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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mercredi 8 mars 1854

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1853-1854)

(Présidence de M. Delfosse.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 949) M. Maertens fait l'appel nominal à 2 heures et un quart.

- La séance est ouverte.

M. Ansiau lit le procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est approuvée.

M. Maertens présente l'analyse des pièces adressées à la Chambre.

Pièces adressées à la chambre

« Des habitants de Givry présentent des observations concernant un projet de loi sur l'exercice de l'art de guérir. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Avanzo appelle l'attention de la Chambre sur les résultats, eu ce qui le concerne, de la convention littéraire conclue avec la France, et demande une indemnité pour les dommages que subira son industrie si la législature donne son assentiment à cet acte international. »

- Renvoi à la section centrale qui sera chargée d'examiner le projet de loi relatif à la convention littéraire conclue avec la France.


« Les sieurs Geudens, Wittewronghel et autres membres du comité des typographes d'Anvers déclarent adhérer à la pétition du comité central des typographes de Bruxelles. »

- Même renvoi.


« Des médecins à Rœulx prient la Chambre de ne point admettre l'incompatibilité proposée par le paragraphe 4 de l'article 25 du projet de loi sur les administrations de bienfaisance ou du moins d'excepter de cette dispositron les médecins et chirurgiens des localités dont la population est inférieure à 3,500 habitants. »

- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi.


« Par message du 7 mars, le Sénat informe la Chambre qu'il a adopté le projet de loi qui autorise le gouvernement à céder des terrains et des bâtiments militaires aux villes d'Ypres, de Menin, d'Ath, etc. •

- Pris pour notification.


« Le conseil communal de Chaudfontaine réclame l'intervention de la Chambre pour obtenir la reconstruction du pont sur la Vesdre qui a été emporté par les eaux en 1850. »

- Renvoi à la commission des pétitions.

M. Deliége. - Cette pétition émane d'une localité importante de la province de Liège qui est privée d'un pont indispensable. Je demanderai que la commission soit invitée à faire un prompt rapport.

- Cette proposition est adoptée.

Rapport sur une demande en naturalisation

M. de Perceval dépose un rapport sur une demande de naturalisation ordinaire.

- La Chambre ordonne l'impression et la distribution de ce rapport qui sera mis ultérieurement à l'ordre du jour.

Projet de loi accordant un crédit supplémentaire au budget des non-valeurs et remboursements

Dépôt

M. le ministre des finances (M. Liedts). présente un projet de loi ayant pour objet d'allouer au budget des non-valeurs et remboursements de l'exercice 1853, un crédit de 120,000 fr.

- Ce projet de loi sera imprimé et distribué. La Chambre le renvoie à l'examen de la commission qui a examiné un projet de loi de même nature.

Projet de loi sur la contribution personnelle

Discussion des articles

Article premier

La discussion continue sur l'article premier.

M. Rousselle, rapporteur. - Messieurs, plusieurs des honorables membres qui ont pris la parole jusqu'à présent ont reconnu que le projet de loi, tel qu'il est sorti de l'examen des sections et de la section centrale, apporte d'assez notables améliorations au régime existant. La discussion qui vient de s'ouvrir en produira sans doute d'autres encore, et le pays pourra attendre plus patiemment le mieux qui évidemment résultera plus tard de l'application des évaluations cadastrales, entièrement revisées, des propriétés bâties.

Je n'ai pas à revenir sur ce qui a été dit dans la discussion générale. L'honorable ministre des finances n'a, selon moi, laissé debout aucune objection tant soit peu pratique, et la suite de la discussion spéciale sur les bases de l'impôt permettra, d'ailleurs, non seulement de fournir les éclaircissements qui pourraient encore être nécessaires pour fixer les opinions, mais aussi d'apprécier les autres améliorations que chacun de nous désire dans la limite de ce qui est possible aujourd'hui.

Mais de plusieurs côtés une crainte s'est élevée qu'il ne résultât de l'application du projet maintenant soumis à vos délibérations, une aggravation d'impôt. Cela ferait qu'il faudrait encore examiner si l'aggravation ne pourrait être évitée et serait de nécessité absolue, mais cela n'est pas ; et sur ce point, je crois devoir ajouter un mot aux explications si précises et si lucides de l'honorable ministre des finances.

Comment pourrait-il y avoir aggravation, alors que l'on a renoncé à l'augmentation de 1 p. c. sur la valeur locative et de 1,2 p. c. sur le mobilier, que l'on ne fait subir aucun changement au tarif de cinq des bases actuelles et que l'on n'introduit à nouveau que la base des voitures dont le produit est évalué à 87,500 francs seulement, tandis que l'on apporte un abaissement considérable au tarif des portes et fenêtres ? J'ai fait un premier calcul pour connaître le résultat de cet abaissement. Il donne une somme ronde de 398,000 francs.

A la vérité, un honorable député du Limbourg a dit que le retrait de la loi budgétaire de 1831, conséquence nécessaire de l'adoption d'une nouvelle loi, donnera une augmentation qu'il regarde comme considérable. Mais peut-on savoir ce que produira, sous ce rapport, le redressement des erreurs, des inégalités, des anomalies aujourd'hui existantes ? Je ne le crois pas ; d'ailleurs ce ne serait pas là une aggravation d’impôt, mais bien la cessation d'un privilège. Au surplus, l'honorable auteur du projet primitif ne comptait comme soustraite à l’impôt de ce chef, qu'une valeur locative de 2,380,000 francs, soit pour le produit de la contribution à 4 p. c. 95,000 francs. Mais que doit-on perdre par l'abaissement de certaines valeurs localives ? Il ne paraît pas qu'on en ait fait le compte.

Ainsi donc à prendre les choses dans leur état actuellement connu, une perte de 398,000 francs qui ne se diminuerait que de 182,000 fr.

Messieurs, dans la section centrale, j'avais voté contre l'établissement de la nouvelle base des voitures ; j'étais un des deux opposants, d'abord parce que je ne voudrais pas affecter l'industrie carrossière, ensuite et surtout parce que j'étais aussi dans la pensée que l'impôt actuel sur le mobilier, devant comprendre la valeur des équipages, assurait au trésor un produit sinon supérieur, au moins égal à celui que l'on voulait obtenir par la nouvelle taxe. Mais les explications qui ont été données sur ce point par l'honorable ministre des finances me détermineront à voter pour le principe de la base, sauf, lorsque nous nous occuperons des détails, à voir ce qu'il convient de faire pour ne pas nuire à l'industrie de la carrosserie.

Je n'ai pas voté en section centrale pour la taxe différentielle sur les livrées et les armoiries. Je persisterai ici dans ce vote, car ce n'est pas là un signe particulier d'aisance supérieure, et l'impôt dont nous occupons pour rester dans l'égalité proportionnelle, ne doit atteindre que les indices de l'aisance relative.

M. le président. - J'engage les orateurs à réserver pour la discussion des articles 8 et 10 ce qui est relatif aux livrées et aux armoiries.

M. Delehaye. - M. le ministre des finances disait hier qu'il était fâcheux qu'il fallût examiner le projet de loi actuel à la veille des élections ; pour moi, je suis, à cet égard, dans une position entièrement indépendante, attendu que je ne suis pas soumis à réélection. Malgré cette position, je ne pourrai pas donner mon adhésion à toutes les bases indiquées par le gouvernement et par la commission.

Un honorable député qui, hier, le premier, a donné son assentiment au projet, tout en critiquant quelques-unes de ses dispositions, a cité un exemple pris dans la ville de Bruges ; il aurait pu étendre cet exemple à toutes les villes autres que la capitale. Chez nous, il y a aussi des maisons qui sont loin d'avoir la valeur de maisons semblables situées à Bruxelles. C'est précisément ce qui démontre combien il est important de faire une distinction entre les maisons qui se trouvent à Bruxelles et les maisons qui se trouvent dans les villes d'un rang inférieur.

Que vous disait hier l'honorable M. Prévinaire ? Il vous faisait remarquer qu'une maison qui serait louée à Bruges, à raison de 1,000 fr., aurait, étant placée à Bruxelles, une valeur quintuple. Parlant de là, il disait : Voyez l'état d'aisance de celui qui occupe la maison de Bruges. Mais l'honorable membre n'a pas fait attention que cet exemple va précisément à rencontre de l'opinion qu'il veut soutenir. En effet, la maison à Bruges ne rapportera peut-être pas un revenu d'un pour cent, tandis qu'à Bruxelles la même maison rapportera un revenu de 5 à 6 p. c.

Quant à la ville de Gand, j'ai été dans le cas, comme conseiller communal, de faire un recensement ; eh bien, nous avons dans cette ville une seule maison d'un revenu supérieur à 5,000 francs. Et cependant, vous allez placer la ville de Gand sur la même ligne que la ville de Bruxelles. Je sais bien que jusqu'ici Gand est considéré connue la seconde ville du royaume, mais alors pourquoi la mettez-vous sur la même ligne que Bruxelles ?

Est-il exact de dire que les portes et fenêtres et les foyers à Gand auront la même valeur que les portes et fenêtres et les foyers à Bruxelles ? Evidemment non.

Je vais plus loin. Soutiendra-t-on qu'une maison située dans la partie basse de la ville de Bruxelles a des fenêtres d'une valeurs égale à celle des (page 950) fenêtres d'un hôtel situé dans le quartier du Parc ? Incontestablement, il y a là une différence du tout au tout.

Est-il donc juste, raisonnable de frapper d'un impôt égal les fenêtres de cette maison et de cet hôtel ?

D'ailleurs les fenêtres constituent-elles une base bien rationnelle ? N'y a-t-il pas des localités où l'on est obligé d'avoir un grand nombre de fenêtres aux maisons ? II résulte de là pour les locataires plus de frais, et il en résulte pour eux des désagréments.

Quant au mobilier, nous exemptons généralement, d'après la loi sur les patentes, tous les instruments destinés à l'exercice d'un état ou d'une profession ; or, par le projet de loi en discussion, vous atteignez l'hôtelier, par exemple, à raison des meubles dont il garnit son hôtel. Est-ce bien juste ? Et remarquez que l'hôtelier a une patente qui est proportionnée au nombre des chambres qu'il tient à la disposition des voyageurs ; il faut donc que ces chambres soient meublées. Or, ce mobilier, vous allez encore l'atteindre, aux termes d'une disposition du projet de loi. Est-ce encore une disposition bien rationnelle ?

