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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mardi 29 juillet 1851

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1850-1851)

(Présidence de M. Verhaegen.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 1757) M. Ansiau procède à l'appel nominal à 2 heures et quart.

M. de Perceval donne lecture du procès-verbal de la séance du 25 juillet ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Ansiau présente l'analyse des pétitions adressées à la chambre.

« Le conseil communal de Moll demande la construction d'un embranchement du chemin de fer de Fexhe à Tongres. »

« Même demande des conseils communaux de Sluse, Rixingue, Horion-Hozemont, Vechmal, Genoels Elderen, Millen et du conseil communal d'Oreye qui prient la chambre de décider que ce chemin de fer sera construit le plus près possible d'Oreye, avec établissement d'une halte à proximité de la traverse de la grande chaussée de Liège vers Saint-Trond. »

- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi concernant un ensemble de travaux publics.


« Le conseil communal de Menin prie la chambre d'adopter le projet de travaux soumis par l'ingénieur en chef de Sermoise pour compléter les moyens d'écoulement de la Lys.

« Même demande des membres du conseil communal et de plusieurs habitants de Steene, Snaeskerke, Leffinge, Zandvoorde, Zevecote, Saint-Pierre Capelle, de plusieurs négociants et propriétaires de la ville et de l'arrondissement de Roulers, des habitants de Lapscheure, Pervyse, des négociants et propriétaires à Leffinge et d'Eerneghem, des habitants d'Ostende, et des membres du conseil communal de Nieuport et de Furnes. »

- Même renvoi.


« La chambre de commerce et des fabriques de Louvain prie la chambre d'accorder la concession du chemin de fer de Louvain à Wavre, avec la garantie d'un minimum d'intérêt sur 2 millions et demi, si la compagnie du Luxembourg ne prend pas l'engagement de l'exécuter. »

M. Van Iseghem. - Parmi les nombreuses pétitions dont vous venez d'entendre l'analyse, il y en a une signée par 800 habitants d'Ostende, principalement des artisans et ouvriers, je cite ce chiffre pour vous démontrer toute l'importance qu'on attache dans la Flandre occidentale à l'exécution du projet de M. de Sermoise. Je propose le renvoi de toutes ces pétitions de la section centrale chargée de l'exécution du système des travaux publics, et j'appelle l'attention la plus sérieuse sur les motifs indiqués par les pétitionnaires à l'appui du système qu'ils défendent.

- La pétition est renvoyée à la section centrale, chargée de l'examen du projet de loi de travaux publics.


« Plusieurs habitants de Saint-Amand-lez-Fleurus demandent l'exécution du chemin de fer de Louvain à Charleroy par Gembloux et Fleurus. »

« Même demande de plusieurs habitants de Boignée et de Wanfercée-Baulet. »

- Renvoi à la section centrale du projet de loi de travaux publics.


« La députation permanente du conseil provincial de Namur demande la construction du chemin de fer de Louvain à la Sambre, son prolongement de Wavre à Namur, par Gembloux sur Jemeppe. »

- Même renvoi.


« Le conseil communal d'Ath demande que le projet de loi concernant un ensemble de travaux publics autorise la continuation du chemin de fer du haut et du bas Flénu jusqu'à Ath, avec la garantie d'un minimum d'intérêt de 4 p. c. et comprenne les travaux d'amélioration ou de canalisation de la Dendre, aux frais du trésor public. »

M. Delescluse. - Je ne pense pas qu'il soit dans l'intention des auteurs de l'adresse qui vient d'être analysée, de s'opposer le moins du monde à la construction du chemin de fer de Dendre-Waes ; mais il est véritablement regrettable que l'amélioration de la Dendre n'ait point été comprise dans l'ensemble des travaux que le gouvernement nous a présentes. Chaque année, lors de la discussion du budget des travaux publics, le gouvernement reconnaît qu'il y a quelque chose à faire pour la Dendre, mais jusqu'ici on n'a rien fait, parce que, dit-on, les fonds ont manqué. On a reconnu que les améliorations proposées étaient faciles à exécuter, peu coûteuses et surtout très utiles sous le double rapport de la navigation qui deviendrait moins dangereuse et des inondations rendues moins fréquentes.

Les conseils provinciaux du Hainaut et du Brabant ont déjà appelé l'attention du gouvernement et de la chambre sur cet important objet.

Pour ma part, je prierai la section centrale, à qui la pétition sera renvoyée, de la prendre en sérieuse considération, et si, pour le moment, il n'y avait malheureusement pas moyen d'exécuter immédiatement ces importants travaux, j'espère que le gouvernement voudra bien faire en sorte de consacrer, pendant quelques années, au budget des travaux publics, une somme convenable pour améliorer successivement le cours de la Dendre.

M. Jouret. - J'appuie les observations de mon honorable collègue du district d'Ath.

- La pétition est renvoyée à la section centrale chargée de l'examen du projet de loi de travaux publics.


« Le conseil communal de Charleroy demande que la compagnie soit tenue d'exécuter le chemin de fer de Charleroy à Louvain. »

- Renvoi à la seclion centrale du projet de travaux publics.


« Plusieurs industriels, négociants et commerçants, cultivateurs et propriétaires à Wavre, demandent que le chemin de fer de Bruxelles à Namur, dont la concession a été accordée par la loi du 18 juin 1846, passe par Wavre pour s'y raccorder au chemin de fer de Louvain à la Sambre ou à la ligne de Louvain à Manage. »

- Même renvoi.


« La députation permanente du conseil provincial de Namur demande que dans les travaux à exécuter pour améliorer l'écoulement des eaux de la Sambre, on comprenne ceux qui sont réclamés aux abords de Namur à l'effet de préserver cette ville et la vallée de la Sambre des inondations. »

M. Moxhon. - Je demanderai le renvoi de cette pétition à la section centrale et le dépôt sur le bureau pendant la discussion.

M. Delfosse. - Toutes les pièces qui ne seront pas imprimées seront déposées sur le bureau.

M. le président. - Ainsi l'on est d'accord.


« Le conseil communal de Marche demande que le chemin de fer du Luxembourg touche à cette ville. »

M. Jacques. - La chambre a reçu depuis quelque temps de nombreuses pétitions qui tendent à faire comprendre divers travaux publics dans le projet de loi dont nous sommes saisis : ces pétitions, si elles sont admises, feront ajouter aux 120 millions de travaux projetés, un nombre considérable de nouveaux millions.

Je me trouve dans une position plus favorable pour recommander à la bienveillance de la chambre la pétition du conseil communal de Marche. Cette pétition, en effet, ne réclame qne de simples modifications, et ces modifications, loin d'augmenter le chiffre de la dépense, permettront de faire une économie de plus de deux millions sur des travaux à exécuter dans le Luxembourg.

Je n'abuserai pas des moments de la chambre pour entrer maintenant dans de plus grands développements. Je me propose de remettre à la section centrale une note à l'appui de la pétition. Je me borne donc à demander que la chambre veuille bien renvoyer la pétition du conseil communal de Marche à l'examen de la section centrale qui est chargée du projet de loi sur les travaux publics.

- La pétition est renvoyée à la section centrale chargée de l'examen du projet de loi de travaux publics.


« Le sieur Degroot demande que le projet de loi sur les distilleries interdise aux villes de prélever sur le genièvre un droit qui dépasse le tiers de l'accise. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi.


« Plusieurs distillateurs dans l'arrondissement d'Audenarde prient la chambre de rejeter le projet de loi sur les distilleries. »

« Même demande des cabaretiers et débitants de boissons distillées à Gand, et de plusieurs cultivateurs et jardiniers potagers de cette ville et des environs. »

- Même renvoi.


« Quelques distillateurs agricoles demandent une réduction de 25 p. c. sur les droits proposés dans le projet de loi sur les distilleries. »

« Même demande des distillateurs à Goyck et à Lennick-Saint-Quentin. »

- Même renvoi.


« Quelques habitants de Grand-Bigard prient la chambre d'adopter la proposition de loi relative à l'abolition de quelques taxes communales. »

- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner la proposition de loi.


« Le bourgmestre de Malderen présente des observations contre la réclamation relative à la nomination du secrétaire de cette commune. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le conseil communal de Duffel demande que l'embranchement du chemin de fer de l'Etat sur Lierre, dont le gouvernement propose la construction, soit établi à Duffel. »

- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi concernant un ensemble de travaux publics.


« Les distillateurs de Hasselt présentent des observations sur le projet de loi relatif aux distilleries, demandent que la majoration de droits soit seulement de 25 c. par hectolitre ; que le travail soit facultatif les dimanches et les jours fériés ; que les déclarations puissent être faites pour une période de cinq jours au moins ; que les amendes soient considérablement réduites ; qu'il soit interdit aux villes d'imposer les matières premières et les objets exportés, de protéger leur commerce et leur industrie, au moyen de droits différientiels, et de percevoir au-delà du tiers du droit d'accise sur les eaux-de-vie indigènes.

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi sur les distilleries.


« Plusieurs distillateurs agricoles présentent des observations sur le projet de loi relatif aux distilleries. »

- Même renvoi ?


(page 1758) « M. Rodenbach fait hommage la chambre, au nom d’auteur, de l'ouvrage ci-après : « Traite complet de la fabrication des bières et de la distillation des graines, pommes de terre, vins, betteraves, melasses, etc. », par S. Lacambre, ingénieur civil. »

- Dépôt à la bibliothèque.


