Accueil Séances Plénières Tables des matières Biographies Livres numérisés Note d’intention

Chambres des représentants de Belgique
Séance du jeudi 31 juillet 1851

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1850-1851)

(Présidence de M. Verhaegen.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 1773) M. Ansiau procède à l'appel nominal à 3 heures et un quart.

M. A. Vandenpeereboom donne lecture du procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Ansiau présente l'analyse des pétitions adressées à la chambre.

« Le sieur Saigne, éclusier au canal de Charleroy, prie la chambre de l'exempter du droit d'enregistrement auquel est assujettie la naturalisation qui lui a été conférée. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Fidèle Hondenrons, aide-tisanier à l'hôpital militaire à Bruxelles, né à Langheim (Allemagne), demande la naturalisation ordinaire avec exemption du droit d'enregistrement. »

- Renvoi au ministre de la justice.


« Quelques distillateurs à Bruxelles présentent des observations contre la pétition des distillateurs agricoles ayant pour objet la révision des droits d'octroi, demandent que le gouvernement prenne à sa charge les droits d'octroi payés par les spiritueux indigènes, et qu'une prime de sortie soit accordée aux distillateurs des villes à octroi. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi sur les distilleries.


« Les membres du conseil communal de Waldwilder demandent la construction d'un embranchement de chemin de fer de Fexhe à Tongres. »

- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi concernant un ensemble de travaux publics.


« Plusieurs habitants de Wyngene demandent l'exécution de travaux proposés par M. l'ingénieur en chef de Sermoise, pour compléter les moyens d'écoulement des eaux d'inondation de la Lys. »

« Même demande de plusieurs habitants de Sint-Jooris-ten-Dislel, Oedelem, Middelkerke, Oostkerke, Beerst, Zarren, Aertrycke et Houthave. »

M. Sinave. - Messieurs, hier il y avait 28 pétitions déposées ; aujourd'hui il y en a 9 ; elles portent de nombreuses signatures, plusieurs milliers ; il s'agit des travaux à faire au canal de Gand à Bruges. Je demande le renvoi de ces pétitions à la section centrale chargée de l'examen du projet de loi concernant les travaux publics.

M. Peers. - J'appuie la proposition de l'honorable M. Sinave.

- La proposition de M. Sinave est adoptée.


M. le Bailly de Tilleghem, obligé de s'absenler à cause de la maladie de sa belle-fille, demande un congé de quelques jours.

- Accordé.

Composition des bureaux de section

Les sections du mois de juillet sont constituées comme suit :

Première section

Président : M. Pirmez

Vice-président : M. Le Hon

Secrétaire : M. Vermeire

Rapporteur de pétitions : M. De Perceval


Deuxième section

Président : M. Destriveaux

Vice-président : M. Lange

Secrétaire : M. Mascart

Rapporteur de pétitions : M. Van Renynghe


Troisième section

Président : M. Ch. Rousselle

Vice-président : M. David

Secrétaire : M. Moreau

Rapporteur de pétitions : M. Van Grootven


Quatrième section

Président : M. Cumont

Vice-président : M. Lelièvre

Secrétaire : M. Moxhon

Rapporteur de pétitions : M. Le Bailly de Tilleghem


Cinquième section

Président : M. Jouret

Vice-président : M. Jacques

Secrétaire : M. Desoer

Rapporteur de pétitions : M. Ad. Roussel


Sixième section

Président : M. de Royer

Vice-président : M. de Pitteurs

Secrétaire : M. Van Iseghem

Rapporteur de pétitions : M. A. Vandenpeereboom

Projet de loi augmentant l’accise sur les distilleries

Discussion générale

M. Deliége. - Messieurs, la section centrale a délibéré jusqu'à présent sur les divers amendements présentés par MM. Mercier, Dautrebande et Cools ; il a donc été impossible au rapporteur de faire un rapport écrit et je dois, messieurs, réclamer votre indulgence.

Messieurs, deux amendements ont été proposés par M. Mercier. L'un est conçu comme suit :

« A partir de la mise à exécution de la présente loi, un rapport d'égalité sera établi entre les taxes municipales sur la fabrication de l'eau-de-vie indigène qui sont perçues à la fabrication, celles qui sont prélevées à l'entrée des villes et communes à octroi et la décharge des mêmes taxes à la sortie ; à cette fin le minimum de la production par hectolitre de matière mise en macération, à raison d'un renouvellement par vingt-quatre heures au plus, est fixé à 6 1/2 litres d'eau-de-vie, marquant 50 degrés de l'alcoomètre de Gay-Lussac à la température de 15 degrés, au thermomètre centigrade. Si l'eau-de-vie marque un degré de concentration supérieur ou inférieur, la quantité sera augmentée ou diminuée dans la proportion de la différence.

« Des arrêtés royaux pourront modifier ces bases, savoir : par une augmentation de production par hectolitre de matière et par une diminution de durée de travail de macération, à mesure que les faits auront été constatés par l'administration ou que de nouveaux procédés auront été introduits dans les distilleries. »

Messieurs, la section centrale a trouvé cet amendement assez grave pour décider qu'elle devait, avant de se prononcer, entendre M. le ministre des finances.

M. le ministre des finances a été entendu aujourd'hui en section centrale.

Il a d'abord exposé toute la gravité de l'amendement ; il a trouvé qu'il y aurait quelque difficulté à trancher une question aussi importante, sans une étude préalable et très approfondie. Il a cité des faits à l'appui de cette opinion. Cependant il a reconnu qu'il y avait quelque chose à faire et il a lui-même proposé la disposition suivante :

« Les octrois communaux, en ce qui touche les eaux-de-vie indigènes, seront révisés, au plus tard, le 1er juillet 1852. »

Une longue discussion s'est établie sur cet amendement. M. Mercier a proposé un amendement nouveau. Il admet, d'abord, la disposition présentée par M. le ministre.

