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Chambres des représentants de Belgique
Séance du samedi 11 novembre 1854

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1854-1855)

(Présidence de M. Anspach, doyen d'âge.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 17) M. Janssens, secrétaire provisoire, procède à l'appel nominal à deux heures et un quart.

M. Calmeyn, autre secrétaire provisoire, lit le procès-verbal de la séance d'hier ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Janssens présente l'analyse des pièces qui ont été adressées à la Chambre.

« Le sieur Mersch, conseiller provincial à Marche, atteste qu'en sa présence, après que le scrutin était fermé, le sieur Jacques, qui tenait des notes à côté du bureau et pointait chaque électeur à mesure qu'il déposait son billet, a offert au notaire Jadot la gageure que lui, Jacques, était nommé à une majorité de 40 voix. »

-Dépôt sur le bureau pendant la discussion sur l'élection de Marche.


« Les sieurs Dupont, bourgmestre de Marche, Dury et Michaux, conseillers communaux, déclarent que, pendant tout le cours des opérations électorales du 15 juin dernier, le sieur Jacques est resté derrière le bureau, prenant des notes et pointant les noms des électeurs à mesure qu'ils déposaient leurs bulletins dans l'urne. »

- Même décision.


« Le sieur Breulet, médecin vétérinaire du gouvernement à Marche, déclare que, le 15 juin dernier, il ne s'est pas trouvé dans la salle des élections, durant le vote des trois quarts des électeurs au moins ; il proteste contre les propos qui lui sont prêtés dans le certificat dessieurs Bourguignon et autres, mais reconnaît qu'étant rentré dans la salle et s'étant approché du bureau au moment du dépouillement il a dit, comme il l'avait fait auparavant, que M. Orban l'emporterait. »

- Même décision.

Vérification des pouvoirs

Arrondissement de Marche

M. de Renesse. - Messieurs, je n'ai demandé la parole que pour motiver mon vote.

Je regrette de ne pouvoir valider l'élection de l'honorable M. Orban-Francotte. Mon opposition est fondée sur ce qu'un grand nombre de bulletins, attribués à cet honorable membre, contenaient des désignations spéciales et sont écrits sur du papier d'une teinte jaunâtre, de manière à faire connaître les votants. Il me paraît que, pour ces bulletins, il faut leur appliquer la disposition de l'article 31 de la loi électorale, qui déclare nuls les bulletins dans lesquels le votant se ferait connaître.

Chaque fois qu'en ma qualité de membre de la Chambre, je dois concourir à valider une élection, je crois devoir me mettre en dehors des partis qui, malheureusement, divisent le pays ; je vois, avant tout, si l'élection a été régulière, si elle a été la libre expression du vote des électeurs.

Or, dans l'élection de Marche que nous avons à examiner, peut-on dire qu'il y a eu une liberté réelle de vote pour un assez grand nombre d'électeurs ?

Les cent et quelques billets d'une teinte jaunâtre, facile à reconnaître, et contenant des annotations toutes spéciales, sont malheureusement là pour prouver le contraire.

Quant à moi, après avoir examiné sérieusement et sans prévention l'élection de Marche et les réclamations qu'elle a fait surgir, il ne m'est plus permis de douter qu'il y ait eu une contrainte morale exercée sur un assez grand nombre d'électeurs.

Je sais que, dans certains districts électoraux, les deux partis qui se disputent le gouvernement du pays, emploient parfois de pareils moyens pour assurer et contrôler l'élection de leurs candidats.

Si de pareilles fraudes électorales sont dénoncées à la Chambre, je crois qu'elle doit, dans l'intérêt de la moralité publique, se montrer très sévère à l'égard d'une telle manière d'exercer une pression sur les électeurs ; pour qu'une élection soit vraie, il faut qu'elle soit réellement l'expression de la libre volonté de tous les électeurs.

Il me semble que le gouvernement devrait examiner sérieusement s'il n'y a pas nécessité d'introduire certaines modifications à la loi électorale, afin d'empêcher dorénavant de pareils abu dans les élections.

Je voterai pour l'annulation de l'élection de Marche.

M. de Mérode. - Messieurs, dans aucune circonstance je ne me laisserai entraîner par un mouvement de sympathie ou d'antipathie, lorsqu'il s'agira de l'admission d'un collègue. Aussi bien j'eusse voté à l'égard de M. d'Hoffschmidt, ex-ministre de la politique nouvelle, comme j'ai voté à l'égard de son concurrent, et j'ose en outre affirmer, à la louange de la généralité des membres qui siègent de mon côté, qu'ils n'eussent point ajourné M. d'Hoffschmidt élu dans les mêmes conditions que M. Lambin, parce que l'exclusion n'est pas leur système et qu'ils savent combien les réélections fréquentes sont contraires à la véritable manifestation électorale qu'elles paralysent dans la fraction la plus nombreuse des habitants du pays.

Ainsi je l'assure sans hésiter, si M. d'Hoffschmidt eût obtenu à Bastogne ce qui a été contesté à M. Lambin, M. d'Holfschmidt eût été appelé par la presque unanimité de cette Chambre à prêter le serment de représentant.

Une réélection à Anvers, bien loin d'être plus véritablement l'expression du vœu général de l'arrondissement que l'élection primitive de juin à laquelle tout l'ensemble des électeurs a pris part, ne sera plus également que l'expression du vœu d'une partie privilégiée de ce même arrondissement, tant notre système électoral, dénaturé depuis 1848, est contraire à l'égalité des situations respectives.

En vain, des milliers de pétitionnaires ont-ils réclamé contre une si flagrante injustice ; elle est maintenue par toutes sortes de fins de non-recevoir et d'ajournements indéfinis.

Cependant, le membre du ministère, membre aussi de cette Chambre qui s'est montré très scrupuleux pour l'élection de M. Lambin, ne semble pas inquiet du tout, quand il s'agit de l'absence complète d'équité dans le régime électoral imposé par la crainte de l'esprit subversif, excité par la révolution de 1848, et d'où sortit le renversement d'une des œuvres capitales du Congrès belge :

La loi constitutive des élections.

Et je ne sache pas que M. le représentant ministre Van Hoorebeke ait encore essayé de persuader à ses collègues ministres, qu'il serait indispensable, au point de vue des bons scrupules constitutionnels, de rétablir un juste équilibre appliqué au choix de la représentation nationale.

En ce qui regarde les électeurs ruraux, personne ne peut ignorer, pourtant, que des réélections les soumettent à des corvées doubles, devant lesquelles ils reculent et qui faussent par conséquent la composition des Chambres.

Quant à moi, messieurs, chaque fois que j'en trouverai l'occasion, je ne cesserai de protester contre un vice si grave ; car les fausses compositions des Chambres détruisent la sincérité du régime représentatif, et sans répartition honnête de la faculté d'élire, sans exercice vrai de cette faculté, il n'y a pas de liberté. Il ne reste plus que des coups d'adresse prétenduement libéraux dont les peuples se fatiguent à la longue et qui ramènent plus ou moins promptement les règnes absolus, qu'on finit par préférer aux déceptions et à la tyrannie des exploitants sur les exploités, des exclusifs sur les exclus.

A Marche, il y a eu bon nombre d'électeurs commandés par des meneurs qui leur ont imposé des signes d'obéissance à l'ordre donné, tellement visibles qu'on est forcé de ne pas nier l'évidence de la contrainte.

Or, n'est-il pas clair aussi que, sans la pression exercée de la sorte contrairement à la loi, M. Jacques était élu ? Certes les billets signés du nom de l'électeur eussent été considérés comme nuls par le bureau lui-même.

Maintenant la Chambre sait que les billets ont été signés par des devises ; et qu'importe la forme de ces désignations des personnes ? La Chambre doit donc vouloir de même que leurs bulletins soient regardés comme nuls, et il en existe un trop grand nombre pour que l'on s'expose à commettre une erreur en attribuant à M. Jacques la vraie majorité des bulletins valables.

Si l'on agit autrement qu'arrivera-t-il encore ? Il arrivera qu'au mois de décembre, époque de la réélection, les électeurs éloignés ne viendront pas à Marche, et la violation préméditée de la loi triomphera probablement, non plus d'une manière directe, mais d'une autre non moins réelle, et peu importe aux habiles le mode de succès, pourvu qu'ils atteignent leur but qui est de remplacer le véritable élu de l'époque d'été fixée par le Congrès, pour lui substituer un élu du mauvais temps et des manœuvres défendues par la loi.

Messieurs, le représentatif, ainsi pratiqué, devient la proie des roueries.

Les majorités factices deviennent des majorités dominantes, et dès plus de liberté véritable.

En ce qui regarde l'élection de Bastogne, une liste d'électeurs dressée par les autorités compétentes existait sans réclamations préalables contraires. Elle n'a été formée dans aucune intention de faire passer ici ou tel candidat. Rien ne prouve qu'elle ait servi plutôt l'un que l'autre. Afin d'éviter les réélections, les listes doivent être et sont jusqu'ici reconnues permanentes en attendant formation nouvelle.

En effet, cette permanence malgré ses défauts éventuels est bien moins à craindre que les élections redoublées qui énervent l'exercice du droit, et cela est si vrai, que M. d'Hoffschmidt, je le dis encore, nommé dans les mêmes conditions que M. Lambin, eût été admis sans opposition sérieuse sur aucun banc ; car elle ne se fût prononcée ni sur ceux de ses amis, ni sur les nôtres, et si l'on mettait en doute mon affirmation, chacun sentirait bien au fond du cœur que je dis la vérité.

Je conclus pour l'admission de M. Jacques en qualité de représentant de l'arrondissement de Marche, parce qu'il a certainement la majorité des valables bulletins à l'époque désigné par le Congrès pour les élections prriodiques régulières, et parce que le devoir des conservateurs de l'ordre légitime est de repousser toutes les combinaisons qui lui sont contraires.

A cette condition, et à cette condition seule, la Belgique, comme (page 18) tout autre pays, peut conserver un régime libre et durable, chose difficile et rare depuis le commencement du monde.

M. Orts. - Messieurs, la Chambre est en présence de deux conclusions un peu différentes. Les conclusions du rapport de la commission et les conclusions que vient de reproduire l'honorable préopinant, lesquelles sont les conclusions de M. Jacques, l'une des parties intéressées dans ce débat, conclusions soumises par lui à la Chambre dans une pièce qui nous a été distribuée.

La commission de la Chambre a conclu à l'annulation de l'élection de Marche ; l'honorable M. de Mérode, s'inspirant aux conclusions de M. Jacques (interruption), ou, convaincu de la bonté des réclamations de M. Jacques, demande quelque chose de plus : il demande que la Chambre proclame député M. Jacques en remplacement de M. Orban-Francotte.