M. de Mérode-Weslertoo demande un congé de quelques jours pour affaires urgentes. »

- Le congé est accordé.


M. Orban, représentant élu par le collège électoral de l'arrondissement de Neufehàteau, dont les pouvoirs ont été vérifiés à la dernière séance, prête serment.

Projet de loi augmentant l’accise sur les distilleries

Discussion générale

M. T’Kint de Naeyer. - La dernière phase du débat sur l'impôt des successions a posé et tranché la question toute entière de notre situation politique et financière. C'est sur cette question si grande et si complexe, devant laquelle les détails s'effaçaient, que la majorité s'est reformée, en se ralliant à l'ensemble de la politique du cabinet.

Ainsi, quant au but, rétablissement d'une situation financière solidement équilibrée, exécution de quelques travaux publics ajournés depuis longtemps. Quant aux moyens, réforme de certains impôts et développement de quelques autres, tels ont été les deux termes du programme que le Cabinet a apporté à la chambre. Il eût été peu conforme aux idées qui ont dicté ce programme, de faire peser sur les classes laborieuses des aggravations d'impôt.

L'augmentation d'un million sur l'accise de la bière eût présenté cette contradiction.

On peut féliciter M. le ministre des finances d'avoir retiré son premier projet de loi. Là où les consommations portent sur le superflu, comme le tabac, ou sur des objets dont l'abus est nuisible comme les boissons fortes, on peut comprendre, on doit admettre que le fisc a quelque chose à réclamer.

Mais il importe de procéder avec prudence, avec modération, si l'on ne veut pas marcher contre le but.

En matière d'impôt, il n'est pas exact de dire que deux et deux font quatre.

Savez-vous, messieurs, où l'on arrive au-delà de certaines limites ? On bouleverse tous les intérêts engagés dans la question et au lieu d'obtenir plus on obtient moins.

La Belgique a fait l'expérience de différents systèmes d'impôt sur les distilleries. Croyez-vous que les recettes aient été en raison directe de l'augmentation de l'accise. Examinons les faits. Je ne parlerai pas de la législation de 1822 qui a ruiné les distilleries des provinces méridionales, ni du droit évidemment trop bas de 1833 ; mais dès 1838, avec l'accise de 40 centimes, le trésor a perçu 3 millions, en 1839, 3,300,000 fr. ; on a voulu un revenu plus considérable ; à la fin de 1841 le droit fut porté à 60 c. et bientôt après à un franc.

Voici en quels termes s'exprimait l'auteur de la loi de 1842, dans l'exposé des motifs :

« L'accise qui est encore en vigueur, disait-il, porte annuellement en terme moyen sur une contenance imposable de 5,600,000 hectolitres. D'après cette base, elle fournirait au trésor une ressource de 6,160,000 francs au lieu de 3,784,000 francs portés au budget des voies et moyens de cette année. Mais comme il est à présumer que la fabrication se ressentira dans une proportion quelconque de la diminution que l'augmentation de l'impôt opérera dans la consommation, ce n'est point précisément sur une ressource de 6,160,000 francs que nous pouvons compter, mais sur celle de 5 à 5 millions et demi. »

Vous savez, messieurs, à quoi ces prévisions se sont réduites ; nous avons eu en moyenne avec le droit d'un franc, une recettede 3,700,000 fr., c'est à-dire 84,000 fr, de moins que l'évaluation du budget de 1842, quand le droit était encore à 60 centimes. Maintenant si l'on met en regard les chiffres de 1839 et ceux d'aujourd'hui on trouve qu'une augmentation de recette de 15 p. c. a été obtenue au moyen d'une majoration de l'accise de 120 p. c.

Encore faudrait-il tenir compte de l'augmentation de la population qui a dû influer sur la fabrication. Depuis dix ans on a constamment demandé aux distilleries un revenu plus élevé. Cependant il est bon qu'on le sache, cette industrie donne au trésor, en y comprenant le droit de débit, une ressource annuelle de 4,700,000 fr. M. le ministre des finances espère en obtenir 6,200,000 fr.

Pour y parvenir, il propose deux choses : d'abord un droit supplémentaire qui résulte de l'obligation de ne renouveler qu'une seule fois en 24 heures ; on m'a assuré que dans l'état actuel des choses, on parvient à faire trois renouvellements en deux jours. Il n'hésite pas ensuite à augmenter le droit principal de 50 p. c.

Eh bien, messieurs, une augmentation aussi forte, je crains bien qu'elle ne soit téméraire.

L'honorable rapporteur de la section centrale a fait un tableau très émouvant des funestes effets de l'ivrognerie. L'honorable membre a une foi tellement grande dans l'efficacité de l'augmentation de l'impôt pour réprimer cet abus qu'il entrevoit déjà la ruine complète des distilleries et probablement l'abolition des boissons fortes.

« Nous n'ignorons pas, dit-il, que la fabrication du genièvre est un bien pour l'agriculture, dont elle consomme les produits ; qu'elle sert à l’engraissement du bétail, qu'elle fournit aussi des matières fertilisantes, nous le savons ; mais que l'on mette en regard de ces avantages les maux dont elle afflige notre population ouvrière, au point de vue matériel et moral, et il ne sera pas difficile de se décider. »

Il y a la une contradiction évidente. Car si l'impôt doit amener le résultat que l'on semble espérer, il serait improductif.

L'honorable ministre des finances, dans son exposé des motifs, a laissé dans l'ombre le côté moral de l'impôt. L'honorable ministre des finances a des vues trop pratiques, pour qu'il espère moraliser le pays par des aggravations d'impôts. Il veut des recettes, c'est le but de la loi.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - J'ai supposé une réduction dans la consommation.

M. T’Kint de Naeyer.- On peut discuter sur le chiffre de la réduction. La fabrication légale sera moindre, cela est probable, mais la fraude viendra combler la différence.

Messieurs, je vous l'avoue, moi-même pendant longtemps j'ai eu des illusions à cet égard. Je pensais aussi qu'en faisant renchérir le prix des boissons fortes, on en diminuerait l'abus. Mais l'étude des faits m'a démontré qu'il n'en est rien. Voyez les statistiques de la criminalité ; y a-t-il eu moins de crimes pendant les années où l'impôt a été augmenté !

En Angleterre, le droit est de 7 sch. 10 pence par gallon, c'est-à-dire environ 216 fr. par hectolitre. En Ecosse, il est de 3 sch. 8 p. ou 100 fr. par hectolitre. En Irlande, de 2 sch. 8 p. ou 75 fr. par hectolitre.

Evidemment, c'est là de l'exagération. Et cependant la production légale s'élève à 22,000,000 de gallons, plus de 100,000,000 de litres pour une population de 27 millions d'habilants. Encore n'est-ce pas le chiffre réel de la consommation ; une partie du marché appartient aux distilleries illicites. Les crimes du contrebandier sont venus se joindre à la paresse et à la dissipation de l'ivrogne ; tout cela, malgré une loi de 151 articles entrant dans les détails les plus minutieux, malgré des amendes qui s'élèvent à plusieurs milliers de livres sterling, malgré la transportation qui a été appliquée dans plusieurs cas.

Soyez-en bien convaincus, messieurs, les rigueurs du fisc ne parviennent pas à diminuer l'appétit immodéré des boissons fortes. Les rigueurs du fisc n'enseignent qu'une chose, la fraude ; une immoralité de plus.

Adressez-vous au bon sens de l'ouvrier ; instruisez-le, assainissez ses habitations, apprenez-lui à faire un emploi plus utile de l'argent qu'il perd en libations immodérées et vous obtiendrez des résultats sérieux.

Mac Culloch, Buchanan, tous les écrivains anglais qui se sont occupés de la question, reconnaissent que le parlement a fait de vains efforts pour restreindre l'usage des boissons fortes.

Je n'abuserai pas des moments de la chambre en multipliant les citations. Il y en a cependant qui sont trop curieuses pour que je les passe sous sous silence. Ainsi en Ecosse, où le droit est de 3 s. 8 d. la consommation est de 9 litres par tête ; en Irlande où le droit est de 2 s. 8 d. la consommation est de 2 3/4 litres par tête. Et en 1839, avec un droit plus élevé la consommation s'élevait au double. (Interruption.) Vous pouvez sans doute attribuer cela à la misère, mais en 1839 la misère était plus grande qu'aujourd'hui. Ce n'est pas le fisc qui a moralisé les populations, j'en attribuerai plutôt l'honneur aux sociétés de tempérance.

Quant à moi, je suis convaincu, messieurs, que la consommation restera la même mais qu'elle sera alimentée en partie par la fraude, par la distillation clandestine et par les réimportations illégales.

Le gouvernement et la section centrale paraissent entièrement rassurés sur ce point.

La fraude offrira cependant un bénéfice de 40 francs par hectolitre, à 85 degrés. Tout le monde sait qu'à la frontière de France le genièvre se vend aujourd'hui 35 francs par hectolitre tandis qu'il coûte 54 francs en Belgique. On offre de livrer le 3/6 à un prix inférieur à celui du prix de revient des esprits indigènes.

La fraude sera impossible du côté de la Prusse, dit la section centrale ; nous avons un trailé pour la répression de la fraude. Je doute, messieurs, que cette convention ait jamais été rigoureusement exécutée. Dans tous les cas, sera-t-elle renouvelée ? (Interruption). Le traité avec le Zollverein n'est pas encore renouvelé.

