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Chambres des représentants de Belgique
Séance du jeudi 20 janvier 1853

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1852-1853)

(Présidence de M. Delfosse, président.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 446a) M. Ansiau procède à l'appel nominal à deux heures et un quart.

La séance est ouverte.

M. Maertens donne lecture du procès-verbal de la précédente séance ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Ansiau fait connaître l'analyse des pièces suivantes adressées à la chambre.

« Le sieur Euslache-Joseph Houyet, receveur des accises à Bruxelles, demande la palce de conseiller vacante à la cour des comptes. »

- Dépôt au bureau des renseignements.


« Le conseil communal de Gheel demande l'exécution de travaux destinés à prévenir les inondations de la petite Nèthe. »

- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le budget des travaux publics.


« Des habitants de Gand demandent la révision de la loi sur la garde civique. »

- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner la proposition de loi qui modifie l'article 24 de la loi sur la garde civique.


« Plusieurs médecins et pharmaciens de Bruxelles présentent des observations contre le projet de loi de la commission portant interprétation de l'article 18 de la loi sur l'art de guérir. »

« Mêmes observations des médecins et pharmaciens de l'arrondissement d'Audenarde. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi.


« Le sieur Thienpont, pâtissier et boulanger à Bruges, demande que le gouvernement retienne sur les pensions d'un douanier et d'un officier ce qu'ils sont redevables à la succession de la veuve Demyitère. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le conseil communal de Thielt, arrondissement de Louvain, demande la construction d'un chemin de fer direct entre Diest et Louvain. »

« Même demande des conseils communaux de Lubbeek, Meensel-Kieseghem, Winghe-Saint-Georges, Binckum et Molenbeek-Wersbeck. »

- Même renvoi.


« Le conseil communal de Péruwelz prie la chambre d'accorder la concession d'un chemin de fer de Saint-Ghislain à Tournai par Péruwelz. »

- Même renvoi.


« Les électeurs d'Achel demandent que les élections pour les chambres puissent se faire au chef-lieu du canton judiciaire. »

- Même renvoi.


« Des habitants de la commune de Lille demandent que les districts électoraux pour les nominations aux chambres soieut composés de 40,000 âmes. »

- Même renvoi.


« Des fabricants de pianos à Bruxelles demandent la libre entrée des pianos pour la Belgique et la France ou égalité de droit entre ces deux pays. »

- Renvoi à la commission permanente de l'industrie.


« Le sieur Clermont présente des observations sur l'état des rapports commerciaux de la Belgique avec la France, et sur les droits d'entrée qui frappent les tissus de laine, de soie, les tresses et chapeaux de paille, les cardes, la peausserie, les vins, la carrosserie. »

- Renvoi à la commission des pétitions et dépôt sur le bureau pendant la discussion des rapports sur des pétitions concernant les mêmes objets.

Projet de loi portant le budget du ministère des travaux publics de l’exercice 1853

Rapport de la section centrale

M. de Brouwer de Hogendorp. - J'ai l'honneur de déposer sur le bureau le rapport sur le budget des travaux publics.

- La chambre ordonne l'impression et la distribution de ce rapport et en met la discussion à la suite de l'ordre du jour.

Projet de loi sur l’organisation de l’armée

Motion d'ordre

M. Thiéfry (pour une motion d’ordre). - On nous a distribué hier un projet de loi intitulé : Organisation ae l'armée ; ce n'est cependant qu'une loi organique des cadres. Elle est établie dans la prévision d'avoir cent mille hommes sur le pied de guerre. Or, la première nécessité pour arriver à ce chiffre, c'est d'avoir des soldats. Le gouvernement, pour atteindre le nombre qui est nécessaire, va présenter un projet de loi pour étendre le service obligatoire de la milice : il proposera de l'augmenter de deux années et de fixer par conséquent ce service à dix années.

M. le ministre de la guerre, dans l'exposé des motifs, dit que ce projet va être incessamment soumis à nos délibérations ; mais nous ne l'avons pas, et c'est cependant le premier objet dont nous devrions nous occuper ; car si la chambre adopte le projet de loi sur les cadres et rejette après la prolongation du service des miliciens, qu'en résulterat-il ? C'est que l'on aura une armée avec beaucoup d'officiers sans soldats. Je demande donc que le projet de loi sur la milice soit déposé sur le bureau et que la chambre veuille bien commencer par se prononcer sur cet objet important.

M. le ministre de la guerre (M. Anoul). - Je crois comprendre que l'honorable M. Tniefry émet des doutes au sujet de la possibilité de passer à l'organisation de l'armée avant de connaître si les chiffres, pour avoir des hommes nécessaires, sont admis. Mais je pense être parfaitement d'accord avec mon honorable collègue de l'intérieur, qui se propose de déposer très prochainement un projet de loi sur cette matière, et ce n'est qu'après l'adoption de ce projet de loi qu'on pourra passer à la discussion du budget de la guerre.

M. Thiéfry. - Mon observation n'avait pour but que d'armer à la discussion simultanée des deux projets. Puisque celui concernant l'organisation est renvoyé en sections, si nous allions nous prononcer sur ce sujet avant de connaître la loi de recrutement, nous pourrions faire une besogne inutile.

M. le ministre de l'intérieur (M. Piercot). - Un projet sera très prochainement soumis à la chambre, mais il me semble cependant que rien ne s'opposerait à ce que l'on commençât l'examen du projet d'organisation en prenant pour point de départ qu'il y aura nécessairement dix années de service. D'ici a peu de jours le conseil des ministres pourra se mettre d'accord sur le projet définitif à soumettre à la chambre concernant la milice.

M. Thiéfry. - On ne peut préjuger d'avance une question aussi importante.

M. E. Vandenpeereboom. - S’il est entendu que l’on se s’occupeta de la question de l’organisation militaire qu’après que nous serons saisis du projet de loi que vient d’annoncer M. le ministre de la guerre, je n’ai plus rien à ajouter ; mais s’il en était autrement, je devrais insister et appuyer ce que vient de dire l’honorable M. Thiéfry.

Projet de loi qui admet à la pension de retraite les officiers d'origine étrangères, mis en position de non-activité

Second vote de l'article unique

M. Thiéfry. - Si les deux amendements introduits dans la loi sont adoptés, je crois que l'on ferait bien de supprimer la seconde partie du deuxième paragraphe, ainsi conçue : « Sans toutefois qu'elles puissent être inférieures a celles qui seraient accordées, en vertu de la loi du 28 mai 1838, après quarante années de service et dix années de grade. »

L'on a inséré cette phrase pour empêcher que des officiers n'aient une pension inférieure à celle que la loi de 1838 accorde après 40 années de service et 10 années de grade : or, avec l'amendement seul de l'honorable M. Mercier, tous auront une retraite bien supérieure à ce taux ; ia phrase devient donc inutile.

On devrait austi retrancher le mot « toutefois », par lequel commence la troisième phrase, et dire :

« Les pensions de ces officiers seront fixées aux trois quarts du traitement d'activité dont ils jouissaient.

« Les pensions des lieutenants et sous-lieutenants, établies d'après ces bases, seront augmentées chacune de 300 fr. »

Je tiens maintenant à expliquer les motifs qui m'empêchent d'adopter l'amendement de M. Lelièvre.

Les traitements de l'infanterie servent de base à tous les traitements de l'armée ; on ajoute un supplément à ceux des officiels des armes spéciales en raison des dépenses qu'ils ont à supporter pour le nombre de chevaux qu'ils doivent entretenir.

Quand un officier est mis à la retraite, la raison qui motive un supplément n'existe plus, aussi n'y a-t-il aucune différence pour les pensions des mêmes grades, n'importe l'arme dans laquelle ils ont servi.

Il en est de même des officiers piacés en non-activité ; tous indistinctement ont alors la même solde, parce que tous sont dans une position semblable ; et ce qui se pratique en Belgique a également lieu dans tous les pays. Ce principe est basé sur l'équité. Comme l'amendement de l'honorable M. Lelièvre s'écarte de cette règle, il en résulte une injustice qu'il suffira de signaler à la chambre pour lui faire voir que cette proposition doit être écartée. En effet son adoption aura pour conséquence de donner à un capitaine une pension moindre que celle qu'obtiendra un lieutenant, et deux lieutenants auront une pension inférieure à celle de deux sous-lieutenants. C'est évidemment ce que personne ne veut.

Nous éprouvons tous une véritable sympathie pour les officiers dont il s'agit ; nous sommes tous d'accord sur l'opportunité et la convenance de leur accorder une pension extraordinaire afin d'adoucir par un acte de générosité la mesure prise à l'égard d'hommes dont ou a brisé la carrière ; cependant il est des bornes qui ne peuvent raisonnablement être dépassées il faut que dans l'armée les officiers belges approuvent la justice de notre décision.

On a d'abord proposé d'accorder le maximum de la retraite et le bénéfice de l’article 17 de la loi sur les pensions qui accorde une augmentation d'un cinquième après 10 ans de grade.

(page 446b) La section centrale, d'après les observations de toutes les sections, a voulu améliorer cette position ; elle a proposé de fixer la pension aux trois quarts de la solde d'infanterie : elle accorde ainsi aux majors, à très peu de chose près, la pension que l'on donne à un colonel après 40 années de service et 10 années de grade, et aux capitaines la pension de major aussi après 40 années de service et 10 années de grade. Les lieutenants et les sous-lieutenants seuls ont la pension de leur propre grade, et c'est cette différence qui a choqué un grand nombre des membres de cette chambre. L'amendement de l'honorable M. Mercier la fait disparaître, en majorant de 300 fr. la pension de chacun d'eux, et il donne à chaque officier une pension en rapport avec le grade qu'il occupe dans l'armée.

J'adopterai donc la proposition de la section centrale, amendée par M. Mercier. Les membres de cette chambre qui trouvent ces pensions insuffisantes doivent les majorer en portant le taux aux 4/5 ou aux 5/6 de la solde de l'infanterie au lieu des 3/4 ; mais ils ne peuvent, à moins de consacrer une injustice, prendre pour base le traitement de l'arme dans laquelle les officiers ont servi.

M. le président. - Un amendement vient d'être déposé par M. Mercier.

« Pour le cas où l'amendement de M. Lelièvre serait admis au second vote, je propose de modifier de la manière suivante l'amendement qui, sur ma proposition, a été adopté au premier vote : « Les pensions du capitaine et des lieutenants d'infanterie, établies d'après ces bases, seront augmentées chacune de 400 fr. »

M. E. Vandenpeereboom. - L'honorable M. Thiéfry vient de faire les observations que je me proposais de présenter ; il ne me reste qu'à dire quelle est la position que je dois prendre, comme rapporteur de la section centrale, vis-à-vis des amendements adoptés au premier vote sur la proposition de MM. Lelièvre et Mercier.

