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Chambres des représentants de Belgique
Séance du samedi 18 février 1854

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1853-1854)

(Présidence de M. Delfosse.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 767) M. Dumon procède à l'appel nominal à 1 heure et un quart ; il lit le procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est adoptée.

- La séance est ouverte.

Pièces adressées à la chambre

M. Dumon présente l'analyse des pièces qui ont été adressées à la Chambre.

« Le conseil communal de Godveerdegem prie la Chambre de décréter un chemin de fer direct de Saint-Ghislain, avec embranchement sur Grammont. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Les membres du conseil communal de Schelderode prient la Chambre d'accorder aux sieurs Moucheron et Delaveleye la concession d'un chemin de fer tendant à relier le Borinage à la ville de Gand. »

- Même disposition.


« Le sieur de Kessel demande qu'il y ait un jury nommé par le gouvernement pour désigner les membres des commissions médicales provinciales. »

- Même disposition.


« Les membres du conseil communal et des habitants d'Asper prient la Chambre d'accorder aux sieurs Hartogs et compagnie, la concession d'un chemin de fer de Nazareth à Audenarde par Renaix, Frasnes et Leuze jusqu'à Thulin. »

- Même disposition.


« Des habitants d'Oost-Eeeloo prient la Chambre de maintenir les droits de la langue flamande, notamment dans la loi sur l'organisation de la cour d'assises. »

- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi concernant l'enseignement agricole et à la commission des pétitions.


« Des membres de la société dite : de Burgerkring, à St-Nicolas, déclarent adhérer à la pétition du comité central flamand, du 25 décembre dernier. »

- Même disposition.


« Des habitants de la commune de Gembloux demandent la suppression des logements militaires. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Des membres de la société de rhétorique dite « de Olyflak », à Anvers, demandent que la langue flamande ait sa part dans l’enseignement agricole. »

- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi relatif à l'enseignement agricole.


« Des décorés de la croix de Fer remercient la Chambre du vote qu'elle a émis en leur faveur. »

- Dépôt au bureau des renseignements.

Composition des bureaux de section

Première section

Président : M. Osy

Vice-président : M. de Renesse

Secrétaire : M. Jacques

Rapporteur de pétitions : M. Vander Donckt


Deuxième section

Président : M. Rousselle

Vice-président : M. David

Secrétaire : M. Magherman

Rapporteur de pétitions : M. de Perceval


Troisième section

Président : M. de Man d’Attenrode

Vice-président : M. de Ruddere

Secrétaire : M. Maertens

Rapporteur de pétitions : M. Laubry


Quatrième section

Président : M. Orts

Vice-président : M. de Bronckart

Secrétaire : M. Vermeire

Rapporteur de pétitions : M. Moxhon


Cinquième section

Président : M. Delehaye

Vice-président : M. Mercier

Secrétaire : M. Moreau

Rapporteur de pétitions : M. H. de Baillet


Sixième section

Président : M. de Theux

Vice-président : M. Thiéfry

Secrétaire : M. Van Iseghem

Rapporteur de pétitions : M. Coppieters

Projet de loi portant cession de terrains et de bâtiments militaires aux villes d’Ypres, de Menin, d’Ath, de Philippeville, de Mariembourg et de Bouillon

Discussion générale

La discussion générale est ouverte.

M. Jouret. - Messieurs, je rends une entière justice aux sentiments qui ont inspiré la mesure réparatrice que le gouvernement propose à la Chambre : mais l'exposé des motifs contient une assertion qui nécessite une réponse et une protestation.

M. le ministre des finances énonce comme un axiome que, dans le cas où l'intérêt public réclame le démantèlement d'une ville de guerre ou le déplacement de sa garnison, cette ville ne peut'prétendre de ce chef à aucune indemnité quelconque.

Je pense, messieurs, que cette proposition est beaucoup trop absolue et que la Chambre ne saurait l'admettre dans sa généralité ; car elle peut avoir pour conséquence de méconnaître et de réduire au néant des droits acquis, des droits résultant d'un contrat et susceptibles d'être réclamés juridiquement ; il faut donc modifier par une distinction le principe qui s'est glissé dans l'exposé des motifs et que la section centrale a cru inutile de combattre.

Sans doute, et personne ne songe à le contester, une ville ne peut, dans aucun cas, sous aucun prétexte, s'opposer à la démolition de ses fortifications ou au déplacement de sa garnison, ordonnés par l'autorité supérieure compétente ; mais si le départ de sa garnison, et je ne veux parler que de ce cas seulement, si, dis-je, le départ de sa garnison qu'on ne remplace par aucune autre contrevient à des engagements positifs et à titre onéreux que le gouvernement a pris envers cette ville, est-il vrai que celle-ci n'a droit à aucune indemnité ?

Par exemple l'Etat demande à une ville de faire les travaux d'appropriation et de se pourvoir, à grands frais, des fournitures nécessaires au logement d'une garnison de certaine force, et il s'engage formellement de son côté à tenir toujours dans la place uu nombre d'hommes déterminé : la ville accepte la proposition et en s'imposant de pénibles sacrifices, fait toutes les dépenses requises ; dira-t-on alors qu il n'y a pas un véritable contrat qui lie les deux parties ? Et si le gouvernement ne remplit pas ses promesses, soit qu'il refuse la garnison convenue, soit qu'il la retire sans la remplacer, dira-t-on que la ville n'a droit à aucun équivalent, à aucune réparation ?

Telle est précisément, messieurs, la position respective de ia ville d'Ath et de l'Etat ; et, sans devoir vous rappeler à ce sujet des détails connus, sur lesquels j'ai déjà insisté, dans la séance du 21 mai 1853, je suis autorisé à conclure qu'au moins à l'égard de la ville dont je parle, la mesure proposée n'a pas le caractère de munificence désintéressée et de pure gratuité que le projet lui suppose. C'est une considération qui, j'aime à le croire, ne sera pas perdue de vue dans l'exécution de la loi.

Cette loi d'ailleurs, on le comprend aisément, ne procurera à la ville d'Ath qu'une réparation incomplète, alors qu'il serait si facile d'ajouter ce qui manque pour la donner entière.

Pourquoi, en effet, ne pas rendre à cette ville sa garnison du moins en partie ? Les locaux ne font pas défaut, puisqu'il existe de belles et vastes casernes que l'Etat veut conserver et faire entretenir par la ville en les lui prêtant.

Est-ce parce qu'une garnison ne peut être confiée à une ville ouverte ?

Alors pourquoi en mettre une à Ypres ? Pourquoi placer la compagnie d'enfants de troupe à Ypres ou à Bouillon ? Ces deux villes, entre lesquelles on paraît hésiter, ne sont-elles pas démantelées et ouvertes comme celle d'Ath ?

Est-ce parce que la ville d'Alh se trouve trop rapprochée de la frontière ? Je n'ai pas la prétention de discuter des questions stratégiques, mais je connais assez la géographie de notre pays pour savoir qu'Ath est éloigné de la frontière deux fois autant qu'Ypres, quatre fois autant que Bouillon.

On pourrait donc s'étonner que dans des conditions» plus favorables elle fût traitée avec moins d'avantage ; aussi, j'espère que le gouvernement ira jusqu'au bout dans la voie honorable où il vient d'entrer, et que M. le ministre de la guerre, se rappelant qu'il s'agit d'acquitter une véritable dette, complétera l'œuvre de réparation commencée par le projet de M. le ministre des finances.

M. de Baillet-Latour. - Messieurs, je ne serai pas long ; je me bornerai à appuyer le projet de loi qui nous est soumis. Non pas que ce projet fasse encore droit à aucune des réclamations des villes qui ont été si rudement éprouvées par la démolition de leurs forteresses, mais parce qu'il donne au gouvernement le pouvoir de leur accorder des compensations qui leur sont dues en droit et en équité. Je compte maintenant sur la justice du gouvernement, et j'espère qu il agira paternellement envers les villes qui ont eu à souffrir un si grand dommage dans l’intérêt de la défense du pays. Ce dommage, elles n'ont pas voulu qu'on le leur épargnât, elles ont compris que l'intérêt général passait avant celui de quelques-uns.

Mais le gouvernement comprendra à son tour qu'il est de son devoir d'agir envers ces villes sacrifiées, comme la loi veut qu'on agisse envers le propriétaire qui est obligé de renoncer à sa propriété pour cause d'utilité publique ; il comprendra qu il doit une indemnité suffisante aux villes de Philippeville, Mariembourg, Menin, Ath, Ypres et Bouillon.

Je pense que ce projet de loi ne rencontrera aucune opposition dans cette Chambre, car il ne fait que donner au gouvernement une faculté dont on pourrait tout au plus critiquer plus tard l'usage qu'il en aura fait. Ce n'est donc pas ici le moment d'insister longuement sur la nécessité de l'adopter, ni d'examiner ce que doivent être les compensations à accorder aux villes lésées.