Les conclusions de la commission de la Chambre ont été appuyées tout à l'heure par l'honorable M. de Renesse qui s'est placé à un point de vue auquel je m'associerais complètement, si les faits sur lesquels s'est fondé l'honorable préopinant étaient parfaitement établis. Sans doute, si une élection quelconque était soumise à notre appréciation avec des faits constants, établissant qu'une contrainte morale, que la corruption ou la violence a vicié les opérations du scrutin, je serais le premier à m'élever contre l'irrégularité de ces opérations. Ou plutôt, je ne serais pas le premier, car tous, nous nous lèverions à la fois pour protester au nom du pays.

Le système proposé par l'honorable préopinant, le système que M. Jacques demande à la Chambre de sanctionner, est fondé sur ceci : l'élection de Marche est viciée par la présence d'un très grand nombre de bulletins qui, à l'aide de la couleur du papier, à l'aide de signes de ralliement, de devises, de qualifications données à un candidat, ou à d'autres signes extérieurs, peuvent facilement faire reconnaître, à une ou plusieurs personnes, que tels électeurs déterminés, à qui cette personne a remis ces bulletins, les ont réellement déposés dans l'urne. Ces bulletins seraient nuls aux termes de l'article 31 de la loi électorale. La loi annule, en effet, les bulletins dans lesquels l'électeur se fait connaître.

Examinant le premier point de la difficulté, je dis que cette appréciation, admise par votre commission, me paraît parfaitement inexacte. Je conviens volontiers que des bulletins, entachés de l'irrégularité sur laquelle on vous appelle à prononcer, peuvent avoir une valeur considérable au point de vue de la validité ou de l'invalidité de l'élection de Marche.

Mais ce n'est pas en les rapprochant de l'article 31 de la loi électorale, et en voulant les faire considérer comme des bulletins nuls qu'on peut arriver à cette conséquence. Je dirai tout à l'heure ce qui justifie l'opinion que je viens d'émettre.

Examinons, je le répète, ce premier point, parce qu'il est important ; si les bulletins sont considérés comme nuls, il faut évidemment les décompter, et la conclusion de la commission, dans ce cas, n'est plus logique. Il fallait aller jusqu'où sa minorité voulait la conduire.

Je dis que les bulletins entachés de ce vice, de cette irrégularité, ne sont pas des bulletins frappés de nullité par la loi. Pourquoi ? Parce que, à l'aide de ces qualifications surabondantes, inutiles, propres seulement à faire reconnaître par la seule personne qui a donné ou imposé pareils bulletins, si l'électeur auquel elle l'a remis l'a réellement déposé, vous n'arrivez pas à prouver qu'un bulletin semblable est nul.

Ce que la loi a voulu réprimer, en vue de maintenir le secret du vote et la régularité des élections, c'est le bulletin conçu de telle manière qu'il soit possible à tout le monde, au bureau, et à la Chambre qui doit plus tard prouver sur la validité de l'élection, de savoir qui a donné sa voix à tel candidat plutôt qu'à tel autre. (Interruption. Oh ! oh !)

Ne dites pas oh ! oh ! trop vite, vous vous en repentiriez bientôt, car, je vous l'annonce, j'opposerais l'intervention constante de la Chambre à l'interprétation que j'entends exprimer sur quelques bancs, sous forme de oh ! forme qui n'est pas excessivement probante, vous en conviendrez sans peine.

Prenez-y garde ; en entendant autrement la disposition de la loi, on s'expose à tomber dans des inconvénients de nature à rendre impossible la pratique du système électoral.

En effet, voici un fait fort simple et fort innocent : il va amener l'annulation d'une élection, si la théorie qui vient d'être appuyée par des oh ! oh ! est celle de la loi.

Il est incontestable qu'un citoyen peut écrire un bulletin pour un autre citoyen ; cela n'est pas interdit par la loi ; on n'exige point, que je sache, chez l'électeur la condition de savoir écrire. Je puis rencontrer un électeur illettré ; il peut me demander de mettre un nom sur son bulletin : j'y consens ; tout est bien. Pourtant, si je me trouvais parmi les hommes qui par l'organisation prévue à l'avance des bureaux pour les opérations électorales sont appelés à être scrutateurs, je reconnaîtrais, nécessairement, si mon électeur a mis dans l'urne le bulletin qu'il m'a chargé d'écrire. Le secret du vote sera violé à l'égard de cet électeur. Demanderez-vous la nullité de son suffrage ?

Les qualifications sont, dit-on, un moyen de reconnaître pour celui qui a confectionné ou remis le bulletin, si ce bulletin a été déposé dans l'urne par celui à qui il a été remis ; le fait est vrai, mais si toute qualification est interdite, il n'y aura souvent pas moyen de reconnaître d'une manière certaine à qui le suffrage doit être appliqué.

Prenons un exemple dans le fait actuel. L'arrondissement de Marche compte au moins deux familles du nom d'Orban, dont nombre de membres sont éligibles. Plus d'un parmi eux porte le prénom d'Henri ; plusieurs ont la profession d'industriels. Si l'on s'était borné a inscrire les noms et prénoms de M. Orban sans qualification, si l'on s'était borné à inscrire le nom et la profession, pareille désignation laissait incontestablement douteuse la question de savoir à qui s'appliquait le suffrage. Eh bien, devant cette difficulté, on a incriminé, sous l'empire d'une préoccupation de fraude, des qualifications très innocenits, celles de la profession commerciale par exemple, ou de chevalier de l'Ordre de Léopold ajoutées aux nom et prénom de l'élu, que sans ces qualifications, le bureau ne serait peut-être pas parvenu à deviner.

Donc, à moins d'aller beaucoup plus loin que ne veut la loi, nous devons admettre qu'un bulletin n'est pas nul parce qu'il contient une qualification pouvant le faire reconnaître par une ou par plusieurs personnes déterminées qui l'ont confié à un électeur afin de le déposer.

La nullité ne saurait atteindre que le bulletin contenant une indication de nature à faire reconnaître l'électeur, ou par le public assistant à l'élection, ou par le bureau, ou par la Chambre, enfin, qui contrôle l'élection. Avez-vous un bulletin pareil devant vous ? Je le demande à tout le monde, je le demande à M. Jacques lui-même. Vous prétendez, que des électeurs se sont fait connaître, en avez-vous reconnu un seul ? Nommez-le donc.

M. Jacques me répond qu'il ne peut nommer un seul des électeurs ayant déposé les bulletins qu'il incrimine.

Je le demande maintenant au bureau, le bureau me répond et sur son procès-verbal : « Il nous était impossible à nous, membres du bureau, de savoir qui avait déposé les bulletins à l'aide des qualifications qu'ils renfermaient ; nous, membres du bureau, nous déclarons qu'on ne pouvait pas reconnaître les électeurs, à l'aide de ces qualifications. » (Interruption.) Oh ! je ne dis pas du tout que cet état de choses soit un bien ; mais je demande si cela tombe sous les prescriptions de la loi. Je ne dis pas même que cela soit un fait parfaitement indifférent ; j'en démontrerai tout à l'heure les conséquences possibles ; et ces conséquences nous les accepterons tous, j'en suis convaincu.

Je poursuis et je demande maintenant à la Chambre, par qui l'on veut faire décider que ces bulletins indiquent les électeurs qui les ont déposés, je lui demande s'il y a un membre, un seul, qui soit capable, à l'aide des éléments que nous possédons, de dire : Tel bulletin appartient à tel électeur plutôt qu'à tel autre !

Donc, personne ne connaît jusqu'à présent ceux qui ont déposé les bulletins incriminés ; personne ne les connaîtra jamais. L'électeur qui les a déposés ne s'est pas fait connaître.

Messieurs, le fait des bulletins marqués constitue un abus réel ; je le reconnais sans peine, je ne marchande pas sur la qualification. Mais il a été reconnu par nous, comme par toutes les assemblées délibérantes, qu'un bulletin ne pouvait pas être annulé parce que l'électeur qui l'a déposé se serait fait connaître d'une personne déterminée en le faisant rédiger ou en l'acceptant rédigé par un autre.

Vous-mêmes, messieurs, vous avez eu votre attention attirée à une époque très remarquable sur cette circonstance et sur les facilités que la tolérance de la législation à l'égard de ces bulletins pouvait offrir à la fraude, ou plutôt à la violence, à la corruption tentant d'altérer la sincérité des opérations électorales.

En 1843, lors de la mémorable discussion sur les fraudes électorales, la section centrale, qui avait pour rapporteur l'honorable M. Malou, reconnut que dans l'état actuel de la législation, les faits que vous appréciez maintenant constituaient un abus, un danger même pour la sincérité du système électoral ; mais elle reconnut en même temps que l'état de législation ne présentait aucun remède à cet abus, aucun moyen d'écarter ce danger. Et l'honorable M. Malou crut un moment, au nom de la section centrale, avoir trouvé le remède en proposant à la Chambre d'autoriser la confection d'un papier électoral dont les électeurs seraient obligés de se servir.

Ce papier électoral uniforme, qui par conséquent ne pouvait être suspect pour la couleur, comme de quelques-uns des bulletins dont on a parlé, ce papier électoral devait être remis au nombre de cinq ou six exemplaires timbrés avec les lettres de convocation aux électeurs, et l'on n'aurait accepté d'autres votes que ceux qui auraient été inscrits sur ce papier officiel.

La proposition du remède atteste incontestablement que dans la pensée de la section centrale à cette époque, il n'y avait pas moyen, à l'aide de la législation existante, de réprimer l'abus qui nous occupe.

Je tiens à constater ce fait et à préciser le point de départ de mon examen.

Arrivé devant la Chambre, le papier électoral de l'honorable M. Malou fut l'objet de critiques très sérieuses de la part de M. le ministre de l'intérieur d'alors, l'honorable M. Nothomb. Ces critiques étaient fondées surtout sur ce que l'institution du papier électoral ne serait pas un remède efficace et donnerait ouverture peut-être à d'autres abus que ceux que l'on avait l'intention d'atteindre, et qu'on n'atteignait pas ; et l'honorable M. Nothomb, en discutant cette question, reconnut que, dans l'état actuel de la législation, ce qu'on présente aujourd'hui comme une cause de nullité n'était pas le moins du monde défendu par la loi. Voici ce qu'il disait, dans la séance où (page 19) s'est ouverte la discussion, en combattant la proposition dont je viens de parler et qui émanait de la section centrale.

