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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mardi 9 mars 1852

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1851-1852)

(Présidence de M. Verhaegen.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 785) M. Vermeire fait l'appel nominal à 2 heures et un quart.

- La séance est ouverte.

M. T'Kint de Naeyer lit le procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Vanden Branden de Reeth, retenu chez lui pour affaires de famille, demande un congé.

- Ce congé est accordé.

Rapport sur une pétition

M. Mascart. - Messieurs, dans la séance du 1er mars, la chambre a renvoyé à la commission des pétitions, avec demande d'un prompt rapport, une réclamation de la ville de Wavre, relative au tracé en cours d'exécution du chemin de fer concédé de Bruxelles à Namur. On demande que le tracé ait lieu par Wavre, en suivant les indications de la convention du 22 janvier 1846 pour le chemin de fer de Louvain à la Sambre, et dans celle du 18 juin de la même année pour le chemin de fer du Luxembourg.

Pour pouvoir apprécier la justice de la réclamation qui nous est adressée, il est nécessaire d'examiner ces deux actes ainsi que la concession nouvelle accordée par arrêté royal du 29 janvier 1852, insérée au Moniteur du 22 décembre dernier.

Par la loi de concession du 21 mars 1846, le chemin de fer de Louvain à la Sambre devait atteindre Wavre, puis s'élever à l'ouest de la chaussée de Bruxelles à Namur, sur le versant de la vallée de la Dyle et laisser à la droite les communes de Blanmont, Chastre et Ernage. De Gembloux, le chemin de fer se dirigeait sur Namur.

Je prie la chambre de prendre note des indications précises de ce tracé, entre Wavre et Gembloux.

L'arrêté royal de concession du chemin de fer du Luxembourg porte la date du 18 juin 1846. On lit dans la convention y annexée :

« Le chemin de fer du Luxembourg partira de Bruxelles. D'une station située au Quartier Léopold, il se dirigera vers le chemin de fer de Louvain à la Sambre qu'il atteindra à Wavre et avec lequel il pourra en outre être relié au moyen d'un raccordement aboutissant à l'une dss stations intermédiaires de Wavre à Gembloux. Depuis le point de jonction des deux lignes jusqu'à Namur, les convois du chemin de fer du Luxembourg feront usage du chemin de fer de Louvain à la Sambre qui, sur cette partie de son développement, sera déclaré communaux deux lignes, en exécution de la loi du 21 mai 1845. »

Ainsi, et les termes sont formels, le chemin de fer doit aller à Wavre par sa ligne principale : la convention lui en impose l'obligation positive.

Voyons maintenant si la convention du 13 janvier 1852, annexée à l'arrêté royal du 29, a modifié en quoi que ce soit les stipulations de 1846, relativement au tracé.

L'article premier dit : « La compagnie du Luxembourg s'engage, sous les conditions ci-après, à exécuter à ses frais, etc.

« 1° La ligne de Bruxelles à Namur, y compris les sections de Wavre à Gembloux et de Gembloux à Namur qui précédemment faisaient partie de la concession octroyée à la société dite : du chemin de fer de Louvain à la Sambre, laquelle société a été déchue de tous ses droits à cet égard.

« 2° La ligne de Namur à Arlon, etc.

Et l'article 3 : « Le cahier des charges annexé à l'arrêté royal de concession en date du 18 juin 4846 et inséré au Moniteur belge du 19 du même mois, sera appliqué, dans toutes ses parties, à la concession des deux lignes sus-indiquées sauf, bien entendu, en ce qui concerne les modifications résultant de la présente convention. »

Or, comme les modifications apportées ne sont nullement relatives au tracé, il est évident que la compagnie concessionnaire doit exécuter la ligne de Bruxelles à Wavre et la ligne de Wavre à Gembloux. Pour cette dernière ligne, le tracé est indiqué à l'ouest de la chaussée de Wavre à Gembloux par le versant droit de la vallée de la Dyle et en laissant à droite les communes de Blanmont, Chastre et Ernage. Elle doit exécuter ce tracé puisqu'elle a été simplement mise en lieu et place de la compagnie déchue.

Et comme le chemin de fer de Bruxelles à Wavre ne peut atteindre cette dernièrre ville que par le versant opposé, la compagnie concessionnaire doit nécessairemenl exécuter deux lignes aboutissant à Wavre, sauf à exécuter après une ligne de raccordement.

C'est ainsi que l'entendait l'honorable ministre des travaux publics lors de la discussion de la loi. Dans la séance du 20 août 1851, répondant à l'horable M. Tremouroux, il disait : « Aux termes du cahier des charges de la concession de Louvain à la Sambre, le chemin de fer de Louvain à la Sambre passait à la gauche de Wavre et le chemin de fer du Luxembourg devait aller rejoindre le chemin de fer de Louvain à la Sambre, à Wavre. Mais, pour conserver le tracé le plus direct, le chemin de fer du Luxembourg avait été autorisé à se raccorder à un point entre Wavre et Gembloux. Ces obligations restent entières, il n'y a rien d'innové ; la convention nouvelle ne déroge à la convention ancienne que sur les points formellement réservés.

Ainsi, le ministre le dit, il n'est rien innové, la compagnie doit exécuter la ligne de Bruxelles à Wavre et la ligne de Wavre à Gembloux en laissant Wavre à droite, sauf à exécuter après la ligne de raccordement, car on ne comprendrait pas que le principal fût exécuté après l'accessoire.

Sans doute il ne faut pas susciter des embarras gratuits aux compagnies qui viennent offrir leurs capitaux pour l'exécution de travaux publics, mais lorsqu'il y a des engagements formels, pris avec connaissance de cause, il importe que ces engagements soient remplis.C'est pour atteindre ce but que votre commission a l'honneur de venir vous proposer le renvoi de la pétition à M. le ministre des travaux publics avec demande d'explications.

M. de Mérode. - Je recommande cette pétition à l'attention toute spéciale de M. le ministre des travaux publics ; car la ville de Wavre, par le tracé qui paraît devoir prévaloir, est tout à fait privée de l'avantage essentiel du chemin de fer pour son intérêt particulier et en même temps pour celui de la plus grande partie des communes environnantes, parce que toutes les routes arrivent à Wavre, point central, tandis que par la ligne qu'on veut établir d'une manière plus directe, le point de raccordement serait au village d'Ottignies. On risque ainsi de faire perdre à la ville de Wavre les avantages auxquels elle a droit par sa population.

Lorsqu'un lieu principal existe dans un pays depuis des siècles, il faut le maintenir dans la situation qu'il possède ; nous avons entendu plus d'une fois M. le ministre des travaux publics affirmer que les petites distances parcourues sont celles qui rapportent le plus. Si donc on veut mettre dans toute leur valeur ces petites distances, il faut diriger la voie ferrée par les lieux populeux et non point par les lieux moins habités.

Je me borne provisoirement à ces observations à l'appui de la pétition qu'a présentée la ville de Wavre parce qu'elle me paraît très juste.

Dans cette ville se tiennent aujourd'hui des marchés importants, que tel ou tel village par lequel on ferait passer la ligne ne possède point. Ces motifs méritent que toute l'attention possible soit accordée au rapport qui vient d'être soumis à la chambre.

- Les conclusions de la commission sont mises aux voix et adoptées.

Compte-rendu de l’emploi des crédits accordés par les lois du 18 avril 1848 et 21 juin 1849

Discussion générale

M. Thiéfry. - M. le ministre, dans son discours d'hier, a répondu aux observations contenues dans les rapports de la commission des finances. Quoiqu'il ait rencontré les deux faits pour lesquels j'ai demandé la parole, je crois néanmoins devoir donner plus de développements à ce qui s'y rattache.

Un arrêté royal du 29 septembre 1848 a accordé à la ville de Bruxelles une avance de 200,000 fr,, sous la condition de construire une caserne dont la dépense s'élèvera à plus d'un demi-million. Le remboursement doit se faire sans intérêt, et au moyen du versement au trésor de l'indemnité de casernement.

Cette convention entre l'Etat et la ville, a déjà été fortement critiquée dans la session précédente. On a reproché alors au ministre d'accorder à la capitale des avantages dont on privait les autres villes. Bien que cette opinion ne soit pas explicitement mentionnée dans le rapport de la commission des finances, je sais pourtant que telle a été la pensée de ceux qui y ont fait insérer le passage suivant :

« Le gouvernement est entré dans une voie dangereuse, en posant le principe de l'intervention de l'Etat pour des travaux qui doivent rester à la charge exclusive des caisses provinciales et communales. Certains actes semblent n'avoir eu d'autres résultats que de favoriser des intérêts particuliers. »

Tous les travaux encouragés par le gouvernement en 1848 ont eu pour but d'occuper la classe ouvrière dans des moments critiques, et à l'époque où l'avance de 200,000 fr. a eu lieu, la crise était loin d'être terminée, elle a par conséquent été faite conformément aux intentions de la législature qui a voté la loi du 18 avril 1848. Cependant je n'y aurai pas égard pour prouver que la capitiae n'a obtenu aucune faveur particulière du gouvernement.

Voyons d'abord si la loi lui imposait l'obligation de construire une caserne, consultons ensuite les antécédents pour savoir comment on a agi envers les autres localités.

L'arrêté du 24 juin 1814, qui a force de loi et qui est encore en vigueur aujourd'hui, impose aux communes l'obligation de fournir les bâtiments nécessaires au casernement, sauf à l'Etat à payer le loyer des lits occupés par la troupe : mais par l'arrêté-loi du 15 décembre de la même année, l'Etat doit fournir aux communes, dont les ressources sont insuffisantes pour supporter des dépenses extraordinaires de casernement, des avances avec des conditions favorables pour le remboursement.

Il résulte en outre de la combinaison des arrêtés de 1814 et de la législation ancienne, que je ne rappelle point pour ne pas abuser des moments de la chambre, il résulte, dis-je, que le gouvernement a voulu obliger les communes à entretenir et à conserver la destination des bâtiments servant au casernement, et qu'il n'a pas entendu les grever au-delà de leurs ressources, en leur imposant des constructions nouvelles.

La preuve que telle a bien été la pensée du gouvernement, c'est qu'en 1835, dans le but de faciliter la construction d'écuries, il a porté un arrêté où il est dit que les frais en seront supportés partie par l'Etat, (page 786) partie par l’administration locale, et que la part à payer par la commune ne pourra être en dessous du tiers de la dépense totale, non compris la valeur du terrain.

Il est par conséquent évident que l'on ne pouvait astreindre la ville de Bruxelles à construire une caserne, et comme le ministre de la guerre devait absolument en obtenir une, on était bien obligé de faire une convention avec la ville.

Dans cette occurrence le ministre de l'intérieur, en lui donnant 200,000 fr. comme avance, a-t-il agi d'une manière exceptionnelle pour la capitale ? Lui a-t-il accordé des avantages que l'on a refusés à d'autres localités ? Il vous a déjà cité les villes qui ont aussi reçu de avances, je vais compléter ces renseignements.

C'est le gouvernement qui, en 1833, a supporté la dépense totale pour l'acquisition de l'ancien refuge d'Herkenrode à Hasselt, et pour son appropriation complète au casernement de l'infanterie.

C'est encore l'Etat qui a payé, en 1834,la dépense pour convertir l’ancien couvent des religieuses, à Lierre, en une caserne d'infanterie.

En vertu de l'arrêté de 1835, dont j'ai parlé, Louvain a reçu une avance de 277,115 fr. 89 c., Gand de 59,100 fr., Ypres de 46,455 fr. 90 c., Tournay de 116,377 fr. 75 c., Namur de 100,187 fr., Audenarde de 30,000, Saint-Trond de 118,563 fr. 99, Tirlemont de 192,000 fr., Mons de 60,000 fr. Liège de 62,000 et Bruxelles de 200,000 fr.

On dit, dans le rapport de la commission des finances, que les 200,000 francs avancés à la ville de Bruxelles ont été accordés sans intérêt. Cet avantage, on l'a fait à chacune des villes que je viens de citer, et c'eût été commettre un acte d'iniquité que d'imposer à la capitale des conditions plus onéreuses que celles exigées des autres villes du royaume.

Le remboursement intégral, ajoute-t-on, se fera attendre longtemps… Cette observation est juste ; mais pour que la critique soit fondée, il faut que Bruxelles ait, pour s'acquitter, un laps de temps plus considérable que celui accordé aux autres villes, et c'est précisément le contraire qui a lieu.