Les voitures figurent également parmi les bases du projet de loi. Mais la voiture ne fait-elle pas déjà partie du mobilier ? Pour quel motif donc voulez-vous atteindre de nouveau la voiture ? Je sais bien qu'on a l'air d'avoir des idées aristocratiques, quand on combat une proposition comme celle-là. Je veux qu'elles payent, je préférerais que les voitures fussent comprises dans le mobilier.

Ainsi, messieurs, si j'admets les voitures comme base, c'est plutôt parce que le rejet pourrait être envisagé comme devant consacrer le principe de l'exemption, ce qui n'est dans la pensée de personne.

Je pense donc qu'il vaut mieux comprendre les voitures dans le mobilier que de les imposer séparément. Toutefois, je n'en fais pas une condition de mon vote. (Interruption.)

On me dit : Vous préférez l'impôt sur la mouture, à Gand.

Je ferai, pour le moment, une simple réponse : La Chambre est saisie de la question, elle prononcera ; je suis étonné qu'on vienne me faire cette objection quand on revendique si souvent les prérogatives communales.

Je ne veux pas m'occuper du vote du conseil qui, pour la suppression de la mouture, a été unanime.

Je m'expliquerai lorsque la Chambre sera saisie de la question ; je me bornerai à dire qu'il y a là une question de prérogative communale qui sera, je l'espère, respectée par la Chambre.

Il me sera facile de démontrer qu'il n'a pas dépendu de nous que cet impôt fût supprimé. Au reste, la commission continue ses études.

Pour me conformer à l'invitation de M. le président, de ne pas sortir de l'examen des bases, je circonscrirai mes observations dans ces limites. Je pense que, parmi les bases du projet, il en est plusieurs qui sont défectueuses, celle des portes et fenêtres suivant les catégories indiquées par le projet.

Je ne puis donner mon assentiment à la disposition qui soumet au même droit la valeur locative quelle que soit l'importance de la localité.

Je ne puis pas non plus admettre l'impôt sur le mobilier comme il est proposé, attendu que dans le mobilier on comprend des meubles qui servent à l'exercice d'une profession ; ces meubles ayant été exemptés par la loi sur les patentes, nous ne pouvons pas les frapper d'un impôt par la loi actuelle. Si dans le cours de la discussion le projet est amendé dans le sens que j'ai indiqué, je lui donnerai mon assentiment ; dans le cas contraire, je me verrais forcé de voter contre.

M. Osy. - Je ne puis donner mon assentiment aux sept bases inscrites dans le projet, parce qu'il en est qui font double emploi, notamment la septième base. A l'article concernant les portes et fenêtres, nous portons à 10 francs l'impôt pour les portes cochères ; ensuite pour les personnes qui tiennent deux chevaux il y a une augmentation de 8 francs par cheval, ce qui fait pour deux chevaux une augmentation de 16 francs. De plus d'après la proposition de M. le ministre des finances, un droit uniforme de 12 francs serait perçu par voiture à quatre roues.

Je le demande à ceux qui ont voiture : quand on a deux chevaux on a deux voitures, c'est encore un impôt de 24 francs ; de manière que pour avoir un équipage à deux chevaux, on devra payer 50 francs de plus en vertu de la loi nouvelle. Il y a double emploi dans l'impôt qu'on établit sur les voitures et l'augmentation de droit sur les chevaux et les portes-cochères.

Le droit de 12 fr. par voiture est trop élevé. Non seulement certaines personnes ont deux voitures, mais elles en ont trois, elles en ont quatre, et dans ce cas l'impôt sera de 50 fr.

Qu'en résultera-t-il ? On fera comme en Angleterre, on aura une voiture servant à la campagne et une voiture servant à la ville, et l'on se défera des autres ; on aura moins de voitures et cela au détriment de l'industrie carrossière c'est-à-dire, que pour un petit impôt sur les voitures, vous ferez le plus grand mal à une industrie importante.

Je ne pourrai donc donner mon assentiment à la septième base.

Il est, du reste, à considérer que le projet qui nous est soumis rapportera au moins les 600,000 francs que nous promettait l'honorable M. Frère. Car vous allez augmenter aussi considérablement l'impôt sur les domestiques. Le domestique qui ne payait que 7 florins payera à l’avenir 20 francs ; c'est une augmentation de 6 francs par domestique. Ensuite, le projet présenté par l'honorable M. Frère ne faisait plus payer sur les foyers. L'honorable ministre des finances rétablit cette baie d'impôt.

Dès lors, je crois que nous pouvons renoncer à la septième base et, quant à moi, je la repousserai.

M. Vermeire. - Messieurs, à moins qu'il ne me soit prouvé que la loi en discussion améliore la situation des contribuables, je ne pourrai lui donner mon assentiment.

La loi sur la contribution personnelle, ainsi que vous l'a dit hier M. le ministre des finances, a rencontré, depuis qu'elle a été établie, une opposition continuelle, et il ne s'est pas passé de session législative qu'on n'en ait demandé la réforme. Je me demande donc si le nouveau projet de loi qui nous est soumis améliore tellement la position des contribuables que je puisse lui donner mon assentiment. L'honorable ministre des finances s'est réservé d'indiquer, lorsque nous serons arrivés aux articles, les diverses améliorations. Toutefois, dans son discours d'hier il nous en a indiqué deux que je me réserve d'examiner. Mais il y en a une troisième qu'il n'a pas encore indiquée et sur laquelle je demanderai quelques renseignements.

La loi de 1822, dit M. le ministre, telle qu'elle est exécutée en Belgique, l'est d’une manière beaucoup plus douce que dans d'autres pays, en ce sens qu'elle affranchit de l'impôt à peu près la moitié de toutes les maisons existant en Belgique ; l'honorable ministre en déduit que la moitié de la population belge ne paye pas cet impôt.

Ce raisonnement serait exact si la base sur laquelle il est établi n'était pas défectueuse. Une simple indication suffira, messieurs, pour vous le faire comprendre.

Il y a en Belgique 730,000 maisons, et de ces 730,000 maisons, il y en a 340,000 dont le loyer est inférieur à 40 fr. Mais peut-on supposer que les 340,000 maisons d'un loyer inférieur à 40 fr. renferment autant d'habitants que les 390,000 maisons soumises à l'impôt ?

M. le ministre des finances (M. Liedts). - Certainement.

M. Vermeire. - Je ne le pense pas.

M. le ministre nous a dit que la loi n'était pas aussi rigoureusement exécutée en Belgique qu'en France. Je crois qu'en fait, le résultat est le même ; car je ne pense pas que les personnes qui habitent une maison ne payant que 40 francs de loyer, soient dans une position assez favorable pour supporter un impôt direct quelconque.

M. le ministre nous dit encore : Nous allons aussi exempter les maisons situées dans les villes et d'un loyer inférieur à 100 fr. Je crois que si l'on consultait les documents qui doivent se trouver au ministère des finances, on verrait que les personnes occupant, dans une ville d'une population de plus de 80,000 âmes, des maisons d'un loyer inférieur à 100 fr., sont généralement portées sur les cotes irrécouvrables.

Les deux améliorations indiquées par l'honorable ministre des finances, d'après moi, n'en sont donc pas.

Reste la troisième amélioration sur laquelle je demande un renseignement.

Cette amélioration, je crois, est réelle ; mais on a eu soin de ne pas l'indiquer. Lorsque l'honorable M. Frère a présenté son projet, il vous a dit que, tout en améliorant la position des contribuables, la loi nouvelle donnerait une recette en plus de 526,000 francs.

Je demande à la section centrale ou à M. le ministre des finances quelle sera, avec le projet remanié, la recette présumée. Car je ne puis concevoir qu'il y ait amélioration pour les contribuables, si l'impôt doit produire davantage. Il y a là une contradiction sur laquelle je voudrais avoir mes apaisements.

Messieurs, la loi de 1822 a toujours été attaquée, parce que l'assiette de l'impôt était mauvaise, parce qu'elle était peu juste.

L'impôt pour être le plus juste possible, doit être réparti de façon que l'on n'exige des contribuables qu'une quote-part proportionnée au chiffre total de leurs revenus. Or, je crois que les bases du projet de loi, aussi bien que celles de la loi ancienne, sont si défectueuses que cette condition ne sera pas remplie.

La quote-part demandée à chacun doit être suffisamment connue pour exclure toute contestation et toute décision arbitraire. Eh bien, cette condition équitable me paraît aussi faire défaut, puisque le projet de loi mène directement aux contestations et peut, dans beaucoup de cas, donner lieu à des décisions arbitraires.

En troisième lieu, l'impôt ne doit pas offrir à ceux qu'il atteint la possibilité d'échapper à l'exécution des obligations qu'il prescrit.

D'après les bases établies, la fraude est très facile et le droit sera éludé dans l'avenir comme par le passé.

Pour ma part, je ne pourrai donc pas adopter la base des foyers, la base des portes et fenêtres, ni la base du mobilier. Je crois que ces trois bases pourraient être utilement fondues dans la première, c'est-à-dire dans la valeur locative.

Si je consulte le tableau annexé au rapport de la section centrale, je trouve que le produit de l'impôt des foyers entre dans le produit total à peu près dans la proportion d'un neuvième, les portes et fenêtres pour un tiers et le mobilier pour un sixième. Il s'agirait donc de rechercher, au moyen des documents qui doivent reposer au ministère des finances, de combien la valeur locative devrait être augmentée pour obtenir le même produit ? En laissant de côté les trois bases que je viens d'indiquer pour en ajouter le montant à la base de la valeur locative, on empêcherait d'abord la fraude, qui est maintenant manifeste.

Mon système est tellement praticable que, pour ce qui regarde le mobilier, il est déjà en quelque sorte admis, puisque celui qui a un très (page 951) riche mobilier peut, en quintuplant sa valeur locative, s'affranchir de toute expertise, de telle sorte que celui qui occupe une maison d'une valeur locative de mille francs peut, en déclarant 5,000 fr. posséder un mobilier valant 50,000 ou 60,000 fr. et même davantage. Si le système que j'indique était admis, il n'y aurait plus de contestation sur le nombre des foyers et la valeur du mobilier. Tout le monde allumerait autant de foyers qu'il désire, posséderait tel mobilier qui lui plairait davantage, et le gouvernement serait assuré de son produit.

