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Chambres des représentants de Belgique
Séance du lundi 13 décembre 1852

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1852-1853)

(Présidence de M. Delfosse.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 315) M. Dumon procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.

- La séance est ouverte.

M. Vermeire lit le procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Dumon fait connaître l'analyse des pièces suivantes adressées à la chambre.

« Des habitants de Lippeloo demandent une loi qui autorise les électeurs à voter dans la commune où ils résident, et prient la chambre de réviser le tableau de répartition des représentants. »

« Même demande des habitants de Weart, Eyckevliet, Oppuers, Breendonck, Mariakerke, Saint-Amand, Bornhem et Hingene. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Catala prie la chambre de rejeter tout projet de loi qui aurait pour but d'assurer aux inventeurs le monopole de leurs découvertes. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi sur les brevets d'invention.


« Le sieur Balant, syndic des huissiers attachés au tribunal de première instance de Mons, demande une loi qui accorde à ces officiers publics le droit d'exercer leur ministère devant la justice de paix concurremment avec les huissiers attachés à ces tribunaux. »

« Même demande des huissiers attachés au tribunal de première instance de Dinant. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Kirsch, commissaire en chef de la ville de Liège, fait hommage à la chambre d'un exemplaire de l'essai qu'il a publié sur les fonctions de l'officier du ministère public près les tribunaux de police, et prie la chambre d'accorder une indemnité aux commissaires de police qui remplissent ces fonctions. »

- Dépôt de l'ouvrage à la bibliothèque et renvoi de la pétition à la commission des pétitions.


« Le sieur Borremans, ancien garde champêtre à Leeuw-Saint-Pierre, réclame l'intervention de la chambre pour obtenir une pension. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Mathieu prie la chambre de lui accorder une indemnité. »

- Même renvoi.


« Des habitants de Louvain prient la chambre d'adopter la proposition de loi qui modifie l'article 24 de la loi sur la garde civique. »

- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner la proposition de loi.


« Des habitants de Zele prient la chambre d'adopter la proposition de loi relative à l'exemption de droits en faveur des actes concernant l'expulsion de certains locataires. »

- Renvoi à la commission chargée d'examiner la proposition de loi.


« Le conseil communal d'Olmen prie la chambre d'accorder à la compagnie Leysen la concession d'un chemin de fer de Lierre à Turnhout, avec embranchement par Gheel au camp de Beverloo. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Message du sénat faisant connaître l'adoption par cette chambre d'un projet de loi de crédit extraordinaire concernant le département de la guerre. »

- Pris pour information.

Rapport sur une demande en naturalisation

M. de Perceval, au nom de la commission des naturalisations, dépose un rapport sur une demande de naturalisation ordinaire.

- La chambre ordonne l'impression et la distribution de ce rapport, et en met le vote à la suite de l'ordre du jour.

Projet de loi portant le budget du ministère de l’intérieur de l’exercice 1853

Discussion du tableau des crédits

Chapitre XVI. Instruction publique. Enseignement moyen

Discussion générale (chapitres XVI et XVII)

M. le président. - La discussion continue sur le chapitre XVI, Enseignement moyen ; elle pourra, comme samedi, porter aussi sur le chapitre suivant (Enseignement primaire), à cause de la corrélation qui existe entre ces deux branches de l'enseignement. Cependant, s'il était fait une proposition au sujet de l'enseignement primaire, elle ne serait soumise au vote que quand nous arriverons au chapicle XVII, Instruction primaire.

M. le ministre de l'intérieur (M. Piercot). - Messieurs, la discussion relative à l'enseignement primaire et à l'enseignement moyen a pris dans votre dernière séance des proportions auxquelles le gouvernement ne semblait pas devoir s'attendre ; par les déclarations que le gouvernement avait faites, et qui sont consignées dans le rapport de la section centrale, il pensait avoir donné de justes satisfactions à tous ceux qui s'occupent de ces grands intérêts au double point de vue des principes et des effets que ces principes ont produits.

Cependant, malgré le soin que le gouvernement a apporté à faire connaître son opinion, malgré l'espérance qu'il avait qu'au moyen de cette déclaration il aurait amené dans cette assemblée un sentiment de confiance suffisant pour prévenir une discussion irritante, le débat a pris des proportions inattendues, et ce qui s'est passé m'oblige à prendre immédiatement la parole, pour expliquer de plus près les intentions du cabinet et enlèvera la question qui s'agite un caractère passionné.

Pour atteindre ce but, il suffira, je pense, que le gouvernement indique brièvement quelle était sa position quand il a pris la direction des affaires, quels principes l'ont guidé dans les explications qu'il vous a données, enfin quel est le sens précis des déclarations qu'il a eu l'honneur de vous faire connaître.

Au nombre des questions qui préoccupaient vivement l'opinion publique, lors de la formation du cabinet, se présentait en première ligne la question de l'enseignement primaire. Cette question pesait depuis longtemps d'une manière fâcheuse tant sur l'esprit de cette assemblée, que sur le sentiment général du pays. Que devient, disait-on, la loi du 23 septembre 1842 ? Ainsi que le bruit en avait couru, celle loi sera-t-elle l'objet d'une révision ?

Le gouvernement provoquera-t-il cette révision ? Le cabinet avait à se former immédiatement une opinion sur une question qui pouvait être grosse d'orages nouveaux, et pouvait avoir pour conséquence de perpétuer dans cette assemblée de fâcheuses divisions.

Pour s'éclairer sur la conduite à suivre, le gouvernement devait, sans rechercher si les principes de la loi étaient en harmonie avec ceux de la loi sur l'enseignement moyen, examiner surtout la loi du 23 septembre 1842 sous le rapport des effets qu'elle avait produits.

Quant aux principes, personne ne pouvait contester qu'il y avait une différence, - je m'empresse de faire cette déclaration, pour apporter de la franchise et de la bonne foi dans tout ce que j'ai à dire, - personne, dis-je, ne se refusait à reconnaître qu'il y avait entre la loi de 1842 et celle de 1850 des différences de principes, différences qui ne sont pas telles cependant qu'il y ait opposition formelle entre ces deux lois. Mais ce qu'il importait de constater, c'étaient les effets que celle loi avait produits ; si elle avait répondu aux besoins de l'enseignement primaire ; enfin si, en raison des effets produits, il était nécessaire d'aviser à nouveau et de soumettre à la chambre des propositions tendant à modifier la loi de 1842 ?

Quant aux principes, les différences qui existent entre les deux lois s'expliquent en très grande partie par la nature même des deux enseignements ; on l'a dit lors de la discussion de la loi de 1842, et personne ne le méconnaît : l'enseignement primaire ne peut se passer d'une base essentielle, qui est l'enseignement de la morale religieuse. A l'âge où l'on reçoit l'enseignement primaire, en effet, on comprend que la religion doit pénétrer dans les cœurs avec une autorité très grande, et qu'il est indispensable que tout ce qui appartient à cet enseignement ait son point d'appui dans l'instruction religieuse. De là, les préoccupations différentes du législateur, quand il s'est occupé de l’enseignement primaire, et, plus tard, quand il s'est occupé de l'enseignement moyen.

Cependant malgré cette différence dans l’énonciation des principes, la loi de 1850, comme celle de 1842 a voulu que la religion eût sa place marquée dans l'enseignement général.

Appréciant la loi de 1842 sous le rapport des principes, il a paru au gouvernement qu'une loi qui avait été votée à la presque unanimité dans cette chambre et à l'unanimité par le sénat, était une loi ne pouvait pas contenir dans ses dispositions des principes formellement contraires à l’indépendance du pouvoir civil.

Le cabinet s'est demandé ensuite si cette confiance dont la loi de 1842 avait été entourée n'avait pas été justifiée en très grande partie par l'exécution que la loi avait reçue ? Ceci rentre dans le domaine des faits et de la pratique. Or, les faits ont, non moins que les principes, une autorité très grande quand il s'agit d'administration publique. Le gouvernement a dû reconnaître qu'en fait la loi de 1842 avait assez généralement répondu à ce qu'on en attendait, qu'il n'était résulté ni des difficultés sérieuses, ni des conflits de l'exécution de cette loi ; et partant de là, le cabinet a pensé que puisque la loi ne fonctionnait pas mal, puisqu'elle produisait de bous résultats ; il était prudent de ne pas inquiéter le pays par des projets de réforme inutiles.

Et, en effet, n'importe-t-il pas au bien-être du pays, à l'état des esprits dans le parlement, que nous respections ce que le fait a sanctionné, ce que le fait nous a montré comme pouvant durer encore sans troubler, en aucune manière, l'harmonie qui doit exister entre l'Etat et tous ceux qui nous prêtent leur concours dans les questions d'enseignement ?