On s'écrie souvent que le gouvernement avantage toujours la capitale ; eh bien, j'invoquerai, dans cette circonstance, le témoignage de l'honorable M. de Man, qui fait partie de la commission des finances ; il vous dira que la ville qu'il représente a reçu une avance de 277,115 francs à des conditions bien plus avantageuses que la ville de Bruxelles, car la capitale remboursera intégralement ses 200,000 francs, et je pense qu'il n'en sera pas ainsi, ni de Louvain, ni de plusieurs autres villes que j'ai nommées.

Je ne m'étendrai pas davantage sur ce sujet ; je trouve très regrettables ces discussions de ville à ville, de province à province.

L'émulation entre les villes ne doit exister que dans les moyens de développer l'instruction, l'industrie, le commerce et surtout dans ceux qui ont pour but d'améliorer le sort des classes inférieures. Les députés de Bruxelles félicitent Gand de la prospérité de ses fabriques, Anvers de son heureuse position sur l'Escaut, ils désirent que Mons, Charleroy, Liège trouvent des mines d'or dans leur terrain houiller ; ils veulent que tout le pays ait sa part de bien-être ; mais ils demandent aussi, comme Belges et non comme députés de Bruxelles, que la Belgique ait une capitale qui prospère, parce que sa prospérité réagit sur tout le pays.

C'est avec surprise que j'ai encore lu dans le rapport de la commission des finances le passage suivant :

« Plusieurs membres ont, toutefois, vivement critiqué le subside de 71,000 francs, accordé à l'administration des hospices civils de Bruxelles, sur une dépense de 108,683 francs, pour l'établissement d'une communication entre la route de Ninove et celle de France. Suivant eux, il ne s'agissait pas, dans ce cas, de voirie vicinale, mais bien d'un acte de spéculation de la part de l'établissement charitable. »

Cet acte administratif a aussi été attaqué dans cette enceinte pendant la session dernière ; j'avais cru que les explications données alors auraient mis le ministre de l'intérieur à l'abri de tout reproche. Je le dis avec regret, l'observation insérée dans le rapport ne me paraît dictée que par l'esprit de parti ; on feint d'oublier les résultats importants obtenus par l'emploi de ce subside, pour faire au gouvernement un grief d'une dépense qui a assuré la tranquillité de la capitale, dans un moment où la législature votait des millions afin que le gouvernement prît des mesures pour atteindre ce résultat. Eh bien, je ne pense pas que l'on saurait citer une somme mieux employée à cette époque dans l'intérêt et la sûreté publique.

Je vais le prouver par des explications que je crois devoir donner à la chambre.

Lors des grandes inondations, la chaussée de France aux portes de Bruxelles est entièrement couverte d'eau, et les communications se trouvent interrompues entre Anderlecht et la capitale. Dans le but de conserver constamment ces communications, et guidée par le désir de procurer du travail à la classe ouvrière, l'administration des hospices conçut, en 1847, le projet d'établir une route à l'abri du débordement des eaux. Comme ce projet avait un caractère d'utilité publique, cette administration l'adressa à la députation permanente.

Pendant l'instruction de cette affaire, la révolution française surgit tout à coup. Le commerce et quelques industries s'en ressentirent immédiatement, un grand nombre d'ouvriers furent bientôt privés de tout travail. Les comités de charité étaient assaillis de demandes de secours. Il s'agissait de trouver sur-le-champ les moyens de procurer de l'ouvrage à cette partie de la population qui en était dépourvue.

Le conseil général des hospices chargea un de ses membres de voir le gouverneur de la province ainsi que le ministre de l'intérieur, et de leur offrir le concours de l'administration pour l'exécution de la route pré-rappelée. Ces hauts fonctionnaires, qui savaient que le nombre d'ouvriers sans ouvrage augmentait chaque jour, comprirent tous les avantages que l'on pourrait retirer de ces travaux, dans l'intérêt de la sûreté publique : toutefois le ministre ne consentit à accorder des subsides qu'à la condition d'employer de suite tous les ouvriers de la ville et des faubourgs qui seraient sans travail : car, comme on le dit très bien dans le rapport de la commission des finances, l'intervention du gouvernement devait être prompte et énergique.

Le 30 mars, c'est-à-dire 48 heures après la conférence avec le ministre, 200 hommes étaient occupés aux déblais, ce nombre fut successivement augmenté jusqu'à plus de 600. Ces travaux ont été entrepris et dirigé par les hospices, sur la simple promesse de la députation permanente et du ministre, d'être indemnisés des dépenses qu'ils occasionneraient.

Pour preuve que les hospices ne faisaient pas une spéculation, voici comment ils s'exprimaient dans une lettre adressée au ministre le 2 juin, il y avait ce jour-là 550 ouvriers employés.

« Vous avez bien voulu, M. le ministre, faire décréter cette communication publique par arrêté royal en date du 25 mai 1848, pour nous mettre à même de pouvoir terminer les travaux ; nous venons vous prier de vouloir bien nous accorder un subside d'au moins 71,000 fr.

« Vous n'ignorez pas, M. le ministre, que nos ressources sont excessivement restreintes. Nous représentons une administration de charité ; nous ne cherchons pas à tirer profit des travaux entrepris, nous désirons seulement qu'ils soient peu onéreux aux pauvres.»

Peu de jours après, parut l'arrêté dont voici les considérants et le dispositif.

« Considérant que cet ouvrage, entrepris au milieu des circonstances critiques dans lesquelles la ville de Bruxelles s'est trouvée placée à la suite des événements de février, a puissamment contribué à assurer le maintien de l'ordre dans la capitale en fournissant du travail et des moyens d'existence aux nombreux ouvriers qui en étaient momentanément privés ;

« Considérant que le gouvernement s'est engagé à venir en aide au conseil des hospices pour en supporter la dépense ;

« Sur le rapport de notre minisire de l'intérieur ;

« Nous avons arrêté et arrêtons :

« Art.1er.Un subside de soixante et onze mille francs (fr. 71,000), imputable sur le crédit ouvert au chap. XXIII du budget du département de l'intérieur (exercice 1848) est accordé au conseil général des hospices et secours de la ville de Bruxelles, aux fins susmentionnées et à charge de rendre compte à Notre Ministre de l'intérieur de l'emploi de ce subside. »

Cet arrêté a été publié dans le Moniteur, personne alors n'a songé à le critiquer, on savait apprécier l'influence qu'exerce la tranquillité de la capitale sur tout le reste du pays. Il était visible pour tout le monde que le ministre, en procurant du travail à la classe ouvrière, rendait un service immense et aux malheureux et à toute la Belgique. C'est quatre ans après qu'on s'empare de ce fait pour blâmer le gouvernement qui a préservé le pays de toute espèce de crise ! On vient aujourd'hui reprocher au ministre un subside entièrement employé à donner du pain à des hommes pleins d'énergie et de courage, et qui ne demandaient qu'une chose... qu'une seule chose... du travail !...

Remarquez bien messieurs, que l'exécution de cette route a eu un deuxième résultat qui mérite d'être signalé.

Dès qu'un ouvrier se plaignait au comité de charité de ne pas avoir d'ouvrage, on lui remettait une carte sur la présentation de laquelle il était immédiatement employé : comme il y a toujours quelques fainéants qui profitent des crises pour réclamer des secours dont ils n'ont pas besoin, ils ont cessé de se rendre chez les maîtres des pauvres aussitôt qu'ils se sont aperçus qu'au lieu d'argent, on ne leur donnait qu'une carte pour obtenir du travail.

Je n'ai jusqu'à présent considéré cette affaire qu'au seul point de vue politique ; je terminerai par quelques mots pour en rendre compte sous le rapport financier, et ici je répondrai directement au reproche que l'opposition fait au ministre pour avoir donné 71,000 fr.

Il me sera facile de prouver que cette route n'a pas été un objet de spéculation, et que les hospices n'ont pas reçu la complète rémunération de ces travaux, comme l'a prétendu l'honorable M. Malou.

Comment les hospices se seraient-ils enrichis ? Il ne leur reste pas un écu des subsides qu'ils ont reçus ; ils ont, au contraire, largement contribué à la dépense, sans avantage aucun. Je dois d'abord rectifier une erreur qui se trouve dans le rapport de la commission des finances : la somme de 108,683 fr. qui y est indiquée comme le chiffre de la dépense, n'est que celui du devis. Les travaux ont coûte 115,967 fr. 29 c, il reste encore à payer pour l'achèvement du pavage 6,430 fr. -80 c, de sorte (page 787) que la dépense totale sera de 122,398 fr. 03 c. Les hospices y ont contribué pour 24,135 fr. 70 c. et la ville de Bruxelles pour 15,000 fr.,ensemble, 39,135 fr. 70 c.

Ces données suffisent pour faire voir qu'aucune faveur n'a eu lieu en cette circonstance, puisque la part contributive de la commune a été d'un tiers, et que cette quotité est généralement celle mise à la charge de toutes les communes qui sollicitent la construction d'une route.

Les travaux, a-t-on dit, ont transformé des terres à cultiver en terrains à bâtir ; c'est une spéculation très avantageuse pour les hospices !... Les membres des administrations de bienfaisance consacrent tous leurs soins pour augmenter le patrimoine du pauvre ; aussi j'accepte bien volontiers l'espoir d'un tel résultat ; cependant je dirai que nous sommes déjà en 1852, et que les hospices n'ont pas encore vendu un pouce de terrain le long de cette route, il n'y a même aucune apparence pour la moindre vente. Mes honorables contradicteurs savent bien que ces aliénations reçoivent la plus grande publicité, ils peuvent donc s'assurer de l'exactitude des faits que j'avance ; j'offre d'ailleurs de soumettre à leur investigation les plans que j'ai ici.

Il est, par conséquent, prouvé que ces travaux, au lieu d'être fructueux, sont très onéreux aux hospices. Cette administration ne les a entrepris que dans des vues philanthropiques, et en acquit des devoirs qui l'obligent, dans des moments de calamité, à faire des sacrifices en faveur de la classe ouvrière. Cependant les hospices de Bruxelles ne doivent aider que les pauvres de leur ville, et, en consentant à l'exécution de ces travaux, c'est à la Belgique entière qu'ils ont rendu service. Or, je le demande à tout homme de bonne foi, n'est-ce pas une injustice que de vouloir que les hospices supportent une dépense faite dans l'intérêt de la généralité ? Est-il convenable de reprocher au ministre un acte de bonne politique ?

J'ai dit que 6,430 fr. sont encore nécessaires pour l'achèvement du pavage de cette route. Eh bien, je demande, au nom de l'équité, que cette somme soit supportée par l'Etat ou par la province. Si, contre toute attente, une décision contraire était prise, les hospices n'achèveraient pas ce travail.

M. de Man d'Attenrode. - Messieurs, dans le discours prononcé hier contre le travail que j'ai eu l'honneur de déposer au nom de la commission permanente des finances, il y a deux parties distinctes. On a commencé par combattre quelques principes financiers consignés à la fin du rapport.

On a pris ensuite longuement l'offensive contre les observations détaillées qu'il contient. Cette longue philippique me prouve une chose ; c'est qu'elles ont frappé juste.

J'entreprendrai d'abord la défense de quelques principes financiers déposés dans le rapport de la commission.

La commission a cru convenable et utile de rappeler au gouvernement et à la chambre une disposition importante de la Constitution, qui semble avoir été quelquefois perdue de vue par le gouvernement. C'est cette disposition qui déclare que toutes les dépenses doivent être comprises au budget annuel présenté par l'administration.

M. le ministre de l'intérieur a déclaré que cela était impossible. La commission ne veut pas l'impossible ; elle sait très bien que les ministres ne peuvent pas tout prévoir au moment où les budgets sont rédigés ; mais elle demande que le gouvernement comprenne aux budgets toutes les dépenses qu'il peut et doit prévoir au moment où il les forme. Il est positif que cette prescription constitutionnelle importante n'est pas assez respectée ; on évite de comprendre aux projets de budget toutes les dépenses prévues.

J'en ai la preuve sous la main ; on n'a qu'à consulter le budget de l'intérieur qui a été déposé pour l'exercice 1853 et que nous venons d'examiner.

