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Chambres des représentants de Belgique
Séance du vendredi 18 mai 1855

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1854-1855)

(Présidence de M. de Naeyer, vice-président.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 1135) M. Vermeire procède à l'appel nominal à une heure et un quart.

M. Calmeyn donne lecture du procès-verbal de la dernière séance ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Vermeire communique l'analyse des pièces adressées à la Chambre.

« Le sieur Van Hamme de Stampaertshoucke Van Tieghem demande la révision des lois sur les wateringues. »

M. de Haerne. - Comme cette pétition présente un certain caractère d'urgence, à raison des abus qu'elle signale, je demanderai que la commission des pétitions veuille s'en occuper le plus tôt possible et nous faire un prompt rapport.

- Cette proposition est adoptée.


« Plusieurs briqueliers à Rupelmonde prient la Chambre de faire retirer la défense de bâtir dans la cinquième section de la banlieue d'Anvers. »

- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi concernant un crédit de 9,400,000 fr. au département de la guerre.


« Le sieur Iweins, commissaire de police de la commune de Seraing, prie la Chambre de prendre une décision en faveur des commissaires de police qui remplissent les fonctions de ministère public près les tribunaux de police. »

- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le budget de la justice.


« Des habitants de Perwez demandent que le département des travaux publics fasse droit à la réclamation relativement à l'accès du chemin de fer qui conduit de la chaussée de Thorembais-Saint-Trond à Grand-Rosière. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Streel prie la Chambre de modifier la législation sur les distilleries, en ce qui touche la betterave. »

- Même renvoi.


« Des habitants du hameau de Haut-Vent, commune de Fosses, réclament l'intervention de la Chambre pour qu'on fasse restituer à la commune le terrain dépendant de la place publique du hameau que le sieur Biot a mis en culture. »

- Même renvoi.


« Des employés des douanes formant le poste de l'entrepôt, à Liège, demandent un supplément de traitement. »

- Même renvoi.


« Les membres du conseil communal de Saint-Denis demandent la mise en exploitation de la ligne du chemin de fer comprise entre Bruxelles et Rhisne. »

-Même renvoi.


« Le sieur Roosen réclame l'intervention de la Chambre pour être indemnisé des pertes que lui a fait subir l'administration des chemins de fer de l'Etat, à l'occasion du transport de son bétail. »

- Même renvoi.


« Plusieurs habitants de Saint-Denis demandent qu'on examine s'il n'y a pas lieu de décider que les fabriques de produits chimiques suspendront annuellement leurs travaux du 1er avril au 1er octobre. »

-Même renvoi.


« M. le ministre fait parvenir à la Chambre un exemplaire de la 6e livraison du Recueil spécial des brevets d'invention. »

- Dépôt à la bibliothèque.

Motion d'ordre

Intrusion de douaniers français sur le territoire belge

M. de Muelenaere. - Messieurs, je désire adresser une interpellation à M. le ministre des affaires étrangères.

Un fraudeur, dit-on, le nommé Pierre-Joseph Weber, né et domicilié en Belgique, qui s'était échappé des mains des employés de la douane française et avait déjà regagné le territoire belge, a été poursuivi sur notre territoire, arrêté et conduit en prison à Lille, où il a été écroué.

Je n'attache pas, messieurs, une bien grande importance à un acte isolé de cette nature. L'expérience nous a appris que presque toujours ces actes sont imputables au zèle peu réfléchi des employés d'un rang inférieur. Cependant quand des faits de cette nature se produisent et qu'ils reçoivent, comme dans l'espèce, une grande publicité, il est important, je pense, dans l'intérêt d'une entente cordiale entre la Belgique et les gouvernements voisins, que de part et d'autre on s'empresse de désavouer et de réprimer un semblable excès de zèle.

Je demanderai donc à M. le ministre des affaires étrangères de bien vouloir nous dire si les faits qui nous ont été révélés récemment par les journaux sont exacts, et, en cas d'affirmative, quelle est la suite qui a été donnée à cette affaire par le gouvernement belge.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Vilain XIIII). - J'ai, en effet, reçu, il y a trois ou quatre jours, un rapport qui m'annonçait le fait dont vient de parler l'honorable comte de Muelenaere, et le même jour j'ai écrit au ministre de Belgique à Paris en le chargeant de signaler le fait au gouvernement français.

Je n'ai pas encore pu recevoir de réponse, le temps manque.

Projet de loi prorogeant le délai prévu par la loi du 20 décembre 1851 pour construction d’écoles

Discussion générale

M. le président. - Le projet de loi se compose d'un article unique ainsi conçu :

« La partie disponible à la clôture du budget de l'exercice 1854 sur le crédit d'un million de francs, alloué par le paragraphe 2 de l'article 12 de la loi du 20 décembre 1851, pour construction et ameublement d'écoles est transférée aux budgets du département de l'intérieur des exercices 1855, 1856, 1857 et 1858. »

M. T'Kint de Naeyer. - Messieurs, l'honorable prédécesseur de M. le ministre de l'intérieur avait saisi la Chambre d'un projet de loi portant révision des dispositions financières de la loi de 1842 sur l'enseignement primaire. J'ignore quelle est l'opinion du cabinet actuel sur cette question ; j'espère qu'il la soumettra à un nouvel examen et qu'il ne consacrera pas un système dont l'application aurait pour résultat la compression et l'amoindrissement de l'enseignement primaire dans les Flandres.

L'article 23 de la loi de 1842 est mauvais. Mitigé dans l'exécution, il est resté injuste encore ; mais l'interprétaiion que l'on a proposée est plus mauvaise encore et plus injuste. Je n'ai pas l'intention d'ouvrir une discussion prématurée sur ce point.

Je me bornerai aujourd'hui à renforcer les observations que la section centrale a présentées, afin que le gouvernement ait surtout égard à la situation financière des communes, dans la répartition du crédit alloué pour la construction et l'ameublement d'écoles. Il ne s'agit pas ici d'une récompense aux communes dont le concours a été le plus empressé, mais d'un secours aux communes les plus pauvres.

J'entends par communes pauvres les communes qui n'ont ni biens-fonds, ni rentes, et qui doivent couvrir toutes leurs dépenses, même les dépenses obligatoires, au moyen de cotisations personnelles.

Bon nombre de communes sont tellement obérées que les députations permanentes ne savent comment équilibrer leurs budgets. Dans la Flandre orientale le quart de la population rurale, 131,680 âmes, est à charge des bureaux de bienfaisance. Et ces administrations, au lieu de subsidier l'enseignement primaire reçoivent elles-mêmes des communes 253,000 fr.

J'ai visité un grand nombre d'écoles dans les Flandres et j'ai constaté avec regret l'état vraiment pitoyable des bâtiments d'écoles dans la plupart des communes. D'après le rapport de l'inspecteur provincial, qui doit se trouver dans les bureaux du ministère de l'intérieur, il faudrait un million pour compléter le matériel nécessaire à l'enseignement primaire dans la Flandre orientale seulement.

L'enseignement primaire est digne, à tous égards, de la sollicitude du gouvernement. C'est le meilleur remède auquel on puisse recourir pour diminuer le paupérisme qui continue à ronger nos provinces.

Chose vraiment incroyable ! dans la répartition des subsides destinés à l’enseignement primaire, on n'a, jusqu'à présent, tenu aucun compte, ni de la population des provinces, ni des charges qui pèsent sur elles du chef de l'entretien des pauvres D'un autre côté, les Flandres fournissent la plus forte part des ressources de l'Etat, tandis que nous n'avons pas même la neuvième part de la somme globale portée au budget en faveur de renseignement primaire.

L'enseignement est encore tellement arriéré dans les Flandres, que, d'après les rapports triennaux, la proportion du nombre des enfants fréquentant les écoles dans la Flandre orientale est seulement comme 56 à 100, tandis que la proportion, dans le Luxembourg, par exemple, est comme 95 à 100.

J'appelle donc toute l'attention de M. le ministre de l'intérieur et du gouvernement sur les moyens de développer l'enseignement primaire dans les Flandres, et de venir en aide aux communes rurales, dont la situation est telle aujourd'hui, qu'elles ne peuvent plus faire aucun sacrifice pour construire des écoles nouvelles.

M. le ministre de l'intérieur (M. de Decker). - Messieurs, le gouvernement n'a pas encore d'opinion arrêtée relativement à la position qu'il croira devoir prendre dans la question de la révision des dispositions financières de la loi organique du 23 septembre 1842 sur l'enseignement primaire. Je ne puis donc pas dire dès à présent si le gouvernement maintiendra le projet de loi tel qu'il a été présenté par mon honorable prédécesseur.

(page 1136) Tout ce que je puis dire, c'est que les dispositions financières de la loi de 1842 doivent consacrer un système de justice. Pour qu'il en soit ainsi, il faut nécessairement tenir compte, dans l'application, de la situation financière des communes. Si l'on ne tient pas compte de la situation financière des communes, combinée avec les besoins de l'enseignement, on s'expose à être injuste.

Comme l'honorable préopinant, je connais la situation financière des communes dans les Flandres. Il est évident que cette situation financière ne répond nullement à celle des communes dans d'autres provinces, dans le Luxembourg, par exemple, parce que, dans les Flandres, les budgets des communes sont réellement épuisés, rien que par les secours qu'elles donnent aux pauvres.

Les bureaux de bienfaisance prélèvent une part si considérable sur les budgets communaux que si la Chambre en connaissait le chiffre, elle en serait effrayée.

Lors donc que les communes sont dans la stricte obligation de pourvoir au premier des besoins, à l'entretien des pauvres, l'Etat doit tenir compte de cette situation pour ne pas exiger de ces communes la part rigoureusement proportionnelle qu'on pourrait leur demander pour le développement de l'instruction primaire. Sans doute, comme l'a dit l'honorable préopinant, le progrès de l'instruction primaire est un moyen de moralisation, de civilisation, un moyen de faire sortir les Flandres de cette ornière de misère dans laquelle elle n'est que trop engagée. C'est ce que les communes des Flandres comprennent de mieux en mieux.

Elles sont toutes disposées à s'imposer des sacrifices en contribuant à la dépense de l'instruction primaire, mais épuisées par les frais de la bienfaisance publique, ces communes ne peuvent faire ce que font les communes d'autres provinces. Il faut tenir compte de l'impossibilité où elles se trouvent de faire preuve de bonne volonté.

Ces considérations ont été admises par mon honorable prédécesseur et ont influé sur la répartition du subside pour construction et ameublement d'écoles. Déjà une première répartition a été faite entre les provinces, les besoins constatés pour les Flandres surpassent de beaucoup ceux qui ont été constatés pour les autres provinces. Les ressources des communes des Flandres sont, d'autre part, plus restreintes. De ce double chef, la distribution des 800,000 fr. alloués pour ameublement d'écoles consacre une première supériorité de chiffre en faveur des deux Flandres.

Quant aux 200,000 francs qui restent à distribuer, ils seront encore partagés de manière que les communes pauvres ne soient pas oubliées. Il faut que les progrès de l'instruction puissent marcher de front dans toutes nos provinces. Il faut que la situation financière des Flandres ne soit pas un obstacle à l'application du remède destiné à combattre leur misère dans sa source.

M. Desmaisières. - Je crois devoir appuyer les observations de l'honorable M. T'Kint de Naeyer. Je dirai tout d'abord que je trouve la réponse de M. le ministre de l'intérieur extrêmement satisfaisante. Il est certain que la base financière adoptée par la loi de 1842 est tout à fait fausse pour déterminer la part contributive des communes et des provinces dans les dépenses de l'enseignement primaire. Cette base repose principalement sur l'impôt foncier. Eh bien, certainement l'impôt foncier n'est pas la mesure des ressources des communes, ni la mesure des besoins en fait d'instruction primaire.

C'est donc là une base tout à fait fausse qu'il faut complètement réformer.

Si cependant cette base était conservée, il y aurait un motif de plus pour procéder le plus tôt possible à la révision des évaluations cadastrales, car l'impôt foncier repose sur ces évaluations. Dans une précédente séance, il a été reconnu à peu près par tout le monde qu'il y avait une inégalité proportionnelle intolérable entre les divers contribuables par suite des évaluations cadastrales trop fortes dans certaines localités et trop faibles dans d'autres.

Il y aurait donc là, je le répète, un motif de plus pour procéder à la révision des évaluations des revenus cadastraux.

Je saisis cette occasion pour demander à M. le ministre des finances, s'il ne pourrait pas produire comme annexe au budget des voies et moyens que nous aurons à examiner au commencement de la session prochaine, un devis estimatif de la dépense nécessaire pour cette révision cadastrale. Ce devis estimatif devrait être aussi détaillé que possible, afin que nous puissions bien apprécier quel est le montant de la dépense à faire et si, effectivement, comme on le dit, cette dépense est trop forte pour qu'on puisse opérer immédiatement la révision cadastrale. Quant à moi, je ne crois pas que la dépense soit aussi forte qu'on le pense, mais je voudrais que nous fussions mis à même de nous fixer à cet égard. Dans tous les cas il y a urgence de faire disparaître les inégalités nombreuses et considérables qui existent, non seulement entre les communes et entre les provinces, mais encore entre les contribuables d'une même commune.

M. Thibaut. - Messieurs, les honorables préopinants sont tous Flamands. Je conçois que les honorables MM. T’Kint de Naeyer et Desmaisières, comme Flamands, s'occupent avant tout des intérêts des Flandres, mais j'engagerai l'honorable M. de Decker à se défier un peu de la sympathie que, comme Flamand, il doit aussi éprouver pour ces provinces et à n'agir jamais, dans la répartition des subsides, que comme ministre de l'intérieur.

Vous avez appris, messieurs, par l'exposé des motifs du projet de loi que des plans-modèles ont été dressés pour les constructions d'écoles. Des exemplaires en ont été remis à toutes les administrations communales. Ces plans sont très beaux, très coquets même, mais leur exécution doit entraîner à des dépenses considérables. Pour une foule de communes, ces plans ne sont ni proportionnés aux besoins de chaque localité ni en rapport avec les ressources qu'elle peut appliquer à la construction d'écoles. Cependant, si mes renseignements sont exacts, il est arrivé déjà dans la province de Namur que les subsides ont été refusés à telle ou telle commune, parce qu'elle ne se conformait pas exactement à toutes les prescriptions du plan-modèle et des instructions qui les accompagnent.

J'engagerai M. le ministre de l'intérieur à se départir quelque peu de cette sévérité. Qu'il veuille bien permettre de réduire les dépenses, avant tout, aux besoins réels, et qu'il n'exige pas des dépenses inutiles, des dépenses de luxe, dans les communes qui ont peu de ressources.

Messieurs, je ne vois nulle part que le gouvernement doive rendre compte aux Chambres de l'emploi du crédit qui a été alloué en 1851, et qu'il s'agit de renouveler aujourd'hui. D'ordinaire, cependant, on trouve dans les projets de ce genre une disposition finale qui exige qu'un compte détaillé et spécial soit rendu à la législature. Je crois qu'il y aurait lieu de faire la même chose pour le crédit actuel.

M. Vander Donckt. - Je m'applaudis beaucoup, messieurs, des explications que l'honorable ministre de l'intérieur a bien voulu nous donner.

Moi aussi, je suis Flamand, et je ne viens pas vous demander des faveurs pour les communes des Flandres.

Non, messieurs, ce que nous demandons, c'est la justice. Nous demandons que le gouvernement ait égard à la situation financière des communes.

L'honorable M. Thibaut se méprend singulièrement lorsqu'il croit que le gouvernement devrait se défier de nos observations, lorsqu'il croit que nous venons demander des faveurs au préjudice des autres provinces.

