Accueil Séances Plénières Tables des matières Biographies Livres numérisés Note d’intention

Chambres des représentants de Belgique
Séance du lundi 16 décembre 1850

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1850-1851)

(Présidence de M. Delfosse.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 305) M. Ansiau procède à l'appel nominal à deux heures et un quart.

La séance est ouverte.

M. T’Kint de Naeyer donne lecture du procès-verbal de la dernière séance, dont la rédaction est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Ansiau fait connaître l'analyse des pièces suivantes.

« Le sieur Locale demande la suppression de la surtaxe sur les lettres, paquets et articles d'argent adressés aux officiers et sous-officiers. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Les administrations communales de Philippeville, Cerfontaine, Jamagne, Merlemont, Sautour, Senzeille et Neuville demandent que la compagnie concessionnaire du chemin de fer de l'Entre-Sambre-et-Meuse soit mise en demeure, sous peine de déchéance, de terminer ses travaux au 31 décembre 1851. »

- Renvoi à la commission des pétitions et dépôt sur le bureau pendant la discussion du budget des travaux publics.


M. Desoer demande un congé, pour cause d'indisposition.

- Le congé est accordé.

Projet de loi portant le budget du ministère des travaux publics de l’exercice 1851

Discussion générale

M. David (pour une motion d'ordre). - Avant de formuler l'amendement que j'ai eu l'honneur d'annoncer, dans la discussion sur le budget de l'intérieur, et qui a pour but de demander une réduction de 200,000 fr. sur l'article routes, je prie M. le ministre des travaux publics de vouloir bien déposer sur le bureau un tableau, divisé par province, des routes de l'Etat, provinciales et concédées en cours d'exécution ou dont l'ouverture est ordonnée, avec l'indication de la dépense et des engagements pris tant sur les budgets courants que sur les budgets futurs.

M. le ministre des travaux publics (M. Van Hoorebeke). - Je crois que je pourrais déposer, dans la séance de demain, le tableau réclamé par l’honorable membre.

M. le président. - La parole est continuée à M. le ministre dans la discussion générale.

M. le ministre des travaux publics (M. Van Hoorebeke). - La chambre comprendra parfaitement, je pense, que le moment n'est pas venu de traiter d'une manière complète et approfondie la question si grave et si délicate que soulève la tarification des marchandises. Il y a pour cela deux excellentes raisons : la première, c'est que cet objet ne se rattache que d'une manière indirecte au budget des travaux publics, que les éléments d'appréciation manquent à la chambre ; la deuxième, c'est qu'un projet de loi sur les transports et sur les voyageurs sera soumis à la chambre, et que même un de ces projets a déjà fait l'objet d'un examen de la part de la section centrale.

Cependant, à la fin de la séance de samedi, un incident a surgi : quelques honorables membres ont prétendu attribuer au tarif du 1er septembre la différence de produits qui s'est manifestée entre les années 1847 et 1819. J'ai interrompu l'honorable M. Dechamps pour lui faire remarquer qu'avant de porter à cet égard une appréciation complète, il fallait connaître le nombre des tonnes-lieues pour 1847 et 1849, et savoir quelle est la décroissance du mouvement international en 1849. Or, pour 1847, il m'a été impossible de fournir le nombre exact des tonnes-lieues qui nécessite de nombreuses et minutieuses recherches et notamment la multiplication du nombre de tonnes transportées par les distances parcourues. Or, il y a 107 stations. De plus, jusqu'en 1847, il y a eu charges complètes et 3 classes ; charges incomplètes et 3 classes, location de wagons et abonnements. On conçoit que ce travail, qui n'était pas fait, ne puisse être soumis de sitôt à la chambre.

Du reste, j'ai chargé les bureaux de préparer les éléments de ce travail.

L'important, c'est de constater qu'il y a eu, dans le mouvement international de 1847 à 1849, une différence de 802,000 francs. De sorte qu'il devient complètement inexact d'attribuer à l'influence de la tarification nouvelle la différence que l'on signale.

Je pense donc qu'il convient de suspendre toute appréciation définitive sur les résultats d'un exercice non encore publié.

M. de Liedekerke. - Messieurs, j'espérais rencontrer beaucoup plus tôt quelques objections et quelques arguments qui n'ont été opposés dans la discussion de l'autre jour. Mais j'ai cru devoir, samedi dernier, dans l'intérêt même de la discussion, afin qu'elle eût un caractère plus rapide et plus prompt, abandonner la parole de mon honorable ami, M. Dechamps. Du reste, je prie la chambre de croire que j'userai avec beaucoup de discrétion de mon tour de parole, et que je tâcherai d'abréger autant que possible les rapides considérations que je désire lui présenter.

Messieurs, je rends hommage au sentiment de délicatesse de l'honorable ministre des travaux publics, qui a cru devoir soumettre à l'inspection de son honorable prédécesseur le compte rendu des opérations du chemin de fer pendant l'année 1849. Cependant, il faut observer que le résultat en a été extrêmement regrettable. Car nous avons perdu par là un élément précieux de discussion, et si l'on pouvait adopter et transformer en système habituel, en usage, reçu de permettre à chaque chef de département qui quille son portefeuille, d'emporter, comme une espèce de vade-mecum, les rapports qui doivent se faire sur les opérations essentielles de l'administration, il pourrait en résulter de graves inconvénients. Vous en avez vu un exemple frappant dans nos derniers débats.

Messieurs, je regrette de le dire, mais il est extrêmement difficile de soutenir une discussion sérieuse sur la question des chemins de fer. Quel est le système qu'adoptent nos adversaires et qu'a suivi l'honorable ministre des travaux publics lui-même ? Lorsque nous parlions de la lenteur, de la paresse de notre chemin de fer, M. le ministre des travaux publics nous citait des chemins de fer qui vont aussi lentement ou plus mal. Lorsque nous parlions des produits, des revenus, l'honorable ministre des travaux publics nous citait des chemins de fer qui rapportaient aussi peu ou un peu moins.

J'aurais cru que l'ambition qu'il fallait avoir, ce n'est pas l'ambition du moins, mais l'ambition du plus. C'est là, je le confesse, un système inattendu !

Il semble vraiment, messieurs, que cette fâcheuse question du chemin de fer enraye toute espèce d'initiative heureuse et paralyse les intelligences les plus actives. Dernièrement, lorsque je comparais les revenus des chemins de fer étrangers, des chemins de fer de France, par exemple, avec les chemins de fer belges, que me disait-on ? On m'objectait : Mais votre comparaison ne vaut rien, elle n'a aucune valeur. Car pour qu'elle pût être juste, il faudrait que les tarifs fussent les mêmes pour les chemins de fer français que pour les chemins de fer belges.

Messieurs, sur quoi a porté mon raisonnement ? Il a porté sur l'ensemble des conditions dans lesquelles se trouvaient les différents chemins de fer, sur l'ensemble des lois qui les régissent, et je disais que c'est parce que vous mettiez volontairement votre chemin de fer dans des conditions moins favorables que celles dans lesquelles se trouvent les chemins de fer étrangers, que c'est de cette erreur si fatalement continuée que résultait une si grande différence dans les revenus réciproques.

Ainsi, supposez que deux propriétés ayant la même valeur, les mêmes usines, la même richesse de sol, se trouvant à côté l'une de l'autre, supposez que l'une soit parfaitement administrée, que l'autre le soit avec négligence, n'ai-je pas le droit de dire, si le revenu des deux propriétaires n'est pas le même, que cela ne provient pas de la différence entre les deux propriétés, mais surtout de l'administration fautive de l'une, de l'administration intelligente de l'autre ?

On parle sans cesse, messieurs, des avantages indirects du chemin de fer. Je ne conteste pas tous ceux, fort nombreux peut-être, que donne le chemin de fer. J'accorde ces avantages. Mais est-ce que ces résultats, cette situation, n'existent pas sous l'empire d'autres tarifs que les nôtres ? Est-ce que le chemin de fer du Nord, est-ce que le chemin de fer d'Orléans, est-ce que le chemin de fer de Strasbourg, est-ce que d'autres voies ferrées ne procurent pas ces mêmes bénéfices aux pays qu'ils traversent ? Evidemment oui. Il n'est pas contestable que ces avantages existent autant chez eux que chez nous. Quelle est donc la différence ? C'est que chez nous les avantages indirects qui vont à quelques-uns pèsent sur la totalité des contribuables, sur les finances de la nation tout entière. Ainsi c'est tout le monde qui paye le prix et la valeur des avantages qui n'aboutissent qu'au petit nombre. Voilà ce que je maintiens, voilà ce que je combats dans l'état actuel de notre chemin de fer. Je dis que cela est contraire au principe même de l'égalité des impôts, et de leur distribution uniforme.

M. le ministre des travaux publics nous disait l'autre jour : Mais quand vous comparez les recettes de nos voies ferrées avec les recettes des voies ferrées de France, il faut défalquer les revenus de la station de Paris, c'est-à-dire considérer pour quel chiffre immense les revenus de la station de Paris figurent dans les revenus généraux du chemin de fer du Nord.

Je le veux bien, messieurs, je vais faire cette concession ; mais alors, à mon tour, je vous demanderai de défalquer des revenus du chemin de fer belge les revenus de la station de Bruxelles. Voulez-vous ensuite défalquer la station d'Amiens ? Nous défalquerons alors aussi la station de Gand ou la station d'Anvers. Mais en ce cas, sur quoi ferons-nous porter nos calculs ? Sur la station de Vilvorde, sur la station de Ruysbroek, sur la station de Vertryck ?

Evidemment, ce n'est pas là un raisonnement sérieux. Quand vous voulez calculer les revenus du chemin de fer, vous devez prendre l'ensemble de ses produits et les comparer à l'ensemble des produits des autres chemins de fer.

M. le ministre des travaux publics nous disait encore dernièrement qu'il n'y avait guère qu'un seul pays qui appliquait complètement le système défendu par moi, c'est-à-dire le système des grands travaux publics entrepris par les associations particulières, dus à l'initiative individuelle, que ce pays était l'Angleterre.

Messieurs, je pourrais citer un pays qui ne ressemble point à l'Angleterre, je pourrais citer les Etats-Unis. Aux Etats-Unis les grands travaux d'utilité publique se font par l'initiative individuelle.

(page 306) Je sais qu'il y a des exceptions, je sais qu'il y a quelques Etats aux Etats-Unis qui ont fait construire des canaux et des voies ferrées par le gouvernement ; ce sont les Etats les plus pauvres ; mais le principe fondamental aux Etats-Unis, c'est, dans le sens politique, le self-government, c'est, dans le sens des travaux d'utilité publique le self-enterprise, c'est-à-dire que ce sont les forces particulières qui, se groupant, s'associant, se chargent des grandes entreprises d'intérêt matériel.

