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Chambres des représentants de Belgique
Séance du jeudi 21 novembre 1850

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1850-1851)

(Présidence de M. Verhaegen.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 86) M. Ansiau procède à l'appel nominal à 1 heure et un quart.

La séance est ouverte.

M. de Perceval donne lecture du procès-verbal de la dernière séance ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M Ansiau fait connaître l'analyse des pièces suivantes.

« Le sieur Nicolas Schmitz, propriétaire à Anvers, né à Hochdorff (Bavière), demande la naturalisation ordinaire. »

- Renvoi à M. le ministre de la justice.


« Les délégués des sociétés de littérature flamande, réunis à Gand, demandent que la chambre vote au budget de l'intérieur une pension ou du moins un subside annuel, en faveur de la veuve du poète flamand Van Ryswyck. »

« Même demande de la société Tael-en-Kunst de Saint-Nicolas. »

M. de Perceval. - Je propose le renvoi de ces pétitions au rapporteur chargé du travail sur le budget de l'intérieur. Déjà une semblable décision a été prise par la chambre au sujet d'une pétition qui demandait qu'une pension fût accordée à la veuve du poête Van Ryswyck.

- Cette proposition est adoptée.


« Le sieur Masquelin appelle l'attention de la chambre sur ses pétitions, concernant l'assiette de la contribution personnelle, et demande que l'article 4 de la loi budgétaire du 29 décembre 1831 soit rapportée. »

- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le budget des voies et moyens.


« Les membres du conseil communal de Caeskerke prient la chambre de rapporter, ou du moins de modifier la loi du 3 avril 1848, concernant les dépôts de mendicité. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le conseil communal de Bruxelles prie la chambre de se prononcer sur l'abrogation ou le maintien du décret impérial du 19 janvier 1811, concernant les enfants trouvés ou abandonnés, de réviser la loi du 30 juillet 1834, et d'établir une règle uniforme pour toutes les provinces. »

- Même renvoi.


M. le président. - M. le ministre des finances nous a fait parvenir des amendements au projet de budget des voies et moyens présenté dans la session dernière, avec observations à l'appui. Je propose l'impression et la distribution.

- Cette proposition est adoptée.

Projet de loi portant le budget du ministère des affaires étrangères de l’exercice 1851

Discussion du tableau des crédits

Chapitre VII. Commerce, navigation, pêche

Discussion générale

M. le président. - La discussion continue sur le chapitre VII, commerce, navigalion, pêche.

M. de Brouwer de Hogendorp. - Messieurs, je n'entraînerai pas la chambre dans un débat économique qui ne doit conduire à aucun résultat.

Si j'ai demandé la parole hier, c'est pour répondre à l'honorable M. Dumortier.

Messieurs, je me félicite de la qualification que m'a donnée l'honorable M. Dumortier. Cet honorable membre, dont l'exagération va toujours croissant, me qualifiait, au mois de février dernier, de socialiste ; hier il m'a qualifié de théoricien, il y a dans cette qualification un décroissement tout à fait en dehors des habitudes de l'honorable membre. Je l'en remercie.

Théoricien, dit-il. Mais, messieurs, cette qualification ne m'effraye pas. Ce qui m'effrayerait, c'est d'être qualifié de praticien de l'école de l'honorable M. Dumortier.

Qu'est-ce que c'est que la pratique de l'honorable M. Dumortier ? Messieurs, ce système a été mis en application depuis 35 ans, et qu'est-ce qu'il a produit ? Peut-on dire que les ressources industrielles de la Belgique se sont développées comme elles auraient pu se développer ? Quelle est la situation actuelle de l'industrie cotonnière ? Cette industrie disait ne pouvoir vivre, au premier abord, que sous le régime de la protection. Accordez-nous, disait-elle, la protection pendant quelques années, et au moyen de la protection que vous nous accorderez, nous ferons des progrès ; dans peu d'années nous serons à même de rivaliser avec nos concurrents.

Eh bien, messieurs, en 1817, on a accordé à l'industrie cotonnière une protection, mais cette protection ne lui a pas suffi pour vivre. Annuellement cette industrie a fait entendre les plaintes les plus vives, et d'augmentation de droits en augmentation, on en est venu à la législation de 1843, qui, sur certains produits, établit un droit de 190 p. c.

Quant à l'industrie linière, qu'est-ce que le système prôné hier par l'honorable M. Dumortier a produit ? Ce système, vous le savez, messieurs, a produit la misère des Flandres. (Interruption.) Oui, messieurs, la misère des Flandres a été produite par votre système et non par ma théorie. Qu'avez-vous fait, vous M. Dumortier, vous, M. de Haerne ? Vous avez fait naître dans les populations des illusions funestes. Vous avez maintenu les populations dans l'ancienne voie ; vous avez déclaré que l'ancienne industrie linière était bonne et que la nouvelle était un météore qui disparaîtrait...

M. de Haerne et M. Dumortier. - Jamais !

M. de Brouwer de Hogendorp. - C'est ce que disaient les comités bniers, et vous avez été, M. de Haerne, un des membres qui ont le plus prôné ces comités. Vous êtes venu demander à la chambre des secours pécuniaires, vous êtes venu demander la protection. Eh bien, qu'est-ce que tout cela a produit ? La misère. Voilà ce qui a été créé par votre système, pas autre chose.

L'honorable M. Dumortier disait hier : Tout ce dont votre industrie a besoin, ce sont des facilités d'exportation. Nous produisons, disait-il, à aussi bon marché et aussi bien que les autres.

Eh bien, si vous produisez à aussi bon marché et aussi bien que les autres, pourquoi alors la protection que vous soutenez ? Mais, messieurs, la protection doit avoir pour effet d'augmenter le prix du produit pour le consommateur belge. Si la protection n'a pas cet effet, elle est un non sens. De quel droit demandez-vous une protection pour une industrie, si cette industrie produit à aussi bon marché et aussi bien que l'industrie étrangère ? Mais, messieurs, je n'ai jamais entendu un argument plus puissant que celui-là en faveur du système du libre échange. Si l'industrie de la Belgique produit à aussi bon marché et aussi bien que les industries étrangères, je dis que vous commettez une injustice à l'égard de tous les consommateurs.

L'honorable M. Dumortier disait encore : « Je suis l'ami des primes. Il faut accorder des primes à notre industrie afin qu'elle trouve des placements sur les marchés étrangers. »

De quel droit, demanderai-je encore à l'honorable membre, l'industrie réclamerait-elle le privilège d'être favorisée par des primes, si cette industrie produit aussi bien et à aussi bon marché que les industries rivale ?

L'honorable M. Dumortier me traitait de socialiste dans une autre occasion....

M. Dumortier. - Jamais !

M. de Brouwer de Hogendorp. - Vous m'avez traité de socialiste dans la discussion de la loi des céréales....

M. Dumortier. - J'ai traité vos principes de socialistes.

M. de Brouwer de Hogendorp. - A mon tour, je dirai à l'honorable membre que, s'il a cette opinion, à savoir que notre industrie produit aussi bien et à aussi bon marché que l'industrie des autres nations, et que néanmoins il demande des primes pour notre industrie ; je dirai qu'il prône le système communiste.

Messieurs, ainsi que j'ai eu l'honneur de vous le dire, les deux arguments de l'honorable membre sont tout à fait en faveur du système que je défends dans cette enceinte. Si l'honorable membre consent à diminuer la protection qu'il réclame si injustement, d'après son propre aveu, dans l'intérêt de l'industrie, je lui accorderai pour son industrie autant de commis voyageurs qu'il y en a pour le vin de Bordeaux ; je croirai que la dépense que l'Etat fera, sous ce rapport, sera toujours moins grande que la perte qui résulte actuellement pour les consommateurs du système de protection.

« Mais, dit l'honorable membre, je suis le défenseur du travail national ; vous, vous êtes le défenseur du travail étranger. »

Messieurs, ce qui m'engage surtout à défendre, dans cette enceinte, un principe plus libéral, c'est l'intérêt que je porte au travail national. Notre population s'accroît journellement ; l'état de nos classes ouvrières n'est certes pas très enviable ; elle n'est relativement bonne que pour les ouvriers des industries les moins protégées, de l'industrie drapière, par exemple, qui est prête, comme l'a dit notre honorable collègue, M. David, au système de protection. Je crois qu'en entrant dans une nouvelle voie, en abandonnant le système de la protection exagérée, nous parviendrons beaucoup mieux à alimenter le travail national que ne l'a fait jusqu'à ce jour le système de l'honorable membre.

Si l'honorable M. Dumortier m'avait accompagné pendant les vacances, non pas pour feuilleter des livres où il prétend que j'ai exclusivement puisé mes principes économiques, mais pour faire une excursion en Angleterre ; s'il était venu étudier avec moi, pour les comparer aux nôtres, les ressources industrielles de ce pays ; s'il avait visité avec moi l'habitation des ouvriers anglais, s'il avait assisté avec moi à leurs repas, s'il les avait vus dans leurs ménages, examiné leur ameublement, leurs vêtements, l'honorable membre ne viendrait plus soutenir, dans cette enceinte, la bonté de son système ; il verrait que, dans ce pays, où l'on a adopté un système différent du nôtre, la condition de l'ouvrier est bien différente de ce qu'elle est chez nous. Son cœur, comme le mien, se serait rempli de tristesse, en comparant ce bien-être à l'état de nos travailleurs de Gand et des Flandres.

Ce n'est pas la malheureuse pitance dont parlait hier l'honorable M. Rodenbach qui échoit la à l'ouvrier. L'ouvrier y est nourri, il y est logé, y est habillé comme le sont chez nous les rangs inférieurs des classes moyennes.

Messieurs, l'on me taxe souvent d'exagération, l'on veut faire croire (page 87) que je défends dans cette enceinte un principe absolu. Permettez-moi de m'expliquer une bonne fois sur l'étendue du système que je défends.

Je ne demande pas, croyez-le bien, messieurs, que l'on vienne abaisser tout d'un coup toutes nos barrières ; je ne veux pas jeter la perturbation dans nos industries. Je veux que l'on entre dans une autre voie pour l'industrie manufacturière, je veux que l'on marche dans la même voie que celle dans laquelle on est entré quant aux denrées alimentaires. Il ne faut pas que ce principe soit appliqué à l'industrie agricole seule, ce serait une injustice grave, car si nous avons admis que ce principe est la vérité, il doit être vrai pour l'industrie manufacturière comme pour l'industrie agricole.

Nous ne devons pas adopter dans cette enceinte une législation de classes. Je veux que ce principe soit appliqué à l'industrie manufacturière comme à l'industrie agricole, et j'espère que le ministère entrera dans cette voie ; mais j'espère qu'il n'y entrera qu'avec la plus grande prudence. Il ne faut pas que l'industrie manufacturière soit exposée à de trop fortes secousses. Il faut que l'on commence par abaisser progressivement les droits. Je suis persuadé que c'est là pour nos industries le seul moyen de salut. Je crois qu'en adoptant ce système nous serons bénis un jour, tandis que si nous continuons à soutenir le système de l'honorable membre, l'avenir de la Belgique sera fortement exposé.

M. Dumortier. - Messieurs, si quelque chose pouvait répondre à l'accusation d'exagération que m'a si singulièrement lancée le préopinant en commençant son discours, ce serait le discours tout entier qu'il vient de prononcer, ce seraient les manifestations toujours empreintes d'exagération que l'honorable membre se plaît à débiter dans cette enceinte. Quant à moi, je le déclare, je ne m'appesantirai pas à répondre à cette accusation, ni à réfuter le libre échange. Ce que je veux avant tout et ce que nous devons tous vouloir, c'est de ne nous occuper que du travail national et non pas de vaines théories ; laissons les théories dans les chaires, dans les universités, dans les écrits ; mais quant à nous, nous avons un tout autre mandat à remplir. Nous devons nous occuper de la prospérité des fabriques, de l'existence de nos ouvriers, et ce n'est point en abandonnant notre pays à la merci de l'étranger, que nous remplirons le mandat pour lequel nous sommes appelés ici.

Aussi, messieurs, voyez quelle est la contradiction dans laquelle l'honorable membre est tombé. Il vous dit que nous ne produisons pas à aussi bon marché que les autres. Hier il disait : Produisez à aussi bon marché que l'Angleterre, et on viendra s'approvisionner chez vous. Il dit que l'étranger produit à meilleur marché que nous, et en même temps il prêche le libre -comme notre unique sauveur, et veut lever les barrières qui protègent notre industrie contre l'industrie étrangère, il veut permettre aux produits étrangers d'envahir nos marchés.

M. de Brouwer de Hogendorp. - J'ai dit le contraire.

M. Dumortier. - C'est là votre système ; mais vous reculez vous-même devant son application ; et en reculant devant l'application de votre système, vous en proclamez la fausseté. En effet, si, comme vous le dites, nous produisions plus cher que l'étranger et qu'on mît en application le principe du libre-échange, quel en serait le résultat ? Ce serait la suppression du travail national, l'envahissement de nos marchés par les produits de l'étranger. Je répète que l'honorable membre est tellement convaincu de la fausseté de son système, qu'il n'ose pas en demander l'exécution.

Ainsi, il ne faut pas s'amuser et perdre son temps à répondre à des choses qui n'ont pas de chance d'exécuiion. Les questions à la discussion desquelles se livre l'honorable membre sont purement théoriques ; je reconnais combien sont ingénieuses les considérations qu'il présente, mais je l'engagerai à les réserver pour en faire l'objet de livres, ou de brochures, ou de prédications, tout en le prévenant cependant que quand il prêchera ses théories en Belgique, il prêchera dans le désert.

Ici nous avons autre chose à faire que de nous occuper de vaines théories ; nous devons nous occuper des intérêts du pays, nous devons faire en sorte que la situation du pays soit de plus en plus florissante, que le travail de nos ouvriers soit assuré.

Que vient de dire l'honorable préopinant ? Que le système que je préconise, le système de protection avait produit la misère dans le pays. Or je vous le demande, n'est il pas complètement inexact de dire que le pays est dans la misère ? La prospérité du pays, voilà le vrai, et cette prospérité est due à notre système. Il y a eu, il est vrai, une crise momentanée qui s'est fait senlir surtout dans les Flandres ; elle a été due à la coïncidence fatale de trois événements : la découverte de la filature à la mécanique, l'élévation des droits sur le marché français et le manque de céréales et de pommes de terre, la disette de 1846.

Voilà la cause de la crise momentanée que nous avons à déplorer ; mais les Flandres se sont relevées avec la plus admirable énergie le jour où la Providence est venue à leur aide, bien autrement que le ministère, en leur donnant de belles moissons, de belles récoltes.

La coïncidence des trois causes dont je viens de parler n'existant plus, les Flandres se sont relevées, mais il ne faut pas perdre de vue que les débouchés qu'elles possédaient autrefois leur échappent, il faut en chercher de nouveaux.

Nous ne pouvons plus beaucoup compter sur l'augmentation de nos exportations de nus produits manufacturés dans les marchés de l'Europe ; en France, les barrières tendent à s'élever de plus en plus.