L'amendement de M. Lelièvre porte la pension des officiers dont il s'agit aux trois quarts de leur traitement d'activité.

Par l'amendement de M. Mercier les pensions des lieutenants et des sous-lieutenants sont augmentées chacune de 300 fr. Par un nouvel amendement M. Mercier propose de porter une augmentation en faveur d'un capitaine d'infanterie. Mais si l'amendement de M. Lelièvre n'était pas maintenu, cette dernière proposition viendrait à tomber.

Je viens, comme rapporteur de la section centrale, combattre l'amendement de M. Lelièvre et appuyer celui de M. Mercier. Voici les motifs qui m'ont déterminé à agir ainsi.

Il y a impossibilité d'adopter l'amendement de M. Lelièvre, tel qu'il est présenté. L'honorable M. Thiéfry vient de le prouver. Je vais tâcher d'ajouter quelques preuves nouvelles à celles que cet honorable membre a présentées.

L'augmentation, sur les propositions de la section centrale, serait de 6,641 fr. par suite de l'amendement de M. Lelièvre, et de 1,800 fr. par suite de l'amendement de M. Mercier ; soit de 8,441 francs pour ces deux amendements réunis.

Certainement la chambre est maîtresse d'admettre cette augmentation ; mais, comme vient de le dire l'honorable préopinant, il faudrait faire porter l'augmentation sur d'autres bases, sans cela on arriverait à des résultats qui ne peuvent se justifier. Ainsi en adoptant les deux amendements, vous donneriez (je ne veux citer aucun nom propre) au lieutenant indiqué sous le n°11, une pension plus forte de 36 francs que celle du capitaine indiqué sous le n°8. Deux sous-lieutenants de la même arme désignés sous les n°13 et 14 auraient l'un 1,875 francs et l'autre 2,175 francs, parce qu'aujourd'hui l'un a 400 francs de plus à cause de sa position spéciale et peut-être temporaire. L'un était sous-lieutenanl d'artillerie dans une batterie montée ; l'autre était sous-lieutenant dans une batterie non montée. Vous voyez qu'une telle disposition n'est pas possible.

Enfin, un médecin de bataillon de deuxième classe (celui peut-être qui pourra le mieux utiliser des connaissances acquises) n'aura que 300 fr. de moins qu'un capitaine commandant d'artillerie. Il est évident qu'il ne faut pas consacrer, par une loi, de telles inégalités.

J'ai consulté, individuellement, les membres de la section centrale, sur les amendements proposés. Un membre était absent ; ce membre avait demandé moins que n'avait proposé la section centrale. Cinq membres maintiennent leur proposition primitive, avec l'amendement de l'honorable M. Mercier. Un membre persiste à demander l'augmentation.

Tout en désirant que la chambre donne aux officiers, dont il s'agit en ce moment, une marque de généreuse gratitude, je persiste à croire que l'amendement de M. Lelièvre ne peut être adopte, tel qu'il est formulé. J'admets, au contraire, l'amendement de M. Mercier.

M. Allard. - L'honorable M. Thiéfry et l'honorable M. E. Vandenpeerebeom viennent de présenter les arguments que j'avais à faire valoir.

J'ajouterai quelques mots seulement.

Outre les officiers étrangers qui viennent d'être mis en disponibilité et dont nous nous occupons maintenant, il y a un général, d'origine polonaise, qui a été pensionné il y a quelques mois. Il avait 40 années de service et 10 ans de grade. Voici la position qui lui a été faite ; il a une pension de 6,000 fr. S'il avait eu 39 ans de service, il aurait une pension de 8,700 fr., puisque l'amendement de M. Lelièvre lui aurait également été appliqué. Si l'on prend pour base le traitement dont jouissent les officiers en activité, on commettra une injustice à l'égar de cet officier supérieur, qui certes n'aurait pas été mis à la retraite, si le gouvernement n'avait pas dû prendre la mesure qui a atteint tous les officiers polonais.

La solde, comme l’a dit l'honorable M. Thiéfry, se compose de deux éléments : il y en a une partie qui est affectée aux dépenses que doit faire l'officier ; c'est ainsi que le sous-lieutenant du génie, de même que le sous-lieutenant d'artillerie non montée, a 2,100 francs de traitement, parce qu'ils n'ont pas de cheval, tandis que le sous-lieutenant de cavalerie et d'artillerie montée ont un traitement de 2,500 francs. Ce qui explique la différence de 400 francs, c'est que ces officiers ont à faire, pour la ferrure de leur cheval, une dépense de soixante francs environ annuellement, ils doivent louer une écurie, pourvoir aux frais de harnachement, d'équipement et de perte éventuelle de leurs chevaux, etc. Nous ne pouvons donc asseoir la pension sur la solde que reçoivent les officiers en activité.

On a fait voir les anomalies qu'il y aurait entre les officiers des différents grades. Je ne reviendrai pas là-dessus.

Je persiste dans la proposition de la section centrale.

M. Manilius. - Je m'étais fait inscrire pour combattre les anomalies que présentent les deux amendements qui ont été adoptés. Depuis a paru l'amendement de l'honorable M. Mercier. Je viens d'en faire un dernier examen ; il fait complètement disparaître les anomalies, comme il procède avec cette générosité à laquelle ces quatorze officiers sont en droit de s'attendre de la part de la chambre.

Je me prononce donc en faveur de l'amendement de l'honorable M. Mercier, et je retiens l'amendement que je me proposais de faire dans le même but.

M. Lelièvre. - La chambre a sanctionné au premier vote un acte de justice qui a été accueilli favorablement par l'opinion. Je dis un acte de justice, parce qu'il ne faut pas perdre de vue la position exceptionnelle qu'on a faite aux officiers dont nous nous occupons. Ces officiers, tous Belges naturalisés, ont été mis hors la loi, privés d'un traitement sur lequel ils avaient droit de compter pendant plusieurs années, privés de tout droit à l'avancement et voyant, par un fait indépendant de leur volonté, toute leur carrière brisée. Eh bien, je soutiens que si, dans cette occurrence, on leur avait accordé leur traitement entier, à titre de pension, on n'aurait rien fait d'exorbitant, puisqu'on leur enlève des avantages équivalents, et, qu'en outre, on leur ravit toutes chances l'avancement qui constituaient pour eux un droit acquis.

En fixant la pension aux trois quarts du traitement d'activité, la chambre a arbitré modérément l'indemnité à laquelle ils avaient droit, et je ne saurais croire qu'on ait le courage de la disputer à des hommes qui ont constamment bien mérité du pays.

Il ne s'agit pas ici d'une pension ordinaire à l'égard de laquelle on peut invoquer les principes du droit commun en cette matière. Ce sont de braves officiers dont on brise la carrière, il faut prendre égard non seulement aux avantages dont ou les dépouille actuellement, mais aussi aux chances de promotion qui sont à jamais détruites. C'est un avenir entier dont la perspective est absorbée par l'Etat par des motifs politiques.

Quant à moi, je ne saurais croire que l'on pût songer à revenir d'un vote de justice et d'équité. Cela ne serait ni digne ni honorable et je ne redoute rien de pareil de la chambre.

Les arguments de l'honorable M. Thiéfry ne sont pas de nature à réfuter mon amendement. Il ne s'agit pas ici d'une pension qui doit être réglée d'après les principes du droit commun, mais d'une indemnité extraordinaire qui ne peut être basée que sur le traitement de l'arme à laquelle l'officier appartient ; c'est là une base équitable, messieurs, parce qu'en réalité on prive les officiers en question du traitement d'activité qui leur était assuré et dont ils devaient encore jouir pendant nombre d'années ; il est donc rationnel de prendre pour point de départ le traitement de chaque arme.

Vainement allègue-t-on certaines anomalies. Messieurs, je considère cet argument comme bien frivole, alors qu'il s'agit d'une question qui doit être appréciée d'un point de vue plus élevé. Dans une affaire d'honneur et de dignité pour le pays, ce n'est pas le cas de s'arrêter à semblables futilités.

On dit qu'il ne faut pas mécontenter les officiers belges ; mais, messieurs, l'armée belge est trop grande, trop généreuse pour voir d'un œil d'envie un acte de justice envers de braves frères d'armes qui sont placés dans une position extraordinaire que tout homme de cœur saura apprécier.

La chambre a émis un vote qui l'honore, je suis convaincu qu'elle maintiendra sa décision.

M. Deliége. - Je suis l'un des deux membres de la section centrale qui ont fait valoir dans cette section des motifs pour l'opinion que vient d'émettre l'honorable M. Lelièvre.

Cette proposition a été admise une première fois par la chambre.

M. Allard. - Vous ne faisiez pas partie de la section centrale.

M. Deliége. - Je faisais partie de la section centrale, et j'ai pour habitude d'assister aux réunions des sections centrales quand on me confie cette mission.

Je crois donc devoir dire quelques mots en faveur de l'opinion que j'ai émise dans cette section.

Vous savez tous, messieurs, quelles sont les circonstances qui ont amené en Belgique les officiers d'origine polonaise. Vous savez qu'en 1830 la Pologne se souleva, comme la Belgique.

(page 447) Moins heureuse, elle succomba.

Ces officiers durent quitter leur malheureux pays et arrivèrent en France et en Belgique. C'étaient pour la plupart des officiers instruits ; beaucoup d'entre eux avaient été pendant cinq ans au collège militaire de Kalish, et avaient ensuite suivi les cours de l'école d'application de Varsovie pendant 3 ou 4 ans.

Depuis leur arrivée en Belgique, on n'a eu qu'à s'applaudir de leur conduite. L'honorable M. Lebeau a rendu un éclatant hommage à leur mérite. Chaque fois qu'ils ont dû payer de leur personne, ils l'ont fait. L'honorable ministre de la guerre vous dira qu'une batterie belge envoyée au siège d'Anvers était accompagnée d'un officier polonais. A Risquons-tout (je ne veux pas exagérer ce fait d'armes), c'était encore un Polonais qui commandait l'artillerie. L'honorable ministre de la guerre vous dira encore que la plupart de ces officiers ont été nommés au choix, ont été décorés.

C'est dans des circonstances pareilles, et après leur avoir fait comprendre qu'ils devaient se faire naturaliser, après que tous ont obtenu la naturalisation et sont devenus citoyens belges, qu'est arrivée la mesure qui les a frappés : cette mesure a été prise, je le reconnais, dans des circonstances difficiles ; elle a été approuvée, peut-êlre, par plusieurs de ces officiers mêmes, car ils n'ont jamais fait entendre une plainte qui n'appelât sur eux votre sympathie ; voyez les diverses pétitions qu'ils ont adressées à la chambre ; tous, ponr le bien de leur nouvelle patrie, ont su se résigner. Et cependant qu'étaient-ils ? De malheureux pères de famille qu'on ne privait pas seulement de leur grade et de tout espoir d'avancement, mais à qui l'on ôtait en même temps leur position dans la société. Voilà, messieurs, le résultat de la mesure qui les a frappés.

