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Chambres des représentants de Belgique
Séance du samedi 3 décembre 1853

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1853-1854)

(Présidence de M. Delfosse.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 139) M. Ansiau procède à l'appel nominal à 1 heure et un quart.

M. Dumon donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Ansiau présente l'analyse des pièces adressées à la chambre.

« Des négociants, fabricants et industriels de Rupelmonde demandent que les péages du canal de Charlcroi et de la Sambre soient mis en harmonie avec ceux des autres voies navigables, et qu'en attendant la mise à grande section du canal de Charleroi à Bruxelles et l'approfondissement de la Sambre au même tirant d'eau que le canal de Charleroi, ils soient réduits, sur le canal à petite section de Charleroi à Bruxelles, à 40 centimes pour tout le parcours, et sur la Sambre canalisée à 2 centimes par tonne-lieu pour toute destination. »

- Renvoi à la commission des pétitions.

M. de T'Serclaes. - La chambre a été saisie, ces jours derniers, d'une pétition ayant le même objet, émanant des habitants de la commune de Tamise. La chambre a décidé que cette requête serait renvoyée à la commission des pétitions avec invitation de faire un prompt rapport. Je demande la même faveur pour la pétition dont on vient de faire l'analyse.

M. Rodenbach. - Voilà une douzaine de pétitions qui nous arrivent de la part de négociants et industriels de Charleroi qui demandent que les péages sur le canal de Charleroi et la Sambre canalisée soient mis en harmonie avec ceux qui sont perçus sur les autres voies navigables.

Quand la Chambre est saisie de douze pétitions portant sur le même objet, on devrait, ce me semble, faire un rapport. Il est urgent de faire droit aux réclamations des pétitionnaires pour que Charleroi puisse fournir de la houille dans les Flandres où non seulement elle est très chère, mais où elle manque. Mons a le monopole de l'approvisionnement des Flandres ; si l'on abaissait les péages sur le canal de Charleroi et sur la Sambre, nos usines, nos fabriques pourraient tirer des houilles du bassin de Charleroi et ne seraient pas, comme cela arrive souvent, exposées à chômer faute de combustible.

Ces mesures sont d'autant plus urgentes que les charbons étrangers payent un droit de fr. 14 84 c. les mille kilog. non compris les centimes additionnels.

Je demande, comme M. de T'Serclaes, le renvoi à la commission des pétitions avec invitation de faire un prompt rapport.

- Cette proposition est adoptée.


« Les membres de l'administration communale et des habitants et cultivateurs de Brecht demandent qu'il soit interdit aux administrations communales d'établir un impôt sur les vidanges ou autres engrais et que les villes et communes populeuses soient tenues d'avoir en dehors de l'enceinte des habitations un emplacement réservé au dépôt des engrais. »

- Même renvoi.

« Les membres du conseil communal et des habitants de la commune de Tournai prient la Chambre de rapporter la loi du 25 mars 1847 sur le défrichement des terrains incultes en tant qu'elle s'applique aux veines pâtures de l'Ardenne luxembourgeoise.

« Même demande des membres du conseil communal et d'habitants de Jusseret. »

- Même renvoi.

Projet de loi, amendé par le sénat, de code forestier

Discussion des articles

Titre X. Police et conservation des bois

Article 116 et 118

« Art. 116. Aucune usine à scier le bois ne pourra être établie dans l'enceinte, et à moins de 250 mètres de distance des bois et forêts soumis au régime forestier par l'article premier de la présente loi, qu'avec l'autorisation du Roi, sous peine d'une amende de 100 à 500 francs et de la démolition dans le mois à dater de la signification du jugement qui l'aura ordonnée. »

La commission en propose l'adoption.

L'article est mis aux voix et adopté.


« Art. 118. Les autorisations accordées en vertu des articles 111, 112, 115 et 116 pourront être retirées par le Roi, à ceux qui auront subi plus de deux condamnations du chef de délits forestiers.

« Les autorisations accordées, en vertu de l'article 115, pourront être retirées dans le même cas, de l'avis conforme de la députatiou permanente du conseil provincial. »

Le changement introduit consiste dans la substitution du mot « le Roi », au mot « le gouvernement ».

Cet article est mis aux voix et adopté.

Titre XI. De la procédure en matière de délits commis dans les bois soumis au régime forestier

Article 121

« Art. 121. Les agents, arpenteurs et gardes forestiers recherchent et constatent, jour par jour, par procès-verbaux, les délits et contraventions en matière forestière et de chasse, savoir : les agents et arpenteurs, dans toute l'étendue du territoire pour lequel ils sont commissionnés, et les gardes, dans l'arrondissement du tribunal près duquel ils sont assermentés. »

La commission propose de supprimer le mot « arpenteurs ».

M. le ministre de la justice (M. Faider). - Messieurs, le projet primitif avait compris les arpenteurs au nombre des agents chargés de la recherche et de la constatation des délits. La commission gouvernementale, qui a préparé le projet, s'était conformée au Code forestier français, dont l'article 160 donne cette mission aux arpenteurs comme aux employés et aux agents de l'administration forestière ; la commission de la chambre a cru devoir supprimer les arpenteurs ; le sénat a jugé à propos de les rétablir. Je suis d'avis qu'il convient de maintenir la rédaction du sénat.

La mission qu'elle donne aux arpenteurs ne présente aucun inconvénient et offre des avantages ; la commission du sénat a signalé les délits d'outre-passe, délits spéciaux, que les arpenteurs peuvent mieux que tout autre agent constater. Il n'y a pas de motif pour ne pas se rallier à la proposition du sénat qui n'est que la reproduction du projet primitif du Code forestier français, et rétablir les arpenteurs dans l'article 121 et dans tous les articles où la modification a été introduite.

M. Orts, rapporteur. - Messieurs, le motif qui a déterminé la commission à ne pas donner aux arpenteurs forestiers le pouvoir, accordé aux autres agents de l'administration, de rechercher et de constater les délits, est celui-ci : les arpenteurs, à la différence des autres employés forestiers, n'ont pas de mission permanente ; ils sont appelés quand le besoin d'un arpentage se fait sentir, et lorsque l'arpentage est terminé, l'arpenteur forestier disparaît.

Nous croyons qu'il est inutile par conséquent de donner aux arpenteurs forestiers le pouvoir de constater jour par jour les contraventions forestières que se commettent dans l'étendue du territoire pour lequel ils sont commissionnés. Nous croyons que cela est inutile, nous croyons même que ce pouvoir est un très mauvais cadeau à faire aux arpenteurs. En effet, si la disposition est maintenue, non seulement les arpenteurs obtiendraient le droit de rechercher et de constater jour par jour les délits et les contraventions, mais ils en auraient l'obligation.

