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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mardi 27 février 1855

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1854-1855)

(Présidence de M. Delfosse.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 823) M. Ansiau procède à l'appel nominal à deux heures et un quart.

M. Dumon lit le procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est adoptée.

M. Ansiau présente l'analyse des pièces qui ont été adressées à la Chambre.

Pièces adressées à la chambre

« Les employés au commissariat d'arrondissement de Tournai demandent leur assimilation aux employés de l'Etat. »

« Même demande des employés au commissariat d'arrondissement de Mons. »

M. Lelièvre. - J'appuie les pétitions qui sont fondées sur des motifs sérieux. Déjà des réclamations ayant le même objet ont été renvoyées à la commission, qui a été invitée à faire un prompt rapport. Je demande qu'il soit également statué en ce sens en ce qui concerne les pétitions dont nous nous occupons en ce moment. La commission pourrait faire un seul rapport sur le tout, puisqu'il s'agit d'une seule et même question à examiner.

- La proposition de M. Lelièvre est adoptée.


« Le sieur Storms se plaint des dévastations commises dans un bois qu'il possède à Heyst-op-den-Berg et demande une indemnité de ce chef. »

- Renvoi à la commission des pétitions. »


« Plusieurs fabricants d'armes à Liège demandent l'abolition du droit d'entrée de 6 p. c. sur les armes elles pièces servant à leur confection. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi concernant le tarif des douanes.


« Le sieur Greefs réclame l'intervention de la Chambre pour obtenir un jugement dans une cause qui est pendante devant le tribunal de Turnhout. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Des blanchisseurs et savonniers à Anvers demandent la libre entrée du sel de soude. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi concernant le tarif des douanes.


« Par dépêche, en date du 26 février, M. le ministre des travaux publics adresse à la Chambre 140 exemplaires de la statistique des mines de la Belgique pour l'année 1850. »

- Dépôt à la bibliothèque et distribution aux membres de la Chambre.


« M. Dellafaille demande un congé de quelques jours. »

- Accordé.

Projet de loi relatif au tarif des douanes

Discussion générale

M. le président. - M. le ministre se rallie-t il au projet de la section centrale ?

M. le ministre des finances (M. Liedts). - Oui, M. le président, sauf réserve. Le projet de loi est accompagné d'un tarif qui renferme 54 rubriques ; on doit considérer chacune de ces rubriques comme un article distinct. Je me raliie à toutes les propositions de la section centrale, sauf deux ou trois rubriques. Lorsqu'on y arrivera, je les indiquerai et je désire qu'à ces articles ce soit le projet du gouvernement qu'on mettra en discussion.

M. le président. - S'il n'y a pas d'objection, je déclarerai la discussion ouverte sur le projet de la section centrale, sauf les articles qui seront indiqués par M. le ministre des finances.

M. T'Kint de Naeyer. - Messieurs, je viens me rallier au principe, posé dans le projet de loi, d'une réforme prudente et successive de nos tarifs, mais par cela même je crois devoir relever quelques assertions consignées dans le rapport de la section centrale, parce quelles pourraient tendre à dénaturer le véritable caractère du travail de révision que nous commençons aujourd'hui.

La section centrale n'admet pas la distinction entre les matières premières et les articles manufacturés. Le principe est radical, mais il reçoit heureusement des tempéraments dans la pratique. La société det économistes de Paris s'est montrée beaucoup moins puritaine, car dans une de ses dernières réunions, elle a reconnu qu'il y a dans les divers produits considérés au point de vue du travail que leur création a exigé, des gradations qu'il est utile de considérer suivant les circonstances et les questions à résoudre ; et que l'expression de « matières premières » a bien le sens qui convient pour désigner cette gradation. C'est ainsi, messieurs, qu'en Angleterre, on a classé, en vue de la réforme douanière, les divers produits.

On les a divisées d'abord en matières premières, ensuite en produits fabriqués plus grossiers ou plus perfectionnés. Il n'y a sans doute pas de produits entièrement vierges de travail humain, mais on est forcé de reconnaître qu'un produit exige beaucoup plus de main-d'œuvre qu'un autre, il y a une limite naturelle à la production de certaines choses, tandis qu'il n'en existe pas pour d'autres.

Si je combats des théories absolues, ce n'est pas, messieurs, que je redoute dans un avenir prochain des résolutions fatales à notre industrie, mais je ne veux pas que l'on vienne plus tard se prévaloir de notre silence.

D'aprè le projet de loi, et j'en félicite M. le ministre des finances, il ne s'agit pas d'une révolution douanière, il né s'agit pas de bouleverser les conditions du travail, encore moins de méconnaître les besoins que la nature particulière de chaque industrie crée et qui la différencient des autres branches de la production nationale.

Non, messieurs, l'œuvre à laquelle la Chambre va consacrer ses soins doit tenir compte des faits, pondérer avec équité les droits des producteurs avec les besoins des consommateurs.

En effet, pour la plupart des articles, on tient compte du tarif antérieur ; je citerai notamment la houille et les fers. Pour la fonte brute, nous revenons au droit d'avant 1843, et la protection reste encore à 36 p. c. de la valeur.

Vous voyez que nous sommes encore fort éloignés du libre échange, même én théorie, car pour la houille et pour le fer, la quotité du droit ine semble avoir, dans les circonstances actuelles, une très médiocre importance.

Une production nécessairement limitée par la force des choses, l'élan prodigieux de la consommation placent la houille et le fer au dessus de la protection du tarif. (Interruption.)

On me dit que la situation est anomale, que c'est une question de fret. Je ne parlerai pas du fer protégé par un droit de 36 p. c., je vais vous répondre pour la houille.

Les prix en Angleterre, en France, en Allemagne ne démontrent-ils pas combien le combustible est impérieusement réclamé partout ? C'est qu'en effet, pour me servir de l'expression d'un grand orateur, la houille donne le moyen de faire mouvoir les machines de la paix comme celles de la guerre. C'est le principe générateur de la force, et l'avenir appartient à ceux qui la possèdent.

Il y a donc un intérêt excessif à produire ; et cependant, je le demande, pourriez-vous doubler, tripler immédiatement la production de la houille ? Evidemment non, messieurs, car indépendamment de bien d'autres obstacles, vous savez qu'il n'y a rien de plus difficile au monde que de former des populations de mineurs.

Je ne veux point me compromettre avec des prophéties, mais je crains bien que cette situation, que vous considérez aujourd'hui comme anomale, ne se traduise en une situation permanente, définitive.

Dans ce cas l'abaissement des droits sur la houille et le fer restera une lettre morte.

Et cependant on ne manquera pas de nous dire qu'en supprimant la protection agricole, qu'en réduisant les droits sur la houille et le fer, on dégrève l'industrie manufacturière d'une triple charge et qu'à ce triple point de vue, il y a lieu d'abaisser considérablement la protection dont l'industrie manufacturière jouit encore.

Nous attendons depuis cinq années les inondations de blé étranger qui devaient nous donner la vie à bon marché.

En 1853, nous avions reçu 12,845 tonneaux de houille étrangère ; en 1854, avec la libre entrée nous avons reçu 43,425 tonneaux. Je n'ai pas besoin de vous faire remarquer combien de pareilles importations sont insignifiantes.

M. Frère-Orban. - C'est encore moins.

M. T'Kint de Naeyer. - Effectivement, car l’augmentation provient surtout du charbon d'origine belge que les bateliers déclarent à leur rentrée dans le pays.

Par mer, je crois qu'il est entré deux chargements à titre d'essai ; encore, cet essai n'a-t-il pas réussi.

Ces faits sont irréfragables, mais il y a des raisonnements qui le sont moins. Ainsi ayant d'appliquer les mêmes règles à toutes les industries, avant de les faire passer, comme on le demandera sans doute, sous le niveau d'un droit fiscal, il est juste d'examiner si la loi commune ne deviendrait pas pour l'industrie manufacturière une loi d'exception. Elle n'est pas protégée comme d'autres par la force des choses, son développement est incessant et la concurrence est pour ainsi dire sans bornes.

La protection est une question de fait ; elle varie donc toujours d'après les faits auxquels elle est subordonnée. Expression des besoins de la production dans un moment donné, elle cesse de l'être quand ces besoins disparaissent.

Cela explique pourquoi nous nous occupons depuis vingt ans de la révision de notre tarif, et il est probable que nous nous en occuperons encore plus d'une fois.

Les libre-échangistes qui s'apprêtent à être ministres doivent en prendre leur parti ; ils seront conduits par la force des choses à protéger nos grandes industries contre les industries autrement colossales de l'étranger, chaque fois que ces dernières viendront se placer sur le marché à des prix qui ne permettent plus de concurrence. C'est la loi de l'intérêt national, de la sûreté publique en dehors des théories.

Cela posé, je ne viens pas soutenir, messieurs, que les tarifs doivent être éternels, que les droits inutiles ne doivent pas être supprimés, (page 824) qu'un droit protecteur excessif ne peut pas être remplacé par un droit moindre.

C'est un compte à ouvrir à chaque industrie et la conclusion sera dans la balance. Je ne demande qu'une chose aux libre-échangistes, c'est de descendre de la région des théories dans celle de la réalité.

A côté de l'approbation que je donne en général au projet de loi, sauf quelques détails, c'est mon droit et mon devoir de placer des recommandations et des réserves pour ce qui reste à faire.