Pour ce qui regarde les portes et fenêtres, l'honorable M. Delehaye a fait remarquer tantôt qu'il y a une grande différence entre les portes et fenêtres d'une maison située, par exemple, rue de la Madeleine, à Bruxelles, et les portes et fenêtres d'une maison située dans une rue écartée.

Je crois que si l'on réunissait les trois bases en question à celle de la valeur locative, l'impôt serait plus équitablement établi qu'il ne l'est maintenant.

Maintenant, messieurs, imposer les portes et fenêtres, n'est-ee pas un peu aller à l’encontre de tout ce que le gouvernement a fait dans l'intérêt de l'hygiène ? Ainsi les propriétaires de petites maisons tâcheront de faire le moins de fenêtres possible pour échapper à l'impôt, ils ne feront peut-être que des lucarnes. Cependant les habitants de ces maisons ont aussi besoin d'air et de lumière ; ils doivent pouvoir respirer aussi librement que ceux qui habitent de grandes maisons.

Un mot encore sur les nouvelles bases dont on a parlé hier. J'ai entendu beaucoup de critiques contre la taxe qu'on voudrait établir sur les voitures, sur les livrées, sur les armoiries.

Je ne sais pas, messieurs, si l'adoption de pareilles bases produirait assez pour former l'objet d'un nouvel impôt. Cependant, je dois le dire, pour ma part, je n'y serais pas du tout opposé. D'abord il me semble que celui qui peut se donner le plaisir de rouler en voiture peut bien payer de ce chef un léger impôt, d'autant plus que quand vous comparez cet impôt à d'autres impôts qui existent en Belgique, il faut bien reconnaître qu'il est infiniment plus facile à supporter, eu égard à la position respective des contribuables. Je ferai une comparaison avec l'impôt des patentes. Vous connaissez tous les petits bateaux qui naviguent sur le canal de Charleroi ; un batelier qui a pour toute propriété son petit bateau, avec lequel il n'est pas certain de pouvoir gagner sa vie, car depuis quelques années le fret est trop bas pour qu'il puisse seulement faire les restaurations nécessaires à son bateau, ce batelier combien paye-t-il ? Il paye une patente de 60 fr., lorsqu'il ne transporte que des matières pondéreuses. Eh bien, si vous comparez cet impôt à un impôt de 50 fr., par exemple, dont on frapperait les voitures de luxe, vous devez bien reconnaître que l'iniquité n'existe pas pour ce dernier impôt.

Mais, dit-on, c'est dans l'intérêt des ouvriers que la taxe sur les voitures ne peut être établie. Je réponds oui et non. Oui, si la taxe est trop élevée ; non, si elle est raisonnable. Du reste, tous les impôts facultatifs dont le taux est trop élevé ne produisent pas la plus grande somme. C'est donc au gouvernement à examiner quelle est la quotité du droit d'impôt qui lui procurera le plus de ressources. Je ne veux pas d'un impôt qui ferait diminuer le nombre des voitures, mais je désire que ceux qui en possèdent payent de ce chef leur part de l'impôt.

Je terminerai ici, messieurs, les observations générales que j'avais à présenter.

M. Moxhon. - Je suis partisan d'un droit sur les voitures, mais je le veux modéré, voici pourquoi, depuis qu'une certaine aisance est répandue dans les campagnes, depuis surtout que les chemins vicinaux vont en s'améliorant, les fermiers-propriétaires, les petits fabricants ont une voiture à laquelle, le dimanche, ils attellent deux chevaux de travail. Cette voiture n'est décorée d'aucune armoirie, elle n'est pas brillante au soleil ; elle est arrivée à sa dernière destination après avoir passé par bien des mains ; elle est réparée et coloriée par le charron de l'endroit. Telle qu'elle est, elle procure une grande somme de jouissance aux campagnards qui jouissent d'une aisance relative. En frappant les voitures d'un fort impôt, c'est vouloir que le campagnard de la catégorie que j'indique s'en passe, c'est diminuer le nombre des contribuables. La voiture, si elle n'est pas toujours une présomption de richesse, est au moins celle de l'aisance. Hier j'ai été fort surpris d'entendre, et M. le baron Osy vient de répéter, que les voitures n'étaient pas un indice de l'aisance. Que diront donc ces orateurs lorsque l'on frappe les portes cochères ? Il n'en est rien cependant. Dans les petites villes, dans les villages où le sol a peu de valeur, les maisons à portes cochères sont fort nombreuses ; non parce que leurs habitants ont des voitures, mais parce que ces maisons ont des avant-cours, dans lesquelles on dépose les productions de tout genre et souvent des objets servant à la petite industrie.

M. Verhaegen. - C'est avec surprise qu'au sujet de la discussion du projet de loi j'ai entendu faire allusion à des positions électorales. Uu honorable membre qui siège derrière moi vous a parlé de sa complète indépendance dans la discussion actuelle, par cela seul qu'il n'est pas soumis à réélection.

Eh bien, messieurs, moi je suis soumis à réélection, et cependant je me considère comme tout aussi indépendant que l'honorable M. Delehaye, car dussé-je me mettre en opposition avec plusieurs des électeurs qui m'ont honoré de leur confiance, je ne pourrais pas me dispenser de proposer des augmentations d'impôts sur la richesse et sur le luxe afin de pouvoir alléger le fardeau qui pèse sur la classe moyenne et même sur la misère. Qu'il me soit permis, messieurs, de le dire en toute franchise, je ne solliciterai jamais le renouvellement de mon mandat, comme une simple faveur qui soit de nature à flatter mon ambition.

Si MM. les électeurs jugent à propos de faire un nouvel appel à mon patriotisme et à mon attachement à l'opinion libérale, je consentirai à faire encore, dans les circonstances actuelles, le sacrifice de mon temps et de mon repos. Je ne l'entends pas autrement.

Je continuerai donc dans la voie que j'ai prise.

Messieurs, ce que je vois de plus clair dans toute cette discussion, c'est qu'on dit de toutes parts qu'il faut des ressources, et il en faut nécessairement pour combler des déficits. Mais quand il s'agit de voter un impôt, on trouve tous les prétextes imaginables pour se mettre à côté de la question.

Et puis ce qui me paraît encore clair c'est qu'on cherche constamment à grever les petits et à décharger les grands.

Je pourrais faire plus d'une comparaison pour démontrer cette vérité. Je me bornerai à une seule. Mon honorable ami, M. Frère, n'avait pas voulu, dans son projet, de la taxe sur les foyers ; et pourquoi ? Parce que cette taxe frappe impitoyablement les petits et favorise les grands.

En effet, un malheureux artisan qui n'a qu'un foyer et qui ne peut pas s'en passer, soit pour son ménage, soit pour son travail, paye pour ce foyer unique.

Suivant le projet, pour chaque foyer lorsqu'il n'y en a que deux, on paye 1 fr. 80 c. ; pour chaque foyer, lorsqu'il y en a de trois à cinq inclusivement, on paye 5 fr., et d'après le nouvel amendement de M. le ministre, pour chaque foyer, lorsqu'il y en a de six à douze on paye 4 francs, sans que la taxe puisse jamais excéder 48 fr. C'est bien là l'exemption à certains égards des riches, des puissants et des forts ; c'est la taxe du malheureux.

N'est-il pas absurde d'exempter de toute taxe le 13ème foyer et les suivants ? Combien de grandes maisons, d'hôtels, de palais n'ont pas 20, 30 foyers et même plus ! On exempte tous les foyers au dessus du 12ème et on déclare que l'impôt ne pourra jamais excéder 48 francs.

Voilà l'impôt dont l'honorable M. Frère ne voulait pas, et il avait raison.

Maintenant, quand il s'agit d'imposer les voitures, les livrées, le luxe, l'opulence, et, qu'il me soit permis d'ajouter la vanité, car le luxe et la vanité sont des compagnes inséparables, ou ne veut pas de l'impôt.

Ecoutez l'honorable M. Osy. Quoi ! dit-il, vous voulez frapper la porte cochère de 10 francs, une voiture à 4 roues de pareille somme de 10 francs ; imposer une plus forte taxe à celui qui aura deux chevaux ! Mais vous allez tout d'un coup augmenter les frais d'un équipage de 50 francs !

C'est donc un bien grand malheur d'augmenter de 50 francs la taxe sur un équipage ! Eh bien, je le déclare franchement, si je croyais pouvoir rencontrer des sympathies sur les bancs de cette Chambre, je ne demanderais pas 50 francs, je demanderais le double et même le quadruple ; et je croirais rester encore dans les bornes de la modération.

Comment ! celui qui roule en équipage ne pourra pas payer 50 ou 100 fr. de plus qu'il ne paye aujourd'hui. Ce ne sont pas là, qu'il me soit permis de le dire, des arguments sérieux. En tout cas, ce sont des échappatoires.

Comme on trouve des excuses à tout, c'est l'intérêt des carossiers qu'on prend en main. Mais, messieurs, soyez-en bien convaincus, quelle que soit la taxe dont vous frappiez la voiture, il n'y aura pas un équipage de moins. Comment, quand on achète une voiture, et l'honorable M. Osy le sait bien, le moins qu'on donne au garçon, à titre de pourboire, est 20 francs ; et l'on ne pourrait pas payer 40 ou 50 francs au gouvernement pour rouler en équipage !

D'autre part, on argumente de l'inefficacité de la taxe. La taxe, dit-on, ne rapportera rien. Mais que mes honorables adversaires veuillent bien se mettre d'accord ; les uns s'apitoyent sur le sort de ces malheureux capitalistes qui roulent en équipage et qui payeraient, d'après le projet, 50 fr. de plus ; les autres prétendent que l'impôt ne produira rien. Eh bien, d'accord avec moi-même, moi je dis que l'impôt n'est pas suffisant, et c'est précisément pour cela que je propose de quadrupler la taxe. Je ne veux pas de l'homéopathie en matière d'impôts ; j'augmente la dose ; tel est l'objet de mon amendement.

