chambre. Je réclame donc votre indulgence si je reproduis des observations présentées par les honorables collègues qui m'ont précédé dans la discussion.

D'ailleurs, je ne parlerai que des céréales, et je me bornerai à résumer succinctement les considérations qui me font croire que le projet du gouvernement est totalement insuffisant.

Qu'il me soit permis de rappeler à la chambre qu'en 1848 je présentai, avec quelques honorables collègues, un amendement au premier projet du gouvernement, et qui consistait à porter à un franc le droit sur les cent kilogrammes de froment.

Je constate avec plaisir que la section centrale qui a examiné le dernier projet de loi adopte l'opinion que nous avons soutenue alors.

Pour moi, le droit d'un franc que nous avions proposé était une espèce de mesure transactionnelle.

Aussi, je n'hésite pas à appuyer aujourd'hui l'amendement de l'honorable M. Coomans qui propose de porter le droit sur le froment à 1 fr. 50.

Quant aux autres céréales, je ne verrais aucun inconvénient à ce que nous confiions au gouvernement le soin d'indiquer, par arrêté royal, le taux du droit, en y mettant pour condition que ce droit devra être réglé sur la valeur des différentes denrées, comparée à la valeur du froment et proportionnellement au droit de 1 fr. 50 c, dont le froment serait frappé.

Messieurs, les objections principales qui ont été produites dans les dernières discussions, contre un droit plus ou moins élevé sur les denrées alimentaires, se résument à trois points principaux. On a prétendu qu'un droit sur le froment dégénérait en un impôt sur le pain. On ajoute que la protection existe par la distance qui nous sépare des pays de production, et par les frais de transport qui sont nécessaires pour amener les denrées alimentaires étrangères sur notre marché.

En troisième lieu, on dit que le bas prix est favorable à toute la classe ouvrière.

Messieurs, je ne puis me rendre compte de cette opinion d'honorables membres qui prétendent qu'un droit sur les céréales devient un lourd impôt sur le pain. Il me semble que l'on devrait écarter un tel argument de la discussion, d'abord parce qu'il entraîne avec lui un certain danger, et ensuite parce qu'il est, selon moi, peu digne d'une discussion sérieuse, puisqu'il présente les choses sous un point de vue complètement inexact.

Remarquez, messieurs, que pour prétendre qu'un droit sur les céréales dégénère en un impôt sur le pain, il faut, admettre que ce droit augmentera le prix du blé indigène de toute sa propre valeur, de façon qu'un droit d'entrée de 2 fr., par exemple, augmenterait le prix du froment indigène à l'hectolitre de la même somme de 2 fr. Or, il me semble que les faits qui se passent sous nos yeux, que les simples notions du bon sens protestent contre une semblable allégation.

Pour qu'il en soit ainsi, il faudrait que le froment se vendît sur tous nos marchés à un prix rigoureusement égal. Ainsi, il faudrait que sur les marchés d'Anvers et d'Arlon, sur les marchés de Hasselt et de Mons, le prix du froment fût le même. Or, vous savez, messieurs, que l'on constate chaque jour des différences assez notables entre les prix des différents marchés.

Il faudrait en outre admettre que c'est le prix des grains étrangers qui réglera le prix de nos propres denrées alimentaires; et cependant je crois me rappeler que d'honorables membres qui soutenaient la proposition du gouvernement, semblaient d'accord que le prix du froment étranger suivrait plutôt la proportion du prix de nos propres grains.

Messieurs, constatons le véritable effet que peut avoir un droit sur les céréales étrangères. Pour moi, il ne peut, me semble-t-il, atteindre d'autre but que de relever des prix avilis. Mais quand le prix des grains est à un taux convenable, quand il atteint un chiffre que l'on peut considérer comme rémunérateur, je pense qu'un droit d'entrée n'a aucun effet sur le prix de nos propres céréales.

On a dit ensuite que la protection existait à cause de la grande distance qui nous sépare des pays de production et des frais de transport qu'elle nécessite.

A ce compte, messieurs, il en résulterait que dans notre propre Belgique, le Luxembourg, par exemple, se trouverait en dehors du droit commun. Car le Luxembourg, messieurs, n'a pas de voies de communication aussi faciles que les différentes autres parties du pays. Les céréales ne peuvent être amenés sur les marchés de l'intérieur, sur les marchés de forte consommation qu'avec des frais considérables.

Cependant je ne vois pas qu'il existe dans cette chambre une opinion qui voudrait procurer au Luxembourg l'égalité parfaite vis-à-vis des autres parties du pays, qui voudrait, par exemple, rapprocher le Luxembourg de la capitale de telle sorte qu'Arlon ne serait pas plus éloigné de Bruxelles que ne l'est Anvers ou Mons.

L'égalité absolue, messieurs, n'est un droit pour personne. On ne peut non plus reprocher à personne, pas plus aux propriétaires qu'aux autres, les avantages qu'ils trouvent dans la situation de leurs terres.

On dit encore que le bas prix des céréales profite à toute la classe ouvrière. Je regrette de devoir le dire, mais c'est là propager de plus et plus l'antagonisme regrettable qui existe entre la population agricole en la population industrielle.

Il est possible que les classes ouvrières industrielles trouvent un bénéfice dans l'avilissement du prix des denrées alimentaires. Cependant je ne voudrais pas admettre ce point d'une manière absolue. Mais, enfin, supposons que les classes industrielles trouvent leur avantage dans le bas prix des céréales, je dirai à la chambre que les classes agricoles trouvent, de leur côté, leur avantage dans des prix suffisamment rémunérateurs. Et il ne faut passe le dissimuler, la classe agricole fait la majeure partie de la population de la Belgique.

il serait inexact de dire que le prix convenable des céréales profite uniquement aux propriétaires. Vous savez, messieurs, que la plus grande partie du territoire cultivé est cultivée par des locataires; eh bien, ces locataires doivent trouver dans un prix convenable la rémunération de leur travail et la faculté de rendre à leur propriétaire la part de bénéfices que celui-ci doit avoir dans l'exploitation.

Ensuite, messieurs, les ouvriers employés aux travaux agricoles sont la plupart du temps payés en nature, et lorsque les céréales sont à bas prix leur salaire est avili. Je sais qu'ils consomment la plus grande partie de leur salaire; mais il y a cependant une portion qui est vendue par eux et dont le produit sert à l'acquisition de tous les autres objets qui leur sont nécessaires. Je citerai à cet égard l'avoine, qui forme la plus grande ressource des classes ouvrières agricoles; c'est par la vente de l'avoine qu'elles peuvent acquérir les divers objets dont elles ont besoin, et je dois protester ici contre une assertion qui a été émise il n'y a pas longtemps par un organe de la presse, et qui consistait à dire que l'agriculture est intéressée au bas prix de l'avoine. C'est là une véritable erreur : les agriculteurs produisent de l'avoine en quantité suffisante pour la nourriture de leurs chevaux. Si le bas prix de l'avoine est utile à (page 552) quelqu'un, c'est aux personnes qui tiennent des chevaux de luxe, aux personnes qui habitent les villes. Ce n'est pas du tout aux habitants des campagnes.

Messieurs, je dois déclarer que je ne comprends pas le système du gouvernement, qui ne fait rien, absolument rien pour diminuer la protection accordée aux grandes industries et qui, d'un autre côté, fait tous ses efforts pour avilir le prix des céréales, pour abolir les droits qui protègent l'agriculture. L'honorable M. Moreau conseillait tantôt au gouvernement d'entrer dans la voie de la diminution des droits protecteurs de l'industrie. Il a dit que déjà quelque chose a été fait dans cette voie ; il a félicité le gouvernement d'avoir introduit dans l'adresse à la chambre une phrase qui indiquait qu'il ne consentirait pas à ce que les droits protecteurs de l'industrie fussent aggravés. Messieurs, il y a quelque chose de plus à faire, c'est de diminuer en fait ces droits protecteurs de l'industrie, et d'amener ainsi un système logique dans notre pays.

Je ne me fais pas l'apologiste du système de protection. Il me semble que cette question est ici hors de cause; car ni le droit proposé par la section centrale, ni celui qui est proposé par l'honorable M. Coomans ne constitueront une véritable protection pour l'agriculture. Pour devenir protecteur, le droit devrait être infiniment plus élevé que celui qui est proposé par la section centrale et par l'honorable M. Coomans.

Je considère ce droit comme l'équivalent ou à peu près de l'impôt que le producteur agricole paye à l'Etat.

Je concevrais le système du libre-échange, s'il n'y avait pas de frontières, si tous les peuples payaient les mêmes impôts, parce qu'alors il n'y aurait plus entre les différents producteurs que la différence qui résulte de la situation du pays où ils se trouvent et du développement qu'ils ont pu donner à leur intelligence.