Maintenant je sais que la proposition qui vous est faite leur donne un sort bien supportable dans leur malheur ; je sais que la chambre reconnaîtra convenablement leurs services, si elle adopte la proposition qui lui a été présentée par l'honorable M. Lelièvre, et qu'elle a déjà adoptée une fois ; je sais que ces officiers n'auront pas à se plaindre ; je sais qu'ils n'auront qu'à se louer de leur nouvelle patrie.

Je sais aussi qu'il est des circonstances politiques où il est permis à un petit peuple de ne pas se montrer très grand envers les puissants, envers les grands !

Mais pouvons-nous ne pas nous montrer grands, nous montrer généreux envers les petits ? (Passez-moi le terme.)

Mon, messieurs, non ! Jamais ! Je demande que la chambre adopte définitivement l'amendement de M. Lelièvre.

M. Rogier. - Messieurs, l'honorable M. Ernest Vandenpeereboom a combattu, au nom de la section centrale, l'amendement qui a été adopté au premier vote. Je demande si cet amendement a été soumis à la section centrale ; je ne le pense pas.

Dès lors, on ne peut produire ici l'opinion de la section centrale, qui a pu être modifiée par la discussion générale.

Je ne veux pas prolonger ce débat ; il est désirable qu'il soit clos promptement. Je me prononce pour le parti le plus généreux qui, dans cette circonstance, sera le plus juste. Je prends les positions des officiers polonais telle qu'elles sont en ce moment ; elles sont inégales, ellesresteront inégales.

Si l'on peut arriver à une mesure générale, parfaitement équitable pour tout le monde, je ne demande pas mieux que de m'y rallier.

Mais l'on ne parviendra pas à faire disparaître toute inégalité. Ce que je demande à la chambre, c'est d'adopter le parti le plus généreux, qui, je le répète, sera dans cette circonstance le plus juste. (Aux voix 1 aux voix !)

M. Allard. - Je renonce à la parole.

- La discussion est close.

M. Mercier (sur la position de la question). - Si l'on vote maintenant sur l'amendement de l'honorable M. Lelièvre, et si la chambre l'adopte, je me réserve de prendre la parole sur mon amendement modifié.

M. le président. - Si l'amendement de l'honorable M. Lelièvre est maintenu, je mettrai ensuite aux voix l'amendement de M. Mercier, tel qu'il l'a modifié ; si, au contraire, l'amendement de M. Lelièvre est rejeté, nous reprendrons l'amendement primitif de M. Mercier.

- Il est procédé par appel nominal au vote définitif de l'amendement présenté par M. Lelièvre.

En voici le résultat :

82 membres ont pris part au vote.

51 ont répondu oui.

31ont répondu non.

En conséquence, l'amendement est définitivement adopté.

On voté l'adoption : MM. Desmaisières, de Steenhault, de Theux, de T'Serclaes, Devaux, Dumortier, Laubry, Lebeau, Lejeune, Lelièvre, Lesoinne, Loos, Maertens, Malou, Manilius, Moncheur, Moreau, Orban, Orts, Pirmez, Prévinaire, Rogier, A. Roussel, Tesch, Thibaut, Vanden Branden de Reeth, Van Hoorebeke, Van Remoortere, Van Renynghe, Verhaegen, Vermeire, Veydt, Vilain XIIII, Anspach, Closset, Dautrebande, de Baillet-Latour, de Brouwer de Hogendorp, de Decker, de Haerne, de La Coste, de Liedekerke, Deliége, F. de Merode, de Mérode-Westerloo, de Perceval, de Pitteurs, Dequesne, de Renesse, de Royer, de Sécus.

Ont voté le rejet : MM. Faignart, Jacques, Jouret, Julliot, Lange, le Bailiy de Tilleghem, Magherman, Mascart, Matthieu, Mercier, Moxhon, Osy, Rodenbach, C. Rousselle, Thiéfry, Thienpont, E. Vandenpeereboom, Vander Donckt, Van Iseghem, Van Overloop, Visart, Allard. Ansiau, Brixe, Clep, Coomans, de Breyne, de Naeyer, de Portement, de Ruddere et Delfosse.

M. le président. - Nous avons maintenant l'amendement présenté par M. Mercier ; il est ainsi conçu :

« Toutefois, les pensions des lieutenants et sous-lieutenants, établies d'après ces bases, seront augmentées chacune de 300 fr. »

M. Mercier. - L'amendement que j'avais soumis à la chambre avait pour objet d'augmenter de 300 fr. la pension des lieutenants et des sous-lieutenants qui, d'après la base proposée par la section centrale, m'avait paru trop peu élevée.

Maintenant, par suite de l'adoption de l'amendement de l'honorable M. Lelièvre, il se trouve que quatre de ces pensions atteignent un chiffre plus élevé que celui que j'avais en vue. Ainsi, mon amendement ne peut plus s'appliquer qu'à deux de ces officiers, deux lieutenants d'infanterie, la pension des autres venant d'être augmentée dans une plus forte proportion. Je pense d'ailleurs que le chiffre de mon amendement doit convenablement être augmenté dans une certaine mesure.

Je crois en outre qu'il est juste que cet amendement s'applique également à un capitaine d'infanterie qui, par suite de la base de l'amendement que l'on vient d'adopter, se trouve avoir une pension bien inférieure à celle de ses collègues des armes spéciales. Ainsi, les capitaines des armes spéciales reçoivent une pension de 3,486 francs, tandis que le capitaine d'infanterie n'obtient que 2,475 francs.

Je propose donc d'augmenter la pension du capitaine et des deux sous-lieutenants d'infanterie de quatre cents francs.

M. le président. - Je dois faire remarquer à la chambre que si l'amendemenl est adopté tel qu'il vient d'être modifié, les mots qui terminent le deuxième paragraphe deviennent tout à fait inutiles.

M. Orts. - Sans me prononcer sur l'amendement proposé par l'honorable M. Mercier, je lui ferai remarquer que dans son amendement il commet une injustice pour un officier d'artillerie ; il le laisse dans une position évidemment inférieure à celle des officiers d'infanterie qui reçoivent une pension de 1,500 francs, tandis que l'autre aurait une pension supérieure à 1,800 francs. L'honorable M. Mercier, pour compléter sa pensée, devrait joindre aux officiers d'infanterie le lieutenant d'artillerie qui figure sous le n°15 au tableau annexé à la loi.

M. Mercier. - L'anomalie n'est pas aussi forte pour te sous-lieutenant, puisque cet officier aura encore 1,875 fr. de pension, ce qui est toujours plus que ce qu'il aurait eu d'après mon premier amendement qui n'aurait porté sa pension qu'à 1,500 fr.

Cependant, je ne repousserai pas un amendement qui aurait pour effet de porter cette pension à 1,800 francs. Mais je dis que les motifs indiqués pour les lieutenants n'existent pas à son égard, puisqu'il est dans un grade inférieur ; il y aurait une grande anomalie à ce que l'Etat accordât à un lieutenant une pension inférieure à celle que recevrait un sous-lieutenant.

Ma proposition laisse encore la pension des lieutenants d'infanterie inférieure à celle d'un des deux sous-lieurenants des armes spéciales.

Au surplus, je ne pourrais pas appliquer mon amendement au sous-lieutenant, car il aurait alors une pension supérieure même à celle des lieutenants. Le sous-lieutenant aurait une pension de 1,875 francs ; ce serait donc dépasser le but, car, malgré mon amendement l'anomalie, dont parle M. Orts, existera encore entre le capitaine d'infanterie et un capitaine d'armes spéciales ; en effet, le capitaine d'infanterie n'aura encore que 2,475 francs, tandis que son collègue aura 3,480 francs. J'ai voulu remédier à cette anomalie jusqu'à un certain poiut, mais nous ne pouvons pas la faire disparaître complètement.

M. Orts. - Il y aurait un moyen de concilier les deux choses. Mon but est, dans l'hypothèse de l'adoption de l'amendemenl de l’honorable M. Mercier, de ne pas voir retirer aux officiers qui sont dans une bonne position l'avantage qu'ils doivent au premier vote de lla chambre.

L'honorable M. Mercier pourrait tout concilier en augmentant dans une propoition un peu plus forte la pension qu'il propose d'accorder aux officiers dont il parle, tout en laissant aux autres ce qu'ils ont déjà. Il donnerait, par exemple, à l'un quatre cents francs et laisserait aux autres trois cents francs.

M. le président. - Vous êtes dans l'erreur. D'après la proposition primitive cet officier n'avait que douze cents francs et d'après l'amendement de M. Lelièvre il aura 1,575 francs ; il n'en aurait que 1,500 par le premier amendement de M. Mercier.

M. Orts. - Outre cette disposition-là, outre les propositions individuelles, il y a le vote de la chambre qui a admis la proposition de M. Mercier et la proposition de M. Lelièvre à la fois. Ce vote donne à ces officiers une position qui est acquise et que je voudrais leur voir conserver. Je ne m'oppose pas à ce que l'on fasse une position meilleure à deux officiers et même davantage. Tout ce qu'on pourra faire pour ceux dont nous nous occupons, je l'appuierai. J'aurais voté le traitement intégral si on me l'avait demandé. Je m'oppose simplement à l’enlèvement d'une position acquise depuis avant-hier, je ne veux pas que la chambre se déjuge.

M. Manilius. - Il est certain que l'observation faite par l'honorable M. Orts doit attirer l'attention de la chambre. L'honorable M. Orts vous a fait remarquer que d'après l'amendement de l'honorable M. Mercier vous aurez une nouvelle anomalie, celle d'avoir deux sous-lieutenants (page 448) d'artillerie qui auront une pension différente chacun. Cela provient de ce que ces deux sous-lieutenants d'artillerie sont chacun dans une catégorie différente, l'un est monté, l'autre ne l'est pas, et par suite il y a une différence de trois cents francs.

Qu'a voulu l'honorable M. Orts ? Il a voulu que l'amendement, précédemment proposé par l'honorable M. Mercier, profitât encore à un sous-lieutenant d'artillerie ; il a voulu qu'il n'y eût pas de traitement au-dessous de 1,875 francs. Si l'on ajoutait que, dans tous les cas, il n'y aurait pas de pension moindre que 1,875 francs, tout serait dit.

M. Mercier. - Je ne m'oppose pas à ce que l'on porte la pension à 1,800 francs ; je fais observer toutefois que mon amendement portait sur la pension résultant des propositions de la section centrale ; par conséquent, l'officier dont il s'agit aurait eu 1,500 francs au lieu de 1,200.

