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Chambres des représentants de Belgique
Séance du jeudi 10 mars 1853

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1852-1853)

(Présidence de M. Delfosse.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 852) M. Maertens procède à l'appel nominal à deux heures et un quart.

- La séance est ouverte.

M. Vermeire lit le procès-verbal de la séance d'hier ; la rédaction en est adoptée.

Pièces adressée à la chambre

M. Maertens présente l'analyse des pièces qui ont été adressées à la chambre.

« L'administration communale de Vliermael demande l'exécution du chemin de fer d'Ans à Hasselt, projeté par le sieur Bernard. »

- Renvoi à la commission des pétitions avec demande d'un prompt rapport.


« Des électeurs à Letterhautem demandent que les élections aux chambres se fassent au chef-lieu du canton et que le cens électoral pour les villes soit augmenté. »

- Renvoi à la commission des pétitions pour le mois de mars.


« Des habitants de Jemmapes demandent qu'il ne soit apporté aucune modification à la loi électorale. »

« Même demande d'habitants de Houdeng-Aimeries. »

« Même demande d'habitants de Hornu. »

« Deuxième demande semblable d'habitants de Hornu. »

« Même demande d'habitants de Soignies. »

« Même demande d'habitants de Mons. »

« Même demande d'habitants de Bruxelles. »

« Deuxième demande semblable d'habitants de Bruxelles. »

« Troisième demande semblable d'habitants de Bruxelles. »

- Même renvoi.


« Les sieurs Closset et Watelet, huissiers de la justice de paix du canton de Dinant, présentent des observations contre les pétitions des huissiers des tribunaux de première instance et des cours d'appel tendant à être autorisés à notifier les actes qui entrent exclusivement dans les attributions des huissiers des juges de paix. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Plusieurs cultivateurs, crémiers, vachers et éleveurs de bestiaux établis aux environs d'Anvers, prient la chambre de prendre des mesures qui puissent étendre l'importance des grandes distilleries. »

M. Loos. - Je demanderai le renvoi de cette pétition à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi sur les distilleries.

- Cette proposition est adoptée.


« Par treize messages, en date du 8 mars, le sénat informe la chambre qu'il a donné son adhésion à neuf projets de lois de naturalisation ordinaire, et qu'il en a rejeté quatre. »

- Pris pour notification.

Fixation de l’ordre des travaux de la chambre

M. Osy (pour une motion d’ordre). - M. le ministre des finances nous a présenté, la semaine dernière, un projet de loi ayant pour objet de renouveler une loi qui expire le 31 de ce mois. C'est la loi sur la réforme douanière. La chambre s'ajournera probablement le 10, et il nous sera impossible, d'ici là, de nous occuper de ce projet. Cependant, il importe que la doume sache à quoi s'en tenir.

Je demanderai à M. le miniitre des finances de nous présenter un projet de loi temporaire à l'effet de renouvehr ce qui existe, par exemple, pour 2 ou 3 mois.

M. le ministre des finances (M. Liedts). - Il sera, en effet, très difficile, messieurs, d'échapper à un renouvellement, pour une durée limitée, de la loi sur les droits différentiels. Je tiens cependant à faire remarquer à la chambre que si le projet a été présenté tardivement, ce n'est pas de ma faute : il a fallu consulter toutes les chambres de commerce ; comme elles sont nombreuses et que toutes ne mettent pas la même célérité à répondre, leurs rapports ne sont parvenus au gouvernement que peu de jours avant la présentation du projet ; il a même fallu écrire plusieurs lettres de rappel. Il n'a donc pas dépendu du gouvernement de présenter plus tôt le projet.

Quoi qu'il en soit, messieurs, d'ici à 2 ou 3 jours j'aviserai aux mesures à prendre pour que la loi n'expire pas sans qu'il ait été mis quelque chose à la place.

M. Prévinaire. - Messieurs, une loi autorise le gouvernement à permettre l'entrée de certaines machines, inconnues dans le pays ; cette loi expire le 24 mai prochain. Je demanderai à M. le ministre des finances, s'il entre dans ses vues de proposer la prorogation de cette loi.

M. le ministre des finances (M. Liedts). - Les chambres ont l'habitude de prendre un congé à l'occasion des fêtes de Pâques ; je puis promettre à l'honorable membre qu'à la rentrée je déposerai sur le bureau un projet de loi ayant pour objet de renouveler la loi à laquelle il a fait allusion.

Rapports sur des pétitions

M. Visart, au nom de la commission permanente d'industrie, dépose un rapport sur des pétitions qui ont pour objet de demander l'établissement d'un droit de sortie sur les peaux brutes, ainsi qu'un rapport sur une pétition qui demande des droits sur toutes les petites peausseries en général.

- La chambre ordonne l'impression et la distribution de ces rapports et en mtl la discussion à l'ordre du jour, à la suite des objets qui s'y trouvent déjà portés.


M. David, au nom de la même commission, dépose un rapport sur la pétition de quelques habitants d'Autelbas, relative au droit sur les pierres venant de la partie cédée du Luxembourg et servant à l'amélioration des routes.

Ce rapport sera également imprimé et distribué, et discuté à la suite des objets qui se trouvent à l'ordre du jour.

Projet de loi supprimant certains droits et prohibitions à la sortie

Discussion générale

M. le ministre des finances (M. Liedts). - Messieurs, presque tous les orateurs qui ont pris la parole dans la discussion générale ont félicité le gouvernement d'avoir présenté le projet de loi en discussion. Tous ont compris qu'il était impossible de laisser inachevé ce qui a été fait par la chambre en 1850.

Un seul membre, l'honorable M. Orban, faisant exception à la règle, a attaqué le principe de la loi. Il pense que le projet de loi en discussion n'est pas le complément de l'œuvre de la chambre, mais qu'il s'appuie sur des principes tout différents.

« En effet, dit l'honorable membre, de quoi s'agissait-il en 1850 ? Il s'agissait de rendre libres à la sortie les objets fabriqués et non pas les matières premières dont nos industries ont besoin. »

il y a dans cette assertion une double erreur. En 1850, il y avait parmi les articles que vous avez rendus libres à la sortie, à la fois des objets manufacturés et des matières premières de nos industries ; de même, dans le projet de loi qui est aujourd'hui soumis à vos délibérations, il y a à la fois des objets fabriqués et des objets qui forment des matières premières pour nos industries.

Ainsi, les verreries, les tissus, les tapis, les tabacs, les soies, etc., qui ss trouvent dans le projet en discussion, sont certes des objets fabriqués. Parmi les matières premières que renferme la loi du 26 février 1850, il s'en trouve un assez grand nombre qui sont indispensables à nos industries. Je me bornerai à citer la calamine de zinc, le chanvre brut, les cardes champêtres, la craie non moulue, les grandes peaux brutes, le minerai de cuivre, les écorces à tan par mer, le houblon, le plomb brut, le noir animal, etc. Vous le voyez, messieurs, la loi que vous avez votée, comme celle qui est en discussion, comprenait à la fois des matières fabriquées et des matières premières, qui alimentent nos industries.

Il y a plus : c'est par une déférence dont je croyais que l'honorable membre m'aurait su gré, que le projet de loi a été soumis aux délibérations de la législature. En effet, que porte la loi du 16 juillet 1849 ? Par cette loi vous avez déclaré qu'il appartient au pouvoir exécutif, parsimple arrêté royal, de rendre libres à la sortie tous les produits quels qu'ils soient et sans aucune exception.

Il aurait donc pu, sauf ratification ultérieure des chambres, faire par simple arrêté royal ce que je vous demande de faire par une loi ; et certes, si cet arrêté avait été porté, personne n'aurait pu prétendre que j'aurais transgressé les prescriptions de la loi de 1849, puisqu'elle accorde une faculté illimitée au gouvernement.

Pourquoi donc ai-je préféré porter cette discussion directement devant la chambre ? Parce que je comprenais que si nous sommes tous d'accord sur le principe, il y a quelques exceptions à établir, et que j'aimais mieux constituer la chambre elle-même juge de ces exceptions que d'en assumer la responsabilité.

(page 853) Lorsque nous en viendrons à l'article 2, l'on verra que nous sommes bien près de nous entendre, car ces exceptions qu'on réclame d'une manière moins large que je ne les ai présentées, en supposant qu'on consentît à toutes celles qui sont demandées, le gouvernement aurait atteint le but qu'il s'est proposé.

Je n'ai voulu pour le moment qu'une chose, répondre à l'honorable M. Orban qui avait prétendu que le gouvernement s'était écarté de l'esprit de la loi de 1851 en présentant le projet de loi soumis à vos délibérations. J'attendrai, pour m'expliquer sur les amendements déposés, qu'on aborde les articles.

M. Rodenbach. - Messieurs, dans la séance d'hier j'ai écouté avec infiniment d'intérêt l'honorable M. Delehaye. Je comprends parfaitement bien que l'honorable député de Gand doive être protectionniste ; lui qui journellement voit des milliers d'ouvriers se rendre dans les fabriques, il peut craindre que l'application du free-trade ne vienne jeter la perturbation dans l'existence de cette classe intéressante ; ce doit être là en grande partie le motif de son opinion.

C'est dans la séance de mardi ou de mercredi que l'honorable député de Bruxelles, M. Prévinaire a arboré le drapeau du free-trade, et à cette occasion j'avais demandé la parole pour faire connaître mon opinion.

Je suis, en principe, partisan de la liberté du commerce, mais je ne suis pas aussi avancé encore que M. Prévinaire et l'honorable député de Liège M. Lesoinne. Ces messieurs ont déclaré, je les en félicite, ils ont déclaré qu'ils voulaient franchement que les produits manufacturés de l'étranger pussent entrer à des droits proportionnés à ceux établis sur les produits agricoles qui viennent dans le pays. Ainsi, ils veulent abaisser les barrières dans la même proportion pour les produits manufacturés que pour les produits agricoles ; ils veulent que les uns et les autres entrent avec de faibles droits ; ils sont conséquents dans leur manière de voir. Je crois qu'ils sont plus avancés que le gouvernement anglais, plus avancés que sir Robert Peel.

L'honorable député de Liège voudrait voir disparaître tout de suite la protection que le Hainaut et d'autres provinces trouvent dans le droit sur le charbon, sur le fer. Cette protection est énorme, car elle s'élève de 60 à 180 p. c. Je crois que dans 2 ou 3 ans ou du moins dans 4 ou 5 ans, la grande majorité qui n'est pas grand partisan de la liberté du commerce finira par le devenir. Quand on met cette protection de 180 p. c. accordée à une industrie en présence de celle de 5 et demi p. c. dont jouit l'agriculture, il faut convenir que cela n'est pas très juste.

Je dis donc que je suis assez partisan de la liberté du commerce. Je ne demande, pour le moment, son application qu'à quelques articles. Ainsi je demanderai la libre entrée des fils étrangers ; ils sont nécessaires comme matière première, pour que nos tisserands puissent faire leurs toiles à aussi bon marché que les Anglais et soutenir la concurrence sur les marchés des colonies et autres.

Nos filatures du pays ont des bénéfices qui, y compris l'intérêt, s'élèvent jusqu'à 10 ou 11 p. c. tandis qu'en Angleterre on se contente d'un bénéfice de 3 ou 4 p. c, ce qui permet de vendre le fil à l'étranger à un prix très favorable pour l'acheteur.

Des bénéfices excessifs que perçoivent nos filatures, il résulte que nos fabricants ne peuvent acheter le fil assez bon marché pour faire la toile en concurrence avec l'Angleterre.

Nous avons dans notre pays un commerce immense de dentelles, je crois qu'il s'élève annuellement à 6 millions, dont 4 millions environ sont exportés en France. Nous devons faire venir d'Angleterre le fil à dentelles, et payer le droit sur ce fil, parce que les numéros qu'on fabrique à Gand et ailleurs ne sont pas assez fins pour la fabrication de la dentelle. Si ce droit était abaissé, notre commeree, au lieu d'être de 6 millions, pourrait s’élever à 7 ou 8 millions ; car, fabriquant à meilleur marché, nous pourrions expédier davantage à l’étranger.

Je trouve (je l'ai dit tout à l'heure) que nous sommes peut-être aussi avancés dans le free-trade, dans le système de Robert Peel que l'Angleterre. C'est ce que je vais tâcher de prouver aux honorables MM. Lesoinne et Prévinaire, ainsi qu'aux honorables députes du Limbourg et de Charleroi, qui, partisans déclarés de la liberté commerciale, ne sont pas autant de l'avant-garde que les deux honorables membres que je viens de citer.

