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Chambres des représentants de Belgique
Séance du jeudi 29 novembre 1855

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1855-1856)

(Présidence de M. Delehaye.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 97) M. Ansiau procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.

M. Maertens lit le procès-verbal de la dernière séance. La rédaction en est adoptée.

Pièces adressées à la Chambre

M. Ansiau communique l'analyse des pièces adressées à la Chambre.

« L'administration communale de Masnuy-Saint-Pierre réclame l'intervention de la Chambre pour que le département des travaux publics fasse construire une station dans cette commune qui est traversée par le chemin de fer de l’Etat »

M. Lange. - Je demanderai le renvoi de cette requête à la commission des pétitions, avec invitation de faire un prompt rapport.

- Adopté.


M. Ansiau. - « Plusieurs cultivateurs à Desselghem demandent que les artistes vétérinaires non diplômés puissent continuer l'exercice de leur profession. »

- Même renvoi.


« Un grand nombre d'armateurs et de pêcheurs à Blankenberghe présentent des observations contre la proposition de permettre l’entrée en franchise de droits du stockvisch, du hareng braillé, fumé et salè et de la marée en général ou poisson commun de mer. »

« Mêmes observations d'armateurs et de pêcheurs à Heyst. »

M. Rodenbach. - Messieurs, je demande que cette pétition soit renvoyée à la section centrale qui est saisie de cette question. Il s'agit de Blankenberghe. Là, déjà, les pêcheurs ne sont pas très heureux, et si les propositions faites peuvent froisser les intérêts de ces malheureux, qui ont besoin, dans une année calamiteuse comme celle-ci, d'être protégés, je crois que ces propositions doivent être examinées très mûrement.

M. Coppieters. - J'appuie les observations faites par l'honorable M. Rodenbach. La pétition mérite toute l'attention de la Chambre. Les pêcheurs de Blankenberghe et de Heyst sont alarmés de la position qui leur serait faite si le poisson pourrait entrer en franchise de droits, et ils supplient la Chambre de ne pas prendre une mesure de cette espèce, qui serait pour eux uns ruine complète et qui porterait un coup mortel à la pêche nationale. Indépendamment du renvoi à la section centrale, proposé par l'honorable M. Rodenbach, je demande le dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi sur les denrées alimentaires.

M. Sinave. - J'appuie les observations des honorables membres.

- Les propositions de MM. Rodenbach et Coppieters sont adoptées.


« Le sieur Ancion, lieutenant-colonel d'artillerie en retraite, demande qu'à l'occasion du projet de loi relatif à la pension d'une catégorie d'officiers, il soit apporté une modification à la loi du 24 mai 1838, afin que la pension de l'officier d'un grade supérieur ou comptant un plus grand nombre d'années de service dans le dernier grade, ne puisse être moins élevée que celle de l'officier d'un grade inférieur ou qui peut compter moins d'années de service dans son dernier grade.»

M. Deliége. - Je demande le renvoi de cette pétition à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi relatif à la pension des officiers qui, en qualité de volontaires, ont pris part aux combats de la révolution de 1830.

M. Lelièvre. - Messieurs, cette pétition est importante et les réclamants sont dignes d'intérêt. Je demande que la section centrale soit invitée à faire un rapport spécial sur la pétition qui mérite un examen attentif.

- Les propositions de MM. Deliége et Lelièvre sont adoptées.


« Le sieur Vanden Berghe, capitaine pensionné, ancien sous-officier avant 1830, entré dans la garde civique mobilisée, en 1831, demande que le projet de loi qui a pour but d'améliorer la position d'une catégorie d'officiels lui soit rendu applicable. »

- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi relatif à la pension des officiers qui, en qualité de volontaires ont pris part aux combats de la révolution, en 1830.


« Par dépêche du 27 novembre, M. le ministre de l'intérieur adresse à la Chambre 110 exemplaires de la brochure relative au concours de poésie ouvert entre les littérateurs belges à l'occasion du 25ème anniversaire des journées de septembre 1830. »

- Dépôt à la bibliothèque et distribution à MM. les membres de la Chambre.

Rapports sur des pétitions

M. Vander Donckt, rapporteur. - Messieurs, par pétition datée de Montgauthier, le 10 novembre 1855, le sieur Démarche (Jean-Joseph), demande que son fils Alexandre, qui a été rappelé par erreur sous le drapeau, obtienne un congé illimité.

Le pétitionnaire allègue que son fils Alexandre ayant des droits incontestables à l'exemption du service militaire d'après les lois existantes sur la matière, a été victime d'une erreur administrative, son nom ne figurant pas sur la liste alphabétique on conformité des articles 72 et 73 de la loi du 8 juin 1817.

Votre commission n'ayant pas les éléments nécessaires d'appréciation pour vérifier les faits allégués, considérant cependant que si elles étaient vraies il serait souverainement injuste, inique même, de retenir plus longtemps sous les armes un homme qui n'est pas passible du service, a l'honneur de vous proposer le renvoi de cette requête à MM. les ministres de l'intérieur et de la guerre.

M. Lelièvre. - J'appuie les conclusions de la commission. Il est essentiel que la pétition soit examinée avec soin, puisqu'il s'agit d'une erreur à redresser. Il n'est pas juste qu'un individu qui n'aurait pas dû être désigné pour le service de la milice soit astreint aux obligations de ce service. Je demande donc que le gouvernement veuille bien examiner l'objet de la demande et prenne les mesures que l'équité lui suggérera.

M. Thibaut. - Les faits énoncés dans la pétition sur laquelle l'honorable M. Vander Donckt vient de présenter un rapport sont, messieurs, parfaitement exacts.

La commission des pétitions, n'ayant pas les éléments nécessaires pour s’assurer de leur exactitude, propose simplement le renvoi à MM. les ministres de la guerre et de l'intérieur. Je demanderai davantage.

En effet, la Chambre concevra l’impatience d'un chef de famille qui n’a d'autre ressource que son travail, et qui se voit privé indûment de l'un de ses fils.

Il est donc urgent que MM. les ministres veuillent bienprendre une décision sur la pétition du sieur Demarche, et en appuyant le renvoi proposé par M. le rapporteur, je propose de plus que le renvoi ait lieu avec demande d'explication.

M. le ministre de la guerre (M. Greindl). - Messieurs, les conditions d’admission d’un milicien sous les armes ne ressortissent en aucune façon au département de la guerre. Les députations permanentes ont une omnipotence absolue dont elles usent quelquefois au détriment du contingent de l’armée. La situation du milicien sur lequel il vient d'être fait un rapport, est présent à ma mémoire. Cet homme a été (page 98) effectivement incorporé abusivement par le bourgmestre de sa commune qui l'a inscrit. Le cas a été soumis à la députation permanente qui probablement doit avoir porté une décision affirmative sur laquelle le ministre de la guerre n'a pas à porter ses investigations. Cet homme a donc été envoyé sous les drapeaux.

Des cas semblables se sont déjà présentés plusieurs fois ; généralement on use d'indulgence, et on renvoie ces hommes à leurs familles. Mais il ne doit pas échapper à la Chambre que ce sont des pertes sèches pour le contingent, et que ces pertes, se reproduisant souvent, finissent par amener un déficit que le ministre de la guerre ne peut pas tolérer.

J'ai désiré que l'attention de la Chambre fût fixée sur ce point. C'est pour cela que, contrairement à ce qui se passe quelquefois, j'ai ajourné le renvoi du milicien dont il s'agit, jusqu'à ce que la Chambre se fût occupée de la pétition qui le concerne. Mon intention n'est pas d'ailleurs de le rendre victime d'une circonstance dont on ne peut pas le rendre responsable, et je suis dans l'intention de le renvoyer en congé illimité après que la Chambre aura adopté les conclusions de sa commission des pétitions.

- La discussion est close.

Le renvoi de la pétition à MM. les ministres de l'intérieur et de la guerre est ordonné.

Projet de loi accordant un crédit supplémentaire au budget du ministère de la justice

Rapport de la section centrale

M. de Steenhault. - Messieurs, j'ai l'honneur de déposer le rapport de la section centrale qui a examiné le projet de loi allouant un crédit supplémentaire de 412,000 fr. au département de la justice.

- Le rapport sera imprimé et distribué.

La Chambre le met à l'ordre du jour à la suite de ceux qui y sont déjà.

Projet de loi portant le budget du ministère de la justice de l’exercice 1856

Discussion du tableau des crédits

Chapitre XI. Etablissements de bienfaisance

Discussion générale

M. le président. - La discussion générale continue sur le chapitre IX (Etablissements de bienfaisance).

La parole est à M. le ministre de la justice.

M. le ministre de la justice (M. Nothomb). - Dans la séance d'hier, l'honorable M. Verhaegen a critiqué un arrêté inséré au Moniteur, du 9 octobre dernier, concernant le remboursement des frais deguérison d'une fille traitée à l'hôpiial Saint-Pierre. Il a porté ses attaques sur deux points ; l'un de fait, l'autre de droit. Quant au point de fait, il m'a reproché d'avoir inconsidérément qualifié de fille publique une femme que j'appellerai X.

J'ai déjà dit qu'il m'eût été presque matériellement impossible d'inventer une qualification semblable. J'ai le dossier sons les yeux, et j'y constate que cette qualification a été puisée dans la correspondance même. La première pièce du dossier, émanant du collège des bourgmestre et échevins de la ville d'Anvers, en date du 24 octobre 1854, est ainsi conçue ;

« Monsieur le gouverneur,

« Nous avons l'honneur de vous renvoyer par la présente, comme suite à votre apostille du 21 de ce mois, le dossier relatif aux frais de traitement occasionnés, à l'hôpital Saint-Pierre de Bruxelles, par la fille publique, M. D., atteinte de syphilis. »

Cette lettre fut communiquée au département de la justice par le gouverneur de la province d'Anvers qui, à la date du 1er novembre 1854, écrivait ce qui suit :

« J'ai l’honneur de vous renvoyer les pièces relatives à la contestation qui s'est élevée entre les villes d'Anvers et de Bruxelles, en ce qui concerne le remboursement des frais de traitement à l'hôpital de cette dernière ville de la nommée Marie Dewolf, fille publique, atteinte de maladie syphilitique.

« La députation permanente du conseil de cette province, qui a examiné cette affaire en séance du 27 de ce mois, persiste à croire que le principe consacré par l'arrêté royal du 30 janvier dernier, contresigné par M. le ministre de l'intérieur, doit être maintenu ; que le traitement des maladies vénériennes dans les hôpitaux étant proprement une mesure de salubrité locale, c'est aux communes où cette salubrité importe, à en supporter les frais, conformément à l'article 131 de la loi du 30 mars 1836.

« Au surplus, la solution de la question qui fait l'objet de la présente, ne paraît pas pouvoir soulever le moindre doute. Il s'agit d'une fille publique inscrite comme telle sur les registres de prostitution. A Anvers, ces filles sont traitées gratuitement. Il doit en être de même à Bruxelles, ainsi qu'en fait foi un règlement de police de cette ville, portant la date du 18 novembre 1824, que j'ai sous les yeux et dont je crois utile de citer quelques dispositions, qui démontreront surabondamment que le traitement des maladies vénériennes dans les hôpitaux est forcé et ne saurait par conséquent être considéré comme un secours accordé à l'indigence.

« Le paragraphe 12° de ce règlement porte :

« Celles desdites femmes (publiques) que les chirurgiens auront trouvées et déclarées atteintes de la maladie syphilitique, seront incontinent transférées à l'hôpital Saint-Pierre, pour y être traitées aux frais du tenant de la maison où elles se trouvaient. »

« Le paragraphe 13°. Les frais de ce traitement devront être payés par anticipation au moins de dix jours, à raison d'un florin par jour. »

« J'ignore si ces dispositions sont encore en vigueur à Bruxelles, mais s'il n'en est pas ainsi, ce ne saurait être un motif de faire du traitement des maladies vénériennes, une charge des bureaux de bienfaisance, puisque au fond il ne s'agit point de secourir des indigents, mais bien et uniquement de prévenir les effets d'une maladie contagieuse.