Maintenant l'anomalie existera, comme je l'ai dit tout à l'heure, entre les deux capitaines ; je ne demande pas qu'elle soit maintenue entre deux sous-lieutenants. Je le répète, je veux bien qu'on porte la pension à 1,800 francs ; cherchons une formule pour atteindre ce but. Je ferai observer qu'on ne pourra élever la pension à 1.875 fr., car alors elle dépasserait celle des lieutenants qui n'ont que 1,840 fr.

M. de Mérode. - Je ferai observer à la chambra qu'en admettant le système de l'honorable M. Lelièvre, on s'en est référé à certains principes qui consistaient à laisser à chacun les avantages qu'il avait, et c'est ce qu'on a fait par la proposition de l'honorable M. Mercier.

Si vous voulez établir une espèce de justice différente de celle-là, il me semble qu'on n'en sortira pas. Si l'on voulait faire quelque chose de parfaitement égal, il faudrait prendre des sommes entières qui seraient allouées par les chambres et en faire une autre répartition. Le taux des pensions arriverait au chiffre que réclame l'honorable M. Lelièvre, mais il y aurait une répartition différente. Mais puisque l'on a déjà admis le principe de l'honorable M. Lelièvre, il me semble que l'on ne doit plus en sortir, qu'il a été reconnu suffisamment avantageux, et qu'il faut passer par dessus les anomalies qui peuvent en résulter. Je crois que si on change ce principe on retombera dans d'autres difficultés dont on ne sortira pas.

M. Manilius. - Je propose de modifier l'amendement de M. Mercier en y ajoutant : Et celle du sous-lieutenant porté sous le n°13 de 300 fr. De cette manière l'officier d'artillerie non monté aurait comme son collègue d'artillerie monté 1,875 fr.

M. Mercier. - Le tableau ne fait pas partie de la loi. L'amendement de l'honorable M. Manilius aurait pour effet de porter la pension de ce sous-lieutenant au-dessus de la pension des deux lieutenants. JNous ne pouvons pas tomber dans cette nouvelle anomalie.

Je pense que les mots que je propose d'ajouter à mon amendemenl répondraient à toutes les exigences ; les voici : « et aucune pension ne sera inférieure à 1,800 fr. »

M. Van Overloop. - Je n'ai qu'une seule observation à faire : la section centrale avait admis pour base uniforme de la liquidation des pensions le traitement de la solde d'infanterie. En prenant pour base la solde d'activité de l'arme, on arrive à des inégalités au préjudice de trois personnes, un capilaire de première classe d'infanterie et deux lieutenants. Comme je pense qu'il faut de l'égalité puisque, au point de vue de la Belgique, les officiers dont il s'agit sont également méritants, je propose de prendre pour base de toutes les pensions le traitement des armes spéciales. De cette manière vous avez une base juste et vous évitez les inégalités dont on se plaint. (Interruption.) Je parle dans l'intérêt d'un capitaine et de deux lieutenants. Serait-il juste de les placer dans des positions inférieures à celles de leurs compatriotes ?

M. le président. - L'amendement de M. Lelièvre est irrévocablement voté. Vous ne pouvez pas proposer de revenir sur ce vote.

M. Rodenbach. - J'appuie l'amendement de M. Mercier. Il est difficile de sortir autrement des inconvénients que les diverses autres propositions présentent. Vous avez fait un sort extrêmement généreux aux officiers supérieurs, il s'agit ici des sous-lieutenants ; par l'amendement de M. Mercier ils auront 1,800 francs, l'amendement de M. Manilius ne peut pas être admis, car le sous-lieutenant qu'il concerne aurait plus que les deux lieutenants d'infanterie, taudis qu'avec l'amendement et le sous-amendement de M. Mercier, ce sous-lieutenant n'aura que 40 francs de moins que les lieutenants.

Je pense que ce que nous avons de mieux à faire est d'adopter la proposition de M. Mercier.

M. Manilius. - Je retire ma préposition ; je me rallie à celle de M. Mercier.

M. Orts. - Pour avoir une meilleure rédaction, je propose de formuler l'amendement de la manière suivante : ajouter au deuxième paragraphe les mots : « non plus qu'à la somme de 1,800 fr. «

M. Mercier. - La proposition de M. Orts aurait pour effet de réduire des pensions déjà votées ; il réduirait la pension du sous-lieutenant indiqué au n°14, déjà fixée à 1,875 fr.

M. Orts. - Je retire mon observation.

- L'amendement de M. Mercier est mis aux voix et adopté.

Le dernier paragraphe de l'article est ensuite adopté.

L'article unique du projet se trouve ainsi conçu :

« Les officiers d'origine étrangère qui ont été mis dans la position de non-activité, par arrête royal du 4 avril 1852, n°8065, seront admis à la pension de retraite.

« Les pensions de ces officiers seront fixées aux trois quarts du traitement d'activité dont ils jouissaient.

« Toutefois, les pensions des capitaines et lieutenants d'infanterie établies d'après cette base, seront augmentées chacune de 400 fr. et aucune ne sera inférieure à 1,800 fr.

« Le traitement d'activité de leur grade sera payé jusqu'au jour de la mise à la pension. »

Vote sur l’ensemble du projet

Il est procédé au vote par appel nominal sur cet article.

En voici le résultat :

83 membres sont présents.

1 (M. Visart) s'abstient.

82 prennent part au vote.

79 votent pour l'adoption.

3 (MM. Jacques, Vander Donckt et Allard) votent contre.

La chambre adopte.

Ont voté pour l'adoption : MM. Desmaisières, de Steenhault, de Theux, de T'Serclaes, Devaux, Dumortior, Faignart, Jouret, Julliot, Lange, Laubry, le Bailly de Tilleghem, Lebeau, Lejeune, Lelièvre, Lesoinne, Loos, Maertens, Magherman, Malou, Manilius, Mascart. Matthieu, Mercier, Moncheur, Moreau, Moxhon, Orban, Orts, Osy, Pirmez. Prévinaire, Rodenbach, Rogier, Roussel (A.), Rousselle (C), Tesch, Thibaut, Thiéfry. Thienpont, Vanden Branden de Reeth, Vandenpeereboom (E.). Van Hoorebeke, Van Iseghem, Van Overloop, Van Remoortere. Van Renynhe, Verhaegen, Vermeire, Veydt, Vilain XIII, Ansiau, Anspach, Brixhe, Clep, Closset, Dautrebande, David, de Baillet-Latour, de Breyne, de Decker, Delehaye, de Haerne, de La Coste, de Liedekerke, Deliége, de Man d'Attenrode, de Mérode (F.), de Mérode-Westerloo, de Naeyer, de Perceval, de Pitteurs, de Portemont, Dequesne, de Renesse, de Royer, de Sécus et Delfosse.

M. le président invite M. Visart à motiver son abstention.

M. Visart. - Je me suis abstenu parce que, d'une part, je n'ai pas voulu me montrer contraire aux sentiments de justice et de générosité qui ont dicté la résolution de la chambre.

Mais, d'une autre part, je n'ai pas voulu voter pour une loi qui, à mes yeux, consacre une injustice distributive, et un précédent anormal et même dangereux.

Projet de loi interprétatif de l’article 18 de la loi du 12 mars 1818 sur l’art de guérir

Discussion générale

M. le ministre de la justice (M. Faider). - Messieurs, je désire m'expliquer sur les amerdernents qui ont été présentés par les honorables MM. Lelièvre et Van Overloop.

L'honorable M. Lelièvre propose d'ajouter « juge si l'affection dont ils sont atteints est curable ou pas » après les mots « il y a exercice d'une branche de l'art de guérir lorsque, habituellement, une personne qui n'est pas qualifiée examine ou visite des malades. » L'addition de ces mots me semble inutile ; car c'est toujours en vue de décider si l'affection est curable ou non que l'on examine un malade. L'amendement peut donc être écarté sans aucun inconvénient.

Ce que j'ai eu l'honneur de dire à la séance d'hier a fait suffisamment prévoir que je vais combattre l'amendement de l'honorable M. Van Overloop. En effet, il propose d'ajouter à l'article 18 de la loi les mots « et en feront profession » après les mots « toutes personnes non qualifiées qui exerceront quelque branche que ce soit de l'art de guérir. » D'après moi, ce ne serait pas interpréter la loi, ce serait la modifier dans son esprit et dans ses termes. Ce serait faire plus que la chambre n'a le pouvoir de faire, lorsqu'elle s'occupe de l'interprétaton d'une loi, par suite du renvoi prononcé par la cour de cassation. Il est évident que, dans ce cas, on ne peut modifier la loi, qu'il faut uniquement l'expliquer, l'inlerpréter.

En commençant son discours à la séance d'hier, l'honorable M. Van Overloop disait lui-même qu'il y a une grande différence entre faire une loi nouvelle et interpréter une loi existante. C'est précisément sur ce principe très juste que je me fonde pour communiquer à la chambre ces observations.

L'honorable M. Van Overloop croit reproduire dans le nouveau texte français qu'il propose, une traduction exacte du mot hollandais et suivant lui officiel « uitoefenen », qui se trouve dans le texte de la loi hollandaise.

Messieurs, j'ai, depuis hier, consulté de mon côté des Hollandais très instruits, et ils m'ont dit qu'il n'y a qu'un mot en hollandais pour traduire le mot « exercer », et que ce mot est « uitoefenen ».

J'ai eu l'honneur de faire observer hier que la traduction de la loi du 11 juin 1850, sur l'exercice de la médecine vétérinaire, employait précisément le même mot pour traduire le mot « exercer » qui se trouve dans l'article 20 de cette loi.

C'est donc aller au-delà du texte hollandais, c'est, je le répète, le modifier, que d'ajouter à l'expression « exercer » qui se trouve dans le texte français les mots : « et en feront leur profession ». C'est en dire plus que le législateur n'a voulu dire ; c'est encore une fois modifier la loi.

Vous remarquerez, du reste, messieurs, que dans la traduction proposée par l'honorable M. Van Overloop, il y aurait quelque chose de (page 449) singulièrement anormal ; lorsqu’on lit l’ensemble de la disposition telle qu’elle résulterait de l’amendement :

« Toutes personnes non qualifiées qui exerceront quelque branche que ce soit de l'art de guérir et en feront profession, encourront, pour la première fois, une amende de 25 à 100 florins, avec confiscation de leurs médicaments ; l'amende sera double en cas de récidive ; pour une troisième contravention, le délinquant sera puni d'un emprisonnement de 15 jours à six mois. »

On comprend, messieurs, la récidive ou la répétition d'un fait d'exercice même caractérisé par une certaine habitude. Mais il est beaucoup plus difficile de se représenter la récidive dans une profession que l'on exerce et que l'on n'abandonne pas à la suite d'une première condamnation. De sorte que lorsque l'on s'en tient à l'ensemble, à l'harmonie, si je puis dire, de l'expression et du style de la loi, il y aurait une anomalie à adopter l'addition proposée par l'honorable M. Van Overloop.