Nullement, messieurs. Il faut remarquer une chose, c'est que, du chef de la contribution foncière, nous payons au trésor la part léonine, et nous ne réclamons pas dans cette même proportion pour nos communes des Flandres.

Nous ne demandons que ce qui nous revient d'après la justice distributive et d'après la position financière des communes pauvres.

Messieurs, pour vous donner une idée de la différence qu'il y a entre les diverses provinces, je me bornerai à cette seule observation ; et veuillez remarquer, messieurs, que ce ne sont pas des assertions vagues, mais des observations basées sur des données statistiques officielles que j'aurai l'honneur de présenter à la Chambre.

Dans la troisième section, un membre fait observer que, dans quelques localités, les bâtiments d'école sont construits avec un luxe qui n'est pas en rapport avec leur destination, d'où résulte un accroissement de charges pour les contribuables.

La section charge son rapporteur d'attirer l'attention de la section centrale sur ce point.

Si je consulte maintenant l'exposé de la situation administrative de la province de Luxembourg pour l'année 1851, je trouve que la députation permanente de cette province semble s'inquiéter de l'entraînement vers le luxe monumental dans la construction des bâtiments scolaires. Elle parle de bâtiments d'école coûtant jusqu'à 30,000 fr.

Messieurs, d'où cela provient-il ? De ce que les besoins, dans le Luxembourg, ne sont pas, à beaucoup près, aussi grands que dans les autres provinces, et notamment dans les Flandres.

D'abord une injustice à cet égard que je tiens à signaler au gouvernement, c'est celle-ci ; on a dit, dans la loi de 1842, qu'un tantième de 2 p. c. sur les revenus ordinaires des communes devait être destiné à l'enseignement primaire. Or, l'on ne tient pas compte, dans le calcul de ces 2 p. c, du revenu des terrains boisés que plusieurs communes possèdent dans le Luxembourg, dans la province de Namur et ailleurs. Ces communes sont en possession de revenus parfois très considérables de ce chef.

On dit que ces revenus ne sont pas des revenus ordinaires, puisqu'ils rentrent à des époques indéterminées, et qu'ils ne sont pas régulièrement et annuellement renseignés dans les budgets des communes.

J'appelle sur ce point l'attention du gouvernement J'espère que la loi actuelle sera réformée, mais tant qu'elle existe, je voudrais que le gouvernement examinât s'il ne conviendrait pas de tenir compte, pour la fixation des 2 p. c. du revenu, de ces terrains boisés ; d'autant plus que comme vous venez de le voir par l'exposé de la province de Luxembourg, les besoins y sont infiniment moindres. Ajoutons que ce revenu d'immeubles est certes le plus solide et le plus stable de tous les revenus.

Messieurs, voici la proportion dans laquelle les enfants pauvres fréquentent les écoles ; 95 p. c. des enfants pauvres fréquentent les écoles dans le Luxembourg, parce que l'instruction y est complètement organisée, les bâtiments d'écoles y sont presque achevés ; tandis que dans les Flandres, d'après les statistiques officielles, 59 p. c seulement des enfants pauvres fréquentent les écoles, et cela à cause du défaut d'organisation, du manque de ressources, et parce que, comme je l'ai dit maintes fois, avant d'envoyer l'enfant à l'école, il faut commencer par (page 1137) lui donner à manger, parce qu'on ne peut envoyer l'enfant à l'école en haillons, presque nu, comme le sont la plupart des pauvres de nos communes.

Messieurs, quand les enfants pauvres doivent aller recevoir à l'église l'enseignement religieux pour leur première communion, nos curés et les personnes charitables sont obligés de les habiller de manière, au moins, à ce qu'ils puissent se présenter convenablement à l'église. Souvent des enfants arrivent à l'âge de dix ans sans être jamais sortis de leur hameau, ils n'oseraient se montrer en plein jour déguenillés qu'ils sont, si ce n'est autour de leur cabane. Il y a une foule de nos communes où les pauvres se trouvent dans cette position.

Messieurs, comme j'ai eu l'honneur de le faire observer au prédécesseur de l'honorable de l'intérieur, lors de la discussion du dernier budget, un autre motif pour lequel nos écoles ne sont pas plus peuplées, c'est l'impraticabilité des chemins qui ne permet pas aux enfants d'approcher de l'école de l'aggloméré de la commune. C'est pour cela que j'ai fait tous mes efforts pour obtenir une majoration du subside accordé aux communes pour construction d'écoles.

Comme j'ai eu l'honneur de le dire, je remercie M. le ministre de l'intérieur de ses observations bienveillantes pour nos pauvres communes des Flandres. Je le répète, je ne demande pas de faveur, pas de privilège ; je demande seulement l'examen sérieux, l'examen consciencieux des besoins et de l'état des finances de ces pauvres communes.

M. Coomans. - Messieurs, il est bon de construire des écoles, beaucoup d'écoles ; il est bon de les meubler convenablement ; il est bon surtout que l'enseignement y soit solide. Mais il est bon aussi que justice soit rendue aux maîtres d'école, ne fût-ce que dans l'intérêt de l'enseignement, la question d'humanité à part.

Or, nous le savons tous, cette classe si utile et généralement si honorable de fonctionnaires publics vit dans une situation très gênée, pour ne pas dire plus.

Le mal est connu de tous. La plupart de nos maîtres d'école ruraux gagnent à peine ce que gagnent les journaliers, 2 francs à 2 fr. 50 c. par jour.

Je vous demande si, dans les circonstances difficiles où nous nous trouvons, il y a moyen pour le maître d'école de garder son rang, même dans l’humble village, avec des appointements aussi réduits ?

Le mal est certain ; le remède, nous aurons à le rechercher. Je ne sais s'il conviendrait à l'Etat de prendre à sa charge une augmentation d'appointements pour les instituteurs ruraux ; je ne sais si les communes, déjà accablées de tant de charges, pourraient suffire à l'accomplissement de ce devoir. Mais toujours est-il que des mesures quelconques sont à prendre ; je ne laisserai échapper aucune occasion d'y revenir.

J'en indiquerai une, et c'est uniquement pour cela que je me suis levé ; ce serait de supprimer la défense faite aux maîtres d'école de cumuler ses fonctions avec d'autres. Je vous avoue que je verrais bien moins d'inconvénient à ce qu'un maître d'école fût en même temps receveur ou secrétaire de la commune, qu'à le laisser vivre dans un état de misère dégradant et très pénible pour lui.

J'appelle incidemment, il est vrai, mais très sérieusement l'attention de la Chambre sur cet état de choses. Nous avons un grand nombre de fonctionnaires publics très utiles, indispensables de l'aveu de tous, qui vivent dans la misère, Or, je dis que ce spectacle ne devrait pas être offert par la Belgique. C'est à nous de rechercher les moyens d'améliorer une telle situation.

M. Manilius. - Je ne suivrai pas les honorables membres dans leurs observations. Je demande seulement la parole pour faire une recommandation au gouvernement.

Je parle comme représentant de la Belgique et non comme Flamand. Je tiens à faire cette observation, parce que j'aurai aussi à faire des comparaisons de province à province, et comme ces comparaisons se font ici à chaque instant et très légitimement, je pense que les honorables membres députés par d'autres provinces ne trouveront pas mauvais que nous fassions ces comparaisons et qu'ils n'en concluront pas à une division des députés des diverses provinces.

Messieurs, non seulement dans les Flandres, mais dans toutes nos provinces, une foule de nos communes sont obérées outre mesure par les frais successifs qu'elles ont à faire, non seulement à cause de l'état précaire des populations, mais pour les travaux publics.

Ainsi une foule de communes sont conviées à donner de grosses parts pour faire des routes, ce qui est un très grand bienfait, et pour pouvoir jouir surtout des subsides du gouvernement pour construction de ces routes.

Beaucoup de communes sont ainsi accablées, et qu'arrive-t-il ? C'est que les populations de ces communes sont grevées d'énormes contributions par capitation.

Ainsi, j'ai entendu M. le ministre de l'intérieur dire qu'il fera surtout attention dans le partage de la somme pour construction et ameublement d'écoles, à la situation des communes qui sont obérées. Messieurs, c'est ici que j'éprouve le besoin de faire une recommandation à M. le ministre.

Je crois que ses intentions sont excellentes, mais je le prie d'avoir surtout égard à ces communes qui se trouvent peut-être en apparence dans une situation assez favorable, mais qui sont obérées de contributions. Ainsi telle commune figurera comme n'ayant pas de dette, mais voyez sa capitation, elle est plus que double de celle de la commune voisine qui aura des dettes, qui se plaindra et viendra revendiquer la grosse part des subsides, mais qui n'aura pas fait les mêmes efforts que l'autre commune.

Vous comprenez dès lors que dans, la répartition qui sera faite, il est utile et nécessaire, non seulement d'envisager l'état des ressources de la commune, mais aussi la position faite aux contribuables de cette commune. Messieurs, cette capitation est quelquefois telle que des habitants quittent ces communes pour ne plus avoir à les supporter.

La situation de ces communes qui ont épuisé leurs moyens pour obtenir les subsides de l'Etat destinés à la construction de routes, doit être prise en sérieuse considération dans la répartition du crédit qui nous occupe. Si elles ne sont pas endettées, parce qu'elles s'imposent de grands sacrifices, elles ont plus de mérite que des communes qui se seraient appauvries, parce qu'elles n'ont pas voulu supporter des charges aussi considérables.

J'espère que mes observations seront prises en sérieuse considération.

M. le ministre de l'intérieur (M. de Decker). - Comme vient de le dire l'honorable préopinant, nous sommes tous ici des Belges. Il n'y a pas de distinction d'hommes appartenant à telle province plutôt qu'à telle autre, et je m'engage à traiter toutes les provinces sur un pied d'égalité et de justice.

Mais je me hâte d'ajouter que, lorsqu'il s'agit de la répartition de subsides de la nature de celui, dont il s'agit, ce n'est pas la répartition rigoureuse et mathématique des subsides qui constitue la justice, c'est l'appréciation des besoins, d'une part, et des ressources, d'autre part, qui doit être la base combinée de cette répartition.

A ce double point de vue, on a pu constater, et tous les ministères qui se sont succédé ont pu constater que les Flandres ont droit à une part plus grande dans la répartition de ces subsides.

D'abord, les besoins y sont plus considérables peut-être, parce que les communes, jusqu'à présent, par des motifs que je ne puis pas examiner ici, n'ont pas suffisamment soigné la construction de ces écoles. Peu importent les motifs, le fait est que les besoins pour cette partie de l'organisation de l'enseignement primaire sont beaucoup plus considérables dans les Flandres que partout ailleurs.

Pour ce qui est des ressources, en apparence les budgets des communes flamandes offrent plus de ressources que les budgets des communes des autres provinces ; mais dans les Flandres les communes ont à remplir, du chef de la construction des routes, et surtout du chef de l'entretien de leurs pauvres, des obligations, telles qu'il ne reste presque plus rien de disponible pour l’enseignement primaire. Ce fait est facile à vérifier ; il suffit d'inspecter les budgets.

Je crois donc, messieurs, que le gouvernement doit étudier d'une manière combinée les besoins d'une part, les ressources d'autre part, pour arriver à une répartition vraiment juste, en pratique, des subsides pour construction de locaux d'écoles.

L'honorable M. Thibaut s'est plaint des dépenses trop considérables qu'entraîne la construction des locaux d'écoles. On exagère singulièrement lorsqu'on prétend que ces constructions se distinguent par un luxe inconvenant. Ces constructions sont convenables, et je crois qu'on agit parfaitement bien en les rendant convenables. Ce sont des constructions appropriées aux besoins auxquels elles doivent pourvoir. Elles s'exécutent d'après les plans fournis par les architectes du gouvernement et sur lesquels les conseils d'hygiène ont été consultes. Ce sont des bâtiments où les enfants doivent en quelque sorte contracter des habitudes de propreté, le goût de la symétrie et de l'ordre.

Sous ce rapport, il est important que les enfants aient sous les yeux, non pas des constructions mal agencées, mais des constructions régulières. Leur santé surtout et leur développement physique sont intéressés grandement à ce qu'ils habitent des bâtiments construits d'après les exigences des règles hygiéniques.

Ces locaux d'écoles doivent-ils donc coûter des sommes si considérables ? D'après les plans dont il s'agit, les dépenses moyennes d'une école, pour une commune ordinaire, ne montent pas au-delà de 6,000 fr. On a parlé d'écoles qui coûtaient davantage. Il peut y avoir certains cas exceptionnels où l'école doit avoir plus d'étendue ; mais, en moyenne, dans les communes rurales, les écoles proposées ne doivent coûter que 6,000 francs, et on a été jusqu'à rendre la part des communes, dans la construction de ces écoles, tellement faible que, dans beaucoup de cas, elle est réduite au sixième, c'est-à-dire à 1,000 francs. Or, il n'y a pas de commune, comprenant un peu l'importance de l'enseignement primaire, qui ne puisse contribuer aux frais de construction d'une école pour une somme de 1,000 francs, qui peut même être répartie sur plusieurs exercices.

Les plans dont il s'agit sont le résultat d'études faites par les hommes de l'art et par les hommes de science, les membres du conseil d’hygiène ; le gouvernement a donc raison de tenir à ce que ces plans soient exécutés. Mais je ne crois pas que le gouvernement soit tellement rigoureux, qu'il repousse tout plan d'école qui n'est pas exactement conforme au modèle fourni par l'administration ; ce fait me paraîtrait exorbitant, et je ne crois pas qu'il se produise.

(page 1138) L'honorable M. Thibaut demande si le gouvernement rendra compte de l'emploi du crédit d'un million affecté à la construction d'écoles. Evidemment, messieurs, lorsque le crédit d'un million sera utilisé, le gouvernement rendra compte aux Chambres de l'emploi de ce crédit.

M. Thibaut. - Un compte spécial ?

M. le ministre de l'intérieur (M. de Decker). - Il y aura un compte spécial, puisque le crédit est d'une nature spéciale. Vous savez, messieurs, qu'il y a aussi chaque année au budget de l'instruction publique une somme consacrée, comme dépense normale et ordinaire, à la construction et à l'ameublement d'écoles.

Il est rendu compte de cette dépense chaque année, à la suite du budget de l'intérieur. C'est ainsi que le budget de l'intérieur qui a été distribué hier, contient le compte rendu de l'emploi du crédit de 75,000 fr., consacré, sur l'exercice de 1854, aux dépenses de construction et d'ameublement de bâtiments d'écoles. Il sera également rendu un compte spécial du crédit dont il s'agit en ce moment.

L'honorable M. Coomans se plaint de la position gênée de beaucoup d'instituteurs. Ce malheur, messieurs, n'est pas particulier aux instituteurs ; il n'atteint que trop souvent la plupart de nos fonctionnaires, dont les ressources ne sont nullement en rapport avec les besoins extraordinaires qui résultent des circonstances actuelles. Il faut espérer que ces circonstances ne dureront pas. Du reste, les instituteurs savent d'avance que leur carrière est une carrière toute de dévouement ; et s'ils n'étaient pas guidés par des pensées de dévouement, nous n'aurions personne pour remplir ces utiles fonctions. Aussi, ne pouvons-nous que les encourager à persévérer dans cette vie modeste, à se dévouer tout entiers à leur mission vraiment civilisatrice. S’il y a moyen d'améliorer leur position, le gouvernement s'y prêtera volontiers ; mais l'honorable membre reconnaît lui-même que, si le mal est évident, le remède est très problématique. Dans certains cas, on a permis aux instituteurs d'accepter d'autres fonctions ; on le leur permettra à l'avenir chaque fois qu'on pourra le faire sanus nuire à l’instruction.