Mais il y ajoute :

« Cette révision sera établie sur la base d'une égalité parfaite entre les taxes communales qui sont perçues à la fabrication des eaux-de-vie ; celles qui sont prélevées à l'entrée des communes à octroi et la décharge de la taxe à la sortie.»

Un membre a fait remarquer ce qu'il y avait de trop absolu dans cette rédaction ; il a présenté la rédaction suivante :

« Cette révision sera établie de manière qu'il n'y ait ni prime ni protection au profil des distilleries des villes sur les distilleries des campagnes et réciproquement. »

Les derniers mots tranchent une seconde question qui est également grave. On a prétendu en section centrale que dès le moment qu'il ne pouvait plus y avoir aucune espèce de protection ou de prime pour les distillateurs des villes, on devait également abolir les avantages que la loi accorde aux distilleries agricoles.

Ces derniers mots tranchent négativement la question de savoir si l'on conservera la déduction de 15 p. c. qui est accordée à ces dernières distilleries.

Après une longue discussion, on a sous-amendé cette proposition ; deux membres ont proposé de se borner à dire :

« Cette révision sera établie de manière qu'il n'y ait ni prime, ni protection au profit des distilleries des villes. »

Le but de l'auteur du sous-amendement était de retirer le privilège, la protection que les octrois accordent aux distilleries urbaines ; la diminution de 15 p. c. restait aux campagnes.

Le sous-amendement mis aux voix a été rejeté par 4 voix contre 3.

La disposition présentée par M. le ministre des finances et celle qui décide que la révision aura lieu avant le 1er juillet 1852, de manière à ce qu'il n'y ait plus ni prime ni protection, pas plus pour les villes que pour les campagnes, a été adoptée par 5 voix contre 2.

D'après cette résolution, l'amendement présenté par l'honorable M. Mercier, dans votre séance du 29 juillet dernier, et qui était ainsi conçu : « Les taxes municipales sur la fabrication de l'eau-de-vie indigène ne pourront excéder le taux actuellement existant, » devient sans objet.

La section centrale a passé ensuite à l'examen du premier amendement présenté par l'honorable M. Dautrebande,

Cet amendement est ainsi conçu :

« Je propose de porter la restitution du genièvre expédié à l'étranger à 25 francs au lieu de 30 francs comme il est porté au projet de loi. »

Messieurs, vous savez que l'année dernière vous avez adopté une loi qui a réduit la prime à la sortie. La décharge à l'exportation a été réduite par vous à 22 fr. D'après cette base, le droit à la décharge, suivant le projet du gouvernement, devrait être de 30 francs 70 centimes.

La proposition de l'honorable M. Dautrebande tend à déduire de ces 30 fr. 70 c. une prime de 7 fr. 70 c. qui, selon lui, y est comprise.

L'honorable M. Dautrebande entend supprimer toute espèce de primes à la sortie. La section centrale a cru que la loi du 5 mars 1850 n'ayant que seize mois d'existence, elle ne devait pas l'abolir. Par 3 voix contre 5 et une abstention, elle a rejeté l'ameudement de l'honorable M. Dautrebande.

L'amendement présenté par M. Cools, qui porte le taux de la décharge à 29-70, a été ensuite mis en discussion ; il a été adopté.

(page 1774) Deux autres amendements ont été présentés par M. Dautrebande dans votre séance du 20 juillet. Le premier porte :

« Les distillateurs qui voudront chômer les dimanches et jours de fêtes consentis, seront tenus d'en faire la déclaration, et d'avoir achevé tous leurs travaux le samedi 5 dix heures du soir, et de ne les recommencer que lundi après quatre heures du matin ; dans ce cas l'impôt sera de 10 centimes par hectolitre. »

Cette disposition avait déjà été examinée lors de la première discussion en section centrale, qui l'avait rejetée ; mise de nouveau aux voix, elle n'a pas été admise.

M. Dautrebande a présenté un troisième amendement ainsi conçu :

« On ne pourra faire qu'un seul renouvellement de matière par jour dans la même cuve de fermentation. Toute contravention de ce chef sera punie d'une amende de cinquante francs par hectolitre de contenance du vaisseau imposable. »

Dans les développements qu'il a donnés, l'honorable membre a dit que cet amendement n'empêcherait pas de vider la cuve en moins de 24 heures, sauf à ne pas la remplir avant la dernière heure ; ce qui nécessiterait pour le distillateur un matériel plus considérable.

Il a aussi dit que dans peu de distilleries on obtenait aujourd'hui en moins de 24 heures une fermentation complète, ce qui est exact. Mais la section centrale n'a pas cru devoir adopter une disposition qui serait de nature à empêcher un distillateur de profiter des progrès que l'art peut faire dans le pays et à l'étranger.

Le troisième amendement présenté par M. Dautrebande a donc été rejeté.


M. de Perceval. - Je ne comptais pas prendre la parole dans ce débat. Ce qui me fait sortir de la réserve dans laquelle je me suis tenu jusqu'à ce jour, c'est, je dois le dire, le discours, prononcé dans la séance d'hier, par l'honorable M. Lebeau.

Je me proposais d'émettre silencieusement mon vote ; mais quand j'entends d'honorables préopinants soutenir dans leurs discours des idées qui blessent mes principes, quand je les vois assaisonner leurs manifestes de quelques insinuations peu agréables pour un grand nombre de leurs collègues, je croirais manquer à un sentiment de dignité personnelle que chacun comprendra, si je ne me levais pour combattre ces idées et pour détruire ces insinuations.