Sur la frontière de Hollande il n'y a pas d'intérêt à frauder. Mais, messieurs, demandez aux habitants du Luxembourg, aux habitants des bords de l'Escaut, demandez-leur si la fraude ne s'exerce pas.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Il y a plus d'intérêt à réimporter en Hollande.

M. T’Kint de Naeyer. - Vous n'empêcherez pas l'infiltration. Il y a une loi répressive de la fraude de 1843 ; aurez-vous assez d'employés pour la faire respecter ? Plus l'appât sera grand, plus les fraudeurs deviendront ingénieux.

M. le ministre des finances le disait avec infiniment de raison, dans la séance du 23 juin dernier, lorsqu'il combattait le monopole des tabacs :

« Le pays est trop petit ; sur 9 provinces nous en avons 8 qui sont des provinces frontières. La fraude s'établirait sur une très vaste échelle et s'emparerait de la presque totalité de l'impôt ; elle ne laisserait plus qu'une ou deux provinces soumises au monopole.

« Il y aurait injustice, préjudice pour le trésor, une iniquité dans la répartition de l'impôt et une grande démoralisation. »

Je partage entièrement l'avis de M. le ministre des finances, c'était aussi celui de tous les hommes spéciaux qui siégeaient à la chambre en 1842. Quatre anciens ministres des finances, MM. Coghen, d'Huart Duvivier et Mercier repoussaient alors le droit d'un franc, parce que (page 1759) dans leur opiniun, il fallait conserver à la loi tout ce que, dans sa libéralité, elle avait d'avantageux à l'agriculture, à l'industrie et au commerce. Je veux bien admettre que les craintes de ces honorables membres aient été exagérées, mais remarquez bien qu'il ne s'agit plus du droit d'un franc, mais du droit de 1 fr. 50. Car la section centrale n'admet pas de transaction. C'est un changement de système ? Nous abandonnons évidemment les principes qui ont prévalu sur la matière depuis 1833.

La législation cessera d'être libérale ; mais si ce sont les droits les plus élevés qui donnent les plus hauts produits, pourquoi ne reviendrait-on pas à la législation de 1822 ?

Qu'on y prenne garde ; plus les droits sont élevés, plus les distilleries auront intérêt à s'établir sur une grande échelle. Il est probable qui le nombre des distilleries diminuera dans une proportion plus forte encore quen 1842.

Au 31 décembre 1842, il y avait dans les deux Flandres, 374 distilleries ; aujourd'hui, il n'y en a plus que 227. Dans tout le royaume, le nombre total des distilleries est tombé de 1110 à 558. C'est une diminution de 50 p. c. (Interruption de M. le ministre des finances.)

Ce sont les chiffres de la statistique ; je les croyais exacts. Dans tous les cas, vous devez admettre que si le nombre des usines a diminué lorsque le droit a été porté à 1 fr. l'influence du droit d'un franc et demi se fera sentir beaucoup plus vivement. (Interruption.)

Je vais vous répondre en vous citant d'autres faits.

En Angleterre, où l'on a porté le droit jusqu'à l'exagération, comme je l'ai dit tout à l'heure, les petites distilleries ont disparu. Une douzaine d'établissements suffisent aux besoins de toute la consommation ; je ne parle pas de l'Ecosse et de l'Irlande.

En 1845, les droits acquittés s'élevaient à 3,554,915 liv. pour l'Angleterre seulement.

Maintenant je n'ai pas besoin de dire qu'en Belgique nous ne devons pas rechercher un semblable résultat.

Il serait inutile d'insister sur l'avantage qu'il y a à disséminer les distilleries partout où la nature sablonneuse ou froide des terrains réclame uu auxiliaire aussi puissant. Sans les distilleries, une partie des Flandres serait encore inculte aujourd'hui. Les défrichements, l'engraissement, l'exportation du bétail, ne seront-ils pas en raison du développement de la distillation ?

N’est-ce pas l'intérêt agricole qui domine toute la question ? Qu'on ne vienne pas nous parler de la morale publique ; disons les choses telles qu'elles sont ; il s'agit ici d'une loi d'impôt, il ne s'agit évidemment pas d'une répression de l'ivrognerie.

Maintenant passant à un autre ordre d'idées, on doit reconnaître qu'il n'y a pas d'industries qui aient plus à souffrir de l'instabilité de la législation ; on l'a fait successivement passer du droit de 20 centimes à celui de 40 centimes ; du droit de 40 centimes à celui de 60 centimes ; du droit de 60 centimes à celui d'un franc ; et aujourd'hui on lui impose tout d'un coup le droit d'un franc 50 centimes.

Il en résulte que les distillateurs ont été constamment obligés de chercher de nouveaux moyens de crédit pour faire face aux exigences du fisc ; et comme il s'agit du payement de droits très considérables, on détruit naturellement l'équilibre existant dans les moyens de production des diverses usines.

Ainsi, le distillateur qui paye aujourd'hui 10,000 francs (j'en connais qui payent davantage) devra dorénavant faire l'avance de 15,000 francs et ainsi de suite.

Les capitaux engagés seront insuffisants.

Ce n'est pas tout ; le drawback a été diminué, il y a quelques mois à peine, à un tel point que nos exportations sont paralysées...

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - On a exporté plus qu'en 1847 et en 1818.

M. T'Kint de Naeyer. - Avec l'ancienne décharge...

M. Coomans. - On a exporté plus de 500,000 litres avec l'ancienne -décharge.

M. T'Kint de Naeyer. - Vous ne vous êtes pas contenté de diminuer le drawback l'année dernière, vous y portez une nouvelle atteinte dans le projet de loi, car si le drawback était proportionné au droit, il ne serait pas 30 francs 30 centimes, mais 35 francs. En 1842 au contraire on augmentait le drawback ; on voulait favoriser les exportations.

Ainsi, messieurs, sacrifice des petites distilleries aux grandes, une perturbation profonde dans une industrie qui a déjà été fortement éprouvée depuis quelque temps, une concurrence très déplorable de la fraude sur le marché intérieur, une atteinte sensible aux intérêts agricoles, voilà où conduirait une aggravation exagérée de l'impôt.

A ce point de vue, je ne puis pas me rallier au chiffre proposé par le gouvernement et que la section centrale a cru devoir admettre.

M. de Steenhault. - Je n'ai pas demandé la parole, messieurs, pour m'opposer en principe au projet de loi ; j'ai été trop souvent à même d'apprécier les déplorables effets de l'abus des boissons fortes pour ne pas me rallier à toute mesure qui tendrait à en diminuer la consommation, et dans le cas présent, bien que n'ayant pas une foi robuste dans l'efficacité de la loi pour atténuer le mal, je m'y rallierais encore comme mesure financière, des le moment que notre industrie est sauvegardée et que nous ne courons pas le risque de l'anéantir au profit des étrangers.

Je n'entreprendrai pas, messieurs, de discuter cotte question sous ce rapport, et je me bornerai, pour mon compte, à vous présenter quelques observations concernant les distilleries de la campagne, en faveur desquelles je voudrais qu'on apportât quelque modification à la loi de 1842, modification qui ne doit pas consister, je me hâte de le dire, dans un dégrèvement dépassant les 15 centimes accordés aujourd'hui.

M. le ministre des finances nous dit, dans l'exposé des motifs, que l'intérêt de l'agriculture est sauvegardé dans le projet de loi, et que de ce côté il ne pourra y avoir aucune plainte fondée. Qu'il me soit permis de lui dire qu'il se fait là une étrange illusion, et que si la situation des distilleries agricoles, et surtout des petites, n'était déjà dans la situation la plus défavorable avec le système que nous régit aujourd'hui, le projet de loi, loin de les en tirer, achèverait au contraire de les y mettre.

Cependant, messieurs, les distilleries agricoles ont toujours, à toutes les époques, été l'objet de la préoccupation du législateur. Pour ne reculer que jusqu'en 1842, les partisans du projet de loi comme les opposants, tout le monde reconnaissait la nécessité, l'utilité d'uns protection. Mais, malgré l'insistance de plusieurs honorables membres, toute protection dépassant les 15 p. c. de déduction fut rejeté.

D'un grand nombre de distilleries qui existaient en 1842, deux tiers environ subsistent encore aujourd'hui.

C'est la meilleure réponse à faire à ceux qui s'effrayaient d'une protection plus large.

J'espère, messieurs, vous prouver tout à l'heure qu'aux conditions actuelles les petites distilleries ne peuvent exister, et que cette protection est loin d'être une compensation à leur infériorité relative, infériorité que le projet de loi actuel tend à rendre encore plus saillante et plus funeste.

Mais je tiens avant tout à vous dire quelques mots d'une seconde cause de malaise, que je remercie la section centrale de vous avoir signalée et qui elle aussi a sa grande part de fâcheuse influence.

Vous savez tous, messieurs, comment, à l'aide des octrois, les villes sont non seulement parvenues à fermer le marché de l'intérieur aux distillaleurs du dehors, mais ont encore réussi, à l'aide deprimes et par la plus criante des anomalies, à aller leur faire une concurrence inégale jusqu'aux portes de leurs établissements.

Vous conviendrez avec moi qu'il y a là une injustice flagrante, que c'est au moins trop de moitié.