M. Thibaut. - Je me permettrai, messieurs, de tirer une conclusion du discours de l'honorable ministre de l'intérieur. Il résulte, me paraît-il, qu'on n'exigera plus dorénavant que les communes suivent exactement et dans toutes leurs parties les plans-modèles fournis par le gouvernement pour la coustructions de maisons d'écoles. Je m'en félicite, car je puis déclarer que dans la partie du pays que j'habite certains détails de ces plans seront toujours inutiles. Ainsi, par exemple, les plans-modèles exigent des lavoirs et deux vestiaires, un vestiaire pour les garçons, un vestiaire pour les filles, comme si nos pauvres petits malheureux des campagnes avaient des paletots ou des pardessus et autres objets susceptibles d’être déposés dans ces vestiaires. Ces locaux qui entraînent cependant des dépenses considérables sont, dans la plupart des communes, complètement inutiles.

Quant au luxe des constructions, je ne prétends pas que les bâtiments d'étoles actuellement existant ont un caractère trop somptueux ; mais, messieurs, si vous avez eu sous les yeux les plans adressés aux administrations communales pour les diriger à l'avenir, vous devrez reconnaître qu'on a mis beaucoup trop de luxe dans les détails et surtout dans les façades principales des bâtiments.

M. le ministre des finances (M. Mercier). - Messieurs, j'étais sorti pour un moment de la salle, quand l'honorable M. Desmaisières a fait tout à l'heure sa motion ; je m'empresse maintenant de répondre à l'interpellation qu'il m'a adressée.

Mon honorable prédécesseur a soumis à la Chambre un rapport qui lui avait été demandé, relativement à la révision des évaluations cadastrales ; il n'a estimé la dépense qui serait occasionnée par cette révision qu'à la somme de 5,225,000 francs.

L'honorable M. Desmaisièrcs a demandé que le gouvernement fournît le détail de cette estimation pour chaque nature de dépense à laquelle cette opération donnerait lieu.

Je n'ai aucune objection à faire contre cette motion ; j'espère pouvoir, avant la fin de la session actuelle, déposer cette pièce comme annexe à l'exposé des motifs du budget des voies et moyens présenté pour l’exercice 1856.

- La discussion est close.

Vote de l'article unique

Il est procédé au vote par appel nominal sur le projet de loi.

Le projet de loi est adopté à l'unanimité des 68 membres présents. Il sera transmis au Sénat.

Ont adopté : MM. Pirmez, Rodenbach, Rousselle, Sinave, Thibaut, Thiéfry, Thienpont, T'Kint de Naeyer, Tremouroux, Vanden Branden de Reeth, Vander Donckt, Van Grootven, Van Hoorebeke, Van Iseghem, Van Overloop, Van Remoortere, Verhaegen, Vermeire, Veydt, Boulez, Brixhe, Calmeyn, Closset, Coomans, Coppieters 't Wallant, Dautrebande, David, de Bronckart, de Brouwer de Hogendorp, de Chimay, de Decker, de Haerne, de La Coste, Delfosse, de Liedekerke, Deliége, de Moor, de Muelenaere, de Perceval, de Portemont, de Renesse, de Royer, de Ruddere de Te Lokeren, de Sécus, Desmaisières, de T’Serclaes, Devaux, de Wouters, Dumortier, Goblet, Jacques, Jouret, Julliot, Landeloos, Lange, Lebeau, Lejeune, Lesoinne, Maertens, Magherman, Manilius, Mascart, Matthieu, Mercier, Moreau, Orts, Osy et de Naeyer.

Projet de loi accordant des crédits supplémentaires au budget du ministère de la justice

Discussion générale

M. le président. - La section centrale propose d'adopter le projet de loi avec les modifications suivantes :

« A l'article premier, l'allocation destinée à couvrir les frais d'entretien et de transport de mendiants et d'insensés, dont le domicile de secours est inconnu, est porté de 10,000 fr. à 30,000 fr. D'où il suit qu'aux articles 1 et 3 les mots « trois cent douze mille » et le chiffre 312,000 seraient remplacés par : « trois cent trente-deux mille » et 332,000. Ces changements sont proposés par la section centrale, à la demande même du gouvernement. La discussion s'établit donc sur le projet de la section centrale.

Dans une séance précédente, la Chambre a décidé que la discussion du rapport de la commission des pétitions sur diverses pétitions relatives aux dépôts de mendicité, serait jointe à celle du projet de loi ouvrant des crédits supplémentaires au département de la justice.

En conséquence la discussion est ouverte et sur les crédits supplémentaires et sur le rapport de la commission des pétitions.

M. Moreau. - Messieurs, dans de nombreuses pétitions dont l'honorable M. Vander Donckt vous a présenté hier l'analyse, beaucoup d'administrations communales et de parliculiers vous demandent de supprimer les dépôts de mendicité.

Je viens, messieurs, appuyer cette demande.

Veuillez, s'il vous plaît, m'accorder quelques instants votre bienveillante attention, car, selon moi, cette question a une telle gravité, qu'il importe qu'elle soit soumise à un examen sérieux, et l’objet d'une étude approfondie de la part du gouvernement.

Vous le savez, messieurs, depuis longtemps chez presque toutes les nations, l'autorité publique s'est constamment préoccupée de l'extinction de la mendicité, et il faut bien le reconnaître, le résultat de toutes les mesures qui ont été prises n'a été nullement satisfaisant

Dans notre pays, par exemple, la mendicité n'a pas diminué malgré l'existence de cinq dépôts.

L'origine de ces établissements remonte à l'empire, c'est un décret du 5 juillet 1808 qui les a créés dans toute la France.

De 1809 à 1813, on a établi dans ce pays 77 dépôts de mendicité, les frais de premier établissement ont coûté 12 millions, non compris la valeur des immeubles destinés à recevoir les mendiants.

Mais à peine furent-ils organisés qu'on en constata l'inefficacité et que les plaintes les plus vives surgirent de toute part.

Les conseils des départements, les administrations communales ne cessèrent d'adresser au gouvernement de nombreuses réclamations contre l'existence de ces établissements, le mal fut reconnu si grand, tellement paient, que savez-vous quel était le nombre des dépôts encore ouverts en 1816 ?

En 1816, des 77 dépôts de mendicité, il n'en restait plus que cinq ; maintenant il y en a encore 8 ou 9 pour toute la France et voici ce qu'on en dit ;

« Dans les villes où ils sont établis, ils ajoutent considérablement aux charges locales, sans que la mendicité pour s'y pratiquer moins activement y soit réellement moins étendue qu'ailleurs. L'institution des dépôts de mendicité peut être considérée comme à peu près abandonnée.

Voilà, messieurs, ce qu'on a fait en France, voilà quel a été le sort de ces établissements.

Pourquoi donc ne ferions-nous pas la même chose ici ?

Se plaint-on en France de la suppression des dépôts ? S'aperçoit-on que le nombre des mendiants se soit accru ?

En Belgique l'institution des dépôts de mendicité aurait-elle donné de meilleurs résultats ?

Non certainement, messieurs, il suffit de voir les plaintes qu'ils font surgir à chaque instant, de lire les documents qui les concernent, pour s'en convaincre.

On a eu beau les réorganiser à différentes reprises, prendre à chaque instant de nouvelles mesures pour les améliorer, les défauts de cette institution sont restés les mêmes, par la raison bien simple qu'il est impossible de rendre bonne une chose mauvaise dans son principe, un édifice qui pèche par sa base.

Dès 1845, on s'est occupé de la révision de la législation sur les dépôts de mendicité, on a tâché de porter remède au mal que l'on reconnaissait patent.

Que disait-on alors ?

Dans l'état actuel des choses, les dépôts ne répondent pas au but de leur institution. Etablis pour réprimer et pour prévenir la mendicité, leur organisation actuelle s'oppose à ce qu'ils remplissent cette double condition ; ils n'offrent pas, aux fainéants, aux vagabonds, aux repris de justice qui y sont reclus, les moyens de régénération morale nécessaires ; ils exposent les ouvriers honnêtes qui s'y rendent momentanément à perdre leurs habitudes laborieuses et à se dépraver, ils sont des foyers de corruption, des lieux de désolation pour les vieillards et les incurables ; loin de remédier à la mendicité, ils y provoquent ; tout indigent qui y entre peut être considéré comme perdu pour la société.

Il en résulte que les sacrifices faits par les communes pour l'entretien de leurs indigents dans les dépôts, n'ont le plus souvent d'autres résultats pour elles que de donner lieu à des sacrifices de plus en plus grands et hors de proportion avec leurs ressources ; aussi les plaintes (page 1139) s'élèvent-elles de toute part, et contre les charges accablantes, et contre le régime qui les nécessite.

Qui tenait, croyez-vous, ce langage si expressif ? C'était le gouvernement, dans un document inséré au Moniteur du 29 juin 1845.

Chose étonnante et quasi incroyable ! Ces dépôts existent encore.

« Loin de réprimer la mendicité, ils y provoquent », on le proclame hautement en 1845 à la face du pays, et, depuis dix ans, on continue à ruiner les communes en leur imposant des sacrifices au-dessus de leurs ressources ; pourquoi ? Pour maintenir des établissements que l’on sait être des foyers de corruption et de dégradation pour les ouvriers honnêtes, des lieux de désolation pour les vieillards, des maisons où tout individu qui y entre est considéré comme perdu pour la société.

Dira-t-on peut-être que la loi du 3 avril 1848 et l'arrêté du 15 juillet 1849 ont remédié à ce fâcheux état de choses ?

Ce serait, messieurs, une erreur de le croire ; les seules modifications qu'apportent cette loi et cet arrêté à la législation concernent les jeunes délinquants et l'entrée volontaire des mendiants dans les dépôts.

Quant à se dernier point, les mesures qu'on a prises sont entièrement illusoires, ceux qui veulent être admis dans les dépôts savent qu'ils n'ont qu'à mendier là où ils ont la certitude d'être arrêtés ; il n'est pas rare d'en voir aller tendre la main à la caserne de la gendarmerie.

On n'a donc pas fait disparaître les vices dont ces établissements étaient entachés ; aussi le langage que l'on tient aujourd'hui est-il autre que celui de 1845 ?

Non, messieurs, pour en être convaincu, il suffit de lire de nombreuses pétitions qui nous sont à chaque instant adressées, elles vous représentent la position que l'on fait aux communes comme étant intolérable.

Ces plaintes sont-elles fondées ? C'est ce que nous allons examiner, en analysant les documents qui ont été portés à notre connaissance.

En 1831, les cinq dépôts de mendicité existants dans le pays renfermaient 1,504 individus dont l'entretien a coûté 279,240 fr., tandis qu'en 1850 ces mêmes dépôts étaient peuplés de 4,509 reclus dont les frais d'entretien se sont élevés à plus de 650,000 fr. ; ces frais se sont même montés en 1847 à 900,000 fr.

En 1831, la journée d'entretien coûtait 31 c. 71/100 ; elle se payait en 1840, de 36 à 40 c., en 1846 de 40 à 46 c. ; elle était en 1853 de 40 à 48 cent. pour les valides et de 48 à 52 c. pour les invalides.

Nul doute qu'en 1854 elle ne soit encore considérablement augmentée à cause de la cherté des denrées alimentaires.

Cet état de choses n'est pas, messieurs, moins préjudiciable au trésor qu'aux caisses communales.

En 1848, le crédit pour frais d'entretien et de transport de mendiants dont le domicile de secours est inconnu était de 25,000 francs ; en 1854, l'allocation portée à cet effet au budget s'élevait à 110,000 fr.

Aujourd'hui on vous demande de l'augmenter de 30,000 fr. et ce n'est pas tout.

Ainsi en 1858, 140,000 fr. ne suffirent pas pour payer des dépenses auxquelles on faisait face, il y a 6 à 7 ans, au moyen de 25,000 fr.

D'un autre côté, messieurs, les revenus des bureaux de bienfaisance du royaume peuvent être évalués à environ 5,500,000 francs et le nombre des indigents secourus pendant toute l'année ou partie de celle-ci est, terme moyen, de 900,000.

Ainsi 4,500 reclus dans les dépôts, qui forment seulement la deux centième partie de la population indigente, absorbent autant que le neuvième des revenus consacrés dans tout le royaume au soulagement des malheureux.

Comment voulez-vous qu'un tel état de choses ne suscite pas les plaintes les plus justes, les plus fondées ?

Eh quoi ! vous imposez d'une part aux communes l'obligation de pourvoir à l'entretien de leurs indigents et de l'autre vous leur enlevez le plus clair de leurs revenus pour nourrir quelques fainéants ou vagabonds !

Vous forcez les communes à donner pour l'entretien de mauvais sujets des fonds qu'elles auraient employés avec fruit à soulager bien des misères, à empêcher des familles, tombées momentanément dans l'indigence de se livrer à la mendicité !

Il n'y a rien d'exagéré dans ce que j'avance, je connais beaucoup de communes dont les bureaux de bienfaisance n'ont que 500 à 600 fr. de revenus pour venir en aide à la classe indigente, et qui payent annuellement 800 et 1,000 fr. et plus pour l'entretien de cinq à six individus dans les dépôts de mendicité.

Comme nous l'avons dit tantôt, les revenus des bureaux de bienfaisance sont de cinq millions et demi ; ils représentent donc un secours annuel pour chacun des 900,000 indigents qu'ils secourent de 6 à 7 fr.

Voilà, terme moyen, tout ce que reçoit le pauvre honnête et laborieux secouru à domicile ; mais s'il ne veut pas travailler, s'il est fainéant et vagabond, il force la commune à lui donner davantage en la menaçant de lui imposer une charge annuelle d'environ 175 fr., en se rendant dans un dépôt.

Cela se voit à chaque moment et les transactions de cette espèce ne sont pas rares dans les communes rurales.

Il y a, messieurs, parmi nous, plusieurs bourgmestres, et pas un seul ne vous dira que ce que j'avance ne soit l'exacte vérité ; pas un seul ne vous dira que les dépôts de mendicité ne soient un véritable fléau pour les communes.

J'ai dit, messieurs, que la population des dépôts de mendicité était en grande partie formée de fainéants et de gens sans aveu, et il me sera facile de prouver que mes dires sont exacts.

J'ai consulté à cet effet les rapports contenant l'exposé de la situation administrative des provinces dans lesquelles sont situés les dépôts et voici ce que j'y ai trouvé (les renseignements me manquent seulement pour le dépôt de Bruges).

Dans les quatre établissements de la Cambre, d'IIoogstraeten, de Mons et de Reckheim, la population moyenne était en 1852 de 2,829 individus et sur ces 2,829 reclus, savez-vous combien il y en a de valides ? 2,310. Le nombre des invalides n'est que de 529, c'est-à-dire que le rapport à la population de ces quatre dépôts est pour les individus qui peuvent travailler de 81 1/2 p. c. et pour les invalides de 18 1/2 p. c. seulement.

De plus j'ai trouvé qu'un grand nombre d'entre eux considéraient ces dépôts comme de véritables hôtelleries, puisqu'il y en a qui y sont entrés jusqu'à 10, 11 et 12 fois ; l'un d'eux y avait même choisi 15 fois sa résidence.

Les dépôts de mendicité ne peuvent contenir que 4,000 ou 5,000 mendiants, or, voici quel a été le nombre des individus se livrant à la mendicité à différentes époques récentes. Au 1er août 1854, le nombre des mendiants était de 73,296, 40,916 hommes et 32,380 femmes.

Au 12 septembre même année il était de 70.095. 38,871 hommes, 31,224 femmes ; enfin à la date du 1er mars 1855 il s'élevait à 111,970, 63,060 hommes et 48,910 femmes.