Le discours de l'honorable M. Lebeau se divise en deux parties bien distinctes : dans la première partie, il commente les paroles et la conduite de plusieurs de ses collègues ; dans la seconde, il donne une approbation sans réserve au projet de loi qui nous est soumis, il en analyse les dispositions qu'il approuve et qu'il votera avec empressement, comme il nous l'a déclaré dans la séance d'hier.

Je vais m'occuper d'abord de la première partie de ce discours. Je veux une fois pour toutes faire justice de ces collègues qui, semblables à des pédagogues, toujours la férule à la main, jugent convenable de faire la leçon dans cette enceinte.

Je demanderai d'abord à l'honorable député de Huy quels sont ses titres pour administrer des corrections du genre de celles auxquelles il nous a habitués depuis trois ans ? Il représente comme moi, je pense, un arrondissement, rien de plus, rien de moins. En établissant un parallèle entre l'arrondissement de Huy et celui de Malines, je crois que, sous le point de vue de l'intelligence et du patriotisme, mon arrondissement vaut le sien.

De quel droit donc veut-il morigéner sans cesse ses collègues ? Comme lui, ils ont la même force morale, les mêmes droits, les mêmes prérogatives.

Aux appels nominaux, chacun d'entre nous n'a qu'un seul vote, un vote affirmatif ou négatif à émettre.

Comme député, dans l'exercice de mes fonctions législatives, je suis l'égal du représentant de Huy. L'honorable député de Huy est, comme moi, dans cette assemblée, la cent-huitième fraction de la souveraineté nationale, rien de plus.

- Plusieurs membres. - Et le sénat ?

M. de Perceval. - Ajoutez les 54 membres du sénat et faites l'addition.

- Plusieurs membres. - Et le Roi ?

M. de Perceval. - Un moment, j'allais le dire. Ajoutez le Roi. Toujours est-il que l'honorable M. Lebeau n'est comme moi qu'une fraction du pouvoir législatif.

Je veux bien m'incliner devant l'expérience de l'honorable député de Huy, quand il s'agit de l'application et de l'interprétation de notre règlement.

Il a, sous ce point de vue, beaucoup d'expérience, et je la reconnais volontiers, car depuis vingt ans, il siège dans cette enceinte ; pour tout ce qui concerne notre discipline intérieure, pour tout ce qui touche notre ménage intérieur, s'il m'est permis de me servir de cette expression, encore une fois, je ne me refuse pas de me laisser guider par lui.

Jusqu'ici, j'avais ri de cette espèce de faiblesse qu'a l'honorable député de Huy de faire la leçon à ses collègues. Je me disais tout bas : Chacun a la sienne, j'en ai évidemment aussi. Mais quand l'honorable membre veut, comme il l'a fait hier, appliquer un pensum et nous méconnaître dans l'exercice de nos droits, oh ! alors il trouvera toujours en moi un élève excessivement rebelle.

J'ai cru devoir prendre la parole pour le lui déclarer franchement et sans détour aucun.

L'honorable M. Lebeau est allé en matière de prétentions excessivement loin. Il a sommé plusieurs de nos collègues de lui dire ce qu'ils faisaient tel jour, pourquoi ils n'étaient pas présents à la séance tel autre jour quand on discutait ou que l'on votait tel ou tel projet de loi.

Cela me paraît ressembler un peu à un rôle de grand inquisiteur de l'assemblée. Cela est inacceptable. Je ne donne à personne le droit de me faire ces sommations.

Messieurs, l'honorable M. Lebeau, qui avait déclaré dans la discussion de la loi sur le budget de la guerre, que l'honorable minisire des finances n'avait pas le génie de l'impôt, a bien voulu déclarer, dans la séance d'hier, qu'à dater de ce jour l'honorable M. Frère-Orban avait le génie de l'impôt. Je n'en félicite pas l'honorable ministre des finances.

Appélius, un ministre du temps du roi Guillaume, avait aussi le génie de l'impôt, et nous pouvons encore constater dans nos villes et dans nos communes rurales de quelle popularité ce nom jouit.

Le pays préfère que l'on ne possède pas un grand génie en matière d'impôt. Il proclamera grand citoyen celui qui pourra, non point supprimer les impôts, mais les simplifier et les réduire notablement.

Maintenant, puisque l'honorable M. Lebeau a jugé convenable de déclarer dans la discussion que nous avons eue lors du budget de la guerre et dans celle qui nous occupe actuellement, qu'il convient de dire quelquefois la vérité à ses amis politiques, qu'il me permette de lui dire aussi une vérité, à lui, qui est plutôt un adversaire qu'un ami politique pour moi.

Quand il donne l'appui de sa parole à un projet de loi présenté par le gouvernement, je constate presque toujours que sa parole a pour effet de jeter de l'irritation au sein de la majorité. Les discours qu'il prononce ont ordinairement pour conséquence de désunir ce qui était uni. (Interruption.) C'est de l'histoire, M. le ministre de l'intérieur ; ne vous récriez pas.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je ne me récrie pas, je ne dis rien. Je trouve seulement que c'est un peu long. (Interruption.)

M. de Perceval. - Je conçois que ces réflexions ne soient pas très agréables pour tout le monde. Elles sont justes, néanmoins.

L'honorable président m'a donné la parole ; j'use de mon droit en les émettant.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je ne vous le retire pas.

M. de Perceval. - L'honorable membre a dit, dans la séance d'hier, en parlant des économistes MM. Villermé et Blanqui : « Ce sont, il est vrai, des économistes qui ont constaté ces faits et qui les caractérisent ainsi, de ces économistes que l'ignorance présomptueuse accuse quelquefois d'être des égoïstes et des rhéteurs. »

Je dois d'abord m'extasier sur cette grande et belle phrase. Prononcée dans une Académie royale de belles-lettres, elle y produirait l'enthousiasme des littérateurs. Mais analysons-la, voyons les idées qu'elle renferme, et bientôt nous serons en droit de la comparer à ces ballons gonflés d'air qu'une piqûre d'épingle fait crever.