Pour le prouver, je rappellerai qu'il y a juste aujourd'hui huit jours, le jeudi 3 de ce mois, juste le lendemain du jour où l'honorable M. Prévinaire est venu demander l'entrée des fabricats étrangers aux mêmes conditions que les produits agricoles, M. Hume, soutenu par M. Disraeli, autre membre du parlement, a demandé juste la même chose que l'honorable député de Bruxelles. Ils ont demandé que les fabricats étrangers puissent entrer en Angleterre aux mêmes conditions que les produits de l'agriculture qui ne payent pour ainsi dire rien du tout ; ils ont demandé, dans le système du free trade, les mêmes avantages qu'a demandés l'honorable député de Bruxelles.

Voici ce qu'a répondu le chancelier de l'Echiquier ; il leur a répondu que, pour le moment, quoique partisan de la liberté commerciale, il ne pouvait satisfaire à leur demande, parce que, disait-il, il doit avoir égard aux revenus du trésor.

Cette motion ayant été mise aux voix, le ministère a triomphé. Il y a eu 159 voix qui ont rejeté la motion de M. Hume. Il n'y a eu pour la motion que 110 voix.

Cela prouve qu'en Angleterre on n'est pas beaucoup plus avancé que nous en matière de liberté commerciale.

Ce n'est pas seulement le cabinet qui a son système ; mais dans la majorité il y a plusieurs systèmes.

Nous avons deux ou trois économies politiques différentes, nous avons sept ou huit systèmes. Je pense qu’il faudra finir par avoir plus d'uniformité dans notre système de commerce.

Pour prouver davantage encore que l'Angleterre n'est pas aussi avancée qu'on le soutient, et qu'elle tient enore beaucoup à faire de fortes recettes au moyen de ses douanes, je vous dirai que le budget anglais s'élève à 1,250 millions de francs. J'ai réduit les livres sterling en francs pour me faire mieux comprendre.

Or, sur ce chiffre de 1,250 minions, les produits douaniers figurent pour un demi-milliard. Ces chiffres doivent prouver aux honorables membres que j'ai cités et qui sont au nombre des frec-traders les plus avancés, que déjà nous marchons dans la voie de la liberté du commerce. Moi-même, dans cinq ou six ans, j'espère pouvoir suivre l'honorable député de Bruxelles et l'honorable député de Liège. Car je crois que la force des événements et le perfectionnement de nos fabriques nous obligeront à arriver là.

J'espère qu'on fera disparaître l'injustice flagrante dont a à se plaindre l'agriculture, protégée seulement d'un droit de 5 à 6 p. c. alors que la charbon, le fer et une foule d'autres articles ont jusqu'à 100 et 150 p. c. de protection.

Pour le moment, je n'en dirai pas davantage. Si j'ai encore quelques observations à présenter, je les réserverai pour les articles.

M. Vander Donckt. - Messieurs, je n'aurais plus demandé la parole dans cette discussion, si l'honorable M. Julliot ne m'avait prêté des idées que je n'ai nullement eu l'intention d'émettre. L'honorable membre a prétendu que j'avais demandé des droits élevés à la sortie des lins et des chiffons.

M. Julliot. - J'ai dit : Si j'ai bien compris.

M. Vander Donckt. - Je n'ai rien demandé de semblable. Tout ce que j'ai demandé, c'est le statu quo.

J'ai demandé que le léger droit que l'on prélève aujourd'hui sur les lins et qui ne peut être regardé que comme un droit de balance, fût maintenu en faveur de nos fabricants de tissus liniers.

J'ai aussi à répondre quelques mots à l'honorable ministre des finances qui m'a prêté une opinion que je n'ai pas eue. Il a prétendu que je voulais réserver la question de la suppression des droits de sortie sur les lins pour obtenir des compensations dans le nouveau traité avec la France.

Si, messieurs, j'ai parlé dans ce sens, ce n'était certainement pas à propos du lin, mais à propos des autres droits dont on demande la suppression, entre autres des tourteaux et de la sortie des os. La question, sous ce point de vue, mérite encore quelques considérations, puisque pour les os il ne s'agit pas de 64 c. par 100 kilogrammes. mais de 50 fr. par 1,000 kilogrammes.

D'autres matières sur lesquelles le projet en discussion supprime tout droit, auraient peut-être pu entrer en compensation dans le traité avec la France. L'honorable ministre ne m'a pas répondu sur le second point de cette question, sur le remplacement des tourteaux, comme engrais, par le guano.

Messieurs, il y a une différence énorme pour l'agriculture entre le guano que le cultivateur doit acheter à un prix élevé et les tourteaux dont il récolte lui-même la graine, que souvent il fait pour son propre compte réduire en huile et en tourteaux ; il a ainsi ces derniers à son usage sans bourse délier.

Il y a une autre différence qui n'est pas moins tranchante ; c'est en ce qui concerne, la nourriture du bétail. On a rencontré cette question dans l'exposé des motifs, et l'on y dit que les tourteaux comme nourriture peuvent être remplacés par les pommes de terre, la paille et le foin.

Messieurs, ceux qui savent ce que c'est que nourrir le bétail pour l'engraisser savent que cela est impossible.

Car quand l'agriculteur se propose d'engraisser une tête de bétail, il compte d'avance les jours pendant lesquels il devra lui donner une nourriture très substantielle avant de la conduire au marché. Pour lui le temps, c'est de l'argent. S'il fallait donner des pommes de terre qui, déjà aujourd'hui, sont une nourriture beaucoup trop chère pour engraisser le bétail, mais encore du foin et de la paille, les engraisseurs seraient loin de pouvoir faire leur compte.

C'est donc, messieurs, comme j'ai déjà eu l'honneur de le dire, une question fort préjudiciable à l'agriculture en lui enlevant les droits protectionnels, et sous l'autre point de vue que les tourteaux servent de nourriture au bétail, et que l'engrais qui provient de ce mode d'alimentation est bien plus fertilisant que l'engrais provenant d'une nourriture simple, comme le foin et la paille.

Quant à moi, je déclare être complètement de l'avis de l'honorable M. Verhaegen qui nous a très bien dit que proposer l’abolition de tous les droits de sortie et n'accorder aucune protection à l'agriculture, au commerce et à l'industrie, c'est un véritable marché de dupes.

L'honorable M. Manilius a expliqué cela en termes si explicites que je ne puis pas hésiter un instant à adhérer à ses observations.

(page 860) M. Coomans. - Messieurs, le projet de loi me semble moins important par les mesures qu'il consacre, que par les commentaires, dont il a été l'objet. J'ai à demander une explication au gouvernement et à dire deux mots sur certains discours que vous avez entendus.

La liberté du transit, que nous avons eu le tort de décréter dans des proportions beaucoup trop libérales, profite moins au chemin de fer qu'à nos rivaux des deux mondes. La liberté du transit, ainsi entendue, nous force, j'en conviens, à lever la plupart des droits et prohibitions à la sortie.

Aussi je voterai le projet de loi comme une nécessite fâcheuse, mais j'espère qu'on ne s'en tiendra pas là. Une réforme plus large a été solennellement promise ; le ministère précédent s'est engagé à vingt reprises à lever les droits prohibitifs dont jouissent beaucoup d'industries, au détriment de nos consommateurs. Nous avons tous gardé le souvenir des remarquables discours prononcés par l'honorable M. Frère, dans les séances des 26 et 27 novembre 1851. Pendant ces deux séances l'honorable membre s'appliqua à démontrer que notre législation douanière était inique, absurde et qu'il fallait profondément et promptement la réformer. Sous ce rapport, messieurs, j'ai été et je suis encore de l'avis de l'honorable M. Frère. Il nous a annoncé que son département s'occupait très activement de ces réformes. Je désirerais savoir où elles en sont, si le gouvernement compte nous soumettre des projets dans ce sens, ou si elles sont abandonnées.

On a beaucoup parlé ces jours-ci du libre échange. Le libre échange lui-même n'est pas dangereux, les libres-échangistes ne le sont guère non plus ; le libre échange est, je le dis net, une niaiserie, une mauvaise plaisanterie, qui ne fera jamais fortune et la preuve c'est que, MM. les libre-échangistes n'en veulent pas. (Interruption.) Non, les plus grands adversaires du libre échange chez nous sont les libre-échangistes. Le danger n'est pas là ; il gît dans les conséquences arbitraires que l'on tire de ces doctrines ; il gît en ce que l'on applique injustement le libre échange à certaines industries, en conservant soigneusement la prohibition pour d'autres industries.

Voilà le danger du libre échange, tel qu'on le pratique dans notre pays. Il est dans son hypocrisie ; car le libre échange franc et loyal, dépouillé de tout masque, le libre échange scientifique tout cru, je ne le crains pas. Du reste, ce libre échange n'existe pas ; il n'existe nulle part, et je suis persuadé qu'il n'existera jamais.

Messieurs, les libre-échangistes ne réussiront pas ou ne réussiront que momentanément à imposer leur théorie, parce qu'ils sont un peu de l'école des médecins de Molière, d'après lesquels il valait mieux mourir savamment, dans toutes les règles de l'art, que de guérir bêtement sans le secours de la Faculté ; or, messieurs, j'avertis les Diafoirus du libre échange que cette doctrine discréditée depuis le XVIIème siècle n'est pas destinée à un grand succès, dans le XIXème ; le pathos économique a fait son temps comme les pathos médical. On ne dit plus : tant vivent les principes que vivent les intérêts, et l'on a bien raison en cette matière.

Messieurs, si les libre-échangistes avaient un peu de foi dans leurs utopies, ils ne s'opposeraient pas à un commencement d'application, ils ne voteraient pas contre des projets très anodins qui sont encore à mille lieues du libre échange, mais enfin qui s'éloignent un peu de la prohibition en vigueur aujourd'hui.

J'ai vu les libre-échangistes voter presque unanimement contre une proposition que j'avis faite et qui, certes, n'était pas le libre échange de l'école anglaise (dont je me garderais bien de formuler les prétentions ruineuses), mais qui tendait à établir un certain niveau dans la protection dont jouissent toutes les industries.

Si demain une proposition de ce genre était renouvelée, c'est-à dire si l'on demandait d'abaisser à 20 p. c. les droits protecteurs dont jouissent nos manufactures, nos usines et nos industries, je suis persuadé que la plupart des libre-échangistes voteraient encore contre.

Cependant tous avouent et il est bien entendu que 20 p. c. sont encore un droit protecteurs ; on l'a même qualifié de prohibitioniste, la protection n'étant, selon ces messieurs, que le masque de la prohibition.

Je soupçonne un peu que tel est le parti pris des libre-échangistes, puisqu'ils se bornent toujours à faire des discours, puisqu'on n'a pas abaissé, depuis cinq ans, un seul article du tarif. Moi, je ne me contente pas de faire des discours ; lorsqu'une conviction m'anime, j'agis ; j'exhorte donc les libre-échangistes à prouver qu'ils ont foi dans leurs principes ; je les convie, non pas à établir le libre échange, tel qu'on nous le vante sans cesse, il n'en est pas question, mais à diminuer un peu les droits prohibitifs, scandaleusement prohibitifs, dont jouissent quelques industries belges au détriment des trois millions de conservateurs exposés en plein au libre échange. Je les supplie de mettre à la portée des campagnards le fer, le charbon et les vêtements.

Messieurs, le tarif belge est l'union adultère du libre échange et de la prohibition. Il y a de grandes industries qui n'ont que 3 ou 4 p. c.de protection ; d'autres ont 100, 150, 160 et même jusqu'à 190 p. c. de protection. On admire cet état de choses ! J'y vois, moi, une criante iniquité.

J'adjure les libre-échangistes de la chambre à nous aider un peu, nous autres protectionistes, dans la lutte que nous soutenons contre ces abus, contre ces injustices, contre ces absurdités.

Il y a quelque chose qui domine le libre échange, tous les systèmes économiques, tous les intérêts matériels et même le salut de la nation : c'est la justice. Hors de la justice, rien n'est légitime, rien n'est permis. C'est de quoi nous devons nous préoccuper avant tout, et c'est ce que nous négligeons depuis des années.

