Accueil Séances Plénières Tables des matières Biographies Livres numérisés Note d’intention

Chambres des représentants de Belgique
Séance du jeudi 21 avril 1853

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1852-1853)

(Présidence de M. Delfosse.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 1105) M. Maertens procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.

La séance est ouverte.

M. Vermeire donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Maertens fait connaître l'analyse des pétitions adressées à la chambre.

« Les échevins, des conseillers communaux et des habitants de Kemseke demandent la révision de la loi électorale. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Les bourgmestre, échevins et conseillers communaux de Carnières prient la chambre d'accorder au sieur Rasquin la concession d'un chemin de fer de Beaume à la Sambre et à la ligne ferrée d'Entre-Sambre-et-Meuse. »

- Même renvoi.


« Les chefs de ménages du hameau d'Eyzeringen demandent que ce hameau soit érigé en commune distincte de Lennick-St-Quenlin dont il dépend. »

- Même renvoi.


« Le conseil communal de Jauchelette déclare adhérer à la pétition du conseil communal de Jodoigne relative à la construction d'un chemin de fer de Jemeppe à Diest, avec embranchement de Gembloux à Fleurus. »

- Même renvoi.


« Le conseil communal de Dieghem demande qu'il ne soit apporté aucune modification à la loi électorale. »

« Même demande de l'administration communale et d'électeurs à Othée. »

« Même demande de l'administration communale et d'électeurs à Saint-Siméon. »

M. le président. - Je pense que toutes les pétitions relatives à la loi électorale doivent être renvoyées à la commission des pétitions du mois de mars. Il est inutile d'avoir deux commissions et deux rapports pour la même question.

Puisqu'il n'y a pas d'opposition, cette pétition est renvoyée à la commission de mars. Il en sera de même des pétitions sur le même objet qui ont été analysées hier.


« Des habitants de Molenbeek-Wersbeek demandent que les élections aux chambres se fassent au chef-lieu du canton, et que le cens électoral pour les villes soit augmenté. »

« Même demande d'électeurs à Suerbempde. »

- Même renvoi.


« Des habitants de Mehaigne demandent que les districts électoraux pour les nominations aux chambres soient composés de 40,000 âmes nommant chacun un représentant, et que l'élection se fasse au chef-lieu du canton. »

- Même renvoi.


« Des électeurs à Hechtel demandent que les élections aux chambres se fassent au chef-lieu du canton. »

- Même renvoi.


« L'administration communale de Foix-les-Caves déclare adhérer à la pétition du conseil communal de Jauche relative à la construction d'un chemin de fer des bassins houillers de Charleroi à Landen. »

« Même adhésion des bourgmestre, échevins et conseillers communaux à Noduwez-Linsmeau. »

« Même demande des bourgmestre, échevins et conseillers communaux d'Orp-le-Grand. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Labarre, rédacteur en chef de la Nation, se plaint de ce que la vente de ce journal a été interdite dans les stations du chemin de fer de l'Etat. »

- Même renvoi.


« Messages du sénat faisant connaître l'adoption par cette chambre du projet de loi portant suppression de droits et de prohibitions de sortie et d'un projet de loi qui ouvre au département des travaux publics un crédit de 4,880,000 fr. »

- Pris pour modification.


- M. Allard, obligé de s'absenter pour affaires urgentes, demande un congé d'un jour.

- Le congé est accordé.

Projet de loi augmentant le personnel de la cour d’appel et du tribunal de Bruxelles

Motion d'ordre

M. de Muelenaere (pour une motion d’ordre). - Vous savez, messieurs, que d'après la loi du 15 juin 1849, le personnel de la cour d'appel de Bruxelles devait être réduit de 27 à 21 conseillers. Cette réduction ne devait avoir lieu qu'à mesure des vacances. Deux conseillers ont été mis en disponibilité ; deux autres sont décédés. Le nombre des conseillers est donc actuellement encore de 23. Par un projet de loi déposé avant-hier sur le bureau, on vous propose d'augmenter le personnel de la cour d'appel de deux conseillers et d'un avocat général, et le personnel du tribunal de première instance de Bruxelles de deux juges, d'un substitut du procureur du Roi et d'un commis greffier. Je ne fais aucune observation sur le projet en lui-même ; le moment n'est pas opportun pour cela. Mais ceux qui ont lu l'exposé des motifs ont pu reconnaître qu'aucun tableau, aucun document quelconque n'est annexé au projet de loi. Il est impossible que ni les sections ni la chambre s'occupent de ce projet sans avoir sous les yeux les renseignements indispensables.

D'un autre côté, plusieurs honorables membres de cette chambre ont déjà dit à diverses reprises, que ce projet de loi a un caractère d'urgence, et qu'il est indispensable que le personnel de la cour d'appel soit augmenté. C'est donc dans l'intérêt d'une prompte discussion que je demande que M. le ministre de la justice soit invité à faire parvenir à la chambre, dans le plus bref délai, le tableau du mouvement des affaires, tant civiles que répressives, qui ont été portées devant la cour d'appel et le tribunal de première instance de Bruxelles, pendant la période décennale de 1843 à 1853. J'indique cette période parce qu'il est fait allusion à ce tableau dans l'exposé des motifs. Il doit donc être au département de la justice.

Je demande en outre qu'on veuille bien y joindre un tableau comparatif par catégorie du mouvement des affaires portées et jugées, pendant cette même période, devant les autres cours d'appel. Je pense que le gouvernement est aussi en possession de ces renseignements.

M. le président. - M. de Muelenaere voudra bien faire parvenir au bureau une note indiquant les renseignements qu'il demande.

M. Roussel. - Je demande la parole pour me rallier à l'observation présentée par l'honorable comte de Muelenaere. Il doit y avoir au département de la justice tout un dossier relatif à cette affaire. De nombreuses communications ont été faites par la cour d'appel et par le tribunal de première instance à M. le ministre de la justice. Ces communications seraient de nature à démontrer non seulement la nécessité, mais encore l'urgence du projet ; elles appuieront les propositions que nous avions présentées à la législature.

Mais ce projet de loi manquerait complètement son but, s'il n'était pas discuté dans notre session actuelle, si l'on ne complétait pas la cour et le tribunal de Bruxelles avant notre séparation.

M. Lelièvre. - Messieurs, ce n'est pas seulement à Bruxelles que le personnel de la cour est insuffisant. Il en est de même de la cour de Liège, qui, par suite de la réduction de ses membres, ne peut plus expédier convenablement les affaires qui lui sont déférées.

Je dois faire observer qu'en 1849 on a aussi mal à propos réduit le personnel de divers tribunaux, et notamment celui du tribunal de Namur, où l'on n'a plus maintenu que six juges, y compris le juge d'instruction.

Or, messieurs, ce personnel est insuffisant à Namur, où un nombre plus considérable de juges est indispensable à la bonne administration de la justice. J'appelle sur ce point important l'attention de M. le ministre de la justice, et en appuyant la motion faite par les honorables préopinants, je prie M. le ministre de ne pas perdre de vue les exigences du service à Liège et à Namur, et par suite de modifier ce qui a été fait à cet égard en 1849.

Il est à remarquer que le nombre des affaires s'est notablement accru à Liège, depuis que la cour est saisie des appels des jugements rendus en matière correctionnelle par les divers tribunaux du ressort. D'un autre côté, elle est saisie de nombreux faits correctionnalisés en vertu de la loi de 1849, faits qui ci-devant étaient déférés aux cours d'assises.

(page 1106) Je recommande ces observations aux méditations de M. le ministre, en le priant d'y faire droit.

- La proposition de M. de Muelenaere est adoptée.

Projet de loi sur les distilleries

Discussion des articles

L'ordre du jour appelle la suite de la discussion sur les articles du projet de loi relatif aux distilleries. La chambre est arrivée à l'article 2.

Articles 2 à 6

« Art. 2. La disposition suivante est ajoutée à l'article premier de la loi du 27 juin 1842 :

« Sont également exempts de l'accise les condensateurs dont la capacité ne dépasse pas 5 hectolitres, et qui consistent en tubes ou tuyaux dans lesquels les matières ne peuvent séjourner. »

- Adopté.


« Art. 3. Par modification au troisième alinéa de l'article premier de la loi du 20 décembre 1851, l'administration peut, quand le fait de fraude est écarté, s'abstenir d'exiger le payement du double droit, en cas de contravention au deuxième alinéa du même article. »

- Adopté.


« Art. 4. Les tubes, tuyaux, nochères et pompes servant à conduire les matières d'un vaisseau dans un autre, doivent toujours être en évidence et disposés de manière à pouvoir être facilement surveillés.