Si l'expérience continuait à nous apprendre que le libre échange n'a pas la vertu de faire baisser le prix des céréales, des houilles et des fers, il faudra bien, si vous voulez pousser le coin par le bon bout dans le tarif protecteur, que vous fassiez quelque chose de plus sérieux pour elle. Car vous ne sauriez méconnaître que c'est sur la foi du régime protecteur solennellement inauguré après l'enquête de 1840, que beaucoup d'industries se sont implantées, se sont développées dans le pays, et je ne pense pas qu'en aucun cas il puisse être question d'une expropriation forcée.

Le gouvernement pense que le moment est venu de faire prévaloir un système plus modéré qui oblige les industriels belges à suivre incessamment les progrès de leurs rivaux à l'étranger. Je ne crois pas, pour ma part, que l'industrie belge se soit endormie paresseusement à l'ombre de la protection ; je crois que des progrès très grands ont été réalisés. Mais pour que nous puissions lutter avec nos rivaux étrangers, il y a une condition préalable, c'est que les armes soient égales.

En dehors de ces conditions, un pays devient victime de l'autre. Or, évidemment c'est ce que personne ne veut. Puisque vous avez la volonté et le désir de placer l'industrie dans les meilleures conditions, pourquoi ne songez-vous pas à la dégrever de certains impôts qui pèsent elle sur sous forme de péages ? Pourquoi ne cherchez-vous pas à établir l'équilibre entre la production et la circulation ? C'est par le perfectionnement de la viabilité sous toutes les formes que nous arriverons à de meilleurs prix pour les matières premières que l'industrie met en œuvre.

La diminution des péages se présente naturellement en première ligne. Et, messieurs, permettez-moi de le dire en passant, il y a toujours eu là pour les Flandres une injustice des plus criantes. Après nous avoir forcés pendant de longues années à acheter le charbon au Hainaut, quand nous pouvions nous le procurer à 25 ou 30 p. c. meilleur marché en Angleterre, on a construit des canaux pour le transport de ces charbons, notamment le canal d'Antoing, et l'on nous a forcés à payer ces canaux à l'aide de péages ; on les faisait payer à nous seuls, car on exemptait les consommateurs étrangers, sous prétexte d'exportation. Or, il se trouve que, depuis dix ans peut-être, ces canaux sont entièrement payés par nous seuls, et on continue à nous demander les mêmes péages.

Il s'agit dans la réalité, vous le voyez, d'un impôt sur les consommateurs des deux Flandres. Cela est-il juste et cela doit-il se perpétuer ?

Financièrement, on s'épouvante du déficit qui résulterait de l'abaissement des péages. Mais, comme le disait l'honorable M. Nothomb, il y a un point que l'on ne découvre quelquefois qu'à la suite de tâtonnements, point où le mouvement augmente sans que la recette diminue. C'est précisément ce qui s'est passé lorsqu'on a abaissé les péages sur la Sambre canalisée jusqu'à la frontière française. On a réduit les péages de 19 c. à 10 c. par distance et par tonneau, et cependant depuis leur produit n'a pas cessé de s'accroître dans une notable proportion.

M. le ministre des affaires étrangères (M. H. de Brouckere). - Et sur les autres canaux ?

M. Dumortier. - Sur le canal de Bruxelles ?

M. T'Kint de Naeyer. - Consultez le budget des voies et moyens. Mais permettez-moi d'achever. Vous verrez que je n'entends pas agir à la légère.

La compensation à l'abaissement des péages n'est pas uniquement dans les transports plus fréquents et plus considérables ; elle se trouverait aussi, je pense, dans le produit des contributions indirectes, du droit de patente, de mutation, qui augmentent en raison du développement de l'industrie.

Nous ne pouvons pas, messieurs, je l'admets, usurper l'initiative et l'action du gouvernement dans une matière qui intéresse à ce point le trésor. Mais j'engage vivement M. le ministre des finances à mettre la question à l'étude dans un bref délai.

D'ailleurs, messieurs, il y a une autre considération qui doit être méditée, et cela vous aura frappés sans doute, c'est que, dans un avenir très rapproçhé, de nouvelles voies ferrées vont faire une concurrence redoutable aux canaux et aux voies navigables de l'Etat. Je puis dès à présent en citer un exemple. Le chemin de fer de Charleroi à Louvain va s'ouvrir.

Eh bien, si mes renseignements sont exacts, il y aura profit et grand profit à embarquer le charbon à la fosse en waggon, à l'expédier à Louvain et à l'embarquer de là pour la Hollande. Le changement amené par le chemin de fer de Charleroi à Louvain se présentera nécessairement ailleurs et le trésor s'en ressentira nécessairement.

Les Flandres, messieurs, ne jouissent pas encore de la concurrence active et bienfaisante des voies ferrées qui doivent les mettre en rapport avec trois de nos bassins producteurs : le Couchant de Mons, le Centre et le Levant.

En prenant une prompte résolution sur les concessions qui lui sont soumises, le gouvernement nous donnera des waggons et des bateaux suffisamment accélérés qui nous manquent souvent aujourd'hui. Les nouvelles voies de communication subsisteront à côté des anciennes, et l'abaissement du fret viendra indubitablement se joindre à l'abaissement des péages.

Quand l'Etat, messieurs, aura fait tout ce qui est en son pouvoir pour amener les produits nationaux chez lez consommateurs, aux prix auxquels ils devraient les recevoir, alors vous pourrez entreprendre avec moins de témérité et plus de justice la réforme du tarif manufacturier. Nous n'avons pas à discuter en ce moment le chiffre de la protection dont l'industrie manufacturière a encore besoin. Mais je résume ma pensée : pour que le tarif soit équitable, il ne faut pas seulement tenir compte des inégalités qui résultent des lieux, de l'époque où une industrie a commencé, des différences qui existent dans les dépenses de création et d'établissement, de la différence dans le prix du combustible, dans la somme de la main-d'œuvre, dans l'intérêt des capitaux ; mais il faut encore que le tarif soit une digue contre les mouvements désordonnés de production et les crises qui arrivent périodiquement chez nos voisins. Ce qui n'est qu'une chose insignifiante pour les grands producteurs est écrasant pour les petits producteurs comme nous.

En matière de douanes, messieurs, il n'y a pas de principes absolus, pas d'idées systématiques ; c'est l'intérêt national qui règle la formule de la loi. Et, permettez-moi de le dire en terminant, il y a une chose qui ne souffre pas d'expérimentation, c'est le pain de l'ouvrier.

M. Brixhe. - Messieurs, le tarif qui vous est soumis rend libres ou dégrève l'importation d'un assez grand nombre de matières premières.

Pourquoi toutes les matières premières ne sont-elles pas affranchies ou dégrevées ? Pourquoi les unes le sont-elles, tandis que d'autres ne le sont pas ? Quelle est la raison d'être de cette distinction ? L'exposé, des motifs ne donne aucune solution à ces questions qui, restant sans réponse, soulèvent des scrupules sur la valeur de conception du projet de loi, eu égard à l'ensemble de notre régime douanier à l'entrée comme à la sortie.

Je vois bien le gouvernement toucher à beaucoup de choses, hier à la sortie, aujourd'hui à l'entrée. Je soupçonne, j'entrevois peut-être des intentions louables et le but où elles veulent tendre ; mais la pensée claire du gouvernement, une vue d'ensemble, un système de réforme régulier, conduisant enfin à un régime stable dont le commerce a besoin, je ne les trouve nulle part nettement, franchement formulés. Et pourtant s'il y avait lieu de le faire d'une manière explicite, c'était assurément à l'occasion du tarif permanent qu'on nous présente.

Mais non, nous sommes bien loin de là, et, moi du moins, j'ai en vain cherché dans l'exposé des motifs l'expression de cette pensée du gouvernement, même à un point de vue restreint, par exemple, sur ce qu'il entend par matières premières.

Je sais parfaitement qu'il ne s'agit pas ici de s'expliquer sur ces matières premières qui sont de simples dons et forces gratuites de la nature, que l'homme s'approprie en les prenant sans peine dans les eaux, sur la terre ou dans l'atmosphère et qu'on nomme pour cela matières premières naturelles.

Mais l'activité intelligente de l'homme, en s'exerçant sur ces dons de la nature, les convertit en matières premières artificielles pour des travaux ultérieurs, des transformations successives. Or, un simple coup d'oeil sur le projet qui nous est soumis suffit pour reconnaître qu'il ne porte pas, à beaucoup près, sur toutes ces matières premières artificielles.

Il y a donc encore, du moins au point de vue du gouvernement, uue autre catégorie de matières premières qu'on peut, quant au tarif, appeler matières premières de convention, qui devraient être choisies, classées, comme le dit le rapport de la section centrale, non arbitrairement, mais suivant un système mûri et clairement défini, dans un but déterminé.

Ce système, ce but, je les cherche vainement aux motifs du projet. C'est peut-être ma faute, ou bien c'est peut-être aussi qu'ils y sont trop timidement accusés.

En un mot, je suis réduit à me demander, encore à présent, quelle est donc, non pas le nombre, mais la nature des matières premières que le tarif veut dégrever ? Comment les doit-on caractériser et quelle fin se propose-t-on ? Ou ne le dira peut-être jamais.