« Le gouverneur de la province,

« T. Teichman. »

Enfin, messieurs, une lettre de l'administration communale de Bruxelles, transmettant les pièces relatives à cette contestation, donne à cette fille la même qualification :

« Ces jours derniers, nous avons reçu les copies ci-jointes d'une correspondance qui a été échangée entre le conseil général des hospices et secours et le collège échevinal d'Anvers, relativement aux frais d'entretien à l'hôpital Saint-Pierre d'une fille publique atteinte de syphilis. »

Vous voyez donc, messieurs, que dans trois documents émanés des autorités compétentes, cette fille était qualifiée de fille publique ; il était donc difficile que le département de la justice lui donnât une autre qualification. Après cela, je suis convaincu que s'il était reconnu qu'il y a eu erreur, les autorités qui l'auraient involontairement commise s'empresseraient de la réparer.

Voilà pour la question de fait. J'aime à croire que la Chambre trouvera ces explications satisfaisantes.

Quant à la question de droit, j'ai exposé dans l'arrêté même et dans le rapport au Roi qu'à dessein j'ai développé plus longuement qu'il n'est d'usage, les principes que je crois vrais en cette matière. Je n'ai rien à y ajouter.

Il m'est impossible de croire que la loi de 1845 ait pu vouloir imposer aux communes les frais d'entretien des filles qui se livrent par métier à la débauche. Cette loi est une loi de bienfaisance, une loi d'humanité. Elle accorde des secours à l'indigent nécessiteux, à l'indigent malheureux.

Je ne puis admettre que le législateur ait voulu imposer aux communes du domicile de secours les frais qu'entraîne l'exercice de la prostitution dans une autre commune. Si la loi de 1845 eût été telle, ce serait un devoir d'en provoquer l'abrogation.

Il y a d'ailleurs un moyen facile pour les administrations communales qui se plaignent d'être lésées par l'arrêté du 19 octobre, de se soustraire à cette charge, c'est de la reporter sur les tenant maison (permettez-moi ce terme consacré dans la matière que l’on m'oblige à traiter ici), à l'exemple de ce qui se fait dans la plupart des grandes villes, où tous les frais de guérison incombent aux proxénètes. De cette manière les villes seraient indemnes, et les communes domiciles de secours seraient à l'abri de réclamations de ce genre. Ce moyen est pratique ; il est très facile à employer ; il n'offre aucune espèce d’inconvénient.

M. de Mérode. - Personne plus que moi, messieurs, ne désire le maintien de la forme de gouvernement qui assure au pays l'avantage d'un contrôle public sur les actes de l'autorité administrative par une représentation nationale et sur les pouvoirs divers par la liberté de la presse, si différente de la tyrannie et du mensonge organisés dans la presse sans conscience. Mais si le contrôle des actes ministériels est bon et utile à un haut degré, c'est à certaines conditions de justice, de convenance et de décence, qui ne peuvent être impunément violées sans déconsidérer le régime libre et régulier néanmoins. Le débat provoqué hier dans cette enceinte est-il conforme à des règles de justice, de convenance et de décence ? Je dis que non !

Une femme figure dans un arrêté royal inséré au Moniteur à l'occasion d'un litige sur le domicile de secours ; elle y est signalée avec son nom propre et une qualification qui dépasserait en sévérité, dit-on, la nature réelle du désordre moral auquel elle s'est livrée. Vous n'ignorez pas, messieurs, que, pour la généralité du public, le Moniteur est une sorte de greffe et de magasin d'enregistrement qui n'attire sur la foule d'affaires courantes que très peu d'attention.

Si donc la personne inconnue dont il s'agit se trouvait lésée outre mesure dans sa réputation par une erreur commise, il faudrait bien se garder de la mettre en scène, en décuplant, en centuplant une publicité fort restreinte en fait, par une publicité la plus grande possible ; et cela sans ménagement, sans réserve, sans égards, ni pour une femme malheureuse, ni pour la dignité des Chambres et du gouvernement. Si une erreur avait eu lieu, c'est au Moniteur qu'un homme équitable et bienveillant eût demandé la rectification désirable, se gardant bien de la faire retentir à l'aide d'une trompette de guerre à mort, sonnée dans cette enceinte contre un ministre, même aux dépens d'une pauvre femme, placée, en toute hypothèse, dans une peu flatteuse situation.

Mais le critique, sans souci de ces considérations, n'en a tenu nul compte ; et qu'importe le préjudice causé à cette servante dont le nom, ici répété avec affectation à plusieurs reprises, devait servir d'instrument de combat ! Aussi, quel protecteur d'une personne à laquelle il porterait quelque intérêt voudrait la voir défendue selon la méthode ici appliquée par M. Verhaegen, et remercierait celui-ci de son beau zèle en sa faveur ? Certes, ce ne serait pas moi.

En effet, toute la Belgique, qui n'en savait rien, est informée aujourd'hui de la peu noble maladie que subit la victime, d'une séduction, mais non pas précisément de la prostitution, selon son champion. Que d'actions de grâces elle lui doit !

(page 99) Et non, messieurs, ne devons-nous pas être fiers d'assister à une si belle joute engagé par un représentant contre un ministre de la justice à l'aide du mal syphilitique, et d'une question de domicile de secours légal, lorsqu'il s'agit de le guérir ?

En vain, je pense, on essayerait de feuilleter, soit les documents parlementaires anglais, soit le Moniteur de France, pour trouver semblable querelle suscitée aux ministres qu'on a si souvent voulu ou supplanter ou renverser dans ces deux grands Etats ; mais en raison de ce que nous sommes moins grands en Belgique, faut-il amoindrir nos Chambres par des discussions dégradantes ?

Celui qui les provoque, il est vrai, ne craint pas de dégrader à tort et à travers ; tantôt c'est un fabricant auquel un tribunal défend d'user de la vignette dont un autre avait la priorité, qu'il présente ici comme frappé d'un jugement pour crime de faux ; puis c'est un procureur général coupable d'avoir demandé justice d'imputations qui l'eussent, si elles étaient vraies, exposé aux travaux forcés à perpétuité, qu'il qualifie d'audacieux digne d'être frappé de sévères mesures pour attentat contre les prérogatives parlementaires.

Puis un notaire nommé à l'étude vacante d'une grande ville du pays, déclaré publiquement inapte, au point de vue moral et physique, à remplir ses nouvelles fonctions.

Ainsi, brevet de faussaire, brevet d'audace punissable, brevet d'incapacité physique et morale sont décernés par M. Verhaegen, en sa qualité de haut censeur sans façon, à quiconque n'obtient pas ses bonnes grâces ; et nous, anciens membres du Congrès, nous sommes contraints de voir appliquer de la sorte le régime dont nous espérions ne voir surgir que des idées généreuses et libérales, et non des injures, ni l'oppression des individus exposés à subir tous les abus de la franchise parlementaire, franchise qui devrait être appliquée avec d'autant plus de circonspection et de mesure par ceux qui en jouissent, qu'elle les met à l'abri des poursuites les mieux motivées en droit commun.

Si je m'élève contre la dégradation d'un ordre de choses auquel j'ai livré, pour le soutenir, la bonne moitié de ma vie depuis 25 ans, c'est que je ne suis pas de ceux qui sont prêts à se réfugier, au besoin, dans les bras du pouvoir absolu. Entre le maître sans contrôle et le contrôleur sans règle, il y a la règle que tous doivent suivre, que tous doivent respecter ; il y a la règle morale, que nos lois et nos mœurs politiques devraient protéger davantage, et qui ne peut fléchir qu'au détriment de l'honnête liberté.

M. Thiéfry. - Messieurs, les critiques que l'honorable M. Verhaegen a fait entendre, à l'occasion du chapitre sur la bienfaisance, s'appliquent à deux choses bien distinctes : un fait tout personnel à la nommée Dewolf, et une question de remboursement des frais de traitement dans un hôpital.

En ce qui concerne le fait personnel, l'honorable député ne devait apprécier que la position de cette fille, lors de son entrée à l'hôpital de la ville de Bruxelles, où elle a été reconnue comme servante : une lettre écrite par l'administration d'Anvers et dont le bourgmestre de Bruxelles a répété les termes, qualifie la nommée Dewolf de fille publique ; j'ai devers moi une pièce qui me donne des raisons de croire que c'est une erreur.

Une fille est prostituée quand elle est inscrite à la police, soumise aux règlements de la prostitution. Or, je crois pouvoir affirmer que la nommée Dewolf n'était pas dans cette catégorie.

Les observations présentées par l'honorable M. Verhaegen à ce sujet sont justes, seulement la faute n'incombe pas au ministre.

Quanta la question du remboursement des frais de maladie des prostituées, il me paraît qu'elle peut être discutée non pas dans un sens absolu, comme l'honorable M. Wasseige l'a prétendu, mais en restant soumis à la loi de 1845. Toutefois je ferai une distinction pour la discussion seulement.

Les articles 12 et 13 sont ainsi conçus :

Art. 12. Toui indigent, en cas de nécessité, sera secouru provisoirement par la commune où il se trouve.

Art. 13. Si la commune où des secours provisoires sont accordés n'est pas le domicile de secours de l'indigent, le recouvrement des frais pourra être poursuivi et obtenu conformément aux articles suivants.

Le remboursement ne pourra être refusé sous le prétexte que l'individu secouru n'était pas indigent, sauf le recours que pourra exercer contre celui-ci la commune qui aura effectué le remboursement.

Il résulte de ces deux articles que si une fille, prostituée ou non, se présente librement dans un hôpital et qu'il y soit constaté qu'elle est atteinte d'une maladie syphilitique, elle doit y être traitée pour compte de la commune où elle a son domicile de secours. La loi est positive à cet égard, elle n'établit pas de distinction entre les maladies, elle n'est pas sujette à controverse.

Dans le cas qui nous occupe, la fille Dewolf s'est présentée d'elle-même à l'hôpital St-Pîerre comme fille libre ; elle avait par conséquent le droit d'y être soignée ; et conformément à la loi de 1845, les frais de sa maladie doivent être remboursés à la ville de Bruxelles.

Soutenir l'opinion contraire, ce serait provoquer les recherches sur le lieu où la femme a contracté la maladie, cela occasionnerait des enquêtes scandaleuses ; ce que bien certainement le législateur n'a pas voulu.

Un autre abus surgirait, d'ailleurs bien vite ; on enverrait dans l'hôpital d'une ville toutes les filles qui seraient atteintes de syphilis dans les campagnes.

Le, directeur de l'hôpital n'a pas à s'enquérir si la fille est réellement indigente, distinction que fait l'honorable M. Wasseige, la loi a prévu le cas. Je répète le deuxième paragraphe de l'article 13 :

« Le remboursement ne pourra être refusé sous le prétexte que l'individu secouru n'était pas indigent, sauf le recours que pourra exercer contre celui-ci la commune qui aura effectué le remboursement. »

Ainsi, d'une part, la loi rend obligatoire, lorsqu'il y a nécessité, les soins à donner à toute femme qui se présente à l'hôpital ; et d'autre part, elle impose à la commune du domicile de secours l'obligation de rembourser les frais.

J'aime donc à croire que M. le ministre, après avoir examiné de nouveau cette affaire, fera droit à la réclamation de la ville de Bruxelles.