« Je parlerai d'abord du papier électoral. J'ai beaucoup réfléchi à cette mesure depuis qu'il en est question, j'ai consulté des autorités et des fonctionnaires publics, j'ai acquis la conviction que le moyen serait à la fois gênant et inefficace. (Mouvement.) Il y a d'autres moyens très nombreux qui sont employés pour reconnaître les bulletins ; ces moyens on ne les atteint pas par le papier électoral. (Interruption.) Ces moyens sont en très grand nombre. On ajoute, au nom du candidat, des désignations plus ou moins inusitées, plus ou moins étranges. Un bulletin de ce genre, unique, est remis à l'électeur en qui on n'a pas une confiance absolue ; si ce bulletin ne reparaît pas au dépouillement, on en conclut que l'électeur a fait faute à celui qui lui avait donné le bulletin. Je pourrais citer un grand nombre de cas où ces moyens de reconnaissance ont été employés ; on a eu recours aux qualifications les plus bizarres. Il est un autre moyen auquel on peut recourir encore, que la loi n'interdit pas. On peut ajouter au nombre des candidats un nom de plus. Cela n'annule pas le bulletin. »

Aujourd'hui, messieurs, et par parenthèse, on vous propose d'en annuler, pour ce motif, au moins 20 ou 30. Je continue ma citation.

« Il faut que ce bulletin reparaisse, sinon on en conclut que l'électeur n'a pas tenu parole.

« Ainsi, il existe, pour reconnaître le bulletin, d'autres signes que le papier, et que nous ne pouvons pas atteindre.

« Malgré l'existence du papier électoral, on peut faire des signes extérieurs ; le moyen de reconnaissance existerait toujours, et consisterait, par exemple, dans la manière de plier le papier. Ll est impossible de prescrire de quelle manière les bulletins devront être plies, d'exiger qu'ils le soient tous d'une manière uniforme, sous peine d'être rejelés, car ce serait donner lieu à l'arbitraire le plus effrayant. Je crois donc qu'il ne faut pas se faire illusion sur l'introduction d'un papier électoral ; ear il ne remédierait à rien. On étuderait la disposition de la loi par la manière de plier le bulletin ou par un signe extérieur quelconque. Tous les moyens de reconnaissance que j'ai indiqués subsisteraient. »

Ainsi ce que l'on propose de considérer aujourd'hui comme une cause de nullité radicale des bulletins, était reconnu en 1843 par le gouvernement, et, vous allez le voir tout à l'heure, par la Chambre, comme choses que la loi n'atteignait pas dans l'état actuel de la législation et que le remède proposé ne ferait pas disparaître.

La Chambre, parfaitement convaincue par la vérité des observations de M. le ministre de l'intérieur d'alors, s'empressa d'abandonner le système du papier électoral. Ce système avorta complètement.

J'ai dit tout à l'heure que pour être d'accord avec l'esprit et le texte de la loi, on ne peut considérer comme nul un bulletin contenant un signe ou une qualification à l'aide duquel une ou deux personnes peuvent savoir si l'électeur l'a déposé ou ne l'a pas déposé. Messieurs, la Chambre en Belgique, la Chambre en France, à diverses époques, a posé des précédents parfaitement conformes à cette manière d'apprécier la question.

En 1848, lors de la session extraordinaire qui nous a appelés ici, au mois de juin, l'élection de Marche qui était alors l'élection de M. Jacques et non pas l'élection du compétiteur de M. Jacques, fut critiquée précisément par les mêmes moyens que ceux qui sont employés aujourd'hui dans les réclamations que vous avez à apprécier. On disait contre M. Jacques tout ce que M. Jacques dit aujourd'hui contre son concurrent, d'accord avec ceux qui lui prêtent l'appui de leurs réclamations et qui alors réclamaient contre lui.

M. Jacques ou ses partisans, disait-on, avaient déposé dans l'urne des bulletins signés, des devises plus ou moins étranges, plus ou moins bizarres, étrangères à l'objet des opérations électorales, et qui n'avaient d'autre portée que de faire connaître les électeurs ayant déposé ces bulletins.

Qu'avez-vous fait en 1848 ? Ce que vous avez fait en définitive depuis l'origine de notre système électoral, à l'égard des élections de Marche. Car, comme l'observait en 1848 M. le ministre des affaires étrangères, alors membre de la Chambre comme nous, depuis vingt ans toujours les élections de Marche ont été attaquées, et toujours la Chambre a rejeté les réclamations contre les élections de Marche. Vous avez déclaré, en 1848, qu'on n'attachait aucune importance à l'existence de devises ou de signes pouvant faire reconnaître le bulletin de tel ou tel électeur.

Vous n'avez pas établi cette confusion entre cette reconnaissance partielle, incomplète et la reconnaissance générale dont parle la loi. Les opinions individuelles de la minorité, en cette circonstance, interprétaient la loi comme la majorité. On discutait le fait : on s'accordait sur le droit.

Les honorables membres de cette Chambre qui, à cette époque, appuyaient les réclamations dirigées contre l'élection de M. Jacques et qui appuieront aujourd'hui les réclamations dirigées contre le compétiteur triomphant de M. Jacques, comprenaient la loi comme je la comprends encore aujourd'hui.

Dans la séance, du 28 juin 1848, l'honorable M. Dumortier, voulant définir ce qu'était un bulletin nul, s'exprimait en ces termes :

La loi porte :

« Les bulletins dans lesquels le votant se ferait connaître sont nuls.

« Or, on peut se faire connaître, non seulement en signant le bulletin, mais encore en ajoutant dès qualifications telles qu'aux yeux de tous le secret serait violé. Alors le bulletin serait nul. »

Ainsi, dans l'opinion de l'honorable M. Dumortier, le bulletin nul est celui qui contient une qualification telle qu'aux yeux de tous l'électeur était connu immédiatement après lecture du billet.

M. Dumortier. - Je demande la parole ; il ne faut pas me faire dire ce que je n'ai pas dit.

M. Orts. - Je cite textuellement vos paroles, d'après le Moniteur, vous ne pouvez le contester. Je puis ne pas interpréter ces paroles comme vous le faites ; mais la citation est fidèle : la Chambre jugera nos appréciations.

Au reste, une citation nouvelle va lever le doute. Voici maintenant ce que disait l'honorable M. de Theux dans la même séance.

« On prétend que le secret du vote aurait été violé en ce sens qu'il résulterait manifestement de la lecture des bulletins en faveur d'un candidat une désignation claire et précise des votants.

« Ce fait est d'une extrême gravité. »

De la lecture, donc pour ceux qui entendent lire, cela est clair, donc pour le public devant lequel on lit.

Je suis parfaitement d'accord avec l'honorable M. de Theux que si la lecture d'un billet faisait connaître d'une manière précise à l'auditoire celui qui l'a déposé, il n'y aurait plus de secret dans le vote et que le scrutin devrait être considéré comme nul.

Voulez-vous voir maintenant que le bureau de Marche et M. Jacques lui-même ont interprété la loi dans ce sens et sont d'accord avec la décision prise par la Chambre en 1845 et en 1848, avec les opinions individuelles exprimées par les honorables MM. de Theux et Dumortier ? Quant au bureau, il a constaté son opinion dans le procès-verbal.

Quant à M. Jacques, le bureau l'attesle, et je n'en fais pas un reproche à M. Jacques, c'était son droit et son intérêt, il était à côté des scrutateurs pendant toute la durée du dépouillement ; il se trouvait placé derrière le président.

Si les bulletins, dans sa pensée, avaient été nuls, à cause de la qualification qu'on incrimine aujourd'hui, M. Jacques aurait demandé immédiatement, a la lecture, que le bureau les rejetât du nombre des suffrages valables. Or, M. Jacques a attendu, et le bureau l'atteste encore, a attendu, dis-je, pour faire une réclamation, jusqu'à ce que l'élection de M. Orban-Francotte fût notoire pour tout le monde.

A ce retard étrange, je ne trouve qu'une raison plausible, car la vérité est attestée par le bureau dans son procès-verbal. Si le système défendu tardivement par M. Jacques était fondé, un certain nombre de bulletins attribués à M. Jacques tombaient sous l'application du même article de la loi électorale, et la réclamation, faite un peu trop tôt, pouvait tourner contre celui qui l'aurait faite.

Le procès-verbal des opérations du bureau électoral fait foi de ses énonciations jusqu'à inscription de faux. C'est là un principe élémentaire admis sans conteste par la doctrine et les précédents de tous les pays à régime électif. Toutefois, à propos de ces constatations de bulletins il est un fait contre lequel je prie la Chambre de se mettre quelque peu en garde.

Il m'a paru qu'en attachant contrairement aux principes une certaine valeur aux attestations de personnes qui protestent contre l'élection en contestant l'exactitude du procès-verbal. Je ne pense pas que l'opinion de simples particuliers puisse prévaloir dans l'esprit de la Chambre contre la décision de l'autorité que la loi charge de veiller à la régularité des opérations électorales. Il y a peut-être quelque chose qui engagerait la Chambre à donner, dans une certaine mesure, accueil à quelques-unes de ces protestations : c'est la signature donnée par un membre du bureau dans une espèce de certificat qui termine la protestation de certains électeurs contre l'élection de Marche.

Cette signature émanant d'un membre du bureau, n'a pour moi aucune valeur. Elle vaut moins que toute autre. S'il est un principe admis d'une manière incontestée par les précédents de toutes les assemblées parlementaires vérifiant les opérations électorales, c'est celui qu'un membre du bureau n'est jamais recevable à venir attester dans un certificat privé le contraire des faits qu'il a proclamés vrais par sa signature au bas du procès-verbal de l'élection.

Messieurs, les bulletins de nature à faire reconnaître les votants par une ou plusieurs personnes déterminées seulement ont été appréciés par les précédents des assemblées françaises, comme vous les avez appréciés en 1848 et 1843. Permettez-moi de vous en citer un seul ; j'en pourrais citer plusieurs.

J'emprunte mes citations au commentaire des lois électorales belges, publié par l'un de nos plus dignes magistrats, M. l'avocat général Delebecque, au savoir et à l'impartialité duquel chacun rend hommage. M. Delebecque les emprunte lui-même au recueil des précédents de la chambre française des députés, recueillis par M. Grün, l'un des rédacteurs du Moniteur, c'est-à-dire du recueil officiel des débats parlementaires.

Plusieurs fois la Chambre a repoussé des moyens de nullité tirés de ce que des bulletins contenaient des qualifications différentes, que l'on présentait comme des moyens employés pour connaître les auteurs des bulletins, et violer ainsi, avec le secret des votes, l'indépendance des électeurs.

Avant d'aborder ce point de plus près, je n'ai pas besoin de dire que (page 20) les dispositions de la loi électorale française, en ce qui concerne les bulletins contenant des désignations propres à faire connaître les électeurs qui les ont déposés, sont reproduites dans notre législation, car tout ce qui concerne le mécanisme des opérations électorales, nous l'avons emprunté à la législation française. Je continue.