Je sais, messieurs, que l'Angleterre est peut-être un pays à part. Je ne rechercherai pas maintenant sous quelles grandes lois sociales et civiles vit cette île puissante. Je ne sonderai pas les bases sur lesquelles repose le grand édifice politique de l'Angleterre, ce qui l'a si admirablement garanti des intempéries révolutionnaires.

J'admettrai volontiers que la conservation et la perpétuité des fortunes permettant une plus grande accumulation de capitaux, on peut leur attribuer ces travaux merveilleux qui s'exécutent en Angleterre, et l'étonnante et universelle influence qu'elle exerce dans le monde. Mais il n'en est pas moins vrai que sous l'empire d'autres faits, sous l'empire des lois qui nous régissent, c'est précisément l'esprit d'association, le développement de l'énergie individuelle qui peuvent obvier à ce qu'il y aurait de dangereux dans l'extrême division des fortunes, dans l'éparpillement des capitaux. Ce qu'il faut éviter, c'est que ce soit le gouvernement qui se mette forcément à la tête des associations par la voie de l'impôt, car c'est là une association de contrainte et souvent excessive dont le résultat n'est jamais, ou du moins rarement, heureux pour l'intérêt public.

Mon honorable ami M. Dechamps, que je regrette beaucoup de ne pas voir à son banc, mais dont cette légère dissidence ne peut nullement altérer notre profonde communauté de sentiments et de principes, disait l'autre jour que l'exploitation par les compagnies, que la création par les compagnies des voies ferrées était infiniment supérieure à la direction et à l'entreprise des mêmes voies ferrées par l'Etat.

Je n'ai pas sous la main les Annales parlementaires ; sans cela je lirais le passage précis, car il est plus net, plus catégorique que ce que je puis reproduire de mémoire.

Il est vrai que l'honorable membre disait à l'instant même, car il est assez ingénieux pour faire ses réserves ; il s'écriait aussitôt que nous avions eu deux grands buts en construisant et en exploitant nos chemins de fer.

L'un d'eux est un but de politique extérieure, et l'autre, une pensée de politique intérieure.

Le but de politique extérieure, c'était, lors des premiers jours de notre indépendance, au début de notre nationalité, de nous rapprocher, de nous offrir, pour ainsi dire, à toutes les autres grandes nations, et de fonder une concurrence heureuse à notre rivale la plus formidable.

Messieurs, nous ne discutons plus sur la construction même des chemins de fer ; c'est là un fait qui est dans le domaine du passé ; il n'y a pas à en revenir : ce dont il s'agit, c'est l'exploitation du chemin de fer.

Eh bien, au point de vue de l'honorable membre, en quoi viennent se réduire les nécessités et les relations politiques internationales ? Elles viennent se résoudre dans une question de tarifs, car il ne les envisage qu'à un point de vue matériel ; elles aboutissent donc à une question de tarif.

Eh bien, qui pourrait soutenir que des compagnies particulières n'ont pas le même intérêt, n'ont pas plus d'intérêt peut-être que l'Etat à exploiter un chemin de fer d'une manière lucrative, à maintenir les tarifs, afin de faciliter et d'accroître, autant que possible, le mouvement international ? Evidemment, ne serait-ce pas là une des grandes branches de leurs revenus, et les compagnies, peut-on le supposer ?, seraient-elles assez aveugles, pour amoindrir l'importance de ce grand mouvement international ?

L'autre pensée indiquée par mon honorable ami, comme ayant présidé à la création du chemin de fer, c'était celle-ci : on avait eu un but politique intérieur ; on voulait rapprocher les provinces, effacer l'individualisme et le provincialisme ; on visait à centraliser davantage.

Messieurs, cette question de centralisation ne laisse pas que d'être une question assez dangereuse, si elle était outrée ; elle pourrait, si elle cessait d'être renfermée dans de sages limites, avoir des résultats assez imprévus ; je prierai la chambre de vouloir bien être attentive à ce point ; car si on voulait pousser le principe à ses dernières limites, lui faire rendre ses conséquences les plus logiques et les plus rigoureuses, que ne devrait-on pas faire pour une de nos provinces qui est à peine touchée par le chemin de fer, et par une autre, non moins intéressante, qui n'a pas de railway ? Cette dernière province est plus éloignée que toutes les autres du grand mouvement industriel et commercial de la Belgique ; eh bien, s'il fallait développer le principe dans toute sa rigueur, aucune province n'aurait plus de droit que celle-là à avoir une voie ferrée.

C'est une observation sur laquelle j'appelle l'attention de la chambre ; c'est un principe qu'on ne peut pas adopter d'une manière trop absolue. Il pourrait en résulter des conséquences très fatales, fort excessives pour nos finances.

Messieurs, l'on disait dernièrement que les chemins de fer belges n'étaient pas dans la même situation que les voies ferrées des autres pays ; que, dans d'autres contrées, l'on avait construit les seules lignes qui rapportaient le plus, tandis que nous avions été, par différentes considérations, obligés d'établir un rayonnement de railways vers tous les côtés du pays ; et au même moment l'on disait que les deux tiers des voies ferrées anglaises ne rapportent que 2 ou 3 p. c.

Quelle preuve résulte de ce fait ? Il en résulte un aveu concluant, c'est que ce n’est pas seulement le gouvernement qui fait des lignes peu productives, mais que les compagnies particulières peuvent également établir des voies ferrées d'un rapport médiocre.

L'argument qu'on a invoqué en faveur des constructions par l'Etat, et comme excuse du rapport inférieur de notre exploitation gouvernementale, est donc un argument très faible.

Je trouve que, dans les questions où nous paraissons différer, mon honorable ami et moi, nous nous rapprochons par la force même des choses.

Mais là où mon honorable ami s'accorde avec moi, quel appui n'ai-je point dans les arguments que lui fournissent son expérience et sa longue habitude des affaires !

Voyez comme nous sommes d'accord sur le tarif. L'honorable membre a trouvé que l'on avait complètement dépassé ou méconnu le principe qui aurait dû présider au tarif du 1er septembre 1848 ; que ce tarif du 1er septembre 1848, par l'extension qu'on lui avait donnée, par ses nombreuses exceptions, avait complètement manqué son but et portait un grave préjudice aux intérêts essentiels du pays ; et ici je partage complètement les aveux éloquents du député de Charleroy.

Mais il y a autre chose. On dit que ce tarif est appliqué au chemin de fer belge-rhénan.

Si mes renseignements sont exacts, il paraîtrait que la compagnie ayant fait des pertes considérables sous l'empire de ce tarif, de cette convention, est au moment d'en dénoncer l'application au 31 décembre prochain.

Mais, messieurs, ce n'est pas tout. On vous disait que si même le tarif était changé, s'il produisait tout ce qu'il peut produire, que si toutes les modifications qui pourraient enfin corriger ses tristes effets venaient à se réaliser, qu'alors en face de meilleures et de plus fortunées circonstances, nous nous trouverions en présence de quoi ? En présence d'une insuffisance de matériel pour la circulation, de hangars pour recevoir les marchandises, même de certaines parties de chemins de fer qui ne sont pas achevées.

Vous voyez donc, messieurs, que non seulement la loi et le tarif qui règle les chemins de fer sont vicieux ; mais qu'il y aurait même impossibilité d'en tirer tout le parti possible s'ils étaient améliorés.

Je demanderai à M. le ministre des travaux publics s'il est prêt à demander à la chambre les fonds nécessaires pour pouvoir achever les travaux urgents et s'il est disposé à présenter un projet de loi pour saisir la chambre d'un nouveau crédit. Je soupçonne qu'il me répondra que non.

M. le ministre des travaux publics nous disait qu'il fallait attendre quelques faits nouveaux, certains changements qu'on voulait introduire dans le tarif, quelques améliorations qu'on pouvait espérer introduire dans l'administration.

J'avoue qu'en consultant l'état actuel de la situation dans laquelle, après quinze années d'expérience, se trouve encore le chemin de fer, les nombreuses incertitudes, les tâtonnements dans lesquels on verse, j'avoue, dis-je, que j'ai peu de confiance dans les améliorations que le gouvernement pourra nous proposer.

Je n'attaque la capacité, les bonnes intentions de personne ; mais je répète ce que je disais l'autre jour, c'est que je crois la situation elle-même vicieuse, et que ce ne soit là ce qui empêche d'apporter un remède assez énergique, assez complet aux nombreux vices qui faussent la direction et l'exploitation de nos chemins de fer.

J'attendrai cependant les faits dont parle l'honorable ministre des travaux publics ; mais si ces améliorations, ces changements, ne me paraissaient pas suffisants, si je n'y voyais pas le remède salutaire et radical que nous devons désirer pour les chemins de fer et pour nos finances gravement menacées, alors, me concertant avec quelques-uns de mes honorables amis, pour sortir enfin de cette trop longue et déplorable incertitude, je soumettrais à la chambre une proposition d'enquête parlementaire, soit par la nomination d'une commission nommée dans le sein du parlement, soit par la nomination d'une commission nommée en partie en dehors du parlement et en partie dans le parlement ; cette commission aurait deux buts ; l'un de ces buts serait de s'enquérir des réformes, des changements, des améliorations qu'où peut introduire dans toute l'administration du chemin de fer et dans son exploitation ; le second but serait de savoir jusqu'à quel point l'Etat pourrait concéder à une compagnie, non pas la propriété, non pas l'administration générale du chemin de for, mais l'exploitation commerciale, le côté industriel du chemin de fer.

Vérification des pouvoirs

Arrondissement de Dixmude

Les procès-verbaux de l'élection de M. de Breyne, élu représentant par l'arrondissement de Dixmude, ayant été transmis au bureau de la chambre, il est procédé, par la voie du tirage au sort, à la nomination d'une commission de vérification de pouvoirs.

La commission chargée d'examiner les opérations électorales du district de Dixmude est composée de MM. Dedecker, Van Iseghem, de T'Serclaes, Mascart, F. de Mérode, de Brouckere et Ansiau.

Projet de loi portant le budget du ministère des travaux publics de l’exercice 1851

Discussion générale

M. Rolin. - Messieurs, la discussion qui a pour objet l'exploitation du chemin de fer est bien la plus malheureuse et la plus ingrate de toutes les discussion qui puissent s'agiter dans cette enceinte.

Il ne sert de rien, en cette matière, de démontrer la fausseté des (page 307) allégations à mesure qu'elles se produisent ; les mêmes allégations se reproduiront à la première occasion ; l'année suivante on annoncera triomphalement qu'on a la preuve matérielle, mathématique, que ce qu'on a dit a été bien dit ; les erreurs repousseront comme de mauvaises herbes qu'on s'efforce inutilement d'extirper.

Combien de fois n'avons-nous pas dit à nos adversaires : Vous vous trompez dans vos appréciations ; vous vous trompez dans les comparaisons que vous établissez entre les chemins de fer belges et ceux des pays qui nous entourent ; votre discussion ne repose sur aucune base solide.