Prenant une moyenne entre ces chiffres, on trouve qu'en Belgique il y a ordinairement 85,000 individus se livrant à la mendicité.

Ainsi, nos dépôts ne peuvent conteuir qu'environ 5 1/2 p. c. des personnes qui mendient.

Je vous le demande, messieurs, en présence de ces chiffres que peuvent faire les dépôts pour la répression de la mendicité ?

Si la loi reste inexécutée, si elle est une lettre morte pour plus de 80,000 délinquants, quel besoin y a-t-il d'imposer des charges aussi lourdes aux communes, de les ruiner pour faire ce que j'appellerai tout à la fois injuste et dangereux, puisque la force des choses vous oblige à laisser impunis des faits constituant des infractions à la loi ?

Et si je venais sommer le ministère d'exécuter la loi, de tenir strictement la main à ce que, comme cela doit être, une loi ne restât pas, à chaque instant, impunément violée ?

Que me répondrait-il ? Pourrait-il me donner sur ce point la satisfaction que j'ai comme tout citoyen le droit d'exiger ? Non, messieurs, car à ne supposer la journée d'entretien qu'à 48 centimes, la dépense s'élèverait par jour à 40,800 francs et par année à peu près à 15 millions.

On me dira peut-être ; Concluez, indiquez un remède propre à arrêter le mal que vous signalez. Je n'ai pas, messieurs, la prétention de donner une solution complète et immédiate à cette question dont la solution, je l'avoue, est extrêmement difficile.

Mais j'ai signalé un mal produit par une chose que je regarde comme inutile, comme mauvaise.

Eh bien, je demande qu'on commence par la faire disparaître, je demande que le gouvernement supprime les dépôts de mendicité, ces lieux où les mendiants se dégradent de plus en plus ; c'est-à-dire je désire qu'il n'alimente plus ces établissements en y admettant encore des mendiants, qu'il laisse éteindre ces foyers de corruption.

Leur suppression ne présentera pas, certes, en Belgique, plus d'inconvénients, plus de dangers, qu'elle n'en a fait naître en France.

Dans l'entre-temps on pourra rechercher ce qu'il y a de mieux à faire pour réprimer la mendicité.

Quant à moi, messieurs, sauf meilleur avis, je partage l'opinion consignée dans l'une des pétitions analysées dans votre dernière séance.

« Toutefois, messieurs, porte-t-elle, nous ne demandons pas l'impunité pour les individus valides qui, pouvant se livrer au travail, préfèrent se mettre à charge de la société ; ceux-là évidemment commettent un délit qu'il faut punir. Nous pensons que le moyen le meilleur de corriger ces êtres dégradés, c'est de les renfermer pendant un temps plus ou moins long dans nos prisons cellulaires, dussent les communes supporter en tout ou en partie les frais de cet emprisonnement. »

Ce genre de punition paraît avoir produit d'excellents résultats sur les individus considérés comme incorrigibles, pourquoi n'en ferait-on pas l'essai ?

Quant aux autres mendiants, il nous paraît qu'on doit laisser à la charité publique et privée le soin de les secourir dans chaque commune ; la mendicité ne serait donc un délit que lorsque la personne qui s'y livrerait habituellement serait valide ou lorsqu'elle aurait lieu hors du territoire de la commune.

Il appartiendrait aux administrations locales de prendre, sous le contrôle de l'autorité supérieure, les mesures nécessaires pour décider le mode le meilleur de diminuer, si pas entièrement supprimer, la mendicité.

Telle est, messieurs, mon opinion, comme je l'ai dit, sur ce point, sauf meilleur avis.

Je pourrais maintenant, messieurs, envisager encore cette question à un autre point de vue, vous démontrer que les dépôts de mendicité (page 1140) consacrent en quelque sorte « le droit au travail », comme la loi du domicile de secours celui à l'assistance, mais je ne veux pas abuser plus longtemps de vos moments, il me suffît de vous avoir signalé que ce qui existe est mauvais et qu'il est plus que temps que le gouvernement se livre à un examen sérieux de la question et se hâte de prendre des mesures pour la suppression des dépôts de mendicité.

M. Rodenbach. - La question qui s'agite est fort grave. Je prie M. le ministre de la justice, qui est à peine arrivé au pouvoir, de vouloir bien examiner mûrement cette question des dépôts de mendicité. Comme l'a dit l'honorable préopinant, en France, il n'y a plus que neuf dépôts pour une population de 36 millions d'hommes, tandis que nous en avons 5 pour une population de 4.500,000 habitants.

Ces établissements coûtent annuellement au pays une somme de 1,200,000 fr., non compris les frais d'entretien des locaux qui doivent être souvent restaurés tous les ans. Savez-vous quel sacrifice les communes doivent s'imposer pour les dépôts de mendicité ? Au-delà de 600,000 fr. par an pour les 4,500 mendiants qui sont colloqués dans les dépôts, pour ces malfaiteurs, ces paresseux qui ne sont pas dignes d'être enfermés ; c'est un repaire de vagabonds ; les dépôts de mendicité sont une pépinière pour recruter nos prisons d'Etat ; c'est là qu'on forme les voleurs. Voyez de quelle utilité sont ces dépôts ! Lorsque les voteurs ont fait leur temps et qu'ils sortent de prison au commencement de l'hiver, ils se présentent et sont admis dans les dépôts de mendicité où ils se font chauffer, héberger pendant l'hiver en attendant que l'occasion se présente de commettre de nouveaux méfaits ; là ils travaillent à peine ; ils passent leur temps à donner des leçons de vol aux jeunes vagabonds qui n'étaient que de simples mendiants quand ils y sont entrés et qui en sortent des voleurs plus ou moins habiles, car on leur enseigne là l'art de dérober le bien d'autrui. L'immoralité s'apprend dans ces dépôts de mendicité ; je suis d'avis qu'on devrait les supprimer ; on ferait disparaître d'un trait de plume une dépense de 1,200,000 fr. On va me dire : Que ferez-vous de vos malfaiteurs, de vos vagabonds ? Je chargerais les communes d'en avoir soin ; elles le feraient à meilleur compte que le gouvernement qui trouverait une économie à leur venir en aide au moyen de quelques subsides.

Si j'ai bonne mémoire, sous l'empire, en 1809, lorsqu'on créa ces dépôts de mendicité, ils ne constituaient pas des refuges de fainéants ; c'étaient des maisons de correction ; nous les avons transformés en maisons de travail. En France, ce n'est pas comme cela.

Je dis donc que la question est de la plus haute importance ; le gouvernement continue à l'examiner ; depuis plusieurs années des avalanches de requêtes nous sont arrivées, on les a renvoyées à des commissions ; l'honorable comte de Muelenacre a prononcé plusieurs discours, et, en définitive, les requêtes ont été renvoyées à M. le ministre de la justice ; ces renvois jusqu'ici n'ont servi à rien.

Pour me résumer, je dirai que c'est la lèpee du pays, c'est la cause des dettes qui écrasent les communes.

Un conseiller provincial de la Flandre occidentale, M. Dumortier, m'a assuré que dans certaines communes on avait dû faire des emprunts s'élevant de 5,000 à 10,000 francs, pour payer l'entretien de vagabonds au dépôt de mendicité.

J'engage de nouveau M. le ministre à faire tous ses efforts pour extirper ce vice administratif.

M. le ministre de la justice (M. Nothomb). - Je remercie les honorables préopinants des observations qu'ils viennent de présenter ; je les crois justes en principe ; le gouvernement en tirera profit, et moi surtout pour qui la question est nouvelle. Ces honorables membres ont reconnu que la question est très difficile. Et comment ne le serait-elle pas ? Elle touche d'une manière directe à un des problèmes les plus redoutables des sociétés modernes ; le paupérisme. S'il est assez aisé de signaler le mal, il ne l'est pas autant de trouver le remède.

Le gouvernement se préoccupe depuis longtemps d'étudier le régime des dépôts de mendicité, car il est convaincu de la nécessité de le modifier complètement.

Un premier pas dans cette voie de la réforme a été fait par la loi du 3 avril 1848 qui a mis des entraves à la liberté illimitée des entrées et des sorties des mendiants. En outre, cette loi a décrété la création de deux écoles de réforme, l'une pour les garçons, l'autre pour les filles.

Il reste à s'occuper des mendiants adultes et des vieillards des deux sexes.

Un projet de loi a été élaboré, sous mon honorable prédécesseur, par une commission composée d’hommes compétents.

Voici en résumé le travail de la commission :

Ce projet admet la suppression dis dépôts actuels. Il donne donc satisfaction aux observations émises par les honorables MM. Moreau et Rodenbach.

Ce projet admet la suppression des dépôts actuels et leur remplacement par des institutions de répression distinctes pour les mendiants et les vagabonds, adultes et valides.

Ces institutions seraient essentiellement agricoles.

Il propose en outre la création d'hospices provinciaux pour les vieillards, les infirmes, les incurables et les malades des communes rurales.

Sous ces deux rapports, il reproduit, en quelque sorte, le projet soumis à la législature, en 1846, par l'honorable M. d'Anethan.

Enfin, en présence des heureux résultats que les fermes-hospices ont produits dans les Flandres, le projet appelle la création de semblables fermes et d'écoles de réforme communales et privées, en promettant à leurs fondateurs d'en assurer la perpétuité par la personnification civile.

De cette manière, l'Etat n'aurait pas toute la charge que le complément de la réforme nécessitera, et les mendiants de chaque sexe et catégorie, au lieu d'être agglomérés dans de grands établissements spéciaux, pourraient, en partie, rester dans les communes auxquelles ils appartiennent.

Mais il faut bien le reconnaître, il faudra du temps pour ériger les fermes-hospices et les écoles de réforme là où il sera possible d'en établir.

En attendant, et dans ce système, l'Etat pourrait commencer la réforme par la création de deux établissements agricoles de répression.

Pour cela, il faudra des sommes assez considérables. Or, mon honorable prédécesseur s'est expliqué sur ce point, dans la séance de la Chambre du 5 avril 1854, et comme lui, je pense que le moment n’est pas opportun pour faire une pareille dépense.

Néanmoins, le gouvernement examinera si, pour engager à la création des fermes-hospices, il ne serait pas avantageux de discuter le projet de la réforme, sauf, s'il est adopté, à en ajourner l'exécution à des temps plus prospères, en ce qui concerne les établissemenis de répression dont l'Etat aura à faire les frais.

L'honorable M. Moreau a parlé incidemment tout à l'heure de la loi sur le domicile de secours. Je dirai, en réponse à cet honorable membre, que le département de la justice examine cette question également très difficile. Mais je ne puis dès maintenant assurer que cette loi sera modifiée, ni indiquer dans quel sens elle le sera. Il m'est impossible d'énoncer avec certitude que la législature doive être ou non saisie d'un projet de réforme sur ce point. Cet examen n'étant pas terminé, je ne puis en préjuger le résultat, A maintes reprises, la question a été soulevée dans cette Chambre, particulièrement en 1851, lors de la présentation d'une demande de crédit faite par mon honorable prédécesseur de cette époque, dans une occasion pareille à celle qui nous occupe.

La question a été surtout agitée à propos des indigents étrangers dont l'assistance est devenue, je le reconnais avec l'honorable M. Moreau, un véritable fléau pour le trésor public. Mais du moment qu'on admet en principe l'assistance donnée à ces étrangers, et l'on ne peut guère la repousser sans blesser les lois de l'humanité et les rapports internationaux, il s'agit de savoir sur qui pèsera la charge. Pèsera-elle sur les communes, pèsera-t-elle sur l’Etat ? Il ne faut pas espérer guérir le mal ; ne nous faisons pas illusion ; il est inhérent à la société moderne. Tout ce qu'on pourra faire, je le crains bien, ce sera de l'amoindrir faiblement ou de le déplacer ; au fond, il subsistera.

Quoi qu'il en soit, la difficulté est grande ; j'ignore si elle peut être résolue ; tout ce que je puis promettre à l'assemblée, c'est d'y vouer toutes les préoccupations du gouvernement.

L'honoiab'e M. Moreau a cité des chiffres à l'appui de son opinion, touchant l'augmentation incessante du chiffre de la dépense faite pour les indigents étrangers. Ces chiffres ne sont que trop réels, l'éloquence en est palpable. Cette dépense, qui était de 26,000 fr. en 1848, atteint aujourd'hui peut-être 150,000 fr. Pour expliquer jusqu'à un certain point cette progression, il faut tenir compte de ce que l’on a pu contester avec succès la légalité d'un arrêté du roi Guillaume de 1826, qui avait mis à la charge des communes l'entretien des indigents étrangers ; depuis lors il a été admis que l'Etat doit pourvoir seul à l'entretien de ces étrangers. Naturellement, les communes n'ont rien eu de plus empressé que de s'emparer de cette interprétation et de se soustraire à cette charge qui, de la sorte, a été quadruplée au détriment de l'Etat.

Des circonstances locales ou politiques, les événements qui ont troublé le monde depuis sept ans, les crises commerciales ont nécessairement dû contribuer à faire affluer en Belgique, pour y chercher du travail, un certain nombre d’étrangers sans ressources et à augmenter dans de grandes proportions le secours qui leur est donné, et que la cherté des subsistances a dû rendre infiniment onéreux pour le trésor public.

J'ajouterai qu'il y avait entre la Belgique et le gouvernement néerlandais, ainsi que le gouvernement du grand-duché de Luxembourg pour le remboursement de ces frais, des conventions qui ont été dénoncées lrécemment, de sorte que le gouvernement belge n'obtient plus de ce chef la rentrée de ses avances.

L'honorable M. Moreau a terminé en appelant l'attention de la Chambre sur les pétitions qui ont fait, avant-hier, l'objet d'un rapport de l'honorable M. Vander Donckt, et dans lesquelles on demande la réforme ou la suppression des dépôts de mendicité. J'ai pris connaissance de ce rapport et principalement du passage cité par l'honorable membre indiquant comme remède l'emprisonnement cellulaire applique à la mendicité.

Je dois dire qu'à la première vue ce moyen ne me paraît guère praticable. En effet, quels sont les individus admis dans les dépôts de mendicité ? Ce ne sont pas seulement des condamnés pour mendicité, ce sont des individus sans ressources qui ont été, en vertu de la loi de 1848, admis dans ces dépôts de l'avis des autorités locales.

On ne pourrait donc soumettre ceux-ci à l'emprisonnement cellulaire qui suppose une condamnation encourue. L'emprisonnement cellulaire est une peine redoutable ; c'est ce qui en fait le mérite. Il doit être réservé pour des fait 'graves, pour de véritables crimes ou délits. Or, le (page 1141) délit de mendicité, qui n'est souvent que le délit de pauvreté, ne peut être en règle générale assimilée aux méfaits dans l'acception criminelle du mot.

Aussi, toutes les législations, et surtout la nôtre, ne le punissent-elles que d'une manière exceptionnelle, c'est à-dire d'une pénalité mitigée qui, chez nous, ne dépasse plus un maximum de huit jours d'emprisonnement.

On ne pourrait, sans changer complètement la répression de la mendicité et dénaturer le régime cellulaire, envoyer dans des prisons de ce genre de simples mendiants condamnés par un tribunal de simple police à 24 ou 48 heures de détention ; l'emprisonnement cellulaire implique nécessairement, vous le savez, messieurs, une certaine durée ; c'est la condition de son efficacité. Je ne pense donc pas que ce remède puisse répondre aux fins qu'on attend.

Je dois ajouter que ces observations sont émises à première vue, et telles que peut les suggérer la seule lecture d'un rapport qui nous est parvenu ce matin.

