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Chambres des représentants de Belgique
Séance du lundi 30 mai 1853

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1852-1853)

(Présidence de M. Veydt, vice-président.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 1513) M. Maertens procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.

La séance est ouverte.

M. Ansiau donne lecture du procès-verbal de la dernière séance ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Maertens fait connaître l'analyse des pièces suivantes adressées à la chambre.

« Plusieurs notaires de l'arrondissement de Courtrai demandent que les fonctions de notaire soient incompatibles avec celles de bourgmestre ou de secrétaire communal, à moins qu'il n'y ait nécessité absolue d'en autoriser le cumul. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le conseil communal de Lessines présente des observations relatives au chemin de fer projeté de Tubise aux Acren et demande que cette nouvelle voie prenne son point de départ à Braine-le-Comte pour se diriger par Enghien sur Lessines. »

M. Ansiau. - Je demande le dépôt de cette pétition sur le bureau pendant la discussion du projet de loi.

- Cette proposition est adoptée.


« Les membres du bureau de bienfaisance de Saint-Nicolas réclament l'intervention de la chambre pour que le milicien Henri Fuck obtienne son congé. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Pomier, capitaine pensionné, demande que l'année 1848 compte pour une campagne aux troupes mobilisées qui ont pris part à l'expédition de Risquons-Tout. »

- Même renvoi.


« Le sieur Bonchom, maître des postes à Pepinster, prie la chambre de l'exempter du droit d'enregistrement auquel est assujettie la naturalisation qui lui a été conférée. »

- Même renvoi.


« Le conseil communal de Gellick demande que la société concessionnaire d'un chemin de fer de Hasselt vers Maestricht soit obligée de construire un embranchement de Bilsen sur Ans par Tongres. »

« Même demande du conseil communal d'Heur le-Tiexhe. »

« Même demande du conseil communal d'Henis. »

« Même demande du conseil communal de Coninxheim. »

M. de Renesse. - Messieurs, plusieurs conseils communaux de l'arrondissement de Tongres adressent des observations sur le chemin de fer de Hasselt à Maestricht, et demandent un embranchement se dirigeant de Bilsen par Tongres à Ans, de préférence à la voie ferrée proposée par M. Benard.

J'ai l'honneur de demander à la chambre de vouloir renvoyer ces pétitions à la section centrale chargée de l'examen du projet de loi relatif à la concession du chemin de fer de Hasselt à Maestricht.

- Cette proposition est adoptée.


« Le conseil communal de Hoesselt prie la chambre d'accorder la concession d'un chemin de fer de Hasselt à Liège par Tongres et Bilsen, et de rejeter le tracé proposé par le sieur Benard s'il ne le fait passer par Bilsen. »

- Même décision.


« Le conseil communal de Berg demande que le chemin de fer projeté de Liège à Hasselt passe par Bilsen et le vallon du Demer. »

- Même décision.


« Le conseil communal de Lowaige demande que le chemin de fer projeté d'Ans à Hasselt passe par Bilsen ou que la société concessionnaire d'un chemin de fer de Hasselt vers Maestricht soit obligée de construire un embranchement de Bilsen sur Ans. »

- Même décision.


« Le conseil communal de Werm demande que le chemin de fer projeté d'Hasselt à Liège passe par Bilsen et Tongres, et prie la chambre de rejeter le tracé présenté par le sieur Benard. »

- Même décision.


« M. de Baillet-Latour demande un congé. »

- Accordé.

Motion d'ordre

Annonce du mariage du prince royal avec larchiduchesse Marie-Henriette-Anne d'Autriche

M. le ministre des affaires étrangères (M. H. de Brouckere). - Messieurs, le Roi nous a chargés de vous annoncer un fait important pour l'avenir de notre patrie, le prochain mariage de S. A. R. Monseigneur le duc de Brabant avec S. I. et R. Mme l'archiduchesse Marie Henriette-Anne d'Autriche.

Cette union comble les vœux et assure le bonheur d'un prince dont la Belgique est fière à juste titre ; elle satisfait en même temps aux plus hautes convenances politiques.

Par sa naissance la future duchessse de Brabant appartient à une maison souveraine qu'a illustrée l'éclat de ses vertus non moins que la grandeur de ses destinées. Par les dons de son heureuse nature, par son caractère élevé, par toutes les qualités éminentes qui la distinguent, l'archiduchesse Marie promet de rendre à la Belgique, avec leurs noms vénérés, les belles et populaires images de Marie-Thérèse et de Louise-Marie.

Les exemples qu'elle trouvera autour d'elle continueront, en les complétant, ces traditions de famille. Comme le Roi et ses nobles enfants, elle s'identifiera avec tous les sentiments d'un peuple renommé pour sa loyauté, pour sa franchise, pour son attachement à ses mœurs, à ses institutions, à son indépendance. Belge d'adoption, elle le sera par le cœur ; elle deviendra un gage de perpétuité et de félicité pour la dynastie, comme elle est déjà un gage de sécurité pour notre pays ; celui-ci, en effet, se voit rattaché ainsi, par un nouveau lien, d’une antique monarchie essentiellement intéressée à consolider la paix du monde ; et à sauvegarder, de concert avec les autres puissances, les traités qui ont consacré la nationalité belge. (Applaudissements dans l'assemblée.)

M. le président. - Il entre sans doute dans les intentions de la chambre d'adresser des felicitalions au Roi à l'occasion de la communication qu'elle vient de recevoir ?

- De toutes parts. - Oui ! Oui !

M. le président. - De quelle manière la chambre entend-elle adresser ces félicitations à Sa Majesté ?

- De toutes parts. - En corps ! en corps !

M. le président. - La chambre décide qu'elle se rendra en corps auprès de Sa Majesté, pour lui adresser des félicitations à propos de l'heureux événement dont M. le ministre des affaires étrangères vient de lui donner connaissance.

Projet de loi établissant un service régulier de navigation entre Anvers et New-York

Dépôt

M. le ministre des affaires étrangères (M. H. de Brouckere). - Le Roi m'a chargé de présenter le projet de loi dont la teneur suit :

« Léopold, Roi des Belges, etc.

« Article unique. Les clauses et conditions de la convention passée, le 29 mai 1853, entre l'Etat belge, représenté par M. Henri de Brouckere, ministre d'Etat et ministre des affaires étrangères et les sieurs Guillaume Nottebohm, Edouard Weber et Spilliaerd-Caymax, négociants armateurs, à Anvers, et ayant pour objet l’établissement d'un service régulier de navigation à vapeur entre Anvers et New-York, sont et demeurent approuvées.

« Cette convention restera annexée à la présente loi »

- Il est donné acte à M. le ministre de la présentation du projet de loi dont il vient de donner lecture.

Ce projet et les motifs qui l'accompagnent seront imprimés, distribués et renvoyés à l'examen des sections.

Projet de loi autorisant la concession de chemins de fer de Landen à Fleurus et de Groenendael à Nivelles

Rapport de la section centrale

M. Trémouroux. - J'ai l'honneur de déposer le rapport de la section centrale qui a été chargée d'examiner le projet de loi relatif à la concession du chemin de fer de Landen à Fleurus et de Groenendael à Nivelles.

- Ce rapport sera imprimé, distribué et mis à la suite de l'ordre du jour.

Projet de loi accordant un crédit supplémentaire au budget du ministère des travaux publics

Dépôt

M. le ministre des finances (M. Liedts). - D'après les ordres du Roi, M. le ministre des travaux publics ei moi nous avons l'honneur de déposer un projet de loi de crédit supplémentaire pour travaux à faire au chemin de fer à la place d'Ath.

- Il est donné acte à M. le ministre de la présentation du projet de lui qu'il vient de déposer.

Ce projet et les motifs seront imprimés, distribués et renvoyés à l'examen des sections.

Ordre des travaux de la chambre

M. Magherman (pour une motion d’ordre). - Nous avons à notre ordre du jour le projet de chemin de fer de Tubize aux Acren qui sera probablement discuté aujourd'hui ou demain. Je demande que M. le ministre dépose le plan sur le bureau, afin que les membres de la chambre puissent en prendre connaissance, et que la discussion ne s'ouvre que le lendemain de ce dépôt.

(page 1514) M. le ministre des travaux publics (M. Van Hoorebeke). - En entrant aujourd'hui à la séance, on m'a remis une sorte de projet qui aurait pour objet de modifier essentiellement la direction du chemin de fer approuvée par les diverses sections et par la section centrale.

C'est à la suite d'un examen dont j'aurai l'honneur de rendre compte à la chambre que la direction vers les Acren ou Grammont a été adoptée.

Si la chambre trouve, dans la discussion, que les explications que donnera le gouvernement ne sont pas suffisantes, elle prendra telle décision que de conseil. Mais il serait contraire à tous les usages de la chambre de vouloir reculer, pour un motif qu'on n'est pas en mesure d'apprécier en ce moment, la discussion du projet qui figure à l'ordre du jour.

J'aurai l'honneur de faire connaître à l'honorable M. Magherrnan, pourquoi l'administration des ponts et chaussées n'a pas cru devoir adopter la direction de Lessines.

M. Magherman. - Je persiste dans ma motion d'ordre. Il est dans l'intérêt de tous que la chambre puisse s'éclairer. Ce n'est que par l'examen du plan qu'on peut se former une conviction. Je ne m'occuperai pas des observations faites par M. le ministre des travaux publics sur le tracé ; car la discussion ne peut s'établir maintenant sur ce point. Je persiste à demander le dépôt du plan sur sur le bureau. J'ai fait vainement de nombreuses démarches dans les bureaux pour obtenir cette communication. Il serait bien extraordinaire que nous dussions voter un chemin de fer sans pouvoir prendre inspection du plan et de toutes les pièces qui concernent cette construction.

M. Dumortier. - Je remarque que la discussion sur le projet de chemin de fer de Tubize aux Acren n'est que le cinquième objet à l'ordre du jour. Je ne vois pas pourquoi on le discuterait avant les autres. Les quatre objets qui le précèdent prendront au moins toute la séance. Le projet de chemin de fer de Tubize aux Acren ne viendra que demain ou après-demain. Je demande qu'on n'intervertisse pas l'ordre du jour, et qu'on dépose les plans sur le bureau ; car il est difficile de trouver un projet de chemin de fer qui soulève d'aussi sérieuses objections que celui-ci.