Cette obligation transformerait leur mission complètement temporaire, complètement accidentelle, en une mission permanente.

C'est là une complication inutile. Les agents réels de l'administration suffisent pour la surveillance permanente ; leur surveillance est seule utile, parce que seuls ils ont une mission permanente. Les arpenteurs forestiers ne peuvent constater les délits et contraventions que dans une circonstance : c'est lorsqu'ils procèdent à un arpentage ; et pour ce cas il est superflu de leur donner un pouvoir général dans la loi, car ils ont déjà pour cette opération un pouvoir spécial.

La loi les oblige de faire les procès-verbaux d'arpentage et de réarpentage. Si donc à cette occasion une contravention est constatée par eux, elle sera constatée que vous conserviez les arpenteurs dans les articles 121 et suivants ou que vous ne les y conserviez pas.

Rangés sur la même ligne que les autres agents de l'administration, les arpenteurs acquerraient un autre pouvoir réellement exorbitant que nous sommes obligés, il est vrai, de concéder aux agents proprement dits ; mais ceux-ci fournissent des garanties toutes particulières.

Ce pouvoir est celui de dresser des procès-verbaux qui dans certains cas peuvent faire foi de ce qu'ils constatent jusqu'à inscription de faux. C'est là une mesure exorbitante qui doit être soigneusement restreinte dans de sages limites, pour ne pas dégénérer en un véritable abus.

Nous croyons donc qu'il n'y a aucune raison pour la chambre d'agir au second vote autrement qu'au premier. A cette époque, la suppression du mot arpenteurs n'avait soulevé aucune réclamation ; le gouvernement l'avait acceptée comme la commission l'avait proposée.

Les motifs donnés par M. le ministre de la justice portent à faux, parce que les pouvoirs spéciaux qu'on veut accorder ici par une disposition générale à ces employés, ils les tiennent déjà d'autres articles de la loi.

M. Tesch. - J'ai une simple observation à faire : c'est que si l'on maintenait les arpenteurs dans les différents articles dans lesquels le Sénat les a introduits, ce serait en quelque sorte un non-sens. Ainsi à l’article 124, on trouve : « Les agents, arpenteurs et gardes arrêteront et conduiront devant le juge de paix, devant le bourgmestre ou devant le commissaire de police tout individu surpris en flagrant délit. » C'est là une mission dont les arpenteurs ne sont pas du tout chargés. On s'est mépris sur les fonctions qu'ils remplissent. Les arpenteurs sont appelés à mesurer une coupe avant que cette coupe ne soit faite.

Cette coupe faite, l'arpenteur voit si l'on est resté dans les limites fixées. Voilà sa mission dans tous les pays. Ici, au contraire, les arpenteurs seraient transformés en véritables agents forestiers, ce qui n'existe nulle part. On ne peut donc les maintenir dans la loi. On aurait pu les maintenir dans l'article 121 ; mais on n'aurait pas dû dire qu'ils recherchent et constatent jour par jour les délits et contraventions, ce qui suppose une mission continue et permanente.

- La suppression du mot « arpenteur » est mise aux voix et prononcée.

M. Orts, rapporteur. - Le mot « arpenteur » se trouve deux fois dans l'article. Le projet de la commission, par méprise, n'en demande la suppression qu'au paragraphe premier ; il doit aussi être supprimé dans le paragraphe final.

(page 140) M. le président. - Le mot « arpenteur » sera supprimé partout où il se trouve.

- L'ensemble de l'article est adopté.

Articles 122 à 127 et 131

« Art. 122. Les agents, arpenteurs et gardes sont autorises à saisir les bestiaux trouvés en délit, et les instruments, voitures et attelages du délinquant, et à les mettre en séquestre. Ils suivront les objets enlevés par le délinquant jusque dans les lieux où ils auront été transportés, et les mettront également en séquestre. Ils ne pourront néanmoins s'introduire dans les maisons, bâtiments, cours et enclos adjacents, si ce n'est en présence, soit du juge de paix, soit du bourgmestre, soit du commissaire de police. »

- Adopté avec la suppression du mot « arpenteurs ».


« Art. 124. Les agents, arpenteurs et gardes arrêteront et conduiront devant le juge de paix, devant le bourgmestre ou devant le commissaire de police, tout individu surpris en flagrant délit. »

- Adopté avec la suppression du mot « arpenteurs ».


« Art. 125. Tout étranger surpris en flagrant délit forestier pourra être arrêté, mis à la disposition du procureur du roi et retenu sous mandat de dépôt décerné par le juge d'instruction, jusqu'à ce qu'il ait élu domicile dans le royaume, que l'amende encourue ait été consignée entre les mains du receveur des domaines, ou que la rentrée en ait été assurée d'une autre manière. Si le tribunal n'est pas saisi de la cause dans la quinzaine, le prévenu sera mis en liberté.

« Lorsque le délit entraînera la peine d'emprisonnement, le prévenu restera soumis aux règles générales de la procédure criminelle. »

- Adopté.


« Art. 126. Les agents, les arpenteurs et les gardes de l'administration des forêts ont le droit de requérir directement la force publique pour la répression des délits et contraventions en matière forestière, ainsi que pour la recherche et la saisie des bois coupés en délit, vendus ou achetés en fraude. »

- Adopté avec la suppression du mot « arpenteurs ».


« Art. 127. Les gardes et les arpenteurs signeront leurs procès-verbaux et les affirmeront, au plus tard, le lendemain de la clôture, par-devant le juge de paix du canton, ou par-devant le bourgmestre soit de la commune de leur résidence, soit de la commune où le délit a été commis ou constaté ; le tout sous peine de nullité.

« Si le procès-verbal n'est pas écrit de la main du garde, l'officier public qui en recevra l'affirmation devra lui en donner préalablement lecture et mentionner cette formalité dans l'acte d'affirmation, sous peine de nullité. »

- Adopté avec la suppression du mot « arpenteurs ».


« Art. 131. Si les bestiaux saisis ne sont pas réclamés dans les cinq jours qui suivront le séquestre, ou s'il n'est pas fourni caution, le juge de paix ordonnera la vente par adjudication au marché le plus voisin. Il y sera procédé à la diligence du receveur des domaines, qui la fera publier 24 heures d'avance.

« Les frais de séquestre et de vente seront taxés par le juge de paix et prélevés sur le produit ; le surplus restera déposé entre les mains du receveur des domaines.