Nos avertissements ont été inutiles ; on revient à la charge, on représente les mêmes chiffres, on prétend que la cour des comptes a donné raison aux calculs qu'on a imaginés et, les documents sous les yeux, on leur fait dire le contraire de ce qu'ils disent.

Je suis heureux, pour ma part, de saisir l'occasion de mettre, une fois de plus, ces erreurs à nu. Je tâcherai autant que possible de ne pas tomber dans des redites ; j'écarterai même ces considérations générales, dont tout le monde connaît le thème et dont on nous a présenté, dans les discours que nous avons entendus cette année, une troisième, quatrième ou cinquième édition, quelquefois singulièrement augmentée, et ornée de fleurs de rhétorique, mais très peu corrigée.

Les traités d'économie politique à la main on dit : L'Etat est incompétent pour gérer des entreprises commerciales ou industrielles ; sa mission est de protéger les citoyens, d'assurer leur liberté, leur indépendance ; mais s'il touche au commerce ou à l'industrie, il gâte les affaires des particuliers, en même temps qu'il compromet ses finances.

A quoi bon cette démonstration ? Est-ce nous qui avons proposé la création et l'exploitation des chemins de fer par l'Etat ?

Nullement : ce sont les législatures antérieures qu'on attaque.

Si je ne me trompe, l'honorable comte de Theux a tenté de livrer l'exploitation du chemin de fer à l'industrie privée ; et aussitôt il s'est élevé dans les chambres un tollé général ; c'était à l'Etat, disait-on alors, qu'il fallait réserver cette exploitation, dont on se promettait des résultats splendides. Plus tard, on proposa la création d'un chemin de fer de Gand vers la frontière française. Nouvelle tentative, ou tout au moins nouvelle, envie d'en mettre l'exploitation en concession, et nouveau tollé qui força le gouvernement d'y renoncer.

C'est à cette époque, je pense, que l'honorable M. Dumortier proposa de créer un petit embranchement vers Tournay. (Interruption.)

Quoi qu'il en soit, nous ferons remarquer que, en nous posant aujourd'hui comme défenseur de l'exploitation par l'Etat, nous ne défendons pas notre propre cause, mais plutôt celle de nos devanciers.

Aujourd'hui, où voulez-vous en venir ? Prétendez-vous qu'il faudrait mettre l'exploitation commerciale du chemin de fer en adjudication ? Je ne l'imagine pas.

J'ai entendu, à la vérité, que vous vous réservez de faire, dans un avenir plus ou moins éloigné, une proposition semblable.

M. de Liedekerke. - Pas pour un avenir éloigné !

M. Rolin. - Soit, dans un avenir prochain ; peu m'importe. Mais croyez-moi, dans un avenir prochain, ou dans un avenir éloigné, vous reculerez devant la réalisation de vos projets.

Dites-moi, je vous en conjure, que, depuis si longtemps qu'on préconise, dans cette enceinte, l'abandon de l'exploitation du chemin de fer par l'Etat, jamais la moindre offre n'ait été faite au gouvernement ? Abandonnons donc cette discussion inutile, et abordons au vif les questions qui ont été agitées dans le cours de ce débat.

A la vérité, nous pourrions, pour y répondre, user d'un procédé assez commode ; ce serait de renvoyer M. de Liedekerke à M. de Brouwer, M. de Brouwer à M. Dechamps, M. Dechamps à M. Dumortier, M. Dumortier à tout le monde, leur laissant le soin de se réfuter les uns les autres, car il n'est pas une partie de leur argumentation qui ne trouve, dans leurs rangs, un habile et ferme contradicteur.

Mais nous ne recourrons pas à ce moyen, et nous relèverons rapidement quelques-unes des erreurs principales que l'on a commises.

On compare l'exploitation du chemin de fer belge à celle de certains chemins de fer des pays qui nous environnent ; nous avons dit plusieurs fois que cette comparaison n'est pas admissible ; que, pour qu'elle ne péchât point essentiellement, il faudrait tenir compte de mille éléments qui échappent à toute appréciation. Qu'un seul de ces éléments change, et l'on arrive à des résultats entièrement différents. Que si une comparaison pouvait se faire, on sent que ce ne pourrait être qu'avec la moyenne des résultats des chemins de fer français, anglais ou allemands ; à la vérité, cette comparaison serait encore fautive, mais du moins elle serait plus équitable.

Or, nous posons la question, soit à M. Dumortier, soit à M. de Liedekerke, qui s'est livré, paraît-il, à des études très sérieuses concernant les chemins de fer et qui nous a parlé des renseignements qu'il a conquis par ses recherches et par ses travaux personnels ; et nous leur demandons s'ils connaissent un seul pays où les produits des chemins de fer soient supérieurs, en moyenne, aux produits des chemins de fer belges. Cette question, j'ose le prédire, messieurs, restera sans réponse, et la raison en est simple ; c'est que si on révoquait ce fait en doute, il serait aisé de le démontrer par des documents authentiques.

L'honorable M. Vermeire, à qui nous rendons, du reste, complète justice, et dont le discours atteste une étude consciencieuse des questions qui se rattachent à l'exploitation des chemins de fer, a remarqué avec regret que les frais d'exploitation en Belgique sont supérieurs de 17 p. c. aux dépenses d'exploitation du chemin de fer du Nord. Mais nous devons lui reprocher d'avoir perdu de vue un élément essentiel pour cette appréciation. En consultant avec plus d'attention les comptes rendus du chemin de fer du Nord il aurait vu qu'on n'y porte pas en compte un seul centime pour le renouvellement des billes ou des rails.

Or, chez nous le renouvellement du matériel figure annuellement au budget pour des sommes considérables. Cela seul change considérablement la proportion de la dépense à la recette dans les deux exploitations.

Autre remarque. On a fait ressortir que depuis plusieurs années le chemin de fer du Nord accuse des accroissements de recettes considérables. Cet accroissement a été tel, que de quinze millions qu'elles atteignaient en 1848, elles se sont élevées, en 1849, à 19 millions, et qu'elles atteindront peut-être vingt-quatre millions en 1850.

Eh bien, malgré cet accroissement, il eût été aisé à nos honorables collègues de se convaincre, par les documents qu'ils avaient sous les yeux, que l'exploitation du chemin de fer du Nord n'avait pas encore donné en 1849 les mêmes produits qu'en 1847.

Quelle est donc l'explication de ce fait étrange ? Je l'ai indiquée plus d'une fois ; je vais la préciser.

La vérification est facile ; cet accroissement de recettes si considérable est dû, en grande partie, à l'extension que le chemin de fer et ses embranchements ont reçue successivement pendant ces dernières années.

Voyons maintenant, messieurs, si ce que je viens de dire se justifie. Voici le rapport présenté au nom du conseil d'administration sur l'exploitation du chemin de fer du Nord pendant l'année 1849. J'y lis :

« La circulation des voyageurs et des marchandises, pendant cet exercice, s'est notablement accrue relativement à celui de 1848, soit par l'atténuation des effets de la révolution de février, soit par suite de la mise en exploitation des embranchements de Calais et de Dunkerque, et des sections successivement ouvertes sur celui de Creil à Saint-Quentin. Mais cependant la circulation normale, telle qu'elle existait avant les événements de 1848, ne s'est pas rétablie.

« Pour comparer les résultats de l'exploitation, pendant l'exercice 1849, en recettes comme en dépenses, avec les exercices antérieurs, il faut établir avant tout les longueurs des chemins exploitées à ces diverses époques :

« Pendant l'année 1847, la ligne principale de Paris à la frontière de Belgique par Lille et Valenciennes, sur une longueur de 330 kilomètres, a été exploitée dans tout son parcours.

« La ligne de Creil à Compiègne, sur une longueur de 35 kilomètres, a été livrée à la circulation pendant trois mois seulement.

« En 1848, la ligne principale et l'embranchement de Creil à Compiègne ont été exploités pendant toute l'année.

« Les embranchements de Calais et de Dunkerque, sur un parcours de 145 kilomètres, l'ont été pendant quatre mois, depuis le 1er septembre.

« Enfin, en 1849, la ligne principale, les embranchements de Calais et de Dunkerque, et la section de Compiègne, ont été exploités toute l'année ; la section de Compiègne à Noyon (24 kilomètres) l'a été pendant 10 mois, et la section de Noyon à Chauny (16 kilomètres) pendant deux mois.

«. La longueur moyenne de chemin exploitée pendant chacune de ces trois années a conséquemment été :

« En 1847, de 338 kilomètres,

« En 1848, de 411 kilomètres,

« En 1849, de 531 kilomètres. »

On le voit, la longueur de chemin exploitée en 1849 a été environ de 2/5 plus grande qu'en 1847 ; et l'on s'étonne après cela que le produit de l'exploitation se soit élevé de 15 millions à 19,

Or, je le répète, les documents que j'invoque on les a eus sous les yeux. C'est en m'autorisant de ces mêmes documents que j'ai eu l'honneur tout à l'heure de faire observer à l'honorable M. Vermeire que, au chemin de fer du Nord, on ne fait figurer, dans les frais d'exploitation, aucune somme pour le renouvellement du matériel.

Au surplus, messieurs, n'y a-t-il pas un fait excessivement simple qui doit frapper nos esprits ? On va toujours chercher des comparaisons à l'étranger. Que ne les cherche-t-on dans le pays ? Que ne compare-t-on le chemin belge exploité par l'Etat à d'autres chemins de fer belges exploités par des compagnies concessionnaires ?

Vous avez le chemin de fer de Gand à Anvers ; quels sont ses résultats ? Vous avez le chemin de fer de Bruges à Courtray ; qu'a-t-il produit ? Vous avez le chemin de fer de Mons à Manage ; quels dividendes ont-ils distribués jusqu'à ce jour ? Celui d'Entre-Sambre-et-Meuse....

Oh ! j'entends votre réponse. Ces lignes sont moins fructueuses et desservent des populations moins importantes que les lignes de l'Etat. Je tiens l'explication pour bonne ; mais pourquoi donc la repoussez-vous, lorsque nous l'opposons à la comparaison que vous établissez entre les chemins de fer belges et le chemin de fer du Nord ? Evidemment, il faut qu'on soit conséquent avec soi-même ; on ne peut répudier dans un cas l'argument qu'on oppose dans un autre.

Je m'arrête, messieurs ; je ne veux pas m'occuper davantage de ces réfutations de détail, et je passe immédiatement à deux points essentiels.

Vous avez contesté l'exactitude du compte commercial que nous avons produit pour établir le coût du chemin de fer. Nous allons vous prouver que ce compte est d'une exactitude rigoureuse.

(page 308) Vous avez prétendu que le tarif du 1er septembre, décrété par mon honorable prédécesseur, mais accepté et mis à exécution par moi, et pour lequel je revendique ma part de responsabilité, est ruineux pour nos finances. Nous allons vous prouver qu'il ne l'est nullement.

L'honorable comte de Liedekerke a félicité l'honorable comte Vilain XIIII, d'avoir, par la proposition qu'il a faite l'année dernière, appelé la lumière sur les ténèbres du chemin de fer. On sait enfin, grâce au ciel, ce que le chemin de fer belge a coûté au pays.