Poser ainsi la question, messieurs, c'était la résoudre pour le cabinet ; et il n'a pas hésité un instant à reconnaître qu'en présence des faits que je viens de rappeler, tout nous faisait un devoir de respecter la loi de 1842 et de déclarer franchement au parlement, à la première occasion, que cette loi, répondant à l'attente générale du pays et de la législature, ne serait point de notre part l'objet d'une proposition tendant à la modifier. En prenant cette résolution, le cabinet a pensé qu'il satisfaisait à plusieurs conditions.

(page 316) Il répond d'abord, par cette résolution, aux besoins de l'instruction primaire qui marche sans entraves sérieuses et se complète chaque jour. En second lieu le cabinet a cru, en agissant ainsi, s'identifier avec l'état des esprits dans le parlement ; enfin il a compris, et je crois pouvoir le dire sans aucune espèce de réserve, le sentiment général du pays qui veut la paix, qui veut qu'on ne trouble pas sans nécessité absolue, et au nom de principes, quelque respectables qu'ils soient d'ailleurs, les sentiments de conciliation qui doivent régner non seulement dans cette assemblée, mais dans toute la nation.

C'était donc, messieurs, pour le cabinet à la fois un devoir impérieux à remplir, que de s'abstenir de toute innovation dans un régime éprouvé par une longue expérience, un acte de franchise à poser, et un gage de conciliation à offrir aux deux grandes fractions de cette assemblée. Y a-t-il réussi, messieurs ? C'est ce que la fin de la discussion nous apprendra bientôt.

Quoi qu'il en soit, le gouvernement est aussi franchement résolu que le premier jour à faire de la déclaration qu'il a consignée dans le rapport de la section centrale, la règle invariable de sa conduite ; en d'autres termes, la loi du 25 septembre 1842 fonctionne régulièrement.

Le gouvernement n'examine pas, si, dans ses principes, cette loi est plus ou moins en opposition avec la loi du 1er juin 1850.

Mais le cabinet qui désire s'appuyer sur des faits, qui attache beaucoup de prix à une pratique que le temps a sanctionnée, ne veut pas la sacrifier à un principe quelque respectable qu'il soit, et il est fermement résolu à ne pas vous proposer de changements à la loi du 23 septembre 1842.

S'il est permis d'anticiper sur le résultat de cette discussion, ne pourrais-je pas, messieurs, augurer de ce résultat par ce qui vient de se passer ? Messieurs, dans la dernière séance la déclaration faite par le gouvernement a-t-elle trouvé de l'opposition sur quelque banc que ce soit ? D'un côté (à droite) on ne l'a pas attaquée ; on trouve que le cabinet a bien fait de déclarer franchemenl qu'il ne touchera pas à la loi sur l'enseignement primaire.

D'autre part (à gauche) l'a-t-on attaquée ouvertement ? Un honorable député de Bruxelles a bien dit., à la vérité, que la déclaration du gouvernement ne pouvait pas le satisfaire en tous points, qu'elle n'est pas assez explicite au point de vue des principes ; et que, quant à lui, il persistait à croire que cette loi contenait des principes dangereux, compromettants pour l'indépendance et la liberté du pouvoir civil ; et que, par ce motif, s'il consentait, à présent, à ne pas faire de proposition qui fût pour résultat de modifier cette loi, c'est parce qu'il avait la certitude que la chambre ne le suivrait pas sur ce terrain. Eh bien, messieurs, dans cette déclaration, qui n'est pas autre chose que la reconnaissance qu'il n'est pas possible de faire autrement que ce que le gouvernement vous propose, nous voyons la preuve que nous sommes dans le vrai, quand le gouvernement a pesé la question sur le terrain des faits ; quand il a dit que la pratique de la loi produisait de bons effets, et qu'à ce titre, c'est pour lui un devoir de la maintenir. C'est là, messieurs, son sentiment ; il persévérera.

En définitive, messieurs, la situation du gouvernement en présence de la question qu'on a soulevée incidemment sur l'enseignement primaire, cette situation me paraît fort simple : il soumet à votre appréciation une déclaration de principes, une règle de conduite qu'il compte suivre ; cette règle de conduite ne trouve nulle part de contradicteurs : les uns en sont satisfaits ; les autres l'acceptent, sans cependant l'approuver en tous points, se réservant pour l'avenir ce que les circonstances inspireront à chacun d'eux. Eh bien, messieurs, nous sommes tous, sous ce rapport, dépendants de l'avenir ; aucun de nous ne peut dire ce qu'il fera demain, ce que la chambre voudra demain ; mais chacun de nous a conscience de ce qu'il veut aujourd'hui parce qu'il connaît l'empire des circonstances au milieu desquelles il se trouve. Quant au cabinet, ce qu'il veut aujourd'hui, c'est le statu quo : voilà ce que le gouvernement déclare.

Je ne sais, messieurs, si vous voudrez que dès à présent je m'occupe, après avoir parlé de l'enseignement primaire, des considérations qui ont été produites devant vous, relativement à l'enseignement moyen.

- Un membre. - C'est ce qui est en discussion.

M. le ministre de l'intérieur (M. Piercot). - C'est, en effet, ce qui est en discussion ; car l'enseignement primaire était un incident introduit, en quelque sorte, dans le cadre de l'enseignement moyen qui a été l'objet de critiques assez vives, critiques qui ne concernent pas le cabinet actuel, mais qui touchent à des faits à l'égard desquels vous penserez peut-être que nous devons donner quelques explications.

Ce n'est pas, messieurs, la loi elle-même qui a été attaquée ; cette loi, nous l'acceptons tous, parce qu'elle commande le respect à tous, quels que soient les principes que la loi a proclamés, quelque différence qu'on signale entre cette loi et celle de 1842.

Cette loi de 1850, le cabinet vous l'a dit aussi, est pour lui sa règle invariable de conduite ; les principes qu'elle a proclamés sont les siens ; il les appliquera avec toute la plénitude qu'il aura le bonheur de faire pénétrer dans l'exécution, il les appliquera arec toute la loyauté que l'on a le droit d'attendre de l'administration.

Seia-t-il plus heureux que le ministère précédent ? Je n'en sais rien. Quoi qu'il en soit, je vais m'espliquer devant vous sur les principaux griefs qui ont été articulés dans la dernière séance contre l'administration, du chef de l'exécution de la loi sur l'enseignement moyen.

Ce n'est plus, comme je l'ai dit, la loi elle-même qu'on attaque, c'est l'exécution qu'elle a reçue. On la critique sous plusieurs rapports. Cette exécution, dit-on, a été incomplète ; l'exécution a été mal préparée par les négociations ; enfin on a été jusqu'à dire que l'ancien cabinet y avait mis de la mauvaise volonté.

L'exécution est incomplète : c'est vrai, nous le reconnaissons, et j'ajoute que nous le déplorons. L'exécution de la loi ne sera complète que du jour où le clergé donnera au gouvernement le concours qui lui a été demandé pour faire entrer l'enseignement de la religion dans les établissements de l'Etat.

Mais, messieurs, pourquoi la religion n'est-elle pas entrée dans les établissements de l'Etat comme enseignement ? Serait ce parce que l'exécution de la loi sous ce rapport aurait été mil préparée ? Serait-ce parce qu'on n'y aurait pas mis le degré de bonne volonté suffisant pour amener une exécution franche et complète ?

L'ancienne administration saura se défendre à cet égard. Cependant, messieurs, permettez-moi de dire sur ce point mes propres impressions.

Nous sommes maintenant loin du théâtre de l'agitation au milieu de laquelle s'est produite la loi de 150 ; les esprits sont plus calmes ; nous pouvons en raisonner avec une complète liberté d'esprit.

Eh bien, messieurs, j'avais lu à l'époque de 1850 tous les documents qui se rattachent à l'exécution que le gouvernement a essayé de donner à la loi sous le rapport que je viens d'indiquer. Mais récemment obligé de m'inspirer de devoirs nouveaux, j'ai voulu m'assurer si les impressions de 1850 seraient encore celles de 1852, et si je ne découvrirais pas dans les documents qui ont été publiés, quelques traces, soit de l’esprit d'imprévoyance, soit de cet esprit peu conciliant qu'on a reproché au gouvernement.

Or, messieurs, après une lecture attentive, après une méditation des plus indépendantes, je suis arrivé à cette conséquence, que le gouvernement avait fait de loyales et honorables tentatives pour obtenir de la part du clergé belge le concours qui lui a été respectueusement demandé.

Je me suis convaincu que dans le cours des négociations, et en présence des obstacles qui étaient nés sous les pas du gouvernement, à mesure qu'il avançait dans les négociations ; je me suis convaincu, dis-je, que le gouvernement s'était attaché à résoudre avec bonne foi et avec sincérité toutes celles de ces difficultés qu'il dépendait de lui de mettre à néant, je me suis même convaincu qu'il n'en est pas une qui soit pour les hommes sérieux restée debout, comme un obstacle réel.