« Le distillateur, quand il en est requis par les employés, doit, sur l'exhibition d'une autorisation du fonctionnaire supérieur dans l'arrondissement, faire démonter les tubes ou tuyaux dont la destination ne paraît pas suffisamment justifiée, comme aussi faire vider la cuve de réunion pour la visite de ses parois intérieures. »

- Adopté.


« Art. 5. La contenance cumulée des cuves de réunion, des cuves de vitesse, des condensateurs et de tous autres vaisseaux qui en tiennent lieu, ne peut excéder de plus d'un vingtième la contenance de la plus petite cuve à macération de la distillerie.

« Dans l’établissement du rapport qui précède, il n'est pas tenu compte des condensateurs exemptés de l'impôt par l'article 2, ni des cuves à macération et des cuves de reunion dont la contenance ne dépasse pas un hectolitre.

« Aucune déclaration ne peut être admise pour des vaisseaux qui ne sont pas dans les conditions prescrites par le présent article.

« Le ministre des finances peut toutefois permettre que ces conditions ne soient pas observées dans les distilleries où l'on emploie simultanément des matières premières différentes dans des vaisseaux et appareils distincts. »

- Adopté.


« Art. 6. Les macérations ont lieu en suivant l'ordre des numéros attribués par le procès-verbal de jaugeage aux cuves comprises dans la déclaration de travail. Dans le cas prévu par le paragraphe 3 de l'article 14 de la loi du 27 juin 1842, les cuves supplémentaires peuvent toutefois être mises en macération avant ou après toutes les autres, mais seulement jusqu'à la première interruption des travaux manuels, un dimanche ou un jour de fête légale.

« Le ministre des finances peut permettre de déroger à la disposition qui précède, dans des circonstances exceptionnelles ou lorsque les travaux s'effectuent de la manière indiquée au dernier alinéa de l'article 5. »

- Adopté.

Article 7

« Art. 7. Le distillateur qui se croit lésé peut, dans les trois jours qui suivent le jaugeage des vaisseaux imposables de son usine, en demander la contre-vérification. Les frais de celle-ci sont à sa iharge pour chaque vaisseau dont la nouvelle contenance ne présente pas uuc différence supérieure à 1 p. c.

« Les employés peuvent, en vertu d'une autorisation écrite du fonctionnaire supérieur dans l'arrondissement, procéder toujours à la contre-vérification par empotement de la capacité des vaisseaux soumis à l'impôt. »

M. de Muelenaere. - Messieurs, l'avant-dernier paragraphe de l'article 9 se rapporte à l'article 7. Il porte :

« Si la contre-vérilication prévue par le deuxième alinéa de l'article 7 fait reconnaître, pour un ou plusieurs vaisseaux, une capacité supérieure de 2 p. c. ou plus à celle qui est renseignée dans le procès-verbal de jaugeage, le distillateur est tenu de payer la différence des droits à partir de la date du dernier épalement, outre l'amende comminée par le paragraphe 14 de l'article 32 de ia loi du 27 juin 1842. »

Messieurs, ce n'est qu'avec une certaine hésitation que je prends la parole dans cette discussion. Mais si je comprends bien ce paragraphe et la relation qu'il y a entre cette disposition de l'article 9 et l'article 7 en discussion, ce paragraphe me paraît d'une sévérité extrême. Je crois même qu'il manque de justice.

D'après l'article 7, les employés peuvent, en vertu d'une autorisation écrite des fonctionnaires supérieurs dans l'arrondissement, procéder toujours à la contre-vérification par empotement de la capacité des vaisseaux soumis à l’impôt.

Ainsi donc l'administration peut toujours procéder à la vérification de tous les vaisseaux qui servent à la distillation ; et, cependant, d'après le paragraphe dont je viens de donner lecture, si, lorsqu'une contre-vérificalion a lieu de la part de l'administration, on trouve une capacité supérieure comparativement à celle qui est renseignée au procès-verbal de jaugeage, non seulement le distillateur est frappé d'une amende, mais on peut exiger de lui le payement de tous les droits à partir de la date du dernier épalement.

Il me semble que cette pénalité ne peut reposer que sur cette seule considération, que l'on suppose que le distillateur a substitué d'autres vaisseaux à ceux qui auraient été vérifiés. Car il est à remarquer, messieurs, que, dans la pratique, il peut arriver très fréquemment, d'après la manière dont on procédera à la vérification, qu'il y ait eu erreur, négligence ou inattention de la part des employés et que, sans substitution d'aucune cuve à une autre, on trouve une différence de 2 p. c., car une différence de 2 p. c. est, au fond, assez minime, car sur un vaisseau de 20 hectolitres elle ne représente que 40 litres. Il me semble qu'il serait juste de faire disparaître cette pénalité que l'on prononce contre les distillateurs ; mais d'un autre côté, pour que l'article 7 ne donne lieu à aucune fraude et qu'aucune substitution de vaisseaux nouveaux à des vaisseaux vérifiés, ne puisse avoir lieu, je demanderai que l'administration soit autorisée à faire apposer une ou plusieurs marques sur les vaisseaux vérifiés et que cette apposition de marques ait lieu aux frais du distillateur. Il me semble que, de cette manière, vous évitez toute possibilité de fraude et que d'un autre côté vous n'exposez pas un distillateur de bonne foi à être condamné à une amende et à devoir payer une somme plus ou moins considérable pour des droits qu'il n'avait point prévus et sur lesquels il n'avait pas compté.

M. le ministre des finances (M. Liedts). - Messieurs, je regrette de ne pouvoir accepter l'amendement que vient de développer l'honorable comte de Muelenaere. Voici, messieurs, l'objet de l'article : Vous verrez, par les courtes explications que je donnerai, que cette disposition tend à favoriser le faible contre le fort, car la fraude dont la possibilité est ainsi prévue, ne peut guère se commettre fructueusement que par les très grands distillateurs et je n'ai aucune crainte, pour ma part, que jamais elle se commette dans les petites distilleries. Mais, précisément parce qu'elle est praticable dans les grandes, les distillateurs en répétant souvent l'opération, pourraient livrer leur eau-de-vie à meilleur marché que leurs concurrents.

Voici comment les choses se passent.

Il faut d'abord savoir que la vérification du jaugeage des cuves se fait assez rarement.

Il y a tel procès-verbal de jaugeage de cuve de macération qui date de 7 ans. Et lorsque les commis constatent qu'aucun changement n'a été apporté à la cuve, je ne vois pas pourquoi on soumettrait l'industriel à cette tracasserie d'un procès-verbal détaillé de jaugeage.

Mais l'expérience a fait reconnaître que dans de grandes distilleries on avait apporté aux cuves certains changements très anodins en apparence, mais qui augmentaient la contenance de ces vaisseaux de plus de 3 p. c. Et comme il s'agissait de cuves de 20 à 25 hectolitres, et que ces 3 p. c. répétés souvent, constituent une somme importante pour les distillateurs qui travaillent sur une grande échelle, il en résultait une perte pour le trésor, et une facilité pour ces industriels de délivrer leur genièvre à meilleur compte que les autres.

Voicï le moyen qu'on a employé pour commettre cette fraude.

Au moment de l'opération du jaugeage, le fond des cuves était fait en dos d'âne ou convexe ; quelque temps après, on s'aperçut qu'au lieu d’être convexe, le fonds était concave ; mais il n’en est pas moins vrai que la contenance avait augmenté de plus de 3 p. c. Cette affaire a donné lieu à un qui a été jugé définitivement en appel contre le distillateur.

Mais il est évident que si vous légalisez une pareille opération au moyen d'une simple marque mise sur le vaisseau et qui est déjà prescrite, vous n'auriez pas prévenu la fraude.

Sans doute il faut accorder une certaine latitude, mais l'expérience a déjà fait voir qu'en laissant une marge de 2 p. c. on satisfait a tous les intérêts légitimes.

Je demande donc que l'article reste tel qu'il est.

Quant à l'opération du jaugeage par l'empotement, vous n'avez pas à craindre que l'administration en abuse, d'abord parce qu'il faut constater une différence, avant de pouvoir recourir à l'administration supérieure ; en second lieu, il faut que cette administration donne une autorisation écrite, et celle-ci ne sera délivrée que lorsqu'il y aura une très forte présomption de fraude.

M. de Muelenaere. - D'après ces explications, je ne présenterai pas l'amendement que j'avais annoncé.

M. Faignart. - Je suppose, ce qui sera extrêmement rare, que l'opération du jaugeage par l'empotement ait lieu ; je demande a M. le ministre des finances si, dans ce cas, les cuves qui auront été déclarées et dont le travail sera interrompu, seront passibles du droit.