Je ferai d'abord observer que, avant qu'aucune proposition n’eût été faite à cet égard, j'avais annoncé à la chambre spontanément, et sans y être provoqué, que je m'occupais de l'établissement de ce compte. Nous en avez la preuve matérielle dans le rapport de la cour des comptes, ou il est dit, dès le début, que cette cour a pensé devoir attendre, pour satisfaire à la demande de la chambre des représentants, la publication ou la communication des documents annoncés par M. le ministre des travaux publics ; que ce ministre lui a transmis, le 7 février, une copie du compte commercial du chemin de fer tel qu'il se proposait de l’insérer dans le compte rendu des opérations pour l'exercice 1848, qu'elle en a fait le pivot de ses propres opérations ; et que du reste elle a obtenu, quant aux chiffres, les mêmes résultats, bien qu'il existe quelques différences dans la position des chiffres, ces différences portant plutôt sur la forme que sur le fond.

Je revendique donc, pour moi, une partie du compliment que l'honorable comte de Liedekerke a bien voulu adresser à M. le comte Vilain XIIII ; mais je dois cependant ajouter que la part de gloire qui m'en revient est assez faible : car les données de ce travail m'ont été fournies par des documents publics, que je n'ai eu que la peine de recueillir et de mettre en ordre.

Mais comment se fait-il, messieurs, qu'après que ces ténèbres épaisses ont été dissipées, après que l'obscurité a fait place à la lumière, l'honorable comte de Liedekerke révoque encore en doute le chiffre réel du coût du chemin de fer, et qu'il dise quelque part que le chiffre pourrait bien s'en élever à 348 millions ?

Je lis, en effet, dans les Annales parlementaires (p. 269) :

« La cour des comptes a établi différentes situations et des chiffres divers, selon l'aspect sous lequel elle a envisagé la situation du chemin de fer. Mais tous sont également authentiques, et je ne suppose pas qu'on veuille les contester ni infirmer leur valeur. Ainsi, voulez-vous prendre l'ensemble de toutes les dépenses du chemin de fer, tels que les frais de construction, les frais et les intérêts des capitaux (j'entends par frais tout ce qu'a pu coûter l'acquisition de ces capitaux), les annuités de l'amortissement et les dépenses d'exploitation, vous trouvez un total de 348,357,849 fr. »

J'ai regret que l'honorable M. de Liedekerke ait négligé d'ajouter immédiatement après qu'il y avait à porter en déduction de ce chiffre, bien que la cour des comptes l'en eût averti, près de 127 millions de recettes de toute nature.

Cette manière de procéder n'est pas de nature, il faut en convenir, à contribuer à porter la lumière dans le débat. Il y a tout au moins imprudence à laisser croire à ceux qui ne suivent pas attentivement nos discussions et qui ne consultent pas nos documents, que le chemin de fer pourrait bien, dans une certaine hypothèse, avoir coûté au pays au-delà de 348 millions !

L'honorable M. Dumortier, de son côté, m'a fait un reproche dont je tiens singulièrement à me laver.

« A la vérité, dit cet honorable collègue, M. le ministre des travaux publics avait remis, à son tour, un compte de la dépense des chemins de fer. Ce compte diffère considérablement de celui que nous a présenté la cour des comptes.

« Le motif principal de la différence que vous trouverez entre les deux résultats, consiste en ce que le compte du ministre est établi de telle manière qu'on porte à l'avoir du chemin de fer tous les remboursements qui ont été effectués par l'Etat ; c'est là une manière de calculer que je ne connaissais pas.

« Pour moi, j'avais toujours pensé que lorsqu'un banquier ouvrait un compte à son débiteur, et que le débiteur ne pouvait pas en payer les intérêts, il fallait porter cette somme d'intérêts, non pas au crédit du débiteur, mais à son débit ; j'avais pensé qu'une personne qui doit 100,000 francs à un banquier et qui, à la fin de l'année, ne peut pas payer les 5,000 francs d'intérêt, devait alors au banquier 105,000 francs, et non 95,000 francs. Or, le compte présenté par le gouvernement repose sur cette hypothèse, que le banquier diminue sa créance de toute la somme dont le débiteur voit augmenter sa dette, par suite du non-paiement des intérêts. »

Vous voyez, messieurs, que l'honorable M. Dumortier m'attribue l'invention d'un nouveau genre de comptabilité. Or, en parlant ainsi, il avait, ou devait avoir sous les yeux le compte que j'ai fourni à la cour des comptes ; et il dit précisément le contraire de ce qui s'y trouve.

Oui, les amortissements qui ont été successivement opérés l'ont été avec des deniers qui sont sortis, non de la caisse du chemin de fer, mais de la caisse de l'Etat.

J'aurais pu ne tenir compte, ni au débit, ni au crédit, des résultats de l'amortissement, et des sommes qu'il avait coûté au pays. Mais je n'aurais pas été dans le vrai. Il est sensible en effet que les capitaux amortis ne sont pas exactement égaux au coût de l'amortissement et des frais qui en dépendent.

Qu'ai-je donc fait ? Pour ne rien laisser ignorer ni à la cour des comptes, ni à la chambre, j'ai, d'une part, crédité le chemin de fer des parties d'emprunts successivement amorties, et en regard, à chaque page, j'ai débité le chemin de fer du coût de l'amortissement, principal, intérêts et accessoires.

Il suffisait de jeter les yeux sur chaque page du compte, pour s'en convaincre.

Que dire, lorsqu'on est condamné à relever des inexactitudes pareilles ?

Je répète que le travail auquel je me suis livré est d'une exactitude rigoureuse. Je ne l'abrite derrière la responsabilité de personne. C'est mon fait.

Voyons donc en quoi mes conclusions diffèrent de celles de la cour des comptes.

La cour elle-même a eu soin de l'expliquer à la page 6 de son rapport. Elle porte le coût du chemin de fer, dans une certaine hypothèse, à fr. 221,395,451-68. Mais dans quelle hypothèse, et quelles sont les sommes qu'il faut en retrancher selon nous ?

En premier lieu, nous avons soutenu qu'il y avait lieu d'en déduire une somme de fr. 5,066,042-30, demeurée disponible au 31 décembre 1848, sur les crédits alloués pour le chemin de fer. Et l'on conviendra en effet, je pense, qu'on ne peut pas débiter le chemin de fer de cette somme, alors qu'aucune partie n'en était ni dépensée, ni engagée.

Il faut ranger dans la même catégorie la somme de 27,596-04, restant disponible à la même date sur les fonds de la régie et celle de 571,044-66, valeur des approvisionnements du magasin central.

Le quatrième poste peut seul donner lieu à quelque discussion, c'est celui de fr. 9,089,327-93, dont la cour des comptes a débile le chemin de fer pour la balance des intérêts réciproques entre cette administration considérée comme un particulier quelconque et l'Etat considéré comme banquier.

Quelques mots suffiront pour faire la chambre juge du différend.

Nous avons pensé, nous, agir très généreusement envers les adversaires du chemin de fer, et très rigoureusement envers cette entreprise, en la débitant, année par année, non seulement du taux nominal de chaque emprunt, des frais y afférents, des intérêts, mais encore des différences annuelles entre les charges et les produits, qu'on appelle communément déficits. La cour des comptes a pensé que ce n'est pas assez ; et elle a débité en outre le chemin de fer des intérêts de ces déficits successifs, ; qui de vous, messieurs, pourrait dire que jamais administration publique, société commerciale ou industrielle, ou un particulier quelconque ait procédé de la sorte ?

Que si l'on déduit du chiffre de 221,395,451 fr. 68 c. les quatre postes que nous venons de voir, on retrouve le chiffre de 206,647,340 fr. 75 c. que nous avons nous-même établi.

Mais n'y a-t-il pas lieu de réduire encore celui-ci ? Vous allez en juger, messieurs, par ce que nous avons dit à la page LXXXIV du compte rendu pour l'exercice de 1848 :

« Il serait injuste, avons-nous dit, de considérer cette somme de 206,647,340 fr. 75 c. comme constituant le coût réel du chemin de fer, tant du chef de son premier établissement que du chef de son exploitation.

« En effet, d'une part, il faut équitablement en déduire toute la différence entre le taux d'émission des emprunts à 5 p. c, et ceux des emprunts d'un intérêt inférieur. Or, la situation de l'emprunt à 4 p. c. du 26 juin 1836 ayant été, au 1er janvier 1849, de 21,942,022 fr. 66 c, on trouve que cette somme, réduite dans la proportion du taux de l'intérêt, revient à 17,553,618 fr. 15c. Et de même la situation de l'emprunt à 3p.c. du 25 mai 1838 ayant été, au 1er janvier 1849, de 37,665,840 fr. 9 c, on trouve que cette somme, réduite dans la proportion du taux de l'intérêt, revient à 22,579,504 fr. 6 c. Donc, pour établir le coût réel, il faut déduire, du premier chef, 4,388,404 fr. 53 c, et du second, 15,086,536 francs 3 c, ensemble, 19,474,740 fr. 56 c, ce qui réduit le solde de 206,647,340 fr. 75 à 187,172,600 fr. 19 c. »

Je ne puis donc, messieurs, que maintenir que le compte commercial du chemin de fer, tel que je l'ai établi, défie toute critique et qu'on ne peut pas établir le coût total du chemin de fer au-delà du chiffre que j'ai accusé.

Est-ce à dire qu'il n'y ait rien à améliorer, que les dépenses d'exploitation aient été réduites à leur dernière expression, que les tarifs ne soient susceptibles d'aucun changement ? Non certes. J'ai prouvé par ma conduite que je n'avais pas cette présomption.

Mais quel temps choisit-on pour attaquer l'exploitation dans son principe même ?

On choisit précisément le temps où le chemin de fer a produit un meilleur résultat que dans aucune des années antérieures. Il suffît de quelques mots pour le prouver.

On vous a dit, messieurs, que nous avons obtenu en 1849, 828,176 francs 35 centimes de recettes en plus qu'en 1848 ; mais il faut ajouter que, d'un autre côté, nous avons laissé sans emploi sur les crédits qui nous ont été alloués par la législature pour le même exercice, une somme de 839,448 fr. 67 c, ce qui réduit la dépense de 1849, malgré un trafic de beaucoup supérieur à celui de 1848, à fr. 488,717-28 au-dessous de celui de cet exercice. Il résulte de là que le produit net de 1849 surpassera même celui de l'année 1846 qui a été de beaucoup le plus considérable parmi tous les autres exercices,

(page 309) J’ai dit, messieurs, que je ne m'appesantirais pas sur les erreurs de détail dont cette discussion a fourmillé. Je passerai directement à la discussion du tarif du 1er septembre et, pour l'aborder, je crois ne pouvoir mieux faire que de reproduire textuellement les arguments de l'adversaire le plus redoutable que je rencontre dans cette discussion, de l'honorable M. Dechamps. Mais auparavant, je dois répéter ce qui a été dit dans la dernière séance par l'honorable ministre des finances. On s'est trompé, on s'est considérablement trompé, en prétendant que le tarif du 1er septembre avait été fait en vue de procurer une recette plus considérable au trésor ; il a été fait en vue de porter remède aux complications infinies et aux anomalies vraiment incroyables des tarifs antérieurs, complications et anomalies qui les rendaient inintelligibles pour tout le monde, pour l'administration du chemin de fer aussi bien que pour le commerce.

