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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mercredi 4 décembre 1850

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1850-1851)

(Présidence de M. Delehaye.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. Ansiau procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.

- La séance est ouverte.

M. de Perceval donne lecture du procès-verbal de la dernière séance ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Ansiau fait connaître l'analyse des pièces suivantes adressées à la chambre.

« Le sieur Thaddée Terlecki, employé à l'administration des chemins de fer de l'Etat à Bruxelles, né à Unitz (Pologne), demande la naturalisation ordinaire. »

- Renvoi au ministre de la justice.


« Le sieur Baillieu, enseigne de vaisseau en inactivité, réclame l'intervention de la chambre pour qu'on lui permette de sortir de la maison de santé où il a été incarcéré. »

- Renvoi à la commission des pétitions.

Rapport sur une pétition

M. Lelièvre, au nom de la commission des pétitions, donne lecture du rapport suivant. - Messieurs, le sieur Muller Pellering s'est adressé à la chambre pour se plaindre de l'arrêté d'expulsion dont il a été l'objet.

La commission, qui n'était pas à même d'apprécier les faits sur lesquels était fondée cette mesure rigoureuse, a conclu au renvoi de la pétition à M. le ministre de la justice, émettant toutefois l'avis que des actes de cette nature ne pouvaient être justifiés que par des considérations graves et impérieuses.

La conclusion du rapport a été adoptée par la chambre.

Aujourd'hui le pétitionnaire s'adresse de nouveau à nous pour protester contre l'opinion émise sur son compte par l'administrateur de la sûreté publique.

La commission ne peut que conclure au renvoi de la requête au ministre de la justice, qui est déjà saisi de l'examen de l'affaire en vertu de la première décision de la chambre, et comme il est important que cette affaire soit éclaircie, la commission propose le renvoi avec demande d'explications.

- Ces conclusions sont adoptées.

Projet de loi portant le budget du département de l’intérieur pour l’exercice 1851

Discussion du tableau des crédits

Chapitre XII. Agriculture

Discussion générale

La discussion continue sur l'ensemble du chapitre XIII, Agriculture.

M. Boulez. - Messieurs, permettez-moi de vous dire quelques mots relativement à la situation de nos campagnes des Flandres.

En général, les cultivateurs de ces campagnes sont dans un véritable état de souffrance et ne peuvent que très difficilement payer leurs loyers, leurs contributions et leurs charges locales, souvent énormes. Bon nombre d'entre eux sont obligés de vendre le peu de biens qu'ils possèdent pour suffire aux besoins de leur position actuelle.

Les Flandres qui n'ont pas de mines, pas de houillères, pas de carrières, ont vécu longtemps, en état de prospérité, des profits de l'industrie linière ; mais aujourd'hui que cette industrie, malheureusement déplacée, s'est transportée en partie des campagnes dans les villes, l'avenir se présente pour ces provinces sous un très sombre aspect, ce qui mérite la plus sérieuse attention de la part du gouvernement et de la législature.

Chose remarquable, messieurs ! dans nos Flandres, les campagnes payent plus que la moitié des contributions, n'ont qu'un sixième de fortune, et tous les avantages sont concédés aux villes importantes, aux grands centres de population.

Je le sais, on a créé des ateliers d'apprentissage. C'est une bonne mesure ; c'est un bienfait pour le pays ; beaucoup d'enfants et de jeunes gens, qui autrefois couraient les rues et dévastaient les propriétés, sont appliqués aujourd'hui à un travail utile et moralisant. J'engage le gouvernement à continuer d'introduire la fabrication des tissus nouveaux qui seconderait l'industrie linière ou qui remplacerait ses anciens produits.

Que M. le ministre del'intérieur veuille bien me croire : cette industrie offre encore de grandes ressources chez les tisserands des Flandres : je le prie de continuer par tous les moyens possibles les ateliers d'apprentissage et d'en augmenter le nombre ; le pays y gagnera sous tous les rapports.

Les primes pour l'exportation de nos toiles sont une mesure sage et dont je proclame hautement l'utilité. C'est cette mesure qui a le plus contribué, ja le pense, à faire écouler de nos produits et à nous ouvrir des débouchés nouveaux, même dans les pays lointains. Pour que nos relations avec ces pays prennent racine et se développent, il faut supprimer la prime, s'y prendre doucement, aller de degré en degré et ne pas brusquer les résolutions sous peine de suspendre les ateliers d'apprentissage qui reçoivent leur travail des industriels qui exportent.

Incidemment, je dirai qu'en attendant l'expiration de notre traité avec la France, il est urgent d'employer tous les moyens possibles pour procurer à nos produits des débouchés plus assurés.

L'industrie agricole étant l'élément le plus important, le plus utile et le plus avantageux de l'activité industrielle du pays, elle mérite donc autant que toute autre la protection du gouvernement ; ce n'est pas par des écoles d'agriculture, des expositions ni des images, que l'agriculture peut se soutenir. Il faut des protections plus efficaces : un moyen très avantageux serait de protéger les distilleries agricoles, qui chôment en partie, et d'ôter aux grandes distilleries urbaines les avantages dont elles jouissent et de permettre aux distilleries agricoles de travailler comme elles l'entendent.

Donnez à toutes les distilleries en général les mêmes avantages et les mêmes facilités, c'est-à-dire une réduction de 30 pour cent sur les droits à tout distillateur qui engraissera du bétail proportionnellement à l'importance de sa fabrication et cultivera en proportion de sa distillation ; ces dispositions mettraient en activité les distilleries agricoles, augmenteraient, je crois, le revenu de l'Etat, produiraient considérablement d'engrais si utile à l'agriculture et de la viande à bon marché, accessible à toutes les classes de citoyens, donneraient aussi un écoulement facile, presque dans chaque localité, aux produits agricoles, tel que seigle et orge, amèneraient une concurrence pour la vente du bétail maigre, dont le cultivateur ne peut se défaire dans ce moment qu'avec une diminution des prix sur l'année dernière d'environ quarante pour cent. Observez, messieurs, que les grandes distilleries urbaines emploient pour leur distillation souvent des grains étrangers et engraissent peu de bétail.

J'appelle l'attention de M. le ministre de l'intérieur pour qu'il veuille prendre en considération une mesure si avantageuse pour l'agriculture et accueillir ces conseils qui ne sont que ceux d'une longue expérience et d'une observation attentive des faits.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Messieurs, j'ai vu par le Moniteur de ce matin que l'honorable M. de Man d'Attenrode, à propos des écoles d'agriculture, a cru devoir renouveler la discussion du tarif qui frappe les denrées alimentaires à leur entrée en Belgique et mêler mon nom et mes opinions à cette discussion. M. de Man d'Attenrode a demandé que le ministre de la justice voulût bien se mettre d'accord avec le député d'Arlon. Je regrette infiniment de ne pas avoir été présent à la séance : j'aurais immédiatement fourni des explications des plus concluantes. Il m'eût suffi pour cela de rappeler quelques faits et de rappeler en même temps les paroles que je prononçais l'année dernière dans la discussion de la loi sur les denrées alimentaires.

En 1848, lorsque la question fut portée devant la chambre, je faisais partie de la section centrale, et quel était le droit que je défendais à cette époque ? Je demandais en section centrale, et je fais appel aux souvenirs entre autres de MM. Delfosse, de Renesse qui présidait la section centrale, et des autres membres, je demandais un droit de 1 franc par 100 kil., et je demandais une loi définitive. Voilà ce que je demandais à la section centrale de 1848 à 1849.

La section centrale me fit l'honneur de me nommer rapporteur, et je déclinai cette mission, précisément parce que, d'un côté, la loi n'était pas définitive et, d'un autre côté, parce que le droit n'était porté qu'à 50 centimes. Je prie donc la chambre de remarquer qu'à l'heure où je parle, la loi frappe les céréales d'un droit égal à celui que je demandais en 1848 et en 1819, et que ce droit est définitif.

En 1849, en présence d'une baisse qui menaçait d'aller en grandissant et un peu au point de vue, je ne fais aucune difficulté de l'avouer, au point de vue de la province que je représentais et que je représente encore, et où les denrées alimentaires entrent, non pas avec un droit d'un franc, mais avec le quart de ce droit, avec 25 centimes, par suite du traité avec l'Allemagne , je demandais que le droit fût porté à 1 fr. 50 c.,. et j'oubliais tantôt de dire, à propos de ce qui s'est passé en 1849 que, lorsque l'honorable M. Coomans demandait un droit plus élevé, je n'ai voté ni avec M. Coomans, ni avec M. de Man, preuve bien évidente que je ne les suivais pas sur le terrain des droits exagérés.

J'en reviens à 1849. Je dis qu'en 1849 , je demandais un droit d'un franc 50 centimes ; le gouvernement avait proposé d'abord 50 centimes ; plus tard il s'est rallié à un franc ; et la chambre a définitivement voté ce dernier chiffre qui était un droit intermédiaire entre celui que le gouvernement avait demandé et celui que j'avais proposé ; et à cette époque, j'ai si bien voulu que cette question fût une fois vidée, que j'ai voté pour une loi définitive. Je comprenais parfaitement que la discussion périodique de cette question, qui prenait beaucoup de temps à la chambre, ne pouvait jamais être utile à la chose publique, parce qu'elle entretenait dans le pays une irritation qu'il était nécessaire de faire disparaître.

Maintenant, j'arrive au discours que j'ai prononcé. Que constate ce discours ? Il constat ? que je suis en parfaite conformité d'opinion et de principes avec le cabinet actuel. Je déclarais à cette époque que j'étais partisan de la liberté commerciale. Voici ce que je disais :

« Les propositions du gouvernement rencontrent dans cette enceinte de nombreux adversaires. Je les divise en deux catégories : l'une (page 216) composée de protectionnistes, l'autre composée des partisans de la liberté commerciale, mais qui repoussent le système du ministère comme incomplet et, par conséquent, comme injuste envers une partie du pays,

« Je n'hésite pas, messieurs, à confesser mes opinions. J'appartiens à cette seconde catégorie, je suis partisan de la liberté commerciale, non pas en ce sens qu'il faille tout modifier, tout changer, tout détruire en un jour, mais en ce sens que, dans les limites des traités, il faut dès maintenant mettre la main à l'œuvre et pousser nos industries vers une liberté qui, comme toutes les autres, finira par triompher. »

Voilà ce que je disais dans cette discussion.

Maintenant quelle était la divergence d'opinion ? La divergence d’opinion était exclusivement relative à un cas d'application. Eh bien, la chambre a décidé, et à cette époque, je le répète, je me suis parfaitement soumis à la décision de la chambre, puisque j'ai voté la loi comme devant être définitive, et que j'avais obtenu ce qu'une année auparavant, j'avais demandé. Je prie l'honorable M. de Man de bien vouloir se rappeler cette circonstance.