M. le ministre des travaux publics (M. Van Hoorebeke). - J'ai demandé simplement que rien ne fût changé à l'ordre du jour et que la chambre, avant de prendre une décision en ce qui concerne les pièces à lui être soumises, veuille bien entendre les explications que j'aurai l'honneur de lui fournir dans le cours de la discussion.

M. Rogier. - Je dois appuyer l'observation de l'honorable Magherrnan. Nous allons avoir à discuter successivement divers projets de loi relatifs à des concessions de chemins de fer. Ces projets ne sont pas accompagnés de cartes. On nous distribue des esquisses où chaque intéressé présente le tracé à son point de vue ; mais la chambre manque de l'ensemble même des projets qui lui sont soumis. Je ne voudrais pas retarder la discussion : mais M. le ministre ne pourrait-il fournir à la chambre une carte lithographiée où seraient indiqués les divers travaux proposés ? Il est impossible, sans cela, de s'y reconnaître. Je crois que la plupart de mes collègues sont dans le même cas que moi.

Je demande donc que M. le ministre veuille bien faire distribuer à la chambre une carte lithographiée indiquant les divers tracés de routes qui sont demandés en concession.

M. Mercier. - Messieurs, si le travail qu'on réclame est fait, je serai le premier à demander qu'il soit déposé sur le bureau, qu'il soit communiqué à la chambre. Mais je ne me rappelle pas que jusqu'à présent on ait jamais réclamé un travail d'ensemble sur les lignes mentionnées dans toutes les pétitions qui arrivent à la chambre en contradiction avec le projet qui est présenté. Je crois qu'il faudrait, pour satisfaire à cette demande, un très grand travail qui nécessiterait plusieurs jours. Si l'on veut attendre ce travail, il est probable que la concession de ce chemin de fer ne sera pas discutée dans la présente session. M. le ministre des travaux publics a annoncé qu'il donnerait ces explications. Si la chambre ne trouve pas ces explications suffisantes, elle aura à se prononcer sur l'ajournement du projet de loi ; mais attendons au moins le moment de la discussion.

La plupart des lignes sollicitées en concurrence ont fait l'objet de pétitions accompagnées de plans.

Les membres de la chambre, en voyant un tracé détaillé, n'en sauront pas beaucoup plus que par l'indication de quelques points principaux par lesquels le chemin de fer doit passer. C'est à quoi on s'est borné dans beaucoup d'autres occasions ; nous avons voté beaucoup de chemins de fer dont on ne nous a pas donné le tracé détaillé. Nous nous sommes occupés dernièrement d'une ligne au sujet de laquelle nous avons reçu plusieurs pétitions contradictoires avec des demandes d'autres tracés ; c'est le chemin de fer de Turnhout.On n'a pas exigé alors un travail d'ensemble ; la direction des lignes en concurrence étant indiquée dans les pétitions déposées sur le bureau de la chambre et dans le rapport de la section centrale ; il me semble qu'on ne doit pas se montrer plus exigeant à l'égard du projet en discussion. Tous les systèmes pourront être débattus sans un plan d'ensemble.

M. Prévinaire. - Parce qu'on n'a produit jusqu'à présent aucun plan à l'appui des concessions demandées, il n'en résulte pas qu'on doive indéfiniment suivre la même marche. Le précédent qu'invoque l'honorable M. Mercier n'a donc aucune valeur.

Il est certain que nous sommes en présence de concessions multipliées, que ces demandes sont de nature à engager les intérêts de concessions déjà accordées, qu'un grand nombre de localités ont également le plus grand intérêt aux tracés des concessions. La position est donc aujourd'hui nouvelle pour la chambre ; tous les jours elle se complique davantage. La chambre a intérêt à étudier avec la plus grande maturité la concession qu'il s'agit d'accorder.

Je voudrais que nous n'accordions pas de concessions, sans qu'elles aient de l'avenir ; sans cela on viendra plus tard nous demander des garanties d'intérêt pour l'exécution des chemins de fer concédés.

J'appuie parfaitement ceux de mes collègues qui ont demandé que le gouvernement nous remette un travail indiquant la direction de toutes les concessions accordées ainsi que de toutes les concessions demandées. Je ne pense pas que ce travail doive être fait avec une exactitude rigoureuse ; ce que nous demandons, c'est de pouvoir apprécier la concurrence que certaines lignes sont de nature à faire à d'autres chemins de fer, et je crois que le gouvernement pourra facilement nous fournir le travail dont il s'agit ; les divers tracés sont indiqués sur presque toutes les cartes géographiques et je ne pense pas qu'il faille plus de deux jours pour les reproduire sur la carte que l'on fournira à la chambre.

Ce qu'il nous faut, ce sont des tracés en grand avec l'approximation des distances afin que nous puissions apprécier les concessions qu'on vient solliciter.

Mon intention n’est pas de retarder la discussion du projet de loi relatif à la concession de Tubise aux Acren ; mais puisqu'il s'agit de cette concession, je prierai M. le ministre de vouloir bien nous faire connaître si cette entreprise n'est pas de nature à compromettre l'exécution d'une concession plus importante qui a été demandée depuis longtemps et qui a pour objet la construction d'un chemin de fer entre Lille et Bruxelles, par Tournai, Ath et Hal. Cette question se rattache immédiatement au chemin de fer de Tubise aux Acren, et dès lors il serait bon que nous eussions un plan qui nous permît de nous rendre compte de la concession nouvelle et de ses rapports avec les concessions demandées dans une direction à peu près semblable.

M. le ministre des travaux publics (M. Van Hoorebeke). - Messieurs, quand vous avez discuté le projet de la loi de travaux publics, en 1851, il a été distribué à tous les membres de la chambre, une carte qui indique tous les points que les chemins de fer proposés devaient traverser (Interruption.) Il a été fait depuis lors quelques nouvelles demandes mais elles ne sont pas en discussion.

L'honorable M. Prévinaire demande qu'on indique le tracé des grandes lignes qui sont demandées et qui, comme je le prouverai, peuvent porter atteinte aux lignes existantes, enlever des recettes au chemin de fer de l'Etat, et anéantir certaines concessions accordées. Je ferai remarquer à l'honorable membre qu'il s'en faut que les demandeurs en concession nous mettent toujours à même de donner ces renseignements. Comment les demandes soul-elles formulées ? On se borne à demander un chemin de fer de tel point à tel autre, d'une longueur de..., il n'y a ordinairement aucun tracé, aucun plan, aucun devis des dépenses probables, Comment, dès lors, le gouvernement pourrait-il tracer sur une carte toutes les directions des demandes en projet ?

Puisque cette interpellation est faite à l'occasion du chemin de fer de Tubise aux Acren, je demande que les honorables membres veuillent bien se pénétrer de la destination de cette ligne et du rapport auquel elle a donné lieu de la part de la section centrale.

Du reste, s'il y a moyen de fournir une carte dans un ou deux jours, je ne me refuse nullement à la déposer sur le bureau.

M. Rogier. - Ce que j'ai demandé, c'est le tracé des routes pour lesquelles les demandes de concession sont faites par le gouvernement. Du reste je n'ai pas réclamé l'ajournement de la discussion du projet de loi à l'ordre du jour.

M. A. Vandenpeereboom. - Messieurs, il est impossible que le gouvernement se refuse à communiquer à la chambre les pièces dont le dépôt est demandé. Dernièrement, lorsque nous avons discuté la loi de prorogation des péages, une proposition a été faite dans cette chambre, à l'effet d'exiger une enquête préalable, chaque fois qu'on solliciterait la concession d'un travail d'utilité publique. En cette circonstance, M. le ministre des travaux publics est venu nous dire : « L'enquête préalable est parfaitement inutile : la chambre fait l'enquête elle-même lors de la discussion, elle peut alors se faire remettre tous les documents et toutes les pièces justificatives dont elle croit avoir besoin pour s'éclairer. »

Aujourd'hui que l'enquête préalable n'a pas été reconnue nécessaire, nous demandons des renseignements, des plans, et l'on vient nous dire encore : « C'est inutile,» de sorte que nous n'aurions pas d'enquête avant la discussion, nous ne pourrions pas l'avoir pendant ; il résulterait donc de ceci qu'après le gouvernement ferait à peu près ce qu'il voudrait.

Je pense donc que M. le ministre des travaux publics ne peut pas se dispenser de produits les documents dont la chambre déclare avoir besoin pour pouvoir se prononcer en connaissance de cause.

On a dit que jusqu'ici la chambre ne s'est pas montrée très exigeante en pareil cas.

J'ignore si, en agissant ainsi, elle a bien fait ; mais ce que je sais, c'est que souvent, après avoir décrété des travaux publics, nous avons reçu des réclamations qu'il eût peut-être été possible d'éviter. Si (page 1515) jusqu'ici nous n'avons pas bien fait, il est de notre devoir de faire mieux désormais, et de nous éclairer d'une manière suffisante.

M. le ministre des travaux publics (M. Van Hoorebeke). - Messieurs, à entendre l'honorable M. A. Vandenpeereboom, il semblerait que le gouvernement se refuse à produire les pièces jugées nécessaires à l'intelligence d'une affaire. Il n'en est absolument rien...

M. A. Vandenpeereboom. - Si vous ne les refusez pas, tout est dit.

M. le ministre des travaux publics (M. Van Hoorebeke). - Permettez-moi de rectifier sous ce rapport une erreur qui tendrait à faire supposer que le gouvernement veut confisquera son profit l'examen de ces sortes d'affaires ; il n'en est absolument rien. Je répète que lorsqu'il est possible que le gouvernement indique le tracé d'une demande en concession sur une carte, il se fait un devoir de le faire.

Je répondais tout à l'heure à l'honorable M. Prévinaire qui me disait : « Il faudrait que le gouvernement fît figurer sur la carte les divers tracés des grandes lignes qui sont demandées en ce moment ; je répondais que cela n'est pas toujours possible ; qu'il y a souvent impossibilité matérielle, parce que les demandeurs ne prennent pas même toujours la peine de joindre à leur demande les profils et les tracés.