Je ne vous fatiguerai pas en vous reproduisant les calculs que vous aurez en partie trouvés dans une pétition qui vous a été adressée par les distillateurs campagnards du pays ; je me bornerai à vous dire, en résumé, quel est le résultat de ce système.

Ces chiffres sont des faits et non pas des appréciations, ils ne peuvent donc être contestés.

A Bruxelles, les distillateurs de la ville jouissent, sur les distillateurs étrangers, qui voudraient vendre à l'intérieur de la ville, d'un avantage de 6 centimes.

Ils jouissent pour la vente à l'extérieur d'une prime de 3 centimes ; à Gand à l'intérieur 10 centimes, à l'extérieur 1 cent. ; à Anvers à l'intérieur 4 centimes 29/100, à l'extérieur 1 centime ; à Liège à l'intérieur 3 centimes, à l'extérieur 2 1/2 centimes ; à Tournay à l'intérieur 9 1/2 centimes, à l'extérieur 4 centimes.

Ces calculs sont basés sur un rendement de 7 litres qui, je pense, n'est exagéré ni dans un sens ni dans un autre ; vous remarquerez en outre, messieurs, et j'insiste sur ce point, que cette moyenne n'est encore applicable qu'aux grandes distilleries, et nullement aux petites distilleries agricoles qui tout au plus ont un rendement de 6 et qui par conséquent se trouvent dans une position bien plus désavantageuse encore.

Hasselt seul fait une singulière exception à ce système. Là on perçoit des droits sur la levure et le charbon, et rien n'est remboursé, de manière que de ce côté encore il y a injustice pour les distillateurs de Hasselt qui cependant doivent placer leurs produits sur les mêmes marchés que les autres distillateurs des villes.

Rien, messieurs, ne justifie cet abus, il n'a pas même le mérite d'être une compensation aux quelques charges que les distillateurs urbains pourraient avoir en plus, car ils en sont largement indemnisés par l'avantage de produire à la porte du consommateur, d'avoir des moyens de transport moins dispendieux, d'avoir à volonté des résidus de bières et de raffineries de sucre qui activent la fermentation et font obtenir une plus forte somme de produits alcooliques, de pouvoir vendre leurs résidus ce qui est bien plus avantageux que d'engraisser du bétail sur lequel il y a souvent perte et pour lequel il faut et des capitaux et de vastes bâtiments.

J'admets que les villes puissent se créer des ressources en établissant des droits d'octroi ne détruisant pas l'équilibre qui doit toujours exister dans les impôts, mais ce que je n'admettrai jamais, c'est que ce droit aille jusqu'à créer des véritables privileges, de véritables inégalités devant la loi, qui finiraient en un mot, si des cas semblables pouvaient se représenter souvent, par rendre les administrations communales arbitres des dispositions législatives.

Je sais qu'on me dira que le gouvernement ne peut convenablement trancher cette question sans s'entendre avec elles, et que par conséquent cela ne se rattache qu'indirectement au projet en discussion, mais j'ai cru devoir eu parler dans l'espoir que M. le ministre des finances voudra bien prendre l'engagement de mettre cette question à l’étude et de faire tous ses efforts pour faire cesser cet abus, le plus tôt qu'il lui sera possible.

Je regrette, messieurs, que comme injustice à réparer, cet objet n'ait (page 1760) pas eu, aux jeux de M. le ministre des finances, assez de valeur, pour mériter, sinon d'avoir la priorité, au moins de marcher de pair avec les nombreux projets de loi qui vous sont soumis, qu'on a bien trouvé le temps de soigneusement élaborer, et pour lesquels il n'y avait non plus, me paraît-il, péril en la demeure.

Quant aux petites distilleries agricoles, tombant sous l'application de l'article 3 de la loi du 27 juin 1842, elles se trouvent dans une situation doublement défavorable et qui leur est faite par la loi elle-même.

La loi, messieurs, leur accorde un dégrèvement de 15 p. c, mais c'est à des conditions telles qu'il est absorbé, qu'il disparaît devant les obligations désavantageuses qui sont imposées.

En leur imposant, pour condition de la déduction, de ne travailler qu'avec un seul alambic, d'une capacité de 5 hectolitres au plus, on les met d'abord dans l'impossibilité d'atteindre le rendement qu'obtiennent les distillateurs travaillant avec des cuves de 20 hectolitres, par exemple.

Mais ce n'est cependant pas tout, messieurs ; à la diminution du rendement, aux frais qui augmentent en raison inverse de la capacité des cuves, à la position désavantageuse dans laquelle généralement les petits distillateurs se trouvent proportionnellement aux grands quant aux conditions extérieures, à l'élévation des droits et aux octrois, joignez la défense d'avoir plus d'un alambic et vous aurez la clef de la décadence rapide de ces établissements et de l'accroissement prodigieux des grandes distilleries urbaines.

Cette dernière condition surtout leur est onéreuse, messieurs, en ce qu'en ne leur permettant qu'un travail fort lent, qu'une rectification imparfaite, ils ne peuvent jamais obtenir qu'un prix relativement très bas, et en vérité je n'ai jamais trop compris comment, par une crainte exagérée de la fraude, on soit arrivé à n'accorder le dégrèvement qu'à la condition de ne faire que du genièvre médiocre, d'un prix de revient plus élevé, et par suite d'une défaite plus difficile.

Le but que le législateur a toujours eu en vue n'a donc pas été atteint, il a été manqué et les petites distilleries agricoles, loin d'être protégées, ne se sont jamais trouvées sur un pied d'égalité avec les autres.

Le projet de loi portera, dira-t-on, la protection à 22 centimes et demi, je le sais parfaitement, mais vous remarquerez, messieurs, qu'ici comme dans toutes les industries, plus les droits seront élevés, plus il y aura lutte, plus il y aura concurrence ; qu'ici comme dans toutes les industries cette concurrence tournera évidemment au profit des grands établissements qui feront écrouler les petits, parce qu'avec de grands capitaux, avec des perfectionnements et des procédés nouveaux presque toujours inabordables pour le petit distillateur, ils parviendront à conjurer les désavantages d'une augmentation de droit.

Je ne demande pas, messieurs, que l'on mette les petites distilleries agricoles en position de faire aux grandes distilleries une concurrence ruineuse, ce n'est pas là mon but, et je sais d'ailleurs que ce serait impossible.

Je considère ces deux genres d'établissements comme deux industries complètement distinctes, et si je défends les petites distilleries, c'est comme fabriques d'engrais et comme moyen d'encouragement à l'élève du bétail. La seule chose que je veux, c'est qu'on les mette au moins en position de pouvoir vendre leurs produits au prix coûtant, sans perte, c'est qu'on donne le moyen de vivre à celles qui sont encore debout, et qu'on ne fasse pas complètement disparaître une industrie essentiellement agricole et qui peut rendre de si grands services ; je suis si convaincu de ce fait que je voudrais exempter de tout droit les distilleries qui s'établiraient au milieu de terres à défricher ; dans la Campine, par exemple.

On se plaint tous les jours du défaut de bétail gras, de son prix élevé, et d'un autre côté nous ne faisons pas attention que nous allons directement à un résultat contraire à celui que nous voudrions. Ce n'est pas dans les distilleries urbaines que l'on engraisse du bétail ; là les résidus sont vendus aux métayers des environs de la ville, qui en nourrissent leurs vaches laitières, mais n'engraissent pas ou du moins très peu.

Nous cherchons par tous les moyens à augmenter la production agricole, nons ne reculons même pas devant des moyens souvent très frayeux et nous ruinons une industrie qui peut sans frais contribuer à nous donner ce que nous payons souvent si cher.

Ce n'est pas cela que vous devez vouloir, messieurs, et d'autant plus qu'en accordant une protection plus efficace ce ne serait ni tendre à augmenter la production, ni créer des privilèges exorbilants.

La consommation n'a pas diminué depuis la suppression de la plupart des petites distilleries rurales ; il est donc à présumer qu'elle n'augmenterait pas en mettant celles qui végètent encore dans une position plus supportable. Ce sera répartir plus également la production et voilà tout.

Quant aux privilèges, en 1842 on a aussi prétendu qu'il y avait protection exorbitante. Vous voyez ce qui en est arrivé.

Pour ne pas soulever des clameurs qui ne manqueraient pas si je parlais d'une déduction de droit plus forte, je me bornerai à demander que l'on modifie le paragraphe premier de l'art. 5 de la loi du 27 juin 1842, en ce qui concerne l'obligation de n'avoir qu'un seul alambic dont les distillateurs doivent se servir alternativement pour la distillation et la rectification.

Je pense, messieurs, qu'il y a moyen, sans nuire ni au trésor ni à aucun intérêt en jeu, de faire pour les petites distilleries quelque chose d'avantageux, en stipulant toujours de n'avoir pour la distillerie qu'un seul alambic, mais en leur laissant pour les autres opérations toute latitude pour les appareils dont ils jugeraient à propos de se servir, à l'exception, bien entendu, des cuves-matières qui serviraient toujours de base à l'impôt. En d'autres termes, je voudrais notamment leur donner la faculté d'avoir un alambic spécialement destiné à la rectification. Vous remarquerez, messieurs, que cela ne les mettrait jamais, quant à la fraude, que dans une position identique aux grands distillateurs. J'ai dit.