« Elle a décidé que les désignations particulières données à un candidat sur plusieurs bulletins ne prouvent pas une influence étrangère qu'on aurait voulu exercer sur les électeurs ; on ne saurait surtout les reprocher à un candidat, si des signes de ralliement de cette nature se sont rencontrés aussi sur les bulletins attribués à son concurrent. Rapport de M. Daguenet sur l'élection de M. le général d'Houdetot. »

Or, les qualifications données au général d'Houdetot étaient celles-ci : Le général d'Houdetot n°2 ; d'Houdetot n°17. On incrimine des bulletins portant : Orban-Francotte, 48 ; un autre bulletin portait : Le général d'Houdetot, frère du pair de France ; on incrimine un bulletin portant : Orban-Francotte, frère de M. Frère.

Il en fut de même pour l'élection de M. Ressigeac en 1839 et de M. Simpérani, député de la Corse.

Il me semble parfaitement établi maintenant que les bulletins de cette espèce ne peuvent pas être réputés des bulletins condamnés par l'article 31 de la loi électorale. Le système de M. Jacques appuyé par M. de Mérode n'est pas le vrai système.

Mais est-ce à dire que les bulletins du genre de ceux qui vous sont soumis ne peuvent non pas directement, mais indirectement, être considérés comme un indice ou commencement de preuve de faits propres à invalider une élection ?

Oui, je le reconnais franchement, nettement, des bulletins de cette espèce peuvent être suspects, peuvent constituer des indices, vous amener à penser consciencieusement qu'une élection est entachée d'un des vices que voici : Vous êtes autorisés à soupçonner qu'on a imposé ces bulletins à des électeurs dont on se défiait au moyen, soit d'une violence morale, soit d'une violence physique, ce qui est plus rare mais non impossible, soit de la corruption.

Et si j'avais la conviction qu'il y a eu de la part des partisans de M. Orban une pression dont les bulletins incriminés seraient l'instrument, je n'hésiterais pas à annuler l'élection, non parce que les bulletins seraient nuls à mes yeux, mais parce que l'élection ne serait pas l'expression de la volonté libre du corps électoral.

Pour que cette conviction me pénètre, une condition m'est nécessaire. A côté des bulletins présentant un indice éventuel de fraude, un indice de corruption ou de contrainte possibles, il me faut une chose, et cette chose manque ; si elle ne manquait, la démonstration de l'invalidité de l'élection de Marche serait complète ; cette chose, c'est l'allégation d'un fait précis de violence morale ou de corruption à l'égard d'un électeur déterminé. Qu'on vienne me dire : On a fait violence à tel électeur, domicilié à tel endroit, pour le contraindre à déposer tel bulletin, je serai convaincu.

Mais qu'avez-vous ? Les indices d'une chose dont personne n'ose alléguer l'existence ; vous avez les indices d'un délit, et il n'est personne qui ose prendre la responsabilité d'affirmer que ce délit a été commis.

Dans cette situation, vouvez-vous prononcer une annulation ? Des faits de pression, en détermine-t-on un seul ? Cite-t-on une seule personne sur qui les partisans de M. Orban auraient pu exercer la pression dont les bulletins que vous avez à apprécier seraient les instruments ?

Personne n'a prononcé le nom d'une victime. La pression est dénoncée par une seule voix ; et cette voix est celle de M. Jacques, de M. Jacques qui n'a rien précisé ! Comprenant qu'il y avait des indices et pas de preuve, il a articulé le mot de pression dans sa protestation, et s'est borné à une allégation vague appuyée sur rien de palpable, de saisissable par la défense de ceux qu'il accuse.

D'un autre côté, on oppose une protestation, précise, nette, d'un nombre considérable d'électeurs de l'arrondissement de Marche, une protestation si nombreuse, qu'elle comprend nécessairement des électeurs ayant voté pour M. Jacques.

Le nombre des électeurs protestant contre l'accusation de pression est de 288 ; il dépasse d'une cinquantaine environ le nombre de voix obtenues par M. Orban-Francotte, qui n'était que de 243.

La protestation est donc signée par une fraction considérable du corps électoral de Marche qui n'est pas aussi nombreux que celui de nos grandes villes ; le corps électoral de Marche a compris qu'il est, en définitive, l'accusé dans ce débat, et il s'est victorieusement défendu. On l'accuse, car c'est lui qui aurait eu la faiblesse de céder à de mauvais moyens, la faiblesse de se rendre complice d'une véritable corruption électorale, et c'est lui, messieurs, que vous allez juger.

Si nous voulions répondre, au nom du corps électoral, à cette accusation vague de pression subie ou acceptée, les moyens ne nous manqueraient pas, croyez le bien ; c'est pour cela, c'est par prudence qu'on s'est abstenu de préciser ; nous renverrions sans peine l'accusation à son auteur, ou à ses amis, non plus sous forme d'indice dépourvu de caractère, saisissable, mais nous dirions en prouvant qu'il y a eu pression sur tel individu déterminé au profit, non de M. Orban, mais de son compétiteur. (Interruption,)

C'est, dit-on, un vice de plus ; soit. Si je parle de ces faits, ce n'est pas pour le plaisir de vous entretenir de mauvaises choses, plaisir assez mince ; je le fais pour répondre à ceux qui voudraient proclamer M. Jacques représentant de l'arrondissement de Marche comme étant un produit plus pur de l'élection que ne peut l'être M. Orban-Francotte. Amenés sur ce terrain, nous pourrions vous dire, nous pourrions vous prouver, à l'aide de pièces, et cela vous arrêtera peut-être devant la conclusion de M. Jacques, qu'on essayait à l'instant de justifier, nous pourrions vous dire que non seulement, comme l'atteste le bureau, un nombre important de bulletins déposés pour M. Jacques étaient entachés des mêmes vices que ceux que M. Jacques accuse ; mais que quelques jours avant les élections, on a fait les propositions que voici à plusieurs électeurs qu'on avait dans sa dépendance à titre de débiteurs, par exemple. Je me bornerai à lire une lettre. Je n'en ferai pas connaître le signataire.

M. Coomans. - Pourquoi pas ? il n'y a pas de mal.

M. Orts. - Il n'y a pas de mal ?

M. Coomans. - Non, il n'y pas de mal, puisque c'est une vilainie.

- Plusieurs voix. - Lisez donc.

M. Orts. - Vous l'exigez. Je cède, mais je tiens à constater que je ne fais, en lisant un nom propre, que céder aux sollicitations qui me sont parvenues de plusieurs bancs.

Voici donc, messieurs, une lettre adressée à MM. Remacle, à trois frères, habitants de l'arrondissement de Marche, électeurs et débiteurs arriérés du signataire et de sa famille.

« Stavelot, 7 juin 1854.

« Messieurs,

« Je viens vous demander comme un service de bien vouloir déposer aux élections du 15, les trois bulletins ci-joints. »

(Ces bulletins, les voici : ils sont sur papier jaunâtre, puisque le jaune paraît suspect à la commission dans cette affaire, ils sont uniformes et portent une qualification inutile, propre à former signe de reconnaissance dans le système que je combats, les mots : « de Marche », après ceux-ci : « représentant sortant ». Continuons.)

« Nous avons le plus grand intérêt à ce que M. Jacques réussisse.

« Personne n'en saura rien.

« Le plus grand secret sera observé.

« Mes frères vous laisseront tranquille et ne vous parleront de rien. »

Ceci est clair, parlant à un débiteur, (Interruption.) Je poursuis.

« Seulement un ami qui connaît mon écriture sera prié de voir si les trois bulletins écrits de ma main sortent de l'urne.

« Je vous serai bien reconnaissant pour m'être agréable,

« Recevez les compliments de votre dévoué.

« Orban-Nicolay. »

- Un membre. - Frère de celui qui demande l'annulation et de notre ancien collègue ? (Interruption.)

M. Orts. - L'histoire n'est pas finie ; c'est le premier acte du drame.

Malgré la position dans laquelle se trouvaient les trois individus auxquels la lettre est adressée, ils n'acceptèrent pas les trois bulletins écrits sur papier jaune. Ils refusèrent de voter pour M. Jacques.

La vengeance ne se fait pas attendre. Le papier timbré va compléter le sens déjà parfaitement clair de la lettre. Trois semaines après l'élection, commandement est adressé, au nom du signataire de la lettre et de ses frères, afin d'expropriation forcée. (Interruption.) Voici les pièces de la procédure. (Interruption.) Voilà de la pression ou je ne m'y connais plus et c'est là un beau titre pour faire, comme on le demande, substituer immédiatement l'élection de M. Jacques, opérée dans de telles conditions, à celle de M. Orban-Francotte.

Remarquez, messieurs, comme on l'observe à mes côtés, le commandement ordonnait de payer, dans les 24 heures, une somme de 20,000 francs, et vous comprenez sans peine que vingt mille francs ne sont pas faciles à trouver en vingt-quatre heures, surtout par un paysan de l'arrondissement de Marche.

Ce n'est pas tout.

Messieurs, l'histoire du régime parlementaire dans un pays voisin nous apprend qu'un homme politique du plus haut mérite se trouvait un jour menacé de non-réélection au parlement anglais. Cet homme, à son mérite politique, à son remarquable talent d'écrivain, joignait encore la qualité d'homme à succès, d'homme du monde très recherché dans la haute aristocratie de son pays ; c'était, si je ne me trompe, Sheridan.

Embarrassé de voir réussir sa candidature, attaqué par de nombreux adversaires politiques, peu populaire parmi la population mâle de Londres, il songea à l'appui des dames, et l'histoire nous apprend que cet appui lui fut largement accordé par la plus belle moitié du genre humain de cette capitale ; l'on cite même une belle et jeune duchesse qui paya d'un baiser le suffrage d'un charbonnier, en faveur de son protégé !

M. Jacques a trouvé la même protection. (Hilarité prolongée.) Permettez, messieurs ; ces rires sont trop vite et deviennent compromettants.... M. Jacques a trouvé la même protection jusqu'au baiser exclusivement. (Hilarité nouvelle.) Une dame (et de celle-là je ne dirai pas le nom, quelles que soient les provocations que l'on puisse m'adresser ; il y a pour cela de raisons de délicatesse que la Chambre pressentira facilement), une dame écrit à l'un de ses débiteurs, encore une fois, la lettre que voici, datée, je tais le lieu, du 26 mai 1854 :

(page 21) « M. de Moitelle. »

C'est le nom de l'électeur.