Voilà ce que j'ai dit, et je le répète, c'est là un fait avéré et incontestable.

Mais je m'engage volontiers à déposer, d'ici à quelques jours, sur le bureau, si c'est possible, nn plan indiquant le tracé des chemins de fer sur la concession desquels la chambre peut être appelée à se prononcer.

M. Dumortier. - J'appuie les observations si sages et si justes de M. Va'denpeereboom ; je crois qu'il est impossible de répondre à ces observations. Pour compléter la motion de M. Magherman, je demande le dépôt non seulement du projet de M. Zaman de Braine-le-Comte à la Dendre, mais de tous les projets concurrents, car il y a quatre demandes et il importe de pouvoir examiner les quatre projets. Vous avez dit que vous ne vouliez pas d'enquête préalable, parce que la chambre la faisait.

Vous serez fort surpris de voir que les demandeurs évincés avaient présenté des projets complets tandis que celui qui a eu la faveur d'obtenir un projet de loi de concession n'avait pas même un avant-projet.

Je demande donc que les projets de Deny, Vanderhelst, Bouquier-Lefebvre et Tarte nous soient communiqués. J'ai vu l'un de ces projets, celui qui est relatif à la route dont parle M. Prévinaire ; cet avant-projet est complètement terminé. Jadis quand on voulait avoir une concession de chemin de fer, il fallait présenter un avant-projet avec des nivellements pour qu'on puisse commencer l'instruction ; aujourd'hui on ne tient plus compte des arrêtés qui prescrivaient ces premières études ; il suffit de dire :« Je veux un chemin de fer de tel point à tel autre » pour obtenir une concession.

Si, entre cinq demandeurs vous nous forcez d'accepter celui qui n'a rempli aucune des conditions exigées par les arrêtés, et que vous vouliez soutenir que la chambre fait elle-même l'enquête, vous ne pouvez pas hésiter à déposer les projets que nous demandons.

Je veux avec tous les honorables préopinants que l'examen fait par la chambre soit un examen sérieux, puisqu'on n'a pas voulu de l'enquête préalable.

M. de Naeyer, rapporteur. - Il est satisfait à la demande de M. Dumortier ; les projets dont il a parlé sont déposés sur le bureau ainsi qu'une foule de pétitions et de réclamations concernant le tracé de ces routes. Mais voici ce qui arrive souvent : on veut avoir des communications de documents, ils sont déposés sans qu'on prenne la peine de les consulter.

M. Dumortier. - Je demande la parole.

M. Vander Donckt. - Je viens appuyer la proposition des honorables préopinants, MM. Magherman et Rogier, tendant à ce qu'il nous soit fourni des plans ou cartes figuratives exactes qui nous permettent de juger sainement en connaissance de cause les demandes en concession qui nous sont soumises ; souvent on nous présente des demandes en concession de chemins de fer accompagnés de plans ou croquis qui n'ont pas toujours le mérite d'être exacts, et même qui sont vicieux et de nature à induire la chambre en erreur comme celui qu'on nous a distribué récemment à propos du chemin de fer de Hasselt à Maestricht.

Si l'on veut que les demandes en construction de routes comme celles en concession de chemins de fer soient examinées par la chambre comme elles devraient l'être, il est indispensable de nous faire distribuer des cartes routières contenant non seulement tous les chemins, ou parties de chemins, pavés, en construction et en projet, mais encore, de tous les chemins de fer achevés, en exécution et en projet.

Pendant le temps que j'ai eu l'honneur de faire partie du conseil provincial de la Flandre orientale, on nous a distribué à trois époques différente des cartes routières où se trouvaient indiquées les routes construites, en construction et celles en projet ; et certes, ces demandes n'étaient pas d'une aussi grande importance que celles soumises à vos délibérations.

L'honorable ministre des travaux publics vient de nous dire qu'une carte a été distribuée aux membres de la chambre en 1851, à l'occasion des grands travaux publics ; je me permettrai de faire observer à M. le ministre que nous, députés nouveaux, nous n'avons pas reçu ces cartes, que cependant nous sommes appelés à émettre un avis comme les autres représentants. Je crois donc que non seulement il faudrait faire distribuer des cartes routières exactes, mais qu'il ne faudrait pas même permettre qu'on nous distribue des croquis ou esquisses qui ne sont pas certifiés exacts et authentiques, afin de ne pas permettre qu'on induise sciemment les représentants en erreur.

J'ai dit.

M. le président. - M. le ministre a déclaré qu'il satisferait autant qu'il était en son pouvoir à la demande qui a été faite. Quant à l'ordre du jour, la chambre le maintient.

Projet de loi interprétatif de l’article 112 de la loi sur la milice

Discussion générale

M. Lelièvre. - Messieurs, le projet de loi soumis à vos délibérations est fondé sur des motifs tellement décisifs qu'il est à peine nécessaire de les exposer. Un étranger inscrit sur la liste comme milicien peut-il néanmoins faire valoir devant le conseil de milice l'exemption qui résulte de sa qualité ? L'affirmative a été consacrés à juste titre par la cour de cassation. L'article 112 de la loi du 8 janvier 1817 est général. Il porte : « L'examen des motifs d'exemption et celui des remplaçants sont dans les attributions des conseils de milice. »

En conséquence, tous les motifs quelconques justifiant l'exemption peuvent être appréciés par les conseils de milice. Que l'exemption soit fondée sur une cause radicale obstative au service ou sur tout autre motif, peu importe.

On entend par cause d'exemption tout motif légal qui permet à un individu de décliner la service de la milice. D’où la conséquence que quel que soit le motif allégué à cet effet, il peut être apprécié par les conseils de milice.

Il n'est pas, d'ailleurs, possible que l'inscription sur la liste enlève à un individu le droit de faire valoir ses titres à l'exemption près des autorités chargées de statuer sur le mérite de celle-ci. Cependant dans l'espèce il arriverait qu'un individu inscrit à son insu devrait néanmoins servir et serait privé du droit de se faire exempter. Il est évident que l'opinion de la cour de cassation est conforme à tous les principes du droit et de l'équité.

Le vice fondamental du système des députations permanentes, c'est que celles-ci perdent de vue que l'inscription sur la liste n'exclut pas le droit du milicien de déduire toutes les causes qui le dispensent du service, causes qui ne peuvent être appréciées que par les conseils de milice.

L'extranéité est une cause radicale d'incapacité et a fortiori d'exemption ; cette cause peut être invoquée non seulement par le milicien mais aussi par l'Etat dans un intérêt d'ordre public. Or on ne prétendra pas sérieusement que l'inscription sur la liste enlève au milicien comme à l'Etat le droit de faire valoir un motif d'incapacité, et la généralité de l'article soumis à notre interprétation repousse la distinction sur laquelle est fondée la résolution des députations.

Le projet de loi me semble donc fondé sur des motifs irréfragables.

Le système que nous défendons est d'autant mieux fondé que l'exemption résultant de la qualité d'étranger a été établie par l’article 2 de la loi du 8 mai 1847 : or, cette cause d'exemption a nécessairement été soumise, quant au mode d'après lequel elle doit être appréciée, aux dispositions de !a loi ds 1817 qui est la loi générale sur la matière. L'article 112 de cette disposition législative est donc pleinement applicable à la prescription de la loi du 8 mai 1847.

Une considération qui me paraît décisive, c’est que le conseil de milice était appelé à décider si le milicien devait être désigné pour le service, et effectivement il a rejeté l'exemption et prononcé l'incorporation. Eh bien, je le demande, n'est-il pas évident que le milicien Bocartd a pu, pour empêcher cette désignation, déduire tous les moyens légaux qui repoussaient cette incorporation ? Le conseil de milice et, sur appel, les députations ayant à statuer sur l'incorporation avaient nécessairement droit d'apprécier toutes les questions qui s'y rattachent et par suite celle de savoir s'il existait une cause légale exemptant le milicien du service.

Il est donc évident que la décision de la cour de cassation est conforme à la loi et en conséquence je voterai en faveur du projet qui sanctionne les véritables principes et qui du reste est conforme à l’opinina des hommes les plus éminents du parquet de la cour régulatrice.

M. Orban. - La question décidée par la cour de cassation et que vous êtes appelés à consacrer par une interprétation législative est fort simple. Il s'agit de décider que les conseils de milice et les députations permanentes sont compétents pour prononcer sur tous les motifs d'exemption, soit qu'ils résultent de la loi de 1817 ou de toute autre loi, de! celle de 1848, par exemple, qui exempte de la milice les étrangers appartenant à une nation qui accorde une exemption analogue.

Comment se fait-il que, sur une semblable question, qui me (page 1516) paraît susceptible d'une contestation sérieuse, un dissentiment ait pu s'élever entre la cour de cassation et deux députations permanentes, entre le premier corps judiciaire du pays et deux collèges administratifs, familiers avec la loi sur la milice, dont ils sont appelés à faire une application journalière ?

En examinant de près et en comparant l'arrêt de la cour de cassation avec les décisions des députations permanentes,il m'a paru quecette dissidence invraisemblable n'était, en effet, qu'apparente, en ce sens que les questions résolues par la cour de cassation et par les députations permanentes ne sont pas les mêmes et que le principe posé par la cour de cassation n'est nullement violé par les décisions des députations permanentes d'Arlon et de Namur qui ont consacré un principe différent et également incontestable.

Les questions de milice peuvent donner lieu à deux ordres de réclamations. Celles qui ont pour objet une inscription indue ou irrégulière, celles qui ont pour objet une exemption légale. Les premières sont exclusivement du ressort du pouvoir exécutif.

Résolues en premier lieu par les collèges échevinaux, elles sont soumises en cas de réclamation au gouverneur de la province. Les secondes sont du ressort du pouvoir administratif contentieux, à savoir des conseils de milice et des députations permanentes.

En général, les droits à l'exemption ne dispensent pas de l'inscription. Le défaut d'inscription en temps opportun sur les listes de tirage, donne lieu, même à l'égard des miliciens exempts, à des pénalités correctionnelles. Il n'en est pas ainsi des personnes exemptées en vertu de la loi de 1848.