Messieurs, on a attaqué la base des portes et fenêtres. Mais l'honorable M. Delehaye en a dit trop ou trop peu ; il s'est plaint de ce qu'on ne paye pas plus pour les portes et fenêtres dans les localités où la valeur locative est considérable, que dans les localités où cette valeur est beaucoup moindre ; il a demandé ensuite s'il est bien juste aussi de faire payer pour une fenêtre dans le bas de la ville de Bruxelles, par exemple, le même impôt que pour une fenêtre dans le haut de la ville. L'honorable membre aurait dû se demander encore et surtout s'il est juste-de faire payer à l'artisan qui le plus souvent est dans un état voisin de la misère, le même impôt pour la petite fenêtre unique qui lui donne le jour, qu'au riche pour chacune des belles et grandes fenêtres de son grand et opulent hôtel. Certes la taxe envisagée à ce point de vue est d'une révoltante injustice.

Je serais curieux de savoir ce qu'en disent ceux-là qui pensent que l'impôt sur les voitures est un impôt injuste.

(page 952) Je n'en dirai pas davantage pour le moment. Je réserve mes observations de détails pour la discussion des articles qui vont suivre.

M. le ministre des finances (M. Liedts). - Messieurs, je regrette que, malgré la recommandation qu'a faite M. le président, on s'égare un peu dans cette discussion, et qu'on aborde, non pas la question de principe qui est seule en discussion en ce moment, mais les questions de détail qui deviont être successivement examinées dans la suite. Quoi qu'il en soit, je crois devoir répondre à quelques-unes des observations qu'on vient de présenter, de peur qu'elles n'influent sur le vote de la question de principe.

L'honorable M. Verhaegen a fait le procès à la taxe sur les foyers ; il a dit que l'auteur du projet primitif avait très bien compris que cette taxe frappait la classe moyenne et ménageait la classe riche.

L'honorable membre se trompe lorsqu'il affirme que telle a été l'intention de l’honorable M. Frère. Il suffit de lire l'exposé des motifs pour pour se convaincre que si la taxe des foyers n'a pas trouvé place dans le projet primitif, c'a été uniquement parce qu'en conservant les foyers, il fallait faire des expertises et des visites domiciliaires, chose que l'honorable M. Frère voulait avant tout éviter.

Je l'ai dit hier, cette pensée est très belle, très généreuse ; je regrette qu'elle n'ait pas pu recevoir d'exécution ; malheureusement, pour arriver à ce résultat, il fallait faire porter la contribution personnelle sur la valeur cadastrale. Toutes les sections, sans en excepter une seule, ont repoussé le projet primitif de ce chef. Le ministre ayant compris l'impossibilité de faire adopter son projet tel qu'il l'a conçu, a saisi la Chambre d'une série d'amendements qui rétablissaient en partie l'expertise, la visite domiciliaire.

La section centrale à l'unanimité des voix a décidé que puisqu'il était incontestable, de l'aveu de l'auteur du projet primitif, qu'on devait recourir à l'expertise, il n'y avait plus de motifs pour ne pas rétablir dans la loi une des bases, celle des foyers, qu'on n'avait écartée que pour supprimer les visites domiciliaires. Voilà l'historique de la base des foyers.

Il y a une preuve évidente, dit l'honorable M. Verhaegen, qu'on veut ménager le riche et frapper le faible. L'article présenté porte avec lui la preuve du contraire. Le plus grand nombre des maisons de la classe moyenne renferme trois à cinq foyers ; or, sous l'empire de la loi existante trois foyers payent 11 francs 10 centimes ; cet impôt est réduit à 9 francs d'après le projet.

Mais, dit-on, voyez jusqu'où va le ménagement pour les riches, on s'arrête à 12 foyers, le surplus ne paye rien. Je regrette que l'honorable membre n'ait pas fait partie de la Chambre à l'époque où l'on a essayé de ce système qu'il voudrait rétablir aujourd'hui. Alors on disait qu'il était contraire à l'équité de ne pas frapper les foyers au-delà de 12. Dans le budget de 1831, il a été inscrit qu'à l'avenir tous les foyers payeraient la taxe.

Combien de temps cette disposition a-t-elle résisté à l'expérience ? Une seule année. L'expérience a prouvé que cette mesure faisait perdre au trésor, et on en est revenu à rétablir le maximun de 12 foyers imposables. Vous voyez que si je m'arrête à 12 dans le projet, c'est que j'ai pour moi l'expérience du passé.

L'honorable M. Vermeire a exprimé le désir que le gouvernement fît voir les améliorations que j'ai annoncé vouloir apporter aux articles. Je viens déjà de faire ressortir l'amélioration apportée quant aux foyers.

Mais si à l'occasion des questions de principe je dois passer en revue toutes les dispositions de la loi, je ne sais comment on pourra établir la discussion. Je me fais fort de démontrer au fur et à mesure que les articles seront mis en discussion, que chacune des bases a été améliorée et que presque tous les griefs dont elles ont été l'objet depuis 20 ans ont disparu.

Il m'importe de savoir, dit M. Vermeire, si la loi nouvelle produira autant que l'ancienne, car si elle rapporte autant, c'est une preuve qu'elle ne contient pas d'améliorations.

J'en demande pardon à l'honorable membre, la loi nouvelle peut rapporter autant et même plus que l'ancienne, et renfermer une foule d'améliorations. Le résultat du projet est celui-ci : ne rien demander aux pauvres, ménager les classes intermédiaires, et atteindre un peu plus ceux qui sont riches. Réduisez cela en chiffres, me dit-on. J'ai fait faire l'application du projet de la section centrale à une section de la ville de Bruxelles, et on a obtenu un produit de 10,320 fr. en moins ; on a fait un calcul approximatif sur l'ensemble du pays, et en supposant la loi appliquée avec modération, on arrive à une recette de 200,000 fr. inférieure à celle qu'on obtient avec l'ancienne loi.

Quand il s'agira de faire une révision de la valeur locative, j'espère retrouver une partie de cette somme ; et d'autre part, dans le cours de la discussion j'aurai à développer quelques amendements déposés sur le bureau, qui ont pour but d'atténuer les pertes qui pourraient résulter pour le trésor des tempéraments apportés à quelques dispositions.

MM. Vermeire et Delehaye ne veulent ni de l'impôt des fenêtres, ni de l'impôt sur le mobilier. (Interruption,) Vous voulez réporter ces impôts sur la première base, sur la valeur locative ; vous voulez avant tout frapper les valeurs locatives ; eh bien, ce serait une loi inique, qui n'existerait pas deux ans, vous accableriez toutes les villes, tout le commerce, toute l'industrie.

Prenez pour exemple un carrossier, ce n'est pas un homme riche d'ordinaire, il lui faut de grands locaux ; prenez un établissement de modes, la valeur locative ne sera pas de moins de 3,000 fr. ; pour arriver à la recette qu'on veut obtenir il faudra frapper de 15 p. c. la valeur locative ; cet établissement de modes payera 450 fr.

Prenez maintenant au lieu de la maison que je viens d'indiquer une maison splendide de Termonde occupée par un riche capitaliste possédant 20,000 fr. de rente, ayant chevaux et équipages ; la valeur locative sera non plus de 3 mille francs mais de mille francs ; vous le frapperez de 15 p. c., il aura à payer 150 fr., tandis que le marchand de modes en payera 450.

Il y aurait donc des inégalités tellement flagrantes que cette loi ne résisterait pas deux ans à l'expérience. Ce qui fait que l'impôt de 4 p. c. peut être supporté, c'est que l'inégalité de ville à ville, de commune à commune pour la valeur locative s'équilibre par l'action des autres bases. Si au lieu de sept bases on pouvait sans inconvénient, en établir un plus grand nombre, plus on les multiplierait, plus on serait sûr de prendre là où la richesse se trouve et de ménager les classes les moins aisées.

L'honorable M. Osy persiste à croire que la loi nouvelle bien appliquée donnera une augmentation de produit de 600 mille francs, comme le présumait l'honorable M. Frère.

Mais il ne tient pas compte de deux circonstances, c'est que M. Frère, en faisant disparaître la taxe des foyers augmentait de 1 p. c. l'impôt sur la valeur locative, ce qui devait produire 600 mille francs, ensuite au lieu de 1 p. c. il portait l'impôt sur le mobilier à 1 1/2, ce qui donnait encore 600 mille fr.

Aujourd'hui le projet présenté par la section centrale réduit à 4 p. c. l'impôt sur la valeur locative et à 1 p. c. l'impôt sur le mobilier.

L'augmentation qui devait résulter de ces deux chefs vient donc à disparaître.

Messieurs, j'en ai dit assez, je pense, pour faire voir que je dois maintenir les voitures comme un des éléments de la contribution personnelle. Ce qui n'implique nullement la question de savoir à combien on les imposera, ni quelles voitures on imposera.

Toutes ces questions d'exécution viendront à mesure que nous passerons en revue les articles.

M. Delehaye. - L'honorable député de Bruxelles, en commençant son discours, a cru devoir répondre à ce que j'ai dit de la situation d'indépendance où je suis vis-à-vis des électeurs. Il aurait dû comprendre que ce n'était pas à moi que devait s'adresser cette réponse, mais à l'honorable ministre des finances, qui a soulevé cette discussion. Qu'ai-je dit ? Que n'étant pas dans la position qu'a indiquée M. le ministre des finances, je ne pourrais cependant donner mon assentiment à tout le projet de loi.

M. le ministre des finances a répondu à ce que j'ai dit tout à l'heure, relativement aux fenêtres. Je n'ai pas dit qu'il fallait exempter de l'impôt toutes les fenêtres. Mais j'ai dit qu'il y a des fenêtres qui ont moins de valeur que d'autres, et qu'on veut les atteindre de la même manière.

J'ai dit qu'il ne me paraissait pas équitable de frapper d'une taxe uniforme toutes les fenêtres dans une même localité, par exemple à Bruxelles. J'ai donné un exemple qui a été admis par l'honorable député de Bruxelles, puisqu'il va plus loin que moi ; en effet il voudrait que l'on exemptât de l'impôt toutes les maisons ayant une seule fenêtre et un seul foyer. Que l'on fasse une proposition dans ce sens, et elle aura mon assentiment.