Je n'y attache donc pas le caratère d'une opinion arrêtée.

M. de Renesse. - Messieurs, la discussion de ce projet de loi me fournit l'occasion de présenter à M. le ministre de la justice quelques observations sur la non-exécution de la loi sur le domicile de secours, par rapport surtout à la province de Liège.

Dans la province de Limbourg est situé le dépôt de mendicité de Reckheim, qui sert au dépôt des mendiants reclus des provinces de Liège et de Limbourg.

Dans la province de Limbourg, les communes remplissent les obligations imposées par la loi sur le domicile de secours, tandis qu'il n'en est pas ainsi dans la province de Liège ; presque chaque année, l'autorité provinciale du Limbourg est obligée de réclamer avec beaucoup d'instance la part dans les dépenses de ce dépôt à payer par les communes de la province de Liège, et comme les deux tiers des reclus sont de cette province, il se trouve que parfois le conseil d'administration du dépôt de Reckheim se trouve dans la plus grande gêne, pour faire face à la dépense d'entretien des mendiants reclus ; ce conseil a déjà dû s'adresser au département de la justice, pour obtenir à cet égard une avance de fonds ; et, il y a une couple d'années, l'autorité provinciale de Limbourg a été forcée, au milieu de l'hiver, de renvoyer 200 mendiants valides de la province de Liège, faute, par les communes de cette province, d'avoir payé, en temps utile, leurs dettes à ce dépôt de mendicité.

J'espère que l'honorable ministre de la justice prendra des mesures pour que la loi sur le domicile de secours reçoive partout une égale exécution, de manière à ce que les communes de la province de Liège, remplissent leurs obligations envers le dépôt de Reckhcim, et s'exécutent comme celles de la province de Limbourg.

Si la loi sur le domicile de secours est mauvaise, que l'on se hâte de la changer ; mais aussi longtemps qu'elle a force de loi, il faut la faire exécuter.

Il ne faut pas que des communes puissent s'affranchir des obligations imposées par cette loi, au détriment de la bonne administration économique des dépôts de mendicité.

M. Vander Donckt. - Après le discours très remarquable de notre honorable collègue, M. Moreau, et les observations fort judicieuses qu'il vous a présentées, il ne reste que peu de mots à ajouter. Je répondrai cependant quelques mots à l'honorable ministre de la justice.

Autre chose est de nourrir les mendiants dans les dépôts de mendicité et de favoriser la fainéantise, le mauvais vouloir de ceux qui s’y renferment. Autre chose est de le spunir sévèrement d’un emprisonnement cellulaire. Je ne voudrais ni de l’un ni de l’autre. Ce que je demande, c’est qu’on les abandonne à leur sort, c’est qu’on supprime les dépôts de mendicité et qu’on abandonne les mauvais garnements, les vagabonds à leur sort. Alors, et alors seulement, ils seront forcés de venir aux bureaux de bienfaisance de leur localité à côté des mendiants honnêtes, à côté de ces pauvres qui, aujourd hui, sont privés d'une grande partie de leur nécessaire, parce que les communes sont forcément obligés d'enivoyer leur peu de ressources en payements aux dépôts de mendicité pour les malveillants, les vagabonds, les pauvres de mauvais vouloir qui séjournent constamment, à charge des communes, et se constituent volontairement dans les dépôts de mendicité.

Messieurs, je dois relever ici une observation de M. le ministre de la justice et j'espère qu'il se convaincra de la vérité de mon observation. Il nous dit que les pauvres sont admis dans les dépôts de mendicité au moyen dune autorisation de la commune. Il en est tout autrement ; c'est précisément ce dont nous nous plaignons tous les jours, c'est à cet égard que nous demandons la réforme de la loi ; nous voudrions que les pauvres ne fussent admis aux dépôts de mendicité que sur une autorisation de la commune ; et je vous assure qu'alors le nombre des détenus serait infiniment moindre. Les dépôts seraient presque déserts.

Messieurs, ce n'est pas d'aujourd'hui que nous nous plaignons. Depuis deux ou trois ans j'ai eu l'honneur de vous présenter successivement des rapports sur des avalanches de pétitions, pour me servir de l'expression de l'honorable M. Rodenbach. Il ne s'agit pas seulement des pétitions dont s'occupe le rapport que j'ai déposé il y a deux jours. Ce n'est pas la seule province des Flandres qui réclame. Vous avez entendu l'honorable M. Moreau ; ceux qui ont pris communication de mon rapport se seront convaincus que ce sont les communes rurales de toutes les provinces qui réclament.

Messieurs, que demandent les pétitionnaires, et que demandons-nous ?

C'est qu'on supprime les dépôts de mendicité ou qu'on les maintienne si l'on veut, mais qu'on n'oblige pas les communes à y entretenir leurs pauvres ; qu'on rende facultatif pour les communes de les y colloquer. Voilà la simple mesure que nous réclamons.

L'honorable ministre s'est étendu longuement sur les mesures qu'il faudrait prendre si les dépôts de mendicité étaient supprimés. Messieurs, en France, on a purement et simplement supprimé les dépôts de mendicité et on n'a pas cherché à y substituer d'autres moyens d'entretenir les mendiants.

Messieurs, qu'arrive-t-il lorsque vous entretenez dans les dépôts de mendicité les pauvres de mauvais vouloir, les malveillants, les vagabonds ? C'est que vous commettez une injustice criante envers les pauvres honnêtes, que vous ne permettez pas de secourir suffisamment, qu'on est obligé d'abandonner, parce que ces communes pauvres, qui n'ont pas les moyens de leur donner le nécessaire, sont obligées, en outre, de payer pour les mauvais sujets dans les dépôts de mendicité, et vous imposez à ces pauvres communes l'obligation de payer pour ces mauvais garnements, pour des hommes de mauvaise volonté, la plupart personnes valides, mais fainéants.

Messieurs, vous comprenez qu'il y a une différence énorme entre punir par la prison cellulaire ou nourrir et héberger commodément les mendiants. Or, que se passe-t-il ? Vous accordez la nourriture et le logement à des vagabonds qui viennent s'héberger dans vos dépôts pendant la saison rigoureuse, qui y viennent souvent pour se venger de leur commune, qui, ne se contentant pas de la part distributive qu'obtiennent les pauvres honnêtes dans les distributions des bureaux de bienfaisance, menacent l'administration communale et l'administration du bureau de bienfaisance, leur disant qu'ils sauront les punir, qu'ils se rendront au dépôt avec leur famille.

C'est là un état intolérable pour les communes. Aussi toutes celles qui doivent entretenir des mendiants dans les dépôts de mendicité réclament avec instance pour obtenir un terme à cet état de choses. Il en est même qui déclarent résilier leur mandat s'il doit durer plus longtemps.

Le gouvernement a été si convaincu des griefs très réels que faisaient valoir les pétitionnaires ; qu'il a institué une commission pour aviser aux moyens et aux modifications à apportera la loi. Cette commission, au lieu de proposer simplement la suppression des dépôts de mendicité, s'est ingéniée à trouver des remèdes. Messieurs, la découverte de ces remèdes, comme vous l'a dit M. le ministre de la justice, est un problème peut-être insoluble. Mais ce qui n'est pas insoluble, ce qui satisferait complètement nos communes, c'est la suppression des dépôts de mendicité, c'est que ces communes aient la faculté de faire entretenir ou de ne pas faire entretenir leurs pauvres dans ces dépôts, d'après ce qu'elles trouvent bon et dans la mesure de leurs ressources financières.

Je demande que l'honorable ministre, s'il n'y voit pas d'inconvénients, nous donne des détails sur le travail de cette commission, pour que nous puissions examiner de plus près ses décisions et aviser aux mesures à prendre, si l'honorable ministre ne juge pas à propos de supprimer immédiatement les dépôts de mendicité.

M. Moreau. - Je désire, messieurs, répondre à une des dernières observations que l'honorable ministre de la justice a présentées en terminant son discours.

En demandant que l'on emprisonne les personnes qui se livrent à la mendicité dans les prisons cellulaires, je n'ai entendu parler, messieurs, que des mendiants valides, de ces fainéants qui sont incorrigibles et ne veulent se livrer à aucun travail ; ils commettent, dans mon opinion, un délit assez grave ; aussi le Code pénal avait-il considéré cette infraction à la loi comme un délit ; ils votent certes l'argent des communes en se faisant entretenir à leurs dépens dans les dépôts de mendicité ; il est donc juste qu'ils soient punis sévèrement. J'ajouterai que dans les prisons cellulaires que je connais, on y renferme non seulement les condamnes criminels, mais aussi les simples délinquants.

- La discussion générale est close.

Discussion des articles

Article premier

« Art. 1er. Le budget de dépenses du ministère de la justice pour 1854, fixé par la loi du 15 juin 1853, est augmenté d'une somme de trois cent trente-deux mille francs, répartie comme suit :

« Chapitre VIII, article 33. Pensions ecclésiastiques: fr. 2,000.

« Chapitre IX, article 34. Frais d'entretien et de transport de mendiants et d'insensés dont le domicile de secours est inconnu : fr. 30,000.

« Chapitre X, article 39. Frais d'entretien, d'habillement, de couchage et de nourriture des détenus : fr. 300,000.

« Ensemble : fr. 332,000. »

- Adopté.

Article 2

« Art. 2. Le budget des dépenses du même département pour 1855, fixé par la loi du 23 mai 1854, est augmenté :

« 1° D'une somme de trente mille francs, fr. 30,000, à ajouter au chapitre IX, article 43, établissement des écoles de réforme pour mendiants et vagabonds âgés de moins de 18 ans.

« 2° Pour liquidation et payement des dépenses (page 1142) concernant l'exercice clos de 1853 et les exercices antérieurs, jusqu'à concurrence d'une somme de deux cent quatre-vingt-deux mille six cent dix francs 55 centimes : fr. 282,610 53, dont pour simple régularisation, fr 256,695 58 c, laquelle sera répartie sous un chapitre XIII nouveau, conformément au détail ci-après :

« Chapitre XIII

« Paragraphe premier. Administration centrale.

« Art. 60. Matériel : fr. 55 76.

« Paragraphe 2. Frais de justice.

« Art. 61. Frais de justice en matière criminelle, correctionnelle et de police pendant 1853 : fr. 2,000.

« Paragraphe 3. Pensions

« Art. 62. Arriére de pension de 1853 : fr. 249 75.

« Paragraphe 4. Etablissements de bienfaisance

« Art. 63. Frais d'entretien et de transport de mendiants dont le domicile de secours est inconnu (exercice 1853) : fr. 10,000.

« Art. 64. Etablissement des écoles de réforme pour mendiants et vagabdnds âgés de moins de 18 ans : fr. 222,0352 49.

« Paragraphe 5. Prisons.

« Art. 65. Frais d'entretien, d'habillement, de couchage et de nourriture des détenus pendant 1853 : fr. 22,808 60.

« Art. 66. Frais d'habillement et de couchage des gardiens et des surveillants : fr. 2,197 01.

« Art. 67. Construction des prisons (soldes dus à deux entrepreneurs), exercice 1853 : fr. 4,011.

« Art. 68. Honoraires et indemnités de route à un architecte (exercice 1853) : fr. 86 60.

« Art. 69. Achat de matières premières et ingrédients pour la fabrication (exercice 1853) : fr. 9,601 72.

« Art. 70. Traitement et tantièmes des employés (1853) : fr. 5,567 62

« Paragraphe 6. Dépenses diverses.

« Art. 71. Dépenses diverses de toute nature, m.ais antérieures à 1854 : fr. 4,000.

« Total du chapitre XIII : fr. 282,610 55. »

M. Delfosse. - Messieurs, parmi les dépenses comprises dans cet article, il y a au n°1°, une allocation qui, selon moi, ne devrait pas, en totalité au moins, être demandée comme crédit supplémentaire, mais dont la plus grande partie devrait être portée au budget ; c'est la somme de 30,000 francs qui est proposée pour l'école de réforme de Ruysselede.

Il s'agit d'abord de pourvoir à la dépense que nécessitera le déplacement d'une machine à vapeur et l'acquisition d'une deuxième chaudière pour cette machine. Je reconnais que cette partie de la dépense est urgente ; cela est démontré dans le rapport de la section centrale. Il v a donc lieu d'accorder la somme demandée de ce chef, avant le vote du budget de 1856.

Mais, messieurs, l'autre partie de la dépense, qui a pour objet l'extension de l'établissement, ne me paraît pas présenter le même caractère d'urgence ; elle devrait être examinée en même temps que le budget de 1856, et je ne vois pas pourquoi on nous la présente sous la forme d'un crédit supplémentaire. Si une telle manière de procéder était admise, il n'y aurait pas de raison pour ne pas voter, sous forme de crédits supplémentaires, toutes les allocations portées au budget.

Je prie M. le ministre de la justice de vouloir donner quelques explications à cet égard. Je verrai ensuite si je dois présenter un amendement.

M. le ministre de la justice (M. Nothomb). - Messieurs, on a demandé dès maintenant le crédit de 30,000 fr. parce qu'on tient essentiellement à pouvoir donner immédiatement à l'établissement de Ruysselede l'extension projetée. Cet établissement produit les meilleurs résultats ; la Chambre apprécie quels grands services il a déjà rendus, et plus on l'étendra plus il sera utile. Il renferme aujourd'hui 500 détenus. On voudrait pouvoir augmenter ce nombre d'un cinquième. D'un côté ce serait un avantage au point de vue de la réforme des jeunes délinquants et d'autre part on pourrait diminuer dans une certaine proportion les charges que les communes supportent du chef des dépôts de mendicité. Il s'agit donc, messieurs, de faire une chose désirable pour l'amendement des détenus et en même temps de poursuivre un but économique.

Il y a un autre motif, messieurs, qui fait désirer à l'administration de pouvoir mettre immédiatement la main à l'œuvre. C'est encore une considération d'économie. Un travail qui ne peut subir aucune espèce de retard, c'est la réparation de la machine à vapeur et l'établissement d'une chaudière nouvelle ; cela est urgent et commandé au nom de la sécurité.

L'administration a pensé qu'elle trouverait une économie à comprendre dans une seule entreprise, et ce travail de réparation, qui ne peut pas être différé, et l'extension à donner à l'établissement même.

M. Delfosse. - J'avoue, messieurs, que je ne suis pas satisfait des explications de M. le ministre de la justice. Il y a une machine à vapeur qui est mal placée ; il faut, sous peine d'accident, lui donner un autre emplacement, cela exige une dépense de quelques milliers de francs, et parce qu'il y a une machine à vapeur à déplacer, on vient nous demander, sous forme de crédit supplémentaire, les moyens de donner une grande extension à un établissement qui renferme déjà 500 jeunes mendiants et vagabonds ; on saisit incidemment la Chambre de l'importante question de savoir s'il convient en cette matière de pousser plus loin l'intervention de l'Etat ; on veut que nous décidions cette question pour ainsi dire sans examen.

Le programme du ministère promettait de réduire autant que possible l'intervention de l'Etat dans les affaires privées, et à propos d'une machine à vapeur qui doit être déplacée, on sollicite de nous un vote qui porterait de 500 à 600 le nombre des détenus de Ruysselede.

Convenez, messieurs, que cette manière de procéder n'est pas très régulière. Je n'en fais pas de reproche à M. le ministre de la justice, ce projet de loi n'est pas son œuvre, c'est l'œuvre de son prédécesseur. Il n'y a pas ici de question personnelle ni de question de parti.

Il y a uniquement le désir d'empêcher de graves abus. On ne peut, pas venir, à la fin d'une session, nous proposer incidemment des mesures de cette importance.