Maintenant, en présence de ces antécédents, à quoi suis-je tenu ? Est-ce à demander des droits plus élevés ? Mais l'honorable M. de Man a repoussé hier la supposition d'une demande de droits plus élevés comme une espèce d'injure ; il a déclaré qu'il ne demandait pas de droits plus élevés ! Dois-je aller plus loin que l'honorable M. de Man ?

Suis-je tenu à demander immédiatement l'abolilion des tarifs, à réclamer du jour au lendemain une réforme radicale, complète, de nature à jeter la perturbation dans les industries du pays ? J'ai protesté contre une pareille idée dans le discours que je viens de rappeler ; j'ai dit qu'il fallait une réforme lente, graduelle, dans les limites des traités.

A quoi donc suis-je tenu ? Je suis tenu à continuer de marcher dans la voie d'une sage liberté commerciale, d'y marcher lentement, progressivement ; et dans cette voie je marche parfaitement d'accord avec mes collègues.

M. de Man d'Attenrode. - Messieurs, hier, en répliquant à une réponse un peu acerbe, que m'avait adressée M. le ministre de l'intérieur, je me suis permis d'abriter l'opinion que j'ai émise, concernant la question du libre échange appliqué à l'agriculture, derrière celle qui a été formulée au mois de janvier dernier par un de nos collègues devenu ministre.

Puis en rapprochant cette opinion du système professé par le cabinet en fait de protection au travail national, je me suis permis d'en déduire, qu'il était à craindre que la pensée du cabinet ne fût pas homogène quant à cette partie si importante des intérêts du pays.

J'ai donc demandé si le cabinet était d'accord concernant cette question.

M. le ministre de la justice a cru devoir se lever au début de cette séance pour s'expliquer. Qu'est ce que ces explications nous apprennent ? A-t-il subi l'influence de l'opinion de ses nouveaux collègues, ou bien est-il parvenu à faire prévaloir dans le cabinet l'opinion qu'il professait avant d'être ministre. C'est ce que j'espérais. Mais il paraît que cette espérance ne s'est pas réalisée. M. le ministre a d'abord cherché à nous démontrer qu'il est resté ce qu'il était, c'est-à-dire partisan du libre échange en fait de céréales. Au commencement de l'année, il a voté le droit fixe d'un franc ; ce droit a été admis par le cabinet, donc ses antécédents sont d'accord avec les principes du cabinet dont il fait partie.

Quant à moi, je crois avoir voté aussi un franc, mais à la condition qu'il ne fût pas définitif. Mais tout ceci est superflu et de peu d'importance ; c'est dans la discussion publique que l'opinion de l’honorable M. Tesch s'est révélée de la manière la plus claire, car je tiens à ne pas faire mention des causeries qui eurent lieu en section centrale, dont nous faisions partie tous les deux.

L'honorable représentant du Luxembourg fit d'abord remarquer dans la séance du 28 janvier 1850, que les nombreux adversaires des propositions du gouvernement se divisaient en deux catégories : les protectionnistes, et les partisans de la liberté commerciale, qui repoussaient le système du ministère comme incomplet et, par conséquent, comme injuste envers une partie du pays.

J'appartiens à cette seconde catégorie, s'ecriait-il. L'honorablc M. Tesch était donc encore, en janvier dernier, l'adversaire du cabinet.

« Et pourquoi le système du gouvernement était-il injuste ? C'est qu'il n'appliquait pas les principes de la liberté commerciale à tous les intérêts, c'est que le gouvernement professait cette singulière théorie, qui consiste à vouloir soumettre l'agriculture à un régime différent de celui auquel on soumet l'industrie manufacturière. »

Et c'est pour combattre cette singulière prétention que je prends la parole, disait l'honorable député devenu ministre aujourd'hui.

« Enfin, déclarait l'honorable membre, si l'on ne trouve pas les circonstances favorables pour appliquer à toutes les industries du pays les mêmes tarifs, qu'eût-il été juste de faite ? C’était, selon moi, de remettre l'industrie agricole dans la loi commune, et la loi commune en Belgique c'est la protection. »

Messieurs, M. le ministre des finances qualifiait d'injuste au mois de janvier dernier le système qui consiste à soumettre le travail agricole à un régime différent de celui qu'on applique au travail industriel.

Eh bien, ce système est encore en vigueur à l'heure qu'il est, et si l'honorable M. Tesch l'a trouvé injuste au commencement de l'année, il doit encore l'envisager comme tel aujourd’hui, s'il veut être conséquent avec lui-même.

D’ailleurs, l'honorable ministre de la justice, en cherchant à établir la conséquence de sa conduite politique, est venu nous répéter à peu près les paroles que l'honorable M. Frère lui adressait en janvier en réponse à son discours : En maintenant les droits protecteurs, nous n'avons fait que maintenir la situation qui nous a été léguée par nos prédécesseurs.

Ce serait porter atteinte à des droits acquis que de modifier brusquement ce qui existe. Pour soumettre l'industrie au régime de l'agriculture, il faut du temps. Les circonstances doivent s'y prêter. Que lui répondait alors l'honorable M. Tesch ? Il faut dès maintenant mettre la main à l'œuvre.

Mais aujourd'hui ce langage s'est modifié. L'honorable M. Tesch parle à présent comme l'honorable M. Frère le faisait au commencement de l'année en lui répliquant. Il faut attendre cette grande transformation du temps, elle doit s'opérer petit à petit.

Mais, messieurs, je tiens à le constater ; le cabinet a-t-il fait depuis les trois années qu'il dirige les affaires du pays, le cabinet a-t-il fait un pas dans la voie du libre-échange quant à l'industrie ? Ne l'avons-nous pas vu, au contraire, renforcer le système des primes pour les tissus de coton, de lin et de laine ? Ne l'avons-nous pas vu accorder des subsides considérables, des avances à l'industrie, et notamment un million à la société Cockerill, qui menaçait de renvoyer ses ouvriers ?

L'on répondra comme on l'a déjà fait : Il faut tenir compte des circonstances qui ont commandé ces mesures, ce sont les dernières années calamiteuses qui en sont la cause. Mais, messieurs, l'agriculture n'a-t-elle pas eu aussi sa part d'épreuves par la perte renouvelées plusieurs fois d'un précieux tubercule ? Lui a-t-on accordé, à elle, des primes et des avances ? L'a-t-on traitée comme on a traité sa sœur l'industrie ? Pas le moins du monde.

On ne lui a accordé ni primes, ni avances, ni réduction d'impôts. Mais on lui a retiré la protection douanière dont elle jouissait. Voilà tout ce que l'on a fait de sérieux pour elle.

Je me suis livré avec regret à cette revue rétrospective, mais le discours que l'honorable minisire vient de prononcer l'a rendue inévitable. Je tiens donc à abréger cette discussion pénible, mais je tiens à le déclarer en terminant :

J'espère que l'honorable M. Tesch, devenu ministre, n'oubliera pas les paroles si justes qu'il a prononcées au mois de janvier ; j'espère encore qu'il usera de son influence dans le cabinet pour faire prévaloir le système équitable qu'il nous a développé, et qui consiste dans une protection égale à tous les intérêts nationaux.

M. Bruneau. - A la séance d'hier, l'honorable M. Rodenbach a fait avec raison l'éloge de la perfection à laquelle est parvenue l'agriculture dans les Flandres, et il l'a attribuée à la pratique seule ; mais je crois qu'il a beaucoup trop dédaigné la théorie et les principes ; ce n'est pas seulement à la routine que les Flandres doivent la perfection à laquelle leur agriculture est arrivée, elles la doivent encore à la théorie et aux principes. C'est surtout à l'existence d'anciens règlements qui sont encore en vigueur.

Ces règlements, qui datent de plusieurs siècles, garantissent les droits des fermiers à la sortie de leurs baux. Ainsi, le fermier, à la fin de son bail, a droit au remboursement de tous les frais qu'il a faits pour améliorer la culture de la terre qu'il doit abandonner.

Ce principe seul est la principale cause du développement que l'agriculture a reçu en Flandre ; si les mêmes règlements avaient été introduits dans les autres provinces, on aurait obtenu les améliorations qu'on a vues se développer dans les Flandres depuis les temps les plus reculés.

J'engagerai M. le ministre de l'intérieur à faire donner, dans les écoles agricoles, des leçons sur les règlements qui existent en Flandre. Je suis persuadé que la propagation des principes qui font la base de ces règlements serait très favorable à l'agriculture dans les provinces où ils ne sont pas appliqués.

Cependant je ne dirai pas comme l'honorable membre que les Flandres n'ont plus rien à apprendre en fait d'agriculture, et que la routine suivie depuis plusieurs siècles lui suffit dans l'avenir. L'agriculture est encore susceptible de beaucoup de développements dans les Flandres ; les Flandres ont encore beaucoup à apprendre sous ce rapport, elles peuvent trouver d'utiles enseignements dans d'autres pays, surtout en Angleterre, sous le rapport de l'élève du bétail.

Je suis convaincu que l'agriculture flamande n'est pas aussi avancée sous ce rapport que l'agriculture anglaise. Ce serait rendre un mauvais service aux Flandres que de leur faire croire qu'elles n'ont plus rien à apprendre. Pour moi, je pense qu'en Flandre, comme dans les autres parties du pays, il y a beaucoup d'améliorations à introduire dans l'agriculture.

Je recommanderai encore à M. le ministre de l'intérieur, comme l'a fait l'honorable M. de Steenhault, d'adjoindre aux cours actuels des cours pratiques donnés en langue flamande, afin que les élèves flamands puissent suivre avec plus d'utilité qu'à présent les cours des écoles agricoles et que ces écoles reçoivent tout le développement désirable. Il en est de ces écoles comme d’une entreprise industrielle ; nous savons tous qu'une entreprise industrielle ne se développe pas de prime abord ; il faut faire de grands sacrifices pour triompher de la routine et des préjugés qui faut toujours obstacle à l'introduction de tout ce qui est nouveau.

Je suis partisan des cours agricoles, et je suis convaincu qu'ils auront le degré d'utilité qu'on en attend quand on leur aura donné le développement dont ils sont susceptibles et surtout quand on y aura joint des cours pratiques.

M. Deliége. - M. le ministre de la justice avait invoqué mon témoignée tur un fait qui s'est passé en seelion centrale ; ce fait n'ayant été contesté par personne, je renonce à la parole.

(page 217) M. Rodenbach. - Je n'ai pas dit que l'agriculture ne fût plus susceptible de perfectionnement dans les Flandres. Mais je persiste à penser qu'elles occupent à bon droit le premier rang en Europe. Je conteste ce qu'a dit l'honorable député d'Alost, que nous serions plus arriérés qu'en Angleterre. La grande culture existe en Angleterre ; là où existe la grande culture, il n'y a pas de perfectionnements comme ici.

Je ne soutiens pas que nous n'ayons des améliorations à introduire, mais ce ne sera point par certaines écoles d'agriculture organisées sur le pied qu'elles le sont actuellement. Les partisans de ces écoles ont signalé eux-mêmes de grands abus, et notamment que la dépense en monte à 50 mille francs pour les frais de premier établissement, et à 103 mille francs annuellement. Elles ont été établies sur un pied trop large. A cela on n'a pas répondu.