Examinons-la donc. Je la prends d'abord pour une insinuation à mon adresse. Et ici, que M. Lebeau me permette de le lui dire, il aurait dû avoir le courage de me désigner nominativement.

Il avancé que ceux qui attaquaient les économistes sont des rêveurs politiques, héritiers des vieilles friperies communistes, ayant pour panacée les ateliers de travail et d'autres extravagances socialistes.

Ce sont de grands mots qui doivent une bonne fois disparaître de nos discussions ; faisons-en donc une dernière et prompte justice.

Depuis que je suis entré dans cette chambre, jeme suis occupé de l'amélioration du sort des classes ouvrières. Cet engagement a été pris aussi par nos associations libérales, par le cabinet du 12 août 1847 qui l'insérait dans son programme, par le congrès libéral de 1846. Nous occuper de l'amélioration du sort des classes laborieuses, c'est notre devoir.

Je reste d'autant plus fidèle à la tâche que je me suis imposée, je m'en occupe avec d'autant plus de satisfaction que notre population ouvrière est, dans ntire pays, attachée à l'ordre et dévouée à ncs institutions. Et de quelle autorité l'honorable M. Lebeau viendra-t-il dénier à un de ses collègues le droit de s'occuper de ces questions ? C'est là, en vérité, une prétention des plus singulières !

Est-ce que l'honorable membre voudrait traiter exclusivement ces questions ? Je me garderais bien de lui en laisser le monopole, car je risquerais fort de voir nos classes laborieuses rester dans l'état précaire où elles se trouvent.

Chacun a sa sphère, chacun a un cercle d'idées qui lui est propre et que de préférence il aime à parcourir dans cette chambre. L'honorable M. Lebeau, avec la petite église dont il est le chef, je lui rends cette justice, a une préférence marquée pour ce que l'on est convenu d'appeler les questions cléricales. Je les lui abandonne volontiers ; mais qu'il souffre que d'autres s'occupent de questions plus graves, de celles entre autres qui peuvent apporter une somme de bien-être matériel à un grand nombre de nos concitoyens.

Parce que l'honorable M. Lebeau parle volontiers de l'indépendance du pouvoir civil et des prétentions de l'épiscopat, l'ai-je traité d'athée ? J'ai respecté les idées qu'il a émises à ce sujet dans nos discussions (page 1775) parlementaires. Pourquoi, quand je m'occupe des classes laborieuses, vient-il me taxer de communiste ?

Vous combattez, dites-vous, de vieilles friperies, ayant pour panacée des ateliers de travail et autres extravagances socialistes. Et pourquoi ? Parce que je ne m'incline pas devant les économistes.

Puis-je admirer vos théories, quand je vous ai entendu, lors de la discussion de la loi sur les sociétés de secours mutuels, émettre des idées qui me répugnent comme chrétien et que je repousse comme libéral ? Comment voulez-vous que je m'incline devant votre école... ?

M. le président. - Adressez-vous à la chambre et non pas à un membre ; cela pourrait entraîner des colloques. C'est à la chambre ou au président que les orateurs doivent parler.

M. de Perceval. - Comment l'honorable membre veut-il que je m'incline devant ses théories, alors que, dans la séance du 14 février dernier, il disait :

« Quant à moi, je ne fais presque jamais l'aumône dans la rue, sans que cela blesse un peu ma conscience d'économiste. »

Quand un malheureux me tend la main, je ne consulte pas ma conscience d'économiste ; j'écoute mon cœur, je donne l'aumône pour soulager la misère ou l'infortune.

M. Rodenbach. - Et vous faites bien.

M. de Perceval. - Savez-vous, messieurs, pourquoi je combats les économistes ? Parce que, partisans fanatiques de la liberté, ils ne veulent qu'elle seule ; je la veux aussi, mais avec la solidarité. Je serai d'accord avec vous, le jour que vous inscrirez sur votre drapeau la solidarité à côté de la liberté. Unissez les principes de liberté aux principes de solidarité, et je vous donne la main.

L'honorable M. Lebeau nous a dit hier, et il est utile aussi que le pays le sache, que le gouvernement à bon marché était un rêve.

Dans la discussion de la loi sur les successions en ligne directe, il nous a déclaré en outre, que lorsqu'en 1830 le gouvernement provisoire abolissait le serment, c'était uniquement pour éblouir la foule, pour amuser le peuple, que sais-je ? qu'on ne décrétait le retrait de cette formalité odieuse que pour parvenir à un résultat déterminé, que c'était uniquement pour avoir la foule avec soi et afin de faire triompher le but que l'on voulait atteindre.

Je ne saurais partager toutes ces étranges idées qui ont été émises depuis quelque temps dans cette enceinte par l'honorable député de Huy.

L'abolition du serment a été une chose morale et le gouvernement à bon marché n'est pas un rêve pour moi.

Mais, messieurs, rappelez-vous que les élections générales de 1848 se sont faites au cri : « Gouvernement à bon marché ; révision des impôts ; réduction dans les dépenses publiques. »

J'ai été envoyé à la chambre par mes commettants pour demander dans les administrations toutes les économies possibles, réalisables sans compromettre nos services publics. Et je n'aurai pas le triste courage de proclamer en pleine assemblée que le gouvernement à bon marché n'est pas possible. J'ignore jusqu'à quel point l'arrondissement de Huy applaudira aux paroles prononcées par son honorable représentant.