Si l'on procède ainsi pour l'établissement de Ruysseledce il n'y aura pas de raison pour ne pas procéder de la même manière à l'égard d'autres établissements qui se trouvent sous la direction de l'Etat.

Je crois que la Chambre ferait très bien d'allouer maintenant la somme nécessaire pour les dépenses urgentes, c'est-à-dire pour le déplacement de la machine à vapeur et pour l'achat d'une deuxième chaudière, et d'ajourner le reste jusqu'au budget de 1856.

Je n'entends point, messieurs, me prononcer en ce moment contre le projet de donner de l'extension à l'établissement de Ruysselede, mais je dis que la question doit être examinée mûrement en même temps que les autres questions soulevées par les divers articles du budget.

J'ai donc l'honneur de proposer à la Chambre de réduire le chiffre du n°1° à 9,237 francs. Le restant du crédit serait ajourné jusqu'au budget de 1856.

Je répèle que je ne repousse pas la dépense en elle-même. Elle peut être fort utile, mais il faut examiner mûrement les questions qui s'y rattachent.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Vilain XIIII). - Ce sera plus régulier, mais cela coûtera plus cher à l'Etat.

M. Delfosse. — Cela n'est pas prouvé.

M. le ministre de la justice (M. Nothomb). - Messieurs, si l'occasion de ce crédit supplémentaire ne s'était pas présentée, il est probable que le gouvernement aurait saisi la Chambre d'un projet de crédit spécial pour l'extension de l’établissement de Ruysselede. Cette extension est une chose utile ; l'honorable M. Delfosse paraît le reconnaître lui-même.

M. Delfosse. - Je ne conteste ni ne reconnais actuellement l'utilité de cette dépense ; je demande qu'on examine la question mûrement.

M. le ministre de la justice (M. Nothomb). - Ce qui est incontestable et j'espère que la Chambre sera de mon avis, c'est l'utilité d'étendre l'école de Ruysselede ; on ne saurait donc, je le répète, mettre trop vite la main à l'œuvre, pour que cet établissement rende dès maintenant tous les services qu'il est susceptible de rendre au pays.

Nous sommes maintenant dans la saison où les travaux doivent se faire. Ajourner ce crédit jusqu'au mois de novembre ou de décembre, c'est reculer de plus d'une année l'agrandissement d'un établissement dont la création est sans contredit une des mesures les plus utiles que la législature ait votées dans ces derniers temps.

Si on s'est résolu à proposer dès à présent l'allocation complète de 30,000 fr., c'est, je le répète, parce qu'on devait nécessairement commencer des travaux assez considérables pour le déplacement de la chaudière et d'une autre machine. Ces travaux étaient indispensables. L'administration a donc pensé qu'il était à la fois opportun et économique de faire simultanément les deux choses, l'une de sécurité pour l’établissement, l'autre de la plus haute utilité pour le pays, puisqu'il s'agit de recevoir dans l’établissement 100 colons de plus, qui seront extraits d'autres prisons ou qui sont maintenant à charge des communes dans des dépôts de mendicité.

M. Delfosse. - Messieurs, je dois faire remarquer qu'il n'y a nul rapport entre le déplacement de la machine à vapeur et l'extension à donner à l’établissement de Ruysselede, pour permettre d'y placer 600 colons au lieu de 500. Il ne faut qu'un petit local pour le nouvel emplacement de la machine ; et pour loger 100 colons de plus il faut des constructions considérables.

Messieurs, on veut nous engager trop légèrement dans des dépenses qui peuvent devenir très fortes et que l'on vous demande de voter sans un examen sérieux. J'insiste donc pour l'adoption de mon amendement.

- La discussion est close.

La Chambre est en présence de deux chiffres ; celui du gouvernement, savoir 30,000 fr., et celui de 9,527 fr. qui a été proposé par M. Delfosse.

Le chiffre du gouvernement est mis aux voix par assis et levé ; une première épreuve est douteuse ; il est adopté à la deuxième épreuve.

L'ensemble de l'article 2 est mis aux voix et adopté.

Article 3

« Art. 3. L'allocation qui fait l'objet de l'article premier (332,000 francs) sera couverte au moyen de bons du trésor, et celle de l’article 2, s'élevant à (page 1143) fr. 312,6.10 55 c, sera couverte au moyen des ressources ordinaires de l'exercice 1855.

- Adopté.

Vote sur l’ensemble du projet

Il est procédé au vote par appel nominal sur l'ensemble du projet de loi.

67 membres répondent à l'appel.

66 membres répondent oui.

1 membre (M. de Renesse) s'abstient.

En conséquence, la Chambre adopte. Le projet de loi sera transmis au Sénat.

Ont adopté : MM. Pirmez, Rousselle, Sinave, Tesch, Thibaut, Thiéfry, Thienpont, T'Kint de Naeyer, Tremouroux, Vanden Branden de Reeth, Vandenpeereboom, Vander Donckt, Van Grootven, Van Iseghem, Van Remoortere, Verhaegen, Vermeire, Veydt, Vilain XIIII, Anspach, Boulez, Calmeyn, Closset, Coomans, Coppieters 't Wallant, Dautrebande, David, de Baillet-Latour, de Chimay, de Decker, de Haerne, de La Coste, Delfosse, Deliége, F. de Mérode, de Moor, de Muelenaere, de Perceval, de Portemont, Dequesne, de Royer, de Ruddere de Te Lokeren, de Sécus, Desmaisières, Devaux, de Wouters, Dumortier, Goblet, Jacques, Jouret, Landeloos, Lange, Lebeau, Le Hon, Lejeune, Lesoinne, Magherman, Manilius, Mascart, Matthieu, Mercier, Moreau, Orts, Osy et de Naeyer.

M. de Renesse. - L'allocation d'une partie de la dépense étant couverte par des bons de trésor, voies et moyens que je ne puis approuver, j'ai cru devoir m'abstenir, reconnaissant, toutefois, que la demande de ces crédits extraordinaires a été dûment justifiée.

Motion d'ordre

Intrusion de douaniers français sur le territoire belge

M. le ministre des affaires étrangères (M. Vilain XIIII). - Messieurs, l'interpellation que m'a adressée au commencement de la séance l'honorable comte de Muelenaere a quelque peu hâté le pas du messager qui fait le service entre le département de la justice et le département des affaires étrangères. M. le ministre de la justice m'a adressé ce matin une lettre que je devais recevoir à cinq heures, mais qui, grâce à l'interpellation qui m'a été faite, m'est parvenue ici à trois heures. Il en résulte, d'après l'avis donné par M. le procureur impérial de Lille à M. le procureur du roi de Courtrai, que le sieur Weber a été mis en liberté le 14. De sorte que la réclamation que j'ai adressée à Paris n'aura pour résultat que ces expressions de regrets que les gouvernements échangent entre eux, quand il s'agit d'agents en sous-ordre qui ont outre-passé leurs pouvoirs.

Je profiterai de cette occasion pour déclarer que les meilleures relations existent entre les autorités judiciaires et douanières de la Flandre occidentale et du département du Nord.

Dernièrement, un fraudeur ayant été arrêté aussi par deux douaniers français sur le territoire belge, dans un cabaret, immédiatement M. le directeur des douanes a fait mettre le fraudeur en liberté ; il a de plus puni les deux douaniers et les a envoyés faire des excuses à la maîtresse du cabaret où l'arrestation avait été opérée.

Rapport sur des pétitions

- La commission des pétitions propose le renvoi à M. le ministre des finances une pétition demandant la libre sortie du minerai de fer de la Flandre orientale

M. Magherman. - La pétition sur laquelle un rapport a été fait, au nom de la commission d'industrie, par l’honorable M. Visart, a pour but d'obtenir la libre sortie du minerai de fer qui se trouve dans quelques communes de la localité que j'habite.

La plupart de ces communes sont pauvres, les gisements ne sont pas riches, jusqu'ici ils n'ont pas été exploités, et ils ne pourraient pas l'être parce qu'ils ne sont pas assez importants pour motiver la construction d'usines. L'exportation de ces minerais est donc une chose utile, puisqu'elle aura pour effet de rendre productives des richesses locales qui aujourd'hui sont stériles ; elles sont sans valeur pour le pays, puisqu'on ne les emploie pas. D'un autre côté, c'est procurer de nouvelles sources de travail à la classe ouvrière très nombreuse dans ces pauvres communes ; à ce doubletlitre, je recommande la pétition à M. le ministre des finances afin qu'il provoque une mesure analogue à celle qui a été prise pour les minerais de la province de Luxembourg.

M. le ministre des finances (M. Mercier). - J'accepte, au nom du gouvernement, le renvoi de la pétition, tel qu'il est proposé par la commission d'industrie. J'aurai égard, dans l'examen que j'aurai à faire, aux observations que vient de présenter l'honorable préopinant.

- Les conclusions de la commission d'industrie sont mises aux voix et adoptées.


M. le président. - Il nous reste à prendre une décision sur les pétitions relatives aux dépôts de mendicité dont on s'est occupé à propos des crédits supplémentaires aux budgets de la justice.

La section centrale propose le renvoi au ministre de la justice.

- Ce renvoi est ordonné.

Projet de loi accordant des crédits supplémentaires au budget du ministère des finances et au budget des non-valeurs et remboursements

Vote des articles et sur l'ensemble du projet

- Personne ne demandant la parole, la Chambre passe à la discussion des articles.

« Art. 1er. Un crédit supplémentaire de huit mille deux cent soixante et un francs soixante et dix-sept centimes (fr. 8,261 17 c.) est ouvert au budget du département des finances de l'exercice 1854, pour couvrir les dépenses ci après, savoir :

« Article du budget auquel le crédit est rattaché.

« 41. Pour frais de poursuites et d'instances (1849) : fr. 100.

« 42. Personnel de l'enregistrement et du timbre (1853). Traitements. : fr. 348 33.

« 43. Dépenses du domaine (1852) : fr. 431.

« 44. Instances contre la ville d'Ath et le collège du Pape, à Louvain : fr. 3,891 16.

« 45. Instances contre le sieur Carlier, à Cuesmes : fr. 3,491 28.

« Ensemble : fr. 8,261 77. »

- Adopté.


« Art. 2. Un crédit supplémentaire de 113 francs 33 centimes, destiné au payement de dépenses arriérées de 1852, est ouvert au budget des non-valeurs et remboursements du même exercice, dont il formera l'article 15. »

- Adopté.


« Art. 3. Ces crédits seront couverts au moyen des ressources ordinaires du budget de l'exercice 1854. »

- Adopté.


Il est procédé au vote par appel nominal sur l'ensemble du projet de loi, qui est adopté à l'unanimité des 64 membres présents.

Ce sont : MM. Pirmez, Rodenbach, Rousselle, Sinave, Tesch, Thibaut, Thiéfry, Thienpont, Tremouroux, Vanden Branden de Reeth, Vandenpeereboom, Vander Donckt, Van Grootven, Van Iseghem, Verhaegen, Vermeire, Veydt, Vilain XIIII, Visart, Anspach, Boulez, Calmeyn, Closset, Coomans, Coppieters 't Wallant, Dautrebande, David, de Baillet-Lalour, de Chimay, de Decker, de Haerne, de La Coste, Delfosse, Deliége, F. de Mérode, de Moor, de Muelenaere, de Perceval, de Portemont, de Renesse, de Royer, de Ruddere de Te Lokeren, de Sécus, Desmaisières, de T'Serclaes, Devaux, de Wouters, Dumortier, Goblet, Jacques, Landeloos, Lange, Lebeau, Lejeune, Lesoinne, Magherman, Manilius, Mascart, Matthieu, Mercier, Moreau, Orts, Osy et de Naeyer.

Projet de loi portant le budget de la dette publique de l’exercice 1856

Discussion générale

M. le président. - La section centrale propose à la Chambre de donner son approbation à la loi du budget de la dette publique pour 1856, en augmentant de 100,000 fr. l'article 19 « intérêts et frais présumés de la dette flottante », et en portant, en conséquence, le chiffre total de ce budget à la somme de trente-sept millions six cent cinq mille neuf cent quatre-vingt-quatorze francs quatre-vingt-seize centimes (fr. 57,605,994 96 c.) Cette proposition est faite à la demande du gouvernement.

- La discussion s'établit sur le projet de la section centrale.

M. Thiéfry. - Dans la séance du 1er mai, nous n'avions d'observations à présenter que sur la légalité de l'arrêté du 18 avril, fixant l'âge auquel les officiers de l'armée seront mis à la retraite ; arrêté que nous avons, à bon droit, jugé être en opposition avec l'esprit de la loi sur les pensions et avec la volonté du législateur. Aujourd'hui il est de notre devoir d'apprécier son utilité et ses conséquences.

M. le ministre de la guerre, pour prendre une mesure aussi importante que celle dont il s'agit, a été guidé par des motifs qu'il a développés dans son discours. « L'arrêté du 18 avril, a-t-il dit, aura pour effet la consécration du principe de la plus rigoureuse justice, de la plus stricte égalité.

« Depuis longtemps, l'admission à la pension était considérée, non pas comme une récompense, mais comme une punition, ou tout au moins comme une disgrâce.

« Nul n'était satisfait du sort qui lui était fait par l'arbitraire, qu'il considérait toujours comme de l'injustice, et la plupart des officiers en retraite devenaient des mécontents alors qu'ils devaient être les obligés du gouvernement et au besoin ses défenseurs. »

Ainsi, messieurs, de ce que des ministres ont arbitrairement mis des officiers à la retraite, on les pensionne tous indistinctement à un âge fixé. C'est-à-dire qu'on rend tous les officiers de l'armée victimes des injustices commises par les chefs du département de la guerre envers quelques-uns d'eux.

Il faut convenir que c'est une excellente manière d'éviter l'arbitraire. On a voulu faire, par arrêté royal, ce que l'on proposait, en 1845, de consacrer par une loi, avec cette énorme différence qu'il y avait à cette époque une exception en faveur des officiers de santé et des membres du corps de l'intendance, et que l'on accordait en outre une augmentation de pension aux officiers qui avaient cinq années de grade ; aujourd'hui la mesure s'étend à toute l'armée, sans compensation aucune.

(page 1144) La plupart des officiers pensionnés deviennent, dit-on, des mécontents ; mais il est évident que dès qu'un officier est mis à la retraite, il ne peut pas être satisfait ; la raison en est m'en simple, il est réduit à la moitié de sa solde, il doit donc s'imposer de grandes privations et souvent alors que l'éducation de ses enfants n'est pas terminée.

La mesure prise par M. le ministre n'obviera point à cet inconvénient, elle n'aura pas pour effet de faire disparaître ce mécontentement, bien au contraire, elle hâtera le moment ou il se produira. L'homme encore capable de rendre des services à l'Etat, et qui voit sa carrière brisée tout à coup ne peut pas être satisfait, et il faut l'avouer, c'est là une mauvaise raison pour mettre à la retraite à un âge fixé d'avance l'officier qui a conservé une bonne constitution, la jouissance de toutes ses facultés et qui apporte le zèle le plus actif dans l'accomplissement de ses devoirs.

J'ai souvent réfléchi à cette triste position des anciens officiers, et je n'y ai trouvé qu'un seul remède, c'est l'augmentation des pensions, sans qu'il en coûte rien à l'Etat, je voudrais qu'une retenue fût faite sur les traitements de tous les officiers en activité, afin de pouvoir leur donner pour retraite, si pas l'équivalent, au moins à peu près la totalité de leurs appointements.

Il faudrait être bien peu prévoyant pour murmurer contre une mesure qui, en définitive, serait profitable à tous ceux qui atteindraient l'âge de la mise à la pension.