M. le ministre des finances (M. Liedts). - Evidemment, si, par le fait de l'administration, le travail d'une cuve est interrompu, cette cuve ne pourra pas être imposée.

- L'article 7 est mis aux voix et adopté.

Article 8

« Art. 8. Le maximum des taxes communales sur la fabrication des eaux-de-vie est fixé au tiers du montant de l'accise.

« Le droit à l'entrée dans les villes et communes ne peut dépasser ces taxes de plus de 1 fr. 50 c. par hectolitre d'eau-de-vie à 50° G- L. à la température de 15° centigrades.

(page 1107) « La décharge accordée à la sortie ne peut excéder le montant des mêmes taxes. »

Le quatrième et dernier paragraphe a été voté hier et réuni à l'article premier.

M. le président. - M. Allard propose de substituer au paragraphe premier « la moitié » au « tiers », et au paragraphe 2, 2 fr. 50 c. à 1 fr. 50 c.

M. de La Coste. - Messieurs, l'article 8 est un des plus importants de la loi. Les dispositions qu'il renferme, promises en 1851, ont donné lieu au projet que nous discutons. Elles ont pour but de remédier aux abus des octrois municipaux en ce qui concerne les eaux-de-vie. Je ne vous rappellerai pas toutes les phases de cette question des octrois que dans l'origine j'ai concouru à soulever ; vous savez qu'ensuite le gouvernement s'en est emparé et que l'honorable prédécesseur de M. le ministre de l'intérieur a paru vouloir donner à son examen une assez vive impulsion, sans pourtant qu'aucun résultat ait été obtenu.

Un membre de cette chambre, l'honorable M. Coomans a fait aussi une proposition relativement aux octrois, elle est encore à l'instruction ; dans tout cela il s'agissait d'une réforme complète, sinon de la suppression des octrois : la question dont nous avons à nous occuper en ce moment n'est pas aussi vaste ; il s'agit seulement des octrois en ce qui concerne le droit sur les eaux-de-vie.

La loi proposée contient trois dispositions relativement à cette matière. Il y a d'abord un maximum que les taxes communales sur les eaux-de-vie ne pourront dépasser. Cette mesure étant proposée uniquement dans un intérêt fiscal, je laisserai le soin de la justifier à M. le ministre des finances qui s'en acquittera mieux que moi. Je me permettrai seulement d'appeler votre attention sur les deux autres points que l'article concerne : la prime que quelques villes accordent à la sortie des eaux-de-vie fabriquées dans leur enceinte et la surtaxe qu'elles imposent à l'entrée des eaux-de-vie fabriquées ailleurs.

Vous avez voté le principe du rendement ; vous l'avez fixé à 7 litres de genièvre par cent litres de matières macérées. Il n'y a plus à discuter cette base, mais à en faire l'application aux octrois communaux.

Un honorable député de Gand, au commencement de ces débats, a fait à cet égard des observations qui ont dû vous frapper, parce qu'elles étaient présentées en fort bons termes et qu'elles avaient un côté fort spécieux : elles tendaient en quelque sorte à vouloir décliner votre compétence dans cette circonstance. Il me semble que l'honorable membre, dominé par le souvenir du glorieux passé de sa ville natale, s'est placé plutôt sur le terrain des anciennes institutions de la Flandre, lorsqu'elle était gouvernée par trois villes que sur celui de notre Constitution. Les communes ont chez nous des droits plus étendus que dans la plupart des pays voisins. Cependant ces droits sont soumis à certaines restrictions. La loi fondamentale des Pays-Bas, en rendant aux communes une partie de leurs anciennes libertés, avait établi en principe que jamais les dispositions qu'elles prendraient ne pourraient apporter d'entrave à l'industrie, que jamais aucune commune ne pourrait surtaxer les produits des autres communes.

Lorsqu'on a rédigé la Constitution actuelle, on n'y a pas reproduit cette disposition ; mais le Congrès national y a pourvu d'une autre manière, en réservant au gouvernement et aux chambres le droit d'intervenir pour empêcher que les communes ne fassent usage de leur autorité de manière à blesser l'intérêt général.

Or il est contraire à l'intérêt général, il est contraire à l'intérêt de l'industrie de tout le pays, d'y apporter la perturbation, soit par des primes accordées à la sortie des villes, soit par des surtaxes établies à l'entrée. A mon avis, l'honorable député de Tournai qui a présenté un amendement s'est placé à un point de vue trop restreint. Il est possible que les distillateurs de Tournai aient un certain intérêt à repousser les produits des distilleries qui s'établissent dans les environs de cette ville. Mais d'un autre côté une surtaxe qui les mettrait, dans l'intérieur de cette viile, à l'abri de la concurrence des autres distilleries, les priverait dans d'autres communes de l'avantage d'y concourir avec celles-ci.

Dans une lutte de tarifs d'octroi, les grandes villes ont tout l'avantage : elles trouvent des consommateurs nombreux dans leur propre enceinte, elles sont dotées de voies de communication ; elles ont la puissance des capitaux et renferment des industries diverses qui se prêtent un mutuel secours ; elles ont affaire à des adversaires relativement faibles et divisés. Mais les grandes villes elles-mêmes n'ont pas d'intérêt à ce que ce principe d'exclusion se propage.

Nous ne nous occupons, il est vrai, que des distilleries ; mais le même principe s'applique aux autres industries, et j'espère bien que le gouvernement, entré dans la voie des réformes, ne s'arrêtera pas en chemin, et qu'il empêchera d'une manière plus générale que les villes puissent se nuire réciproquement par leurs tarifs d'octroi. Prenons la ville de Bruxelles, par exemple : elle peut avoir intérêt à repousser les produits des distilleries de Hasselt ; mais Hasselt et les autres villes, lésées par cette manière de procéder, pourraient repousser les produits de la carrosserie et des fabriques de meubles de Bruxelles et de tout ce qui forme principalement l'industrie de |a capitale.

Le gouvernement, dira-t-on peut-êire, s'opposerait à ce que les villes usassent de pareilles représailles. Mais, je le demande, serait-ce là agir avec équité ? Si le principe est juste, il faut l'appliquer partout. S'il est injuste, il faut le restreindre. Je félicite le gouvernement d'avoir adopté ce parti.

Le projet de loi supprime entièrement les primes qui se payent à la sortie des villes ; en cela, il rend un grand servies à l'industrie ; car, sous prétexte de restituer les droits, certaines villes accordaient des primes coinsidérables, et, par suite, les produits des distilleries de ces villes pouvaient se vendre dans tout le reste du pays à des prix tels que la concurrence devenait impossible.

Le gouvernement propose également de limiter la faveur que les villes accordent à leur propre industrie, à l’occasion de l'introduction dans leur enceinte des eaux-de-vie provenant des distilleries d'autres communes. Certes, il est indispensable, lorsqu'il existe un droit du fabrication dans une ville, que les eaux-de-vie fabriquées dans les autres villes ou communes payent à l'entrée un droit équivalent au droit perçu à la fabrication.

Maintenant que le rendement est fixé, ce droit se réglera à raison de sept litres par cent lire» de matières macérées. C'est là un calcul très simple. M. le ministre des finances va plus loin : il constate que, dans les villes, il y a certains droits sur le combustible, les fourrages ; en un mot, il calcule très largement les charges que les distilleries des villes ont à supporter comparativement aux campagnes. Cela revient tout au plus à un franc par hectolitre. Il ajoute encore 50 c. pour un motif que je dirai tout à l'heure. C'est là la différence entre sa proposition et celle de la section centrale.

La section centrale a adopté la proposition d'un franc de surtaxe, et je ne m'y oppose pas. Cependant je dois faire remarquer que l'industrie des villes a de grands avantages que je viens d'indiquer tout à l'heure et qui compensent bien les droits sur les combustibles et autres de cette nature ; en second lieu les eaux de-vie auxquelles on applique cette surtaxe ne proviennent pas seulement des campagnes, mais d'autres villes qui subissent également ces charges.

J'ai cité tout à l'heure Hasselt, je l'ai fait d'autant plus volontiers que Hasselt n'appartient pas à mon arrondissement. Hasselt a aussi des droits, sur le combustible, etc. Cependant l'eau-de-vie fabriquée dans cette ville vient, avec ces charges, lutter sur le marché de Bruxelles, et on lui fait payer, à l'entrée, une surtaxe d'un franc, d'après la proposition de la section centrale à laquelle je me rallie.