(page 768) Je réserve donc cette discussion pour une autre circonstance,et je me borne à prier la Chambre de donner au gouvernement le pouvoir et les moyens d'être équitable envers nous.

M. de Haerne. - Messieurs, à l'occasion de la discussion du budget de la guerre, j'ai déjà eu l'honneur de dire à la Chambre qu'il se rattache au projet de loi qui est en délibération des questions de justice et d'équité, des questions d'intérêt général et d'intérêt local. Comme les deux honorables préopinants, je me plais à rendre hommage aux intentions bienveillantes de M. le ministre des finances ; je me plais à proclamer qu'il a fait preuve, dans cette circonstance, de sympathie envers les villes qui se trouvent dépouillées d'avantages considérables dont elles avaient joui précédemment.

Mais, messieurs, tout en reconnaissant ces excellentes intentions, je dois cependant me demander si le but qu'on a voulu atteindre sera réellement atteint, c'est-à-dire si l'on accordera aux villes dont il s'agit les dédommagements sur lesquels elles avaient compté et auxquels elles avaient cru avoir droit ?

Je vois bien que, dans cette question, le gouvernement a agi dans son propre intérêt qu'il confond avec l'intérêt général.

Le gouvernement s'était d'abord proposé de vendre les terrains militaires ; plusieurs tentatives avaient été faites dans ce but sans succès. Je crois même qu'à Ath il n'y a pas eu d'amateurs. Dans d'autres localités, quelques propriétés, appartenant à l'état militaire ayant été mises en vente, ont été aliénées à un prix extrêmement bas. Ainsi, par exemple, on m'a cité l'arsenal de Menin qui avait coûté dans le temps 160,000 francs, et qui a été vendu pour la somme de 19,000 fr. Vous comprenez, après cela, qu'il était de l'intérêt du gouvernement de ne pas continuer à marcher dans cette voie ruineuse. Qu'a-t-il donc fait ? Le département des finances est venu au secours de celui de la guerre, et a su comprendre en même temps l'intérêt des villes démantelées.

Ce n'est pas le gouvernement qui perd en prenant ce parti ; je ne dis pas que ce seront les villes qui y perdront ; mais dans les conditions du projet de loi, je ne pense pas que toutes soient également charmées du cadeau qu'on leur fait, notamment dans certaines éventualités qu'il faut prévoir ; c'est sur ces éventualités que j'appelle l'attention de la Chambre.

Il y a un autre avantage pour l'Etat, dont on ne peut pas nier l'importance, c'est que les villes d'après le projet de loi étant chargées de l'entretien des bâtiments, l’Etat y trouve son profit. S'il louait ces bâtiments, il devrait au moins faire les grosses réparations ; des villes ont demandé si certains locaux qu'on devait leur livrer pourraient être employés par elles avant que le gouvernement eût commencé à les réparer lui-même tant ils sont dans un mauvais état. Cet entretien peut coûter beaucoup et constituer une très lourde charge pour les villes dont il s'agit.

La faveur peut donc être très problématique aux yeux de ceux qu'on veut favoriser. Mais il y a plus, comme on le dit dans l'exposé des motifs du projet, et comme d'ailleurs la chose va sans dire, ces bâtiments peuvent être enlevés aux villes auxquelles on se propose de les céder aujourd'hui, dans des circonstances qu'on ne peut pas prévoir, mais qui sont possibles, comme le dit M. le ministre des finances. Personne au monde ne peut dire qu'elles ne se présenteront pas dans un temps peu éloigné.

Des circonstances politiques, des alliances peuvent amener des changements dans notre situation et réclamer de la part du gouvernement la reprise des bâtiments cédés aujourd'hui. Eh bien, quelle sera alors la position de ces villes ? Elles auront pu éprouver une perte considérable dans l’intervalle qui se sera écoulé entre la prise de possession par elles et la reprise par le gouvernement ; à moins qu'on ne leur donne certaines garanties pour l'avenir, elles ne se soucieront peut-être pas d'accepter l'offre du gouvernement.

Cependant, il faut bien le dire, sans vouloir entrer dans la discussion du droit, sans vouloir examiner s'il y a ici un strict droit à une indemnité, je ne crains pas de soutenir qu'il y a des raisons d'équité pour accorder une indemnité suffisante.

Equité ou droit, il s'agit de savoir si on entrera dans un système franc et sérieux de compensation. Car il y a eu des engagements ; ces engagements ont donné lieu à des dépenses faites par les villes, et qui ont été assez fortes pour quelques-unes d'entre elles. Voilà des considérations dont on ne peut nier la gravité.

Je dois répondre ici à une objection. On a dit qu'on ne peut pas admettre de droit à une compensation, parce qu'il faudrait indemniser aussi les propriétaires de bâtiments situés dans le rayon stratégique de certaines forteresses. C'est une erreur, parce que dans le cas auquel on a fait allusion, dans le cas de constructions établies dans le rayon de certaines forteresses, avant d'autoriser ces constructions, on a averti les propriétaires que le gouvernement était toujours en droit de les démolir. Rien de semblable ne s'est fait quant aux villes dont il s'agit ; on ne leur a rien annoncé de semblable, lorsqu'elles se sont engagées dans des dépenses plus ou moins considérables, soit pour construire, soit pour mettre en bon état les bâtiments militaires.

Ainsi il n'y a pas de comparaison à faire entre les deux cas, et si l'on ne peut pas admettre un droit d'indemnité pour les constructions établies dans certains rayons stratégiques, on peut très bien établir un droit d'indemnité ou au moins une loi équitable de compensation dans le cas dont il s'agit.

Messieurs, il y a une autre observation qui me semble d'une grande importance et qui, certes, frappera l'attention de la Chambre : c'est une raison qui concerne l'avenir.

Voyez, messieurs, dans quelle position on place les villes pour l'avenir. Quel sera en général l'usage qu'on pourra faire des bâtiments cédés ? Quelques-uns seront employés, je suppose, à ériger des hôpitaux civils.

Que feront les villes qui les destineront à l'usage d'hôpitaux civils ? Evidemment elles loueront les locaux qui aujourd'hui sont occupés par les malades.

Eh bien, après avoir logé les malades à l'hôpital militaire, parce que probablement ce bâtiment conviendra mieux, arrive dans un an ou deux le gouvernement qui les fait déguerpir. Alors les premiers locaux ayant été loués, les villes ne pourront les reprendre immédiatement ou ne pourront le faire qu'à grands frais.

Voilà de très graves désagréments que le gouvernement doit prendre en considération, lorsqu'il négociera avec les villes pour la cession de bâtiments militaires,

A cet égard, il me semble qu'il doit stipuler certaines conditions, quant aux compensations qu'il y aurait lieu d'accorder dans les cas que je viens d'indiquer. S'il ne stipule pas ces conditions, il est probable que certaines villes ne voudront pas accepter le contrat dans la crainte des pertes qui pourraient leur incomber plus tard. Un autre cas se présentera probablement.

Dans certaines constructions, on tâchera d'introduire des industries, de placer des machines, des métiers. C'est le cas pour les Flandres. Eh bien, lorsqu'on aura placé ces métiers, lorsqu'on aura introduit une industrie quelconque, une industrie nouvelle ou une industrie ancienne dans ces locaux, et que plus tard le gouvernement viendra les réclamer, ces villes se trouveront au dépourvu ; elles n'auront pas toujours les ateliers nécessaires pour y placer les métiers et les machines dont il s'agit.

Encore une fois, ce serait le cas pour le gouvernement de stipuler, dans les contrats, certaines conditions d'indemnité ou de compensations pour l'éventualité dont je viens de parler. Si plus tard ces compensations devaient être accordées, à cause de la reprise des bâtiments, elles pourraient l'être sans charger l'Etat de nouvelles dépenses. Car le gouvernement pourrait accorder ces compensations sur le fonds d'encouragement à l'industrie, voté tous les ans au budget de l'intérieur.

Le gouvernement pourrait, me semble-t-il, dans les contrats à faire avec les villes, prendre ce parti, afin que celles-ci sachent que plus tard elles seront indemnisées soit sur le budget de l'intérieur, soit sur d'autres budgets. Cela est de toute justice. Remarquez qu'on hésitera à implanter des industries dans des villes qui peuvent redevenir forteresses.

Messieurs, vous savez que les villes dont il s'agit ont fait de grandes pertes. Elles ont été privées de leur garnison qui entretenait dans leur sein une certaine aisance. Cela seul mérite déjà des égards ; mais d'après les conditions des contrats qu'on leur propose, il y a des éventualités où ces contrats seraient onéreux pour elles. Je ne puis l'admettre et j'espère que M. le ministre saura prévenir ce fâcheux résultat.

Je le prierai de bien vouloir introduire dans les contrats les stipulations nécessaires, afin que ces villes aient leurs apaisements.

Je voudrais aussi, messieurs, que le gouvernement fût autorisé à concéder, dans certains cas, l'usage de terrains autres que ceux dont il s'agit dans le projet et dans le rapport de la section centrale.