Ensuite on a dit que, dans les diverses écoles, sauf dans deux ou trois, on n'enseigne pas la langue flamande. Puisqu'on reconnaît que c'est en Flandre que l'agriculture est en progrès, pourquoi n'enseigne-t-on pas la langue flamande dans ces écoles ? N'est-ce pas une preuve évidente qu'il y a un vice dans cet enseignement ?

Enfin l'on a fait observer que l'agriculture pratique est fort négligée dans la plupart des écoles, et je suis très porté à l'affirmer, car dans deux ou trois ans on ne peut pas apprendre la pratique.

Ainsi cet enseignement doit être réformé ; sans quoi, ce sera de l'argent perdu pour le pays. Quand il y a un déficit dans la caisse, quand on annonce de nouveaux impôts, nous devons être économes.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - On est revenu aujourd'hui sur deux points auxquels j'ai répondu hier. On a parlé d'absence d'enseignement pratique dans nos écoles d'agriculture. C'est une première erreur : l'enseignement pratique est donné dans les écoles d'agriculture ; dans la plupart des écoles, l'enseignement est à la fois théorique et pratique ; il y en a plusieurs où l'enseignement est exclusivement pratique, d'autres où il est plutôt théorique. Celles-ci sont en minorité ; ce sont celles qui sont dans les villes. Mais partout, on joint l'enseignement pratique à l'enseignement théorique. J'en ai, le premier, reconnu l'indispensable nécessité.

On vient de répéter encore le reproche que l'enseignement du flamand ne serait pas donné dans les écoles d'agriculture. Ces écoles ne sont pas destinées à faire apprendre le flamand aux jeunes cultivateurs des provinces wallonnes. Mais, pour les écoles d'agriculture situées dans les provinces flamandes, dans les écoles de Thourout, d'Oostacker, Vilvorde (appartenant à une province moitié flamande, moitié wallonne) certaines parties de l'enseignement se donnent en flamand ; les branches scientifiques ne sont pas toujours susceptibles d'être enseignées en flamand. Des instructions sont données pour que les leçons du professeur, qui a plus que tout autre intérêt à ce qu'on le comprenne, soient misés à la portée de l'intelligence des élèves.

On a fait aux programmes des écoles d'agriculture un grief de ce qu'ils seraient trop chargés : on ne prétend pas sans doute que l'enseignement du flamand se donne dans toutes ces écoles. Nous avons, pour cela, les écoles moyennes, les athénées et les collèges.

Je répète, messieurs, que l'opposition ne doit pas s'empresser de jeter le blâme sur les écoles agricoles telles qu'elles existent aujourd'hui. Ces écoles viennent à peine de prendre naissance ; elles sont en voie d'organisation. Que l'on me signale les perfectionnements qui peuvent y être introduits, je recevrai avec reconnaissance tous les conseils qui me seront donnés. Mais qu'on n'aille pas frapper ces écoles d'une espèce d'interdit préventif, qu'on ne déclare pas en principe que ces écoles sont complètement inutiles.

Je crois, messieurs, qu'il en sera pour les écoles agricoles de même que pour les écoles moyennes, dont quelques représentants ne voulaient pas, au sein de cette chambre, et dont ils demandaient l'établissement en dehors de la chambre.

Ainsi parmi les orateurs qui ont pris hier la parole, et je ne dirai rien de désobligeant pour personne, j'espère, quoique, d'après les susceptibilités qui se manifestent à chaque instant, c'est à peine si l'on ose répondre aujourd'hui à l'opposition ; mais parmi les représentants qui ont blâmé hier les écoles d'agriculture, il en est qui ont demandé l'établissement de semblables écoles dans leur district ; l'établissement d'une école théorique d'une part, d'une école pratique d'autre part, dans le même district.

Il me semble que quand on demandait l'établissement d'écoles théoriques et d'écoles pratiques dans le même district, on reconnaissait l'utilité de ces écoles.

Messieurs, le gouvernement a pour lui le vote antérieur des chambres, les rapports de tous les hommes pratiques ou théoriques qui ont visité ces établissements, le vote des conseils provinciaux, composés, je pense, d'hommes pratiques, d'hommes experts dans l'art agricole, dévoués et intéressés à l'agriculture.

Eh bien, l'année dernière, nous avons interrogé les conseils provinciaux sur nos écoles agricoles. Le gouvernement a engagé les conseils provinciaux à voter des bourses destinées à ces écoles.

Quel a été le résultat de cette démarche du gouvernement près des conseils provinciaux ? Un succès complet. Je vous l'ai dit hier, les conseils provinciaux ont voté des fonds destinés à être consacrés en bourses agricoles.

Il faut bien que les conseils provinciaux, composés des représentants plus directs de l'agriculture, des représentants cantonaux, trouvent qu'il y a quelque utilité dans ces écoles, et qu'elles sont organisées de manière à inspirer certaine confiance puisqu'ils leur ont alloué des bourses. Deux provinces ont ajourné leurs allocations, celle d'Anvers et celle de Limbourg. Pourquoi ? Parce que dans l'une et l'autre province il n'existe pas d'école d'agriculture. J'ai fait des démarches pour obtenir l’établissement d'une école d'agriculture au sein de la Campine, et cette école eût été spécialement destinée aux cultivateurs flamands. Mais je ne suis pas parvenu à m'entendre avec un propriétaire qui aurait accepté les mêmes conditions que ceux d'autres provinces.

Des démarches ont également été faites dans la province du Limbourg, mais sans succès ; sans cela des écoles d'agriculture auraient été établies dans ces provinces, et les conseils provinciaux auraient affecté des bourses à ces écoles.

La somme de bourses votées par les diverses provinces s'élève à 7,000 fr. Je considère que c'est là un vote d'adhésion de la part des conseils provinciaux, très compétents en cette matière, en faveur de nos écoles d'agriculture.

J'engage donc MM. les représentants qui ont des préventions contre ces institutions, de vouloir bien attendre l'expérience.

Les écoles des pays étrangers, qui sont prospères aujourd'hui, ont mis, non pas un ou deux ans, à se former, mais 20 ans, 30 ans ; c'est ainsi qu'elles sont parvenues à jouir, à juste titre, de la renommée qui attire chez elles un grand nombre de jeunes gens. Laissons donc le temps perfectionner les institutions dont il s'agit, aidons le gouvernement à atteindre ce but ; traitons la question au point de vue de l'agriculture ; ne faisons pas entrer dans la discussion des éléments étrangers. Que chacun d'entre vous agisse auprès des cultivateurs pour leur recommander les écoles qu'il aura jugées utiles ; que tous ceux qui exercent de l'influence dans les campagnes, je ne parle pas des membres de la chambre, que tous ceux qui exercent de l'influence dans les campagnes, au lieu de jeter la défiance dans l'esprit des habitants, veuillent bien prendre la peine de visiter ces écoles ; puis, quand ils se seront convaincus qu'elles sont utiles, qu'ils veuillent bien les recommander ou tout au moins s'abstenir de les desservir parmi les classes auxquelles elles sont appelées à rendre les plus grands services.

Un seul mot, messieurs, sur une erreur typographique qui a été commise dans le compte-rendu de la séance d'hier : on me fait dire que les instruments ont été donnés à l'Etat par l'école ; c'est le contraire que j'ai dit ; j'ai dit que les instruments ont été donnés à l'école par l'Etat.

M. Roussel. - Messieurs, je désire présenter quelques observations sur les écoles d'agriculture, en me dégageant de tout esprit de parti. En effet, je dois le confesser, s'il est un terrain qui devrait rester étranger aux passions, c'est le terrain de l'instruction publique, qui ne peut que perdre aux luttes des partis. Vous le savez, messieurs, tout territoire sur lequel on combat, souffre immanquablement, et l'instruction publique ne peut rien gagner à des tournois qui n'ont pas son véritable intérêt pour but.

En matière d'instruction en général, et d'instruction agricole en particulier, il faut procéder avec méthode, partir de certains principes fixes. Le premier de ces principes, pour nous législateurs, c'est la Constitution.

Or, je lis dans la Constitution que l'instruction donnée aux frais de l'Etat est réglée par la loi. Je ne suis point satisfait, pour ma part, de la réponse que M. le ministre de l'intérieur fait à l'objection, quand il prétend qu'en votant au budget une somme annuelle pour les écoles agricoles, nous ratifions l'existence et le règlement de ces écoles. En allouant des fonds, nous n'avons ratifié que le payement. Je ne pense pas que la législature soit disposée à abdiquer un droit qu'elle tient de la Constitution, celui de régler formellement toute l'instruction donnée aux frais de l'Etat.

Pour ma part, je ne puis admettre que lorsqu'une instruction publique est soldée par l'Etat, il s'ensuit que le pouvoir exécutif ait le droit de la réglementer sans notre participation, et quant au nombre d'établissements, et quant aux matières d'enseignement, et quant aux mesures intérieures et extérieures d'administration. Je ne pense pas que le gouvernement ait la faculté légale de régler tout cela administrativement.

Représentant du peuple belge, si j'accorde au pouvoir exécutif toute la sphère d'action qui lui appartient, je tiens à exercer mon droit ; et en vertu du mandat que la nation m'a conféré, j'ai le pouvoir de régler l'instruction agricole comme toute autre branche d'enseignement. Il est donc impossible d'admettre la justification présentée par M. le ministre de l'intérieur. Remarquez, messieurs, s'il vous plaît, qu'elle peut vous conduire extrêmement loin. Je ne serai point suspect en parlant ainsi ; je suis un vétéran de l'instruction.

Je fais encore partie de cette noble phalange de professeurs à laquelle M. le minisire de l'intérieur appartenait lui-même naguère. Quand je traite de l'instruction, l'on ne peut me suspecter, car je l'aime profondément, je lui ai consacré ma vie. Ce qui est positif, c'est que la méthode qu'on applique à l'instruction publique et qui n'est point réclamée par la Constitution, que cette méthode doit nous conduire politiquement, lêgislalivement, financièrement, au désordre, dans une matière qui exige le plus d'ordre et de régularité. Je vais le prouver.

Où est-on arrivé dans le système appliqué depuis 1847 ? Avant tout, je dois quelques félicitations a M. le ministre de l'intérieur, car est-il un homme qui doit avoir reçu de la providence un plus étonnant privilège ?

(page 218) Non seulement il doit vaquer à toutes ses occupations administratives ; mais il faut que, de son cabinet, il exerce la haute surveillance et la haute direction 1° sur l'enseignement de la navigation, 2° sur l’enseignement de l'art vétérinaire, 3° sur l'enseignement de l'art horticole, agricole et arboricole. Il faut qu'il exerce la surveillance et la direction sur l'instruction primaire ; sur l'enseignement moyen ; sur l'instruction professionnelle tout entière ; il faut enfin que toutes les hautes sciences enseignées aux universités de l'État, que tout cela aboutisse à la surveillance et à la direction de M. le ministre de l'intérieur. Un particulier, je le déclare hautement, qui essayerait une entreprise pareille succomberait immédiatement ; il ferait une triste et terrible banqueroute, une banqueroute précipitée, une banqueroute immédiate.