L'auteur de la réforme anglaise a procédé, lui, tout d'une pièce, sans subtilités de langage, sans ambiguïtés ni exceptions, et les matières premières qu'il a voulu dégrever ou affranchir, il les a hardiment définies en disant que c'étaient toutes les matières premières servant à l'industrie anglaise, et son cadre les a embrassées toutes ou peu s'en faut.

Cette franchise d'allure, cette vue d'ensemble, je voudrais les trouver tout entières aux motifs du projet ainsi qu'au tarif, mais nous n'en sommes guère là, ce me semble. Car voyez, tandis qu'on vous proposed e dégrever jusqu'à l'exagération certaines matières premières qui touchent plus particuliéremeut les bassins du Hainaut et de Liége, le houilles et les fers enfin, on n'affranchit pas, par exemple, les lins filés, les cotons filés, les laines filées, teintes et peignées, toutes choses qui sont en Belgique les matières premières essentielles d'un grand nombre de manufactures et qui intéressent à un haut degré les consommateurs, car si la nourriture et le chauffage importent aux populations manufacturières, de bons vêtements de toutes sortes et à bas prix n'ont point une valeur (page 825) moindre pour les 70,000 à 80,000 ouvriers de nos houillères, hauts fourneaux, usines et minières. Ainsi est-il encore du couchage, de la chaussure, du mobilier, des ustensiles, de l’outillage, etc.

Ceux qui se récrient contre la moindre protection en faveur du combustible, au demeurant,-s'accommodent assez de la protection qui leur est encore laissée par le projet et les traités.

Je pourrais multiplier les exemples. Nous verrons s'il sera utile de le faire.

Mais le gouvernement a sans doute des raisons de ne point généraliser le dégrèvement pour atteindre certaines matières premières plutôt que telles autres. Ces raisons, on les ignore, car son système, le principe de ses catégories, je dirais presque de ses choix et exclusions, il les a tout à fait passés sous silence, ce qui les suppose assez arbitraires en théorie comme en pratique.

Les traités internationaux ! dira-t-on. Mais ce sont des obstacles temporaires, et en attendant mieux, mettons-nous du moins d'accord sur les principes.

Insisterai-je sur le combustible ? Prenons, par exemple, les houilles anglaises. On veut les dégrever considérablement (elles sont même libres à présent). Or, les navires anglais arrivant à Anvers sont déjà dégrevés des droits sur l'Escaut, tandis que des péages excessifs, pesant sur nos canaux, se dressent, sans, aucun tempérament, entre les charbonnages, les usines sidérurgiques du bassin de Charleroi et nos propres consommateurs des Flandres, d'Anvers et du Brabant.

Et devant ce fait écrasant, devant notre demande incessante de régularisation des péages, que répond le gouvernement ? Il répond, page 14 du rapport de la section centrale, il répond sans sourcillera qu'il ne voit « pas de corrélation entre les droits de navigation et les droits de douane » ! Partant tout est dit.

Il ne comprend pas cette corrélation, alors qu'il s'agit de la concurrence étrangère ! dit un membre de la section centrale. Le gouvernement ne la comprend pas, alors que dans la discussion récente de la libre entrée des houilles anglaises, il nous priait d'ajourner au tarif général permanent des matières premières les réclamations que nous avions annoncées au sujet des péages de navigation !

Ce qui alors lui paraissait sensible, il ne le saisit plus du tout aujourd'hui. C'est distraction assurément, ou bien parti pris, car il n'est pire sourd que qui ne veut entendre. Mais, vains efforts ! et, que plus tôt, que plus tard, il faudra bien que le gouvernement aborde un jour la difficulté.

A quand la solution ? je ne sais, mais d'aujourd'hui nous sommes à la préface.

J'abrège, messieurs. Nous reviendrons sur ce sujet, lorsque la discussion rencontrera les articles charbons et fers. Le gouvernement s'expliquera sans doute, car pour ma part, je voterai contre toute la loi s'il croit devoir s'obstiner sans condition ni appel dans le régime actuel des péages, et dorénavant je ne cesserai de repousser toutes dépenses pour les voies navigables.

Lier le sort de certaines industries au sort de certaines autres, c'est tendre à les immobiliser toutes. Les lois douanières se font alors sous la pression des coalitions d'intérêts, et la résultante générale, quelle est-elle ? J'adoucis considérablement la chose, mais la voici : Mystification complète des consommateurs sur toute la ligne...

C'est ce qu'un homme de la valeur de sir Robert Peel avait si bien compris.

M. Vermeire. - Messieurs, le gouvernement poursuit, d'une manière lente, il est vrai, la réforme de notre système économique. Je l'en félicite sincèrement, et je commence par déclarer que, en principe, je suis favorable au projet, quoique, de même que l'honorable M. Brixhe, j'eusse préféré un système d'ensemble portant sur tous les articles indistinctement ; car, comme le disait, en 1851, M. Thiers à la tribune française, la question du libre échange, pour être abordée utilement, doit l'être complètement.

Dans ce système d'ensemble, on aurait pu diminuer successivement d'année en année, par gradation, jusqu'à arriver à un taux qui ne laisserait plus subsister qu'un droit fiscal, c'est-à-dire un droit productif pour le trésor II aurait encore un autre bon résultat, à savoir quelJ'on pourrait s'arrêter, alors que le tarif aurait produit un résultat opposé à celui qu'on se serait proposé d'atteindre, c'est-à-dire alors que le travail étranger viendrait se substituer au travail national. Je sais bien que. travail étranger, travail national, sont des mots qui n'entrent point dans le programme de nos économistes ; mais, quoi que nous fassions, quelque convaincus que nous soyons de la justesse de nos principes, fussions-nous même des puritains libre-échangistes, toujours est-il que la rigidité de nos principes fléchit plus ou moins selon que nos intérêts ou ceux que nous représentons plus spécialement, sont plus ou moins directement en jeu.

C'est ainsi que nous avons vu, à d'autres époques, lorsque les céréales se vendirent à des prix très bas, d'honorables membres voter le droit le plus élevé à l'entrée des céréales étrangères. Ils disaient alors : Le droit en faveur duquel nous nous prononçons n'empêchera pas les, importations de se faire ; ce sera là une ressource nouvelle pour le trésor, qui ne devra pas être remplacée par un impôt frappant plus directement le contribuable belge. Ou bien : Lorsque les autres industries qui jouissent de grandes protections auront été soumises au même régime libéral que l'agriculture, nous cesserons nos réclamations, nous ne ferons plus entendre nos doléances.

Comme s'il y avait là moindre similitude entre l'industrie agricole, dont la production est limitée, dont les consommateurs augmentent dans une mesure effrayante, et l'industrie manufacturière qui, à cause de ses procédés puissants et perfectionnés, à une production presque illimitée, mais toujours bien supérieure aux besoins de la consommation.

L'opinion de ces honorables membres, dans mon appréciation, avait deux buts, l'un que l'on avouait et qui consistait dans l'espèce de régime exceptionnellement injuste auquel on soumettait l'agriculture par rapport aux industries ; l'autre, le but réel, celui d'empêcher par un droit de douane la concurrence étrangère, et, conséquemment, de trouver un placement plus avantageux des céréales indigènes. Ainsi, messieurs, la liberté commerciale devient en quelque sorte une divinité que nous invoquons ou contre laquelle nous blasphémons, selon qu'elle nous apporte ses bienfaits dont nous sentons tout le prix dans nos moments de détresse, ou qu'elle vient, par la concurrence, arrêter l'essor de notre travail, briser nos espérances d'avenir. Si je voulais poursuivre mes investigations, il ne me serait pas difficile de démontrer à l'évidence que le filateur, par exemple, est libre-échangiste quand il s'agit d'introduire le coton, le lin, le chanvre ou la laine qui est sa matière première, mais prohibitioniste quand il s'agit des filés de ces matières ; que le tisserand réclame la libre entrée des filés, mais demande des droits pour la toile ou le drap ; que le blanchisseur ou le teinturier demande l'entrée, en franchise de droits, des draps, des toiles, des teintures et des couleurs, ce qui contrarie les fabricants de fils, de draps, de toiles et de produits chimiques, mais demande une protection pour les toiles et les draps teints. Donc, messieurs, libre-échangistes quand nous sommes acheteurs ; protectionnistes quand uous devenons vendeurs.

L'on attribue souvent le développement d'une industrie aux lois protectrices qui régissent un pays, et l'on oublie que ce sont les besoins qui se font sentir dans la consommation qui en fixent le prix, et qui, conséquemment, selon qu'il laisse plus ou moins de bénéfice, pousse vers une augmentation constante du produit.

Si, dans le principe, alors que l'industrie encore dans l'enfance, a besoin de secours, si pour acclimater une industrie, il est nécessaire de créer un grand intérêt à produire les choses, il ne peut plus en être de même, alors que le travail industriel se trouve dans des conditions assez favorables pour produire concurremment avec l'industrie étrangère.