Ce but a été indiqué de la manière la plus claire et la plus nette dans un rapport dont l'honorable M. Dechamps a eu tort de me faire honneur, puisqu'il date du mois de mai 1848, c'est-à-dire d'une époque antérieure de plus de deux mois à mon entrée aux affaires.

L'honorable M. Dechamps a bien voulu reconnaître que le principe du tarif décrété par mon honorable prédécesseur est bon en lui-même. Il se plaint seulement de l'exagération qu'on a mise dans son application, et il fait remarquer que les catégories dont il se compose n'en forment plus, en réalité, qu'une seule, toutes les marchandises à peu près ayant été rangées dans la classe des produits favorisés.

L'honorable M. Dechamps a perdu de vue que le projet de ce tarif portait :

« Art.'14. Les marchandises de petite vitesse sont divisées en deux catégories :

« La première, dont le transport s'effectue aux prix du tarif n°2, comprend les produits de tout poids et de toute nature, circulant dans l'intérieur du pays ;

« La deuxième, régie par le tarif n°3, comprend les produits en exportation et en transit, ainsi que les produits indigènes ci-après dénommés transportés à l'intérieur du pays, savoir :

« La houille, les fers et les denrées alimentaires.

« Les produits en importation à classer dans cette catégorie seront ultérieurement désignés. »

Ainsi, dès le principe, on avait résolu de transporter au prix de faveur, non seulement les houilles et les fers, mais encore tous les produits en exportation ou en transit ; qu'on avait résolu d'y porter également les denrées alimentaires ; qu'enfin il en serait de même des produits à l'importation, qui seraient désignés ultérieurement.

Or, le gouvernement s'est-il sensiblement écarté de ces bases et de celles adoptées par les tarifs précédents ?

Nullement, messieurs ; qu'on consulte, d'une part, la nomenclature des produits portés auparavant à la première classe, et d'une autre part, l'article 14 du nouveau tarif réglementaire, et on trouvera que ce sont exactement les mêmes produits ; je me trompe, messieurs ; certains produits, qui étaient rangés autrefois dans la classe la plus favorisée, ont été relégués dans le tarif n°2.

Quels sont les caractères généraux du tarif n°3 ? Faveur donnée à l'exportation et au transit ; faveur au transport des matières pondéreuses, telles que la houille, le fer, le sable, les pierres ; faveur à l'agriculture. Je n'imagine pas que les adversaires auxquels je réponds se plaignent de cette dernière. Ce n'est pas de leurs bancs, sans doute, que s'élèvera une réclamation contre le transport à prix réduit des produits de la terre.

Le gouvernement, en l'accordant, a été inspiré par un sentiment d'équité ; il a prouvé ainsi, une fois de plus, qu'il a à cœur l'intérêt de l'agriculture autant que celui du commerce et de l'industrie.

La faveur accordée au transport des matières pondéreuses, tout le monde l'admet.

Reste donc la modération de tarif dont jouit le commerce d'exportation et de transit. Ici, messieurs, je rencontre l'honorable M. Dechamps, qui nous accuse, non pas d'avoir exagéré la réduction, mais d'avoir diminué la faveur dont l'exportation de certains produits jouissait auparavant.

Ces observations faites, examinons les pertes que le tarif du 1er septembre a fait subir au trésor.

L'honorable M. Rolin lui-même, dit l'honorable M. Dechamps (p. 281 des Annales parlementaires), a constaté, dans son compte rendu, que la mise en vigueur du tarif du 1er septembre pour les marchandises à grande vitesse avait amené une diminution de 58 p. c, dans les transports des articles de messagerie. Or, sous l'ancien tarif, les petites marchandises produisaient régulièrement un million. Elles n'ont rapporté que cinq cent mille francs en 1849 ; c'est donc, de ce chef, une perte d'un demi-million.

Vous comprenez, messieurs, que ce calcul est très simple. Eh bien ! la réponse ne le sera pas moins.

J'ai reçu un demi-million de moins sur les transports des petites marchandises, dites-vous. Cela provient-il de la diminution du tarif sur les transports à grande vitesse ? Loin de là ; ce tarif a été élevé. D'où vient donc la diminution de recette ? Elle vient de la diminution de mouvement des petites marchandises, et cette diminution de mouvement est due à ce que le nouveau tarif a eu pour effet de faire rejeter au tarif n°2 des objets qui auraient dû être transportés au tarif de la grande vitesse.

Mais ne voit-on pas dès l'abord la conclusion qu'il faut en tirer ? Cette conclusion, c'est que la perte dans tous les cas n'est pas d'un demi-million, qu'elle ne peut être que de la différence entre le tarif de la grande vitesse et le tarif n° 2. Je pense que, quelque habiles que soient mes honorables contradicteurs, ils ne trouveront pas à répondre à cette observation.

Oh ! je l'admets, lors même que la perte, au lieu d'être d'un demi-million, ne serait que de 250,000 francs, ce serait encore 250,000 francs de trop ; mais voyons quelle en est la cause et où est le remède.

La cause a été expliquée avec la plus entière franchise, dans le compte rendu que j'ai mis sous les yeux de la chambre. Elle vient d'abord de ce que la différence entre la vitesse ordinaire et ce que nous appelons la grande vitesse n'est pas assez grande pour engager les commerçants à payer le tarif élevé de cette dernière.

Cela vient ensuite de ce que sous l'empire des tarifs antérieurs on n'admettait point au tarif de la petite vitesse les marchandises d'un poids moindre que 500 kilogrammes. Ceux qui avaient à transporter une marchandise d'un poids moindre, étaient forcés de subir le tarif le plus élevé.

Nous avons diminué ce minimum, nous avons admis au tarif n°2 les marchandises au poids de 100 kilog. au lieu de 500. L'effet naturel de ce changement a été que tous les objets du poids de plus de 100 kilog. et de moins de 500 ont été transportés, depuis le 1er septembre 1848, au prix du tarif n°2.

L'honorable M. Vermeire ne s'est pas fait illusion à cet égard, et il a répondu d'avance à ceux qui voudraient qu'il fût porté remède à cet état de choses en fixant désormais le délai de trois jours, au lieu de 24 heures, pour l'expédition des marchandises au prix du tarif n 2, et en excluant de nouveau de ce tarif les marchandises d'un poids de moins de 500 kil.

Demander un délai de trois jours, au lieu de 24 heures, pour faire partir les marchandises, c'est aller en sens inverse de la promptitude exigée pour les transports par chemin de fer. Exclure du tarif n°2 les marchandises d'un poids moindre que 500 kil., c'est faire payer très cher à ceux qui n'ont que peu de marchandises à expédier. Est-ce là, demande-t-il, de la justice distributive ? Vous voyez par là, messieurs, une fois de plus, la confirmation de ce que je vous ai annoncé au début, c'est que tous les adversaires que nous avons à combattre se chargent de se combattre, et de se réfuter les uns les autres.

Et, en effet, messieurs, les deux considérations que l'honorable M. Vermeire fait valoir sont très graves ; ne vous y trompez pas ; en les méconnaissant, vous commettriez peut-être une injustice, et j'ajouterai que vous la commettriez, sans doute, gratuitement. Le commerçant de détail ne pouvant plus transporter au tarif n°2 les marchandises du poids de 400 kilog., et ayant à lutter contre le commerçant qui transporte des quantités plus fortes, ne se soumettrait pas à vos exigences, mais il s'adresserait aux entrepreneurs de messageries qui grouperaient les colis de 300 et 400 kilogrammes, et les transporteraient malgré vous, quoi que vous fassiez, au tarif n°2.

Le premier moyen dont j'ai parlé serait peut-être plus efficace. Mais,, permettez-moi de vous le dire, il serait absurde. Vous ne pouvez pas demander au commerce trois jours pour opérer par chemin de fer un transport que vous pouvez effectuer en quelques heures. Ce n'est pas pour cela que votre chemin de fer a été créé. Faites au contraire des conditions plus favorables à ceux qui voudront user de la grande vitesse ; augmentez la rapidité, diminuez le prix ; ayez ce courage, et vous améliorerez vos recettes.

J'arrive, messieurs, au tarif de la grosse marchandise, et vous allez voir comment nous sommes encore accusés ici d'avoir causé à l'Etat un déficit d'un million. D'après la note que le ministre des travaux publics a remise à la section centrale, dit M. Dechamps, je vois qu'en comparant les recettes de 1847 et celles de 1849, la perte est d'un million. Ecoutez le raisonnement, car si nous avons commis une faute aussi lourde, il est urgent de la réparer.

« En 1847, ajoute-t-il, on a transporté 1,004,857 tonnes, et en 1849, 1,034,842 tonnes.

« Le nombre de tonnes transportées a donc été sensiblement le même, pendant ces deux années.

« Or, la recette, qui était de 6,840,000 francs en 1847, n'a plus été que de 5,822,000 fr. en 1849 ; le déficit est donc d'un million. »

En apparence, le raisonnement est d'une justesse frappante. En effet, peut-on dire, si vous n'aviez pas touché au tarif, il est sensible que, avec une quantité égale de transports, vous auriez obtenu une quantité égale en recettes. Or, avec une quantité de transport supérieur, vous avez une recette moindre d'un million. Donc votre tarif est la cause d'une perte d'un million.

Une réponse fort juste a été faite à cette objection par M. le ministre des travaux publics, et M. le ministre des finances l'a reproduite sous une forme saisissante. Il ne s'agit pas de savoir combien on a transporté de tonneaux en 1847 et 1849 ; il faudrait savoir à quelle distance les transports ont été effectués, car le produit d'un tonneau transporté de Bruxelles à Vilvorde n'est pas le même que le produit d'un tonneau transporté de Bruxelles à Gand ou de Bruxelles à Verviers.

Il faudrait donc savoir le nombre des tonnes-lieues. Ici nos adversaires paraissent triompher ; car le nombre des tonnes-lieues transportées en 1847 ne saurait être indiqué. Mais vous avez deux éléments de comparaison précieux.

Les auteurs du tarif du 1er septembre ont, pour préparer les bases de leur travail, calculé le nombre de tonnes-lieues pour les années 1845 et 1846 ; c'est un travail considérable qu'ils n'ont pu faire pour 1847, attendu qu'à la date de leur rapport, le compte rendu de 1847 n'était pas déposé. Or, si l'on compare le produit moyen des tonnes-lieues en (page 310) 1845 et 1846 avec celui de 1849, on voit qu'il a été, à une faible différence près, le même pendant les deux époques.