Mais M. le ministre des finances ajoute à ce franc, qui est considéré comme compensation, 50 cent, qui forment uniquement un droit protecteur. Ainsi il laisse en partie subsister l'abus qu'il combat ; ces 50 centimes doivent, selon lui, compenser la faveur qui est accordée aux distilleries agricoles. Or, l'honorable ministre des finances, lui-même, a établi que les distilleries agricoles n'ont qu'une sphère très restreinte, qu'elles ne s'étendent pas au-delà de cette sphère, que par conséquent elles ne sont pas des concurrents redoutables pour les distilleries des grandes villes.

Ce ne sont pas, en tout cas, les distilleries agricoles seules dont les produits sont chargés d'un droit protecteur, ce sont toutes les distilleries et, en fait, principalement les distilleries non agricoles des campagnes et des villes, et on leur applique également cette surtaxe.

Voilà pourquoi la section centrale n'a admis qu'une surtaxe qui ne peut excéder un franc.

J'ai cru devoir, mesïieurs, vous donner ces explications pour justifier la proposition de la section centrale.

Messieurs, il ne faut pas croire que l'intérêt financier des villes soit fortement en jeu dans le maintien ou la réduction de ce droit d'entrée. Car étant porté à un taux exorbitant, il devient naturellement plutôt restrictif que productif ; il est évident que par là on n'augmente pas la consommation ; or la matière imposable restant la même, il importe peu, au point de vue financier, si on l'atteint par un droit d’entrée ou par un droit de fabrication.

D'ailleurs, quand il y aurait là une légère perte, elle est largement compensée par la suppression de la prime à la sortie des villes.

Messieurs, j'ai souvent entendu dire, et je crois que c'est un sentiment presque général dans cette assemblée, qu'on ne serait pas opposé au système de la liberté du commerce, ou du moins qu'on serait disposé à lui donner une beaucoup plus grande extension, si on trouvait la réciprocité chez nos voisins. Eh bien, ici il dépend de nous d'établir entre les commuues la réciprocité que nous demandons aux autres puissances, et il me semble que, sous ce rapport, la proposition faite par M. le ministre, telle qu'elle est amendée par la section centrale, doit rencontrer toutes vos sympathies. C'est un premier pas dans une voie dans laquelle j'engage le gouvernement à persévérer.

M. Vander Donckt. - Messieurs, le gouvernement vous propose, par l'article 8, de limiter le droit d'entrée et de sortie des villes à 1 fr. 50. Il me semble que le gouvernement est resté dans la modération et dans de justes bornes.

Cette disposition a donné lieu à des réclamations en dehors de cette enceinte et dans cette assemblée même ; et ces reclamations, messieurs, d'où proviennent-elles ? On croirait naturellement qu'elles émanent des campagnes, de ces campagnes que l’on dit si peu progressives, si stationnaires, si rétrogrades même. Non, messieurs, c'est tout le contraire. Aujourd'hui, les réclamations viennent des grandes villes, de ces belles cités qui font l'honneur de la Belgique, de ces centres de lumières, de ces foyers de lumière et de progrès.

C'est de là que l'on vient de réclamer, que l'on vient protester contre une disposition qui mène directement au progrès.

(page 1108) Messieurs, soyons conséquents. Si nous voulons le progrès, sachons l'admettre aussi bien lorsqu'il est à notre préjudice que lorsqu'il est à notre avantage. Si vous ne voulez le progrès que lorsqu'il est à votre profit et au préjudice des autres, ne l'acceptons plutôt jamais.

Moi aussi, messieurs, je suis partisan du progrès, d'un progrès prudent, d'un procès modéré. Mais je n'entends pas le progrès dans le même sens que mes honorables adversaires. Si l'on veut que le progrès fasse continuellement des pas vers la perfection, il faut que ce progrès soit universel, que les uns comme les autres l'acceptent.

Mais ici les villes voudraient le maintien d'un privilège en leur faveur. Nous avons entendu des raisonnements dans ce sens ; on a protesté contre ce qu'on appelle un empiétement sur les anciennes libertés communales. Et c'est en plein XIXème siècle que l'on vient protester au nom de ces libertés qui ne sont pas des libertés, qui sont des entraves à la liberté, qui sont plutôt des privilèges.

Ces privilèges, sans être prophète, je vous prédis qu'ils disparaîtront. Déjà plusieurs propositions vous ont été faites dans ce sens, pour arriver à la suppression des octrois communaux, qui constituent un véritable abus de la liberté.

Eh bien, que vous demande aujourd'hui le gouvernement ? Il vous demande de faire un léger pas vers ce perfectionnement ; et voilà aussitôt les villes, parce que peut-être leur intérêt financier est quelque peu froissé, protestant contre ce léger perfectionnement.

Messieurs, j'espère bien que dans cette enceinte où nous rencontrons beaucoup de partisans sincères du progrès, on n'admettra pas la proposition émanant des villes à cet égard. S'il était même vrai que l'intérêt financier des villes souffrira réellement de cette disposition, avec un peu de bonne volonté, au moyen d'un léger sacrifice, on y pourvoira, fût-ce même au moyen d'un droit de capitation. Car alors les habitants des grandes villes se trouveraient, sous ce rapport, sur la même ligne avec leurs frères des campagnes. Car, nous tous nous sommes soumis à ce droit de capitation. Eh bien, en l'établissant dans les villes même à un taux moins élevé qu'il n'est aujourd'hui dans les campagnes, il rapporterait suffisamment pour combler le déficit.

Messieurs, je ne comprends pas qu'on puisse en équité, en justice, demander le maintien d'un abus suranné qui date du moyen âge. Car les octrois constituent un véritable abus. A cet égard, j'ai lu avec beaucoup de satisfaction les observations du premier magistrat de la capitale, notre honorable collègue M. de Brouckere, qui, dans le temps, a écrit pour la suppression des octrois ; et inévitablement vous y arriverez un jour, et ce jour est peut-être plus rapproché que vous ne le croyez. Ne reculez donc pas devant un premier pas. Si le gouvernement vous proposait la suppression des octrois, si l'on vous proposait même la suppression totale du droit sur le genièvre, je concevrais votre opposition ; vous pourriez dire que l'on va jeter un bouleversement total dans nos finances. Mais on ne vous propose qu'une légère modification, qu'un léger acheminement vers le progrès. J'ose espérer, messieurs, que la chambre adoptera la proposition de la section centrale pour laquelle je déclare voter.

M. de Theux. - Messieurs, la question qui se débat est entre les neuf-dixièmes de la population et l'autre dixième, c'est-à-dire entre toutes les distilleries établies dans les campagnes et les villes de deuxième et troisième ordre, et celles qui existent dans trois ou quatre grandes villes qui ont établi un véritable droit de douane au profit de ces distilleries contre les distilleries du reste du pays.

Enoncer ce fait c’est, ce me semble, assurer l’admission des justes réclamations des industriels de presque toutes les villes et des campagnes.

Nous avons vécu, messieurs, jusqu'à présent, sois un régime véritablement inconcevable, puisqu'il est contraire aux principes de tous les gouvernements qui ont existé en Belgique depuis un demi-siècle, contraire aux principes de l'empire, aux principes du royaume des Pays-Bas et à notre propre Constitution, qui proclame à l'intérieur la liberté de l'industrie, la liberté du commerce et n'admet plus de douanes de commune à commune.

Eh bien, messieurs, nonobstant cette prohibition formelle, il existait de véritables douanes en ce qui concernait les distilleries de quelques villes. D'abord quelques villes qui jouissaient de très grandes ressources accordèrent une peime d'exportation pour les eaux-de-vie fabriquées dans leur enceinte ; en outre elles frappèrent de droits exorbitants les eaux-de vie fabriquées au-dehors.

M. le ministre des finances propose de supprimer la prime d'exportation ; sur ce point il n'y a pas d'objection, c'était par trop absurde. M. le ministre propose, en outre, de supprimer une partie du droit de douane établi à l'entrée des villes ; c'est un progrès, mais il n'est pas suffisant, et je crois même qu'en proposant de substituer le chiffre de 1 fr. à celui de 1 fr. 50 c. proposé par le gouvernement, la section centrale a encore été trop loin, car si nous écoutions les vœux de nos commettants nous proposerions la suppression absolue de tout droit à l'importation des eaux-de-vie dans les villes. C'est là leur vœu formel, et je dois dire qu'il se justifie par d'assez bonnes raisons.

Ainsi qu'on l'a dit, il ne s'agit pas, pour les grandes villes, de se garer contre l'avantage de 15 p. c. accordé aux distilleries qualifiées d'agricoles, c'est-à-dire aux peines distilleries travaillant sur une cuve-matière de 20 hectolitres et dans les conditions déterminées par la loi, car si, de ce chef, une compensation était due aux grandes villes, la même compensation serait due aux autres villes quelle que fût leur population.