Il en est de même en Allemagne ; tous les pays qui nous environnenut tendent de plus en plus à repousser nos produits. Or, il est incontestable que la Belgique est constituée de manière à produire plus qu'elle ne peut consommer ; si vous n'avez pas de débouchés, vous aurez pléthore, l'industrie souffrirait de pléthore et le travail des ouvriers serait suspendu.

Je réponds à cette occasion à M. le ministre des affaires étrangères, qui m'a représenté comme exposant nos relations vis-à-vis de l'étranger en présentant la situation vraie du pays.

Je demanderai à M. le minisire des affaires étrangères s'il croit, dans son âme et conscience, que les ministres de France et de Prusse ne connaissent pas aussi bien que lui l'état de la Belgique. Ils savent parfaitement ce qui en est ; ce n'est pas en nous taisant sur ce point que nous améliorerons la situation. Loin de moi la pensée de jeter un cri de détresse ; telle n'a été ni ma pensée, ni la conséquence de mes paroles ; tout ce que j'ai fait s'est borné à dire au gouvernement : Voilà le danger ; prenez des mesures pour y parer.

Eh bien, c'est justement ce que je disais hier. Quelle que soit l'opinion que l'on se fasse sur les traités de commerce, toujours est-il qu'ils ont créé des intérêts. Dans quelques années, nous ne pouvons espérer le maintien des traités au moyen desquels il est incontestable que des débouchés nous ont été concédés. Le jour où nos débouchés nous seront retirés, avons-nous quelque chose pour les remplacer ? Voilà la question. Ce quelque chose, n'est-ce pas tout ce qui est propre à faire connaître à l'étranger les produits de notre industrie ?

En Belgique, nous fabriquons à meilleur marché qu'ailleurs ; c'est incontestable. Voyez en effet avec quel soin les Etats qui nous environnent s'opposent à l'envahissement de nos produits. Là est la preuve complète, irréfragable que nous fabriquons à meilleur marché qu'ailleurs, et pourtant nos voisins, qui produisent à des prix plus élevés que les nôtres, exportent dans les pays transatlantiques, et nous, qui produisons à meilleur marché, nous ne pouvons exporter.

Où est la cause de la différence ? Vous avez entendu ce que disait hier l'honorable M. Cumont. La France exporte annuellement pour 40 millions de toiles, et nous pour un million seulement. Je crois que ce sont les chiffres qu'a dits hier mon honorable collègue.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Il y a des erreurs.

M. Dumortierù. - Mon honorable collègue saura prouver l'exactitude de ses chiffres. Je n'en doute pas.

La France exporte donc 40 fois plus que nous. Cependant nous produisons à meilleur marché qu'elle.

Il y a plus : une grande partie des produits qu'exporte la France sont des produits belges qui payent à l'entrée en France des droits énormes. Ainsi la France reçoit de nos toiles, bien qu'elles payent dans ce pays le droit énorme de 34 p c. Donc nous fabriquons à meilleur marché. Comment, fabriquant à meilleur marché et exportant en France où nous payons 34 p. c, n'exportons-nous pas directement dans les pays transatlantiques ?

Là est le nœud de la question. Là est le point qui se rattache au budget en discussion : c'est que nous ne sommes pas connus dans les pays transatlantiques, c'est que chez nous ni les hommes ni les capitaux n'ont pris cette direction. C'est qu'il n'est pas exact de dire, comme le fait l'honorable député de Malines, fabriquez à aussi bon marché que vos voisins, et vous vendrez autant qu'eux. Il faut encore que nous fassions connaître nos produits à l'étranger. Comment ferons-nous connaître nos produits à l'étranger ? Il n'y a que deux moyens : ou par la voie du gouvernement, ou par la voie de l'industrie privée. Je ne veux pas m'opposer à l'un ni à l'autre ; je les accepte tous deux. Mais, je le déclare, l'action par l'industrie privée est infiniment plus efficace que par le gouvernement même. C'est ce que je disais encore hier. Que faut-il pour pousser un pays dans la voie des exportations ? Il faut faire connaitre ses produits à l'étranger ; il faut que les capitaux prennent leur direction vers l'étranger.

Il y a deux ans on n'exportait pour ainsi dire aucun produit manufacturé à l'étranger. Aujourd'hui, l'on commence à le faire. Mais pourquoi a-t-on commencé à exporter ? A cause des primes qui servent d'alléchement à l'exportateur. La prime détermine à faire une première exportation ; comme il y a bénéfice, on rachète et l'on rachète encore.

Ainsi l'avantage produit par les primes a été immense, puisque ce sont elles qui ont ouvert la voie de l'exportation vers les pays transatlantiques, que vous y avez poussé et les hommes et les capitaux des armateurs.

Je le disais ; il y a deux moyens : la voie par le gouvernement ; la voie par l'industrie privée. Je ne veux supprimer ni l'une ni l'autre. Mais je dis et je répète que l'action par l'industrie privée est infiniment préférable à celle du gouvernement, sans pourtant que je veuille m'opposer à celle-ci.

Or, dans l'action de l'industrie privée, quel est le moyen le meilleur pour amener les exportations dins les pays transatlantiques où nous n'exportons pas, pour amener l'industrie privée à marcher ? Evidemment c'esl le système des primes. Car celui qui veut exporter touche la prime, ; plus il exporte, plus il touche de prime. Ainsi vous intéressez l'industrie privée, l'armateur, les ports de mer à faire connaître nos produits a l'étranger. Et ne vous y trompez point, l'armateur qui expédie est plus intelligent que le gouvernement pour faire connaître les produits de notre sol.

C'est donc aux armateurs que la prime doit être accordée, et sous ce rapport, je le répèle, je verrais avec infiniment de peine, maintenant surtout que nous n'avons fait que commencer d'entrer dans cette voie, (page 88) maintenant que nous sommes à la fin des traités commerciaux avec l'étranger, que l'on en vînt à la suppression des primes ; suppression qui aurait probablement pour résultat d'affaiblir nos exportations à l'étranger dans un moment où elles vont nous être plus nécessaires que jamais.

Messieurs, quelle est à peu près la marche de l'industrie en Belgique ? Si vous l'examinez dans son ensemble, il est un fait incontestable, c'est que l'industrie est instituée de telle manière qu'elle fournit principalement à la consommation du pays.

Tout cela est à merveille aussi longtemps que le pays est dans la prospérité et dans l'aisance. Mais qu'une crise européenne arrive, qu'il survienne le moindre événement qui arrête la vente à l'intérieur, voilà tous vos ouvriers sans travail, et vous voilà dans la nécessité de leur donner du pain, de leur donner à vivre.

Si au contraire vous aviez des débouchés transatlantiques à l'abri de toutes les commotions européennes, vous aurez toujours du travail, vos populations ouvrières ne seront jamais dans la misère, vous pourrez alors entretenir chez elles la moralité et la nourriture.

Il est donc nécessaire que par tous les efforts possibles on arrive à ce résultat d'imiter nos voisinS, de chercher, comme eux, des exportations transatlantiques ; et de tous les moyens qu'on puisse imaginer, le meilleur sans aucune comparaison, celui qui est en rapport avec l'industrie, qui est en rapport avec les armateurs, avec les négociants, avec les exportateurs, c'est le système des primes. Hors de là, vous n'arriverez, je vous le prédis, à aucun résultat, comme tous les efforts tentés depuis 1830 jusqu'au jour où vous avez donné des primes n'ont mené à aucun résultat. Nous avons dépensé des millions, nous avons dépensé des sommes énormes pour arriver aux exportations, jamais vous n'y êtes parvenus. Mais du jour où vous avez commencé à donner des primes d'exportation, vous y êtes immédiatement parvenus.

C'est donc le système qu'il faut suivre, et j'engage vivement le gouvernement à le suivre dans l'intérêt de notre industrie intérieure et dans l'intérêt du commerce d'Anvers.

M. Coomans. - Messieurs, l'honorable M. Rogier ne paraît pas comprendre qu'on puisse discuter les intérêts nationaux et examiner sévèrement les budgets sans l'intention préconçue de guerroyer contre les ministres. Il a l'habitude d'accueillir nos remarques sous l'empire de préoccupations personnelles qui trahissent la croyance où il est que nous critiquons systématiquement ses actes et menaçons sans cesse son portefeuille.

Je proteste, messieurs, contre cette supposition (injurieuse pour nous et trop fière pour lui) qui se produit tantôt comme une insinuation, tantôt comme une accusation formelle. Faites-moi l'honneur de le croire, messieurs, je ne suis pas venu m'asseoir sur ces bancs pour y goûter le mince, le facile, le triste plaisir de vexer les ministres. Mes intentions sont plus pures, mon but est placé plus haut.

Si l'on pense que nous nous faisons illusion au point de vouloir renverser des hommes dont une majorité nombreuse et compacte se déclare à chaque instant satisfaite, on se livre à une crainte puérile. Si l'on feint seulement de nous redouter, si, par tactique, on transforme toutes les questions d'affaires en autant de querelles politiques, on fait quelque chose de pis.

De grâce, occupons-nous un peu moins de nous et un peu plus de la nation dont nous sommes les mandataires. Tout le monde y gagnera, nous des premiers.

Que m'a donc répondu hier l'honorable ministre quand j'ai signalé le gaspillage des deniers publics en primes de toute nature, et demandé jusques à quand ce système ruineux, condamné par son langage, par la science et par l'expérience, dominerait notre organisation industrielle et commerciale ? Il m'a dit que la plupart des primes ont été établies par mes amis, et que celles qui l'ont été depuis trois ans seront peu à peu diminuées et supprimées.

La première explication ne me satisfait point, et la seconde guère. J'espère justifier l'insuffisance de toutes les deux.

D'abord, si mes amis out pratiqué le système des primes locales et personnelles, est-ce une raison pour que je m'en déclare partisan ? Est-ce une raison surtout pour que les chefs d'une politique nouvelle marchent dans les mêmes voies ? Ai-je juré,ici ou ailleurs, d'approuver tout ce qui s'est fait depuis 1830 ? Ai-je jamais cru, ai-je jamais dit que mes amis fussent doués d'infaillibilité ? Où sont les amis infaillibles ? L'honorable M. Rogier en a-t-il ? Qu'il nous le dise, s'il l'ose.

L'argumentation ad hominem, dont l'honorable ministre se sert si volontiers, aurait quelque valeur, non contre mes idées, mais contre ma personne, s'il pouvait démontrer que j'ai jamais approuvé ce que je combats à présent. Or, il n'obtiendra pas même ce léger avantage.

J'ai toujours été l'adversaire des primes en vigueur. Dès lors n'est-il pas étrange qu'on vienne m'objecter en faveur du maintien de ces primes la participation qu'y ont eue mes amis ? Si ce n'est toi, ce sont les frères, me dit-on comme moyen déclinatoire. Mais, messieurs, cet argument est celui du loup, qui ne passe point, dans la république des bêtes, pour le type de la logique et du libéralisme. Si mes frères ont quelque peu troublé jadis les eaux limpides du libre échange, est-ce un motif pour que les vôtres croquent nos brebis rurales déjà suffisamment tondues par la prime manufacturière et commerciale ?

Mais voyous si mes amis sont aussi coupables qu'on le prétend afin de se faire absoudre par comparaison.

Ils ont accordé, je le sais, des primes notables à notre marine par les droits différentiels ; à l’industrie linière, par le traité avec la France qui n’est en réalité qu’une prime de 1,500,000 fr. ; à la métallurgie, par le traité avec le Zollverein ; à l’industrie en général, par la douane ; plusieurs industries spécialement par la fondation d'écoles et d'ateliers modèles, par la distribution d'instruments perfectionnés, etc. Ils ont fait tout cela, mais ils ont agi logiquement et localement d'après le principe qu'ils professaient. Ils protégeaient également l'agriculture par l'échelle mobile et par les droits prélevés sur le bétail exotique.

Leur conduite était rationnelle et juste, même dans ce qu'elle pouvait offrir d'exagéré. Leurs actes s'accordaient avec leur langage. Mes honorables adversaires ne peuvent pas en dire autant aujourd'hui.

Ceux-ci ont professé le principe du libre-échange et pratiqué, étendu en fait le système de la protection jusqu'aux limites où il devient injuste et ruineux. Les libre-échangistes ont conserve toutes les primes existantes, sauf la prime agricole, et y ont ajouté d'autres primes que rien ne justifie. Ainsi, aux primes de sortie pour les toiles, les cotons et les laines, ils ont joint des millions à distribuer à titre de subsides locaux et individuels ; ils ont augmenté la prime que l'industrie et le commerce trouvent dans l'avilissement du transport par chemin de fer, et récemment encore ils ont accordé une forte prime à l'exportation des houilles.. Cette aggravation du système des primes est d'autant plus inique, qu'elle a coïncidé avec le libre échange des céréales. Elle fait à l'agriculture,, c'est-à-dire aux quatre cinquièmes des Belges, une situation insoutenable, contre laquelle je ne cesserai pas de protester.

Jamais, je le répète à haute voix, le système des primes locales et personnelles n'a fleuri en Belgique comme depuis trois ans, depuis que nous avons des libre-échangistes pour gouvernants. Je puis même dire qu'il n'y a pas de pays en Europe où l'Etat distribue tant de primes sous tant de formes différentes. Ce système serait mauvais alors même que les primes d'encouragement seraient accordées aux plus dignes, par la voie du concours. Mais quand elles tombent arbitrairement des mains ministérielles avec une telle profusion que des fils de millionnaires eux-mêmes en attrapent une partie ; quand on confie à un ministre, même le mieux intentionné du monde, le droit de remettre à quelques hommes le montant des contributions de plusieurs centaines de pauvres ménages, je n'hésite pas à signaler cette politique comme radicalement vicieuse.

J'en appelle à la bonne foi, au bon sens de mes honorables adversaires : la théorie du libre échange, proclamée si solennellement dans cette enceinte, n'est-ellc pas une véritable mystification, quand elle n'empêche pas ce monstrueux abus des primes, et qu'on l'applique seulement à l'agriculture, c'est-à-dire à la majorité des Belges traitée en minorité vaincue.

Franchement, messieurs, il m'est impossible d'y voir autre chose. Remarquez, je vous prie, que la ville de Gand, par exemple, qui jouit, pour sa principale industrie, d'une prime protectrice de 60 à 70 p. c. à l'entrée et d'une prime de 10 p. c. à la sortie ; et dont les honorables députés se récrient si haut, quand nous demandons une prime de 5 à 6 p. c. pour le blé et le bétail ; remarquez, messieurs, que cette même ville de Gand prélève sur le pain belge, le pain de ses ouvriers, et sur la viande sortie de nos propres étables, un impôt trois fois plus élevé que celui que nous réclamons contre le blé et le bétail exotique. Remarquez en outre que nos honorables adversaires ne critiquent pas cet état de choses, et qu'ils en acceptent leur part de responsabilité en s'abstenant, non d'en demander mais d'en poursuivre efficacement la réforme.