Quant à la base des voitures, je reconnais avec, M. le ministre des finances que telle base qui serait injuste si elle était admise isolément perd ce caractère lorsqu'elle se combine avec d'autres bases. Cette observation s'applique également à l'impôt-mouture que l’on m'a objecté en m'interrompant. Je conçois que, si cet impôt existait seul, ce serait le plus injuste de tous les impôts. Mais lorsqu'il fait partie d'une série d'impôts, on a toujours tort de le considérer isolément.

Partant de ce principe je conçois que M. le ministre des finances maintienne les voitures comme base de l'impôt.

Seulement j'avais pensé qu'après avoir frappé les chevaux d'une taxe élevée, on pouvait se dispenser de taxer les voitures.

Je ne tire pas argument de l'intérêt des carrossiers qui seront dans la même catégorie que les charpentiers qui font des fenêtres. J'ajouterai que, si la base des voitures était admise, ce ne serait pas pour moi un motif pour voter contre le projet de loi sur la contribution personnelle.

Mais je me plains de ce que l'on veuille mettre Gand sur la même ligne que Bruxelles qui va avoir une population double de celle de Gand. Puisque, dans le système du gouvernement, il y a des catégories qui sont déterminées d'après la population, par exemple de 20 à 50 mille, de 50 mille à 100,000, pourquoi s'arrêter à 100,000 ? Pourquoi ne pas faire une catégorie de 100 à 150 mille ? On resterait ainsi dans les proportions. Bruxelles formerait la première catégorie, Gand et Anvers la seconde. Je n'aurais plus alors d'observations à faire. Mais lorsque l'on veut assimiler Gand à Bruxelles, j'ai le droit de réclamer. Voilà dans quel sens j'ai soumis une observation à la Chambre.

M. Vermeire. - Je n'occuperai pas longtemps la Chambre. Je dirai seulement que si je voulais voir reporter les trois bases : portes et fenêtres, foyers et valeur du mobilier sur la première base valeur locative, c'est que je crois que la proportionnalité de l'impôt serait mieux établie.

M. le ministre des finances a voulu détruire cet argument, et il a cité l'exemple d'un habitant de Bruxelles qu'il a comparé à un habitant d’une (page 953) ville de province, de Termonde. Il en a conclu qu'il y aurait une disproportion énorme, que l'un payerait 150 francs tandis que l'autre serait imposé à 450 fr.

Examinons de très près l'exemple indiqué par M. le ministre des finances. Lorsque vous établissez un impôt, cet impôt doit frapper sur le revenu probable de l'objet auquel il s'applique. Prenons maintenant la valeur de la maison habitée par le Bruxellois et vous verrez que la valeur sera au moins triple de celle de la maison de Termonde.

L'impôt devant être proportionnel à la valeur qui constitue le revenu, le propriétaire de Bruxelles doit payer trois fois autant que celui de Termonde.

Dans mon système la proportionnalité est mieux gardée que dans celui du projet de loi.

M. Orts. - Je veux répondre à l'observation finale de l'honorable M. Vermeire, non pas à raison de l'exemple qu'il a pris pour base de ses critiques, mais parce que cette observation me paraît partir d'un faux principe, qui pourrait réagir sur l'ensemble de la loi.

L'honorable M. Vermeire croit qu'en matière de contribution personnelle, il doit y avoir une certaine proportionnalité entre l'impôt payé et la valeur de la base considérée comme matière à impôt. Ce principe me paraît complètement faux en matière de contribution personnelle. Je l'admets au contraire complètement en matière de contribution foncière ; mais en matière de contribution personnelle, et je prie la Chambre de ne pas le perdre de vue dans l'examen de la loi, les bases imposables ne sont pas des raisons, des motifs d'impôt, ce sont des prétextes d'impôts.

- Un membre. - C'est injuste.

M. Orts. - Non, ce n'est pas injuste, parce que si vous ne saisissiez pas ces prétextes comme indices vous ne pourriez saisir directement ce que vous voulez atteindre, ce qu'il est dans votre droit et de votre devoir d'atteindre. Ces prétextes qu’indiquent-ils, en effet ? Ils indiquent, par certaines apparences saisissables, le revenu probable du contribuable. Or, le revenu probable, voilà ce que vous voulez, ce que vous devez saisir, et voilà ce que vous ne pouvez saisir que par des approximations, par des indices. Ainsi, si l'on frappe une porte cochère, ce n'est pas parce qu'elle vaut plus qu'une porte ordinaire, mais c'est parce qu'une porte cochère est, en général, l'indice d'une maison occupée par un homme riche, par un homme qui tient ordinairement voiture ; et c'est pourquoi on renonce à cette indication lorsqu'elle conduit vers le faux, lorsque la porte appartient à un établissement industriel, à un établissement agricole et sert au passage des chariots, non plus au passage des carrosses.

Pourquoi veut-on atteindre les livrées, les armoiries, les chevaux ? Ce n'est pas parce que les livrées valent plus que les autres habits ; ce n'est pas parce que les chevaux sont une base imposable qui a un certain rapport de produit avec l'impôt demandé ; c'est, encore une fois, parce que ce sont les gens riches qui ont des chevaux, qui ont des livrées. Vous voulez atteindre le revenu qui est derrière les chevaux, derrière les livrées, derrière les armoiries, derrière même ces perruques poudrées taxées en Angleterre, et, à juste raison, selon moi. La contribution personnelle n'est pas un impôt de consommation.

Ainsi, messieurs, n'acceptons pas, dans l'examen de cette loi, comme point de départ, un principe aussi dangereux que celui que voudrait établir l'honorable M. Vermeire. Son principe, est vrai quand l'impôt frappe la chose en raison de ses produits, des bénéfices qu'elle donne ; mais il est faux quand on frappe la chose pour atteindre le revenu présumé du contribuable.

M. Manilius. - Messieurs, je suis disposé à accepter les sept bases que l'on nous propose ; j'expliquerai plus tard aux articles les motifs pour lesquels je ne saurais accepter le mode d'exécution proposé.

Je dirai seulement en ce moment et comme considération générale, que j'appuie les objections qui ont été faites par mon honorable ami M. Delehaye et M. Vermeire pour la base des foyers comme pour celle des portes et fenêtres et les portes cochères, auxquelles je voudrais même ajouter, si c'était possible, les balcons ; mais je voudrais ne pas les voir taxer telles qu'elles le sont dans le projet, je voudrais qu'elles fussent atteintes par la première base, qui est le véritable fondement de l'opulence d'une maison.

On a parlé de la différence des villes. M. le ministre vous a dit : Je suppose deux capitalistes qui habitent, l'un Termonde, l'autre Bruxelles. Tous deux ont de grands mobiliers, tous deux ont de riches maisons et peuvent supporter de forts impôts. Cependant l'un payera dix fois autant que l'autre.

Eh bien ! c'est précisément parce que les bases de l'impôt sur le n°1 de l'article premier sont moindres à Termonde qu'à Bruxelles, qu'on doit payer moins dans la première de ces villes que dans la seconde. Si, au lieu d'habiter Termonde, on veut venir habiter le quartier Léopold, il n'est que juste que l'on paye davantage.

L'argument de M. le ministre vient donc à l'appui de notre opinion ; il prouve que l'impôt doit être en raison de l'opulence que l'on se donne, sans cela vous arriveriez à l'income-tax.

M. Orts. - On aurait grandement raison.

M. Manilius. - Soit ; dans ce cas je m'associerais à vous. Mais en attendant, si vous voulez faire payer le luxe et l'opulence, frappez sur ceux qui se donnent ce luxe et sur ceux qui viennent de préférence habiter les grandes villes, qui y payent de forts loyers ; qui ont la grande jouissance des carrosses à livrée ; qui ont des glaces très spacieuses dans le vitrage pour fenêtres et tous autres objets de luxe dans leurs maisons.

Ce qui est applicable à Termonde et à Bruxelles est applicable à Gand et à Bruxelles. Deux grands capitalistes habitant l'un Gand et l'autre Bruxelles, le premier occupera une maison de 2,500 fr. de loyer et l'autre une maison de 4,000 à 5,000 fr. de loyer. Les deux maisons sont les mêmes pour la grandeur ; mais leurs habitants ont-ils les mêmes jouissances ? Est-ce le même luxe ?

Eh bien, en prenant pour base générale le n°1 de l'article premier, vous serez justes pour les fenêtres, vous serez justes pour les foyers, vous serez justes pour les portes cochères et vous pourrez y ajouter les balcons.

Je m'en expliquerai plus amplement lorsque les articles de détail seront en discussion.

M. le ministre des finances (M. Liedts). - L'honorable orateur qui vient de se rasseoir, a raisonné comme si le projet avait pour but de faire payer la même somme à deux maisons identiquement les mêmes, situées l'une à Termonde et l'autre à Bruxelles. Tel n'est pas le résultat de la loi ; de deux maisons identiquement les mêmes, meublées de la même manière, ayant le même nombre de foyers, celle qui se trouvera à Termonde ne payera pas, d'après le projet en discussion, la même somme que celle qui se trouve à Bruxelles, mais la différence ne sera pas non plus comme 1 est à 5 ; il y a une juste mesure à observer, et c'est cette juste mesure que l'on dépasserait si l'on faisait peser l'impôt sur une seule base, et c'est parce qu'une base corrige l'autre qu'on n« peut les scinder.

M. Manilius. - J'ai un mot à répondre à une objection faite par M. le ministre des finances.

Il vous a dit qu'en 1831, on en était venu, relativement aux foyers, à une autre opinion qu'en 1830 ; qu'en 1830, on avait repoussé la base des foyers et qu'en 1831 au contraire on avait voulu l'étendre.

Messieurs, les faits sont encore présents à ma mémoire. En 1830, on ne voulait plus de base qui donnât lieu aux visites domiciliaires. En 1831, dans le désir d'augmenter les revenus de l'Etat, on a voulu faire payer pour chaque cheminée au-delà de 12 et sans s'en apercevoïir, on a rétabli la nécessité des visites domiciliaires précisément chez les personnes qui en ont le plus d'appréhension, chez les personnes qui déclarent 12 foyers, alors qu'elles n'en auraient que 8, et qui déclarent leur mobilier au quintuple, précisément pour échapper aux visites domiciliaires.