C'est une justice que je me plais à rendre à qui elle appartient.

Mais, direz-vous, pourquoi donc si cela est vrai, si le gouvernement a été si loyal, si les documents qu'il a publiés ont eu pour but d’aplanir les difficultés et d'offrir au clergé la position dont je viens de parler, pourquoi donc les négociations n'ont-elles pas réussi ? Je n'ai pas à répondre à cette question : elle n'intéresse pas le cabinet actuel au point de vue personnel ; mais il m'est permis de hasarder une réflexion que je livre à vos méditations.

Il y a dans l'exécution d'une loi des choses qui appartiennent au principe même de la loi et sur lesquelles on ne transige pas. Nous ne pourrions admettre une théorie contraire.

Mais il y a aussi dans l'exécution d'une loi des choses qui, malgré les meilleurs procédés du monde, ont besoin pour réussir d'une confiance réciproque, sans laquelle il n'est pas possible d'arriver à un résultai satisfaisant. Quoi qu'il en soit, il y a dans l'exécution d'une loi de cette nature des points très délicats à toucher et dans lesquets l'esprit le plus conciliant échoue quand il n'est pas soutenu par le sentiment de cette réciprocité de confiance dont je viens de parler.

Pourquoi cette confiance n'a-t-elle pas existé ? Ce n'est pas à moi à répondre à ces questions. Je ne puis que déplorer le fait, je ne puis que répéter qu'il est avéré pour moi que le gouvernement a fait non seulement son devoir, mais que l'honorable ministre de l'intérieur a fait pénétrer dans ses négociations avec le clergé, tout ce qu'un caractère loyal peut y apporter de franchise et de conciliation pour amener un résultat qu'on avait en vue.

Il nous reste à vous dire ce que nous comptons faire en ce qui nous concerne.

Avant que le dernier cabinet quittât le pouvoir, il n'a pas hésité à reconnaître qu'il espérait encore, malgré la défaveur avec laquelle les propositions du gouvernement avaient été accueillies ; renouveler les négociations et arriver un jour, à la faveur de meilleures circonstances, à un résultat opposé.

Le temps lui a manqué pour réaliser ses projets. Mais le temps nous a légué à nous cette tâche. Serons-nous plus heureux ? C'est ce que l'avenir nous apprendra bientôt aussi. Quoi qu'il arrive, je déclare au nom du cabinet que quand il s'agira de renouveler les négociations avec le clergé le cabinet sera animé de sentiments sincères de conciliation, qu'il fera tout ce qui est humainement possible pour donner à la loi une exécution complète telle que le veut l'article 8 de cette loi dont on a dit peu de bien jusqu'à présent, mais qui peut produire d'excellents résultats, quand l'exécution sera comprise de part et d'autre comme elle doit l'être.

Nous tâcherons de faire pénétrer dans l'exécution le désir dont nous sommes animés d'arriver à une solution satisfaisante. S'il est possible que nous inspirions à l'épiscopat, dans les intentions du gouvernement, une confiance plus décisive, nous ne désespérons pas du succès.

A cet effet, nous emploierons tous les moyens conciliables avec les principes de la loi ; nous nous efforcerons de faire disparaître (page 317) l’antagonisme entre deux éléments qui doivent concourir au même but : la moralisation de la société.

Nous ajoutons qu'en négociant, nous saurons respecter les principes de la loi aussi bien que la dignité du gouvernement. Nous laisserons chaque chose à sa place. Le gouvernement conservera sa liberté d'action. Nous comprendrons aussi les besoins de la religion. Elle sera libre et respectée, et nous tâcherons d'adoucir, par la pratique d'une mutuelle bienveillance, ce que les négociations officielles ont parfois de difficile et de sévère en la forme.

Il ne me paraît pas nécessaire de fournir à ce sujet de plus amples explications. Le reste appartient à la négociation qui pourra s'ouvrir un jour, et il convient de se renfermer sur ce point dans une prudente réserve.

Je pense, messieurs, qu'au moyen des informations que le gouvernement vient de vous donner quant à l'instruction primaire, et ensuite sur la manière dont il entend se conduire quand il s'agira de renouer les négociations relativement à l'enseignement moyen, je crois avoir en grande partie rempli ma tâche. Cependant je dois encore m’expliquer sur des faits qui concernent l'enseignement moyen et qui tendraient à le présenter comme étant dans des conditions peu avantageuses. Dans la réorganisation de 1851, on a dit qu'il y avait à la fois augmentation énorme de dépenses, augmentation du nombre des professeurs et décroissance du nombre des élèves.

« C'est la preuve, a-t-on dit, que la confiance des parents vous abandonne. Et pourquoi vous abandonne-t-elle ? C'est parce que l'enseignement religieux est banni de vos écoles. » D'abord, je pense avoir fait déjà justice de ce dernier reproche, nous ne bannissons pas l'enseignement religieux de nos écoles moyennes. Nous avons fait des efforts pour l'y introduire ; le clergé n'a pas répondu à notre appel, nous espérons qn'il y répondra par la suite. Si le nombre des élèves a diminué de quelques-uns, car cela se borne à-quelques-uns, en comparant les années 1850 et 1852, à quelles causes faut-il l'attribuer ? A quelques régularisations inséparables de tout régime de transition. Je vais l'expliquer. Je prendrai pour exemple l'athénée de Bruxelles. Au début de sa réorganisation un grand nombre de jeunes gens s'étaient présentés pour suivre les cours de la section professionnelle ; or, un grand nombre de ces élèves n'était pas en état de suivre avec succès ; il a fallu, après quelque temps d'essai, leur démontrer qu'ils feraient mieux d'occuper leur temps ailleurs, les éloigner de l'établissement. Une autre cause d'éloignement d'une centaine d'élèves provient de ce qu'un très grand nombre d'élèves se sont présentés pour jouir de la faveur de l'enseignement gratuit. C'est ce qui arrive au début de toute institution nouvelle ; on désire en profiter, rarement en supporter les frais.

Ce qui est arrivé à Bruxelles est arrivé daus un grand nombre d'autres d'établissements. Beaucoup d'élèves ont été admis à titre d'essai, avec la faculté de ne pas payer de rétribution. Mais, après examen de leur position, on a compris qu'ils ne pouvaient suivre les cours utilement, ou que leur position de fortune ne les rendait pas dignes de la faveur de l'admission graluite. C'est ce qui est arrivé à Bruxelles et dans d'autres établissements.

Maintenant, permettez-moi de vous donner quelques chiffres ; vous verrez que la diminution du nombre des élevés n'est pas telle qu'on pourrait le croire d'après les paroles d'un honorable membre.

A Anvers, le nombre des eleves a été en 1850 de 255, en 1851 de 254 et en 1851 de 265. Diminution en 1852, 11.

A Bruxelles : en 1851 569 et en 1852 463. Diminution 106 par les causes que j’ai fais connaître tout à l'heure.

Il y a par contre, des athénées où le nombre des élevés a augmenté.

A Liège, en 1850 413 et en 1852 450.

A Hasselt, en 1850 166, en 1851 132 et en 1852 214.

A Arlon, en 1851 83 et en 1852 138.

A Namur, en 1851 165$ et en 1852 178.

En somme le nombre des élèves est à peu près le même qu'en 1851, malgré les difficultés inséparables de toute réorganisation.

Quant au nombre des professeurs, on le dit plus considérable qu'en 1847, époque où toutes ces institutuons appartenaient aux villes. La raison en est simple : l'enseignement moyen était, d-euis un grand nombre d'années, dans un état déplorable ; les cours étaient incomplets ; non seulement sous le rapport du nombre des professeurs, mais sous le rapport du nombre des matières. Il était donc nécessaire d'augmenter les matières et, par conséquent, le nombre des professeurs. Puis on a organisé l'enseignement professionnel. Ensuite, le personnel du corps enseignant s'est accru d'un grand nombre de professeurs-adjoints qui, sous le nom de maîtres, ont enseigné le dessin, la gymnastique, l’escrime, la musique, l'écriture et d'autres choses inséparables aujourd'hui d'une bonne éducation.

Dans le fait, était-ce pour laisser l'enseignement moyen dans l'état où le gouvernement l'a trouvé, en 1850, qu'il fallait le réorganiser ? Est-ce que, dans tout le pays, il ne s'était pas élevé un cri unanime contre la décadence où était tombé cet enseignement ? Le gouvernement, en réorganisant cet enseignement, a répondu an vœu du pays et aux nécessités que lui-même avait reconnues avec tous les hommes qui s'occupent d'instruction publique.

