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Chambres des représentants de Belgique
Séance du jeudi 14 avril 1853

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1852-1853)

(Présidence de M. Delfosse.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 1062) M. Dumon procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.

- La séance est ouverte.

M. Ansiau donne lecture du procès-verbal de la dernière séance ; la réduction en est adoptée.

M. Dumon présente l'analyse des pièces qui ont été adressées à la chambre.

Pièces adressées à la chambre

« Un échevin, des conseillers communaux, des électeurs et d'autres habitants à Rossignol, demandent qu'il ne soit apporté aucune modification à la loi électorale. »

« Même demande d'électeurs de Ronquières. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Des électeurs à Orkerzeele demandent que les élections aux chambres se fassent au chef-lieu du canton. »

- Même renvoi.


« Des électeurs à Diest demandent que les élections aux chambres se fassent au chef-lieu du canton. »

« Même demande d'électeurs à Vilvorde. »

« Même demande d'électeurs à Borght et d'électeurs à Grimberghen. »

- Même renvoi.


« Des électeurs à Comines demandent que les élections aux chambres se fassent au chef-lieu de canton, que les districts électoraux soient composés de 40 mille âmes et que la contribution foncière payée par le locataire lui compte pour former le cens électoral. »

- Même renvoi.


« Des habitants d'Attenrode-Wever demandent que les élections aux chambres se fassent au chef-lieu du canton et que le cens électoral différentiel soit rétabli. »

- Même renvoi.


« Des habitants de Laerne demandent que les élections aux chambres se fassent dans la commune et qu'une partie de la contribution foncière payée par le fermier lui compte pour former le cens électoral. »

- Même renvoi.


« Des habitants de Rupelmonde demandent que les élections aux chambres se fassent au chef-lieu du canton ou par fractions de districts électoraux. »

- Même renvoi.


« Des électeurs à Haulchin demandent que les élections aux chambres se fassent au chef-lieu du canton, que chaque agglomération de 40,000 habitants nomme un représentant et que le cens electoral pour les villes soit augmenté. »

« Même demande des électeurs à Vellereille-le-Sec. »

- Même renvoi.

Proposition de loi modifiant la loi sur la garde civique

Discussion générale

M. Landeloos. - Messieurs, j’ai écouté attentivement les divers orateurs qui ont pris part à la discussion. Tous, sans exception aucune, ont reconnu, soit directement, soit indirectement, qu’il existe des abus qu’il faut réformer. Il n’est pas jusqu’à M. le ministre de l’intérieur même qui ne soit convaincu qu’il faut prendre des mesures pour arrêter le zèle par trop outré de certains chefs de la garde civique et préserver les gardes contre l'arbitraire de leurs supérieurs. Tons ont donc, malgré eux, rendu hommage aux nombreuses pétitions qui ont été si amèrement et si légèrement critiqués par le ministre de l'intérieur.

M. le ministre de l'intérieur et l'honorable M. Rogicr veulent cependant qu’on ne touche pas à la législation actuelle. Ils veulent que l'on conserve un caractère de stabilité à la loi. Moi aussi, messieurs, je suis d'avis qu'il faut conserver un caractère de stabilité dans la législation.

Mais est-ce à dire que lorsqu'on y découvre des abus, on ne doive pas les réformer ? Est-ce à dire que lorsque l'expérience de plusieurs années est venue démontrer au pays entier que ces lois ont été faites pour d'autres temps et sous l'impression d'événements qui sont loin de nous, il ne faille y apporter aucune modification ? Est-ce à dire que lorsque des milliers de pétitionnaires ont spontanément, quoi qu'en dise M. le ministre de l'intérieur, élevé la voix pour faire voir l'inutilité de corvées onéreuses, il faille continuer à les y astreindre ? Evidemment non, messieurs. En présence de si justes et de si nombreuses réclamations, la législature manquerait au premier de ses devoirs, si elle reculait à introduire dans nos lois, dans l'intérêt du peuple belge qui nous a envoyés ici pour alléger ses charges et défendre ses droits, les modifications qui sont compatibles avec la Constitution.

M. le ministre de l'intérieur et l'honorable M. Rogier ne veulent pas qu'on touche à la législation actuelle.

Ils disent que la loi est bonne, parce qu’elle a produit de bons effets. Ces bons effets, messieurs, ils cherchent à les prouver par les services que la garde civique a rendus en 1848 à l'ordre et à la société menacés.

Mais M. le ministre de l'intérieur et l'honorable M. Rogier oublient une chose : c'est qu'en 1848, au moment de la crise, la loi actuelle n'était pas en vigueur. En effet la loi qui nous régit n'a été publiée que le 8 juin 1848 et elle n'a été mise à exécution qu'au mois de juillet suivant. M. le ministre de l'intérieur et l'honorable M. Rogier font donc, sans le savoir, et je les en remercie sincèrement, un pompeux éloge du projet que j'ai présenté. Car, à cette époque critique, la garde civique n'était point active ; elle était en réserve.

- Des membres. - A Bruxelles elle était active.

M. Landeloos. - Elle était en réserve à Bruxelles comme dans toutes les autres localités. La loi qui est actuellement en vigueur n'existait pas au moment où ces événements ont eu lieu. Voilà ce que je soutiens, et je suis persuadé que personne ne peut me démentir.

Ce n'est qu'au mois d'avril, si je ne me trompe, que la loi a été discutée ; en tout cas, elle n'a été promulguée qu'a mois de juin, et elle n'a été mise à exécution qu'au mois de juillet. Et cependant, messieurs, à cette époque, qu'a-t-on vu ? Dans un élan de patriotisme tous les hommes de la réserve sont accourus pour défendre l'ordre social un instant menacé. On a même vu des hommes qui avaient dépassé l'âge de 50 ans se mettre sous les drapeaux de la garde civique.

Ce que nous avons vu en 1848 dans ces moments critiques, nous le verrions encore si de nouveaux troubles étaient à craindre car les Belges, esseniieliement conservateurs de leurs libertés et des institutions nationales, seront toujours prêts à défendre la tranquillité publique si elle était menacée.

Il ne faut donc pas, en temps ordinaire, fatiguer inutilement les pères de famille et les gardes qui se sont rompus pendant 14 ans au métier des armes.

M. le ministre de l'intérieur ne veut pas qu'on touche à la loi actuelle parce que, d'après lui, le gouvernement est suffisamment armé pour empêcher les vexations et pour dégrever les gardes de certaines charges.

Si le gouvernement, messieurs, a réellement ces pouvoirs, comme M. le ministre l'a piélendu, je ne puis m'empêcher de témoigner mon étonnement de ce que l'honorable M. Rogier ait laissé se perpétuer les abus pendant qu'il était au ministère. Quoi ! le gouvernement, d'après M. le ministre de l'intérieur, avait en mains les moyens nécessaires pour arrêter le zèle outré des chefs de la garde, et il n'en a pas fait usage ! Quoi ! il a pu faire cesser les vexations auxquelles étaient journellement exposés des milliers de gardes civiques, de la part d'officiers qui aiment à parader, et il porte l'oubli de ses devoirs au point de ne pas s'en inquiéter !

Quoi ! il laisse arriver à la chambre une multitude de réclamations, qu'il finit par reconnaître fondées et ce n'est que lorsqu'une proposition formelle de loi est présentée, qu'il prétend qu'aucune disposition nouvelle n'est nécessaire, que la loi actuelle lui permet de porter un allégement aux charges qui pèsent sur les citoyens ! Eh bien, messieurs, permettez-moi que je dise, pour l'honneur de l’honorable M. Rogier, que je n'en crois rien. Jamais je ne croirai que cet homme d'Etat ait porté l'oubli de ses devoirs au point de ne pas se préoccuper des plaintes légitimes des gardes civiques qu'il était en son pouvoir de faire cesser. Je crois au contraire, messieurs, que c'est parce que la loi n'armait pas suffisamment le gouvernement que les abus ont continué à subsister.

En effet, si ce que prétend M. le ministre de l'intérieur est exact, comment concevoir que lorsque l'honorable M. Rogier envoie une circulaire par laquelle il fait connaître les conditions auxquelles on pourra être dispensé d'assister aux exercices, un chef de garde trouve le moyen de l'éluder ? et c'est cependant ce qui a eu lieu à Louvain !

Voici ce que nous lisons dans un ordre du jour, que le colonel commandant de la garde civique de Louvain, a puhlie le 28 juin 1852. « Le colonel commandant a l'honneur d'informer MM. les officiers, sous-officiers, caporaux et gardes de la légion, qu'en exécution des ordres de M. le ministre de l'intérieur (circulaire du 10 de ce mois), les sous-officiers, caporaux et gardes, qui le demanderont, seront admis à un examen dont le jour sera fixé ultérieurement.

« Les connaissances exigées sont : l'école du soldat, les charges et les feux ;

« Ceux jugés suffisamment instruits seront dispenses d’assister aux exercices. »

Voici maintenant l'interprétation qu'y ajoute le colonel-commandant :

« Pour que personne ne puisse se méprendre sur la portée de la circulaire ministérielle précitée, ni sur la nature des dispenses à accorder pour instruction suffisante, le colonel croit devoir porter à la connaissance des intéressés que les gardes jugés suffisamment instruits pour les exercices ne sont pas dispensés d'assister aux manœuvres. »

Voilà, messieurs, le moyen que le colonel a inventé pour éluder la circulaire de M. le ministre de l'intérieur.

Ainsi, M. le ministre aura beau décider de la manière la plus formelle que lorsqu'on est jugé avoir des connaissances suffisantes on sera dispensé d'assister aux exercices, exercices parmi lesquels on doit comprendre nécessairement les manoeuvres ; un colonel viendra dire qu'on doit faire une distinction, que la portée de cette circulaire ministérielle ne tend qu'à dispenser les gardes de certains exercices, mais que, quelles que soient leurs connaissances, ils ne seront pas dispensés des manœuvres.

Aussi quelque temps après voyons-nous qu'au lieu de convoquer les gardes pour les exercices ordinaires, on les convoque pour les manœuvres générales. Voilà la manière dont on a éludé la loi.

(page 1063) Ce n'est pas tout ; je pourrais continuer la citation de plusieurs autres abus qui sont parvenus à ma connaissance ; je pourrais faire connaître que tous les griefs articulés par les gardes qui se sont adressés à la législature pour en obtenir la réforme, sont réels ; il me suffira de rappeler un seul fait. Je veux parler d'une personne qui est connue avantageusement de plusieurs de mes collègues, je veux parler de M. le docteur Pierard, de cette ville, qui lui aussi a été victime des vexations de ses chefs.

En 1849, au moment où le choléra sévissait avec la plus grande intensité, cet honorable citoyen, connaissant la sainteté de ses devoirs, s'empresse de venir en aide à tous les malheureux.

C'était de préférence chez les pauvres qu'il se rendait quand on réclamait sa présence. Il croyait que l'humanité devait l'emporter sur les exigences du service, et chaque fois qu'on vint chez lui pour demander le secours de son art, jamais il ne fit défaut de se rendre à l'appel. Dans la nuit qui précéda deux exercices fixés par le commandant de la garde civique de Bruxelles, il se trouva dans la nécessité de se rendre immédiatement à Ixelles pour y soigner ses nombreux malades.