La loi accorde aux étrangers dont elle s'occupe non seulement l'exemption, mais la dispense de se faire inscrire sur les listes de tirage. Mais de ce que ce double droit, cette double faculté leur est accordé, il n'en résulte pas que le principe des juridictions soit changé et que les pouvoirs auxquels je viens de faire allusion aient cessé d'être incompétents, pour prononcer sur les réclamations qui ne rentrent pas dans leurs attributions.

Or, messieurs, dans le cas qui vous occupe, le sieur Bocard, réclamant comme étranger, à eu le tort de saisir le conseil de milice d'une question d'inscription qui n'était point de sa compétence. Il pouvait faire valoir auprès de lui ses droits à l'exemption ; il s'est borné à faire valoir ses droits à ne point figurer sur la liste de tirage, ou tout au moins il a fondé sa réclamation sur le droit que lui donne la loi de 1848, de ne point se faire inscrire sur la liste de tirage. Il appelait aussi le conseil de milice à s'occuper d'une question qui n'est point de son ressort, et c'est pour s'en être occupé que les députations de Namur et d'Arlon ont repoussé cette décision du chef d'incompétence.

Les décisions auxquelles se réfère l'arrêt de cassation ne disent point autre chose, et n'ont point une autre portée. Il me suffit pour cela de vous citer le principal considérant de l'arrêt de Namur ainsi conçu :

« Attendu que l'appel interjeté par Ponce Bocard dans l'intérêt de son fils, est fondé sur un motif qui sort de la compétence du conseil de milice et de la députation du conseil provincial, celui que sa qualité de Français le dispensait de toute inscription dans la milice. »

Ainsi, messieurs, vous voyez que la députation de Namur se borne à proclamer l'incompétence du conseil de milice à connaître d'un appel fondé sur un molif d'inscription, principe aussi incontestable que celui proclamé par l'arrêt de la cour de cassation, et la preuve que la réclamation du sieur Ponce avait pour objet l'inscription et non l'exemption, c'est qu'elle était portée par forme d'appel devant le conseil de milice, qui ne pouvait juger qu'en premier ressort d'une question d'exemption.

La députation de Namur (je cite cette décision parce qu'elle est la plus explicite) a donc décidé un autre principe que celui qui a été cassé par la cour suprême.

Elle a décidé l'iucompétence des conseils de milice, dans les questions qui ont l'inscription pour objet ou pour motif, et la cour de cassation a décidé la compétence de ces mêmes corps dans toutes les questions d'exemplion, quelle que soit la loi d'où elles procèdent.

Ces deux principes, comme je l'ai dit, sont également vrais et incontestables, et la députation de Namur en posant le premier a si peu contrevenu à celui que sanctionne l'arrêt de la cour de cassation, qu'elle le confirme au contraire formellement. La décision cassée reconnaît en effet d'une manière formelle les droits du milicien Bocard à l'exemption. Lisez plutôt les considérants sur lesquels elle se fonde :

« Attendu en fait qu'il est établi aux pièces du dossier que Ponce Bocard, père du milicien Hubert, est originaire Français, étant né à Brux, arrondissement de Montmédy, qu'ainsi son fils Hubert tombait sous l'application de l'article 2 de la loi du 8 mai 1847, et était exempt du service.

« Attendu en droit qu'aux termes dudit article 2 de la loi du 8 mai 1848, les étrangers appartenant à un pays où les Belges ne sont point astreints à un service militaire, sont exempts du service de la milice en Belgique ;

« Que tel esl le rapport existant entre la Belgique et la France. »

Vous voyez, messicuis, que sur le fond la deputation est d'accord avec la cour de cassation ; qu’elle apprécie comme elle les droits du milicien Boccard à l'exemption ; qu'elle s’est bornée à decider un principe de compétence fondé sur des motifs incontestables.

En résumé, messieurs, le principe posé par la cour de cassation est incontestable : mais il n'a pas été violé par les decisions qui lui ont été déférées et qui ont posé un autre principe également conforme aux lois. La loi interprétative est donc sans objet, et si elle ne présente pas d'inconvénient puisque l'interprétation qu'elle vous présente est fondée, j'ai voulu au moins vous prouver que cette interprétation n'a pas été rendue nécessaire par une violation de la loi émanant des députations permanentes d'Arlon et de Namur.

M. le ministre de la justice (M. Faider). - La question a été considérée comme très simple et très nette par la commission qui a été chargée de faire le rapport sur le projet de loi. Je lis en effet dans le rapport que « la commission n'a pas hésité à reconnaître que la saine entente des lois sur la manière, l'intérêt des jeunes gens indûment inscrits et le droit international lui-même rendent nécessaire la loi interprétative. »

Les deux députations des provinces de Luxembourg et de Namur se sont successivement déclarées incompétentes pour décider la question qui leur était soumise par le milicien Bocard.

Le premier arrêté, celui de la députation permanente du Luxembourg, après avoir donné les considérants, arrête : « Il n'y a pas lieu de s'occuper de la réclamation du sieur Bocard » parce que, disent les considérants, c'est une affaire qui concerne le gouverneur, l'administration, et non pas la juridiction contentieuse exercée par la députation.

C'est donc, dans les termes dont s'est servi la députation permanente, une déclaration d'incompétence.

L'arrêté de la députation de la province de Namur, rendu sur le renvoi prononcé par la cour de cassation porte :

« L'appel dont il s'agit est accueilli ; la décision du conseil de milice de l'arrondissement d'Arlon-Virton du 12 mars 1852 est annulée ; et faisant ce que ce conseil aurait dû faire, déclare qu'il était incompétent pour statuer. »

Evidemment, en déclarant le conseil de milice incompétent pour statuer, la députation se déclarait elle-même incompétente, puisqu'il s'agissait, dans la question même, d'examiner si le conseil de milice de Virton était incompétent.

La question de savoir comment les députations des provinces de Luxembourg et de Namur ont motivé leur déclaration d'incompétence est entièrement secondaire ; car remarquez que ce qui juge, c'est le dispositif, c'est d'après le dispositif que vous devez apprécier ce qu'on appelle en droit « res judicata » ; or le « res judicata » c'est une déclaration d'incompétence faite en termes équipollants par les deux députations, suivant laquelle la réclamation du sieur Bocard n'était pas jugée par le corps auquel elle était déférée.

Maintenant, messieurs, qu'a fait la cour de cassation ? Elle a, dans ses deux arrêts successifs, conformément à la loi organique, déclaré que la députation permanente était compétente pour décider la question.

Dans ces termes, il me semble qu'il ne peut y avoir de doute sur l'opportunité, sur la nécessite d'une loi interprétative qui mette fin à un conflit et qui donne le moyen à la justice de faire droit sur la réclamation du sieur Bocard. Remarquez bien, messieurs, que ce Bocard, qui s’est fait inscrire par eneur, qui, après le tirage et après avoir été incorporé dans le deuxième régiment d'infanterie, a réclamé son exemption en se fondant sur sa qualité d'étranger, pouvant profiter de l'exemption de la loi de 1847, est aujourd’hui en activité de service, qu’il est incorporé, qu’il ne doit pas l’être, et que par conséquent il faut nécessairement que nous arrivions à une solution.

Or, cette solution, quelle est-elle ? C'est une loi interprétative qui permette à la députation permanente de Liège, devant laquelle l'affaire est renvoyée, de juger suivant ce que vous déciderez, messieurs, dans votre souveraine appréciation législative.

C'est donc, messieurs, une question de compétence. La question est de savoir au fond, et pour les deux députations comme pour la cour de cassation, ç'a toujours eté là le fond de la question, la question est de savoir si, dans les circonstances où se trouvait Bocard, il était en droit de s'adresser successivement au conseil de milice, à la députation permanente et a la cour de cassation pour faire décider le cas d'exemption, dont il entendait profiter.

Là est donc, messieurs, pour ce qui vous concerne, la recevabilité du projet que j ai l'honneur de vous soumettre.

Je vous le demande, messieurs, que peut faire à la solution de la question qui vous est soumise, l'allégation de l’honorable M. Orban que tout ici repose sur un malentendu, que les deux députations ont décide une question et que la cour de cassation en a décidé une autre ? Messieurs, si vous vous vous donnez la peine, et je suis persuadé que vous le ferez avec une attention beaucoup plus grande encore, puisqu'il y a contestation ; si vous faites attention au soin avec lequel l'arrêt solennel du 9 août 1852 a posé la question pour établir qu'il s'agissait dans le second pourvoi de la même question que dans le premier, c'est-à-dire d'une question de compétence, vous n'avez aucun doute sur ce qu'il y a d'inexact dans l'appréciation de l'honorable M. Orban.

La cour de cassation, dit-il, a cassé ce qui n'était pas en question. Or, messieurs, il serait étrange qu'un corps aussi habile que la cour de cassation, jugeant toutes chambres réuuics, et portant son attention spéciale précisément sur les points qui avaient été décidés par les députations permanentes et sur les points qui lui restaient à décider, lorsqu'elle était réunie à cette fin, il serait étrange, dis-je, qu'elle se fût trompée.

Mais, messieurs, elle ne s'est pas trompée, La question est toujours celle-ci, comme elle l'a été devant les députations d'Arlon et de Namur, comme elle l’a été à deux reprises différentes devant la cour de (page 1517) cassation, la question est de savoir si l'étranger qui est en droit de profiter de l'exécution de la loi de 1847, fondée sur l'extranéité, qui a été incorporé, envoyé au corps par suite d'une inscription erronée, est en droit de déférer le cas d'exemption au conseil de milice, et par suite à la députation permanente. Or, messieurs, je ne crois pas que sur ce point il y ait le moindre doute.

Si je ne me trompe, l'honorable M. Orban sur ce point est d'accord avec ses honorables collègues de la commission, et le point décidé par l'arrêt de la cour de cassation ne peut pas faire l'ombre d'un doute ; c'est-à-dire que le cas d'exemption fondé sur l'article 2 de la loi du 8 mai 1817 rentre dans les termes généraux de compétence libellés dans l'article 112 de la loi de 1817 sur la milice nationale.