Si un tel état de choses existait, la mission du gouvernement consisterait uniquement à faire des travaux d'utilité publique et en même temps à propager les lumières par l'instruction. Outre ce devoir, il en est d'autres qui incombent au gouvernement d'un pays pris isolément : ils consistent à accorder aux différents producteurs une protection égale aux sommes que ces producteurs versent au trésor à titre d'impôt.

Messieurs, pour mieux faire comprendre ma pensée, je me permettrai de me servir d'un exemple. Je suppose qu'il n'y ait de droit de douane nulle part, que partout on paye les mêmes impôts et que, par suite de la liberté de commercé, le prix d'un hectolitre de grain soit de 19 fr. sur le marché d'Anvers. S'il survient un moment où dans notre pays le système d'impôt occasionne à la production agricole une dépense nouvelle équivalente à un franc par hectolitre, il serait injuste, de la part du gouvernement, de ne pas faire payer aux céréales étrangères ce même droit d'un franc à leur entrée sur notre territoire.

Messieurs, je pourrais m'appuyer, par analogie, sur ce que vous avez fait naguère dans une autre circonstance. Ainsi, lorsqu'on France le droit de timbre sur les journaux fut aboli, on se hâta de prendre une mesure semblable en Belgique, et on avait raison....

M. Tesch. - On avait tort.

M. Thibaut. - Je répondrai à cela...On avait raison, disais-je, parce que si l'on n'avait pas pris cette mesure, le journalisme en Belgique n'eût pas pu survivre à la disposition qui avait été adoptée en France. Il fallait de toute nécessité ou frapper les journaux étrangers d'un droit de timbre ou abolir le timbre chez nous.

On avait tort, me disait tout à l'heure l'honorable M. Tesch; je serais assez disposé à partager cette opinion, si, comme conséquence, on consentait à établir un droit de timbre sur les journaux étrangers.

C'est encore par analogie des mêmes principes que la reproduction des œuvres littéraires des pays voisins, que la contrefaçon littéraire tue la littérature belge, ou l'empêche de naître; la concurrence est écrasante.

Il faut donc ou affranchir la production agricole de tous les droits qu'elle paye au trésor ou établir sur les produits étrangers un droit proportionné aux charges qui pèsent sur la production de notre pays. Or, je ne connais personne qui croie possible et praticable d'abolir l'impôt foncier, non plus que les centimes additionnels à cet impôt, au profit des provinces et des communes; je ne connais personne qui veuille réviser la loi sur les chemins vicinaux et affranchir les chevaux de l'impôt considérable dont ils sont frappés. Des calculs que j'ai cherché à rendre aussi exacts que possible, me font estimer le montant de ces différents impôts à une somme de 13,200,000 fr. Je ne parle pas des droits de mutation, succession, timbre, etc. Si la production en céréales de la Belgique est de 1,100 millions de kilogrammes (qui au prix moyen de 1835 à 1844 donnent une valeur de 275 millions de francs), il en résulte que l'impôt équivaut à 4 80/100 p. c., que le froment paye par hectolitre 92 cent. 8/10 au trésor ou 1 fr. 20 c. par 100 kilog.

Vous voyez donc que dans le droit proposé par la section centrale et par M. Coomans, il y a une part excessivement minime pour la protection.

Il me semble, messieurs, qu'outre l'adoption du droit qui est proposé, il y aurait une autre mesure à prendre en faveur de l'agriculture; ce serait d'établir un drawback à la sortie.

C'est vous dire que je combats de toutes mes forces la proposition du gouvernement qui désire conserver le droit de prohiber à la sortie les denrées alimentaires.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Nous sommes d'accord là-dessus.

M. Thibaut. - Je ne suis pas étonné de la déclaration de M. le ministre de l'intérieur ; mais je voudrais quelque chose de plus, je voudrais un drawback à la sortie des produits de notre agriculture. Remarquez qu'en frappant le blé étranger d'un droit à son entrée, vous ne faites que mettre le producteur belge sur le pied d'égalité parfaite avec le producteur étranger.

Cette égalité, vous devez la procurer au producteur indigène quand il exporte ses produits sur les marchés étrangers; il aura à lutter contre des concurrents qui ne payent rien chez nous ; vous seriez injustes si vous rendiez sa position désavantageuse en augmentant vis-à-vis de cette concurrence, ses frais de production. Je ne voudrais pas que le producteur belge supportât l'impôt qui peut le frapper dans le pays quand il exporte ses produits sur les marchés étrangers.

Permettez-moi de vous citer, pour étayer cette opinion, un passage d'un auteur célèbre, de Ricardo.

« Si, lorsqu'il existe une taxe qui s'adresse exclusivement aux productions agricoles et qui doit élever le prix du blé, on ne frappe pas de droits protecteurs l'importation des produits similaires du dehors, on commet une iniquité envers le producteur national. Pour rétablir le niveau normal de la concurrence, il faudra non seulement assujettir les marchandises importées à un droit égal, mais de plus protéger, au moyen d'un drawback équivalent, l'exportation du produit national. »

Il y a, d'ailleurs, dans la législation belge, des précédents qu'il ne faut pas se dissimuler; notamment dans la loi des sucres, vous avez accordé la décharge de l'accise à l'exportation ; vous avez fait bien plus que ce que je demande en faveur de l'agriculture; non seulement cette décharge constitue un drawback; mais elle constitue, en outre, une prime très forte.

Il me semble que la combinaison sur laquelle j'appelle votre attention aurait d'heureux effets; elle aurait des effets heureux quant au trésor, car aussi longtemps qu'il y aura en Belgique un manquant pour la production, nous obtiendrons sur le droit d'entrée, diminué de la restitution des droits de sortie, une somme équivalente à l'impôt multiplié par la quantité qui nous fait défaut. Or, d'après les calculs statistiques qui nous ont été communiqués par le gouvernement, le manquant est encore de 427,969 sacs de 100 kilogrammes.

L'adoption de cette mesure, messieurs, aurait aussi pour effet de faire que le prix des denrées alimentaires ne pourrait plus subir de fluctuations importantes; l'existence d'un droit à l'entrée préviendrait l'avilissement des prix; et, s'il ne suffisait pas, la restitution à la sortie ferait que, dans les années très abondantes, le prix ne descendrait pas à un chiffre aussi bas que nous le voyons en ce moment ; l'importation empêcherait la hausse désordonnée, comme l'exportation arrêterait la baisse excessive. Dès lors les crises alimentaires deviendraient en quelque sorte impossibles; une sécurité inconnue jusqu'à ce jour entourerait les propriétaires et les fermiers.

Vous savez que les fermiers sont souvent embarrassés quand ils font leurs baux, ils craignent l'avilissement des prix; d'un autre côté, les propriétaires peuvent raisonnablement compter que les prix des céréales se maintiendront à un taux convenable.

Si l'importation et l'exportation étaient réglées dans les termes que je viens d'indiquer, la fluctuation devenant moindre, il y aurait pour les contractants une garantie qui n'existe pas aujourd'hui; enfin les préjugés contre les propriétaires disparaîtraient, on ne pourrait plus attribuer à la prétendue cupidité des propriétaires l'élévation du prix des fermages, et à celle-ci une influence sur le prix des céréales.

Je n'ajouterai qu'un mot. Je me bornerai à rappeler au gouvernement et à la chambre le vœu qui fut émis il n'y a pas très longtemps par une assemblée réunie sous les auspices de M. le ministre de l'intérieur lui-même, et qui était composée non seulement de propriétaires et d'agriculteurs, mais encore d'industriels, de commerçants, de savants même de tous les pays. Je veux parler du congrès agricole. Je rappellerai qu'il a proclamé à l'unanimité ce principe :

« Un droit protecteur sur les céréales et sur le bétail est favorable aux intérêts de l'agriculture et n'est pas préjudiciable aux intérêts de la société en général. »

M. Lesoinne. - L'honorable M. Coomans, dans la séance d'hier, nous a fait un long panégyrique du système restrictif : il a cherché à démontrer l'influence salutaire qu’il exercerait sur le travail national. Je ferai observer à l'honorable membre que c'est cependant sous ce régime bienfaisant que nous avons vu les salaires descendre au-dessous du taux nécessaire pour la nourriture de l'ouvrier.

C'est sous ce régime bienfaisant sous lequel nous vivons en Belgique que nous avons encore, selon l'honorable M. Coomans, quatre cent mille Belges valides, qui végètent aujourd'hui dans la fainéantise.

Je livre ces faits, malheureusement vrais, aux méditations de l'honorable membre.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je demande la parole.

M. Lesoinne. - D'autres honorables orateurs, MM. de Theux et Delehaye, soutiennent le système restrictif dans le but de faire diminuer le prix des produits. Je dirai à ces honorables membres : Ou les produits ne baisseront pas, ou bien cette baisse aura lieu aux dépens du salaire de l'ouvrier.

L'honorable M. Coomans nous a tracé un tableau fort lugubre de l'établissement éventuel de la liberté commerciale dans notre pays. Je pense que ce tableau n'est pas peint avec des couleurs trop sombres pour représenter les effets du régime actuel.