« Si la réclamation a été rejetée faute de caution, ou si la réclamation n'a lieu qu'après la vente des bestiaux saisis, le propriétaire n'aura droit qu'à la restitution du produit net de la vente, tous frais déduits, dans le cas où cette restitution serait ordonnée par le jugement. Le receveur retiendra sur ce prix le montant des condamnations prononcéci du chef du délit qui aura donné lieu à la saisie. »

- Adopté.

Article 132

« Art. 132. Toutes poursuites exercées au nom de l'administration des forêts, et à la requête de ses agents, ou pour les mêmes délits, d'office par le ministère public, sont portées devant les tribunaux correctionnels, lesquels sont seuls compétents pour en connaître. »

La commission propose de rédiger cet article comme suit :

« Les tribunaux correctionnels sont seuls compétents pour conuattre des délits forestiers. »

M. le ministre de la justice (M. Faider). - Je pense, messieurs, qu'il y a une légère correction à faire à cet article. Tel qu'il est rédigé par la commission, il comprendrait même les délits commis dans les bois des particuliers. Il serait plus conforme à l'esprit de la loi de dire :

« Les tribunaux correctionnels sont seuls compétents pour connaître des délits commis dans les bois soumis au régime forestier. »

- L'article, ainsi amendé, est mis aux voix et adopté.

Article 134

« Art. 134. Les gardes pourront, dans les poursuites exercées au nom de l'administration forestière, faire toutes les citations et significations d'exploits. Ils ne pourront pas procéder aux saisies-exécutions.

« Les rétributions seront taxées comme pour les actes faits par les huissiers. »

- Adopté.

Article 137

« Art. 137. Les procès-verbaux, dressés et signés par deux agents, arpenteurs ou gardes forestiers, font, s'ils sont réguliers, preuve, jusqu'à inscription de faux, des faits matériels relatifs aux délits et contraventions qu'ils constatent. »

M. Lelièvre a proposé de rédiger cet article comme suit ;:

« Les procès-verbaux, dressés et signés par deux agents, arpenteurs ou gardes forestiers, font, s'ils sont réguliers, preuve, jusqu'à inscription de faux, des faits matériels relatifs aux délits et contraventions qu'ils constatent, lorsque le délit ou la contravention n'emporte pas la peine d'emprisonnement. »

M. Tesch a proposé de supprimer le mot « arpenteurs ».

M. David. - L'honorable M. Lelièvre, qui a été obligé de retourner à Namur, m'a prié, messieurs, de vous donner lecture des développements suivants :

« Dans les cas prévus par les artiles 75 et 155 du projet, l'emprisonnement peut être porté à six mois, et dans le cas prévu par l'article 170, peut être élevé jusqu'à une année.

« Est-il possible d'enlever en ce cas au prévenu le droit de démontrer son innocence par tous moyens légaux ?

« Ainsi les deux gardes peuvent s'être trompés, avoir mal reconnu le délinquant et celui-ci ne pourra pas prouver son alibi par témoins. Il lui faudra recourir à la mesure impraticable de l'inscription de faux.

« On peut défier M. le ministre d'indiquer une seule législation où un individu peut être condamné à un an de prison, alors qu'on lui enlève les voies ordinaires de justification.

« C'est une disposition draconienne que celle qu'on veut établir.

« Un honnête homme peut être déshonoré par le concert de deux gardes et, qui plus est, on le met dans l'impossibilité de se justifier.

« On concevait ce système sous l'ordonnance de 1669 ou l'emprisonnement n'était pas en général comminé contre les délits forestiers. Mais le Sénat ayant élevé les peines, il faut que la justification soit permise par les moyens ordinaires du moment où la liberté est en jeu. »

M. Tesch. - Messieurs, je suis, sur les principes, parfaitement d'accord avec l'honorable M. Lelièvre. Je ne puis pas admettre qu'on attente facilement à la liberté de l'homme ; je ne puis pas admettre que sur la déclaration, constatée par écrit, de deux gardes, un individu puisse être condamné à un emprisonnement qui, dans certains cas, peut aller jusqu'à deux ans.

Mais je ne puis pas me rallier à l'amendement de l'honorable M. Lelièvre, par la raison que voici :

Que propose l'honorable membre ?

« Les procès-verbaux, dressés et signés par deux agents, arpenteurs ou gardes forestiers, font, s'ils sont réguliers, preuve, jusqu'à inscription de faux, des faits matériels relatifs aux délits et contraventions qu'ils constatent, lorsque (et c'est là l'amendement) lorsque le délit ou la contravention n'emporte pas la peine d'emprisonnement. »

Or, d'après un article nouveau introduit par le Sénat et adopté par la Chambre, la peine de l'emprisonnement peut être prononcée dans tous les cas, en sorte que nous arriverions à ce résultat, en adoptant l'amendement, que jamais les procès-verbaux ne feraient foi jusqu'à inscription de faux. Il y aurait là une contradiction flagrante.

Pour éviter cette contradiction et d'accord, d'ailleurs, comme je l'ai déjà dit, avec l'honorable M. Lelièvre, sur les principes, j'ai proposé une disposition additionnelle qui consiste en ceci : Lorsqu'il s'agira de la peine de l'amende (et c'est l'état des choses ici comme en France, parce que la peine de l'emprisonnement n'est presque jamais comminée), lorsqu'il s'agira de la peine de l'amende, les procès-verbaux feront foi jusqu'à inscription de faux ou jusqu'à preuve du contraire dans les limites établies par la loi. Mais lorsqu'il s'agira de la peine de l'emprisonnement comme peine principale, je demande qu'elle ne puisse être prononcée par les tribunaux que lorsque le délit aura été établi par les moyens ordinaires de preuve.

Je suppose qu'un procès-verbal ait été dressé à la charge d'un individu par deux agents forestiers, et que l'administration forestière ou le procureur du roi, au lieu de requérir, devant les tribunaux, une simple amende, viennent demander au tribunal de condamner l'individu à un emprisonnement comme peine principale ; dans ce cas, la liberté du délinquant étant en jeu, le tribunal entendra des témoins, les gardes rédacteurs ; il les confrontera avec le délinquant, tiendra compte de toutes les circonstances, comme il le fait pour les délits ordinaires. De cette manière, nous sauvegardons la police des forêts et nous sauvegardons aussi la liberté des hommes, qu'il ne faut pas trop facilement sacrifier.

En résumé, je maintiens l'article 137 tel qu'il est proposé par la commission, et je propose un article nouveau qui deviendrait l'article 139 ou l'article 140. Cet article serait ainsi conçu :

« L'emprisonnement ne pourra être prononcé comme peine principale que dans le cas où le délit sera établi par les moyens ordinaires de preuve. »

M. le président. - La discussion de cet article nouveau est jointe à celle de l'article 137.

M. le ministre de la justice (M. Faider). - Messieurs, le Sénat a pensé qu'il convenait d'ajouter à l'amende qui avait été comminée pour certains délits et contraventions, la faculté pour les tribunaux de prononcer également l'emprisonnement.