Quant aux prostituées que la police envoie forcément dans les hôpitaux, c'est une question sur laquelle les opinions sont divergentes ; mais qui pourtant me paraît devoir être résolue dans le sens des prétentions de la ville de Bruxelles. L'arrêté du 9 octobre dit :

« Attendu que la demande en remboursement des frais d'entretien occasionnés à la ville de Bruxelles par Dewolf (Marie) a pour objet des frais d'entretien d'une nature différente de ceux qui font l'objet de l'article 12 de la loi du 18 février 1845. »

Cependant, messieurs, la loi n'établit pas de distinction entre les maladies ; comment dès lors peut-on prétendre que les frais d'entretien des prostituées sont d'une nature différente de ceux qui font l'objet de l'article 12 de la loi de 1845. Je poursuis la lecture de l'arrêté du 9 octobre.

« Attendu que les frais de traitement de la prostituée, comme telle, concernent exclusivement un intérêt local étrangers aux devoirs qui incombent à la bienfaisance publique. »

C'est ici un nouveau principe posé par M. le ministre, et qui s'applique également à la dépense faite pour les aliénés.

Les insensés sont soignés aux frais du domicile de secours, quoique demeurant dans une autre localité, et bien qu'ils soient colloqués dans l'intérêt de la commune où ils demeurent. Cependant d'après les principes de l'arrêté, ces frais ne devraient pas être remboursés, puisque les aliénés ne sont colloqués que dans un intérêt local, étranger aux devoirs qui incombent à la bienfaisance publique, car c'est une charge des communes et non des hospices.

Il est si vrai que cette interprétation, il est bien celle qui doit être admise, qu'elle est consignée dans une dépêche de M. le ministre de la justice, en date du 4 avril 1837, signée par M. Ernst, sous le ministère de M. de Theux et de Muelenaere.

Voici ce que je lis dans une lettre adressée par le bourgmestre de Bruxelles au conseil général des hospices de ladite ville.

Chaque commune doit pourvoir aux dépenses qui ont pour objet la guérison de ses indigents, sans distinction du genre des maladies dont ils sont affectés.

Cette opinion, messieurs, se trouve confirmée dans une dépèche de M. le ministre de la justice, adressée à la députation permanente du conseil provincial le 4 avril 1837, où il est dit :

« Dès que ces femmes sont admises dans les hôpitaux, il faut les assimiler aux indigents et vagabonds dont l'entretien est à charge des communes où ils ont leur domicile de secours, conformément à la loi du 13 août 1833, et si conséquemment l'administration municipale ou provinciale réclame à ce titre le remboursement des frais occasionnés par les femmes syphilitiques étrangères à la ville de Bruxelles, je ne pourrais que protéger ces réclamations auprès des communes débitrices. »

Ces principes ont toujours reçu leur application, si le législateur avait voulu les changer, il l'eût dit en termes positifs dans la loi de 1845 et c'est ce qu'il n'a pas fait.

M. Verhaegen. - Messieurs, on a jugé à propos de commencer par le second incident et de laisser de côté le premier.

M. le ministre de la justice (M. Nothomb). - J'y reviendrai.

M. Verhaegen. - On a eu l'intention de faire de l'effet, de provoquer les murmures et de soulever une espèce d'intimidation. Heureusement nous avons encore en Belgique entre autres libertés celle de la tribune, et je déclare à mes honorables collègues que, quels que soient leurs murmures, leur impatience et leurs tentatives d'intimidation, j'userai de cette liberté aussi longtemps que je siégerai dans cette enceinte.

Messieurs, la question en elle-même a été suffisamment débattue. Je ne tiens qu'à dire quelques mots en réponse, en quelque sorte, à un fait personnel.

Je n'accepte pas, je n'ai jamais accepté les mercuriales de M. de Mérode. Je les ai toujours prises pour ce qu'elles valent. Je ne lui dirai aujourd'hui qu'une chose : c'est qu'il ferait beaucoup mieux d'adresser ces mercuriales à ses amis et surtout qu'il aurait mieux fait de les leur adresser lorsque à certaine époque que je me rappelle, on critiquait des subsides en faveur de certaines écoles dentellières et on laissait planer d'odieux soupçons sur les directrices de ces écoles, ce qui a donné lieu à un scandale réel dans cette enceinte. C'est alors que M. de Mérode aurait dû prendre la parole et arrêter l'élan de ses amis politiques.

Quant à moi, messieurs, lorsque j'attaquerai le cabinet et que (page 100) j'alléguerai des faits, j'aurai soin de ne le faire que pièces authentiques en mains.

C'est ce que j'ai fait dans l'occurrence aussi bien pour l'incident qui nous occupe que pour celui qui va nous occuper tantôt, et je défie qui que ce soit, lorsque j'emploie des pièces de cette nature, de me donner un démenti. Je ne l'accepterais pas. Je ne serais pas dans la position où se trouvait hier l'honorable ministre de la justice, lorsqu'il venait me dire que l'affaire du cimetière, de Saint-Pierre-Capelle était déjà engagée lors de son entrée au ministère, alors que je constatais immédiatement qu'il était entré au ministère le 28 mars et que l'affaire dont il s'agit ne s'était passée que le 27 mai.

M. le ministre de la justice (M. Nothomb). - C'était une erreur de ma part.

M. Verhaegen. - Pour l'incident qui nous occupe, qu'ai-je dit ?

J'ai dit que je critiquais l'arrêté au point de vue du fait et au point de vue du droit. Au point de vue du fait, parce qu'il fallait, en supposant qu'on eût raison en droit, qu'il fût constant avant tout que la fille Dewolf était une prostituée ; cela est si vrai que si elle n'est pas prostituée, l'arrêté du 9 octobre tombe et la ville de Bruxelles doit obtenir gain de cause ; en droit, fût-elle prostituée, d'après la loi de 1845, la ville de Bruxelles ne serait pas responsable.

Sur quoi ai-je appuyé le premier moyen, qui est un moyen de fait ? Sur une pièce authentique, sur un rapport fait au sein du conseil général des hospices.

Ainsi, c'est dans le rapport de l'administration des hospices que j'ai trouvé le fait. On m'attribue une erreur que je suis loin d'admettre, car j'ai pour moi une pièce authentique. Je relis le passage qui le constate :

« Sans m'arrêter à la question de savoir si les considérations sur lesquelles s'appuient le rapport adressé au Roi par M. le ministre de la justice et l'arrêté royal du 9 octobre dernier, pour décider que le traitement des prostituées, atteintes de la syphilis, incombe aux communes où elles se livrent à la prostitution, sont ou non fondées en droit, je crois devoir relever que le principe que tend à faire prévaloir ledit arrêté n'est pas applicable à Marie Dewolf.

« Celle-ci n'est pas une fille publique, et elle n'a pas été envoyée comme telle, à l'hôpital Saint-Pierre, ainsi que le porte inexactement l'arrêté royal du 9 octobre.

« Marie Dewolf est une servante et non pas une prostituée, elle n'a pas été envoyée, mais elle s'est rendue volontairement à l'hôpital St.-Pierre, le 29 juillet 1854 pour y recevoir les soins que sa maladie réclamait. Lorsque le différend existant entre l'administration et la ville d'Anvers, au sujet du payement des frais d'entretien de Marie Dewolf a été soumis à la décision de l'autorité supérieure, le conseil a eu soin d'y annexer copie des pièces de la correspondanee échangée au sujet de cette affaire, et ces pièces constatent, d'une manière pérempioirc, que Marie Dewolf n'est pas une prostituée et qu’elle n'a pas été envoyée à l'hôpital St-Pierre par la police.

« Il s'ensuit, de deux choses l'une, ou que l'on ne s'est pas donné la peine de lire les pièces ou que l'on a voulu, sans motif ni raisons, imposer la charge de l'entretien de Marie Dewolf à la ville de Bruxelles, quoique, d'après le rapport adressé au Roi et les considérants sur lesquels s'appuie l'arrêté royal du 9 octobre, cette charge ne lui incombait pas.

« Il est d'autant plus regrettable que l'on ait apporté si peu de soin dans l'examen de l'affaire dont il s'agit, on tant de partialité dans la décision, qu'indépendamment de la charge que veut imposer injustement à la ville de Bruxelles l'arrêté royal du 9 octobre dernier, celui a donne à Marie Dewokf, et cela publiquement, une qualification injurieuse, qui est de nature à lui ôter, peut-être pour toujours, ses moyens d'existence. »

Veilà donc une pièce, que personne ne contestera, dans laquelle j'ai trouvé les faits qui servent de base au premier moyen pour attaquer l'arrêté du 9 octobre.

Mais que répond-on ? Qu'il y a une lettre de l'administration communale d'Anvers, dans laquelle on donne à la personne dont il s'agit, la qualification de fille publique.

Mais nécessairement l'administration communale de la ville d'Anvers, pour soutenir son opinion, devait prétendre que cette femme était une fille publique.

Si elle ne l'avait pas prétendu, l’arrêté du 9 octobre n'avait plus de base. Tout le monde reconnaît que c'est une condition essentielle pour qu'on puisse appliquer le principe de M. le ministre.

Ainsi, l'administration communale d'Anvers, qui était demanderesse dans ce litige administratif, devait prétendre ce qui était le fondement de son système ; elle l'a prétendu ; le gouverneur a suivi les mêmes errements ; mais le fait en lui-même, quel est-il ? Il s'agit de savoir si la fille Dewolf est réellement une prostituée. Eh bien, d'après l’acte que j'ai invoqué, elle ne l'est pas. Elle ne peut l'être que si l'on prouve qu'elle était inscrite comme telle sur les registres de l'administration communale et soumise comme telle aussi à la surveillancc de la police.

Je ne veux pas entrer dans d'autres détails ; il m'a suffi de démontrer à la Chambre que le fait allégué par moi est exact et je ne reçois, à cet égard, de démenti de personne.

- Plusieurs membres. - La clôture ! la clôture !

M. le président. - L'incident est clos.

Article 37

« Art. 37. Frais d'entretien et de transport de mendiants et d'insensés dont le domicile de secours est inconnu : fr. 100,000. »

M. Tesch. - Messieurs, je ne suis point partisan des dépôts de mendicité ; mais je ne puis pas cependant accepter l'amendement de l'honorable M. Moreau.

Cet amendement tend à réduire de 20,000 francs le chiffre porté au budget de la justice.

Son but n'est pas d'arriver immédiatement à la suppression des dépôts de mendicité, mais l'honorable membre veut empêcher qu'à l'avenir, on n'y envoie encore des individus qui seraient condamnés pour avoir mendié.

Je ne pense pas, messieurs, que nous puissions, tout au moins qu'il soit convenable de décider, à propos du budget, une question aussi grave que celle de la suppression des dépôts de mendicité. Cette question est très sérieuse. Elle engage à un très haut degré la sécurité publique ; elle intéresse sérieusement les finances de l'Etat, et je regarderais comme un précédent dangereux qu'une question semblable fût décidée incidemment par la loi du budget.

Il y a un autre motif qui, à mon avis, doit empêcher la Chambre d'accepter cet amendement ; l'envoi au dépôt de mendicité est ordonné par la loi pénale ; l'amendement de l'honorable M. Moreau, s'il était adopté, serait la suppression d'une disposition du Code pénal, ce serait la modification de nos lois pénales.

Or, je ne pense pas qu'il soit convenable (on pourrait même discuter jusqu'à un certain point si cela est constitutionnel), à l'occasion d'un article du budget de modifier une loi aussi importante.

La Chambre ne fait pas seule la loi ; la loi doit être votée par le Sénat et recevoir l'approbation du pouvoir exécutif. Or, une pareille modification, que nous apporterions à la loi pénale, pourrait ne pas être acceptée par le Sénat. Qu'en adviendrait-il ? C'est qu'il y aurait entre les Chambres et peut-être aussi entre celles-ci et le pouvoir exécutif un conflit qui tiendrait en suspens le budget lui-même.

Ainsi, le Code pénal ordonne que les individus condamnés pour mendicité soient, à l'expiration de leur peine, renvoyés au dépôt de mendicité. (Interruption.) Mais il y a des dépôts de mendicité, et dès lors vous devez exécuter l'article 275.