Du reste, ce qui me détermine de plus en plus à proposer à la chambre d'écarter cet amendement, c'est que la locution : « et en feront profession, » exclut évidemment l'exercice gratuit de la médecine, sans en avoir le droit, sans en avoir le titre, parce qu'on ne comprend pas une profession gratuite. Celui qui fait profession d'exercer l'art de guérir le fait pour vivre, se fait payer ; par conséquent, la gratuité serait un motif d'excuse, ce qui est, suivant moi, contraire à l'esprit de la loi ; ce qui est contraire à la jurisprudence la plus constante et à l'opinion deux fois exprimée par la cour de cassation dans la circonstance qui a donné lieu à la loi d'interprétation.

Quant à la rédaction nouvelle que j'ai eu l'honneur de proposer, j'ai dit en deux mots, à la fin de la séance d'hier, pourquoi j'introduisais cette modification.

A proprement parler, ce n'est pas un amendement, c'est plutôt une correction de style, une correction de rédaction. J'ai voulu faire entendre d'une manière non équivoque, que lorsqu'une personne, après avoir visité les malades, remet ou prescrit un remède pour certaines maladies, il doit y avoir ce concours ou plutôt cette relation intime qui existe entre l'examen d'un mal et l'application d'un remède.

Il m'a paru que la rédaction primitive ne libellait pas assez nettement cette pensée. C'est donc uniquement pour rendre plus claire la rédaction que j'ai proposé cette modification qui, à proprement parler, ne peut pas être considérée comme un amendement.

Messieurs, je prierai la chambre de me permettre d'ajouter quelques considérations à celle que j'ai eu l'honneur de lui soumettre hier sur la rédaction que j'ai proposée.

Le but de la loi de 1818, comme celui de la loi de l'an XI, n'a pas été principalement d'attribuer aux médecins diplômés l'exercice de leur profession. Ce but a surtout été d'offrir une garantie réelle aux personnes qui auraient besoin du secours des médecins, des praticiens, et qui devaient savoir à qui s'adresser avec quelque confiance pour arriver à la guérison de leur mal. Il y a donc, messieurs, un grand intérêt public attaché au maintien des dispositions répressives de tous les empiétements dont on se plaint souvent avec juste raison. On a voulu empêcher les gens ignorants, les charlatans de s'occuper de la médecine ; on a voulu aussi empêcher les gens imprudents de se donner comme capables de guérir certaines maladies, et empêcher également par réciprocité les malades de s'adresser à des personnes qui n'offrent pas les garanties jugées utiles et suffisantes par le législateur.

On a voulu, en d'autres termes, prévenir cet engouement qui se manifeste quelquefois pour certains remèdes, pour certains hommes qui l'appliquent, et l'on a voulu par conséquent éviter les conséquences de cet engouement, de ces préjugés.

La loi de 1818 (car ne perdons pas de vue qu'il s'agit d'interpréter la loi et par conséquent d'en pénétrer l'esprit), la loi de 1818, dans ses articles 4, 11 et 17, établit d'une manière nette et précise le principe de la spécialité des professions, et il y a, comme conséquence de ce principe de la spécialité, une circonstance que je dois signaler à votre attention ; c'est que les docteurs en médecine eux-mêmes n'ont pas le pouvoir, dans les grands centres de population, de distribuer les médicaments, d'appliquer les remèdes ; cela leur est formellement interdit par l'article 11 de la loi.

Messieurs, que résulterait-il de l'interprétation de votre commission ? Il en résulterait que tandis que par l'article 11, les docteurs en médecine seraient privés du pouvoir d'appliquer les médicameuls, ce pouvoir ou cette faculté serait reconnu au premier venu, à toute personne qui aurait prétendument un bon remède pour un mal déterminé et qui serait disposée à l'appliquer à ceux qui viendraient le demander.

Vous voyez, messieurs, qu'arriver à une anomalie aussi choquante, c'esl rendre le législateur absurde, et on n'a pas voulu, je pense, supposer qu'une pareille absurdité pût résulter de la combinaison des articles 11 et 18 de la loi, parce que dans le système de la commission, l'article 18 signifierait que tout individu pourrait même habituellement, lorsqu'il le fait gratuitement, appliquer un remède qu'un docteur en médecine, lui-même, ne pourrait pas distribuer.

J'ai parlé, messieurs, de ce que la commission appelle un remède inoffensif ; j'ai dit que cela me paraissait un non-sens. L'honorable M. Vander Donckt, qui est médecin, m'a reproché de m'occuper de médecine, moi qui ne suis que jurisconsulte, je n'ai pas voulu m'occuper de médecine, mais j'étais, ce me semble, logicien, et je disais qu'en bonne logique et au point de vue du bon sens, je ne comprends pas de remède inoffensif. J'avoue que j'ai été heureux de trouver dans l'adresse de l'Académie de médecine une autorité que je puis, je pense, opposer avec confiance à celle de l'honorable M. Vander Donckt, quelque respect que m'inspirent sa pratique et son'expérience.

Je pense que l'Académie de médecine, qui a voté cette adresse, après une discussion approfondie, après qu'on eût cité dans son sein de nombreux exemples de malheurs résultés de l'application imprudente de certains remèdes, je pense que ce corps savant doit être placé à un niveau supérieur aux intérêts de boutique, et je dois considérer les organes de ce corps comme exprimant les véritables nécessités de la science, de la pratique et de la santé publique. Eh bien, messieurs, voici ce que dit l'Académie :

(M. le ministre donne lecture de ce passage.)

Messieurs, je n'avais pas lu hier cette adresse qui venait d'arriver, ot je ne m'attendais pas à y trouver une confirmation si complète des observations que j'avais présentées.

On prétend, messieurs, que dans le système de la loi de 1818 la gratuité a pour conséquence de soustraire à l'application de la loi celui qui se livre à l'exercice de la médecine. La Cour de cassation a précisément examiné cette question, que son savant procureur général (inrerruption.) Je ne prétends pas que les cours d'appel soient bêtes. (Interruption.)

Je réponds à l'honorable M. de Mérode. Je rends hommage aux lumières des cours d'appel ; elles ont motivé leur arrêt d'une manière très remarquable, je suis loin de le nier : mais, enfin, les deux arrêts de la cour de cassation, celui surtout qu'en dernier lieu elle a rendu, toutes chambres réunies, ne peut pas être considéré comme une bêtise. (Hilarité.) Il doit donc m'être permis de m'appuyer sur l'autorité du premier corps judiciaire du pays.

Voici, messieurs, ce que disait le procureur général devant la cour de cassation :

« La loi prohibe et punit purement et simplement tout exercice de l'art de guérir ou d'une de ses branches, et pour subordonner sa disposition, soit à l'emploi d'un faux titre de docteur, soit à la perception d'un salaire, il faudrait faire de l'une ou de l'autre de ces circonstances un des éléments de l'art de guérir, ce qui ne se peut. Nous venons de voir la signification naturelle et légale de cette expression, et elle ne comporte nullement un pareil élément ; les actes tendant à remédier aux maladies constituent les éléments de l'exercice de l'art de guérir, et tels ne sont ni le titre de docteur ni le salaire payé par le malade.

« Le titre n'est que le moyen de s'introduire près des malades pour exercer. Le salaire n'est que le prix de l'exercice, tous deux en différent donc, et si le titre, qui en impose aux malades, si le désir du lucre qui pousse à eux, sont un danger, que la loi a dû écarter, les illusions de l'ignorance, jointes à la charité n'en sont pas un moindre, qui a dû appeler sa sollicitude à un égal degré. Sa disposition n'a donc pu être que ce qu'elle est absolue, prohibant sans distinction aucune, sous quelque forme et à quelque fin qu'il se produise, ce qui constitue l'exercice de la part d'une personne non qualifiée, d'une branche de l'art de guérir, c'est-à-dire, la pratique habituelle d'une méthode pour procuurer à ceux qui en sont atteints la fin d'infirmités humaines d'une certaine catégorie. »

Messieurs, ces considérations me semblent très puissantes comme interprétation de la loi de 1818. Ou pourrait leur opposer des raisons d'humanité dans un certain sens et dans certaines limites ; mais en termes d'interprétation cette argumentation me paraît irréfutable.

On a, messieurs, dans le rapport de la commission, argumenté de l'avis du conseil d'Etat de l'an XIV ; il est bon, ce me semble, de revenir en quelques mots sur l'appréciation de cet avis du conseil d'Etat.

Je remarque que l'Académie de médecine, dans son adresse, s'en est également occupée et qu'elle a fait observer avec raison ce que j'avais également l'intention de dire à la chambre, que cet avis du conseil d'Etat est conçu en termes restrictifs tels, que je l'accepte comme interprétation de la loi de 1818, et que je suis prêt à déclarer que pas un magistrat raisonnable ne songera à poursuivre ceux dont il est question dans cet avis du conseil d'Etat.

Je pense que je fais à la commission une concession qui doit la satisfaire ; et cependant je crois ne rien faire de contraire à l'interprétation, que je propose à la chambre d'adopter.

Voici ce que je lis dans cet avis du conseil d'Etat :

« Le conseil d'Etat, qui, d'après le renvoi fait par Sa Majesté impériale et royale, a entendu le rapport de la section de l'intérieur sur celui de ministre des cultes, exposant que les prêtres, curés ou desservants éprouvent des désagréments, à raison des conseils ou soins qu'ils donnent à leurs paroissiens malades, et demandent l'autorisation d'écrire aus préfets que l'intention de Sa Majesté n'est pas que les curés soient troubles dans l'aide qu'ils donnent à leurs paroissiens, par leurs secours et leurs conseils, dans leurs maladies, pourvu qu'il ne s'agisse d'aucun accident qui intéresse la santé publique, qu'ils ne signent ni ordonnances, ni consultations, et que leurs visites soient gratuites. »

Ainsi, indépendamment de la gratuité, il y a l'interdiction de signer des ordonnances ou des consultations ; il y a l'autorisation accordée aux cures de donner des conseils ou des secours dans des maladies, à ceux de leurs paroissiens qui seraient, dans un moment donné, dépourvus des soins de la médecine ordinaire, des soins d'un docteur qui ne serait pas encore arrivé auprès d'eux.

Dans ces termes, il est de toute évidence que nul, ni curé, ni sœur de (page 450) charité, ni propriétaire, ni châtelain possédant beaucoup de fortune et une grande générosité, ne serait dans le cas d'être poursuivi, pour avoir fait ce que le conseil d'Etat déclare que les prêtres, dans leurs paroisses, peuvent faire.