L'échelle de cet emprisonnement a été établie dans l'article 155 de la loi, article auquel se réfèrent un grand nombre d'autres articles.

Il se termine par la disposition suivante :

« Le juge pourra en outre condamner les délinquants à un emprisonnement ne dépassant pas un mois si l'amende est de 150 fr. ou au-dessous, et six mois si l'amende est supérieure à cette somme. »

Les dispositions relatives à la fores probante des procès-verbaux avaient été admises lors du premier vote dans les limites des amendes (page 141) adoptées par la Chambre ; comme le Sénat a admis l'emprisonnement facultatif dans certains cas, il a fallu mettre l'article 137 en rapport avec la disposition nouvelle qui avait été adoptée par le Sénat, et au deuxième vote on a introduit dans l'article 138 la disposition qui accorde force probante aux procès-verbaux quand la contravention n'entraîne pas une condamnation à plus de 150 francs, tant pour l'amende que pour les dommages-intérêts et un emprisonnement de plus de 30 jours. C'était mettre en harmonie l'article 138 avec l'article 155 et les autres articles qui établissent un emprisonnement facultatif.

Les observations qui viennent d'être présentées à l'appui d'une modification qui dégage l'emprisonnement de l'amende me paraissent pouvoir être admises sans inconvénient dans le sens indiqué par M. Tesch. Il a eu la bonté de me communiquer sa pensée avant la séance. Je crois pouvoir m'y rallier.

On peut en effet craindre qu'il résulte quelque danger de l'article 138 ; quant à la force probante des procès-verbaux, on ne la maintiendrait que pour le cas où il y aurait lieu de prononcer une amende ; mais quand il y aura lieu de prononcer un emprisonnement, le juge pourra s'entourer de tous les moyens de preuve, avoir recours aux dépositions des témoins que les agents forestiers poursuivant jugeront utile de faire entendre.

Je n'ai pas de motif pour m'opposer à ce système.

- L'article 137 modifié par la commission est mis aux voix et adopté.

Article 139 nouveau

L'article 139 nouveau proposé par M. Tesch est également adopté.

M. le ministre de la justice (M. Faider). - Il y aura un second vote. (Oui ! Oui !)

J'aurai une correction à indiquer.

Article 138

« Art. 138. Les procès-verbaux réguliers, dressés par un seul agent, arpenteur ou garde, feront de même preuve jusqu'à inscription de faux, si le délit ou la contravention n'entraîne pas une condamnation de plus de 150 francs, tant pour amende que pour dommages-intérêts et un emprisonnement de plus de trente jours. Lorsque le délit est de nature à emporter une plus forte condamnation, ces procès-verbaux ne feront foi que jusqu'à preuve contraire.

M. le président. - La commission propose de substituer le maximum de 100 fr. à celui de 150 fr., et de supprimer les mots « avec emprisonnement de plus de 30 jours. »

M. Tesch appuie cette modification et propose au lieu de : « n'entraîne pas », de dire : « n'est pas de nature à entraîner » ; et au paragraphe final, au lieu de : « une plus forte condamnation », de dire : « une condamnation pécuniaire ».

M. Tesch. - C'est une modification de style que je propose. D'après l'article tel qu'il est rédigé la force probante des procès-verbaux serait déterminée par la condamnation.

Ce serait par la condamnation que l'on saurait si le procès-verbal dressé par un agent fait preuve jusqu'à inscription de faux, ou seulement jusqu'à preuve contraire ; c'est avant la condamnation qu'il faut connaître la valeur du procès-verbal.

Je propose donc au lieu de « n’entraîne pas », de dire : « n'est pas de nature à entraîner, etc. » ; à la pénalité je substitue la pénalité possible.

La substitution des mots : « condamnation pécuniaire » aux mots : « plus forte condamnation », est rendue nécessaire par l’adoption de la disposition qui exige que la peine de l'emprisonnement ne puisse être prononcée que quand le délit sera établi par les preuves ordinaires de droit.

M. le ministre de la justice (M. Faider). - Je me rallie aux modifications indiquées par l'honorable M. Tesch. Quant au maximum de 150 francs, je propose de le maintenir parce que ces deux articles étaient en rapport avec l'article 155 ; il est dit : « Il (le juge) pourra en outre condamner le délinquant à un emprisonnement ne dépassant pas un mois si l'amende est de 150 francs ou au-dessous » ; c'est pour que cette sorte d'échelle proportionnelle entre l'emprisonnement et l'amende soit maintenue que je fais la proposition d'adopter le chiffre de 150 fr.

- La substitution du chiffre 100 à celui de 150 fr. est mise aux voix et adoptée.

Les changements proposés par M. Tesch, auxquels le gouvernement s'est rallié, sont également adoptés.

L'ensemble de l'article est ensuite mis aux voix et adopté.

M. le président. - Le changement de chiffre introduit dans l'article 138 doit également être introduit dans l'article 139.

Articles 141, 147 et 148

« Art. 141. Le prévenu qui voudra s'inscrire en faux contre le procès-verbal sera tenu d'en faire la déclaration au greffe du tribunal, avant l'audience indiquée par la citation.

« Cette déclaration sera faite et signée par le prévenu ou par son fondé de pouvoir spécial et authentique, et reçue par le greffier du tribunal : dans le cas où le comparant ne pourra signer, il en sera fait mention expresse.

« Au jour indique pour l'audience, le tribunal donnera acte de la déclaration et fixera un délai de trois jours au moins et de huit jours au plus, pendant lequel le prévenu fera au greffe le dépôt des moyens de faux, et des noms, qualités et demeures des témoins qu'il voudra faire entendre.

« A l'expiration de ce délai, et sans qu'il soit besoin d'une citation nouvelle, le tribunal admettra les moyens de faux, s'ils sont de nature à détruire les effets du procès-verbal, et il sera procédé sur le faux, conformément aux lois.

« Dans le cas contraire, ou faute par le prévenu d'avoir rempli les formalités ci-dessus prescrites, le tribunal déclarera qu'il n'y a lieu d'admettre les moyens de faux, et ordonnera qu'il soit passé outre au jugement. »

- Adopté.


« Art. 147. Les dispositions de l'article précédent ne sont point applicables aux contraventions, délits et malversations commis par des agents, préposés ou gardes de l'administration forestière, dans l'exercice de leurs fonctions. Les délais de prescription à leur égard seront ceux des lois ordinaires de la procédure criminelle.