La principale question n'est pas de savoir si, d'après tels principes économiques, il faut établir les droits à tels ou tels taux ; c'est là une question secondaire. La première question, le premier devoir, c'est d'être justes. Or, vous ne l'êtes pas quand vous forcez les trois quarts des Belges à payer une prime à l'autre quart sans en obtenir le moindre retour. La douane n'existe que pour les manufactures et les usines qui en ont la jouissance exclusive ; je dis que c'est là une iniquité révoltante. Nous devrions nous préoccuper davantage des questions de justice et de bon sens et un peu moins des théories scientifiques qui fourvoient des hommes naturellement intelligents.

il serait très curieux de voir l'accueil que les honorables libre-échangistes de cette chambre feront à la proposition que j'ai signée avec mon honorable ami M.de Naeyer ; M. de Naeyer demande qu'on cesse de prélever des droits de sortie dans certaines villes belges sur des matières indispensables à l'agriculture et qu'on ne puise pas à cette source impure une partie du revenu communal.

Si jamais le libre échange doit être appliqué, c'est sans doute entre Belges, entre frères, entre cités d'un même pays ; eh bien, je suis curieux de voir jusqu'où ira la foi des libre-échangistes en cette matière. Je les soupçonne de chercher un biais pour nous éconduire, M. de Naeyer et moi. Soyons raisonnables, et disons que la meilleure économie politique, (page 861) la seule bonne, c'est celle qui sert le mieux les intérêts nationaux, tantôt par le libre échange, tantôt par la protection, selon la nécessité. Voilà la seule que je professe et de laquelle je cherche à me rapprocher le plus possible.

Messieurs, si la douane n'est pas établie dans des vues de protection, elle est absurde, car c'est le plus mauvais de tous les impôts ; c'est en effet celui dont la perception coûte le plus ; la douane coûte de 30 à 36 p. c. pour frais de perception ; un impôt qui coûte autant, n'est-il pas un détestable impôt ?

Supprimez-la donc la douane si vous n'y voyez qu'une ressource fiscale. MM. les libre-échangistes, qui veulent conserver la douane comme impôt, m'induisent à soupçonner qu'ils ont des arrière-pensées, qu'ils entendent protéger les intérêts qu'ils favorisent, attendu qu'il est évident que la douane est injustifiable comme impôt. Non seulement elle coûte trop cher, en égard à la recette, mais elle est vexatoire, elle offre des primes à l'immoralité de la fraude.

L'honorable M. Prévinaire a dit que tout droit de sortie est une atteinte à la propriété, une déviation de la loi naturelle. Pourquoi cela ? Je ne suis pas grand partisan des droits de douane. Je ne les accepte que par nécessité, en faveur du travail national, mais je reconnais que la douane est un impôt comme un autre, ni plus ni moins légitime. Le droit de sortie est prélevé au même titre que le droit d'entrée. Si le droit de sortie est un attentat à la propriété, le droit d'entrée l'est également, et alors nous sommes tous de grands coupables !

Quand l'honorable M. Prévinaire déclare que, d'après le droit naturel, il doit rester parfaitement libre de vendre ses vêtements où et à qui il lui plaît, je puis dire, d'après les mêmes principes, que je dois être libre de les acheter où il me plaît ; eh bien, c'est ce qu'on ne me laisse pas faire. Je suis forcé de porter des vêtements belges ou de payer plus cher des tissus étragers.

La douane est un impôt légitime ; la question est de savoir s'il est utile, et je dis que cet impôt n'est utile que sous le point de vue de la protection.

On ne fait pas assez attention, du reste, à la protection énorme dont jouit l'industrie, aux grands sacrifices que le trésor fait pour elle, par le fait seul de l'établissement des droits prohibitifs. La prohibition ou des droits élevés privent le trésor d'un revenu annuel de plusieurs millions. Si nos rivaux industriels pouvaient importer leurs produits en Belgique à un droit modéré, il n'y a pas de doute que l'Etat ne perçût de ce chef une somme très considérable ; or, en se privant de la perception de cette somme, on protège financièrement l'industrie. Il n'y a pas de différence entre une dépense qu'on fait et une recette qu'on ne fait pas.

Je finirai par une remarque, qui montre que les libre-échangistes se réfutent eux-mêmes, c'est que chaque année, chaque trimestre, tous les journaux, libre-échangistes et autres, sont d'accord pour se féliciter du mouvement général de nos affaires ; ils signalent l'accroissement de notre commerce intérieur et extérieur, ils constatent ses progrès réguliers et s'en proclament satisfaits ; je trouve même des libre-échangistes qui parlent dans ce sens plus haut que nous.

Ils ne s'aperçoivent pas que ce langage est la réfutation de leurs doctrines. N'est-il pas évident, comme l'honorable M. Frère l'a démontré, que le tarif belge est prohibitif pour les principaux articles. Si donc le mouvement de nos exportations s'accroît, s'étend sans cesse, s’il est si satisfaisant, il faut en rendre grâce à la prohibition, car il est le résultat de ce régime. Cette étrange contradiction nous sera-t-elle expliquée ?

(page 853) >M. le ministre des finances (M. Liedts). - Messieurs, l'honorable membre, qui vient de se rasseoir, a bien voulu m'interpeller sur la quesiion de savoir si le gouvernement a perdu de vue la réforme de notre tarif à l'entrée.

Cette réforme est si peu perdue de vue, qu’elle touche à son terme : le travail pourra, partiellement du moins, être soumis à la chambre, peut-être dès la rentrée après les vacances de Pâques.

(page 854) Je trouve que la législature, dans la réforme de notre tarif, a agi très prudemment, en ne voulant pas trop embrasser à la fois.

En effet, les droits de douane se divisent en trois catégories : les droits de transit, les droits de sertie et les droits n'entrée. Ce qui concerne le transit a été réglé, vous allez achever ce qui concerne les droits de sortie ; il restera à régler ce qui concerne les droits d'entrée. Le gouvernement sera peut-êlre obligé de diviser encore son travail.

Ainsi, il est une catégorie d'objets qui n'est pas sans importance, qui pourrait faire l'objet d'un projet de loi spécial, ce sont les matières premières étrangères qui n'ont pas de similaires dans le pays. Viendront ensuite d'autres catégories ; mais je doute que le gouvernement puisse présenter l'ensemble dans un seul projet de loi, c'est en voulant trop avoir qu'on finit par n'obtenir aucun résultat.

Le tarif est très complexe. En présentant la révision de l'ensemble, je crains que plusieurs années ne se passent avant d'avoir un projet de loi voté. D'ailleurs les idées du gouvernement et du ministre des finances ne sont pas encore parfaitement arrêtées sur tous les points.

Une conséquence de cette réforme c'est la diminution des dépenses qu'entraîne la perception des droits et qu'il faudra réduire dans un avenir rapproché.

Notre tarif est véritablement une œuvre de marqueterie, il est formé de bouts de lois agencés les uns aux autres, qui en font un dédale inextricable.

Tout cela donne lieu à d'immenses écritures, mais ce qui est plus fâcheux, à des méprises et à des réclamations.

En faisant disparaître des sujets de plainte, on obtiendra cet autre résultat, celui d'amener une réduction dans les dépenses qu'entraîne la perception des droits de douane. Il faut au commerce une grande sécurité ; il faut savoir quand on entreprend quoi que ce soit, quels sont les devoirs et les obligations qu'on a à remplir, or, aujourd'hui, il faut avoir fait une étude spéciale longue de nos lois douanières pour connaître ses devoirs envers le fisc.

J'arrive au projet qui nous occupe. L'honorable M. Vander Donckt prétend que je n'ai pas répondu à l'objection qu'il faisait dans une séance précédente.

Quand je faisais connaître que ce serait en vain qu'on voudrait, pour des négociations diplomatiques avec l'étranger, tenir en réserve le faible droit à la sortie sur le lin, qu'on ne peut considérer que comme un simple droit de balance il a dit qu'il avait voulu parler des os. Ce serait une erreur de croire que cet article pourrait être plus que celui des lins, d'une utilité quelconque dans une négociation diplomatique.

En effet, vous avez laissé sortir le noir animal, l'étranger vous répondrait : Nous avons par le noir animal ce que nous voulons, il importe peu que nous ayons les os en nature ou convertis en noir animal.

Que l'honorable membre jette les yeux sur le mouvement commercial, il verra que les os que la France ne tirerait pas de la Belgique lui arriveraient de la Hollande ; la quantité d'os qui transite est immense comparée à celle que nous livrons directement, et provenant de l'intérieur de notre pays.

Je suis, dit-il, de l'avis de M. Verhaegen, qui pense qu'on doit maintenir certains droits de sortie, et il choisit pour exemple les tourteaux ; l'exemple n'est pas heureux, car ce n'est pas la Belgique qui livre des tourteaux à l'étranger ; elle en prend au contraire et nous serions fort à plaindre si les étrangers suivaient l'exemple que l'honorable membre veut leur donner.

Nous tirons de la France, de la Hollande, etc., 11 millions de kilogrammes de tourteaux et nous en exportons moins de 100 mille. C'est la Belgique seule qui ferme ses portes à la sortie des tourteaux, tandis que les pays qui nous environnent nous en fournissent.

A Dieu ne plaise que les autres pays suivent notre exemple, et défendent, comme nous l'avons fait nous-mêmes, la sortie des tourteaux, notre agriculture s'en trouverait mal. Quand je dis que les tourteaux ne sortent pas du pays malgré la faculté qu'on a de les faire sortir, je fournis la preuve que nous n'avons rien à craindre en levant la dernière barrière qui peut les arrêter, le droit de 11 c. par cent kilogrammes. Malgré ce droit insignifiant,qui n'est qu'un droit de balance, nous exportons moins de 100,000 kilogrammes, et nous en importons 11 millions.

Je crois donc que les craintes de l'honorable membre sont exagérées.

M. Delehaye. - L'honorable ministre des finances, répondant aux honorables préopinants, a dit que le gouvernement présenterait prochainement un projet de loi concernant les droits d'entrée.

Quand le gouvernement déposera ce projet de loi, je pense qu'il voudra bien nous communiquer les avis des chambres de commerce qui auront dû être consultées, car vous savez que depuis quelque temps ou saisit la chambre de projets de lois modifiant les tarifs de douane sans lui faire connaître les avis des organes naturels du commerce. Je voudrais bien que la chambre ne fût pas forcée d'examiner le projet annoncé sans connaître les avis des chambres da commerce qui doivent avoir été consultées. Je prierai donc M. le ministre de vouloir bien nous communiquer ces documents.

M. le ministre a dit ensuite que s'il présentait un projet de loi embrassant le système général des droits d'entrée, plusieurs années pourraient s'écouler avant qu'une loi fût votée. Puisqu'il doit diviser le travail, je lui demanderai de commencer par ce qui concerne les matières premières ; nous serons à même de faire un travail et meilleur et plus prompt.

M. le ministre des finances (M. Liedts). - Je tiendrai noie de l'observation de l'honorable membre.

M. Lesoinne. - Je voterai pour le projet de loi qui nous est soumis. Le meilleur moyen d'avoir en abondance les matières dont les différentes industries ont besoin, c'est de laisser pleine et entière liberté à ceux qui les recueillent pour en tirer le meilleur parti possible.

Je me bornerai à répondre à quelques honorables membres qui ont attaqué vivement les partisans du libre échange ; je range parmi ses adversaires l'honorable M. Coomans, qui tout en demandant l'application du libre échange le critique très amèrement.

La liberté commerciale est una chose vraie dans ses applications, comme elle l'est en théorie. C'est une vérité qui se démontre par les faits, et ce qui s'est passé en Angleterre en est la plus éclatante démonstration. Nos honorables contradicteurs ont différentes manières d'apprécier la liberté conmerciale.

L'honorable M. Manilius accepte la liberté commerciale, il consent à recevoir les produits étrangers, pourvu qu'on reçoive les nôtres. Je demanderai alors à l'honorable membre, puisque l'Angleterre reçoit aujourd'hui les cotons étrangers, s'il veut bien également recevoir les cotons étrangers aux mêmes conditions. L'Angleterre n'a pas même demandé la réciprocité ; elle admet les produits manufacturés ou sans droits, ou avec des droits très modérés ; elle admet les tissus de coton aussi bien que les tissus de laine, sans droit aucun ; ils sont libres à l'entrée.

D'autres demandent la protection pour les industries naissantes. L'honorable M. Delehaye ne voudrait pas conserver dans le pays les industries qui ne subsistent que par la protection. Mais quand ces industries naissantes ont pris assez de force pour se passer de cette tutelle, qu'on appelle la protecction, on diminue les droits à l'entrée dont sont frappés les produits similaires étrangers.