M. E. Vandenpeereboom, rapporteur. - Il en est question dans le travail de la section centrale.

M. de Haerne. - Oui, je le sais, il s'agit de terrains adjacents.

M. E. Vandenpeereboom. - Et d’autres encore.

M. de Haerne. - S'il s'agit d'autres terrains, je suis satisfait. Mais je n'avais pas compris la chose ainsi. Je voudrais que le gouvernement eût, à cet égard, une certaine latitude, afin de pouvoir céder aux villes intéressées, non seulement les terrains adjacents qui doivent être de fort peu d'importance, mais aussi certains autres terrains militaires situés à l'intérieur du fossé d'enceinte, non seulement ceux qui leur sont nécessaires, mais aussi ceux qui peuvent leur être d'une utilité reconnue.

Le gouvernement, dans tous les cas, n'en retirerait qu'un revenu tout à fait insignifiant.

Je demande aussi qu'on fasse la cession aux villes intéressées, avant d'aliéner les autres propriétés militaires qui pourraient convenir à des particuliers. C'est une préférence à laquelle les villes ont droit et qu'on ne peut leur refuser.

Messieurs, permettez-moi de faire une dernière réflexion.

Le gouvernement ne peut pas froisser en cette occurrence, pas plus qu'en aucune autre, l'intérêt général, cela est bien vrai ; mais lorsqu'il s'agit de cas semblables, il faut aussi un peu consulter les intérêts locaux, surtout lorsque ces intérêts sont aussi respectables que ceux dont il s'agit et lorsque les villes intéressées n'ont pu prévoir l'éventualité fâcheuse dont il s'agit. Il faut, messieurs, tâcher d'éviter un antagonisme entre l'intérêt local et le patriotisme.

On doit sans doute, dans certains cas et pour le bien du pays, passer par bien des nécessités ; on doit admettre la démolition des forteresses lorsque l'intérêt général, lorsque la défense du pays l'exige ; mais qu'on fasse au moins tout ce qui est possible pour ne pas énerver dans ce cas le sentiment national qui pourrait souffrir, lorsqu'il serait mis en opposition avec l'intérêt. Ces conflits, messieurs, sont contraires à une bonne politique et il faut les éviter autant que possible.

J'espère que le gouvernement me comprendra, et qu'il cherchera par (page 769) tous les moyens à ne pas affaiblir l'esprit patriotique qui anime nos populations.

M. Coomans. - J'ai demandé la parole, lorsque j'ai entendu l'honorable M. Jouret réclamer une garnison pour la ville d'Ath. Je n'admets pas avec l'honorable membre que nous ayons à nous ingérer dans la distribution des troupes sur la surface du royaume. Ce soin incombe au gouvernement du Roi, qui doit s'en acquitter en toute liberté et sous sa responsabilité. L'armée est destinée, non pas à offrir des ressources aux villes, mais à défendre les plus grands des intérêts nationaux qui sont notre indépendance et le maintien de l'ordre.

Voilà le seul but de l'armée. Quant à la ravaler à l'état d'institution qui viendrait remplir les caisses de l'octroi et fournir des clients à des boutiquiers, je n'y consentirai pas.

Messieurs, je n'admets pas non plus que les villes privées de garnison aient droit à une indemnité, à ce qu'on va jusqu'à appeler des compensations « suffisantes ».

S'il est vrai que la possession d'une garnison soit un si grand avantage, il en résulte que les villes qui ont profité de ce privilège pendant longtemps, au lieu de se plaindre, doivent plutôt quelque chose en retour aux villes qui en ont été privées. Ainsi, mon arrondissement, qui renferme 100,000 âmes et qui compte dans les rangs de l'armée 2,000 de ses enfants, l'arrondissement de Turnhout ne possède pas la moindre petite garnison, et je n'en ai pas demandé une. Comme cet arrondissement a contribué largement, depuis des siècles, au maintien de l'armée, il aurait bien plus le droit, je pense, à réclamer les bénéfices de l'armée, que certaines villes que l'on en prive aujourd'hui, après les en avoir laissées jouir pendant de longues années.

Eh quoi ! messieurs, on n'accorde pas une indemnité aux propriétaires de terrains frappés de servitudes militaires, terrains qui deviennent impropres à la bâtisse et perdent beaucoup de leur valeur ; les propriétaires de ces terrains ne reçoivent pas d'indemnité, ce qui, soit dit en passant, ne me semble pas juste, et l'on viendrait réclamer une indemnité pour la cessation d'un privilège, car c'est un véritable privilège, on l'avoue, que de posséder une garnison.

A un autre point de vue, je crois que les villes qu'on démantèle devraient s'en féliciter plutôt que de s'en plaindre : le démantèlement est une sorte d'émancipation qui ne fait pas de mal aux villes qui le subissent. Je suis convancu que certaines de nos grandes villes se trouveraient très heureuses d'être démantelées, et j'ose citer à ce propos celle d'Anvers.

Je viens de parler des servitudes militaires qui pèsent lourdement sur certaines localités ; je suis persuadé que la ville d'Ath est dans ce cas et que les propriétaires de biens extra muros sont charmés de voir démanteler la ville.

Mon but principal, messieurs, était de protester contre des demandes d'indemnités, de compensations ou de tous autres arrangements, qui ne tendraient, en définitive, qu'à faire ajouter tous les ans quelques millions de plus au budget de la guerre. Je voterai contre le projet de loi, à moins que le gouvernement ne nous donne l'assurance que le dangereux principe de l'indemnité n'a pas dicté le projet de loi.

M. Osy. - Je voterai le projet de loi présenté par le gouvernement pour donner une compensation, un dédommagement aux villes dont on démolit les fortifications ; mais il y a une affaire bien plus grave, c'est l'affaire d'Anvers ; là on a trouvé convenable, au lieu de détruire, d'édifier, c'est-à-dire de faire de nouveaux ouvrages de défense. Jamais je ne blâmerai la manière dont le gouvernement trouvera convenable de défendre les places fortes ; mais, messieurs, il y a ici un point extrêmement grave : la ville d'Anvers est, pour ainsi dire, la seule ville commerçante que vous ayez en Belgique ; elle ne fait que prospérer et s'agrandir et vous devez tous désirer qu'elle continue à marcher dans cette voie. Or, messieurs, l'espace qui se trouve intra-muros devient beaucoup trop petit ; depuis 20 ans déjà, beaucoup d'habitants sont obligés de se loger hors ville, et le gouvernement a toujours permis la construction de maisons dans les faubourgs, toujours en prévenant ceux qui bâtissaient que si, en vertu des arrêtés existants, ou venait à ordonner la démolition, il n'y aurait pas d'indemnité.

Aujourd'hui, messieurs, le rayon stratégique est doublé, depuis l’établissement des forts, de manière qu'au lieu de ne pas pouvoir bâtir dans un rayon de 500 mètres à partir du pied des fortifications, c'est devenu aujourd'hui une affaire de 1,000 mètres à cause des forts.

Le rayon stratégique n'embrasse pas seulement aujourd'hui la ville d'Anvers, mais tous les villages qui l'entourent ; on peut évaluer à 20,000 les personnes qui sont actuellement dans le rayon stratégique et auxquelles la défense, portée par le gouvernement, cause préjudice.

Comme le disait l'honorable M. Lelièvre dans une autre occasion, il est plus que temps que le gouvernement examine les questions qui se rattachent aux arrêtés existants ; il faut que les habitants domiciliés dans le rayon stratégique sachent à quoi s'en tenir. Il y a 15 mois, le gouvernement, par l'organe de M. le ministre de la justice, s'était engagé à nous présenter un projet de loi.

L'affaire dont j'ai l'honneur d'entretenir la Chambre a un caractère tout spécial. Quand vous remontez à cinq siècles, la ville d'Anvers n'était que le tiers de ce qu'elle est aujourd'hui ; en 1580, elle avait la même enceinte qu'actuellement, et elle était déjà trop petite. A cette époque, on avait fait un plan pour changer les fortifications et les étendre au-delà des faubourgs ; à la suite du traité de Munster, la ville d'Anvers ayant vu décroître ses affaires par la fermeture de l’Escaut, ne songea plus à s’agrandir.

Le gouvernement hollandais, après 1814, a toujours permis de construire dans le rayon stratégique ; le gouvernement belge, depuis 1830, a donné la même permission, et maintenant qu'on a bâti plus de 2,000 maisons, on prévient, à l'improviste, tout le monde qu'on exécutera, au besoin, les arrêtés existants et qu'on fera démolir ces maisons, si c'est nécessaire pour la défense de la place.

Vous comprenez parfaitement qu'après avoir permis pendant tant d'années de construire des maisons, il serait véritablement malheureux de voir démolir actuellement ces maisons.