Dans la matinée suivante et au moment où les exercices allaient commencer, il dut de nouveau se rendre où son devoir de médecin l'appelait ; il crut satisfaire suffisamment aux devoirs de citoyen en venant exposer si vie pour sauver celle de ses semblables.

Eh bien, messieurs, vous croyez qu'on a tenu compte d'une si noble conduite, vous croyez que loin de le poursuivre devant le conseil de discipline on l'aurait récompensé de son dévouement ! Nullement, qu'est-il arrivé ?

On n'a fait aucun cas de cette abnégation, on l'a traduit devant le conseil de discipline. Malgré le certificat du bourgmestre de la commune d'Ixelles, malgré le certificat du commissaire de police qui constatait qu'au moment où les exercices allaient commencer, il était allé où son devoir de médecin l'avait appelé pour soulager des malades et sauver peut-être la vie à un malheureux père de famille, le conseil de discipline le condamna à l'amende.

Voilà les abus monstrueux qu'a produits la loi actuelle. En présence de ces abus n'est-ce pas un devoir pour la législature... ?

- Un membre. - Vous faites le procès au conseil de discipline.

M. Rogier. - A quelle amende a-t-il été condamné ?

M. Landeloos. - J'ai en main les pièces qui démontrent l'exactitude des faits que j'avance.

M. Rogier. - Je vous demande le chiffre de l'amende.

M. Landeloos. - J'ignore quel est le chiffre de l'amende, mais j'ai en main les pièces qui constatent le montant des frais et de l'amende et qui démontrent que tout ce que j'ai dit est de la plus rigoureuse exactitude.

Je ne comprends pas ces interruptions, mais malgré les moyens qu'on veut employer pour m'empêcher de dire la vérité, je la dirai tout entière, fût-elle même amère pour certains membres qui tiennent à l'organisation actuelle de la garde civique comme un père tient à ses enfants.

Je disais qu'en présence de ces abus monstrueux, chacun comprendra la nécessite d'obtenir des garanties légales pour prévenir le zèle outré des chefs sous lesquels les gardes se trouvent.

Je suis loin de prétendre que la proposition que j'ai faite est de nature à prévenir tous les abus ; je suis loin de soutenir qu'au moyen de cette proposition, on contentera tous les pétitionnaires qui se sont adressés à la chambre. Mais ce dont je suis certain, c'est que la plupart des griefs auront cessé, si tant est que la chambre adopte ma proposition. J'ai déjà eu l'occasion de démontrer les avantages qui devaient en résulter, tant sous le rapport de l'allégement des charges personnelles, que sous le rapport des charges pécuniaires qui grèvent actuellement une partie de notre population.

M. le ministre de l'intérieur et l'honorable M. Rogier n'ont pas contesté ces avantages ; cependant M. le ministre de l'intérieur et l'honorable M. oRgier la combattent, parce qu'elle affranchit de tout service les hommes mariés, les veufs avec enfants, et les célibataires âgés de plus de 35 ans. Ils la combattent encore, parce qu'elle détruit la force morale et matérielle.

Est-il encore nécessaire de répéter ce que j'ai déjà dit à satiété que ma proposition ne tend point à dispenser de tout service les hommes mariés, les veufs avec enfants et les célibataires qui ont dépassé l'âge de 35 ans ? Non. Je veux avec le gouvernement, je veux avec l'honorable M. Rogier que ces hommes se montrent, au moment du danger, se montrent dans des temps de crise ; je veux que par leur attitude ils parviennent à empêcher que les masses égarées n'en viennent à des extrémités que tout le monde doit déplorer.

C'est parce que je crois que cet effet peut être produit, au moyen de ma proposition, que j'insiste pour que la chambre l'adopte.

On prétend que toute force morale, toute force matérielle seraient enlevées à la garde civique ! Ce serait vrai, messieurs, si, comme l'honorable M. Rogier et M. le ministre de l'intérieur veuillent le déduire de ma proposition, je dispensais ces gardes de se rendre à l'appel de l'autorité, lorsque l'ordre public serait en danger.

Mais puisque je veux que leur présence soit obligatoire dans les moments de danger, comment peut-on soutenir que j'enlève à la garde civique toute sa force morale, toute sa force matérielle ?

L'honorable M. Rogier et M. le ministre de l'intérieur combattent ma proposition, parce que l'effectif serait trop peu nombreux.

Et pour l'établir, on invoque ia statistique d'où il résulte qu'à Bruxelles, par exemple, sur 5,072 gardes qu'il y a aujourd'hui en service, il n'en restera plus que 921.

Est-ce là dit M. le ministre de l'intérieur, une force suffisante pour parer à toutes les éventualités ? Si les chiffres étaient exacts, je n'hésiterais pas à répondre que dans les temps ordinaires, lorsqu'on n'est menacé d'aucun trouble, lorsqu'aucun danger ne se présente, cette force devra suffire.

J'ajouterai toutefois que si la tranquillité publique était compromise, alors ce nombre ne serait pas suffisant. Aussi veux-je qu'alors tous ceux qui constituent aujourd'hui cette force morale et matérielle se présentent de nouveau. Loin donc de vouloir amoindrir la garde civique, je lui donne une force plus grande, parce que chacun comprendra que moins on lui aura demandé dans les temps ordinaires, plus il doit se dévouer lorsqu'on l'appelle à défendre nos libertés et nos institutions.

J'ai dit, messieurs, que si ces chiffres étaient exacts, je croirais ce nombre suffisant en temps ordinaire. Je ne puis cependant m'empêcher de faire remarquer de nouveau combien doit paraître étrange la différence qui existe entre les chiffres donnés pour la ville de Gand et les chiffres indiqués pour la ville de Bruxelles.

Je désirerais beaucoup que M. le ministre de l'intérieur, lorsqu'il répondra à mon discours, veuille bien me donner l'explication de cette énigme. Car, comment concevoir qu'à Bruxelles, où l'on prétend qu'il y a ajourd'hui en service 5,072 gardes, il n'en existerait plus que 921, si vous adoptiez ma proposition, tandis qu'à Gand, où l'on dit qu'il n'existe que 3,189 gardes, il y en aurait encore 949 ? Ainsi, dans une ville où il y a deux cinquièmes de moins de gardes, il resterait, lors de l'adoption de ma proposition, un plus grand nombre d'hommes en activité que dans une autre ville où il y a aujourd'hui deux cinquièmes de gardes en plus, Je ne puis comprendre cette statistique. Ou me permettra donc de dire que je n'ai pas une confiance entière dans les chiffres que certains employés ont remis à M. le ministre de l'intérieur.

En tenant ce langage, messieurs, je suis loin de prétendre que M. le ministre de l'intérieur a voulu nous donner des renseignements erronés. Je suis le premier à reconnaître que M. le ministre a été probablement dupe de sa bonne foi et qu'il a pu croire raisonnablement que les faits qu'où lui rapportait étaient exacts.

Mais, messieurs, s'il étail encore nécessaire de faire voir que dans d'autres villes les mêmes erreurs ont été commises, je n'aurais qu'a indiquer l'exemple de la garde civique de Louvain dont je fais partie. Là aussi les chiffres fournis sont évidemment erronés.

On prétend qu'il existe aujourd'hui à Louvain 1,047 gardes civiques. Eh bien, je déclare de la manière la plus formelle, que jamais et à aucune époque, le nombre des gardes armés et habillés ne s'est élevé au chiffre de 1,047. J'ajouterai même que le nombre d'hommes qui sont armés et habillés ne s'élève peut-être pas à 700.

Si ces chiffres sont erronés, quelle influence peuvent-ils exercer sur la chambre, dans le vote qu'elle a à émettre sur la proposition qui fait l'objet de ses délibérations actuelles ?

D'ailleurs, messieurs, en supposant même que l'effectif des hommes qui, d après ma proposition de loi, sont seuls astreints au service de la garde civique, serait aussi peu nombreux qu'on le prétend, cet effectif ne pourrait manquer d'être augmenté de tous les hommes de bonne volonté qui s'empresseront de se faire inscrire sur le contrôle pour satisfaire à leurs goûts militaires.

En effet, n'a-t-on pas vu que, sous la législation actuelle, plusieurs personnes qui étaient dispensées de prendre part au service de la garde civique se sont cependant fait inscrire sur le contrôle de service ordinaire ? Et cependant ils n'y étaient pas astreints.

Est-il nécessaire, messieurs, de sortir même de cette enceinte pour vous démontrer la réalité de ce que j'avance ? Trois de nos honorables collègues qui ont pris la parole pour combattre ma proposition, appartiennent à la garde civique, et cependant ces trois collègues, par leur âge, ne sont plus soumis aux dispositions qui régissent actuellement la garde civique.

M. Allard. - Moi, oui. (Interruption.)

M. Landeloos. - Il est possible que je me trompe à l'égard d'un d'entre eux, mais certainement je ne me trompe pas à l'égard des deux autres. D'ailleurs, un de nos honorables collègues, en prenant hier la parole, s'est empressé de reconnaître que, quant a lui, il n'y était pas astreint, mais qu'il avait cru remplir un devoir civique en acceptant le commandement qu'on lui avait offert.

Eh bien, messieurs, l'exemple qu'a donné cet honorable collègue, serait certainement suivi par bien d'autres citoyens, si ma proposition était adoptée...,

Les craintes donc qu'a manifestées l'honorable ministre de l’intérieur n'existent réellement pas. On trouvera toujours des hommes modérés qui croiront devoir se ranger sous les drapeaux de la garde civique et qui croiront devoir se mettre à la tête de cette jeunesse qu’on envisage comme trop fougueuse.

M. le ministre de l'intérieur dit : Les cadres seront désertés, si l'on adopte ma proposition ou si l'on adopte même la proposition de la section centrale. Car, d'après la proposition de la section centrale, on saura que, parvenu à l'âge de 35 ans, on ne peut plus être astreint qu à deux revues et à une inspection ; et d'après ma proposition, on saura, qu'on n'est plus astreint à rien, sinon dans un moment de crise,

Dès lors tous les hommes qui ne sont pas astreints à ce service ne (page 1064) voudront pas subir des obligations aussi onéreuses que de devoir se présenter chaque fois que la garde sera sous les armes.

J'ai déjà répondu à cette objection, en disant que l'expérience avait démontré le contraire et que, parmi nos honorables collègues, il en était qui avaient accepté les commandements qu'on leur avait offerts, qui même s'étaient fait porter sur les contrôles de la garde. Dès lors ce danger n'existe que dans l'imagination de M. le ministre de l'intérieur.

M. le ministre de l'intérieur et l'honorable M. Rogier combattent ma proposition, parce qu'elle conserve l'institution avec tous ses dangers et toutes ses injustices, parce qu'elle établit un privilège au profit du plus grand nombre et au détriment du plus petit, parce que les gardes en dessous de 35 ans seront soumis à un service plus sévère, qui amènera chez eux le dégoùt.

C'est vainement, messieurs, que j'ai tâché de découvrir ce danger, de découvrir cette injustice.