Cette raison ne peut donc pas être admise. Si elle était fondée, elle devrait faire réduire la décharge de 15 p. c accordée aux distilleries agricoles ; mais elle ne pourrait jamais conduire à permettre aux communes d'établir un droit de douane à leur entrée.

D'après des calculs qui ont été produits à la section centrale et qui paraissent exacts, dans les villes où le charbon et d'autres matières à l'usage des distilleries sont imposés, ces taxes ne représentent pas plus de 70 centimes ; cependant la section centrale a bien voulu admettre comme maximum 1 fr., afin qu'il n'y ait point de contestation possible Mais remarquez bien, messieurs, que dans toutes les villes le charbon et les autres objets que consomment les distilleries, sont également frappés de droits d'octroi.

Hasselt, Diest, Huy, etc., sont sous ce rapport sur la même ligne que Bruxelles, Gand et Anvers, et le genièvre fabriqué dans les petites villes est grevé des mêmes charges que celui qui est fabriqué dans les grandes villes. Il n'y a absolument que les distilleries agricoles qui ne supportent pas ces charges, mais sous le rapport du commerce elles se trouvent dans une position assez défavorable.

Messieurs, la tendance de ce système d'octroi est de concentrer l'industrie des distilleries dans les grandes villes. C'est un fait positif, et il nous a été assuré que si la loi de 1851 n'était pas venue donner aux autres distillateurs l'assurance que cet abus serait supprimé, il se serait produit un déclassement considérable dans l'industrie ; que, deplus en plus, les distilleries se seraient concentrées dans les grandes villes.

Mais si l'on arrivait à ce résultat, il n'y aurait plus aucun motif pour maintenir les lois modificatives de la loi de 1821 ; il fallait alors laisser l'impôt tel qu'il existait sous le royaume des Pays-Bas, et produisant le double de l'impôt actuel : pourquoi le législateur s'est-il occupé avec tant de sollicitude de ménager l'industrie des distilleries ? C'est évidemment dans un but agricole, c'est pour disséminer les engrais qui résultent de l'élevage du bétail, sur toute la surface du pays, autant qu'il était possible de le faire par l'effet protecteur de la loi. C’est en ce sens, messieurs, que toutes les distilleries ont un caractère agricole ; mais concentrez-les dans quelques grandes localités, et elles perdent ce caractère.

Il est vrai qu'on nous a dit que les grandes villes ont besoin de beaucoup d'engrais à cause de la culture maraîchère, beaucoup plus étendue dans leurs environs ; mais on a oublié de nous dire que les grandes villes produisent une infinité d'engrais qui manquent à tout le reste du pays et que ce ne sont pas les engrais qui font défaut dans les grandes villes.

Cela est tellement vrai que les cultivateurs très éloignés des villes viennent y chercher les engrais malgré tous les frais de transport qu'ils doivent subir.

Si ce besoin d'engrais dans les environs des grandes villes était aussi réel qu'on nous l'a dit dans une séance précédente, mais, messieurs, les grandes villes vendraient tous leurs engrais dans les communes limitrophes et on ne les transporterait pas au loin.

Je pense donc, messieurs, que cette raison n'a aucune valeur et qu'il faut maintenir et développer complètement le principe fondamental de la législation sur la matière, qui est d'éparpiller autant que possible les distilleries sur toute la surface du pays.

Or, vous n'y parviendrez pas, si par votre loi vous maintenez le privilège que quelques grandes villes se sont attribué contrairement à toutes les lois qui ont régi le pays depuis cinquante ans.

Je crois, messieurs, qu'il est inutile de s'arrêter davantage sur la démonstration d'une thèse si simple et fondée sur d'aussi grands intérêts.

M. Delehaye. - Messieurs, la position qui vient d'être faite aux distilleries agricoles et aux distilleries urbaines est entièrement changée. Par suite du vote émis hier, les distilleries agricoles n'ont plus à souffrir de la concurrence qui leur est faite par les distillateurs exportateurs qui jetaient sur le marché une quantité considérable de genièvre indemne de droits.

D'un autre côté, les communes n'auront plus la faculté de frapper le genièvre, à l'entrée dans les villes, d'une taxe trop élevée. Ainsi, à Gand la taxe sur les genièvres importés était de 15 fr., taxe trop élevée sans doute, contre laquelle tout le monde protestait et que nous ne maintenions que pour pouvoir lutter contre les distilleries favorisées par la loi.

Examinons si les 2 fr. 50 que propose l'honorable M. Allard sont trop élevés.

On vous a dit, messieurs, quelles étaient les charges qui pesaient sur les distilleries urbaines ; ces charges sont beaucoup plus lourdes que celles qui pèsent sur les distilleries agricoles : d'abord salaire élevé des ouvriers, charges locatives, octroi sur les matières premières. Grâce à la déduction de 15 p. c, dont jouissent les distilleries agricoles, le distillateur des campagnes, comparativement au distillateur urbain, a un bénéfice de 5 francs et quelques centimes par hectolitre.

Or, que propose l'honorable M. Allard ? Il propose seulement de frapper l'hectolitre de genièvre, à l'entrée dans les villes, de 2 fr. 50 c. au-delà de la taxe communale. Déjà il résulte que la position du distillateur agricole reste la plus favorisée.

Il est échappé à l'honorable M. de Theux un aveu extrêmement précieux pour nous et qui prouve que la chambre ne s'est pas bien rendu compte de ce que sont réellement nos distilleries à Gand ; l'honorable membre a dit avec raison que les distilleries agricoles sont toujours de petites distilleries.

(page 1109) Je fais encore un appel au témoignage de mon honorable ami, M. Dautrebande qui me disait hier que les petites distilleries étaient des distilleries agricoles.

Or, que se passe-t-il dans les Flandres ? J'ai déjà eu l'honneur de le dire : sur 23 distilleries à Gand, il y en a 20 qui sont complètement agricoles, dans ce sens que ces distilleries ne travaillent pas avec des vaisseaux d'au-delà de 20 hectolitres.

Il existe au ministère des finances des documents qui prouvent ce fait.

Or, si, comme l'a très bien dit l'honorable M. de Theux, les distilleries agricoles sont de petites distilleries, pourquoi refuseriez-vous aux distilleries de la ville de Gand, et je vous ai dit ce que sont ces distilleries, pourquoi leur refuseriez-vous la légère faveur que l'on propose, et qui ne compense pas la charge plus lourde dont ces distilleries sont grevées au point de vue du trésor ?

Croyez-le bien, messieurs, j'étais en opposition formelle avec tous les distillateurs de Gand ; quand j'ai demandé le maintien du drawback, je ne défendais ici que les intérêts réels du commerce ; j'ai prouvé par là que je sais m'affranchir des exigences des localités ; je serai donc admis à demander aujourd'hui au nom des communes le maintien d'un droit qui atteigne une matière éminemment imposable. Y a-t-il rien de plus susceptible de droits que le genièvre ?

On ne cesse de dire que la consommation du genièvre démoralise le peuple. Pourquoi dès lors défendre aux villes d'imposer un droit qui aura pour effet de restreindre cette consommation ?

Que demande mon honorable ami, M. Allard ? Il demande que le maximum des taxes communales sur la fabrication des eaux-de-vie soit fixé, non pas, comme le propose le gouvernement, au tiers, mais à la moitié du montant de l'accise ; cela reviendra à un droit de 75 centimes.

Prétendrez vous, vous législateurs, dont la plus noble mission est de veiller à la moralisalion du peuple ; prétendrez-vous que ce droit de 75 centimes, perçu par les villes, est exagéré, quand il s'agit du genièvre ? Prétendez vous aussi que c'est une exagération de fixer le droit, à l'entrée dans les villes, à 2 fr. 50 par hectolitre ?

La chambre, en réduisant le drawback, a voulu veiller aux intérêts du trésor ; j'espère que la chambre voudra bien veiller un peu aux intérêts des communes, en donnant sa sanction à l'amendement proposé par mon honorable ami, M. Allard.

M. le ministre des finances (M. Liedts). - Messieurs, il y a, dans l'article 8, trois dispositions distinctes dont une a été adoptée dans la séance d'hier ; c'est le paragraphe final qui fixe le rendement normal d'un hectolitre de matières mises en macération ; il ne nous reste donc plus à nous occuper que de deux de ces dispositions.

Chacune de ces dispositions renferme un problême différent à résoudre. Le premier paragraphe porte :

« Le maximum des taxes communales sur la fabrication des eaux-de-vie est fixé au tiers du montant de l'accise. »

Le problême à résoudre dans ce premier paragraphe est celui-ci :

Quel est le maximum du droit communal que le mécanisme actuel de la loi sur les distilleries permet de percevoir, sans donner lieu à des fraudes ? Ici le trésor public est seul en cause.