M. Mercier. - Trois circonstances peuvent porter atteinte au produit que le gouvernement attend de l'augmentation de droits qu'il propose et nuire en même temps à l'industrie du distillateur.

La première, c'est l'importation frauduleuse des eaux-de-vie étrangères ; malgré les raisons données par l'honorable rapporteur de la section centrale et les mesures répressives introduites par la loi de 1843, je ne puis m'empêcher de concevoir des craintes très sérieuses sur l'infiltration frauduleuse de ce liquide de différents côtés de notre frontière. Du côté de la France cette fraude était très intense avant l'introduction du système actuel, avant l'abaissement des droits ; elle ne manquera pas de prendre une nouvelle extension par l'effet d'une augmentation de droits de 50 p. c. Je la crains moins du côté de la Hollande qui a établi des droits plus élevés encore que ceux qui sont proposés. L'administration de ce pays se gardera bien d'encourager la fraude, car elle aurait à craindre de notre part des représailles plus dangereuses pour elle. En ce moment la fraude est presque nulle vers les frontières d'Allemagne, par la raison que des conventions internationales engagent chaque pays à prendre les mesures nécessaires pour mettre obstacle à la fraude d'un pays dans l'autre ; mais si ces conventions ne sont pas renouvelées, il n'est pas douteux que la fraude des spiritueux ne se développe par suite de l'augmentation des droits.

La seconde circonstance est la diminution de la consommation ; je reconnais avec l'honorable M. T'Kint deNaeyer que les moyens de moralisation du peuple sont plus efficaces que tous autres pour restreindre l'usage des boissons pernicieuses ; mais, d'un autre côté, on ne peut disconvenir que, en règle générale, l'augmentation de prix des objets de consommation a pour effet d'en restreindre l'usage ; il en sera ainsi pour le genièvre comme pour tout autre objet de consommation ; du reste, le gouvernement s'attend à cette réduction et il en a tenu compte dans l'appréciation du produit.

La troisième, c'est la fraude à l'intérieur qui sera également excitée par un plus grand appât que présentera l'élévation des droits ; nous devons nous attendre à ce que des tentatives seront faites pour établir des distilleries clandestines et surtout pour livrer à la distillation des matières macérées dans des vaisseaux cachés et non déclarés. Je crains d'ailleurs que le contrôle établi ne soit insuffisant pour garantir la perception d'un droit aussi élevé.

A ces causes préjudiciables à l'industrie et au produit, évitons d'en ajouter une quatrième qui résulterait de l'augmentation des droits d'octroi sous quelque forme que ce soit. Evitons de fournir un nouvel aliment à la fraude par l'élévation de ces taxes. Elles sont aujourd'hui généralement établies sur la même base que l'accise de l'Etat ; chaque fois que l'accise a été augmentée, des efforts ont été faits par les administrations communales pour obtenir la même progression dans les droits d'octroi. Parfois le gouvernement a résisté, parfois il a cédé à des instances vives et réitérées. Mettons obstacle à ce qu'il en soit encore ainsi à l'avenir, et posons par la loi même une limite définitive aux taxes communales sur les eaux-de-vie indigènes ; qu'elles ne puissent excéder en résultat celles qui sont perçues aujourd'hui quelle qu'en soit la forme, c'est-à-dire le taux et non la proportion actuelle. Les communes conserveront leur produit actuel, mais elles ne pourront l'augmenter. Il n'y aura donc aucune perturbation dans nos finances.

Je propose à cette fin un premier amendement dont je vais donner lecture :

« Les taxes communales sur la fabrication de l'eau-de-vie indigène ne pourront excéder le taux actuellement existant. »

Ce qui m'a principalement déterminé à prendre la parole, c'est la situation relathcment défavorable dans laquelle se trouvent les distilleries établies dans les communes rurales.

Les distillateurs de cette catégorie éprouvent un double préjudice.

Ils ne peuvent introduire leurs produits dans les villes parce que celles-ci les repoussent par des droits protecteurs en faveur de ceux de leurs distilleries.

Ils ont au contraire à supporter une concurrence ruineuse par la raison que les administrations des villes non seulement repoussent les produits des distilleries du dehors, mais accordent indirectement des primes à la sortie du genièvre.

Je pourrais citer ici un grand nombre d'exemples prouvant que le droit sur le genièvre à l'entrée des villes dépasse de 3 à 10 centimes et plus par litre, celui qui est établi à la fabrication dans les mêmes villes, ; et qu'en outre des primes de 1 à 3 centimes par litre sont accordées à la sortie des villes ; mais je m'en abstiendrai, car je ne ferais en cela que répéter ce qu'a très bien exposé l'honorable M. de Steenhault, qui a parlé avant moi. Il résulte de cette double combinaison, d'abord que les distillateurs des villes, exempts de toute concurrence du dehors, peuvent réaliser sur les eaux-de-vie livrées à la consommation intérieure de larges bénéfices au détriment du public ; et ensuite que ces bénéfices mêmes joints à la prime leur permettent de livrer leur excédant de fabrication aux consommateurs des communes rurales à des prix inférieurs à eaux des produits des distilleries qui y sont établies. Il est de notoriété (page 1761) publique que des distillateurs drs campagnes se sont trouvés dans la nécessité d'acheter eux-mêmes des genièvres fabriqués dans les villes afin de ne pas perdre leur clientèle par cette injuste concurrence.

Depuis longtemps les intéressés réclament contre un état de choses qui est ruineux pour eux ; le gouvernement, à différentes reprises, s'est occupé de cette question, mais jamais elle n'a reçu de solution définitive ; ils avaient espéré que la révision des octrois qui devait avoir lieu à la suite d'une enquête faite en 1845, aurait fourni l'occasion de faire disparaître leurs griefs ; diverses circonstances ont fait ajourner cette révision ; uu système aussi préjudiciable à une partie du pays continua donc de subsister, contrairement aux véritables principes, qui exigent que dans l'établissement des octrois, la libre concurrence soit respectée et qui défendent aux villes et communes d'un même Etat de protéger leur commerce et leur industrie au moyen de droits différentiels Il y a là, non seulement une injustice, mais une véritable inconstitutionnalité qui porte atteinte à l'égalité des citoyens devant la loi et jusqu'à un certain point à l'unité nationale ; le système, en effet, conduit à former dans le pays autant de petits Etats qu'il y a de villes à octrois et à mettre chaque ville en hostilité commerciale avec les autres localités du pays.

La section centrale chargée de l'examen du projet de loi a reconnu tout ce qu'il y a d'inique et d'irrégulier dans un pareil état de choses, mais elle s'est bornée à appeler l'attention du gouvernement sur ce point et à émettre le vœu qu'il fasse le plus tôt possible l'objet de ses méditations. Une cause bien légitime m'avait empêché d'assister à la séance où cette résolution a été prise. Ayant pu me rendre à la séance suivante qui était la dernière, j'ai déclaré que je ne doutais pas que le gouvernement se fût occupé de cette question importante et l'examinerait de nouveau, que cependant l'injustice était trop grande et se prolongeait depuis trop longtemps pour qu'il n'y fût pas porté un remède immédiat. Je donnai connaissance à la section centrale d'un amendement que je désirais présenter dans ce but ; cet amendement me parut rencontrer beaucoup de sympathie. Toutefois, on m'objecta que la décision ayant été prise, que la section centrale n'étant d'ailleurs pas complète, il n'y avait pas lieu de revenir sur ce qui avait été fait.

Je n'insistai pas, mais plusieurs membres demandèrent qu'il fût inséré dans le rapport que des membres ont déclaré qu'ils ne pouvaient se contenter d'un simple vœu et qu'ils étaient d'avis qu'une disposition formelle à cet égard devait être insérée dans la loi. C'est, en effet, ce qui a eu lieu, comme la chambre a pu le voir.

Je suis persuadé, messieurs, par des témoignages sûrs et nombreux, qu'en général les distillateurs des villes retirent sept litres d'eau-de-vie et plus par hectolitre de matière mise en macération et par renouvellement de 24 heures. Cependant, messieurs, pour rester à l'abri de toute contestation, c'est en supposant seulement une production au minimum de 6 1/2 litres que je propose l'égalité proportionnelle entre les distillateurs des communes rurales et ceux des villes à octroi.

Voici l'amendement que je soumets à la chambre.

« A partir de la mise à exécution de la présente loi, un rapport d'égalité sera établi entre les taxes municipales sur la fabrication de l'eau-de-vie indigène qui sont prélevées à l'entrée des villes et communes à octroi et la décharge des mêmes taxes à la sortie.

« A cette fin, le minimum de la production par hectolitre de matière, mise en macération et à raison d'un renouvellement, par 24 heures au plus, est fixé à six litres et demi d'eau-de-vie, marquant 50 degrés de l'alcoomètre de Gay-Lussac, à la température de 15 degrés du thermomètre centigrade.

« Si l'eau-de-vie marque un degré de concentration supérieur ou inférieur, la quantité sera augmentée ou diminuée dans la proportion de la différence.