« Toutefois, l'action en dommages-intérêts portée devant les tribunaux correctionnels contre des agents ou préposés en vertu des articles 17 et 18, ne pourra plus être accueillie un an après que l'action publique sera éteinte par la prescription contre le délinquant lui-même. »

- Adopté.


« Art. 148. Les règles ordinaires de la procédure criminelle sont applicables à la poursuite des délits et contraventions spécifiés par la présente loi, sauf les modifications qui résultent de ce titre. »

- Adopté.

Article 152

« Art. 152. En condamnant à l'amende, les cours et tribunaux ordonneront qu'à défaut de payement, elle soit remplacée par un emprisonnement qui pourra être porté à un an si l'amende et les autres condamnations excèdent 25 fr., et à sept jours si elle n'excède pas cette somme. Les condamnés subiront ce supplément de peine dans la maison où ils auront subi la peine principale. »

M. le président. - La commission propose de substituer « trois mois » à « un an », et de supprimer la dernière phrase de l'article.

M. le ministre de la justice (M. Faider). - Ces articles 152, 153 et 154 ont été ajoutés par le sénat au second vote ; ils ont été empruntés au nouveau Code pénal, afin de mettre le Code forestier en rapport avec la nouvelle législation pénale. Mais vous remarquerez que l'article 151 du nouveau Code pénal, tel qu'il a été voté par la Chambre, prévoit le cas d'une condamnation pour crimes et délits, et dans ce cas il déclare que l'emprisonnement correctionnel est substitué à l'amende et qu'il ne peut excéder le terme d'une année. Il est évident qu'il n'a admis le terme d'un an, que parce qu'il concerne les condamnations pour crimes.

Comme, ici, il s'agit uniquement de condamnations pour délits de la compétence des tribunaux correctionnels, je crois qu'il y aurait de l'exagération à porter le terme de l'emprisonnement à un an. Par ce motif, je me rallie au terme de trois mois, proposé par la commission, et qui figurerait probablement dans le Code pénal, s'il ne s'agissait pas de condamnations pour crimes.

Je me rallie également à la suppression du dernier paragraphe.

- L'art. 152 est adopté avec les amendements proposés par la commission.

Articles 153 et 154

« Art. 153. Dans tous les cas, le condamné peut se libérer de cet emprisonnement en payant l'amende. »

- Adopté.


« Art. 154. En ce qui concerne la condamnation aux frais prononcée au profit de l'Etat, la durée de la contrainte sera déterminée par le jugement et l'arrêt, sans qu'elle puisse être au-dessous de huit jours, ni excéder un an. Néanmoins les condamnés qui justifieront de leur insolvabilité, suivant le mode prescrit par le Code d'instruction criminelle, seront mis en liberté après avoir subi sept jours de contrainte, quand les frais n'excéderont pas vingt-cinq francs. »

M. Orts, rapporteur. - Je crois qu'il y aurait une correction à faire à cet article adopté par le Sénat. Le Sénat avait décidé de substituer aux mots « le Code d'instruction criminelle », les mots « les lois ordinaires sur la procédure criminelle. » Mais il a oublié de faire cette correction. Je crois qu'il y a lieu de la faire, pour employer les mêmes termes partout.

- L'article 154 est adopté avec cette modification.

Titre XII. Des peines et condamnations pour tous les bois et forêts en général

Article 155

« Art. 155. La coupe ou l'enlèvement d'arbres ayant deux décimètres de tour et au-dessus, donnera lieu à des amendes qui seront déterminées dans les proportions suivantes :

« Les arbres sont divisés en trois classes :

« La première classe comprend les chênes, châtaigniers, noyers, ormes, frênes, mélèzes et les acacias ;

« La deuxième se compose des hêtres, charmes, érables, platanes, arbres résineux, autres que les mélèzes, tilleuls, peupliers, bouleaux, aliziers, cerisiers, merisiers et autres arbres fruitiers ;

« Et la troisième, des trembles, aunes, saules, sorbiers et toutes autres espèces d'arbres.

« Si les arbres de la première classe ont deux décimètres de tour, l'amende sera d'un franc par chaque décimètre. Elle s'accroîtra ensuite progressivement, savoir :

« De cinq centimes par chaque décimètre jusqu'à cinq décimètres inclusivement ;

« De dix centimes par chacun des cinq décimètres suivants ;

« De quinze centimes par chaque décimètre, pour les arbres au-dessus d'un mètre jusqu'à quinze décimètres ;

« Et pour les arbres au-dessus de quinze décimètres, de vingt centimes par chaque décimètre.

« L'amende sera de la moitié des sommes fixées ci-dessus pour les arbres de la deuxième classe, et du quart pour ceux de la troisième classe.

(page 142) « Le tout conformément au tableau ci-annexé. La circonférence sera mesurée à un mètre du sol.

(tableau non repris dans la présente version numérisée)

« Le juge pourra, suivant les circonstances, porter l'amende jusqu'au double.

« Il pourra, en outre, condamner les délinquants à un emprisonnement ne dépassant pas un mois, si l'amende est de 150 francs ou au-dessous, et six mois si l'amende est supérieure à cette somme. »

M. Orts, rapporteur. - Pour rendre la rédaction plus claire, je crois qu'à la fin du cinquième alinéa, il faut ajouter les mots « non compris dans les deux paragraphes qui précèdent. »

- L'article 155 est adopté avec cet amendement.

Articles 156 et 157

« Art. 156. Si les arbres auxquels s'applique le tarif établi par l'article précédent ont été enlevés et façonnés, le tour en sera mesuré sur la souche, et si la souche a été également enlevée, le tour sera calculé dans la proportion d'un cinquième en sus de la dimension totale des quatre faces de l'arbre équarri.

« Lorsque l'arbre et la souche auront disparu, l'amende sera calculée suivant la grosseur, arbitrée par le tribunal, d'après les documents du procès, et la durée de l'emprisonnement sera fixée conformément aux règles établies à l'article précédent. »

- Adopté.


« Art. 157. Les peines déterminées par l'article 155 seront réduites de moitié, à l'égard des arbres entièrement secs de cime et de racine. »

- Adopté.

Article 158

« Art. 158. Les amendes pour abattage ou déficit de baliveaux, pieds corniers et parois, et autres arbres de réserve, tant dans les coupes en exploitation que dans celles des deux années précédentes, seront d'un tiers en sus toutes les fois que l'essence et la circonférence des arbres pourront être constatées.

« Si, à raison de l'enlèvement des arbres et de leurs souches, ou de toute autre circonstance, il y a impossibilité de constater l'essence et la dimension des arbres, l'amende sera de 10 à 30 francs pour un baliveau de l'âge du taillis, de 30 à 60 francs pour un moderne et de 60 à 200 fr. pour un ancien.