Vous voyez donc bien, messieurs, pour me résumer sur ce point, que quoique l'incompétence ait été déclarée par les deux députations permanentes dans des termes différents et pour des motifs différents, le résultat est absolument le même. Les motifs qui conduisent à un dispositif, et les termes dans lesquels ce dispositif est conçu, sont indifférents lorsqu'il n'y a pas d'équivoque sur la chose jugée elle-mème.

Or, je le répète, cette chose jugée a été une declaration d'incompétence. Deux fois la cour de cassation a dit que les conseils de milice étaient compétents, et par conséquent la question à juger est bien celle qui a été posée dans le projet de loi et qui a été accueillie par votre commission.

Je pense, messieurs, qu'il y a lieu de voter le projet de loi tel que le gouvernement vous l'a soumis.

M. le président. - M. Jacques vient de déposer l'amendement suivant :

« L'article 112 de la loi du 8 janvier 1817, sur l'organisation de la milice nationale, n'est pas applicable aux étrangers dans le cas prévu par l'article 2 de la loi du 8 mai 1847. »

La parole est à M. Jacques pour développer son amendement.

M. Jacques. - J'ai déposé un amendement qui rend l'opinion que je viens soutenir et qui est contraire à l'interprétation adoptée par la cour de cassation, par le gouvernement et par la commission spéciale de la chambre.

Messieurs, la question qui nous est soumise se présente dans une position qui exige de notre part une loi interprétative. Je mis sur ce point parfaitement d'accord avec M. le ministre de la justice. La cour de cassation a cassé deux fois, en déclarant que c'était par les mêmes motifs, une décision uniforme prise par deux députations permanentes. Il y a donc lieu d'appliquer l'article de la loi de 1832 qui a prévu ce cas. Il faut une loi interprétative, pour que l'affaire puisse suivre une marche ultérieure.

Mais je viens combattre tout à la fois l'opinion qui est défendue par l'honorable M. Lelièvre, qui vient de l'être par M. le ministre de la justice, qui est le fond de la doctrine professée par la cour de cassation, et qui a été adoptée par la commission spéciale de la chambre. C'est une tâche assez rude, je le sens ; mais j'espère que si vous voulez m'accorder un peu d'attention, vous reconnaîtrez qu'elle n'est pas au-dessus de mes forces.

Je vous demanderai d'abord la permission de vous citer un petit épisode. J'en tirerai le moyen de projeter quelques lumières sur le cas qui vous est soumis.

Un jeune Ardennais, récemment marié,e st venu s'établir dans les environs de Bruxelles. Ses moyens d'existence consistent principalement dans les produits d'une petite culture et d'un petit estaminet. En venant occuper cet établissement, il a eu l'avantage de se trouver entre deux voisins affables et complaisants. L'un est un simple paysan, un fermier qui exploite depuis 37 ans sans interruption la même ferme, et qui l'a fait prospérer par ses soins assidus et des travaux intelligents. L'autre est un magistrat éminent, profond jurisconsulte, très versé dans toutes les questions de droit, qui sait parfaitement apprécier toutes les questions litigieuses dont s'occupent ordinairement les cours et ils tribunaux ; il dirige en amateur, depuis trois ans seulement, une petite ferme qui est annexée à la maison de campagne.

Lorsque le jeune Ardennais fut établi, il éprouva la première année quelque incertitude sur la culture de son champ de pommes de terre. Il ne savait pas si les procédés usitées dans le Luxembourg réussiraient dans le Brabant. Il s'adressa à ses deux voisins. Le fermier lui expliqua avec les plus grands détails les procédés qu'il appliquait depuis 37 ans et qui lui avaient toujours réussi, sauf dans les quelques années où les pommes de terre avaient été malades.

Le magistrat lui expliqua les essais qu'il faisait depuis trois ans et qui avaient rarement réussi ; il lui expliqua, en outre, les essais qu'il se proposait encore de faire, d'après les lectures qu'il avait faites dans des traités d'agriculture.

Vous concevez, messieurs, que dans cette position, le jeune ardennais préféra appliquer les conseils du fermier. Il s'en trouva bien et le magistrat ne trouva pas mauvais que le jeune Ardennais avait accordé la préférence aux conseils du fermier.

Eh bien, messieurs, la chambre me paraît être, en ce moment, à peu près dans la même situation que le jeune Ardennais ; elle se trouve aussi entre des conseils qui lui viennent de deux côtés et je l'engage à suivre ceux du fermier qui exploite depuis 37 ans plutôt que ceux du magistrat qui fait des essais depuis trois ans.

En d’autres termes j’engage la chambre à préférer la jurisprudence uniforme de deux deputations permanentes qui appliquent les lois de milice depuis 37 ans et à se prononcer contre la jurisprudence de la cour de cassation qui,elle, ne s'en occupe que depuis 3 ans et seulement dans des cas très exceptionnels. Il n'est pas surprenant que la cour de cassation ne soit pas aussi compétente que les députations permanentes pour bien apprécier la portée de ces lois, la vraie signification des termes que ces lois emploient.

Messieurs, si je me permets de prendre la parole dans cette discussion, c'est que moi aussi j'ai le triste avantage d'être assez vieux pour avoir eu à m'occuper pendant de longues années de ces matières ; pour avoir été 10 ans secrétaire communal, 7 ans chef de bureau dans un gouvernement provincial et 18 ans comme commissaire de milice. Dans cette longue carrière administrative commencée en 1813 pour finir en 1818, dans cette période de 37 ans j'ai eu à étudier et à appliquer successivement toutes les législations intervenues sur le service militaire. J'ai eu à étudier et à appliquer en 1813 les lois, décrets et instructions de l'empire, sur la conscription, en 1815 les arrêtés et instructions, en 1816 les dispositions prises pour la deuxième levée.

Enfin, depuis 1817 jusqu'en 1848, j'ai dû appliquer la loi du 8 janvier 1817, les lois postérieures qui l'ont expliquée ou modifiée et les nombreux arrêtés et instructions qui ont été publiés par le gouvernement pour assurer la bonne exécution de ces lois.

Je me sens donc parfaitement à l'aise dans les divers cas qui concernent la législation sur la milice et je ne crains pas d'affirmer positivement en me réservant du reste de vous le prouver un peu plus tard, que la députation d'Arlon et la députation de Namur ont fait une saine application de la loi et que la cour de cassation l'a interprétée d'une manière abusive.

Si la chambre suivait l'opinion de la cour de cassation, ce ne serait pas interpréter la loi, ce serait plutôt l'estropier.

Avant de rencontrer et de discuter les divers détails dans lesquels l'arrêt de la cour de cassation est entré, et afin d'éclairer et de fortifier cette discussion, je prierais la chambre de me permettre de lui présenter la classification des divers cas qui exemptent du service de la milice ; ce n’est pas une classification établie arbitrairement par moi pour l'utilité de l'opinion que je viens soutenir ; c'est la classification régulière et logique, qui résulte de l'ensemble des lois sur la milice, qui repose sur de textes précis, sur des dispositions formelles de cette législation.

La législation sur la milice adivisé en 5 périodes, les obligations qu'elle impose aux citoyens.

La première période est celle de l'inscription.

La deuxième est celle du tirage, à laquelle se rattache l'incorporation sans tirage, dans les cas prévus par la loi.

La troisième période est l'examen devant le conseil de milice.

La quatrième c'est la formation des contingents ou l'incorporation.

La cinquième et dernière c'est l'activité de service.

A chacune de ces périodes se rattachent divers cas qui exemptent du service et qui forment ainsi pour chaque période une catégorie distincte.

Je dois ajouter que dans la cinquième période, les divers cas qui exemptent du service sont soumis à deux autorités différentes, de manière que pour cette période il faut deux catégories au lieu d'une. Ainsi les divers cas qui exemptent du service forment six catégories distinctes, six catégories pour lesquelles la loi établit des juridictions ou des compétences différentes.

La première catégorie comprend les cas qui exemptent du service, en se rattachant à la péiiode d'inscription. Il y en a plusieurs.

Cette catégorie comprend d'abord les individus du sexe féminin. (Interruption.) On ne soutiendra pas, je pense, que ees individus sont astreints au service ; chacun reconnaîtra que les individus du sexe féminin soit bien exempts du service. Or, si vous appliquez la doctrine de la cour de cassation, voici ce qui en résultera. La cour de cassation prétend que tous les articles de la loi qui, déclarant certains individus exempts du service, constituent des cas d'exemption à soumettre aux conseils de milice ; si l'on pousse cette doctrine à ses dernières conséquences, l'on arrive à de singuliers résultats : de ce que les individus du sexe féminin sont exempts du service, l'on devrait alors conclure qu'il y a là un cas d'exemption à soumettre à la juridiction des conseils de milice ; avec une pareille doctrine, toutes les jeunes filles du pays devraient aller se faire examiner devant les conseils de milice ; ce serait là une singulière besogne. (Interruption.) Je viens de faire rire la chambre, mais des cas pareils se sont présentés dans la pratique ; si la chambre veut me le permettre, je vais lui en citer un. C'était en 1827. Un jeune voilurier d'une commune septentrionale du Luxembourg, de la commune de Grand Halleux, si ma mémoire est fidèle, ne s'était pas fait inscrire pour la milice.

Nous n'étions pas alors sous l'empire de la législation introduite par l'article 6 de la loi du 8 mai 1847, législation qui déclare que les jeunes gens incorporés sans tirage ne viennent pas en déduction du contingent de la commune. D'après l'article 10 de la loi du 27 mai 1820 qui était encore en vigueur en 1827, les jeunes gens qui étaient incorporés sans tirage à défaut de s'être fait inscrire en temps utile, venaient en déduction du contingent assigné à la commune.

Le milicien de la commune de Grand-Halleux qui était porteur du dernier numéro appelé à compléter le contingent, crut qu'il se libèrerait du service en dénonçant ce voiturier. D’après les règles suivies à (page 1518) cette époque, le gouverneur du Luxembourg donna l'ordre d'amener le voiturier devant lui.