Ce danger, j'ai déjà démontré tout à l'heure qu'il n'existait pas. Je vous ai dit que tous les hommes modérés ne peuvent manquer de se trouver, au moment du danger, à la tête d'une compagnie ou dans ses rangs.

Par conséquent, ce danger n'existe pas.

L'injustice, où la trouve-t-on ? Est-ce parce qu'on accorde une dispense à un homme marié ? Parce qu'on accorde une dispense à un veuf avec enfants qui a eu le malheur de perdre sa femme et qui, par suite de cette perte, est obligé de soigner ceux à qui il a donné l'existence ?

Evidemment non, messieurs. Est-ce parce qu'on dispense du service en temps ordinaire ceux qui ont dépassé l'âge de 35 ans ? Où est l'injustice ?

Il y a injustice, dit-on, parce que les gardes âgés de moins de 35 ans sont soumis à un service plus sévère.

Mais, messieurs, en temps ordinaire quel est le service qu'on réclame des gardes civiques ? Le service qu'on réclame d'eux consiste dans des exercices, consiste dans des revues, consiste dans des inspections d'armes. Je le demande maintenant, messieurs, est-ce que ce service sera plus onéreux parce qu'on l'exigera seulement des célibataires de moins de 35 ans ? Evidemment non.

Savez-vous, messieurs, quand le service deviendrait plus onéreux ? Ce serait dans les moments difficiles ; eh bien, dans ces moments-là je ne veux pas qu'il existe de privilèges au profil des hommes mariés ou de ceux qui ont dépassé l'âge de 35 ans. Par conséquent ce que vous prétendez être une injustice à l'égard du grand nombre n'existe pas. Ce que vous prétendez être une aggravation n'existe pas non plus.

On dit qu'on dégoûtera du service les hommes qui n'ont pas atteint l'âge de 35 ans. Je trouve, messieurs, que loin de les dégoûter du service, vous leur accorderez un stimulant à remplir complètement les devoirs que la loi leur impose.

Quoi ! parce que vous dégrèverez de tout service ceux qui ont accompli l'âge de 35 ans, vous prétendiez que ceux qui n'ont pas atteint cet âge seront dégoûtés du service. Moi, je trouve, au contraire, que ceux qui sont en dessous de l'âge de 35 ans, lorsqu'ils seront certains qu'après l'avoir atteint ils seront dégrevés de cette corvée onéreuse, s'empresseront de faire tout ce que la loi exige d'eux pour pouvoir démontrer que lorsque la patrie réclamera leur secours, elle ne le réclamera pas en vain.

M. le ministre de l'intérieur a fini par m'interpeller sur le point de savoir dans quels cadres je placerai les hommes de la réserve. Je pourrais me contenter de répondre à l'honorable ministre de l'intérieur que l'article 2 de l’arrêté du 18 juin 1848 a prévu le cas. En effet nous lisons dans cet article :

« Les homnus compris au contrôle de réserve seront classés à la suite de la compagnie dans la circonscription de laquelle ils ont leur résidence.

Malgré cette disposition, j'admettrai volontiers cependant que si les chiffres qu'on a transmis au gouvernement sont exacts, le nombre d'hommes de la réserve qu'on devrait incorporer dans certaines compagnies pourrait être trop élevé, que dès lors il faudrait qu'on fît d'autres cadres et que ces cadres ne comprissent qu'une force de 60 à 150 hommes.

Cette mesure, messieurs, rien n'empêche le gouvernement de la prendre. Car, remarquez bien, messieurs, que l’arrêté royal du 18 juin1848 a été pris en exécution de la loi du 8 mai 1848 et qu'on pourrait le modifier pour parvenir à l'exécution de la nouvelle loi.

Dès lors, messieurs, l'article 7 de la loi actuelle recevrait en quelque sorte son exécution puisque vous auriez réellement deux bans.

Ma proposition aura aussi pour résultat que les compagnies seront organistes pour une partie de la garde, de manière qu'au moment du danger on puisse, comme dit l'article, les mobiliser et les mettre à même de contiibuer à garantir le pays contre une invasion étrangère, et qu'elles seront organisées d'une manière différente pour l'autre partie de la garde qui n'a pour mission que de défendre l'ordre intérieur et les lois.

Si, au contraire, vous maintenez le système actuel et si malheureusement le pays se trouvait exposé à une invasion étrangère, qu'en résultera-t-il ? Les cadres, comme l'a fort bien dit l'honorable M. Manilius, seront désorganisés, puisque ceux qui seraient appelés à s'opposer à l'envahissement d'un ennemi ne pourraient plus se trouver à la tête des compagnies actives. Eh bien, c'est précisément ce que ma proposition prévoit.

On dira peut-être : Votre proposition met sur la même ligne les hommes qui peuvent s'habiller et ceux qui n'ont pas les moyens de le faire. Ces derniers, comme l'a dit l'honorable M. Rogier, ne présentant pas les mêmes garanties lorsque la tranquillité est menacée, de quelle manière y obvierez-vous ?

Eh bien, messieurs, il y a un moyen de parer à cet inconvénient, c'est de laisser au gouvernement, pour la réserve, la faculté qu'il possède, pour la garde active, d'appeler les gardes civiques par catégories. Je dis que le gouvernement possède cette faculté : la loi déclare, en effet, que tous ceux qui se trouvent dans l'impossibilité de s'habiller ne sont point tenus au service actif.

Je crois, messieurs, avoir victorieusement réfuté les diverses objections qui ont été faites contre ma proposition de loi. Je crois avoir démontré qu'en l'adoptant, on conserve en temps de crise, à la garde civique, toute sa force morale et toute sa force matérielle. Je crois avoir démontré que dans les temps ordinaires on dégrèvera une partie de la garde de charges inutiles qui sont l'objet de tant de plaintes, et qu'en insérant dans la loi les amendements présentés par quelques-uns de mes honorables collègues, on garantira l'autre partie de la garde contre l'arbitraire de chefs trop zélés.

Enfin je crois avoir démontré que ma proposition seule atteint entièrement le but de l'institution de la garde civique, qui est de veiller au maintien de l'ordre et des lois, à la conservation de l'indépendance nationale et à l'intégrité du territoire.

M. de Renesse. - Messieurs, la garde civique étant d'institution constitutionnelle, il est de notre devoir de rechercher les moyens de l'organiser, de manière à ce qu'elle puisse, tout en rendant des services utiles au pays, ne pas être une trop lourde charge pour la grande majorité des citoyens soumis au service de cette force publique.

Si, sous un certain point, la garde civique doit contribuer au maintien du bon ordre et de la paix publique, à la conservation de l'indépendance nationale, et de l'intégrite du territoire, il n'est néanmoins pas à contester, que si on voulait strictement organiser les 115,000 hommes de la garde active, d'après la loi de réorganisation de la garde civique du 8 mai 1848, cela occasionnerait annuellement une dépense assez considérable, non seulement aux gardes, mais aussi aux citoyens qui doivent contribuer dans les charges de cette institution et à l'Etat pour tout ce qui a rapport à l'armement.

Dans une excellente brochure, qui a été publiée en 1849 par M. Godin, sous-ingénieur des mines à Liège, il a établi, d'après un calcul modéré que la dépense d'un garde civique, par année, peut s'estimer à 36 francs ; cela porterait annuellement la dépense pour les 113,000 gardes actifs, à la somme de 4,068,000 francs.

Si tous les gardes étaient astreints à porter l'uniforme en drap, ce qui serait indispensable en cas d'une organisation complète ; car l'on ne peut raisonnablement exiger que les gardes fassent le service actif avec l'uniforme en toile, il faudrait en outre ajouter les dépenses pour la réparation des armes, celles des communes occasionnées par la garde civique et celles portées au budget de l'intérieur pour le même objet, ainsi que les crédits spéciaux déjà accordés et encore à voter pour l'armement de la garde civique active.

D'après ma conviction la plus intime, il me paraît qu'il serait préférable d'avoir une garde civique moins nombreuse, plus facile a organiser ; et, en outre, étant composée d'éléments plus jeunes, plus propres aux exercices, eile pourrait être appelée, dans le cas d'événements extraordinaires, à rendre de plus grands services, qu'une garde nombreuse, n'ayant aucune consistance, ne connaissant pas suffisamment les exercices militaires, exercices que l'on ne peut pas d'ailleurs imposer à des pères de famille, ayant déjà un certain âge ; car il n'est pas donné à tout homme paisible s'occupant plus spécialement de son état, de sa profession, de ses intérêts, d'avoir cet instinct, cette aptitude pour apprendre, seulement en quelques leçons, les exercices militaires, et l'on ne peut prétendre avec fondement qu'au moyen d'un exercice de douze fois par an, le garde civique puisse convenablement connaître le maniement des armes et les manœuvres ; il faut donc, pour obtenir ce résultat, sans quoi cette garde ne serait d'aucune utilité, que le citoyen soumis à cette obligation s'adonne à une instruction militaire toute particulière, outre les exercices obligatoires, afin d'acquérir les connaissances nécessaires pour remplir utilement le service de soldat-citoyen.

Si les gardes, par le défaut d'exercice, ne peuvent acquérir ces connaissances, il me paraît alors inutile de vouloir maintenir, seulement pour la forme, sur le papier, une institution de peu de ressource pour le pays, pour laquelle cependant l'on aurait infructueusement fait des dépenses sans aucun avantage réel pour la défense nationale, car, maintenir une garde civique trop nombreuse, comme actuellement, non complètement organisée, c'est vouloir une force inerte, n'ayant pas l'aptitude des exercices militaires, et qui, dans le cas d'événements graves, pourrait occasionner de l'embarras au gouvernement et à l'armée.

Pour parvenir cependant à un résultat utile, et tirer de cette force publique tout le parti possible pour le maintien de l'ordre dans le pays, afin qu'elle puisse aussi, le cas échéant, concourir efficacement avec l'armée a la défense de notre nationalité, il me semble qu'en réduisant le nombre de la garde civique de manière à ne plus appeler au service que ceux des gardes qui auraient atteint soit leur 35ème ou 40ème année ; il y aurait alors environ 70 mille hommes à appeler sous les armes, l'on parviendrait plus facilement à organiser une garde moins nombreuse, composée d'éléments plus jeunes, plus actifs ; l'on pourrait alors exige .réellement des gardes une plus grande application aux manœuvres, aux (page 1065) exercices militaires, et l'on réduirait, en outre, fortement les dépenses de cette force publique.

L'article 125 de la Constitution dit que la mobilisation de la garde civique ne peut avoir lieu qu'en vertu d'une loi ; il me semble que le moment est très opportun pour s'occuper tout particulièrement de la loi de mobilisation de cette force armée, et que le gouvernement devrait, à cet effet, saisir la législature d'un projet de loi pour pouvoir organiser cette garde, de manière à ce qu'elle puisse immédiatement être utilisée, pour concourir avec l'armée à la défense nationale ; vouloir attendre les événements extraordinaires, pour procéder à cette organisation militaire et ne prendre les dispositions législatives qu'alors, ce serait peu prévoyant, ce serait refuser de pouvoir tirer parti de cette force publique, lorsque toutes les ressources utiles du pays devraient être employées, pour repousser l'atteinte qui pourrait être portée à notre nationalité, à notre neutralité.