Il est absolument nécessaire que le gouvernement prenne une mesure ; car nos bassins doivent être agrandis. En janvier dernier après une interruption dans la navigation, de quinze jours à trois semaines, nous avons vu nos grands bassins tellement remplis qu'on pouvait facilement aller d'un navire à l'autre.

Ainsi, la ville devient réellement trop petite ; aussi, la ville avait-elle pensé à faire un grand bassin en dehors de l'enceinte, à l'occasion du canal de la Campine qui doit arriver extra muros ; mais faire un bassin sans magasins, c'est comme si l'on ne faisait rien. Or il n'est pas possible de construire ces magasins ; l'autorité militaire est encore une fois là et dit : « C'est dans le rayon stratégique. »

Nous avons vu des plans pour agrandir la ville du côté de l'Escaut, c'est-à-dire pour changer une partie des fortifications. Mais c'est la partie la plus malsaine de la ville pour y faire des habitations. Ce n'est que plus loin, vers la station et vers Berchem, qu'on pourrait bâtir.

Je prie M. le ministre des finances, qui connaît parfaitement les localités, de vouloir bien s'entendre avec M. le ministre de la guerre et avec M. le ministre de la justice, afin qu'un projet de loi puisse nous être présenté dans la session actuelle.

Le département des travaux publics est également intéressé sous plusieurs rapports, et notamment pour le canal de la Campine, à ce que la question reçoive une solution.

Aujourd'hui nous allons voter une loi qui accorde des dédommagements à des villes dont on va démolir les fortifications. Pour Anvers, c'est tout le contraire ; on veut faire une expropriation sans indemnité. C'est contraire à la Constitution.

Je sais qu'on nous opposera toujours un jugement rendu par la cour d'appel de Gand, et qui porte qu'on ne doit pas de compensation aux propriétaires. Cependant je crois qu'il n'est pas juste d'exproprier de cette manière sans donner une indemnité.

M. E. Vandenpeereboom, rapporteur. - Messieurs, je ne viens pas défendre le projet nouveau proposé par la section centrale et auquel M. le ministre des finances a déclaré se rallier. Ce projet n'est pas attaqué. Je ne pense pas même, par ce que vient de dire M. Coomans, que cet honorable membre soit opposé au principe de la loi. Je me bornerai donc à donner quelques courtes explications sur la portée du projet, amendé par la section centrale.

La difficulté qui s'est présentée dans le sein de la section centrale était l'impossibilité où nous nous trouvions de déterminer, d'une manière précise, les indemnités ou les dédommagements, comme on voudra les appeler, à donner aux villes démantelées.

En effet, ces villes sont dans des positions différentes ; leurs droits sont différents ; la nature des compensations à leur accorder est très différente aussi.

Nous n'avons pas eu à nous occuper de la question des garnisons, qui pourraient être rendues à ces villes. Si la situation présente, qui semble inspirer des craintes, que pour mon compte je trouve exagérées, venait à se modifier, le gouvernement aurait à voir s'il n'y a pas lieu, dans l'intérêt de l'armée même, à mieux répartir les garnisons, pour éviter les encombrements, et certainement alors il préférerait les villes où se trouvent les locaux nécessaires et qui ont tout perdu par le départ des troupes.

Nous n'avons pas discuté, non plus, la question de droit strict ; c'eût été fort oiseux, puisque le gouvernement reconnaissait que ces villes avaient été en possession d'avantages pendant longtemps, qu'il résultait de la privation de ces avantages un état de malaise, qu'il était équitable de ménager la transition. C'est cette pensée d'équité, qui a inspiré le gouvernement, lorsqu'il a adhéré au projet formulé en section centrale. Il aurait été à désirer, c'est mon opinion formelle, qu'on eût pu stipuler quelques conditions de reprise plus précises, pour le cas où le gouvernement viendrait à reprendre les bâtiments cédés.

Cette proposition a été faite par moi, mais elle a été repoussée dans le sein de la section centrale. Je n'étais donc pas autorisé à en entretenir M. le ministre des finances, qui, je dois le dire, a montré, dans toute cette affaire, beaucoup de bienveillance et de bonnes dispositions pour les villes démantelées.

Mais nous avons introduit des changements, qui permettent au gouvernement de faire plus que ne le permettait le premier projet. Ainsi l'article premier disait :

« Art. 1er. Le gouvernement est autorisé, par dérogation à la loi du 11 juin 1853, à céder gratuitement et sans frais aux villes d'Ypres, de Menin, d'Ath, de Philippeville et de Marienbourg, ainsi qu'à la ville de Bouillon, les terrains militaires de ces places qui leur sont nécessaires soit pour faciliter la perception des droits d'octroi, soit pour maintenir (page 770) et améliorer les communications existantes, ainsi que les écluses et les fossés d'alimentation dont l’intérêt public réclame la conservation. »

Cet article était limitatif. Celui de la section centrale dit :

« Art. 1er. Le gouvernement est autorisé, par dérogation à la loi du 11 juin 1853, à céder, gratuitement et sans frais, aux villes d'Ypres, de Menin, d'Ath, de Philippeville, de Marienbourg et de Bouillon :

« 1° Les terrains militaires de ces places qui leur sont nécessaires, notamment pour faciliter la perception des droits d'octroi, ou pour maintenir et améliorer les communications existantes. »

Par conséquent le gouvernement pourra maintenant céder quelques autres terrains, comme complément de compensation. Il ne sera plus tenu de ne céder que les terains ayant une destination spécifiée.

Il a été ajouté aussi à l'article 2, que le gouvernement ferait des conventions dans lesquelles il insérerait « telles autres clauses et conditions qu'il jugerait propres à concilier les intérêts de l’Etat et ceux des communes. »

Ici encore il y a une différence avec le premier projet qui disait seulement « et à telles clauses et conditions que le gouvernement jugera utiles aux intérêts de l'Etat. »

De sorte que le gouvernement est autorisé à introduire dans les conventions, des clauses qui ménagent l'état de malaise de ces villes et qui diminuent leurs sacrifices.

Et cela ne sera que juste, puisque les compensations qu'on leur accorde ne sont pas seulement données parce qu'elles ont perdu leurs garnisons, mais aussi parce que le démantèlement leur occasionnerait des frais pour la surveillance et la perception des droits d'octroi. Quand ces villes étaient places fortes, on ne pouvait entrer que par les portes ; les murs d'enceinte et les fossés rendaient impossible toute introduction frauduleuse par une autre voie ; l'octroi était parfaitement garanti.

Aujourd'hui, au contraire, qu'on ne leur laisse plus qu'un petit fossé de quelques pieds, il faudra établir un service de surveillance très actif ; la dépense que ce service entraînera est la conséquence de la démolition du mur d'enceinte et de la suppression des fossés.

M. Coomans. - Qu'on démolisse l'octroi.

M. E. Vandenpeereboom. - Quand ou aura démoli l'octroi, il est clair que la dépense de surveillance cessera. Mais, en attendant, il faut la faire, et cette surveillance entraîne à de grands frais. Je suis très disposé à vous aider, au sein de la section centrale dont je fais partie avec vous, dans la recherche que vous faites des moyens pratiques pour atténuer, sinon pour faire disparaître les vices que présente le système actuel des octrois.

Je me borne à ces courtes explications. Je pense qu'avec les pouvoirs nouveaux donnés à M. le ministre des finances et qu'il a acceptés, on pourra faire ce que l'équité commande.Et, pour me servir des expressions d'un de nos amendements, il sera possible au gouvernement de trouver des bases de convenlions propres à concilier les intérêts de l'Etat et ceux des communes.

M. Thiéfry. - J'ai demandé la parole pour répondre à l'honorable M. Osy qui plusieurs fois a soulevé une très grave question dans cette enceinte. De ce que le gouvernement a toléré des bâtisses à proximité d'Anvers, il en tire la conséquence qu'on pourrait permettre encore ces constructions. Il pense qu'il y a doute sur les droits qu'auraient les propriétaires lésés à réclamer une indemnité et il voudrait que le ministre présentât une loi pour régler cet objet.

Le gouvernement étant chargé de la défense du pays a eu de tout temps le droit d'ériger des fortifications où il l'a jugé convenable : comme les forteresses doivent être dégagées de toutes constructions jusqu'à une certaine distance, des lois anciennes ont empêché de bâtir dans un rayon fixé.

Ainsi une ordonnance de Marie-Thérèse a défend de construire des « maisons, murs, etc., etc. à 300 toises impériales du dernier glacis des places forte, à peine que lesdits bâtiments ou murs seront rasés aux frais de ceux qui les auront fait construire. »

Les lois du 10 juillet 1791 et l'arrête-loi du 4 février 1815 norleut les mêmes défenses.

C'est en vertu de ces lois que plusieurs jugements ont été rendus, soit pour empêcher des constructions, soit pour obliger à les démolir. L'arrêté de 1815 ne parle, il est vrai, que des forteresses existantes, mais il s'applique également aux forteresses à construire. Les tribunaux l'ont décidé, la jurisprudence est définitivement établie à cet égard.