« Les délinquants pourront, en outre, être condamnés à l'emprisonnement fixé par l'article 155.

« Il n'est pas dérogé par ces dispositions à l'article 456 du Code pénal. »

M. Tesch. - Je demanderai à M. le ministre s'il convient de maintenir le dernier alinéa de l'article 158 portant ;: « Il n'est pas dérogé par ces dispositions à l'article 456 du Code pénal. »

L'article 456 du Code pénal s'occupe des bris de clôture. Or, le Code forestier ne dérogeant en rien au Code pénal, pour les bris de clôtures, il me semble que ce paragraphe devrait disparaître. En le maintenant on ferait supposer que le Code forestier déroge aux dispositions générales du Code pénal, dans des cas où cela n'est pas formellement exprimé.

M. le ministre de la justice (M. Faider). - Dans ces termes, je ne vois aucun inconvénient à supprimer ce paragraphe.

- La suppression du paragraphe est mise aux voix et prononcée.

Articles 161 à 165

« Art. 161. Quiconque enlèvera des chablis et bois de délit sera condamné aux mêmes peines que s'il les avait abattus sur pied. »

- Adopté.


« Art. 162. L'amende pour coupe ou enlèvement de bois qui n'auront pas deux décimètres de tour sera, pour chaque charretée, de huit à seize francs par bête attelée, de quatre à huit francs par charge de bête de somme, et d'un franc cinquante centimes à trois francs par fagot, fouée ou charge d'homme.

« L'amende sera triple s'il s'agit d'arbres semés ou plantés ayant moins de deux décimètres de tour.

« Les délinquants pourront, eu outre, être condamnés à un emprisonnement de un à sept jours. »

- Adopté.


« Art. 164. Quiconque aura arraché, brisé, froissé, ou endommagé des souches de taillis, soit par l'essartage, soit de toute autre manière, sera puni d'une amende de cinquante centimes par souche atteinte.

« Le délinquant pourra, en outre, être condamné à un emprisonnement de un à sept jours. »

- Adopté.


« Art. 165. Tout empiétement sur les bois sera puni d'une amende de 10 à 100 francs, outre les peines ordinaires pour raison des bois arrachés ou coupés. »

- Adopté.

Article 166

« Art. 166. Quiconque sera trouvé dans les bois et forêts, hors des routes et chemins ordinaires, sera condamné à une amende de 2 francs.

« Si le contrevenant a serpe, cognée, hache, scie ou autre instrument de même nature, il sera condamné à une amende de 5 francs. »

M. le président. - La commission propose de rédiger cet article comme suit :

Art. 166. Quiconque sera trouvé dans les bois et forêts avant le lever et après le coucher du soleil, hors des routes et chemins ordinaires, avec serpe, cognée, hache, scie ou autre instrument de même nature, sera condamné à une amende de cinq francs. »

M. Matthieu. - Messieurs, la conséquence logique qui résulterait de la disposition de l'article 166 proposé par la commission, serait :

Que, pendant le jour comme pendant la nuit, tout individu, suspect ou non, pourra circuler et stationner, à son gré, dans toutes les parties d'un bois ou d'une forêt, hors des routes ordinaires et narguer impunément la surveillance des gardes, pourvu qu'il ne soit ostensiblement porteur d'aucun instrument tranchant pouvant servir à perpétrer des délits ; encore, ne sera-t-il passible de contravention dans ce cas, qu'avant le lever et qu'après le coucher du soleil, c'est-à-dire lorsqu'il est en quelque sorte impossible aux agents de la surveillance de s'assurer de ce fait, alors, par contre, qu'il est si facile au contrevenant de se défaire de l'instrument compromettant, soit en le laissant tomber dans un fourré, soit en le cachant sous ses vêtements, ce qui serait peut-être plus sûr encore ; car malgré la conviction du fait, le garde aurait-il le droit de s'en assurer en le fouillant ?

Je n'hésite pas à le dire, messieurs, semblable disposition, outre l'atteinte très grave qu'elle porterait aux droits de la propriété forestière en la mettant hors du droit commun, serait en même temps la source d'une multitude d'abus et la destruction de tous moyens de surveillance.

La commission, messieurs, a versé dans une grande erreur de fait en cherchant à assimiler la propriété boisée à uu fonds non préparé, ensemencé ou chargé de fruits ; car il est évident que pareille assimilation est impossible, attendu qu'un bois est dans un état permanent de culture, d'ensemencement ; cet état de culture et d'ensemencement est produit par le travail de la nature qui répand la graine sur le sol et qui vient ensuite la recouvrir de feuilles mortes pour en préparer la (page 145) germination et pour servir plus tard d'engrais aux racines de ces semis ; c'est la succession d'année en année de ces semis naturels distribués ensuite par la main de l'homme sur les parties du bois qui en sont dépourvues, qui constitue les conditions d'existence et de durée des propriétés boisées.

C'est donc bien à tort que l'on voudrait considérer une forêt comme un fonds en plein repos que l'on peut fouler sans dommage, comme une plaine de promenade, tandis qu'il est évident que les semis naturels sont les seuls moyens de repeuplements successifs et d'âge en âge, et il n'est pas moins évident qu'on ne peut fouler sans dommage le sol qui entretient cet élément réparateur, d'où il suit que les forêts doivent être placées sous le régime des fonds ensemencés et sous la protection des articles 471 et 475 du Code pénal.

A un autre point de vue, l'article 166 de la commission, en autorisant une circulation illimitée dans les bois et les forêts, ouvre la porte à une infinité d'abus et pourrait devenir un encouragement au maraudage. Ainsi, comment pourrait-on désormais défendre les bois de servitudes de passage alors que toute la forêt est frappée indistinctement d'une servitude illimitée ?

Comment pourrait-on faire exercer une surveillance efficace pour prévenir les délits, alors que le maraudeur autorisé, de par la loi, à parcourir jour et nuit toutes les parties d'un bois, hors des routes ordinaires, pourra s'attacher aux pas des gardes, espionner toutes leurs démarches et choisir le moment, pour lui ou pour ses complices, de commettre des délits avec impunité. J'appelle toute l'attention de la chambre sur la gravité de ces considérations, elles acquièrent plus de poids encore si l’on tient compte du nombre très limité des gardes forestiers en raison de l'étendue des triages soumis à leur surveillance ; il en résuite que les bois pourraient être livrés à la merci d'un nombre plus ou moins considérable de malfaiteurs qui s'entendraient pour les dévaster par des délits journaliers.