Quant à la dépense, ai-je besoin de la justifier, en disant qu'elle résulte de l'accroissement des branches d'enseignement et de l'augmentation des cadres des professeurs ?

Voilà les renseignements que je devais donner pour répondre aux observations critiques dont l'enseignement mojeri a été l'objet à la dernière séance.

Maintenant un mot sur un discours que vous avez entendu prononcer par l'honorable M. Dumortier. Cet honorable membre a terminé son discours par l'annonce d'un ordre du jour molivé qu'il nous ferait connaître aujourd'hui.

M. le président. - Il n'a pas été déposé de proposition d'ordre du jour motivé.

M. Dumortier. - Ce'a n'est rien.

M. le ministre de l'intérieur (M. Piercot). - Je m'étais proposé de démontrer à la chambre la complète inutilité d'un ordre du jour motivé, en présence des explications que le gouvernement a données, des déclarations qu'il a faites et qui, selon moi, donnent apaisemeut à toutes les exigences. Mais puisque la proposition n'est pas déposée, j'attendrai.

M. de Haerne. - Elle est inutile.

M. Rogier. - Quoique je sois inscrit depuis samedi, je cèderai mon tour de parole.

M. le ministre de l'intérieur, avec une loyauté dont je le remercie, a répondu déjà au grief principal qui avait été articulé contre moi dans la séance précédente : je ne pourrais, sous ce rapport, que répéter en partie ce qu'il a dit.

Je me réserve de prendre la parole, lorsque d'autres orateurs auront parlé.

M. Malou. - Le débat ouvert en ce moment ramène toujours à la question de parti. C'est un fait regrettable au point de vue du pays, que les questions de parti soient placées malheureusement par nos luttes sur le terrain des intérêts sociaux qui sont plus élevés, plus durables que les intérêts des partis.

Cette pensée m'oblige à traiter la question qui nous occupe en ce moment, non pas comme si elle était ce qu'elle est devenue, mais en la replaçant sur le terrain où il est désirable que nous la traitions tous désormais, c'est-à-dire au point de vue des intérêts essentiels de la société.

Je voudrais que la question de l'enseignement pût être discutée exclusivement avec les personnes qui professent une religion positive quelconque. Si des croyants de cultes dissidents, des protestants, des israélites, des mahométans avaient à la discuter avec des catholiques, je suis convaincu qu'ils se mettraient d'accord, parce que leur point de vue à tous serait que l'enseignement à tous les degrés est inséparable de l’éducation morale et religieuse. C'est le lieu commun, la tendance uniforme de toutes les religions positives.

Mais d'où vient le mal ? De ce qu'un principe constitutionnel est dénaturé, qu'on suppose que l'Etat doit être athée, en ce sens que l'enseignement de l'Etat doit être la négation de tous les cultes, qu'il faut poser en principe, pour rester dans la Constitution, la séparation absolue de l'enseignement d'avec l'éducation morale et religieuse.

L'honorable M. Verhaegen vous le dirait avec une grande franchise, à la séance de samedi. Il ne veut pas que, sous prétexte de catéchisme, le cachet catholique soit imprimé à l’enseignement tout entier. Il veut séparer ce que la nature des choses, ce que les intérêts de la société commandent de tenir unis.

Le principe de l'unité dans l'enseignement à tous ses degrés a pour lui non seulement les croyances de toutes les religions positives, mais l’autorité de tous les faits.

A ce point de vue, les difficultés sérieuses de la négociation, dont on vous a parlé tout à l'heure, se sont surtout révélées. On nous dit que toutes ont été résolues. Eh bien, non, messieurs. Soyons francs ; il y a une difficulté réelle qui n'a pas été résolue ; c'était la plus grande de toutes ; c'était l'homogénéité de l'enseignement ; et, dans la négociation ouverte par l'ancien cabinet, aucune garantie à ce sujet n'a été donnée, la difficulté reste tout entière.

Le principe de l'unité dans l'éducation a pour lui une autorité très forte ; l'autorité des pères de famille. Si je pouvais citer ici des exemples, combien n'y en a-t-il pas qui soutiennent politiquement, qui ont même soutenu à cette tribune le principe de la séparation de l'enseignement religieux et moral d'avec l'instruction proprement dite, et qui, rentrés au foyer domestique, pratiquaient un principe diamétralement opposé ? Il en est un très grand nombre, parce que le père de famille ne se laisse pas entraîner par les théories. Son cœur et son intelligence, l'intérêt de ses entants parlent plus haut.

Les principes de liberté des cultes et de l'enseignement, inscrits dans la Constitution, ont-ils eu pour objet et pour but de séparer ce que la nature des choses, ce que l'intérêt de la société, l'intérêt des familles a voulu tenir uni ? Il me semble, messieurs, lorsque j'entends poser cette question, rencontrer, au milieu du XIXème siècle, quelques demeurants d'un autre âge, quelques prétendus philosophes rationalistes qui croient (page 318) que la liberté politique a été consacrée par les lois pour nier toutes les religions.

La liberté, comme elle existe en Belgique, demande au contraire que toutes les religions puissent avoir, dans l'action de l'Etat, ce qui est nécessaire pour leur maintien et leur développement. La liberté constitutionnelle n'a pas été établie en vue de ceux qui nient toutes les religions ; elle a été établie en vue de ceux qui en pratiquent une.

Messieurs, nous parlons souvent de nationalité. Chaque fois qu'une occasion se présente de protester de notre amour pour la nationalité, nous nous trouvons unanimes.

La nationalité ne vit pas de phrases ; si vous voulez que votre nationalité survive aux éventualités de l'avenir, il faut maintenir ses conditions essentielles ; et je n'hésite pas à le dire, la première condition essentielle de l'existence et de l'avenir de la nationalité belge, c'est le maintien du principe religieux dans toutes les classes de la population.

Il ne faut donc pas parler seulement de la nationalité, mais il faut pratiquer par la loi, maintenir dans la loi les éléments de la nationalité, les éléments sans lesquels elle ne peut durer. Nous le savons tous : si la Belgique n'avait pas le sentiment religieux, elle cesserait d'être.

La Constitution a posé le principe de la séparation des pouvoirs. C'est un progrès social, c'est un progrès au profit de la liberté et de la société. Mais aujourd'hui, messieurs, est-ce la séparation des pouvoirs que les besoins réels de l'enseignement.

Non, messieurs, en allant au fond des choses, et j'espère le démontrer, c'est l'hostilité, l'antagonisme des pouvoirs que l'on cherche à réaliser par la loi.

Messieurs, on met en avant un axiome très sec, créé il y a quelques années : « Chacun chez soi, chacun son droit. »

Chacun chez soi, chacun son droit ? Mais vous voulez donc que ces deux grandes forces que l'on a séparées, afin que librement, avec intelligence, sans passion, elles viennent concourir au bien public, vous voulez, dis-je, que ces deux forces se maintiennent en regard l'une de l'autre, hostiles, se neutralisant et empêchant le bien public que leur concours est destiné à produire ? Vous dénaturez complètement le but de la séparation des deux pouvoirs.

Je retrouve ici, messieurs, sous une autre forme, non pas la séparation des pouvoirs, mais cette idée, qui s'est fait jour trop souvent, de placer fatalement en antagonisme deux pouvoirs, d'une part le gouvernement, d'autre part le clergé. Cette idée est fausse ; elle n'est pas constitutionnelle. La Constitution a voulu que le gouvernement utilisât, pour l'enseignement comme pour toutes les choses, les forces réelles qui doivent concourir, et la première de toutes, l'élément moral et religieux.

Je pourrais bien demander, messieurs, lorsqu'on nous parle sans cesse de l'enseignement par l'Etat, quelle est la signification, quelle est la valeur de ce mot. Est-ce que l'Etat enseigne ? Qui enseigne au nom de l'Etat ? Quelles choses peut-il enseigner et jusqu'à quel point s'étend la légitimité de son action ?

Messieurs, dans un gouvernement libre, avec les institutions que nous avons, il y a nécessairement de la mobilité dans les partis ; il y a, dans le pouvoir, des oscillations qui correspondent aux mouvements, aux actes des partis. Quand vous me dites que l'Etat enseigne, voulez-vous dire selon que ces oscillations des partis se produisent, on pourra tour à tour, par esprit de parti, façonner les jeunes générations tantôt dans un sens tantôt dans un autre ? Est-ce là le beau idéal de l'Etat enseignant ? Et si ce n'est pas cela, il faut bien chercher un autre sens, une signification sérieuse, une signification nationale à l'enseignement par l'Etat.

Je conçois l'intervention de l'Etat en matière d'enseignement pour suppléer d’abord aux lacunes que laisse la liberté. Je conçois encore l’intervention de l’Etat comme créant quelques types, aux divers degrés de l’enseignement, pour stimuler, pour être un moyen de progrès.