En ce cas, il faut nécessairement diminuer la protection, afin de stimuler le progrès. C'est ainsi que la grande protection dont on a entouré l'industrie houillère lui a fait prendre, à cause de cette protection même, et, aussi, à cause des besoins toujours grandissants qui se font sentir pour ce combustible, des proportions énormes. En 1815, la Belgique ne plaçait en France que 200,000 tonnes de houille d'une valeur de fr. 1,600,000 environ. En 1851, le chiffre s'en est élevé à 2,700,000 tonnes ayant une valeur d'environ fr. 50,000,000. C'est ainsi encore que, aujourd'hui, non seulement les houilles étrangères, et surtout les houilles anglaises, qui sont extraites à des frais bien moins élevés que les houilles belges, à cause de la puissance des veines, et du peu de profondeur des bures (certaines houilles étant prises en quelque sorte à fleur de terre), sont admises en Belgique sans droits de navigation ni de douane, tandis que les houilles belges, en destination des Flandres surtout, payent d'énormes droits de navigation ; et que, nonobstant les conditions défavorables dans lesquelles on place cette industrie, celle-ci continue à se développer de plus en plus.

Aussi, non seulement en Belgique, mais encore en France, en Angleterre, en Prusse et dans d'autres pays à couches charbonnièrcs, on ouvre de nouvelles fosses d'extraction et on amène à jour des quantités toujours plus grandes de ce combustible. Pensez-vous, que, quand le niveau sera rétabli entre la production et la consommation ou que la balance penchera du côté opposé ; que lorsque l'importation du charbon deviendrait telle que l'extraction dans le pays ne pût se faire qu'à perte, ou que le travail à l'intérieur dût en être amoindri, de manière à laisser une partie nombreuse de cette phalange industrielle sans travail ; pensez-vous, messieurs, que l’on respectera assez les principes, pour ne pas avoir recours, de nouveau, à la protection que vous avez, pu, en ce moment, ôter sans danger à cette industrie ? Croyez-vous que, si les lois douanières sur les produits manufacturés de nos grandes cités industrielles dussent avoir pour résultat de laisser oisifs et sans travail, dans les rues de nos grands centres industriels, des classes nombreuses d'ouvriers, vous puissiez-vous dispenser d'avoir encore recours aux lois protectrices ? Non, messieurs, alors comme dans la question des céréales, telle qu'elle s'est produite récemment, le fait dominera le principe, et à moins d'agrandir considérablement vos prisons pour y envoyer des malheureux, plus égarés que coupables, vous ne pourriez agir différemment.

De ce qui précède résulte pour moi, à la dernière évidence, cette conséquence que les principes absolus sont loin encore de pouvoir être admis, si tant est qu'ils puissent l'être jamais.

Le gouvernement lui-même partage, je n'en doute pas, cette manière de voir, et quoiqu'il se montre très sévère envers une industrie dont un fabricant de Gand a doté son pays, sur l'observation qui en avait été faite dans le rapport officiel du jury de l'exposition de 1847 ; quoiqu'il ne se montre pas mieux disposé en faveur d'une des plus grandes et des plus importantes industries qui s'exercent surtout dans les Flandres, l'industrie huilière ; il devient, cependant, de meilleure composition quand il s'agit d'industries plus spécialement recommandées par les (page 826) chambres de commerce de Liège et de Namur. Voici ce qu'on lit, par rapport au cuivre, à la page 10 du rapport de la section centrale.

« Les chambres de commerce de Liège et de Namur, dont les ressorts comprennent les principales usines à cuivre, ont insisté dans leurs rapports annuels sur leur avis antérieur, d'après lequel des réductions proposées seraient de nature à compromettre l'existence de cette branche d’industrie. Le gouvernement a, de nouveau, examiné la question, et comme les inquiétudes des fabricants semblent fondées, il ne s'opposera pas à ce qu'on ait égard à leurs réclamations. »

L'on voit donc, de nouveau, ici, messieurs, que la chambre de commerce de Liège qui, certes, ne peut être suspectée de prohibitionisme, admet cependant des droits protecteurs envers une industrie de son ressort qui, sans ce droit, serait perdue pour le pays.

Ce qu'il faut, d'après moi, c'est une enquête préalable, une enquête sérieuse sur les progrès faits par les industries ; et puis réduire les droits de douane à un taux qui, sans diminuer ou supprimer des industries nationales, les tienne, cependant, dans une émulation favorable au progrès et au développement du travail. Ce qu'il faut surtout à l'industriel, c'est le moyen de se procurer, plus facilement qu'il ne peut le faire aujourd'hui, les appareils perfectionnés qui se fabriquent à l'étranger.

Quant à moi, messieurs, je suis convaincu, et je voudrais pouvoir faire partager cette opinion par tous les industriels, que des droits exagérés, superflus, font un tort immense à l'industrie. Il est donc nécessaire que nous réduisions le taux de notre tarif à la dernière limite du possible. Je crois que l'industriel belge exagère l'importance de l'industrie étrangère ; l'exposition universelle de Londres a pu déjà le désillusionner en partie ; celle de Paris, à laquelle la Belgique occupera, je n'en doute pas, une place distinguée, le convaincra encore davantage de cette vérité.

Si, sous le rapport politique, nous avons su nous rendre dignes de la liberté la plus illimitée, prouvons, par nos efforts constants et persévérants, que, en commerce comme industrie, nous pourrons secouer bientôt les langes de la protection, mais marchons dans cette voie de progrès d'un pas prudent et assuré ; surtout prenons garde de trébucher en route, si nous voulons atteindre au but proposé.

Lorsque nous en serons arrivés aux articles, je me réserve de prendre la parole.

(page 831) M. Dechamps. - Messieurs, le projet de loi sur lequel nous sommes appelés à délibérer se présente sous des apparences modestes et avec un titre inoffensif. Vous savez, messieurs, que notre régime de douanes, en ce qui concerne les matières premières, est très libéral. Depuis longtemps déjà on a abaissé, on a supprimé la plupart des droits qui pesaient sur nos matières premières. Depuis la loi différentielle de 1844, les Chambres ont adopté des mesures successives dans ce but. Le projet de loi ne devrait donc être qu'un complément presque accessoire des mesures antérieures dont je viens de parler ; il ne devrait être, comme s'exprime l'exposé des motifs, qu'un « projet de simplification et de régularisation ».

L'honorable M. T'Kint de Naeyer l'accepte comme tel. Il vient nous dire que le projet de loi n'a pas pour but de révolutionner le tarif, de bouleverser en quoi que ce soit le système qui nous régit. Le gouvernement, de son côté, se défend de vouloir introduire dans le projet de loi le principe même de notre réforme douanière ; il ne veut, dit-il, faire admettre qu'une mesure préparatoire, qu'une humble préface à la révision générale de nos tarifs dont il étudie les bases et qu'il promet de soumettre bientôt à notre examen.

Messieurs, c'est sous ces modestes apparences que le projet de loi vous est présenté, et il semble que la Chambre l'accepte ainsi. En effet, messieurs, pourquoi ne pas le dire ? La Chambre, naturellement préoccupée avant tout des événements extérieurs, doit être peu préparée à suivre une discussion approfondie, sérieuse, sur le principe même de notre réforme douanière.

Or, c'est ce principe qui est en cause. Ce serait une grave erreur de croire que ce projet n'ait pas une autre signification que celle que l'honorable M. T'Kint de Naeyer semble lui attribuer ; il ne s'agit de rien moins que du principe de la réforme douanière tout entière.

Le principe de la liberté commerciale, de l'annulation presque complète de nos tarifs, y est écrit pour deux de nos principales industries, la houille et le fer, pour ces deux industries qui marchent à la tête de toutes les autres, et par l'importance de leur production, par les capitaux qu'elles emploient, par le nombre d'ouvriers qu'elles occupent, par les salaires qu'elles distribuent, par la place qu'elles occupent dans le mouvement des exportations et par les relations qu'elles ont créées avec les pays voisins : la France, l'Allemagne et les Pays-Bas, relations qui ont un caractère moins commercial encore que politique et qu'il est, par conséquent, de l'intérêt du pays de soigneusement entretenir.

Il ne s'agit donc pas, messieurs, de matières premières, dans le sens ordinaire qu'on attache à ce mot, de matières premières que le pays ne produit pas et qui sont destinées à alimenter nos grandes industries ; il s'agit de deux de nos grandes industries elles-mêmes.

Quelles sont les grandes industries du pays ? Mais c'est la houille, c'est le fer, c'est l'industrie cotonnière, ce sont les tissus de laine, c'est l'industrie linière.

Ces industries se sont développées à l'abri d'un système protecteur, qui a été commun à toutes, qui a été solidaire pour toutes. Je demande, messieurs, pourquoi séparer aujourd'hui la cause de ces grandes industries, pourquoi, sous prétexte d'une classification arbitraire, vouloir appliquer aux unes un principe que vous n'appliqueriez pas simultané-mentaux autres ?

N'est-il pas vrai, messieurs, que toutes les fois qu'il s'est agi de maintenir ou de modifier notre tarif protecteur, chaque fois que la lutte a été engagée à cette tribune entre les partisans d'une liberté commerciale plus absolue et les partisans d'une protection commerciale modérée, n'est-il pas vrai de dire qu'on a toujours entendu parler de toutes ces industries à la fois, qu'on n'a jamais songé à séparer le sort de l'une du sort de l'autre ?

Lorsque le ministère précédent nous a annoncé la réforme douanière et industrielle, est-il venu à l'esprit de quelqu'un de supposer que de cette réforme industrielle on excepterait la houille et le fer, les deux industries les plus importantes du pays ? Messieurs, lorsque, à l'occasion des traités conclus avec l'Angleterre et les Pays-Bas en 1851, on a consacré la réforme de notre système commercial, de la législation de 1844, je me suis fortement élevé contre la manière de procéder du gouvernement, de diviser ainsi les projets, d'isoler les intérêts, de former de faciles et nécessaires coalitions entre tous les intérêts que la réforme n'atteint pas et qui conservent, comme les honorables députés de Gand, l'espérance et l'illusion d'y échapper.