« Des arrêtés royaux pourront modifier ces bases : savoir par une augmentation de production par hectolitre de matière et par une diminution de durée du travail de macération, à mesure que les faits auront été constatés par l'administration ou que de nouveaux procédés auront été introduits dans les distilleries. »

Vous voyez, messieurs, que je laisse au gouvernement le soin de constater par des expériences quelle est la production réelle d'eau-de-vie par hectolitre de matière macérée et quelle sera la durée du travail de macération, pour établir à l'avenir, sur cette double base, les droits à l'entrée du genièvre dans les villes et la décharge à la sortie ; j'établis le principe de l'égalité dans la loi et j'en fais l'application d'une manière très modérée, en attendant qu'au moyen de l'enquête qui sera dirigée par le gouvernement, la vérité éclate dans tout son jour, et qu'une justice plus complète soit rendue à ceux qui ont trop longtemps souffert de l'abus dont ils se plaignent à juste titre.

M. Dautrebande. - Des pétitions ont été adressées à la chambre pour solliciter de la législature des modifications au projet de loi qui est en ce moment en discussion ; beaucoup sont d'accord et unanimes pour soutenir que la proposition d'un accroissement de 50 p. c. est trop élevé ; je déclare que je serais loin de partager cette opinion, si j'avais l'espoir que cette augmentation apporterait une diminution dans l'usage blâmable et immodéré que l'on fait de cette boisson pernicieuse ; mais ayant la conviction que cette mesure ne produira aucun effet satisfaisant, et que la consommation continuera à se faire comme aujourd'hui, je me suis arrêté à chercher à reconnaître combien sont justes et fondées les raisons que font valoir les distillateurs relativement à la crainte qu'ils éprouvent de voir leur industrie, si pas ruinée, au moins très froissée ; ils disent que l'augmentation de 50 centimes excitera à la fraude, et qu'ils seront dans l'impossibilité de soutenir la concurrence

Il existe deux moyens de fraude., l’un consiste dans les distilleries clandestines et les cuves cachées ; l’autre est l’introduction des spiritueux étrangers par infiltration. Le premier moyen que je viens d'indiquer, est, si pas impossible, tellement difficile et dangereux dans son exécution, que je ne puis croire qu'il soit possible de l'employer ; une bonne surveillance des employés des accises ne peut manquer de découvrir les fraudeurs, et alors une pénalité excessivement élevée est encourue.

Le second moyen est celui d'introduire le genièvre et l'eau-de-vie 3/6 par infiltration ; il m'a été assuré que cette fraude avait lieu ; l'on doit donc s'attendre à ce qu'elle continuera, et assez probablement d'une manière beaucoup plus considérable, puisque l'augmentation de 50 p. c, sur le droit actuel sera un appât de plus pour ceux qui se livrent à ce trafic ; j'ai la conviction que M. le ministre des finances a prévu le mal que je viens d'indiquer et qu'il fera ce qui sera en son pouvoir pour le réprimer et l'arrêter.

Je viens d'avoir l'honneur de signaler à la chambre un danger pour les intérêts des distilleries du pays ; mais il en exisle un autre qui est réel pour une grande quantité d'elles ; et il n'y aura pas de remède tant que la législature ne prendra pas une nouvelle résolution à ce sujet ; je veux parler de la restitution accordée pour les expéditions de genièvre faites à l'étranger.

D'après le projet de loi elle est de 30 fr. 70. Aujourd'hui il est reconnu que le rendement est de 7 litres par hectolitre, ce qui porterait le droit, à raison de 1-50, à 21 fr. 43. Il y aura donc une différence de 9 fr. 27 qui est une véritable prime accordée aux distillateurs qui font des exportations.

La chambre s'est prononcée sur la question des primes, j'ai donc lieu de croire qu'elle ne continuera pas à l'accorder à quelques distillateurs, qui, par la position de leurs établissements, peuvent seuls l'obtenir, et qu'elle décidera que la restitution ne sera plus que de 25 francs, qui est le chiffre produit au rendement de 6 litres 1/2, lequel je veux bien admettre quoiqu'il soit en-dessous de celui que l'on obtient généralement.

Si l'art de distiller était une industrie nouvellement implantée dans le pays et qui aurait besoin d'encouragement, il est possible que j'aurais gardé le silence, mais comme les procédés distillatoircs sont connus et que les distillateurs qui exportent peuvent, à l'aide de la prime qu'ils reçoivent, établir une concurrence ruineuse pour leurs confrères du pays, qui, par la position de leurs distilleries, n'ont pas le même avantage ; je crois juste de proposer à la chambre de ne porter la restitution qu'à 25 fr. au lieu de 50 fr. 70 c. porté au projet de loi.

J'ajouterai, messieurs, à ce que je viens d'avoir l'honneur de dire à la chambre, que les grandes distilleries dont je viens de l'entretenir, n'ont pas seulement l'avantage d'obtenir une restitution du trésor, mais qu'elles ont encore celui d'être gratifiées des primes considérables qui leur sont payées par les villes où elles sont placées.

Chaque membre de cette assemblée a reçu une pétition des distillateurs ruraux, laquelle démontre parfaitement ce que je viens d'indiquer.

Je crois donc inutile de rappeler les chiffres qu'ils indiquent.

Par l'article 2 du projet de loi, il y a obligation pour tout distillateur, qui travaille avec des vaisseaux imposables d'une contenance cumulée de 50 hectolitres, de tenir un registre sur lequel il doit inscrire séparément pour chaque cuve, la mise en fermentation, au fur et à mesure qu'elle a lieu.

La suppression de cette mesure est généralement demandée par tous les distillateurs ; ils donnent pour motif, et, selon moi, avec raison, que cette obligation ne peut manquer de les exposer souvent à des contestations et des désagréments avec les employés des accises, et enfin à des pénalités très fortes et non méritées ; je me demande comment il sera possible de ne pas se trouver dans la position fâcheuse que je viens d'indiquer, lorsque l'on voit dans le projet de loi, les précautions qu'il faudra prendre pour ne pas être victime de la moindre négligence ; remarquez, messieurs, qu'il y a obligation de tenir les écritures avec une exactitude et une netteté que l'on ne peut exiger que des personnes qui en ont l'habitude et que les laisser faire par un ouvrier, ce serait se créer des inquiétudes continuelles et s'exposer chaque jour à des renouvellements d'amendes ; puisque, pour ne pas être en contravention, il faut inscrire la mise en fermentation sans la moindre omission au moment voulu ; mais il faut encore éviter toute inexactitude, et toute annotation effacée ou altérée est amendable ; vous comprenez, messieurs, combien ces exigences sont difficiles à remplir, et, par cette raison, combien sont exposés les distillateurs qui, sans, la moindre intention ni apparence de fraude, peuvent souvent se trouver en contravention.

Lorsque l'on signale les défectuosités que l'on croit voir dans une loi, il est convenable d'indiquer par quel moyen l'on peut les éviter ; celui que j'ai à proposer est simple, il consiste à insérer dans la loi que l’on ne pourra faire qu'un seul renouvellement de matières par jour dans la même cuve à fermentation ; toute contravention de ce chef sera punie d'une amende de cinquante francs par hectolitre de contenance du vaisseau imposable.

Par cette disposition il ne se présentera aucune difficulté, tant pour l'exécution, que pour la surveillance.

L'on me dira peut-être que l'obligation de ne pouvoir renouveler les macérations que toutes les 24 heures, empêchera le distillateur qui (page 1762) voudrait travailler plus vite, de pouvoir le faire ; je répondrai qu'il n'en sera nullement empêché, puisqu'il pourra laisser ses cuves vides ; au résumé, je ne crains pas d'affirmer que ce serait une exception si un distillateur employait moins de 24 heures pour la fermentation, et je dirai que les lois ne sont pas faites pour ceux qui veuillent des exceptions.

Généralement, tous les distillateurs réclament contre le projet du gouvernement, et contre celui de la section centrale relativement au droit de 30 centimes que porte le projet de loi ; et de 25 centimes que porte le rapport de la section centrale ; droit que devront payer les distillateurs qui cesseront de travailler les dimanches et fêtes conservées ; ils disent que ces chiffres sont beaucoup trop élevés ; d'après les calculs qui m'ont été soumis, et les observations qui m'ont été faites, je reconnais que leur plainte est fondée, et je vais chercher à le démontrer à la chambre.

Par les progrès que l'on a faits dans l'art de distiller, il est reconnu que l’on est parvenu à obtenir le même produit avec une fermentation de vingt-quatre heures qu'avec une de quarante-huit heures, c'est donc un surcroît d'impôt que le distillateur, qui veut satisfaire à ses croyances religieuses, sera tenu de payer.

C'est une erreur de croire que les fermentations de vingt-quatre heures sont sensiblemont moins productives que celles de quarante-huit heures, et en admettant que l'on puisse obtenir 5 p. c. de plus avec une fermentation de quarante-huit heures, cela ne porterait le chiffre à raison de 1 fr. 50, qu'à 7 1/2 centimes, au lieu de 30, comme au projet du gouvernement.

Pour pouvoir justifier le payement du droit de 25 centimes, il faudrait obtenir une augmentation de plus d'un litre de genièvre par hectolitre de matière ; cette simple observation ne peut manquer de démontrer à la chambre que les réclamations faites contre ce droit sont justes ; j'estime donc qu'en portant le chiffre à dix centimes, il sera à l'avantage du trésor ; dans cette conviction, je déposerai un amendement ainsi conçu :

« Les distillateurs qui voudront chômer les dimanches et fêtes conservées, seront tenus d'en faire la déclaration, et d'avoir achevé tous leurs travaux le samedi à 10 heures du soir, et de ne les recommencer que le lundi, après 4 heures du matin ; dans ce cas l'impôt sera de 40 centimes par hectolitre. »

En admettant, messieurs, mes amendements, il en résultera plusieurs avantages ; la loi sera simplifiée, d'une exécution facile et plus satisfaisante pour les contribuables ; les employés du gouvernement auront à faire une surveillance moins tracassière, et les distillateurs seront satisfaits et débarrassés d'inquiétudes, et d'une besogne qu'ils ne feront jamais qu'avec répugnance.