Dans un jugement du 25 octobre 1843, rendu par le tribunal de Tournai, il est dit :

« Attendu que, si cet arrêté a été pris sur des abus relatifs à la place d Anvers, son dispositif est général et concerne toutes les places de la Belgique ; que si on trouve, dans la traduction française du texte hollandais, les mots « actuellement existants », la force des choses indique qu'il doit s'entendre dans la pensée du prince souverain qui l'a porté, de toutes les forteresses qui sont et seront existantes eu Belgique, car il n'en a pris aucun autre pour les nombreuses forteresses qui ont été érigées postérieurement audit, arrêté, en exécution des traités de 1814 et 1815. »

Ce principe a également été reconnu par la cour d'appel de Liège dans un arrêt du 11 août 1847. en cause de la ville de Namur contre l’Etat.

« Attendu, y est-il dit, que les lois du 10 juillet 1791 et 4 février 1815 comprennent les forts à construire comme les forts construits ; que les mêmes motifs s'appliquent'aux uns comme aux autres, et qu'on ne peut raisonnablement supposer que le législateur eût voulu excepter d'une mesure de sûreté les forts construits postérieurement. »

Les tribunaux de Gand et de Termonde se sont prononcés dans le même sens par des jugements du 10 janvier et du 16 juin 1842.

La cour de cassation enfin a consacré cette jurisprudence par son arrêt du 7 juillet 1849.

Il est, par conséquent, bien reconnu que l'arrêté de 1815 est applicable aux terrains qui se trouveront à 1,800 pieds de l'extrémité du glacis de chaque part du camp retranché d'Anvers, et que l'on ne peut construire ni reconstruire des bâtiments dans ce rayon.

On prive, il est vrai, le propriétaire d'une faculté dont il jouissait ; le préjudice est incontestable. Ne lui est-il pas dû alors une indemnité ?

Je ne le pense pas. Je ferai remarquer qu'il ne s'agit pas ici d'une expropriation ; car exproprier, c'est priver quelqu'un de la propriété ; tandis que dans le fait, on impose uniquement une servitude, et pour les servitudes d'utilité publique, la loi n'accorde pas d'indemnité ; sinon l'Etat serait entraîné dans des dépenses très considérables.

M. le ministre des finances (M. Liedts). - -Messieurs, la question que vient d'introduire incidemment l'honorable M. Osy a trop d'importance pour pouvoir être discutée à l'occasion du projet qui vous est soumis. Le gouvernement a élaboré un projet de loi sur les servitudes militaires : il a dû être soumis au conseil des mines ; plusieurs places fortes se trouvant à portée des exploitations minières, il y avait à ce sujet quelques dispositions à insérer dans le projet de loi, c'est ce qui a retardé la présentation.

Je ne sais s'il pourra être déposé dans le courant de cette session ; mais je ne pense pas qu'il y ait une grande utilité à ce qu'il en soit ainsi, attendu que la Chambre, indépendamment des budgets qu'elle a à examiner, est saisie déjà d'un si grand nombre de projets que tous ne pourront pas recevoir une solution avant la fin de la session.

Quoi qu'il en soit, messieurs, et en attendant que ce projet puisse vous être soumis, je ne crains pas de le dire, ce projet, quel qu'il puisse être et quel qu'il puisse être adopté par la Chambre, ne remédiera jamais au mal dont se plaint la ville d'Anvers.

En effet, la ville d'Anvers se plaint de deux grands inconvénients. Le premier, c'est que ses établissements maritimes dans l'intérieur de son enceinte sont insuffisants et qu'il faut en reporter une partie au dehors. D'une autre part, elle soutient, à bon droit, que sa population trop dense, trop serrée dans l'intérieur des murs, a besoin de s'éparpiller au-dehors.

Eh bien ! il n'y a à ces deux maux qu'un seul remède. C'est qu'on trouve, d'accord avec le gouvernement, le moyen de reporter la ligne des fortifications d'Anvers sur un plus grand rayon, et je crois qu'il y a moyen (c'est une opinion individuelle que j'émets ici) d'obtenir ces constructions, quelque gigantesques qu'elles doivent paraître, sans qu'il en coûte un sou au pays ; attendu qu'en comprenant dans cette nouvelle enceinte, une assez grande étendue de terrains, il est évident qu'une société se formera facilement pour accepter la construction des nouveaux travaux de fortification, certaine qu'elle sera de se recouvrer par les bénéfices qu'elle fera sur les terrains à bâtir compris dans son expropriation.

Voilà, à mes yeux, le seul remède au mal dont se plaint la ville d'Anvers. Mais ce remède, comme vous le comprenez facilement, n'est pas l'ouvrage d'un jour, ni même d'une année ; et en attendant, le gouvernement a rempli un devoir rigoureux en empêchant que le mal, déjà trop grave, n'augmente encore de jour en jour.

Vous savez tous, messieurs, que dans notre nouvelle organisation politique, Anvers est le boulevard de la Belgique. Dans des circonstances données, c'est le seul du pays. Eh bien, n'est-ce pas une chose déplorable de voir deux mille maisons éparpillées au pied des fortifications de cette enceinte ? Il suffit de jeter un coup d'œil sur les environs d'Anvers pour voir que cette importante place forte a perdu les trois quarts de sa valeur par ces nombreuses constructions.

Le mal était arrivé déjà beaucoup trop loin, et s'il y a quelque chose à regretter, ce n'est pas que le ministère ne permette plus de bâtir au pied des glacis, c'est qu'on ne puisse enlever les constructions qui s'y trouvent.

Vous le voyez donc, messieurs, je donne à la ville d'Anvers l'espoir de voir réparer, non pas par un palliatif, mais d'une manière complète le mal dont elle se plaint. Mais, en attendant que la nouvelle enceinte soit faite et fortifiée, qu'elle ne s'élève pas contre les mesures que le gouvernement vient de prendre dans l'intérêt de tous.

J'arrive au projet de loi.

Tandis que le plus grand nombre des orateurs qui ont pris la parole semblent remercier le gouvernement de la bienveillance avec laquelle les réclamations des villes démantelées ont été accueillies, un autre orateur cependant nous accuse de méconnaître les vrais principes en cette matière et d'écrire comme un axiome que ces villes n'ont droit à aucune indemnité.

Cette accusation nous étonne ; jamais principe ne fut plus vrai que celui qui se trouve dans l'exposé des motifs. Il y aurait un danger, un grand danger pour le pays, si l'on pouvait accepter comme vrai le principe inverse.

Si d'une part il n'y a pas droit rigoureux à une indemnité, d'autre part la jurisprudence constante de cette Chambre, c'est que chaque fois qu'une localité souffre un dommage même momentané dans l’intérêt (page 771) de tous, il est équitable de lui accorder quelque légère indemnité, quelque léger adoucissement.

C'est ainsi, messieurs, sans vouloir établir de parallèle entre les deux cas, que, lors de l'invasion des Hollandais, les torts essuyés par les ravages de cette invasion ne donnaient pas lieu à un droit rigoureux d'exiger une indemnité. Aussi, n'a-t-on pas donné une indemnité proprement dite, mais on a cherché à atténuer les pertes essuyées par les divers propriétaires.

Eh bien, ici, messieurs, les villes dont il est question étaient, depuis des siècles, en possession de fortifications. Ces fortifications leur servaient d'enceinte et les dispensaient d'organiser un service pour la perception de leur octroi. Le démantèlement ouvre tout à coup ces places et force les villes à s'imposer certains sacrifices pour assurer la perception de leur octroi. Il y a là un moment de malaise à traverser pour ces villes, et il est équitable de leur venir en aide, surtout lorsqu'on peut concilier l'intérêt de ces localités avec l'intérêt public. Cette conciliation, voici en quoi je la trouve.

L'histoire nous apprend que très souvent des places fortes démantelées ont dû être rétablies plus tard. Il y a telle ville forte, et je citerai ma ville natale, la petite ville d'Audenarde, qui a vu successivement trois ou quatre fois raser et rétablir ses fortifications. Eh bien, il est juste, il est prudent, il est sage de prévoir ces éventualités pour un avenir plus ou moins éloigné de nous, et il serait fâcheux, si ces places fortes devaient être rétablies, que le gouvernement dût payer à deniers comptants des terrains et des bâtiments qu'il aurait aliénés pour presque rien.

En faisant des arrangements avec les villes, on leur donnera la jouissance à charge d'entretien de certains terrains et bâtiments qu'elles réclament ; et si plus tard la politique du pays exige le rétablissement de ces places fortes, on stipulera que le gouvernement pourra reprendre ces bâtiments et ces terrains sans indemnité.

Mais, dit l'honorable M. de Haerne, à cette condition-là, il y a des villes qui probablement ne voudront pas d'un pareil cadeau. Messieurs, je crois ne pas me tromper en disant que l'honorable membre est dans l'erreur et que toutes les villes accepteront très volontiers une transaction de ce genre.