Cependant il advient que, nonobstant ce, les établissements d'instruction de l'Etat se multiplient à l'infini, à tel point qu'il y a dix à parier contre un que ces établissements ne peuvent être bien dirigés.

Il est impossible, même en admettant le talent, l'expérience, le savoir que je me plais à reconnaître à M. le ministre de l'intérieur, il est impossible, dis-je, que ses bureaux puissent exercer une surveillance et une direction convenables sur un si grand nombre d'établissements de natures si diverses. Aussi, est-ce pour cela que l'instruction publique succombe souvent devant l'instruction particulière.

Je vous dirai maintenant, messieurs, quelles sont les matières auxquelles l'administration ne devrait pas toucher dans son enseignement, parce qu'elle ne les connaît point.

Il est certes des branches d'instruction, telles que l'instruction primaire et moyenne, où le ministère peut trouver dans des auxiliaires et en lui-même les ressources nécessaires pour gouverner ; mais je le demande en mon âme et conscience, en matière d'agriculture, en matière spéciale où l'expérience est tout, comment pouvez-vous espérer que l'argent donné à l'enseignement public et gouvernemental, soit de l'argent bien employé ?

Non, messieurs, il doit être mal employé, cet argent ; il n'y a que le talent privé, l'industrie privée qui puisse quelque chose dans cette nature d'instruction. Vous rechercherez mille moyens d'administration, ils n'aboutiront à rien, parce que les écoles sont éloignées du centre d'où doit venir la direction, parce que le centre lui-même ne possédera point les connaissances spéciales nécessaires à la bonne direction de ces établissements, parce qu'enfin l'instruction appartient aux plus capables dans les matières spéciales, et que toutes les lois du monde ne peuvent pas modifier la nature des choses.

Voilà mes principes quant à l'instruction spéciale. Je suis un chaud ami de l'instruction, mais d'une bonne instruction ; je veux des lumières, mais de vraies lumières. Les lumignons me déplaisent en matière d'instruction publique. Je le sais bien, il paraît glorieux à un gouvernement de pouvoir montrer aux yeux du public un grand nombre d'établissements, où l'on enseigne un grand nombre de matières, où l'on enseigne omnem rem scibilem et inscibilem, cela est fort pompeux, je le répète ; c'est un moyen de passer à la postérité entouré d'une auréole de savoir universel. Mais, avouons-le franchement, tout cela n'est pas le bien pratique. Le bien pratique est dans la réalité des choses, dans un bon enseignement spécial, donné d'une manière bien simple, sans bruit, sans fracas, sans aucune exaltation. Le bon enseignement consiste dans la réunion des principes scientifiques et pratiques sur chaque matière, exposée de la manière la plus simple, avec le moins de frais possible.

Envisageons la question au point de vue de l'économie. Le cabinet actuel a écrit sur son drapeau le mot économie ; mais il est deux espèces d'économie : économie de suppression et économie d'augmentation.

Or, l'enseignement lui-même peut donner lieu à ces deux espèces d'économie. En agissant comme vous le faites, non seulement vous blessez les principes de l'économie d'argent, mais vous blessez même les principes de l'économie dans les choses. Vous fondez des écoles professionnelles, des écoles moyennes et des écoles agricoles en grand nombre. Etes-vous bien sûr de posséder le personnel enseignant indispensable ? Croyez-vous qu'un véritable professeur, dans une matière quelconque, soit si facile à trouver ? Vous imaginez-vous que vous n'avez qu'à ouvrir les yeux pour apercevoir un bon professeur ? L'économie, sous le rapport de l'enseignement est commandée par la force des choses, encore une fois, parce qu'un bon personnel enseignant est fort rare, et que la concurrence privée, contre laquelle vous avez à lutter sous tous les rapports, vous enlève encore une partie des professeurs dont le nombre est déjà si restreint, parce qu'ils préfèrent l'enseignement, dans la carrière de la liberté, à l'enseignement soumis au patronage officiel.

Vous êtes obligés de payer mieux (et c'est justice) votre personnel parce que les exigences des professeurs vis-à-vis de l'Etat doivent être plus grandes. L'Etat impose certaines obligations à ses professeurs, l'avancement est plus difficile, et le professeur réclame avec raison une indemnité plus forte en raison de la subordination plus grande qu'on exige de lui.

Arrivés à des dépenses considérables, vous multipliez ces dépenses, non seulement par le nombre d'établissements, mais par le nombre de matières que vous enseignez.

Vous voulez que l'agriculteur connaisse la chimie. La chimie est déjà enseignée dans 20, 30, 50 endroits différents du pays ; n'importe, vous avez un nouveau professeur de chimie dans vos écoles agricoles ; or M. le ministre de l'intérieur a dit hier que chacune de ces écoles ne devra pas être fréquentées par plus de 25 élèves ; voilà donc la chimie enseignée pour 25 élèves, et cela dans onze localités différentes du pays, sans compter l'école militaire où la chimie est enseignée, ni les deux universités de l'Etat où elle est enseignée également, ni les deux universités libres, ni plusieurs écoles professionnelles où elle s'enseignera très certainement. Et comment voulez-vous que d'un désordre intellectuel pareil il sorte une belle et bonne instruction ?

Je le dis encore une fois, je n'éprouve aucun sentiment hostile contre le ministre, mais je tiendrais seulement à ce qu'on voulût bien faire une loi rationnelle, complète, harmonique, en matière d'enseignement public d'arts, de sciences et de professions.

Je voudrais une loi qui sortît de la force même des choses et des besoins réeds du pays. Croyez-moi : bien, messieurs, l'arbitraire, dans cette matière, comme dans toute autre, ne vaut rien. (Interruption.)

Tous les principes professés par le gouvernement, en matière d'instruction agricole, sont complètement arbitraires. Pourquoi y a-t-il onze écoles ? Et pourquoi pas 12 ? Pourquoi pas sept ? Pourquoi y a-t-il tel et tel cours dans chaque école agricole ? L'honorable M. Bruneau demandait tout à l'heure qu'on multiplie encore les cours dans ces écoles. Mais où vous arrêterez-vous ? Vos écoles sont-elles pratiques ? Pourquoi en faut-il autant ? Sont-elles théoriques ? Pourquoi n'en possédez-vous pas moins ?

Nous ne devons pas permettre au gouvernement d'établir des écoles agricoles. Sans le concours de la loi, ne pourrions-nous pas éclairer le gouvernement relativement à la création de ces écoles ? N'y a-t-il pas dans le corps législatif des hommes qui auraient pu lui dire si ces créations sont bonnes ou mauvaises, et donner à ces écoles un caractère plus utile ?

De tout cela il résulte pour moi la conviction que tant qu'on n'aura pas combiné le système général de l'instruction publique, de manière à créer un bon enseignement par des moyens économiques, on ne parviendra pas au but qu'on se propose, c'est-à-dire la propagation des lumières dans toutes les branches des arts et des sciences.

Je le dis avec franchise : la Belgique, pays dont les revenus sont assez modestes, la Belgique n'a pas agi, sous ce rapport, avec l'économie, avec la logique désirables, pour parvenir à se procurer de bons produits avec peu de dépense. J'ai dit.

M. Delfosse. - Je ne suivrai pas l'honorable M. Roussel dans tous les développements qu'il vient de donner ; je lui ferai seulement remarquer que la Constitution veut qu'il y ait une instruction publique donnée aux frais de l'Etat. Le Congrès, lorsqu'il a voté cette disposition, a probablement supposé que l'Etat pourrait faire quelque chose de bon en cette matière, il a certainement entendu doter le pays, non d'un lumignon, mais d'une lumière.

L'honorable M. Roussel pense que l'enseignement agricole doit être réglé par la loi ; c'était aussi mon avis, lorsque M. le ministre de l'intérieur est venu, pour la première fois, réclamer une allocation pour l'enseignement agricole. J'ai dit alors, à une époque ou l'honorable M. Roussel ne faisait pas partie de la chambre, j'ai dit qu'aux termes de la Constitution, c'était là un point qui devait être réglé par la loi. M. le ministre de l'intérieur m'a répondu qu'il ne s'agissait point pour l'Etat de créer des écoles, mais seulement d'accorder des subsides, soit à des communes, soit à des particuliers qui consentiraient à en créer ; des subsides étaient depuis longtemps accordés à diverses communes pour leurs collèges, pour leurs écoles, sans qu'il y eût de loi.

Voilà ce que M. le ministre de l'intérieur m'a répondu, la chambre s'est contentée de ces explications, et elle a voté l'allocation.

Je suis d'accord avec l'honorable M. A. Roussel que si les écoles d'agriculture sont des écoles de l'Etat, il faut une loi ; et, dans ce cas, j'engagerais M. le minisire de l'intérieur à en présenter une.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Messieurs, les souvenirs de l'honorable M. Delfosse sont parfaitement exacts. En effet, lorsque le gouvernement a proposé à la chambre une allocation pour les écoles agricoles, l'objection que l'honorable membre a rappelée a été faite ; on a invoqué la Constitution qui a décidé que l'enseignement public donné aux frais de l'Etat serait réglé par une loi.

Cet article de la Constitution est resté, comme vous le savez, inobservé pendant de longues années pour l'enseignement moyen, et le jour où le ministre est venu l'invoquer, c'est à peine si tout le monde l'a accueilli avec faveur.

Quoi qu'il en soit, pour l'enseignement moyen, nous nous sommes mis parfaitement en règle avec la Constitution. En ce qui concerne l'enseignement agricole, j'ai annoncé, en présentant l'allocation, qu'elle était destinée à être répartie en subsides entre des établissements particuliers, et c'est ce qui a été exécuté jusqu'ici. La somme allouée est répartie en subsides enlre divers établissements particuliers, d'après des conventions spéciales passées entre les particuliers et le gouvernement. J'ai ajouté que, lorsque l'expérience nous aurait permis d'apprécier ces écoles, le gouvernement viendrait présenter une loi pour consacrer définitivement les institutions dont la pratique aurait démontré la bonté et l'utilité.

La chambre peut être entièrement rassurée à cet égard. Une loi sera présentée en temps opportun. En attendant, la chambre exerce sur ces écoles le contrôle qui lui revient, et la discussion actuelle le prouve.

(page 219) La chambre est appelée chaque année à voter des subsides et elle peut se faire rendre compte de l’emploi qui en est fait. Elle a toute la liberté de se livrer à toute espèce de discussion à ce sujet.

On vient de dire que le gouvernement avait accru la dépense par la nomination d'un inspecteur. Mais ne faut-il pas qu'il s’enquière de la manière dont les subsides sont dépensés, s'il en est fait une bonne application ? A bon droit, on pourrait reprocher au gouvernement sa négligence si, ayant livré des subsides aux particuliers, il abandonnait ses subsides à leur libre disposition, sans s'inquiéter de la manière dont ils sont appliqués. D'ailleurs l'inspecteur dont il s'agit n'est pas seulement préposé à l'inspection des établissements agricoles, il est aussi préposé à l'inspection de la voirie vicinale. La loi consacre une somme de 500,000 francs à cet objet.