M. Rodenbach (pour une motion d'ordre). - Les amendements présentés par l'honorable M. Mercier et par l'honorable préopinant doivent être examinés mûrement ; ceux de l'honorable M. Mercier notamment sont d'une très grande importance ; car de leur adoption il peut dépendre que la loi soit acceptée par un grand nombre de représentants. J'en demande donc le renvoi à la section centrale. Je crois qu'on ne s'y opposera pas ; car cela n'empêchera pas la discussion de continuer.

M. le Bailly de Tilleghem. - J'appuie la proposition faite par l'honorable préopinant de renvoyer tous les amendements à l'examen de la section centrale.

M. Deliége, rapporteur. - Je ne m'oppose pas au renvoi proposé. Mais je ferai remarquer que la section centrale a été saisie de la question, et qu'elle l'a décidée, comme il est dit au rapport.

M. Mercier. - Je regrette que l'honorable M. Deliége prononce ces paroles d'une manière aussi absolue. Je pense, au contraire, que si la section centrale avait eu à se prononcer sur mon amendement, la majorité lui était acquise. Comme je vous l'ai dit tantôt, une circonstance m'a empêché d'assister à la réunion de la section centrale ou cette question a été agitée.

La section centrale ne s'y est pas beaucoup arrêtée ; elle s'était bornée à émettre un vœu dans le sens de mon amendement.

Lorsque j'ai soumis cet amendement à la section centrale, on a fait l'observation qu'il y avait eu décision, et je n'ai pas insisté. Seulement plusieurs membres ont demandé qu'on fît mention dans le rapport de leur opinion favorable à cet amendement.

Messieurs, la question est assez importante pour qu'il y ait un examen sérieux. Je demande que tous les amendements soient renvoyés à la seclion centrale.

M. Delehaye. - Messieurs, bien décidé à donner mon adhésion à la plupart des travaux publics que propose le gouvernement, je voudrais lui fournir les moyens d'y faire face. Mais je ne dois pas vous le dissimuler, j'ai la conviction intime que la loi des distilleries, si elle est adoptée par la chambre telle qu'elle vous a été présentée par le gouvernement, aura plutôt pour conséquence de diminuer nos recettes que de les augmenter. Il m'est démontré, messieurs, que du moment qu'une industrie quelconque est frappée d'un droit qui la met dans l'impossibilité de soutenir une concurrence avantageuse avec les produits similaires d'un autre pays, la première conséquence est toujours une diminution de recette pour l'Etat.

Partant de cette opinion, il me reste à expliquer à la chambre les motifs pour lesquel le projet tel qu'il vous est presenté, n'a pas mon entier assentiment.

Et d'abord, qu'il me soit permis de répondre quelques mots à ce qui a été dit par d'honorables membres qui ont parlé avant moi. L'honorable député de Bruxelles qui siège à ma droite a fait l'éloge des distilleries agricoles. Cet honorable membre voudrait que la protection dont elles jouissent déjà fût encore augmentée.

Partageant cette manière de voir, bien convaincu qu'on ne peut jamais accorder trop de protection à tout ce qui se rattache à l'agriculture, je serais le premier à applaudir à l'opinion émise par l’honorable membre. Mais qu'il me soit permis de le dire aussi, en Belgique, et particulièrement dans la province dont j'ai l'honneur d'être le représentant, il n'y a guère de distillerie agricole qui réponde réellement au but qu'on s'est proposé.

D'abord, messieurs, toutes les distilleries sont agricoles. Qu'elles soient établies à la ville ou qu'elles soient établies à la campagne, elles procurent de grands avantages à l'agriculture. Mais lorsqu'on voit des distilleries agricoles, c'est-à-dire jouissant de tous les avantages accordés par la loi, établies au milieu des terres les plus productives, et qui n'ont un caractère agricole que pour donner à celui qui les exploite des avantages plus considérables, je dis que ce ne sont plus là des distilleries agricoles dans le sens que le législateur avait attaché à ce mot.

Savez-vous, messieurs, ce que c'est qu'une distillerie agricole ? C'est une distillerie placée au milieu des bruyères, au milieu des landes, et ayant pour effet d'amener la fertilisation de ces bruyères et de ces landes. De pareilles distilleries seraient dignes de toute la sollicitude de la chambre.

Elles ne devraient pas seulement jouir de la protection qu'a indiquée l'honorable M. de Steenhault, je voudrais qu'elles fussent déchargées de tout droit.

Mais je connais une distillerie qui porte la qualification de distillerie agricole ; elle est située au milieu des terres les plus productives ; elle a des avantages que ne possèdent pas les premières industries du royaume ; et par cela seul qu'elle entretient quelques têtes de bétail, que celui qui l'exploite cultive quelques hectares de terre, elle jouit de la protection qu'on refuse aux distilleries des villes. Or, les distilleries qui sont établies dans les villes ne rendent-elles pas les mêmes avantages à l'agriculture ? Cela ne me paraît pas douteux.

Les distillateurs des villes, les uns parce qu'ils n'ont pas le temps, les autres parce que la localité ou leur fortune ne le leur permet pas, ne peuvent élever des étables, ne sont pas propriétaires de terrains et ne peuvent en louer, sont soumis à toutes les exigences de la loi. Mais un producteur riche, possédant des terres situées dans la contrée la plus fertile de la Belgique, y établira une distillerie, il en retirera tous les avantages possibles, et par cela seul qu'il cultivera quelques hectares de terre et qu'il entretiendra quelques têtes de bétail, il jouira de faveurs que n'obtiennent pas de petites distilleries que l'on n'a pu établir sur un pied plus élevé par défaut de fortune et peut-être d'intelligence.

Après cet aperçu, permettez-moi de vous dire un mot de la proposition de l'honorable M. Mercier.

L'honorable M. Mercier voudrait qu'au profit des distilleries agricoles, au profit des distilleries établies extra muros, on modifiât le système des octrois. Mais quelle serait la première conséquence d'une disposition de cette nature ? Croyez-vous que les distillateurs de la campagne, que les distillateurs extra muros auraient grand sujet de s'applaudir d'une semblable disposition ?

Messieurs, je ne viens jamais dans cette enceinte discuter une question quelconque se rattachant à l'industrie sans m'être pénétré profondément des besoins de cette industrie et surtout sans consulter des hommes compétents, des hommes consciencieux qui ont intérêt, comme moi, à ce que la vérité soit connue. Eh bien, je vous dirai que cette idée de la modification des octrois est repoussée par la plupart des distillateurs qui demeurent aux environs de nos villes. Et, en effet, cette disposition leur serait plutôt nuisible qu'avantageuse.

M. Mercier. - Savez-vous quelle est la disposition ?

M. Delehaye. - C'est de ne plus permettre qu'on rende un drawback aussi considérable aux distillateurs qui exporteront du genièvre hors des villes.

Vous voyez donc que j'ai compris votre amendement. Mais je vais vous faire voir quelles en seront les conséquences.

Incontestablement il n'y aura plus de distilleries dans les grandes villes. Et pourquoi ? D'abord parce que les loyers y sont beaucoup plus considérables qu'à la campagne ; en second lieu, parce que la main-d'œuvre y est beaucoup plus chère ; en troisième lieu, parce que l'octroi pèse sur la plupart des produits qu'emploient les distilleries. (Interruption.)

On me dit qu'elles ont des compensations. Mais ne voyez-vous pas que vous détruisez ces compensations si vous adoptez la proposition de l'honorable M. Mercier ?

Je dis donc que l'adoption de la proposition de l'honorable M. Mercier aura inévitablement la conséquence que je viens de dire.

Messieurs, j'appartiens au conseil communal de la ville de Gand, et peut-être a-t-on voulu faire allusion à cette ville. Eh bien, nous avons sérieusement examiné cette question, et nous avons acquis l'intime conviction que par l'adoption de la proposition qui vous est faite, vous feriez déserter les villes par ceux qui se livrent à la distillation.

Quelle sera la conséquence pour les distillateurs qui habitent la campagne ? Je ne parle pas de quelques grands distillateurs qui font exception ; mais je dis que la plupart des distillateurs ayant pour voisins des distillateurs puissants, connaissant bien leur état, possédant de grands capitaux, se trouveront autrement écrasés qu'aujourd'hui.

Quand la seclion centrale aura fait son rapport, et que la chambre (page 1763) sera appelée à se prononcer sur cette question, je la développerai davantage ; mais je fais voir, dés à présent, â l'honorable M. Mercier, que sa proposition aura pour conséquence immédiate de nuire aux distillateurs des campagnes et de faire perdre aux villes les revenus que leur rapporte l'octroi sur les houilles, sur les céréales, en un mot, sur toutes les matières qu'empldent les distillateurs.