D'après l'article 67 de la loi du 8 mai 1848, les dépenses résultant de l'organisation de la garde civique sont à la charge des communes, et d'après les dispositions de l'article 75, les familles aisées n'ayant point dans leur sein d'hommes en activité de service dans la garde civique, sont tenus de payer une indemnité annuelle à fixer par le conseil communal ; cette indemnité ne pent excéder 50 francs ; cette contribution, charge fort lourde pour certaines familles, a été critiquée avec raison, comme étant un impôt mal assis ; basée sur des revenus probables, elle doit être parfois arbitrairement répartie.

D'après l'article 112 de notre Constitution, il ne peut être établi de privilège en matière d'impôts ; nulle exception ou modération d'impôt ne peut être établie que par la loi ; or, en fixant d'une manière incertaine, sur uue base fautive, la contribution à payer, par certaines familles, pour subvenir aux dépenses de la garde civique, ne frappe-t-on pas d'une manière arbitraire, ne froisse-t-on pas des intérêts privés et ne crée-t-on pas un certain privilège, pour ceux qui ne contribuent pas aux charges de la garde civique ? Un impôt basé sur des évaluations peu appréciables donnant lieu à des erreurs, doit nécessairement blesser le contribuable, lorsqu'il a la conviction qu'il est injustement classé, et l'on doit désirer que, sous ce rapport, une contribution assise sur une mauvaise base soit au plus tôt changée ; car la disposiiion d'une loi qui serait d'une injuste application, ne doit pas êlre tolérée dans un pays constitutionnel comme le nôtre où il doit y avoir égalité devant la loi, comme devant le percepteur des contributions. Je crois donc que, sous ce rapport, l'application de la loi sur la garde civique doit donner lieu à des critiques fondées, et qu'il faudrait, pour les éviter, que les charges de la garde civique fussent supportées par la caisse communale, parce que, tous les habitants d'une commune, où la garde est active, sont intéressés au maintien de la sûreté publique, doivent, par conséquent et aussi, contribuer aux charges qui en résultent.

Avant de terminer, je crois devoir motiver l'amendement que j'ai eu l'honneur de présenter dans une séance précédente.

Dans le nouvel article 83, proposé par la section centrale, l'on n'a plus reproduit une disposition de l'article 83 de la loi du 8 mai 1848, qui stipulait que les exercices ont lieu le dimanche, et ne peuvent durer plus de deux heures.

Je crois indispensable de rétablir cette disposition, prise surtout dans l'intérêt des gardes, pour empêcher que parfois, par un excès de zèle, certains chefs de cette force publique n'abusent de la durée des exercices.

Si le service de la garde civique est une charge assez lourde pour les gardes, il faut tâcher de le rendre le moins onéreux possible, et pet mettre seulement que les gardes puissent être appelés aux exercices, les jours où ils n'ont pas à s'occuper plus spécialement de leurs propres intérêts.

La garde civique étant en grande partie composée de citoyens, exerçant différents états ou professions, il ne faut pas que l'on porte une trop forte atteinte aux devoirs que ces états ou professions imposent à ceux qui sont appelés au service de la garde civique ; afin d'éviter que les gardes ne puissent être ordinairement convoqués les jours ouvrables, pour les exercices et revues, et en outre, pour empêcher le prolongement des exercices au-delà ces deux heures, formellement stipulées par l'article 83 de la loi du 8 mai 1848, et que l'on n'aurait pas dû dépasser, parce que cette prescription de la loi est impérative, j'ai cru utile de proposer à la chambre de vouloir admettre la même disposition, non reproduite dans l'article 83, proposé par la section centrale, et de l'insérer à la suite du paragraphe premier de cet article.

L'amendement serait ainsi conçu : Ces exercices ont lieu le dimanche et ne peuvent durer plus de deux heures.

En présentant cet amendement, mon intention formelle était que le garde ne pourrait être retenu sous les armes plus de deux heures, le sous-amendement proposé par l’honorable M. Van Grootven expliquant, sous ce rapport, toute ma pensée, je crois qu'il est utile de préciser le moment où le service est censé commence pour éviter dorénavant toute contestation : j'appuierai donc ce sous-amendemeiit, et j'espère que la chambre voudra l'adopter avec celui que j'ai eu l'honneur de présenter.

M. Loos. - Messieurs, je ne comptais pas prendre part à cette discussion. Je n'ai demande la parole hier que lorsque j'ai entendu un honorable collègue de la députation d'Anvers dire à la chambre que s'il n'y avait pas plus de signatures sur les pétitions arrivées d'Anvers, cela tenait à des menaces qui avaient été faites, pour intimider.

Je suis convaincu que mon honorable collègue a été induit en erreur. Il est impossible qu'il en soit autrement. Cela ne souffre pas le plus léger examen. Qui est-ce qui aurait menacé ? Je suppose qu'il n'est personne qui puisse menacer, si ce n'est celui qui est en état de mettre la menace à exécution. S'agit-il d'un surcroît de service ou de rigueur dans les poursuites en cas de négligence ? Eh bien, tout cela est soumis au chef de la garde.

Or, je n'ai pas besoin de justifier le chef de la garde : il est trop connu par sa modération, par son dévouement à toutes nos institutions, pour que je veuille me charger de prendre ici sa défense. Je crois, au surplus, qu'il n'est pas entré dans les intentions de mon honorable collègue d'accuser le chef de la garde de faire des menaces. Ainsi les menaces qui pourraient avoir être faites doivent être tout à fait vaines. (Interruption.)

« Les menaces, me dit mon honorable collègue, sont venues des capitaines. » Mais, messieurs, les gardes sont-ils dans la dépendance des capitaines ? Ou bien plutôt les capitaines ne sont-ils pas dans la dépendance des gardes ? D'ailleurs, à quelle fin les capitaines auraient-ils menacé les gardes, alors surtout qu'au bout de ces menaces, ils le savent bien, il ne peut se présenter aucune exécution ?

Pour ma part, je trouve que les gardes auraient pu menacer les capitaines de ne plus les réélire, et ici la menace pouvait n'être pas vaine. De quoi les capitaines auraient-ils pu menacer les gardes ? De plus de service ? Cela ne dépend pas des capitaines. Du conseil de discipline ? Un seul capitaine y siége, et l'on n'y traduit les gardes qu'avec l'assentiment du chef.

La valeur des menaces dont on parle est donc complètement nulle, et je tiens, pour mon compte, qu’elles seraient ridicules, si elles avaient été faites. On peut avoir tenu certains propos, mais on n'a pu aller au-delà. Les capitaines ne sont pas maîtres de régler le service ; cela dépend du colonel.

Mais je sais que des menaces ont été faites, mais dans un tout autre sens. Je les ai entendues moi-même. On voulait obliger les gardes à signer les pétitions, et on les menaçait, non pas d'un surcroît de service, mais de bien autre chose. J'ai entendu généralement dire par ceux qui colportaient les pétitions contre la garde civique, qu'ils en faisaient une affaire d'élection et que dorénavant eeut qui n'auraient pas été favorables à ces requêtes, auraient à subir la mauvaise humeur des électeurs qui voulaient que la garde civique n'existât plus.

Car, sachez-le, ceux qui colportaient les pétitions, sont des personnes qui ne veulent pas de garde civique ; or, dans cette enceinte, aucun membre ne repousse cette institution, par l'excellente raison qu'elle est consacrée par la Constitution ; mais, en dehors de cette enceinte, on ne tient pas compte, comme vous, de cette prescription de la Constitution. Ainsi, dans l'esprit des colporteurs des pétitions, il ne s'agissait pas de modifications à la loi actuelle, il s'agissait de la suppression même de la garde civique, c'est-à-dire qu'on voulait bien qu'on organisât une garda civique, mais seulement sur le papier, et sans qu'ils fussent astreints à comparaître jamais aux revues et aux exercices ; en un mot, on veut une garde civique telle qu'elle existait autrefois dans plusieurs localités, et notamment dans la ville que j'habite ; les gardes n'étaient absolument tenus à aucun service.

Voilà une garde civique qui conviendrait à tout le monde ; mais je ne sais si c'est là l'institution que la Constitution nous a prescrit d'organiser.

Pour moi, puisque la Constitution ordonne qu'il y aura une garde civique et que j'ai juré d'observer la Constitution, je ne comprends pas la capitulation en matière de serment. La Constitution doit être vraie pour cet article comme pour tous les autres.

Je ne l'oublierai jamais. Cependant je déclare franchement que je ne suis pas plus grand partisan que d'autres de la garde civique ; mais elle est inscrite dans la loi, et chaque fois qu'on l'attaquera, je me lèverai pour la défendre.

Maintenant que, contre mes intentions, j'ai été amené à prendre part à cette discussion, je dirai que je verrais volontiers une atténuation dans le service prescrit par la loi actuelle. Pour moi, je ne suis pas convaincu que les hommes de 40 à 50 ans puissent rendre dans la garde les services sur lesquels on compte. Je crois qu'on ferait chose utile et sérieuse en limitant le temps de service à 40 ans.

Je ne crois pas que la présence des hommes âgés de plus de 40 ans apporte plus de modération dans l'esprit de la garde ; je ne crois pas non plus que dans les moments de danger, ce soient les hommes d'au-delà de 40 ans, qui rendraient de grands services à l'ordre ; je crois qu'il faut des hommes dans toute la vigueur de l'âge et qui ne reculent pas devant la fatigue.

Je suis donc très disposé à appuyer l'amendement de M. de Perceval qui limite l'âge de service à 40 ans.

Mais nous sommes saisis d'une foule d'autres amendements ; il me serait très difficile, il doit l'être même à M. le ministre de l'intérieur, de juger dès à présent du mérite de tous ces amendements.

L'honorable auteur de la proposition primitive, M. Landeloos, est venu faire la critique de la loi en citant uue masse d'abus.

Je ne prétends pas qu'il n'en ait pas existé, mais pour y remédier que propose M. Landeloos ? Rien. On propose de soustraire un certain nombre de citoyens aux abus que peut présenter l'exécution de la loi, mais les autres y resteront soumis. J'ai vu dans des amendements la proposition d'atténuer le service, de le réduire à tel nombre d'exercices (page 1066) d'inspection de revues. Mais dans la proposition primitive, celle qui a amené la discussion actuelle, on ne trouve rien ; la loi est mauvaise, dit-il, elle donne lieu à une foule d'abus, il n'indique pas le moyen d'y remédier.

Je crois que le plus sage serait de renvoyer la proposition et les amendements au ministre de l'intérieur et de le charger de faire une proposition à la chambre à la session prochaine. On peut être plus pressé que moi, mais personne ne désire plus vivement voir remédier aux abus, voir la garde civique bien organisée. Or, la précipitation qu'on mettrait à adopter des amendements pourrait nous conduire à faire une mauvaise loi et nous faire manquer l'occasion d'en voter une bonne.