Si vous admettez l'amendement de M. Moreau, vous ne pourrez plus l'exécuter. Or, je suppose que le Sénat, lui, ne soit pas d'avis de maintenir cette disposition ; il y aurait alors un conflit qui s'étendrait au budget. Vous auriez supprimé 20,000 fr., le Sénat voudrait maintenir les 20,000 fr., et vous pourriez arriver ainsi à une situation très dangereuse, vous pourriez arriver à forcer, en quelque sorte, la main à une autre branche du pouvoir législatif. Cela ne peut être.

Je ne conteste pas le droit de la Chambre, ce serait cependant là un point à examiner, mais je dis qu'il ne serait pas convenable de mettre le Sénat dans la nécessité, ou de ne pas voter le budget, ou d'admettre malgré lui la disposition que nous aurions adoptée.

Pour cette double raison, messieurs, je ne saurais admettre une disposition qui aurait des résultats aussi graves qu'aurait l'amendement de l'honorable M. Moreau.

J'ai dit, messieurs, que je ne suis point partisan des dépôts de mendicité ; il serait difficile de les maintenir encore longtemps dans la situation où ils se trouvent en ce moment, et si l'honorable M. Moreau avait proposé, par exemple, de réduire le crédit de quelques francs, pour indiquer que la Chambre désire le changement de la législation aoluclle, j'adopterais cette proposition. Mais je pense, messieurs, que cela est inutile : après ces discussions, le ministère sentira l'indispensable nécessité d'apporter le plus tôt possible des modifications à une législation semblable.

Les dépôts de mendicité ne sont aujourd'hui ni des lieux de moralisation, ni des lieux de travail. Ce sont plutôt des cloaques où grouillent la paresse et l'immoralité. A cette situation, il faudrait un remède. Je ne pense pas qu'il y en ait. Ou s'il y en avait, ce serait un régime que nos mœurs ne comportent plus : ou un travail très dur, ou même des peines corporelles que notre civilisation repousse.

Je suis donc convaincu qu'il faut arriver à la suppression des dépôts de mendicité. Mais par quoi les remplacer ? J'ai examiné le travail de la commission qui a été chargée d'examiner les questions qui se rattachent à cette matière, et, dans mon opinion, son projet ne remédierait pas au mal.

La commission remplace les dépôts actuels par d'autres établissements qui bientôt présenteraient les mêmes inconvénients et produiraient les mêmes résultats.

Son système tend à étendre à l'infini la personnification civile, la mainmorte, ce qui est, à mon avis, un très mauvais moyen d'empêcher la mendicité, de la prévenir.

En ce qui touche à la répression, le projet confond le pouvoir administratif et le pouvoir judiciaire, en ce sens qu'on donne au juge de paix le droit de juger sans appel, qu'on lui accorde ainsi la latitude d’acquitter ou de condamner sans recours ceux qui seront poursuivis, pour délit de mendicité.

On laisse ainsi à ce magistrat le pouvoir de décider des circonstances dans lesquelles il est permis ou interdit de mendier. Cela ne me paraît pas être du ressort du pouvoir judiciaire, mais rentrer dans les attributions du pouvoir administratif. C'est au pouvoir administratif (page 101) à prendre les mesures nécessaires pour subvenir aux besoins des indigents, c'est à la législature à dire dans quels cas la mendicité sera un délit.

Je n'ai pas la prétention de présenter à la Chambre un système pour remplacer les institutions et la législation qui existent.

Mais dans mon opinion ce qu'il y aurait de mieux à faire, ce serait de se relâcher de la trop grande sévérité du Code pénal, en ce qui concerne la mendicité, ce serait de permettre la mendicité aux pauvres d'une commune dans la commune même et cela aurait peu d'inconvénients.

Les indigents d'une commune, la cause de leur indigence, la mesure de leurs besoins sont connus des habitants de la commune même, et dans ces circonstances les pauvres sont secourus dans la proportion de leurs besoins, et l'on est à peu près sûr que l'aumône va trouver la pauvreté, le malheur, et ne va pas entretenir la fainéantise, ou encourager l'inconduite.

Mais tout en permettant, en général, la mendicité dans la commune même, il faudrait laisser aux autorités communales le droit de l'empêcher, lorsqu'elles viendraient par d'autres moyens au secours de leurs indigents.

En dehors de la commune, la mendicité devrait être défendue d'une manière absolue, de la même manière que les autres délits.

Resterait la question de savoir à charge de qui seraient les frais de cette répression. Voilà, à mon avis, la plus grosse difficulté.

L'honorable M. de Steenhault, dans le discours qu'il a prononcé, n'a pas donné à la question financière l'importance qu'elle mérite. Quand il s'agit d'institutions destinées à réprimer la mendicité, il ne faut pas seulement se préoccuper des dépenses de premier établissement, il s'agit encore et surtout des frais d'entretien.

La difficulté qui se présente, à propos des dépôts de mendicité et de toutes les questions relatives au domicile de secours, est de savoir qui payera et comment on payera. Ce qu'il faut éviter, c'est de faire supporter exclusivement par l'Etat toutes les dépenses qu'occasionne la répression de la mendicité.

Si les communes ne restent pas grevées jusqu'à un certain point, au moins il en résultera qu'elles se montreront extrêmement faciles à laisser mendier, ne viendront plus au secours de leurs pauvres, et permettez-moi l'expression, endosseront à l'Etat des dépenses énormes ; le budget ne suffira plus.

D'où sont venues toutes les réclamations qui vous sont adressées depuis dix ans ?et quel est le véritable motif qui s'est opposé à ce qu'il y fût fait droit ? C'est que les communes ont une très grande tendance à faire payer par l'Etat les frais de leurs propres mendiants et que les ressources de l'Etat seraient insuffisantes pour supporter une pareille charge.

Du moment où les communes ne seront plus intéressées financièrement à diminuer le nombre de leurs mendiants ; du moment où ce sera l'Etat qui supportera seul les frais d'entretien, vous aurez à voter des millions pour combler le gouffre qui s'ouvrira devant vous ; de sorte que la grosse question, c'est la question financière ; je le répète, il ne s'agit pas seulement de dépenses de premier établissement, il s'agit encore et surtout des frais d'entretien.

Eh bien, les frais de cette répression, répression à laquelle on pourrait peut être appuyer le système pénitentiaire devraient être, au moins pour une grande part, à la charge des communes, comme aujourd'hui elles doivent supporter les frais d'entretien de leurs mendiants dans les dépôts de mendicité.

Voilà les idées qui me paraissent les plus pratiques pour arriver à la solution de la question : Se relâcher de la sévérité du Code pénal, permettre la mendicité dans les communes mêmes, sauf aux autorités communales à la proscrire quand elles viendraient d'une autre manière au secours de leurs pauvres et faire de la mendicité en dehors des communes un véritable délit, dont les frais de répression seraient laissés pour la plus grande partie à la charge des communes ; et je déclare en terminant que je n'accepterai aucun système qui mettrait tous les frais ou la plus grande partie des frais à la charge de l'Etat.

M. Moreau. - Messieurs, l'amendement que j'ai eu l'honneur de déposer sur le bureau est rédigé en ces termes :

« Ayant demandé, dans la dernière séance, que les dépôts de mendicité ne soient plus ouverts aux mendiants condamnés ou autres, à partir de 1856, je propose, comme conséquence de cette mesure, d eréduire à 80,000 fr. le chiffre de l'article 37 du budget du ministère de la justice. »

Cet article 37 est ainsi conçu :

« Frais d'entretien et de transport de mendiants et d'insensés dont le domicile de secours est inconnu : fr. 100,000. »

Vous voyez déjà, messieurs, que l'honorable M. Rodenbach n'a pas compris la portée de mon amendement ; ce n'est pas une réduction de 20,000 fr. sur les dépenses qu'occasionnent les dépôts de mendicité que j'ai proposée, et je ne tiens pas à la quotité du chiffre, comme paraît le croire l’honorable M. Tesch ; le but de mon amendement est d'obtenir du gouvernement des mesures immédiates qui dégrèvent les communes des charges qui les accablent. Et certes, quoi qu'en dise l'honorable M. de Steenhault, je crois que l'affaire est assez instruite pour que vous preniez une décision et manifestiez au gouvernement ce que vous voulez ; ce n'est pas la première fois que les vices des dépôts de mendicité font l'objet de nos débats.

D'ailleurs tout ajournement un peu long serait préjudiciable à grand nombre de commune, qui nous dépeignent leur position comme insoutenable.

N'est-il pas en effet étonnant de voir, d'un côté, le département de l'intérieur nous faire des propositions pour leur venir en aide, nous demander de voter un crédit considérable pour seconder leur action bienfaisante pendant la crise alimentaire, et de l'autre le département de la justice ajourner une mesure qui améliorerait de suite leur situation financière et demander le maintien d'une chose qui paralyse leur bon vouloir, sans utilité aucune pour le bien-être général ?

N'est-ce pas là, messieurs, une véritable anomalie ? Et vous en rendrez vous complices ?

Mais, dit l'honorable M. de Steenhault et répète l'honorable M. Tesch en d'autres termes, vous voulez incidemment changer toute la législation en cette matière, vous allez la rendre parfaitement inapplicable, vous devrez définir quand la mendicité, le vagabondage seront punissables.

C'est là, messieurs, une erreur évidente ; il suffit de lire les article 274 et suivants du Code pénal pour s'en convaincre et mon amendement les maintient intégralement.

En effet, l'économie de ces dispositions du Code pénal n'est pas telle, qu'elle suppose nécessairement l'existence des dépôts de mendicité.

L'article 274 ne punit que la personne qui a été trouvée mendiant dans un lieu où il existe un établissement organisé afin d'obvier à ïat mendicité ; ainsi là où il n'y a pas de dépôt le fait simple de mendier n'est pas puni.

Mais aux termes de l'article 275, dans les lieux où il n'existe pas de dépôt de mendicité, il faut quelque chose de plus pour que le fait d'avoir mendié soit punissable, il faut que celui qui se livre à la mendicité le fasse habituellement et qu'il soit valide.

Cette disposition reste donc applicable aux mendiants de cette dernière catégorie, ainsi que celle de l'article 276 qui prévoit des cas où le délit est entouré de circonstances aggravantes.

Ainsi la mendicité continuera à être réprimée, lorsque vraiment elle méritera de l'être, lorsque les faits constitutifs du délit présenteront réellement un caractère odieux.

J'irai même plus loin, je dirai que je ne sais trop si, depuis la loi de 1848, vous pouvez encore punir avec équité des mendianls autres que ceux qui sont valides et qui se livrent habituellement à la mendicité, car dans mon opinion, par cette loi vous avez entièrement modifié le système du Code pénal.

Celui-ci suppose évidemment qu'un asile est toujours et en tout temps ouvert aux indigents dans les dépôts de mendicité, et d'après les dispositions du Code pénal, un individu n'est punissable que parce qu'il a mendié, plutôt que de se rendre au dépôt ; les commentateurs de ce Code sont unanimes sur ce point. « Tant que les indigents, disent Chauveau et Hélie, n'y sont pas admis sur leur simple réclamation, l'article 274 demeure sans application. »

Or, vous savez que maintenant tout indigent ne peut entrer dans les dépôts sur sa simple réclamation, il faut qu'il obtienne à cet effet l'autorisation, soit de l'administration communale, soit du commissaire d'arrondissement, et cette autorisation peut lui être refusée, et vous le puniriez pour un fait indépendant de sa volonté. En un mot, aujourd'hui l'indigent qui se présente au dépôt ne peut y être reçu sur sa simple réclamation, n'est-ce pas le cas de dire avec Chauveau et Hélie que l'article 274 ne lui est pas applicable ?