On peut y voir, par exemple, porté pour mémoire un libellé sans chiffre, ce qui indique que la somme nécessaire pour la continuation de la construction du monument érigé en l'honneur du congrès sera demandée par un crédit spécial demandé en dehors des budgets. Le gouvernement a annoncé l'intention formelle de faire cette dépense, il doit donc connaître à peu près, cela est évident, la somme qu'il se propose d'y consacrer annuellement. Ainsi voilà le budget lui-même qui contient la preuve de cette tendance à violer cette disposition constitutionnelle. Il y a là une tactique véritable qui consiste à présenter le budget en différentes parties ; je vais vous en dire le motif :

Quand le gouvernement demande des augmentations par le budget, elles lui sont refusées ; quand il les demande par des propositions spéciales, elles lui sont la plupart du temps accordées ; j'entends dire autour de moi qu'elles lui sont toujours accordées, je suis obligé de convenir que cela n'est malheureusement que trop vrai.

La commission a dit ensuite : Plus de crédits généraux, c'est-à-dire plus de crédits non divisés en articles, plus de crédits destinés à des services différents sans spécialité d'articles. Voilà ce que la commission a entendu dire.

M. le ministre a cru voir une critique dans cette recommandation ; il s'est hâté de déclarer que son projet de crédit de 3,700,000 fr. réduit à 2,000,000 en 1848, avait été présenté en articles ; quand j'ai entendu cette déclaration hier, j'ai recueilli mes souvenirs ; il m'a semblé que M. le ministre se trompait ; j'ai examiné les pièces depuis, et je me suis convaincu que le projet du gouvernement n'était pas fractionné en articles, mais simplement divisé en litteras. La différence est trop grande pour ne pas la faire remarquer.

Les litteras permettent les transferts. Un crédit présenté en littéras n'est en réalité qu'un crédit global. Le gouvernement a une latitude très large.

C'est tout diffèrent quand le crédit est divisé en articles. Les transferts sont interdits par la Constitution elle-même. Elle charge la cour des comptes d'y veiller.

Tout ce que la section centrale a fait, a été de modifier le libellé, de le rendre plus vague encore. Afin d'augmenter la responsabilité du gouvernement, elle a voulu augmenter la valeur du gage que le gouvernement offrait en échange du vote de confiance qu'il réclamait en demandant qu'un crédit aussi considérable fût mis à sa disposition.

La section centrale, en rendant la responsabilité de l'administration plus entière, entendait l'obliger, cela est probable, à mettre plus de réserve dans les dépenses, à présenter des comptes plus complets, plus sérieux ; elle entendait préparer un contrôle plus sévère.

La commission des finances s'est encore permis de déclarer qu'elle était contraire à la faculté donnée au gouvernement de disposer des sommes rentrées sur les dépenses faites sous forme de prêts, sans renouvellement d'un crédit législatif. M. le ministre a aperçu là encore une critique qui s'adressait à lui. Telle n'a pas été l'intention de la commission ; elle a cru nécessaire de condamner un principe qui a essayé de pénétrer dans notre législation financière, qui tend à bouleverser tous les contrôles. C'était son devoir de le faire. L'honorable M. Rogier s'est hâté de déclarer qu'il n'est pas l'inventeur de ce système, qu'il en était même l'adversaire.

Je vais vous faire connaître l'origine de ce moyen de procéder, de cette fâcheuse faculté dont on n'a pas mal abusé depuis quelques années. C'était en 1847, sous l'administration de M. de Theux : cet honorable ministre présenta un projet de loi tendant à demander un crédit pour les défrichements.

Un ingénieur, M. Kummer, qui avait conçu le système du défrichement de la Campine, avait déclaré qu'avec une somme plus considérable on pouvait fertiliser les landes de cette contrée. Il s'agissait d'acheter des terres communales ; le gouvernement devait les fertiliser, les vendre à mesure qu'elles seraient mises en culture et en acheter d'autres avec le produit de ces ventes. Mais, lors de la chute du cabinet, ce crédit tomba dans les mains du nouveau ministre de l'intérieur, l'honorable M. Rogier ; et l'on ne se borna pas à appliquer ce système de roulement à l'achat et à la vente de terres dans la Campine ; on l'appliqua à une foule d'autres dépenses qui ont fait plus ou moins l'objet de mes critiques quand il s'est agi, l'année dernière, de la demande d'un nouveau crédit de 500,000 fr. pour les défrichements.

M. le ministre de l'intérieur ayant pris l'habitude de ce système commode, quand il s'est agi du crédit d'un million qui a fait l'objet de la loi du 21 juin 1849, il y inséra un article 3, d'après lequel la faculté était donnée au gouvernement de faire remploi des rentrées qui devaient provenir des crédits alloués par cette loi et par celle du 18 avril 1848. Depuis lors, M. le ministre de l'intérieur n'a pas renoncé à cette faculté ; il continuera d'en user jusqu'à ce que la loi elle-même la lui relire.

L'année dernière, à l'occasion du crédit de 600,000 fr. pour les défrichements, M. le ministre de l'intérieur demanda que cette faculté lui fût encore accordée ; j'ai fait une vive opposition à cette demande en section centrale, dont j'ai été nommé rapporteur.

La section centrale demanda au département de l'intérieur de renoncer à ce système, mais il ne fut pas possible d'y déterminer M. le ministre ; ce fut seulement lors de la discussion publique, lorsque l'honorable M. Delfosse se joignit à moi pour combattre la demande de M. le ministre de l'intérieur, que celui-ci se décida à l'abandonner.

Messieurs, après avoir repoussé les attaques du gouvernement à propos des principes financiers que nous avons cru utile dénoncer dans le rapport, qu'il me soit permis à mon tour d'adresser quelques attaques au système financier préconisé par M. le ministre de l'intérieur.

Je ne sais si vous lisez les cahiers de la cour des comptes ; en parcourant le dernier cahier qui nous a été distribué, voici ce que j'ai remarqué : j'ai trouvé que M. le ministre de l'intérieur est en discussion continuelle avec la cour des comptes parce qu'à tout moment il veut se servir des crédits destinés, par exemple, aux chemins vicinaux, pour les appliquer au personnel ; or, il existe un arrêté royal qui interdit de confondre les crédits destinés au personnel avec les crédits destinés au matériel.

M. le ministre a voulu encore user du crédit destiné aux chemins vicinaux pour en appliquer une partie à des dépenses d'assainissement ; il a encore tenté de se servir de ce crédit pour le matériel de l'administration centrale de son département.

La cour des comptes a entrepris une lutte d'écritures avec M. le ministre à l'effet de lui démontrer que ce qu'il se proposait de faire n'était pas légal.

Les motifs qu'elle a déduits, et qui se trouvent consignés dans ses cahiers, établissent à l'évidence, que la cause qu'elle soutenait était la bonne ; mais voici ce qui m'a surpris, c'est qu'elle a fini par céder sur tous les points ; elle a passé outre, pour me servir de son expression. Et savez-vous pourquoi elle a passé outre ? C'est parce que M. le ministre de l'intérieur lui a déclaré que le crédit pour le matériel de l'administration centrale était insuffisant depuis quatre à cinq ans et qu'il était sur le point de nous demander un crédit supplémentaire pour couvrir les insuffisances des budgets de 1847, 1848, 1849 et 1850 ; de sorte que nous sommes sur le point de voir apparaître cette nouvelle demande de (page 788) crédit ; et c’est pour ce motif que la cour des comptes a passé outre ! Ce motif paraît d'abord inexplicable. Mais elle se charge de l'expliquer elle-même d'une manière fort claire par une dernière observation, que je vous prie de noter ; car c'est une leçon qu'on nous adresse, et elle est plus ou moins méritée.

Voici ce motif invoqué par la cour pour tolérer les exigences du département de l'intérieur ; voici ce que je lis dans son dernier cahier, page 20.

« La cour ne peut être plus difficile que la législature ; quand elle a éclairé celle-ci sur des irrégularités, qui sont le fait de sa tolérance, et qu'elle les laisse se reproduire, la cour doit s'incliner et passer outre. »

De sorte qu'il est établi dans une publication aussi grave, aussi importante que le cahier de la cour des comptes, que c'est le laisser aller que nous mettons en laissant passer tous les crédits supplémentaires, tous les crédits extraordinaires qu'on nous présente, que c'est cette tolérance qu'on invoque pour remplir mollement son devoir, et cela après avoir démontré de la manière la plus claire qu'on a mille fois raison. C'est ainsi qu'on laisse faire M. le ministre de l'intérieur, qu'on lui passe ses fantaisies, qu'on lui permet de disposer des crédits destinés aux chemins vicinaux pour les mesures d'assainissement, pour le personnel de l'administration centrale, etc., etc.

Messieurs, ce qu'il y a d'étrange, c'est qu'autrefois M. le ministre de l'intérieur combattait à outrance, combattait d'accord avec moi ce système, quand il était dans l'opposition, et mes efforts me valaient des félicitations de sa part et des encouragements.

Maintenant il en est tout autrement. Les idées se modifient, en devenant ministre, à l'endroit des crédits supplémentaires extraordinaires. Au reste, j'ajouterai que la multiplicité des crédits supplémentaires demandés pour le département de l'intérieur n'a rien de surprenant pour ceux qui se rappellent la discussion qui a eu lieu au sénat le 19 novembre dernier.

Il s'agissait d'un petit crédit supplémentaire de 892,131 fr. 49 c. La commission du sénat avait proposé de laisser au compte de M. le ministre de l'intérieur une somme de 15,874 fr. 60 c, représentant la dépense qui avait excédé le crédit pour les fêtes nationales. M. le ministre de l'intérieur professa à cette occasion les principes les plus singuliers. Il déclara d'abord que pour une foule de dépenses les budgets ne sont que des prévisions et qu'il est impossible à un minisire de fixer la limite où la dépense s'arrêtera.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je parlais des fêtes.

M. de Man d'Attenrode. - C'est cela ; de plus, je suis d'accord avec vous que les crédits ne sont que des prévisions ? Mais les crédits ne sont que des prévisions en ce sens que vous pouvez rester en dessous, tandis que vous, vous prétendez que vous pouvez les dépasser. Et ici notre accord cesse ; car plus loin vous disiez : « Sur un budget de 100 millions environ,on doit toujours s'attendre à un mécompte de 3 à 4 p. c. Il n'est pas de particulier ayant 50,000 fr. à dépenser, qui puisse déterminer à 2,000 fr. près ce qu'il dépensera annuellement. Il en est du même du gouvernement. Le gouvernement d'un pays est en grand le gouvernement de la famille. Il faut dans l'un comme dans l'autre une sage économie. C'est ce que nous tâcherons d'introduire dans les services de l'administration. », Ensuite M. le ministre de l'intérieur a déclaré que la critique des corps législatifs ne peut s'exercer que sur certaines dépenses limitées par leur nature ; telles que celles du personnel et celles du matériel dans une certaine mesure.

De sorte que notre critique ne peut se porter que sur les dépenses du personnel et du matériel et encore dans une certaine mesure. Il n'est pas étonnant dès lors que M. le ministre de l'intérieur trouve aussi étrange, aussi extraordinaire le rapport que j'ai déposé au nom de la commission des finances, et où je me suis permis de critiquer autre chose que des dépenses qui concernent le personnel et le matériel dans une certaine mesure.

J'ai cru pouvoir aller au-delà ; je l'ai fait, parce que j'ai cru que c'était notre devoir, et je le ferai tant que je serai membre de cette chambre.

M. le ministre de l'intérieur a terminé par une déclaration qui est la plus curieuse de toutes.

. Il a déclaré que, tant qu'on n'augmenterait pas le crédit destiné aux fêtes nationales, il le dépasserait. Car il a dit : « Le crédit qu'on nous accorde est insuffisant pour les fêtes nationales. A moins de donner à ces fêtes un caractère de mesquinerie, je crois que l'on sera encore longtemps obligé de demander des crédits supplémentaires.

« Il en sera toujours ainsi, à moins que la chambre n'augmente le crédit. »

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Si vous vouliez réfuter mon discours d'hier et non celui que j'ai prononcé au sénat.

M. de Man d'Attenrode. - Vous attaquez des principes financiers déposés dans le rapport ; nous pouvons attaquer ceux que vous professez.