On se croit quitte envers les beaux principes qu'on préconise en disant qu'on ne les viole que provisoirement ; mais d'année en année, ce provisoire dure et s'envenime. J'ai l'honneur de déclarer à la chambre, que si les primes décrétées depuis trois ans sont maintenues après le 1er janvier 1851, je rédigerai la proposition formelle d'allouer des primes provisoires, je dis provisoires par respect pour les principes, à l'exportation de notre bétail et au défrichement de nos bruyères.

Je prendrai cette initiative avec d'autant plus de confiance que je serai soutenu encore cette fois par l'honnorable ministre de la justice, dont la loyauté m'est garante qu'il ne nous refusera pas, sur le banc où il siège, le puissant appui qu'il me prêta sur le banc où je me trouve.

En résumé, messieurs, le meilleur parti que nous ayons à prendre est de ne conserver qu'une seule prime, celle de la douane, et d'abolir toutes les autres. Justice nous sera ainsi rendue. Le trésor y gagnera beaucoup et la moralité publique encore davantage. Je voterai désormais avec M. de Brouwer, M. Cans, M. Lesoinne, M. Prévinaire, M. de Brouckere, M. Pirmez et d'autres honorables collègues, contre toutes les primes dont ils se réservent sans doute l'honneur de demander bientôt la suppression.

Avant de finir, messieurs, souffrez que je prévienne une objection que le cabinet ne manquera pas de me faire. Il dira que la protection efficace, promise à l'agriculture par le programme du 12 août, lui a été accordée, sous forme d'encouragements scientifiques et honoraires, d'écoles, d'expositions, de livres et de médailles. Messieurs, loin de moi de nier ce qu'il y a d'utile dans les mesures administratives prises par l'honorable M. Rogier. Plusieurs sont bonnes et produisent des résultats satisfaisants, quoique souvent on en ait fort exagéré l'influence. Mais les industries manufacturières ne jouissent-elles pas des mêmes avantages ? N'ont-elles pas, elles aussi, des écoles spéciales, des expositions, des médailles, des bibliothèques, et cependant sont-elles disposées à renoncer à la protection douanière ? Demandez-le aux honorables députés de nos villes manufacturières, et vous verrez avec quelle éloquence ils s'escrimeront pour le maintien des primes qu'ils dédaignent tant en principe, (page 89) et combien ils trouveront insuffisante la compensation que leur offrirait la protection administrative.

Messieurs, depuis deux ans nous discutons vivement sur la distinction à établir entre la théorie et la pratique, entre les théoriciens et les praticiens, comme le disait tout à l'heure l'honorable M. de Brouwer. Eh bien, il y a un moyen facile de résoudre le problème, de lever cette difficulté. C'est que les honorables membres, qu'on qualifie de théoriciens, se fassent praticiens à leur tour. Je me joins à mon honorable ami M. Dumortier, pour convier les théoriciens de cette assemblée à formuler sérieusement leurs idées, à présenter un projet de loi complet, ou tout au moins le commencement d'une réforme dans le sens de leurs idées. Les honorables MM. de Brouwer, de Brouckere, Cans, Lesoinne, Prévinaire, etc., peuvent être assurés qu'ils me trouveront moins éloignés d'eux qu'ils ne le pensent peut-être.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Messieurs, j'ignore absolument quelle circonstance, m'a valu l'espèce de mercuriale par laquelle l'honorable préopinant a commencé son discours. La chambre me rendra la justice de reconnaître que, dans la discussion d'hier, je n'ai adressé de récrimination à personne.

Un grand tournoi s'est ouvert dans cette chambre, dans lequel on a échangé de part et d'autre des théories d'économie politique. Je n'ai pas pris part au débat, je me suis borné à dire très modestement deux mots qui consistaient en ceci : on se plaignait du gaspillage organisé par le système des primes ; j'ai dit que les partisans des primes ne siégeaient pas au banc des ministres. Je ne pense avoir offensé personne, ni M. Coomans ni ses amis, en disant cela. J'ai ajouté que des primes temporaires avaient été accordées par le gouvernement actuel en raison des circonstances exceptionnelles où nous nous étions trouvés. Je faisais allusion aux primes que le ministère a établies en faveur de l'industrie des cotons et des lins.

Voilà, messieurs, ce que je me suis borné à dire dans la séance d'hier, et je répète que je n'ai rien avancé qui soit de nature à exciter l'humeur de qui que ce soit et en particulier de l'honorable M. Coomans, comme dans cette circonstance je n'ai pas vu dans les discours qui ont été prononcés la moindre tentalive d'envahir le banc ministériel.

M. Coomans. - J'en suis incapable sous tous les rapports.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Pourquoi pas ? Si vous croyez vos doctrines utiles, nécessaires au bonheur du pays, vous devez faire tous vos efforts pour les faire triompher, pour les réaliser et les faire passer de l'état de théorie à l'état pratique.

Si, messieurs, cette discussion devait aboutir à un résultat, si nous étions en présence d'un projet de loi, je concevrais que le gouvernement pût y prendre une part un peu plus considérable. Mais jusqu'ici, je le répète, je ne vois qu'un échange de théories. Les uns citent des faits, les autres en opposent d'autres.

Il est seulement une chose à regretter, : c'est que ceux qui citent des faits, pour ce motif qu'ils sont des hommes plus pratiques, devraient s'attacher à ne citer que des faits parfaitement exacts.

Or, c'est ce qui n'est pas arrivé dans la séance d'hier. lI y a eu beaucoup d'erreurs commises ; il serait trop long de les relever. Mais un fait constant, c'est que nos exportations, pour lesquelles on s'est vivement ému, ont subi depuis plusieurs années un mouvement ascendant, un accroissement incontestable dans toutes les branches. Voilà un fait constant que des chiffres réels démontrent chaque jour.

Ainsi, en ce qui concerne les toiles, hier, on s'est grandement trompé en annonçant le chiffre d'un millon de francs comme résumant l'exportation totale des produits de l'industrie linière.

M. Rodenbach. - On n'a pas dit cela.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Ce chiffre a été cité par un honorable industriel et répété par un honorable membre.

M. Rodenbach. - On a parlé des exportations transatlantiques.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Si l'on a entendu parler de certaines contrées transatlantiques, on a pu avoir raison. Mais on a parlé de l'exportation totale des produits liniers.

M. Cumont. - Lisez le Moniteur.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - C'est dans le Moniteur que je le vois.

Vous dites : « Nous avons exporté en tout pour un million de francs. Je le répète, nous n'exportons que pour un million de francs. »

M. Cumont. - Lisez ce que j'ai dit précédemment : je parlais des contrées transatlantiques.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Il est évident, messieurs, que si nos exportations linières diminuent du côté de la France, elles augmentent vers les autres contrées, et l'augmentation est constante. L'important, c'est que nos produits se placent ; et ce qui n'est pas moins important, c'est que l'induslrie puisse varier ses débouchés, afin de ne pas être esclave d'un seul marché.

Ainsi, messieurs, en ce qui concerne les toiles, les 4/5, en 1835, s'exportaient vers la France, tandis qu'en 1850 près des deux tiers de nos toiles s'exportent ailleurs qu'en France. En 1835, l'exportation de nos toiles ailleurs qu'en France, en Allemagne et dans les Pays-Bas, n'atteignait que le chiffre de 80,000 kil., l'exportation de nos toiles aujourd'hui vers, d'autres contrées, s'élève à 400,U00 kilog.

Ces faits, messieurs, sont d'un haut intérêt pour la Belgique ; il est du plus haut intérêt pour un pays, je le répète, de ne pas être astreint à envoyer tous ses produits sur un seul et même marché.

Maintenant, messieurs, si l'ensemble de nos exportations de tissus de lin a diminué depuis un certain nombre d'années (et cette diminution remonte déjà à un temps éloigné), il faut reconnaître que pour tous les autres, tissus de laine, tissus de coton, l'augmentation est considérable.

Messieurs, je serai court et je n'invoquerai que des chiffres officiels.

En ce qui concerne les tissus de laine, autres que les draps, d'après le dernier relevé du Moniteur, que j'ai en mains, relevé dont les chiffres ne peuvent pas être contestés, voici quel a été le mouvement des exportations :

Pendant les 9 premiers mois : de 1848, 22,128 ; de 1849, 37,843, de 1850, 57,689.

Pour les tissus de laine (draps, casimirs et étoffes similaires), les chiffres sont les suivants :

Pour les 9 premiers mois : de 1848, 513,928 ; de 1849, 531,491 ; de 1850, 676,204.

Pour les tissus de coton la même progression existe. L'exportation a été :

Pendant les 9 premiers mois : de 1848, 606,532 ; de 1849, 789,894 ; de 1850 : 969,748.

Je ne parle, messieurs, que des tissus. Si je vous citais les autres produits, armes, clous, verreries, zinc, vous verriez que le mouvement de nos exportations s'accroît d'année en année, d'une manière tout à fait remarquable, et il serait étrange qu'un pareil mouvement fût nié dans cette enceinte, lorsqu'il frappe l'attention des pays étrangers. Je lisais, il y a quelques jours, dans un journal sérieux de Paris, un article relatif au commerce extérieur de la Belgique. Voici, messieurs, quelques passages de cet article :

« Nous constations dernièrement que les importations et les exportations de notre commerce étaient en progrès. Nous nous félicitons de pouvoir en dire autant de nos voisins les Belges, ou plutôt nous devons remarquer que le mouvement des échanges suit, en ce pays, une marche plus assurée et accuse un travail plus actif, plus considérable que chez nous. C'est ce qui résulte évidemment des documents publiés par le ministre des finances de Belgique, pour les opérations commerciales effectuées jusqu'au 1er novembre du présent exercice.

« Enfin les fortes exportations de sucre raffiné, de sel raffiné, de cigares, de tissus de coton et de laine, de livres, de cristallerie, de verre à vitre, de zinc, montrent que l'industrie belge est aujourd'hui très active, très ocupée dans ses parties les plus vivaces, et que ce pays, grâce à ses institutions comme à son haut bon sens politique, s'est heureusement soustrait aux langueurs, aux défiances qui chez nous compriment encore l'élan et troublent la sécurité des entreprises commerciales, pour lesquelles il n'est ni force ni durée sans la certitude du lendemain. »

Messieurs, vous voyez les encouragements qu'on donne à la Belgique en lui rendant hommage, il ne faut donc se laisser aller ni à des langueurs, ni à des défiances. Il ne faut pas accuser le système économique suivi en Belgique d'effets déplorables qui n'existent pas. Si nous voulions juger le système d'après les résultats constatés, nous pourrions le proclamer excellent ; car jamais à aucune époque l'activité industrielle du pays n'a été aussi grande qu'elle est maintenant. Il peut y avoir langueur dans quelques branches ; mais l'ensemble est satisfaisant. Jamais soit l'exportation, soit le travail intérieur ne se sont présentés sous un jour plus favorable.

M. Rodenbach. - C'est le système protecteur que vous préconisez.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - On s'est rejeté sur la situation de l'industrie agricole : on a lancé une accusation contre la dernière loi relative aux denrées alimentaires. Je ne pense pas que l'intention de la chambre soit de recommencer une discussion sur les principes qui dominent cette loi. Mais, sans vouloir récriminer, je ne puis laisser sans réponse ce qui a été dit par certains orateurs, chez qui il semble qu'il y ait parti pris de venir présenter l'agriculture comme l'objet d'hostilité du gouvernement, ou tout au moins comme ne partageant pas les faveurs du budget, au même degré que l'industrie. D'après ces honorables membres, on accorderait des primes à l'industrie manufacturière : on n'en accorderait aucune à l'industrie agricole. Tout au plus accorderait-on à celle-ci certains honneurs, et des solennités.

Voilà à quoi l'on veut bien réduire le rôle du gouvernement vis-à-vis de l'industrie agricole. Cependant s'il est en Belgique une industrie qui reçoive des primes, des encouragements directs de la part du gouvernement, c'est l'industrie agricole. C'est pour elle que les sommes les plus considérables sont dépensées au budget de l'Etat.

Ainsi, pour ce qui concerne le budget de l'intérieur, je rappellerai les allocations destinées à la voirie vicinale ; une somme de 300,000 fr. est votée, chaque année, pour la voirie vicinale ; mais en réalité depuis (page 90) plusieurs années ce chiffre a été au moins doublé ; il a été dépensé, chaque année, emiron 600,000 fr. pour la voirie vicinale.

L'enseignement agricole a été organisé par le gouvernement. On peut apprécier différemment les effets de l'enseignement agricole. Pour moi, je pense qu'un grand service à rendre à l'agriculture, c'est de chercher à l'éclairer, c'est de répandre dans la classe des agriculteurs les bonnes traditions scientifiques ; eh bien, de ce chef, le gouvernement accorde aussi des sommes considérables à l'agriculture.

A entendre l'honorable M. Coomans, aucune prime ne serait accordée pour les défrichements ; mais l'honorable membre n'ignore pas que des primes sont accordées pour cet objet, à tel point que les 300,000 fr. qui ont été votés, il y a quelques années, sont, à l'heure qu'il est, entièrement épuisés, et que probablement le gouvernement sera obligé de demander des crédits supplémentaires ; veuillez en prendre note...

M. Coomans. - Ce ne sont que des avances.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Vous savez comment ces avances sont remboursées ; vous-même, vous vous êtes opposé à ce que des mesures fussent prises pour le recouvrement de certaines dépenses ; vous avez protesté au nom des propriétaires.

Des sommes considérables sont destinées au défrichement direct de nos bruyères ; d'autres sommes sont destinées à propager les engrais dans tout le pays.

Ce sont là de véritables primes accordées à l'agriculture et contre lesquelles je ne vois pas que les partisans de l'industrie manufacturière réclament à chaque instant.

On a parlé de primes accordées au transport des charbons par le chemin de fer, mais n'a-t-on pas accordé de primes au transport des engrais par le chemin de fer, par les canaux, par toutes les voies ?

Que signifient ces récriminations ?

Le gouvernement est préoccupé de tous les intérêts ; il s'est spécialement occupé des intérêts de l'agriculture qui, par son importance, indépendamment des sympathies naturelles qu'elle doit exciter, mérite l'attention particulière du gouvernement.

L'honorable orateur auquel je réponds ne dira pas que la situation de l'agriculture soit pire aujourd'hui qu'elle n'était il y a quelques années. Je soutiens que le progrès n'est pas spécial aux industries manufacturières ; je dis qu'il y a aussi un progrès marqué dans l'industrie agricole.

M. Coomans. - Oui, dans les méthodes.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Mais comment a-t-on obtenu des perfectionnements dans les produits ? C'est parce que les méthodes se sont perfectionnées. Pourquoi nier ce qui éclate à tous les yeux ? Pourquoi ne pas encourager nos agriculteurs à suivre le gouvernement dans la voie nouvelle et plus hardie où il les a lancés ? Ne venez donc pas jeter le découragement parmi ces populations ; excitez-les plutôt à adopter ces nouvelles méthodes dont elles se sont trop longtemps abstenues ; ne les aveuglez pas ; n'allez pas répandre parmi elles ces erreurs fatales qui consistent à croire qu'il n'y a de prospérité en agriculture que dans le système prohibitif. Car voilà en quoi se résume, en définitive, tout votre système : prohibons les produits étrangers, et l'agriculture fleurira.