Mais la jeunesse, ou plutôt l'enfance se prolonge indéfiniment. Certaines industries ont toujours besoin d'être protégées. Je citerai l'agriculture qui est aussi vieille que le monde, et qui réclame encore aujourd'hui la protection. Et cependant celle-là est bien la plus ancienne de toutes.

Que résulte-t-il de l'application de ce système ? Le but est d'arriver au renchérissement des produits de l'industrie quelle qu'elle soit, agricole ou manufacturière. Mais on a en même temps la prétention d'exporter sur les marchés étrangers, sur les marchés lointains. Or par une conséquence forcée de ce système on arrive à un renchérissement général des moyens de production. Alors, pour lutter contre l'étranger, que doit-on faire ? Accorder, dit-on à mes côtés, des primes d'exportation. Mais qui paye cette prime ? Ce doit être la nation avec son travail. C'est donc avec le travail général que vous payez cette prime d'exportation. Mais pour pouvoir soutenir sur les marchés extérieurs la concurrence étrangère, on doit encore employer un autre moyen, c'est d'abaisser le salaire des ouvriers. Voilà ce qu'on appelle protéger le travail national, protéger les ouvriers belges. On ne peut parvenir à exporter les produits nationaux sur les marchés étrangers, sans abaisser les salaires des ouvriers. C'est du reste la conséquence du système, partout où il a été appliqué.

La liberté commerciale consiste à pouvoir se procurer tous les objets dont on a besoin pour son industrie aux meilleures conditions possibles ; elle consiste, pour le fabricant de toiles, pour le tisserand, à se procurer le fil dont il a besoin, aux meilleurs conditions possibles ; au fabricant de cotonnettes de St-Nicolas, les fils de coton aux meilleures conditions possibles ; au fabricant de coton de Gand, les mécaniquss, le combustible.

M. Delehaye. - Et la houille !

M. Lesoinne. - Je dis le combustible... aux meilleures condition» possibles. Je ne recule pas devant la proposition d'une réduction de droit.

On cherche le moyen d'arriver à exporter les produits, on a même voulu former une société d'exportation, toujours avec les capitaux du gouvernement, parce que, quand on a fait un appel aux capitaux privés, il ne s'est pas présente de capitalistes pour fournir des fonds à une pareille société.

L'honorable M. Delehaye a dit : Voyez la France.Comment, sans la protection, la France serait-elle parvenue à créer l'industrie linière dans son pays ? Mais quand on a un territoire assez vaste, on peut en s'emmuraillant dans une enceinte de douanes, créer une industrie, de la même manière que l'on parvient avec beaucoup de peine à faire pousser des plantes tropicales en serre chaude. La question n'est pas là. La question est de savoir à quel prix on obtient les produits et qui paye les frais de cette production forcée.

Mais si ce système est si favorable pour la France, d'où vient qu'il ne produit par les mêmes résultats chez nous ? Car c'est le même qui nous régit, et cependant notre industrie linière est dans un état de complète décadence depuis 12 ou 15 ans.

De 50 millions, nos exportations sont tombées à 4 ou 5 millions. Je ne sais quel est le chiffre exact ; toujours est-il que ces exportations sont tombées des trois quarts environ. Si ce système était si efficace, comment ce fait se serait-il passé ?

Je ne sais si la France se trouve bien de ce système, quant à (page 855) l’exportation de ses produits liniers. Mais la liberté commerciale existe en Angleterre et elle exporte des produits liniers en bien plus grande quantité que la France. Si nous n'exportons pas davantage, c'est que nous ne faisons pas ce qu'il faut pour cela.

L'honorable M. Verhaegen dit que, depuis 1837, il n'a pas changé d'opinion ; cet honorable membre est un homme trop éclairé, qui cherche la lumière avec trop de bonne foi, pour que je puisse supposer un moment qu'il ne se laissât pas convaincre, si on démontrait l'erreur dans laquelle il verse.

L'Angleterre a commencé à entrer dans le système de la liberté commerciale, en 1842 ; elle a reçu une immense quantité de marchandises de l'étranger ; ses importations sont augmentées dans une proportion considérable, dans l'espace de 10 années, et en même lemps ses exportations sont augmentées d'une somme de trente millions de livres sterling.

Voilà un fait qui est patent. Les hommes d'un talent éminent, en Angleterre, qui avaient défendu le système de la protection ont changé d'avis, ont été convaincus par les faits, et sont revenus au système de la liberté commerciale. Plus ce système se généralisera, plus les nations entreront dans cette voie, plus le bien-être général augmentera. Nous ne pouvons importer de l'étranger une quantité de produits quelconques, sans qu'une quantité proportionnelle de produits de notre pays sorte pour les payer.

On parle de l'argent, des capitaux, du numéraire qui sort du pays. Nous n'avons ni mines d'or, ni mines d'argent ; les métaux précieux nous manquent dans ce pays ; cependant nous avons toujours eu les métaux nécessaires à notre circulation. Quand ils ont manqué, ils ont de suite été remplacés ; on a même été obligé de démonétiser les monnaies étrangères, de peur qu'elles n'arrivassent en trop grandes quantités. Je pense donc, messieurs, que le gouvernement fera bien d'entrer dans cette voie.

L'honorable M. Coomans nous dit que le libre échange n'était qu'une hypocrisie.

M. Coomans. - Dans son application aujourd'hui.

M. Lesoinne. - J'espère que l'honorable membre me rendra la justice de reconnaître que j'ai toujours défendu de bonne foi cette doctrine.

M. Coomans. - Cela ne vous regardait pas.

M. Lesoinne. - Nous avons adopté un système libéral pour les produits agricoles. Le résultat a prouvé, comme, du reste, dans tous les pays où cette politique a été adoptée, que les denrées alimentaires n'ont pas été dans notre pays à des prix plus bas que dans les pays étrangers. Ces prix ont même été plus élevés ea Belgique qu'en France, où le système d'échelle mobile existe encore.

Je dirai plus : Si nous étions encore aujourd'hui sous le régime de la loi de 1834, la position de l'industrie agricole dans notre pays serait moins favorable qu'elle ne l'est aujourd'hui. Car voilà déjà un temps assez long que les céréales seraient entrées libres de droit, tandis qu'elles payent aujourd'hui un droit d'un franc par 100 kilogrammes.

Ce fait doit prouver au gouvernement que l'adoption d'un système plus libéral, appliqué aux produits manufacturés, n'aurait pas pour résultat d'en faire baisser les prix sur le marché intérieur de manière à nuire aux industries.

L'honorable M. Coomans a fait une proposition. Celle proposition n'a pas été admise.

M. Coomans. - Si ! si !

M. Lesoinne. - Vous avez dit qu'elle avait été repoussée à l'unanimité.

M. Coomans. - Par les libre-échangistes ; mais la chambre l'a prise en considération.

M. Lesoinne. - La chambre l'a prise en considération et je déclare ici que je serai prêt à la soutenir, si le gouvernement ne vient pas proposer une modification à notre système douanier. Mais cette proposition renferme en même temps une question financière ; car, bien qu'adversaire des douanes, je conviens que par nécessité nous devons conserver les douanes comme impôt, comme moyen fiscal ; et je pense que l’on doit combiner le tarif de manière à lui faire produire la plus grande somme possible pour le trésor. (Interruption.)

Nous sommes d'accord, me dit l'honorable M. de Renesse. J'en suis charmé ; je serais charmé de l'avoir pour adhérent dans cette question.

J'engagerai donc, messieurs, et je termine par ces paroles, j'engagerai le gouvernement à hâter la présentation de ce projet de loi, parce que la position que l’on a faite à l'industrie agricole vis-à-vis de l'industrie manufacturière constitue une espèce de grief qui entretient une sorte d'animosité entre les populations agricoles et les populations industrielles. Pour moi ce grief est fondé, il faut qu'il disparaisse, parcs que nous devons faire tout notre possible pour maintenir l'union et la concorde parmi nos concitoyens.

J'espère donc que le gouvernement voudra bien hâter la présentation de ce projet de loi.

M. Anspach. - Messieurs, je viens parler en faveur de l'amendement de l'honorable M. Manilius quant à ce qui concerne le minerai de fer.

J'ai eu plusieurs fois l'occasion d'exprimer devant la chambre mon opinion sur les droits protecteurs, j'ai dit qu'ils étaient contraires à tous les principes d'économie politique ; que l'opinion publique mieux éclairée se prononçait de jour en jour plus fortement pour arriver à la liberté commerciale ; mais que dans un pays comme le nôtre, où d'immenses intérêts sont engagés dans des industries établies sous l'empire de ces droits protecteurs, il fallait procéder à l'abaissement de ces droits avec une grande circonspection, une extrême prudence, en commençant par ceux dont la réduction ne devait produire aucun mal à l'industrie qu'ils semblaient favoriser.

Eh bien, messieurs, conséquent avec moi-même, je pense que l'industrie métallurgique n'est pas encore de ce nombre. Après de longues années de souffrance, cette industrie voit enfin s'ouvrir devant elle une ère de prospérité, mais il lui faudra plusieurs années pour réparer les pertes énormes qu'elle a éprouvées. Ce n'est donc pas le moment de la frapper dans un de ses principaux éléments, je veux parler du minerai de fer, et c'est sur la sortie libre de ce minerai que je vous demande la permission de vous présenter quelques observations.

Nous fournissons à la France des quantités considérables de fonte, et tout nous fait espérer qu'elles augmenteront encore ; cette fonte paye à l'entrée un droit de 4 fr. les 100 kil. et avec les additionnels 4 fr. 40. En laissant libre à la sortie le minerai de fer que la France peut se procurer dans plusieurs localités tout aussi facilement et à aussi bon marché que nous en se servant du canal d'Antoing et dans un avenir prochain du chemin de fer de Mons à Maubeuge lequel traverse vers Aulnois des gisements de minerai, vous favoriserez l'érection de hauts fourneaux sur la frontière française et cela en concurrence des innombrables hauts fourneaux belges ; car il est facile de comprendre que les industriels français ne viendront pas nous acheter nos fontes chargées d'un droit de 4 fr. 40, alors qu'ils pourront se les procurer chez eux sans aucun droit et avec le bénéfice de la fabrication ; c'est une industrie pour le moment qui n'existe pas sur la frontière française ; que, par le fait de la libre sortie du minerai, vous allez créer vous-mêmes à notre détriment, et cela sans aucune espèce de compensation, pas même pour le minerai, car le minerai qui sera expédié en France aurait été employé chez nous ; dans tous les cas sa valeur n'augmentera pas, ce que la France emploiera diminuera d'autant son emploi en Belgique qui n'aura plus à fournir la fonte que ce minerai aura produite.

Cela est de toute évidence, je n'ai pas besoin de vous en montrer les déplorables résultats.

Il n'existe donc aucune raison pour laisser au minerai la faculté d'être exportée sans droit, tandis qu'il y en a une foule pour en empêcher la sortie.

Je dois faire observer que le minerai de fer se trouve dans une position tout à fait exceptionnelle et qui ne peut être comparée à aucune autre.

Un droit de sortie, une prohibition même, ne peuvent donner lieu à des reproches fondés sur un tort quelconque que cela pourrait causer. Cela n'est contraire qu'aux principes, mais en fait de principes, il n'y a rien d'absolu ; et lorsque quelque chose de contraire aux principes est d'une utilité reconnue, incontestable, on fait fléchir le principe et l'on passe outre.

Dans l'exposé des motifs on nous dit qu'il n'y a aucune importance à admettre la libre sortie du minerai, puisqu'il n'y a eu aucune réclamation, et que l'exportation a été complètement nulle. Il est facile de montrer la faiblesse de ces raisons. D'abord la chambre vient de recevoir contre la libre sortie du minerai de fer une protestation d'un grand nombre de maîtres de forges et de directeurs de hauts fourneaux ; ensuite pour la nullité de l'exportation, l'état de faiblesse et de souffrance de l'industrie métallurgique, qui depuis plusieurs années ne pouvait pas même vendre ses produits au prix de revient, explique fort bien ce fait, car loin d'engager les industriels français à ériger à grands frais des hauts fourneaux sur la frontière, cette position nous obligeait à éteindre les deux tiers des nôtres ; mais il y avait une autre raison bien plus péremptoire, c'est que la sortie du minerai était défendue, elle n'a été libre que par le bureau de Dolhain (Limbourg).