Ah ! messieurs, quand il s'agira d'améliorer, à l'aide de mesures réelles, positives, la situation des classes laborieuses, ce n'est pas seulement sur les bancs où siège l'honorable M. Lebeau que je me rendrai ; je tendrai aussi la main à quelques-uns de mes adversaires politiques, qui m'ont déjà donné quelques gages de leur sollicitude pour nos populations ouvrières.

Lorsqu'il y a deux ans j'ai demandé l'amnistie en faveur de nos détenus politiques, où ai-je trouvé de l'écho ? Ce n'est pas sur les bancs où siège l'honorable M. Lebeau ; c'est l'honorable M. Dedecker qui s'est joint à moi pour la réclamer. Quand j'ai demandé, avec mon honorable collègue, M. Lelièvre, des réformes dans la législation sur la détention préventive, ce n'est pas l'honorable M. Lebeau qui a joint ses instances aux miennes.

N'oublions pas que c'est encore à l'initiative d'un de nos adversaires politiques que nous devrons l'occasion qui se présentera bientôt de discuter l'abolition des droits d'octroi qui frappent à l'entrée des villes les denrées alimentaires.

Messieurs, cette première partie de mon discours terminée, je reviens à la loi sur les distilleries. Je professe, au sujet de ce projet de loi, l'opinion qui a été, je dois le dire, très bien soutenue en 1842 par notre honorable président, M. Verhaegen.

Vous savez, messieurs, qu'à cette époque, il s'agissait de porter le droit de fabrication sur les eaux-de-vie indigènes de 60 centimes à un franc.

Aujourd'hui ce n'est plus un franc qu'on demande, c'est un franc 50 c.

Je ne puis mieux combattre les dispositions qui nous sont présentées par le gouvernement qu'en me servant des arguments que faisait valoir notre président en 1842, quand il s'agissait de porter le droit à 1 franc.

Ils sont applicables en tout point aux circonstances dans lesquelles nous nous trouvons aujourd'hui.

L'honorable M. Verhaegen disait à la chambre dans la séance du 30 avril 1842 :

« On veut augmenter les ressources du trésor ; on veut extirper l'ivrognerie, l'immoralité. Messieurs, en adoptant le projet de loi que nous discutons, vous n'augmenterez pas les ressources du trésor, vous n'extirperez pas l'ivrognerie. Que ferez-vous donc ? Vous encouragerez, la fraude, vous sacrifierez les distilleries du pays aux distilleries de l'étranger…

« L'honorable M. Ddehayc vous a dit une grande vérité, en vous faisant remarquer qu'alors que vous voulez augmenter le droit de l'intérieur, vous devriez, par corrélation, augmenter les droits d'entrée des spiritueux étrangers. Et, en effet, comment est-il possible de soutenir la concurrence, alors que vous augmentez le droit, d'abord de 40 c. à 60 c, puis de 60 c. à 1 fr., ou même seulement à 80 c., et que les droits d'entrée sur les spiritueux étrangers restent les mêmes ?...

« Je crois qu'en maintenant le droit à 60 c., on fera chose fort utile au trésor, et en même temps aux industries que nous devons protéger, et je prends dans cette circonstance la parole avec d'autant plus de plaisir, que c'est toujours la même opinion que je professe, à savoir qu'il faut accordera nos industriels une sage protection.

« Je répète, messieurs, qu'en maintenant le droit à 60 centimes, on fera chose utile et au trésor et à nos industries ; en majorant tout d'un coup ce droit à un franc, vous tuerez nos industries, et vous ne ferez rien pour le trésor ; en le portant à 80 centimes, vous donnerez lieu à des inconvénients moindres peut-être, mais vous compromettrez le sort de nos distilleries et surtout de nos distilleries agricoles, en même temps que vous favoriserez la fraude...

« Je ne voterai jamais une loi qui, dans mon opinion, doit amener la ruine de nos distilleries. »

Eh bien, messieurs, ces arguments si péremptoires, si sérieux, frappés au coin d'une bonne et saine logique, je les reproduis pour combattre les dispositions présentées par l'honorable ministre des finances.

Dans le cours de cette discussion, un honorable préopinant nous a dit qu'il avait étudié l'enquête qu'un illustre savant, M. Blanqui, a faite en France sur la situation des classes laborieuses.

S'il m'était permis de faire une remarque, je dirais qu'il me semble qu'il convient d'étudier aussi un peu l'enquête faite par le gouvernement belge sur la situation de nos classes laborieuses.

Cette enquête a constaté que l'ouvrier, en Belgique, ne consomme pas le genièvre du matin au soir. Ouvrez le rapport fait au gouvernement par le conseil central de salubrité publique à Bruxelles, et vous y trouverez ce qui suit :

« Ce que nous disons des aliments solides s'applique aussi aux boissons ; nul doute que l'ouvrier ne se trouvât beaucoup mieux, s'il pouvait substituer à sa boisson la plus habituelle, le petit café, un verre de bonne bière. Le genièvre même, s'il était pris avec modération et en petite quantité, ne pourrait imprimer à l'économie qu'une excitation salutaire, et donner un peu plus de ton aux organes. » Je laisse parler la chambre de commerce de Liège. « Le café est devenu la boisson indispensable. La bière n'entre presque jamais dans la dépense intérieure du ménage de l'ouvrier, qui la consomme au cabaret. Il serait philanthropique de lui rendre cette boisson d'un usage moins coûteux, en tempérant les rigueurs de l'accise et de l'octroi. »

Chambre de commerce de Termonde :

« Le régime alimentaire de la majeure partie des familles ouvrières doit nécessairement contribuer à la lenteur de la croissance et du développement physique des enfants ; car l'ouvrier vit de pain, de pommes de terre et de lard ; sa boisson habituelle est du café fort léger. »

Chambre de commerce de Charleroy :