Je suis à me demander, messieurs, quel si grand intérêt pourrait nous déterminer à enlever à la propriété forestière les garanties du droit commun et à l'exposer à de si grands dommages.

En parcourant le rapport de la commission, je vois qu'on y fait ressortir que la mesure adoptée par l'amendement du Sénat frappe le promeneur, l'herboriste, le naturaliste.

En vérité, messieurs, je ne puis accepter comme sérieux des motifs aussi peu fondés en présence de l’importance des droits auxquels on porterait atteinte ; à mon tour je demanderai si la commission a bien pesé les conséquences que pourrait entraîner l'adoption de ses dispositions ? Si l'on peut se montrer indulgent aux dépens d'autrui ? Si, sous ce prétexte, on peut dépouiller un propriétaire d'une partie de ses droits ? Si une forêt n'a d'autre raison d'être que de servir à l'agrément et même aux caprices d'autrui ; car je ne vois pas, par exemple, comment le promeneur est frappé dans ses jouissances lorsqu'il peut sillonner un bois dans tous les sens en suivant les routes ordinaires.

Quant à l'herboriste et au naturaliste, s'ils désirent se livrer à des recherches scientifiques, qu'ils s'adressent au propriétaire, nul doute qu'ils en obtiendront une permission spéciale de circuler dans toutes les parties du bois ; par là ils rendront au moins hommage au droit de propriété.

Je ne terminerai pas sans faire ressortir la nécessité de renforcer plutôt que d'atténuer l'efficacité de la surveillance dans les forêts, parce que, plus que toute autre propriété, elles sont exposées à des dégâts de toute espèce et livrées à des convoitises de tous les genres pour les usages habituels de la vie.

Par les considérations que je viens de développer, je conclus au rejet de l'article 166, proposé par la commission et au maintien de l'amendement du sénat qui était destiné à le remplacer.,

M. Orts, rapporteur. - Malgré les considérations que vient de faire valoir l'honorable préopinant, je viens demander le maintien de la disposition que le gouvernement avait proposée, que vous avez déjà votée une fois et que le Sénat a seul amendée.

Je le demande, non pas pour établir uu privilège contre la propriété boisée, mais pour faire rentrer la propriété boisée dans le droit commun, dans la législation actuelle et pour lui maintenir la protection qui est assurée à toutes les autres propriétés.

L'honorable préopinant paraît supposer que la proposition de la commission est quelque chose de neuf, quelque chose d'inusité.

Le contraire, messieurs, est seul vrai. Il y a deux cents ans que les choses se passent comme nous demandons qu'elles soient maintenues. Depuis l'ordonnance de 1669, en France, cet état de choses dont nous demandons le maintien existe. Il existe en Belgique depuis la publication de cette même ordonnance, et je n'ai pas connaissance que dans notre législation nationale antérieure, une disposition quelconque aussi exorbitante que celle du Sénat ait trouvé sa place.

En effet, voici ce que le Sénat veut et voici ce que nous demandons.

Le Sénat veut punir tout individu qui, sans faire le moindre mal, sans porter le moindre préjudice, se trouvera dans un bois en dehors des chemins tracés, de jour ou de nuit, peu importe qu'il soit détenteur d'instruments admettant la possibilité de nuire au bois ou qu'il n'en porte pas. Par cela seul qu'il se sera écarté du sentier, cet individu inoffensif devra être frappé d'une amende et traduit devant les tribunaux correctionnels.

Je demande franchement à chacun des membres qui me font l'honneur de m'écouter, si, dans le cas où cette disposition eût été en vigueur, il est un seul d'entre eux qui n'aurait pas encouru la pénalité que le Sénat veut frapper. Qui de nous n'a pas quelquefois quitté les routes d'un bois, soit pour se promener sous un meilleur ombrage, soit pour se mettre à l'abri de la poussière ou du soleil ? Si ce plaisir, fort innocent, ne fait de mal à personne, je ne sais pourquoi on veut l'interdire.

Nous demandons que ce fait ne puisse être puni qu'à la double condition d'être posé entre le lever et le coucher du soleil par un individu détenteur d'instruments propres à faciliter les délits.

L'ordonnance de 1669, dont vous connaissez la sévérité, n'a pas cru devoir aller au-delà de ce que nous vous proposons de maintenir. Ainsi, c'est pour conserver à la propriété boisée ce qu'elle possède aujourd'hui, que notre disposition est faite.

Le Sénat veut donc aller plus loin ; il veut accorder à la propriété boisée une protection exorbitante qu'elle n'a jamais eue et que les autres propriétés n'ont pas. En effet, les propriétés autres que les bois peuvent être traversées impunément par un promeneur aussi longtemps qu'elles ne se trouvent pas dans un état tel, que le passage doive porter préjudice aux produits de la terre.

Si le terrain n'est pas préparé par la main de l’homme, s'il n'est pas ensemencé ou couvert de fruits, il n'y a pas de délit à passer sur une propriété territoriale autre qu'un bois. Vous feriez donc, en adoptant la proposition du sénat, beaucoup plus pour les bois que vous ne faites pour les autres terres, pour les vergers, pour les jardins. Il ne peut être raisonnable de punir exceptionnellement, dans les forêts, un fait qui ne porte préjudice à personne.

Mais, dit-on, cette faculté de se promener très innocemment de jour dans un bois, en dehors d'un chemin, cette faculté dont tout le monde use, dont nous avons tous usé, porte atteinte à la surveillance des gardes forestiers.

Messieurs, cette surveillance n'a jamais été considérée comme entravée par la disposition dont nous demandons le maintien. A aucune époque antérieure, l'administration forestière ne s'est plainte de ne pouvoir surveiller les bois, parce que la disposition du Sénat n'existait pas.

La commission qui a préparé le projet, commission composée d’hommes spéciaux et au sein de laquelle l'administration forestière était fortement représentée, a proposé le maintien de notre disposition. Elle a repoussé une disposition exceptionnelle bien moins dure que celle du Sénat, la disposition du Code forestier français. Pourquoi ?

La commission nous en dit les motifs à la page 86 de l'exposé, dans des termes que je me permets de remettre sous les yeux de la chambre, parce qu'ils vous démontreront que des individus et des droits beaucoup plus sérieux, beaucoup plus intéressants que la personne et que les droits du simple promeneur dont nous vous parlons, se trouveraient atteints par la disposition du sénat.

La commission avait d'abord adopté le système du Code français par 5 voix contre 2, et, bien que ce système soit beaucoup moins dur que celui du sénat, elle en est revenue ensuite au système de l'ordonnance de 1669. C'est ce que nous demandons. Voici ce que porte le rapport de la commission. (L'orateur donne lecture du passage.)