« J'ai appris que vous étiez électeur et comme je m'intéresse beaucoup à M. Jacques, je viens vous prier de bien vouloir voter pour lui, le 13 juin. A cette fin je vous remets inclus un billet. Si, contre mon attente, cela n'entrait pas dans vos vues, veuillez me retourner le billet et recevoir l'assurance de ma considération distinguée. »

Signé... C'est signé par une baronne, je ne dis pas le nom. (Hilarité.)

L'individu renvoie le bulletin parce qu'il ne vote pas pour M. Jacques, mais pour M. Orban ; il renvoie le bulletin et 8 jours après (ceci prouve que les dames ont la rancune politique moins patiente que les hommes, M. Orban Nicolaï avait, lui, patienté trois semaines), huit jours après, commandement en expropriation.

Le moyen devient réellement monotone, si bon qu'il soit.

Plaisanterie à part, je le répète, si ce n'est pas là de la pression, encore une fois, je ne comprends plus la signification du mot. Certainement, messieurs, vous n'attribuerez pas à M. Jacques, comme le produit de l'élection libre, les bulletins qui lui ont été accordés dans de telles conditions ; j'aurais conscience d'insister plus longtemps sur ce point.

En résumé, il est certain qu'il y a, dans cette affaire, quoi ? Des indices ; qu'on pourrait être amenés à suspecter, à supposer ; à vérifier peut-être en allant plus loin, l'existence d'une pression, si au moins cette existence était alléguée par quelqu'un ; mais en définitive, parce que des moyens propres à faciliter la pression des électeurs semblent avoir été employés, faut-il annuler l'élection ? Le faut-il alors surtout que, non seulement aucune plainte de pression n'a été faite par des électeurs ; mais que, au contraire, des protestations en sens opposé ont été signées par un nombre d'électeurs plus considérable que celui des voix obteuues par M. Orban-Francotte ?

Si vous agissiez ainsi, messieurs, vous seriez dans la position d'un jury ayant à juger un homme accusé de meurtre et le condamnant, parce qu'on aurait trouvé chez lui un poignard, parce qu'un poignard est un instrument au moyen duquel on peut donner la mort, sans que personne songe à établir qu'une personne a été assassinée. Ce verdict serait-il juste ? Serait-il raisonnable ? Eh bien, c'est le verdict qu'on propose de rendre contre M. Orban-Francotte.

On vous dit : Des bulletins comme ceux que vous voyez là peuvent servir à vicier les élections ; sans doute, comme le poignard peut servir a commettre un assassinat ; mais il n'y a pas de victime, personne ne se plaint ; au contraire, on proteste et les protestations sont appuyées par les hommes les plus honorables, par un membre du Sénat, par le président du tribunal de Marche, par le bourgmestre, par tout ce qu'il y a de plus haut placé et de plus indépendant dans l'arrondissement.

Je le répète, si une accusation positive était articulée contre les bulletins qui sont là, je n'hésiterais pas à me joindre aux membres de la Chambre qui demandent l'annulation des élections ; mais l'accusation manque complètement, et je ne puis pas suivie la commission sur les simples indices qu'elle nous montre à défaut du corps de délit.

Un dernier mot et je finis. Si j'avais un conseil à donner, non pas à l'élu de Marche, car je craindrais qu'en cette matière si délicate et si personnelle, sa susceptibilité n'allât au-delà de ce qui est juste et nécessaire, un conseil à ses amis, voire même à la Chambre, je dirais : Dans l'intérêt de notre dignité mutuelle, faites pour l'élection de Marche quelque chose ; je ne propose rien, parce qu'il n'y a pas d'accusation, mais j'entendrais volontiers dire à la Chambre : Il faut que le système électoral sorte pur de ce débat regrettable, que l'élection de chacun de nous, demeure, comme elle l'a été jusqu'ici, au-dessus de ces soupçons.

Pour qu'il en soit ainsi, que faut-il ? La lumière sur les faits, une enquête, éclairons-nous !

M. Dumortier. - L'honorable membre qui vient de se rasseoir a commencé par adresser aux bancs sur lesquels je siège une admonition qui n'est point très agréable ; il nous a dit qu'en 1848, nous avons voté contre l'élection de Marche, où il se trouvait des bulletins marqués et que probablement les mêmes hommes allaient voter en sens inverse. (Interruption.) Je pourrais facilement retourner l'observation contre l'honorable membre et ceux qui ont voté comme lui, mais il y a cette différence que nous, en 1848, nous avons voté contre l'élection de Marche, pourquoi ? Précisément parce qu'il y avait des bulletins marqués. Nous n'en voulions pas au profit de M. Jacques, nous n'en voulons pas contre M. Jacques.

L'honorable membre a relevé quelques-unes de mes paroles ; je voudrais bien qu'il me communiquât la phrase qu'il a extraite du Moniteur. (M. Orts fait passer un papier à l'orateur.) Voici, messieurs, cette phrase, et je prie la Chambre de bien vouloir y faire attention, car ces fragments de discours que l'on cite sont très pénibles ; ainsi hier l'honorable député qui a terminé la discussion a cité également un passage d'un de mes discours, et si nous prenons le discours tout entier, on y voit tout autre chose que ce que l'honorable membre y a vu. Voici la phrase que l'honorable M. Orts a citée :

« La loi porte :

« Les bulletins dans lesquels le votant se ferait connaître sont nuls.

« Or on peut se faire connaître non seulement en signant le bulletin, mais encore en ajoutant des qualifications telles qu'aux yeux de tous le secret serait violé. Alors le bulletin serait nul. S'il était démontré que de tels bulletins ont été déposés en nombre considérable, comme on le dit dans la pétition, évidemment vous auriez un devoir à remplir, ce serait d'invalider l'élection. »

Qu'est-ce que cette phrase signifie ? Elle signifie que pour que le secret soit violé aux yeux de tout le monde, il ne faut pas que le vote soit public, que tout le monde sache qui a déposé le bulletin ; cela veut dire en bon français qu'il suffit qu'il y ait une dénomination ajoutée au bulletin pour que le secret soit violé. En voulez-vous la preuve ? Voici ce qui n'a pas été lu :

« ... Alors le bulletin serait nul s'il était démontré que de tels bulletins ont été déposés en nombre considérable, comme on le dit dans la pétition ; évidemment vous auriez un devoir à remplir, ce serait d'invalider l'élection. »

L'honorable M. Orts aurait dû rappeler aussi ce que je disais dans la séance précédente, et il est vraiment déplorable que nous devions toujours avoir le Moniteur pour voir si les citations que l'on fait sont exactes. Je prie la Chambre de bien faire attention à ceci. Car pour un député la consistance politique est quelque chose, et il est pénible de se la voir enlever par des citations qui ne sont pas rigoureuses.

Voici les paroles que je prononçais dans la séance de la veille : « Un autre fait qui présente de la gravité, c'est qu'une grande quantité de bulletins étaient marqués, et qu'un des électeurs, au profit de qui ces bulletins étaient faits, se tenait près du bureau pour vérifier ces bulletins.

« En présence de pareils faits, que devient le scrutin secret qui est expressément ordonné par la Constitution et par nos lois ? Si vous tolérez de semblables irrégularités, alors admettez mieux que cela, admettez le vote public avec toutes ses conséquences. Pour moi, j'ai toujours désiré et je désire encore le vote public ; mais tant que la loi qui a décidé le contraire existe, respectons-la. »

Vous voyez que loin de tirer de mes paroles la conséquence qu'en tire l'honorable M. Orts, j'ai dit précisément le contraire et j'ai soutenu alors précisément ce que je soutiens aujourd'hui.

Messieurs, j'arrive à la question.

L'honorable membre a posé la question sur le terrain le plus large, et véritablement je me trouve forcé de lui répondre. Dans la réponse que j'aurai à lui opposer, je devrai faire voir les conséquences du système dans lequel il s'est placé. Je prie la chambre d'être bien convaincue que dans les paroles que je vais prononcer, il n'y a rien, ni directement ni indirectement, qui fasse allusion à l'élu du district de Marche dont il s'agit.

Que porte la loi électorale ? L'article 31 de la loi électorale porte : « Les bulletins dans lesquels les électeurs se feraient connaître sont nuls. » Voilà la loi. Il suffit donc, aux termes de la loi, que les électeurs se soient fait connaître ; elle ne dit pas de qui ils ont dû se faire connaître.

La loi ne dit pas, comme l'honorable M. Orts, qu'il faut que les électeurs se soient fait connaître de tout le monde, qu'ils se soient fait connaître du bureau, qu'ils se soient fait connaître de la Chambre, qui ne connaît pas les électeurs du district de Marche. La loi dit simplement qu'il suffirait que l'électeur se fût fait connaître. (Interruption.) Remarquez-le ; c'est une condition essentielle du vote secret ; je cite le texte de la loi. C'est donc au conditionnel que parle la loi ; c'est une condition indispensable du vote que l'électeur ne peut pas se faire connaître.

M. Orts. - De qui ?

M. Dumortier. - De qui que ce soit. Ne tombez pas dans l'absurde, je vous en prie. (Nouvelle interruption.)

M. le président, si l'on ne veut pas m'écouter, je devrai me rasseoir.

- Plusieurs membres. - Parlez !

M. Dumortier. - L'électeur ne peut pas se faire connaître, et pourquoi ? Parce que nous vivons sous le régime du scrutin secret, en matière d'élections.

Vous le savez, il y a deux modes en matière d'élection, le mode anglais et le mode que nous avons emprunté à la France, le mode public et le mode secret.

En Angleterre, chaque électeur arrive au bureau et déclare à haute et intelligible voix qu'il vote pour tel ou tel candidat. On n'a pas voulu de ce système ; on a voulu que l'électeur pût voter en pleine et entière conscience, qu'aucune pression, qu'aucune violence quelconque ne pût être exercée sur lui. On a voulu qu'il pûl voter seul et comme il l'entendait, et la loi a exigé le vote secret.

Après avoir exigé le vote secret, la loi a déclaré, vous venez de le voir, que l'électeur qui se serait fait connaître, aurait déposé un bulletin nul.

Mais, que dit à cela l'honorable M. Orts ? Il vous répond que le bulletin nul, en vertu de l'article 31 de la loi, n'est que celui de la personne que le bureau, que tout le monde, que la Chambre peut reconnaître.

Voyez la conséquence d'un pareil système, c'est-à-dire que vous donneriez ici une prime d'encouragement à la plus honteuse des immoralités, que vous admettriez cette possibilité qu'il y eût un marchand et un vendeur, et qu'il n'y eût que le marchand et le vendeur seuls qui pussent connaître ce qui s'est fait.

Voilà la conséquence directe du système que présente l'honorable M. Orts. Or, je vous demande si un pareil système ne serait pas repoussé par la moralité publique.