Eh bien, il n'est pas vrai que la situation fâcheuse de l'agriculture tiendrait au régime des droits de douane ; nous avons longuement démontré le contraire ; à l'heure qu'il est, les prix des grains français sont de deux à trois francs moins élevés que les prix des grains belges.

Et cependant la France jouit encore des douceurs de l'échelle mobile que nous avons supprimée et que nous ne rétablirons pas, aussi longtemps du moins que nous aurons quelque chose à dire dans la direction des affaires.

Messieurs, on a parlé de la manière prodigue avec laquelle les sommes confiées au gouvernement seraient distribuées. L'année dernière, le gouvernement a rendu un compte spécial des sommes qui avaient été mises à sa disposition. J'appelle toute l'attention de la chambre sur ce compte rendu.

Je suis prêt à soutenir la discussion. Je sais que parmi ues bourses, entre autres, qui ont été conférées à un très grand nombre de jeunes gens, il en est Une qui, après avoir occupé une certaine presse, a été signalée hier et encore aujourd'hui dans cette enceinte, comme constituant un grand abus.

Jusqu'ici, messieurs, c'est le seul fait qui m'ait été révélé comme constituant un grave abus dans la répartition de tous les subsides qui ont été accordés par le gouvernement. Si le gouvernement ne s'était trompé qu'une fois dans la distribution de ce grand nombre de subsides, je crois que, loin de mériter un blâme, il ne mériterait que des éloges. Mais le gouvernement s'est-il trompé ? Je ne veux pas employer un système de défense qui consisterait à dire que le gouvernement, avant de poser un acte, a soin de s'entourer de renseignements de toute espèce, qu'il consulte les autorités compétentes ; et que quand il reçoit de ces autorités des renseignements favorables, il agit en conséquence.

Mais enfin la chambre a-t-elle entendu que les bourses destinées à encourager des négociants, à entreprendre des voyages lointains, ne seraient accordées qu'à des jeunes gens qui appartiendraient à des familles dénuées de ressources, et qui iraient courir les aventures dans le monde ? Je ne l'ai pas compris ainsi. Nous avons pensé qu'il fallait encourager les maisons de commerce à établir, autant que possible, des correspondants dans les pays transatlantiques. Peut-être la famille d'un des boursiers aurait-elle pu se charger des frais du voyage ; maïs j'avoue que je n'ai pas fait rechercher quel pouvait être l'état de fortune des commerçants qui faisaient au gouvernement des ouvertures pour leurs fils. J'ajoute cependant qu'à titres égaux, j'aurais donné la préférence aux jeunes gens dénués de fortune ; mais je ne pense pas qu'il y ait dans la position aisée des parents un motif de ne pas accorder un encouragement semblable à leurs enfants ; plus les jeunes gens appartiennent aux familles commerçantes, et surtout aux grandes familles commerçantes, plus ils voyageront et plus nous atteindrons facilement le but que signalait hier l'honorable M. Dumorlier.

Ainsi, messieurs, cette affaire, je crois, ne mériterait pas d'occuper la chambre, à quelque source qu'on l'ait puisée. Pour ma part, si des jeunes gens appartenant à de bonnes familles commerçantes, veulent entreprendre des voyages, je favoriserai avec grand plaisir ces entreprises, et je les encouragerai au besoin. Lorsque nous accordons des subsides pour les arts, pour les sciences, pour les lettres, nous ne nous inquiétons nullement de l'état de fortune des parents. Je prends acte au surplus du silence que l'on garde relativement à la distribution aveugle qu'on aurait faite des sommes confiées au gouvernement pour les répartir en subsides. Et si d'honorables membres n'étaient point préparés en ce moment, cette discussion pourra venir au budget de l'intérieur, maintenant ou alors je suis prêt à répondre.

M. Vermeire. - Messieurs, depuis que cette discussion est ouverte, on fait une guerre impitoyable aux primes. D'honorables orateurs, traduisant leurs argumentations en fait, demandent la suppression des primes pour la construction des navires lors de l'expiration de cette loi en 1851.

Messieurs, en général, le système des primes est vicieux, surtout,en ce sens qu'il arrête le progrès. Il ne peut s'appliquer qu'à une industrie naissante qui n'a pas encore pris racine dans le pays et qui, pour s'y implanter, a besoin de quelque secours. Mais ce secours doit cesser au bout de quelque temps, car de deux choses l'une : ou ce travail se sera développé par suite de la prime, et alors le progrès s'est fait et la prime doit cesser, ou la prime n'aura développé ni progrès, ni travail sérieux, et alors elle a manqué son but, et il faut encore la supprimer.

Messieurs, les droits de douane élevés sont des primes déguisées accordées aux industries similaires du pays où ces droits existent ; ainsi les droits élevés sur les fils de lin étrangers constituent, en faveur de nos filatures, une forte prime, et par la bonne entente qui régnerait entre les filateurs, pourrait mettre entre leurs mains un monopole, qui s'exploiterait au détriment de nos tisserands.

Et cela est vrai, à tel point, messieurs, que des industriels m'ont assuré qu'ils ne peuvent s'approvisionner aux filatures qu'à des prix élevés et moyennant de donner leurs commandes plusieurs mois d'avance. Vous voyez donc, messieurs, que ce qui est avantage pour l'un, est onéreux pour l'autre, et qu'en tout cas, la généralité y perd.

Mais, dit-on, supprimez la prime, et la filature tombe. Je conçois, messieurs, qu'une suppression immédiate, instantanée, aurait ce résultat ; mais je tiens aussi à prouver que, si la prime était supprimée, le progrès ramènerait l'industrie au point de lui faciliter la concurrence avec l'étranger. Un seul exemple le prouvera. Vous savez, messieurs, que, pour fabriquer les russias, industrie qui est à l'agonie, si déjà elle n'a rendu le dernier soupir, on a eu besoin de recourir aux fils écossais que l'on importait en Belgique, en franchise de droit, parce que l'on ne pouvait se procurer ces sortes de fils dans le pays. Cependant un appel pour concourir à la fourniture de ces fils est fait à nos filateurs, et le résultat en est, que bientôt, pour certaines espèces de fils, ils fournissent en dessous des prix anglais. Voici ce qu'on lit, à cet égard, dans le n°56 des documents parlementaires de la chambre des représentants, session 1849-1830.

« ... D'abord un seul filateur répondit à cet appel, ensuite de nouvelles offres parvinrent à l'administration, et peu à peu les prix belges s'abaissant au niveau des prix écossais, on est parvenu à une sorte d'égalité qui associe intimement les filatures du pays au succès de l'entreprise. Actuellement les prix moyens des fils n°16 employés à la fabrication des toiles russias, non compris les droits, sont, par kilogramme.

« 1.5150 fr. pour le fil de lin d'Ecosse, 1.5612 fr. pour le fil de lin belge

« 1.4338 fr. pour le fil d'étoupe d'Ecosse, 1.3721 fr. seulement pour le fil d’étoupe belge.

« D'où il résulte que, s'il y a une légère différence en plus sur les fils de lin belge ; par compensation, il y a une différence correspondante en moins sur les fils d'étoupe. »

Ainsi, messieurs, la libre concurrence entre l'Angleterre et la Belgique sur notre propre sol, est possible, ainsi que le démontre l'exemple que je viens de citer.

Mais, messieurs, ce n'est pas tout. La Belgique soutient encore la concurrence avec les industries similaires d'autres pays, alors qu'elle se trouve dans des conditions plus défavorables. Ainsi, pour les couvertures de coton, qui se fabriquent en si grande quantité à Termonde, l'on doit faire venir, pour la majeure partie, les déchets de la France. On prélève en Belgique, outre le droit de sortie en France, le même droit que sur le coton brut, bien que la matière première, en moyenne, ne vaille que 25 c. le kil., et nonobstant ces conditions anormales et défavorables, cette industrie travaille, prospère et exporte.

(page 91) Nos corderies payent sur les chanvres à l’importation un droit de fr. 4.06 centimes les 100 kilogrammes, équivalant à 5 à 6 p. c. de la valeur. Les chanvres indigènes qui, dans l'intérêt mal entendu, sans doute, payaient autrefois un droit de sortie égal au droit d'entrée des chanvres étrangers, sont aujourd'hui libres à la sortie ; et malgré ces conditions défavorables, nos corderies travaillent, prospèrent et exportent.

Nos huileries payent un droit d'entrée sur l'importation des graines étrangères. En Prusse et en France, les huiles sont soumises à des droits d'entrée équivalents à la prohibition, et malgré cela encore, elles exportent.

Quelles sont les primes et les avantages dont jouissent les fabriques de Saint-Nicolas ? Voyez, messieurs, quel mouvement industriel se produit dans cette localité ! Saint-Nicolas en prospère-t-il moins parce que le département de l'intérieur a accordé, à un industriel, des subsides, pour transplanter ailleurs son industrie ? Non, et pourquoi ? Parce que, encore une fois, les primes sont des moyens factices de prospérité, des faveurs données à l'un, au détriment de l'autre.

Vous voyez, messieurs, par ces prémisses, que, moi aussi, je condamne ce système monstrueux de primes ; mais je dois le déclarer, je ne suis pas de ceux qui demandent sa suppression, aujourd'hui pour une industrie, demain pour une autre.

Non, messieurs, tout notre système commercial de primes et de droits élevés à nos frontières, est la conséquence de la loi sur les droits différentiels. Si vous voulez faire disparaître les faveurs, il faut revoir en son ensemble la loi des droits différentiels et n'établir des droits modérés à la douane, qu'à titre d'impôt productif pour le trésor.

Ainsi posée, la question grandit et demande à être mûrement examinée, car on n'improvise pas un système économique avec la même facilité que certains orateurs improvisent leurs discours dans cette chambre.

L'honorable baron Osy, commentant une page de la brochure d'un honorable négociant d'Anvers, aux talents duquel je me plais à rendre hommage (La Hollande, l’Angleterre et la Belgique, par H. F. M. Thyssens. Anvers, 1850), demande la suppression des primes pour la construction des navires et des droits plus modérés pour la nationalisation des navires étrangers. Je m'étonne, messieurs, qu'on commence la démolition de l'édifice prohibitionniste par la base au risque de le faire crouler immédiatement ; car enfin la loi des droits différentiels a-t-elle d'autre but que celui du développement de notre marine, c'est-à-dire de la marine belge, en d'autres termes, sans doute, de la marine dont les navires sont construits en Belgique ?

La comprendre autrement, c'est comme si l'on disait que l'industrie se développe prodigieusement en Belgique et qu'on n'y rencontrerait que des marchandises étrangères.

Et encore une fois, messieurs, de la facilité de la nationalisation des navires étrangers, on arrive certes, comme, du reste, cela s'est produit en Angleterre et en Hollande, à une forte réduction, pour ne pas dire à la suppression complète des droits d'entrée sur tous les objets nécessaires à l'armement des navires. Ainsi on devrait supprimer les droits d'entrée sur les chaînes, sur les clous, sur les cuivres, sur les chanvres, sur les cordages, sur les étoupes, sur les toiles et sur mille autres objets qui entrent dans la construction et dans l'armement des navires. Or en comprenant ainsi la nationalisation des navires étrangers, on entre de plein pied dans le free trade, et on produit instantanément la secousse violente que tous nous redoutons. Je crois donc, messieurs, avoir raison quand je dis qu'avant de supprimer une seule prime, il convient de revoir le système entier, afin de faire porter les réductions, en même temps et dans une égale proportion, sur tous les objets imposés.

Je termine, messieurs, par un mot de réponse à l'honorable M. Sinave qui croit qie les sociétés de commerce, opérant pour propre compte, doivent infailliblement périr. S'il en est ainsi, ces sociétés feront-elles mieux les affaires des autres ? Evidement non, la seule différence consistera en ce qu'au lieu de se ruiner elles-mêmes, elles ruineront ceux qui lui font des consignations. Je ne veux pas entrer, messieurs, plus dans la discussion avant sur l'établissement des comptoirs à l'étranger, et l'érection d'une société de commerce. J'attendrai que nous soyons saisis d'un projet définitif.

M. Van Grootven. - J'ai réclamé un instant la parole pour faire une observation à M. le ministre des affaires étrangères. Vous savez, messieurs, que tous les armateurs belges sont admis à soumissionner pour le transport de nos produits vers les parages lointains. Cette mesure équitable est à l'abri de tout reproche. Je pense cependant qu'on pourrait faire mieux encore sous un autre rapport. Ce serait de recevoir à l'avenir des soumissions afin que des départs puissent avoir lieu, aussi bien des ports de Gand et d'Ostende que de celui d'Anvers. Cette mesure aurait l'avantage d'établir entre les divers ports belges une concurrence qui serait favorable au gouvernement.

Je pense qu'il y a lieu de modifier l'usage suivi jusqu'à ce jour, qui a cela de vieicux, d'après moi, que le port d'Anvers a eu jusqu'ici à lui seul tous les avantages de ces expéditions. Si, comme je l'espère, le gouvernement admet la proposition que je lui soumets, l'industrie des diverses localités du pays, en faveur dequelles nous votons ces encouragements, en retirera un grand avantage ; et c'est bien là, je pense, messieurs, le résultat que nous voulons obtenir par l'allocation des primes. Le commerce de Gand et des localités qui environnent ce grand centre industriel ne serait plus déshérité de cette faveur, caomme il l’a été jusqu'à ce jour. Vous n'ignorez pas que toutes les fois que nos industriels des Flandres ont voulu profiter des avantages attachés à ces expéditions transatlantiques, ils ont été obligés d'expédier leurs marchandises à Anvers, ce qui contrarie et dérange bien souvent l'expéditeur, et lui occasionne des frais qu'il peut économiser.

Il n'y a donc aucun motif sérieux pour ne pas modifier l'usage suivi jusqu'à ce jour, et priver plus longtemps nos industriels des conditions d'exportation les plus favorables. Je ne vois pas d'inconvénients à ce que les ports de Gand et ceux d'autres villes soient admis à soumissionner pou un ou plusieurs de ces départs privilégiés. Alors cesserait, pour nos industriels, l'obligation d'expédier vers Anvers les produits qu'ils pourraient facilement et sans aucuns frais embarquer chez eux. Ces frais sont peu élevés, j'en conviens, mais toujours est-il qu'ils diminuent inutilement le bénéfice, déjà réduit, de ceux qui ont l'avantage de jouir d'un port facile et fréquenté.