C'est déjà une démonstration de l’erreur qui a été commise par l'honorable M. Dechamps ; mais je tâcherai d'en fournir une autre.

En 1845, la quantité transportée a été de 645,500 tonneaux et la recette de 4,060,186 francs ; en 1846, la quantité transportée a été de 755,890 tonneaux et la recette de 4,647,764 francs ; en 1847, la quantité transportée a été de 1,062,081 tonneaux et la recette de 5,752,921 francs.

Raisonnant comme l'a fait l'honorable M. Dechamps, je suis autorisé à établir la proportion que voici : 755,890 tonneaux, donnant une recette de 4,647,764 fr., combien doit donner de recette un transport de 1,062,681 tonneaux, et je trouve que la recette devrait être de plus de 6,700,000 fr., tandis qu’elle n’a été, en réalité, que de 5,752,921.

De sorte qu'en adoptant votre raisonnement, il faudrait dire que, placé sous le régime du même tarif que 1847, a donné une perte d'un million.

Je poursuis la lecture du discours de l'honorable M. Dechamps.

« Je suppose que le tarif n°3 qui concerne les produits favorisés, n'ait compris, comme celui du chemin de fer du Nord, que les produits pondéreux, tels que la houille, la fonte, les fers, les pierres, etc. J'ai calculé qu'en 1849 on n'aurait transporté que de 250 à 300 mille tonnes de ces produits pondéreux ; mais je trouve qu'on a transporté en réalité, en 1849, au tarif n°3, à cause de l'extension donnée aux faveurs de ce tarif, 750 mille tonnes au lieu de 250 mille qu'on aurait dû transporter si le principe primitif avait été maintenu ; ce qui fait 500 mille tonnes de différence.

« N'oubliez pas que la différence entre le tarif n°2 et le tarif n°3 est de 40 p. c. Or, en supposant ces 500,000 tonnes transportées à 10 lieues, ce qui est la moyenne de nos transports, et au tarif n°2, plus élevé de 40 p. c. que le tarif n°3, on arrive à cette conséquence que la perte essuyée a été d'un million de francs.

« D'un côté donc, perte de 500,000 fr. sur les petites marchandises, reconnue et constatée dans le compte rendu de 1848, et, d'un autre côté, perte d'un million sur les transports de petite vitesse ; voilà bien le déficit de 1,500,000 fr. que j'avais signalé. »

Remarquez d'abord, messieurs, que ces calculs reposent sur une simple hypothèse ou plutôt sur deux hypothèses.

La première est celle-ci : qu'il n'a été transporté en réalité en pierres, bouille, fer et fonte qu'une quantité de 250,000 tonneaux.

La seconde hypothèse, c'est que le tarif du 1er septembre n'aurait pas dû comprendre autre chose que la houille, la fonte, le fer, les pierres, etc. J'ai demandé à l'honorable M. Dechamps où il avait puisé ses renseignements.

Je me permettrai d'abord de révoquer en doute qu'il n'ait été transporté, en produits de cette nature que la quantité indiquée.

Mais où l'honorable M. Dechamps a-t-il d'ailleurs pris que, selon la première idée des auteurs du tarif, on n'eût dû comprendre dans le tarif de faveur que les produits de cette nature ? Vous l'avez entendu tout à l'heure, ce n'était pas seulement la houille, le fer, la fonte et les pierres, mais encore toutes les marchandises d'exportation ou de transit ; c'étaient de plus toutes les denrées alimentaires.

Or, l'honorable M. Dechamps ne s'est pas inquiété, paraît-il, de savoir quelle quantité de chacune de ces espèces avait été transportée soit en 1848 soit en 1849. Donc le raisonnement pèche par sa base.

La question est donc en définitive de savoir si l'on a eu tort de comprendre dans le tarif privilégié soit les denrées alimentaires, soit les houilles, les pierres, le fer, soit les marchandises livrées à l'exportation ou au transit.

Je comprends qu'on puisse défendre cette thèse ; on peut la défendre ; mais elle ne sera pas défendue, en ce qui concerne l'exportation et le transit, par l'honorable M. Dechamps, qui s'est plaint au contraire de ce que l'exportation ne jouit pas, sous l'empire du nouveau tarif, d'une faveur assez forte.

Serait-ce par hasard, je répète la demande, serait-ce des bancs de nos adversaires que s'élèverait contre le gouvernement l'accusation d'avoir fait jouir le transport des denrées alimentaires d'une faveur excessive, eux qui ne cessent de se plaindre, à tort, mille fois à tort, que le gouvernement perd de vue les intérêts de l'agriculture ?

Auraient-ils le cœur de dire que ce n'est pas au prix du tarif privilégié qu'il faut transporter ses produits ? Non, le gouvernement, là comme partout, a voulu se montrer équitable et donner une égale protection à des intérêts également précieux.

Quels sont donc les autres objets ayant une importance quelque peu considérable qu'on aurait eu tort de comprendre dans le tarif n°3 ?

Mais n'y a-t-il pas, d'ailleurs, une autre considération qui devrait déterminer vos esprits ? Vous voudriez qu'on donnât moins de faveur à l'exportation de nos produits vers l'Allemagne. Eh bien, je ne m'inquiète pas des intérêts du commerce, des intérêts de l'industrie ; je ne m'inquiète pas des intérêts de cette riche métrpole que vous prétendez être favorisée à chaque instant par les combinaisons du gouvernement. Mais du moins ne perdez pas de vue que le chemin de fer, comme exploitation commerciale et industrielle, doit lutter contre une concurrence redoutable.

Vous nous reprochez de transporter la balle de café d'Anvers jusqu'à la frontière allemande, au prix de 85 c ; mais ne comprenez-vous pas que si nous refusions de la transporter à ce prix, elle suivrait la voie d'eau ou un chemin de fer concurrent ? Que vous avez donc le choix de la transporter au prix réduit que vous avez établi, ou de ne pas la transporter du tout ?

Or, c'est là la plus déplorable des erreurs qu'on puisse commettre en commerce et en industrie. Ce qui importe, ce n'est pas de faire de gros bénéfices ; c'est de les multiplier. Faites-en beaucoup et de petits, en même temps que vous servirez ces grands intérêts, vous servirez celui de vos finances, et vous ferez ainsi doublement les affaires du pays.

Vous avez dit, je me le rappelle bien, que c'est pour capter la faveur populaire que le gouvernement a baissé ainsi outre mesure les tarifs. Mais je proteste contre cette accusation. Nous n'avons eu en vue qu'une seule chose : assurer la prospérité de cette exploitation. Soyez fidèles au même principe, avez le courage de l'adopter fermement, de ne pas vous laisser ébranler par ses conséquences du moment. C'est alors que vous appellerez à vous le commerce et l'industrie, qui aiment la stabilité dans les affaires. C'est en utilisant votre capital que vous diviserez vos frais généraux, que vous les ferez porter sur une somme de recettes plus considérable.

A mesure que vos transports augmenteront, vos dépenses d'exploitation diminueront. Cela est élémentaire en affaires. Le capital, si vous l'utilisez jour et nuit, vous donnera le double de l'intérêt de ce qu'il vous donne aujourd'hui.

Je ne m'arrêterai pas aux autres erreurs dont la discussion a fourmillé. Peut-être dans la suite du débat, aurai-je l'occasion de les combattre.

M. F. de Mérode. - Dans son message de 1848 le président des Etats-Unis, M. Polk disait (voir le Moniteur belge du 25 décembre) ; « Quoique notre dette comparée à celle des autres nations soit faible, il est de notre véritable politique et avec le génie de nos institutions que nous présentions au monde le rare spectacle d'une grande république, possédant de vastes ressources et d'un trésor parfaitement libre d'engagements publics.

« Ceci doit encore ajouter à notre force et nous donner une position encore plus influente parmi les nations de la terre.

« Les dépenses publiques doivent se baser sur l'économie et se borner aux objets nécessaires ; tout ce qui n'est pas nécessaire doit être ajourné et le payement de la dette le plus tôt possible doit être le principe fondamental de notre politique publique» ; et cependant le président dans le même message indique que l'Etat est possesseur, depuis les cessions du Mexique aux Etats-Unis, de millions d'acres de terre.

Chez nous l'Etat n'a presque rien et emprunte toujours, cède le fruit de ce qui lui appartient aux appétits particuliers, qui lui arrachent constamment des concessions au préjudice des intérêts généraux ; mais sous prétexte de mieux les servir.

Que répondait M. Van Hoorebeke, nouveau ministre des travaux publics, aux justes observations de M. de Liedekerke ? « L'Etat a la puissance de réunir des capitaux, le crédit de l'Etat est grand. » Oh ! sans doute, messieurs, dans certains moments l'Etat possède la faculté d'emprunter largement, nous en avons été témoins, et l'Etat belge se croyait encore cette puissance la veille ou le jour même de la révolution de février ; car le gouvernement de la politique nouvelle soumettait à la chambre un nouveau projet d'emprunt de 79 millions ; mais en ce moment même est venu le jour de crise imprévue pour les imprévoyants, et l'on a dû recourir aux emprunts forcés pour la défense momentanée du pays, défense qui serait devenue financièrement ultra-laborieuse, s'il eût fallu la prolonger six ou huit mois de plus.

Mais, dit encore M. Van Hoorebeke,« a la puissance de réunir des capitaux, » c'est-à-dire de faire emprunts sur emprunts, style plus simple et plus exact.« L'Etat a la puissance d'exécuter avec son corps d'ingénieurs si savants. » Je ne nie pas la science de ces ingénieurs ; cependant, la nation anglaise, sans un corps de tels savants entretenus aux frais de l'Etat, donne le branle à toutes les inventions, et les exécute hardiment. Ceux qui s'occupent de routes ordinaires savent, d'autre part, combien il en coûte pour les construire, dès que la plupart de ces savants y mettent la main ; car souvent, pour tirer une ligne droite insignifiante, quant au raccourcissement qu'on peut en tirer, et parfaitement insipide pour l'œil des voyageurs qu'elle ennuie, ils dépensent en remblais et déblais des sommes énormes, dérangent les limites des champs et les traversent à tort et à travers au détriment des contribuables qui payent les frais de ce luxe rectiligne et au regret des propriétaires qui le subissent en voyant, sans utilité réelle, diviser leur sol.

D'autres, comme ceux qui ont tracé le chemin de fer de Charleroy à Namur, ne prévoient pas que de temps en temps des inondations extraordinaires ravagent les vallées et se complaisent à charger dans un court trajet la Sambre de quatorze ponts, dont plusieurs s'écroulent lorsque les vieux ponts résistent à la fureur des eaux, construits qu'ils étaient, non par des savants de cabinet et d'école, mais par des hommes d'expérience pratique. Il y a cependant, je le reconnais, certains ingénieurs officiels qui savent établir des courbes bien entendues, éviter les ponts à la douzaine, en un mot, ménager l'argent des contribuables tout en créant des voies de très bon usage. A ceux-là je rends hommage volontiers ; mais ce ne sont pas les plus nombreux parmi ces savants que célèbre l'honorable M. Van Hoorebeke pour prouver que l'Etat est un excellent constructeur, un habile exploitant.