(page 553) L'honorable membre, je le sais,, soutient ces doctrines avec conviction. Il a parlé aussi de Tartufes du libre-échange.

M. Coomans. - Ce n'est pas vous (

M. Lesoinne. - J'espère qu'il me rendra cette justice, que si je veux la liberté pour les produits agricoles, je la veux aussi pour les produits manufacturés.

M. de Theux. - C'est très vrai!

M. Rodenbach. - C'est une justice que tout le monde vous rend.

M. Lesoinne. - Les discours remarquables prononcés, dans les deux séances précédentes, par les honorables MM. Prévinaire et Cans, ont jeté un grand jour sur cette discussion. Les recherches laborieuses qu'ont faites ces honorables membres pour démontrer l'influence que le haut prix des denrées alimentaires exerce sur la mortalité et sur le bien-être des populations ouvrières, rendront ma tâche beaucoup plus facile. Ces recherches doivent être méditées par tous ceux qui ont à cœur l'intérêt des classes laborieuses.

Je serai donc bref dans les observations que je présenterai sur le projet de la section centrale.

Je viens m'opposer au projet de la section centrale. La majorité de la section centrale, qui ne veut se prononcer, ni pour le libre-échange, ni pour le système restrictif, propose cependant de revenir à ce dernier système en augmentant le droit à l'entrée sur les denrées alimentaires. En examinant la question, la majorité de la section centrale aurait pu se convaincre que, malgré les droits élevés dont sont favorisés la plupart des produits des autres industries du pays, les prix de ces mêmes produits sont comparativement descendus bien plus bas encore que ceux des produits agricoles; l'examen sérieux de cette question l'aurait convaincue, je pense, de l'inefficacité du système restrictif pour obtenir le résultat que l'on en attend, c'est-à-dire de faire prospérer les industries du pays. En recherchant avec attention les causes réelles de l'abaissement ou de l'élévation du prix des denrées alimentaires, on voit qu'elles dépendent principalement de l'abondance ou du manque des récoltes, et la preuve c'est que, sous le régime de la loi de 1834, les prix sont descendus plus bas encore qu'ils ne sont aujourd'hui, malgré le système d'échelle mobile alors en vigueur.

Après la loi de 1834, dans les 5 derniers mois de 1834, le prix moyen du froment fut de fr. 14 92, dans l'année 1835, il fut de fr. 14 67; en 1836 de fr. 18 38, en 1837 de fr. 16 62, et ce n'est que dans les années 1838, 1839 et 1840 qu'il s'éleva à fr. 21 17, 23 86 et 22 21 et resta successivement aux environs de fr. 20 pour s'élever de nouveau en 1842 au prix de fr. 22 16, pour descendre en 1845 à fr. 16 environ.

Le prix actuel des céréales aujourd'hui n'a pas d'autres causes, les récoltes des 1847,1848 et 1849 ont été bonnes, les récoltes de pommes de terre ont surtout été abondantes.

Ce n'est pas le grain qui est venu de l'étranger qui a fait baisser les prix en Belgique, puisque l'on exporte plus de céréales que l'on n'en a reçu; ce ne sont pas non plus les céréales venues d'outre-mer qui ont fait baisser les prix, puisque c'est de nos ports de mer que les prix sont encore le plus élevés. Et si l'on me dit que ce sont les grains venus des pays frontières, je répondrai que c'est une preuve que les prix sont donc plus bas chez nos voisins que chez nous, et que par conséquent la position de l'industrie agricole est encore meilleure chez nous que chez eux.

Si dans cet état de choses, messieurs, un droit à l'entrée ne fera pas hausser les prix des céréales, surtout si nous avons encore une récolte abondante l'année prochaine, l'adoption du projet de loi proposé par la majorité de la section centrale ne serait donc d'aucune utilité pour l'industrie agricole. Mais je dirai plus, c'est que si l'on pouvait, au moyen d'un droit à l'entrée, élever artificiellement le prix des produits agricoles, la grande majorité des agriculteurs n'en profiterait pas, car la rente de la terre s'élèverait infailliblement en proportion des bénéfices recueillis par le cultivateur, et je demanderai la permission de vous lire, à l'appui de cette assertion, quelques paroles prononcées par M. Nothomb en 1845.

En 1845, messieurs, malgré la loi de 1834, les prix étaient aussi descendus jusqu'à 16 francs environ ; comme aujourd'hui, on trouvait que la loi n'était pas suffisamment protectrice et l'on demandait d'élever le prix que l'on était convenu d'appeler rémunérateur et passé lequel les denrées alimentaires étaient libres à l'entrée.

Voici ce que disait M. Nothomb :

« De même qu'en 1834, nous avons supposé qu'il fallait considérer le prix de 19 fr. comme le prix normal rémunérateur.

« On n'est plus de cet avis aujourd'hui, on ne regarde plus le prix de 19 fr., et même le prix de 20 fr. comme un prix rémunérateur normal suffisant, on voudrait avoir comme prix rémunérateur 21 ou 22 fr., et je suis convaincu que si nous avions présenté en 1843 le prix de 21 ou 22 fr. comme prix rémunérateur, on aurait fait un tout autre accueil à ce projet; mais nous serions complètement sortis de la loi de 1834.

« Nous avons eu le tort de supposer qu'on resterait conséquent avec les bases de 1834, et que, quant au froment, on se contenterait du prix rémunérateur de 19 fr.

« Je pourrais dire à la chambre, messieurs, pourquoi on ne se contente plus du prix de 19 fr. Cette preuve résultera des mercuriales que je ferai imprimer; c'est que, pendant quatre ans, les prix ont excédé 19 fr. Quatre ans, c'est une longue période, messieurs; pendant quatre ans, on fait beaucoup d'achats, on renouvelle les baux, et naturellement les acquisitions out été faites, les baux ont été conclus d'après les données nouvelles, d’un prix excédant 19 fr. Dès lors, on est nécessairement arrivé à la base nouvelle qu'il fallait s'assurer un prix excédant 19 fr. »

Ainsi donc, messieurs, une hausse artificielle dans les prix des céréales, si on pouvait lui donner un caractère de durée, n'améliorerait pas la position des agriculteurs, outre qu'elle serait désastreuse pour les consommateurs pauvres. Ce qu'il faut pour l'agriculture comme pour toutes les autres industries, c'est de diminuer, autant que possible, ses frais de production et de faciliter ses moyens d'écoulement; or, le système restrictif a précisément le résultat contraire.

L'expérience que l'on en a faite doit être suffisante. Au lieu de favoriser les différentes industries du pays, il n'a fait que les entraver dans leur moyens de production ainsi que dans l'écoulement de leurs produits; partout la restriction vient faire obstacle aux transactions commerciales. C'est la restriction sur l'entrée des fils étrangers qui a été en grande partie cause de la décadence de l'industrie linière dans les Flandres ; les tisserands de Saint-Nicolas se plaignent de la restriction à l'entrée des fils de colon étrangers.

On nous limite les quantités de marchandises que nous pouvons recevoir par certaines voies en échange de nos produits exportés, quand on ne va pas jusqu'à les prohiber tout à fait.

On a souvent répété, messieurs, que quand les céréales se vendent à un bon prix, les salaires des campagnards sont d'autant plus élevés, la partie qu'ils affectent à l'achat d'objets manufacturés est d'autant plus grande, et par l'extension qu'elle fait donner au travail de l'ouvrier des villes, elle compense bien au-delà le tort que fait éprouver à celui-ci une élévation limitée dans le prix de son pain. Cet argument se trouve aussi dans le rapport de la section centrale. On pourrait également dire que, lorsque les autres industries prospèrent, les ouvriers vivent mieux et consomment une plus grande quantité de produits agricoles. Enfin, l'argument se réduirait à dire que, quand une industrie est prospère, les ouvriers employés à cette industrie peuvent se procurer plus facilement et en plus grande quantité les objets nécessaires à leur existence et à leur bien-être.

Je pense, toutefois, qu'on exagère les rapports des industries entre elles. Le prix élevé des denrées alimentaires est presque toujours le résultat d'une diminution dans la production, et, dans ce cas, il est bien évident que l'ouvrier des campagnes et l'ouvrier des villes souffrent également tous les deux.

Mais je dirai à ceux qui font valoir cet argument : Faisons en sorte de n'avoir dans le pays que des industries prospères, et, pour cela, débarrassons-les des entraves qui s'opposent à leur développement. On a fait un essai heureux pour les Flandres, en permettant l'introduction des fils étrangers pour la confection des toiles russias ; poursuivons l'expérience, faisons en sorte que le bon marché des produits de toutes les industries de notre pays soit le résultat de la diminution du prix de revient, et comptez alors sur l'énergie et l'activité de nos industriels de toutes les catégories pour trouver un écoulement avantageux pour leurs produits.