Vous voyez donc que ce que je propose est plus conforme au Code pénal que ce qui existe aujourd'hui.

Mais, dira-t-on, vous allez remplir les prisons de mendiants et faire supporter par l'Etat des charges énormes. C'est encore là une erreur.

D'abord, les condamnations pour délits de mendicité ne seront plus si nombreuses, puisque les mendiants d'habitude et valides seront seuls punissables.

Mais admettons même que le chiffre de ces condamnations ne soit pas diminué, et les prisons ne renfermeront pas plus d'indigents que maintenant, car de l'aveu même de M. le ministre de la justice, la grande majorité des reclus n'ont élé admis dans les dépôts de mendicité qu'après avoir été condamnés par les tribunaux, ainsi qu'après avoir subi un emprisonnement plus ou moins long aux frais de l'Etat.

En résumé, messieurs, la question que vous avez à résoudre pour le moment est d'une simplicité extraordinaire, il ne s'agit que de bien la poser pour vous en faire toucher du doigt, si je puis le dire, la solution.

D'un côté, vous avez des établissements qui sont des foyers de corruption, cela est exact, j'en sais même personnellement quelque chose ; ces foyers de corruption loin de réprimer la mendicité y provoquent, ceci est encore vrai, car ces asiles ne font que consacrer le droit à l'assistance et faire méconnaître aux populations ce que j'appellerai le devoir de la prévoyance ; ils ruinent enfin les communes, la bienfaisance publique ; les plaintes nombreuses que nous recevons l'attestent.

D'un autre côté, quel bien ces dépôts de mendicité font-ils pour continuer à les alimenter ? quelle est leur utilité ?

Je vous avoue franchement que je n'aperçois aucun des avantages qu'ils offrent, en compensation des maux dont ils sont la cause immédiate.

Est-ce par hasard par ce qu'ils hébergent 4,000 à 5,000 mendiants sur les 85,000 à 100,000 qui existent en Belgique qu'on préconiserait leur nécessité et qu'on craindrait de les fermer ?

(page 102) Mais, messieurs, il y a en Belgique 2,700 à 2,800 communes, ainsi' terme moyen, les dépôts renferment tout au plus 2 individus de chaque commune, ne voilà-t-il pas un bien grand danger de laisser ces deux personnes faire nombre avec les autres mendiants ! Et si l'on considère que les dépôts provoquent, comme on le dit, à la mendicité, ne devevous pas admettre que la mesure que je propose ne fera pas accroître le nombre des mendiants ?

J'ajouterai que c'est là un vrai scandale que de voir dans un pays bien organisé la loi rester inexéculée et inexécutable à l'égard de tant de délinquants, envers plus de 85,000 individus, voilà, messieurs, la question réduite à sa plus simple expression.

M. le ministre de la justice (M. Nothomb). - Je me rallie aux honorables MM. de Steenhault et Tesch pour combattre l'amendement présenté par l'honorable M. Moreau.

L'honorable membre paraît se tromper sur l'affectation du crédit de cent mille francs porté à l'article 37. Ce crédit n'est pas uniquement, tant s'en faut, destiné à l'entretien des mendiants dans les dépôts. Il est affecté à des secours à donner soit à domicile, soit à des malades dans les hôpitaux, soit à secourir des mendiants étrangers dont l'entretien incombe à l'Etat.

Les frais de ces catégories se sont élevés, en 1854, à plus de 129,000 fr. tandis que les frais d'entretien de mendiants dans les dépôts varient entre douze et quinze mille francs.

L'honorable M. Moreau a parlé de la situation des dépôts de mendicité eu France et il a dit que là ils étaient à peu près supprimés et que c'était à peine s'il en restait quelques-uns.

C'est une erreur. Non seulement le nombre des dépôts de mendicité en France est beaucoup plus grand que ne le suppose l'honorable membre ; mais ce nombre paraît être en voie de s'accroître encore.

Je ne dis pas qu'on fasse bien. Je veux seulement constater ce qui se passe dans le pays qu'on a cité.

Voici ce que je lis dans le rapport de la réuuion internationale de charité, de M. Marbeau, en date du 18 juillet 1855 :

« D'après le décret de 1808, chaque département aurait dû avoir son dépôt de mendicité.

« Nous avons 86 départements, et nous n'avons que 20 dépôts.

« Il est vrai que plusieurs dépôts servent à deux, trois et même jusqu'à six départements, et ce ne sont pas les moins efficaces. Ainsi le dépôt de Beaugency, qui passe pour un des meilleurs et des plus redoutés, sert à six départements (Aube, Eure, Eure-et-Loir, Loiret, Orne, Seine-et-Oise.)

« Vingt-trois départements sont en mesure de réprimer la mendicité, quoique nous n'ayons que dix-huit dépôts (Aisne, Aube, Bouches-du-Rhône, Cantal, Cher, Corrèze, Doubs, Eure, Eure-et-Loir, Gers, Indre, Indre-et Loire, Lot, Marne, Moselle, Nièvre, Oise, Orne, Pas-de-Calais, Saône-et-Loire, Seine, Seine-et-Marne, Seine-et-Oise, Somme, Yonne). Plusieurs autres départements sont en voie d'organiser les secours et de de procurer un dépôt, afin de réprimer aussi chez eux la mendicité. »

Ou paraît donc vouloir en France revenir au système du décret de 1808. Je le répète, je ne donne pas cela comme un exemple à suivre, mais comme, un fait qui peut jeter quelque enseignement dans la discussion.

Je me demande maintenant quelles pourraient être les conséquences de l'amendement de M. Moreau ; il serait illusoire, sinon dangereux. Il serait illusoire s'il n'impliquait pas une suppression immédiate des dépôts actuels, et je ne pense pas que l'on puisse avoir cette intention.

Je me demande avec l'honorable M. Tesch si vous pouvez à l'occasion de la loi du budget, loi d'application, loi annuelle, rendre inexécutables, anéantir des lois organiques, le décret de 1808, la loi du 13 août 1833, les lois de 1845 et celle de 1848. Pourriez-vous d'un trait de plume mettre ces lois à néant ? Cet amendement est dangereux. Car, voyez quelle position il ferait au gouvernement. Celui-ci, en présence de lois non abrogées, tenu de pourvoir à l'exécution des jugements prononcés, en vertu du Code pénal, se trouverait entraîné à dépasser le crédit de 80,000 fr.

Les mendiants traduits en justice seront condamnés de huit jours en huit jours, car on ne peut les condamner qu'à huit jours d'emprisonnement ; le neuvième jour, ils sortiront de prison pour recommencer ; il en résultera des frais énormes ; l'on payera ainsi sur le crédit alloué pour l'entretien des condamnés beaucoup plus qu'on n'économisera sur l'article concernant l’entretien des mendiants.

Ces mendiants retomberont à la charge du gouvernement. Leur nombre n'est pas infime, comme le dit l'honorable M. Moreau ; il est considérable. Il y a plus de 2,500 mendiants valides dans nos dépôts de mendicité, beaucoup d'entre eux sont, il faut bien le dire, des natures très dangereuses. Le gouvernement devrait les faire poursuivre et les tenir en prison. Il faudrait créer des prisons nouvelles pour 2,500 individus. Ce seraient là des charges écrasantes que l’on créerait, en voulant dégrever le trésor d’une somme relativement minime.

M. Moreau. - Messieurs, je veux seulement déclarer à la Chambre que puisque M. le ministre de la justice promet de s'occuper de la question des dépôts de mendicité et de prendre des mesures pour dégrever les communes des charges qui les accablent, je relire mon amendement, en me réservant mon droit d'initiative, si l'on tardait trop de me donner satisfaction.

- L'article 37 est mis aux voix et adopté.

Articles 38 à 43

« Art. 38. Subsides : 1° à accorder extraordinairement à des établissements de bienfaisance et à des hospices d'aliénés ; 2° aux communes, pour l'entretien et l'instruction des aveugles et sourds-muets indigents, dans le cas de l'article 131, n°17, de la loi communale ; 3° pour secours aux victimes de l'ophthalmie militaire, qui n'ont pas droit à une pension ou à un secours à la charge du département de la guerre : fr. 148,000. »

- Adopté.


« Art. 39. Frais de route et de séjour des membres des commissions spéciales pour les établissements de charité et de bienfaisance. Des médecins chargés de rechercher et de traiter les indigents ophthalmiques, etc., etc.—Des membres et secrétaires de la commission permanente et de surveillance générale des établissements pour aliénés, ainsi que des comités d'inspection des établissements d'aliénés. Traitement du secrétaire de la commission spéciale de l'établissement de Gheel : fr. 10,000. »

- Adopté.


« Art. 40. Impressions et achat d'ouvrages spéciaux concernant les établissements de bienfaisance et frais divers : fr. 2,000. »

- Adopté.


« Art. 41. Subsides pour les enfants trouvés et abandonnés, sans préjudice du concours des communes et des provinces : fr. 145,000. »

- Adopté.


« Art. 42. Subsides pour le patronage des condamnés libérés : fr. 20,000. »

- Adopté.


« Art. 43. Etablissement des écoles de réforme pour mendiants et vagabonds âgés de moins de 18 ans : fr. 220,000. »

- Adopté.

Chapitre VIII. Cultes

Discussion générale

M. le président. - La Chambre revient à la discussion sur l'ensemble du chapitre VIII, Cultes, et sur l'incident soulevé à cette occasion.

M. le ministre de la justice (M. Nothomb). - Je vais avoir l'honneur d'exposer brièvement à la Chambre les faits qui ont donné lieu à l'incident dont l'honorable député de Bruxelles a parlé hier.

Voici par quelle pièce le département de la justice a été saisie de la difficulté soulevée entre l'administration communale de Saint-Pierre-Capelle et l'autorité religieuse de cette localité. C'est une requête adressée par le desservant de la commune à S. M. le Roi. Elle est ainsi conçue :

« Saint-Pierre-Capelle, le 6 juin 1855.

« A Sa Majesté Léopold, premier Roi des Belges,

« Sire,

« Expose respectueusement Quintin-David Dooms, curé de la paroisse de la commune de St-Pierre-Capelle, province de Hainaut, que dans la nuit du 27 au 28 mai dernier, un ouvrier meunier étranger à cette commune a été trouvé mort près du moulin dit le vieux moulin, situe dans la même commune ;

« Que l'exposant ayant eu connaissance de cet événement par la rumeur publique, dans la matinée de lundi, a de suite réfléchi à la sépulture du corps mort, et a fait les investigations que les circonstances exigeaient de son ministère sacré ;

« Qu'ayant acquis la conviction que l'inhumation ne pouvait pas avoir lieu en terre bénie du cimetière de l'église, il en référa à Mgr. l'évêque de Tournai.

« Que le lendemain, le garde champêtre de la commnne se présenta en la demeure de l'exposant, se disant envoyé par M. le bourgmestre, pour demander quand l'enterrement serait fait ;

« Que l'exposant lui répondit que ses devoirs l'obligeaient à attendre les instructions, à ce sujet, de son supérieur susmentionné, mais qu'il ne s'opposait aucunement à la sépulture dans l'espace non béni dudit cimetière ;

« Que le jour suivant, dans la matinée, vint chez lui un gendarme de la brigade d'Enghien pour lui faire la même demande, et auquel il fit la même réponse ;

« Que dans cet état des choses, l'exposant fit défense au fossoyeur de l'église d'ouvrir une fosse dans l'espace béni du cimetière, défense qu'il respecta, mais que cette défense fut foulée aux pieds par d'autres ouvriers qui ouvrirent une fosse en terre bénie du même cimetière, voie de fait contre laquelle l'exposant protesta énergiquement (en présence de plusieurs témoins).