Quant à cette faculté d'emprunter dans les beaux jours, c'est grâce à elle que l'Etat fait d'énormes cadeaux aux principaux spéculateurs, non seulement par la coûteuse création des voies ferrées, mais en se chargeant d'y faire manœuvrer les véhicules qui les parcourent à peu près gratis, ou du moins avec une perte considérable. Celle-ci retombe ensuite, comme il est facile de le prévoir, sur le particulier qui ne spécule pas, qui se contente du modeste héritage reçu de ses pères pour être transmis à ses enfants. Si, de temps à autre, il circule sur un chemin de fer où l'on n'exige pas de lui la valeur réelle du prix de sa course, pour (page 311) quelques francs de plus qu'il payerait alors sans difficulté et dont en l'exemple mal à propos, il a la perspective de payer des droits de succession et d'en laisser à payer à ses héritiers, en vertu de combinaisons qui accumulent ensemble sur les familles les prélèvements fiscaux de tous les pays voisins ; et ce, malgré les grêles ou inondations qui atteignent, comme cette année, les campagnes.

Des ministres, hommes d'Etat, devraient se réjouir quand les députés leur donnent l'occasion facile de résister aux prétentions qui ruinent le trésor de l'Etat ; mais en Belgique tout le contraire a lieu. Les ministres s'épuisent en efforts pour favoriser le gaspillage de ces moyens de recettes si justes et si peu vexatoires qui se perçoivent pour service rendu ; ils préfèrent, au lieu de recevoir le payement que ce service mérite, fouiller dans la poche des personnes auxquelles ils ne fournissent que des commandements de payer.

Il y a bien loin de là au système préconisé par M. Polk. Il faut dire aussi qu'en Amérique on n'a pas la prétention de régir un peuple d'administrés, mais simplement d'assurer à une nation de citoyens leur droit d'action sans vouloir tout faire pour eux.

Le chemin de fer, exploité par des ministres changés en moyenne tous les deux ans, a déjà dévoré 40 millions. Cependant l'honorable M. Dechamps qui s'est trouvé l'un des hauts directeurs des travaux publics et qui a combattu les conclusions de M. de Liedekerke, veut qu'on persiste dans la voie fatale où les finances éprouvent de si rudes atteintes. Il faut donc qu'il accepte les nouveaux impôts proposés ou des réductions continuelles sur l'armée déjà trop affaiblie par les réductions précédentes. Je sais que l'honorable député de Charleroy donne certains beaux conseils à son successeur actuel, mais comment celui-ci retirerait-il hardiment les faveurs déjà concédées aux intérêts privés et qu'il vient d'accroître encore lui-même ?

Pour moi, messieurs, il est bien démontré maintenant que plus le gouvernement continuera à exploiter les chemins de fer, plus nous sommes menacés de taxes nouvelles par la munificence administrative envers des spéculations peu soucieuses de l'avenir financier du pays.

Fermant les yeux sur les dangers graves auxquels la société est exposée périodiquement de temps à autre, nos gouvernants depuis 1830, quelle que soit leur couleur, n'ont généralement qu'une vie au jour le jour, sous le point de vue financier, et loin que les derniers événements aient instruit les directeurs de la politique actuelle, ils semblent, au contraire, disposés encore à traiter les ressources de l'Etat plus inconsidérément.

En effet, chacun sait qu'en temps de crise ce n'est plus qu'à l'impôt direct qu'on peut avoir recours ; chacun sait qu'alors les recettes indirectes faiblissent et que celles du chemin de fer, comme le faisait observer M. de La Coste, faibliraient considérablement. Il faudrait donc, dans ces moments difficiles, se rejeter presque exclusivement sur l'impôt direct, sur les emprunts forcés ; et le gouvernement, au lieu de ménager cette branche de recette, vous propose de la charger d'avance, quand les jours de paix permettent de recourir à d'autres moyens.

Messieurs, je n'espère point préserver le pays des mauvais errements financiers au milieu desquels on se plaît à le maintenir par toute sorte de raisons que repousse l'intérêt public, mais que l'intérêt privé fait prévaloir. Je renouvelle seulement une protestation sans fruit jusqu'à ce jour, en acquit de mon devoir de représentant.

En effet M. le ministre des finances, dans la dernière séance, défendait encore avec colère les tarifs qu'il a connus. M. le ministre des travaux publics a cherché tous les moyens d'éluder les comparaisons qu'on a faites entre les tarifs en vigueur en Belgique et ceux des autres pays, notamment en France. Or si les tarifs français sont profitables à l'exploitation des chemins de fer en France, pourquoi ne seraient-ils pas profitables au chemin de fer belge ? Là est toute la question pour nos finances ; mais celle-là, jamais on ne l'aborde franchement ; jamais non plus on ne rappelle que nulle part sur le continent les populations ne sont aussi pressées qu'en Belgique, que nulle part la construction des voies ferrées et leur exploitation d'ensemble ne sont dans des conditions plus favorables qu'ici. D'où il résulte que nulle part sur le continent les chemins de fer ne sont aussi capables de produire de bonnes recettes comparativement aux dépenses ; mais comment, ainsi que le disait dans son excellent discours M. Dumortier, comment obtenir de bonnes recettes lorsqu'on met le tarif de transport du café au même taux que celui de la houille et celui du sucre au niveau de celui des briques, lorsqu'on traîne cent kilog. de café d'Anvers à Cologne pour 84.

Il est vrai que ce système oblige ou obligera la Hollande à supprimer tous ses péages sur le Rhin, et que de la sorte les Allemands du Midi verront leur fleuve affranchi jusqu'à la mer. Mais quelle que soit ma bonne volonté pour les autres nations, je ne pense pas qu'il soit juste de fatiguer les familles belges d'impôts nouveaux pour conquérir à l'Allemagne la liberté des bouches du Rhin. Ces deux idées, messieurs, ne doivent jamais être séparées, à savoir que tous les cadeaux faits au commerce sur les chemins de fer se transforment en prélèvements de nouvelles taxes sur les exploitants agricoles ou petits propriétaires qui possèdent les neuf dixièmes du sol belge, et sur d'autres particuliers non commerçants. C'est en vain que l'on vient vous dire que ceux-là participent également aux bénéfices que procurent les prix de transport en rabais sur les chemins de fer.

Je puis citer presque tous les habitants de mon district qui n'en retirent aucun avantage appréciable, et s'il est quelque chose d'inégalement distribué, c'est assurément ce genre de faveurs qui accorde dix à l'un, tandis que l'autre obtient à peine un ou deux ; et quant aux impôts avec lesquels les transports en perte, effectués par l'Etat, seront soldés, leur fardeau pèsera davantage encore probablement sur ceux qui auront le moins profité de l'absurde générosité du gouvernement. On vous l’a dit avant-hier, elle a été reconnue absurde par des hommes compétents sur la matière dans les pays voisins. Aussi, rien en France ne paraît plus dangereux pour les finances que l'exploitation de voies ferrées pour le compte de l'Etat. Et l'expérience de la Belgique doit suffire pour en dégoûter à jamais.

De tout cela faut-il conclure que les chemins de fer doivent être anéantis ? Non, certes, les dissipateurs des recettes que peuvent produire ces moyens de communication rapides attribuent quelquefois des intentions ridicules aux personnes qui combattent ce gaspillage de la fortune publique.

C'est ainsi que souvent l'on m'a signalé comme ennemi des chemins de fer, pour donner le change sur mes arguments et les repousser par des qualifications qui dispensent de toute logique. Je suis ennemi de quoi ? ennemi du charlatanisme qui prétend rendre un peuple heureux en le menant en voiture à bon marché, à ses propres dépens, et en le frappant pour cela d'impôts nouveaux ; du charlatanisme qui dans les moments de paix profite du crédit pour dévorer toujours d'avance le tiers ou le quart des ressources financières de l'année suivante, avec la dangereuse conception des emprunts remboursables à courts termes, dits bons du trésor et qui ne sont pas plutôt consolidés, qu'on en créé de nouveaux.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Vous tirez sur vos amis.

M. de Mérode. - Peu m'importe ! Je n'ai pas d'amis pour cela.

Oui, je le déclare, ce charlatanisme pernicieux est de nature à causer la ruine du pays dès qu'une situation critique se présentera et se prolongera, comme, heureusement pour nous, elle ne s'est point prolongée après la révolution française de février.

Je voterai, dès que l'occasion s'en présentera, pour que l'exploitation des chemins de fer de l'Etat belge soit mise entre les mains d'une compagnie, et subsidiairement pour qu'un tarif, ayant en vue les recettes les plus productives, soit fixé par le pouvoir législatif qui vote les impôts et ne peut en établir de nouveaux avant d'avoir tiré tout le parti possible des propriétés de l'Etat, et la véritable rémunération des services dont il fait les frais.

M. Malou. - Messieurs, un fait me paraît ressortir de ce débat : l'opinion de ceux qui veulent enlever à l'Etat l'exploitation du chemin de fer a gagné du terrain. Quelles en sont les causes et quels sont les remèdes ? Telle est, messieurs, la question que je me propose d'examiner en peu de mois.

Il y a quelques années, messieurs, une ou deux voix isolées s'élevaient dans cette enceinte, aucune voix, je pense, ne s'élevait dans le pays, en dehors de cette enceinte, pour que l’Etat cessât d'exploiter le chemin de fer créé aux frais de la nation ; aujourd'hui, au contraire, on peut constater avec vérité que cette idée a fait de très grands progrès.

Elle les a faits surtout parce que, en présence des résultats qui se sont produits, on s'est convaincu de plus en plus que l'administration du chemin de fer par l'Etat ne répondait pas à l'attente du pays.

Il faut être juste envers ceux qui ont créé et développé successivement le chemin de fer. Cette création, nous ne pouvons pas le méconnaître, a été pour nous, pendant la première période de notre existence, la cause d'une grande force politique ; il ne faut pas détruire légèrement, aujourd'hui, ce qui nous a été si utile.

Je voudrais conserver en faveur de l'Etat l'exploitation du chemin de fer ; pour qu'il en soit ainsi, je pose ce problème sur lequel j'appellerai votre attention : Comment l'Etat peut-il conserver l'exploitation du chemin de fer ?

Ce n'est pas un principe, c'est un fait. A certains égards les compagnies ont sur l'Etat une grande supériorité ; mais il faut reconnaître aussi que lorsque les chemins de fer sont créés comme ils le sont en Belgique, l'Etat peut, au point de vue, soit de la politique, soit du commerce ou de l'industrie, acquérir une supériorité sur les compagnies.