Car je n'admettrai jamais ni l'infériorité, ni l'incapacité des industriels de mon pays vis-à-vis de concurrents éventuels étrangers, pas plus pour les agriculteurs que pour les manufacturiers. Je demanderai à mes honorables collègues s'ils connaissent beaucoup de pays où l'agriculture soit poussée, je ne dirai pas à un plus haut degré, mais à un aussi haut degré de perfection qu'en Belgique, et s'ils me répondent qu'ils en connaissent, je leur demanderai si ce sont les produits agricoles de ces pays dont ils redoutent la concurrence.

Messieurs, il existe une opinion qui tend à s'accréditer dans les campagnes, c'est que lorsque les prix des denrées alimentaires viennent à baisser, il dépend de la législature de les relever. C'est une opinion dangereuse et qu'il importe de ne pas laisser se propager; le bon marché des denrées alimentaires est, comme je l'ai déjà, dit le résultat de l'abondance des récoltes, et cette cause agit de même pour tous les autres produits de la terre, pour les houblons, pour les graines de trèfles, pour les pommes de terre et une foule d'autres produits.

Ainsi donc, messieurs, le projet de la section centrale n'aura pas même le résultat que ses partisans en attendent en faveur de l'agriculture. Beaucoup de pétitions ont été adressées à cette chambre par des habitants des campagnes pour demander que l'on frappe d'un droit plus élevé à l'entrée les céréales étrangères. Eh bien, il faut dire la vérité aux campagnes : l'augmentation de 50 centimes que la section centrale propose d'adopter ne fera pas élever le prix des céréales si la récolte est abondante; et si la récolte vient à manquer, on supprimera le droit précisément lorsque le cultivateur aura une moindre quantité de produits à livrer à la consommation.

Je suis prêt à faire en faveur de l'agriculture tout ce qu'il est possible de faire pour lui venir efficacement en aide, en lui votant des voies de communication faciles, en dégrevant les produits étrangers dont elle peut avoir besoin, des droits dont ils sont grevés à l'entrée, en propageant l'instruction agricole, en organisant le crédit foncier qui, quoi qu'en ait dit l'honorable M. de Liedekerke, sera une fort bonne chose s'il est bien organisé.

Le seul grief qui paraisse fondé, que les partisans de l'augmentation du droit font valoir, c'est que l'on place les produits agricoles dans une position plus défavorable que celle des produits manufacturés. Eh bien, messieurs, ce grief je suis prêt à le faire disparaître, et j'appuierai toutes les propositions qui seront faites dans le but de généraliser l'application du système de liberté commerciale.

(page 554) Ne nous effrayons pas, messieurs, du bon marché des produits de nos industries, faisons seulement en sorte, je le répète, que ce bon marché soit le résultat de la diminution du prix de revient. Le bon marché des denrées alimentaires, a dit l'honorable M. Rodenbach, «a certes puissamment contribué à diminuer la misère dans notre pays, notamment dans les Flandres. Depuis que la vie est à bon compte, nos ouvriers ne meurent plus d'inanition; ils ont de l'ouvrage; ce qui manque encore, c'est que le prix de la main-d'œuvre est trop faible pour permettre au père de famille de nourrir sa femme et ses enfants. »

Ainsi, messieurs, c'est lorsque l'ouvrier est à peine échappé au danger de mourir de faim, c'est lorsque son salaire n'est pas encore suffisant pour nourrir sa femme et ses enfants, que l'on voudrait proposer des mesures pour élever le prix des denrées alimentaires! J'espère que l'honorable membre, qui a toujours soutenu avec tant de persistance et d'énergie les intérêts des ouvriers des Flandres, repoussera une mesure qui serait de nature à le replonger dans la misère dont ils sont à peine sortis, et qu'il votera avec nous pour le projet du gouvernement.

Si le prix des produits agricoles a subi depuis quelques mois une diminution assez importante, les produits de la plupart des autres industries du pays ont baissé dans une proportion encore plus considérable. Nous voyons beaucoup de hauts fourneaux éteints, des usines et des ateliers vides; mais nous ne voyons pas encore de ferme inoccupée, et j'ai la conviction que nous n'en verrons pas.

En résumé, messieurs, je repousse le projet de la section centrale, parce que je le considère comme le retour vers un système funeste au pays, aussi peu utile à l'agriculture qu'à toutes les autres industries.

Comme plusieurs honorables membres l'ont déjà dit, on ne s'arrêtera pas au droit proposé par la section centrale, et la preuve c’est ce qui s'est passé en 1845 lors de la proposition des 21. La loi de 1834 ne suffirait plus et le prix, prétendu rémunérateur, devait être porté à fr. 21 par hectolitre. Il est assez surprenant que lorsque tous les efforts des industriels tendent à fournir les produits à meilleur marché, l'on cherche constamment à faire renchérir le prix des denrées alimentaires.

Je voterai aussi contre l'article 3 qui autorise le gouvernement à interdire la sortie des denrées alimentaires ; je regarde encore cette mesure comme un sacrifice au préjugé. L'expérience a démontré à l'évidence que c'est précisément dans les pays où les denrées alimentaires sont libres à l'entrée et à la sortie que les prix sont le plus bas en temps de disette.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Messieurs, un des thèmes sur lesquels l'opposition paraît s'appuyer le plus volontiers et le plus généralement, c'est le reproche adressé au gouvernement de manquer de système dans les questions économiques, d'être au fond de l'âme libre-échangiste et de n'appliquer ses principes que dans les questions agricoles.

Que le gouvernement soit partisan de la plus grande liberté possible, de la plus grande facilité possible dans les transactions industrielles et commerciales du pays, rien de plus évident ; il ne le nie pas, il ne l'a jamais nié.

Mais que le gouvernement soit partisan de la liberté commerciale à ce point que, du jour au lendemain, il doive venir, sous peine d'inconséquence, abattre tous les tarifs, réformer radicalement tout le régime douanier sous lequel une multitude d'industries se sont élevées, messieurs, c'est là une thèse qui peut être facile pour les orateurs de l'opposition, mais qui mérite à peine une réfutation.

Le gouvernement s'est expliqué d'une manière catégorique à cet égard dans son programme du 12 août 1847. Cette partie du programme a été acceptée, nous pouvons le dire, par une grande majorité comme toutes les autres parties du programme.

En quoi consiste-t-elle ?

Le ministère ne consentira pas, disait-il, à établir des droits élevés sur les denrées alimentaires; l'échelle mobile ne sera pas relevée. Il faut à l'agriculture un autre genre de protection, une protection plus efficace; cette protection elle l'aura.

Quant aux autres produits, quant au tarif douanier en général, le ministre a déclaré qu'il n'y introduirait pas de changements inopportuns; qu'aucun droit ne serait aggravé, mais qu'il se garderait de jeter la perturbation dans les industries existantes par des changements brusques, par des changements importants inopinément introduits.

Voilà, messieurs, la ligne de conduite que le gouvernement s'est tracée; voilà la profession de foi qu'il a faite, voilà les principes qu'il a mis en avant; ces principes, il y a été fidèle, il y restera fidèle.

En ce qui concerne les denrées alimentaires, quelle était la position au mois d'août 1847? Le gouvernement avait-il à abaisser le tarif des douanes? Avait-il à substituer au régime protecteur le régime de la libre entrée? Non, messieurs; le gouvernement a trouvé la libre entrée établie. A cette époque personne ne songeait à demander l'établissement de l'échelle mobile ou de droits des élevés.

En 1848, le gouvernement ne vint pas proposer le rétablissement de l'échelle mobile. Il crut qu'il n'y avait pas de motif de sortir du régime libéral dans lequel on était entré. Il proposa de continuer pendant une année le régime libéral introduit en 1845. Le gouvernement avait proposé un droit de 10 c. La section centrale proposa 50 c. Le gouvernement se rallia à cette proposition.

Au mois de décembre dernier, nous vînmes demander la prorogation du droit de 50 c. Pourquoi, messieurs, vînmes-nous proposer encore une loi provisoire? Est-ce parce que nous nous réservions le retour à un droit élevé pour l'année 1851 ? Non, messieurs: nous vous le déclarons tout de suite; dans notre opinion, faut que le régime des céréales soit libéral, demeure libéral; et si la chambre était décidée à nous accorder comme définitif le droit de 50 centimes, nous l'accepterions avec empressement. Nous avons voulu, messieurs, que l'opinion des campagnes pût s'éclairer par une nouvelle expérience. Voilà le seul motif pour lequel nous avons proposé une nouvelle loi provisoire,

Nous savons que l'on répand dans les campagnes beaucoup de préjugés, beaucoup de préventions ; nous savons qu'il règne dans beaucoup d'esprits un épais brouillard , comme on le disait dernièrement, et nous voulions que l'expérience, que la lumière vînt dissiper ces préjugés, ces préventions, ce brouillard. Nous pensons que, surtout pour les lois qui s'adressent à des populations moins éclairées que d'autres, il importe que les réformes se fassent dans les esprits avant de passer définitivement dans la législation. Voilà pourquoi nous avons demandé une nouvelle année d'expérience au droit de 50 centimes. Ce n'est pas pour nous éclairer nous-mêmes, pour former notre propre conviction. Notre conviction est faite; elle est faite depuis longtemps, et notre conviction est acquise à un régime libéral en matière de denrées alimentaires.