Autrefois, sous la loi de 1822. alors qu'on avait un contrôle double, un contrôle permanent de jour et de nuit, on ne pouvait forcer la production à l'insu de l'administration. Mais, après la révolution de 1830, des cris se sont fait entendre de tous les coins du pays. Vous avez préféré priver le trésor public d'une partie de ses recettes, pour substituer à la loi de 1822 des dispositions qui excluent l'arbitraire et la vexation ; mais, en même temps que vous avez introduit cette législation nouvelle, vous vous êtes aperçus qu'il fallait réduire le droit sur les distilleries. On a été tellement attentif à cette question, qu'on a commencé par n'imposer l'hectolilre de matière macérée qu'à raison de 22 centimes.

Cette loi a continué à fonctionner jusqu'en 1837 ; alors est arrivée une loi qui a porté le droit à 40 centimes ; en 1841, on a osé aller jusqu'à 60 centimes ; en 1842, on a porté le droit à un franc, et en 1851, on est allé à 1 fr. 50 c.

Cela représente par hectolitre de genièvre 21 fr. 43 c. que l'on paye au trésor.

Des calculs très exacts ont été faits au département ; il est constaté que si l'on dépasse le droit de 2 francs par 7 litres de genièvre, 1 fr. 50 pour le trésor et 50 centimes pour la commune, la loi actuelle est insuffisante, elle donnera lieu à une double fraude : fraude de l'extérieur, fraude à l'intérieur.

Lorsque, se reportant à 20 ans en arrière, on fait un calcul sur le 3/6 français concentré à 85 degrés, on acquiert la preuve que du moment que le droit dépasse deux francs, la fraude est immense, elle se développe sur tous les points de nos frontières.

Voilà pour l'extérieur ; quant à l'intérieur, si j'entrais dans les détails des dispositions de la loi, je démontrerais, par l'appât du bénéfice que présenterait le droit, qu'on frauderait.

Il faut dans l'intérêt de ceux qui travaillent de bonne foi et dans l'intérêt du trésor, ne pas dépasser cette limite de 1 fr. 50 c. pour le trésor et 50 c. pour les commune. Mais, dit-on, à Tournai il ne se fait pas de fraude et le droit dépasse 50 c. Je dirai qu'il n'est qu'une seule ville dans le pays où le droit d'octroi dépasse 50 centimes et cette ville c'est Tournai. A cette objection il y a une réponse, c'est qu'il n'y a que deux distilleries à Tournai, l'une a tellement peu d'importance qu'elle est tout à fait agricole et jouit de la deduction de 15 p. c.

L'autre ne produit pas grand-chose, en sorte que malgré les droits exorbitants établis à l'entrée de la ville, presque toute la ville s'alimente de genièvre fabriqué au-dehors. Mais, de ce qu'on ne constate pas de fraude avec un droit supérieur à 50 centimes dans une ville où il n'y a que des distilleries sans importance, ce n'est pas une raison pour que la fraude ne se fasse pas ailleurs ; si vous éleviez le droit au-dessus du taux que je viens d'indiquer, elle se ferait à l'instant même. Pour moi, je n'assumerais pas la responsabilité de percevoir uu droit supérieur à deux francs y compris la taxe communale.

Mais, dit un honorable député de Gand, pourquoi restreindre la liberté des communes, pourquoi ne pas leur laisser la faculté d'imposer les spiritueux au taux qu'elles trouvent convenable. Outre l'intérêt du trésor, l'honorable membre ne voit pas que j'accorde aux villes plus qu'elles n'ont. A Gand la fabrication n'est imposée qu'à raison de 33 c. par hectolitre de matières macérées, et j'en accorde 50. (Interruption.)

Le mal n'est pas là, on porte atteinte aux libertés communales, dites-vous. Je suis grand ami des liberlés communales, mais je ne les aime pas plus que le pouvoir constituant lui-même ; et celui-ci a si bien compris qu'on ne devait pas laisser les tarifs d'octroi à la discrétion des communes, qu'il a exigé qu'ils fussent approuvés par le gouvernement. Comme l'a dit l'honorable M. de La Coste, nous retournerions au moyen âge si un pouvoir supérieur ne pouvait pas apporter une limite à l'exagération des octrois communaux.

Je ne sais, après tout, qui en souffrirait le plus ; je ne sais si les villes ne souffriraient pas les premières de la liberté illimitée d'établir des taxes locales.

Vous voulez tirer une ligne de douane autour de votre villes ; mais si les provinces, qui elles aussi peuvent établir des impôts spéciaux créaient comme les communes une ligne de douane, que deviendrait la ville de Gand ; si ses calicots rencontraient à chaque province une barrière douanière. Ce système vous paraîtrait-il soutenable ? Je dis, messieurs, que la disposition que nous avons l'honneur de présenter, loin d'être contraire à la liberté communale, est plus libérale que celle qui nous régit. Un seul mot suffit pour le démontrer. Il dépend aujourd'hui du gouvernement d'arrêter les villes qui voudraient élever leur tarif d'octroi ; ce pouvoir abandonné au pouvoir exécutif, nous le déférons à la loi ; c'est la loi qui réglemente la taxe sur les eaux-de-vie indigènes ; le projet est donc plus libéral que l'ancien état de chose.

On a été jusqu'à insinuer que c'était accorder une prime à l'immoralité. Si cet argument avait la moindre apparence de fondement, le ministre des finances serait couvert par la conduite de tous les conseils communaux du pays, Tournai excepté ; car si je permets d'établir un droit plus élevé que celui qui existe dans les autres villes, ce n'est pas par amour pour l'eau-de-vie. Elevez si vous voulez le droit non à 50 ou 60 centimes, mais au taux de celui perçu pour le trésor, peu m'importe.

Je viens au paragraphe 2 ; mais avant de passer à ce paragraphe, permettez-moi de faire ressortir le côté financier de cette disposition pour les villes. On s'imagine qu'elle est de nature à porter une atteinte grave aux finances communales ; eh bien, il n'en est rien. Je dis plus : toutes les villes, à l'exception de Tournai, pour laquelle une disposition transitoire sera proposée, ont intérêt à soutenir l'article qui est en discussion. Il suffit, pour le prouver, d'appeler l'attention sur ce qui se passe dans plusieurs localités du royaume.

A Bruxelles, où il y a un droit de fabrication de 33 centimes, la ville perçoit 144,000 fr.

A Gand, où le même droit est établi, la ville ne perçoit que 43,000 francs.

A Anvers, si l'on n'avait pas imposé aux distillateurs un minimum qu'ils doivent dans tous les cas payer au trésor communal, quelles que soient les quantités sorties, ils n'auraient rien payé du tout.

Maintenant ces villes pourront percevoir des sommes supérieures : la ville de Gand, qui prélève 33 c. sur la fabrication, mais qui, pour chaque hectolitre, accorde au distillateur une décharge de 5 fr. 50 c, et qui a la maladresse (passez-moi l'expression) de frapper chaque hectolitre, distillé hors de ses murs, d'un droit de 15 francs, cette ville, dis-je, en laissant subsister le droit actuel de 33 centimes, et en accordant la décharge de 4 francs 71 centimes et, par conséquent, un avantage de 1 franc 50 centimes sur les genièvres du dehors, obtiendra une somme supérieure à celle qu'elle obtient aujourd'hui.

Il en sera ainsi pour toutes les autres villes, sauf Tournai, et l'honorable M. Allard qui a cru sauver les finances de cette localité par son amendement, s'est complètement trompé ; si l'on admettait l'amendement dans son entier, les finances de Tournai y perdraient plutôt qu'elle n'y gagneraient. En effet, que propose l'honorable M. Allard ? Il propose de fixer le maximum des taxes communales à la moitié (au lieu du tiers ) du montant de l'accise ; il veut ensuite que le maximum du droit à l'entrée des villes soit de 2 fr. 50 c. au lieu de 1 fr. 50 c, chiffre proposé par le gouvernement. En tenant compte des importations et des exportations faites à Tournai, je vois en effet que le trésor communal pourrait recevoir 32 mille francs. Or, avec la législation que nous proposons, la ville de Tournai percevrait 42,000 francs. De sorte qu'elle perdrait 10,000 fr. à ce changement.