A l'aide de ce subside, chaque année des travaux de voirie vicinale se font jusqu'à concurrence de trois millions de francs ; cela vaut bien une inspection spéciale.

Je ne sais si je dois suivre l'honnorable M. Roussel dans l'espèce de campagne qu'il a entreprise contre l'intervention de l'Etat en matière d'instruction publique.

Il a déclaré le ministre incapable de connaître toutes les matières d'enseignement qu'il était censé diriger. Il a soutenu qu'il est impossible au gouvernement, qui doit s'occuper d'enseignement moyen, d'enseignement supérieur, d'enseignement personnel, de s'occuper sérieusement et utilement de la direction de tous les établissements. En matière d'enseignement, il y a encore les beaux-arts, les écoles de musique ; il y a des subsides pour toutes ces écoles.

Messieurs, je reconnais avec l'honorable M. A. Roussel qu'il est impossible à un ministre, fût-ce l'honorable membre lui-même, dont j'apprécie tout le mérite, toute la science, d'être initié à tant de connaissances diverses.

Ce n'est pas tout ; un ministre n'a pas seulement dans ses attributions l'instruction publique dans tous ses degrés, il a d'autres attributions, il est chargé de la haute administration du pays, de l'administration des provinces et des communes, il est chargé de la voirie vicinale, de la garde civique, des beaux-arts, des lettres, de l'industrie, de l'agriculture.

Dans ses attributions rentrent en outre une foule de questions que chaque jour les besoins du pays soulèvent. Si le ministre devait seul traiter tous ces affaires ; si toutes les lumières qu'exigent ces affaires devaient sortir du cerveau ministériel, si le ministre n'avait que deux bras pour conduire cet immense attirail, je concevrais qu'on raisonnât de son impuissance pour suffire à tant de besogne.

Mais le ministre n'est pas seul ; il a des agents qu'on trouve par trop nombreux, mais qui à coup sûr sont suffisants pour satisfaire à l'étude de ces nombreuses affaires.

Le gouvernement a eu tort d'établir, dit-on, des écoles d'agriculture ; il devait laisser ce soin aux efforts de la liberté ; mais si ces écoles ne venaient pas d'elles-mêmes, fallait-il que le pays restât sans écoles d'agriculture pendant un siècle, un demi-siècle, jusqu'à ce que la bonne idée vînt à quelque particulier de fonder des écoles d'agriculture ?

Pour la voirie vicinale, le gouvernement a peut-être eu tort aussi d'intervenir. Depuis des siècles nos chemins vicinaux étaient impraticables, les particuliers ne faisaient rien ou fort peu de chose. Le gouvernement est intervenu ; il a stimulé le zèle des particuliers et des communes. Je vous en ai présenté le tableau, vous savez à quel nombre de lieues nous sommes arrivés en quelques années. Le gouvernement devait-il s'abstenir et laisser les communes dans la boue où s'enfonçaient nos pères ?

Rendez donc justice à l'initiative du gouvernement, qui n'est en définitive que l'initiative du pays, de la pensée publique représentée par les chambres, du gouvernement qui n'est que l'agent de la volonté générale légalement formulée.

Là où la volonté du particulier suffit, il ne faut pas que l'Etat intervienne, sans doute ; mais là où les efforts particuliers ne font rien, refuser à l'Etat une part d'action, c'est lui dénier son rôle le plus utile, sa raison d'être.

L'on dit que l'intervention du gouvernement entraîne un grand nombre de dépenses ; cela est vrai.

Le gouvernement, quand il fonde un établissement quelconque, quand il introduit une amélioration quelconque, n'a pas, plus que la liberté, l'art de le faire sans dépense ; c'est aux chambres à mesurer la dépense à l'importance de l'amélioration. Voilà l'excellence de notre régime représentatif, c'est que le caprice du gouvernement ne peut entraîner le pays dans des dépenses qui ne conviendraient pas au pays ; la pensée du gouvernement est toujours subordonnée au contrôle des chambres ; si elle s'égarait, il serait arrêté par la sagesse parlementaire ; c'est là le mérite supérieur du gouvernement constitutionnel.

On a parlé d'économie : quel doit être le but du gouvernement sous le rapport des économies ? Ce n'est pas seulement la réduction ; c'est la transformation des dépenses peu utiles en dépenses plus utiles ; si vous lui reprochiez de faire des dépenses inutiles, vous seriez en droit de lui demander des économies ; mais si les dépenses qu'il fait sont utiles, il n'y a pas lieu de lui demander des économies. Pour l'agriculture, qu'est-ce que le gouvernement a fait ? Il a transformé des dépenses inutiles en dépenses utiles ; avec le même chiffre pour ce service, il a créé un certain nombre d'écoles agricoles.

Pour ne pas prendre la parole tout à l'heure, je proposerai, suivant ce qui a été convenu, d'introduit un article spécial intitulé : « frais d'inspection de l’agriculture et de la voirie vicinale », et de fixer le chiffre à 9,000 fr., les 1,800 fr. ajoutés aux 1,200 étaient prélevés sur l'article relatif à l'agriculture.

M. Roussel. - Messieurs, ainsi que j'ai eu l'honneur de le dire, je ne suis mû par aucun sentiment d'hostilité contre le ministère ; mon seul but est de l'éclairer et d'éclairer la chambre dans la mesure des connaissances pratiques que je puis avoir acquises dans la matière de renseignement,

D'un autre côté, je ne puis me contenter des motifs allégués par M. le ministre de l'intérieur pour justifier cette organisation administrative déguisée des écoles d'agriculture.

M. le ministre prétend que les fonds ont été votés en nature de subsides par la chambre ; par conséquent, l'instruction donnée à l'aide de ces fonds ne constitue pas une instruction publique, dans le sens de l'article 17 de la Constitution ; il ajoute qu'il faut attendre un certain temps, avant de se prononcer, au moyen d'une loi, sur l'existence de l'enseignement agricole. Le grave inconvénient de cette argumentation est de permettre au ministre, en déguisant sous forme de subsides les fonds consacrés à l'établissement des écoles d'agriculture, d'échapper à la disposition impérative et salutaire de la Constitution, qui veut que l'instruction donnée aux frais de l'Etat soit réglée par la loi. Je n'admets pas cette manière d'échapper à des principes devenus sacrés depuis qu'ils ont été inscrits dans la loi des lois.

Le ministre nomme les professeurs dans ces écoles ; il dirige l'enseignement. Il ne le méconnaît pas. L'enseignement de l'agriculture est devenu véritablement public ; il ne peut donc échapper à la conséquence naturelle, logique de sa nature : il doit être réglé par la loi.

On dit qu'il faut attendre pour cela un certain temps : c'est ce que je ne puis admettre. Comment ! avant que le pouvoir législatif se soit prononcé, vous créez des écoles nombreuses, onze écoles pour un seul objet ; elles sont établies dans sept provinces.

Des espérances naissent ; des hommes acquièrent des fonctions auxquelles ils tiennent ; ces hommes prétendent, légitimement même, à la continuation des fonctions qu'ils ont obtenues, et pour que la législature puisse se prononcer, vous dites que nous devons attendre qu'un pareil état de choses se soit prolongé.

Quant à moi, je crois urgent que M. le ministre de l'intérieur soumette à la chambre non seulement le chiffre pécuniaire destiné aux écoles d'agriculture, mais encore une législation bien détaillée relativement à ces écoles, pour que l'intervention de la législature s'exerce conformément à la Constitution.

M. le ministre de l'intérieur a confondu deux idées distinctes dans sa réponse à mon argument, tiré de l'insuffisance de moyens de l'homme le plus encyclopédique (en présence des exigences de l'instruction publique dans notre état social) et des différentes fonctions qui lui sont attribuées.

Pour toutes les fonctions administratives rentrant dans les attributions de M. le ministre de l'intérieur, je suis prêt à m'incliner devant sa capacité spéciale. Là il est placé sur son terrain. Mais quand, au nom de l'Etat, M. le ministre de l'intérieur fait enseigner, par des hommes dont il a apprécié la capacité, l'agriculture que très probablement il ne connaît pas plus que moi, il sort de sa sphère, qu'il me permette de le lui dire : il risque de se fourvoyer, de faire enseigner l'agriculture d'une manière qui ne soit pas approuvée par les hommes pratiques, et qui soit repoussée avec un gros rire par des agriculteurs consommés. Ainsi, de ce que M. le ministre de l'intérieur a des attributions administratives qu'il remplit très bien, j'en conviens, il ne s'ensuit pas qu'il ait l'attribution spéciale d'un enseignement universel qu'il lui plaît de se donner, en demandant seulement un subside à la chambre des représentants et au sénat.

Figurez-vous, messieurs, le minisire de l'intérieur rayonnant de tout son éclat sur tout le pays enseigné ; car notre pays est un pays très enseigné ; on lui enseigne une infinité de choses ; cela fait naître chez ceux qui les ont apprises une belle quantité de prétentions qu'il est bien difficile de satisfaire. Notre pays est très enseigné, et M. le ministre de l'intérieur rayonne comme un soleil sur ce vaste enseignement.

Mais, remarquez-le bien, les agents de M. le ministre de l'intérieur ne se connaissent pas plus en matière d'enseignement proprement dit, que M. le ministre de l'intérieur lui-même ; et tel chef de division ou de bureau, qui doit s'occuper tous les jours de l'enseignement agricole, n'a jamais mis la main à la charrue. Que de tels agents s'occupent des intérêts administratifs de l'agriculture, je le conçois ; il ne faut pas savoir l'agriculture pour cela.

Mais quand il nomme des professeurs, quand il surveille la manière dont les cours sont donnés, quand il réglemente complétement l'enseignement agricole, je lui en méconnais la capacité, en face du pays qui m'écoute, en face de notre intérêt financier compromis, en face de l'enseignement privé qui repose, lui, sur la spécialité, sur les connaissances réelles, personnelles, spéciales de ceux qui y prennent part, aussi bien par des nominations et la surveillance que par l'enseignement lui-même.

M. le ministre de l'intérieur argumente de la voirie. Je n'ai pas à (page 220) me prononcer sur d'autres objets que celui qui nous occupe. Restons dans notre objet.

Je conçois que l’administration pave des routes, elle en est fort capable. Mais je ne comprends pas qu'elle prétende à l’universalité de connaissances nécessaire pour bien diriger (chose assez difficile) un aussi vaste enseignement que celui que nous avons organisé depuis 1830, en vertu de la disposition de la Constitution qui prescrit que l'enseignement public donné aux frais de l'Etat soit réglé par la loi.