M. de Mérode. - Des gaspillages.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - C'est cela, c'est là le dernier mot.

M. Orban. - Oui, quand on dépense 50,000 francs pour un bal.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Attaquez cet acte, si vous le pouvez ; je vous défie d'en parler.

M. de Man d'Attenrode. - Maintenant, messieurs, avant de parler de la question du fond, je tiens à parler de la forme, de la forme acerbe, pour m'exprimer modérément, des attaques dirigées contre le travail de la commission que je représente ici. Quand il s'agissait d'obtenir les crédits de 1848 et de 1849, M. le ministre de l'intérieur le prenait sur le ton le plus doux pour déterminer la chambre à lui accorder ce qu'il demandait ; M. le ministre faisait la déclaration suivante :

« Nous avons accepté les 2 millions à la condition de les employer dans l'intérêt de la classe ouvrière, sauf à en rendre compte au mois de décembre. J'espère que le compte rendu, que nous nous empresserons de mettre sous les yeux de la chambre, montrera que sa confiance n'a pas été mal placée. »

Eh bien, messieurs, aujourd'hui que nous examinons s'il y a lieu de restituer au gouvernement le gage qn'il nous a donné, on s'étonne, on s'irrite de ce que nous nous permettions d'examiner ses actes, de mettre en jeu sa responsabilité : Tenez, je tiens à être bienveillant.

Je tiens à indiquer la cause, qui explique le désappointement qu'éprouve M. le ministre ; cette cause, la voici :

L'honorable M. Rogier n'est pas encore accoutumé à rendre des comptes détaillés des actes de son administration, à les entendre discuter. Voilà ce qui cause sa contrariété.

Il faudra bien s'y faire cependant ; les articles 44 et 45 de la loi du 15 mai 1846 exigent que les ministres présentent à chaque session des comptes imprimés de leurs opérations pendant l'année précédente, et ces comptes doivent développer les opérations, qui ne sont que sommairement exposées dans le compte général présenté par le ministre des finances.

L'article 59 déclare ensuite que la loi de comptabilité sera obligatoire dans toutes ses parties au plus tard le 1er janvier 1848.

Mais j'ai fait une découverte qui me cause un sentiment pénible, je l'ai faite en ouvrant le volumineux document qui nous a été distribué, et qui contient le dernier compte général rendu ; j'ai appris que le gouvernement avait pris la grave responsabilité de suspendre les effets des articles 44 et 45 de la loi du 15 mai par un arrêté royal du 15 novembre 1849, d'en ajourner l'application à l'exercice 1850.

Mais je vous le demande, messieurs, où le gouvernement puise-t-il le droit de soustraire au contrôle législatif les comptes développés de leurs opérations pour les exercices 1848 et 1849 ?

Si vous permettez que les dispositions légales soient suspendues par des arrêtés, rien n'empêche qu'un nouvel arrêté ne soit rendu pour ajourner jusqu'en 1852 la publication des comptes détaillés de MM. les ministres, si cette publication est gênante pour eux ! J'envisage donc les effets de l'article 318 de l'arrêté royal du 15 novembre 1849, quant au mode de publier les comptes de l'Etat comme nuls : vous ne pouvez pas les envisager différemment.

Messieurs, si les aménités que M. le ministre de l'intérieur a débitées hier ne s'adressaient qu'à moi, je vous prie de croire que je ne m'en plaindrais pas ; mais mon devoir m'oblige de réclamer ; et voici pourquoi : je suis ici le représentant d'une commission, de la commission permanente des finances, qui est votre émanation et qui m'a confié son rapport. Eh bien, voyons ce que nous disait hier l'organe du gouvernement. Il nous disait que ce rapport n'était qu'un dénigrement systématique des actes du gouvernement ; il a dit que le rapporteur était un adversaire qui omet les résultats avantageux, pour ne faire mention que des résultats désavantageux : enfin l'on ne s'est pas gêné pour dire que j'étais un organe partial de la commission des finances.

Si je n'ai pas demandé le rappel à l'ordre du ministre, c'est que les aménités qu'il m'a adressées me sont parfaitement indifférentes ; j'y suis habitué, et elles me touchent fort peu. Je m'attendais à ces attaques ; j'y étais préparé, or, lorsqu'on prévoit un sinistre et que ce sinistre arrive, il ne produit plus le même effet. Du reste, quand on n'a pas le courage de braver ces averses-là, on n'est pas digne d'accepter la tâche de rapporteur des comptes publics, on n'est pas fait pour discuter les actes du gouvernement, pour appeler l'attention sur ceux qui portent atteinte aux lois de crédits et aux engagements qui ont déterminé le vole de ces lois.

C'est là une charge pénible ; pénible, parce qu'elle exige un long travail ; pénible, parce qu'on court la chance d'être taxé de malveillance ; pénible, parce qu'un rapporteur remplit dans cette enceinte un rôle de ministère public, le rôle d'accusateur ; pénible enfin, parce qu'après tout un rapporteur n'est pas chargé de ce rôle pour brûler de l'encens devant les ministres ; c'est sans doute ce rôle que M. le ministre voudrait voir prendre au rapporteur des actes de l'administration. Cela est cependant impossible. Qu'il réfléchisse, il s'en convaincra lui-même.

Au reste, je défends ici l'honorable rapporteur du crédit de deux millions, comme je me défends moi-même ; ce matin j'examinais le rapport de l'honorable M. Vandenpeereboom : eh bien, il adhère pleinement en deux lignes aux observations contenues dans le rapport que j'ai eu l'honneur de déposer, concernant le prêt fait aux horticulteurs de la ville de Gand. Je désire que l'on tienne note de cela.

Messieurs, ce n'est pas seulement comme rapporteur de la commission que je suis obligé de protester contre ce système de discussion, ]e suis encore obligé de le faire dans l'intérêt de la dignité de cette assemblée, dans l'intérêt de la dignité de votre contrôle.

Je dis que si un système semblable de discussion pouvait prévaloir, pouvait être toléré, on dégoûterait la plupart des membres de cetta chambre de se charger de ces fonctions délicates.

(page 789) Au reste, je sais fort bien ce qu’un rapporteur devrait faire pour être taxé de bienveillance, il devrait ne pas lever le rideau derrière lequel s’abritent de nombreuses irrégularités ; il devrait ne pas être trop indiscret ; il devrait ne pas demander trop de renseignements… (Interruption). J’ai été très modéré dans mes demandes de renseignements ; il est des renseignements que je n’ai pas réclamés, parce que je craignais de passer pour être trop exigeant ; et, malgré cela, j’ai été accusé d’être trop minutieux (interruption) ; je le répète, l’aurais pu demander plus de renseignements…

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Vous en a-t-il manqué ?

M. de Man d'Attenrode, rapporteur. - Oui.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Signalez-les, je me ferai un plaisir de les fournir.

M. de Man d'Attenrode. - Il est trop tard maintenant, je me les suis procurés ailleurs.

Au reste, puisque vous m'encouragez, puisque vous montrez tant de bonne volonté, je ne vous épargnerai pas, à l'occasion, les demandes de renseignements ; j'ai été nommé rapporteur des comptes généraux qui ont été renvoyés à la commission, et MM. les ministres peuvent être sûrs, puisqu'ils sont de si bonne composition, que les demandes de renseignements ne leur manqueront pas.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) ; - Il est un compte d'une somme de 7,354 francs 20 centimes dont vous avez demandé le détail et que vous avez reproduit tout entier dans votre rapport (page 23).

M. de Man d'Attenrode rapporteur. - C'est qu'en effet c'est précisément sous ces petits articles intitulés « dépenses diverses » que se cachent souvent les dépenses qui sont les plus intéressantes à connaître.

Et à propos de votre interruption, je dirai que j'ai éprouvé le désir de connaître l'usage que vous faites des crédits destinés aux arts et aux lettres ; je me suis adressé à cet effet à la cour des comptes, et j'ai découvert dans les états que je me suis procurés que des crédits considérables sont toujours représentés par le même nom, celui d'un chef de division, et c'est toujours derrière ce rideau que s'abritent toutes les dépenses que l'on ne veut pas faire connaître.

Voici comment procède le gouvernement. Il use d'un certain article de la loi sur l'organisation de la cour des comptes qui lui permet de demander des crédits avec liquidation ultérieure. Or, cela n'est permis que dans des cas très exceptionnels déterminés par la loi. La cour des comptes est, selon moi, beaucoup trop tolérante à ce sujet.

Je me permettrai de demander des renseignements sur ces crédits qui sont toujours couverts par un chef de division.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Quel est ce chef de division ?

M. de Man d'Attenrode. - C'est le chef comptable, je suppose.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Il y a un agent comptable.

M. de Man d'Attenrode. - Je le sais ; mais il n'en est pas moins vrai que lorsque l'administration procède à ses dépenses par la voie de crédits à rendre compte, la cour cesse d'exercer une de ses attributions les plus essentielles, le visa préalable à la dépense.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Ainsi ce chef de division est l'agent comptable de l'administration !

M. de Man d'Attenrode. - Il n'est pas indispensable que l'agent comptable d'un ministère ait sans cesse une caisse à la disposition du chef du département pour des dépenses qui ne sont connues qu'assez longtemps après et difficiles à contrôler.

Maintenant j'en viens à renconlrer quelques parties du rapport attaquées par le gouvernement.

Je vous dirai d'abord que je pose en fait que M. le ministre de l'intérieur n'a détruit aucune des conclusions du rapport.

Pour lui répondre, je devrais me répéter et redire en quelque sorte ce que j'ai dit dans ce rapport.

Voici comment procède l'administration pour justifier ses actes. Ce système est des plus faciles.

Elle vous dit :

« Mais la tranquillité n'a-t-elle pas été maintenue ? Si cela est vrai, nous avons tenu nos engagements.

« Pourquoi donc vouloir examiner si minutieusement nos actes ?

« J'ai usé, il est vrai, de votre crédit pour favoriser une fête artistique, en lui consacrant 4,000 fr.

« Pour favoriser des expositions agricoles, des sociétés de rhétorique, un conservatoire de musique.

« Pour couvrir le déficit du chapitre des beaux-arts de mon budget.

« Pour indemniser un individu qui s'est chargé d'exporter une centaine de compatriotes.

« Pour venir au secours de deux horticulteurs.

« Ces dépenses ne sont-elles donc pas utiles, parfaitement justifiables ? »

Je réponds qu'elles ont été surtout utiles à ceux qui en ont profité, à ceux au profit desquels elles ont été faites.

Mais ce n'est pas là la question. La question est de savoir si le gouvernement, en posant ces actes, s'est conformé aux engagements qu'il a contractés dans cette enceinte, s'il s'est conformé au libellé, quoique bien vague, des lois de 1848 et 1849.

A cette époque on résumait tout le système de dépense à faire par cette simple phrase : « Maintenir l'ordre par le travail. » Et voici comment s'exprimait l'honorable M. Rogier dans la discussion :

« Le crédit a un carcatère tout particulier, celui d’entretenir l’activité du travail, de venir en aide aux classes ouvrières.

« De leur procurer non seuement un soulagement matériel, mais, si je puis parler ainsi, un soulagement moral.

« La Belgique est un peuple libre, où l’on vient d’étendre d’une manière considéravle les libertés populaires.

« Il ne suffit pas de donner de la liberté, il faut aussi donner d'autres satisfactions, il faut donner du travail, maintenir l'ordre à ces conditions.

« II faut que l'administration donne aux populations des marques de sympathie morale.

« Il faut que l'on sache que ceux qui gouvernent sont occupés d'améliorer leur sort moral et matériel autrement qua par de vains discours. »

Vous le voyez, messieurs, à cette époque, on ne songent qu'aux classes laborieuses ; tout le crédit leur était destiné. Il fallait même aller au-delà de ses besoins, il fallait lui donner d'autres satisfactions ; il s'agissait de dépenses progressives.

Il faut convenir que ce langage se ressent un peu des tendances de l'époque. L'événement du 24 février avait exercé une certaine influence sur elle.