Le deuxième principe consacré sur l'article 8 est formulé en ces termes :

« Le droit à l'entrée dans les villes et communes ne peut dépasser ces taxes de plus de 1 franc 50 centimes par hectolitre d'eau-de-vie à 50° Gay Lussac à la température de 15° centigrades. »

La section centrale y substitue le chiffre de 1 fr. Le motif de cette (page 1110) disposition, c'est d'abord que le distillateur des villes se trouve dans cette position spéciale, que plusieurs des matières premières qu'il emploie dans son industrie sont soumises à un droit d'octroi que ne paye pas le distillateur extra-muros.

J'avoue que si l'élévation de la différence de 1 fr. 50 c. n'était fondée que sur ce seul motif, il serait assez difficile de la justifier, attendu que ces matières premières, à concurrence d'un hectolitre, ne peuvent jamais représenter 1 fr. 50 c. Mais il est d'abord à remarquer que le chiffre que je propose à la chambre est un maximum, et que le gouvernement reste maître d'avoir égard aux circonstances qui dans chaque ville peuvent déterminer à rester en dessous de ce maximum. Ensuite il faut que le gouvernement ait une certaine latitude, attendu qu'il est telle ville où les octrois sont ou peuvent devenir plus élevés que dans d'autres.

Il est d'ailleurs à remarquer que le maximum d'un franc substitué à celui d'un franc cinquante centimes, pourrait avoir pour résultat l'anéantissement de l'industrie des distilleries dans l'enceinte des villes. Je sais qu'on l'a dit, ce n'est pas un bien de conserver cette industrie dans l'enceinte des villes. Il serait préférable qu'elle fût disséminée dans tout le pays. Mais enfin elle se trouve dans l'enceinte des grandes villes, et en fait de législation, je n'aime pas les principes absolus, les transitions trop brusques. A l'heure qu'il est, les administrations communales protègent les distilleries de l'intérieur des villes par une taxe différentielle qui s'élève parfois à 5 fr. et même 10 fr. Je propose 1 fr. 50 c. Je trouve la transition déjà très forte.

Allons plus loin et la plupart des distillateurs des villes devront fermer leurs usines. J'en trouve la preuve à Bruxelles. A Bruxelles, malgré la taxe différentielle de 5 fr., la moitié des genièvres consommés dans cette ville est fabriquée par les distilleries extra muros. S'il n'en est pas de même à Gand et à Tournai, c'est que la taxe différentielle est non pas de 5 fr. mais de 9 et 10 fr.

Voilà les raisons qui me déterminent à demander 1 fr. 50 c. plutôt qu'un franc.

Je me résume, et je demande pour les deux premiers paragraphes de l'article 8, l'adoption de la rédaction proposée par le gouvernement.

M. Mercier. - Je n'ai pas besoin de dire qu'en général j'approuve l'article 8 du projet de loi, puisque c'est à la suite de mon initiative qu'a été introduite dans la loi du 20 décembre 1851 la disposition qui perscrit au gouvernement de présenter un projet de loi pour faire cesser des abus qui n'ont que trop longtemps existé. Je n'aurai d'observations à présenter que sur le deuxième paragraphe de cet article. Nous nous trouvons en présence de diverses propositions, je n'hésite pas à déclarer que je me prononce pour le maximum le plus faible, c'est-à-dire pour celui d'un franc proposé par la section centrale.

Le gouvernement, dans son exposé des motifs, avait indiqué quelle serait la base de l'application de l'excédant du droit qui serait perçu sur les genièvres entrant dans les villes. Si je pouvais avoir la garantie que cette base serait fidèlement observée, il m'importerait assez peu que le maximum fût fixe à 1 fr. ou à 1 fr. 50. Mais d'après les paroles que vient de prononcer M. le ministre des finances, je vois que cette base ne sera pas suivie et qu'on entend accorder aux distillateurs des villes une protection pour empêcher ou restreindre l'importation des genièvres fabriqués au-dehors.

Eh bbn, je soutiens qu'une telle mesure blesse l'intérêt général et qu'elle constitue un privilège ; que par conséquent elle est formellement défendue par la Constitution.

L'exposé des motifs ne pouvait faire pressentir un pareil système. Aussi je me proposais de demander à M. le ministre des finances d'insérer dans la loi la phrase même de son exposé comme devant servir de base au supplément de droit d'octroi ; je ne veux donc que ce que le gouvernement a annoncé vouloir lui-même.

Je ferai remarquer d'ailleurs qu'un principe mentionné dans un exposé des motifs, sans que l'application en soit réglée par la loi, est bientôt oublié ; il est dès lors à craindre que le maximum ne devienne peu à peu le droit commun, que ce maximum ne soit sollicité par toutes les villes et que le gouvernement ne soit entraîné à l'accorder ; après les paroles que vient de prononcer l'honorable ministre des finances, le gouvernement se trouverait fort à l'aise pour faire cette concession, puisqu'on déclare nettement qu'on entend conserver une protection.

Messieurs, jusqu'aujourd'hui ces abus se sont glissés dans les octrois au mépris des lois. Mais ils ont été supportés parce qu'on contestait les faits. On contestait le rendement véritable d'un hectolitre de matière macérée ; aujourd'hui on ne le peut plus ; la vérité a été mise au grand joui ; des expériences ont été faites sous les auspices du gouvernement et je dois ici, pour lui rendre hommage ainsi qu'à la commission, reconnaître que ces expériences ont été faites avec la plus grande impartialité et le plus grand soin.

Ce qui jusqu'ici n'était que toléré, serait désormais en quelque sorte consacré par la loi même, dans de moindres proportions, j'en conviens ; mais à quelque degré que ce soit, on ne peut déposer dans la loi un principe semblable. Après l'interprétation donnée au paragraphe en discussion, non seulement je ne puis me rallier à la proposition de fixer le supplément de droit d'octroi à 1 fr. 50, mais je dois craindre qu'en le fixant à 1 fr., l'abus n'existe encore. J'admets qu'on peut imposer au genièvre importé dans les villes un excédant de droit égal aux charges qui pèsent sur le combustible et sur les matières premières employées dans la distillation ; jusque-là, l'intérêt général n'est pas blessé. Je ne sache pas toutefois que sur les matières premières il existe nulle part des droits, si ce n'est peut être à Gand, où l'on perçoit, je pense, un très léger droit ; quoi qu'il en soit, si des droits semblables étaient établis ailleurs sur les matières premières, je désire qu'on en tienne compte.

Dans beaucoup de villes il y a des droits sur la houille ; le luns élevé de ces droits est celui de 20 cent, par 100 kilog. qui est établi à Bruxelles. Dans une distillerie bien organisée, marchant régulièrement, on ne consomme guère que 100 kilog. de houille par hectolitre de genièvre.

Ce serait donc seulement 20 cent, qu'il y aurait lieu d'ajouter au droit perçu par cette ville sur le genièvre à l'intérieur, ailleurs les droits sont beaucoup moins élevés.

Je veux bien admettre que dans certaines distilleries marchant moins régulièrement, on consomme un peu plus de houille ; j'admets qu'on aille jusqu'à 150 kilog. pour la production d'un hectolitre de genièvre ; ce ne serait encore qu'un supplément de droit de 30 cent, qu'il y aurait lieu d'ajouter.

Je ne puis donc donner mon adhésion à une disposition qui aurait un autre but que celui que je viens d'indiquer ; cela serait contraire à la justice, et la Constitution ne le permet pas ; ce qui a pu être toléré par erreur ne peut être consacré par la loi.

J'attendrai la suite de la discussion pour présenter un amendement qui fasse atteindre le but que je viens d'indiquer et qui est aussi celui de la majorité de la section centrale.

M. Closset.. - Je tiens, messieurs, à expliquer brièvement le vote que j'émettrai tantôt sur l'article en discussion.

La réforme des octrois communaux ou plutôt leur abolition est désirable et désirée par beaucoup de monde : mais on a pu reconnaître que l'abolition complète ne sera pas, d'ici à bien des années, le résultat de l'initiative des grandes communes soumises à cet impôt.

Pour qu'une commune importante pût renoncer à ce mode de revenus, il faudrait que les citoyens sussent payer directement par dizaines et centaines de francs des sommes qu'ils payent aujourd'hui indirectement par francs et par centimes, et quoique notre éducation politique ait fait depuis 1830 des progrès remarquables, elle n'est pas arrivée au point de faire considérer le payement d'un impôt direct qui est encore, aux yeux de la plupart, une espèce de spoliation, comme une chose plus avantageuse que les impôts indirects que l'on paye sans difficultés.

Ne pouvant proposer l'abolition des octrois, le gouvernement paraît tendre à en réprimer les abus, à en faire disparaître les exagérations, les droits protecteurs.

Je ne blâme pas cette marche, mais je regrette qu'il commence par inquiéter les villes, à propos d'un impôt sur un produit dont la consommation est quelquefois effrayante.