Je le répète itérativement, je ne fais ici aucune allusion, je combats un système absolu qui vous est présenté, et je dois en démontrer les (page 22) funestes conséquences. Je dis que ce système permettrait des marchés honteux, permettrait d'acheter des votes, pourvu que le marché ne fût connu que du marchand et du vendeur, parce qu'on pourrait toujours dire, comme on vient de le faire : les votants ne sont pas connus de tout le monde, ils ne sont pas connus du bureau, ils ne sont pas connus de la Chambre, par conséquent le vote est valide. Eh bien, il suffit de signaler un système pareil pour le combattre.

L'honorable membre s'est appuyé sur un second point.

L'honorable M. Jacques, dit-il, a attendu jusqu'à ce que l'élection fût à peu près achevée pour faire sa réclamation, mais y a-t-il un délai fixé dans la loi pour faire une réclamation sur les élections ? Les réclamations peuvent se faire aussi longtemps que le procès-verbal n'est pas signé.

Nous voyons même des réclamations qui arrivent bien longtemps après que le procès-verbal est signé, des réclamalions qui nous arrivent à l'insu des personnes intéressées et la veille du jour où nous allons nous livrer à la vérification des pouvoirs de l'élu.

Et vous trouveriez mauvais que M. Jacques eût fait sa réclamation à la fin de l'élection ? Mais comment avez-vous donc pu admettre la réclamation dont vous vous êtes occupés hier et qui nous était arrivée la veille, sans être comme auparavant de personne ? M. Jacques pouvait réclamer pendant toute la durée des opérations. Aussi longtemps que les bulletins n'étaient pas brûlés, il avait le droit de faire des réclamations. Depuis le dépouillement du premier bulletin jusqu'à celui du dernier, il avait le droit de demander la conservation de ceux qu'il ne croyait pas valables et leur adjonction au procès-verbal. Peu importe s'il l'a fait tôt ou s'il l'a fait tard, il était dans la légalité, et l'objection qui est faite ici ne repose sur rien.

, Les bulletins sont donc conservés. Or, je viens de prendre au hasard un de ces paquets de bulletins que M. le rapporteur a catégorisés ; voyons ce que sont ces bulletins. Le paquet que je liens ici en contient 21, tous écrits de la même main, et voici comment ils sont différenciés.

« M. Henri Orban-Francotte de Liège, l'ami des ouvriers. »

« M. Henri Orban-Francotte de Liège, propriétaire à Prelle, près Erneuville. »

« M. Henri Orban-Francotte de Liège, mon ami. »

« M. Henri Orban-Francotte de Liège, propriétaire au Rondchêne, près Villers-aux-Tours. »

« M. Henri Orban-Francotte de Liège, propriétaire au Rondchêne, près d'Esneux. »

« M. Henri Orban-Francotte de Liège, propriétaire à Sainte-Ode, Buzenol et autres lieux. »

« M. Henri Orban-Francotte de Liège, l'ami de mon père. »

« M. Henri Orban-Francotte de Liège, propriétaire à Buzenol, près Virton. »

« M. Henri Orban-Francotte de Liège, l'ami des beaux-arts. »

« M. Henri Orban-Francotte de Liège, propriétaire à Prelle, près d’Ortenville. »

« M. Henri Orban-Francotte, l'ami des houilleurs. »

« M. Henri Orban-Francotte de Liège.

« Vive l'établissement de la Vieille-Montagne à Angleur. »

« M. Henri Orban-Francotte de Liège.

C'est de tout cœur. »

« M. Henri Orban-Francotte de Liège.

Je lui vendrai mes mises. »

« M. Henri Orban-Francolte de Liège, associé de M. Dawans pour la fabrication des clous. »

« M. Henri Orban-Francotte, de Liège.

« Vive le Roi des Belges ! i

(Cette addition a été faite au crayon, probablement parce qu'on s'est aporçu, après coup, que le bulletin n'était pas assez reconnaissable.)

« M. H. Orban-Fraucotte de Liège, l'ami des forgerons. »

« M. H. Orban-Francotte de Liège, entrepreneur de l'éclairage de Liège. »

« M. H. Orban-Francotte de Liège, propriétaire à Buzenol, Sainte-Ode et Prelle. »

« M. H. Orban-Francotte de Liège, propriétaire à Buzenol près d'Etalle. »

« M. H. Orban-Francotte de Liège, propriétaire et grand industriel à Grivegnée prés Liège. »

Voyez, messieurs, s'il est possible d'admettre qu'on puisse faire des élections d'une pareille manière ? Il y a plus de cent bulletins comme ceux dont je viens de donner lecture et qui contiennent tous une indication propre à faire connaître l'électeur. Eh bien, messieurs, je vous demande si ce n'est pas là tout à fait le cas prévu par l'article 31 de la loi électorale, qui porte : « Sont nuls les bulletins dans lesquels l'électeur se serait fait connaître. »

Il m'importe fort peu de savoir quelle peut avoir été à cet égard l'opinion de M. Nothomb ; l'opinion de M. Nothomb ne fait pas la loi.

La Chambre a, il est vrai, rejeté et probablement rejeté à tort le papier timbré que proposait mon honorable ami, M. Malou, mais elle l'a rejeté uniquement parce qu'elle n'a pas approuvé ce moyen d'assurer la sincérité des votes et nullement parce qu'elle aurait voulu admettre qu'on pût insérer dans les bulletins des désignations propres à faire connaître Jes votants. Si la Chambre avait voulu poser un semblable principe, elle aurait eu mieux à faire, c'eût été de supprimer l'article 31 de la loi électorale.

Du reste si l'on admettait qu'il fût possible de voter de telle sorte que le vote de chaque électeur fût connu et connu de celui là seul qui a remis le bulletin, je déclare, pour mon compte, que j'aimerais mille fois mieux le vote public comme en Angleterre.

Que chacun ait le courage de venir dire publiquement : « Je vote pour un tel. » Alors au moins il y aura de la franchise, mais y a-t-il la moindre franchise dans un système où le vote d'un électeur est connu seulement de celui qui lui a remis son bulletin ? Je dis qu'une pareille opération est une opération honteuse et de nature à vicier complètement le principe des élections. Avec un tel système la sincérité des élections n'existe plus, et tout notre système représentatif repose sur cette seule et unique chose, la sincérité des élections.

Je sais, messieurs, que cet abus tend à s'infiltrer dans le pays, et je pourrais citer des élections récentes où il a également eu lieu sur une grande échelle ; mais c'est précisément parce que cet abus tend à s'infiltrer en Belgique, que nous devons le réprimer par tous les moyens qui sont en notre pouvoir.

Il faut que les élections soient sincères, il faut que les Chambres soient la représentation sincère du pays.

Vous vous inquiétez, messieurs, d'un vote certain ou incertain, vous vous inquiétez du point de savoir si les listes électorales sont permanentes, vous discutez pendant une séance entière sur un demi-vote ou un quart de vote, et vous admettriez un système qui n'est autre chose quela corruption électorale. Cela n'est pas possible, je dis qu'il est impossible d'admettre comme régulière une élection où il y au-delà de 100 bulletins marqués comme ceux dont j'ai donné lecture,

Il est incontestable qu'une pareille élection ne peut pas être validée. J'ai voté contre l'admission de M. Jacques, lorsqu'on ne faisait que signaler qu'il y avait eu des bulletins marqués ; à plus forte raison je vote aujourd'hui contre l'admission du concurrent de M. Jacques, lorsque nous avons entre nos mains plus de cent bulletins marqués sur 300 électeurs.

M. Rousselle, rapporteur. - Messieurs, mon intention en demandant la parole n'a pas été de suivre dans toutes leurs argumentations les honorables membres qui ont parlé avant moi. Je veux seulement faire observer que dans le discours très savamment étudié de l'honorable M. Orts, son opinion est formulée de manière qu'elle s'écarte très peu des conclusions de la commission.

La commission n'a pas voulu entrer dans le système de la nullité des bulletins, aux termes de l'article 31 de la loi électorale.

Pourquoi ? C'est d'abord parce que cette question n'était pas soulevée par le procès-verbal de l'élection, ensuite parce qu'elle a été produite, après coup, par M. Jacques dans sa réclamation à la Chambre et dans son seul intérêt ; enfin parce qu'il n'est pas douteux pour la commission que la même manœuvre électorale qui a été employée en faveur de M. Orban-Francotte, l'a été aussi en faveur de M. Jacques.

Or, les bulletins qui portaient le nom de ce dernier, avec des énonciations spéciales, n'ayant pas été mis sous les yeux de la commission, il lui aurait été impossible de savoir qui avait eu la majorité absolue ; et en appliquant rigoureusement l'article 31 de la loi contre les bulletins de M. Orban-Francotte seulement, nous risquions de faire un membre de la Chambre contre la volonté sainement exprimée du collège électoral de Marche.

La question du vice, de l'irrégularité de l'élection, est pour la commission fort simple. Le vote doit être secret, pour qu'une élection soit régulière, et puisse être validée par la Chambre.

Or, à la vue de la masse de bulletins qui vous sont soumis, peut-on dire que le vote de la plupart des électeurs de Marche a été secret ? Nous ne l'avons pas pensé. Les membres de la Chambre ont pu s'édifier sur ce point, et pour que le pays soit également édifié, je vais au hasard prendre dqux catégories de bulletins.

Voici un dossier qui en comprend 17 ; ils sont tous de la même main :

1. « M. Henri Orban-Francote de Sainte-Ode, l'ami des industriels.»

2. « M. Henri Orban-Francotte de Sainte-Ode, l'ami des avocats. »

3. « M. Henri Orban-Francotte de Sainte-Ode, l'ami du Luxembourg. »

4. « M. Henri Orban-Francotte de Sainle-Ode, l'ami de l'agriculteur. »

5. « M. Henri Orban-Francotte de Sainte-Ode, l'ami de l'arrondissement. »

6. « M. Henri Orban-Francotte de Sainte-Ode, l'ami des campagnards. »

7. « M. Henri Orban-Francotte de Sainle Ode, l'ami des sacristains. »

8. « M. Henri Orban-Francotte de Sainte-Ode, l'ami du bien public. »

9. « M. Henri Orban-Francotte de Sainte-Ode, l'ami Marchois. »

10. « M. Henri Orban-Francotte, l'ami de M. Tesch. »

11. « M. Henri Orban-Francotte de Sainte-Ode, l'ami de M. Mersch. »

12. « M. Henri Orban-Francotte de Sainte-Ode, l'ami de M. le baron de Favereau. »

13. « M. Henri Orban-Francotte de Ste-Ode, l'ami de M. Dupont. »

14. « M. Henri Orban-Francotte de Ste-Ode, l'ami de M. Collin. »

(page 23) 15. « M. Henri Orban-Francotte de Ste-Ode, l'ami du médecin Henroz. »

16. « M. Henri Orban-Francotte de Ste-Ode, l'ami du médecin Deliége. »

17. « M. Henri Orban-Francotte de Ste-Ode, l'ami du médecin Alexandre. »

Ne voit-on pas déjà, par ces bulletins, la preuve que celui qui les a distribués s'est ménagé le moyen de reconnaître si l'électeur a tenu envers lui sa promesse. ?