On a commencé par la réforme agricole, puis est venu le tour du commerce maritime ; on annonçait comme prochaine la réforme douanière industrielle. Je rappelai alors, comme on l'a fait tout à l'heure, qu'un grand ministre en Angleterre avait procédé d'une manière toute différente pour introduire son plan de réforme générale ; il l'a présenté dans des vues d'ensemble, d'après des principes clairement exposés, disant aux uns et aux autres quel était le régime définitif sous lequel il voulait les placer, indiquant dans le même projet les compensations qu'il offrait.

Je comprends un pareil système ; chaque industrie sait quel est le sort qu'on lui assigne, en regard de celui qu'on fait aux autres ; on peut offrir dans ce projet d'ensemble des dédommagements aux industries, en compensation des sacrifices qu'on leur impose.

Messieurs, je blâmais à cette époque le gouvernement d'avoir ainsi séparé la réforme commerciale de, la réforme douanière industrielle.

Mais j'avoue que je ne m'attendais pas qu'on eût été plus loin, en divisant la réforme industrielle elle-même, en classant les industries de la houille et du fer, si importantes cependant, en les classant dans un projet de loi, qu'on déclare secondaire, à côté des conserves alimentaires, du jus de réglisse et des chiffons.

Messieurs, je ne veux pas de protection inutile et exagérée. Je n'ai jamais été partisan des prohibitions, et je les ai toujours combattues. Lorsque j'avais l'honneur d'être membre du gouvernement, en 1844, j'avais pu déclarer déjà que nous étions arrivés au maximum de la protection et que le tarif ne pouvait plus que descendre. Je suis plus que jamais de cet avis. Je ne veux donc pas d'une protection inutile pour l'industrie, moins encore pour la houille et le fer que pour d'autres.

Ce que je demande, c'est l'équité, c'est l'égalité de traitement, c'est qu'on n'isolé pas les industries les unes des autres pour les sacrifier tour à tour ; ce que je demande, c'est une discussion libre et approfondie, et cette liberté de la discussion, nous ne l'avons pas parce que la pression qu'exercent sur nous les circonstances tout exceptionnelles que crée la cherté du combustible ne nous laisse pas une liberté suffisante d'appréciation.

On veut donner à Verviers et à Gand, aux villes manufacturières, la houille et le fer à bon marché ; on croit que c'est en faisant un appel à la libre concurrence étrangère que ce résultat sera obtenu.

Gand accepte, mais en faisant des réserves, en conservant l'illusion que la réforme n'ira pas jusqu'aux manufactures de coton. Un honorable représentant de cette ville trouve bon qu'on fasse passer, sans transition, l'industrie de la houille, par exemple, du haut de l'échelle protectionniste au bas de l'échelle d'un tarif libéral, c'est-à-dire du taux de près de 15 francs à celui de 83 centimes, comme le propose la section centrale ou d'un franc 40 centimes, comme le propose le gouvernement. Mais lorsque cette réforme sera accomplie, lorsque les populations ouvrières de celles de nos provinces qui produisent le charbon et le fer, diront à leur tour qu'elles ont besoin de vêtements de coton, de lin et de laine à bon marché, et s'il est vrai, comme vous semblez l'admettre, que c'est par la libre concurrence étrangère que ce but peut être atteint, comme vous y prendrez-vous, pour leur refuser la compensation des sacrifices que vous leur aurez fait subir ?

Messieurs, la distinction entre les matières premières et les produits manufacturés existe sans doute ; mais, comme l'a fait observer avec raison la section centrale, cette distinction est toujours plus ou moins arbitraire. Ce n'est pas sur une distinction pareille qu'un projet de réforme douanière doit reposer, mais c'est sur l'importance des industries. Un même système de protection a régi nos principales industries elles doivent être comprises dans une même loi de réforme.

L'honorable M. T'Kint de Naeyer s'est trompé, je pense, en affirmant que le bill de réforme anglais avait admis cette distinction entre les matières premières et les produits manufacturés ; cette distinction, si je ne me trompe, n'y est pas établie ; la libre entrée et les droits de 5 et de 10 p. c. sont appliqués à toutes les industries, sauf les exceptions, et cela sans classification.

Il est donc bien plus rationnel de faire reposer un projet de réforme douanière sur l'importance même des industries, sur les capitaux qu'elles emploient, sur la main-d'œuvre qu'elles occasionnent, que sur cette distinction arbitraire à faire entre les matières premières et les produits manufacturés. Ainsi, pour le fer, la matière première, c'est le minerai ; la fonte n'est pas plus une matière première pour le fer forgé que le fer forgé n'est une matière première pour la clouterie, que les clous ne sont une matière première pour les ouvriers qui les emploient.

La houille est une matière première pour les fabriques, mais la houille, pour un objet important de la consommation, pour l'usage domestique, n'est pas une matière première.

Je demanderai au gouvernement pour quel motif, puisque à ses yeux le fer forgé est une matière première, pour quel motif il n'a pas compris dans son projet de loi les fils de coton et de laine ; les fils de coton et de laine sont des matières premières pour le tissage ; les calicots mêmes sont une matière première essentielle pour les fabriques d'impressions et de toiles peintes.

Cette réforme, en ce qui concerne les fils, est réclamée depuis longues années par l'industrie manufacturière. Depuis longtemps on a demandé l'admission plus libérale des fils de coton d'un numéro élevé qu'on ne fabrique pas chez nous, ou qu'on n'y fabrique qu'à des prix trop élevés. Pour les fils de laine, le traité français a abaissé les droits d'entrée sur les fils de laine venant de France. Je me souviens que les industries intéressées de Verviers, qui font aujourd'hui du libre échange, se sont déclarées alors frappées de ruine.

Eh bien, qu'est-il arrivé ? Il est arrivé que cette introduction de fils français a aidé puissamment au développement du tissage dans les Flandres, et que les filatures, loin d'en souffrir, ont été en prospérant. (Interruption.)

Ce que je veux constater, c'est qu'il existe, pour admettre la réforme relative aux fils de coton et de laine, des motifs qui existent à un moindre degré pour la houille et le fer.

Je demande donc au gouvernement pourquoi, lui qui regarde le fer forgé comme matière première, ne considère pas les fils de laine et de coton comme matière première. Remarquez que pour les fabriques de tissus, l'introduction plus libre des fils étrangers serait d'une importance plus grande que l'entrée de la houille et du fer anglais.

Sauf pour les hauts fourneaux et les verreries qui sont dans cette (page 832) situation spéciale et favorable d'être situés à proximité des houillères et de n'avoir pas de frais de transport à supporter, à l'exception de ces industries, pour les manufactures de tissus, la houille ne sert qu'à alimenter la machine motrice et n'entre ainsi que pour une valeur minime dans le prix de revient des tissus.

Messieurs, il faut donc que la révision de notre tarif se fasse simultanément pour toutes les industries ; il faut que cette révision se fasse après une enquête solennelle dans le pays, après une discussion approfondie dans cette Chambre. Il faut qu'on connaisse les principes qui dirigeront le gouvernement, et ne pas excepter, en les isolant de la réforme industrielle qu'on prépare, les deux plus grandes industries du pays. Je proposerai donc à la Chambre de distraire du projet de loi les deux articles relatifs à la houille et au fer, afin de les comprendre dans le projet de révision générale du tarif annoncé par le gouvernement. (Interruption.)

Indépendamment des considérations générales que je viens de faire valoir et qui suffiraient à elles seules pour faire admettre la proposition que je viens de faire, il est d'autres raisons plus spéciales, plus péremptoires encore qui devraient faire cesser toute hésitation.

L'honorable M. de Renesse, qui vient de m'interrompre, invoque l'intérêt des consommateurs. Je demande où est l'intérêt du consommateur à ce qu'on décide la question aujourd'hui plutôt que demain, quand le gouvernement nous saisira de son projet de réforme douanière.

Dans les circonstances actuelles, la proposition est complètement inutile ; elle ne peut produire aucun effet.

Vous n'avez pas oublié que depuis un an la houille est soumise à un régime exceptionnel, qu'on lui a appliqué le régime de libre entrée.

La libre entrée n'a produit aucun résultat et il n'en produira aucun, aussi longtemps que la main-d'œuvre et le fret de mer en Angleterre resteront élevés.

Si la libre entrée n'a eu aucun résultat, n'a fait introduire ni houille ni fer, à coup sûr les droits du projet n'en produiront pas davantage.

Si vous soutenez le projet de loi en vue de la cherté du charbon et du fer, il est inutile, car vous êtes armés de la libre entrée. C'est en vue de l'avenir que vous agissez, c'est un droit permanent et normal que vous voulez établir, je demande qu'on attende que cet avenir soit venu ; je ne demande pas un ajournement indéfini ; le gouvernement a promis un projet de réforme générale, il en étudie les bases, il vous en annonce la prochaine présentation ; que risquez-vous d'attendre ? Le projet qui vous est soumis est inutile pour le présent, il ne peut avoir d'effet que pour l'avenir, et cet avenir je vous demande de le réserver.