Il est possible, et les lois économiques nous le disent du reste, qu'en diminuant l'impôt, les revenus communaux n'en seront pas affectes, et il en doit être ainsi si les distillateurs extra-muros espèrent placer, par la diminution du droit, une plus grande quantité de leurs produits ; mais je ne pourrais me féliciter d'une augmentation des revenus des villes sur cet objet.

Je connais une commune d'une population de 25,000 âmes, renfermant peut être 16 mille ouvriers, et dont l'octroi sur le genièvre importé représente une valeur annuelle de plus de 700 mille francs fournie par la consommation en détail de cette liqueur.

La preuve de ce chiffre est facile à faire ; la somme perçue à l'octroi, je ne tiens pas compte de l'infiltration frauduleuse, est de 39 à 40 mille francs, produite par un droit de 10 fr. 20 à l'hectolitre, ce qui représente 3,920 hectolitres ou 392,000 litres ; en calculant le titre de 40 verres, nous avons un total de verres de 15 680,000 qui, évalués à une moyenne de 5 centimes, elle n'est pas exagérée, donnent une valeur de 784,000 francs.

Cette ville, messieurs, n'est pas une exception, toutes les localités industrielles sont probablement dans ce cas.

Eh bien, messieurs, au point de vue du caractère et des mœurs des ouvriers qui en absorbent la très grande part, au point de vue de leur famille, cette consommation est déplorable. Je ne puis prêter les mains à ce qu'elle se développe encore plus.

Je voterai pour l'amendement de M. Allard, en déclarant toutefois que je suis tout disposé à aider le gouvernement dans la réforme de l'impôt d'octroi sur des objets d'une autre nécessité que celle de genièvre.

Avant de terminer je me permettrai d'adresser une demande à M. le ministre des finances.

L'article 8 porte :

« Le maximum des taxes communales sur la fabrication des eaux-de-vie est fixé au tiers du montant de l'accise.

« Le droit à l'entrée dans les villes et communes ne peut dépasser ces taxes de plus de 1 frans par hectolitre d'eau-de-vie à 50° G. L. à la température de 15° centigrades. »

Je me pose l'hypothèse d'une ville où il n'y ait pas de distilleries urbaines, et je me demande si la commune peut percevoir un droit équivalent au tiers du montant de l'accise, c'est-à-dire 7 fr. 12, plus 1 fr., en d'autres termes, si cette commune peut percevoir un droit total de 8 fr. 12 c.

M. le ministre des finances (M. Liedts). - Sans doute.

M. Maertens. - Messieurs, ayant dans une précédente séance, défendu l'intérêt des villes, j'ai été l'objet aujourd'hui de quelques attaques ; on m'a dépeint comme un homme à idées rétrogrades qui, retournant vers le passé, voudrait rétablir au profit des villes des privilèges (page 1111) qui ne s'harmonisent plus avec nos institutions. Un membre a surtout critiqué ces idées, eu égard à la tendance presque générale vers l'abolition complète des octrois.

Messieurs, s'il s'agissait de cette grave question, je me prononcerais peut-être d'une manière aussi libérale que mes honorables contradicteurs ; mais aussi longtemps que le régime actuel est maintenu, je dois protester contre une proposition qui tend à introduire incocidemment, à propos d'une loi d'impôt, une mesure attentatoire à la libre action des communes.

Lorsque j'ai parlé de libertés communales, j'ai été mal compris, puisqu'on a confondu ces libertés avec les privilèges d'une autre époque. Je n'ai entendu parler que de la latitude qu'il fallait laisser aux communes en ce qui concerne leurs intérêts financiers ; latitude qui ne présente aucun danger, puisque les budgets communaux sont soumis au contrôle du gouvernement.

M. le ministre des finances, dans la séance d'aujourd'hui, reconnaît également ces principes, mais il fixe à cet égard un maximum au-delà duquel l'action des communes ne peut s'étendre. C'est ce maximum que nous venons combattre, car, de l'aveu même de M. le ministre, le chiffre de 1 fr. 50 est la dernière limite à laquelle on puisse descendre, puisque celui de 1 fr., proposé par la section centrale, consacrerait la ruine d'un grand nombre d'industriels.

Nous soutenons qu'il en sera de même si on adopte le chiffre de 1 fr. 50 c, car plusieurs villes, protégées par des droits beaucoup plus élevés, ont déjà à soutenir aujourd'hui une concurrence ruineuse de la part des distillateurs des campagnes.

Je voudrais donc conserver aux villes une parfaite liberté de se garantir contre une concurrence qui les ruine ; mais comme la chambre paraît décidée à fixer un maximum, je me rallie à l'amendement de M. Allard qui fixe le chiffre le plus élevé.

J'ai cru, messieurs, ces explications nécessaires pour qu'on ne se méprenne pas sur la manière dont j'avais défendu la liberté communale, non au point de vue du rétablissement des privilèges d'un autre temps, mais au point de vue de principes parfaitement constitutionnels.

M. Loos. - Il est dit dans la loi de quelle manière sera réglé le droit dans les villes où il y a des distilleries, mais la loi ne dit pas comment le droit sera réglé dans les villes où il n'y a pas de distilleries. L’honorable rapporteur pense que, d'après le projet, ces dernières villes pourront imposer le genièvre comme elles l'entendront. M. le ministre partage cette opinion. Eh bien, messieurs, je trouve qu'il y a la quelque chose d'injuste, dont il pourra résulter, en définitive, beaucoup de rivalités et de jalousies entre les villes. Puisque nous nous occupons de l'intérêt des villes, je pense qu'il serait infiniment plus équitable que le droit sur le genièvre fût fixé de la même manière pour toutes les villes.

Quant à moi, messieurs, je voudrais un impôt plus fort que celui qui est proposé ; j'aurais voulu, comme l'honorable M. Allard, qu'on permît aux villes de dépasser le tiers de l'accise, et l'explication donnée par l'honorable ministre des finances ne m'a pas convaincu. Il a dit qu'en allant au-delà du chiffre proposé, il faut s'attendre à la fraude.

Le droit de 1 fr. 50 proposé par le gouvernement serait donc un maximum que nous ne pourrons plus dépasser.

Il serait donc donc dit que jamais le genièvre ne pourra plus être frappé que d'un droit de 2 francs, dont 1 fr. 50 pour le gouvernement et 50 centimes pour la commune.

Ce serait là, messieurs, une chose déplorable. Vous serez donc condamnés à rester spectateurs impassible de la démoralisation produite par l'usage du genièvre et vous ne pourrez y porter remède en élevant le droit.

Quant à moi, messieurs, je ne partage nullement les craintes de l'honorable ministre des finances et je suis convaincu qu'avec le régime actuel des distilleries nous pourrions aller beaucoup plus loin que ce que propose le gouvernement, et qu'il n'y aurait aucun inconvénient à permettre aux villes de percevoir un droit égal à la moitié de l'accise.

L'honorable M. Mercier a traité d'inconstitutionnelle la faculté qu'on donnerait aux villes, de dépasser le chiffre de 1 fr. pour la différence entre le genièvre importé et le genièvre fabriqué à l'intérieur ; il est même arrivé, par des calculs, à soutenir que le chiffre de 1 fr. serait encore inconstitutionnel, attendu qu'il ne peut pas y avoir de privilège en matière d'impôt.

M. le ministre des finances a pensé, au contraire, que si l'on descendait à un franc, les distilleries seraient anéanties dans les villes ; je partage entièrement cette opinion ; et pour l'appuyer, il suffit de voir ce qui se passe à Bruxelles et dans d'autres villes où les distilleries du dehors sont venues faire une concurrence mortelle aux distilleries de l'intérieur. M. Mercier n'a tenu compte ni du prix élevé de la main d'œuvre, ni de la cherté des loyers, ni de toutes les charges qui pèsent plus lourdement sur les distilleries des villes que sur celles du dehors.

En tenant compte de ces diverses charges, on reconnaîtra que la différence de 1 fr. 50 c, loin de constituer un privilège, ne compense réellement pas les charges, et certes, messieurs, si vous descendez au dessous de 1 fr. 50 c, (erratum, page 1155) avant peu il ne restera plus de distilleries dans les villes. Je ne sais pas si c'est là le but de quelques membres, mais je trouve, pour ma part, que ce serai une très grande injustice.

M. le président. - Voici un amendement qui a été déposé par MM. Mascart et Mercier :

« Art. 8. Ajouter au paragraphe 2 la disposition suivante :

« Ou excéder les charges qu'elles font peser sur le combustible et matières premières servant à la distillation. »

- Cet amendement sera imprimé et distribué.

La séance est levée à 4 heures et demie.