Voici un autre petit dossier contenant 18 bulletins tous encore d'une même main, mais autre que celle de la précédente catégorie. Les indications semblent avoir été combinées pour avoir un moyen plus facile encore de reconnaissance ; nous en extrayons huit qui méritent surtout votre attention.

« Je vote pour M. Henri Orban-Francotte comme représentant et pour Léopold Thonus, comme conseiller provincial. »

« Je vote pour M. Henri Orban-Francotte, comme représentant et pour M. Victor Defavereau, comme conseiller provincial. »

« Je vote pour M. Henri Orban-Francotte, comme représentant et pour M. Truck, comme conseiller provincial. »

« Je vote pour M. Henri Orban-Francotte, comme représentant et pour M. Collin, avocat, comme conseiller provincial. »

« Je vote pour M. Henri Orban-Francotte, comme représentant et pour M. Louis Thonus, comme conseiller provincial. »

« Je vote pour M. Henri Orban-Francotte, comme représentant et pour M. Napoléon Collin, comme conseiller provincial. »

« Je vote pour M. Henri Orban-Francotte, comme représentant et pour M. Gcndebien, comme conseiller provincial. »

« Je vote pour M. Henri Orban-Francotte, comme représentant et pour M. Alexandre, comme conseiller provincial. »

Comment, si l'on ne voulait pas avoir une marque certaine pour reconnaître le votant, venait-on mêler le conseil provincial alors que le collège électoral s'était convoqué que pour nommer un représentant ?

Mais nous le disons avec une entière conviction : il y a là une mauvaise manœuvre qui semble érigée en système dans les élections de l'arrondissement de Marche, et que la Chambre doit frapper de sa réprobation pour qu'elle prenne fin et qu'elle ne s'etende pas ailleurs, au grand détriment de la moralité, de la vérité des élections.

Messieurs, la commission comprend très bien qu'on exerce l'influence que l'on peut avoir dans son arrondissement pour faire sortir du scrutin le candidat de sa prédilection ; mais ce qu'elle ne comprend pas, ce qu'on ne doit pas tolérer, c'est que les personnes influentes remettent aux électeurs des billets conçus de telle sorte qu'elles pourront savoir comment auront voté ceux qui sont sous leur dépendance ; voilà ce qu'elle n'admet pas, à quelque parti qu'on appartienne ; il faut que les personnes auprès desquelles on va exercer son influence, et dont on a reçu une promesse, par une raison quelconque, il faut que ces personnes puissent aller au scrutin déposer librement le vote secret que leur conscience leur a dicté ; il ne faut pas qu'on puisse leur prouver par un fait matériel, qu'elles n'ont pas voté pour le candidat qui leur avait été recommandé.

Voilà ce que la commission ne veut pas, et voilà, je l'espère, ce que la Chambre ne tolérera pas.

M. Verhaegen. - Messieurs, hier, la Chambre, pour l'élection de Bastogne, a prononcé l'ajournement et ordonné une vérification. L'honorable comte de Mérode a débuté par critiquer la décision de la Chambre, et il a même adressé à un des ministres, M. Van Hoorebeke, le reproche de s'être trouvé parmi les membres de la majorité. (Interruption.)

J'ai parfaitement compris, c'est pour cela que je relève l'observation, M. le comte de Mérode a agi ainsi parce qu'il trouve que c'est inutilement faire déplacer les électeurs que de prononcer une annulation d'élection ; et aujourd'hui l'honorable comte de Mérode fait un discours pour arriver au même résultat, c'est-à-dire pour demander un déplacement d'électeurs. (Interruption.) Car votre proposition principale, vous ne la soutenez pas sérieusement ; vous voudriez faire proclamer M. Jacques, l'élu de l'arrondissement de Marche, que vous seriez certain d'encourir la désapprobation de tous vos amis ; comment pourriez-vous proclamer M. Jacques député de Marche, lorsqu'il y aurait contre l'élection de M. Jacques, si elle était proclamée, les griefs les plus sérieux ? Mais, vous n'y pensez pas ; il serait parfaitement inutile d'insister davantage sur ce point.

Il y a eu pression, il y a eu violence morale, cela est prouvé ; mais de la part de qui ? De la part de M. Jacques ou de ses partisans ; car nous apportons des pièces authentiques constatant cette pression, cette violence. Il en est toujours ainsi, l'on veut voir chez ses adversaires ce qu'on a ordinairement à se reprocher à soi-même. On a voulu faire entrevoir la possibilité d'une pression de la part de M. Orban ou de ses partisans, alors qu'il n'y a aucune preuve, tandis qu'il est constaté par pièces authentiques que ce reproche devait s'adresser à M. Jacques et à ses partisans.

Sur la première question je n'insisterai donc pas ; M. le comte de Mérode n'a pas fait sa proposition sérieusement, s'il la maintient, il sera isolé sur son banc, il ne sera pas soutenu par ses amis. N'insistons donc pas.

Maintenant l'élection doit-elle être annulée ? Telle est la question sur laquelle la Chambre a à se prononcer.

Il y a un grand nombre de bulletins qui à raison des énonciations extraordinaires qu'ils contiennent doivent, non pas être annulés, car ce serait revenir au premier système, mais jeter du doute quant au résultat de l'élection ; il faudrait dès lors faire un nouvel appel aux électeurs.

J'ai entendu émettre, à raison des énonciations que des bulletins pouvaient contenir, des doctrines tellement extraordinaires, que force m'est de dire quelques mots en réponse au discours de l'honorable M. Dumortier. D'après cet honorable membre, aux termes de l'article 31, le bulletin de vote doit être fait de telle manière que personne ne puisse savoir qui en est l'auteur. Dès lors, si vous voulez que l'auteur du bulletin ne puisse être connu, savez-vous où vous allez avec ce système ? Il faut interdire à l'électeur de l'écrire. La loi l'ordonne, me dit-on ; la loi dans ce casse mettrait en contradiction avec elle-même ; mais la loi n'ordonne pas que le bulletin soit écrit par l'électeur.

Si on poussait à ses dernières limites l'argument que le bulletin doit être fait de manière que celui qui le dépose ne puisse pas se faire connaître, il faut déclarer qu'il ne peut pas l'écrire lui-même.

Vous voyez que ce système n'est pas admissible. Voyez quelles en seraient les conséquences. Tous les bulletins pourraient être incriminés, comme dans l'espèce. Mais sans avoir besoin de recourir à des énonciations extraordinaires, je pourrais avoir trois à quatre cents combinaisons en ne me servant que des désignations nécessaires, aux termes de la loi. Ainsi, M. Henri Orban-Francotte, industriel, en changeant l'ordre des noms et prénoms, en mettant marchand de clous, fabricant de fer, puis encore, si vous voulez, en introduisant quelques fautes d'orthographe et faisant d'autres arrangements auxquels vous n'auriez rient à dire, on arriverait à 300 ou 400 combinaisons. Est-ce là ce que la loi a voulu interdire ? S'il en était ainsi, l'élection deviendrait impossible ; non, la loi a voulu empêcher qu'on n'employât des moyens tels, qu'une pression pût s'exercer sur les électeurs.

Les circonstances que vous alléguez peuvent être des présomptions à l'appui d'un grief, mais ne constituent pas ce qui est nécessaire, aur termes de la loi, pour entraîner l'annulation d'une élection. Il s'est fait là, on n'a pas assez insisté sur ce point, ce qui s'est fait toujours en pareille occurrence dans les élections, c'est ce qu'atteste un homme très estimable, un magistrat qui a depuis longues années constamment présidé les élections. Le président du tribunal de première instance M. Mersch déclare :

« 1° Que, durant l'appel des électeurs et le recueillement des bulletins, M. Jacques, l'un des candidats, s'est tenu constamment derrière le bureau, debout, suivant avec attention la présentation et le dépôt du bulletin ;

« 2° Que, durant l'appel des électeurs et le dépôt des bulletins, il n'a fait aucune réclamation, aucune observation, et qu'il n'y en a eu d'aucune part ;

« 3° Que, durant le dépouillement du scrutin, M. Jacques a conservé la même position, la même attitude que ci-dessus, sans aucune réclamation, sans aucune observation : que ce n'est qu'au moment où le dépouillement du scrutin accusait la majorité absolue à M. Orban-Francotte, à une ou deux voix près, qu'il a élevé la réclamation portée au procès-verbal, en débutant lui-même par dire qu'il voyait bien que M. Orban-Francotte obtenait la majorité, mais qu'il avait une réclamation à faire sur laquelle la Chambre des représentants aurait à statuer, à savoir que le résultat était dû à la pression exercée sur les électeurs, ce qui résultait des variantes que renfermaient les bulletins nommant M. Orban-Francotte ;

« 4°Que lui ayant demandé de formuler lui-même sa réclamation par écrit, le bureau n'ayant pas à s'occuper de la position de sa thèse, y a consenti, et cette pièce a été jointe au procès-verbal ;

« °* Que dans toutes les élections présidées par lui, et il les a présidées toutes depuis la loi électorale de 18351, M. Mersch a remarqué, dans bon nombre de bulletins, des variantes, des épigrammes, des devises bizarres, de doubles noms, sans que cela ait donné lieu à une seule réclamation. »

Ajoutons à cela qu'il y avait des bulletins de M. Jacques qui portaient des énonciations semblables.

Dans ces circonstances, admettlra-t-on le système qu'on vous a présenté ? Je ne le pense pas.

Tout ce qui pourrait en résulter au pis-aller (et nous ne reculons pas devant cette mesure ; car nous voulons que tout ce qui tient à la moralité de l'élection soit sauvegardé) ce serait que l'on indaguât sur les faits, et qu'on examinât si réellement il y a eu dans les élections de Marche quelque violence, quelque pression, quelque atteinte à la liberté électorale.