Vous avez maintenant la libre entrée pour la houille ; faites-en l'expérience, prolongez-la si vous le croyez nécessaire.

Le fret de mer commence à baisser ; si celle baisse continue, le charbon et le fei\ anglais entreront pour des quantités plus ou moins grandes ; l'expérience vous éclairera alors sur les dangers du l'épreuve de la libre entrée, elle vous fournira des éléments d'appréciation qui vous manquent, et vous pourrez savoir quel est le droit normal qui doit être écrit dans notre tarif.

Ainsi il est clair que le projet est inutile dans les circonstances présentes, il ne peut rien produire, puisque la libre entrée n'a rien produit.

Pour l'avenir, je propose d'attendre le projet de réforme générale pour décider du tort de ces industries simultanément avec celui des autres.

Je viens de démontrer que l'intérêt des consommateurs n'est nullement enragé ; l’intérêt du trésor ne l'est pas davantage, le trésor public est même intéressé à l'ajournement. La raison en est simple : le gouvernement percevra un franc ou un franc quarante centimes par chaque tonne de houille et de fer anglais qui entrerait, mais on semble oublier que pour chacune de ces tonnes introduites le gouvernement devra rembourser le péage de l'Escaut qui est de 3 fr. 17. Il recevra 1 fr., il en remboursera 3 fr.17 ; c'est donc de ce chef une perte sèche de 2 fr. 17 pour le trésor.

Mais, messieurs, ce n'est pas tout : la tonne de houille étrangère qui entrera en Belgique prendra nécessairement la place d'une tonne de houille indigène, qui n'arrivera pas sur le marché de consommation intérieure. Or, cette tonne de houille belge qui aurait passé, par exemple, sur le canal de Charlcroi pour arriver à Anvers, à Bruxelles ou à Gand, aurait payé 2 fr. de péages au gouvernement. Ces 2 fr., le gouvernement ne les percevra plus. Il aura donc perdu d'un côté 1 fr. de droit d'entrée, il aura perdu d'un autre côlê 2 fr. 17 c. par la restitution des péages sur l’Escaut, et 2 fr. qu'il n'aura pas perçus, sur le canal de Charleroi, sur le charbon indigène auquel le charbon étranger sera substitué.

Le libre échange, pour la houille et le fer, coûtera donc au trésor une somme de 4 fr. 17 c. par tonne introduite. Ainsi, il est évident que le trésor public est intéressé à l'ajournement, et que le consommateur ne peut rien y perdre.

Messieurs, pourquoi donc la Chambre voudrait-elle se presser ? Pourquoi, lorsque vous n'avez aucun motif de le faire, lorsqu'aucune urgence ne l’exige, lorsque la loi ne produira aucun effet, pourquoi voulez-vous décider aujourd'hui ce que le gouvernement vous annonce que vous pourrez décider demain ?

Messieurs, il est autre motif qui milite, selon moi, en faveur de l'ajournement, et cette question a été soulevée déjà par l'honorable M. T'Kint de Naeyer et par mon honorable ami M. Brixhe. Je veux parler de la question des péages.

J'ai été étonné, messieurs, en lisant l'exposé des motifs du projet de loi du gouvernement, de voir, dans une note au bas d'une page, cette simple réponse faite à la chambre de commerce de Charleroi, qu'il n'y avait aucune corrélation directe entre les droits de douane et les droits de consommation. Or, messieurs, vous savez que pour la houille et pour le fer, comme pour tous les produits pondéreux, la question réside bien plus dans le prix du transport, dans le prix du fret que dans les droits de douane. Entre l'Angleterre et nous, la question de concurrence est avant tout une question de fret.

Messieurs, on a beaucoup discuté, dans des mémoires qui sont entre vos mains, sur le prix de revient de la houille et du fer en Angleterre, comparativement au prix de revient de la houille et du fer en Belgique.

Je ne veux pas entrer dans ces détails de chiffres, mais ce que personne ne contestera, c'est qu'en Angleterre, par suite des avantages naturels, le prix de revient de la houille et du fer est sensiblement inférieur au prix de la houille et du fer en Belgique ; personne ne le contestera.

On discute la valeur des chiffres, mais le fait on ne le conteste pas. Une différence existe ; il faut que nous compensions cette différence par des avantages dans les frais de transport.

La chambre de commerce de Charleroi a adopté le projet du gouvernement. Elle admet le tarif de 1 fr. .10 c. pour la houille, et celui de 3 et 6 fr. pour la fonte et le fer. Mais c'est à une condition : la chambre de commerce de Charleroi a déclaré qu'elle regardait la réforme de notre système vicieux de péages comme le corollaire indispensable de la réforme douanière qu'on propose.

En effet, messieurs, il serait inconcevable que, le jour où vous appelleriez la concurrence étrangère, où vous abaisseriez le tarif de la houille du taux de la prohibition presque au taux de la libre entrée, il serait vraiment étrange que lorsque vous déliez ainsi les mains de l'industrie étrangère, vous continuassiez à lier les mains de l'industrie de votre pays. Messieurs, vous feriez de la liberté commerciale pour l'étranger et vous feriez de la prohibition pour les produits nationaux.

Quand je dis prohibition, le mot est exact, en ce qui concerne notre système de péages. Vous savez que notre système de péages inégal repose sur l'idée d'équilibre qui, au fond, n'a jamais existé et qui existe de moins en moins à mesure que l'on construit des canaux, des chemins de fer.

Ce système d'équilibre, qui n'est que le socialisme appliqué aux transports, consiste à assigner à tel bassin tel marché de consommation et à en exclure tel autre bassin producteur. Ainsi, pour le bassin de Charleroi, l'Etat lui dit : Je vous interdis le marché de Gand et des Flandres que je veux réserver au bassin de Mons. N'est-ce pas là de la probibition intérieure ? n'est-ce pas établir des douanes intérieures sur des bases inégales et constituant des privilèges injustifiables ? On parle de libre concurrence ; mais avant de faire de la libre concurrence par l'étranger, commencer par faire de la libre concurrence en mettant dans des conditions égales les divers bassins du pays.

Messieurs, le canal de Charleroi, par exemple, a déjà remboursé deux fois le capital de rachat. Presque tous nos canaux et nos rivières sont amortis. Par conséquent, les péages sur nos voies navigables constituent des impôts réels. Or, messieurs, je vous le demande, d'après les prescriptions constitutionnelles, peut-on tolérer longtemps encore un système d'impôt différentiel, grevant tel bassin et en déchargeant tel autre ?

Messieurs, j'avais eu un moment la pensée, à l'occasion du projet actuel, d'user de mon initiative parlementaire et de proposer aux Chambres un projet de loi d'après le principe de la réforme des péages, admise en 1836 en France, en tenant compte de l'intérêt du trésor public.

Mais je me suis arrêté devant un fait : c'est qu'à l'heure où je parle, le système de nos tarifs et de nos péages est tellement bouleversé que force sera bien au gouvernement de saisir prochainement la Chambre de cette question. Que le gouvernement le veuille ou qu'il ne le veuille pas, les faiir, sont tels, qu il sera bien obligé, à moins de renoncer à toute recette sur nos voies navigables, de nous proposer la réforme complète, radicale, de notre système de péages.

Je vous disais, messieurs, et vous le comprenez du reste, que chaque fois qu'on creuse un canal, qu'on construit un chemin de fer, ce système d'équilibre est dérangé. Mais depuis que nous avons un ensemble de réseaux ferrés qui couvre le pays tout entier, le système ancien ne peut plus être maintenu. Je vais vous citer deux exemples.

L'honorable M. T'Kint de Naeyer vous le disait tout à l'heure : le chemin de fer de Louvain à Charleroi, qui rattache le bassin de Charleroi à Louvain ; le chemin de fer qui rattache le bassin du Centre par Manage et Wavre à Louvain, sont dans des conditions telles, que le charbon de Charleroi en destination d'Anvers, de Gand et de la Hollande, aura un avantage d'au moins 2 fr. en prenant ces voies nouvellesplutôt que de suivre les voies anciennes.

Je suppose que la compagnie, qui comprendra assez son intérêt peur le faire, adopte le tarif de 20 centimes par tonne-lieue, pour les grands transports, les chargements complets et les abonnements. Lorsque je (page 833) vois la compagnie du Nord qui transporte à un tarif inférieur à celui-là, je suis persuadé que la compagnie belge comprendra assez son intérêt pour réduire son tarif à 20 centimes et même au-dessous.

Avec ce tarif, les houilles de Charleroi et du Centre, qui prendront cette voie nouvelle, qui s'embarqueraient sur le canal de Louvain, sur lequel des droits légers sont établis, arriveront aux centres de consommation avec un avantage de 2 fr.

Le canal de Charleroi serait donc abandonné, en grande partie du moins.

Il y a un fait bien plus considérable, sur lequel j'appelle l'attention de la Chambre ; je veux parler du chemin de fer de Dendre-et-Waes. Je ne sais si la Chambre a étudié les combinaisons ingénieuses qui ont présidé au tarif adopté pour ce chemin de fer. Vous savez que la compagnie reçoit les trois quarts des recettes sur les transports effectués sur les lignes de l'Etat, et que l'Etat en conserve le quart. D'après ce système, Termonde, ou plutôt Alost deviendra l'entrepôt général du commerce des charbons pour l'intérieur de la Belgique et pour la Hollande.