Que faites-vous aujourd'hui ? Vous rétablissez les visites domiciliaires ; vous rétablissez ce principe qui faisait repousser en 1830 l'impôt sur les foyers et qui a fait dire dans la Constitution que l'impôt sur la contribution personnelle devait être révisé. Lorsque le congrès a voulu que cette loi fût révisée, ce n'est pas parce qu'elle faisait payer trop ou parce qu'elle faisait payer trop peu ; mais c'est parce que son exécution nécessitait des mesures odieuses ; c'est parce que deux ou trois bases de cet impôt donnaient lieu à des visites domiciliaires dont on ne voulait plus dans aucun cas ni pour aucune cause, même pour les impôts indirects ; et vous savez, messieurs, quelles susceptibilités on excite, lorsqu'il s'agit d'accorder ce droit de visite domiciliaire, nécessaire quelquefois pour le recouvrement de l'impôt, chez les personnes qui exercent une profession soumise au droit d'accise.

C'est encore pour le même motif qu'en 1832 on n'a plus voulu faire payer pour le 13ème foyer. On a reconnu qu'en persistant à faire payer pour tous les foyers quel qu'en fût le nombre, on rendait encore nécessaires les visites domiciliaires.

C'est donc là le point culminant de la discussion actuelle. Modifiez la loi, si vous le voulez, de manière à avoir plus d'argent, niais évitez les visites domiciliaires ; et il y a un moyen, c'est de faire peser sur la première base l'impôt que l'on paye aujourd'hui sur les foyers et sur les portes et fenêtres et même le mobilier.

M. Rousselle, rapporteur. - Je n'ai demandé la parole que pour faire observer à l'honorable membre qu'il est dans l'erreur. Il semble, d'après lui, que les visites domiciliaires ne sont nécessaires que parce que la base des foyers les exige. Or, les visites domiciliaires ne sont pas seulement nécessaires pour les foyers ; elles le sont aussi pour fixer la valeur localive d'après le projet modifié de l'honorable M. Frère.

Elles sont encore, d'après le projet primitif de cet honorable ministre, nécessaires pour fixer la valeur du mobilier si l'on ne consent pas à payer en raison du quintuple de la valeur locative. Elles sont nécessaires enfin pour rechercher le nombre des portes et fenêtres, des chevaux et des voitures. Et toutes ces visites domiciliaires dont on semble s'effrayer si fortement ont lieu depuis 1822 sans qu'elles soulèvent aucune réclamation. Je pense, quant à moi, qu'il y a à peine un cinquième des contribuables qui se soumette à déclarer le quintuple de la valeur localive pour se soustraire à l'inconvénient prétenduemenl si grave en cette matière des visites domiciliaires. Elles se font avec tant de ménagement que personne ne s'en plaint.

- La discussion sur l'article premier est close.

M. le président. - Nous procéderons par division.

« Une contribution personnelle est établie sur les sept bases suivantes : »

- Adopté.

« 1° La valeur localive des habitations ; »

- Adopté.

(page 954) « « 2° Les portes et fenêtres ; »

- Adopté.

« 3° Les foyers ; »

- Adopté.

« 4° La valeur du mobilier ; »

- Adopté.

« 5° Les domestiques ; »

- Adopté,

« 6° Les chevaux ; »

- Adopté.

« 7° Les voitures. »

- Plusieurs membres. - L'appel nominal !

Il est procédé au vote par appel nominal sur le n°7°, qui est adopté par 69 voix contre 2 (MM. Mercier et Osy) ; 3 membres (MM. F. de Mérode, Dumortier et Coomans) se sont abstenus.

Ont voté l'adoption : MM. de La Coste, Delehaye, de Liedekerke, Deliége, de Man d'Attenrode, de Naeyer, de Perceval, de Pitteurs, de Portemont, Dequesne, de Renesse, de Royer, de Ruddere, Desmaisières, de Steenhault, de Theux, Devaux, de Wouters, Jacques, Jouret, Lange, Laubry, Lejeune, Lelièvre, Lesoinne, Loos, Maertens, Malou, Manilius, Mascart, Moncheur, Moreau, Moxhon, Orts, Pierre, Pirmez, Prévinaire, Rodenbach, Rogier, A. Roussel, Ch. Rousselle, Thiéfry, T'Kint de Naeyer, A. Vandenpeereboom, E. Vandenpeereboom, Vander Donckt, Van Grootven, Van Hoorebeke, Van Iseghem, Van Overloop, Van Remoortere, Verhaegen, Vermeire, Veydt, Visart, Allard, Ansiau, Anspach, Boulez, Clep, Closset, Coppieters, Dautrebande, David, H. de Baillet, de Bronckart, de Decker, de Haerne et Delfosse.

M. de Mérode. - Je me suis abstenu parce que, si l'on veut augmenter l'impôt sur les équipages, il faul, selon moi, faire porter l'augmentation sur les chevaux, qui consomment beaucoup de substances alimentaires et non pas sur les voitures qui ne mangent rien et qui occupent beaucoup d'ouvriers.

M. Dumortier. - Je n'ai pas assisté à la discussion.

M. Coomans. - Je n'ai pas voté contre l'impôt sur les voitures parce qu'il me semble assez raisonnable ; mais je n'ai pas voté pour, parce que, jugeant le chiffre des contributions assez élevé pour faire les frais du ménage belge, je ne puis souscrire à aucun nouvel impôt.

- L'article premier est adopté dans son ensemble.

M. Lelièvre. - J’ai hier déposé des amendements à l'article 36. Ils ont été imprimés et distribués. Je demande qu'ils soient renvoyés à l'examen de la section centrale afin que la rédaction soit définitivement arrêtée. Cela est d'autant plus nécessaire que, dans le texte de mes amendements qui ont été distribués hier, il s'est glissé des fautes d'impression qui ont été rectifiées dans un second exemplaire distribué au commencement de la séance actuelle.

- Le renvoi à la section centrale est ordonné.

Article 2

« Art. 2. La valeur locative servant de base à l'impôt est celle de tout bâtiment et de ses dépendances, dont il est fait usage et qui n'est pas spécialement exempté.

« Cette valeur est déterminée d'après le prix notoire de location et comparaison faite entre les maisons et bâtiments de même catégorie dans chaque localité ; elle est établie, pour chaque habitation, par la déclaration de l'habitant ou par voie d'expertise, à la demande de celui-ci.

« Les jardins attenant à l'habitation ne sont compris dans l'estimation de la valeur locative que jusqu'à concurrence du quintuple de la superficie des bâtiments.

« La taxe est fixée à 4 p. c. de la valeur Iocative attribuée à tout bâtiment ou partie de bâtiment donnant lieu à l'impôt. »

M. Mercier. - Comme on l'a déjà fait remarquer, l'honorable prédécesseur du ministre des finances avait adoplé pour la première base de la contribution personnelle le revenu net du cadastre augmenté d'un tiers.

Déjà antérieurement et même avant l'achèvement des opérations du cadastre, une commission instituée par M. Duvivier, alors ministre des finances, avait indiqué cette mesure comme un moyen efficace d'éviter de choquantes disproportions et de parvenir à une application équitable de la contribution personnelle.

Envisagée en elle-même, elle ne peut rencontrer d'objections sérieuses, mais l'auteur du projet de loi n'avait pas assez fait attention aux changements innombrables que le temps et des circonstances extraordinaires avaient apportés depuis l'époque des opérations cadastrales dans les valeurs localives et dans les rapports qu'elles avaient entre elles. Presque toutes les sections de la Chambre en firent l'observation et rejetèrent pour ce motif la base du revenu cadastral. Le gouvernement y renonça lui-mème, après avoir pris connaissance de leurs délibérations et en revint à cet égard au système de la loi de 1822.

Cependant d'après l'exposé des motifs du projet de loi aussi bien que d'après la notoriété publique, les résultats de ce système, lors même que l'expertise est demandée par le contribuable ou provoquée par l'administration présentent dans les diverses localités et même dans les divers quartiers d'une même localité, des différences, des anomalies, des disparates choquantes qui sont la conséquence nécessaire d'opérations faites isolément, sans un centre commun d'action, sans un principe uniforme et invariable pour les guider ; aussi voit-on à cet égard des différences d'appréciation tellement considérables qu'elles dépassent parfois 100 p. c. Tels sont, messieurs, les termes mêmes de l'exposé des motifs.

En effet, à défaut d'un ensemble de combinaisons au moyen desquelles on arrive à une appréciation juste et uniforme des valeurs localives, dans toutes les parties du royaume, nous conservons forcément une base vicieuse pour la partie essentielle de la contribution personnelle.

Il eût été désirable, selon moi, que le gouvernement, reconnaissant que le revenu cadastral actuel ne pouvait être adopté, eût fait procéder immédiatement à la révision des évaluations cadastrales des propriétés bâties et évité ainsi de laisser subsister une base dont il a fait lui-même une juste et sévère critique.

On ne peut se dissimuler que l'application de la nouvelle loi va amener une grande perturbation dans les cotisations de l'impôt personnel et froisser une foule d'intérêts. Cependant on ne tardera pas à s'apercevoir qu'à défaut d'unité dans les évaluations des loyers d'habitation, de nombreuses injustices continueront à exister, et, dès lors, il est probable, certain même, selon moi, que le gouvernement se trouvera obligé d'en venir à une évaluation régulière, c'est-à-dire au cadastre. Cependant les expertises pour la contribution personnelle auront donné lieu à charge des contribuables, à beaucoup de frais qu'on aurait évités en procédant préalablement à la révision des évaluations cadastrales des propriétés bâties.

Cette révision a d'ailleurs toujours été dans les vues du gouvernement et ce dans l'intérêt même de la juste répartition de la contribution foncière assise sur les propriétés bâties.

Un projet de loi présenté en 1837, par l'honorable M. d'Huart, alors ministre des finances, consacrait à son article 26 le principe d'une révision décennale des évaluations des propriétés bâties.

On avait calculé à cette époque qu'une pareille révision n'exigerait guère qu'une seule année de travail et n'occasionnerait pas une forte dépense.