Certainement il n'est permis à personne de dire si la position stratégique du pays exigera dans dix ans, dans vingt ans, le rétablissement de telle on telle fortification. Mais le passé nous est garant, que le rétablissement de ces fortifications ne se présentera pas dans un délai tellement rapproché de nous, que ces villes pourraient avoir à supporter l'entretien sans avoir une jouissance quelque peu raisonnable. Je crois qu'elles peuvent s'attendre à une certaine série d'années qui les compensera largement des frais d'entretien de ces bâtiments.

Mais qu'arriverait-il, dit l'honorable M. de Haerne, si par exemple un hôpital militaire que vous céderiez devenait un hôpital civil, et que du jour au lendemain on vînt placer, dans la ville où se trouve cet hôpital, une garnison militaire.

Messieurs, dans un pays comme le nôtre, où tout se fait si paternellement, il est évident que les choses ne se passeront pas comme on paraît le supposer. Si cet hôpital qu'on suppose à la disposition de laville, et où celle-ci aurait placé ses malades, devenait indispensable pour les malades de la garnison, il est certain qu'il y aurait une transaction à faire et qu'on ne mettrait pas sur le carreau, et par voie d'huissier, comme on le dit, les malades qui se trouveraient dans cet hôpital. On peut être complètement rassuré à cet égard.

Messieurs, je crois que le gouvernement est allé aussi loin que le demandait la raison. Vouloir trop dans ces occasions, c'est ne rien vouloir du tout. Car s'il est quelques localités intéressées à ces compensations, qu'on veuille réfléchir qu'il en est d'autres et beaucoup d'autres qui auraient un grand intérêt à ce qu'on donnât le moins possible.

Je crois que le gouvernement s'est tenu dans un juste milieu et qu'il a tâché de concilier tous les intérêts.

M. de Haerne. - J'ai demandé la parole pour répondre à l'honorable préopinant qui a protesté, en quelque sorte, contre ce que j'ai eu l'honneur de dire tout à l'heure. Cet honorable ami ne m'a pas bien compris, sans cela il ne se serait pas élevé contre mes paroles : je n'ai pas dit que le gouvernement allait faire des pertes dans les marchés à conclure avec les villes ; j'ai soutenu, au contraire, que le gouvernement y trouverait des avantages réels. J'ai dit que déjà l'on avait mis en vente certains bâtiments et qu'il n'en a été offert qu'une bagatelle : le gouvernement, en ai-je conclu, a donc intérêt à ce que ces bâtiments soient repris par les villes et entretenus par elles dans un état convenable. Si les villes ne les reprenaient pas, il devrait les louer, et alors les grosses réparations resteraient à sa charge. D'ailleurs ils exigeront de très grandes dépenses pour être appropriés à une destination quelconque.

La réponse que m'a faite l'honorable ministre des finances rassurera en grande partie les localités que j'ai cru devoir défendre ; mais il est une question sur laquelle je me permettrai d'insister, parce que tout à l'heure mes paroles n'ont pas été bien saisies. Il se présente ici une question industrielle ; ces villes sont placées dans une situation plus fâcheuse que d'autres. Si les circonstances politiques ou autres viennent à changer, ce qui peut arriver, quoi qu'on en dise, plus tôt qu'on ne le pense, vu l'incertitude de la situation actuelle de l'Europe, ces villes deviendront encore une fois des places militaires, et l'on sait fort bien que les villes fortifiées ne sont jamais, sous le rapport de l'industrie, dans une position si avantageuse que les villes ouvertes. Il en résultera que l'industrie se fixera très difficilement dans les places démantelées.

C'est pourquoi j'ai prié M. le ministre des finances de vouloir bien introduire dans les contrats à faire avec ces villes certaines stipulations en vue de ces éventualités, afin que si les locaux sont appropriés à l'industrie et que plus tard on doive les reprendre, les intérêts engagés puissent être sauvegardés.

Au besoin, on pourrait imputer les dépenses à faire sur les fonds de l'industrie. Le gouvernement a fait des sacrifices considérables, au point de vue industriel, en faveur de certaines localités. Pourquoi n'en ferait-il pas en faveur de celles qui auront elles-mêmes à subir des sacrifices dans l'intérêt général ?

Il n'y aurait là aucun dommage pour le pays, et il conviendrait de concéder cet avantage aux villes intéressées, afin de les engager à traiter avec le gouvernement, ce que plusieurs hésiteront à faire, je le répète, si de semblables garanties ne leur sont pas données.

M. Veydt. - Messieurs, je ma proposais de donner mon assentiment au projet de loi en discussion, sans prendre la parole. J'approuve ce projet parce qu'il répare, dans la mesure du possible, le préjudice que certaines localités éprouvent par suite des changements apportés dans leurs conditions d'existence, et cela en vue d'intérêts d'un ordre supérieur. Mais une question a été soulevée par l'honorable M.Osy, et après la réponse de M. le ministre des finances je crois, à mon tour, devoir dire quelques mots. Tout à l'heure l'honorable M. Thiéfry rappelait la législation existante ; cette législation n'est pas nouvelle, elle remonte, comme il l'a dit, à une date déjà fort ancienne, et cependant sous l'empire de cette même législation, les propriétaires des environs d'Anvers ont été autorisés à bâtir, au vu et au su de tout le monde, par suite d'arrangements ou au moins de permissions du gouvernement. Cet état de choses aurait pu être continué sur le même pied et avec les mêmes chances pour ceux qui bâtissent, lorsqu'une mesure ea sens contraire et très rigoureuse, est inopinément intervenue. Je dis très rigoureuse, parce qu'on a été jusqu'à interdire d'achever des constructions commencées. La ville d'Anvers et la nombreuse population de sa cinquième section ont été profondément émues. Des démarches solennelles ont été faites, et à cette occasion, des espérances ont été données.

L'honorable ministre des finances vient de confirmer ces espérances sous un certain point de vue ; il a reconnu qu'il serait possible de tenir compte des besoins d'une ville qui ne peut plus se renfermer dans l'enceinte actuelle et de porter plus loin les travaux nécessaires à sa défense.

Je prie le gouvernement de ne point se borner à reconnaître qu'il y a moyen d'adopter un autre système, car cela ne suffit pas.

Il faut que cette idée soit l'objet d'une étude approfondie de sa part ; et qu'elle soit envisagée au point de vue stratégique comme au point de vue des ressources financières qu'elle pourrait procurer pour faire face aux dépenses. Si on savait à Anvers que cette étude est activement suivie, qu'on y apporte toute la sollicitude qu'elle mérite, on attendrait, on tiendrait compte du temps qu'il faut pour une pareille affaire.

Mais, messieurs, en confirmant les espérances dont je viens de parler et qui concernent un avenir plus ou moins éloigné, l'honorable ministre des finances en a détruit d'autres, qui concernent le présent, c'est-à-dire l'état actuel des choses. Sous ce rapport son discours causera à Anvers, je le crains bien, une impression pénible ; on avait conçu l'espoir fondé que la mesure rigoureuse qui consiste à interdire absolument et sans distinction aucune, les constructions dans un rayon déterminé, ne serait pas maintenue ; on était autorisé à penser qu'il était possible de concilier ce qu'exige la défense de la place avec la destination que les habitants de la cinquième section veulent donner à leurs propriétés, comme on le leur a permis jusque dans ces derniers temps ; on espérait qu'on aurait pu reprendre les constructions en observant, s'il le faut, certaines règles, certaines distances ; on espérait que cet interdit ne pèserait plus si lourdement sur tout le monde, et cela dans la vue d'une éventualité des plus problématiques et par laquelle on a eu pendant si longtemps le bon esprit de ne pas se laisser dominer exclusivement. Toutes ces espérances sont bien affaiblies par les paroles de M. le ministre, et s'il n'y avait pas à revenir sur le maintien des dernières mesures, je me joins à mon honorable collègue M. Osy pour demander aussi que l'on sache au plus tôt à quoi s'en tenir.

Mais, messieurs, il y a moyen de concilier les choses. Des hommes fort compétents en pareille matière ne regardent pas les constructions qu'on a permis d'élever comme devant, le cas échéant, paralyser l'usage des fortifications et nuire sérieusement à la défense de la place. S'il en est ainsi, comme je suis porté à le croire, on ne se trouve plus devant une question à laquelle il n'y aurait d'autre solution possible qu'une interdiction absolue, substituée brusquement à un long laisser-faire.

Je n'en dirai pas davantage, car ce n'est qu'accidentellement que j'ai été amené à traiter une question qui préoccupe très vivement Anvers ; et on ne peut s'empêcher de reconnaître que c'est à juste titre, quand on songe aux intérêts nombreux et importants qui y sont engagés.