Mais ce que je ne conçois pas, c'est que cette abstraction, changeant d'opinion, changeant de direction selon le vent des partis, prétende administrer, gouverner toute l'instruction et étouffer la liberté de l'enseignement dans un vaste réseau d'enseignement officiel. Voilà ce que je ne comprends pas, ce qui n'est pas légitime.

En effet, messieurs, quand vous nous parlez de l'enseignement par l'Etat, et quand surtout vous ne consultez pas, pour étendre ou pour restreindre l'enseignement par l'Etat, le vœu des pères de famille et l'intérêt public, vous arrivez à la plus étrange des anomalies, c'est d'employer le budget qui vient de tous contre l'opinion de tous.

L'action de l'Etat en matière d'enseignement est donc légitime quand elle est mesurée, elle est légitime quand elle ne contrarie pas le vœu des pères de famille ; mais il n'est personne, à quelque parti qu'il appartienne, qui ait le droit de dire : Je suis l'Etat enseignant et je prétends enseigner ce qui me convient. Vous devez enseigner ce qui convient à tous ou du moins au plus grand nombre.

Que résulte-t-il de là, et la loi de 1850 est-elle conforme à ces principes ? Je prends dans les documents qui nous ont été distribués un fait général, parce qu'il me paraît impossible d'entrer dans le détail minutieux des chiffres, je prends la comparaison du nombre des élèves en 1847 et en 1852 et la comparaison des dépenses des athénées pour les mêmes années. C’est le seul renseignement que nous ayons obtenu.

Le nombre des élèves était, en 1847, de 2,733 ; dans ce nombre se trouvaient 491 internes. En 1852, je trouve 2,538 externes seulement, car il n'y a plus d'internes dans les athénées de l'Etat. La diminution du nombre d'élèves est donc seulement de 195. L'augmentation des dépenses, en regard de ce chiffre, est de 131,000 fr., c'est-à-dire qu'en comparant une époque à l'autre, vous êtes arrivés, d'une part, à n'avoir plus d'élèves internes, élèves qui exigent nécessairement des dépenses plus considérables que les externes, et à avoir cependant une augmentation de 131,000 fr. dans les dépenses.

Pour réduire ces chiffres à une formule très simple, je dirai qu'en 1847 la moyenne de la dépense par élève (internes et externes compris) était de 145 francs ; tandis qu'en 1852, pour les externes seulement, la dépense est de 215.

Ainsi, dans l'espace de ces cinq années vous êtes arrivés à augmenter la dépense par élève de 46 pour cent.

J'ai fait, messieurs, dans cette comparaison des concessions beaucoup trop larges ; car, en vertu de la loi de 1850, il y a des cours préparatoires annexés aux athénées, et j'aurais été en droit de considérer le tiers ou le quart au moins de ces élèves comme n'étant pas des élèves d'athénée, des élèves sérieux comme étant simplement dans les cours préparatoires.

En continuant ce système, vous arriverez, messieurs, à avoir dans votre budget d'autant plus de subsides qu'il y aura moins d'élèves. Moins les établissements seront fréquentés, plus les dépenses de l'Etat seront augmentées. C'est là que vous arriverez par l'intervention trop étendue de l'Etat et surtout dans les circonstances où elle n'est pas réclamée par l'on demande ? Est-là le but que l'on poursuit ?

Je dirai très franchement, pourquoi, malgré ces faits, malgré la notoriété publique du malaise des établissements d'instruction moyenne, je ne demande pas à M. le ministre de l'intérieur de proposer dès à présent des modifications à la loi de 1850. L'honorable ministre pense qu'il est encore possible sous le régime de cette loi, en reprenant les négociations, de combler la lacune extrêmemeut regrettable que l'ancien cabinet avait laissée.

D'autre part l'expérience est encore trop récente pour qu'on puisse légitimement exiger la révision de cette loi. Je ne demande pas mieux que de voir continuer cette expérience ; je désire surtout que le gouvernement réussise à établir l'harmonie entre l'enseignement de l'Etat et les sentiments du pays, car ces sentiments sont hostiles à un enseignement où le principe religieux ne vient pas concourir avec l'enseignement purement civil.

Depuis bien des années, messieurs, on nous parle de l'indépendance du pouvoir civil. Il est nécessaire, nous disait samedi l'honorable député de Bruxelles, de modifier dans ses principes la loi de 1842. Il est nécessaire surtout de maintenir la loi de 1850 pour sauvegarder l'indépendance du pouvoir civil. Permettez-moi, messieurs, puisque cette question se reproduit pour ainsi dire chaque jour, de la traiter en ce moment avec quelque développement.

La loi de 1842 a-t-elle sacrifié l'indépendance du pouvoir civil ? En quoi consiste l’indépendance du pouvoir civil ? Si vous voulez amener pour l’enseignement primaire ce qui, malheureusement, existe pour l’enseignement moyen, l’antagonisme et l’hostilité, je conçois parfaitement votre but ; mais, si, au contraire, vous voulez le concours des deux forces, il s'agit de savoir si, en réalité par la loi de 1842, par le système qu'elle a consacré, le gouvernement se trouve placé sous la dépendance du clergé.

La discussion de la loi de 1842 a amené immédiatement la même question. Dans le projet de loi il était dit que les subsides seraient retirés par arrêté royal lorsque l'une des conditions établies par la loi n'existerait pas.

Parmi ces conditions se trouvait le concours du clergé. M. le ministre de l'intérieur disait: « Si le clergé refusait son intervention, l'école communale perdrait son caractère légal. »

Cette affirmation fut vivement contestée ; l'honorable M. Rogier disait : « L’opinion de M. le ministre de l’intérieur est question chose de monstrueux. » L’honorable M. Dolez ajoutait : « Ce serait consacrer la domination et la domination tyyrannique du clergé sur l’enseignement primaire. »

Qu'est-il arrivé ensuite, messieurs ? Un amendement a été proposé, on a posé en principe que le gouvernement ne serait pas forcé de retirer le subside lorsque le clergé retirerait son concours. L'auteur de l'amendement, c'est l'honorable M.Orts père, et lorsqu'on est tombé d'accord sur cette pensée que le gouvernement demeurerait libre, malgré la retraite du clergé, de retirer ou de ne pas retirer le subside à l'école, alors, mais seulement alors, cette immense majorité, la presque unanimité de la chambre a été acquise à la loi de 1842.

Pourquoi ? Parce que le droit pour le gouvernement de décider, malgré le clergé, contre le clergé, est la seule garantie sérieuse de l'indépendance du pouvoir civil ; car si, réellement vous ne voulez pas d'hostilité avec le pouvoir religieux, vous n'en inscrirez pas d'autre dans une loi que vous ferez sur l'enseignement, parce que vous devez reconnaître que si le pouvoir civil décide seul en dernier ressort, il est réellement indépendant.

Je cite un deuxième exemple. Dans le projet de loi que le ministère homogène de 1846 présentait à la chambre, nous aussi nous avons voulu assurer l'indépendance du pouvoir civil et nous l'avons assurée en inscrivant dans la loi que la retraite du clergé d'un établissement d'instruction moyenne n'amènerait pas nécessairement le retrait du subside ou la fermeture de l'établissement, si le gouvernement reconnaisait que les causes de la retraite du clergé n'étaient pas fondées.

Et, je le répète encore, cette indépendance du pouvoir civil qu'on a tant invoquée dans ces dernières années, non seulement nous l'avons (page 319) proclamée, mais les anciennes majorités, les anciennes administrations l'ont toujours pratiquée. (Interruption.)

J'entends dire « pratiquée en paroles » ; je viens de démontrer que dans la loi sur l'enseignement primaire, comme dans le projet de loi que nous avions soumis à la chambre, on a écrit expressément le droit souverain du gouvernement de décider ; on peut sans doute prétendre que dans tel ou tel cas, le gouvernement a mal décidé, mais c'est une tout autre question d'appréciation de faits ; mais en principe il s'agit de savoir si le gouvernement est dépendant lorsqu'il décide en dernier ressort.

On dit, messieurs, que la liberté des cultes exige le maintien du principe posé par l'honorable M. Verhaegen, et introduit d'une manière si malencontreuse dans les négociations avec l'épiscopat ; principe consistant en ceci, qu'on ne peut donner à l'enseignement aucun caractère religieux, qu'il faut, d'une manière absolue, séparer l'enseignement d'avec l'éducation morale et religieuse.