« Que le même jour, aussi dans la matinée, MM. les bourgmestre et premier échevin de la même commune, accompagnés de deux gendarmes de la même brigade, ont fait enterrer le corps mort dans ladite fosse en terre bénie, nonobstant une nouvelle protestation de l'exposant, qui a toujours eu soin d'ajouter qu'il ne s'opposait pas à ce que l'inhumation se fît dans l'espace non béni dudit cimetière qui y est délimité par une haie, et qui est réservé pour l'enterrement des individus auxquels l'église refuse la terre sainte ;

« Que l'exposant ne pouvant, dans l'ordre de ses devoirs religieux, et sans compromettre son ministère tolérer l'inhumation dont il s'agit, (page 103) dans la terre sainte dudit cimetière, il estime que cette inhumation (indépendamment de ce que cet appareil militaire qui l’a accompagné, a d'inusité), constitue une infraction violente à l'article premier de la loi du 18 germinal an XI, organique du concordat et autres lois sur la matière,

« Qu'en effet, le rétablissement du libre exercice du culte catholique a dû admettre nécessairement, comme il admet réellement toutes les règles de ce culte ; que notre pacte constitutionnel est basé sur le même principe ;

« Que c'est en vain que messieurs les bourgmestre et échevins susnommés argumenteraient du décret impérial du 23 prairial au XII, pour atténuer la force de ce principe, en donnant à ces dispositions réglementaires une portée que leur esprit ne comporte point ; qu'en effet l'on ne peut pas logiquement admettre que l'empereur aurait immédiatement détruit, par voie réglementaire, ce qu'il avait solennellement établie par voie de loi ;

« Que du reste, comme l'exposant la déjà fait connaître, il ne s'est pas agi d'un refus de sa part de laisser procéder à la sépulture du corps mort, et que l'autorité civile jugeant son intervention nécessaire, l'exposant estime que les lois sur la matière lui dictaient de respecter ce que l'église prescrit ;

« Que cette conséquence paraît à l'exposant d'autant plus incontestable, qu'un espace non béni se trouve limité, comme il est encore dit ci-dessus, dans le cimetière de l'église de Saint-Pierre-Capelle ;

« Que l'exposant estime enfin, dans ces circonstances, que le respect qui est dû à cette religion, et eu égard à ce que de pareils faits peuvent avoir de déplorable et de pernicieux, dans l'avenir, par des précédents qui pourraient être invoqués avec empressement par ceux qui seraient tentés de les imiter, exige impérieusement une réparation immédiate de la voie de fait susrappelée.

« Par ces motifs et vu l'article 87 de la loi communale, l'exposant supplie Sa Majesté le Roi :

« 1° D'annuler l'acte susmentionné du collège des bourgmestre et échevins de la commune de Saint-Pierre-Capelle, représenté par lesdits deux de ses membres ;

« 2° D'ordonner que le corps, dont il s'agit, sera exhumé et enterré dans l'espace non béni du cimetière de l'église de la même commune, et il sera fait justice.

« J'ai l'honneur d'être avec le plus profond respect,

« Sire,

« De Votre Majesté,

« Le très humble et très fidèle sujet,

« Quintin-David Dooms,

« Curé de la paroisse de la commune de Saint-Pierre-Capelle. »

Voilà, messieurs, la première pièce qui est entrée au département de la justice au sujet de cette affaire. On signalait un fait, on demandait une double réparation. La première, celle qui consistait dans l'annulation de la délibéralion du conseil communal (si tant est qu'il y eût eu délibération) ne me regardait pas ; la seconde, concernant l'exhumation du cadavre, rentrait dans mes attributions. J'ai donc fait instruire l'affaire en renvoyant la réclamation à l'avis des autorités provinciale et locale.

Voici, messieurs, quelle a été la réponse de l'autorité locale. Je dois nécsssairement la mettre en regard de la plainte du desservant.

« St-Pierre-Capelle, le 25 juin 1855.

« Monsieur le commissaire,

« En réponse à votre lettre du 11 de ce mois, nous avons l'honneur de vous faire connaître qu'il n'existe au cimetière de cette commune aucune place distincte pour l'inhumation des personnes appartenant à des cultes différents, ou à qui les secours religieux seraient refusés par l'autorité ecclésiastique.

« Cependant depuis que nous avons reçu l'injonction par ta lettre de M. votre prédécesseur, en date du 30 décembre 1845, n°5,265, d'exhumer le corps d'un nommé Dehantschutter asphyxié par submersion, qui avait été inhumé en dehors du cimetière par les ordres du clergé, nous avons fait creuser une fosse au cimetière où ce cadavre fut enterré.

« Postérieurement il paraît que M. le curé s'est permis de faire à l'endroit où Dehantschutter avait été inhumé une espèce de démarcation au moyen de quelques buissons.

« Nous saisissons cette occasion, M. le commissaire, pour vous faire connaître que M. le curé ne cherche qu'à entraver la marche de notre administration, et que si l'autorité supérieure tolère ses procédés, dont nous avons malheureusement déjà une série, il ne restera au pouvoir civil d'autre moyen que celui de fléchir et de se rendre ainsi le jouet d'un prêtre emporté, brutal, et qui n'épargne, soit en chaire, soit en public, aucune autorité, si haut qu'elle souitplacée.

« En effet, depuis le 6 avril 1845, date de son arrivée comme desservant de cette commune, la discorde qui n'avait jamais existé parmi les habitants a trouvé un champ qui s'élargit de jour en jour, et finira par quelque sinistre. »

Qu'il me soit permis de faire remarquer à la Chambre combien est grandie contraste qu'offre le style de ces deux pièces. Le desservant se plaint d'un fait ; il se plaint, sans s'écarter d'un langage mesuré, à l'égard de l'administration. Celle-ci, au contraire, appelée à émettre son avis, saisit avec empressement cette occasion de traiter le desservant d'homme emporté, d'homme brutal, n'épargnant rien et conduisant leacommune vers un sinistre. Je tiens à faire cette observation pour que la Chambre ne perde pas de vue qu'il y a au fond de cette affaire una animosilé locale qui est peut-être la véritable source du débat.

Voici le procès-verbal de l'inhumation du corps. Il confirme tous les dires du desservant :

« Pro justitia.

« L'an mil huit cent cinquante-cinq, le trente du mois de mai, à huit heures du matin, nous soussignés Philippe-Joseph Lescreve, et Charles-Joseph Avaux, respectivement bourgmestre et échevin de la commune de St-Pierre-Cappelle, arrondissement judiciaire de Mons, province de Hainaut, ayant été informés que M. Dooms, desservant de cette commune, refusait son ministère pour l'inhumation du corps du nommé François Vanheck, mort accidentellement en cette localité le vingt-sept mai courant, nous avons requis le nommé Pierre-Joseph Everaert, fossoyeur, de creuser une fosse dans la ligne ordinaire du cimetière pour y déposer et inhumer le corps du prénommé Vanheck, le vingt-neuf de ce mois à une heure et demie de relevée ; ce fossoyeur est venu nous déclarer que M. le desservant lui défendait de creuser cette fosse sous peine de le priver de son emploi s'il le faisait.

« Dans cette circonstance et en vue d'éviter des désordres et du scandale nous avons trouvé convenable que l'un de nous se serait rendu auprès de M. le juge de paix du canton d'Enghien afin de savoir ce qui nous restait à faire, le bourgmestre se chargea de cette mission et se rendit accompagné de notre secrétaire communal chez ce magistrat, et là il fut arrêté qu'un réquisitoire serait adressé au commandant de la brigade de gendarmerie à Enghien de se rendre le lendemain trente de ce mois, à six heures du matin, à la maison communale pour seconder la police s'il y avait lieu.

« Ensuite et vu la défense faite au fossoyeur, nous avons requis les nommés Jean-Baptiste Wayemberg et Jean-Baptiste Vanholder, ouvriers actuellement employés aux travaux de la voirie vicinale de cette localité, à l'effet de se rendre à cinq heures du matin pour creuser ladite fosse et pour le cas que quelqu'un serait venu faire opposition à leur travail, de se retirer et devenir nous en faire rapport à la maison communale où nous nous serions trouvés avec la gendarmerie.

« Cette opposition eut lieu, en effet, par M. le desservant, et les ouvriers se retirèrent et vinrent nous en faire rapport.

« Alors nous avons chargé M. le commandant de la gendarmerie de se présenter chez M. le desservant pour connaître les motifs de cette opposition. M. le commandant fut très mal reçu, et M. le desservant, d'une manière brusque, déclina le pouvoir de l'autorité communale.

« En suite de cette démarche nous nous sommes rendus au cimetière accompagnés de la gendarmerie et de notre garde champêtre, et là nous avons ordonné aux prénommés Wayembergh et Vanholder de reprendre leur travail.

« La fosse étant faite, ces ouvriers sont allés chercher le cercueil dans lequel était déposé le corps de Vanheck et sont arrivés au lieu de la fosse ; alors M. le desservant, accompagné de M. Bauwens, son vicaire, des sieurs Ferdinand Borremans, cerc, et Jean Sylvestre Va-hove, président du bureau des marguilliers de l'église, vint nous intimer d'une manière violente qu'au nom de la loi et la liberté des cultes il protestait absolument contre la profanation que nous faisions ici et que nous aurions eu de ses nouvelles.

« Nonobstant les entraves apportées, l'inhumation eut lieu en présence d'une foule de monde.

« De tout quoi nous avons dressé le présent procès-verbal, à Saint-Pierre-Cappelle, le jour, mois et an que dessus.

« (Signé) P.-J. Lescreve, bourgmestre et C.-J. Avaux, échevin. »

Messieurs, en présence de ces deux allégations contradictoires portant sur un même fait, le premier devoir du département de la justice était de s'assurer s'il y avait réellement dans le cimetière de Saint-Pierre-Capelle une place réservée pour ceux à qui le clergé refuse son concours. Déjà cependant il semblait résulter de la lettre même de l'administration communale qu'il devait y avoir dans ce cimetière une place, où précédemment, en 1845, on avait enterré un individu à qui le clergé n'avait pas accordé la sépulture ecclésiastique. J'ai donc fait porter l'instruction sur ce point, et il est résulté pour moi à la dernière évidence qu'il y avait dans ce cimetière un endroit réservé pour ceux qui n'obtenaient pas le concours du clergé. Voici une lettre de M. le commissaire d’arrondissement de Soignies :

« Soignies, le 11 septembre 1855.,

« M. le gouverneur,

« J'ai transmis à l'administration communale de St-Pierre-Capelle les instructions contenues dans votre dépêche du 14 août dernier, première division, n°3,506, relatives à l’inhumation du sieur François Vanheck.

« J'ai l'honueur de vous adresser la réponse que je viens de recevoir de cette administration et d'où il résulte qu'il n'existe dans le cimetière de cette commune aucune place distincte pour l'inhumation des personnes appartenant à des cultes différents.

« En effet, M. le gouverneur, je crois bon de vous prier de remarquer (page 104) à ce sujet qu’en 1845,l'autorité supérieure a ordonné l'exhumation d'un cadavre que le desservant avait fait inhumer en dehors des limites du cimetière à défaut de place réservée.

« Ce cadavre a été inhumé à l'endroit choisi dans le cimetière sans aucune distinction, par l'administration communale, en vertu d'une dépêche de M. le gouverneur en date du 29 décembre 1845, division A, n° 7,207, et après cette inhumation, le desservant a fait entourer cet endroit de quelques épines. C'est là, M. le gouverneur, la seule place réservée qui existe dans le cimetière de St-Pierre-Capelle et dont parle votre dépêche précitée du 14 août.

« Le commissaire d'arrondissement,

« Paul de Smet. »

Il y avait donc, de l'aveu de M. le commissaire d'arrondissement, un endroit réservé, délimité, différent de celui qui est consacré au culte catholique qui est celui, non pas de la majorité des habitants, mais de tous les habitants de la commune.