Mais il y a une autre considération. L'honorable membre ne comprend-il pas que les villes, dont l'intérêt mérite certainement d'être pris aussi en considération, vont subir une perte notable, non seulement par la réduction des produits de l'octroi, mais encore par la dépréciation des valeurs locatives ? Car, messieurs, c'est qu'il y a enchaînement complet : lorsque vous aurez adoplé ce système pour les distilleries, vous ne tarderez pas à l'étendre à d'autres industries et, insensiblement, vous en viendrez à déprécier complètement la valeur des maisons en ville.

Messieurs, quelques membres de la section centrale ont invoqué d'abord en faveur de l'adoption de la loi, la grande moralité qu'elle est destinée à répandre dans les populations. Je vous avoue que je n'ai pu saisir, malgré toute ma bonne volonté, en quoi le projet augmentera la moralité ; il faut avoir bien peu d'expérience des hommes, il faut avoir approché bien peu des classes ouvrières pour croire que jamais, quel que soit le prix du genièvre, ce prix influe sur la consommation ; savez-vous quelle serait la conséquence d'une augmentation du prix du genièvre ? C'est que la mère de famille recevrait moins pour les dépenses de son ménage et que le mari boirait tout autant qu'auparavant. C'est un grand malheur, mais le premier besoin de l'ouvrier adonné à la boisson, c'est de satisfaire sa passion, et il ne songe aux besoins de sa famille, de sa femme et de ses enfants que lorsque cette passion est assouvie. Ainsi, la première conséquence d'une augmentation du prix du genièvre, ce sera d'aggraver la gêne des familles dont le chef est adonné à la boisson. Pour tous ceux qui habitent des centres de population considérables, qui sont en contact avec les ouvriers, cela ne fait pas l'ombre d'un doute. Croyez-vous, messieurs, que quand les denrées alimentaires étaient à des prix excessifs, on ait moins consommé des spiritueux ? Non, messieurs, la passion pour les boissons distillées est tellement forte qu'on la satisferait avant tout autre besoin, avant de songer à la mère de famille et aux enfants qui, souvent, pleuraient pour avoir du pain !

Je disais, messieurs, en commençant, que je suis partisan des travaux publics, et que je veux, par conséquent, mettre à la disposition du gouvernement toutes les sommes qu'il peut espérer du projet de loi. Mais je suis convaincu qu'avec une augmentation de 25 centimes, le gouvernement recevra tout autant qu'avec une augmentation de 50 centimes. Il y a, messieurs, une autre augmentation qui augmentera bien plus efficacement le produit de l'impôt, c'est la défense de renouveler plus d'une fois en vingt-quatre heures ; il y a là une augmentation de produits qu'on peut évaluer au moins à 400,000 francs. L'honorable M. T'Kint de Naeyer a dit qu'on renouvelle trois fois en deux jours, et il est à ma connaissance que plusieurs distillateurs le font, mais pour arriver au chiffre de 400,000 francs, il suffit de renouveler huit fois en sept jours.

On vous a dit tantôt, messieurs, que vous pouviez élever considérablement le droit sans avoir à craindre la concurrence étrangère. Eh bien, je suis porteur de documents authentiques que je suis disposé à communiquer à quiconque voudra les consulter, et dont il résulte que le trois-six de Montpellier pourra être vendu en Belgique à un prix inférieur à celui du genièvre après l'adoption du projet. (Interruption.) Le trois-six de Montpellier à 85° de Cay-Lussac, coûte 1 fr. 25 c, mais je mettrai 1 fr. 35 c, prix auquel on le vend dans les localités les moins bien disposées, et celui dont la lettre émane serait fort heureux, que, mettant son patriotisme à l'épreuve, on lui prît une certaine quantité d'hectolitres à ce prix.

Eh bien, messieurs, cela constituera une différence de 7 centimes par litre au profit du genièvre belge ; mais vous savez que l'alcool français présente un avantage de 25 p. c. sur l'alcool belge ; disons seulement 20 p. c. ; or, cela fait disparaître complètement la différence de prix.

Maintenant, messieurs, vous savez que les trois-six varient comme les fonds publics. Il y a, en outre, deux circonstances qui sont de nature à faire baisser le prix du trois-six de Montpellier ; c'est, d'abord, l'abondance de la récolte des vins ; ainsi, que la récolte de vins soit favorable ou défavorable, dans les deux cas il y a augmentation de la production de l'alcool et, par conséquent, abaissement des prix. Pour nous, au contraire, quels que soient les événements, qu'il y ait disette, qu'il y ait abondance, nos prix restent toujours à peu près les mêmes. Eh bien, en présence d'un pareil état de choses, il est impossible que nous adoptions le projet de loi tel qu'il est formulé.

Je le répète de nouveau, messieurs, j'applaudis de tout mon cœur aux travaux publics ; je suis convaincu que plus il y a, dans un pays, de chemins de fer, de routes, de canaux d'écoulement et de navigation, plus aussi il y a de prospérité ; mais ce n'est pas en augmentant indéfiniment le droit sur le genièvre que vous obtiendrez les ressources que vous avez en vue ; adoptez des chiffres modérés et incontestableaient vous aurez des recettes beaucoup plus grandes.

Dans une séance précédente, j'ai dit que la modification adoptée en ce qui concerne l'exportation du genièvre, aurait pour conséquence de diminuer cette exportation. M. le rapporteur de la section centrale (et je le remercie d'avoir touché cette question) a soutenu que l'exportation était restée à peu près la même. Je prie la chambre de vouloir être bien attentive à l'observation que je vais faire à cet égard, car il s'agit d'un fait qui domine notre système commercial : une fois que les habitudes sont établies, que le pays est arrivé à faire connaître ses produits, vous pouvez, sans un bien grand danger momentané, modifier votre législation.

En effet, des relations se sont établies : on a pu apprécier la moralité du commerce belge, on a pu constater la bonne qualité de vos marchandises ; ces relations n'ont donc pas dû cesser immédiatement ; mais je suis convaincu, et ici, je fais un appel à mon honorable ami, M. Deliége ; je suis convaincu que dans deux ans et peut-être à une époque plus rapprochée, vous n'aurez plus le chiffre que vous aviez, il y a deux ans (Interruption.)

Je le répète, si vous avez exporté pendant l'année qui a suivi la loi autant que vous aviez exporté pendant l'année qui a précédé la loi, vous le devez aux relations qui s'étaient établies ; mais ces relations iront en s'affaiblissant continuellemant. Les distillateurs ne pourront plus fournir aux conditions précédentes. Soyez bien persuadés, messieurs, que plus le droit sera fort, moins l'exportation sera considérable. Ce que j'ai dit dans une autre séance, est confirmé dans toule son étendue. En fait de genièvres belges, vous n'avez exporté...

M. Coomans. - On n'exporte presque plus.

M. Delehaye. - On dit qu'on n'exporte presque plus ; je dis qu'on exporte....

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Voulez-vous me permettre de citer les chiffres des exportations depuis 1844 ?

M. Delehaye. - Bien volontiers !

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - En 1844, on a exporté 1,972 hectolitres ; en 1845 4,034 hectolitres ; en 1846, 2,855 hectolitres ; en 1847, 1,124 ; en 1848, 2,990 ; en 1849, 12,189 ; en 1850, 8,864 ; dont 7,984 à la décharge de 28, et 880 à la décharge de 22 fr. ; pendant les six premiers mois de 1851, 3,180 hectolitres, à la décharge de 22 fr.

Ainsi, si les six derniers mois de l'année 1851 présentent les mêmes chiffres pour l'exportation, il en résultera qu'en 1851, on aura exporté plus de 6,300 hectolitres, c'est-à-dire plus qu'on n'a fait jusqu'ici, sauf l'exportation exceptionnelle de 1849, due en grande partie à la suppression de la prime accordée aux distillateurs hollandais pour compenser le droit sur le seigle entrant dans la fabrication, suppression décrétée par une loi du 30 mai 1847.

M. Delehaye. - Je suis donc resté dans le vrai ; j'ai reconnu que depuis la loi qui limite la prime à l'exportation, vous avez exporté autant que pendant l'année qui a précédé cette loi ; mais j'ai fait connaître les motifs de cet état de choses ; je l'ai attribué aux bonnes relations qui s'étaient établies ; mais je le dis encore une fois, ces relations iront en s'affaiblissant. Pourquoi continuerait-on de prendre à l'étranger l'alcool belge, alors qu'on peut se procurer l'alcool de Montpellier à des prix inférieurs ?

Messieurs, je bornerai là, pour le moment, mes observations. J'entrerai dans de plus longs développements, lors de l'examen des articles.

M. le président donne lecture des amendements qui ont été déposés par MM. Dautrebande, Van Grootven et Cools.

M. Cools. - Messieurs, je développerai plus amplement mon amendement, lorsque nous arriverons à l'article premier, je n'ai pour le moment que deux mots à dire pour le faire comprendre.

Le but de mon amendement, c'est de maintenir la prime au taux où elle est aujourd'hui, c'est que la prime ne soit pas augmentée. Or, si le rendement est réellement de 6 1/2, et il est au moins aussi élevé, il faut fixer le taux de la décharge à 29 fraucs 70 centimes, comme je le propose.

- Les divers amendements sont appuyés ; ils seront imprimés et distribués ; la chambre les renvoie à l'examen de la section centrale, sauf en ce qui concerne celui de M. Van Grootven, qui a déjà été produit dans la séance de la section centrale et que la section centrale n'a pas adopté.

La séance est levée à 4 heures et demie.