Ce que je réclame, messieurs, est de toute justice ; c'est dans l'intérêt des diverses industries des Flandres, pour lesquelles le ministère actuel, j'aime à le répéter, a déjà tant fait. J'espère qu'il suffira d'avoir appelé l'attention sérieuse de M. le ministre des affaires étrangères sur ce point important de son administration, pour qu'il examine et accueille favorablement la demande que je lui adresse.

M. le ministre des affaires étrangères (M. d'Hoffschmidt). - Messieurs, j'ai demandé la parole seulement pour répondre quelques mots à l'honorable préopinant.

Si Anvers est désigné pour les départs de la navigation subsidiée, c'est, comme chacun le sait, parce que Anvers est le point le plus favorable sous tous les rapports pour le commerce d'exportation, pour l'industrie et pour la concurrence des armateurs.

L'honorable M. Van Grootven désirerait que plusieurs de ces services partissent de Gand. Déjà la ville d'Oslende a formulé des réclamations semblables. Un essai a été tenté, et je ne pense pas que cet essai ait parfaitement réussi. Cependant, messieurs, la proposition de l'honorable préopinant fera l'objet d'un examen très attentif de la part du département des affaires étrangères. Le règlement pour l'année 1851 doit être bientôt rédigé, et cette question sera examinée. Le principal objet qu'on a en vue par les subsides qui sont accordés à ces lignes de navigation, c'est l'intérêt de l'industrie et du commerce, ce n'est pas celui de tel ou tel port de mer. Eh bien, messieurs, cet intérêt de l'industrie et du commerce se concilie-t-il parfaitement avec la demande de l'honorable membre ?

Je ne crois pas que la distance qui sépare Gand d'Anvers soit une raison pour faire adopter une autre marche que celle qui est suivie actuellement. Dans tous les cas cette proposition sera très attentivement examinée.

M. Dechamps. - Mon intention n'est pas de m'engager bien avant dans ce que l'honorable ministre de l'intérieur a appelé loutà l'heure un tournoi dans lequel se combattent les doctrines du libre échange et celles de la protection. Cependant la chambre me permettra de lui soumettre une observation que l'honorable M. Rogier a oublié de lui présenter.

L'honorable ministre de l'intérieur a semblé croire que, de ce côté de la chambre, on méconnaissait la situation relativement bonne et prospère de nos industries, de notre commerce ; le mouvement ascendant qui a été signalé dans nos exportations, surtout dans nos exportations lointaines. Mais, messieurs, nous n'avons pas, je pense, intérêt à nier cette bonne situation et ces heureux résultats.

Nous aurions, au contraire, un intérêt d'amour-propre à nous en applaudir ; car, en définitive, à quoi doit-on attribuer ces résultats ? N'est-ce pas, comme vient de le reconnaître M. le ministre de l'intérieur, au système économique qui existe et qu'il a appelé généreusement excellent ?

Or, ce système n'est-il pas le système de protection modérée que nous avons fondé, que nous avons défendu, vous savez contre qui, et que le ministère actuel n'a fait que continuer ?

Il ne faut pas que l'on se fasse illusion, c'est le système ancien qui a été maintenu. Ainsi, nous avons établi la protection maritime, par la loi du 21 juillet, sur les droits différentiels ; cette loi n'a pas été modifiée. Si des modifications, dans un sens libéral, ont été apportées au système des droits différentiels, elles l'ont été par nous, lorsque nous avons conclu les traités de commerce dont on semble aujourd'hui faire assez peu de cas.

Pour ce qui concerne notre industrie manufacturière, je ne sache pas que notre tarif de douane ait été sérieusement changé. Ce tarif de protection modérée dont nos principales branches d'industrie jouissent, c'est le système ancien auquel on n'a pour ainsi dire pas touché.

Le ministère y a touché en un seul point ; une seule protection a été enlevée, c'est la protection qui était accordée à l'agriculture.

Je ne veux pas entrer dans l'examen de cette grave question, afin de rechercher jusqu'à quel point la cessation de la protection douanière en faveur des céréales et du bétail est la cause de la situation de notre industrie agricole ; je suis loin d'avoir des idées absolues à cet égard.

Mais i est un fait qui résulte de cette discussion même, c’est que les branches de notre industrie manufacturière qui sont protégées par les faveurs douanières, à l’exception de ma métallurgie, sont celles précisément dont on signale l’état prospère, et que l’industrie agricole sur laquelle on fait l’expérience du free-trade, est la branche qui souffre ou qui du moins, pour ne pas trop contredire M. Rogier, est à coup sûr la moins prospère

(page 92) L’honorable M. de Brouwer vient de dire que c’était à ce système que je défens, qu’on avait dû le malaise des Flandres qui tend aujourd’hui à cesser.

Mais encore une fois, rien n'a été modifié dans le système appliqué aux Flandres par le gouvernement depuis longtemps, La seule différence, c'est qu'on élargi le système d'encouragement et de protection qui était aussi le nôtre ; on a, là aussi, continué le système ancien avec des primes de plus.

En effet, qu'a fait le gouvernement actuel ? Il a augmenté le nombre des ateliers d'apprentissage et de perfectionnement. M. de Theux, dès son entrée au ministère, par son arrêté du 20 janvier, avait jeté les bases d'organisation de ces ateliers que M. Rogier n'a fait qu'étendre.

Le gouvernement a de plus établi des primes, je ne l'en blâme pas. Je pense que cette mesure qui, à cause des circonstances dans lesquelles on se trouvait, a produit de bons résultats, ne doit pas être trop subitement abandonnée.

Le gouvernement a accordé des subsides pour favoriser l'introduction d'industries nouvelles ; il a encouragé par des avances l'exportation des russias.

Voilà les mesures principales à l'aide desquelles le gouvernement a pu exercer une certaine influence sur la situation des Flandres dont l'abondance des récolles a été la cause première et providentielle.

Mais ce sont là précisément des moyens artificiels contre l'emploi desquels l'honorable M. de Brouwer s'est si vivement élevé. Je demanderai à l'honorable membre comment il explique ce fait : que c'est à l'aide du système qu'il blâme comme ayant amené le malaise des Flandres, système renforcé par le ministère actuel, que ce malaise aurait été en partie détruit. Il lui sera difficile de me répondre.

J'avais demandé la parole surtout pour entretenir la chambre d'un autre point de la question commerciale ; je voulais dire quelques mots du discours prononcé à la fin de la séance d'hier par M. le ministre des affaires étrangères qui, en répondant à M. Dumortier, a été amené à dire son opinion sur la valeur des traités existants entre la Belgique, la France, l'Allemagne et les Pays-Bas.

Mon intention n'était pas de soulever un pareil débat. Je dois comprendre, mieux que personne, quels sont les inconvénients, quand des négociations existent, attachés à une discussion prématurée sur le sort des traités. Nous devons, à cet égard, ménager la position du gouvernement, et c'est ce que je compte faire. Mais il m'a semblé que les paroles de M. le ministre des affaires étrangères doivent avoir pour résultat, non de nous fortifier dans les négociations entamées ou à poursuivre, mais de nous affaiblir.

En effet, l'honorable M. d'Hoffschmidt a dit qu'il ne fallait pas attribuer une importance commerciale trop grande à ces traités ; qu'ils pourraient être dénoncés, disparaître, sans que la situation industrielle de la Belgique en fût sensiblement affectée. Il a voulu prouver qu'avant le traité avec le Zollverein, nous exportions autant de fonte en Allemagne que nous l'avons fait depuis ; que, si le traité avec les Pays-Bas n'existait pas, nos exportations vers ce pays resteraient aussi considérables ; que la dénonciation du traité français de 1845 ne serait pas un si grand malheur.

Je ne sais si l'honorable ministre a voulu préparer les esprits en Belgique à cette éventualité,ou s'il a cru, en faisant preuve d'indépendance commerciale vis-à-vis des puissances dont je parle, se faire une meilleure position dans les négociations, comme si on ignorait à Paris ou à Berlin les faits industriels de la Belgique. Pour moi je crois, au contraire, que le discours de l'honorable ministre des affaires étrangères est de nature à rendre ces négociations plus difficiles.

Il ne faut pas oublier que, lorsque nous avons négocié les traités avec l'Allemagne et la France, les gouvernements de ces pays ont été mus presque autant par des idées politiques que par des intérêts commerciaux, et le gouvernement s'est placé à ce même point de vue. Ces gouvernements ont cru d'une bonne politique de contribuer a rendre la Belgique prospère commercialement pour la rendre plus forte politiquement.

Si on parvenait à persuader à ces gouvernements que nous n'avons qu'un médiocre intérêt à la conservation des traités et des relations qu'ils assurent, nous risquerions qu'ils ne nous disent : « Puisque vous y tenez si peu, brisons-les. »

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Eh bien ?

M. Dechamps. - M. le ministre des finances me répond : Eh bien ? Il croit donc que nous avons très peu d'intérêt à la conservation de ces traités ? Le moment n'est pas venu de traiter à fond cette question, mais le moment viendra, et je le saisirai avec empressement.

Nous verrons alors si les industries belges sont de l'avis du ministère. Nous verrons si l'industrie linière trouvera indifférent d'être admise sur le marché français à un droit de moitié moindre que celui qui frappe les produits liniers de l'Angleterre, ou bien d'y rencontrer un droit prohibitif.

M. le ministre des affaires étrangères (M. d'Hoffschmidt). - Je n'ai jamais dit que nous voulions renoncer aux traités.

M. Dechamps. - Non, M. le ministre, mais vous en avez parlé, comme si vous étiez à peu près indifférent à leur renouvellement.

Du reste, je réponds maintenant à l'honorable ministre des finances, qui m'a répondu : « Eh bien ? » c'est-à-dire, quel effet cela peut-il faire ? Examinons quelle est la position que nous font ces traités ? Cette position, la voici :

Par notre traité avec la France, nous avons obtenu d'abord sur le marché français des faveurs privilégiées pour notre industrie linière. dont je sais bien qu'elle n'a pas assez profité jusqu'ici ? mais si l'industrie linière, avec une protection double de celle dont jouit l'Angleterre, a vu les exportations diminuer, le jour où cette protection cesserait, où nous serions sur le même pied que les Anglais, évidemment plus une aune de toile n'entrerait en France. Mais, messieurs, toute l'importance du traité n'est pas là, et j'attire l'attention de la chambre sur ce point ; le traité avec la France a été la garantie du maintien du système des zones, pour la houille et les fontes belges.

Le système des zones existait, il est vrai, avant le traité, mais le traité lui a donné une sanction nouvelle, l'a consacré d'une manière définitive. Le gouvernement pense-t-il que la dénonciation éventuelle du traité de 1845 n'entraînerait à cet égard aucun danger ?

Nous avons lu dans le message du président de la République française, que la France négocie un traité de commerce et de navigation avec l'Angleterre, et la France y a été naturellement provoquée par les dernières mesures douanières adoptées en Angleterre ; eh bien, messieurs, je n'ai pas besoin de dire quel péril courrait le système de zone privilégiée adopté en France en faveur de deux de nos grandes industries, si la conclusion du traité anglo-français venait à coïncider avec l'abrogation du traité belge.

Vous voyez, messieurs, que la valeur du traité français n'a pas celle que semblaient supposer hier les paroles de M. le ministre des affaires étrangères et aujourd'hui l'exclamation de M. le ministre des finances.

Messieurs, nous avons fait, avec le Zollverein, un traité important au point de vue politique et industriel ; je laisse un moment de côté la question politique. Ce traité nous a donné sur le marché allemand une place privilégiée pour les produits de notre industrie métallurgique. N'est-ce rien ? Mais si l'on en juge d'après les résultats, on voit que depuis le traité, quoi qu'en ait dit M. le ministre des affaires étrangères, depuis le traité nos exportations des fontes, en Allemagne, ont presque doublé, et ce résultat n'est pas à dédaigner, me semble-t-il.

Nos exportations en Allemagne seraient bien difficiles, sinon impossibles, dans les circonstances ordinaires, sans le droit différentiel que le traité a concédé. (Interruption.)

J'en appelle aux industriels, qui ne me démentiront pas.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban) et M. Lesoinne. - Si ! si !

M. Dechamps. - Nous verrons. La conclusion du traité du 1er septembre a été cependant saluée à Liège aussi bien qu'à Charleroy comme un bienfait.

Le traité avec les Pays-Bas a eu pour nous, comme pour la Hollande, des résultats favorables. Ce sont précisément les articles sur lesquels portent les concessions du traité, la draperie, l'industrie cotonnière, l'industrie linière, les verres à vitre, les clous, qui ont trouvé une extension de débouchés dans les Pays-Bas.

Les draps par exemple, dont le tarif en Hollande a été réduit de 33 p. c. par le traité, ont vu leurs exportations tripler en trois années.

Messieurs, sans doute, et je m'en réjouis, l'Allemagne et la Hollande ont trouvé dans ces traités autant d'avantages que nous ; c'est en élargissant les concessions réciproques que les traités pourront être conserves en les agrandissant.

Je dis donc que la Belgique est parvenue, par ces trois traités, à occuper sur les marchés français, allemand et des Pays-Bas, une place privilégiée, qu'aucune autre nation ne partage ; et l'on dira que ce résultat est insignifiant, qu'on doit en faire peu de cas, aussi bien au point de vue politique qu'au point de vue commercial !

Pour ma part, je ne puis croire que des traités avec le Pérou, la Bolivie, le Chili et le Mexique puissent compenser, en quoi que ce soit, la perte partielle que nous ferions de grands marchés continentaux.

Messieurs, je viens de mentionner le côté politique de la question. La chambre comprendra, sans que j'aie besoin d'insister, que ces trois traités qui nous lient aux trois grandes nations voisines par un système différentiel, par des privilèges, réalisent complètement le système de neutralité politique qui est la base de notre existence nationale.

Il est une remarque à faire : Depuis 1848 on ne cesse de nous dire de tous côtés que nous avons grandi dans l'estime et dans l'admiration de l'Europe ; il serait inconcevable que cette admiration se traduisît par de mauvais procédés commerciaux, par le relâchement de nos liens commerciaux, par l'isolement commercial dans lequel on placerait la Belgique. Evidemment, c'est le contraire qui doit avoir lieu.

Je ne fais pas ici un reproche au gouvernement. Mais je réponds à l'appréciation qu'a faite de ces traités M. le ministre des affaires étrangères.

Je crois qu'il est bon qu'on le sache à l'extérieur : Nous croyons que nos alliances commerciales doivent s'étendre et non se restreindre ; nous croyons que la rupture des traités amènerait, non pas une telle perturbation que l'industrie belge périrait le lendemain ; je suis loin de dire cela, mais je pense qu'une fâcheuse perturbation en résulterait.

Si le gouvernement prévoit de telles éventualités dans l'avenir, il devrait se jeter résolument dans une autre voie ; il devrait, par tous les moyens, par tous les efforts et par tous les sacrifices, créer cette société d'exportation dont on a tant parlé, afin que le lendemain du rétrécissement des débouchés européens, la Belgique en ait d'autres créés par cette société commerciale.