La voirie vicinale, je le reconnais, a fait de grands progrès, et j'en rends hommage à M. le minisire de l'intérieur ; c'est un acte de bonne administration. Mais doit-on d'une manière administrative conclure à une matière scientifique ou artistique ? Je ne pense pas que ce soit possible.

On nous dit : Refuser une action au gouvernement sous ce rapport, c'est lui refuser sa raison d'être. D'abord je dois protester contre l'opinion que M. le ministre de l'intérieur m'a prêtée. Je n'ai pas dit, je n'ai pas eu l'intention de dire que le gouvernement ne devait pas enseigner du tout. J'admets l'intervention du gouvernement, mais non pas d'une manière générale ; je l'admets dans la mesure très circonscrite des besoins et de l'état financier du pays ; car on vous a parlé de la nécessité de créer des impôts nouveaux. Dès lors notre situation financière n'est pas tellement brillante que nous puissions faire du luxe, même sous le rapport de l'enseignement.

Il faut laisser aux particuliers le soin de distribuer l'enseignement dans la mesure de leur capacité, et cela comme moyen d'encouragement à l'enseignement lui-même, et comme moyen légitime de lucre pour ceux qui le pratiquent. Les professions lucratives deviennent de plus en plus rares, et il est essentiel d'ouvrir la porte a deux battants à une concurrence sage et loyale. Cette concurrence, je la désire, non seulement dans l'intérêt de la science, mais surtout dans l'intérêt de nos bourses ; car, on ne le sait pas assez, le public paye deux fois : il paye l'enseignement public, lors même qu'il ne doit pas y prendre part ; il paye l'enseignement privé, quand il lui donne la préférence. Je vous le demande, cela est-il juste ? Est-il juste que l'agriculteur, qui n'a pas besoin de votre enseignement, paye cet enseignement agricole en faveur du boursier que vous allez chercher dans une ville ou un village quelconque, et auquel vous dites : « Je veux faire de toi un agriculteur consommé, sans qu'il t'en coûte rien ». N'est-ce pas appeler l'Etat au règlement de choses qui lui sont étrangères ?

Je vous ai parlé suivant ma conscience. Je vous ai dit la vérité, toute la vérité d'après la mesure de mon intelligence.

Je ne suis pas ennemi d'un enseignement donné par le gouvernement ; mais j'estime qu'il faut tenir compte, en cette matière, des besoins locaux, des besoins du temps, de la nation à laquelle on s'adresse. Il me semble que le ministère actuel use trop largement de ce moyen, qu'il emploie trop ce ressort et de manière à nuire aux choses elles-mêmes qu'il veut protéger, auxquelles il accorde ses sympathies.

En encourageant un peu les particuliers sous le rapport de l'enseignement, en favorisant un peu le développement de l'enseignement libre, détaché de toute influence gouvernementale, le gouvernement remplirait sa mission. Car il se dit un ministère libéral, et la liberté véritable n'est pas dans le pouvoir. La liberté a pris son domicile chez tout homme libre, elle existe chez tout le monde. C'est au milieu de la nation qu'il faut trouver la liberté.

Le pouvoir, en fait de liberté, n'est qu'un régulateur. Il doit rester neutre, en protégeant tout le monde, en tendant la main à l'utile, de quelque part qu'elle vienne. Non, le gouvernement ne doit pas se donner la mission de propager plus particulièrement telle ou telle doctrine, même en matière d'art et de science ; il doit laisser aux forces vives, aux forces intellectuelles et morales de la nation, tout leur ressort. Comprimer cet essor, même sous le prétexte de la liberté, c'est commettre un crime contre la liberté.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Messieurs, une des doctrines professées par l'honorable préopinant aurait de grands dangers pour la liberté que nous aimons autant que lui, dont nous aimons tout autant que lui le développement, dont nous apprécions autant que lui les bienfaits, que nous n'avons pas plus que lui l'intention de comprimer en quoi que ce soit, ni de quelque manière que ce soit.

C'est pour cela, messieurs, que nous ne pourrious pas admettre la doctrine de l'honorable préopinant, qui consiste à dire que tout subside donné par l'Etat entraîne pour l'Etat l'obligation de soumettre au régime de la loi l'établissement subsidié.

Celle doctrine irait contrairement aux intérêts de la liberté. Prenons un exemple que nous avons sous les yeux. L'université de Bruxelles est, je pense, une institution libre, une institution libre qui reçoit cependant des subsides, car la liberté s'accommode parfaitement, le cas échéant, de l'intervention de l'Etat.

Elle reçoit des subsides d'une branche de l'Etat, de la province, de la commune. Je ne sais même pas si elle ne reçoit pas quelque peu les subsides de l'Etat sous forme de bâtiments et de bourses.

M. Roussel. - L'Etat ne nomme pas les professeurs.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Etait-on jamais venu, avant l'entrée de l'honorable M. Roussel dans cette enceinte, agiter la question de savoir si l'université de Bruxelles avait une existence constitutionnelle ou inconstitutionnelle ? Etait-on venu nous proposer une loi ayant pour but de réglementer l'université de Bruxelles parce qu'elle recevrait des subsides de l'État, de la province, de la commune, qui ne sont que des démembrements de l'Etat ?

Messieurs, il faut ici une sage limite. Cette doctrine de l'honorable M. Roussel, je la repousse comme contraire à la liberté, car je ne voudrais pas, sous prétexte que l'Etat accorde des subsides à certains établissements, obliger ces établissements à passer sous la règle législative.

Je suis donc, sous ce rapport, plus ami de la liberté que l'honorable représentant de Bruxelles.

L'honorable préopinant combat la proposition qui vous est faite, comme si elle était accompagnée d'une demande de dépense nouvelle. Or, il n'en est rien. Je ne viens pas demander une dépense nouvelle au budget. Dès lors, tout ce qu'on a pu dire relativement à la position financière doit être retiré comme inutile.

Mais il est injuste, dit-on, de forcer les habitants qui ne font pas usage des écoles agricoles à coopérer à la dépense de ces écoles. Messieurs, avec un pareil système où allons-nous ? Il serait donc injuste de forcer les habitants qui ne font pas usage des universités de l'Etat à payer les dépenses universitaires, de forcer ceux qui ne font pas usage des écoles moyennes, à supporter leur part dans la dépense de ces écoles ? Ceux qui ne font pas usage des tribunaux concourent aux dépenses de la justice et ils ne trouvent rien d'injuste à cela. Enfin, dans un pays où règne la liberté des cultes, chacun concourt aux dépenses nécessitées par les cultes, je ne pense pas que personne trouve quelque chose à reprendre dans ces dépenses.

L'honorable M. Roussel, je pense, reconnaîtra qu'ici encore il a été beaucoup trop loin dans ses doctrines.

Enfin, messieurs, l'honorable préopinant, pénétrant dans l'intérieur de l'administration, a pensé que non seulement le ministre n'était pas capable de diriger l'agriculture ; mais encore que les agents dont il se fait aider étaient frappés de la même incapacité ; que, par exemple, au département de l'intérieur, l'agriculture était dirigée par un homme qui n'avait jamais manié la charrue.

Messieurs, je l'avoue, nous n'avons pas pensé à aller chercher un valet de ferme pour diriger les intérêts de l'agriculture.

Le chef de la division chargée de la voirie vicinale la dirige très bien, et il n'est pas à ma connaissance qu'il ait jamais manié la pioche. Les ministres qui ont aidé à la construction des chemins de fer étaient très peu fabricants de machines et de rails.

Le chef de la division de l'agriculture n'a pas manié la charrue ; mais il n'en est pas moins vrai, et je saisis comme je saisirai toujours l'occasion de rendre hommage à ceux de mes agents qui m'aident puissamment dans l'accomplissement de ma tâche ; il n'en est pas moins vrai, dis-je, que le chef de division auquel on a fait allusion est un des hommes des plus capables, des plus laborieux, des plus intelligents que puisse offrir l'administration.

Revoyez attentivement, messieurs, toutes les mesures qui ont été prises, en ce qui concerne l'agriculture, et vous serez des premiers à rendre justice à ce fonctionnaire tout à fait digne des éloges que je me plais à lui donner ici.

Messieurs, puisqu'on place la liberté en face du gouvernement, et qu'on veut bien déclarer que le gouvernement n'est capable de rien, alors que la liberté serait capable de tout, voyons comment procède la liberté, comment procède l'enseignement libre lorsqu'il a des nominations à faire ?

Comment procède-t-on pour la nomination des professeurs de l'université de Louvain ? Par qui se font ces nominations ?

Pur un ecclésiastique. Cet ecclésiastique n'est pas un homme encyclopédique. Il ne connaît pas à la fois le droit, la médecine, les mathématiques, les sciences, et cependant on le juge capable de faire de bons choix. Comment procède-t-on à l'uuiversité de Bruxelles, université sur laquelle l'honorable membre jette un si vif éclat, université au sein de laquelle il rayonne d'une si vive lumière ? Eh bien, messieurs, quand il y a des nominations à faire, comment s'y prend-on ? Notre honorable président, qui l'administre, n'est pas, je pense, jugé incapable de faire choix d'un professeur. Il n'a pas étudié la médecine, mais je crois que, aidé des autres professeurs et de la notoriété publique, il sait, au besoin, choisir de bons professeurs de médecine. Ainsi de tous les autres.

Il ne faut point qu'on place le gouvernement dans une position d'infériorité vis-à-vis de la liberté : la liberté, quand elle se mêle de quelque chose, procède absolument de la même manière que le gouvernement ; elle n'a pas d'autres moyens, d'autres secrets à sa disposition.

Quelquefois le gouvernement fait de mauvais choix ; quelquefois la liberté fait des choix exécrable ? ; d'autres fois le gouvernement et la liberté font d'excellents choix , mais ils procèdent absolument de la même manière ; et il arrive même que la liberté vient consulter le gouvernement pour les choix qu'elle a à faire.

Ainsi, messieurs, trêve à ces discours contre l'action et la compétence du gouvernement. Reconnaissez qu'un homme quelconque, par cela seul qu'il devient ministre de son pays, ne perd pas l'intelligence des besoins de son pays ni les facultés qui peuvent lui permettre d'apprécîer la valeur des hommes el de concourir à donner satisfaction à ces besoins.

Je crois, messieurs, en avoir assez dit sur cette matière. Aucune proposition de réduction n'est faite, personne ne propose la suppression de (page 221) l'allocation demandée. Il ne me reste donc, pour le moment, qu'à demander à la chambre de voter le crédit.

- La discussion générale sur le chapicle XIII est close.

Articles 53 à 55

« Art. 53. Indemnités pour bestiaux abattus : fr. 150,000. »

- Adopté.


« Art. 54. Service vétérinaire : fr. 50,000. »

- Adopté.


« Art. 55. Traitement et indemnités du personnel du haras : fr. 49,000. »

- Adopté.

Article 56

« Art. 56. Matériel du haras et achat d'étalons. Conseil supérieur et commissions provinciales d'agriculture. Inspection agricole et encouragements à l'agriculture : fr. 381,800. »

M. Delehaye. - M. le ministre a proposé de transférer de cet article à un article 57 (nouveau) une somme de 1,800 fr. qui concerne l'inspection agricole. Le chiffre serait ainsi réduit à 380,000 fr.