Il s'agissait donc de maintenir l'ordre en organisant le travail. Et c'était surtout dans les centres industriels, où les ouvriers peuvent compromettre la tranquillité, qu'il s'agissait d'agir. Car le gouvernement n'a pas le droit d'intervenir dans le travail particulier, à moins que ce ne soit pour maintenir la tranquillité. Maintenant l'on se dit naturellement ; Quelle influence les dépenses, dont je viens de parler, ont-elles eue sur le maintien de la tranquillité publique ? Est-ce la dépense de 4,000 fr. pour la fête artistique ? Savez-vous comment le gouvernement a procédé en cette circonstance ? Je vais vous le dire. Il avait pris pour quelques mille francs de billets à la fête artistique du marché de la Madeleine. Les directeurs, voyant que leurs billets se plaçaient avec prime, demandèrent au gouvernement de leur rendre, contre remboursement, les billets pris. Que fit l'administration ? Elle s'y refusa. Et voici ce qu'elle fit des cartes d'entrée : elle les distribua gratuitement.

Ainsi l'Etat a dépensé quelques mille francs pour donner au département de l'intérieur l'agrément de distribuer des billets, et cela sans aucun avantage pour cette entreprise artistique ; bien au contraire, cela lui fut nuisible ; elle eût fait plus de bénéfices, si le gouvernement lui eût rendu ses billets. On me dira : Mais c'est une bagatelle que quatre mille francs pour le trésor public !

Eh bien, messieurs, c'est le langage que tenaient les défenseurs des subsides et des privilèges sous le règne de l'infortuné Louis XVI. Qu'est-ce que 4,000 livres ? se récriaient-ils.4,000 livres ? C'est la taille d'un village, répondait le ministre Necker.

Et moi je réponds que ces quatre mille francs ont été prélevés sur un emprunt forcé qui, s'il a frappé sur des personnes ayant de la fortune, a gêné considérablement le plus grand nombre qui en possède peu. Après avoir qualifié cette dépense, je puis me dispenser d'en qualifier d'autres. Cependant je dirai un mot des travaux d'assainissement dont M. le ministre est grand partisan.

M. le ministre disait, en demandant le crédit, qu'il était destiné avenir en aide aux classes ouvrières. Il s'agissait d'assainir les quartiers habités par les classes ouvrières : on voulait blanchir les maisons et arriver par ce moyen à nettoyer l'intérieur, c'est-à-dire le moral, l'âme. On s'exprimait textuellement dans ces termes-là ; on voulait élever des établissements de bain, des lavoirs populaires, des cités ouvrières. Je voudrais qu'on me dît où sont ces bains, ces lavoirs, ces cités ouvrières ; je ne les vois nulle part. Il paraît que les plus fortes sommes sont appliquées à la voirie urbaine : on a pavé des rues, on a construit des égouts, des abattoirs.

Si l'on a fait quelque dépense dans des quartiers habités par des ouvriers, la plus grande partie de la somme a été employée dans les quartiers habités par les classes aisées. Il a été difficile de contrôler ces dépenses, le gouvernement n'a fait connaître que des renseignements peu détaillés. J'ai donc cherché à m'instruire par d'autres moyens. Je connais plus particulièrement Louvain. Voici ce que j'y ai vu. Il y a dans cette ville une vaste demeure, jadis occupé par les princes de Rubempré, appelé le Princen Hof. Aujourd'hui elle est habitée par de nombreux ouvriers. Ces constructions manquent d'air. La circulation y est difficile. C'est une impasse. Il eût été utile de créer des débouches au milieu de ces habitations.

Croyez-vous que le crédit des assainissements ait réalisé cette amélioration ? Nullement. On a construit un grand système d'égouts pour mettre le quartier neuf du haut de la ville en communication avec le bas. On a pavé les rues nouvellement créées, et qui certes ne sont pas habitées par la classe ouvrière.

Je n'entends pas dire par là qu'on n'a rien fait pour ces quartiers ; je suis convaincu qu'une somme a été consacrée à cet objet. Mais la plus grande partie a été consacrée à des travaux de voirie ordinaire. A Anvers, c'est à peu près la même chose. Au reste, si vous avez lu avec attention l'exposé des motifs du projet ministériel concernant les grands travaux publics déposé le 2 juillet 1851, vous avez pu voir que le gouvernement a abandonné ses projets primitifs d'assainissement. Il n'est plus question d'améliorer les habitations des ouvriers. On ne parle plus des lavoirs, des bains publics, des cités ouvrières ; la mode en est passée.

(page 790) Voici ce que dit cet exposé :

« Le gouvernement s'est abstenu de donner des subsides pour l'assainissement des habitations ; les dépenses résultant de ces travaux devant rester à la charge exclusive des propriétaires ou des institutions de bienfaisance. »

Le gouvernement a profité de la présentation du projet monstre des travaux publics, que l'emprunt doit couvrir, pour y mêler et obtenir l'autorisation de dépenser 600,000 francs en assainissements, et 1 million pour construction d'écoles communales.

La section centrale ayant trouvé que ces dépenses n'étaient pas de nature à être couvertes par l'emprunt, on en a fait l'objet d'un article 11 nouveau.

La loi des travaux publics a alloué en conséquence une somme de 4,600,000 fr. à rattacher aux budgets de 1852, 1853 et 1854.

Ce sont les recettes ordinaires qui seront chargées d'y pourvoir. Ce mode de procéder manque de régularité.

Pour y remédier, il faudrait que des crédits fussent portes daas les budgets futurs pour faire face à ces dépenses.

Ici, messieurs, je désire dire qnelques mots concernant les effets de la progression incessante de la centralisation administrative.

Je dépose pour le moment le rôle de rapporteur, et je vous prie de vous rappeler que dans le passé j'ai usé de toute ma franchise sous les anciennes administrations.

Je n'épargnais pas les reproches à mes amis, quand je croyais de l'intérêt du pays de le faire.

C'est ce qui me permet d'élever aujourd'hui la voix avec indépendance.

Autrefois cette indépendance me valait vos suffrages. Aujourd'hui je me borne à réclamer encore un instant votre bienveillance.

Voici ce que je me demande. Voici la pensée qui me préoccupe.

De quelle valeur sont les libertés communales, quand le gouvernement a la faculté d'intervenir partout par la séduction de l'intérêt, par la concessiou ou par le refus des subsides ?

Que devient le caractère national, quand une portion notable de la population se ravale au rôle de solliciteurs, use son temps et son énergie à chasser aux subventions, aux monopoles, aux secours, que l'Etat ne peut donner aux uns, qu'aux dépens des autres ?

Que devient le caractère national quand l'idée est généralement répandue, et c'est ce que j'affirme sans détour, que pour mériter ces faveurs, il faut modeler ses opinions sur celles du pouvoir, qui en est le dispensateur ?

Que devient le caractère national, quand les uns se taisent par reconnaissance, quand d'autres se taisent parce qu'ils espèrent, et quand ceux mêmes qui repoussent les faveurs se taisent aussi, parce qu'ils craignent d'être traités d'envieux ou d'être jugés impuissants à rien obtenir pour leurs mandataires ?

Que devient le gouvernement lui-même quand il fonde son existence et sa force sur la dépense ?

Je dis qu'il prépare des embarras financiers, qui doivent finir par l'ébranler lui-même.

C'est que pour s'assurer les moyens de dépenser beaucoup, il faut avoir recours à de lourds impôts, à des impôts vexatoires.

C'est que si l'on se fait des partisans de ceux qui sont subsidiés, on se fait des adversaires de ceux qui payent ces prodigalités.

Or ceux qui payent sont nécessairement plus nombreux que les privilégiés.

Arrêtons-nous d'abord à ces subsides qui prêtent le moins à la critique, aux subsides destinés aux communes, à des sociétés, etc.

Le trésor public est insuffisant pour étendre le subside à tous, cela ne peut se contester. Il faut dès lors faire un choix.

A qui accorde-t-on la préférence ? Est-ce aux communes, est-ce aux associations, qui sont dans le besoin, parce que leurs affaires ont été gérées avec imprévoyance ? Et cette cause est la plus ordinaire.

S'il en était ainsi, ce serait une prime décernée à la négligence, à l’impéritie ! Ce système de répartition semble impossible ; il est trop contraire aux règles de bonne administration, l'opinion publique suppose donc plutôt que c'est une prime accordée au dévouement.

En effet rien n'inspire autant la générosité, que le dévouement. Le sentiment de la reconnaissance n'est-il pas inné en nous ? J'ajouterai que la générosité est une vertu que j'admire, mais à une condition cependant ; c'est qu'elle s'exerce aux dépens de ceux qui la pratiquent et non aux dépens d'autrui.

Ainsi il y a une opinion invétérée dans le pays, qui prétend que, pour que les habitants d'une commune obtiennent des subsides qui équivalent à une modération de taxes locales, il faut que le scrutin désigne pour diriger leurs affaires des hommes qui partagent les idées de ceux qui tiennent les clefs du trésor : d'abord au sujet du genre de protection réservé à l'agriculture ; et puis concernant l'organisation de l'armée ; et la manière d'entendre ce que c'est que la liberté des œuvres de charité ; et la mesure de l'intervention de l'Etat dans l'enseignement ; et le système de répartition de l'impôt, qui tend toujours à frapper le capital agricole au profit du capital industriel, etc., etc.

Ainsi l'on suppose, bien à tort, je l'espère, que ceux qui prétendent àlJa liberté de penser autrement et d'agir, à l'époque des élections parlementaires, d'après les inspirations de leur conscience, l'on suppose que ces personnes sont hors du budget et des crédits extraordinaires, pour me servir de la spirituelle expression de M. Pirmez, notre faonrable collègue,

Je le répète encore, je me borne à constater que cette idée a pénétré partout.

On me répondra sans doute, que cette opinion est erronée ; je le souhaite, je le désire, je l'espère.

Mais en attendant, cette opinion a des conséquences aussi déplorables que si elle était fondée.

C'est ce qui arrivera toujours et inévitablement, quand les gouvernements progresseront dans la voie des subventions, c'est-à-dire des faveurs.

Quelles sont encore les conséquences de l'application désordonnée du système des subsides ?

C'est que ce système finit par avilir les hommes en les habituant à sacrifier leurs devoirs à leurs intérêts.

C'est que dans un gouvernement démocratique, lorsque le pouvoir central, après avoir réglé les grands intérêts de la nation, peut entreprendre de régler les choses secondaires de la société, descendre jusqu'à la limite des intérêts communaux et privés, la liberté court quelque danger : car l'on parvient à dompter presque toutes les résistances par l'appât des subsides.

J'en viens à la seconde partie des observations que j'ai à vous adresser.

Ces observations sont délicates, messieurs, il s'agit de prêts, de subsides accordés à des personnes.

Mais je suis décidé à ne pas reculer devant cette difficulté.

Il faut que ceux qui ne reculent pas devant le rôle de solliciteurs, il faut que ceux qui ne font pas difficulté de vouloir vivre aux dépens de leurs concitoyens, sachent qu'il n'y a pas de fonds secrets qui leur sont destinés et que pour ces dépenses comme pour les autres, il y a un contrôle, un contrôle qui est celui que j'estime le plus, parce qu'il est le plus réel, la contrôle de la publicité.

Mais avant d'appeler votre attention sur ces dépenses, j'ai une réponse à faire à une observation énoncée dans le rapport rédigée par notre honorable collègue M. Vandenpeereboom sur les 2 millions.

Voici en quoi consiste cette observation :

« Au nombre des actes posés, dît le rapporteur, il s'en trouve incontestablement un certain nombre qui se justifieraient assez difficilement, si les circonstances avaient été normales....

« Ce travail se différencie fortement de ceux qui ont fait jusqu'à présent l'objet de ses investigations, cette considération est en effet puissante, et doit faire tomber toute critique qui voudrait se montrer trop sévère.

« Ce grand but atteint (le maintien de l'ordre) peut jusqu'à un certain point atténuer les erreurs de détail. »

Ainsi d'après cette observation les circonstances anormales de 1848 seraient de nature à justifier quelques actes qui seraient injustifiables dans des temps ordinaires ; les circonstances atténuent les erreurs de détails.

Je tiens à déclarer que je ne puis partager entièrement cette opinion.

Comment ! on serait recevable de venir soutenir, dans cette enceinte, que la difficulté des circonstances justifie, atténue des actes inutiles pour maintenir l'ordre, inutiles pour soulager les classes nécessiteuses ! Je soutiens, au contraire, que plus les circonstances sont difficiles, plus les ressources du trésor deviennent précieuses, et plus il faut les ménager et en user avec discernement et économie. Je soutiens que des dépenses qui constituent des faveurs individuelles prêtent plus à la critique en temps de crise qu'en temps ordinaire.