Le marché transatlantique n'a pas jusqu'ici pour nous une grande importance. L'accroissement des exportations ne peut se faire que d'une (page 93) manière lente et progressive. Il faudrait, pour hâter ce développement, des moyens énergiques employés par le gouvernement ; on devrait y recourir dès à présent, si l’on peut craindre sérieusement les éventualités dont je parle.

Je ne veux pas approfondir davantage cette question aujourd'hui. Elle se présentera un jour, et nous pourrons la traiter à fond, mais, j’espère qu'elle se présentera, non pas à l'occasion de traités dénoncés, mais à l'occasion de traités renouvelés ou étendus.

M. le ministre des affaires étrangères (M. d'Hoffschmidt). - Mon intention n'était pas non plus hier d'entrer dans ce débat. Je reconnais avec l'honorable préopinant, qu'il y a des inconvénients à traiter un sujet qui, en ce moment même, est l'objet de négociations.

Si j'ai cru devoir répondre à l'honorable M. Dumortier, c'est parce qu'il était tombé dans une étrange exagération.

M. Dumortier. - Je demande la parole.

M. le ministre des affaires étrangères (M. d'Hoffschmidt). - Je n'ai pas voulu laisser sans réponse cette assertion de l'honorable préopinant que, si ces traités conclus avec les pays voisins venaient un jour a tomber, notre industrie serait dans un état déplorable, que ce serait une catastrophe, que le pays périrait de pléthore. Voilà ce que j’ai répondu à l’honorable M. Dumortier. C’était un devoir pour moi de le faire. Je le demande à l'honorable M. Dechamps, si nous nous présentions dans les négociations avec les assertions dont s'est servi l'honorable M. Dumortier, aurions-nous la chance d'obtenir des conditions favorables ? Je crois qu'il ne pourra pas me répondre affirmativement.

L'honorable M. Dechamps me dit bien que ce sont des raisons politiques et non commerciales qui ont déterminé les autres Etats a traiter avec nous.

D'abord je n'ai aucunement parlé de la question politique ; je l'ai laissée complètement de côté, et je crois que nous devons la laisser en dehors du débat.

Mais si, comme le dit l'honorable M. Dechamps, ce sont des motifs politiques qui ont déterminé certaines puissances à nous accorder les avantages qui se trouvent dans les traités, n'est-il pas fort étrange qu'elles se soient montrées si extrêmement rigoureuses pour les faveurs qu'elles nous ont demandées à leur tour ?

Je crois, quant à moi, que ce qui a déterminé les gouvernements étrangers à adopter la voie où ils sont entrés vis à-vis de la Belgique en matière de traité, c'est avant tout l'intérêt de leur commerce et de leur industrie.

Ce qui le prouve, c'est la difficulté extrême qu'on a eue avec la France et avec le Zollverein, pour conclure les traités actuellement existants ; ce sont les nombreuses concessions douanières qui nous ont été demandées et que nous avons accordées.

Qu'on ne s'y trompe point. Ce ne sont pas les sympathies politiques, mais premièrement leurs intérêts qui dirigent en cette matière les gouvernements.

Si je me suis d'ailleurs permis, messieurs, de faire quelques observations sur la convention linière conclue avec la France, n'est ce pas pour constater l'opinion que d'honorables députés des Flandres ont eux-mêmes émise dans la discussion.

Messieurs, je n'entends pas venir discuter ici, article par article, la question de savoir si ces traités nous sont avantageux. Je ne puis, vous le comprendrez, suivre l'honorable préopinant dans un semblable débat. Je ne nie pas, je ne pourrais nier que ces traités ne nous procurent certains avantages, et la preuve, d'abord, c'est que j'ai voté pour ces traités ; c'est ensuite que j'ai déclaré d'une manière formelle, et M. Dechamps aurait dû en tenir compte, que le gouvernement désire les maintenir et les étendre. Nous désirons avoir avec toutes les puissances, et notamment avec celles qui nous avoisinent, les meilleures relations possibles, les relations commerciales les plus étendues, nous ne demandons pas mieux que d'élargir les bases des traités.

Mais faut-il venir dire au pays et à l'étranger, ce que je déclare complètement inexact, que le sort de l'industrie et du commerce, que le développement de notre richesse publique sont liés fatalement au maintien, toujours éventuel, de deux ou trois arrangements commerciaux ?

Ces traités, messieurs, personne, je crois, n'a jamais prétendu qu'ils fussent conclus à perpétuité. Quel que soit le désir de les perpétuer, il peut arriver, et il doit arriver, qu'un jour ils viendront à tomber, et l'honorable M. Dumortier lui-même croit que c'est ce qui arrivera d'ici à quelques années.

Je désire qu'il n'en soit pas ainsi. Le gouvernement tout entier le désire ; mais comme il y a deux parties contractantes, si les puissances voisines ne voulaient pas continuer les traités ou si elles voulaient nous imposer des conditions tellement onéreuses qu'il nous serait impossible de les accepter, alors il faudrait bien rentrer daus la règle commune ; et qu'en résulterait-il ?

C'est que, sur ces marchés étrangers, nous serions sur le même pied que les autres nations.

Certes, j'admets qu'il y a des avantages incontestables à avoir sur de grands marchés voisins une position privilégiée en vertu d'un droit différentiel.

Mais examinons un instant les deux faces de la question. Si nous obtenons un avantage, nous le payons par quelque chose. Ainsi, vis-à-vis de la France, si nous avons obtenu un droit différentiel pour nos tissus de lin, nous l'avons paye par une diminution du droit d'accise sur les vins, ce qui enlève à notre trésor environ un million de francs. Nous avons accordé bien d’autres concessions encore.

Il faut donc, pour apprécier saintement un traité, ne pas voir un seul côté de la question, comme l'a fait l'honorable préopinant ; il faut en balancer les avantages et les inconvénients.

En vérité je crois que l'honorable M. Dechamps s'est en quelque sorte figuré un discours pour avoir le plaisir d'y répondre. Il a étrangement amplifié et interprété mes paroles ; je n'ai nullement dit que nous étions menacés de voir ces traités abandonnés par les autres puissances ; je n'ai pas dit un seul mot en vue de préparer l'esprit public à cette éventualité ; j'ai dit, dans l'intérêt de notre position et des négociations, ce que je crois la vérité ; j'ai apprécié ces traités à leur juste valeur ; je n'ai pas nié les avantages qu'ils présentent, mais je déclare que le gouvernement ne pense pas que le sort, la prospérité et l'avenir du pays y soient attachés.

Je n'en dirai pas davantage sur ce point, je pense qu'il y aurait des inconvénients à prolonger un semblable débat. Il viendra un jour sans doute où il pourra avoir lieu d'une manière plus large, plus approfondie. Alors nous examinerons la position dans tous ses détails.

M. de Brouwer de Hogendorp. - Messieurs, je n'arrêterai pas longtemps la chambre. J'ai demandé la parole pour répondre en deux mots à l'honorable M. Dumortier.

Cependant l'honorable M. Dechamps, qui est un adversaire sérieux, vient de me poser une question. Je vais y répondre.

L'honorable M. Dechamps dit : Vous soutenez que c'est le système de protection qui a tué l'industrie des Flandres ; or, rien n'a été changé, et c'est cependant sous ce même système que les Flandres se sont relevées.

Je dirai, messieurs, que les Flandres ne se sont pas relevées à cause du système protecteur.

L'industrie linière s'est perdue, je l'ai dit tout à l'heure, par suite des illusions qu'on avait répandues dans les populations. On a dit à ces populations qu'elles fabriquaient bien ; qu'elles n'avaient rien à craindre de leurs rivaux ; que l'introduction de l'industrie nouvelle n'était qu'un météore. Sans le système protecteur, on n'aurait pas pu tromper ainsi les populations flamandes.

Messieurs, comment les Flandres se sont-elles relevées ? Est-ce en marchant dans l'ancienne voie, en continuant à nourrir ces illusions ?

Non, messieurs, les Flandres, qui étaient tombées très bas, ont eu besoin de la main secourable du gouvernement ; le gouvernement est intervenu, et il a introduit de nouvelles industries ; il a aidé les Flandres à produire autre chose que ce qu'elles produisaient.

Le gouvernement est venu combattre les illusions que le système avait permis de répandre. Il a poussé à une meilleure fabrication, à l'emploi de meilleurs outils ; il a fait enfin ce que, sous une législation différente, la concurrence, le stimulant de l'intérêt privé aurait effectué, et ce qui se serait effectué naturellement, sans secousse, sans crise. L'industrie linière se serait transformée lentement, insensiblement. Maintenant elle ne l'a fait qu'à la suite d'une perturbation effrayante. Sa situation est encore si précaire, que l'honorable membre lui-même prédit qu'elle succombera, si elle ne conserve pas son marché privilégié de France.

Maintenant, messieurs, un mot en réponse à l'honorable M. Dumortier.

L'honorable M. Dumortier a continué à me traiter de théoricien. Les faits, me dit-il, vous ne les connaissez pas ; les faits ne sont rien pour vous.

Or, messieurs, j'ai blâmé le tarif qui nous gouverne en ce moment ; j'ai déclaré que ce tarif est nuisible à l'industrie et au travail national ; j'ai déclaré également que ce tarif est injuste envers nos consommateurs.

Quant au premier point, c'est une matière ouverte à discussion, mais le second, y a-t-il un homme qui, le tarif à main, peut le contester ?

Voyons : la toile de coton est frappé, en Belgique, d'un droit de 180 fr. 20 c. par cent kilogrammes. Je tiens en mains quatre espèces de tissus-de coton :

La première est fabriquée avec du fil n°15, toile entièrement à l'usage des pauvres, qui coûte 10 1/2 pence en Angleterre (c'était le prix au mois de septembre) ; cette toile est protégée d'un droit de 190 p. c. Ce serait 72 p. c, si la protection portait sur la matière première comme sur la fabrication ; mais on n'en est pas encore venu à vouloir protéger, en Belgique, le travail nègre, c'est le travail national seul qu'il s'agit de protéger.

L'honorable M. Dumorticr déclare que c'est ainsi qu'il l'entend, que c'est en faveur du travail national que ces droits sont établis ; la fabrication de cette toile jouit donc en Belgique d'une protection de cent pour cent.

Voici une autre toile, également à l'usage des pauvres, fabriquée avec du fil n°21, coûtant par livre 11 pence et demi, celle-là est frappée d'une protection de 160 p. c.

- Un membre. - Ce n'est pas de la théorie.

M. de Brouwer de Hogendorp. - Non. ce n'est pas de la théorie cela.

Une toile fabriquée avec du fil n°34 et n°37, toile qui sert à l'impression et qui est portée par le pauvre et par la classe moyenne, cette toile est protégée par un droit de 103 p. c.

Maintenant, messieurs, il y a une autre toile, qui est portée, celle-là, (page 94) par la grande dame ; cette toile est fabriquée avec du fil n°120 et 96 ; eh bien, cette toile paye, non pas 190 p. c., comme la toile à l'usage du pauvre, mais elle paye 200 p. c.

Ce ne sont pas là, messieurs, des théories, ce sont des faits et je le demande, n'ai-je pas le droit de venir combattre un tarif aussi irrationnel ? M. Dumorlier, qui se constitue le défenseur de la charité par excellence, M. Dumortier ne doit-il pas dire que c'est là une injustice commise envers nos classes pauvres, que c'est une injustice commise envers nos classes ouvrières, que c'est une injustice commise envers nos classes agricoles ?

M. Loos. - Messieurs, je pense que ceux qui disent constamment à l'industrie qu'elle a réalisé de grands progrès sous le rapport du bon marché et de la perfection du travail, sont aussi ceux qui lui rendent le plus mauvais service. Ce n’est pas dans cette discussion seulement qu’on a dit à l’industrie : Vous fabriquez aussi bien et à aussi bon marché que les industries rivales ; c’est depuis longtemps qu’on le fait, c’est bien avant que je n'eusse l’honneur de siéger dans cette enceinte ; ce langage a eu pour effet d'endormir, dans une fausse sécurité, l'industrie du pays, pendant que l'industrie de nos voisins marchait et progressait.

On n'a trouvé d'autre raison à cet état de choses que d'accuser le commerce d'indifférence, d'incurie ; j'ai même entendu, dans cette enceinte, accuser le commerce d'égoïsme. Et pourquoi ? Parce que le commerce ne rendait pas à l'industrie le service d'exporter des produits qui, en réalité, n'étaient pas exportables. C'est pour réaliser ce service, messieurs, que, de toutes parts, aujourd'hui, surtout dans les Flandres, on voudrait voir établir par l'Etat, avec le concours des commerçants, une société d'exportation. Non pas une société d'exportation, on s'est hâté de le dire, telle que la dépeignait l'honorable M. Sinave, qui s'efforcerait de faire ce qu'on reproche au commerce de ne point faire ; qui s'efforcerait d'exporter les produits tels qu'on les fabrique et non pas tels qu'on les désire sur les marchés étrangers, c'est-à-dire une société dont le capital passerait bien vite de la caisse de cette société dans la caisse des industriels.

Pour ma part, je n'ai pas besoin de vous dire que j'ai connu de prime abord le but que voulait atteindre l'industrie des Flandres, et bien que j'appartienne à une ville commerciale, où se réaliserait probablement cette opération, qui tournerait à son avantage, j'ai toujours protesté contre la création d'une semblable société et telle sera encore ma conduite à l'avenir.

Messieurs, nous avons des industries dans le pays qui ont beaucoup progressé. Applaudissons à ces induslries, mais quant aux autres, abstenons-nous soigneusement de leur donner des paroles, qui les maintiendraient dans une fausse sécurité. Engageons-les, au contraire, à étudier à l'étranger quels sont les produits réellement propres à l'exportation.

Facilitons-leur les moyens de faire convenablement cette étude, et que le gouvernement les y encourage. C'est le plus grand service qu'on puisse leur rendre.

Vous avez vu, messieurs, ce qui s'est passé pour l'industrie linière. On nous a dit tout à l'heure que le gouvernement actuel n'avait fait que continuer à marcher dans la voie ouverte par le gouvernement précédent. Je crois que c'est une erreur. L'honorable M. de Brouwer l'a dit avant moi. Si le gouvernement actuel avait continué à marcher dans l'ancienne ornière, l'industrie linière belge en serait encore à n'employer que du fil à la main. Le fil à la main était la fortune des Flandres ; il ne s'agissail que de perfectionner certains procédés, d'améliorer la qualité du fil, d'arriver à un numérotage convenable, et moyennant cela, il était bien démontré que les Flandres devaient conserver la qualité de leurs toiles et que, tôt ou tard, la Providence leur aurait envoyé des acheteurs.

La Providence leur aurait envoyé des acheteurs comme elle leur a envoyé deux années de bonne récolte. C'est ainsi que l'on attribue exclusivement à la Providence ce qui a été réalisé dans les Flandres depuis quelque temps. Sans doute, la Providence a beaucoup fait, car, je dois le dire, le bon marché des vivres a diminué dans une très forte proportion la misère des Flandres ; mais la cause principale de l'amélioration de la situation des Flandres, ce sont les sages mesures prises par le gouvernement.