Arrivé devant le gouverneur, assisté de deux membres de la députa-lion, d'un médecin et d'un chirurgien, ainsi que le prescrivent les articles 10 et 39 de la loi de 1820, le voiturier déclara qu'il ne s'était pas fait inscrire, parce qu'il n'y était pas tenu ; qu'à la vérité il avait l'âge requis et s'était toujours habillé en garçon, mais qu'en réalité il n'était cependant qu'une fille. Le gouverneur et son assistance procédèrent gravement à la vérification du fait et le trouvèrent exact. Mais l'on n'appliqua pas la doctrine de la cour de cassation, l'on ne vit pas là un cas d'exemption à soumettre au conseil de milice ; le voiturier ne fut pas renvoyé devant le conseil de milice pour faire statuer sur l'exemption.

Le gouverneur renvoya le jeune voiturier chez lui avec une décision qui déclarait qu'il n'y avait pas lieu à inscription ni à aucune des obligations ultérieures imposées pair la législation sur la milice ; il donna au voiturier le conseil paternel de porter à l'avenir les habits du sexe auquel il appartenait.

Si le gouverneur avait pris une décision contraire, le ministre de l'intérieur était là pour la rectifier. (Interruption.) C'est la compétence établie par les lois sur la milice, pour tous les cas qui se rattachent à l'inscription ; cela ne doit pas vous faire rire.

Mais je reviens à la classification des divers cas qui exemptent du service de la milice. La première catégorie comprend en second lieu les jeunes gens qui, avant d'avoir atteint l'âge requis pour être assujettis à l'inscription, quittent la Belgique avec leurs familles, et vont se fixer à l'étranger sans esprit de retour ; les jeunes gens qui se trouvent dans cette position sont exempts du service, sans qu'il y ait là un cas d'exemption soumis à la juridiction des conseils de milice. Cette première catégorie comprend en troisième lieu les jeunes gens qui ayant négligé de se faire inscrire, lorsqu'ils y étaient tenus, arrivent à l'âge de 36 ans accomplis, sans avoir été arrêtés et incorporés ; ceux-là sont aussi exempts de l'inscription et de toute autre obligation de milice, en vertu du dernier paragraphe de l'article 3 de la loi du 8 mai 1847.

La même catégorie comprend, en outre, trois classes d'étrangers. Il y a d'abord les étrangers qui, sous l'empire de l'article 49 de la loi de 1817 qui n'a pas été modifié sous ce rapport par la loi de 1847, n'étaient pas assujettis à l'inscription et au tirage. L'article 49 de la loi de 1817 assujettit à l'inscription tous les habitants qui au 1er janvier ont atteint l'âge requis ; mais l'administration a toujours déclaré que sous la dénomination d'habitants assujettis à l'inscription, l'on ne devait pas comprendre les étrangers qui n'avaient qu'une résidence temporaire en Belgique, sans y être fixés d'une manière définitive, quand même ils y auraient déjà résidé plusieurs années. C'était bien là un cas analogue à celui qui a été réglé par l'article 2 de la loi de 1847, et cependant on n'y a jamais vu un cas d'exemption à soumettre à la juridiction des conseils de milice : on ne considérait cette position que comme un cas qui dispensait de l'inscription et de toutes les obligations qui en sont la suite ; ce n'était pas le conseil de milice qui prononçait ; les instructions existantes le déclaraient même incompétent pour statuer sur les cas de cette nature.

La seconde classe d'étrangers comprise dans la première catégorie des cas qui exemptent du service, se compose des étrangers qui se trouvent dans la position déterminée par le second alinéa de l'article 3 de la loi du 8 mai 1847, ce sont les étrangers qui ne viennent se fixer en Belgique qu'après avoir accompli leur 20ème année, ou qu'après avoir satisfait dans leur patrie aux lois sur le service militaire : ces étrangers ne sont pas assujettis à l'inscription en Belgique ni à aucune autre obligation de milice.

Il n'y a pas là non plus le cas d'une exemption à prononcer par les conseils de milice : ces étrangers ne sont pas portés sur les listes, et s'ils y sont portés indûment, ils sont en droit de se faire rayer.

Enfin, la dernière subdivision d'étrangers qui appartiennent à la première catégorie de cas qui exemptent du service, est celle qui est prévue par l'article 2 de la loi du 7 mai 1847. Cet article porte :

« Les étrangers appartenant à un pays où les Belges ne sont point astreints au service militaire, seront exempts du service de la milice en Belgique. »

Ce n'est pas là non plus, si on veut interpréter sainement la loi, un cas d'exemption soumis aux conseils de milice, c’est un cas qui exempte du service, c'est-à-dire qui affranchit de l'obligation de se faire inscrire et de toutes les obligations ultérieures que la loi impose à ceux qui sont assujettis à l'inscription.

Cette signification est d'ailleurs déterminée par l'article 3 de la même loi ; or, peut-on mieux interpréter un article de loi que par l'article qui le suit immédiatement et qui lui est connexe ? Cet article 5 porte :

« Par dérogation aux lois existantes, tous les Belges, mariés ou non, ainsi que les étrangers non exempts du service, qui, au 1er janvier de chaque année, auront accompli leur dix-neuvième année, se feront inscrire à l’effet de concourir au tirage au sort pour la levée de la milice. Dans les cas, etc. »

D'où il résulte que les étrangers qui sont exempts du service, ne doivent pas se faire inscrire.

Or, dans tous les cas qui dispensent de l’inscription, savez-vous quelle est l'autorité compétente d'après les lois sur la milice ? C'est d'abord l'autorité locale jusqu'au 28 janvier, date à laquelle elle doit arrêter le registre d'inscription et la liste alphabétique pour les transmettre au gouverneur, conformément à l'article 9 de la loi du 27 avril 1820, Après le 29 janvier de chaque année, la compétence passe au commissaire de milice qui l'exerce jusqu'au moment où il arrête définitivement la liste alphabétique, avant de procéder au tirage.

Quand le tirage a eu lieu, la compétence appartient au gouverneur de la province qui agit dans ce cas sous le contrôle du ministre de l’intérieur. Voilà quelles sont, d'après les lois sur la milice, les seules autorités compétentes pour statuer sur les cas d'inscription ou de-non inscription.

J'arrive à la deuxième catégorie des cas qui exemptent du service de la milice : elle se rattache à la période du tirage, ou plutôt de l'incorporation sans tirage. Cette catégorie comprend les individus qui, ayant négligé de se faire inscrire, sont transportés au chef-lieu de la province en vertu de l'article 10 de la loi du 27 avril 1820, et qui sont reconnus alors incapables de servir pour cause de maladie ou défauts corporels.

Les individus qui, dans ce cas, sont reconnus incapables de servir, sont par là même exempts du service.

Mais quelle est alors l'autorité compétente pour statuer ? D'après les articles 10 et 79 de la loi du 27 avril 1820, c'est le gouverneur de la province, assisté de deux membres de la députation permanente, d'un médecin et d'un chirurgien.

J'arrive à la troisième catégorie des cas qui exemptent du service : c'est celle qui se rattache à la période d'examen devant le conseil de milice.

Cette catégorie comprend tous les cas d'exemption qui énumérés sont dans les articles 90 à 94 de la loi de 1817et dans les divers articles des lois postérieures qui se rattachent à ceux-là. C'est ici le moment de faire remarquer que l'article 2 de la loi de 1847 ne se rattache nullement aux cas d'exemption prévus par les articles 90 à 94 de la loi de 1817 ; cet article 2 de la loi de 1847 qui concerne une certaine classe d'étrangers n'est qu'une modification de l'article 6 de la loi du 27 avril 1820, et se rattache comme celui-ci aux articles 49 et suivants de la loi de 1817, articles qui ont trait à l'inscription annuelle et qui ne concernent nullement les exemptions.

La troisième catégorie des cas qui exemptent du service comprend donc tous les cas d'exemption qui tombent sous la juridiction des conseils de milice en premier ressort de la députation permanente, en degré d'appel, et de la cour de cassation, lorsqu'il y a pourvoi, dans ce sens, c'est-à-dire si l'on ne considère comme cas d'exemption que les cas qui appartiennent à la troisième catégorie de la classification générale et qui tombe sous la juridiction des conseils de milice, il est alors vrai de dire que l'article 112 de la loi de 1817 doit avoir une signification générale et sans exception.

Du reste, la législation sur la milice n'emploie jamais le mot « exemption » que pour les cas de cette catégorie ; elle n'emploie pas le mot « exemption », quand il s'agit de cas pour lesquels la législation établit une autres juridiction que celle des conseils de milice.

La quatrième catégorie des cas qui exemptent du service se rattache à la période de la formation des contingents ou de l'incorporation. Cette catégorie comprend les individus qui, ayant concouru au tirage, ont été désignés pour le service, mais qui sont exempts du service, parce qu'ils sont porteurs d'un numéro qui n'entre pas dans le contingent. Pour cette catégorie, la décision appartient au gouverneur seul, sous le contrôle du ministre de l'intérieur. Le gouverneur seul est compétent, parce que la loi sur la matière l'a ainsi décidé, en le chargeant de donner les ordres de départ aux miliciens qui doivent composer le contingent, de remettre ces miliciens au commandant provincial, et de délivrer les certificats, littera LL, aux jeunes gens qui ont à constaler.qu'ils ne sont pas appelés au service. C'est en outre le gouverneur qui est chargé de réclamer le renvoi des miliciens qui ont été incorporés en sus du contingent ou par erreur : ce sera là la mesure qui devra être appliquée au milicien Bocard.

Les cinquième et sixième catégories des cas qui exemptent du service (je comprends l'impatience de la chambre, mais cependant je dois bien présenter une classification complète) se rattachent à la période d'activité de service ; la cinquième comprend les cas désignés dans la pratique sous le nom de réforme, ce sont les individus qui, après avoir été désignés pour le service et incorporés, sont ensuite reconnus incapables de servir par l'autorité militaire ; cette catégorie est reconnue par la loi de 1817 (articles 15 et 201).