J'en viens à la question des subsides industriels.

L'administration, qui arriva aux affaires en 1847, tout en paraissant incliner vers les principes du libre échange, a inauguré un singulier genre de protection industrielle.

Ce genre de protection consiste à accorder des prêts, des subsides aux personnes.

Ainsi, l'administration de 1847 n'a pas craint de ressusciter en quelque sorte le million-Merlin, qui a fait le sujet de tant de critiques sous le gouvernement des Pays-Bas avant 1830.

Les administrations précédentes, en faisant usage des crédits considérables, votés à cause de la crise financière, alimentaire et industrielle, qui dura au moins deux ans, n'avaient pas eu recours à ce moyen. J'en appelle ici au témoignage de mon honorable collègue M. Cools.

Voici comment il s'exprime dans le rapport qu'il a présenté au nom de la commission des finances sur les crédits votés en 1845 et 1846 (voir n°234 des Annales parlementaires, session 1850-1851).

« La chambre, disait-il, ne manquera pas de faire une autre observation : c'est que nous rencontrons ici pour la première fois, un assez grand nombre de subsides, dont la distribution est restée centralisée entre les mains du gouvernement. Pour les avances remboursables, entre autres, le ministère s'est mis en rapport immédiat avec les intéressés, tandis que pour les dépenses dont nous nous sommes occupés jusqu'à présent., il n'avait fait que prêter aide à l'action des autorités provinciales et communales. Ici c'est lui qui s'attribue par moment la direction ; les rôles sont donc alors intervertis. »

Je lis plus loin dans le même travail : « Sous d'autres rapports la marche suivie offre incontestablement prise à la critique, soit que (page 791) dans cette circonstance le gouvernement ait été fort peu occupé des intérêts du trésor, soit qu'il ait négligé de prendre des précautions suffisantes pour sauvegarder ses intérêts, toujours est-il que le résultat des opérations, au point de vue financier, s'annonce comme devant être réellement déplorable. »

L'honorable rapporteur termine en disant ;

« Ce résultat ne saurait causer beaucoup d'étonnement. Il est la conséquence presque inévitable de l'adoption du système lui-même.

« Chaque fois qu'un gouvernement se décidera, en matière d'industrie ou de commerce surtout, à distribuer des subsides à des particuliers, il doit s'attendre à voir sa religion souvent surprise par l'obsession ou des apparences trompeuses. »

Je tiens maintenant à vous faire connaître le chiffre des prêts qui ont été distribués par le gouvernement depuis 1847 jusqu'au commencement de l'année 1851.

Je me hâte de vous prévenir, messieurs, que ce chiffre est officiel, car je l'ai extrait du livre des prêts, tenu par la cour des comptes, en vertu de l'article 16 de la loi du 29 octobre 1846.

Je crains cependant que le chiffre réel soit plus considérable, car le gouvernement n'a pas transmis à la commission l'état détaillé des subsides distribués par les députations permanentes des Flandres pour l'introduction d'industries nouvelles.

Le gouvernement a répondu à la commission, qui avait réclamé ces états, que les députations n'avaient pas encore rendu compte de l'emploi des fonds mis à leur disposition.

II faut convenir que voilà des comptes qui se font attendre longtemps ; il y a trois ans qu'ils devraient être rendus.

Quoi qu'il en soit, voici le chiffre des prêts accordés depuis 1847 jusqu'en 1851, d'après l'état détaillé que j'ai extrait du livre de la cour des comptes. Cet état comprend les noms des débiteurs, les dates des arrêtés, le montant des prêts, les motifs des prêts, les conditions et époques de remboursement.

Cet état s'élève à 942,641 fr. Je vais vous indiquer les crédits sur lesquels les prêts ont été imputés.

Le crédit alloué par la loi du 20 décembre 1846 à l'ancien cabinet, pour perfectionner l'industrie linière, y a contribué pour fr. 89,000.

Le nouveau cabinet a appliqué le crédit encore disponible en prêts industriels.

Le crédit alloué par la loi du 29 décembre 1847 y a contribué pour 15,000 francs.

Les budgets des exercices 1848 à 1851 y ont contribué pour au-delà de 100,000 fr.

Le million de 1849 y a contribué pour 178,500 fr. en défalquant le subside destiné à la cité ouvrière d'Ixelles.

Le million de 1848 y a contribué pour 280,571 fr., etc., etc.

Messieurs, lorsque cet état me tomba sous la main et ce fut d'une manière assez fortuite, je ne revins pas de mon étonnement.

Car j'avais encore présente dans la mémoire cette déclaration que M. le ministre de l'intérieur fit lors de la discussion des 2 millions en 1848.

En voici les termes :

« Jusqu'ici je ne connais pas un seul particulier, auquel le gouvernement ait l'intention soit de faire un cadeau, soit d'accorder un subside sous forme de prêt. Le gouvernement n'aura pas affaire aux particuliers, mais aux communes et aux provinces ; il tirera le meilleur parti possible de l'allocation. Dans la plupart des circonstances, ce sera sous forme de prêt ; dans d'autres, peut-être, devra-t-il abandonner la somme, mais ce sera principalement sous forme de prêts. Je m'en suis expliqué déjà, le gouvernement n'a pas l'’intention de se mettre en rapport avec tel ou tel industriel, mais avec l'intérêt public représenté par la commune ou la province. »

Les prêts accordés peuvent se diviser en trois catégories :

Faveurs destinées aux exportations ;

Etablissement d'industries nouvelles ;

Secours à des spéculations, qui ont amené des mécomptes.

Examinons d'abord les résultats des faveurs destinées à activer l'exportation.

Le gouvernement a dépensé en primes à la sortie, sur les crédits de 1848 et 1849, fr. 214,484 87 c.

En fait de protection industrielle, ce système est au moins exclusif du privilège, cela ne peut se contester.

Cette mesure, dans les circonstances où se trouvait le pays en 1848, est à l'abri de toute critique ; eh bien, le compte rendu se croit obligé en quelque sorte d'avoirs recours à une précaution oratoire pour excuser l'administration de l'avoir prise.

Et lorsqu'il s'agit de prêts individuels, de faveurs, qui prêtent fort à la critique, le compte rendu passe sans observations à ce sujet, on dirait qu'il craint de toucher cette corde-là. Cette nature de protection est cependant bien plus anormale, et exigerait plutôt des explications que des primes accordées à toutes les marchandises présentées à l'exportation et par n'importe qui.

Commençons par examiner l'emploi d'une somme de 135,000 francs confiée à trois expéditeurs.

Le compte rendu dit, page 9, que les expéditions devaient être composées, autant que possible, d'articles non fabriqués au moment de la signature du contrat, et notamment de tissus de lin, de colon ou de laine.

La commission avait réclamé les états indiquant la nature et la valeur des exportations en examinant l'emploi des 2 millions. Le gouvernement n'en a produit qu'un seul. Il a fait valoir pour excuse que les personnes avec lesquelles il avait contracté avaient cinq années pour faire leurs expéditions, et que leurs opérations n'ont commencé qu'en 1851. Tel est le motif invoqué par l'administration, dans sa lettre du 29 avril 1851, adressée à la commission.

Vous conviendrez, messieurs, que ces exportations arriveront un peu tardivement pour remédier au malaise et à la crise où se trouvait l'industrie en 1848.

Ouant aux états d'exportation déposés sur le bureau, je vous engage à les vérifier. Vous verrez quelle a été la nature des exportations.

Remarquez que les exportations devaient avoir notamment pour objet : des tissus de lin, de coton et de laine.

Eh bien, voyons ; qu'a-t-on exporté ?

Pour 9,987 fr. de tissus de lin.

Pour 6,800 fr. de tissus de laine et coton.

Pour 4,500 fr. de toile cirée.

Pour 12,000 fr. de dentelles.

Le reste se répartit en articles qui intéressent peu les grandes industries belges. Vous serez de mon avis, je suppose.

Le reste se répartit en articles :

Thé pour 1,200 fr. ; vins fins et de Champagne pour quelques mille francs ; livres reliés ; tabac à chiquer ; habits supportés ; parfumeries ; effets d'émigrants et une infinité d'objets divers sans valeur, telles que vivres pour les passagers.

Un des trois expéditeurs a reçu une avance de fr. 60,000.

Ce même expéditeur avait déjà une avance de 166,470 en 1847.

En sorte qu'il doit au trésor 226,470 fr.

Il est douteux que le trésor puisse les recouvrer. (Interruption.) Vous désirez savoir sur quel crédit ces 166,470 fr. ont été prélevés. Eh bien, le gouvernement les a imputés sur le crédit ouvert à propos de la célèbre convention cotonnière de 1847. Ce prêt a été accordé au mois de novembre, à une époque où la crise avait cessé. (Interruption.) Oui, M. le ministre, vous avez absorbé ce crédit à la santé de MM. Malou et de Theux ; ils avaient tiré les marrons du feu, et c'est vous qui en avez fait usage. (Interruption.)

Que dire de cet autre prêt sans intérêt accordé à deux expéditeurs pour fonder un comptoir en Californie ?

Vous aurez pu remarquer, à la suite du rapport que j'ai eu l'honneur de déposer, l'état des exportations produit par le gouvernement.

Ces exportations composées d'une multitude d'articles n'ont exercé aucune influence sur le travail de nos centres manufacturiers. C'était là, cependanl, qu'il importait d'alimenter le travail pour maintenir l'ordre.

On a cependant exporté, je le reconnais, des maisons en fer et en bois pour une valeur d'environ 90,000 fr. ; des toiles pour 18,000 fr. ; des bières pour 11,000 fr., des cordages. M. le ministre m'a reproché hier de n'avoir pas fait mention d'un article qui concerne des habillements, et d'une valeur de 100,000 fr., cela ne diminue pas la valeur de mes observations, elles restent entières.

Mais il paraît que les fabricants, qui ont livré leurs marchandises en consignation, éprouvent quelque difficulté a en obtenir le prix, j'en ai acquis l'assurance. Les fabricants ne sont pas plus heureux que le trésor public.

L'administration devrait songer que les prêts qu'elle accorde, que les décorations qu'elle décerne, donnent du crédit à ceux qui obtiennent ses faveurs.

Si l'industrie privée est victime de sa confiance, le gouvernement pourrait être tenu responsable de ces pertes.

M. de Liedekerke. - C'est une responsabilité morale.

M. de Man d'Attenrode. - Sans doute ; c'est ainsi que je l'entends.

Je dis donc sans hésiter, que les sommes considérables dont il vient d'être question ont été dépensées sans utilité pour favoriser le travail en 1848.

Je dis plus, je dis que ces dépenses ont été nuisibles au commercer d'exportation, je dis qu'elles ont diminué la confiance nécessaire à ces opérations.

Passons à une autre dépense, que le gouvernement a faite pour favoriser le travail d'exportation.

Cette dépense s'élève à 76,000 fr. elle a eu pour objet de donner des moyens de voyager à 35 personnes, qui pour la plupart sont parties pour l'Amérique deux se sont rendues à Hambourg, trois en Angleterre, une en Espagne.

Messieurs, quand nous discutions la proposition du gouvernement, qui lui a valu de disposer de 2 millions, que vouliez-vous ?

Vous vouliez des mesures promptes pour multiplier le travail, pour venir en aide aux classes ouvrières, pour écouler les produits par des exportations immédiates.

A-t-on rempli le but que nous nous proposions tous, en dépensant 76,000 fr. pour faire voyager 35 personnes ? Je réponds que non, je réponds que nous ne nous proposions pas ce but-là en votant 2 millions destinés à parer aux difficultés de la situation.

Ensuite veuillez remarquez la manière, dont la répartition a été faite. On accorde à l'un 6,000 fr. pour se rendre sur la côte d'Afrique, à un (page 792) autre 4,000 fr. pour se rendre dans les mêmes parages, à un autre 1.000 fr. peur se rendre en Amérique ; à un autre 200 fr. pour se rendre à Java, et ainsi de suite.

En consultant ce tableau qui est déposé sur le bureau, l'on peut se convaincre ensuite, que s'il est vrai que quelques-uns de ces voyages ont eu pour but de perfectionner des connaissances commerciales, il en est beaucoup qui n'ont eu d'autre but que l'émigration, ou la distraction des voyages.