On signalait tout à l'heure entre les recettes de 1846 et les recettes de 1847, une différence de 600,000 fr. au préjudice de cette dernière année, alors cependant que le mouvement avait augmenté. Quelle en est la cause ? Pendant cette période on a transporté gratuitement les denrées alimentaires dans toutes les directions. Je n'ai pu vérifier le chiffre, mais si ma mémoire est fidèle, dans le rapport qui a été fait sur l'emploi du crédit voté pour les subsistances, on a prouvé que si le tarif avait été appliqué aux denrées alimentaires, il y aurait eu précisément un produit de 600,000 fr. en plus...

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - 300,000 francs.

M. Malou. - Je n'affirme pas un chiffre ; mais si celui que M. le ministre de l'intérieur indique est exact, je n'aurais expliqué que la moitié de la différence.

Quoiqu'il en soit, le fait que je signalais subsiste : le chemin de fer est pour le gouvernement un moyen politique de procurer au pays des avantages que des compagnies ne lui donneraient pas.

Les causes principales, messieurs, de l'infériorité de l'exploitation par l'Etat, sont, à mes veux, l'instabilité dans le personnel du gouvernement, et dans l'administration.

Ainsi, en moyenne, depuis 10 ans, les ministres des travaux publiés n'ont eu qu'une durée d'un an et deux dixièmes, un an et trois mois. Quant à l'administration, tout le monde le sait, il y a, depuis de longues années, des tendances contraires qui souvent se neutralisent et qui parfois aussi l'emportent alternativement l'une sur l'autre, et produisent ainsi les déplorables oscillations dans les tarifs, l'incertitude permanente dont nous sommes témoins.

(page 312) Le problème ne me paraît cependant pas insoluble : deux opinions extrêmes se produisent, les uns paraissent vouloir ne tenir aucun compte de l'utilité indirecte que le chemin de fer offre pour le pays ; ils ne veulent y voir autre chose qu'une source de recettes ; toute autre considération leur échappe. D'un autre côté, dans cette assemblée, quelques membres me paraissent trop exclusivement préoccupés de l'idée de donner au chemin de fer le plus grand développement de transports, sans presque tenir aucun compte de l'idée financière.

Si l'une ou l'autre de ces idées venait à l'emporter, vous auriez, dans la dernière hypothèses, un immense mouvement et des recettes d'autant plus faibles, que le mouvement serait plus grand, tandis que, dans la première supposition, on pourrait restreindre indéfiniment le mouvement et obtenir des recettes nettes plus fortes. Que résulte-t-il de là, messieurs ? Qu'il y a, si je puis m'expliquer ainsi, un point d'intersection entre ces deux lignes, qu'il y a un point où vous pouvez obtenir le plus grand mouvement relatif combiné avec la recette relativement la plus forte.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - C'est ce qu’on cherche.

M. Malou. - On le cherche, dit-on. Mais, messieurs, après quinze années d'expérience et lorsque vous pouvez consulter les faits qui concernent d'autres pays, si vous en êtes encore à ne savoir où trouver les éléments de solution de ce problème, vous fournissez aux adversaires de l'exploitation par l'Etat un argument tellement décisif que je n'aurais pas voulu le donner.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - On ne l'a pas trouvé ailleurs non plus.

M. Malou. - On peut sans nul doute déduire de l'expérience faite en Belgique un tarif qui donne la recette la plus forte combinée avec le mouvement le plus considérable que vous puissiez avoir en maintenant cette recette. (Interruption.) On parle du tarif de M. de Theux ; mais ce tarif n'a été appliqué qu'à quelques sections incomplètes et aux voyageurs seulement. Nous ne pouvons raisonner de l'exploitation du chemin de fer belge que depuis 1843 et 1844. (Nouvelle interruption.) Aussi quand je parle de 15 ans, je n'ai pas seulement en vue notre propre expérience, mais l'expérience faite partout, et celle-là a plus de 15 ans.

Au reste, messieurs, ces interruptions, que prouvent-elles ? Elles prouvent précisément de la part de ceux qui soutiennent le statu quo, une entière confiance en eux-mêmes. Tous ceux qui ont défendu le statu quo ont commencé par faire des réserves, par dire que sans doute il y a des améliorations à faire ; puis ils ont conclu que tout est pour le mieux, sous le meilleur des tarifs possibles.

A quels résultats le tarif actuel a-t-il abouti ? Nous n'avons malheureusement pas le nombre de tonnes-lieues pour 1847 ; mais en entrant en séance, nous avons trouvé une note que M. le ministre des travaux publics a bien voulu nous faire distribuer, voici, messieurs, deux points révélés par cette note, sur lesquels j'appelle votre attention.

L'année 1848 a donné un nombre de 9,944,000 tonnes-lieues ; pendant les deux tiers de cette année, l'exploitation a eu lieu sous l'application du tarif antérieur à celui du 1er septembre, et, pendant un tiers seulement, sous l'application de ce tarif. En 1849, au contraire, l'on a fait, pendant toute la durée de l'année, l'application du tarif du 1er septembre 1848, et l'on a eu un mouvement de 12,168,000 tonnes-lieues. Il y a donc une différence de 2,223,000 tonnes-lieues (je ne cite que les gros chiffres) : ce qui fait un cinquième du mouvement. Je trouve dans le rapport de la section centrale que les recettes en 1848 ont été de 5,436,000 fr., et en 1849. de 5,822,000 fr., c'est-à-dire que, quant à la recette, il y a une différence de 383,000 fr. : ce qui ne fait pas le douzième de la somme.

Ainsi, prenant une année où l'application du tarif du 1er septembre n'a eu lieu que pendant un tiers de l'année, et une année où ce tarif a été appliqué pendant les douze mois, je trouve que vous avez un accroissement de mouvement de plus du sixième et que l'accroissement de recette n'a pas été du douzième de la somme. Est-ce clair ? Et après ce fait, le tarif du 1er septembre peut-il être défendu comme étant irréprochable, au point de vue de la recette ? (Interruption.)

Je ne puis pas vous dire si on a dépensé plus en frais d'exploitation, parce que le rapport de 1849 n'a pas encore été déposé. Du reste, là n'est pas la question.

J'ai une deuxième observation à faire sur la note qui nous a été distribuée.

Pour expliquer la différence d'un million qui a été si justement signalée par mon honorable ami, M. Dechamps, on nous a produit une note constatant qu'il y a une perte de 802,000 francs dans les transports internationaux ; mais pour faire de l'arithmétique qui ne soit pas trop hardie, il faudrait compter aussi, non seulement ce qu'a produit le transport des marchandises à l'intérieur pour le nombre de tonneaux correspondant à cette somme, mais encore ce qu'a produit le transport des 2,225,000 en plus.

Vous dites que nous avons perdu 802,000 fr. sur les transports internationaux ; mais je trouve que, d'une année à l'autre, il y a accroissement d'un cinquième dans le mouvement, et vous n'en tenez aucun compte.

Lorsqu'on examine les faits dans leur ensemble, les vices du tarif du 1er septembre sont évidents, ils ressortent même des chiffres qu'on donne pour prouver le contraire.

Il faut tenir toujours compte de ce que l'industrie et le commerce ont droit d'attendre d'une entreprise dirigée au nom de la nation ; mais les opinions doivent, ce me semble, se refuser à admettre que cet instrument puissant, créé par la nation, devienne un moyen de concurrence mortelle pour un industriel contre un autre. Or, si vous n'établissez pas les tarifs, d'après les principes qui sont suivis partout ; si vous n'avez pas égard à la nature des marchandises, si vous ne considérez pas ce que chacune d'elles peut supporter de frais dans l'intérêt de l'industrie combiné avec celui du trésor, vous employez cet instrument si puissant pour détruire toute espèce de concurrence industrielle, pour établir une inégalité intolérable entre les conditions de production à l'intérieur du pays.

Quelle est, messieurs, la conclusion à tirer de ces observations ? En premier lieu, nous devons chercher à assurer de la stabilité à l'institution nationale du chemin de fer. Cette stabilité ne peut être donnée que par le vote d'une loi organique du chemin de fer. Le ministre qui se trouve aujourd'hui aux affaires, modifierait le tarif de manière que la recette fût beaucoup meilleure relativement à la dépense, que cela ne me suffirait pas, parce qu'on est exposé à voir des changements du jour au lendemain, par suite des vicissitudes des existences ministérielles ! L'on a vu bien des fois détruire une œuvre qui produisait de bons résultats.

Je voudrais donc que l'institution du chemin de fer fût mise à l'abri de ces vicissitudes ; je le voudrais, non seulement pour les tarifs, mais aussi pour l'organisation administrative ; car là aussi il y a eu de nombreux changements, et, pour le dire en passant, je crois que la dernière organisation n'a pas été heureuse.

Je le voudrais enfin pour la comptabilité du chemin de fer, et en demandant le vote d'une loi organique sous ce rapport, je ne fais que réclamer l'exécution de la loi de principe que les chambres ont adoptée en mai 1846. On a voulu réserver alors la question du système financier de ce service spécial ; l'on s'en est rapporté à une loi ultérieure ; cette loi a été présentée, mais elle a disparu de notre ordre du jour, par suite de la dissolution des chambres en 1848.

Je demande que l'article de la loi de comptabilité qui prescrit l'organisation du service financier du chemin de fer reçoive son exécution.

Pour que le railway national réponde à l'attente du pays, il faut que l'idée financière y pénètre ; qu'on ne néglige pas trop, selon certaines vicissitudes, la pensée qui a dirigé les chambres et le gouvernement, quand cette grande entreprise a été décrétée.

Cette idée était, que les dépenses de l'entreprise seraient couvertes par les recettes.

M. le ministre des finances faisait l'autre jour une comparaison entre les routes pavées et le chemin de fer ; cette comparaison, je m'en empare à certains égards ; si nous avions emprunté 200 millions pour des routes improductives, notre situation financière serait désespérée. Nous avons voté 200 millions pour le chemin de fer, parce qu'il a été entendu, lorsqu'on faisait un si large appel au crédit, que l'entreprise devait amener dans le budget des voies et moyens une certaine compensation.

Je veux bien qu'on tienne compte de l'utilité indirecte du chemin de fer. Si, par exemple, le gouvernement gérait le chemin de fer de manière à donner 4 p. c. d'intérêt net, je serais satisfait de ce résultat ; il y aurait une différence de deux millions à peu près à fournir par les contribuables ; mais, on pourrait la considérer comme compensée pour chaque Belge par l'utilité qu'il tirerait du chemin de fer. Ce serait à peine 50 centimes par tête demandés à l'impôt, il est vrai, mais cet impôt serait justifié.

Aujourd'hui, au contraire, par le système où l'on s'embourbe de plus en plus, cet impôt menace de devenir très lourd ; il en appelle d'autres, qu'on aura bien de la peine à faire accepter dans la chambre et par le pays.

- La suite de la discussion est remise à demain.

La séance est levée à 5 heures.