« L'armée, a dit M. le ministre, voyant quelques-uns de ses chefs résister avec peine aux fatigues d'un camp, se préoccupait de ce qu'elle aurait à en attendre dans les travaux plus sérieux que les éventualités de la guerre peuvent nous réserver.

« Si l'armée perdait la confiance, elle deviendrait inutile, et la sécurité de la Belgique serait compromise. »

C'est ici la véritable raison à faire valoir en faveur de l'arrêté du 18 avril. Nous avons à l'apprécier. Il ne viendra à l'idée de personne de supposer que mes observations concernent ces officiers incapables de supporter les fatigues. Je soutiens seulement qu'aux âges fixés il y en a un grand nombre très valides, pouvant encore remplir leurs fonctions ; s'il en était autrement, nous serions unanimes pour approuver la mesure ; car tous nous avons à cœur que le pays soit énergiquement défendu en cas d'attaque.

Dans aucun pays de l'Europe, il n'existe de loi qui mette les officiers à la retraite à un âge fixé à l'avance ; partout, excepté en France, on les conserve en activité jusqu'au moment où ils ne sont plus capables de rendre des services. En France on pensionne généralement les officiers aux âges repris dans l'arrêté du 18 avril ; mais la situation politique de ce pays diffère essentiellement de celle que nous ont faite les traités, et l'organisation militaire doit se ressentir de cette différence. Il ne se tire pas un coup de canon en Europe, sans que la France intervienne, ses armées sont destinées à porter la guerre au loin, à faire souvent de très longues marches, elles doivent être organisées et toujours prêtes pour la guerre offensive.

En Belgique, au contraire, l'armée n'aura à défendre que notre propre territoire, il y en aura plus de la moitié renfermée dans des placcs fortes, où l'expérience sera d'un grand secours et où certainement une grande partie des officiers qui vont être placés à la retraite pourraient être utilement employés.

Et puis, messieurs, peut-on avoir de si grandes marches à exécuter dans un pays où en 24 heures on se transporte d'une extrémité à l'autre ?

Je demanderai d'ailleurs, si les années prussiennes, autrichiennes, hollandaises et tant d'autres n'ont pas bien supporté les fatigues de la guerre, quoique les officiers n'y soient pas mis à la retraite à un âge fixé d'avance.

En Prusse, lorsque les forces physiques des officiers ne leur permettent plus de rester dans l'armée active, l'Etat ne se prive pas pour cela de leur service ; on les incorpore dans la partie de la landwehr destinée à la défense des villes fortes.

Lorsque la grande commission nommée en 1851 a discuté le projet sur la réserve, ceux qui en étaient les grands partisans disaient : L'entretien de cette réserve ne coûtera guère d'argent à l'Etat, on y placera les officiers peu capables de rendre des services dans l'armée active et que, sans cette faculté, on devrait pensionner. Aujourd'hui que cette réserve a été adoptée, on pensionne tous les officiers auxquels on faisait allusion à cette époque.

Ce n'est pas seulement dans l'armée active que l'arrêté atteindra l'homme encore capable de servir son pays, on étend la mesure jusqu'aux officiers de santé. On se prive de leur service alors qu'après de longues études ils ont acquis une expérience toute profitable à la troupe et qu'ils remplissent leurs fonctions avec un zèle digne du plus grand éloge. On les renvoie, et cependant il existera toujours des hôpitaux où ces officiers n'auront pas d'autres fatigues à supporter que celles résultant des soins à donner aux malades. Et remarquez-le bien, messieurs, le corps d'officiers de santé se recrute avec peine, ce n'est qu'à un âge avancé que ces officiers entrent dans cette carrière, ils auront donc une faible retraite ; on augmente par conséquent les difficultés du recrutement.

Dans le corps de l'intendance, on met à la retraite des hommes de bureau pleins de vigueur et très capables. Des capitaines d'habillement qui n'ont pas d'autre besogne que d'aller de leur cabinet au magasin et du magasin à leur cabinet, seront pensionnés sans motifs plausibles.

L'arrêté de M. le ministre est préjudiciable à l'armée, au trésor et aux intérêts particuliers des officiers. Il n'est approuvé que par de jeunes ambitieux qui ont hâte d'arriver à des grades supérieurs et qui ne songent pas que cet arrêté les frappera à leur tour dès qu'ils auront obtenu l'objet de leur désir.

Pour justifier l'arrêté du 18 avril, M. le ministre dit :

« Si mes convictions, d'ailleurs, n'avaient point été faites depuis longtemps, des événements tout récents se seraient chargés de vaincre mes doutes et mes scrupules.

« Une grande nation, trop confiante dans une organisation militaire que la paix avait fait considérer comme suffisante, a payé chèrement son attachement aux vieilles institutions et son système trop rétréci d'économie pour les choses et de respect pour les intérêts. »

Permettez-moi de le dire, messieurs, cet exemple ne vient pas à propos. Est-ce que les officiers anglais se sont trouvés, à cause de leur âge, incapables de supporter les fatigues ou de diriger leur troupe ? Nullement. Les véritables causes des grandes pertes éprouvées par l'armée anglaise ont une autre origine. Je ne parlerai pas de la faute commise en entreprenant une campagne d'hiver sans y être préparé, je dirai seulement que jamais, en Angleterre, on ne formait en temps de paix des corps d'armée, on ne savait pas par expérience apprécier tous les besoins de la guerre, surtout ceux du service de l'intendance et du service de santé, rien à cet égard n'y était organisé convenablement.

Il n'est pas étonnant, dès lors, que des épidémies, que l'on n'aurait su ni prévoir, ni éviter, aient occasionné, dans cette armée, des pertes qui ont dépassé toutes les prévisions. Si une observation peut être faite sur le corps d'officiers anglais, ce n'est pas l'âge qu'il faut citer, c'est son détestable système d'avancement, c'est la vente des grades.

M. le ministre a dit, dans son discours du 1er mai : « Quant à la question financière, elle devait avoir peu d'influence sur mes résolutions. » Je vous avoue, messieurs, que je regrette infiniment qu'un objet de cette importance préoccupe si peu M. le ministre. Un gouvernement a cependant une infinité de besoins très essentiels à son existence, et on pourrait citer plus d'un pays qui a vu surgir des révolutions dans son sein par suite du mauvais état des finances.

Je sais bien que nous sommes loin d'être réduit à cette extrémité, mais nous sommes sur une pente dangereuse, et je ne saurais trop répéter que les dépenses d'une armée doivent être en rapport avec les ressources du pays.

Le temps n'est peut-être pas fort éloigné où les Chambres finiront par avoir une indigestion de cette masse de millions qu'on ne cesse de réclamer. L'arrêté du 18 avril aura pour conséquence d'augmenter considérablement une dépense qui s'accroît dans des proportions remarquables.

J'appelle sur ce résultat toute l'attention de la Chambre.

M. le ministre de la guerre (M. Greindl). - Notre situation financière, au point de vue des pensions, qui semble faire l'objet des préoccupations de l'honorable préopinant, est facile à expliquer.

A l'époque des événements politiques qui ont constitué notre nationalité, une organisation précipitée, une organisation d'urgence a fait rappeler dans les cadres des officiers qui déjà, antérieurement, en avaient été écartés par voie de pensionnement. Ces officiers sont restés quelques années sous les armes, et ont quitté de nouveau l'armée avec des pensions rendues plus considérables par suite de deux ou trois nouveaux grades.

Le crédit alloué pour les pensions militaires a été grevé en outre des suppléments payés à certains officiers qui ont servi aux Indes sous l'ancien gouvernement.

Quelques pensions ont dû être liquidées en faveur d'officiers, qui, admis en 1830, à un âge où l'on n'entre pas d'ordinaire au service, ont dû quitter l'armée active avant d'avoir fourni la carrière prévue par la loi de 1838.

Quelques officiers étrangers ont été, à juste titre, 'objet d'un traitement exceptionnel. Si vous ajoutez à ces circonstances tout exceptionnelles, le grand nombre d'hommes qui ont dû être pensionnés pour cécité à la suite de l'ophthalmie dont les effets se sont fait cruellement sentir dans l'armée, vous comprendrez aisément pourquoi le crédit pétitionné pour les pensions n'est pas dans une situation normale.

Lorsque ces circonstances exceptionnelles auront cessé d'exister, l'allocation rentrera dans ses limites naturelles et sera toujours en harmonie avec le crédit alloué pour les cadres de l'armée active.

Quant au droit dont le gouvernement a cru devoir faire usage pour l'exécution de la loi du 24 mai 1838, je croyais m’être suffisamment expliqué et avoir poruvé que le gouvernement n’avait pas franchi les bornes posées par la loi elle-même. L’arrêté du 18 avril a réglé le droit du gouvenrment, tout en respectant les droits des officiers, qui sont restés entiers.

D'après l'arrêté, les officiers ne peuvent, dans aucun cas, être pensionnés avant 55 ans. Aux termes de la loi, ils peuvent toujours l'être à 55 ans, Les officiers de certaines catégories ont 8 ou 10 années de continuation de services. Aucun n'a été privé des droits que la loi lui confère.

L'article 3 du même arrêté permet au gouvernement de faire toutes les (page 1145) exceptions qui seront jugées utiles. Lorsque des officiers posséderont des aptitudes spéciales qui les appelleront à être maintenus sous les armes, le gouvernement fera usage du privilège qu'il s'est réservé.

Mais, dit-on, les officiers de santé, les officiers d'habillement et les intendants n'ont pas besoin d'être valides pour faire leur service. Messieurs, c'est là une assertion dont je conteste complètement l'exactitude. Un officier de santé n'est pas destiné seulement à faire le service des hôpitaux, il est aussi destiné à suivre son régiment.

Après une longue étape, l'officier de santé peut encore être appelé à aller visiter un malade dans un cantonnement éloigné. Il est obligé de s'y rendre, et souvent une opération importante l'attend au bout de sa course. Il a donc besoin d'avoir plus de vigueur même que les autres officiers.

Si vous me parlez des officiers de santé arrivés à des positions plus élevées et dirigeant des hôpitaux, eh bien, l'arrêté, dans sa juste prévoyance, a laissé au gouvernement le droit de les conserver. Mais vous permettrez aussi au gouvernement d'apprécier, sans être obligé de s'en exprimer en public, le mérite des officiers qu'il jugerait bon de maintenir en activité et de ceux qu'il n'aurait pas jugé utile de conserver.

Il en est de même pour les officiers de l'intendance. Je ne conteste pas que certains de ces officiers ne puissent être utilement employés dans un bureau, alors qu'ils ne seront plus capables de suivre une armée en campagne. Mais il arrive souvent qu'à l'âge de 55 ans dont on paraît faire si bon marché, ces hommes ne se trouvent plus en état de diriger le service d'une armée, le service d'une division, le service d'une brigade.

Dans ces circonstances on a eu plus d'une fois à regretter une trop grande confiance dans les facultés d'un officier qui ne possédait plus les qualités physiques nécessaires pour remplir toutes les conditions de son emploi.

On prétend que tout le monde pourra être victime de l'arrêté ; cette expression ne me paraît pas exacte ; on ne peut pas qualifier de victime l'homme tombé sous l'application d'un principe juste en lui-même et consacré par la loi.

Quant aux jeunes ambitions qui seules, a-t-on dit, peuvent être satisfaites d'une mesure que j'ai considérée comme urgente, elles subiront, à leur tour, les conséquences de l'arrêté du 18 avril. Alors ces jeunes ambitions auront eu le temps de vieillir, elles seront dans les conditions où je me trouve moi-même en ce moment, c'est-à-dire qu'à l'âge de 55 ans, après 40 ans de service, elles seront peu éloignées de faire place, sans regret, à des capacités nouvelles, à des hommes réunissant l'énergie morale aux qualités physiques du jeune âge et puisant dans une ambition légitime l'ardeur nécessaire à l'cxécution complète de leurs devoirs.

(page 1147) M. Verhaegen. - Messieurs, dans la séance du 1er mai, j'ai examiné le mérite de l'arrêté du 18 avril, au point de vue de la légalité, et mon opinion est restée aujourd'hui ce qu'elle était alors. Je crois inutile de répéter les arguments que j'ai fait valoir pour combattre le système de M. le ministre de la guerre et qui se résument en ce peu de mots : La loi de 1838, en ne fixant pas des limites d'âge, avait établi comme règle la capacité des officiers, des militaires en général ; l'incapacité était l'exception. L'arrêté du 18 avril, au contraire, a fait de l'incapacité la règle et de la capacité l'exception.

Il est évident que le gouvernement ne pouvait agir ainsi en vertu de sa seule autorité.

Le gouvernement s'est arrogé, par l'arrêté du 18 avril, le pouvoir qu'en 1845 il avait sollicité, et que la législature lui avait refusé ; on vous en a dit un mot tantôt, on vous a cité une partie de la discussion de 1845 ; je tiens, pour que la Chambre soit édifiée sur ce point, à compléter la citation.

En 1845, nous nous occupions du projet de loi sur l'organisation de l'armée, et la section centrale avait formulé une proposition que M. le ministre de la guerre d'alors s'empressa d'accepter. La section centrale avait proposé de déterminer l'âge auquel, abstraction faite de toute autre circonstance, les officiers seraient considérés comme incapables de servir utilement leur pays. Le gouvernement, adoptant la mesure en principe, avait demandé que l'âge fût ainsi fixé :

Pour les lieutenants généraux, à 65 ans ;

Pour les généraux-majors, à 62 ans ;

Pour les lieutenants-colonels et les majors, à 58 ans ;

Pour les capitaines, à 56 ans ;

Pour les lieutenants et les sous-lieutenants, à 55 ans.

C'est, comme on le voit, la règle adoptée par l'arrêté du 18 avril, sauf que cet arrêté porte 65 ans pour les généraux-majors et 55 ans seulement pour les capitaines.

Mais, en 1845, le gouvernement, eu adoptant la proposition de la section centrale et en proposant de fixer l'âge comme je viens de le dire, faisait deux exceptions. « L'âge de retraite, disait le projet du gouvernement, sera élevé de 3 ans pour les officiers du service de santé et pour les membres du corps de l'intendance ayant rang supérieur. »

C'était la première exception.

Le projet ajoutait : « Lorsqu'un officier, ayant au moins atteint cinq années d'activité dans son grade, sera mis à la retraite par suite de l'application des articles précédents, la pension sera augmentée d'un cinquantième par chaque année passée dans le dernier grade. »

C'était la seconde exception.

Ainsi, messieurs, à la mesure qui était soumise à la Chambre en 1845 et que le ministre de la guerre s'est permis de décréter en vertu de sa seule autorité, il était fait deux exceptions, dictées par le bon sens et la justice, qu'on ne trouve pas dans l'arrêté du 18 avril ; et chose remarquable, il importe d'entrer dans ces détails pour bien apprécier la question, le ministre de la guerre d'alors donnait précisément, pour justifier ces exceptions, les raisons que vient de donner mon honorable ami M. Thiéfry, en critiquant la mesure, quant aux officiers de santé et quant aux membres de l'intendance ; voici ce que disait le ministre de la guerre en 1845 ;

« Nous avons cru qu'il était juste de faire une exception en faveur des officiers de santé et des membres du corps de l’intendance ayant rang d’officiers supérieurs. Il nous a semblé que là il fallait tenir compte plutôt de l’expérience que des forces physiques. »

Et, messieurs, personne ne contestera cette vérité ; le service de santé mérite certes bien de fixer toute notre attention.