Mais il paraît que cette seule proposition de maintenir le statu quo encore pour une année, après avoir jeté l'alarme, aurait jeté la détresse de tous les côtés. On vient vous dire ici de sang-froid qu'il règne une profonde détresse dans nos campagnes. On vient vous dire que 400,000 ouvriers manquent de travail ; et l'on attribue sans doute cette situation désastreuse au bas prix des céréales, au bas prix des denrées alimentaires.

Messieurs, il y a là un grand abus de mots. Voulez-vous savoir la vérité? Ce n'est pas aujourd'hui, on peut le dire, le travail qui manque aux bras; ce sont, dans beaucoup de localités, les bras qui manquent au travail. Et je n'irai pas chercher mes exemples dans les localités où le travail n'a jamais manqué ; j'irai les chercher au sein même de ces contrées malheureuses qui ont manqué si longtemps de travail, et qui, si elles respirent aujourd'hui, vous l'avez proclamé vous-mêmes, mais dans un autre esprit, si elles commencent à respirer aujourd'hui, le doivent surtout au bienfait de récoltes abondantes d'abord, et ensuite aux mesures que de commun accord, nous avons prises pour leur venir en aide.

Voulez-vous savoir, messieurs, ce que l'on pense dans diverses contrées, et notamment dans les Flandres, des effets, si fâcheux, suivant vous, d'une bonne récolte?

M. Coomans. - De deux bonnes récoltes.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - De deux bonnes récoltes, si vous voulez, si cela ne vous fait pas trop de peine.

M. de Mérode. - Deux bonnes récoltes sont deux bonnes choses.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Voici quelques extraits de rapports puisés à diverses sources. Prenons d'abord le Brabant. La chambre de commerce de Bruxelles dit :

« L'agriculture est toujours dans un état prospère, bien que deux bonnes récoltes se soient succédé et aient amené une baisse sensible dans le prix des céréales.

« Si le cultivateur n'obtient plus aujourd'hui ces prix exorbitants qui faisaient tant souffrir les classes laborieuses, il en trouve la compensation dans l'abondance de ses produits; et quelques-uns de ceux-ci, notamment les colzas, ont conservé des prix très rémunérateurs; la valeur vénale des propriétés rurales se maintient toujours à des prix élevés.

« L'excessive élévation des prix du seigle en 1847 avait presque paralysé toutes les opérations de nos distilleries; la conséquence en a été un renchérissement du bétail; depuis la réduction, elles ont commencé à reprendre leur activité qui a continué à s'accroître.

« Nos nombreux brasseurs qui avaient considérablement ralenti leurs travaux en 1846 et 1847, à cause de l'élévation du prix des céréales, qui ne leur permettait de brasser que les quantités nécessaires à l'entretien des besoins de leurs pratiques, nos brasseurs, disons-nous, avaient déjà repris leur activité en 1848 et ils l'ont augmentée depuis.»

Voilà, messieurs, les effets des bonnes récoltes et des mauvaises récoltes sur les industries agricoles.

Voici un extrait du rapport de M. le commissaire d'arrondissement de Gand :

« Deux années de disette avaient imposé aux classes laborieuses de cruelles privations. D'abondantes récoltes sont venues bientôt apporter à cette situation un premier soulagement.

« Le sort des classes laborieuses s'est trouvé directement amélioré; car l'équilibre entre les salaires et les besoins, équilibre que la disette avait rompu, est rétabli pour beaucoup de travailleurs valides; pour ceux qui ne savent plus travailler ou qui manquent de travail, le bon marché des aliments a été favorable ; car les mêmes subsides représentent aujourd'hui des secours à peu près deux fois aussi abondants que les années antérieures.

« Les céréales, après tout, ne constituent point à elles seules toute l'agriculture; les graines grasses, par exemple, sont, cette année, abondantes et à des prix élevés. On sait enfin que, dans les petites exploitations, les céréales tiennent une place relativement moins importante que dans les grandes fermes. D'un autre côté, l'abondance de la dernière récolte compense jusqu'à un certain point le peu d'élévation des prix. La même observation s'applique aux pommes de terre, dont la complète réussite constitue une ressource inespérée. »

Je n'ai pas besoin, messieurs, de faire remarquer que les adversaires d'un régime libéral en matière de denrées alimentaires, les partisans de droits élevés prétendent que tous les produits de l'agriculture consistent, (page 555) en quelque sorte, dans les céréales; ils ne tiennent pas compte de la multitude et de l'importance de beaucoup d'autres produits, et ces produits-là, cette année encore, se vendent à des prix relativement très élevés. (Interruption.) Si vous le voulez, je vous en donnerai la liste.

Voici ce qu'ajoute le même rapport :

« Le bas prix et l'abondance des denrées alimentaires sont la cause principale de l'amélioration qui s'est manifestée parmi les travailleurs dans mon arrondissement; mais à cela ne se bornent pas les changements favorables dans notre situation. »

La commission provinciale d'agriculture de la Flandre orientale émet l'opinion suivante. Elle est très courte, mais est très significative. C'est du 6 janvier 1850 :

« Nous sommes heureux de pouvoir vous annoncer que, par suite, le paupérisme a sensiblement diminué, partout où le petit cultivateur était en détresse. Encore quelques années d'abondance comme celle qui vient de s'écouler et nous le verrons se relever graduellement. »

M. de Haerne. - Cette même commission demande le droit d'un franc.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Nous parlerons du droit ailleurs.

Je sais, messieurs, que quelques comices agricoles, et je les en félicite, ils ont été institués d'abord pour s'éclairer eux-mêmes, ensuite pour éclairer les chambres et le gouvernement sur les besoins de l'agriculture, je sais, dis-je, que quelques comices agricoles ont émis le vœu d’une augmentation de droits sur les céréales étrangères. Ils ont eu sans doute des motifs pour cela ; je n'attaque l'opinion de personne; je crois toutes les opinions consciencieuses. Mais il est d'autres comices qui ont émis un avis contraire, et je produirai celui du comice de Thielt, un des districts qui méritent le plus particulièrement l'attention de la chambre :

« Dans sa séance du 13 de ce mois, la société d'agriculture de l'arrondissement de Thielt a délibéré sur la question des céréales. Elle a décidé qu'il n'y a pas lieu à provoquer une majoration de droits d'entrée comme mesure de protection en faveur de l'agriculture. Une hausse anormale des prix des céréales amène ou maintient une hausse anormale des baux. Quand elle est simplement factice, elle ne profite réellement pas à l'agriculture et elle peut nuire considérablement à l'industrie manufacturière qui a besoin de pouvoir soutenir la concurrence avec les autres pays. »

Messieurs, je ne voudrais pas abuser de vos moments en multipliant ces citations, qui ont cependant leur signification, mais j'ai besoin de répondre à ces cris de détresse jetés dans cette enceinte depuis le commencement de la discussion.

J'ai dit que je puisais mes exemples dans les contrées mêmes où l'on pouvait supposer que cette détresse sévissait avec le plus d'intensité. Je vais faire une dernière citation pour prouver comment on apprécie les effets des récoltes abondantes dans ces provinces.

M. de Mérode. - Personne ne nie l'utilité de l'abondance.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je démontrerai qu'on nie les bienfaits de l'abondance, que ce qui afflige les partisans de droits élevés, c'est précisément l'abondance. (Interruption.)

On n'a pas épargné les paroles dures aux théoriciens du régime libéral; loin de moi de faire aucune espèce de personnalité, mais mon intention n'est pas non plus d'épargner les théories contraires. (Interruption.) Vous êtes entraînés nécessairement dans cette conclusion, que les récoltes abondantes sont un malheur pour le pays. (Interruption.)

M. le président. - N'interrompez pas. Ce n'est pas là une discussion.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Cela viendra. Je rencontrerai ce point dans la discussion.

Voici donc, messieurs, l'avis d'un corps consultatif parfaitement désintéressé dans la question. J'entends parler de la commission médicale provinciale de la Flandre occidentale; elle s'exprime en ces termes :

« La ville de Bruges et son arrondissement se trouvent dans l'état le plus satisfaisant sous le rapport de la santé publique. Nous ne connaissons point de localité qui, pour le moment, soit en proie à quelque maladie.

« La santé publique de l'arrondissement de Fumes se trouve dans la situation la plus avantageuse. Le nombre des malades y est extrêmement restreint parmi les ouvriers et les pauvres.

« Les arrondissements de Courtray, Roulers et Thielt ont également subi l’influence bienfaisante des conditions meilleures que la Providence a accordées. La situation hygiénique des populations y laisse beaucoup moins à désirer; l'abondance et le bas prix des substances alimentaires, le travail occupant beaucoup de bras, ont fait disparaître de cette contrée cette désolante misère qui naguère encore couvrait les routes de bandes affamées...