Je le répète donc, ces 70,000 n'ont pas rempli le but que nous nous proposions ; le maintien de l'ordre par le travail.

Un mot de notre colonie de Rio-Nunez, qui n'est pas assez connue !

Je ne puis me plaindre des 20 mille fr. employés à l'acquisition de cette colonie. Mais la Belgique ne se doute pas qu'elle possède Rio-Nunez en toute souveraineté.

La Belgique ne sait pas qu'un arrêté royal contre-signe d'Hoffschmidt, a approuvé, le 27 décembre 1848, un traité conclu avec le chef suprême des Nalous, appelé Lamina. Il importe que le pays apprenne cette extension donnée à son territoire, et que ce traité lui vaut une colonie sur la côte occidentale d'Afrique pour le prix de 20 mille fr. !

Je regrette que M. le rapporteur n'ait pas demandé quelques renseignements au gouvernement sur la situation de notre colonie.

J'espère que le gouvernement voudra bien y suppléer par quelques explications.

Je passe à l'examen des sommes consacrées à l'établissement de nouvelles industries en Flandre.

Comme le compte rendu et le rapport n'exposent pas ces dépenses avec toute la clarté désirable, comme ces documents ne nous disent rien des résultats obtenus pour le pays, je m'en vais essayer d'y suppléer en puisant mes chiffres et mes renseignements dans le relevé que j'ai fait a la cour des comptes ; car vous devez savoir que l'article 28 du règlement d'ordre de la cour des comptes, approuvé par le congrès, nous autorise, messieurs, à prendre connaissance de toutes les pièces qui reposent dans ses archives.

Je trouve dans mon relevé que, d'après une convention du 25 juillet 1848, 30,000 francs ont été prêtés sans intérêt à deux individus pour établir une fabrique de tissus de soie à Alost.

Il circule des bruits si étranges sur cet établissement qu'on a peine à y croire. Il paraît cependant positif que les deux fabricants ont quitté le pays pour des motifs indépendants de leur volonté sans rembourser les 30,000 fr.

L'Etat avait pour garantie le mobilier industriel de leur fabrique.

Je voudrais savoir quelle indemnité cette garantie a value à l'Etat ? C'est au gouvernement à nous l'apprendre.

Une convention du 22 novembre 1848 a accordé un prêt de 4,000 fr. sans intérêt, remboursable dans les deux années, à un fabricant de batiste près d'Audenarde.

Le 16 janvier 1850, une nouvelle convention n'a pas tardé à lui accorder un nouveau prêt de 5,000 fr. sans intérêt.

Il paraît que cet établissement a eu le même sort que le précédent.

Le trésor ne possède aucun moyen de recouvrer ce qui lui est dû.

Mon relevé indique encore que par diverses conventions signées les 23 janvier, 15 février, 5 août 1848, 26 décembre 1849, 9 décembre 1850, un fabricant étranger établi à Deynze a reçu divers prêts imputés sur tous les crédits disponibles, et ces prêts s'élèvent à 87,500 fr. Mais l'on assure que les sommes que cet industriel a reçues du gouvernement sont plus considérables.

D'après le livre tenu à la cour, l'Etat a, en garantie des sommes prêtées, le mobilier industriel. L'établissement devient sa propriété au bout de 6 ans. Qu'est-il advenu de cette entreprise industrielle aux frais de l'Etat ? Notre débiteur laisse une faillite considérable, qui a fait beaucoup de victimes.

Mais voici ce qu'il y a de plus singulier.

C'est que cet entrepreneur d'industrie gouvernementale accuse le gouvernement de son désastre, il l'attribue à ce que le département de l'intérieur n'a pas été assez généreux à son égard.

M. le ministre de l'intérieur a été même mis en demeure à sa requête, par exploit d'huissier du 28 mars 1851, de payer une somme supplémentaire de 32,489 fr.

Le gouvernement devrait comprendre qu'il n'a pas pour mission d'intervenir dans le travail industriel. Son intervention dans ces matières ne peut avoir que des résultats malheureux.

Le trésor public fait des pertes, mais ces pertes en amènent de plus regrettables encore, et voici comment :

Le public croit à tort qu'une entreprise patronée par l'Etat est impérissable ; voilà ce qui fait surgir un crédit trop souvent sans valeur réelle, qui amène des ruines d'autant plus déplorables, qu'elles sont souvent définitives et sans remède.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Parlez donc des 80 établissements qui fleurissent !... Mais je répondrai.

M. de Man d'Attenrode. - Mais mon Dieu, M. le ministre, pourquoi tant insister pour que je vous décerne des louanges ? Votre majorité n'est-elle donc pas assez nombreuse pour remplir cet office ? Vous voulez qne je fasse ressortir les choses utiles que vous avez fondées, il en est, je n'en doute pas. Mais ma mission, veuillez-le comprendre, ne consiste pas à aller à la recherche des établissements qui fleurissent. J'ai déjà eu assez de besogne à découvrir et à rectifier vos erreurs administratives.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - C'est de l'impartialité.

M. Orban. - Un ministre a-t-il le droit de prescrire à un orateur ce qu'il doit dire ?

M. de Man d'Attenrode. - Je n’ai pas tout dit ; ce qui prouve que je ne suis pas si partial que vous le dites.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Citez !

M. de Man d'Attenrode. - Un fabricant de toiles mixtes à Courtray a reçu un subside de 15,000 fr.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Plus que cela.

M. de Man d'Attenrode. - Tant pis ; mais peu importe la somme, le subside est donc considérable. Il a été accordé à la condition de donner de l'ouvrage à 1,500 fileuses ; et si mes renseignements sont exacts, et j'ai lieu de les croire tels, il ne remplit pas les conditions de son contrat.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - M. de Haerne sait ce qui se fait dans cet établissement.

M. de Haerne. -J'ai connu dans le temps ce qui s'y passait, mais je ne sais plus rien dans le moment actuel.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Il s'agit de cette époque-là.

M. de Man d'Attenrode. - Un dernier mot, messieurs ; j'ai encore à vous parler des sommes dépensées en secours à des entreprises industrielles ; je ne citerai, à ce sujet, que trois actes de dépenses.

Le gouvernement a prêté 2,500 francs à un horloger de Bruxelles, sans intérêt, remboursable par tiers, à dater du 1er mars 1852.

Il a prêté 15,000 francs à un fabricant de bronzes, par convention du 19 septembre 1849, remboursable dans les deux années, et moyennant le consentement de ses créanciers.

Je vous le demande, messieurs, sont-ce là des industries qui ont assez d'avenir en Belgique pour que le gouvernement fasse usage du trésor public pour les soutenir ?

En fait d'horlogerie nous ne possédons que l'industrie qui s'applique aux réparations.

La seconde a lutté vainement pour naître.

Ce sont là des faveurs personnelles, à l'appui desquelles on ne peut invoquer aucune considération d'intérêt public.

J'en viens aux 87,000 fr. que le gouvernement a prêtés, a donnés en partie, à deux horticulteurs sous prétexte de favoriser l'agriculture, sous prétexte de maintenir l'ordre public par le travail.

Quand vous avez voté, messieurs, en 1849 un million pour le maintien du travail agricole et pour autres mesures à prendre dans l'intérêt des classes ouvrières, entrait-il dans vos intentions que ce crédit fût employé à favoriser la culture des plantes exotiques, des plantes de serre, des plantes destinées à embellir la demeure de l'opulence ?

Je ne pense pas que personne dans cette enceinte voulût se lever pour répondre affirmativement.

Je dis donc sans hésiter que cette dépense ne peut se justifier.

Elle est injustifiable au point de vue de l'intérêt des contribuables ; on dispose du trésor pour décerner des faveurs.

Elle est injustifiable au point de vue de l'intérêt de l'industrie horticole elle-même.

La concurrence est déjà très vive.

Est-elle encore possible avec des concurrents qui jouissent du patronage du trésor public ?

Voici une observation qui dépeint combien la conduite du gouvernement est inconsidérée.

Le gouvernement a fondé une école d'horticulture près de Gand, il lui accorde un subside annuel de 12,000 fr.

Cette école tend à multiplier le nombre des jardiniers, à augmenter la concurrence.

Et quand la concurrence met des industriels dans l'embarras, l'administration n'hésite pas à user des crédits dont elle dispose pour réparer des désastres qu'elle a amenés.

Si au moins alors le trésor était assez riche pour les réparer tous. Mais le gouvernement étant impuissant pour secourir également tout le monde, accorde des faveurs, des privilèges aux uns aux dépens des autres.

Je termine en disant que cette dépense imputée sur le paragraphe destiné à maintenir le travail agricole, ne peut être considérée que comme une ironie.

Encore un mot ; je disais en commençant que le dévouement inspire la générosité.

Voilà comment s'explique la cause qui a déterminé certaines dépenses, qui sans cela resteraient inexplicables et la reconnaissance qui prend parfois de singulières formes.

Ainsi les serres chaudes ont le bon goût de transmettre le nom de M. le ministre de l'intérieur à la postérité en multipliant la famille des « Rogiera amœna » ; des « Rogiera discolor » ; des « Rogiera elegans », etc.,etc. ; il y en a jusqu'à 8 espèces.

L'agriculture peut-elle se plaindre de payer une attention aussi délicate au prix de 87,000 fr ?

J'ajoute que certaines libéralités aux lettres et aux arts ont été déterminées, assure-t-on, par les mêmes causes.

Je m'arrête ici. La manière de conclure après avoir discuté les actes de dépenses du gouvernement consiste à ramener le chiffre des crédits au chiffre de la dépense.

De voter le chiffre de la dépense faite, si elle est jugée utile et légale.

(page 793) De la laisser à la charge de l'ordonnateur. si on juge qu'il a abusé des crédits.

Je ne puis conclure d'aucune des deux manières. Notre examen s'est borné a examiner des actes et non des chiffres.

Cette besogne est réservée à la commission des finances, quand elle sera chargée d'examiner les comptes généraux des exercices 1848, 1849 et suivants.

Mon but a été de livrer les actes du gouvernement à la publicité, parce que c'est le contrôle le plus puissant.

Les contribuables sauront comment on use des sacrifices qu'on leur impose. L'opinion publique jugera.

Je termine en disant que cela me suffit pour le moment.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - L'heure étant avancée, je demande à dire quelques mots seulement, me réservant de reprendre la parole demain.

- Plusieurs voix. - A demain.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Messieurs, je me borne à constater pour aujourd'hui le fondement des observations critiques que j'ai adressées dans la séance d'hier au rapporteur de la commission des finances, M. de Man. Je lui avais reproché d'agir vis-à-vis du ministère, alors qu'il avait à apprécier des dépenses faites dans des circonstances difficiles, d'agir non pas comme juge mais comme adversaire ; d'omettre, de négliger tous les faits favorables pour ne faire ressortir que ceux qu'il considérait comme désavantageux.

Tout en protestant contre ce reproche, l'honorable rapporteur l'a de nouveau justifié et mérité aujourd'hui. Vous avez vu avec quel soin, avec quelle minutie il s'est attaché, de nouveau, à faire ressortir tout ce qui, dans cette multitude d'applications de la somme de deux millions et d'un million avait pu présenter à ses yeux des résultats défavorables, se taisant complètement, soigneusement, sur tous les résultats qui, de l'aveu de tout le monde, doivent être considérés comme avantageux. Voilà l'impartialité de l'honorable rapporteur de la commission des finances ; et vous déciderez si c'est avec raison que je la révoque en doute.

Je reviendrai, dans la séance de demain, sur le discours de l'honorable préopinant ; il a cité beaucoup de chiffres ; il a cité un assez grand nombre de faits ; je me propose de répondre à cette partie de son discours. Pour aujourd'hui je me borne à constater de quelle manière l'honorable M. de Man traite les questions financières selon qu'elles concernent l'administration actuelle ou les administrations précédentes.

Nous avons reçu, messieurs, en 1848 et 1849, une somme de 3 millions ; nous avons obtenu des chambres la faculté la plus large d'en disposer, suivant les besoins des circonstances ; nous pouvions disposer de cette somme d'une manière définitive, sans chercher à en assurer le retour au trésor. Une partie de cette somme a été consacrée à des prêts, prêts garantis, prêts remboursables. La plupart de ces prêts sont rentrés, les autres rentreront ; il est possible, sans doute, qu'il y ait quelques pertes.