La sixième catégorie comprend les miliciens qui, après avoir été désignés pour le service et incorporés, acquièrent un droit à l'exemption conformément aux articles 21 à 24 de la loi du 8 janvier 1817 ; ce sont les cas que l'on désigne habituellement sous le nom de licenciement : ces cas sont soumis par la loi à l'appréciation de l'autorité locale du gouverneur de la province et du ministre de L'intérieur, lequel fait délivrer les congés par le département de la guerre lorsque les demandes ont été reconnues fondées.

Ainsi, d'après la classification que je viens d'établir et qui repose sur des dispositions formelles de la législation, les divers cas qui exemptent du service se divisent en 6 catégories distinctes et à chacune de ces catégories se rattache une compétence, une juridiction différente.

Pour la première catégorie, pour les cas qui se rattachent à l'inscription, la compétence appartient à l'autorité locale, au commissaire de milice, au gouverneur de la province, au ministre de l’intérieur.

(page 1519) Pour la seconde catégorie, pour les cas qui se rapportent à la période du tirage ou de l'incorporation sans tirage, la décision appartient au gouverneur, assisté de deux membres de la députation, d'un médecin et d'un chirurgien.

Pour la troisième catégorie, pour les cas d'exemption proprement dits, la juridiction appartient au conseil de milice, à la députation permanente et à la cour de cassation.

Pour la quatrième catégorie, pour les cas où l'on est affranchi du service par son numéro, la compétence appartient au gouverneur seul, sous le contrôle du ministre de l'intérieur.

Pour la cinquième catégorie, pour les cas de réforme, la décision appartient au ministre de la guerre.

Pour la sixième catégorie, pour les cas de licenciement, la juridiction appartient à l'autorité locale, au gouverneur et au ministre de l'intérieur.

Telles sont les six juridictions, les six compétences différentes que la loi établit pour les divers cas qui exemptent du service.

Maintenant j'arrive à l'examen des arrêts de la cour de cassation.

Je ne m'arrêterai pas au premier arrêt ; ce premier arrêt qui avait cassé la décision de la députation d'Arlon pour violation des articles 51 et 77 de la loi de 1817 a été relevé par la députation de Namur ; la décision de cette députation démontre clairement que la cour de cassation s'est trompée dans son premier arrêt ; ce qui le prouve, d'ailleurs, c'est que la cour n'a plus invoqué les mêmes articles dans le second arrêt.

Je n'ai rien à critiquer dans la première partie de ce deuxième arrêt, j'arrive de suite à la partie qui concerne les pourvois du gouverneur de Namur et du milicien Bocard.

Cette partie contient dix motifs, je dois examiner chacun d'eux.

Le premier porte :

« Attendu que ces deux pourvois, bien que fondés sur des moyens différents, présentent au fond la même question, celle de savoir si les conseils de milice sont compétents pour connaître les demandes d'exemptions fondées sur l'article 2 de la loi du 8 mai 1847 ; »

Je ne m'arrêterai pas à ce premier motif ; la seule chose que je ferai remarquez c'est que l'on y prend le mot « exeemption » dans un sens que la législation sur la milice ne reconnaît pas.

« Attendu que Hubert Bocard a demandé devant le conseil de milice, non sa radiation des registres d'inscription et de tirage, mais son exemption du service, en se fondant sur sa qualité d'étranger. »

Je ne relèverai ici qu'une chose ; c'est ce qu'on ne peut pas dans ce cas demander une exemption, mais seulement une radiation.

« Attendu que l'article 112 de la loi du 6 janvier 1847 porte que « l'examen des motifs d'exemption et celui des remplaçants, ainsi que l'admission des substituants, sont dans les attributions des conseils de milice. »

On ne fait que citer la loi. Je n'ai certes aucune observation à présenter sur cette citation.

« Attendu que cette disposition est générale, absolue, et s'applique à tous les cas d'exemption. »

Je trouve ici une erreur capitale.

Si la cour ne faisait que donner au mot « exemption » la signification qu'il a dans toutes les lois de milice, je n'aurais pas d'erreur à signaler. Il est évident, en effet, que les conseils de milice sont compétents pour tous les cas d'exemption qui appartiennent à la troisième catégorie de la classification que j'ai soumise tout à l'heure à la chambre. Mais ces conseils ne sont pas compétents pour les cas des autres catégories, puisque, ainsi que je l’ai constaté précédemment, la loi établit, pour ces autres catégories, des juridictions, des compétences différentes.

Ainsi que je l'ai fait remarquer, ce n'est qu'en donnant une fausse interprétation au mot « exemption » que la cour peut trouver un motif pour casser les décisions des députations d'Arlon et de Namur.

Le cinquième motif invoquée par la cour de cassation est celui-ci :

« Attendu que la loi du 8 mai 1847 dispose, dans son article 2, que « les étrangers appartenant à un pays où les Belges ne sont point astreints au service militaire seront exempts du service de la milice en Belgique. »

Ce n'est là qu'une citation d'un article de loi, je n'aurai qu'à contester tout à l'heure les inductions qu'on en tire.

« Attendu que cette loi, en introduisant une nouvelle cause d'exemption, ne renferme aucune dérogation aux règles de compétence établie par l'article 112 de la loi du 8 janvier 1817. »

Voici l'une des grandes erreurs où la cour de cassation est tombée. L'article 2 de la loi de 1847 n'a fait que préciser l'un des cas qui affranchissent de l'inscription, du tirage et de la juridiction du conseil de milice ainsi que de toutes les conséquences ultérieures.

Il est impossible qu'un article de loi ait deux significations contradictoires : l'article 2 de la loi de 1847 ne peut donc pas signifier d'une part que l'étranger est exempt de l'inscription, du tirage et de la juridiction du conseil de milice, et signifier en même temps que l'étranger est assujetti à l'inscription et au tirage pour être exempté par le conseil de milice.

Or, la corrélation de l’article 2 avec l'article 3 prouve que l'article 2 a la première des deux significations qui viennent d'être indiquées ; cet article ne peut donc pas avoir la seconde signification, et ne peut pas dès lors constituer un cas d'exemption.

La législation sur la milice ne contient aucune disposition qui laisse à un iudividu l'option de se faire inscrire ou pas, de concourir au tirage ou de ne plus y concourir. La législation assujettit ou dispense ; il n'y a d'option nulle part.

Pourquoi donc voudrait-on que la loi de 1847 eût introduit une disposition qui n'a aucun rapport avec les dispositions sur la matière ? C'est impossible.

Il n'y a donc pas dans l'article 2 de la loi de 1847 une nouvelle cause d'exemption ; il y a seulement l'indication d'un cas où les étrangers ne sont pas tenus à se faire inscrire. S'ils ont été inscrits indûment, ils ont le droit de demander leur radiation de la liste d'exemption et de la liste du tirage.

Voici maintenant le septième motif :

« Attendu que s'il est vrai que, d'apres l'article 3 de la loi du 8 mai 1847, l'étranger qui a droit à l'exemption n'est pas tenu de se faire inscrire à l'effet de concourir au tirage, il n'en résulte nullement que si, par une erreur provenant, soit de l'autorité administrative, soit de l'étranger lui-même, l'inscription a été indûment faite, la partie intéressée ne puisse, dans le cas où le sort lui serait défavorable, faire valoir ses droits à l'exemption devant le conseil de milice ; »

Ce motif de la cour de cassation renferme la même erreur que je signalais tout à l'heure ; il suppose que l'article 2 de la loi de 1847 a établi un nouveau cas d'exemption, tandis que, comme je m'ai dit plusieurs fois, il ne fait qu'indiquer un cas où l'étranger n'est pas tenu de se faire inscrire.

Or, quand on n'est pas tenu à se faire inscrire, on ne peut être assujetti à aucune des obligations que les lois de milice imposent aux citoyens, et dès lors il ne peut pas y avoir un cas d'exemption.

Voici maintenant le huitième motif allégué par la cour de cassation :

« Attendu que les listes d'inscription n'étant plus susceptibles de révision après le tirage, toute voie de recours serait fermée à l'étranger, si le conseil de milice ne pouvait être appelé à prononcer sur sa demande en exemption. »

Si ce motif était vrai, je conviens qu'il faudrait bien adopter l'interprétation de la cour de cassation. Mais il contrevient formellement et directement à la loi. Les listes d'inscription sont susceptibles de révision après le tirage, lorsqu'elles renferment des erreurs. La loi même du 27 avril 1820 le dit dans son article 13 ainsi conçu :

« Art. 13. S'il arrivait qu'un individu qui doit prendre part au tirage n'y ait pas concouru, le commissaire de milice procédera à un tirage supplémentaire, en présence de deux membres de l'administration locale, en observant, autant que faire se pourra, les règles prescrites pour le tirage ordinaire. Ce tirage supplémentaire aura lieu également à l'égard de ceux qui, d'après l'article 6 de la présente loi, doivent se faire inscrire dans la classe à laquelle ils appartiennent par leur âge. »

Vous voyez donc que suivant une disposition législative formelle, la liste du tirage peut être rectifiée après que toutes les opérations du tirage sont terminées ; qu'il y a une voie légalement ouverte pour ajouter à la liste du tirage ceux qui n'y ont pas pris part et qui doivent en courir les chances.

Dans les cas où il y a lieu à radiation, cette radiation est prononcée, non par le conseil de milice, mais par l'autorité qui est compétente lorsqu'il s'agit d'inscription, c'est-à-dire par le gouverneur de la province, sous le contrôle du ministre de l'intérieur.

Il résulte de là que Bocard aurait dû s'adresser au gouverneur pour demander sa radiation des listes. Le gouverneur aurait prononcé la radiation, et aurait notifié la décision au ministre de la guerre pour obtenir le renvoi du régiment.

Voilà la vraie marche à suivre pour l'exécution des lois sur la milice. Il n'y en a pas d'autre.

Voici maintenant le neuvième motif allégué par la cour de cassation ;

Le motif qui vient d'être transcrit renferme une erreur. Le conseil de milice ne peut pas, sans contrevenir d'une manière formelle à la législation qui détermine la manière d'exercer ses attributions, baser ses décisions sur des renseignements à fournir par le gouverneur. Voici dans quels termes est conçu l'article 133 de la loi du 8 janvier 1817.