« Les ouvriers, en général, se nourrissent de pain de froment, de café au lait et de pommes de terre. Le dimanche ils mangent de la viande ou prennent du bouillon... »

Chambre de commerce de Mons. « La classe ouvrière de notre ressort se nourrit habituellement de pain de méteil, de pommes de terre, d'un peu de lard, de café et de bière. »

La commission médicale de la province de Brabant déclare que « les ouvriers sont généralement mal nourris ; une légère infusion de café est leur boisson favorite. Ils sont presque constamment privés de substances nutritives animales. »

Si le gouvernement veut m'accorder quelque réduction sur le droit d'accise qui frappe les bières, je suis prêt à voter le droit de 1 fr. 50. Si vous élevez le prix du genièvre, rendez au moins la bière accessible à la bourse de l'ouvrier ; car il lui faut l'un ou l'autre pour reprendre les forces qu'il dépense lorsqu'il travaille depuis le matin jusqu'au soir.

L'ouvrier qui vit sous les latitudes septentrionales a besoin d'une alimentation forte. Ecoutez ce que dit à ce sujet le conseil de salubrité publique de Bruxelles :

« Il est un fait incontestable et d'accord avec les principes de la saine physiologie, c'est que, tandis que l'homme vivant dans les contrées méridionales peut se contenter et se trouve même mieux d'user d'une nourriture presque exclusivement végétale, celui qui vit sous les latitudes septentrionales éprouve le besoin d'une alimentation plus excitante, plus fortifiante, » d'une alimentation, en un mot, dans laquelle les substances animales réclament une large part.

« Si une semblable alimentation convient et est nécessaire à tous ceux qui vivent sous un climat froid et humide, à plus forte raison faut-il la considérer comme indispensable pour celui qui, travaillant du matin au soir, fait une dépense considérable de forces, etc. »

Ainsi donc, messieurs, il est acquis au débat que lorsque l'on dit qu'il faut arrêter les excès de la consommation du genièvre dans la classe ouvrière, c'est évidemment tomber dans une exagération.

Le genièvre ne constitue pas la boisson habituelle de l'ouvrier ; ce qu'il boit, c'est du café au lait ; toutes les chambres de commerce l'attestent, et l'opinion de ces corps compétents, jointe à celle des comités (page s 1776) locaux et des conseils de salubrité publique, ont, pour moi, plus de poids que l'honorable membre auquel je réponds.

Voici encore un passage du rapport de la société de médecine de Gand. Il vient encore à l'appui de ce que j'avance.

« Enfin une infusion ou décoction de cafe et de chicorée de qualité inférieure est le nectar qu'ils savourent avec le plus de délices, et qui leur fait oublier, du moins pour le moment, les privations et les peines de leur précaire existence. Voilà ce qui constitue, à quelques légères modifications près, la nourriture la plus habituelle du plus grand nombre d'ouvriers. »

Messieurs, je demanderai pourquoi l'on impose le genièvre dont l'ouvrier a besoin pour stimuler et reprendre ses forces, pourquoi n'impose-t-on pas les vins et les liqueurs venant de l'étranger ? La convention avec la France est sur le point d'expirer vous êtes maîtres de la situation. Vous pouvez donc réclamer et prélever un droit plus élevé sur ces boissons.

Du reste, quoi que vous fassiez, ce n'est pas en diminuant la consommation du genièvre que vous moraliserez le peuple.

L'honorable M. Delehaye vous l'a dit dans la séance d'hier, si vous voulez moraliser le peuple, donnez-lui l'instruction. Je vous citerai un document important à l'appui de cette vérité émise par l'honorable député de Gand, que, pour moraliser le peuple, il importe, il est indispensable de l'instruire.

Dans un rapport de M. Ch. Faider, avocat général, je trouve ces chiffres qui ont leur éloquence :

« En 1842, 53 grands crimes ; ces crimes ont motivé des poursuites contre 62 accusés, dont 58 ne savaient ni lire ni écrire, ou ne savaient lire et écrire qu'imparfaitement.

« En 1843, on signale 39 crimes de même nature. Il y avait 42 accusés, dont 36, id. id. »

La première cause de la criminalité des excès de la classe ouvrière, est donc l'ignorance ; c'est l'ignorance qu'il faut proscrire, c'est l'instruction qu'il faut donner au peuple si vous voulez le moraliser.

Messieurs, l'honorable ministre des finances, dans une de nos dernières discussions, a divisé cette chambre en deux partis bien distincts ; l'un représentant le principe d'autorité, l'autre représentant le principe du libre examen.

Je me range dans cette dernière catégorie. Et c'est parce que je suis partisan du libre examen, et que j'aime toujours à conserver mon libre arbitre en toutes choses que je repousse la loi proposée ; je la repousse au nom de l'agriculture, dont elle compromet les intérêts ; je la repousse au nom du commerce, parce qu'elle diminuera nos exportations ; je la repousse au nom de l'industrie parce que beaucoup de nos concitoyens vivent de cette branche spéciale de fabrication ; je la repousse enfin parce que je suis partisan de ce principe proclamé par le ministre des finances lui-même, que tout impôt de consommation est une réduction de salaire.

M. Lebeau. - La chambre comprendra que, malgré mon vif désir de ne pas interrompre une discussion importante, par des faits personnels, il m'est impossible de ne pas adresser quelques observations en réponse à ce qui vient d'être dit par l'honorable préopinant. Je serai très calme, car je suis très peu ému de l'attaque ; je serai aussi bref que possible, car je comprends que la chambre a hâte de voir terminer de pareils débats.

Ma surprise a été égale à celle qu'a dû éprouver la chambre, envoyant l'inconcevable attaque, la violente diatribe dont j'ai été l'objet de la part du préopinant.