Cette question s'est présentée aussi en 1852 ; on l'a résolue en disant que l'enseignement serait religieux, que l'enseignement tout entier serait imprégné en quelque sorte des idées religieuses de la majorité des élèves, et pourquoi ? Parce que, quand vous voulez garantir la liberté d'un seule, il ne faut pas blesser la liberté de tous ; en regard de la liberté de chacun, il y a le droit de tous ; et lorsque dans un pays catholique, où il n'y a pas dix mille dissidents et où l'on ne trouva peut-être que deux ou trois établissements publics fréquentés par quelques dissidents, vous venez, en vertu de ce principe, dire à la majorité, ou plus exactement à la presque unanimité des élèves : « Vous n'aurez pas l'enseignement religieux dans le collège, parce qu'il peut venir un dissident. » Je dis que vous violez la liberté de conscience, la liberté des cultes aux dépens du plus grand nombre, en vertu d'un principe abstrait. (Interruption.)

Je crois avoir été mal compris ; je reproduis mon argument. La loi de 1842, considérant qu'en regard de la liberté de chacun, il y a le droit de chacun, a voulu que l'enseignement fût approprié au culte de la majorité des élèves ; c'est le seul principe qu'on puisse écrire dans la loi sur l'enseignement moyen.

J'ajoute qu'en fait, c'était ainsi qu'on procéderait, si l'on avait eu en vue autre chose que l'hostilité. On a eu soin de la liberté de conscience et des droits des dissidents en déclarant que l'enseignement religieux leur serait donné d'une autre manière.

Messieurs, pour l'enseignement primaire comme pour l'enseignement moyen, quand vous consulterez intimement la conscience des pères de famille, vous ne parviendrez jamais à traduire avec succès en fait cette maxime, qu'il n'y a rien à faire pour l'enseignement religieux en dehors de la leçon de catéchisme ; vous ne ferez jamais comprendre dans un pays catholique où il y a du bon sens, qu'il suffit de nommer un professeur de religion qui vient, à une heure donnée, expliquer le catéchisme, lorsque à côté existe la liberté de détruire tout ce qui a été fait pendant la leçon de catéchisme.

La liberté des cultes veut donc que l'Etat constitue l'enseignement de manière que tous les cultes trouvent les garanties auxquelles ils ont droit, et non de manière que tous les cultes soient sacrifiés, froissés à la fois.

Dans la loi de 1842, on a donné au clergé des garanties légales ; mon honorable ami, M. de Theux, a aussi rappelé à l'une de vos dernières séances que de telles garanties avaient également été promises pour l'enseignement moyen par le cabinet de 1840.

Dans la discussion de la loi de 1850, au contraire, on s'est efforcé de démontrer qu'il ne fallait pas de garanties légales. Dans une première discussion sur le concours du clergé, on a été jusqu'à dire qu'il ne fallait pas de garanties administratives, qu'il fallait prêter le concours et qu'il suffisait au clergé d'avoir son droit constitutionnel de s'en aller.

Eh bien, d'après la position qui est faite au clergé par la Constitution, d'après les oscillations mêmes de notre politique, je conçois très bien qu'il ait insisté à plusieurs reprises pour obtenir des garanties légales ; et voici pourquoi :

A côté de l'enseignement de l'Etat, le clergé a créé à grands frais un certain nombre d'établissements. C'est pour lui une source de dépenses très élevées, bien que souvent on ait dit le contraire. (Interruption.)

Il est évident que quand presque tous les établissements se composent exclusivement d'externes, ce ne peut être qu'une source de dépenses, et si l'on en doute, il n'y a qu'à consulter le budget de l'Etat.

Si le clergé n'obtenait pas pour l'enseignement moyen des garanties légales, si par suite des efforts qu'il fait pour donner l'enseignement religieux conformément au vœu des pères de famille, sa mission à cet égard venait à se restreindre, et si ensuite il survient quelqu'une de ces révolutions ministérielles dont nous avons été témoins, il faut reconnaître que la situation serait déplorable.

Je conçois donc qu'à ce point de vue, envisageant l'enseignement religieux comme une mission, le clergé se préoccupe d'obtenir des garanties légales ; marchandez-les-lui, si vous le croyez nécessaire ; mais enfin donnez-lui quelques garanties durables par la loi.

Sans garanties légales, il n'y a pas de stabilité pour lui, et j'ajoute que sans garanties légales il n'y a pas de dignité pour lui.

Si le droit n'est pas écrit dans la loi, le subalterne, un simple maître d'école a le droit de refuser l'entrée de l'école à l'inspecteur diocésain. Et croyez-vous qu'en présence de l'indépendance que lui assure la Constitution, le clergé puisse accepter une position qui le fasse le vassal, le subalterne de vos subalternes ?

On nous dit aujourd'hui : « L'ensemble de notre législation est illogique : il y a une contradiction absolue entre les principes de la loi de 1842 et ceux de la loi de 1850. »

Qu'il me soit permis de rappeler qu'en 1842 les honorables membres de l'opposition de cette époque soutenaient que l'on ne pourrait jamais invoquer comme précédent le principe de la loi sur l'enseignement primaire, et ils établissaient avec le plus grand soin les différences essentielles, nécessaires qui doivent exister entre le mode et les conditions de concours du clergé pour les deux ordres d'enseignement.

M. Orts. - Le gouvernement le disait également ; M. Nothontb l'a proclamé.

M. Malou. - On était unanime, c'est l'expression de l'honorable M. Devaux, qui en a fait l'une des conditions de son vote ; on était unanime à reconnaître que le principe de la loi sur l'enseignement primaire ne pourrait pas servir de précédent pour la loi sur l'enseignement moyen, et l'on prétend aujourd'hui qu'il faut mettre de l'harmonie en généralisant le principe de la loi de 1850 pour l'enseignement primaire.

M. Verhaegen. - C'est toujours notre opinion ; cela ne peut pas être celle des autres.

M. Malou. - C'est votre opinion, mais en ce moment je la combats Si, en pareille matière, il pouvait être permis de souhaiter une expérience qui produisît quelque mal en vue d'un bien plus grand, je serais porté à souhaiter que les principes de nos honorables adversaires pussent se traduire quelque temps en faits. Et je n'hésite pas à dire que le concours du clergé à l'enseignement primaire ne serait pas retiré depuis deux ou trois ans, que les neuf dixièmes de vos écoles seraient complètement désertes. C'est là un fait qui, pour moi, est de la dernière évidence. Qu'arriverait-il donc, si les idées des honorabl s membres se réalisaient ? Ils auraient fait d'office un réquisitoire au profit de l'ignorance.

J'entends parler très souvent de la stabilité de nos lois organiques ; mais s'il est une loi qui a des droits à la stabilité, c'est assurément la loi d'enseignement primaire. Pourquoi ? Parce qu'en ce qui concerne les principes, il ne s'est élevé, que je sache, aucune réclamation dans le pays ; parce qu'il y a eu très peu de conflits dans l'exécution de cette loi ; parce que le gouvernement a terminé, par transactions, tous les conflits, parce que nulle part le gouvernement n'a dû sacrifier ses droits et que partout il a réussi à maintenir le concours.

Consultez, en effet, les rapports triennaux qui nous ont été faits sur l'enseignement primaire, consultez les exposés des provinces, les rapports des députtlions provinciales, tous les documents qui ont été publiés depuis 1842 et partout vous voyez des preuves, des déclarations nombreuses des succès de la loi de 1842 et de l'heureuse impulsion qu'elle a donnée aux études ; non seulement le nombre des écoles s'est considérablement augmenté, non seulement le nombre des élèves a progressé dans la même proportion, mais on reconnaît que l'enseignement s'est perfectionné, que de nouvelles, de meilleures méthodes se sont introduites partout et qu'aujourd'hui le régime que l'on menace sans cesse avec une impudence incroyable, nous est envié par d'autres nations, non seulement au point de vue de l'enseignement, mais au point de vue de la moralité et de l'intérêt social.

Et pourquoi ce succès de la loi de 1842 ? Parce que cette loi est conforme au vœu du pays. Et pourquoi aussi la loi de 1850 rencontre-t-elle tant de difficultés, pourquoi y a-t-il décroissance et affaiblissement dans l'enseignement officiel ? Parce que l'exécution de cette loi n'est pas conforme au vœu de la grande majorité des pères de famiile. Je tire de là cette conclusion que la loi de 1850 n'est pas en harmonie avec le vœu des populations, que les lois, qui sont le résultat d'une grande transaction nationale dans cette chambre et dans le pays, restent ; mais que les lois de parti passent ; et la vôtre, je le crois, passera bientôt.

Je fais des vœux pour que le gouvernement réussisse à ôter à la loi de 1850 le caractère qu'elle a. Je fais ces vœux parce que je crois que la paix intérieure sur le terrain religieux est le fait le plus heureux, le plus national qui puisse se produire ; si, en effet, de notre ordre du jour, par une large transaction comme celle de 1842, avait disparu la question de l'enseignement moyen et la question de la charité que je considère comme un intérêt de premier ordre, alors la Belgique serait plus grande et plus forte parce qu'elle serait unie.