Maintenant, la seconde partie de l'avis du conseil d'Etat qui doit être mise en rapport avec la première, ne peut pas avoir un autir sens. Voici comment cette seconde partie est conçue :

« Est d'avis qu'en se renfermant dans les limites tracées dans le rapport du ministre des cultes ci-dessus analysé, les curés ou desservants n'ont rien à craindre des poursuites de ceux qui exercent l'art de guérir, ou du ministère public chargé du maintien des règlements, puisqu'en donnant seulement des conseils et des soins gratuits, il ne font que ce qui est permis à la bienfaisance et à la charité de tout les citoyens, ce que nulle loi ne défend, ce que la morale conseille, ce que l'administration provoque ; et qu'il n'est besoin, pour assurer la tranquillité des curés et desservants, d'aucune mesure particulière. »

Messieurs, dans ces termes restrictifs, vous voyez qu'il y a une interprétation raisonnable de la loi de l'an XI, et cette interprétation peut être parfaitement admise sous l'empire de la loi de 1818, qui ne dit ni ne fait autre chose que la loi de l'an XI.

Messieurs, j'ai entendu dire avec infiniment de regret que nous portons atteinte à la charité, à la liberté de faire le bien, en proposant la loi d'interprétation qui est en discussion. Je vous avoue avec une entière bonne foi que je ne croyais pas trouver dans ce petit projet de loi les conséquences fâcheuses et très sérieuses qu'on m'a signalées ; je suis très persuadé que ces conséquences ne sont pas plus dans la loi que dans les intentions du gouvernement. On s'exagère ces conséquences, parce qu'il s'agit d'un homme vraiment généreux qui a commis une illégalité dont la répression est poursuivie. Je crois que s'il s'était agi d'un charlatan qui eût fait ce que l'honorable propriétaire a fait dans son château, on n'aurait pas eu les alarmes qu'on a exprimées.

Messieurs, il est de toute évidence que la mère de famille dans sa maison, le châtelain dans son domaine, le curé dans sa paroisse ; le citoyen possesseur d'un spécifique, au milieu de ses amis ou d'individus qui viennent en confiance lui demander de temps en temps un conseil ; il est évident que toutes ces personnes-là resteront libres d'appliquer certains remèdes dans certains cas.

Mais il s'agissait, la cour de cassation vous l'a déclaré, d'une personne qui ouvre son château à jour fixe, qui y reçoit tous ceux qui, étant atteints de maux d'yeux, viennent demander un remède ; il s'agissait d'une personne qui examine, qui apprécie la nature du mal et qui, après avoir fait un diagnostic régulier, juge s'il y a lieu, oui ou non, d'appliquer le remède. Eh bien, c'est là le cas de l'habitude gratuite, et nous soutenons que l'habitude gratuite doit être comprise dans l'interprétation de la loi de 1818. (Interruption.)

Je suis désole de me trouver en contradiction avec mon honorable voisin, M. le comte de Mérode...

M. de Mérode. - M. Rodenbach vous applaudit, et je dois le combattre.

M. le ministre de la justice (M. Faider). - Je désire que l'honorable M. Rodenbach ne m'applaudisse pas, puisque cela provoque des interruptions qui sont très gênantes.

Messieurs, à la séance d'hier, j'ai cité les trois premiers paragraphes de l'article 65 de la loi du 15 juillet 1849 ; je prie la chambre de vouloir bien remarquer quels ont été le sens et le motif du paragraphe 3 dont je vais avoir l'honneur de donner lecture :

« Néanmoins le gouvernement peut accorder des dispenses spéciales pour certaines branches de l'art de guérir, après avoir pris l'avis du jury d'examen. La dispense spécifie la branche, et ne peut s'appliquer qu'à ce qui y est spécifiquement désigné. »

Ainsi, le gouvernement, en vertu de cette disposition législative, a le droit, après avoir consulté le jury d'examen pour la médecine, d'accorder des dispenses spéciales pour certaines parties de l'art de guérir. Ici, îl s'agit d'une partie de l'art de guérir, il s'agit de l'oculistique ; eh bien, le motif de cette disposition qui a été introduite pendant la discussion par la section centrale est libellé dans les termes suivants :

« La section centrale a prévu le cas, rare sans doute, mais qui s'est déjà présenté, où un remède ignoré et que les faits ont proclame efficace d'une manière incontestable, aurait été découvert par un particulier dépourvu de science médicale. Elle a pensé que ce serait rendre un mauvais service à la société que de rendre impossible l'application d'un tel remède en rendant trop absolue l'obligation mentionnée dans cet article. »

Je demande ce que cela veut dire ; cela signifie que lorsqu'un individu possède un spécifique et qu'il désire l'appliquer habituellement à une certaine catégorie de maux, il peut bien aisément obtenir du gouvernement l'autorisation d'appliquer ce remède, et pour cela il ne doit pas subir un examen. Il suffit que le gouvernement, après avoir consulté le jury sur la nature du remède, sur sa composition, sur son efficacité probable pour guérir des maux déterminés ; il suffit que le gouvernement autorise alors cette personne à exercer cette branche de l'art de guérir et à appliquer à certains maux un spécifique déterminé.

Eh bien ! messieurs, cette interprétation de la disposition législative de la loi de 1849, qui vient après la loi de 1818, tout en la maintenant, explique comment, dans de certaines circonstances, on peut exercer l'art de guérir sans être docteur, et cette disposition vient donner à l'interprétation que je propose une autorité qui me paraît décisive ; car celui qui a l'intention de faire le bien, de distribuer gratuitement un remède et de l'appliquer à certains maux déterminés, celui-là, en exposant le but qu'il se propose et en faisant connaître son spécifique, peut obtenir du gouvernement l'autorisation de l'appliquer.

Il est donc hors de doute en présence de la disposition de la loi de 1849 et des facilités que ce paragraphe spécial a précisément pour but d'offrir à ceux qui n'étant pas diplômés comme médecins ou chirurgiens, pourraient cependant avoir un spécifique dont ils voudraient habituellement faire usage au profit des malheureux, s'ils voulaient l'appliquer gratuitement, ou bien au profit des personnes aisées s'ils voulaient en faire une branche d'exploitation ou une profession qui lui soit reconnue par le gouvernement.

Dans ces termes, je suis de plus en plus fondé à dire que l'exercice même gratuit d'une branche de l'art de guérir, lorsqu'il y a habitude, comme cela a été constaté dans la circonstance, ne devait point empêcher le juge de faire application de l'article 18 de la loi et que c'est dans le sens que j'indique que cet article devait être appliqué.

On a paru nier en principe l'utilité des garanties que la loi a établies au profit de l'intérêt général pour certaines professions. Ainsi la nécessité de se munir d'un diplôme de docteur pour exercer l'enseignement ou pour exercer la profession d'avocat, de médecin ou d'ingénieur apparaît à certains esprits comme une superfluité. Je ne sais si l'on veut arriver à la suppression de ces garanties ; mais ce que je puis dire sans exagération, je pense, c'est que si l'on adoptait l'interprétation que vous propose la commission, non seulement on consacrerait dans la rédaction qui vous est proposée un non-sens, mais on consommerait la désorganisation d'une branche d'enseignement extrêmement importante que l'on entoure de toutes les précautions possibles et qui a sur la santé publique une influence immense. Je crois qu'on ne peut pas vouloir un pareil résultat. Il y a parmi les médecins des charlatans, c'est-à-dire de mauvais médecins, comme il y a parmi les jurisconsultes des avocats véreux et chicaneurs ; mais ce n'est pas une raison pour que des avocats, des jurisconsultes, des médecins honorables, qui méritent la confiance du public, soient, en définitive, considérés comme n'offrant pas plus de garanties que le premier venu qui aurait un remède et qui viendrait l'appliquer, même par générosité.

Je termine en faisant la même observation qu'hier : je dis que l'autorité de l'arrêt de la cour de cassation mérite d'être appréciée. Voici en effet, quelles ont été les phases de cette affaire.

Il y a eu d'abord un jugement du tribunal correctionnel de Gand qui a appliqué la loi ; il y a eu un arrêt de la cour d'appel qui a décidé que la loi n'était pas applicable au cas prévu ; puis un arrêt de la cour de cassation, rendu par une seule chambre, qui a cassé l'arrêt de la cour d'appel de Gand, ensuite la cour d'appel de Bruxelles, jugeant en une seule chambre, s'est ralliée à l'opinion de la cour d'appel de Gand ; mais alors est venue la cour de cassation, toutes chambres assemblées, et elle a de nouveau approuvé l'interprétation dans le sens qu'avait adopté la cour de cassation dans son premier arrêt.

De sorte que vous avez en faveur de l'interprétation que nous avons adoptée un ensemble extrêmement imposant d'autorités, dont on doit tenir quelque compte.

Il y a encore une observation à faire, et elle ne me paraît pas dénuée d'intérêt. Je termine par là :

La cour d'appel se préoccupe surtout des faits, et a pu se laisser influencer par les sentiments de charité qui poussaient la personne prévenue à l'infraction de la loi, et elle a pu ainsi élargir le cercle de son interprétation. La cour de cassation, dégagée d'une manière complète de l'appréciation des faits, a interprété la loi d'une manière plus générale, conforme à l'esprit du législateur.

Je pense que les considérations que j'ai fait valoir convaincront la chambre qu'elle doit nécessairement adopter l'interprétation que le gouvernement a proposée : cette interprétation est la seule qui sauvegarde à la fois la volonté du législateur et les nécessités sociales, sans donner atteinte à une liberté raisonnable et nécessaire.

M. Lelièvre. - Dès le début de la discussion, j'ai émis l'opinion que j'estimais conforme aux saines doctrines. Il m'est impossible d'assumer une part de responsabilité dans un système qui, s'il était sanctionné par la chambre, produirait des résultats tellement déplorables qu'avant un an on serait forcé de réclamer de la législature des mesures de répression.

Je ne comptais plus prendre la parole dans le débat, lorsque l'honorable M. Van Oveiloop a proposé un amendement sur lequel je dois nécessairement énoncer mon opinion.

La pensée de l'amendement avait déjà été exprimée dans cette enceinte par l'honorable M. Jullien lors de la discussion de la loi sur l'art vétérinaire. J'avais cru devoir la combattre, parce qu'elle me semblait devoir donner lieu à des conséquences dangereuses, et la chambre écarta en effet la proposition.

L'amendement de l'honorable M. Van Overloop tend donc à détruire l'harmonie entre la loi sur l'art vétérinaire et celle sur l'art de guérir, et, s'il était admis, ce que je ne puis croire, il serait vrai de dire que la législature se serait montrée moins soucieuse de la santé des hommes que de celle des animaux.

Ce n'est pas tout. L'amendement de M. Van Overloop est inadmissible tel qu'il est présenté.

Ne perdons pas de vue quel est l'objet de la loi en discussion.