Si l'on peut dès à présent prévoir que la force des choses amènera nécessairement la révision des évaluations cadastrales pour servir de base à la contribution personnelle, les contribuables auront à subir dans peu d'années de nouvelles perturbations dans leurs cotisations ; de là de nouveaux mécontentements, de nouvelles plaintes. Ne serait-il pas plus sage de les prévenir en faisant de suite ce qui est juste et vrai et en ne consacrant pas ce que l'on sait d'avance être défectueux ?

Tout avait été combiné en 1837, pour la révision (erratum, page 972) juridique et isolée des évaluations cadastrales des propriétés bâties. Rien ne serait plus simple, en ce qui concerne la contribution foncière, que d'assigner à ces propriétés le contingent général qu'elles supportent aujourd'hui. Il n'y aurait donc aucune nécessité de faire en même temps la révision des évaluations des propriétés non bâties.

La révision des évaluations des propriétés bâties doit se faire dans un double intérêt, de justice distributive ; c'est-à-dire dans celui des propriétaires fonciers, et dans celui des contribuables imposés à la contribution personnelle. Cette révision ne peut manquer d'être réclamée avec instance aussitôt après l'application de la nouvelle loi. Pourquoi s'exposer à une double dépense quand on peut obtenir un meilleur résultat en n'en faisant qu'une seule ?

Le gouvernement a connu l'opinion des sections, trois mois après la présentation du projet de loi ; aucune section n'avail repoussé en principe le revenu cadastral comme base de la contribution, elles n'ont rejeté la disposition proposée qu'à cause des nombreux changements survenus dans ces loyers d'habitation, depuis les opérations cadastrales. Je regrette que le gouvernement n'ait pas pris le parti de procéder à une révision aussitôt qu'il a reconnu que la base excellente qu'il proposait lui-même avait perdu son véritable mérite par les changements successifs dans les loyers d'habitation depuis les opérations cadastrales.

La base essentielle du projet restant vicieuse, malgré quelques améliorations de détail qu'il présente, je préférerais le voir ajourner pour une ou deux ans que d'adopter une loi qui, après avoir occasionné dés frais considérables, devra nécessairement et prochainement être corrigée dans son principal élément.

Telle est, du reste, messieurs, l'opinion que j'ai exprimée en section centrale il y a plus de deux ans.

M. le ministre des finances (M. Liedts). - Messieurs, l'article 2 permet de redresser des inégalités choquantes qui existent en ce moment dans la même localité de porte à porte ; il permet de redresser d'une manière imparfaite, je le reconnais, les inégalités qui pourraient exister de ville à ville, de commune à commune.

Aujourd'hui, d'après la loi budgétaire de 1831, il est permis à chaque contribuable qui habite une maison, de se référer, pour la valeur locative, à la déclaration des années antérieures ; de sorte que la valeur Iocative imposable est restée immuable pour plusieurs habitations depuis 1832.

Il en est résulté que tel contribuable voit à coté de lui un voisin qui habite une maison expertisée depuis 1832, maison de la même valeur que la sienne, aussi bien meublée et aussi bien tenue, ayant autant de foyers et de fenêtres, et qui paye un impôt infiniment moindre par la seule raison qu'il l'habite depuis 1832. Il y a là une inégalité d'autant plus choquante qu'elle est tous les jours de l'année sous les yeux de celui qui est lésé.

Maintenant à côté de cette injustice, il peut s'en rencontrer d'autres, que l'honorable préopinant voudrait voir disparaître ; ce sont celles qui pourraient exister, non plus dans la même localité, mais dans une localité comparée à une autre.

(page 955) A ce mal il n'y a qu'un seul remède : c'est la révision du cadastre, au point de vue des propriétés bâties.

L'honorable M. Mercier vient d'entrer dans quelques détails sur cette révision. Il m'est très diflicile de m'expliqucr sur le temps que devrait prendre une opération de ce genre, ainsi que sur la dépense qu'elle devrait entraîner. Si, comme le pense l'honorable préopinant, cette opération est simple et ne doit pas être fort coûteuse, j'ai lieu de m'étonner que mon honorable prédécesseur n'y ait pas fait procéder ; mais précisément parce que mon prédécesseur ne s'en est pas occupé, je suis tenté de croire que la révision, étendue à toutes les communes du royaume, doit être si laborieuse et si coûteuse, qu'il a reculé devant la mesure ou qu'il l'a ajournée jusqu'au moment où l'opération pourrait être entreprise dans son ensemble, c'est-à-dire pour les propriétés bâties aussi bien que pour les propriétés non bâties.

Il suffit, du reste, que mon attention soit éveillée sur ce point. J'examinerai plus tard cette question ; mais ce n'est pas un motif pour priver le pays d'une amélioration sensible, en ce sens qu'elle fera disparaître un grand nombre des vices de la loi actuelle.

M. Dumortier. - Messieurs, je regarde l'article 2 comme une des dispositions les plus graves de la loi sur laquelle nous sommes appelés à voter. Sous le gouvernement hollandais, des expertises avaient eu lieu dans tout le pays, elles devraient être renouvelées chaque année. Cette mesure avait donné lieu à de vives réclamations d'un bout de la Belgique à l'autre. Ce système d'expertise n'a pas été une des moindres causes de la désaffection que le gouvernement précédent rencontra dans le pays.

Aussi, dans l'année même qui a suivi la révolution, en décembre 1831, nous eûmes soin d'introduire dans la loi du budget une disposition en vertu de laquelle un habitant, occupant une maison, pouvait s'en référer à sa déclaration précédente. Cette disposition qui est le redressement d'un des griefs de la révolution, est restée en vigueur jusqu'à ce jour.

Il est bien vrai qu'en faisant disparaître ce grief, on a pu faire naître certains abus de détails ; il est bien vrai que telle maison a pu payer davantage que la maison voisine. Mais d'où cela provient-il ? Des premières expertises. En faisant aujourd'hui de nouvelles expertises, vous arriverez infailliblement à trouver plus tard des abus tout à fait semblables à ceux que vous voulez faire disparaître aujourd'hui.

Mais ce qu'il y avait de sage dans le système de 1831, c'était de faire justice d'une disposition vexatoire qui consistait à envoyer chaque année des experts dans les maisons pour en estimer la valeur. Or, je préfère de beaucoup quelques petits abus de détail à un grand abus général qui ne peut avoir de résultat que de frapper les Belges au cœur, par les visites domiciliaires dont ils sont l'objet de la part des agents du fisc. Eh bien, que trouvez-vous dans l'article en discussion ? Précisément le même système que nous avons renversé en 1831, et dont nous avons voté, j'étais du nombre, la suppression à l'unanimité.

Messieurs, c'est à vous de voir si vous voulez rentrer dans ce système ; mais je vous prédis qu'il aura des résultait funestes en Belgique ; pourquoi ? Parce que ce système servira de motif aux agents du fisc pour se faire bien venir de leurs supérieurs. Les agents du fisc cherchent, rien de plus naturel, à obtenir de l'avancement. Or, celui qui voudra faire rapporter le plus à l'impôt cherchera nécessairement à faire augmenter les valeurs locatives autant qu'il pourra ; et alors vous aurez des différences énormes avec le système actuel. Ceux que vous aurez dégrevés ne vous ne sauront aucun gré, tandis que ceux qui seront surtaxés se plaindront hautement.

Le but de la loi est percé à jour ; c'est de faire rapporter davantage à l'impôt. Eh bien, moi, je me contente de l'impôt actuel ; je ne veux pas voir reparaître en Belgique le cortège de mesures fiscales dont nous avons fait justice en 1831, je ne veux pas remettre mon pays sous le joug des agents du fisc ; et je déclare formellement que si l'article 2 est adopté, je voterai contre l'ensemble de la loi.

M. Mercier. - Messieurs, je conviens avec M. le ministre des finances que quelques inégalités vont disparaître par l'application du projet de loi, en ce qui concerne la première base ; mais les inégalités continueront à subsister de commune à commune et peut-être même comme on le dit dans l'exposé des motifs, de quartier à quartier d'une même localité, lorsque celle-ci est considérable ! Pour atteindre ce but, il faut une même impulsion centrale, une combinaison de dispositions, telles que celles qui ont été adoptées pour les évaluations cadastrales. C'est par ce moyen seulement qu'on parviendra à établir une égalité proportionnelle entre les communes, les cantons, les arrondissements et les provinces.

Messieurs, je n'ai pas parlé de la dépense que la révision doit occasionner ; mais je pense que l'application du projet de loi en discussion pendant quelques années donnera lieu, par suite des expertises, à une dépense à charge des contribuables au moins égale à celle qu'exigerait une bonne révision.

Quant au temps que j'ai assigné à l'opération, c'est-à-dire une année environ, je ne suis pas l'auteur de cette évaluation : elle est l'œuvre de personnes très compétentes ; l'œuvre d'une commission composée de plusieurs inspecteurs du cadastre.

Voici ce que portait l'article 26 du projet de loi présenté aux Chambres en 1827 ; il s'agissait alors d'une révision générale des évaluations cadastrales des propriétés bâties et non bâties ; l'article 26 contenait une disposition spéciale, dont je vais citer le texte :

« Indépendamment des changements et mutations annuels auxquels on continuera de procéder selon les règlements, il sera fait à l'avenir une révision générale des propriétés bâties, tous les dix ans.

« Les revenus cadastraux modifiés d'après les résultats de cette révision, serviront de base à une nouvelle répartition entre les provinces. »

L'article 27 portait en outre :

« La première révision décennale des propriétés bâties commencera en 1843 et sera exécutée de manière à pouvoir en rendre l'effet applicable à la répartition de 1845.

« Le mode de cette révision sera ultérieurement déterminé par une loi spéciale. »

On voit que les opérations devaient être faites, entreprises et terminées dans le cours des années 1843 et 1844, puisque l'application devait avoir lieu pour l'exercice 1845.

C'est donc en moins de deux années qu'elles pouvaient et peuvent être exécutées. Ce n'est pas mon opinion personnelle que j'exprime ici, mais celle d'agents du cadastre les plus compétents en cette matière, qui avaient concouru à la rédaction du projet dont je viens de parler.

M. Rousselle, rapporteur. - L'honorable M. Dumortier a parlé des antécédents du Congrès national, qu'il connaît beaucoup mieux que moi, puisqu'il faisait partie de cette mémorable assemblée.