« Ypres et son district ressentirent aussi amèrement que d'autres parties du pays les effets de la crise de 1847-1848; mais en 1849, on vit disparaître ces routes de mendiants et de malheureux succombant de faim. Les conditions sanitaires de la population s'améliorent au point que partout le typhus a cessé, que le choléra est resté à distance, et que les maladies ordinaires de la saison sont moins fréquentes.

« C'est pour nous un grand bonheur, M. le gouverneur, de pouvoir vous tracer enfin un tableau moins sombre de la santé publique dans la province confiée à nos soins. Grâce à deux récoltes abondantes, grâce aux efforts intelligents du gouvernement pour ranimer l'industrie et stimuler l'agriculture, notre beau pays peut envisager l'avenir avec espoir et confiance. Le succès obtenu jusqu'à présent encouragera le gouvernement à persévérer dans la voie d'amélioration et de perfectionnement. »

Messieurs, ce dernier rapport rappelle la situation malheureuse par où avaient passé les populations flamandes dans ces dernières années. A l'absence de travail avait succédé l'absence d'aliments; la disette des pommes de terre, la mauvaise récolte qui suivit, les maladies ne tardèrent pas à sévir sur ces populations, et vous vous rappelez comment, même déjà avant le choléra, la mortalité les frappait. Le choléra est venu depuis; la crise financière a succédé à la crise alimentaire; la crise politique a succédé à la crise financière. Mais il paraît, aux yeux de certains de nos adversaires, que ce n'était pas assez que tout cela : la crise financière, la crise politique, la disette, le typhus, le choléra; il nous était réservé un dernier malheur, à leurs yeux, une dernière catastrophe, qui devait jeter le pays dans cette détresse où l'on se plait à le dépeindre; il nous était réservé de passer...par quoi? Par une nouvelle disette? Non, messieurs ; mais de passer par une année d'abondance. Voilà le comble des catastrophes ; voilà le couronnement de tous ces châtiments que la Providence semblait avoir réservés à notre pays. (Interruption.)

Oui, messieurs, c'est ici où toute votre argumentation aboutit, où votre opposition vous mène; oui, messieurs, voilà les conséquences que vous êtes forcés de déduire des bienfaits d'une abondante récolte. (Nouvelle interruption.)

Chaque fois que vous gémirez sur le bas prix des denrées alimentaires, vous gémirez nécessairement sur les conséquences des abondantes récoltes. Ce sont les deux termes d'un système qui s'enchaînent d'une manière invincible.

Là où il y a abondance, il y a bas prix dans les denrées, aussi bien dans l'ordre agricole que dans l'ordre industriel.

La denrée devient-elle plus rare, les prix se relèvent. Y a-t-il abondance dans le pays, toutes vos lois qui tendent à repousser les blés étrangers sont parfaitement inutiles; elles ne repoussent rien, car les céréales étrangères ne viennent dans le pays qu'à des époques où le pays en a besoin, et lorsqu'elles peuvent se placer à des prix avantageux. Mais lorsque le pays produit beaucoup de céréales, que les céréales s'y vendent à bas prix, les céréales étrangères n'y viennent pas, ou y viennent seulement en si petites quantités que leur introduction dans le pays ne peut exercer d'influence sur les prix.

Si donc vous désirez une hausse dans les prix des céréales, vous êtes logiquement amenés à vouloir que, dans le courant de l'année 1850, les denrées alimentaires ne soient pas produites en aussi grande abondance qu'en 1849; car il est évident que si nous avons de nouveau une récolte abondante vous aurez, et je m'en félicite, quant à moi, bien sincèrement, vous aurez les denrées alimentaires à bon compte; et toutes vos lois, toutes vos précautions ne parviendront pas à faire que le prix de l'hectolitre, qui vaut aujourd'hui 16 fr., vaille 20 fr., si l'année prochaine la récolte est abondante.

Vous êtes partisans de ce que vous appelez le prix rémunérateur; eh bien, je ne demande pas mieux que le travail de tout citoyen belge soit suffisamment rémunéré. Le prix rémunérateur du travail, ce serait la réalisation du rêve de tous les philanthropes passés, présents et futurs. Le prix rémunérateur du travail, c'est ce qu'à travers mille violences de langage ou d'action recherchent ceux qu'on désigne aujourd'hui sous le nom de socialistes et de communistes.

Vous voulez assurer aux producteurs de céréales 20 francs par hectolitre, 400 fr. par hectare cultivé. Fort bien! Mais si, par une magnifique invention parlementaire, vous parveniez à fabriquer de ces lois qui assureraient infailliblement au producteur de céréales 20 fr. par hectolitre; pour être justes, conséquents, il faudrait appliquer le même procédé à tous les autres producteurs à commencer par l'ouvrier agricole; il faudrait lui assurer la rémunération de son travail à lui; à quel taux la fixera-t-on? Sera-ce à 50 centimes, à un franc, à un franc 50 c? Il serait utile d'y songer; aujourd'hui, vous le savez, quel que soit l'état des récoltes, elles ont beau être abondantes, très abondantes, le salaire ne change pas. Y a-t-il disette, le salaire ne change pas non plus ou, s'il change quelquefois, c'est pour subir une réduction.

Que ceux qui jettent trop légèrement à la tête des partisans de la liberté en matière de denrées alimentaires, les accusations de communisme, de socialisme, et qui demandent en même temps que la loi assure, garantisse aux producteurs des céréales un prix rémunérateur de 20 fr. par hectolitre de froment, que ceux-là, dis-je, jettent les yeux sur eux-mêmes; ils verront qu'ils sont plus près du socialisme et du communisme que leurs adversaires.

Ce qu'ils poursuivent, c'est un but auquel je rends hommage; mais ce but qu'ils poursuivent et la manière dont ils le poursuivent, est une pure illusion, une pure chimère qu'ils ne parviendront pas à réaliser. Nous n'en (page 556) sommes pas à nos premiers essais; depuis 1830 nous avons passé par beaucoup d'expériences. Les intentions de tous les protecteurs nés de l'agriculture, avaient toujours été d'assurer ce prix rémunérateur de 20 francs par hectolitre. Quand ce but a-t-il été atteint? Consultez le relevé des mercuriales depuis 1834, elles vous répondront que ce prix a fait défaut sept fois en dix ans.

Avant d'aller plus loin, il n'est pas inutile de jeter un moment les yeux sur le passé.

Savez-vous ce qui est nouveau en Belgique? C'est l'établissement de droits à l'entrée des céréales. Sous le régime ancien, sous le régime autrichien, qui passait pour avoir quelque sympathie pour l'agriculture, on lui a même reproché d'avoir fait la Belgique exclusivement agricole, il n'était pas question sous ce régime de prohiber l'entrée des grains étrangers en Belgique, mais on prohibait les grains belges à la sortie. Les gouvernements d'alors, plusieurs étaient paternels, de quoi se préoccupaient-ils avant tout? De l'alimentation du peuple ; ils ne parvenaient pas toujours à l'assurer, mais ils voulaient assurer du moins aux populations les bienfaits des récoltes de leur pays, ils gênaient l'exportation de ces récoltes en vue d'en réserver le bienfait exclusif à leurs populations. Voilà ce que ces gouvernements, dans leur aveuglement paternel, faisaient. Jamais il n'a été question de prohiber l'entrée des grains étrangers; une pareille politique aurait été trouvée très peu paternelle.

C'est pour la première fois, en 1814, que les denrées alimentaires ont été assujetties à des droits d'importation. En 1822, on a établi un droit de fl. 7-50 par last (30 hectolitres) ; ce droit ne parut pas suffisant aux partisans des tarifs élevés, à ceux qui voulaient garantir à l'agriculture belge ce prix rémunérateur de 20 francs qu'on atteint rarement, qu'on dépasse quelquefois, mais qu'on ne parvient pas à maintenir deux années de suite : il fallut leur donner une satisfaction ; en 1826, le droit fut porté à fl. 11-75 les mille kilogrammes.

Arrive 1830, cette grande époque d'épanouissement où toutes les libertés du pays firent si généreusement, si largement proclamées en même temps que l'ordre était si heureusement, si énergiquement maintenu; que fait le gouvernement provisoire, lui pénétré des intérêts nouveaux qui venaient de s'éveiller? Il abolit la loi néerlandaise, il proclame la liberté d'entrée pour les denrées alimentaires, il n'étend pas cette liberté à tous les produits industriels, et personne ne vient lui dire qu'il manque de logique, de système. Le pays dans son bon sens, distingue très bien entre les produits nécessaires à la vie humaine et les autres produits ; donc cette liberté est proclamée aux applaudissements généraux sans que personne demande de l'étendre aux autres produits industriels. Cette liberté dure trois ans.