Nous en avons fait une après de longues discussions, nous trouvons qu'elle ne répond pas à l'attente de tous. Laissons au ministre le temps de réfléchir sur les observations qui se sont produites pour présenter un projet dans le sens de l'atténuation du service, c'est-à-dire restreignant à un certain nombre de citoyens le service de la garde civique.

J'entends dire que le mois prochain il doit y avoir des élections. Je ne vois pas là un obstacle à ce que l'on modifie la loi à la session prochaine. Le mandat est de cinq ans, mais il existe en vertu de la loi ; la loi peut être modifiée, au besoin on dissoudrait la garde civique.

En terminant je dirai comme je l'ai fait en commençant, qu'il est impossible que des menaces aient été faites ; les gardes trouveraient dans le désir de l'officier d'être conservé dans son grade une garantie suffisante contre de pareils écarts.

M. Vanden Branden de Reeth. - Messieurs, hier, au début de la séance, j'ai eu l'honneur de déposer un amendement conçu en ces termes :

« Chaque année, pendant la première quinzaine du mois de mai, un avertissement remis au domicile des gardes, indique pour toute la durée de la saison, les jours et heures fixés pour les exercices, les revues et les inspections d'armes. »

Messieurs, quelques mots suffiront pour faire connaître le but de mon amendement, qui tend à faire disparaître une des causes de réclamations les plus légitimes et les plus fondées ; inutile de faire observer que cet amendement concerne le côté pratique de la loi. Comme l'honorable M. de Renesse, comme l'honorable M. Van Grootven (auteurs d'amendements qui m'ont engagé à déposer le mien), je désire que les obligations des gardes civiques soient nettement définies et que l'on supprime tout ce qui aggrave inutilement le service.

L'on nous a dit à plusieurs reprises que les obligations imposées par la loi sur la garde civique étaient si peu importantes, si douces même, car je crois que l'on s'est servi de cette expression, que l'on ne pouvait pas se rendre compte des réclamations élevées à cet égard ; qu'en définitive, les obligations des gardes civiques se réduisaient à douze exercices, deux revues et deux inspections d'armes. Rien que cela ! Cela valait-il la peine d'en parler ?

Mais ces exercices ont lieu ordinairement le dimanche ; c'est donc seize matinées du dimanche consacrées à cet agréable passe-temps. Et savez-vous ce que font seize dimanches dans une année ? En prenant une moyenne de quatre dimanches par mois, cela fait quatre mois.

L'on m'objectera que le chiffre de douze exercices est rarement atteint. La note annexée au rapport de la sectiou centrale prouve que dans la plupart des localités l'on est resté en dessous de ce nombre. Cela est très vrai ; je ne le conteste nullement... Mais les choses se passent souvent de telle manière que quatre ou cinq convocations pour exercices en représentent dix ou douze en plus. Je m'explique.

Voici ce qui a lieu dans un grand nombre de localités :

L'on envoie, vers le milieu de la semaine, un billet de convocation indiquant que le dimanche un exercice doit avoir lieu, mais qu'en cas de mauvais temps, un signal quelconque fera connaître que cet exercice est remis au dimanche suivant.

Qu'en résulte-t-il ? C'est que tous les gardes qui ignorent, le jour de la réception du billet de convocation, le temps qu'il fera le dimanche, prennent toutes leurs dispositions pour se rendre ce jour-là aux exercices. Si l'on a une course à faire, on la remet ; si l'on a formé un projet, on l'ajourne ; si l'on est à la campagne, on rentre la veille en ville ; chacun se dérange pour la corvée du lendemain. Mais le mauvais temps survient, les exercices sont ajournés au dimanche suivant, et pour peu qu'il fasse mauvais plusieurs dimanches de suite, ce qui s'est déjà vu, pour un seul exercice vous êtes privé de votre liberté le dimanche pendant des mois entiers.

L'on a eu l'air de dire que la garde civique se composait de personnes en grande partie inoccupées pendant la semaine et que cette privation de la liberté, le dimanche, était peu de chose pour elles ; c'est là une vérirable erreur.

La garde civique se compose en très grande majorité, au moins dans nos villes de provinces, d'estimables citoyens très occupés pendant la semaine ; de petits commerçants, de petits industriels, de ce que nous appelons des hommes de métier, qui travaillent pendant toute la semaine et qui ont bien mérité le repos du dimanche.

Ces estimables citoyens que je viens d'énumérer employaient ordinairement le dimanche, seul jour autrefois libre pour eux, à se rendre dans les villes voisines, soit pour y faire de petites commandes ou des payements, soit pour y visiter un parent ou un ami, qui, eux aussi, ne peuvent disposer que de ce jour. Mais aujourd'hui le billet de convocation est là, il faut renoncer à disposer librement de son temps.

En adoptant mon amendement, vous ferez cesser en partie cet état de choses. Dès le commencement de la saison, car c'est ordinairement pendant les mois d'été que les exercices ont lieu, l'on connaîtra quels sont les jours fixés pour les exercices, l'on pourra én prendre note et l'on saura au moins, d'une manière positive, quels seront les jours que l'on devra consacrer à remplir ses devoirs civiques et quels seront ceux dont on pourra librement disposer.

J'ajoute en terminant que je ne pense pas que mon amendement puisse donner lieu à aucun inconvénient et qu'ainsi j'espère qu'il sera favorablement accueilli par la chambre.

(page 1069) M. Delehaye. - L'institution de la garde civique trouve sa garantie dans la Constitution ; j'ajouterai qu'elle la trouve dans le patriotisme qui anime tous les Belges, auxquels, j'en suis convaincu, on ne fera jamais vainement appel, quand il s'agira de défendre nos institutions, notre nationalité, notre indépendance. Est-ce une raison pour que l'organisation actuelle de la garde soit maintenue, telle qu'elle existe aujourd'hui ?

Pour moi, je n'hésite pas à dire que si l'organisation actuelle était maintenue, nous ne tarderions pas à voir disparaître l'institution.

Celui qui a l'honneur de parler devant vous a fait partie de la schuttery, de la garde civique et de la garde communale.

Il y a 20 ans passés que je me trouve dans cette position.

Eh bien, j'ai toujours reconnu, quoi qu'en ait dit mon honorable ami M. Manilius, que le service ne se faisait pas sans qu'il y eût des réclamations, que quelques officiers fatiguaient prifois les gardes par l'excès de leur zèle, et mon honorable ami conviendra (je fais un appel à sa loyauté) que sans son intervention plus d'un conflit eût éclaté.

Chaque fois que nos institutions paraîtront compromises, soyez sûrs que l'on ne fera pas vainement appel au courage des gardes civiques. Mais ils veulent que l'institution ait un caractère sérieux et si on les appelle uniquement pour donner à quelques officiers le plaisir de montrer leurs épaulettes, croyez bien qu'ils ne s'y prêteront pas longtemps.

La loi sur la garde civique envisage cette garde à un double point de vue : au point de vue de l'ordre intérieur et au point de vue de l'ordre politique, c'est-à-dire de la force militaire elle-même. Eh bien, je n'hésite pas à dire qu'au point de vue de la force militaire la garde civique ne répond que très imparfaitement au but de son institution.

Elle est excellente, au contraire, pour maintenir l'ordre. Or, pour assurer le maintien de l'ordre, il n'est pas nécessaire de savoir très bien l'exercice.

On a rappelé tantôt une fatale époque : on a dit qu'en 1834 la garde civique n'avait pas été convoquée. J'ignore jusqu'à quel point elle était alors organisée. Mais il est certain qu'elle n'a pas été réunie. Toujours est-il qu'à cette époque un certain nombre d'hommes établis se sont entendus, et ont déclaré que partout où il y aurait des troubles à craindre ils se transporteraient de leur personne, et immédiatement les troubles ont cessé. Vous vous rappelez ce qui est arrivé, à Gand, en 1848, lorsque des désordres, des dangers imminents se présentaient devant nous ; il a suffi du courage d'un caporal et du dévouement de quelques hommes pour tout faire rentrer dans l'ordre.

Il en sera toujours ainsi. Si la garde civique est destinée à maintenir l'ordre, à dissiper les attroupements, je la trouve suffisante. Que faut-il pour cela ? Faut-il astreindre à un grand nombre d'exercices tous les gardes de 21 à 50 ans ? Faut-il que le seul jour consacré au repos soit en grande partie consacré à des exercices fatigants ? Ce n'est ni dans nos mœurs, ni dans notre caractère, ni même dans la loi. Qu'a voulu la loi ? Examinons ce qu'elle devait être aux yeux du Congrès dont j'ai eu l'honneur de faire partie.

Je me rappelle fort bien que l'institution de la garde civique avait une tout autre portée. Vous en trouverez la preuve dans les rapports du Congrès.

Que voulait-on ? Une garde civique organisée pour lutter contre l'armée, dans le cas où le pouvoir aurait voulu, avec son concours, empiéter sur nos institutions, restreindre nos libertés.

Or, je suis heureux de le proclamer, il n'est personne aujourd’hui à la pensée de qui il puisse venir que jamais on ait besoin d’employer la garde civique à cet usage ; une expérience de 22 ans nous a appris que le pouvoir, loin d'être hostile à nos institutions, s'est complètement identifié avec elles.

Voyez, au contraire, ce qui s'est passé en 1848 : vous avez été saisis alors d'une loi qui a un caractère militaire et civil. Elle a été repoosséi pendant 3 ans, et si elle avait été mise de suite en discussion, elle aurait été rejetée ou considérablement modifiée. Sont survenus les événements de 1848 : nous nous croyions en présence de graves dangers ; la loi s'en est ressentie. La garde civique a été organisée comme une force destinée à repousser des dangers de l'extérieur et à assurer le maintien de l'ordre à l'intérieur.

La garde civique, institution constitutionnelle, ne sera réellement utile qu'à ce dernier titre. Comme auxiliaire de l'armée, je la considère comme pouvant être aussi nuisible qu'utile ; car on placerait à côté de l'armée des hommes qu'elle ne connaît pas, qui lui seraient suspects, ou tout au moins dans l'aptitude desquels elle n'aurait pas confiance.

J'ai l'honneur d'êlre lieutenant-colonel d'une légion de la garde civique de Gand. Je suis convaincu que, quel que soit le bataillon de ma légion ou de toute autre de la ville qui se présenterait devant une émeute, il suffirait pour rétablir l'ordre.

Pourquoi ? Parce que la garde civique est composée d'hommes connus de la population ouvrière de Gand, qui lui inspirent confiance, et qui au besoin sauraient employer la force. Je suis heureux de pouvoir rendre publiquement hommage au patriotisme de la garde et au bon sens de la population.

Je donnerai mon assentiment à toutes les propositions qui seront faites en vue d'alléger le service, à la proposition de l'honorable M. de Perceval, à toutes les propositions faites par M. le ministre de l'intérieur. Ici qu'il me soit permis de faire une remarque : comment se fait-il que ceux mêmes qui ont voulu soutenir la loi de 1848, qui la trouvaient parfaite, pour qui elle était une arche sainte à laquelle on ne toucherait pas impunément, ont dû cependant reconnaître ses défauts ? Et hors de cette enceinte même, à Gand où l'on a cherché à concilier le plus les exigences du service avec les convenances des gardes, le chef de la commune a dû reconnaître que les sacrifices qu'elle imposait étaient trop lourds.