Je termine en demandant que le projet de loi comprenne dans l'article 2 le minerai de fer.

Cet article 2 sera ainsi conçu :

« 1° La prohibition est maintenue pour le minerai de fer et pour les drilles, etc. »

Vérification des pouvoirs

Arrondissement de Liége

M. le président. - M. le ministre de l'intérieur vient de me transmettre les procès-verbaux de l'élection d'un membre de la chambre des représentants en remplacement de M. Destriveaux. Il va être procédé au tirage au sort de la commission chargée de vérifier les pouvoirs de M. de Bronckaert.

- Cette commission est composée de MM. Lebeau, Julliot, Vermeire, David, Coomans, Loos et H. de Baillet.

M. le président. - La commission est priée de se réunir le plus tôt possible.

Projet de loi relatif à la suppression des droits et des prohibitions de sortie

Discussion générale

M. Prévinaire. - Messieurs, à la séance d'hier l'honorable M. Delehaye m'a fait l'honneur de me consacrer un discours tout entier. Vous connaissez tous la faconde merveilleuse de l'honorable membre et je m'incline volontiers devant sa facilité extraordinaire.

(page 856) Mais il n'en est pas de même des arguments qu'il a présentés.

Il vous a dit que le droit de patente portait une atteinte tout aussi grave au droit de propriété que les droits protecteurs prélevés à la douane ; et sous ce rapport l'honorable membre n'est pas d'accord avec l'honorable M. Coomans que nous avons entendu tantôt. Je crois que l'honorable membre est tombé à cet égard dans une méprise, dans une confusion de mots qui me paraît très importante.

Le droit de patente est un impôt très légitime, puisque ce n'est que l'abandon fait à la société d'une part des profits que recueille l'industrie à l'abri des garanties que lui donne la société. Sous ce rapport, cet impôt se trouve dans les mêmes conditions que tout autre impôt.

Quant au droit de douane, lorsqu'il perd son caractère de fiscalité, lorsqu'il devient droit protecteur, ce n'est plus ou point de vue de l'intérêt du trésor que l'on agit, c'est au point de vue de certains intérêts privés qui se trouvent engagés dans la question.

L'honorable membre nous a dit aussi que toutes nos industries s'étaient développées sous l'empire de droits prohibitifs.

M. Delehaye. - Je n'ai pas parlé de droits prohibitifs ; j'ai parlé de droits protecteurs.

M. Prévinaire. - C'est la même chose : un droit protecteur a pour but de restreindre la concurrence étrangère, c'est une prohibition dans certaines limites.

L'honorable membre a parlé des dangers de la concurrence étrangère ; il a dit que le pays était exposé à être inondé de produits étrangers, alors que le marché intérieur se trouverait déjà encombré. Je ne verrais, quant à moi, aucun inconvénient à ce que l'étranger vînt nous vendre à très bon marché des choses qu'à d'autres moments il nous vendrait cher.

Dans cette discussion on paraît ne se préoccuper que d'un seul intérêt, celui des industriels ; on ne songe pas le moins du monde à cette classe nombreuse des consommateurs qui ne méritent pas moins notre sollicitude. Je ne considère point le principe de la liberté de commerce comme dangereux à la production. En effet, la draperie s'est développée, non pas grâce au marché intérieur, mais grâce aux débouchés, grâce à une exportation considérable. On peut affirmer sans crainte d'être contredit que si la draperie n'avait que le marché intérieur elle serait obligée de restreindre sa fabrication des neuf dixièmes.

Le fer. Il y a 15 ans, le fer en gueuses coûtait 14 fr. 50 à 15 francs, aujourd'hui le prix s'en trouve réduit à 7 francs. Est-ce la protection qui a produit ce résultat ? Nullement ; c'est la concurrence de l'intérieur. Donc, encore une fois, là votre système douanier a été sans effet. (Interruption.) Nous avons prohibé le fer ; eh bien, cette prohibition n'a pas empêché le prix de tomber de 15 francs à 7 francs. Donc la prohibition n'a pas été efficace.

La houille. Est-ce grâce au marché intérieur que nos houillères sont en prospérité ? (Interruption.) Mais les débouchés à l'extérieur sont bien plus importants que le marché intérieur.

La clouterie. Pour la clouterie encore, l'exportation est bien plus considérable que la consommation intérieure.

Les verreries, (interruption.) J'ai écouté hier très attentivement l'honorable M. Delehaye. Les interruptions ne me gênent pas le moins du monde ; je suis prêt à y répondre, mais il ne doit pas être agréable à la chambre d'assister à une discussion de bâtons rompus.

Les glaces. Voyez la situation de cette industrie toute nouvelle : la France protège ses glaces d'un droit de 50 p. c ; nous admettons les siennes à 15 p. c. et nous luttons contre la France, non seulement à l'étranger, mais en France même, malgré le droit de 50 p. c.

M. Lesoinne a fort bien expliqué que nous ne faisons qu'échanger nos produits et que plus nous exportons, plus nos importations se développent. C'est que plus nous travaillons, plus nous acquérons de moyens de satisfaire nos besoins et les goûts qui se développent chez nous, et plus nous sommes obligés de demander à l'étranger ce que nous ne pouvons pas produire, et il y a une foule d'objets qui sont dans ce cas, tels que toutes les denrées exotiques, les teintures, etc. Eh bien, vous ne pouvez pas payer en écus ce que vous achetez, c'est en marchandises que vous le payez, et par conséquent, plus vous achetez de produits étrangers, plus vous exportez de vos propres produits.

Sous ce rapport il importe que nos produits puissent être offerts à bas prix.

Au reste, messieurs, en réponse à ce que disait tantôt l'honorable M.Coomans de l'inanité des théories économiques,il y a des faits qu'il suffit d'énoncer pour en faire apprécier la valeur. Rappelons-nous le jour où dans cette enceinte 21 membres, parfaitement convaincus qu'ils servaient les intérêts du pays, sont venus proposer d'élever les droits sur les céréales, et de n'en permettre l'entrée qu'alors que le prix moyen sur les marchés intérieurs atteindrait 24 francs. Qui oserait aujourd'hui faire une pareille proposition ? Celui qui l'oserait passerait aux yeux de tout le monde pour insensé.

M. Coomans. - C'est le régime français d'aujourd'hui.

M. Prévinaire. - On a dit que ce système avait pour résultat la baisse des prix, eh bien, vous qui voulez des prix élevées...(Interruption.) C'est ce que vous voulez puisque vous avez toujours déclaré que l'agriculture était lésée dans ses intérêts par la législation nouvelle ; vous reconnaissez aujourd'hui le contraire puisque vous prétendez que la législation actuelle a pour effet de maintenir les prix à un taux plus élevé que celui qu'ils auraient atteint avec la législation que vous vouliez établir. Vous êtes donc en contradiction avec vous-mêmes.

M. Coomans. - Je demande la parole.

M. Prévinaire. - Ce n'était pas seulement en Belgique que ces idées avaient cours ; en Angleterre elles étaient toutes puissantes. A cette époque, l'Angleterre entravait la sortie des houilles ; elle voulait conserver pour elle seule la fabrication de certaines machines. Rappelons-nous l'époque où l'on a introduit en Belgique nos filatures de lin : que de peines nos industriels n'ont-ils pas eue à se procurer pièce à pièce les machines nécessaires à la fabrication des fils de lin ! L'Angleterre a dû renoncer à son système restrictif et les machines arrivent aujourd'hui librement ; le gouvernement anglais ne songe plus à en entraver la sortie, pourquoi ? Parce que les idées de liberté ont fait un progrès immense.

Du reste, les idées que nous défendons ont, dans cette enceinte même, fait des prosélytes. Nous avons entendu aujourd'hui même l'honorable M. Rodenbach dire que dans 5 ou 6 ans il sera tout disposé à nous suivre. Nous avons entendu l'honorable M. Delehaye dire qu'il consentirait volontiers à réduire les droits à 10 p. c. Nous avons entendu l'honorable M. Coomans nous presser d'adopter sa proposition, nous mettre en demeure d'être conséquents avec nous-mêmes. Nous le erons, M. Coomans.

M. Coomans. - Quand ?

M. Prévinaire. - Quand nous aurons à émettre un vote sur une proposition mûrie, sur une proposition qui doit nécessairement émaner du gouvernement ; et si vous êtes si convaincu que ces idées sont justes, que ne vous ralliez-vous à nous pour pousser le gouvernement dans cette voie où nous cherchons à le faire entrer ? Vous verrez alors si nous sommes convaincus. Mais une pareille matière ne peut être entamée qu'avec l'appui du gouvernement. Les membres de la chambre ne peuvent pas user de leur droit d'initiative dans cette matière qui est trop importante : nous n'avons pas les éléments d'appréciation.

Quant au droit de douane dont a parlé l'honorable M. Coomans, du moment qu'il cesse d'être fiscal, c'est une véritable atteinte à la propriété. Lorsque le droit de douane est fiscal, il a le caractère du droit de patente : vous prélevez un droit de douane sur la production étrangère à l'entrée comme vous prélevez au moyen de la patente, un impôt sur la production intérieure. C'est absolument la même chose. Il n'y a pas là de distinction.

Dans le discours que j'ai prononcé, il y a quelques jours, à l'occasion de la même loi. j'ai fait allusion à des progrès très remarquables qui ont été réalisés à Gand depuis plusieurs années.

J'ai été à même d'apprécier ces progrès lors de l'exposition des Flandres. Je n'ai pas dit un seul mot qui pût être le moins du monde désagréable aux industriels gantois, et lorsque l'honorable M. Delehaye a fait allusion à des paroles qui auraient eu cette portée, il n'a pas eu sans doute l'intention de me les attribuer.

J'ai dit qu'il y avait à Gand quelques industriels qui, récemment, étaient entrés dans une voie toute nouvelle. J'ai là sous la main une lettre émanant d'un industriel de Gand, du premier mérite, et dirigeant des établissements très importants ; cet industriel fait un appel à mon intervention, espérant qu'elle sera plus efficace auprès du cabinet actuel que celle de quelques représentants de la ville de Gand ; fait, dis-je, un appel à mon intervention, pour obtenir la prorogation de la loi dont je parlais au début de la séance, et qui autorise le gouvernement à permettre l'introduction de machines en franchise de droits, alors que ces machines ne sont pas fabriquées dans le pays.

Eii bien, si je pouvais vous donner lecture de cette lettre, il en résulterait à l'évidence que l'industrie gantoise ne partage pas entièrement l'opinion exprimée ici par l'honorable M. Delehaye.

Il y a à Gand des hommes qui, appréciant les intérêts généraux du pays, reconnaissent qu'il est impossible de maintenir le système douanier dans la position où il se trouve aujourd'hui ; mais ces hommes demandent que l'on facilite la transformation des conditions industrielles afin de se préparer à soutenir une concurrence plus large. C'est pour cela que ces industriels insistent aujourd'hui pour obtenir la prorogation de la loi que je viens de rappeler.

Il existe dans cette enceinte d'ardents défenseurs de l'industrie linière ; il ont soutenu le traité avec la France ; ils ne s'aperçoivent pas qu'ils sont tombés dans une singulière contradiction.

Le traité avec la France a eu pour effet de fournir à ce pays la matière première de son tissage, en lui permettant de recevoir le fil belge à meilleur compte qu'il ne pouvait le recevoir de l'Angleterre. Comme l'équivalent de la faveur que la France prétendait nous accorder, en recevant nos toiles et nos fils, elle nous a demandé d'établir à nos frontières les droits qu'elle établit à ses propres frontières ; ces droits s'élèvent à peu près à 40 p. c. à la valeur pour les marchandises similaires. Qu'en est-il résulté ? C'est que si l'on n'avait pas eu cette bonne idée de permettre en Belgique l'emploi du fil anglais pour la fabrication de toiles destinées à l'exportation, le traité français vous mettrait aujourd'hui dans l'impossibilité de fabriquer en Belgique des toiles communes destinées à l'exportation.