Y a-t-il eu avilissement des prix pendant ce régime? Non, les prix se sont maintenus pendant ces trois années, bien que la liberté fût restreinte par la défense d'exportation. Voici quelle était la situation des céréales en Belgique : les grains étrangers entraient librement, les grains belges ne pouvaient pas sortir; malgré cette double concurrence que les grains belges se faisaient et recevaient des grains étrangers, on les a vus se maintenir à un prix élevé comparativement aux taux qui suivirent.

En 1830, l'hectolitre de froment se vend 20 fr. 27 ; en 1831, toujours sous le régime de la liberté, 22 fr. 74; en 1852, encore sous le régime de la liberté, 20 fr. 91 ; vient alors l'année 1833; on fit cette année un retour au régime de 1826.

J'étais venu alors en qualité de ministre proposer un droit de 2 francs 50 centimes par 1,000 kilogrammes. J'eus le malheur de succomber dans cette demande, et la chambre, malgré moi, vota le retour pur et simple à la législation de 1820. Ce fut un commencement de triomphe pour les prohibitionnistes.

Je n'attache aucune idée défavorable à cette qualification, de même que nos honorables adversaires ne prétendent pas, je pense, nous injurier en nous qualifiant de free traders.

M. Coomans. - Non certainement.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - On pourrait croire que ce retour pur et simple à la législation de 1826 a satisfait momentanément, pour quelque temps, les prohibitionnistes. Loin de là. Dès 1834, sous prétexte d'inondation du pays par les céréales étrangères, sous prétexte de détresse des campagnes, perdant entièrement de vue les trois années de prix élevés obtenus sous le régime de la libre entrée des céréales, on vint proposer cette loi, devenue fameuse, du 31 juillet 1834, laquelle, je me plais à le rappeler, fut votée contre mon gré, et ne fut pas contre-signée par moi; je combattis, étant ministre, et soutenu seulement par quelques amis fidèles. La proposition à laquelle donna son nom l'honorable M. Eloy de Burdinne, cette proposition devint loi; on en attendait le plus grand effet; les prix allaient se relever comme par enchantement; les campagnes allaient prospérer; le pays allait cesser d'être inondé par les céréales du nord et du midi de la Russie.

Quels furent les effets delà loi ?A partir de 1834, voici le prix de l'hectolitre :

En 1834 15 fr. 86 c., en 1835 14 fr. 07 c. et en 1836 15 fr. 58 c.

Voilà les trois années qui suivirent le régime dit de l'échelle mobile.

Lorsque les prohibitionnistes virent de pareils résultats, ils se dirent: N'avons-nous pas été joués ! Nous ne sommes pas arrivés à notre but. L'hectolitre n'a pas atteint ce prix mystique de 20 francs qu'il nous faut obtenir à tout prix. Que firent les prohibitionnistes? Ils songèrent à renforcer leur procédé. La prime de 37 fr. 50 c. par mille kilog ne suffisait pas. On se dit : Si, au lieu de 37 fr. 50 c, nous demandions 75 fr., peut-être finirions-nous par atteindre ce prix rémunérateur de 20 fr. qui nous échappe sans cesse.

Je ne dis pas même que quelques-uns n'aient pas rêvé un prix plus élevé, ne se soient pas dit qu'ils pourraient, sans gêner le pauvre peuple, arriver au prix de 22 fr.

Ceci se passait au commencement de 1845. C'étaient absolument les mêmes cris de détresse qu'on avait poussés en 1834, et qu'on fait entendre encore aujourd'hui, autant que possible, mais avec moins de chances de succès, car nous sommes devenus plus forts. La minorité a singulièrement grandi.

Dans l'accès d'un patriotisme agricole et rural, on s'écria l'agriculture n'en peut plus, il faut absolument lui venir en aide. Vingt et un membres font cette grande proposition, devenue fameuse.

Cé fut alors que la Providence, qui n'avait jamais cessé d'avoir l'œil sur la Belgique, vint donner un avertissement aux prohibitionnistes, et semble leur dire : il est temps de vous arrêter; prenez garde à de pareils excès. Ils ne peuvent amener dans le pays que perturbation, gêne, calamité.

Mais la leçon fut bien dure, il faut l'avouer. Un produit agricole, dont, jusque-là, on ne soupçonnait pas toute l'importance, au point de vue de l'alimentation publique, vint à manquer, et de là un désastre général. C'était à qui fuirait devant les conséquences de la proposition. Il n'en fut plus question. Le sénat vint en aide aux auteurs de la proposition en introduisant, comme lénitif, comme calmant, comme correctif, une proposition beaucoup plus anodine. Mais la disette marchait à grands pas et il ne fut plus question ni de l'une, ni de l'autre. Depuis lors, les deux propositions dorment profondément dans les bas-fonds du parlement belge. Qu'elles y reposent en paix!

La crise alimentaire durait encore en 1847. Aussi, lorsque le gouvernement nouveau vint déclarer qu'il ne rétablirait pas l'échelle mobile, qu'il ne rétablirait pas les droits élevés pour les denrées alimentaires, nul, dans cette enceinte, nul ne vint attaquer comme insuffisante cette partie du programme ministériel. Le silence de tout le parlement la sanctionna. Nous pouvons invoquer ce silence; car il y avait alors contre le ministère une opposition plus forte qu'aujourd'hui. On se tut alors sur cette partie du programme ministériel; on se tut à la suite de la révolution de février; on se tut pendant une partie de l'année 1848. Les prohibitionnistes ne commencèrent à relever la tête, timidement d'abord, que vers la fin de 1848, lorsque nous vînmes proposer de continuer le régime libéral pour les denrées alimentaires, pendant une année, afin d'éclairer par l'expérience ceux qui avaient besoin d'être éclairés.

Dans la section centrale, se manifesta une opinion en faveur du droit d'un franc. Mais, dans cette chambre, un honorable théoricien, un honorable orateur professant les maximes du système prohibitionniste, voulut aller au-delà des propositions de la section centrale. Plein de confiance dans ses théories prohibitionnistes, il proposa un droit plus considérable. Mais la chambre repoussa tout ce qui dépassait le chiffre peu modéré de 50 c. J'espère que la majorité restera fidèle à ce premier vote.

J'espère en outre que si le droit de 50 centimes venait à être proposé comme droit définitif, elle s'associerait également à cette proposition. Car, nous aussi, nous voulons la stabilité. Nous voudrions que cette question, comme toutes les autres questions importantes qui agitent trop souvent le parlement, fût définitivement réglée; qu'on n'eût pas à revenir chaque année sur de pareilles questions. Sous ce rapport, nous aurions été les premiers à proposer 50 centimes comme droit définitif, si, je le dis encore, nous n'avions pas eu à cœur d'éclairer les esprits par une nouvelle expérience, de tâcher de faire comprendre, avant de la faire entrer définitivement dans la loi, que la réforme introduite dans notre tarif douanier en ce qui concerne les céréales, n'était pas de nature à nuire aux intérêts des campagnes. Voilà le seul motif pour lequel nous avons encore proposé une loi provisoire. Mais si l'on veut nous l'accorder à titre définitif, nous l'accepterons bien volontiers.

Messieurs, ce que nous combattons surtout dans ce moment, ne nous y trompons pas, ce n'est pas la minime différence, tranchons le mot, qui existe entre la proposition de la section centrale et la nôtre .Ce n'est pas pour 50 centimes par 100 kil. qu'il faudrait nous passionner et prolonger pendant de longues séances ces débats. Ce qui est au fond du débat, ce n’est pas 50 centimes, c'est tout un système ; c est le système libéral en présence du système prohibitionniste, ou soi-disant protectionniste. Voilà la question. Je le répète, s'il ne s'agissait que d'une différence de 50 centimes, vous regretteriez vous-mêmes de vous occuper si longtemps d'une pareille question. Aussi la section centrale, lorsqu'elle propose son franc au lieu de 50 centimes, ne le propose pas comme droit définitif Ce n'est pas le dernier mot de sa pensée; c'est un acheminement vers un régime plus prohibitif. C'est le premier pas du retour vers un régime regretté par quelques-uns. Voilà pourquoi surtout nous combattons vivement les conclusions de la section centrale. La majorité veut un régime de protection, elle veut un régime restrictif à l'entrée des céréales ; elle ne veut que cela. (Interruption.)

Messieurs, je ne crois pas que la majorité de la section centrale et que ceux qui l'appuient soient partisans de la liberté commerciale en tout et pour tout, et je pense qu'ils seraient fort embarrassés, si, les prenant au mot, on venait proposer d'affranchir des droits tous les produits étrangers.

M. Coomans. - Essayez!

(page 557) M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Demander l'abolition des tarifs, ce peut être de la tactique; mais cela ne constitue pas une proposition sérieuse. Je dirai à mon tour à ce fier théoricien qui hier adressait des paroles si superbes à mes honorables amis : Vous voulez de la liberté commerciale en tout et pour tout ; eh bien, mettez le gouvernement dans l'embarras; faites une proposition; agissez; ne vous renfermez pas dans ce mutisme, faites une proposition, nous l'examinerons.