Non seulement, je ne l'avais ni attaqué, ni nommé, ni même désigné, dans mon discours ; mais je n'avais pas même pensé à lui, je le déclare. Et il faut que l'honorable préopinant soit doué d'une assez bonne dose d'orgueil pour s'imaginer qu'il soit impossible de parler d'un ennemi des économistes sans que ce soit précisément de lui qu'il soit question. Véritablement, cette préoccupation personnelle a quelque chose qui touche à l'hallucination. (Interruption.)

M. le président. - La réponse est de droit. J'ai prévenu que le langage qui a été tenu nécessiterait une réponse. La parole est continuée à M. Lebeau.

M. Lebeau. - Si dans le tableau que j'ai fait de certains ennemis desécoi omistes et que j'ai dessinés à grands traits, sans avoir l'intention de faire de portraits, il vous a plu de vous voir ; si ce tableau a été pour vous un miroir où vous vous êtes reconnu, libre à vous ; ce n'est pas mon affaire, c'est la vôtre.

Tout ce que je puis dire et répéter, c'est que je n'ai pas plus pensé à vous qu'à l'homme qui me serait le plus inconnu du monde entier.

Si j'avais la faiblesse de céder à la manie de faire ici des sermons, de faire ici le pédagogue, d'abuser du droit que me donnerait le triste privilège de l'âge et d'une assez longue expérience, je serais bien guéri de cette manie ; j'en serais guéri de la même manière que les enfants des Spartiates étaient guéris de l'envie de s'enivrer.

L'honorable préopinant, qui n'aime pas à recevoir des leçons, qu'on ne pensait pas, du reste, à lui donner, en a largement donné, non pas à un seul homme, mais à tout le monde, à toute la chambre à peu près. Il a parlé des bancs sur lesquels je siège. Quels sont ces bancs ? Ce sont les bancs de la gauche, si je ne me trompe, les bancs de l'opinion libérale ; et, pour qu'on ne s'y trompe point, l'honorable préopinant a eu bien soin d'excepter, chaque fois, de ses accusations réitérées les bancs de la droite.

De sorte qu'il ne s'adresse pas seulement à moi chétif ; il s'adresse à toute la majorité de la chambre. La majorité est incapable de comprendre les grandes pensées de l'honorable préopinant ; incapable de s'associer à ses idées réformatrices sur les classes ouvrières ; il ne trouve l'intelligence nécessaire pour comprendre ses idées que sur les bancs de la droite.

La leçon ne s'adresse donc pas à moi seul, je le répète, mais à la majorité tout entière, et cela a lieu de la part d'un homme qui a en horreur tout ce qui ressemble à une leçon !

Nous sommes des pourfendeurs du clérical, c'est là le fond de la politique qui siège ailleurs que sur les bancs auxquels le préopinant fait aujourd'hui de si chaleureux appels.

Je me permettrai de donner à l'honorable préopinant une petite leçon, une simple leçon de mémoire...

M. de Perceval. -La dernière.

M. Lebeau. - La dernière si cela me convient : vous voudrez bien accepter cette déclaration. J'use de mon droit en vous donnant cette leçon, disposé, si j'excédais les bornes d'une légitime défense, à accepter toutes les conséquences de mes paroles. C'est ce que je vous déclare encore très catégoriquement.

Il me souvient d'avoir vu, dès le début des travaux de la chambre actuelle, un député monter à la tribune et se livrer contre le ministère à une attaque très violente à cause de son modérantisme à l'égard de ce qu'il appelait l'opinion cléricale.

L'honorable préopinant avait tellement horreur alors de tout ce qui ressemblait à l'influence cléricale, que par zèle anticlérical sans doute, il me faisait l'honneur de venir me voir chez moi, pour m'engager à intervenir auprès de M. le ministre de l'intérieur, afin qu'il lui donnât un siège administratif qui avait, à ses yeux, le malheur effroyable d'être occupé par un clérical.

Si je suis devenu l'ennemi personnel de l'honorable préopinant, comme il le dit, je ne sais à quoi l'attribuer, car je l'ai très bien accueilli et je ne lui ai pas même refusé mou appui. M. le ministre de l'intérieur peut le dire. Est-ce parce que le succès n'a pas suivi que nous sommes devenus ennemis ? Voilà pourtant mes seuls rapports avec le préopinant avant son entrée dans cette chambre.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Il est également venu nous dénoncer l'influence de ceux qu'il nommait alors des cléricaux.

M. Lebeau. - Voilà, je le répète, tous mes rapports avec l'honorabla préopinant.

Je demande pourquoi je serais devenu son ennemi personnel, son ennemi politique. Je pourrais plutôt lui demander pourquoi il est devenu le mien.

Je me suis posé en contradicteur de l'honorable préopinant, en ce qui concerne l'amélioration des classes ouvrières. Mais lorsque l'honorable préopinant a exposé ses vues sur les moyens d'améliorer la condition morale et matérielle des classes ouvrières, j'ai trouvé ses doctrines fausses et dangereuses.

C’était mon droit de les trouver telles, et de les qualifier ainsi. Je lui ai dit à peu près ceci : Vous émettez des doctrines vaines et dangereuses (et j'ajoutais contre votre intention), lorsque vous venez parler ici de l'exploitation de l'homme par l'homme, et de la possibilité de régler les salaires, de leur insuffisance actuelle, de la dureté des maîtres, vous exposez les populations ouvrières, égarées par de pareilles doctrines, à s'insurger contre les chefs de fabriques, contre les maîtres, contre ceux avec lesquels il est si désirable qu'elles marchent d'accord.

Voilà ce que j'ai dit, C'était mon droit de parler ainsi ; c'était plus que mon droit, c'était mon devoir, le cri de ma conviction.