Les questions qui se rattachent à ce service tiennent aux intérêts les plus chers, ce sont des questions d'humanité. Il ne suffit pas que l'on ait des officiers de santé de nom, des jeunes gens à peine sortis de l'école, il faut que l'on ait des hommes dans l'expérience desquels on puisse avoir confiance, et cette expérience ne s'acquiert que par le temps. Or, c'est précisément au moment où ils acquièrent cette expérience que le ministre les met généralement à la retraite, car de l'exception écrite dans la loi du 24 mai 1838, il fait la règle pour eux comme pour les autres officiers.

Je ne sais pas si l'honorable ministre de la guerre d'aujourd'hui critique l'opinion de l'honorable général Dupont, qui était ministre de la guerre en 1845, et dont moi je partage entièrement, sur ce point, la manière de voir.

Il y a même une considération pour justifier, dans tous les cas, une exception en faveur des officiers de santé, c'est que les officiers de santé ne peuvent pas commencer leur carrière d'aussi bonne heure que les autres officiers.

Il faut qu'avant tout ils aient terminé leurs études et, par conséquent, puisque leur temps commence plus tard il faut aussi qu'il finisse plus tard.

M. Thiéfry. - Ils entrent à 50 ans.

M. Verhaegen. - Ainsi, messieurs, l'exception que faisait le ministre en 1845 se justifie parfaitement, et les paroles que je viens de citer ne sont pas équivoques.

Du reste, messieurs, je doute fort qu'on trouve aujourd'hui de quoi remplir les vides qui existent dans le service de santé ; si mes renseignements sont exacts, le service de santé sst dans un état de souffrance déplorable et c'est précisément ce moment qu'on choisit pour prendre une mesure qui doit jeter dans ce corps le désordre le plus complet.

La deuxième exception que j'ai signalée à l'attention de la Chambre était également justifiée par M. le ministre de la guerre de 1845. Voici de quelle manière il s'exprimait à cet égard :

« En ce qui concerne l'augmentation de la pension pour les officiers ayant plus de 5 années de grade, la pension de retraite aux termes des lois de 1838 et de 1840 est augmentée d'un cinquième pour les officiers comptant dix années d'activité dans leur grade, et le bénéfice de cette leur disposition serait enlevé par la mise à la retraite à un âge déterminé, l'officier eût-il, lorsque l'âge fatal arrive, neuf années et onze mois de grade. »

Cette exception, ainsi que nous l'avons vu, ne se trouve pas faite non plus dans l'arrêté du 18 avril.

Eh bien, messieurs, nonobstant les deux exceptions que je viens d'avoir l'honneur de signaler, la proposition qui avait été faite par la section centrale et dont s'était emparé M. le ministre de la guerre d'alors, fut vivement combattue au sein de la Chambre et elle ne fut défendue que par ces mêmes raisons que donne M. le ministre de la guerre actuel pour défendre l'arrêté du 18 avril. La proposition fut défendue par l'honorable prince de Chimay et par l'honorable M. Pirson ; elle fut combattue, entre autres, par les honorables MM. d'Huart et Malou et par moi, et les raisons que nous donnâmes pour la combattre étaient précisément celles que nous donnons encore aujourd'hui.

Voici de quelle manière s'exprimait l'honorable M. d'Huart :

« Je ne puis admettre, disait-il, un semblable système...

« Il arrivera par cette disposition, que vous allez mettre à la retraite des hommes valides, et que vous mettrez de côté des officiers qui peuvent rendre de grands services pendant un grand nombre d'années encore.

« C'est vainement qu'on veut nous rassurer sur la dépense qui pourrait résulter de la disposition. Il en résultera une dépense de plus de 300,000 fr. qu'il faudra porter pour les pensions à notre budget.

« La proposition bouleverse complètement la loi des pensions militaires qui a eu égard, comme la loi sur les pensions civiles, aux services rendus, aux blessures, aux infirmités contractées dans le service. »

La discussion s'engagea.

L'honorable M. Malou et moi, comme j'ai eu l'honneur de le dire, nous appuyâmes les observations de l'honorable M. d'Huart, qui, lui, formula une proposition en ces termes ;

« Je propose de renvoyer l'article 6 et les amendements qui s'y rapportent (c'est la disposition à laquelle je fais allusion) à la section centrale pour être mis en harmonie avec la loi sur les pensions militaires et faire l'objet, s'il y a lieu, d'un projet de loi spéciale. »

C'était en réalité une formule qui signifiait le rejet de la proposition, et cette formule fut adoptée par la Chambre.

Ainsi, messieurs, la Chambre en 1845, par un vote formel, déclara qu'elle ne voulait pas donner au gouvernement le pouvoir qu'il venait lui demander, comme mesure générale, de mettre à la pension et de déclarer incapables des officiers parvenus à un certain âge ; et aujourd'hui le gouvernement ne consulte même plus la Chambre ; car probablement il craint que la Chambre en 1855 ne fasse ce qu'a fait la Chambre en 1845, c'est-à-dire refuser au gouvernement ce que le gouvernement lui demandait. Mais en vertu de son autorité, il déclare qu'il en sera ainsi.

Voilà, messieurs, le véritable état des choses, voilà la question réduite à ses plus simples éléments. Eh bien, moi qui n'avais examiné dans la séance du 1er mai la question qu'au point de vue de la légalité de l'arrêté du 18 avril, je vais aujourd'hui plus loin, et après un mûr examen, je m'associe, à tous égards, aux observations faites par mon honorable ami, M. Thiéfry.

J'attaque la mesure au fond, je la crois contraire aux intérêts de l'Etat, aux intérêts de l'armée, aux intérêts des officiers dont la position est compromise et surtout aux intérêts du trésor.

Messieurs, ne pensez-vous pas que ce soit une mesure bien grave que de dire à des hommes : Quand vous serez arrivés à tel âge (à 55 ans, par exemple, pour les capitaines et les lieutenants), vous serez considérés comme incapables. Ce sera la règle que j'adopterai. Exceptionnellement je pourrai vous relever de cette incapacité.

Oui, c'est une mesure des plus graves que de dire à un homme : Vous serez mort militairement ou civilement à telle époque. La Providence, messieurs, n'a pas voulu que nous sussions l'heure fixe de notre mort naturelle. L'homme qui saurait d'avance qu'à telle époque il doit mourir, se trouverait bientôt dans un état de découragement et de désespoir ; il serait à l'agonie plusieurs années avant que le terme fatal ne fût arrivé. Eh bien, il en est de la mort civile et de la mort militaire comme de la mort naturelle.

Croyez-vous, par hasard, que si votre mesure doit recevoir son application, vous aurez encore de bons services à attendre d'un capitaine ou d'un lieutenant à 54, ou même à 53 ans ? Certes non, cet homme sera découragé. « A quoi bon, se dira-t-il, me donner encore des fatigues, des soucis ? Je suis condamné à mourir militairement, dans un temps peu éloigné ; le terme de ma carrière est fixé ; à 55 ans, je suis renvoyé comme incapable. »

Messieurs, ainsi que je le disais tantôt, je considère la mesure comme (page 1148) devant entraîner les conséquences les plus désastreuses pour l'année.

Aussi, dans la discussion de 1845, lorsque le ministre de la guerre, et après lui l’honorable prince de Chimay, tiraient un argument de cette prétendue sécurité qu'on disait vouloir offrir aux officiers, et c’est encore le thème d'aujourd'hui, un orateur leur répondait-il par ces paroles énergiques :

« Sécurité des officiers !_... Hélas ! Quelle sécurité plus désespérante que celle de la mort, à jour fixe ! »

M. le ministre de la guerre, pour justifier le chiffre toujours croissant des pensions militaires, nous parlait tantôt des officiers qui, en 1830, ont repris du service en Belgique, et qui, à cette époque, menaçaient déjà pour un avenir prochain le trésor public. Qu'il me soit permis, messieurs, de dire à mon tour un mot de ces officiers. L'arrêté du 18 avril, ne le perdez pas de vue, raye d'un trait de plume des cadres de l'armée tous les officiers de la révolution. Il frappe en première ligne tous ces hommes qui ont offert leurs services à la Belgique, alors qu'il s'agissait pour elle de conquérir son indépendance ; c'est à ces hommes qui se sont exposés pour la patrie dans ces jours difficiles, que va s'appliquer tout d'abord l'arrêté du 18 avril. Les exceptions, si on en fait, seront excessivement rares, et pourraient bien n'être que le résultat d'une faveur toute spéciale.

Messieurs, on craignait le favoritisme, prétend le ministre de la guerre, quand la capacité des officiers était admise comme la règle et l’incapacité comme l'exception. Eh bien, moi, je prétends que c'est précisément le contraire, et que ce sera aujourd'hui surtout que le favoritisme fera mouvoir ses ressorts ; des faits récents justifient déjà cette assertion.

M. le ministre de la guerre, répondant, dans une séance précédente, à une interruption qui s'était produite, je ne sais sur quels bancs, s'était écrié : « Quant à la question financière, je n'ai pas à m'en occuper ».

Il est certes très commode pour un ministre de la guerre de s'en expliquer ainsi ; mais pour nous, législateurs, défenseurs-nés du trésor public, nous avons d'abord à examiner si les ressources du pays sont suffisantes pour subvenir aux dépenses dans lesquelles on veut nous entraîner. La question financière n'est donc pas à dédaigner.

Comme j'ai eu l'honneur de le dire précédemment, je n'ai jamais marchandé lorsqu'il s'est agi du budget de la guerre, lorsqu'il m'a été démontré que les dépenses étaient nécessaires dans l'intérêt du pays. Mais, messieurs, tout en appuyant le système du gouvernement sur le budget de la guerre, déjà en 1845, je combattais ce système désastreux des pensions. Ce qui est la lèpre pour la Belgique, ce sont les pensions, dont le chiffre devient effrayant.

M. le ministre de la guerre n'a pas jugé à propos de répondre en détail aux observations de mon honorable ami, M. Thiéfry ; il s'est borné à dire en général ; » Oui, le chiffre des pensions s'est accru d'année en année, mais cette augmentation est indépendante de l'action du gouvernement, c'est l'ophthalmie surtout qui en a été cause. »

Eh bien, messieurs, c'est l'inverse ; l'ophtalmie a frappé principalement les simples soldats ; proportionnellement, elle a fait peu de victimes parmi les officiers. Il résulte d'un tableau que j'ai sous les yeux, que, si le nombre des pensionnaires a diminué d'année en année, le chiffre des pensions a augmenté ; ce qui veut dire que, si par suite d'extinctions, le nombre des pensionnés s'est trouvé réduit, le chiffre des pensions a augmenté considérablement par les pensions nouvelles accordées à des officiers supérieurs. C'est là la meilleure réfutation de l'objection du gouvernement.

Maintenant, messieurs, voulez-vous avoir un tableau comparatif des chiffres portés pour pensions aux budgets des diverses années, le voici ;

En 1840 nous n'avions pour les pensions militaires une allocation de 1,605,000 francs ; en 1845, 1,940,000 francs ; en 1846, 2,117,000 fr. ; en 1847, 2,171,000 francs ; en 1848, 2,202,314 francs ; en 1849, 2,275,038 francs ; en 1850, 2,395,672 francs ; en 1851, 2,406,401 fr. ; en 1852, 2,427,636 fr. ; en 1853, 2,467,801 fr. ; en 1854, 2,591,785 fr. ; en 1855, 2,773,000 fr. ; en 1856, 2,940,000 francs, ainsi à peu près trois millions, c'est-à-dire le double du chiffre de 1840 ; et cependant le nombre des pensionnaires a successivement diminué.

En 1848, le nombre des pensionnaires était de 5.289, en 1849 il n'était plus que de 5,267 ; en 1850 de 5,251 ; en 1851 de 5,216 ; en 1852 de 5,173 ; en 1853 de 5,092 ; en 1854 de 5,064. Au 1er janvier 1855, il y avait, je crois, trois pensionnaires de plus. Je n’ai toutefois pas le chiffre exact, et nous arrivons pour le budget prochain à une somme considérable.

Nous arrivons, dis-je, à une somme considérable, si nous ajoutons le chiffre des pensions civiles qui est de 2,560,000 fr. au chiffre des pensions militaires, nous aurons pour les pensions en général une somme de cinq millions et demi.

Voilà, messieurs, comment les choses se sont passées avec l'ancien système que M. le ministre de la guerre actuel condamne et auquel il a substitué le système de son arrêté du 18 avril. Que sera-ce donc si ce dernier système, si désastreux pour le trésor, vient à recevoir son application ?

Si la Chambre laisse passer tout cela inaperçu et vote sans faire aucune observation le budget de la dette publique, M. le ministre sera parfaitement à son aise. Il ne s'inquiète pas, lui, de la question financière ; mais nous, en acquit de notre devoir, nous avons à nous en inquiéter et à prendre des mesures pour que le gouvernement n'abuse pas de cette position.

Voilà, messieurs, l'état des choses ; les 2,940,000 francs demandés pour les pensions militaires ne suffiront certes pas, pour mettre à exécution l'arrêté du 18 avril.

Il faudra que le gouvernement nous présente plus tard des demandes de crédits supplémentaires, et quel sera le chiffre de ces crédits ? Dieu le sait ! La Chambre veut-elle s'engager dans cette voie avant que le gouvernement ne s'en soit expliqué d'une manière catégorique ? Qu'elle y réfléchisse mûrement, il en est temps encore.

Et pourquoi, après tout, ce surcroît effrayant des pensions militaires ? Il n'est pas un membre de cette assemblée, j'en suis certain, qui ne connaisse trois ou quatre officiers encore très aptes à servir, très valides, très verts pour me servir d'une expression triviale, et qui cependant sont mis à la retraite ; si on faisait l'addition de ces chiffres on arriverait à des résultats effrayants.

Pour ne parler que des seuls officiers de santé (dans des questions de cette nature, il faut bien s'occuper des individus), je connais, dans le Hainaut, à Mons, un homme dirigeant un hôpital, homme qui est très apte, très valide ; qui, il y a peu de temps a été promu dans l'Ordre de Léopold pour les services éminents qu'il a rendus au pays, et qui a reçu les plus grands éloges de ses chefs, du ministre de la guerre lui-même, alors général commandant la division à Mons et cet homme est mis à la retraite.

A Liège, nous connaissons tous un homme très apte, très valide, pouvant encore rendre des services incessants et qu'on a mis à la pension. Il en est de même à Bruxelles.

Il serait très curieux de voir figurer à côté des victimes de la règle adoptée par le gouvernement les quelques rares exceptions faites en faveur d'hommes beaucoup plus âgés ; on pourrait alors se demander avec raison si le favoritisme n'exerce plus son empire.

Encore une fois que la Chambre veuille bien y réfléchir. Si le budget de la dette publique doit se grossir d'année en année, pour faire face à de nouvelles pensions militaires accordées sans nécessité, si on donne un blanc-seing au gouvernement pour grever le trésor, il faudra bien qu'on ait recours à de nouveaux impôts, car les émissions de bons du trésor, quelles qu'elles soient, ne suffiront pas à des dépenses aussi exorbitantes.

Messieurs, moi qui n'ai jamais lésiné quand il s'est agi de dépenses pour la guerre, je m'arrête, comme en 1845, devant le chiffre toujours croissant des pensions militaires et je le fais avec d'autant plus de raison que la mesure prise par l'arrêté du 18 avril n'est ni dans l'intérêt de l'armée ni dans l'intérêt de l'Etat, et qu'elle grève nos finances d'une manière exorbitante.

Si je pouvais croire qu'une proposition ayant pour but d'arrêter le gouvernement dans la voie où il s'engage rencontrerait des sympathies dans cette enceinte, je n'hésiterais pas à la présenter. J'attendrai, pour prendre un parti, la suite de la discussion.

- Plusieurs voix. - Faites une proposition.

- La discussion est continuée à demain.

(page 1145) - La séance est levée à cinq heures.