Qu'en résulte-t-il encore ? C'est que les industriels qui emploient le fil de lin dans le numéro commun, se trouvent condamnés à l'acheter à l'étranger en payant 40 p. c, parce que toutes les filatures à la mécanique, donnent la préférence aux numéros fins,qui leur offrent le plus d'avantage ; ainsi, sans l'application de la loi dont je viens de parler, l'industrie linière se trouverait menacée de la manière la plus grave par les conséquences (page 857) du traité français. Eh bien ! les membres qui défendent l'industrie linière ne s'aperçoivent pas que le traité avec la France est une contradiction à leurs principes, que ce traité fournit à la France la matière première d'une importante industrie, alors cependant que nous entendions, au début de la discussion, l'honorable M. Osy soutenir que la Belgique ne devait pas fournir des matières premières à l'industrie étrangère, qu'elle devait se les réserver.

Messieurs, je crois que cette discussion qui a déjà été assez longue est extrêmement utile et qu'elle portera ses fruits. Ainsi que je l'ai dit, nos idées sont en progrès, parce qu'elles sont basées sur la vérité et la justice ; plus l'application s'en fait, plus on trouve qu'elles ne sont pas aussi dangereuses qu'on veut bien le dire.

Le jour où la première pierre a été enlevée à l'édifice de la prohibition, le jour où vous avez accepte de l'étranger des produits similaires à ceux de votre propre production, ce jour-là vous avez frappé de mort ce régime ; il s'agit simplement de rendre cette mort la plus douce possible.

M. Dumortier. - Messieurs, il me paraissait que la discussion de ces théories dont nous avons démontré l'inanité, il y a trois ans, et qu'on appelle le libre échange, était désormais bannie de cette enceinte. Cependant, depuis quelques jours, cette discussion a repris avec une nouvelle force, et la séance d'aujourd'hui a été consacrée presque tout entière à entendre de nouveau des idées, des théories, des leçons que nous avions lues.

Quant à moi, adversaire décidé et convaincu de ces doctrines insensées qui ne sont pratiquées nulle part, pas même en Angleterre, qui ne sont propres qu'à faire des dupes, j'ai cru devoir demander la parole pour prononcer quelques mots de protestation contre un système qui ne tend à rien moins qu'à jeter une perturbation immense dans toutes nos industries, àtlarir immédiatement les sources de la richesse nationale, et à amener la ruine de la classe ouvrière.

On parle toujours de libre échange. Où donc cette théorie a-t-elle pris naissance ? Elle a pris naissance en Angleterre. Pourquoi ces idées creuses ont-elles été propagées par la Grande-Bretagne ? C'est parce que l'Angleterre, qui avait grandi sous la protection, savait bien qu'il n'y avait pour elle qu'un seul moyen d'arriver à répandre ses produits si perfectionnés sur le sol de l'Europe : c'était de prêcher en Europe ces doctrines dans lesquelles on ne pouvait pas la suivre ; c'était parce que l'Angleterre savait qu'ayant en sa puissance et des capitaux et des machines et des procédés industriels perfectionnés que l'Europe n'avait pas, elle pouvait inonder l'Europe de ses produits à la faveur de théories qu'elle invoque et ne suit pas elle-même.

Non, elle ne le pratique pas, comme on vient de l'invoquer, et il n'y a pas longtemps que dans le parlement, mon honorable ami M. Hume sommait le gouvernement anglais d'établir le libre échange en se plaignant des droits qui frappent un grand nombre de produits ; nous demandons donc qu'on établisse en Belgique ce qui n'existe pas même en Angleterre, ce que le gouvernement anglais refuse de faire. Aucun de vous n'ignore, en effet, qu'il existe en Angleterre un droit de 10 p. c. sur tous les produits manufacturés de l'Europe.

C'est, dit-on, un droit de douane ; je dis, moi, que c'est une véritable protection. A ce compte je dirai que les droits que nous percevons, ne sont aussi que des droits de douane ; mais les droits de douane ont toujours constitué et constitueront toujours une protection. Mais il y a plus ; en Angleterre on ne se contente pas de cette protection des droits de douanes.

L'honorable M. Manilius vous le disait l'autre jour, aucun fabricat provenant du continent n'est admis en Angleterre s'il revêt les formes des produits anglais. Voilà comment on entend le libre échange dans ce pays. Ce que demande l'Angleterre, c'est de pouvoir exploiter l'Europe et substituer le travail de ses ouvriers à ceux du continent au moyen de théories bonnes tout au plus à occuper les chaires d'idéologues, mais qui ne sont pas de nature à prendre racine dans une assemblée sérieuse, dans l'assemblée des représentants du peuple.

Je proteste de toutes mes forces contre de pareilles théories qui ne sont propres qu'à jeter la perturbation dans nos industries, le désespoir dans le cœur des travailleurs.

Vous voulez, dites-vous, la liberté commerciale ; mais la liberté sans l'égalité c'est le droit du plus fort, c'est le droit du puissant d'opprimer le faible ; sans l'égalité, la liberté n'est que la consécration du triomphe du riche sur le pauvre.

Vous voulez la liberté du commerce ? Eh bien, je vous le dis, moi, commencez par vous donner l'égalité commerciale. Où est-elle l'égaiilé commerciale entre la Belgique et l'Angleterre ? Voyez votre pays, vous ne la trouvez pas, et si vous ne me montrez pas cette égalité commerciale, votre théorie n'est autre chose que l'asservissement de la Belgique.

Je vous défie de répondre à cela. Non ; vous ne me répondrez pas. Dites-le.

Où sont vos capitaux comparables à ceux de l'Angleterre ? Où sont vos machines comparables à celles des manufactures anglaises ? Où sont vos inventions et tous ces moyens de perfectionner vos produits que l'Angleterre possède ? Où sont vos colonies, où sont vos comptoirs, où sont vos navires qui sillonnent les mers ?

Possédez-vous tous ces moyens pour pouvoir vous poser sur le pied d'égalité ? Vous n’en possédez aucun. Si vous voulez la liberté sans l'égalité, c'est la subordination du plus faible au plus fort, c'est le sacrifice de la Belgique à l'étranger. Voilà ce que c'est que le libre échange, et c'est pour cela que je le repousserai comme une œuvre antipatriotique.

Je prie mes honorables adversaires de répondre à cette objection qui renverse ce système idéologue et en montre toute l'inanité. Avant de prêcher la liberté commerciale, qu'ils nous donnent l'égalité commerciale que nous n'avons pas, alors j'écouterai l'exposé de leurs principes. Mais jusque-là je croirai remplir un devoir patriotique que d'en signaler le danger pour le pays.

Mais, dit l'honorable M. Lesoinne, le but de votre système protecteur c'est le renchérissement de tout.

Où donc avez-vous vu, ailleurs que dans vos livres, que tel était le but de la protection ? Ce n'est pas là le but de notre système ; il n'est pas de renchérir les fabricats, mais de donner du travail à l'ouvrier, ce que nous voulons c'est assurer du travail à la classe ouvrière qui a nos sympathies ; nous ne voulons pas que l'ouvrier étranger vienne prendre, sur le sol de la Belgique, le pain destiné aux enfants de la patrie.

Mais, nous dit-on, vous n'êtes pas en état de lutter avec l'étranger ; pour le faire il vous faut des primes. Si cela est vrai, vous condamnez vous-mêmes votre système. Mais voyez comme vous êtes conséquents ! Avant-hier, que vous demandait-on par ce crédit de 75 mille francs pour distribuer de la chaux à prix réduit ? N'était-ce pas d'accorder, aux dépens du trésor, une prime en faveur de l'agriculture de quelques provinces ? Cette prime, ah ! vous la votiez. Et quand il s'agit de droits des douane sur les produits étrangers pour assurer du travail à nos ouvriers, à nos travailleurs, alors on les repousse en disant que c'est une prime en faveur du travail qui se fait dans les manufactures du pays.

La prime proposée en faveur de l'agriculture des provinces de Liège, de Limbourg, de Luxembourg, vous la votiez ; mais vous êtes intraitables quand on vous demande un droit protecteur en faveur des produits de nos manufactures. Où est donc votre balance ? Je la vois ; il n'y a de poids que d'un côté. Vous voulez de la prime quand elle vous est utile, vous la repoussez quand elle est dans l'intérêt général.

On prétend que le système protecteur appliqué à l'exportation a pour résultat infaillible de réduire le salaire des ouvriers. Voilà, dit l'honorable député de Liège, ce qu'on appelle favoriser le travail national. La conséquence de cette opinion serait que, pour favoriser ce travail, il faudrait laisser entrer tous les produits fabriqués à l'étranger, c'est là le moyen de leur procurer des salaires plus élevés. Voilà les deux systèmes ! je vous demande de quel côté est celui qui assure le pain aux ouvriers. Si vous ouvrez vos frontières à tous les produits anglais, développerez-vous le travail national ? Je dis que vous le tuerez, que vous le sacrifierez, pour une folle théorie, au travail de l'étranger.

Or, c'est l'intérêt du travail national que nous avons en vue. Sans doute il nous serait fort agréable de payer moins cher une foule d'objets dont nous avons besoin ; mais un intérêt plus élevé nous anime et nous guide, c'est l'intérêt que nous portons aux travailleurs, à la fortune publique, au travail national. Et ce n'est pas pour des théories aussi insensées que nous consentirons à sacrifier le pays à l'étranger,

L'Angleterre, dit-on encore, a exporté pendant les dix dernières années, pour 30 millions de livres sterling. Mais pendant ces dix années quel est le système qui la régissait ? C’était, pour plusieurs, le système protecteur. N'est-ce pas, d'ailleurs, sous ce régime de protection que l'Angleterre a porté son industrie à ce haut degré de perfectionnement ? Or, l'industrie c'est une partie de l'humanité, et l'humanité c'est l'homme ; votre système, savez-vous ce que c'est ? Il revient à dire à l'enfant qui vient de naître : Marche ! Votre système consiste à dire à une industrie naissante de marcher d'un pas égal à côté d'une industrie déjà développée par une longue protection. Ne voyez-vous pas que vous l'écraserez, que vous la ferez mourir en voulant la faire marcher avant qu'elle ne soit formée ?

Vous perdez encore de vue que c'est surtout pour ces moments de crise, qui ne se présentent que trop souvent, qu'il faut s'assurer le travail national pour donner du pain à la classe laborieuse, et que si votre frontière était librement ouverte, dans ces moments qui arrivent à l'improviste, vous seriez envahis par les produits anglais, alors que vous n'auriez ni chambre, ni représentation pour arrêter les importations ; l'Angleterre déverserait à loisir et à vil prix son trop plein sur votre marché. Avec quoi nourrirez vous alors vos travailleurs ?

Voilà où conduira votre théorie, croyez-vous que vous donnerez ainsi du pain à vos ouvriers ? Non, vous n'en donnerez pas. La Belgique se trouverait dans cette position épouvantable d'avoir des ouvriers sans pain et des marchandises anglaises à vendre.

Il y a quelques années, quinze ou dix-huit ans, quand nous discutâmes le tarif des douants, nous cherchâmes à faire prévaloir un système qui avait pour but d'exclure deux choses, la prohibition et la liberté commerciale, à cette fin nous voulûmes établir un tarif de droits modéré. C'est ce que nous avons fait. Dans ces circonstances l'Angleterre avait envoyé deux missionnaires en Belgique, l'un desquels était mon honorable ami M. Bowrring. qui vinrent nous prêcher un système extrêmement libéral dans lequel on nous proposait le libre échange et subsidiairement l'introduction de droits tellement bas, tellement réduits que la Belgique n'aurait pu soutenir la concurrence contre l'Angleterre. Les missionnaires distribuaient à la chambre, en faveur de leurs théories, un ouvrage ayant pour titre « les Singes économistes ».

Aujourd'hui quand j'entends présenter des théories que j'ai lues déjà et (page 858) entendues dans des cours, pour singer l'Angleterre, je me rappelle involontairement le litre de l'ouvrage qui nous fit alors rire de pitié.

Je ne dis pas, messieurs, que le libre échange soit de la part de nos collègues une hypocrisie, comme l'indiquait M. Lesoinne ; mais ce que je sais fort bien, c'est que c'est la plus grande mystification que l'Angleterre ait jamais pu lancer sur le continent, et que je plains amèrement ceux qui ont la faiblesse de s'y laisser prendre. En effet, que disait sir Robert Peel en présentant au parlement son bill de réforme avec les droits qui existent encore aujourd'hui ? « Pourquoi, disait-il, ne votez-vous pas le bill que je vous propose ? Y a-t-il dans le monde une puissance qui ait les ressources dont disposent votre industrie et votre commerce, qui ait votre marine, vos capitaux, vos armateurs, vos mécaniques, vos colonies, tout ce que vous possédez pour lutter avec avantage contre l'industrie du monde entier ? » Et il ajoutait :« Nous donnons à l'Europe un grand exemple, afin qu'elle entre dans une voie dans laquelle elle ne saurait nous suivre ! »

Voilà ce que disait sir Robert Peel, en présentant à l'Angleterre son projet sur le free trade : nous donnons à l'Europe un exemple afin qu'elle entre dans une voie dans laquelle elle ne saurait nous suivre.