Je le disais tout à l’heure il n'y a pas de Belgique possible sans le sentiment religieux, j'ajoute maintenant qu'il n'y a pas de Belgique possible sans union.

M. Rogier. - L'honorable ministre de l'intérieur, en exprimant la pensée du cabinet sur la loi du 1er juin 1850, a mis en avant des principes qui sont les nôtres, auxquels nous nous rallions complètement, auxquels il paraît que d'autres membres, siégeant sur d'autres bancs, ne se rallient pas.

M. le ministre de l'intérieur a déclaré que la loi de 1850 consacrait des principes sur lesquels il n'y avait pas à transiger ; et que cette loi serait maintenue.

L'honorable orateur qui vient de se rasseoir ne partage pas cette opinion ; il annonce, sous forme de vœu ou de menace, que cette loi passera bientôt. De pareilles prédictions nous disent assez ce que nous aurions à attendre si ce que veut aujourd'hui l'honorable préopinant, il le pouvait demain.

Il est pénible de voir une loi qui fut votée à une immense majorité, à deux années de distance à peine, et sous prétexte qu'elle a été une loi (page 320) de partis, menacé déjà dans son existence, outragée dans son esprit, calomniée dans ses effets. Je nie que cette loi ait été une loi de parti.

L'article le plus important, l'article essentiel, l'article sur lequel roulent vos débats d'aujourd'hui, c'est l'article 8, tel que l'a fait l'amendement présenté par M. Lelièvre de concert avec le gouvernement. Quelle a été la part de l'esprit de parti dans cet article fondamental ? Il y avait 93 votants, 72 l'ont accepté, 15 se sont abstenus et 6 ont voté contre. Voilà, messieurs, la sanction presque unanime qu'a reçue l'article qu'on vient attaquer comme entaché d'esprit de parti, et qu'on menace de ruiner aussitôt qu'on le pourra.

Je constate cependant un progrès dans les vues de l'honorable préopinant. Dans un document extraparlementaire signé de lui, on annonçait comme prochaine, comme nécessaire, la mort de la loi du 1er juin 1850 ; aujourd'hui on transige, on ne demande pas le renversement immédiat de la loi.

Messieurs, j'aurais voulu trouver du nouveau dans les attaques dont les principes de cette loi sont l'objet. Mais il nous a fallu entendre encore pour la centième fois des accusations vagues contre la loi et des indications non moins vagues pour en assurer la complète exécution. Il faut, a-t-on répété, l'homogénéité dans l'enseignement ; et pour obtenir l'homogénéité dans l'enseignement, il faut donner des garanties légales au clergé.

Nous demandons que l'on nous dise en termes précis en quoi consistent les garanties légales qu'il faut donner au clergé ; nous demandons quelle espèce de garantie légitime a été refusée au clergé ; nous n'avons cessé de faire cette question.

Personne n'a formulé en termes positifs ces garanties en vertu desquelles l'enseignement religieux serait assuré aux établissements de l'Etat.

Il y a en présence deux opinions, mais l'une des deux ne se formule pas aussi nettement que l'autre. Je vais y suppléer.

Il ne suffit pas que le clergé soit appelé à donner l'enseignement religieux dans les établissements publics, ce que nous appelons de tous nos vœux.

Il ne suffit pas que les professeurs chargés de donner l'enseignement religieux dans les établissements de l'Etat aient le droit de faire adresser par leurs chefs des observations soit au bureau administratif, soit au conseil de perfectionnement sur la manière dont l'enseignement des autres branches se donne dans l'établissement. Ce droit, nous l'avons toujours reconnu ; mais cela ne suffit pas. Ce que l'on veut, et c'est là une difficulté qu'on ne parviendra jamais à résoudre dans un arrangement officiel, c'est de subordonner la nomination des professeurs civils à l'avis préalable du clergé. Je dis qu'il est impossible au gouvernement d'accorder cela au clergé sans abdiquer ; je doute qu'un cabinet quel qu'il soit reconnaisse jamais officiellement cette prétention exorbitante du clergé qui consisterait à ne laisser entrer aucun professeur dans les établissements de l'Etat sans son approbation.

M. Malou. - Où cette prétention s'est-elle produite ?

M. Rogier. - C'est le fond de la difficulté. Aussi longtemps que le gouvernement ne prêtera pas la main à pareille prétention, il n'obtiendra pas le concours du clergé. S'il l'obtient, c'est que le clergé abandonnera les prétentions qu'il a mises en avant.

M. Dumortier. - Où sont-elles mises en avant, ces prétentions ?

M. Rogier. - Messieurs, si ce n'est pas là la garantie que vous réclamez pour le concours du clergé, je vous prie encore de vouloir bien dire en quoi consiste la garantie que vous réclamez. Je supplie qu'on sorte du vague et qu'on précise ce qu'on demande.

Il y avait une autre objection au concours du clergé, et qui, dans la pratique, se réduit à rien, c'est celle tirée des écoles mixtes ; le clergé refusait son concours, parce que, disait-il, il ne pouvait pas venir donner l'enseignement religieux dans un établissement où serait donne un autre enseignement religieux qui contrarierait le sien.

M. Malou vient de déclarer lui-même qu'il n'y avait pas d'établissement de ce genre... (Interruption.) C'est ce que nous avons eu l'honneur de répéter à MM. les évêques quand ils invoquaient le caractère mixte des établissements de l'Etat pour ne pas y donner l'enseignement religieux ; nous leur disions : Ne soulevez pas cette question de principe ; : voyons ce qui se passe en fait ; dans la plus grande partie des établissements, ii n'y a que des élèves catholiques, donc il n'y aura qu'un enseignement catholique ; si par hasard dans l'un ou l'autre établissement il se trouve des dissidents, on s'arrangera pour qu'ils puissent recevoir l'enseignement qui leur appartient sans troubler ni inquiéter l'enseignement catholique.

Voici, au surplus, en pratique ce qui s'est passé : les ministres des autres cultes ont pris l'initiative pour demander que, dans le cas où ils auraient à donner l'enseignement religieux à des élèves dans un établissement de l'Etat, ces élèves vinssent le chercher soit au temple, soit dans la maison du pasteur.

Dès lors, venait à tomber en fait cette objection qui empêchait le clergé d'entrer dans un établissement de l'Etat ; sous prétexte, qu'étant ouvert à des élèves de toutes les religions, il y avait absence d'homogénéité dans l'enseignement.

Reste donc cette question uniquement, la question de nomination. Quant à moi, je ne vois pas aujourd'hui d'autre difficulté sérieuse que celle-là. Le gouvernement sera-t-il libre de nommer les professeurs, en se soumettant aux prescriptions de la loi, qui veut que les nominations soient préalablement soumises à l'avis du bureau d'administration ? Ou pour obtenir le concours du clergé, devra-t-il soumettre à l'inspecteur diocésain ou à l'évêque toutes les nominations dans les établissements publics ? Voilà la question.

Eh bien, je ne pense pas qu'il soit possible qu'un pareil abandon de l'autorité civile se rencontre dans un ministère quelconque.

L'honorable M. Malou, l'honorable M. de Theux peuvent sans doute aller plus loin que nous. Mais je suis convaincu qu'eux-mêmes, investis du gouvernement, ne signeraient pas un acte à publier au Moniteur, en vertu duquel les évêques seraient appelés à donner leur avis sur toutes les nominations à faire dans nos établissements.

On a triomphé d'un fait qu'il faudrait plutôt, ce me semble, regretter, s'il était vrai ; on a triomphé d'une diminution apparente du nombre des élèves dans nos athénées depuis la loi de 1850. On a comparé cette diminution avec l'augmentation des dépenses et du nombre des professeurs. Déjà, M. le ministre de l'intérieur a fait ressortir les causes de la diminution plus apparente que réelle du nombre des élèves dans quelques établissements. Quant à l'augmentation du nombre des professeurs, la loi de 1850 a donné de l'extension à l'enseignement : nos athénées se sont accrus d'une section professionnelle complète. Il a été en outre pourvu à un grand nombre de cours qui manquaient de professeurs.

De là une augmentation de dépense.

Admettons qu'il y ait eu diminution réelle des élèves dans un certain nombre d'établissements. Les causes s'en expliqueraient facilement. D'abord, ne faudrait-il pas faire la part des hostilités ouvertes et sourdes dont nos établissements sont l'objet ? Qu'y aurait-il d'étonnant à ce que des établissements qui tous les jours sont dénoncés aux pères et aux mères de famille comme hostiles à la religion, finissent par perdre, aux yeux des parents, une partie de leur prestige, et perdent par suite une partie de leurs élèves ?

Tenons compte aussi de la concurrence active faite aux établissements de l’Etat.