- Plusieurs membres. - Mais non '. Mais non !

M. Rousselle, rapporteur. - Je croyais que l'honorable membre avait annoncé qu'il en était membre. C'est la loi de 1831 qui a autorisé les contribuables à se référer à la cote de l'année précédente ; mais lorsque cette loi a été portée, nous n'étions que dans le principe de l'établissement du nouveau système de contribution personnelle ; il avait fallu multiplier les expertises pendant plusieurs années, pour asseoir les bases proportionnelles de la valeur locative.

On était en outre vis-à-vis de la disposition de la Constitution qui prescrivait de réviser le système financier le plus tôt possible. En statuant en 1831 que l'on pourrait maintenir pour les années suivantes les valeurs locatives établies à cette époque, le législateur ne pensait certainement pas que les mêmes évaluations subsisteraient encore 22 ans après et que nous nous retrouverions aujourd’hui devant la même situation, malgré tous les changements qui sont arrivés dans la valeur locative des habitations en plus comme en moins, par suite de l'établissement des chemins de fer, de l'ouverture de nouvelles routes, du développement de nos industries, par suite, enfin, de toutes les causes qui ont changé la face du pays et la position de fortune de beaucoup de nos concitoyens.

Lorsqu'on demandait la révision de la loi sur la contribution personnelle, c'était en vue de faire réparer toutes les injustices, toutes les inégalités que le temps et ces diverses circonstances ont amenées.

L'honorable M. Dumortier voudrait que ces injustices continuassent jusqu'au moment où l'on aurait pu réviser le cadastre.

Je ne pourrais m'associer à une pareille opinion. Je désire, au contraire, que la Chambre prenne, dès ce moment, une mesure qui rétablisse l'égalité proportionnelle dans cette branche de nos impôts.

Dans l'impossibilité d'asseoir la valeur locative sur les évaluations cadastrales, il n'y a pas d'autre moyen que de recourir à l'expertise ; mais comme nous avons les résultats des expertises anciennes, ce n'est qu'une révision qu'on aura à faire ; et M. le ministre pourra donner à ses agents des instructions afin de redresser les erreurs et les injustices qui ont été signalées de toutes parts.

M. le ministre des finances (M. Liedts). - Quand l'honorable membre rappelle les réclamations qui s'élevèrent contre la contribution personnelle, il oublie que le projet de loi qui nous est soumis porte remède a ce dont on se plaignait ; en effet, ce n'étaient pas les expertises proprement dites qui donnaient lieu à des réclamations, c'était l'obligation d'y avoir recours pour ainsi dire chaque année, puisque chaque année il fallait une déclaration nouvelle. Or, d'après l'article 23 du projet, une seule expertise pourra suffire pour plusieurs années ; et l'on sait que d'après l'article 37, les experts ne peuvent pénétrer dans le domicile qu'une seule fois dans l'année et alors seulement qu'il y a expertise, tandis que les agents du fisc ne peuvent pénétrer que dans les cours et non dans les appartements.

L'administration le plus souvent reconnaît que la déclaration est acceptable ; alors le domicile est respecté ; ce n'est que dans le cas de présomption de fraude ou de dissimulation d'une partie sensible de la valeur imposable dans la déclaration, que la faculté d'expertiser est donnée à l'administration.

A entendre l'honorable orateur, il semble qu'il ne se fait plus de visites dans ce sens ; c'est une grande erreur. A l'heure où je vous parle, à Bruxelles un dixième des maisons est expertisé ; et tous les ans on en expertise un neuvième ; et jamais aucune réclamation n'a été faite contre ces visites ; jamais on ne s'est plaint d'indiscrétion ou de vexation de quelque nature que ce puisse être.

Si vous voulez une preuve de la bienveillance avec laquelle ces visites se font, voyez quel est le nombre des personnes qui veulent s'y soustraire. Il n'y a pas plus d'un cinquième des contribuables qui se réfèrent à l'évaluation locative quintuplée ; tous les autres se soumettent à l'expertise. Ces expertises, permises par la loi actuelle, se font aujourd'hui ; elles se feront sur une base plus large la première (page 956) année de l'application de la loi nouvelle, parce qu'il faudra procéder à une révision des valeurs locatives ; mais les années suivantes les choses reprendront leur cours normal ; seulement de temps à autre, une expertise aura lieu pour établir des points de comparaison entre les maisons et bâtiments de même catégorie dans une même localité.

Les visites seront donc de très rares exceptions. Depuis que la Belgique est indépendante, on ne s'est pas plaint que des experts aient fait ouvrir des armoires, fouillé dans des meubles qui se trouvaient dans l'intérieur des appartements ; leur visite s'est bornée à une tournée dans la maison pour se faire une idée approximative de la valeur locative et de la valeur du mobilier.

Je crois donc qu'on s'alarme à tort de l'exécution de la loi. Tout dépend de l'exécution, et lorsque cette loi sera mise à exécution, mon premier soin sera d'appeler chez moi tous les directeurs de province pour leur donner des instructions sur le mode d'exécution.

L'honorable membre semble faire peu de cas des inégalités qui existent encore ; mais ces inégalités sont d'une injustice révoltante. Il est plus que temps de les faire cesser, tandis que si la loi n'est pas changée, elles iront en croissant d'année en année.

M. le président. - L'amendement suivant vient d'être déposé par M. de Theux.

« La valeur localive fixée pour les premières années d'exécution de la présente loi pourra être maintenue par le contribuable jusqu'à la révision du cadastre. »

Cet amendement pourra être développé quand nous arriverons à l'article 23, qui contient une disposition analogue.

M. de Theux. - Fort bien, M. le président.

M. Roussel. - Messieurs, je ne voudrais d'autres preuves du danger de la disposition qui vous est présentée relativement à l'expertise, que les nombreuses précautions dont l'honorable ministre des finances vient de vous entretenir. Comme membre de cette assemblée, je ne consentirai jamais à voter une loi qui sera bonne ou mauvaise suivant la sagesse ou la prudence de ceux qui devront l'exécuter.

Ma confiance est grande, je pourrais même dire, est entière dans l'honorable mininislre qui porte aujourd'hui avec savoir et dignité le portefeuille des finances. Il me serait impossible cependant d'avoir la même foi anticipée dans ceux qui lui succéderont un jour, et que nul ne connaît encore. Aux termes du projet, l'expertise ne devait avoir lieu que dans des cas infiniment rares, mais qui se présenteront sous d'autres ministres que l'honorable M. Liedts (que Dieu nous conserve à son département !) il est bon que nous prenions nos précautions dans la loi, et que nous empêchions que l'esprit de notre Constitution ne vienne à être entamé.

Tenant compte des anciennes traditions et des habitudes du pays, notre Constitution a consacré l'inviolabilité du domicile. Tout ce qui de près ou de loin porte atteinte à cette inviolabilité du domicile, symbole de la famille et qui se permet de s'introduire dans l'intérieur des habitations contre le gré des citoyens, doit être vu de mauvais œil par la législature belge.

S'il y a des inégalités dans l'état de choses actuel, les particuliers doivent-ils être inquiétés pour cela ? C'est au gouvernement qu'il appartient de faire la péréquation cadastrale propre à donner une connaissance suffisante des valeurs locatives et à permettre de rétablir l'égalité qui est peut-être rompue aujourd'hui.

Pour dispenser l'Etat des mesures dont l'honorable M. Mercier a démontré la nécessité, faut-il que les citoyens soient soumis tous les ans à une expertise, qui, quelques soient les précautious, permettra toujours aux agents fiscaux de pénétrer dans le domicile privé de chacun au moins une fois par année ?

Mais l'expertise fera-t-elle bien disparaître les inégalités ? L'expert à Bruxelles n'aura certes aucune connaissance de la valeur locative dans d'autres localités. L'expertise n'aura donc point pour effet de rétablir l'égalité entre les localités diverses. D'ailleurs, les experts se succéderont ; l'expertise est une affaire d'appréciation, de conviction personnelle qui ne repose sur aucune donnée uniforme et constante. Pour mon compte, je ne vois donc pas dans l'expertise tous les avantages que paraît y trouver l'honorable ministre des finances.

Il me semble, messieurs, qu'on veut introduire dans la loi une disposition dangereuse, et que l'on n'arrivera à l'égalité et à l'équité que par la péréquation cadastrale.

Lors même qu'il y aurait des irrégularités dans le système qui nous régit (et il y en aura toujours quel que soit le mode que l'on adopte), j'aime mieux rester fidèle aux vieilles traditions, respecter le domicile individuel, sacrifier un intérêt matériel à un intérêt moral cher à tous les Belges. De l'argent, on peut s'en procurer souvent ; une franchise, une liberté perdue se reconquièrent difficilement. Que l'Etat soit un peu moins riche de ses revenus, mais que nous continuions à vivre de cette vie douce et libre, exempte de tracasseries et d'amertumes administratives ou autres !

Ce qui prouve, assure-t-on, que l'expertise n'est pas aussi désavantageuse que nous le prétendons, c'est qu'un cinquième seulement des Belges cherche à s'y soustraire. Mais je ferai observer que, dans l'état actuel des choses, l'expertise est volontaire, circonstance d'où naît la confiance dans les experts et dans le gouvernement lui-même. Aujourd'hui si l'on ne veut pas requérir les experts, on peut toujours déclarer son mobilier au quintuple de la valeur locative cadastrale. On ne peut argumenter de cette situation heureuse pour faire prévaloir une disposition qui rendrait l'expertise obligatoire.

Du moment où vous lui auriez imprimé ce caractère, chacun voudrait se soustraire à un joug qui n'existe pas aujourd'hui.

En résumé, messieurs, les arguments que l'honorable M. Dumortier a fait valoir restent debout. Il y a non seulement un intérêt matériel, mais un intérêt moral en jeu. Ce sera l'honneur de la législature de 1854 de ne pas avoir dévié de la ligne de conduite que lui ont tracée les législatures antérieures et les traditions nationales.

M. Dumortier. - Je propose comme amendement de rétablir dans la loi l'article 4 de la loi du 28 décembre 1831.

- La discussion est continuée à demain.

La séance est levée à 4 heures trois quarts.