Après cela n'ai-je pas raison de dire que c'est une mystification de vouloir soutenir ici une théorie que l'Angleterre n'a mise en avant que parce qu'elle savait n'en avoir rien à craindre, et que l'industrie des nations qui voudraient l'y suivre ne pouvait manquer d'être écrasée à son profit ?

Maintenant qu'est-ce que ces leçons d'économie politique dont on nous étourdit les oreilles ? La chambre ne peut pas être transformée en chaire d'économie politique. La chambre est une institution pratique qui doit faire des lois en raison, non des théories des idéologues, mais en raison des besoins du pays.

Je sais qu'un honorable membre vient de demander la parole pour me répondre, et que nous allons avoir une nouvelle leçon d'économie politique. Mais je demanderai à l'honorable membre de vouloir bien nous dire si son opinion est celle de la chambre de commerce de la ville qu'il représente.

Je lui demanderai s'il reconnaît que la Belgique possède l'égalité commerciale, avant de nous parler de la liberté commerciale ; je l'engage vivement à s'expliquer sur ce point, car s'il ne nous démontre pas que notre industrie tout entière est dans des conditions d'égalité avec l'Angleterre, je regarderai comme de vaines et dangereuses théories les idées de liberté de commerce, et je les repousserai comme ruineuses pour le pays et désastreuses pour les travailleurs auxquels elles viendraient ravir le pain du travail pour le donner à l'ouvrier étranger.

M. Orts. - L'honorable membre qui vient de se rasseoir a prévenu la chambre qu'elle allait entendre, je ne dis pas recevoir, une leçon d'économie politique. La chambre peut se rassurer, elle connaît mes précédents ; elle sait que si j'ai quelques rapports avec les leçons d'économie politique, jamais depuis que j'ai l'honneur de siéger dans cette enceinte, je n'ai eu la prétention de transporter cet enseignement au milieu du parlement.

Ce que je viens dire à la chambre, c'est tout simplement une modeste réponse à des opinions, parfaitement erronées selon moi, que j'ai entendu émettre avec surprise, et qui ne peuvent pas passer, je dirai presque pour l'honneur du pays, sans une certaine rectification.

On vous a dit : Ceux qui vous parlent en faveur de la levée des droits de sortie sont partisans du libre échange. Le libre échange, c'est une niaiserie. Le libre échange, c'est une mystification ! ne les écoutez pas.

Le reproche de niaiserie adressé au libre échange, tel que le comprennent ceux qui le veulent de bonne foi, les libre échangistes peuvent l'accepter sans craindre de se trouver en mauvaise compagnie. Mais je n'appelle pas libre-échangistes de bonne foi ceux qui ont intérêt à le travestir pour le faire méconnaître, à le représenter comme un système absolu ne tenant aucun compte des faits, aucun compte des transitions, procédant par soubresauts et sans mesure.

Je conçois que les adversaires du libre échange voudraient qu'il fût tel qu'ils le peignent, c'est-à-dire que le progrès en cette matière fût impossible, en raison des difficultés d'un progrès de ce genre. Mais ces difficultés naissent, disons-le tout de suite, non pas de ce que le progrès ne peut s'accomplir, mais de ce que le progrès doit se faire, au milieu d'une situation quasi inextricable créée par le système protecteur, et dont il est le seul coupable.

Le libre échange, tous le savent, c'est une marche en avant, incessante, mais graduée, vers le régime de la liberté commerciale. Ce n'est pas une abstraction complète de ce qui existe ; ce n'est pas un régime qui du jour au lendemain supprime toute espèce de douane ou d'impôt. Ce que veut le libre échange, c'est arriver progressivement à ne plus empêcher que les produits étrangers arrivent sur notre marché au même prix, en supportant les mêmes charges, les mêmes impôts que les produits nationaux.

Voilà le libre échange ! Je n'en connais pas, je n'en pratique pas d'autre. C'est une niaiserie, dites-vous ! Je répète que si l'on est niais à ce compte-là, on l'est en bonne compagnie.

Pour le démontrer, je répondrai au reproche de ne pas citer des faits, de ne mettre dans les discours libre échangistes autre chose que de la théorie. Le libre échange, c'est-à-dire une marche graduée vers la liberté commerciale entre les nations est un système qui se pratique depuis longtemps dans la plupart des pays industrieux et intelligents de l'Europe.

Ce système a été préconisé, appliqué, introduit dans ces pays par les hommes les plus illustres, à côté desquels on est heureux d'être placée, quelque qualification un peu dure qu'on veuille leur appliquer.

C'est le système que pratique l'Angleterre, je ne dirai pas depuis Ro-b rt Peel, niais depuis Iïuskisson auquel revient l'honneur des premières réformes douanières complétées plus tard par la haute intelligence-de Robert Peel. L'Angleterre n'est pas seule. Les Etats progressif*, soucieux des intérêts commerciaux,'ont imité son exemple. Est-ce une législation prot^ctioniste qui régit la Hollande, la Suisse, la Sardaigne et. la Suède pour ne citer que l'Europe ?

Toutes ces nations n'ont-elles pas marché, depuis dix ans, vers la liberté des échanges internationaux ? N'ont-elles pas les unes, modéré les tarifs de douanes, favorisé le transit, supprimé les prohibitions et presque tons les droits à la sortie ; les autres, diminué les privilèges de la navigation nationale, assimilé le pavillon étranger au pavillon du pays, afin de faire arriver dans de meilleures et plus faciles conditions, jusqu'aux consommateurs indigènes, ces produits étrangers qu'ils désirent, que la main de la Providence à créés pour tous, et que la main de l'homme cupide écarte seule de leur destination providentielle ?

Toutes marchent et progressent.

Voilà ce qui a été fait au nom du libre échange et pour lui par les nations les plus intelligentes, par les hommes d'Etat les plus illustres.

Mais nulle part, je me hâte de le dire, on n'a tout supprimé, tout bouleversé du jour au lendemain, à l'instant, comme on lève la toile d'un théâtre pour changer la pièce.

On n'a point poussé la folie jusqu'à imiter cet amateur de plantations qui, voulant modifier le dessin de son jardin, arrache tous les arbres, sauf à attendre, pendant dix ans, devant quelques broussailles ou un sol nu, qu'il lui pousse de l'ombre et de la verdure aux mêmes plaies qu'il a ravagées.

A côté de ces exemples, nom ne craignons pas de passer pour des niais, nous partisans d'un système que vous devriez respecter, en raison du but qu'il se propose ; car quel est notre but ? Notre but, notre politique, c'est de donner à l'ouvrier travailleur, au pauvre « la vie à bon marché. » Nous voulons pour l'ouvrier le pain à bon marché, qu'il lui vienne d'au-delà de la frontière ou d'aill-eurs, et nous votons contre vous la libre entrée des céréales. Nous voulons pour le pauvre la viande à bas prix, et nous votons contre vous et contre les droits à l'entrée du bétail étranger. Nous voulons que le pauvre s'habille à bon marché quelle que soit la main indigène, ou nationale qui tisse son vêtement. Nous voulons enfin que l'ouvrier obtienne au plus bas prix possible jusqu'au fer, cette arme que Dieu a donnée à l'homme pour combattre la misère.

M. Coomans. - C'est ce que nous demandons.

M. Orts. - C'est possibles, mais alors vous êtes un niais avec moi. N'oubiez pas non plus que tout en montrant le but je n'appelle pas libre échangiste celui qui, pour l'atteindre, veut tout bouleverser, pas plus que celui qui se proclame libre-échangiste à l'exorde et conclut pour la protection.

Nous demandons qu'on respecte les transitions, qu'on se préoccupe des hommes, des intérêts, des capitaux que votre système protecteur a précipités dans une fausse voie.

C'est une mystification, dit-on, que le libre échange ainsi compris. Soit, je ne tiens pas aux gros mots. Seulement je dirai, le libre échange est la mystification des privilégiés, et ce qu'il ne sera au moins jamais, c'est ce qu'est la protection, c'est la mystification bien autrement cruelle du peuple, des consommateurs, des ouvriers, de ceux qui souffrent, qui ont besoin de pain et travail.

M. Dumortier. - Ce n'est pas avec du travail anglais que vous donnerez du pain aux ouvriers.

M. Orts. - Avec du travail anglais j'aurai peut-être de quoi vêtir le peuple belge à bon marché, et nos travailleurs payeront avec les profits du travail belge, ce qui fera l'affaire de tous. Il n'est pas, en effet, de nation qui ne soit en quelques branches de l'activité humaine supérieure aux autres, et la nation belge n'est certes pas sous ce rapport une triste exception.

L'intérêt des nations est que le travail se fasse là où il est. Le meilleur est que les divers produits s'entre-échangent. Voilà pourquoi j'accepte le travail anglais là où il est supérieur au nôtre, parce que la force des choses et l'intérêt commandent à l'Anglais d'accepter nos produits supérieurs en retour. Ce que je fais contorune à l'utilité, au bien-être de tous.

J'ai nommé les nations qui prospèrent sous l'empire d'une politique commerciale large et progressive.

On me répond : Voyez la France, voyez l'argument qu'elle apporte contre votre système. Voyez comme la France industrielle s'agite et progresse ! Voyez ce que la protection a réalisé au-delà de notre plus voisine frontière !

Un mot de réplique, messieurs.

Messieurs, j'avoue que je ne comprends pas la persistance de ceux qui invoquent l’exemple de la France dans des discussions de cette espèce. Mais il n'est pas d'exemple qui crie plus haut contre le maintien des doctrines protectionnistes que l’exemple de la France ! Vous oubliez, quand vous citez la France, ce qu’a produit chez elle et la protection en (page 859) général et certaines protections particulières. Vous oubliez que les hommes d'Etat de France disaient et disent encore aujourd'hui que les réformes du genre de celles qui, depuis 1845, ont été pratiquées en Angleterre, auraient peut-être sauvé ce pays des calamités qui l'ont affligé en 1848, calamités dont encore aujourd'hui la France sent si cruellement le contrecoup. Si des réformes avaient amené en France, comme elles ont amené en Angleterre, avant 1848, la vie à bon marché, les populations qui ont fait la révolution de 1848 pour obtenir cette vie à bon marché, ne se seraient pas soulevées, ne se seraient pas fourvoyées ; et c'est encore un des reproches les plus sanglants que l'on puisse adresser à la protection, que ce qui s'est passé en France dans les dernières années.

Voulez-vous un exemple spécial pris en France ?

J'entendais, tout à l'heure, quelques-uns d'entre vous citer comme un exemple à suivre la protection dont l'agriculture est environnée en France. On équivoquait sur ce point ; on faisait des interruptions. Voici un fait spécial qui va aoire juger à l'instant ce que vaut la protection en France pour l'agricullure la première.

Lorsque nous avons, avec toute l'Europe, traversé, il y a quelques années, une crise alimentaire cruelle, quels sont les pays où cette crise a été le plus facilement supportée par les populations ?

Où la nourriture à bon marche s'est-elle trouvée, autant qu'il est possible de la trouver en temps de disette ? Est-ce dans les pays où la législation est prohibitive, par exemple, en France ? ou bien est-ce dans les pays où la législation est libérale, par exemple, en Hollande ? Prenez les statistiques, les pris courants de cette époque désastreuse, elles vous diront que le grain a toujours été moins cher en Hollande qu'en France. La France est le seul pays, ne l'oubliez donc pas, om grâce à une législation prohibitive en matière d’agriculture, on a été obligé, dans ces temps de calamité, d’appeler le bourreau pour le placer entre les populations affamés et les protégés qui possédaient des denrées alimentaires. Rappelez-vous Busençais. Rappelez-vous le seul pays de l’Europe assez malheureux pour avoir cu en plein XIXème siècle l’échafaud se dresser pour défendre la propriété contre la faim. On m’interrompt… ce que je dis est de l’histoire. Pour me démentir ul faut citer un fait analogue survenu ailleurs. On a dit : Mais le système du libre échange, où a-t-il pris naissance ? Le libre échange vient d’Angleterre ; c’est un présent de la perfide Albion, qui savait très bien ce qu’elle faisait en vous l’offrant : l’Angleterre a payé d’hyocrisie en introduisant le libre échange.