On a tantôt parlé de ce qui s'est fait en 1848. L'honorable M. Orts avait parlé du discours de l'honorable M. Dumortier, et celui-ci nous a dit tantôt que l'assertion de M. Orts ne se trouvait pas vérifiée au Moniteur. Il était en désaccord avec mon honorable ami. Eh bien, l'honorable M. Dumortier voudra bien me suivre ; je vais lire son discours :

« Vous le voyez, messieurs, les faits signalés dans la pétition sont tels que la Chambre ne peut pas se dispenser d'en faire l'objet d'une enquête. J'ai signalé hier le fait du secret du vote qui a été violé, le fait d'armes à feu portées dans la salle, dans un moment où l'on faisait usage d'armes (page 24) à feu hors de la salle. Je signale maintenant le fait de la promesse d'un subside de 1,000 fr. à une commune, dans le cas de l'élection de M. Jacques ; fait sur lequel on offre de faire entendre un membre de l'admi nistration communale. Je dis que de tels faits ne sont pas de nature faire invalider une élection, qu'il est indispensable qu'avant de statuer, la Chambre prenne des renseignements sur leur réalité. »

M. Dumortier. - Il n'y avait pas de preuve.

M. Verhaegen. - Il n'y a pas la moindre preuve de pression, de violence morale, d'atteinte à la liberté électorale. Voulez-vous que le pays soit édifié sur les faits qui se sont passés à Marche ? Ordonnez une enquête. Vous l'aviez demandée en 1848 ; la Chambre n'a pas fait droit à votre demande ; car elle a validé l'élection.

Pour prouver que nous ne voulons pas obtenir par surprise la validité de l'élection, voici la proposition que nous déposons sur le bureau :

« J'ai l'honneur de proposer à la Chambre d'ajourner le vote sur l'élection de Marche et d'ordonner une enquête dans le but de vérifier s'il y a eu violence, pression, ou atteinte quelconque à la liberté électorale. »

M. Dumortier. - L'honorable membre vous a lu une phrase de mon discours. A cette époque les bulletins avaient été brûlés ; ils n'existaient plus. Il fallait donc une enquête. Aujourd'hui l'enquête est inutile. Les bulletins sont là.

M. de Theux. - Je viens combattre la proposition d'enquête faite par l'honorable préopinant, parce qu'elle n'aurait d'autre résultat, que de retarder la représentation de l'arrondissement de Marche dans cette enceinte. En effet, qu'avons-nous besoin d'enquête ? Vous avez un article de loi qui est formel : il dit que tout bulletin dans lequel le votant s'est fait reconnaître est nul. Vous avez sous les yeux 142 bulletins qui évidemment sont une infraction à l'article 31 de la loi électorale. La loi demande-telle qu'il soit établi qu'il y a eu corruption ? Nullement. S'il y avait eu corruption, ce ne serait pas une enquête administrative qu'il faudrait, mais une dénonciation devant les tribunaux, pour punir l'auteur de la corruption.

Nous avons dans le Code pénal un frein contre la corruption. Mais les auteurs de la loi électorale ont trés bien compris que ces cas sont très difficiles à établir, parce que l'homme assez vil pour se laisser corrompre sera assez vil pour le nier devant les tribunaux et pour faire un faux serment.

Nous voyons tous les jours en Angleterre que l'on se plaint du vote public et qu'on réclame le vote secret. Le parlement s'est occupé, à diverses reprises, de cette question pour empêcher la corruption ; on avoue par les moyens manquent. Nous avons été plus sages : nous n'avons pas voulu le vote public, parce que nous avons voulu sanctionner la liberté de l'électeur. Nous devons maintenir la loi ; c'est notre de voir au premier chef à nous, pouvoir législatif ; car que deviendrait le respect dû à la loi si la Chambre donnait l'exemple d'une violation manifeste de ses prescriptions.

Au reste une enquête ne conduirait à rien. Comment serait-elle faite ? Serait-ce une enquête administrative, ou une enquête judiciaire ? Par qui serait-elle faite ? Aux frais de qui ? Cela ne ferait que jeter la perturbation dans un arrondissement malheureusement très agité par les questions électorales depuis un grand nombre d'années.

Si maintenant, messieurs, nous prononçons la nullité des élections, au moins nous ne faisons que ce que l'article 31 de la loi électorale nous oblige de faire. Elle ne nous permet pas de considérer comme valables cette masse de bulletins qui, évidemment, indiquent un concert au moyen duquel le secret du vote est violé ; tout, dans ces bulletins, l'indique ; la couleur du papier, la forme des bulletins, les nombreuses désignations toutes variées qui s'y trouvent. Tout cela prouve qu'il était impossible à l'électeur d'échapper au contrôle de son vote, et dès lors le secret du vote a été violé.

Messieurs, nous sommes ici constitués comme jurés et nous n'avons pas la faculté, en cette qualité, de permettre que la loi soit violée. Si notre conscience nous dit que la loi a été violée, nous devons le déclarer hautement et sans hésitation, et pour mon compte je le ferai.

- La clôture est demandée.

M. Lelièvre. - Je propose à l'amendement de l'honorable M. Verhaegen, le sous-amendement suivant :

« L'enquête portera également sur la question de savoir si les billets incriminés ont été remis dans le but de connaître les votants qui les ont déposés. »

- La clôture, de nouveau demandée, est prononcée.

M. Rousselle, rapporteur. - Je demande la parole sur la position de la question.

On propose un ajournement qui doit conduire à une enquête, et personne n'a pu dire un mot pour s'opposer à cette enquête.

- Plusieurs membres. - M. de Theux l'a combattue.

M. Rousselle. - J'ai quelque chose de plus à dire que l'honorable M. de Theux.

M. Ch. de Brouckere. - La clôture est prononcée.

M. le président. - Je mets aux voix la proposition d'ajournement présentée par M. Verhaegen.

- Plusieurs membres : L'appel nominal ?

Il est procédé au vote par appel nominal sur la proposition d'ajournement.

93 membres prennent part au vote :

43 votent pour la proposition ;

50 votent contre.

En conséquence, la proposition d'ajournement n'est pas adoptée.

Ont voté l'adoption : MM. de Baillet-Lalour, de Breyne, de Bronckart, de Brouckere, Delfosse, Deliége, de Moor, de Pitteurs, Dequesne, de Royer, Devaux, Dubus, Frère-Orban, Goblet, Jouret, Lange, Laubry, Lebeau, Lelièvre, Lesoinne, Loos, Maertens, Manilius, Mascart, Moreau, Orts, Pierre, Prévinaire, Tesch, Thiéfry, T'Kint de Naeyer, Tremouroux, Vandenpeereboom, Van Grootven, Van Hoorebeke, Van Iseghem,Van Remoortere, Verhaegen, Allard, Ansiau, Closset, Dautrebande et Anspach.

Ont voté le rejet : MM. de Brouwer de Hogendorp, Dechamps, de Chimay, de Decker, de Haerne, de La Coste, Delehaye, Dellafaille, de Man d'Attenrode, de Mérode (Félix), de Mérode-Westerloo, de Muelenaere, de Naeyer, de Perceval, de Portemont, de Renesse, de Ruddere de Te Lokeren, de Sécus, Desmaisières, de Theux, de T'Serclaes, Dumon, Dumortier, Faignart, Janssens, Landeloos, Malou, Matthieu, Mercier, Moncheur, Osy, Rodenbach, Rousselle, Tack, Thibaut, Thienpont, Van Cromphaut, Vanden Branden de Reeth, Vander Donckt, Van Overloop, Van Renynghe, Vermeire, Vervoort, Veydt, Vilain XIIII, Visart, Wasscige, Brixhe, Calmeyn et Coomans.

M. le président. - Nous allons mettre aux voix les conclusions de la commission.

M. de Perceval. - Quelles sont les conclusions de la commission ?

M. le président. - C'est l'annulation de l'élection.

- Les conclusions de la commission sont mises aux voix par appel nominal.

88 membres sont présents.

60 adoptent.

6 rejettent.

22 s'abstiennent.

En conséquence l'élection de Marche est annulée.

Ont voté l'adoption : MM. de Brouwer de Hogendorp, Dechamps, Chimay, de Decker, de Haerne, de La Coste, Delehaye, Dellafaillc, de Man d'Attenrode, de Mérode (Félix), de Mérode-Westerloo, de Muelenaere, de Naeyer, de Perceval, de Portemont, de Renesse, de Royer, de Ruddere de Te Lokeren, de Sécus, Desmaisières, de Theux, de T'SercIaes, Dumon, Dumortier, Faignart, Goblet, Janssens, Jouret, Landeloos, Lange, Loos, Malou, Manilius, Matthieu, Mercier, Moncheur, Osy, Prévinaire, Rodenbach, Rousselle, Tack, Thienpont, Tremouroux, Van Cromphaut, Vanden Branden de Reeth, Vandenpeereboom, Vanderdonckt, Van Grootven, Van Iseghem, Van Overloop, Van Renynghe, Vermeire, Vervoort, Veydt, Visart, Wasseige, Brixhe, Calmeyn, Coomans et Dautrebande.

Ont voté le rejet : MM. de Brouckere, Lesoinne, Vilain XIIII, Allard, Ansiau et Anspach.

Se sont abstenus : MM. de Baillet-Latour, de Breyne, de Bronckart, Delfosse, Deliége, de Moor, de Pitteurs, Dequesne, Devaux, Dubus, Lebeau, Lelièvre, Maertens, Moreau, Orts, Pierre, Tesch, Thiéfry, T'Kint de Naeyer, Van Hoorebeke, Verhaegen et Closset.

M. le président. - Les membres qui se sont abstenus sont invités, aux termes du règlement, à faire connaître les motifs de leur abstention.

M. de Baillet-Latour. - Je me suis abstenu, parce qu'on m'a refusé le moyen de m'éclairer.

M. de Breyne et M. de Bronckart déclarent s'être abstenus par les mêmes motifs.

M. Delfosse. - Je me suis abstenu parce que la Chambre a repoussé la proposition d'enquête ; je la croyais nécessaire pour faire connaître d'une manière certaine s'il y avait eu réellement emploi de moyens de nature à vicier l'élection.

M. Deliége, M. de Moor, M. de Pitteurs, M. Dequesne, M. Devaux, M. Dubus et M. Lebeau déclarent s'être abstenus par les mêmes motifs.

M. Lelièvre. - Je me suis abstenu, parce que voulant une mesure d'instruction qui me paraissait nécessaire, je ne pouvais émettre un vote affirmatif ou négatif sur la question litigieuse.

M. Maertens, M. Moreau, M. Orts, M. Pierre et M. Tesch déclarent s'être abstenus par les mêmes motifs.

M. Thiéfry, M. T'Kint de Naeyer, M. Van Hoorebeke, M. Verhaegen et M. Closset. déclarent s'être abstenus par les mêmes motifs que M. Delfosse.

- La séance est levée à 5 heures.