M. Mascart. - Messieurs, en principe, je suis partisan des concours et des expositions agricoles ; c'est une institution nouvelle, susceptible de perfectionnement, qui peut rendre à l'agriculture de véritables services, en propageant les bonnes méthodes de culture, les instruments aratoires perfectionnés et en excitant l'émulation parmi nos éleveurs.

Mais, si cette institution ne se popularise pas dans les campagnes, si les frais qui en résultent sont presque entièrement supportés par l'Etat, parce que les conseils communaux refusent généralement toute allocation pour cet objet, je pense, messieurs, qu'on doit en rechercher la cause dans l'arrêté du 3 mars 1848, qui règle le mode des concours.

Les vices de ce mode ont été démontrés par une très courte expérience.

Les expositions devraient avoir pour objet de récompenser le mérite des véritables cultivateurs. Or, c'est souvent le contraire qui arrive avec le mode actuellement suivi.

Ainsi, un individu étranger à l'art agricole, qui n'en connaît pas les premières règles, mais qui, grâce à sa fortune, à sa position, peut faire de l'agriculture en amateur, expose ou des carottes, ou des navets, ou tout autre produit cultivé dans les conditions exigées ; il obtient une récompense honorifique alors même que les frais de production sont souvent dix fois plus élevés que la valeur des objets produits.

Pour un acte qui devrait le faire interdire, il est récompensé.

D'autres, en très grand nombre, concourent avec les produits choisis, triés dans les champs de leurs voisins : il n'y a à cet égard aucun contrôle.

Je pourrais vous citer des faits curieux. Je n'en citerai qu'un seul qui est plaisant.

Ainsi, un bon bourgeois d'une petite ville qui avait à côté de son habitation un champ de pommes de terre pour sa consommation, voulut aussi concourir à une exposition qui devait avoir lieu dans sa localité. N'ayant pas de bétail et partant pas de fumier, il prescrivit d'arroser, chaque matin, une petite partie de son champ, la quantité strictement nécessaire au but qu'il voulait atteindre. Les tubercules acquirent un développement prodigieux et furent jugés dignes de la première distinction, à l'exclusion des exposants consciencieux qui n'avaient pas voulu employer de pareils moyens.

Et qu'on ne dise pas que ces faits se passent dans des localités écartées où la surveillance est moins sévère. Non, messieurs, des fraudes semblables ont lieu dans les grandes villes, sans même en excepter la capitale. Je suis, sous ce rapport, parfaitement renseigné.

Je pense, messieurs, pour sauver l'institution qu'il est indispensable de modifier profondément ce qui existe. Dans mon opinion, il faudrait des concours locaux et des jurys inspecteurs qui examineraient, en les comparant, et la nature des sols cultivés et les produits obtenus par les concurrents. Par cette comparaison on pourrait facilement juger quel est le cultivateur le plus habile et le plus soigneux.

J'appelle sur ce point la sérieuse attention de l'honorable ministre de l'intérieur.

Si la chambre me le permettait, je dirais deux mots à propos de la création d'un inspecteur de l'agriculture et des chemins vicinaux, ayant dans ses attributions l'inspection et l'étude des cours d'eau dans leurs rapports avec l'agriculture.

Pour satisfaire l'intérêt des travailleurs et de la production agricole, on l'a dit, il faut mettre à la disposition des propriétaires des moyens faciles de transformer la propriété, d'en augmenter la valeur. Or, les lois qui nous régissent exigent parfois des formalités tellement coûteuses, qu'elles empêchent toute amélioration, même celles qui s'exécuteraient sans le concours pécuniaire de l'Etat.

Je citerai à ce sujet la situation vraiment déplorable dans laquelle se trouvent nos petits cours d'eau qui pourraient rendre tant de services à l'agriculture et à l'industrie, si leur cours sinueux était redressé de façon à faciliter les irrigations et à créer des forces hydrauliques.

Maintenant, lorsque vous voulez exécuter le redressement d'une rivière, quelque petite et sinueuse qu'elle soit, pour éviter les inondations et augmenter la surface cultivable, vous avez d'abord à remplir des formalités assez nombreuses, puis à payer une indemnité à la commune pour l'excédant de terrain résultant de l'opération, ou pour la plus-value de la propriété.

Cela me paraît souverainement absurde.

Je connais plusieurs petites rivières dont le parcours est triplé par les sinuosités et qui sont une cause de ruine pour les propriétés voisines. Elles seront plus sinueuses dans vingt ans si on n'en facilite le redressement.

Ce n'est pas pourtant la bonne volonté qui manque aux riverains pour exécuter ce travail. J'en connais qui l'exécuteraient de grand cœur, sur une étendue très considérable, si l'excédant de terrain résultant de l'opération leur était attribué.

Mais dans l'état de division de la propriété dans notre pays, un travail d'ensemble, utile aux intérêts généraux, ne pourra jamais s'exécuter sans l'intervention de l'Etat, au moyen de ses agents, et en modifiant les lois et les règlements sur la matière.

Que l'honorable ministre de l'inlérieur fasse examiner la question, et je ne doute pas qu'on ne trouve qu'il y a là des capitaux à engager d'une manière très productive, et du travail pour de nombreux ouvriers.

- L'article est mis aux voix et adopté avec le chiffre de 380,000 frs.

Article 57 (nouveau)

M. Delehaye. - Voici l'article 57 (nouveau) présenté par le gouvernement :

« Inspection de l'agriculture el des chemins vicinaux : fr. 9,000 fr. »

Ces 9,000 fr. se composent de 7,200 fr. transférés de l'article 14 : « encouragements divers pour l'amélioration de la voirie vicinale », et de 1,800 fr. transférés de l'article qui vient d'être voté.

- L'article 57 (nouveau) est mis aux voix et adopté.

Article 58 (article 57 ancien)

« Art. 58 (art. 57 ancien). Ecole de médecine vétérinaire et d'agriculture de l'Etat. Traitement du personnel administratif et enseignant et des gens de service : fr. 55,800. »

M. David. - Messieurs, quoique j'aie peu d'espoir de réussir aujourd'hui, je viens néanmoins appuyer la proposition faite par la troisième section et qui consiste, soit à supprimer l'école d'agriculture de Cureghem, soit à la réformer d'une manière radicale. En section centrale, M. le ministre de l'intérieur a donné quelques explications que je vais combattre. Je persiste à croire que la suppression de l'école de Cureghem est possible et qu'il en résulterait une énorme économie. Dans la plupart des écoles d'agriculture nouvelles, les études sont poussées assez loin pour qu'à leur sortie les élèves puissent obtenir le grade de candidat vétérinaire. Il suffit, pour s'en convaincre, de lire le programme des écoles d'agriculture et de le confronter avec le programme d'admission au grade de candidat vétérinaire à l'école de Cureghem. Parmi le programme des différentes écoles d'agriculture je prendrai au hasard celui de l'école de Verviers : là on enseigne la physique, la chimie, la bolanique, la zoologie générale et descriptive et la physiologie et faites-y bien attention, messieurs, ce n'est encore que la première année d'études, c'est-à-dire que cet enseignement est tout à fait élémentaire et que les années suivantes on le poussera beaucoup plus loin Maintenant le programme d'admission au grade de candidat vétérinaire comprend la physique, la chimie, la zoologie générale, la botanique, l'anatomie descriptive, l'anatomie générale et la physiologie, toutes sciences qui s'apprennent dans les différentes écoles d'agriculture.

D'après ce que je viens d'avoir l'honneur de vous dire, messieurs, il me semble qu'on pourrait supprimer au moins les cours élémentaires de l'école de Cureghem.

Je demanderai maintenant s'il y a profit pour le trésor à maintenir les cours supérieurs ? Je crois pouvoir prouver la négative. Je ferai, à cet effet, le bilan de l'école de Cureghem, d'après les renseignements qui m'ont été fournis par la cour des comptes.

Quant aux produits de l'école, j'en possède la note à partir de 1843 jusqu'à 1848, et j'ai celle des dépenses depuis 1844 jusqu'en 1849 ; cela ne m'empêchera pas d'établir la moyenne sur ces six années comme si les recettes étaient celles des mêmes années ; il y aura très peu de différence. Je ferai remarquer que les frais de premier établissement ne figurent point parmi les dépenses indiquées, je ne sais par quel motif.

Les produits depuis 1843 jusqu'en 1848 se sont élevés à 208,405 fr. ; cela fait, en moyenne, 34,400 fr. par année. Par contre, les dépenses, de 1844 à 1849, ont été de 885,173 fr. 89 c, soit en moyenne par an 147,628 fr. 98 c. Déduction faite des 34,400 fr. de produits annuels, reste pour les dépenses une somme de 115,228 fr. 98 c.

Chaque année il se présente (et ceci est la moyenne des années 1844 à 1848) , il se présente aux examens 11 80/100 élèves ; parmi ces aspirants, dix reçoivent des diplômes avec plus ou moins de distinction ; ces dix élèves coûtent, par conséquent, plus de 11,500 fr. au trésor.

Avec les vingt bourses de 2,000 fr. chacune, que proposait la troisième section, la dépense totale ne serait que de 40,000 fr. ; au moyen de ces 40,000 fr., vingt candidats, vétérinaires qui auraient fait leurs études dans les écoles d'agriculture, pourraient aller compléter leur instruction à l’étranger, et y vivre très convenabement avec la somme de 2,000 fr. par an. Comme à Cureghem, le candidat vétérinaire terminerait en deux années ses études à l’étranger, et serait, après examen, proclamé artiste vétérinaire.

Si j'ajoute à la dépense annuelle 113,223 fr. 98 c. le produit à obtenir de la location de l'établissement de Cureghem, el si j'en déduis la somme de 40,000 fr. pour les bourses, je trouve une économie réelle et facilement réalisable de 75,000 fr. au moins, sans nuire à la science, malgré la belle place qu'occupait Cureghem parmi nos établissements d'instruction. Je sais que, pour cette année, il est inutile que je fasse une proposition : elle ne pourrait pas réussir ; je demanderai doae à M. le ministre de l'intérieur de vouloir bien étudier la question pour le budget prochain.

(page 222) - L’article 57 (58) est mis aux voix et adopté.

Articles 59 et 60

« Art. 58 (59). Matériel de l'école vétérinaire. Jury vétérinaire : fr. 72,700. »

- Adopté.


« Art. 59 (60). Subside à la société royale d'horticulture de Bruxelles : fr. 21,000. »

- Adopté.

Chapitre XIV. Industrie

Discussion générale

La chambre passe au chapitre XIV (industrie).

La parole est à M. Vermeire.

M. Vermeire. - Dans la discussion générale de ce budget, l'honorable M. Cumont se rallia au désir manifesté par la section centrale, de voir réunir dans un seul département les affaires concernant le commerce et l'industrie. Il appuya surtout son argumentation sur la corrélation intime qui existe entre l'industrie et le commerce ; ces deux branches ayant des intérêts communs, il importe de pousser à leur développement par une impulsion unique, partie d'une seule et même origine.