Et pour le prouver, on s'arme de quelques paroles prononcées par sir Robert Peel et dont j'accepte l'exactitude, bien que de semblables paroles, traduites d'une langue étrangère, aient souvent besoin d'être contrôlées, quelque bonne foi que l'on mette à les citer ; on s'arme de ces paroles qui sont un appel à l'orgueil national anglais et qui n'ont été prononcées que dans le but de faire prévaloir, à l'aide de cette précaution oratoire, une réforme dont le génie de Robert Peel comprenait parfaitement la bonté, mais dont l'utilité n'était pas aussi entièrement comprise des honorables MM. Dumortier du parlement d'Angleterre.

L'objection n'est pas neuve. Mais qu'a-t-on répondu à cet argument, chaque fois qu'on l'a produit ? Une chose péremploire et qui n'a jamais été réfutée.

L'honorable M. Dumortier dit que ce que nous prêchons, il l'a lu partout, soit. Mais l'honorable M. Dumortier, s'il a tout lu sur ce débat, ne tient aucun compte des réponses qui ont été faites et qu'il doit avoir lues à côté des arguments qu'il répète.

M. Dumortier. - Répondez à la liberté et à l'égalité.

M. Orts. - J'y répondrai, mais on ne peut tout dire à la fois. Je parle vite, trop vite, peut être, quoique pas aussi vite qu'a parlé l'honorable M. Dumortier, mais il ne perdra rien pour attendre.

Je réponds maintenant à l'honorable M. Dunortier, que l'Angleterre a introduit de très bonne foi et qu'elle maintient de très bonne foi le régime du libre échange.

- un membre. - Qu'en savez-vous ?

M. Orts. - J'en sais ce que les faits enseignent.

Quelles devraient avoir été les conséquences du système anglais si la supposition de l'honorable M. Dumortier était fondée ? C'est de ne pas augmenter d'un schelling en valeur d'un tonneau en marchandises les importations en Angleterre. Si l'Angleterre était tellement maîtresse de tous les marchés que le libre échange dût sans danger pour elle, c'est qu'elle n'avait pas plus à redouter la concurrence étrangère sur son propre marché que sur les marchés étrangers.

Eh bien ! les importations ont-elles augmenté ou diminué en Angleterre depuis la réforme de sir Robert Peel ? Je le demande à l'honorable M. Dumortier. Il est incontestable, la simple i,spection des tableaux de commerce prouve que les importations de tous les pays du monde en Angleterre ont grandi depuis la réforme, et notamment les importations belges.

M. Coomans. - Il en a été de même chez nous et les importations ont grandi dans une proportion beaucoup plus forte chez nous qu’en Angleterre.

M. Orts. - Pourquoi ? Parce que depuis quelques années on a donné des facilités au commerce, parce que depuis 1847, non seulement on n'a pas augmenté les droits de douane, mais parce qu'on a fait quelque chose de plus, parce qu'on a déclaré formellement, à titre de programme politique, que les droits ne seraient pas augmentés, parce que l'on a, entre autres bienfaits du libre échange, donné au commerce cette chose avantageuse et essentielle, que la protection est impuissante à donner, la certitude.

Vous niez ? N'a-t-on pas, malgré vous, contre vous, affranchi le transit, dégrevé à l'entrée, supprimé des droits de sortie ? N'a-t-on pas ouvert des facilités nouvelles à l'entrée au moyen de nombreux traités de commerce qui ont fait. et je m'en applaudis, car c'est leur seul mérite a mes yeux, une brèche énorme à votre système protecteur ?

Rappelez-vous, messieurs, combien, vous qui m'interrompez, combien vous vous êtes élevés contre les traités récents avec l'Angleterre et avec la Hollande, précisément parce que telle était leur portée ! Certes, toutes ces facilités données aux échanges internationaux devaient avoir pour résulttat, comme elles l'ont eu en effet, d’augmenter considérablement ses exportations.

Mais revenons à l'Angleterre, et prenons un autre exemple. C'était certes une mesure de libre échange très grave, très radicale que l'abrogation presque complète de l'acte de navigation, de la législation maritime protectrice de l'Angleterre. Est-ce encore là une mystification, et les Anglais qui l'ont votée étaient-ils parfaitement sûrs que cette réforme ne changerait rien à leur situation commerciale ? Prenez les statistiques de l'Angleterre, vous verrez que conformément à ce que tout le monde pouvait prévoir, à ce que l'Anglelerre devait croire de bonne foi, car elle était trop intelligente pour se tromper, l'importation et l'exportation, à l'aide de navires étrangers, ont augmenté considérablement.

Il est vrai que les exportations et les importations par navires anglais ont grandi parallèlement à ce mouvement.

Et c'est encore là une preuve que le libre échange ne fait de mal à personne, mais c'en est aussi une autre que l'Angleterre agissait de très bonne foi. Le résultat était facile à prévoir et quand il s'est produit il a engagé cette grande nation à persévérer plus que jamais dans son système de politique libérale. Il l'a engagée à tel point que le ministère qui vient de quitter le pouvoir, ministère dont les membres étaient jadis les séides les plus déterminés de la protection, a été obligé de déclarer qu'aidé de la majorité dont il tenait le pouvoir, il s'estimait capable de tout, si ce n'est de revenir à la protection.

L'Angleterre, dit-on, a des moyens de lutte que vous n'avez pas : le libre échange, vous ne pouvez l'établir en Belgique qu'à la condilioa d'établir l'égalité des armes dans la lutte.

Je demanderai à l'honorable M. Dumortier s'il croit que dans l'état actuel des choses nous ne luttons pas et, Dieu merci, sans trop de désavantage contre l'Angleterre. Mais n'y a-t-il pas une foule de marchés, autres que le marché belge, où certains de nos produits se présentent sur le pied d'une parfaite égalité au moins avec les produits anglais ? N'y a-t-il pas des marchés où les produits anglais sont plus privilégiés que les nôtres et où nous vendons, où nous soutenons la concurrence ?

Venons encore une fois aux faits, messieurs, pour répondre à un honorable collègue. M. Delehaye, je pense, citait hier une industrie où la supériorité de l'Anglelerre brille d'après lui de tout son éclat, c'est la fabrication des machines, et l'honorable M. Delehaye disait : Quand vous serez aussi savants constructeurs qua les Anglais, nous qui employons des machines, nous accepterons la lutle égale, nous renoncerons à la protection.

Eb bien, ne vendons-nous pas des machines, concurremment avec l'Angleterre ?

Prenez les derniers tableaux du commerce belge, vous verrez que nous avons exporté, en 1851, pour plus de 6 500,000 fr. de machines, et dans ce chiffre il y a une part, assez minime à la vérité, mais qui n'est pas sans importance, pour les machines importées par la Belgique en Augieterre même.

Nos draps, messieurs, ne sont-ils pas dans la même situation ? N'allons-nous pas, à l'étranger, au-delà des mers, faire concurrence aux draps anglais et aux draps des autres pays ?

Ce que je dis de la Belgique, ne pourrais-je pas le dire de la Suisse qui n'a jamais su ce que c'est que la protection sinon par ouï-dire ? La Suisse n’est-ce pas le concurrent formidable de toutes les nations quelconques tout en vivant sous le régime du libre échange ?

Pour en revenir aux machines et terminer sur ce point, je vous rappellerai un fait, messieurs, cité dans une discussion très importante sur la même question en France, à l'époque où l'on discutait encore en France.

L'honorable M. Thiers, qui était le défenseur par excellence de la protection, avait parlé dans le sens des honorables MM. Dumortier et Delehaye. Il avait parlé entre autres comme ce dernier des machines anglaises. On lui a répondu (et celui qui lui répondait n'était pas un professeur d'économie politique, c'était un fabricant de Mulhouse, un filateur, un industriel, M. Dolfuss), on lui a répondu d'abord que toute l'industrie manufacturière de l'Alsace représentée par le comité industriel de Mulhouse ne demandait pas mieux que d'être débarrassée de la protection, que sans ce débarras, faute d'aiguillon, elle s'endormirait et serait bientôt incapable de continuer à lutter contre l'industrie étrangère. Parlant ensuite des machines, ce négociant cita un fait qui lui était à peu près personnel et qui démontre que toutes les nations de l'Europe pouvaient lutter avec l'Anglelerre à armes égales en 1847.

On monta dans une vide industrielle du nord de l'Espagne, (page 860) à Santander, une filature très importante ; les Espagnols qui fondaient cet établissement durent se procurer des mécaniques, des métiers, des broches. Ils s'adressèrent à une maison de Londres ; on leur fit un prix et un prix aussi avantageux que possible ; car la fourniture était de la plus haute importance. Ils prirent ensuite des informations en France ; ils s'adressèrent à des constructeurs de l'Alsace, à la maison André Koechlin et compagnie et lui demandèrent un devis semblable à celui qu'ils avaient obtenu à Londres ; eh bien, la maison Kœchlin, quoique établie au milieu des terres tout à l'ouest de la France, loin de la mer, privée des communications faciles et peu coûteuses avec l'Espagne, dont jouit l'Angleterre, fournit toutes les machines, tout l'outillage, toutes les broches, à bien meilleur marché que les constructeurs anglais n'avaient pu le faire.

Voilà encore un exemple, messieurs, qui prouve qu'avec l'intelligence, le courage et le travail on parvient à lutter contre toutes les nations du monde lorsqu'on veut bien s'en donner la peine et ne pas s'endormir sur la foi menteuse de la protection. Si l'on peut lutter à l'étranger, à plus forte raison luttera-t-on sur son propre terrain, sur le marché national.

Les explications que j'ai cru devoir donner à la chambre uniquement pour rétablir un peu la question du libre échange sur son véritable terrain et ne pas la laisser défigurer, m'ont peut-être entrainé trop loin, et je m'abstiendrai, sauf à y revenir dans la discussion des articles, de dire les raisons qui me feront voter contre certains amendements tendant à nous maintenir dans le système déplorable et inique de la protection.

Je désire que ce système disparaisse complètement et graduellement, Sans privilège d'aucune espèce pour personne, car je reconnais, comme le disait tout à l'heure l'honorable M. Lesoinne, que c'est une injustice qui dépare et dégrade la législation de mon pays, que de voir les protections maintenues au profit de certaines industries, tandis qu'elles sont aujourd'hui effacées au détriment des autres.

Tenons aussi quelque peu compte des difficultés de situation, des nécessités de tactique même, où se sont trouvés ceux qui sont venus nous conduire les premiers dans la voie du libre échange. Rappelons-nous bien, ainsi que l'a dit tantôt M. le ministre des finances, que si l'on voulait aujourd'hui, si on avait jamais voulu depuis 1847, se présenter devant la chambre avec un projet de réforme générale des tarifs, il n'y aurait eu aucune chance de réussir, en présence de la coalition des intérêts privés.

Qu'a-t-on fait ? et avouons-le, a-t-on eu quelque raison de faire, on a démoli l'édifice de la protection pierre à pierre ; impuissant qu'on était à le faire sauter d'un coup. On s'est d'abord adressé à l'agriculture, et on lui a ôté sa protection ; il fallait en définitive commencer par quelqu'un. Et on a, selon moi, très bien fait, parce qu'on s'est procuré de cette façon l'appui très considerable de privilégiés, les premiers dépouillés et de leurs organes ; je citerai pour exemple l'honorable M. Coomans. Si aujourd'hui, si la protection dont jouissait l'agriculture, existait encore, au lieu d'avoir l'honorable M. Coomans avec moi, je l'aurais contre moi fort et ferme ; il serait pour le maintien du statu quo. Grâce à la tactique qu'on a suivie, pour arriver plus lentement, il est vrai, mais plus sûrement au but, nous avons avec nous des auxiliaires précieux qui nous auraient fait défaut sans cela. Ceci répond encore au reproche qu'on a adressé aux partisans du libre échange, d'avoir reculé devant la présentation d'un projet de réforme générale par voie d'initiative, chose d'autant plus facile, qu'elle n'engage aucuue responsabilité.

Je bornerai là mes observations, l'heure étant avancée, et je remercie la chambre de la bienveillance qu'elle a bien voulu consacrer à écouter quelques idées dont l'imprévu excusera le désordre.

- La séance est levée à 5 heures.