Ainsi, voici ce qui se fait publiquement. Un négociant de Charleroi, par exemple, devant transporter à Anvers ou à Gand un chargement de houille, devrait payer, s'il prenait le canal de Charleroi et l'Escaut jusqu'à Anvers et Gand, devrait payer un fret qui varierait entre 6 et 8 fr., selon les époques. En prenant le chemin de fer en destination de Termonde ou d'Alost, pour y déposer ses charbons aux rivages qui y sont établis, il les expédiera à Gand et à Anvers, par l'intermédiaire de négociants entrepositeurs, à un fret de fr. 4 50 c. au plus.

Il paraît que la loi autorise la compagnie à faire des remises considérables, pour les expéditions en destination directe d'Alost ou des autres stations de la même catégorie, et de ces lieux d'entrepôt, le fret sera de 2 et 3 fr. au-dessous du fret par la voie navigable, pour les Flandres, Anvers et la Hollande.

M. Frère-Orban. - C'est impossible.

M. Dechamps. - Ce n'est pas impossible, puisque cela est. Cela se fait publiquement, au nom de la loi qui l'autorise et sans que le gouvernement y mette obstacle.

M. le ministre des travaux publics (M. Van Hoorebeke). - Les transports frauduleux sont interdits.

M. Dechamps. - Oui, sans doute, mais l'expédition faite à un négociant d'Alost qui réexpédie pour d'autres destinations, est-ce un transport frauduleux, selon l'interprétation que vous donnez à la loi ? Voilà la question.

La compagnie de Dendre-et-Waes fait comme toutes les autres compagnies, elle opère des réductions sur le maximum de son tarif, pour attirer les transports.

M. Frère-Orban. - Mais ici c'est impossible.

M. Dechamps. - Je ne veux pas maintenant discuter une question de droit, je ne justifie pas, j'expose et je me borne à constater un fait ; ce fait existe ; aucun obstacle, aucune entrave n'y a été apportée jusqu'à présent. Il en résulte, et c'est la seule conclusion que je veux poser, c'est que les transports de charbons effectués par les chemins de fer de Louvain à la Sambre, par celui de Manage à Louvain et par celui de Dendre-et-Waes, se feront désormais à des prix de 2 et 3 fr. au-dessous du fret actuel par le canal de Charleroi, et qu'à moins de renoncer aux recettes sur nos voies navigables, il faudra bien se résigner à étudier et à résoudre la question des péages.

Messieurs, je me résume : Je crois avoir démontré qu'au nom de l'équité, il faut que la révision de notre tarif des douanes se fasse d'après des principes qui soient communs à toutes les industries. Toutes les industries du pays ont été protégées par un tarif commun, elles ont joui ensemble des bénéfices de la protection ; il faut que la réforme les atteigne toutes d'une manière relative sans doute, mais par une seule loi d'ensemble.

Je pense avoir établi que la proposition du gouvernement est inutile pour les circonstances actuelles, que les droits qu'on propose pour la houille et pour le fer ne peuvent pas produire plus de résultat que la libre entrée n'en a produit, que, par conséquent, le projet de loi n'a aucun intérêt actuel pour les consommateurs, que ce tarif ne peut avoir d'effet que pour l'avenir.

Eh bien, messieurs, dans les circonstances normales vous ferez un tarif normal et pour les circonstances exceptionnelles où nous sommes, vous avez un tarif exceptionnel, vous avez la libre entrée.

J'ai prouvé que le trésor public, bien loin d'être intéressé à l'adoption prématurée du projet, est intéressé, au contraire, à ce qu'on l'ajourne.

Je pense avoir démontré en dernier lieu qu'il y a une corrélation intime, directe, pour les produits pondéreux comme la houille et le fer, entre la question des péages, la question des transports à l'intérieur et la réforme douanière.

Vous ne pouvez pas faire de la liberté commerciale pour l'étranger et faire de la prohibition pour les produits de l'industrie du pays. Commencez par améliorer le système de nos voies navigables, que des péages inégaux, que des droits de halage onéreux rendent vicieux, amenez la réduction des octrois communaux sur la houille, créez un matériel suffisant de transport sur nos chemins de fer et, après cela, réduisez vos tarifs de douane.

Je pense que la Chambre ne trouvera aucun inconvénient à ajourner les deux articles relatifs au fer et à la houille jusqu'au moment où le gouvernement présentera son projet de révision générale des tarifs.

M. de La Coste. - Je regrette, messieurs, de succéder à un orateur qui a captivé votre attention. L'objet qui vous occupe est pourtant assez important pour que vous vouliez bien m'écouter aussi quelques instants à mon tour.

En effet, messieurs, comme on l'a déjà dit, sous l'apparence d'un projet tout simple, insignifiant, pour ainsi dire, ce que nous avons à discuter c'est tout notre système commercial, tout notre système douanier ; car ceci n'est encore qu'une pierre d'attente pour un édifice qui doit avoir beaucoup plus d'étendue et de plus grandes proportions.

Ainsi, messieurs, au milieu du conflit des opinions et des intérêts, intérêts qui sont l'intérêt du pays se présentant à nous sous différentes formes, je voudrais que l'on pût trouver un principe auquel on pût s'attacher, un principe de justice, d'intérêt public. Il est dangereux, messieurs, de s'abandonner uniquement à la théorie ; quel que soit le principe qu'on adopte, on conçoit assez qu'il y a toujours des exceptions à admettre, qu'il y a toujours des tempéraments à garder ; mais enfin, il serait encore plus dangereux d'aller en avant sans principe, sans savoir où l'on va.

Messieurs, ce que je crois conforme à la justice et à l'intérêt public, c'est un principe d'égalité. J'ai entendu tout à l’heure l'honorable M. Vermeire exprimer une idée qui a déjà été mise en avant dans nos débats, et qui consiste à séparer entièrement la question de l'industrie de la question agricole.

Messieurs, je ne porterai pas la discussion sur le terrain de l'agriculture, ce serait donner à une question déjà si vaste une étendue plus grande encore et qu'il est inutile de lui faire prendre en ce moment ; mais je dois dire que pour ma part cette distinction ne me paraît avoir aucun fondement. M. Vermeire pense qu'il y a cette différence entre l'agriculture et les autres industries, que les produits de l'agriculture sont limités et que ceux des autres industries ne le sont pas. Messieurs, il y a d'abord une réponse à faire à ceci, c'est que les produits de l'industrie sont limités par le capital.

Maintenant on parle souvent de la liberté du commerce, prônée par les économistes et que l'on a maintenant, je ne sais trop pourquoi, désignée par le mot de libre échange ; mais, messieurs, quel est le principe fondamental de tous ces écrits qui, quoiqu'ils fassent quelquefois l'objet d'épigrammes, renferment cependant le travail de penseurs très prolfnds et qui ont étudié la question avec un très grand soin ? Leur principe fondamental, celui auquel tout se rattache, c'est que dans l'état naturel des choses, quand le gouvernement n'intervient par aucune protection, accordée à une industrie plutôt qu'à une autre, l'intelligence humaine, le travail de l'homme et les capitaux reçoivent la destination la plus favorable à l'intérêt de chacun et par cela même la plus favorable à l'intérêt public, du moins à la richesse publique.

Eh bien, messieurs, si vous rompez l’égalité, si vous portez la faveur plutôt d'un côté que de l'autre, naturellement l'intelligence, les capitaux et les bras se dirigeront vers l'industrie favorisée ; voilà, messieurs, ce que les économistes ont combattu comme une erreur radicale, et voilà ce que l'honorable M. Vermeire admettrait pourvu que ce fût aux dépens de l'agriculture.

Sais vouloir blesser l'honorable membre, pour qui j'ai la plus grande estime, je considère ceci comme une capitulation avec la conscience ; c'est comme il l'a dit lui-même, pour d'autres questions, une manière d'être libre-échangiste dans un intérêt et de ne pas l'être pour les intérêts qu'on n'a pas mission de défendre.

Messieurs, j'ai entendu d'autres membres et dans d'autres circonstances énoncer une idée dont je suis beaucoup moins éloigné ; j'ai entendu dire qu'il serait à désirer que notre tarif fût fiscal. D'autres soutiennent l'opinion tout opposée, ils voudraient que l'idée fiscale n'y fût pour rien et qu'on s'occupât exclusivement de défendre le travail national. Messieurs, si le tarif était fiscal, c'est-à-dire si on cherchait à le rendre productif, qu'arriverait-il ? C'est qu'il y aurait une protection, mais pas d'exclusion, car dès que le tarif devient exclusif il cesse d'être productif pour le trésor.

Les droits de douanes ont été attaqués comme impôts parce qu'ils coûtent beaucoup de frais de perception ; mais ces frais, les nombreux employés sont, dans tous les cas, inévitables, parce que vous ne pouvez pas vous passer de douaniers aussi longtemps que vous avez des droits d'accises.

Il serait donc à désirer que les douanes rapportassent plus au trésor, non parce que c'est un bon impôt, car il n'y a pas de bons impôts, il n'y a pas surtout d'impôts agréables, mais ce qu'on ne perçoit pas de cette manière, on doit le percevoir d'une autre et peut-être d'une manière beaucoup plus dure pour les contribuables. D'ailleurs, dans bien des cas l'impôt de douanes est très populaire ; par exemple, lorsqu'il atteint des objets de luxe que notre pays fournit de manière à satisfaire même un goût difficile ; les demander à l'étranger, c'est alors un caprice de la richesse, qui forme, selon moi, une très bonne matière imposable.