M. le ministre de l'intérieur a exposé une longue série de griefs qu'il se propose de redresser adminislrativcment. J'ai eu d'abord la pensée de proposer sur les dispositions soumises à la chambre un ordre du jour motivé sur les intentions annoncées par M. le ministre de l'intérieur. Je ne l'ai pas fait, parce qu'en y réfléchissant j'ai compris que nous ne devons pas désirer que les lois soient modifiées par des arrêtés.

Je pense et je suis convaincu à présent après étude, qu'il est impossible que vous limitiez le nombre d'exercices par des arrêtés, parce que la loi est là. Je crois qu'il est impossible que par des arrêtés vous réformiez d'autres dispositions encore. Force nous est donc de le faire par une loi.

D'ailleurs, n'avons-nous pas quelque intérêt à ne modifier une de nos institutions que par une loi ?

N'introduisons pas, messieurs, dans nos mœurs, dans nos usages, cette habitude qui existe dans d'autres pays, de modifier les institutions par des arrêtés.

Nous ne connaissons pas cette manière de faire, repoussons-la ; il ne faut pas qu'elle s'introduise parmi nous.

Mon honorable ami, M. Loos, a exprimé sa minière de penser, sur ce qu'il y aurait à faire dans cette circonstance. Il est d'avis qu'il faudrait renvoyer toutes les propositions à M. le ministre de l'intérieur, afin qu'il nous saisisse d'un projet de loi à la session prochaine.

Messieurs, cette proposition ne peut être prise au sérieux, et voici pourquoi.

Nous, officiers de la garde civique, nous avons reçu un mandat.

Ce mandat expire le mois prochain. La loi actuelle impose le devoir de convoquer les gardes pour de nouvelles élections. Qui donc se présentera pour obtenir un mandat qui peut-être ne durera que quelques mois ? Vous savez, messieurs, que l'honneur de porter les épaulettes se paye assez cher. Or, pour ne jouir de cet honneur que pendant quelques mois, beaucoup de personnes très convenables pour l'emploi d'officier pourront reculer.

Pour moi, ce qu'il y a de mieux à faire, c'est de renvoyer tous les amendements à la section centrale et non au gouvernement. Je ne propose pas de les renvoyer au ministre, non par défiance, mais, messieurs, parce que M. le ministre, qui n'est au pouvoir que depuis peu de temps, est en présence de trop de besogne pour pouvoir saisir, dans la session actuelle, la chambre d'un projet de loi sur la matière. Il lui reste beaucoup de questions à examiner. L'industrie et le commerce réclament une partie notable de son temps ; d'autres questions qui seront soumises incessamment à la chambre nécessiteront aussi un examen sérieux de sa part. M. le ministre de l'intérieur ne pourrait donc nous présenter un projet que dans la session prochaine.

M. Loos. - Ma proposition limite le temps.

M. Delehaye. - Je le sais. Mais si M. le ministre de l’intérieur vient nous dire qu'il n'a pas eu le temps, qu'il s'est trouvé en présence (page 1070) de questions plus importantes, qu'arrivera-t-il ? M. le ministre ne nous a-t-il pas dit qu'il avait aussi à examiner le projet sur les brevets d'invention ? Il croyait la chose facile, et après une première étude, il a reconnu que la question soulevait de très grandes difficultés. M. le ministre a eu raison ; il ne suffit pas de consulter son zèle. Il faut se tenir dans la limite du possible.

Je crois donc que vous ne pouvez renvoyer au gouvernement la solution de la question qui nous occupe. J'aime mieux que la chambre la décide elle-même. D'ailleurs, pourquoi la chambre n'userait-elle pas de son initiative ? Elle est saisie d'un projet. Ce projet a été soumis à l'examen des sections et de la section centrale. On propose des amendements ; ces amendements examinons-les.

Je voudrais donc que tous les amendements fussent renvoyés à la section centrale. Elle examinerait de nouveau ; elle entendrait les explications des auteurs des amendements, et elle vous présenterait un projet sur lequel nous statuerions.

Je crois, messieurs, qu'il est important dans ce moment de faire cesser toute réclamation dans le pays. Si vous ne mettez pas un terme à ces réclamations, elles se renouvelleront avec plus de gravité, et si, comme le dit l'honorable M. Loos, on n'a pas fait de menaces, il serait possible qu'on eût plus tard recours à ce moyen. Et que l'honorable membre ne s'y trompe pas : à Gand, on n'a fait de menaces que je sache, ni pour, ni contre le pétitionnement. On a agi avec une entière liberté dans cette affaire, on a eu confiance dans le bon sens de la législature. Il ne peut pas en avoir été de même paertout. M. Loos ne comprend pas qu’on ait employé des menaces. Mais, messieurs, on pourrait contraindre des gardes pour d’autres motifs que le service de la garde civique.

Il pourrait se faire que des gardes eussent quelque chose à attendre, d'un officier, qu'il eût quelque chose à espérer ou à craindre.

M. Loos. - Et vice versa.

M. Delehaye. - Incontestablement. Mais vous pourriez avoir un pétitionnement nouveau, plus violent ; c'est ce que je veux éviter, et je tiendrai à ce résultat en prenant les mesures que j'ai indiquées.

Ainsi, messieurs, je demande que tous les amendements soient renvoyés à la section centrale, et que celle-ci nous fasse un rapport sur lequel nous puissions définitivement résoudre la question.

(page 1066) M. Roussel. - Je crois, messieurs, qu'il est inutile de faire de nouvelles protestations en faveur de la garde civique, car il m'est avis que la meilleure protestation en ce sens doit consister dans la recherche des moyens les plus propres à organiser l'institution en satisfaisant aux légitimes demandes des citovens et aux justes exigences de l'Etat.

Des soulagements dans le service devenu trop onéreux nous sont demandés par un grand nombre de gardes civiques du royaume. Il paraît que les travaux de la garde citoyenne ont été exagérés par des causes qu'il est inutile de rechercher. Je ne fais point dédain, messieurs, des pétitions qui vous ont été adressées. Lorsqu'il s'agit d'une institution comme la garde civique, institution essentiellement populaire, qui doit puiser dans ses rapports avec les masses et avec l'assentiment public une grande partie de sa force, j'estime que les pétitions ne doivent point être dédaignées.

En présence des vœux manifestés dans cette enceinte et au-dehors, il est impossible de ne point apporter quelques modifications au régime introduit par la loi de 1848 et de ne pas s'efforcer d'approprier l'institution de la garde civique à nos habitudes actuelles ainsi qu'aux besoins du moment.

Telle qu'elle était organisée par la loi de 1848, la garde civique présentait certes des avantages nombreux à l'époque où cette loi fut discutée. Aujourd'hui nous nous trouvons au milieu d'autres conjonctures ; il est assez naturel que les citoyens demandent quelque allégement aux sacrifices qu'ils ont faits momentanément pour le maintien de l'ordre, alors menacé. Pourquoi devraient-ils continuer indéfiniment de tels sacrifices lorsque le besoin ne s'en fait plus sentir ?

Reste à savoir, messieurs, ce qu'il faut faire.

Il faut accorder des allégements, à qui ? Je réponds qu'il les faut accorder surtout aux hommes de 35 à 50 ans.

C'est pour nous un véritable devoir, 1° parce que leur âge leur y donne droit, 2° parce qu'ils ont en leur faveur la présomption légale de connaissances militaires suffisantes par un service dans la garde civique, depuis 21 jusqu'à 35 ans. Evidemment ils savent ce qui est indispensable de connaître pour remplir un service militaire bien moins parfait que celui de l'armée.

Je ne refuse pas, messieurs, aux hommes de 21 à 35 ans toute espèce de garanties contre l'amour-propre des chefs, contre le désir que certains officiers peuvent éprouver de multiplier les exercices au-delà de toute mesure, mais je veux que la loi soit débonnaire, douce surtout pour les hommes qui ont atteint leur 35ème année. Que faut-il pour atteindre ce but ?

Une première nécessité se présente. Vous devez conserver ces hommes dans les rangs de la garde civique pour le cas où l'ordre, serait menacé.

En effet, ces hommes plus âges ont une influence plus grande à raison de leur âge, de leur position, sur les masses populaires avec lesquelles ils peuvent se trouver en contact. Vous devez encore les maintenir dans les cadres pour conserver à la garde civique son caractère imposant, son influence morale. Et ici je suis amené à dire un mot des revues.

Les revues ont été trop dépréciées. A certains moments les citoyens doivent se revêtir de leur uniforme, se montrer armés et réunis sur la place publique.

Leur masse imposante fait qu'alors la nation se glorifie elle-même dans sa force et dans le bonheur de s'appartenir. Cela sera, messieurs, aussi longtemps que la Belgique possédera une nationalité indépendante, une nationalité digne de vivre.

Il faut donc que les hommes de 35 à 50 ans restent dans les rangs de la garde civique, non seulement pour aller au-devant de l'émeute, si malheureusement elle venait à se produire, mais aussi pour montrer àt la nation belge, dans les grandes solennités, qu'elle existe, et qu'elle existe avec toute la vitalité qui lui est indispensable ; pour témoigner aussi devant l'étranger de cette vie commune et libre qui nous appartient.

Mais est-il nécessaire pour cela que ces hommes de 35 à 50 ans assistent à ces nombreux exercices que la loi de 1848 leur a imposés en ne faisant aucune distinclion entre ce que l'honorable M. Dumortier a appelé avec raison le 2ème ban, et la partie de la garde composée d'hommes plus jeunes ? Faul-il que les gardes continuent pendant toute leur vie à subir douze exercices par année ?

Messieurs, lorsqu'on a fait partie de la garde civique depuis 21 jusqu'à 35 ans, il y a présomption légale de toutes les connaissances militaires indispensables soit pour aller au-devant de l'émeute, contre laquelle la garde civique doit agir plus encore par la persuasion que par la force, soit pour assister aux revues où les manœuvres sont infiniment moins compliquées moins scientifiques pour la garde citoyenne que pour l'armée.

J'en suis donc arrivé, messieurs, à considérer la proposition de la section centrale comme réalisant autant qu'il est possible de le faire les (page 1067) idées très justes, très saines, très droites qui ont été exposées hier par un homme certes bien expérimenté en cette matière, par mon honorable ami M. Dumortier.

L'honorable membre a demandé la division de la garde en deux bans ; mais cette division, mise en rapport avec l'effectif des compagnies, devient fort difficile, sinon impossible à effectuer, et l'honorable M. Dumortier lui-même en est convenu.

En effet, tous les ans, dans chaque compagnie, il est des hommes qui acquièrent leur 35ème année et le nomhre de ceux qui se trouvent dans ce cas est souvent bien différent du nombre des hommes qui atteignent leur 21ème année et qui devraient remplacer les premiers, il ne faut pas oublier que les compagnies se forment par quartiers territoriaux. Il arrivera donc que, dans un quartier, dix gardes sortiront du premier ban tandis qu'il n'en entrera point de nouveaux et la compagnie deviendra tout à fait incomplète. Evidemment une garde civique ainsi organisée ne pourrait pas atteindre le double but que je viens d'assigner à cette institution.