Le gouvernement, messieurs, ne partage pas cette manière de voir. Il pene que la correspondance qui s'établit, en l'occurrence, entre les divers départements, ne peut que jeter plus de lumière sur la question, et, partant, ne peut que la résoudre à l'avantage du pays.

Pour moi, je pense que cette complication inutile de correspondances entre les divers départements auxquels ressortissent l'industrie et le commerce est une entrave apportée inutilement à leur développement, et peut faire avorter, bien souvent, les projets les plus utiles qui germent dans l'esprit public. J'ajouterai qu'il me semble qu'une direction unique est, sinon nécessaire, du moins très utile ; et, comme le transport économique des marchandises ajoute considérablement au bien-être général, je crois qu'il faudrait faire relever le commerce, l’industrie et l'agriculture, du département des travaux publics.

Lors de la discussion du budget des affaires étrangères, j'ai aussi rompu une lance dans ce qu'on a appelé le tournoi économique qui s'était produit, dans nos discussions, d'une manière încidentelle. L'honorable comte de Thcux en a pris prétexte pour m'appeler libre-échangiste, à l'instar de M. Lesoinne ; il y a ajouté que, certainement, pas plus que l'honorable député de Liège, je n'aurais reculé devant la mise en pratique de mes principes.

Messieurs, j'ai prouvé par des faits irrécusables qui se sont produits dans notre pays, sous nos yeux, que la protection n'est pas toujours nécessaire, et que des industries qui ne sont point protégées prospèrent à côté de celles qui le sont fortement.

J'ai cru et je crois encore qu'il faut revoir, dans son ensemble, notre système économique, le réformer entièrement, sans pour cela produire une secousse instantanée, en faisant porter les réductions, non sur un objet ou un article, mais proportionnellement et graduellement, d'année en année, sur tous les objets protégés.

De cette manière vous préparerez la voie à la liberté, vous apprendrez à l'industrie à marcher seule, vous l'émanciperez entièrement.

Et pourquoi, messieurs, ne le dirais-je pas ? Oui, je crois, avec mon bonorable collègue et ami, M. Dedecker, que l'avenir est à la liberté. Conséquemment, je pense qu'il est très sage de préparer l'industrie à entrer, peu à peu, dans cette voie dans laquelle, plus tard, elle sera immanquablement poussée.

Quoi qu'il en soit de libre-échangistes ou de protectionistes, je pense que, de même qu'on ne gouverne pas le monde avec des principes absolus, de même on ne peut les appliquer à notre système économique, qu'on doit surtout avoir égard à la position du pays, aux faits qui s'y produisent, et qu'on doit adopter un système qui procure le plus d'avantages possible.

Messieurs, ici je crois devoir placer un mot de réponse à ceux qui nous disent sans cesse qu'il faut placer l'industrie manufacturière sur la même ligne que l'industrie agricole ; et quoique j'aie demandé un régime plus libéral pour la première de ces industries, je pense, cependant, qu'il y a une distinction à faire. Les honorables membres qui demandent cette égalité de position pour les deux industries, seraient dans le vrai, si, entre elles, il existait une parfaite similitude, mais cette similitude n'existe pas ; je vais le démontrer en peu de mots.

La première, l'agriculture, par suite de l'amélioration successive des terres et d'une plus forte production, voit constamment augmenter son capital de première mise ou terre ; son revenu augmente en proportion. Les crises, quelque fortes qu'elles soient, n'atteignent point la propriété de la terre, ; les baux augmentent presque à chaque renouvellement, De là la cherté toujours croissante des propriétés foncières.

En industrie manufacturière, il en est tout autrement. Les capitaux de première mise ou usines, ustensiles, etc., diminuent chaque jour de valeur. Une invention nouvelle, améliorant la fabrication, un changement de mode réduisent à néant la valeur des anciens procédés.

Les crises financières et politiques atteignent l'industrie jusque dans ses fondements, et bien souvent comprennent dans la même ruine et le fabricant, et l'artisan, et l'ouvrier.

Ainsi, d'une part, pour l'industrie agricole , augmentation de valeur continuelle et successive du capital de première mise.

D'autre part, pour l'industrie manufacturière, dépréciation de valeur continuelle et successive du même capital. Ensuite, il n'est point exact de dire que l'agriculture est soumise au régime du free trade. Et pour ne nommer que les céréales, le froment est actuellement protégé par un droit d'entrée de fr. 1-16 les 100 kil. ou de 5 1/4 pour 100 ; le seigle est protégé d'un droit d'entrée de fr. 1-10 les 100 kil., ou de 8 3/4 pour 100.

Messieurs, je crois qu'il est inopportun d'aborder maintenant la discussion sur les résultats de la loi des droits différentiels. Je pense que cette question sera abordée en temps utile, et, pour ce motif, j'ajourne quelques observations que j'aurais pu présenter, ici, sur ce sujet.

Puisque nous en sommes à l'industrie, j'appellerai l'attention du gouvernement sur la position précaire de l'industrie huilière.

Cette industrie s'est développée considérablement dans le pays. Elle produit de grands avantages à l'agriculture, parce qu'elle lui procure les principaux aliments pour le bétail, et des engrais non moins précieux pour l'amendement des terres.

La Belgique ne produit pas la moitié des graines dont l'huilerie a besoin pour sa consommation. Cependant les graines sont affranchies de tout droit de sortie en Belgique. Je ne m'en plains pas, au contraire ; on a bien fait, dans l'intérêt de l'agriculture, d'en agir ainsi. Mais ne faut-il pas, messieurs, par une mesure d'une juste réciprocité, dans l'intérêt de l'huilerie et, conséquemment, dans l'intérêt de l'agriculture, admettre, en franchise de droit, les graines étrangères ?

Toutefois, ce mal n'est que secondaire. Les huiles payent, en France et en Prusse, des droits d'entrée prohibitifs. Il en résulte qu'elles y sont toujours plus chères que dans notre pays. Le fabricant français et prussien, faisant un prix plus élevé de ses huiles, peut donner son résidu ou tourteaux à un prix inférieur à celui du fabricant belge.

Il en résulte que le fabricant belge voit déverser sur nos marchés les tourteaux étrangers, contre lesquels, par suite du motif ci-dessus énoncé, il ne peut concourir.

Ceci explique le chômage des fabriques belges pendant un tiers de l'année.

Dans cet état de choses, le gouvernement devrait, dans les négociations, tâcher d'obtenir, en faveur de l'entrée de nos huiles en France et en Prusse, des droits modérés, qui nivellent la position des fabricants dans les trois pays contractants.

Si des négociations internationales ne peuvent amener ce résultat, je pense que notre gouvernement devrait user de représailles envers ces pays ; car, ici, messieurs, ce n'est pas notre infériorité industrielle qui cause le chômage ; ce sont les mesures douanières de nos voisins qui les produisent. Et, c'est ce que, d'après moi, le gouvernement, avide de protéger les intérêts nationaux, ne devrait pas tolérer plus longtemps.

Je dis que notre industrie huilière est importante, parce que déjà, en 1843, on possédait dans l'arrondissement de Termonde 12 fabriques ou tordoirs à vapeur d'une force réunie de 265 chevaux, plus de 30 moulins à chevaux, 38 autres à vent et 2 à eau, faisanten tout 82 établissements qui consomment ensemble 400,000 hectolitres de graines oléagineuses de diverses espèces, d'une valeur totale de 8,000,000 de fr. et qui produisent au-delà de 80,000 hect. huiles et, 10,000,000 de tourteaux.

Il est vrai que depuis, par suite de la position précaire dans laquelle se trouve cette industrie, plusieurs fabriques ont cessé leurs travaux.

Une commission, sous la présidence de M. le gouverneur de la Flandre orientale, s'est occupée de la question. Elle était composée de membres de la commission d'agriculture, et de membres de diverses chambres de commerce.

Si mes renseignements sont exacts, cette commission a conclu dans le sens que je viens d'indiquer.

Je ne demande quant à présent aucun renseignement positif au gouvernement ; je crois qu'il m'aura suffi d'indiquer cette position précaire de notre principale branche d'industrie, pour que le gouvernement s'occupe sans retard de cette question importante.

Messieurs, le port d'Anvers est très intéressé dans cette question. Autrefois, presque toutes les graines en destination du nord dela France, transitaient par la Belgique et arrivaient d'abord au port d'Anvers. La France, pour favoriser le port de Dunkerque, a mis obstacle à ce transit, en imposant des droits prohibitifs à l'entrée des graines par la frontière belge.

La perte qui en résulte pour la Belgique est incalculable, on l'estime à plus de 300,000 hectolitres de graines.

Le mouvement de transit cessa aussitôt. Par contre, cependant, la France crut que nos provinces, et surtout la Flandre occidentale, ne pourraient se passer de ses tourteaux ; et, dans l'intérêt deson agriculture, elle soumit à des droits prohibitifs la sortie de ses tourteaux. La fabrication belge augmenta dans une proposition suffisante pour parer au vide que devait laisser l'introduction des tourteaux français. Aussi, il y eut bientôt encombrement dans le département du Nord. Et, sentant la faute qu'elle avait commise, la France vient de lever ses droits de sortie, et partage de nouveau notre marché, alors que, par des mesures fiscales douanières, elle nous éloigne du marché français. Si jamais mesures de représailles peuvent se justifier, c'est bien dans le cas présent.

Messieurs, je crois encore devoir appeler l'attention du gouvernement sur la nécessité qu'il y a de laisser entrer en franchise de droit les fils de coton anglais numéros 130-160. Ces numéros ne se filent pas en Belgique et servent de matière première à la fabrication des tulles, industrie nouvelle, seule dans son genre en Belgique, et qui y a été importée (page 223) par un industriel de Termonde. Leur imposition à la frontière n'est justifiable sous aucun rapport.

Ne voulant pas occuper plus longtemps la chambre, je termine en appelant l'attention du gouvernement sur la nécessité qu'il me paraît y avoir, pour l'industrie belge, d'examiner promptement la question de savoir s'il ne serait point utile d'affranchir à l'entrée, dans le pays, toutes les marchandises brutes, formant matière première à l'industrie.

M. de Perceval. - J'ai une seule question à adresser à l'honorable ministre de l'intérieur. Je lui demanderai si dans le courant de cette session, nous pouvons espérer un projet de loi sur les brevets d'invention. Je pense que la propriété intellectuelle a droit à une loi protectrice aussi bien que la propriété territoriale. Une législation est attendue avec impatience sur cette matière.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - J'ai déjà eu l'honneur de répondre à l'honorable M. Cumont qu'un projet de loi était prêt.

Rapport sur des demandes en naturalisation

M. Van Cleemputte fait rapport sur plusieurs demandes de naturalisation.

- La chambre ordonne l'impression et la distribution de ces rapports.

La séance est levée à 4 heures et demie.