M. le ministre des finances (M. Liedts). - Je me suis borné, messieurs, à exprimer des principes généraux que je crois parfaitement vrais ; mais (page 772) il est possible que, dans l'exécution, M. le ministre de la guerre trouve le moyen de concilier ces principes avec les exigences loeales qui dérivent des constructions commencées, etc. Seulement je dis que ce serait un immense malheur pour le pays que de rendre toutes les fortifications qui existent inutiles par des constructions particulières ; j'ai avancé cela en principe général, mais s'il y a moyen de le concilier avec l'intérêt de quelques propriétaires, j'en serai très charmé.

M. Osy. - Je dirai à l'honorable préopinant que la seule chose que je demande au gouvernement c'est qu'il nous mette à même de savoir ce que nous avons à faire. Depuis quinze mois il nous a promis un projet de loi pour réviser ces lois anciennes qui sont véritablement surannées ; je demande qu'il présente ce projet. Il ne faut pas abandonner au gouvernement le droit de permettre ou de défendre arbitrairement aux propriétaires de bâtir sur leurs terrains ; il faut que chacun sache ce qui est permis et ce qui est défendu.

M. le ministre a confirmé ce que j'avais dit : effectivement la ville d'Anvers devient trop étroite pour ses habitants et pour ses établissements commerciaux ; et il est temps que le gouvernement s'occupe sérieusement de ce qu'il y a à faire pour remédier à cet état de choses.

M. le ministre des finances a dit que si même le projet était prêt, il ne pourrait être discuté dans la session actuelle. J'en conviens ; cependant il serait extrêmement désirable pour les populations en faveur desquelles je parle, de connaître quelle est l'opinion du gouvernement sous ce rapport ; la présentation du projet de loi dans la session actuelle serait déjà une chose fort utile.

La question ne se restreint pas aux anciennes fortifications, elle s'étend aussi au nouveau rayon des forts ; quaud on a construit ces forts, il s'y trouvait de grandes maisons des campagnes ; maintenant ces maisons, ces campagnes sont-elles placées sous le même régime que les maisons qu'on a permis de construire dans le temps ? Voilà une question importante à examiner.

Dans l'arrêté-loi de 1815 que l'honorable M. Thiéfry a cité tout à l'heure, il est dit que les propriétaires des bâtiments qui existaient lors de la construction des nouveaux forts doivent être indemnisés par le gouvernement, si l'on vient à démolir ces bâtiments pour la défense de la place.

Si le gouvernement veut prendre l'engagement de présenter le projet de loi dans la session actuelle, je suis satisfait.

J'engage beaucoup le gouvernement à examiner comment on pourrait agrandir la ville d'Anvers, c'est-à-dire faire de nouvelles fortifications en dehors des faubourgs. Comme je l'ai dit, il existe un plan de 1580, et même les dessins se trouvent au ministère de la guerre. Il y a deux siècles, avant le traité de Munster, on sentait déjà le besoin d'agrandir la ville. C'est le seul remède au mal.

M. A. Vandenpeereboom. - Messieurs, je ne comptais pas prendre la parole dans cette discussion ; mais certaines considérations qu'on a présentées dans le cours du débat m'engagent à soumettre à la Chambre et au gouvernement une simple remarque.

M. le ministre des finances nous a dit que les villes n'avaient aucun droit à obtenir des compensations, par suite de la démolition des fortifications. En règle générale, j'admets ce principe. Il est évident pour tout le monde que lorsque l'intérêt général parle, l'intérêt privé doit se taire, et que les intérêts privés doivent fléchir devant l'intérêt général. Mais je dois faire remarquer qu'il est certains cas où ce principe, par suite de faits posés antérieurement, ne peut pas recevoir son application. Sous ce rapport, toutes les villes qu'on indemnise ne se trouvent pas exactement dans la même situation.

Il est des villes auxquelles le gouvernement a imposé, il y a quelques années, des sacrifices considérables ; il les a imposés, il est vrai, du consentement de ces villes, et à raison d'avantages qu'elles avaient droit d'espérer et qui leur étaient pour ainsi dire garantis.

C'est ainsi que dans certaines localités, à la demande du gouvernement, dans des moments plus ou moins difficiles, les administrations communales ont construit à leurs frais exclusifs des casernes, des manèges et d'autres locaux militaires, et pour faire ces constructions, elles ont été obligées de faire des emprunts et même d'imposer des sacrifices extraordinaires aux habitants.

Il me semble qu'il serait juste que dans le règlement des indemnités, on tînt compte de cette circonstance toute spéciale, et qu'on accordât une indemnité plus large pour les sacrifices que les villes ont faits antérieurement. Ces motifs spéciaux expliquent les mesures qui ont été prises par le département de la guerre en faveur de l'une des villes de l'arrondissement que je représente plus particulièrement dans cette enceinte et à laquelle on a bien voulu conserver une minime garnison.

A ce point de vue, je ne puis partager l'opinion de l'honorable M. Jouret qui pense que toutes les localités doivent être placées sur la même ligne et traitées de la même manière.

Je ne connais.pas les droits de la ville d'Ath, à laquelle, du reste, je souhaite une compensation équitable. Mais ce que je sais fort bien, c'est que la ville d'Ypres a des droits spéciaux et, je le crois, positifs, qui, j'en suis convaincu, ne seront pas méconnus par le gouvernement.

- La discussion générale est close.

Vote des articles et sur l'ensemble du projet

On passe aux articles.

« Art. 1". Le gouvernement est autorisé, par dérogation à la loi du 11 juin 1853, à céder gratuitement et sans frais aux villes d'Ypres, de Menin, d'Ath, de Phillppeville, de Marienbourg et de Bouillon :

« 1° Les terrains militaires de ces places qui leur sont nécessaires, notamment pour faciliter la perception des droits d'octroi, ou pour maintenir et améliorer les communications existantes ;

« 2° Les écluses, les fossés et les réservoirs d'alimentation, dont l'intérêt public réclame la conservation.

« La remise de ces terrains, écluses, fossés et réservoirs sera faite directement aux villes intéressées par le département de la guerre, aussitôt après la démolition des ouvrages de fortifications qui y sont établis, sous la réserve que, si ces propriétés étaient de nouveau jugées nécessaires pour la défense du pays, le gouvernement pourrait en reprendre possession sans indemnité. »

- Adopté.


« Art.2. Le gouvernement est également autorisé à concéder auxdites villes la jouissance de ceux des bâtiments militaires maintenant disponibles, ainsi que des terrains dépendant desdits bâtiments, dont elles justifieront pouvoir faire usage dans un but d'intérêt public, à la condition de les entretenir à leurs frais en bon état de réparation, et d'en faire remise à l'Etat, s'il voulait en disposer, soit pour le logement des troupes, soit pour tout autre service public, et à telles autres clauses et conditions que le gouvernement jugera propres à concilier les intérêts de l'Etat et ceux des communes.

« Ces concessions seront accordées par des arrêtés royaux, sur la proposition des ministres de la guerre et des finances, après que les députations permanentes des conseils provinciaux auront été entendues. »

- Adopté.


Il est procédé au vote par appel nominal ; le projet de loi est adopté à l'unanimité des 58 membres présents ; il sera transmis au Sénat.

Ont pris part au vote : MM. Allard, Ansiau, Boulez, Brixhe, Clep, Closset, Coomans, David, de Baillet-Latour, de Bronckart, de Haerne, Delehaye, Deliége, de Mérode (F.), de Mérode-Westerloo, de Muelenaere, de Naeyer, de Renesse, de Royer, de Ruddere, Desmaisières, de Steenhault, de Theux, Devaux, Dumon, Dumortier, Faignart, Jacques, Jouret, Laubry, Lebeau, Le Hon, Lejeune, Lesoinne, Malou, Mascart, Mercier, Moreau, Moxhon, Orban, Osy, Pierre, Pirmez, Rodenbach, Rousselle (Ch.), Tesch, Thiéfry, Thienpont, Vandenpeereboom (A.), Vandenpeereboom (E.), Vander Donckt, Van Hoorebeke, Van Iseghem, Van Overloop, Van Renynghe, Vermeire, Veydt et Delfosse.

Projet de loi portant le budget du ministère des finances de l’exercice 1855

Dépôt

M. le ministre des finances (M. Liedts). - D'après les ordres du Roi, j'ai l'honneur de déposer sur le bureau de la Chambre le projet de budget du département des finances pour l'exercice 1855.

- Il est donné acte de ce dépôt à M. le ministre des finances ; le projet de budget sera imprimé et distribué, et renvoyé à l'examen des sections.


M. le président. - M. Vermeire vient de déposer sur le bureau quelques amendements au projet de loi sur les brevets d'invention.

- Ils seront imprimés et distribués.

M. le président. - Je propose de placer ce projet de loi en tête de l'ordre du jour de lundi.

- Adopté.

Rapport sur une demande en naturalisation

M. le président. - Un sieur Henri Goadès a demandé la naturalisation ordinaire. D'après le rapport de la commission des naturalisations, il résulte du dossier que le sieur Goadès est Belge né en Belgique, de parents belges, le 12 octobre 1826. En conséquence la commission propose de passer à l'ordre du jour sur cette demande.