Force nous est donc bien, messieurs, de conserver les cadres pour une garde civique unique, mais cela n'empêche pas de proportionner le service imposé à chacun, à la position particulière qu'il occupe.

Sous le rapport de l'influence morale de l'institution constitutionnelle, la proposition de la section centrale fait tout ce qui est possible. Partout où la garde citoyenne peut être véritablement utile, où sa présence influe sur la nation elle-même, où elle peut être appelée à prévenir ou empêcher des atteintes à l'ordre public, dans toutes ces occasions tout le monde est présent ; toute la population de 21 à 50 ans est sous les armes.

Mais où n'est-elle point ? Daus les exercices purement privés, dans les rapports de chaque compagnie avec son capitaine, rapports qui ont lieu sur une petite place, en l'absence de tout spectateur. Eh bien, pourquoi soumettriez-vous à ces exercices des gens qui sont à même de rendre tous les services qu'on peut exiger d'eux sans cela ?

Ce n'est pas cependant que je croie devoir opposer le moins du monde à un amendement qui aurait pour objet d'exiger de ces citoyens de 35 à 50 ans, par exemple, un exercice par année sans plus. Une telle disposition préparerait et faciliterait les revues solennelles : elle imprimerait de l'ensemble aux manœuvres publiques de la garde tout entière.

D'après nous, messieurs, ce système satisfait a tous les besoins. Il répond au tempérament de la jeunesse qui est portée à l'activité et à qui l'activité est nécessaire. Ainsi jusqu'à l'âge de 35 ans, les exercices de la garde civique, que d'ailleurs je ne veux pas trop nombreux, sont favorables à la santé ; ce sont des exercices gymnastiques qu'il ne faut pas dédaigner, et qui ne deviennent gênants que pour les hommes d'un âge plus avancé, plus portés au repos, et à qui leur position ne permet plus autant de zèle.

Mais pour les jeunes gens, il me semble qu'un certain nombre d'exercices pendant la bonne saison doivent être maintenus.

D'ailleurs, messieurs, la patrie impose aussi des devoirs. Tout n'est pas que plaisir et satisfaction dans la qualité de citoyen. Il faut savoir donner quelque chose à son pays. Je ne puis admettre qu'un homme de 21 à 35 ans refuse toute espèce de sacrifice à l'ordre public et à la majesté nationale.

Je crois donc, messieurs, que la proposition de la section centrale est tout ce que les pétitionnaires pouvaient justement réclamer.

Au surplus, je partage l'avis de l'honorable M. Delehaye, qui a reconnu dans les pétitions un caractère sérieux : elles démontrent qu'un grand nombre de gardes sont fatigués des exercices nombreux que la loi actuelle leur impose. Dès lors, si vous voulez populariser l'institution de la garde civique et conserver de nouveau l'importance que le congrès national y a attachée en l'instituant par la Constitution elle-même, vous êtes obligés de faire quelque chose pour les citoyens qui ont réclamé ; mais vous devez raisonner la concession que vous allez faire. Or, je crois avoir justifié complètement la proposition que la section centrale a présentée ; je crois que si quelque amendement était adopté, pour astreindre à un ou à deux exercices par année les hommes de 35 à 50 ans, vous donneriez par l'adoption des propositions de votre section centrale satisfaction à tous les besoins et à tous les intérêts et vous auriez introduit dans la loi une réforme vraiment utile.

M. le président. - M. Delehaye, est-il dans votre pensée que le renvoi des amendements à la section centrale soit immédiat et arrête la discussion ?

M. Delehaye. - Il y a deux opinions en présence ; l'une qui pense qu'il ne faut pas toucher à la loi ; l'autre qui est d'avis, au contraire, qu'il faut la modifier ; je demanderai qu'on vole d'abord sur cette question de principe : modifiera-t-on ou non la loi sur la garde civique ? (Interruption.)

Pour répondre à la question qu'a bien voulu me faire M. le président, je dirai que, dans ma pensée, le renvoi que j'ai proposé ne s'applique qu'aux amendements qui ont été développes et appuyés ; que la discussion doit continuer quant aux autres amendements.

M. Van Overloop. - Messieurs, d'après les développements qu'a donnés tout à l'heure l'honorable M. Loos à sa motion, qui n'était que la reproduction de celle que la chambre a rejetée vendredi dernier et dont j'étais l'auteur, il semblerait qu'en voulant modifier la loi sur la garde civique, on ait en vue de battre en brèche une institution constitutionnelle. Je ne relèverai pas cette argumentation : les honorables M. Dumortier et M. Delehaye y ont répondu trop victorieusement, et tous les membres de la chambre protestent contre cette pensée. On ne peut accuser personne ici de vouloir porter atteinte à une institution constitutionnelle, en modifiant la loi du 8 mai 1848.

Messieurs, une seule observation suffira pour vous le faire comprendre : Il faudrait admettre que le congrès lui-même qui n'a pas fait la loi de 1848, mais qui a fait celle de 1831, ne voulait pas d'une institution constitutionnelle. Il est donc évident que, tout en voulant modifier la loi de 1848, on ne veut pas modifier une institution constitutionnelle.

Qnoi qu'il en soit, dans quelles circonstances la loi de 1848 a-t-elle été faite ? On était sous l'empire de la loi de 1845 sur l'organisation de l'armée ; on était dans cet ordre d'idées, qu'il suffisait, pour la défense du pays, d'une armée de 80,000 hommes, plus 20,000 gardes civiques. C'est sous l'empire de cette préoccupation qu'on a fait la loi de 1848. Nul ne le contestera.

Comme l'honorable M. Rogier lui-même l'a fait observer, cette loi était élaborée depuis 1845, c'est-à-dire à une époque qui remonte au vote de la loi sur l'organisation de l'armée. Voilà ce qui explique la double mission que la loi de 1848 assigne à la garde civique. Cette double mission, c'est le maintien de l'ordre à l'intérieur, et le maintien de l'intégrité du territoire, de l’indépendance nationale contre l'extérieur.

Mais si, comme le gouvernement le prétend lui-même aujourd'hui (circonstance que j'ignorais lors de ma motion de vendredi dernier), le concours de la garde civique pour la défense du pays est une chose impossible ; si, d'après l'opinion exprimée par les personnes les plus compétents (car je ne prétends pas être expert en matière militaire), ce concours serait plus nuisible que favorable à la défense du territoire, où arrivez-vous ? Vous vous trouvez en présence d'une loi que vous avouez vous-mêmes avoir été faite en conséquence d'un ordre de choses qui n'existe plus ; eh bien, si la loi du 8 mai 1848 a été faite en conséquence d'un ordre de choses qui n'existe plus, vous devez reconnaître qu'il y a d'excellentes raisons pour modifier profondément la loi sur la garde civique.

Je dis profondément, et pourquoi ? Parce qu'en définitive on sait bien que si on organise la garde civique uniquement pour le maintien de l'ordre à l’intérieur, il n'est plus nécessaire que les gardes soient façonnés au métier de soldat. 1848 n'a-t-il pas répondu d'une manière éclatante à ceux qui pensent que la garde civique doit être rompue aux exercices ? Esl-ce que les hommes qui, dans ces circonstances si graves, ont payé de leur personne et maintenu l'ordre connaissaient l'exercice ?

Douze exercices par an, au point de vue des corvées qui en résultent pour la garde civique, c'est trop ; au point de vue de l'instruction militaire, ce n'est rien. Le soldat, exercé depuis le 1er janvier jusqu'au 31 décembre, peut à peine se former, et vous voulez que des gardes civiques qui font l'exercice 12 fois par an, manœuvrent comme des soldats !!

Si l'on considère donc que la loi de 1848 a été faite sous l'empire de la loi de 1845 sur l'organisation de l'armée, et que l'ordre d'idées qui vous préoccupait en 1848, n'existe plus, il y a lieu de modifier profondément la loi sur la garde civique.

Voilà la première considération que j'avais à soumettre à la chambre. Il me reste à en présenter une seconde.

Je tiens d'autant plus à diminuer le plus considérablement possible le service de la garde civique qu'il en résulterait pour les contribuables une très grande économie, que l'honorable M. de Renesse évaluait tantôt à 4 millions.

Cette économie ne fût-elle même que d'un million, on pourrait l'employer très utilement à renforcer l'armée ; car, remarquez-le bien, la différence entre les cadres organisés pour une armée de 80 mille hommes et les cadres organisés pour une armée de 100 mille hommes n'est au plus que de 800 mille fr.

Diminuez les charges de la garde civique, et le contribuable sers beaucoup plus disposé - il l'est déjà par patriotisme - à fournir au gouvernement les fonds nécessaires pour mettre notre armée en état de faire face sans sourciller à tous les événements.

Je ne crains pas notre armée, je ne crains pas l'homme qui, à toute heure du jour et de la nuit, est prête à verser son sang pour le pays, je ne suis pas de ceux qui prétendent que la garde civique est un contrepoids à l'armée ; j'ai toute confiance dans les sentiments qui animent nos soldats belges, ils sont aussi dévoués à nos institutions nationales que peut l'être la garde civique.

D'un autre côté, avec l'armée, vous atteindrez avec beaucoup plus d'efficacité le double but qu'on voulait assigner à la garde civique, vous assurerez plus énergiquement le maintien de l'ordre à l'intérieur, et en même temps vous donnerez à la défense du territoire national des garanties qui ne se trouvent que dans une armée fortement organisée.

Voilà les deux seules observations que je voulais soumettre à la chambre.

M. le président. - M. Magherman vient de déposer un amendement ainsi conçu :

« Seront également exempts, dans les communes où la garde civique n'est pas organisée, les citoyens qui lors de la première organisation auront atteint l'âge de 40 ans. »

Un autre amendement est déposé par M. Lesoinne :

« Les gardes suffisamment instruits ayant atteint leur 35ème année ne peuvent être astreints à plus d'un exercice par année. »

M. de Mérode. - Messieurs, l'honorable M. de La Coste et d'autres encore, ont parfaitement défini le mode d'existence applicable (page 1068) à la garde civique, institution qui se relève quand le besoin s’en fait sentir exceptionnellement, et qui tend au repos lorsque la paix intérieure n'est point exposée à des perturbations.

Mais le repos, j'en conviens, ne doit pas être transformé en anéantissement. Il doit être semblable au sommeil de celui qui jouit de la santé et se trouve susceptible d'un prompt réveil, quand il est à propos de veiller.

L'honorable M. de Man et M. Vanden Dranden de Reeth ont cité des faits exacts qui prouvent que l'on rend la garde civique très onéreuse mal à propos, et il a formulé des articles qui maintiendraient les exercices et revues dans des limites suffisantes pour que la garde subsiste sans qu'elle soit livrée à d'inutiles fatigues, à dès assujettissements non motivés.