On avait prétendu que la loi de 1850 avait pour but et aurait pour effet de détruire les établissements du clergé, de remettre entre les mains de l'Etat le monopole de l'enseignement. C'est le contraire qui arrive. Depuis la loi de 1850, le nombre des établissements libres est encore accru ; il est naturel que ces établissements libres élevés, à côté des établissements de l'Etal, leur enlèvent un certain nombre d’élèves. Que sont devenus dès lors les griefs de ceux qui nous accusaient de vouloir monopoliser l'enseignement et détruire les établissements libres ?

Et ces mêmes adversaires constatent aujourd'hui, avre triomphe, que l'enseignement libre n'a jamais été plus florissant qu'aujourd'hui. S'il en est ainsi, il ne fallait donc pas dire que la loi de 1850 était destinée à remettre entre les mains de l'Etat un monopole plus insupportable cncoie que celui que l'on avait subi sous l'ancien gouvernement,

On raisonnait aussi toujours-comme si la loi de 1850 avait supprimé, dans les établissements d'instruction moyenne, l'enseignement religieux ; mais cet enseignement, qu'on ne l'oublie pas, ne se donnait pas dans ces établissements, avant 1850. Parcourez la liste des professeurs, vous verrez que nulle part n'y figure un professeur chargé de l'enseignement religieux. Pourquoi ? Parce que les évêques refusaient aux communes ce qu'ils refusent maintenant à l'Etat. La seule ville d'Anvers avait eu un professeur chargé de l'enseignement religieux dans son athénée ; il avait cesse de le donner à l'époque de la loi de 1850. Le gouvernement est si éloigné de vouloir chasser l'enseignement religieux de ses établissement, qu'une des causes d'augmentation des dépenses provient de ce qu'on a assigné dans les budgets un traitement aux professeurs de religion, dans la prévision que l'enseignement religieux, suspendu jusqu'alors, serait donné aux termes de la loi de 1850. Il y avait donc à ajouter ces traitemenls, ainsi que celui de préfet des études, qui n'existait que dans un ou deux établissements.

On m'a reproché de n'avoir rien fait pour obtenir le concours du clergé. On a dit que si le clergé n'avait pas donné son concours, c'était le fait du ministre de l'intérieur d'alors. Mon honorable successeur, après avoir pris connaissance de tous les antécédents, a bien voulu reconnaître que j'avais fait tout ce qu'il était loyalement possible de faire pour obtenir ce concours. Postérieurement à la correspondance échangée avec les évêques et qui est connue, il m'avait paru qu'à la suite d'une discussion assez longue qui avait eu lieu dans cette enceinte, au mois de février dernier, on était prêt à se mettra d'accord.

L'honorable M. Dumurtier disait dans cette discussion : « Il me semble que dans les paroles que M. le ministre de l’intérieur a prononcées dans cette séance on trouve le gage d'un rapprochement que le pays tout entier désire. »

A la suite de cette discussion, des tentatives ont été faites ; elles n'ont pas abouti. Le caractère officieux qu'elles avaient revêtu ne me permet pas d'entrer dans des détails à cet égard.

Je souhaite beaucoup que mon honorable successeur réussisse mieux que moi, qu'il parvienne à inspirer de la confiance, et je suis convaincu que cette confiance, il ne cherchera pas à la gagner en abandonnant des principes qu'il a défendus loyalement, fermement, pendant toute sa carrière.

J'ai pleine confiance sous ce rapport dans la déclaration de l'honorable ministre de l'intérieur ; et pour moi, il n'avait pas besoin de la faire. Ja suis en pleine sécurité quant à l'exercice des droits du gouvernement entre ses mains.

(page 321) L'honorable M. Osy a bien voulu, dans son dernier discours, se réjouir de la chute de l'ancien cabinet ; il en a été très heureux, et il a associé tout le pays à son bonheur.

En même temps l'honorable M. Osy a témoigné sa confiance dans le cabinet actuel, appelé, selon lui, à réparer les désastres qu'avait créés l'administration précédente.

Je rappellerai à l'honorable député d'Anvers que cette confiance, il avait bien voulu aussi nous la témoigner à nous-même pendant deux ou trois ans, ce qui ne l'a pas empêché plus tard d'être heureux de notre chute.

Sous l'honorable M. Nothomb, l'honorable député d'Anvers avait aussi, pendant quelques années, accordé toute sa confiance au chef du cabinet, et quand le chef du cabinet est venu à tomber, l'honorable M. Osy s'est déclaré parfaitement heureux. (Interruption).

M. de Decker. - La question n'est pas là.

M. le président. - M. Osy a parlé ; on doit pouvoir lui répondre.

M. Rogier. - Permettez ; est-ce que je m'écarte des règles parlementaires ? J'ai un avis à donner à mon honorable successeur auquel l'honorable M. Osy promet sa confiance, et je rappelle les antécédents.

A la chute de l'honorable M. de Theux, l'honorable M. Osy a été encore très heureux : « ter, quaterque beatus ! » Eh bien ! j'engage fortement mon honorable successeur à n'accepter que sous bénéfice d'inventaire les déclarations de l'honorable M. Osy, très sujet à de grandes variations dans les gages de confiance qu'il donne.

Je ne recherche pas si l'honorable député d'Anvers a été, à une autre époque, malheureux de la chute de tel ou tel système ; il s'est depuis largement indemnisé, largement consolé. Car nous l'avons vu invariablement heureux de toutes les chutes ministérielles qui se sont succédé.

Je dirai donc à mon honorable successeur de suivre ses principes à lui, son système à lui ; de ne pas se laisser aveugler ou éblouir par des promesses de concours qui pourraient bien lui faire défaut, s'il persiste à vouloir se montrer indépendant et ferme. Ce concours, il continuera de l'obtenir de ceux qui, comme lui, veulent sincèrement l'indépendance du pouvoir civil, qui, on a beau dire, n'est pas un vain mot, qui est au fond de toutes nos luttes, qui est la cause de nos divisions. Du jour où il se montrerait disposé à abdiquer une partie des principes qu'il a si nettement posés, dès ce jour-là, je le déclare à mon honorable successeur, il pourrait obtenir sur certains bancs une adhésion précaire et temporaire ; mais il aurait cessé d'obtenir le concours de ses véritables et fermes partisans.

Dn reste, que l'honorable M. Piercot fasse des efforts, qu'il obtienne ce qui nous a été refusé, qu'il inspire plus de confiance, nous l'en féliciterons, nous en serons heureux. Nous désirons sincèrement le concours du clergé dans nos établissements. Nous le désirons dans l'intérêt de la religion, dans l'intérêt de l'instruction, dans l'intérêt du clergé, dans l'intérêt de la paix publique.

Il restera encore assez de causes de divisions entre nous, et ce serait un grand service rendu par le ministère actuel que d'avoir pu mettre fin à un conflit regrettable et qui n'a que trop duré. Qu'il reçoive donc mes vœux pour son succès ; en même temps qu'il reçoive le témoignage de ma confiance dans ses principes et dans sa ferme volonté de les maintenir.

M. le président. - La parole est à M. de La Coste.

- Plusieurs membres. - A demain !

M. Malou. - Je demande un instant la parole pour rectifier au fait.

Voici ce que je lis dans la correspondance publiée par la section centrale du budget de 1852, page 52 du volume que tous les membres de la chambre ont reçu :

« Vous avez cru voir dans ma lettre, M. le ministre, que nous revendiquons une part d'intervention dans la nomination et la révocation des professeurs, ainsi que dans le choix des livres. Permettez que je vous répète d'abord, au nom de tous les évêques, ce qu'un respectable ecclésiastique vous a déclaré de ma part dans la matinée du jour même où vous avez signé votre dépêche, savoir : que nous n'avons aucunement eu, ni pu avoir, l'intention d'élever une semblable prétention. »

Signé par le cardinal archevêque de Malines.

M. Rogier. - Messieurs, je n'ignorais pas du tout et je n'avais pas perdu de vue ce passage de la correspondance. Je désire que, dans les négociations qui vont s'ouvrir, ce passage de la correspondance ne demeure pas à l'état de pure théorie, et que la prétention d'intervenir dans la nomination des professeurs et dans le choix des livres ne fasse point partie des demandes qui seront formulées par le haut clergé.

Projet de loi accordant un crédit provisoire de 7,000,000 de francs au budget du ministère de la guerre

Dépôt

M. le ministre des finances (M. Liedts). présente un projet de loi ayant pour objet d'allouer au département de la guerre un crédit provisoire de 7 millions de francs à valoir sur le budget des dépenses de 1853.

- La chambre ordonne l'impression et la distribution de ce projet et le renvoi à l'examen des sections.

La séance est levée à 4 heures et demie.