- L'ordre du jour est prononcé.

Rapports sur des pétitions

M. le président. - M. le ministre des finances devant s'absenter tantôt, désirerait que l'on s'occupât maintenant des rapports faits au nom de la commission d'agriculture, d'industrie et de commerce sur une pétition du sieur Raikem-Nullens, tendant à obtenir une réduction des droits de sortie sur le tan brut, et sur une pétition du sieur Clermont, demandant qu'un droit de sortie soit établi sur les houilles et les fontes.

- La Chambre, consultée, décide qu'elle s'occupera immédiatement de ces deux objets.

Le rapport sur la première pétition est ainsi conçu : (Le texte de ce rapport n’est pas repris dans la présente version numérisée).

M. Tesch. - Je demande que la Chambre ordonne également le renvoi de cette pétition à la section centrale qui sera chargée d'examiner le projet de loi, promis dernièrement par M. le ministre des finances, relatif aux droits à établir à l'entrée et à la sortie de différentes matières premières.

MfL. - Je n'ai aucune objection à faire à cette demande. Je saisis cette occasion pour faire connaître à la Chambre que le projet de loi pourra être distribué aujourd'hui même. Avant qu'il ne fût déposé, il a été remis à l'imprimeur, et le travail doit être terminé en ce moment.

- Les conclusions du rapport de la commission, amendées par M. Tesch, sont mises aux voix et adoptées.


M. Lesoinne, rapporteur. - Le rapport de la commission permanente de l'industrie, sur la pétition du sieur Clermont est conçue dans les termes suivants :

(page 775) Par pétition en date du 9 février 1854, le sieur Georges Clermotl demande qu'un droit de sortie soit établi sur les houilles et sur les fontes.

Le pétitionnaire fait valoir à l'appui de sa proposition les raisons suivantes.

La France ne produit qu'une quantité de houille très insuffisante à sa consommation, et doit demander ce qui lui manque à l'Angleterre et à la Belgique.

L'Angleterre a produit, en 1850, 34 millions de tonnes, qui se sont réparties comme suit :

Consommation à l'intérieur, 30,648,000 ; exportation, 3,352,000. Dans ce dernier chiffre, la France entre pour 612,545 et les Pays-Bas pour 159,953. Le reste est réparti entre d'autres pays.

La Belgique a produit, en 1850, 5,820,000 tonnes de houille, l'importation a été de 1,400 tonnes, la consommation à l'intérieur a été de 3,842,000 tonnes, l'exportation de 1,987,400.

L'exportation a été répartie comme suit : France, 1,750,000 ; Pay-Bas. 221,000 ; Angleterre, 4,000 ; Prusse, Brésil, etc. 3,000.

L'Angleterre n'exporte que le dixième de sa production ; la Belgique exporte un bon tiers de la sienne.

L'exportation des houilles anglaises pour la France n'a qu'un peu plus du tiers de l'exportation de la nôtre, et nos exportations pour les Pays-Bas excèdent les exportations anglaises de 36 p. c.

L'industrie manufacturière a pris, en Angleterre, une extension telle en 1852, que le moment n'est pas éloigné où, selon le pétitionnaire, sa production de houille ne pourra pas suivre la progression de son immense consommation intérieure. L'industrie manufacturière prend égalemenl un développement considérable en France, ainsi que dans le reste de l'Europe, en Amérique et dans les autres contrées du globe ; les chemins de fer se multiplient partout. Ce grand mouvement industriel doit nécessairement amener une augmentation dans la demande du combustible et des fontes en Belgique, de manière à en élever le prix d'une manière exorbitante.

Pour sauvegarder, dit-il, les intérêts du pays, il propose d'établir un droit de sortie :

Sur les houilles, de 25 centimes par 100 kilog.

Sur les fontes en gueuses, de 1 fr. par 100 kilog.

L'expérience, la force des choses, l'impérieuse nécessité font un devoir au gouvernement de ne pas hésiter à proposer cette mesure ; elle aura l'avantage de procurer une recelte notable au trésor, sans nuire aux intérêts et à la prospérité de notre industrie minérale et sidérurgique. Il cite à l'appui de cette assertion ce qui s'est passé lors du décret rendu par le gouvernement français, le 14 septembre 1852. Par ce décret, les droits sur les houilles avaient été doublés et les droits sur les fontes augmentés de 25 p. c, et malgré ces augmentations de droits, nos exportations vers la France n'avaient fait que s'accroître.

Le Zollverein a établi un droit de sortie de 15 fr. par 100 kilog. sur les laines, et il le maintient, malgré l'extension toujours croissante de l'importation des laines de l'Australie en Europe. Il a consenti à diminuer ce droit de 50 p. c. sur les laines consommées en Belgique, mais il l'a maintenu dans son intégrité pour les laines en transit.

Il demande aussi que le gouvernement oblige les communes qui ont établi des droits d'octroi sur les houilles, à réduire ces droits à 75 centimes ou 1 franc au maximum par tonne. Il n'y a pas de bon sens, dit-il, à laisser taxer la houille par les autorités municipales à des droits exorbitants, tandis que nous l'avons fournie jusqu'à présent à l'étranger exempte de tout droit.

La mesure qu'il propose aura en outre, selon lui, un effet moral d'une grande portée, ce sera de renouveler définitivement, à notre profit, l'expérience du décret du 14 septembre 1852, ce sera de prouver d'une manière irréfragable que loin que la Belgique soit tributaire de la France sous le rapport des intérêts matériels, c'est la France qui, sous l'empire des circonstances existantes, se trouve être tributaire de la Belgique, en ce sens qu'en tout et pour tout la Belgique peut offrir à la France une parfaite réciprocité de tarif international, sur quelque pied qu'elle veuille l'accepter.

Tels sont, en substance, les motifs allégués par le pétitionnaire.

Votre commission pense, messieurs, que les droits de sortie que le pétitionnaire propose d'établir sur les houilles et les fontes aurait pour résultat certain de nuire considérablement au développement de nos industries minéralurgiques et sidérurgiques ; en effet, messieurs, par l'adoption de cette mesure, le prix de la houille se trouverait augmenté à la sortie de fr. 2 50 c. par tonne, la fonte de 10 francs par tonne, et cette augmentation de prix ne pourrait manquer de rétrécir leurs rayons d'approvisionnement. Ce qui s'est passé lors de la promulgation du décret du 14 septembre 1852, par le gouvernement français, ne prouve rien en faveur de la proposition du pétitionnaire. Nos exportations de houille et de fontes n'ont pas diminué par suite de ce décret, parce qu'il y avait des commandes faites et dont les fournitures devaient être complétées, et puis parce que, dans le moment où il a été porté par le gouvernement français, il y a eu une grande reprise d'affaires, et l'on ne serait pas plus en droit de conclure de ce qui a eu lieu alors qu'un droit de sortie ne gênerait en rien l'exportation d'un produit, que l'on ne serait admis à justifier une prime de sortie, parce que, dans un temps de crise, elle aurait servi à en faciliter l'exportation.

L'industrie houillère et l'industrie métallurgique doivent nécessairement être exploitées en grand pour que leurs produits puissent être fournis aux prix les plus favorables possible, et dans une houillère plus l'extraction est considérable plus les frais généraux se répartissent sur de grandes quantités, plus le prix de revient diminue. Il en est de même pour les hauts fourneaux ; il faut donc laissera ces industries toute leur liberté d'action.

Il est, en outre, inconteslabIe qu'une telle mesure, prise isolément par la Belgique, la placerait dans une position tout à fait défavorable vis-à-vis des autres pays producteurs de houille qui alimentent conjointement avec elle les marchés qui l'avoisinent, l'Angleterre d'une part, pour ce qui concerne la France, et l'Angleterre et la Prusse d'autre part, pour ce qui concerne les Pays-Bas.

Voire commission ne peut donc partager la manière de voir du pétitionnaire, et vous propose le dépôt de la pétition au bureau des renseignements.

M. Coomans. - -Cette pétition me semble mériter le même accueil que la précédente ; il n'y a pas plus de motif, selon moi, d'établir un droit de sortie sur le tan que sur les houilles et sur les fontes. Je demande donc le renvoi de cette pétition à M. le ministre des finances et à la section centrale qui sera chargée de l'examen du projet de loi dont il a été question tout à l'heure.

M. Lesoinne, rapporteur. - J'ignore quel peut être l'avis de mes collègues de la commission sur la proposition qui vient d'être faite ; mais, quant à moi, je ne vois aucun inconvénient à ce qu'on l'adopte.

- La proposition de M. Coomans est mise aux voix et adoptée.

Prise en considération d’une demande en naturalisation

M. le président. - Il nous reste à voter sur la demande de grande naturalisation faite par le sieur J. A. Ronse.

- Il est procédé au vote par scrutin secret.

L'appel nominal constate que la Chambre n'est plus en nombre.

La séance est levée à 4 heures.