Avec ces tempéraments, la force publique que peut présenter la garde civique en cas de besoin sera conservée et cet établissement ne sera plus un sujet de plaintes. Je ne désire pas la division de la garde en deux bans, je ne demande pas l'exemption des hommes mariés qui n'ont pas atteint 35 ans, ni même la cessation du service avant 45 ans, mais seulement le dégrèvement des exercices dont l'institution n'a pas besoin, et je suis d'avis que les gardes civiques dont l'âge dépasse 35 ans ne devraient plus être astreints qu'aux revues et inspections d'armes, plus un exercice indiqué par M. Roussel.

L'honorable M. Rogier a une sympathie trop persistante pour les choses qu'il a conçues, quand même elles sont onéreuses au trésor public et aux particuliers.

Il faut que chacun accepte la modification de ses plans, lorsque leur mise en pratique présente des inconvénients plus ou moins sérieux. L'amour-propre bien placé est celui qui tend, non point à se poser comme infaillible, mais comme corrigible, et puisque nous sommes exposés à des erreurs, la plus belle des qualités est d'être capable de ne pas y tenir et de réformer ses conceptions et sa personne jusqu'au dernier jour de sa vie.

Nous jouissons ici de beaucoup de libertés politiques ; mais la liberté personnelle, la liberté naturelle est loin d'être aussi respectée parmi nous. C'est ainsi que la liberté de se faire guérir gratuitement, liberté bien précieuse pour le pauvre surtout, vient encore de subir en Belgique de nouvelles entraves au profit des docteurs et des vétérinaires ; la liberté de la charité est dans un état qu'un arrêt vient heureusement de desserrer quelque peu. La loi sur la garde civique, telle qu'elle existe, prive encore sans nécessité l'individu jusqu'à 50 ans de la faculté de disposer de son dimanche, soit pour l'assistance aux offices religieux, soit pour jouir, après avoir passé toute la semaine à la ville, de la faculté de se rendre le samedi soir chez quelque ami ou parent à la campagne, ou même de s'absenter ainsi pour affaires. Croire qu'il n'y a pas là une gêne considérable, c'est ignorer ce qu'est la vie pratique, c'est oublier la valeur des récréations légitimes dont les hommes out droit de jouir quand ils le peuvent après le travail.

Puis vous croyez les avoir dédommagés de la perte de ces délassements parce que vous laissez au journaliste le libre plaisir de se récréer aux dépens de leur réputation et leur accordez le droit de poursuivre ensuite à leurs frais l'auteur de la diffamation avec une dépense assez forte dont rien ne leur garantit le payement, quand même ils obtiendraient gain de cause, et sans compter l'incomparable ennui de ces démarches processives.

Voulant donc, comme je l'ai déjà dit, messieurs, rendre le gouvernement constitutionnel durable par les avantages qu'il peut offrir et les garanties qu'il doit aux citoyens contre les vexations, sous peine de ne pas remplir leurs espérances, je voterai pour les articles d'une loi sur la garde civique, modifiée de manière à ce qu'elle ne soit pas inutilement compressée.

M. Prévinaire. - Je ne m'occuperai point de la loi organique de la garde civique ; je panse que nous avons déjà consacré beaucoup de temps à cette question, et me renfermant dans les deux motions d'ordre de MM. Loos et Delehaye, j'appuierai celle de l'honorable M. Loos, qui a pour objet le renvoi de tous les amendements de M. le ministre de l'intérieur.

Dès le début de la discussion mon opinion était formée sur l'objet soumis à vos délibérations, c'est-à-dire la proposition de M. Landeloos, amendée par la section centrale.

Je considérais dès lors comme anormal de voir introduire au sein du parlement une question aussi grave que celle d'opérer la réforme d'une partie constitutive de la force publique.

Contrairement aux vues du gouvernement, une semblable question me paraît, en effet, rentrer essentiellement dans les attributions du gouvernement.

Mon opinion s'est fortifiée en présence des nombreux amendements déposés, dont la chambre me paraît peu propre à apprécier la portée.

Lorsqu'il y a quelques années, des membres de cette chambre réclamaient la révision de l'organisation de l'armée, c'était précisément des bancs d'où partent aujourd'hui les demandes de modifications à l'organisation de la garde civique qu'on opposait l'inopportunité d'aborder une question de cette nalure en opposition aux vues du gouvernement.

Les rolês sont aujourd'hui intervertis, seulement les institutions sont différentes. Je veux, moi, rester conséquent avec l'opinion que j'ai émise alors.

J'ai rejeté plusieurs fois le budget de la guerre, parce que je trouvais qu'il devait être modifié ; mais quand la chambre eut à se prononcer sur la question de savoir si l'on procéderait à une réorganisation de l'armée, je me suis abstenu parce que je trouvais que le parlement ne pouvait pas se prononcer convenablement sur une semblable matière, sans une enquête gouvernementale préalable.

Je comprends que les membres qui votaient affirmativement sur la question de savoir s'il y avait lieu de modifier l'organisation de l'armée, se prononcent sur la modification de l'organisation de la garde civique ; ils sont conséquents en agissant d'une manière tout à fait indépendante dans cette question ; mais ceux qui combattaienl la proposition de réorganisation de l'armée «ont en contradiction avec eus-mêmes, quand ils proposent de modifier seuls l'organisation de la garde civique.

Une question de cette gravité ne peut pas être tranchée sans l'intervention du gouvernement.

M. le ministre a reconnu qu'il y avait quelque chose à faire quant à l'application de la loi. Il pourrait nous saisir d'une proposition traduisant en loi ce qu'il annonçait vouloir faire au moyen d'une instruction ministérielle ; de cette manière, il serait fait droit aux griefs les plus fondés.

Je ne suis pas un admirateur absolu de la loi organique actuelle de la garde civique ; je reconnais qu'il y a des réformes à y introduire, mais si vous voulez faire au gouvernement la part qui lui revient en pareille matière, vous devez attendre qu'il use de son initiative ou du moins lui laisser le temps d'examiner la question et d'éclairer la chambre sur les conséquences des divers systèmes qui résultent des amendements déposés.

J'appuie donc la motion de l'honorable M. Loos.

- Plusieurs voix. - La clôture ! la clôture !

M. Dumortier (contre la clôture). - Je désire pouvoir dire deux mots à la chambre. Dans la séance d'hier, j'ai indiqué un système de division de la garde civique en deux bans. Ma pensée n'a pas été parfaitement comprise, plusieurs de mes honorables collègues m'ont prié de la formuler. Je demande à pouvoir la formuler et l'expliquer en deux mots.

M. Osy (contre la clôture). - J'avais demandé la parole pour répousser la proposition de M. Loos. Si la clôture n'est pas prononcée, je demande à conserver mon inscription.

M. Lesoinne. - L'amendement que j'ai déposé n'a pas été développé ; j'aurais très peu de chose à dire, car il a été développé par M. A. Roussel. Si on veut le renvoyer à la section centrale, je n'insisterai pas pour le développer, mais il faut qu'il soit appuyé.

M. le président. - Si la clôture et le renvoi sont prononcés, tous les amendements déposés, même ceux qui n'ont pas été développés, seront renvoyés à la section centrale.

M. Magherman. - J'ai déposé un amendement ayant un objet tout différent de tous ceux qui jusqu'ici ont été soumis à la chambre, je n'aurai que deux mots à dire pour le développer.

L'article 5 de la loi du 8 mai 1848 dispose : « que la garde est active dans les communes ayant au moins une population de 3,000 âmes, et dans les villes fortifiées ou dominées par une forteresse. »

Or, jusqu'ici la garde civique n'a été organisée que dans un petit nombre de communes où, d'après la disposition précitée, elle devrait être en activité : le gouvernement peut donc tous les jours prendre des dispositions pour satisfaire au vœu de la loi dans les communes jusqu'ici exemptées.

L'objet de mon amendement est une espèce de disposition transitoire ayant en vue les communes de cette catégorie. Il consiste à exempter dans ces communes, lors de la prochaine organisation si elle a lieu, les citoyens qui auront atteint l'âge de 40 ans.

Vous sentez, messieurs, qu'un homme parvenu à cet âge ne se fait plus au maniement des armes comme le jeune homme ; que la position de celui qui est parvenu à l'âge de 40 ans n'est pas la même que celle du garde qui, rompu aux exercices militaires pendant sa jeunesse, n'a plus, à l'âge de 40 ans, qu'à répéter de temps à autre ce qui lui est devenu familier. Mon amendement tend à exempter ces hommes. D'ailleurs cet amendement n'a qu'un caractère purement temporaire ; au bout de six ans, son objet aura entièrement disparu ; il est d'ailleurs subordonné à la non-adoption de la proposition de M. Landeloos ou à celle de M. de Perceval.

Je dois ajouter, en outre, qu'il est très onéreux pour des hommes parvenus à l'âge de 40 à 49 ans, et qui n'ont d'après la loi actuelle qu'un très court terme à fournir dans la garde citoyenne, de devoir s'équiper pour un temps aussi restreint.

J'avais d'autres considérations à présenter ; mais j'ai promis d’être court. J'espère que ce peu de mots suffiront pour avoir fait comprendre à la chambre toute l'importance de mon amendement.

M. le président. - Voulez-vous renvoyer cet amendement à la section centrale ? (Oui ! oui !)

M. Dumortier se lève.

M. le président. - Vous avez développé votre premier amendement. Celui-ci n'en est que la conséquence.

M. Dumortier. - Je voudrais seulement répondre à une objection qui m'a été faite par plusieurs de mes collègues.

(page 1069) M. le président. - Vous pourrez être entendu dans la section centrale.

M. le ministre de l'intérieur (M. Piercot). - Je demande la parole contre la clôture.

M. le président. - Vous avez le droit de parler.

M. le ministre de l'intérieur (M. Piercot). - Avant que le chambre renvoie quoi que ce soit à la section centrale, je désirerais avoir l'honneur de présenter des observations fondées sur le cours de la discussion ; car je n'ai pas renoncé à obtenir dans cette chambre une majorité pour un système qui, je le crois, fera droit aux réclamations dirigées contre la loi. Mais j'ai voulu entendre la série entière des amendements avec leur développement. Demain, j'aurai l'honneur d'exposer le système que je crois propre à faire cesser toutes les plaintes.

- La discussion est continuée à demain.

M. Rogier (pour un fait personnel). - Je demande pardon à la chambre de la retenir une minute pour m'expliquer sur un fait personnel.

L'honorable M. de Mérode m'a traité assez durement, je ne sais pourquoi : il m'a représenté comme ayant un amour-propre incorrigible ; comme tenant à tout ce que j'ai fait au point de ne pas vouloir, par amour-propre, que l'on y touche. Mais j'ai commencé par une déclaration toute modeste. Je ne réclame pas la paternité de la loi. J'ai rappelé qu'elle a été proposée en 1845 et votée en 1848 par la chambre, presque sans aucun changement. Ce n'est donc pas mon œuvre.

Je ne suis pas si absolu qu'on veut bien le dire, puisque je me rallie à l'amendement déposé par l'honorable M. Lesoinne, qui n'est d'ailleurs que le résumé de ce que j'ai eu l'honneur de dire à la chambre. Je déclare me rallier à cet amendement qui ne fait que modifier légèrement la proposition de la section centrale.

- La séance est levée à quatre heures trois quarts.