Il s'agit d'une loi d'interprétation. Or, en cette matière, nous devons (page 451) statuer respectivement à une contestation existante. La question est donc de savoir quels actes constituent l'art de guérir, en présence des faits révélés par l'instruction sur laquelle sont intervenus les arrêts rendus respectivement par la cour de cassation et les cours d'appel. Il est donc nécessaire qu'on décide que tels faits constituent l'exercice de l'art de guérir ou bien que tels faits ne constituent pas cet exercice.

Or l'amendement de l'honorable M. Van Overloop ne tranche en aucune manière la question spéciale qui doit être résolue par votre décision.

Ce n'est pas tout ; l'amendement de notre collègue, loin de terminer la difficulté, aurait besoin lui-même d'une loi interprétative pour en fixer le sens. On parle de celui qui exerce la profession de l'art de guérir. Mais qu'entend-on par profession de l'art de guérir ? Ces expressions exigent elles-mêmes une interprétation, et il n'est pas possible de considérer comme interprétative une énonciation qui, elle-même, donnera lieu à des contestations.

A mon avis, la profession s'entend de la pratique habituelle de certains actes ; mais à ce point de vue, nous rentrons dans le sens du projet du gouvernement, et l'amendement est inutile.

Veut-on par profession entendre autre chose que la pratique habituelle des actes concernant l'art de guérir, et en ce cas non seulement il faudrait définir ce qu'on entend par profession, mais il serait impossible qu'on fît décider que l'habitude d'actes concernant l'art de guérir pût jamais être permise dans une société civilisée.

Dans le système de M. Van Overloop, celui qui dix ou douze fois l'année exercerait des actes de l'art de guérir ne serait pas répréhensible. Celui qui exercerait cet art tous les jours, mais gratuitement, échapperait à la vindicte des lois.

S'il en est ainsi, vous légalisez l'empirisme et vous livrez la santé publique à la merci du premier venu. Remarquez même que cet amendement légitime les opérations médicales les plus difficiles, les plus dangereuses entreprises par le premier charlatan, pourvu qu'il n'en fasse pas sa profession, expression dont on ne définit pas même la portée. Jamais la chambre ne sanctionnera pareille énormité.

Qu'on ne perde pas de vue que les lois qui subordonnent l'exercice de l'art de guérir à des garanties protectrices ont pour but de prévenir les accidents funestes. En cette matière, en effet, tout doit être préventif, car l'événement arrivé, le mal est irréparable ; et ce n'est pas en appliquant à l'imprudent la peine de l'article 319 du Code pénal qu'on rend à la vie ou à la santé ses malheureuses victimes.

On conçoit dès lors que la loi a dû et voulu nécessairement atteindre tous ceux qui s'immiscent habituellement dans l'art de guérir, qu'ils en fassent ou non une profession proprement dite.

Que font nos contradicteurs ? Pour combattre ce système si conforme à la raison, ils argumentent de cas exceptionnels et accidentels ; mais ce ne sont pas quelques cas particuliers qui peuvent servir à détruire des lois de l'ordre le plus élevé, destinées à sauvegarder les plus graves intérêts.

Je conçois que, dans certains cas, les juges du fait ne reconnaissent pas l'existence de l'exercice de l'art de guérir ; mais nous, législateurs, nous ne ferons pas fléchir les dispositions réclamées par les intérêts de la société, en introduisant des dispositions qui consacreraient l'empirisme et donneraient lieu à des abus dont il est impossible d'apprécier toute l'étendue.

M. de Theux. - Messieurs, la question que vous avez à résoudre est grave. Les faits posés par M. Kervyn établis au procès constituent-ils l'exercice illégal de l'art de guérir, tel qu'il est défini par l'article 18 de la loi du 12 mars 1818 ? La cour de cassation et M. le ministre de la justice pensent que oui ; la cour d'appel de Gand, celle de Bruxelles, et nous pouvons le dire, le conseil d'Etat de France sous l'empire, ont pensé que non ; car bien que M. le ministre de la justice ait dit qu'il adoptait dans son entier l'avis du conseil d'Etat, il n'en est pas moins vrai que M. Kervyn n'est en aucune manière sorti des termes de cet avis.

J'irai plus loin. En 1849 un nouveau projet organique de l'enseignement de la médecine fut discuté en France. Un congrès médical avait réclamé une mesure restrictive de la loi de ventôse an XI, interprétée par le conseil d'Etat. Un membre de la chambre des pairs voulut prévenir tout doute à ce sujet et faire consacrer par un amendement la sage tolérance existant sous la loi de ventôse. M. le garde des sceaux déclara que cet amendement était inutile, que la loi nouvelle ne dérogeait pas à l'ancienne et que les tribunaux ne condamneraient point les actes de bienfaisance que l'amendement avait en vue.

Nous pouvons dire que la pratique constante et publique, tant en Belgique qu'en France, est conforme au système que nous défendons.

Ce n'est pas l'une ou l'autre personne isolée, qui de loin en loin pose un acte de bienfaisance en conseillant ou donnant un remède bien -onnu ; c'est par milliers, c'est tous les jours, publiquement, que cela se fait ; si ces actes devaient être poursuivis, si le gouvernement constatait tous les faits de cette nature, qui n'ont pas atteint la prescription, c'est par milliers que des condamnations pourraient être prononcées.

Voilà les conséquences du système préconisé par M. le ministre de la Justice. Il est vrai qu'effrayé des conséquences d'un système aussi absolu il est venu dire aujourd'hui qu'il se ralliait à l'avis du conseil d'Etat. Mais l'interprétation de l'avis du conseil d'Etat cesse d'être applicable en Belgique si vous adoptez le projet du gouvernement. Quant à moi, je ne demande pas mieux que la loi déclare que l'avis du conseil d'Etat restera en vigueur en Belgique, c'est le résultat de l'interprétation proposée par votre commission ; je ne demande rien autre chose que la jouissance du bienfait de l'avis du conseil d'Etat.

Que porte cet avis ? Il a une telle importance qu'on ne peut pas lui donner trop de publicité.

« Le conseil d'Etat qui, d'après le renvoi fait par Sa Majesté I. et R., a entendu le rapport de la section de l'intérieur, sur celui du ministre des cultes exposant que les prêtres, curés ou desservants éprouvent des désagréments... »

Vous voyez que, sous la loi de ventôse an XI, les curés et desservants éprouvaient des désagréments, comme nous, propriétaires, nous en éprouverions dès le lendemain de la promulgation de la loi, si elle était adoptée dans les termes proposés par le gouvernement.

«.... à raison des soins ou conseils qu'ils donnent à leurs paroissiens malades....»

Il est évident que c'est de l'indication et du don des remèdes qu'il s'agit, M. le ministre l'a reconnu.

«.... et demandent l'autorisation d'écrire aux préfets que l'intention de Sa Majesté n'est pas que les curés soient troublés dans l'aide qu'ils donnent à leurs paroissiens, pourvu qu'il ne s'agisse d'aucun accident qui intéresse la santé publique. »

Nous avons reproduit cette restriction en la traduisant par le mot remède inoffensif.

Si cette expression choque M. le ministre, qu'on la remplace par le texte que je viens de lire, la loi sera plus longue, mais le sens sera le même. C'est dans l'avis du conseil d'Etat qu'on l'a puisée. J'abandonne volontiers les mots : « remède inoffensif », pour y substituer la longue rédaction de l'avis du conseil d'Etat : « pourvu qu'il ne s'agisse d'aucun accident qui intéresse la santé publique. »

« Pourvu, ajoute l'avis, qu'ils ne signent ni ordonnances, ni consultations, et que leurs visites soient gratuites. »

Nous ne demandons ni de pouvoir signer une ordonnance, ni de percevoir de l'argent ; tous les caractères de l'avis du conseil d'Etat sont consacrés dans la rédaction que nous vous soumettons.

« Qu'en se renfermant dans les limites tracées dans le rapport du ministre des cultes ci-dessus analysé, les curés ou desservants n'ont rien à craindre des poursuites de ceux qui exercent l'art de guérir, ou du ministère public chargé du maintien des règlements, puisqu'en donnant seulement des conseils et des soins gratuits, ils ne font que ce qui est permis à la bienfaisance et à la charité de tous les citoyens, ce que nulle loi ne défend, ce que la morale conseille, ce que l'administration provoque ; et qu'il n'est besoin, pour assurer la tranquillité des curés et desservants, d'aucune mesure particulière. »

Eh bien, que l'on veuille consacrer cet avis dans la loi, nous sommes entièrement d'accord, et c'est ce que la commission propose, nous ne dirons plus un seul mot dans la discussion. Mais c'est ce que l'on ne veut pas faire. Cet avis est incontestable. Le conseil d'Etat était une autorité compétente pour prononcer sur la question, il a un caractère de plus : la loi était récente, elle n'était promulguée que depuis 3 ans, le conseil qui l'avait élaborée en avait encore la pensée. La législation du royaume des Pays-Bas a-t-elle modifié la loi de l'an XI ? L'avis du conseil d'État peut-il encore être invoqué ? Oui, car la loi de 1818 n'a en rien changé la législation de la France sur ce point.

Sous l'empire de la loi de l'an XI, la Belgique faisait partie de la France, cette loi était obligatoire, c'est une continuation de la même législation qui nous régit jusqu'à présent. Je ferai une remarque, c'est qu'à partir de 1815 les lois de police ont été plutôt adoucies qu'aggravées, on trouvait le système impérial trop dur, peu compatible avec nos mœurs ; toutes les lois politiques et de police ont été considérablement adoucies ; l'article 35 de la loi de ventôse an XI contient une rédaction plus longue que celle de l'article de la loi de 1818, ce qui arrivait rarement, mais les termes sont les mêmes.

Il porte : « Tout individu qui continuerait d'exercer la médecine, la chirurgie ou de pratiquer l'art des accouchements sans être porté sur les listes et sans avoir de diplôme, de certificat ou de lettre de réception sera poursuivi. »

Voyons le texte de la loi de 1818 : « Toutes personnes, non qualifiées, qui exerceront quelque branche que ce soit de guérir, encourront, etc. »

C'est la même disposition. Mais, dit-on, la spécialité qu'avait embrassée M. Kervyn était l'état d'oculiste, il faut pour cela une autorisation et avoir été admis par une commission médicale provinciale.

La loi de 1818 fait une mention spéciale de l'état d'oculiste. Je prends l'article 4, et j'y trouve la confirmation de l'opinion si parfaitement expliquée hier par l'honorable M. Van Overloop, à savoir qu'il ne s'agit nullement ici de l'exercice de l'art de l'oculiste, mais de la prescription d'un remède applicable à une des maladies de l'œil.

Voici l'article 4.

« Art. 4. Les fonctions des commissions provinciales consisteront :

« b. A délivrer des attestations de capacité en bonne forme à tous ceux qui désirent être admis, dans l'étendue de leur province ou district, à l'état de chirurgien de ville, de campagne ou de vaisseau, à celui d'accoucheur ou de sage-femme, de pharmacien, oculiste, dentiste, droguiste ou herboriste. »

De bonne foi, peut-on dire que l'honorable M. Kervyn, faisant venir de Paris un remède approuvé par les facultés de médecine, autorisé par le gouvernement, employé partout, exerçait l'étal d'oculiste ? Mais, comme on l'a dit, ce serait absurde.