Ce point de fait vérifié et acquis, il me restait à examiner la question de droit, et je devais me demander s'il appartient à une administration civile, à une admistration laïque, d'inhumer dans le terrain bénit, consacré à un culte, un individu que le clergé refusait d'y admettre. Pour apprécier cette question, je devais nécessairement me placer au point de vue du décret du 23 prairial an XII.

Aux termes de l'article 15 de ce décret, il faut que dans les communes où l'on professe plusieurs cultes, il y ait un lieu d'inhumation particulier pour chaque culte. Or, je viens déjà de dire qu'à St-Pierre-Cappelle il n'y a qu'un seul culte, le culte catholique, et dès lors je me trouvais placé en face d'un usage administratif, toujours accepté, qui exige que là même où il n'y a pas de différents cultes, il y ait, pour les dissidents ou pour ceux que le clergé n'admet pas dans le giron de l'Eglise, un terrain qui leur soit réservé, un terrain qu'on peut appeler neutre.

Il résulte du décret de l'an XII, d'un usage constant, des décisions des jurisconsultes que chaque culle a le droit d'avoir un cimetière particulier, ou tout au moins une place qui lui soit exclusivement réservée. C'est là le droit de chaque cuite et c'est le devoir de chaque administratration publique de respecter ce droit. Ne pas le faire, ce serait évidemment violer la liberté des cultes, ce serait froisser la liberté de conscience, ce serait mettre le pouvoir civil, en cette matière, au-dessus du pouvoir religieux. Cela ne doit pas être.

Ici le clergé est souverain appréciateur du point de savoir si un individu est mort dans la communion catholique (je dis catholique, parce qu'il s'agit ici de ce culte). S'il appartenait à une autorité civile quelconque d'intervenir dans une semblable question, il n'y aurait plus de liberté des cultes, il n'y aurait plus de liberté de conscience.

Cette grande et belle liberté consacrée par la Constitution disparaîtrait complètement. Ce serait, je puis le dire, une des plus odieuses tyrannies qu'il fût possible d'imaginer, que de permettre au pouvoir civil d'intervenir dans les choses du dogme, dans les choses religieuses.

Et comme exemple d'une aberration de ce genre, je pourrais citer le certificat de catholicité délivré par un bourgmestre au nommé Vanheck dont il est ici question.

« Nous soussigné bourgmestre de la commune de Thollembeek, province de Brabant,

« Déclarons et certifions que le nommé François Vanheck, garçon meunier, âgé de trente-six ans, domicilié audit Thollembeek, et qui est mort par suite d'une chute des degrés d'un moulin à vent, à Saint-Pierre-Capelle, dans la nuit du 27 au 28 mai dernier, appartenait et professait la religion catholique, apostolique et romaine.

« En foi de quoi nous avons délivré le présent, pour servir où besoin sera.

« A Thollembeek, le 1er septembre 1855.

« Ch. Vanden Borre. »

Si un tel excès pouvait prévaloir, il appartiendrait à l'autorité civile de faire entrer dans un cimetière catholique un protestant, un Israélite, un mahométan, un athée, un homme que la communion catholique aurait banni de son sein ; il appartiendrait à l'autorité civile de faire entrer après sa mort, dans l'Eglise, un homme qui, vivant, l'aurait repoussée.

Cela est impossible, ce serait une véritable profanation morale d'un lieu de sépulture.

A l'appui des principes que je viens d'exposer, je me bornerai à citer deux autorités : l'une émanée d'un jurisconsulte distingué, l'autre d'un de mes honorables prédécesseurs.

Voici comment s'exprime M. Tielemans dans son « Répertoire de droit administratif » : « V° Cimetière ».

« Lorsqu'un cimetière a été consacré à un culte, l'autorité civile ne doit plus désormais y faire enterrer des individus que l'autorité religieuse repousse comme étrangers à sa communion. Ceci est encore une conséquence de la consécration, et c'est par ce motif qu'il est nécessaire de réserver dans tout cimetière catholique une portion de terrain non bénit pour l'inhumation de ceux à qui l'autorité religieuse refuse la terre sainte. »

Or, messieurs, nous sommes pleinement et complètement dans l'hypothèse où l'auteur s'est placé. Il existe à St-Pierre-Capelle un cimetière catholique et ce cimetière renferme un terrain neutre réservé à ceux à qui l'Eglise refuse ses prières. Ce terrain existe depuis 1845, car depuis 1845 il y a été enterré un individu de cette dernière catégorie. Il y a plus, cet endroit est délimité par une haie.

A côté, messieurs, de celle autorité, je puis citer la pratique constante suivie au département de ja justice, et à cet égard je vais encore invoquer une autorité dont certes mon adversaire ne contestera pas la valeur en cette matière.

On avait accordé à une famille la concession d'un caveau de famille dans un cimetière ; l'arrêté de concession portait cette restriction qu'on n'y placerait que le corps de personnes auxquelles la sépulture ecclésiastique aurait été accordée d'après les lois de l'Eglise catholique. C'était consacrer formellement le principe. La personne qui avait obtenue cette concession crut devoir réclamer contre cette disposition ; l'affaire fut soumise au ministre de la justice, et voici comment mon honorable prédécesseur se prononça sur la demande :

« Je ne puis toutefois consentir à modifier cet arrêté émané de mon prédécesseur... En effet, si je considère cette clause comme inutile, c'est que la réserve qu'elle contient est de droit et que sans faire violence aux exigences du culte catholique, l'on ne pourrait obliger les ministres de ce culte à admettre dans la partie bénite du cimetière catholique des personnes qui ne professent pas ce culte, ou qui l'ayant professé ne sont pas mortes dans la communion de l'église catholique. Mais revenir sur ce qui a été fait et réformer l'arrêté royal qui contient une semblable clause, se serait décider, non plus que la clause et inutile, parce qu'elle est de droit, mais qu'elle est contraire à la législation existante et au principe constitutionnel de la liberté des cultes. Or c'est là ce qui n'existe pas ; loin de là, ce serait violer cette liberté que d'obliger les ministres du culte catholique à recevoir dans la partie du cimetière affectée aux catholiques des individus d'autres religions, ou d'aucune religion. »

C'est ainsi, messieurs, que s'exprimait l'honorable M. de Haussy en 1849.

Mon honorable prédécesseur a donc pleinement consacré cette doctrine, d'ailleurs constamment suivie en France, que lorsque le clergé, par des motifs dont il est seul juge, refuse ses prières à un individu, il n'appartient pas à l'autorité civile de faire inhumer le cadavre dans le terrain bénit.

C'est ainsi, messieurs, que l'affaire s'est présentée à moi, en fait et en droit. En fait, un terrain neutre, dans un cimetière catholique, un cadavre que l'Eglise n'admettait point.

En droit, des principes formellement consacrés par la loi, confirmés par l'autorité des jurisconsultes et par une pratique constante.

J'étais donc en face d'une situation légale, claire et nette, et, dès lors, je répondis comme suit à M. le gouverneur :

« M. le gouverneur, j'ai pris connaissance des pièces qui accompagnaient votre rapport du 4 juillet dernier, 1ère division n°3506, concernant l'inhumation d'un sieur François Vanheck, dans le cimetière de Saint-Pierrc-Capelle.

« Il résulte du principe consacré par l'article 15 du décret du 23 prairial an XII, que, le clergé catholique ayant réfusé la sépulture ecclésiastique à Vanheck, celui-ci ne pouvait pas être enterré dans la partie bénite du cimetière, laquelle est exclusivement consacrée à l'inhumation des catholiques.

« Je vois par les pièces qu'il existe dans le cimetière de St-Pierre-Capelle un endroit, séparé de la partie bénite et qui est réservé à ceux qui n'obtiennent pas la sépulture ecclésiastique. C'est dans cette partie non bénite que le corps dudit sieur Vanheck aurait dû être placé par les soins de l'autorité locale, qui, en agissant différemment, a méconnu l'esprit comme les termes d'une législation dont le but est d'empêcher le froissement des croyances religieuses dans ce qu'elles ont de plus intime et de plus respectable.

« En conséquence, je vous prie, M. le gouverneur, de donner des instructions à cette administration, pour que le corps du prénommé Vanheck soit exhumé, et déposé dans l'endroit non bénit du cimetière. »

Voilà donc, messieurs, comment cette affaire s'est présentée, comment je l'ai traitée ; j'affirme sur l'honneur que je n'ai vu ni le desservant de Saint-Pierre-Cappelle, ni aucune personne en son nom, que je n'ai reçu aucune lettre que celles qui forment le dossier ; que cette affaire a suivi purement et simplement la filière administrative. Je puis donc me demander ce que signifie cette influence occulte à laquelle l'honorable M. Verhaegen m'a représenté comme soumis.

J'ai dû exiger l'exhumation du cadavre, parce que j'avais un devoir à remplir. La liberté des cultes, la conscience publique, le sentiment intime des familles avaient été froissés à Saint-Pierre-Cappelle : on avait dans le cimetière, dans l'asile des morts des catholiques, enterré un homme que les catholiques ne pouvaient considérer que comme dissident.

J'ai donc dû prendre une décision en conséquence. J'ai fait mon devoir et je le ferai jusqu'au bout.

Voilà ce que j'avais à dire à la Chambre quant au fond de cette affaire.

Faut-il maintenant que je me disculpe du reproche d'être un profanateur de tombeaux, un violateur de sépulture ? La menace tirée par l'honorable membre de l'article 360 du Code pénal est-elle bien sérieuse ? N'est-ce pas là plutôt, que l'honorable M. Verhaegen souffre que je le lui dise, une véritable fantasmagorie, ce qu'en style de palais, on appellerait du luxe d'audience !

Nul n'ignore à coup sûr que ceux qui auront à faire l'exhumation prescrite par l'autorité publique ne seront pas plus traînés de ce chef(page 105) devant les tribunaux que ceux qui, obéissant à l'injonction d'un juge d'instruction, exhument un cadavre.

Pour ma part, j'assume bien volontiers les conséquences pénales de la mesure, et toute la responsabilité qui s'attache à ma qualité de ministre.

M. Verhaegen. - M. le ministre de la justice a demandé 24 heures pour me répondre ; et comment me répond-il ? en lisant les pièces que j'avais eu l'honneur de lire hier à la Chambre, car pour des arguments, je n'en trouve pas dans son discours ; il me répond, dis-je, en lisant les pièces que j'ai eu l'honneur de lire hier, je me trompe, en lisant certaines parties des pièces et en retranchant certaines autres parties qui ne lui convenaient pas.

Il semble vraiment que lorsqu'un curé se trouve en présence d'une administration communale, il faille nécessairement que l'administration communale ait tort et que le curé ait raison. C'est là du moins ce que vient de nous démontrer M. le ministre de la justice.

L'administration communale qui aurait bien dû, me paraît-il, être défendue par le gouvernement, avait fait connaître officiellement à M. le ministre de la justice quels étaient ses griefs contre M. le desservant. Ce n'étaient pas de simples assertions vagues, empreintes d'un esprit de méchanceté, comme on a osé le prétendre ; l'administration communale avait indiqué six griefs différents, et les avait appuyés de pièces justificatives ; et M. le ministre de la justice, en lisant la missive du 23 juin 1855, a retranché les griefs en se bornant à mentionner des « et cetera ».

J'avais lu la pièce hier ; il était donc inutile que M. le ministre de la justice la relût. S'il voulait la relire, il devait la relire dans son entier. Du reste, toute la pièce est au Moniteur, elle y est pour l'édification du pays.

Mais M. le ministre de la justice a lu en son entier la requête de M. le desservant adressée au Roi ; et là, d'après lui, tout est marqué au coin de l'exactitude, et la justification du clergé est complète ; M. le curé a raison, parce qu'il avance tel fait et que tel fait avancé par un curé doit être vrai, quoiqu'il soit contredit par l'administration communale. Eh bien, moi j'affirme que ce qui est dit dans la requête de M. le desservant n'est pas vrai.