On est venu dire (travestissant mes paroles dans la discussion de la question du serment, paroles insérées dans les Annales parlementaires et auxquelles je renvoie), que j'avais prétendu qu'on avait voulu en 1830 induire les populations en erreur, les tromper, les cajoler, en abolissant le serment en matière de succession. Jamais rien de pareil n'est entré dans ma pensée, n'est sorti de ma bouche. J'eusse attaqué ainsi le caractère et les intentions de plusieurs de mes amis politiques.

J'ai dit hier que les gouvernements démocratiques ne sont pas nécessairement des gouvernements à bon marché, que c'était là un rêve. Ce que j'ai dit est l'évidence même.

En voulez-vous la preuve ? Je vais vous la donner ; irrécusable, car ce sera par des chiffres.

Je prends mon exemple dans un pays voisin et dans des faits contemporains.

A mesure que dans un pays voisin (celui que nous pouvons étudier le mieux), l'élément démocratique a pénétré dans les inslilutions, vous avez vu les dépenses de l'Etat s'accroître.

Ainsi, sous l'empire français, avec ses 140 départements, sans rouages politiques, sans chambres, sans routes, sans améliorations bien nombreuses pour la classe ouvrière, vous voyez un budget de 700 millions.

Arrive la restauration, avec un territoire bien autrement limité, mais avec l'élément démocratique (introduit à faible dose, j'en conviens, car on s'en défiait encore beaucoup alors), la chambre des députés, les conseils généraux de département, et le budget monte à un milliard, et cela à côté de l'accroissement incontesté et permanent de la fortune publique.

Arrive le gouvernement de Louis-Philippe, où l'élément démocratique obtient une plus grande part dans la constitution du pays. Le (page 1777) budget du gouvernement de Louis-Philippe s’élève graduellement jusqu’à 1,500 millions de francs.

Arrive eniin la République de 1848 ; et à l'aide d'innombrables mesures, dont quelques-unes sont heureuses, dont quelques-unes méritent d'être imitées et ont été imitées ailleurs, relativement surtout à l'amélioration des classes les plus nombreuses de la société française, le budget de la République touche à la somme énorme de 1,800 milllions de francs.

Ai-je eu tort de dire que par sa nature, par son principe et surtout, messieurs, par le besoin de demander à l'impôt, à qui seul on peut les demander, les moyens d'introduire les améliorations morales et matérielles réclamées partout pour les classes laborieuses, ai-je eu tort de dire que le gouvernement démocratique était nécessairement un gouvernement à moins bon marché que le gouvernement despotique ? On gouverne certainement en Russie à meilleur marché qu'en Angleterre, qu'en France, qu'en Belgique. L'honorable membre ne voudrait pas sans doute de ce gouvernement-là, à si bon marché qu'il fût.

Ma proposition reste donc incontestable, et c'est encore bien à tort que l'honorable préopinant s'est élevé contre cette partie de mes paroles.

Je demande pardon à la chambre de l'avoir occupée aussi longtemps d'une question personnelle. Mais elle aura remarqué que c'est la première fois, et le fait est sans exemple, qu'on a vu tout un discours dirigé contre un député, et contre un député qui n'avait rien fait pour provoquer cette longue et violente agression.

M. le président. - La parole est à M. de Percerai pour un fait personnel.

M. de Perceval. - Je ne crois pas devoir répondre à de si pitoyables attaques.

Mais quant à vos paroles, M. le ministre, je les regrette vivement.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Les miennes ? Expliquez-vous. Je m'expliquerai aussi.

M. le président. - On ne peut forcer une personne à s'expliquer, si elle ne le veut pas.

La parole a été accordée à M. de Perceval pour un fait personnel; il ne juge pas à propos d'en user. L'incident est clos.

La parole est à M. Mascart.

M. Mascart. - J'y renonce.

M. le président. - La parole est à M. Mercier.

- Plusieurs membres. - A demain à midi !

M. Rodenbach. - Je pense aussi qu'on doit se réunir plus tôt. Depuis quelques jours nos séances s'ouvrent à 2 h. 1/2 ou à 3 h. 1/2; nos travaux n'avancent pas. Je demande que la séance de demain soit fixée à midi.

M. le président. - Si l'on s'est réuni à 2 et à 3 heures, c'est qu'il y avait des travaux en section centrale qui demandaient que l'on ne se réunît qu'à 2 et à 3 heures. Ces motifs n'existent plus, et la chambre pourra fixer la séance de demain à l'heure qu'elle jugera convenable.

M. de Theux. - Je demande que la séance soit fixée à midi. Il y a plusieurs amendements à examiner ; il importe que nous avancions dans cette discussion. Si la chambre a ensuite un ou deux jours de liberté pour examiner le rapport sur le projet de loi relatif aux travaux publics, ce ne sera rien de trop.

- La chambre décide qu'elle se réunira demain à midi.

M. le président. - Un amendement, déposé par M. Lelièvre, sera imprimé et distribué.

Il est ainsi conçu :

« Toute omission d'inscription sur le registre au moment voulu, toute inscription inexacte, effacée ou altérée, entraînent une amende de 100 à 2,000 francs.

« (Le surplus du paragraphe 2 constituerait le paragraphe 3.) »

Projet de loi rectifiant la limite séparative entre les communes d'Ixelles et de Saint-Gilles (Brabant)

Dépôt

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - J'ai l'honneur de déposer un projet de loi ayant pour objet la rectification de la limite séparative entre les communes d'ixellcs et de Saint-Gilles (Brabant).

- Il est donné acte à M. le ministre de la présentation de ce projet de loi. La chambre en ordonne l'impression et la distribution et le renvoie à l'examen d'une commission qui sera nommée par le bureau.

- La séance est levée à 4 heures trois quarts.