Vous voyez donc, messieurs, que la disposition du sénat porterait atteinte à des droits légitimes. Aux bûcherons, aux usagers qui doivent pouvoir circuler librement partout en vertu de leur droit, on pourrait ajouter les charbonniers, qui, eux aussi, doivent nécessairement s'écarter des routes et chemins ordinaires.

Je poursuis ma lecture et j'en viens à l'opinion de la commission concernant les entraves que cette circulation apporterait prétenduement à la surveillance. (L'orateur continue.)

Ainsi la surveillance n'est pas difficile, l'administration le dit elle-même et par conséquent on ne peut arguer du défaut de surveillance pour justifier une disposition exceptionnelle en faveur de la propriété boisée.

Mais remarquez, messieurs, que l'amendement du Sénat frapperait même ceux qui ont mission d'exercer une surveillance ; il frapperait, par exemple, un douanier qui se trouverait dans un bois pour épier des gens soupçonnés de se livrer à la fraude, et qui forcément s'écartent des routes et sentiers ordinaires. Il frapperait le garde champêtre qui se cacherait dans un bois pour réprimer des délits de chasse commis sur les terres contiguës à la forêt. Tout cela, messieurs, n'est pas admissible.

Restons dans les termes du droit commun ; faisons pour la propriété forestière ce qu'on fait pour les autres propriétés, punissons les faits matériels qui portent préjudice, mais ne punissons pas ce qui ne cause aucun dommage, ce qui ne fait aucune espèce de mal si ce n'est peut-être de contrarier un propriétaire par trop susceptible et jaloux jusques de l'ombre de ses futaies. Dès qu'il y a préjudice causé, si, par exemple, on endommage des taillis et à plus forte raison, si on endommage des arbres, ce sont des délits spéciaux que la loi réprime ; nous ne demandons grâce que pour ceux dont tout le méfait consiste à s'être écartés des routes et des chemins ordinaires.

Je pense que ces observations suffisent pour engager la chambre à maintenir sa première manière de voir. Cette manière devoir s'accordait avec celle de l'exposé des motifs, avec celle des ministres qui ont défendu le projet de loi et parmi lesquels se trouvait le ministre des finances, representant-né de l'administration forestière, au nom de laquelle on réclame.

Je crois en avoir dit assez pour répondre aux observations de M. Matthieu ;; (page 144) s'il fallait punir celui qui entre quelque part malgré le propriétaire, il faudrait immédiatement faire une loi pour défendre aux colporteurs et aux mendiants de sonner aux portes.

M. Vander Donckt. - Je crois devoir appuyer les propositions du sénat parce qu'il est certain que les gens mal intentionnés se rendent dans les bois pendant le jour pour combiner les moyens qu'ils emploieraient à l'effet de commettre des délits quand le soleil sera couché. Si la chambre adopte l'amendement, il est certain que les maraudeurs ne pourront plus commettre impunément leurs méfaits.

Un des arguments invoqués par l'honorable préopinant, c'est que la disposition dont il demande le maintien existe depuis 200 ans ; mais messieurs, s'il fallait maintenir les lois qui existent depuis 200 ans, il n’y aurait plus rien à changer à la législation. Je dis que quand il y a des motifs sérieux pour introduire une disposition nouvelle, il ne faut pas hésiter à le faire. Or dans le cas actuel il est constant qu'il y a nécessité de sévir davantage contre les maraudeurs et les malfaiteurs de toute espèce.

L'honorable M. Matthieu a parfaitement démontré que les bois sont, en quelque sorte, dans un état constant de préparation, dans un état constant d'ensemencement et que ceux qui s'y rendent ne le font ordinairement que pour faire du mal.

Toutefois, messieurs, si vous ne vous sentiez pas disposés à adopter la disposition proposée par le Sénat, je vous demanderais au moins d'assimiler les bois aux autres terres en préparation ou en ensemencement. Il y a réellement quelque chose à faire ; nos bois sont dégradés d'une manière extraordinaire, et on ne les garantira qu'en empêchant les mauvais sujets de s'y rendre.

M. de Theux. - Messieurs, il y a quelque chose de vrai dans les deux opinions : infliger une amende à celui qui se promène d'une manière inoffensive dans un bois, sans même savoir si cela est désagréable au propriétaire, ou qui, par une cause quelconque, est obligé de s'écarter de la route ordinaire, évidemment il y aurait là de l'absurdité ; mais il serait également absurde que le propriétaire d'un bois dût tolérer le parcours d'une multitude de personnes, qui le gênerait considérablement dans la possession de sa propriété. Je pense que tout en n'adoptant pas l'amendement du Sénat, on conserve à chacun le droit de se pourvoir en justice contre les atteintes portées à son droit de propriété ; je pense que l'action civile demeure entière et que les tribunaux ne manqueraient pas de condamner à des dommages-intérêts même assez notables ceux qui, avec obstination et avec l'intention de narguer le propriétaire, auraient violé sa propriété et l'obligeraient ainsi à faire des frais de garde plus considérables.

- Plusieurs membres. - C'est évident.

M. Moncheur. - Je voulais présenter les observations que vient de faire valoir l'honorable M. de Theux, si on n'admet pas l'amendement du Sénat, que, du reste, je ne veux pas défendre, il est très important que l'on constate ici le droit du propriétaire d'expulser de ses bois les individus qui voudraient y circuler malgré lui, et d'en exiger des dommages-intérêts. Je dis qu'il est bon de le constater, parce qu'il y a certains doutes à cet égard dans les populations. J'espère que les paroles qui ont été prononcées dans cette enceinte, et qui ne sont nullement contredites, seront entendues et qu'elles feront comprendre que c'est une véritable violation de la propriété que de se trouver dans un bois malgré la volonté du propriétaire. Déjà il n'y a eu que trop de conflits regrettables entre les gardes et les maraudeurs ou d'autres personnes qui disaient : « Je suis sur votre propriété, c'est vrai, mais je ne fais pas de mal, donc vous n'avez rien à me dire. »

M. le président. - Voici un amendement déposé par M. Matthieu :

« J'ai l'honneur de proposer la suppression de l'article 166 présenté par la commission et son remplacement par l'amendement du Sénat que je propose de rédiger ainsi :

« Quiconque, sans une permission du propriétaire ou sans une cause légitime sera trouvé dans les bois et forêts hors des routes et chemins ordinaires, sera condamné à une amende de 2 francs s'il n'a pas obtempéré à l'instant à l'injonction de regagner lesdite chemins pour ne plus s'en écarter. »

Le reste comme dans l'amendement.

- La séance est levée.