Eh bien, messieurs, je vois que le projet actuel, loin de rendre la douane plus productive, en diminue au contraire les produits, et que pour compenser cette perte, on est obligé d'établir des centimes additionnels. Or, messieurs, que feront ces centimes additionnels ?

Ils nous feront reculer dans la voie du libre-échange, au lieu de nous y faire avancer : les industries les plus favorisées ne sont pas atteintes par le projet, et l'on augmenterait encore la protection dont elles (page 834) jouissent de 4 p. c. ; à d'autres, au contraire, vous enlèveriez toute protection, sous prétexte qu'elles ne produisent que des matières premières.

Messieurs, il y a de grandes industries qui sont d'un intérêt immense pour le pays et celles-là trouvent toujours ici des défenseurs ; elles se défendent d'elles-mêmes ; mais, messieurs, elles ont cependant un inconvénient, c'est que quand une de ces industries périt ou s'affaiblit, elle laisse derrière elle une misère effrayante.

Voilà pourquoi, tout en reconnaissant l'importance de ces grandes industries, j'attache beaucoup de prix à une infinité d'industries diverses répandues sur tout le pays et qui, réunies, formeraient une masse de capitaux et de travail peut-être à comparer à plusieurs des grandes industries prises isolément. Il serait d'une mauvaise politique de laisser dépérir ces petites industries, parce qu'elles ne trouvent pas toujours, pour les défendre, une réunion d'efforts et de talents semblable à celle que trouvent les grandes industries.

Messieurs, parmi ces industries que j'appelle petites relativement, parce qu'elles ont moins de défendeurs, qu'elles n'ont guère d'actionnaires et ne payent pas de gros dividendes ; parmi ces industries qui s'exercent isolément sur plusieurs points du pays, et qui n'ont pas cette force d'association et de résistance qu'ont les grandes industries, il en est plusieurs qui s'occupent de ce qu'on appelle matières premières.

Eh bien, ces mots : « matières premières » forment une amphilologie ; c'est une de ces expressions qui semblent choisies pour mettre la confusion dans les idées. Je n'attaque point par là l'intention du ministre qui a présenté le projet de lui ; je caractérise l'expression.

Si l'on avait dit « matières brutes », je comprendrais la distinction ; mais, messieurs, pour celui qui produit certains agents chimiques, certains couleurs, comme pour celui qui produit d'autres objets qu'on ne classe pas dans les matières premières, mais qui sont pourtant employés comme tels dans d'autres industries ; pour celui-là, l'industrie à laquelle il se livre est aussi importante que l'industrie dans ses dernières transformations et ses derniers perfectionnements ; et pour le pays c'est la même chose. Un pays pourrait trouver plus d'avantage à s'occuper, par exemple, du filage de la laine que du tissage, tandis qu'un autre pays pourrait avoir plus d'intérêt à s'occuper exclusivement du lissage.

Il y a dans les produits du l'industrie une partie qui appartient à la matière brute ; faisons abstraction de celle-là, mais tout le reste appartient au travail ; 100 kilog. de drap très fin ont sans doute une valeur beaucoup plus grande que 100 kil. de laine filée ; mais une valeur de 100 fr. en laine filée ne représente guère moins de travail qu'une valeur de 100 fr. en drap.

Je trouve donc cette distinction très arbitraire ; je trouve très contraire aux principes que j'ai cherché à expliquer, que, sous prétexte de matières premières, on fasse disparaître quelques industries ou du moins qu'on leu rôle toute espèce de protection ; et qu'en définitive on ajoute 4 p. c. de protection aux tissus et à d'autres fabrications que j'admire, dont je suis fier comme habitant de la Belgique, mais que je voudrais voir traiter avec égalité. En un mot, l'égalité est ici, pour moi, le véritable principe.

Je sais bien que du moment qu'on admet des droits producteurs, il doit y avoir une certaine gradation jusqu'à la dernière façon qu'on donne à la marchandise ; il n'en est pas moins, vrai que chaque quantité équivalente de travail, appliquée à la matière brute, a un droit égal à la protection ; or, la loi qui nous est proposée blesse en plusieurs endroits ce principe d'équité et de saine économie politique.

Je me réserve, dans la discussion des articles, d'appliquer à quelques-uns de ceux que j'en crois susceptibles, les idées que je viens d'avoir l'honneur de développer devant la Chambre.

(page 826) M. Sinave. - Messieurs, au commencement de la séance, j'ai demandé à pouvoir adresser une interpellation à M. le ministre des finances. Dans ma manière de voir, la réponse à cette interpellation aurait beaucoup simplifié la discussion. Il paraît, d'après le débat qui a déjà eu lieu, que nous avons bien de la peine à nous entendre. Les divergences seront très prononcées, et cela vient uniquement de ce que le projet de loi ne porte aucun caractère. Selon moi, le gouvernement, au lieu de procéder par catégorie, aurait dû soumettre à la Chambre son système, système de libre-échange, soit ; système de protection modérée, soit encore ; système prohibitif, ou système fiscal, analogue à celui que nous avons actuellement et qui est contraire aux intérêts du pays. On a jusqu'à présent agi partiellement.

Si le gouvernement avait d'abord proposé son système, cette question une fois décidée, on aurait fait le tarif d'après le principe qui eût été adopté.

Or, ce n'est pas de cette manière qu'on procède aujourd'hui ; on a établi des catégories ; vous venez de l'entendre, on demande déjà à distraire de la loi les houilles et les fers. Nous allons nous trouver dans, un véritable labyrinthe. Pour sortir de ce dédale, pour rendre la discussion possible et facile, il n'y a qu'un moyen : c'est, je le répète, que M. le ministre des finances donne un caractère à la loi et fasse connaître à la Chambre et au pays son système. Voilà la seule considération que je me borne à présenter pour le moment.

M. le président. - La parole est à M. Dumortier.

M. Dumortier. - M. le président, je ne puis pas parler, avant que M. le ministre des finances ait répondu à l'interpellation de l'honorablc M. Sinave. Je ne prends donc la parole en ce moment que pour appuyer la motion de l'honorable membre. Le gouvernement doit nous dire quel est son système. Si le gouvernement se tait, il nous est impossible de traiter une matière aussi importante que la tarification, puisqu'elle résume tous les intérêts matériels du pays. Le silence du gouvernement peut être très habile, mais ce n'est pas ainsi que les choses doivent se passer dans un parlement. Il faut que le gouvernement ait le courage de déployer son drapeau ; il faut qu'il nous dise ce qu'il veut ; il faut, en un mot, que nous sachions dans quelles conditions nous sommes appelés à émettre un vote.

M. Vermeire. - Je désire faire une simple observation. J'ai demandé la parole lorsque mon honorable ami M. Dcchamps disait que des marchés avaient été faits pour transporter le charbon de Charleroi sur Termonde à un prix réduit, inférieur à celui qu'on paye sur les canaux ; il a parlé de l'exploitation du chemin de fer de Dendre et Waes. Il paraît que là on ne s'entend pas sur l'application du tarif.

J'invite M. le ministre des travaux publics à nous dire si la compagnie concessionnaire a le droit d'accorder, au moyen de primes, des réductions sur le prix des transports qui s'effectueront sur cette voie. Je sais que des marchés ont été faits, et si ce droit dont je viens de parler, n'existe pas pour la compagnie, des intérêts privés pourraient être fortement lésés. Il est important que ce point soit éclairci.

M. le ministre des travaux publics (M. Van Hoorebeke). - Je veux me borner à répondre par une simple observation à la demande de l'honorable M. Vermeire. Dans une autre séance j'aurai occasion d'examiner avec l'attention qu'elle comporte cette importante question, et de rendre un compte exact de ce qui a eu lieu et de ce qui a fixé mon attention. Je dirai que la solution de la question est, à mon avis, dans le rapport de la section centrale déposé par M. Veydt sur l'ensemble des travaux publics et dans les discussions qui ont eu lieu dans le sein de cette Chambre lorsqu'il s'est agi de la concession du chemin de fer de Dendre et Waes.

Un membre d'une des sections avait proposé, je pense, d'interdire à la compagnie le droit de faire des remises ou des réductions sur les prix de transport ; cet amendement n'a pas été reproduit dans le rapport de la section centrale. On y a substitué une autre rédaction qui tend à frapper la fraude, quand elle se produit par des détournements ou des fractionnements de transports.

Il n'est donc pas douteux que le gouvernement serait armé vis-à-vis la société concessionnaire, si elle détournait ou fractionnait au préjudice du trésor des transports originaires d'une station de l'Etat et en destination réelle pour une autre station de l'Etat.

Ce serait là un transport frauduleux qui exposerait la compagnie à se voir confisquer un mois de recette ; mais pour les transports nouveaux, pour les transports additionnels qui, par des rédactions de tarif, sont attirés sur les lignes de l'Etat, la question est plus grave et la compagnie peut être dans son droit en faisant ces remises, le gouvernement n'y perd au moins rien, c'est ce que je me propose de démontrer un autre jour, quand je reviendrai sur la question.

- La séance est levée à 4 1/2 heures.