(page 452) Cette interprétation est inconciliable avec le « Dictionnaire de l'Académie » qui définit l'oculiste : « Celui qui fait profession de connaître les différentes maladies des yeux et de les traiter. » Est-ce là ce que faisait M. Kervyn ? En aucune manière. Dès qu'il ne trouvait pas chez le malade le cas particulier auquel s'appliquait le remède, il ne l'appliquait pas, il se gardait bien de traiter le malade ; il le renvoyait au médecin, ou l'abandonnait à lui-même. Son jugement portait sur la conformité de l'état de l'œil chez le malade avec les indications de l'instruction accompagnant le remède.

En cela, il ne faisait aucun mal ; c'était un acte de prudence ; c'était même un devoir pour lui ; car s'il avait appliqué le remède à toutes les affections des yeux, il aurait pu exposer le malade à des inconvénients. Et c'est précisément sa prudence qui devient la cause du procès ; car, aux termes de l'article 17 de la loi, il est uniquement défendu de vendre des médicaments ; mais il n'est pas défendu de les donner. Je défie de trouver dans la loi de 1818 une disposition quelconque qui empêche de donner gratuitement un remède. Cette disposition n'existe pas.

Voyez jusqu'où l'on va : on poursuit M. Kervyn pour avoir donné, dans un cas particulier, un remède bien connu ; et, tous les jours, on laisse annoncer, dans les feuilles publiques, une infinité de remèdes infaillibles pour toute espèce de maladies, non seulement par des pharmaciens, mais par toute espèce de personnes. Vous pouvez, à Bruxelles, vous procurer, à prix d'argent, des remèdes contre quelque maladie que ce soit. Pensez-vous que ces marchands se donnent la peine d'expliquer à quels cas spéciaux ces médicaments sont applicables ? Non, ils ne demandent qu'a recevoir le prix du spécifique, ils ne s'inquiètent pas du reste. C'est autrement dangereux que ce qu'a fait M. Kervyn.

Le zèle des parquets ne s'en alarme pas. S'il s'en alarme, les procès seront nombreux ; car il n'y a pas de jour où il n'y ait dans les journaux des annonces de ce genre. J'ai l'habitude de parcourir les annonces des journaux. Chaque jour j'y vois l'annonce de ces spécifiques. C'est extrêmement curieux. La police médicale ne s'en occupe en aucune manière.

Mais, dit-on, c'est précisément parce que M. Kervyn examine les malades pour vérifier s'il ne voit pas chez eux le cas particulier auquel s'applique le remède, qu'il fait comme ferait un médecin.

En partie cela est vrai. Mais certainement il n'exerce pas la profession d'oculiste dans tou'te son étendue. S'il ne rencontre pas le cas auquel le médicament s'applique, il s'abstient. On a été dans l'appréciation de ce fait jusqu'à trouver un caractère de l'exercice de la profession de médecin dans ce fait d'abstention, parce que l'abstention était motivée sur l'examen de l'œil.

Comme si l'on trouvait un médecin qui ne pût traiter qu'un cas particulier. Quand M. Kervyn ne trouve pas chez le malade le cas particulier auquel s'applique le remède, il renvoie le malade à un médecin, et probablement il vient à son secours.

Vous voyez donc jusqu'où l'on pousse les conséquences, quand on épouse une opinion.

Si l'interprétation que propose le gouvernement était admise, je ne sais s'il serait encore possible de donner du taffetas d'Angleterre à une personne qui se serait fait une coupure, car c'est de la médecine externe, de la chirurgie.

Mais, dit-on, l'habitude ! Mais n'est-il pas évident que, quand vous possédez un spécifique que vous croyez efficace pour quelques maladies, vous le donnez à tous ceux qui en ont besoin ? Vous ne pouvez le donner aux uns, le refuser aux autres.

Ainsi l'habitude est quelque chose de normal en cette matière.

Voici en un mot le résumé de ia loi qu'on vous présente :

Vous défendez de faire le bien, par la crainte qu'on ne fasse le mal.

Voyez, messieurs, c'est en Belgique qu'on vous propose cette loi ; elle n'existe avec une telle sévérité ni en France, ni en Angleterre, ni en Allemagne, et c'est dans le pays qui a les institutions politiques les plus libres qu'on vous propose des mesures aussi restrictives, quant à ces soins que vous êtes habitués de donner aux malheureux. Car je pose en fait qu'un grand nombre de membres de la chambre, et de membres du sénat également, sont de véritables délinquants aux termes de la loi qu'on vous propose.

On suppose, messieurs, que des hommes bienfaisants sont dépourvus de toute prudence, qu'ils vont à tort et à travers exposer la santé, voire même la vue des personnes auxquelles lis veulent faire du bien. Cela n'est pas admissible. La commission parle de remèdes inoffensifs. Pourquoi ? Parce qu'il y a une quantité de remèdes qui se trouvent indiqués dans les ouvrages d'économie domestique, qui se trouvent dans les ouvrages mis à la portée de tout le monde, qui sont approuvés, si pas par les commissions médicales de Belgique, du moins par les facultés de médecine d'autres pays ; des remèdes dont l'usage est tellement connu, que quand vous demandez à votre médecin si vous pouvez faire impunément usage de ce remède, il vous dit que oui, qu'il n'y a aucun danger. Cela se fait tous les jours. Voilà ce que la commission a appelé un remède inoffensif. Ce sont là aussi les caractères distinctifs de l'esprit de charité et d'humanité qui porte à faire le bien : avant de faire usage d'un remède, c'est de consulter un homme prudent et sûr, afin de savoir si l'on peut impunément faire usage d'un remède.

Y a-t-il danger que la continuation de cette pratique nuise à la clientèle des médecins ? En aucune manière. Je crois que les médecins ne peuvent pas se plaindre du défaut de clientèle en Belgique ; généralement ils sont recherchés, estimés ; ils continueront à l'être à l'avenir, puisque nous ne proposons aucune innovation à ce qui existe ; nous proposons la confirmation de nos anciennes habitudes d'humanité et de bienfaisance, ni plus ni moins.

Loin d'ailleurs que cela nuise à la pratique des médecins, dans beaucoup de cas c'est une occasion pour engager les patients à consulter le médecin. Souvent l'homme bienfaisant qui voit le malade, lui dit : Ne négligez pas votre mal, il est plus grave que vous ne le croyez, il peut s'aggraver, vous devez consulter le médecin. Voilà ce que disent les personnes bienfaisantes et éclairées aux gens de la campagne qui les consultent.

On n'entend donc en aucune manière usurper sur la clientèle des médecins ; loin de là, on aime à vivre en bonne amitié avec eux et nullement à leur faire une concurrence désobligeante. Aussi, je dois le dire, est-il bien rare qu'un médecin s'avise de dénoncer un fait d'humanité aux tribunaux.

J'ai dit, messieurs, ce que la commission entendait par remède inoffensif ; c'est ce que le conseil d'Etat définit : pourvu qu'il s'agisse de faits qui n'intéressent pas la santé publique. Ainsi je pense que M. le ministre de la justice n'attaquera plus le mot « inoffensif » : d'ailleurs je suis prêt, si M. le ministre le préfère, à proposer de substituer à ce mot la rédaction du conseil d'Etat. La commission se serait peut-être servie du mot « remèdes approuvés ». Mais dans ce cas, elle n'eût pas atteint le but, car un remède peut être approuvé en France, et ne pas être approuvé par les commissions médicales de Belgique. Les tribunaux se seraient donc trouvés dans le même embarras qu'auparavant. Ainsi la commission a bien fait de se servir du mot « inoffensif », parce que dans la réalité M. Kervyn n'a posé aucun fait qui intéresse la santé publique.

Messieurs, nous sommes complètement d'accord avec l'honorable M. Van Overloop sur l'interprétation de la loi de ventôse et sur celle de la loi de 1818. Ces lois ne punissent évidemment que le fait de la profession de l'art de guérir et non pas des faits qui se pratiquent universellement et constamment.

Messieurs, la loi que l'on vous propose serait gravement préjudiciable à une infinité de personnes qui habitent la campagne. Je conviens que pour les villes la question a moins d'importance, mais pour les campagnes le maintien de ce qui s'est fait jusqu'ici est indispensable Pourquoi ? Parce que les médecins sont souvent très éloignés, que leurs visites et leurs médicaments coûtent fort cher.

Il eu résulte que le paysan néglige de se faire traiter et que souvent, s'il recourt au médecin, ce n'est qu'à la dernière extrémité. D’où est venu ce proverbe qu'un paysan a plus de soin de la santé de son bétail que de sa propre santé et de celle de sa famille.

On dit : Les bureaux de bienfaisance sont là. Mais quiconque a habité la campagne sait ce qui a lieu à cet égard. On n'obtient pas à volonté la permission de consulter un médecin. Sinon, il en résulterait pour les bureaux de bienfaisance, ainsi que l'a dit l'honorable M. Vander Donckt, des charges réellement insupportables.

Messieurs, je porte beaucoup d'intérêt à la science médicale, aux facultés de médecine ; j'en porte beaucoup au corps des médecins ; mais j'avoue que j'en porte encore plus aux malheureux. Il est vrai que si l'interprétation que nous combattons passe, nous n'entendrons pas retentir les plaintes des malheureux ; ceux qui sont habitués à recevoir les bénéfices de la liberté de faire le bien, ne savent pas se plaindre ; ils ne s'adressent qu'à ceux qui les environnent, à leurs bienfaiteurs, et non aux corps publics.

Evidemment notre position est plus facile, si nous donnons gain de cause aux réclamations des personnes lettrées qui viennent défendre l'intérêt de leur spécialité. Mais telle ne doit pas être la conduite du législateur ; il doit surtout sa protection, une protection éclairée et ardente aux malheureux qui n'ont pas la faculté ou la possibilité de lui porter l'expression de ses besoins ; c'est d'office qu'il faut y pourvoir.

Messieurs, je n'en dirai pas davantage. Je suis intimement convaincu que si l'interprétation restrictive qui vous est proposée, est adoptée et mise en pratique, elle aura des conséquences éminemment fâcheuses, éminemment déplorables et que tous nous devrons regretter au point de vue des vrais sentiments de l'humanité.

Je termine en déclarant de nouveau que si M. le ministre de la justice veut nous garantir d'une manière officielle et légale l'exécution de l'avis du conseil d'Etat de France, nous n'en demandons pas plus ; nous nous déclarons complètement satisfaits, car tel est le but et le résultat du projet de votre commission.

- La séance est levée à 5 heures.