« Les conseils de milice ne prononceront à l'égard de qui que ce soit l'exemption définitive ou provisoire, sans.... et qu'après avoir examiné et approuvé les certificats requis par cette loi et nul autre. »

Le conseil de milice ne peut donc avoir à demander des renseignements au gouvernement. Il ne peut qu'examiner les certificats qui sont présentés par les intéressés et qui leur ont été délivrés par les autorités locales ou par l'autorité militaire, aux termes de la loi.

Le dixième motif de la cour de cassation est ainsi conçu :

« Attendu qu'il suit de ce qui précède que l'arrêté attaqué, en décidant que le conseil de milice d'Arlon-Virlon était incompétent pour statuer sur la demande en exemption formée par Hubert Bocard, du chef d'extranéité, a expressément contrevenu à l'article 112 de la loi du 8 janvier 1817. »

C'est ce que je conteste.

J'ai combattu le fond ; je l'ai fait d'une manière qui, si vous y réfléchissez, portera la conviction dans vos esprits. Je me résume :

Je préfère la jurisprudeace des députations permanentes à la (page 1520) jurisprudence de la cour de cassation ; les députations permanentes appliquent depuis 37 ans les lois sur la milice, tandis que la cour de cassation n'a eu à les appliquer que depuis trois ans et dans des cas peu nombreux. Les députations d'Arlon et de Namur ont d'ailleurs une jurisprudence uniforme, tandis que la cour de cassation n'est pas d'accord avec elle-même, le second arrêt n'invoquant plus les mêmes articles de lois que le premier.

L'article 2 de la loi du 8 mai 1847 n'a pas établi un nouveau cas d'exemption ; il n'a fait que modifier l'article 49 de la loi du 8 janvier 1817 et l'article 6 de la loi du 27 avril 1820, articles qui établissent des dispenses d'inscriplion et non pas des cas d'exemption.

Bocard n'était pas tenu à se faire inscrire ; il ne pouvait donc pas invoquer la juridiction du conseil de milice pour se faire exempter. Il devait suivre les règles tracées par la loi, et réclamer sa radiation des listes : cette radiation peut d'ailleurs encore être prononcée par le gouverneur, la loi ne prescrivant nulle part un délai fatal qui mette obstacle à une pareille rectification.

Je crois en avoir dit assez. Mon amendement est ainsi conçu :

« L'article 112 de la loi du 8 janvier 1817 sur l'organisation de la milice nationale, n'est pas applicable aux étrangers, dans le cas prévu par l'article 2 de la loi du 8 mai 1847. »

Permettez-moi de vous faire encore une observation, c'est qus la loi de 1847 a été présentée à la suite des rapports élaborés par les bureaux de milice attachés aux gouvernements provinciaux. Ces bureaux sont donc très compétents pour juger le vrai sens à donner aux articles de cette loi.

M. le ministre de la justice (M. Faider). - L'honorable M. Jacques prétend que les députations permanentes, appliquant depuis 35 ans les lois sur la milice, ont infiniment plus d'expérience que la cour de cassation qui les applique depuis 3 ans seulement, depuis 1849. Je ferai remarquer à la chambre que cet argument ne peut valoir, puisqu'il s'agit de la loi du 8 mai 1847, et que les députations permanentes ne sont pas plus anciennes dans l'interprétation de cette loi que la cour de cassation elle-même.

J'ajouterai que la cour de cassation a chaque année un nombre considérable de pourvois en matière de milice, qu'elle s'en occupe avec assiduité et qu'elle est parfaitement en position, à l'heure qu'il est, de comprendre et d'interprêter les lois sur la milice.

Voici, messieurs, en peu de mots, suivant les déclarations de faits qui sont renfermées dans les arrêts, de quoi il était question.

Bocard, se croyant sujet au service de la milice, s'est fait inscrire au registre de la commune. Il a pris part au tirage, et ce n'est qu'après y avoir pris part et au moment où il était désigné pour le service, qu'il a reconnu l'erreur dans laquelle il avait versé et qu'il a demandé au conseil de milice son exemption de service, fondée sur l'article 2 de la loi du 8 mai 1847. Cet article porte : « Les étrangers appartenant à un pays où les Belges ne sont pas astreints au service militaire seront exempts du service de la milice en Belgique. »

Cette question, à ce point de vue, avait une grande importance. Elle n'était pas seulement importante au point de vue de la liberté de Bocard qui n'était pas soumis au service, puisque les Belges, en France, ne sont pas astreints au service militaire ; elle avait encore une importance internationale qui n'a pas échappé à voire commission, laquelle, dans son rapport, y a fait allusion.

Il est très intéressant que des questions de ce genre puissent être décidées et soient décidées par des corps judiciaires, non point par des corps de juridiction administrative, mais un véritable corps judiciaire, c'est-à-dire la cour de cassation. Les questions d'extranéité qui se rattachent à l'exemption fondée sur la qualité d'étranger, sont des questions qui ont une grande importance, qui doivent nécessairement être déférées à la cour de cassation et par conséquent aux corps judiciaires qui servent en quelque sorte d'échelons vers cette cour.

A ce point de vue, il n'y a rien d'étonnant que la cour de cassation ait pensé que la matière en elle-même offrait assez d'importance et une importance beaucoup plus grande que celle de savoir, par exemple, si un individu a reçu une blessure dans les combats de la révolution. Or, aux termes de la loi du 28 mars 1835, les conseils de milice s'occupenl des cas d'exception fondés sur les blessures reçues dans les combats livrés pour l'indépendance de la Belgique. Les conseils de milice déclarés compétents pour de pareils cas qui sont tout à fait individuels, devaient nécessairement être déclarés compétents pour des cas beaucoup plus importants et où des questions d’internationalité, d'extranéilé étaient en jeu.

Ainsi, à l'époque où le premier arrêt dans l'affaire Bocard a été rendu, la cour de cassation a été appelée à prononcer sur un autre cas à peu près identique et dans lequel, par arrêt du 3 mai 1852, sur mes conclusions, elle a déclaré n'avoir pas à tenir compte d'un arrêté du gouverneur de la province du Hainaut, décidant qu'un individu, invoquant le privilège de ne pas être inscrit, parce qu'il était Français, devait être maintenu sur le registre d'inscription.

La décision du gouverneur maintenait d'une manière définitive le milicien sur le registre d'inscription. Qu'avait fait le gouverneur ? Il avait jugé une question d'état civil et d'état civil international.

Il n'est pas vrai de dire que la loi donne aux gouverneurs un pareil droit, et la cour de cassation, dans l'arrêt auquel je fais allusion, a, sans s'arrêter à la décision du gouverneur laquelle a été déclarée non avenue, a jugé que la députation permanente était compétente, et devait prononcer sur le cas d'exemption, c'est-à-dire sur la qualité d'étranger ou de Belge de l'individu réclamant.

L'affaire fut renvoyée devant la députation permanente du Brabant, laquelle, sous la présidence de mon honorable collègue, M. Liedts, alors gouverneur, s'est rallié à l'appréciation de la cour de cassation.

Voilà donc, messieurs, un conseil de milice et certainement un des plus importants du pays, celui d'une province très populeuse, qui s'est rallié à la doctrine de la cour de cassation, doctrine qui est la même que celle dont nous nous occupons actuellement.

La question, messieurs, est de savoir si, lorsque d'une part l'article 2 de la loi du 8 mai 1847 dit : « les étrangers appartenant à un pays où les Belges ne sont pas astreints à un service militaire, seront exempts du service de la milice en Belgique, et lorsque l'article 112 dit dans des termes que la cour de cassation déclare généraux, que l'examen des motifs d'exemption et celui des remplaçants ainsi que l'admission des substituants, sont dans les attributions des conseils de milice, il peut y avoir du doute sur la compétence d'un conseil de milice auquel un individu vient dire : « Jai été inscrit par erreur et je me fonde sur la loi pour demander mon exemption, parce que je suis étranger. »

Les questions d'extranéité, la question de savoir si un individu, a perdu ou conservé la qualité de Français, ou si, par son origine, il doit être considéré comme Belge ou comme Français, ces questions sont des questions tout à fait contentieuses, et la juridiction contentieuse chargée de juger ces questions a été organisée d'une manière plus large et plus spéciale par une loi du 18 juin 1849 sur le recours en cassation en matière de milice. Cette loi a eu pour but de donner des garanties judiciaires, des garanties beaucoup plus sérieuses au jugement des questions de milice, et ce n'est pas en présence d'une loi comme celle du 18 juin 1849, qu'on peut avoir le moindre doute sur le bien juge de la cour de cassation.

Messieurs, vous remarquerez que pour le fond qui est aujourd'hui contesté par l'honorable M. Jacques, il n'y a pas eu dissentiment dans votre commission ; que la cour de cassation s'est conformée dans les deux arrêtés a l'opinion émis par le ministère public, et notamment par l'honerable procureur général, M. Leclercq, dont les conclusions sont au Bulletin des arrêts de la cour de cassation, et que la question se trouve décidée dans des termes tellement clairs, tellement évidents qu'il ne peut rester dans l'esprit de la chambre, il me semble, le moindre doute sur la compétence des conseils de milice pour décider une question dans les termes où celle-ci est posée.

- La clôture est demandée.

M. Jacques (contre la clôture). - Je ne veux pas occuper la chambre très longtemps, mais j'aurai à répondre aux arguments que vient de faire valoir M. le ministre de la justice. Je prouverai facilement, si on veut m’entendre, que ces arguments n'ont pas de valeur dans le cas qui nous occupe.

- La clôture est mise aux voix et prononcée.

Discussion de l'article unique

L'amendement de M. Jacques est mis aux voix ; il n'est pas adopté.

Il est procédé au voie par appel nominal sur l'article unique du projet, qui est ainsi conçu :

« L'article 112 de la loi du 8 janvier 1817, sur l'organisation de la milice nationale, est applicable au cas d'exemption prévu l'article 2 de la loi du 8 mai 1847. »

L'appel nominal constate que la chambre n'est plus en nombre.

- La séance est levée à 4 heures trois quarts.