Nos prédécesseurs ont reçu, dans des circonstances difficiles, mais qui certes ne l'étaient pas autant que celles que nous avons eu à traverser, ils ont reçu, dis-je, en 1845 et 1846, des crédits jusqu'à concurrence de près de 4 millions.

L'honorable rapporteur de la commission de finances qui vient de se décerner un magnifique brevet d'indépendance vis-à-vis de tous les ministères, l'honorable M. de Man ne trouve pas un mot, pas un seul mot à dire sur l'emploi de ces 4 millions. Au contraire, membre de la commission des finances, il n'a que des éloges à donner à la manière dont ces 4 millions ont été dépensés. Ces 4 millions ont été absorbés par des communes, par des particuliers ; et pas un centime de toute cette somme n'a fait retour au trésor.

Quant au 3 millions alloués au ministère actuel, je le répète, une grande partie de cette somme est rentrée au trésor. Ceux qui en ont reçu une partie auraient pu l'absorber définitivement ; au lieu de cela, ils ne l'ont obtenu qu'à titre de prêts, ces prêts ont été garantis et sont en grande partie rentrés au trésor.

Et l'on vient, messieurs, attaquer le gouvernement pour la manière inconsidérée dont il a disposé des fonds de l'Etat ! Ici encore, je suis en droit de reprocher au rapporteur de la commission des finances son esprit de partialité. Cet honorable membre va même jusqu'à soutenir que, dans la distribution des subsides, le gouvernement n'a cherché qu'à favoriser ses intérêts personnels, qu'à favoriser les intérêts de ceux qui n'en avaient pas besoin, au détriment des intérêts des classes pauvres.

En ce qui concerne particulièrement les travaux d'assainissement, il vient déclarer à la chambre, à la face du pays, en présence de plus de 100 communes qui ont reçu des subsides pour travaux d'assainissement, il vient déclarer que ces travaux n'ont servi qu'à embellir quelques quartiers dans les villes, au profit de propriétaires déjà suffisamment riches pour n'avoir pas besoin de semblables subsides.

Eh bien, messieurs, ce fait est complètement faux : les fonds destinés à l'assainissement n'ont pas été seulement dépensés dans les grandes villes ; ils ont été dépensés dans un grand nombre de communes rurales ; et dans les villes comme dans les communes où de pareilles dépenses ont été faites, c'est particulièrement dans les quartiers habités par les classes pauvres qu'elles ont reçu leur application.

M. de Man d'Attenrode. - Je n'ai parlé que de l'emploi du crédit d'un million sur lequel j'ai fait rapport.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Vous avez parlé, en général, des fonds destinés à l'assainissement ; vous avez dit que cette dépense avait eu pour effet d'enrichir des quartiers déjà riches, sans résultat aucun pour les classes pauvres.

Vous avez blâmé, entre autres, ce qui a été fait par l’administration communale de Louvain.

J'aime à croire que vous, qui rendiez hier hommage à tous les actes posés sous le contrôle des administrations communales, vous n'avez ici infligé à l'administration communale de Louvaïn qu'un blâme injuste ; j'aime à croire que les magistrats de la ville de Louvain ont fait de ces fonds l'usage le plus utile, le plus conforme à l'intérêt des habitants de cette localité.

Le gouvernement n'intervient d'ailleurs que subsidiairement dans ces travaux ; il n'intervient pas pour une part supérieure au tiers de la dépense.

Ainsi, s'il y a eu ici quelques abus dans une localité, ce que je n'accorde nullement, le gouvernement ne peut en être responsable.

Mais je soutiens qu'en général partout les fonds destinés à l'assainissement, ont été dépensés dans les quartiers occupés par les classes pauvres ; et si ces quartiers ont été transformés en quartiers habitables pour des classes plus riches, c'est là le résultat immédiat, naturel des travaux d'amélioration qui s'exécutent.

C'est ainsi notamment que dans la ville de Tournay j'ai été témoin moi-même de la transformation d'un quartier autrefois à peine habitable et qui est devenu un des quartiers les plus sains de la ville.

L'honorable préopinant s'est permis des insinuations de la plus insigne malveillance. Je dois insister sur le mot. Il nous a appris qu'à la cour des comptes toutes les dépenses faites par le gouvernement se trouvaient renseignées dans certains registres qui étaient ouverts à tous les membres de la chambre ; il était bien aise de le leur apprendre.

En effet, messieurs, toutes les dépenses faites par l'Etat sont renseignées à la cour des comptes ; toutes sans exception. Aucune dépense ne se fait qui ne soit parfaitement renseignée à la cour des comptes et liquidée par cette cour. Il n'y a donc pas là une grande découverte.

Mais l'honorable rapporteur de la commission des finances, et je ne sais si aujourd'hui il a parlé en son nom personnel ou s'il prétend encore parler au nom de toute la commission des finances....

M. de Man d'Attenrode rapporteur. - J'ai fait la distinction.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - L'honorable rapporteur a découvert que beaucoup de dépenses se faisaient au département de l'intérieur à l'abri d'un chef de division, toujours le même, auquel on ouvrait des crédits.

Ce chef de division, messieurs, est un agent comptable, dont l'existence est consacrée par la loi de comptabilité, à qui l'on ouvre des crédits pour certaines dépenses qui ne souffrent pas de retard dans leur liquidation. Mais cet agent auquel on ouvre des crédits et qui est toujours le même, ainsi que l'a fort bien fait remarquer l'honorable rapporteur, doit rendre compte aussi de toutes les dépenses qu'il a effectuées.

L'honorable M. de Man aurait dû pousser ses recherches plus loin. Après avoir découvert que des crédits avaient été ouverts à un chef de division, agent comptable, il aurait pu s'assurer des dépenses qui étaient effectuées par cet agent comptable. Il aurait encore découvert là probablement beaucoup d'énormités, beaucoup d'actes irréguliers, beaucoup d'actes de favoritisme, comme il les appelle.

Pourquoi n'a-t-il pas poussé plus loin ses recherches ? Il ne suffit pas de découvrir que des crédits sont ouverts à un chef de division, agent comptable ; il faut rechercher quelles sont les dépenses faites par cet agent comptable.

J'engage l'honorable M. de Man à se livrer à cette étude complémentaire.

L'honorable rapporteur a découvert aussi à la cour des comptes la série de tous les prêts qui ont été effectués par le département de l'intérieur.

Ici, messieurs, l'honorable membre s'est livré à un travail inutile. Il n'avait pas besoin de recourir à la cour des comptes ; il pouvait s'épargner ces recherches approfondies auxquelles il s'est livré ; car dans les comptes rendus par le département de l'intérieur, tous les prêts faits ont été renseignés.

Je ne sais si les prêts faits sur les 4 millions alloués en 1845 et efi 1846 ont été renseignés quelque part.

M. Malou. - Oui, nous avons fait deux comptes rendus avec les détails des prêts.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Oui ; mais je doute qu'ils aient été renseignés avec tous les détails que réclame l'honorable rapporteur de la commission des finances.

Quoi qu'il en soit, on trouve que tous ces prêts ont été régulièrement faits, que rien d'irrégulier, rien d'inutile n'a été accompli pendant cette période et en application des crédits extraordinaires de quatre millions.

On assure au contraire que les prêts que nous avons faits ne sont pas suffisamment garantis. On a fait allusion à l'avance qui a été faite pour les expéditions en Californie. J'annonce à la chambre que le premier remboursement de cette avance a été versé au trésor dans la journée d'hier. (Interruptton.)

Est-ce que cela contrarie M. le rapporteur ?

M. de Man d'Attenrode. - Au contraire.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Croit-il que c'est l'effet de son rapport ?

(page 974) M. de Man d'Attenrode. - Oui, je le croirais bien. (Interruption). Quel est le chiffre du remboursement ?

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Le chiffre du premier remboursement est de 20 mille francs. Le reste sera remboursé succcessivement ; le prêt était parfaitement garanti, et quel que soit le mérite du rapport de l'honorable M. de Man, il m'est impossible de lui attribuer la vertu d'avoir fait effectuer un remboursement pour lequel le gouvernement n'a jamais eu la moindre appréhension.

J'espère, messieurs, que dans la séance de demain cette longue discussion fera un pas. Il est impossible, après le discours de l'honorable rapporteur de la commission des finances, qui prétend parler au nom de cette commission, il est impossible que l'on n'arrive pas à une conclusion formelle. Je demanderai donc demain que la commission des finance, par l'organe de son rapporteur, veuille bien présenter à la chambre des conclusions sérieuses et saisissables.

Si, en effet, messieurs, le gouvernement a disposé d'une manière irrégulière des fonds misàâ sa disposition ; s'il a méconnu les intentions de la législature, s'il a manqué à ses engagements, si, en un mot, M. le rapporteur de la commission des finances a raison dans les attaques qu'il livre au ministère, il faut une conclusion catégorique de la part de la commission. Nous ne pouvons pas rester dans le vague.

Il faut, messieurs, que la commission, puisqu'on a parlé d'indépendance, puisqu'on a parlé de courage, il faut que la commission pousse le courage jusqu'à formuler des conclusions sérieuses et saisissables pour le ministère et pour la chambre. J'espère que, dans la séance de demain l'honorable M. de Man voudra bien formuler ces conclusions. Les conclusions de l'honorable rapporteur, si son discours a le moindre fondement, ne peut être qu'un blâme infligé au ministère pour la manière dont il a disposé des fonds votés en 1848 et 1849. J'attends de la loyauté et de l'indépendance de l'honorable M. de Man une conclusion formelle dans le sens que je viens d'indiquer.

M. Osy. - La commission demande que tous les ans, à l'occasion de l'examen du budget des voies et moyens le gouvernement fasse connaître les sommes qui sont rentrées. Voilà la conclusion de la commission.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - J'ai fait ressortir hier combien une pareille recommandation est dérisoire ; j'ai fait remarquer qu'elle donne moins de garanties à la chambre que celles qui existent maintenant ; ele ne ferait qu'atténuer en effet la prescription de la loi de juin 1849 qui exige non pas un état sommaire des sommes rentrées, mais un compte annuel des rentrées et des dépenses effectuées.

Ainsi, messieurs, il faut une autre formule ; celle-là, je le répète, est au-dessous de la prescription de la loi et elle ne mérite pas d'être soumise à la charabre.

M. E. Vandenpeereboom. - Messieurs, pendant la discussion, l'on a fait allusion, plusieurs fois, aux conclusions qui se trouvent à la fin de mon rapport. Je croyais avoir suffisamment indiqué le point où le travail du rapporteur se terminait.

Plusieurs membres avaient désiré ajouter des observations que j'ai mises entre guillemets. Il ne m'est pas permis, comme rapporteur, de faire connaître quels sont les membres qui ont formulé ces observations. Mais je crois que j'ai le droit de dire que je n'ai point adhéré à ces conclusions.

J'avais prévu ce qui arrive maintenant. J'avais pressenti qu'après les critiques, qui s'étaient produites au sein de la commission et que la discussion publique devait rendre plus vives encore, il serait impossible de terminer par une conclusion aussi vague que celle qui se trouve ar-tuellcment à la fin du rapport.

Mes conclusions étaient rédigées de la manière suivante :

« Il appartient à la chambre de juger si, comme quelques membres de la commission l'ont pensé, le gouvernement a manqué fréquemment et fâcheusement le but qui lui avait été assigné par la législature ; ou bien si, comme d'autres membres l'ont cru, les mesures prises par lui et considérées dans leur ensemble ont eu pour résultat de maintenir l'ordre par le travail, tout en donnant, dans une certaine mesure, un heureux développement à plusieurs branches de l'industrie nationale. »

Cette rédaction fut remplacée par celle que vous connaissez.

Mais, ce qu'on m'a empêché d'insérer dans le rapport, je me suis réservé la faculté, et cela est de droit, de le reprendre comme membre de la chambre. Or, il me semble que j'ai attendu assez longtemps, me laissant attribuer des conclusions qui n'étaient pas les miennes, pour pouvoir enfin faire connaître ma pensée et mes appréciations.

L'heure est trop avancée pour les motiver en ce moment. Je pourrai le faire dans le cours de la discussion.

- La séance est levée à 5 heures.