Messieurs, dans la séance d'hier, on nous a beaucoup prôné, outre la société d'exportation, l'établissement de comptoirs dans les pays lointains, et l'on a engagé très fortement le gouvernement à créer ces comptoirs. Je ne sais pas, messieurs, comment le gouvernement parviendrait à créer des comptoirs ; je sais comment il peut contribuer à leur création, comment il peut encourager ceux qui veulent établir un comptoir sur un point quelconque où il puisse prospérer ; c'est en faisant ce qu'il a fait depuis quelque temps, c'est en encourageant de jeunes négociants, des apprentis négociants à émigrer vers certaines contrées, à travailler dans les maisons de commerce du pays, et à acquérir peu à peu la connaissance des besoins des localités où ils sont établis.

C'est ainsi que tous les comptoirs belges qui existent aujourd'hui à l'étranger se sont formés, à peu d'exceptions près. Vouloir créer ces comptoirs d'une manière artificielle, c'est consentir d'avance à perdre un capital, et en définitive c'est ne rendre aucun service à l'industrie.

J'engage donc le gouvernement à continuer d'encourager les fils de nos commerçants et surtout de nos industriels à émigrer vers certains pays étrangers ; car ce sont moins des agences commerciales que des agences industrielles qu'il nous faut. Les agences commerciales peuvent être utiles à l'industrie, mais les agences industrielles lui sont indispensables.

Voyez ce qui se passe dans d'autres pays. Sont-ce les commerçanls qui viennent vous offrir les produits des contrées qui nous environnent ? Non, messieurs ; ce sont les fabricants, ceux qui ont intérêt à la vente de ces produits, qui viennent vous les offrir, qui viennent étudier quels sont vos besoins et qui cherchent à les satisfaire. Voilà la seule marche qu'il soit utile de suivre ; toute autre voie serait artificielle ! elle ne réussirait pas.

Messieurs, je suis un de ceux qui croient qu'un moyen de faire connaître l'industrie belge à l'étranger, et surtout de faire connaître à l'industrie belge les besoins de l'étranger, qu'un de ces moyens les plus efficaces, c'est l'établissement de consuls dans les pays étrangers. (Interruption.)

J'entends dire à côté de moi : consuls rétribués ; c'est aussi ma pensée. Pour tous les autres consuls, à quelques exceptions près, ces fonctions ne sont qu'un titre qui leur procure quelques honneurs dans les localités où ils sont établis ; honneurs dont ils ne se montrent pas toujours très reconnaissants ; car, suivant moi, très peu d'entre eux envoient des renseignements, et surtout des renseignements utiles au département des affaires étrangères. Les consuls rétribués, au contraire, ont à justifier du mandat qui leur est confié.

Il est à remarquer que lorsqu'un des cabinets précédents est venu demander à la chambre une augmentation de crédit pour accréditer à l'étranger un plus grand nombre de consuls rétribués, le gouvernement n'a pas été précisément appuyé alors par les membres de la chambre qui soutiennent aujourd'hui qu'il faut faire connaître l'industrie belge à l'étranger ; je me rappelle que ce sont surtout ces membres-là qui ont combattu la proposition faite par le gouvernement à cette époque.

Je crois que les agents consulaires peuvent être d'un très grand secours. C'est au moyen de ces agents que l'Angleterre et la France se font renseigner sur le mouvement commercial des localités où ces consuls sont établis, sur le changement qui s'opère dans les besoins et les goûts des populations. C'est grâce à ces renseignements que les gouvernements communiquent à l'industrie, qu'elle se tient constamment à la hauteur des divers besoins qui se révèlent.

Messieurs, il est encore d'autres moyens de faire connaître et la Belgique et ses produits à l'étranger. Sur divers points en Europe nous voyons s'établir aujourd'hui une ligne de bateaux à vapeur vers les pays transatlantiques. Jusqu'à présent, des pays d'une moindre importance que la Belgique, des villes d'une moindre importance qu'Anvers, ont vu s'établir une ligne de bateaux à vapeur.

On s'est souvent demandé, j'ai entendu demander par un ancien ministre, qui avait à peine quitté les affaires, pourquoi ses successeurs n'avaient pas établi une ligne de bateaux à vapeur. Je ne veux pas dire que ces lignes de navigation doivent être établies pour le compte de l'Etat ou par l'Etat ; mais il est impossible qu'il s'en forme jamais sans l'aide de l'Etat.

El ici ce ne sont pas des primes que je réclame ; je demande simplement que le gouvernement belge fasse ce que tous les autres gouvernements ont fait, pour encourager l'établissement de lignes de navigation transatlantiques. Croyez-vous que l'Angleterre qui possède différentes lignes vers les Etats-Unis, vers les Antilles et vers la Méditérranée, n'ait fait aucun sacrifice ? Croyez-vous que les Etats-Unis où certes le système protectionniste n'existe pas, possèdent des lignes de baleaux à vapeur, sans que le gouvernement contribue aux dépenses que ces lignes nécessitent ? Ce serait là une erreur. Les lignes de bateaux à vapeur établies aussi bien en Angleterre qu'aux Etats-Unis, celles qu'on a tenté d'établir en France, reçoivent des subsides. Ces lignes sont principalement créées pour le transport des dépêches ; et c'est au gouvernement qui désire voir diriger vers ces bureaux de poste l'immense correspondance de ces pays ; c'est au gouvernement à savoir quelle est la dépense qu'il entend faire pour réaliser l'expédition de ces dépêches.

Le gouvernement des Etats-Unis alloue pour cet objet des sommes très considérables ; il donne pour l'établissement d'une ligne jusqu'à 500,000 dollars. Le gouvernement anglais accorde des sommes encore plus fortes, et jusqu'à présent qu'a-t-on fait dans notre pays ?

Le gouvernement ou du moins un des ministres qui siègent aujourd'hui dans le cabinet a tenté, un jour, de réaliser, aux frais du gouvernement seul, l'établissement d'une ligne de bateaux à vapeur, Je crois que si l'esprit de parti ne s'était pas emparé de cette création, elle serait (page 95) réalisée aujourd'hui, et tout le pays témoignerait sa reconnaissance au cabinet qui aurait établi cette ligne. Depuis lors, qu’a-t-on fait ? On a dit que la chose était irréalisable ; et pourquoi cela ? Parce que tout le monde avait contrarié la réalisation de ce projet. Je pense que le projet est très réalisable aujourd'hui, toutefois je suis forcé de dire qu'on n'a rien fait pour le réaliser.

Aujourd'hui nous voyons sur le continent le Havre, Brême, Lubeck, Hambourg, posséder une ligne très étendue de bateaux à vapeur, et notre pays seul en est privé jusqu'ici...

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Et les Pays-Bas.

M. Loos. - Pardon ; Rotterdam va réaliser un projet semblable.

Si je suis amené à parler d'une ligne de bateaux à vapeur, à propos de l’industrie, c'est parce que je crois que l'établissement de cette ligne sera essentiellement utile à l'industrie.

Messieurs, je suis obligé de revenir sur un point que j'ai déjà traité, c'est la fabrication des tissus appropriés aux besoins des marchés étrangers.

Il y a peu de temps que le gouvernement ,frappé de la lenteur des progrès que faisait l'industrie dans la production des articles propres à l'exportation, avait chargé la commission de St-Bernard, afin de faire cesser la concurrence qui se faisait dans ce produit, de rechercher quels étaient les articles propres à l'exportation qui pourraient être fabriqués. Quelques tentatives ont fini par faire adopter la fabrication des russias.

L'honorable M. de Haerne nous disait dans la séance d'hier qu'il avait appris d'avance que si la fabrication de cette toile pouvait réussir pour ce moment, cette réussite serait de peu de durée, et il a annoncé qu'aujourd'hui déjà dans les Flandres on a cessé cette fabrication. Je crois cependant qu'on continue à fabriquer des russias dans les Flandres. Mais ce qui, ici encore, prouve l'absence de l'initiative dans la fabrication pour les marchés étrangers, c'est qu'aussitôt que le gouvernement eut convié l'industrie à la fabrication des russias, tout le monde s'est mis à en fabriquer. On a cherché le débit exclusif de ces toiles, et c'est vers un seul point, vers la Havane, que tout le monde a dirigé le résultat de sa fabrication.

On a donc encombré le marché de la Havane, et nécessairement il faudra quelque temps avant qu'il soit de nouveau épuisé.

Si on avait encombré ce marché seulement de toiles telles que celles qu'on avait indiquées avec soin aux fabriques, le mal serait moindre ; mais, malheureusement pour la Belgique, on a encombré ce marché de toiles d'une qualité approchante ou supérieure, mais qui n'étaient pas des toiles propres à ce marché. Je suis convaincu que beaucoup d'industriels des Flandres seront rebutés par un insuccès. Quelques-uns ont tenté de faire moins bien afin d'obtenir le même prix.

Des industriels ont fait des essais et ils éprouveront une perte et peut-être ils seront détournés de toute fabrication pour les marchés étrangers. Si l'industrie linière se trouvait dans les bonnes conditions où on nous a dit qu'elle se trouvait aujourd'hui, cette industrie ne se bornerait pas a la fabrication des russias. En ce moment, et depuis que la fabrication de cette spécialité de toiles est si fortement développée, la commission de St-Bernard a cherché à fabriquer autre chose.

Pourquoi faut-il que ce soit une commission administrative qui s'occupe de cela ? Et pourquoi les industriels ne sont-ils pas assez soucieux de leurs intérêts pour faire ce que fait une commission de prison ? Et pourquoi encore ne vont-ils pas en Angleterre étudier la fabrication des toiles et voir des cargaisons entières partir de Belfast et de Liverpool ? S'ils ne peuvent pas le faire, je demande pourquoi la commission administrative de St-Bernard s'est livrée à un autre genre de fabrication et pourquoi elle a reçu des ordres assez importants d'autres articles, qu'elle fabrique à meilleur marché que les Anglais ? Evidemment, c'est que la commission des prisons qui elle cependant n'est pas initiée à tous les secrets de la fabrication, à toute l'économie de cette industrie pouvait faire beaucoup mieux que l'Angleterre.

Qu'on ne dise pas que c'est une fabrication artificielle ; le gouvernement a prouvé, il prouvera de nouveau que la fabrication de St-Bernard procure de notables bénéfices.

Messieurs, dans la séance d'hier, j'entendais l'honorable M. Cumont dire : Nos exportations d'outre-mer ne dépassent pas 8 p. c. des exportations générales ; si nous pouvons lutter sur les marchés de l'Europe, pourquoi ne pourrions-nous pas le faire avec le même succès sur les marchés transatlantiques ? Voilà la question. J'ai une réponse fort simple à y faire. Vous faites parfaitement bien pour les marchés d'Europe, vous faites très mal pour les marchés étrangers.

Si les marchés d'Europe sont connus depuis longtemps, vous avez pu vous rendre compte des besoins des marchés d'Europe et vous ne connaissez pas les besoins des colonies. En effet, les goûts aux colonies ne sont pas les mêmes qu'en Europe ; là il s'agit beaucoup moins de la qualité que du bon marché et de l'apparence. La fabrication de Saint-Bernard est une preuve de ce que j'avance ; à un apprêt séduisant, elle réunit un prix fort modique ; voilà avec quoi on réussit aux colonies ; cette fabrication n'aurait pas de succès sur les marchés d'Europe. Il faut travailler pour les marchés où l'on veut exporter, et ne pas prétendre que les consommateurs doivent se conformer à votre goût, à votre manière de travailler.

Messieurs, en terminant, je répondrai un mot à la motion de l'honorable M. Van Grootven, qui a demandé que le gouvernement, pour venir en aide à l'industrie gantoise, fît partir dorénavant du port de Gand des navires, subsidies par l'Etat, qui aujourd'hui partent exclusivement du port d'Anvers. Je ne crois pas qu'il puisse être fort avantageux pour les intérpets de la Belgique que les diverses localités se jalousent entre elle. Je pense que la posiiton du port de Gand est fort belle, par suite de l'activité industrielle qui règne dans la ville, et que s'il voulait lutter pour la navigation avec le port d'Anvers, il se ferait tort en même temps qu'il nuirait au port d'Anvers.

L'honorable M. Van Grootven pense que l'industrie gantoise parviendra à charger complètement les navires qu'il voudrait voir partir du port de Gand. La preuve, vous dit-il, c'est que le commerce de Gand a expédié un navire sans le moindre subside. Il y avait sans doute, dans ce moment-là, un cas d'urgence ; mais ce départ a-t-il eu lieu vers une destination subsidiée par l'Etat ?

M. Van Grootven. - C'est pour Valparaiso.

M. Loos. - Si ce cas se représente, je verrai sans jalousie le gouvernement satisfaire le désir de l'honorable député de Gand.

Je crois cependant qu'il serait plus avantageux pour l'industrie gantoise de pouvoir envoyer ses marchandises avec la certitude d'un départ à jour fixe, que d'avoir un départ de son port, pour lequel elle devrait attendre deux ou trois mois que le chargement fût complété.

Au lieu de nous envier les éléments de prospérité que la nature nous a donnés, je crois que nous devons nous aider et faire en sorte que différentes branches de la prospérité publique se développent. Pour ma part, je n'aurai jamais recours à des moyens mesquins, pour augmenter la prospérité de la ville que je représente, au détriment des autres.

M. le ministre des affaires étrangères (M. d'Hoffschmidt). - Mon intention n'est pas de prolonger ces débats. Je veux seulement répondre quelques mots à l'honorable M. Loos.

Je partage son opinion sur la grande utilité pour le commerce et l'industrie belge, des services de navigation à la vapeur. Je dis même qu'il est étrange qu'un port comme Anvers soit privé d'une ligne de navigation à vapeur vers les Etats-Unis. Nos voisins sont beaucoup plus avancés que nous sous ce rapport. Déjà depuis plusieurs années, il y a une ligne en activité entre Brême et New-York, une autre entre le Havre et l'Amérique ; une société vient de se constituer récemment avec subsides des Etats-Unis pour exploiter cette ligne ; une autre va être établie à Rotterdam. Remarquez que quant à la société qui est suite point de se former définitivement à Rotterdam, elle ne demande aucun subside au gouvernement ; elle n'entend marcher que par ses propres forces. Je crois donc que les premiers efforts à cet égard, en Belgique comme dans les Pays-Bas, devraient partir du commerce et de l'industrie. L'honorable M. Loos dit fort à tort, selon moi, que le gouvernement jusqu'ici n'a rien fait. Est-ce que le gouvernement aurait déclaré qu'il n'entend pas intevvenir ? Aurait-il refusé son concours ? Par le moins du monde.

Nous n'avons cessé de déclarer que si une société se constituait, le gouvernement lui prêterait son concours ? Des conférences ont eu lieu avec des négociants pour la création d'une société de ce genre, et à mon grand regret, elle ne s'est pas encore constituée ; on y a même mis jusqu'à présent assez peu d'empressement.