En attendant, messieurs, je tiens à faire connaître que le gouvernement est resté fidèle à tout ce qu'il a promis. Il n'a pas promis au pays, et en définitive il n'a pas promis à la majorité qui le soutient dans cette enceinte, l'abolition immédiate de tous les droits de douane ; il n'a pas été assez insensé pour faire une pareille promesse. J'ai rappelé ce qui a été dit : pas de majoration de tarif; il n'y a pas eu de majoration de tarif.

Il est vrai qu'on a invoqué hier un droit de sortie sur les étoupes. On est bien heureux d'avoir rencontré les étoupes sur son chemin. Mais qu'est-ce que c'est que ce droit? Qu'est-ce que prouvent ici toutes les mesures prises pour les Flandres?

Je n'hésite pas à le dire, ce sont des mesures exceptionnelles, essentiellement temporaires. Est-ce que j'ai jamais préconisé comme principe les primes accordées à la sortie de certains produits ? Est-ce que j'ai jamais préconisé les primes directes, accordées à la fabrication de certains produits?

Non, messieurs; mais dans la position exceptionnelle où se trouvaient les Flandres, dans les circonstances exceptionnelles que nous ont faites les événements de 1848, nous avons employé cet expédient temporaire. Nous avons accordé des primes à la sortie des tissus de coton et des toiles ; nous avons accordé des primes directes à la fabrication de certains produits. Nous avons cherché à créer, sous le patronage du gouvernement, des produits nouveaux dans les Flandres; nous avons cherché à perfectionner les produits anciens.

Il paraît qu'on veut bien reconnaître, que jusqu'à un certain point la bonne récolte aidant, la Providence aidant, nous aurions réussi. Mais invoquer, messieurs, ces mesures exceptionnelles, ces mesures locales, temporaires, les invoquer contre nous, pour dire que nous manquons à notre programme, que nous protégeons les uns et que nous ne protégeons pas les autres, c'est évidemment manquer d'exactitude, pour ne rien dire de plus.

Messieurs, dans la voie même où nous sommes entrés, nous avons fait tout ce que la prudence nous disait de faire. Nous n'avons pas consenti à aggraver notre tarif et nous l'avons modifié dans un sens libéral.

Nous avons adopté des principes plus libéraux pour l'introduction des matières premières, et parmi ces matières premières devaient figurer, au premier plan, les denrées alimentaires. Nous avons introduit, dans la loi de transit, des dispositions extrêmement libérales. La loi de transit n'est pas acceptée par tous les industriels. Il ne leur convient pas que les produits étrangers qui peuvent faire concurrence aux leurs sur les marchés des autres pays, passent facilement par la Belgique. Il leur conviendrait davantage que notre pays les repoussât et que les produits étrangers, obligés de suivre une route plus coûteuse, ne pussent arriver sur les marchés étrangers aux mêmes conditions que les produits belges.

Sous ce rapport, les modifications libérales introduites dans la loi de transit sont des innovations que je ne considère pas comme hostiles aux industries manufacturières, mais qu'on ne peut pas dire protectrices de ces industries. Je ne pense pas qu'aujourd'hui la loi de transit, telle qu'elle est faite, ait son modèle, son égale dans aucune autre partie du monde.

M. Coomans. - Nulle part. Elle est beaucoup trop libérale pour l'étranger.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Sauf cependant une exception, mais exception qui ne déplaira pas à l'honorable M. Coomans: c'est celle qui concerne le bétail étranger.

Messieurs, dans le même ordre d'idées, nous avons proposé et la chambre a bien voulu voter une loi non moins libérale pour l'introduction des machines, cette autre matière première, qu'il faut avant tout, pour l'industrie, obtenir à bon compte. Mais il y a dans le pays des fabricants de machines et de mécaniques qui trouvent mauvais que nous recevions libéralement les machines et les mécaniques arrivant de l'étranger. Cela ne nous a pas empêchés d'introduire dans notre tarif une réforme libérale pour cette matière.

Une autre mesure, messieurs, importante au point de vue de l'industrie, c'est l'application que nous avons commencé de faire, et que nous continuerons de faire, de l'article 40 de la loi sur le transit. En vertu de cette loi, le gouvernement est autorisé à permettre l'introduction en entrepôt de matières premières étrangères, à la condition de réexportation sous la forme fabriquée. C'est une mesure, messieurs qui est de tradition commerciale dans le pays et qui a été appliquée sous le régime autrichien. Il n'en est pas moins vrai que ceux qui fabriquent des produits similaires n'aiment pas que l'étranger puisse ainsi leur faire concurrence. Lorsque les fils de lin et de coton sont convertis dans le pays même en tissus qui iront faire concurrence à nos propres tissus, il y a là quelque chose qui gêne nos fabricants. Cependant nous n'avons pas hésité à prendre cette mesure en ce qui concerne les fils de lin, et nous somme occupés à la prendre pour les fils de coton.

Nous continuerons à appliquer ainsi l'article 40 de la loi sur le transit, et, pour citer un autre exemple de ce qu'a fait le gouvernement, je dirai que voulant éclairer les industriels qui, eux aussi, ont besoin d'être éclairés dans ces questions, où on les nourrit souvent de préventions et de préjugés, le gouvernement a commencé, M. le ministre des finances, à ma demande, a commencé par faire l'application de l'article 40 à un produit dans lequel un de ses proches parents se trouve personnellement intéressé. Je veux parler des fils de fer que nous permettons d'introduire en franchise de droits à la condition de les réexporter sous la forme de clous.

Voilà, messieurs, ce que nous avons commencé de faire, ce que nous continuons de faire, mais avec prudence, par gradation, et non pas, quoique l'on fasse pour nous y pousser, par des changements brusques dont aucun de vous ne peut vouloir sérieusement. On peut les demander par tactique parlementaire, je vous reconnais ce droit ; je vous, applaudis même d'y avoir recours, ce n'est pas un mauvais moyen; mais vous n'accepteriez jamais, comme mesure définitive et sérieuse, ce que vous demandez.

On nous a cité l'exemple de l'Angleterre, l'exemple de sir Robert Peel, auprès duquel on a bien voulu obligeamment dire que nous nous plaçons.

Loin de nous, messieurs, une pareille prétention. Nous respectons depuis longtemps les grands hommes d'Etat que l'Angleterre a le bonheur de posséder. Nous respectons depuis longtemps sir Robert Peel, bien qu'il appartienne à un parti qui n'est pas le nôtre ; mais ce sentiment de respect s'est changé en admiration quand nous l'avons vu à l'œuvre, et je ne conçois pas comment ceux qui viennent ici prôner l'efficacité des droits prohibitifs invoquent l'exemple de sir Robert Peel, sans craindre que ce nom ne leur brûle la langue.

Sir Robert Peel a professé aussi les doctrines protectionnistes, il les a pratiquées bien longtemps. Trois ans encore avant cette grande réforme, qui sera le commencement d'une ère nouvelle de prospérité pour son pays, trois ans auparavant, sir Robert Peel, en plein parlement, combattait encore la proposition d'un droit fixe. Les whigs, qui alors étaient retombés dans l'opposition, mais avec la dignité que savent toujours conserver les partis en Angleterre, les whigs demandaient un droit fixe. Sir Robert Peel répondait :« Vous ne l'aurez pas; j'ai rendu l'échelle mobile plus libérale; cela suffit. » Et en effet, en 1842, sir Robert Peel, s'amendant déjà un peu, avait apporté une échelle mobile plus libérale que celle de 1828. Mais en 1846, sir Robert Peel, répudiant généreusement et glorieusement ses antécédents, venait, en face de l'Angleterre, en face de l'Europe, en face du monde, proclamer qu'il s'était trompé, renier ses erreurs passées, avancer qu'il avait de grands devoirs à remplir, que les hommes d'Etat de l'Angleterre devaient avant tout se préoccuper de l'alimentation du peuple, que désormais les denrées alimentaires seraient acquises sans droits à la population de la Grande-Bretagne.

Voilà, messieurs, l'exemple qui nous a été donné par ce noble chef du parti conservateur. Oh ! je n'ai qu'un regret, c'est qu'un pareil exemple ne rencontre pas ici des imitateurs. J'admettrais bien volontiers qu'il restât dans votre parti quelque vieux duc de Buckingham, mais, je vous prie, pourquoi quelques-uns d'entre vous, pourquoi, vous surtout de la jeune école, craindriez-vous de vous associer aux réformes économiques de l'Angleterre, comme nous nous sommes associés aux réformes politiques dont ce grand pays avait aussi donné le signal au monde. (Interruption.)

M. le président. - La parole est à monsieur....

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je n'ai pas fini, M. le président. J'en ai encore pour assez longtemps, mais je me sens un peu fatigué.

- Plusieurs membres. - A demain!

- La séance est levée à 4 heures et demie.