Ainsi, je n'accepte pas le reproche qu'on nous adresse de n'avoir pas fait ce qu'on devait faire. Chaque fois que l'occasion s'en est présentée, nous avons entretenu le commerce de l'intérêt qu'il aurait à créer une ligne de navigation à vapeur vers les Etats-Unis, en déclarant que le gouvernement prêterait son concours à la société qui voudrait s'en charger.

Des agents ont même été envoyés sans succès pour voir s'il n'y aurait pas moyen d'appeler des capitaux étrangers en aide pour former une pareille société. Messieurs, il ne faut pas se reposer toujours sur le gouvernement, il faut que les commerçants et les industriels, soit pour des sociétés d'exportation, soit pour des services de navigation, agissent et donnent l'impulsion.

Je le dis, du reste, avec plaisir, plusieurs hommes actifs et intelligents s'occupent dans ce moment de la formation d'une société pour l'établissement d'un service de navigation à vapeur entre New-York, et Anvers, l'un d'eux est même parti pour les Etats-Unis.

D'autres se sont rendus en Allemagne, se sont adressés au commerce et à l'industrie des provinces rhénanes. Il y a plusieurs combinaisons en avant en ce moment. Nous avons même été informés que des capitalistes des Etats-Unis songent également à intervenir dans une semblable combinaison.

Il y a donc lieu d'espérer qu'une société de navigation entre la Belgique et les Etats-Unis ne tardera pas à s'établir.

Mais il nous faut encore d'autres lignes de navigation, avec l'Espagne, par exemple, et avec la Russie.

J'aime à croire que ces services seront également établis ; des arrangements internationaux pourraient même être recherchés dans ce but.

L'honorable M. Loos vous a parlé aussi des avantages que présenterait l'institution d'un grand nombre de consulats rétribués. Je suis loin d'en contester toute l'utilité. Mais il ne faut cependant jeter, en quoi que ce soit, le blâme sur les consuls non rétribués. Je crois que l'honorable M. Loos a parlé d'eux avec trop de sévérité. Il pourrait citer lui-même des exemples qui prouveraient contre son opinion.

Il y a un assez grand nombre de consuls non rétribués, qui remplissent parfaitement leurs devoirs, qui ne laissent rien à désirer sous ce rapport, qui donnent tous les renseignements possibles au gouvernement, qui cherchent à être utiles au pays aussi bien que s'ils recevaient un traitement.

(page 96) Cependant, en thèse générale, les consuls rétribués ont naturellement plus d’obligations à remplir.

On est en droit de leur demander plus, et ils accomplissent leurs devoirs avec plus d’ardeur.

Mais des consulats rétribués, à une certaine distance du pays occasionnent une grande dépense. Nous en avons eu un à Pérou ; snn traitement était de vingt-cinq mille francs. Plusieurs fois on en a demandé la suppression.

Si, comme l'a demandé l'honorable M. de T’Serclaes, rapporteur de la section centrale, nous devions en établir à Singapore, à Manille, au Pérou, en Californie, au Chili, etc., il nous faudrait réclamer des chambres des sommes fort élevées qui ne cadreraient pas avec le système d'économie qui a été adopté, vu les circonstances dans lesquelles le pays se trouve.

Je dirai même que l'on demande beaucoup à nos agents à l'extérieur. Si l'on veut exiger qu'ils accomplissent leurs fonctions avec tout le succès désirable, alors il faudrait entrer dans une autre voie ; il faudrait que leurs traitements fussent plus élevés.

En 1848, nous avons adopté un système d'économie très prononcé. Mais, à cette époque, j'ai fait mes réserves et déclaré que je ne considérais pas ces traitements comme normaux. Si nous nous occupons des consuls rétribués, ne conviendra-t-il pas de revenir sur le chiffre des traitements, tel qu'il a été fixé à une autre époque ? Je dois le dire, c'est une question qui attire et qui a déjà attiré plusieurs fois l'attention du gouvernement.

Je bornerai là mes observations en réponse à l'honorable préopinant.

M. Delehaye. - Messieurs, quoique cette discussion ne soit pas destinée à avoir une solution quelconque, puisqu'il s'agit seulement d'expliquer son opinion sur la liberté commerciale et sur la protection dont jouissent certaines industries, je croirais manquer à mon devoir si je ne répondais pas en ce moment à certaines objections qu'on a faites contre les industries de la province dont j'ai l'honneur d'être l'un des représentants.

Avant tout, permettez-moi de répondre un mot à l'honorable député d'Anvers qui le dernier s'est fait entendre. Il a mal interprété l'observation de mon honorable ami M. Van Grootvcn, qui a été l'interprète de toute la ville de Gand, lorsqu'il a demandé l'établissement d'un service subsidié de navigation parlant de Gand pour Valparaiso. Comment une ville qui fait des expéditions régulières vers Valparaiso et qui peut former des cargaisons complètes ne serait-elle pas aussi bien que d'autres ports le point de départ d'une navigation régulière subsidiée ?

Au reste l'honorable ministre des affaires étrangères a répondu à cette question en disant qu'il la soumettrait à un examen et qu'il verrait s'il est possible d'y donner une solution affirmative.

L'honorable M. Van Grootven a été l'organe de toute la ville de Gand lorsqu'il a dit que sous ce rapport la prospérité d'Anvers ne pourrait recevoir la moindre atteinte. Il importe à la prospérité générale du pays et notamment de la ville de Gand que le commerce prenne une extension beaucoup plus grande qu'il a aujourd'hui.

Que l'honorable M. Loos en soit bien persuadé, Gand fera toujours des vœux pour la prospérité d'Anvers. Il n'y a pas plus d'antagonisme entre Gand et Anvers qu'il n'y en a entre l'industrie et le commerce. L'industrie sait très bien l'importance qu'a pour elle la question de la vente ; il ne suffit pas de produire, il faut pouvoir placer.

Mais ceux qui attaquent les moyens de protection nous donnent-ils des moyens de vente ? L'honorable député de Malines a parlé trois fois sur cette question et quelque plaisir que j'aie à l'entendre, qu'il me permette de le lui dire ; trois fois il est tombé dans des contradictions flagrantes.

Qu'a dit l'honorable membre ? Que les Flandres avaient trop longtemps protégé l'industrie linière. Je ne sais s'il y a de la présomption à croire que la chambre peut se souvenir de ce que j'ai eu l'honneur de dire, j'ose croire cependant qu'elle se souvient que, dans une circonstance solennelle, j'ai dit qu'on aurait tort de ne pas favoriser la nouvelle industrie linière ; mais il est incontestable que la nouvelle industrie linière jouit de la même protection que l'ancienne, ainsi tous les reproches qu'il fait à l'ancienne industrie tombent d'aplomb sur la nouvelle.

Maintenant je demanderai à l'honorable membre quelle est l'industrie qui ne doit pas sa prospérité au système protecteur. Il cite souvent l'Angleterre où il paraît qu'il a fait des études si sérieuses et si utiles. Qu'il veuille bien nous dire, je lui en donne le défi, quelle est dans ce pays la branche particulière d'industrie qui ne doive pas sa prospérité au système protecteur.

Soyons justes avant tout. Peut-être un temps viendra, plaise à Dieu ! que ce soit bientôt où on pourra se relâcher du système protecteur ; mais pour le moment ce système est une nécessité sagement entendue, de manière à donner une certaine force, un certain appui aux industries naissantes, c'est un système excellent préconisé par toutes les nations.

Est-il nécessaire que j'invoque devant vous ce qui s'est passé à des époques déjà reculées ? Que s'est-il passé en France ? Nous livrions à la France des quantités considérables de nos produits liniers ; la France était tributaire de la Belgique qui n'avait qu'à produire pour être certaine de placer sur le marché français. La France a senti l'importance de cette fabrication, elle a adopté le système protecteur, qu'est-il arrivé ? C'est que l'industrie linière a pris en ce pays, en quelques années, un développement considérable. Je m'adresse au bon sens et à l'impartialité de l'honorable membre ; cet exemple est frappant et contemporain.

Que l'honorable membre me dise s'il croit que la France, en permettant l'importation sur ses marchés des produits liniers de l'Angleterre et de la Belgique, aurait pu établir chez elle la fabrication des fils.

Messieurs, on a encore fait aux Flandres et à la ville de Gand un reproche qu'il est de mon devoir de repousser. On vous a dit : le système protecteur ne tend qu'à une chose, à rester stationnaire.

Messieurs, soyons fiers de noire pays, applaudissons-nous des efforts qui ont été obtenus par notre industrie ; mais qu'il me soit permis de le dire, et de le dire avec une certaine fierté nationale, si nous pouvons être fiers de notre industrie, ne devons-nous donc rien aux Flandres, ne devons-nous rien à la ville de Gand ? Que l'honorable membre qui va si loin, qui va en Angleterre étudier les progrès de l'industrie, vienne à Gand visiter nos établissements ; il verra que ces établissements, pour certaines spécialités, sont les rivaux des établissements anglais, leur sont même supérieurs.

L'honorable membre s'étonne que l'on accorde pour les produits communs une plus forte protection que pour les produits fins. Mais il ne se rend pas bien compte des motifs qui font agir de la sorte. Pourquoi accorde-t-on une protection beaucoup plus forte aux tissus communs qu'aux tissus fins ? C'est parce que les tissus communs se rattachent plus spécialement au travail national. On n'accorde pas seulement des protections aux consommateurs de ces produits ; mais on en établit aussi une dans l'intérêt de la classe ouvrière.

Messieurs, je vous le demande, je le demande à tout homme de bonne foi et surtout à mon honorable ami M. de Brouwer, le travail national ne trouve-t-il pas une source beaucoup plus prospère dans le produit des tissus communs que dans celui des tissus fins ?

M. de Brouwer de Hogendorp. - Et les consommateurs ?

M. Delehaye. - Mon honorable ami appelle mon attention sur un autre point et je l'en remercie, quoiqu'il me fasse perdre le fil de mes idées. (Interuption.)

Il me dit : Et les consommateurs ? Mais j'ai appelé son attention sur ce qui s'est passé en France. J'ai dit que dans toute protection, il fallait voir non seulement les consommateurs, mais aussi la classe ouvrière.

En effet pourquoi cherche-t-on à implanter une industrie quelconque dans un pays ? N'est-ce pas surtout pour satisfaire aux besoins de la consommation ? Quels sont les pays qui payent le plus cher ? Ce sont ceux qui sont tributaires des autres pays. Mais du moment que l'industrie nationale est en lutte avec l'industrie similaire étrangère, ne voyez-vous pas que le prix du produit de cette industrie baisse et que le consommateur en profite. Si la France était à la merci de l'Angleterre et de la Belgique pour les tissus de lin, ses consommateurs en souffriraient, parce que l'Angleterre et la Belgique lui vendraient leurs produits beaucoup plus cher.

Ainsi mon honorable ami M. de Brouwer indique ce qui fait la force de mon argument ; nous ne demandons pas qu'il y ait une protection industrielle et commerciale pour les gros fabricants, nous en demandons une d'abord pour la classe ouvrière qui doit nous intéresser beaucoup ; nous en demandons une également au nom du consommateur.

Je reviens à l'idée que j'ai primitivement émise.

Le gouvernement a certainement pris une mesure très sage en accordant quelques bourses à des jeunes gens qui se proposent de faire connaître nos produits, nos progrès et nos besoins à l'étranger. Un fait de ce genre a été hier l'objet d'une attaque dirigée par l'honorable M. Rodenbach contre le gouvernement. Si j'avais été assis au banc ministériel, je n'aurai pas voulu, comme a paru le faire le ministre de l'intérieur, accepter ce reproche. J'aurai donné une explication bien simple de ce fait. L'honorable M. Rodenbach s'est plaint de ce que le gouvernement avait accordé une de ces bourses au fils d'un millionnaire. Mais lorsque nous nous rendons bien compte de cette institution, je dis qu'il faut reconnaître que le gouvernement doit donner la préférence aux fils des riches industriels.

Croyez-vous donc que le fils d'un millionnaire ira sans avantage renoncer à toutes les douceurs, à tout le bien-être qu'il rencontre dans son pays pour aller étudier à l'étranger ? Ce qui a induit en erreur l'honorable M. Rodenbach, c'est le mot de bourse. Ce mot est d'une application fausse, il s'agit ici d'une somme que donne le gouvernement à des jeunes gens pour les engager à aller étudier les besoins du pays à l'étranger. Or, moi, je désire qu'il donne toujours la préférence aux fils des premières familles commerçantes et industrielles du pays. Et je le demande à l'honorable M. Rodenbach, si le gouvernement envoyait à l'étranger, dans un pareil but, le fils d'une famille pauvre, qu'arriverait-il ?

I.e jeune homme étudierait peut-être, il montrerait beaucoup de zèle ; mais croit-il qu'il saurait se créer de nombreuses relations et placer avantageusement les produits du pays ? Le fils, au contraire, d'une maison commerciale et industrielle puissante, placera d'abord les produits de sa propre maison ; il aura intérêt à placer le plus de produits possible.

Ainsi, que le gouvernement n'accepte pas le reproche qui lui a été adressé. S'il a accordé une bourse au fils d'un industriel millionnaire, que je ne connais du reste nullement, je l'en félicite, et je ne dirai pas qu'il a posé un fait scandaleux, je dirai qu'il a bien compris le but de la mission de ces jeunes gens et qu'il a agi d'une manière conforme aux intérêts du pays.

(page 97) L'honorable M. Loos nous a supposé bien peu intelligent des intérêts généraux du pays, lorsqu'il a cru qu'en demandant l'établissemeut d'une société d'exportation, nous avons voulu absolument qu'on ne fît que des sacrifices. Lorsque plusieurs de nos collègues ont demandé la création d une société d'exportation, qu'ont-il voulu ? Ils ont voulu qu'à l'aide de cette société nos industriels apprissent à connaître les besoins sur les marchés étrangers. Le commerce isolé, le commerce privé, comme l'industrie privée, ne cherche qu'une chose, son intérêt. Mais il ne fera pas de tentative, il n'ira pas prendre des informations au loin, s'il n'est certain de l'avantage. Quant à moi, je partage l'opinion de mon honorable ami M. Cumont, je crois qu'une société d'exportation bien organisée, bien comprise, serait fort utile au pays.

Qu'il me soit permis de le dire en finissant, l'honorable M. Loos peut être convaincu que la ville de Gand n'éprouve contre la ville d'Anvers aucun sentiments de jalousie ; il doit exister entre ces deux villes des relations mutuelles également avantageuses pour l'une et pour l’autre ; la prospérité de l'une tient à la prospérité de l'autre, et l'une ne peut éprouver un dommage sans que l'autre, sans que le pays tout entier s'en ressente. Ainsi la ville d'Anvers n'a pas de jalousie, de rivalité à craindre de notre part. Nous sommes convaincus que les deux villes se tendront mutuellement la main et agiront pour le plus grand avantage de la Belgique tout entière.

- La séance est levée à 4 1/2 heures.