Le fait principal qui lui sert de point de départ et qui aujourd'hui est la justification de M. le ministre de la justice n'est pas exact ; il n'y a pas, il ne peut pas y avoir, d'après les faits connus, de partie réservée dans le cimetière de Saint-Pierre-Cappelle.

La preuve qu'il n'y en a pas, c'est d'abord le procès-verbal qui a été dressé par l'autorité locale, le jour de l'inhumation de Vanheck. M. le ministre me dira sans doute qu'il n'attache pas de foi à ce procès-verbal rédigé par ses fonctionnaires, et notamment par un commandant de la gendarmerie ; il me dira que cela ne mérite aucune créance, parce que M. le curé dit le contraire. Je ne pense que tout le monde soit de son avis.

Il résulte de ce procès-verbal que l'administration communale a agi avec tous les ménagements possibles et que le commandant de la gendarmerie a été député vers M. le desservant pour lui demander les motifs de son opposition ; que M. le desservant a répondu : « Je n'ai aucun compte à rendre à l'autorité civile, je n'ai rien à faire avec l'administration communale dont je décline la compétence. » Eh bien, ce qu'on prétend avoir été allégué par M. le desservant, ne l'a pas été, il n'a pas été question de la prétendue partie réservée du cimetière.

Il est vrai que lorsqu'il a présenté sa requête au roi, après s'être entouré de conseils, il a pris pour prétexte qu'il y avait dans le cimetière depuis 1845 une partie distincte, une partie non bénite et que c'est dans cette partie non bénite qu'il avait voulu faire enterrer Vanheck.

Cette assertion est contredite par le procès-verbal des fonctionnaires que le ministère devait défendre contre des attaques injustes, car il n'y a certes pas de raison pour suspecter la loyauté du commandant de la gendarmerie.

Voilà donc un procès-verbal qui constate le fait, fait qui déjà avait été constaté par un ministère précédent, car en 1845, il à été reconnu qu'il n'y avait pas de partie distincte dans le cimetière de Saint-Pierre-Capelle ; il n'y en avait pas, en effet, puisque le desservant avait fait enterrer Dehantschutter en dehors de l'enceinte.

C'est là, messieurs, un fait essentiel, car il sert de point de départ à M. le ministre de la justice ; chose singulière, il nous a parlé tout à l'heure de fantasmagorie, je ne sais à quel sujet, et maintenant en voici une dans toute la force du terme.

En 1845 le cimetière est considéré comme bénit dans son entier, il est un et indivisible ; mais on y enterre un mécréant et en vertu de je ne sais quelle autorité, une partie de ce cimetière a été séparée de l'ensemble ! Comment cela s'est-il fait ? Parce que Dehantschutter y a été enterré par ordre de l'autorité civile et parce que par ce seul fait cette partie a été subitement débénite, et c'est dans cette partie débénite qu'on veut mettre le cadavre de Vanheck. Mais pour l'amour de Dieu laissez ce malheureux en repos et dites, si vous le voulez, que le coin de terre dans lequel il repose est également débénit, parce qu'il s'y trouve. Si le cimetière était un et indivisible en 1845, quand on y a enterré par ordre de l'autorité civile le nommé Dehantschutter, et si à raison de ce fait une partie a été débénite, dites que celle où repose Vanheck est aujourd'hui de la même catégorie, et tout le monde sera satisfait.

C'est réellement, je lâche l'expression, une très mauvaise plaisanterie que fait M. le ministre de la justice dans une question qui présente un si haut degré de gravité. Ne pensez-vous pas, messieurs, que, quelles que fussent les rancunes, quels que fussent les dissentiments à l'égard du malheureux Vanheck, ces dissentiments, ces rancunes devaient se taire devant une tombe !

Le ministre de la justice avait-il besoin pour donner satisfaction à un desservant de donner les mains à une profanation, d'ordonner une violation de sépulture ? Etait-il nécessaire, même en admettant ses convictions, qu'il en agît ainsi ? Ne lui suffisait-il pas dans ce cas de blâmer l'administration communale ? Mais non, la famille d'un malheureux doit être victime d'un opprobre, d'une odieuse profanation. Après six mois de repos on va ordonner l'exhumation du cadavre !

Comme je l'ai dit hier il y a quelque chose de dégoûtant dans les détails de cette affaire ; c'est malgré moi que je suis venu les dévoiler à la Chambre.

On invoque la liberté des cultes, la liberté de conscience, grandes phrases pour justifier un fait que, dans sa carrière administrative, M. le ministre devra considérer comme un fait fâcheux.

Ce que vous avez dit, M. le ministre, est la condamnation de ce qu'ont fait M. d'Anethan, votre ami politique, et l'honorable M. Mercier qui siège à vos côtés ; car ils ont professé des opinions diamétralement opposées aux vôtres, au point de vue du droit ; ils ont posé en principe que l'administration communale a la surveillance et la police des cimetières et qu'elle seule exerce, à cet égard, une autorité à l'exclusion du clergé, c'est pour cette raison qu'en 1845 ils ont fait inhumer dans le cimetière un et indivisible, bénit en toutes ses parties, le cadavre de Dehantschutter qui avait été enterré en dehors de l'enceinte, par ordre du desservant Dooms, dont il s'agit encore aujourd'hui.

S'il fallait examiner la question au point de vue où l'on s'est placé, je dirais que c'est le ministre de la justice qui veut mettre l'autorité ecclésiastique au-dessus du pouvoir civil, alors qu'il me reproche à moi de vouloir mettre le pouvoir civil au-dessus de l'autorité ecclésiastique.

Messieurs, si une administration communale a non seulement la police et la surveillance des cimetières, mais si elle exerce aussi en cette matière une autorité comme l'a jugé en termes formels un arrêt de la cour de cassation, sous la présidence de l'honorable M. de Gerlache, et sur les conclusions conformes, très bien motivées de l'honorable M. de Wandre, alors avocat général, il est évident que le système de M. le ministre n'est pas soutenable ; car les autorités qu'il invoque se rapportent à une tout autre question.

L'administration communale de St Pierre-Capelle qui exerce une autorité sur le cimetière, ne pouvait-elle pas, ne devait-elle pas faire en 1855 ce que l'autorité supérieure avait ordonné en 1845 ? Où donc aurait-on déposé le cadavre de Vanheck ? Le desservant, auquel on s'était adressé pour l'inhumation, avait répondu qu'il n'avait rien à faire avec l'administration communale à laquelle il ne reconnaissait aucune compétence.

Fallait-il laisser le cadavre sur la rue, ou fallait-il agir, malgré le curé ? L'autorité communale exerçant son autorité, a agi, ei on enterre Vanheck dans le même cimetière où, en 1845, avait été enterré Dehantschutter.

Maintenant que le clergé refuse ses prières à tel ou tel individu qu'il considère comme un mécréant, qu'il s'abstienne de toute participation aux funérailles, qu'il ferme les portes de l'église au passage du convoi, rien de mieux, c'est son droit et quant à moi, je ne le critiquerai pas de ce chef, car voilà en quoi se résume la liberté des cultes, la liberté de conscience.

Mais qu'on pousse les prétentions jusqu'à soutenir qu'il n'est pas permis à l'autorité communale qui exerce son autorité sur le cimetière d'y faire enterrer un individu qui est censé faire partie de la communauté catholique, par cela seul qu'il a été baptisé et qu'au vu de tous il fréquentait les églises catholiques, c'est ce qui dépasse toutes les bornes.

Messieurs, la seule preuve que M. le ministre de la justice a cherché à nous donner que, dans le cimetière il y avait une partie réservée tombe par le narré des faits que j'ai eu l'honneur de vous faire. Et puisque, d'après lui, une partie du cimetière a été débénite par l'inhumation de Dehantschutter en 1845, je ne sais pas en vertu de quel principe, lui qui paraît être si bien au courant de tout ce qui a rapport aux choses religieuses pourrait bien nous indiquer en vertu de quelle disposition canonique le placement de quelques épines ferait du terrain qu'elles entourent une partie réservée ; il pourrait nous dire aussi comment si l'enterrement d'un mécréant, dans une partie du cimetière, en 1845, a débénit cette partie, comment, dis-je, il n'en serait pas de même pour la partie où un autre mécréant a été enterré en 1855. S'il doit en être de même, il est parfaitement inutile de remuer la cendre d'un mort et de poser un acte de profanation. Mais M. le ministre veut donner une satisfaction à M. le desservant et voilà tout.

M. Malou. - J'engage vivement l'honorable ministre de la justice à maintenir force et respect à l'autorité ; à maintenir en Belgique le respect du droit constitutionnel de la liberté de conscience, concilié avec la tolérance civile.

Le discours de l'honorable M. Verhaegen m'avait laissé, à la séance, d'hier, cette impression qu'à raison d'inimitiés de village (qu'il était du reste parfaitement inutile de produire à cette tribune), ou n'avait pas (page 106) voulu reconnaître, en fait, qu'il y avait dans le cimetière de Saint-Pierre-Capelle une place réservée pour les personnes auxquelles l'Eglise n'accorde pas la sépulture ecclésiastique.

En effet, l'autorité communale avait bien dit qu'il existait là quelques buissons, mais il n'avait pas été établi qu'ils marquaient la séparation entre la partie du cimetière affectée aux personnes qui meurent dans la religion catholique et la partie du cimetière affectée aux personnes qui meurent en dehors de cette religion. Ce fait est maintenant constaté à l'évidence et par la lettre même du commissaire d'arrondissement et par le procès-verbal dont M. le ministre de la justice a donné lecture, il résulte de là que le curé pouvait à bon droit faire opposition à l'inhumation de Vanheck dans la partie bénite du cimetière.

Mais, dit-on, par je ne sais quelle fantasmagorie, par l'inhumation faite en 1845, une partie du cimetière a été débenite, et sur cette débénédiction voici venir une série de plaisanteries plus ou moins heureuses. Messieurs, si je voulais parler de la liturgie des francs-maçons je me tromperais probablement au moins autant que l'honorable membre se trompe en parlant des principes catholiques.

Le principe catholique, quel est-il ? C'est que par respect pour l'homme, pour le chrétien, pour l'idée d'une vie future, il faut que la religion consacre la dernière demeure de celui qui l'a professée pendant sa vie, et qu'elle ne consacre que celle-là. Le second principe, c'est que quand un fait comme celui de 1845 a été posé, la religion ne regarde plus comme bénit le terrain où a été faite l'inhumation.

Tel est le principe catholique, et c'est pour cela qu'en raison du fait de 1845 cette partie du cimetière a été réservée aux personnes qui meurent hors de cette religion.

A cette époque, nous étions,, nous tous qui occupions le pouvoir, accusés de subir l'influence d'un pouvoir occulte, aujourd'hui l'on veut invoquer contre l'honorable ministre de la justice un acte où, selon l'honorable M. Verhaegen, nous avons fait respecter l'indépendance de l'autorité civile. Je le dirai franchement, nous n'avons pas mérité cet excès d'indignité eu 1845, nous n'avons pas mérité ces prétendus honneurs en 1855. Les deux actes posés en 1845 et en 1855 procèdent d'une même pensée ; ils sont l'expression d'une même vérité sociale.

Voici pourquoi.

En 1845, on avait inhumé quelque part, mais non dans le cimetière, un homme mort hors de la religion catholique. L'autorité civile a dit : Ce n'est pas un catholique, puisque le clergé ne le reconnaît pas comme tel ; mais c'est un homme ; vous déposerez ses restes dans la partie réservée du cimetière. Mais si cette partie du cimetière n'existe pas, vous l'y créerez et vous le mettrez dans le cimetière. Je n'admets pas, moi gouvernement, qui doit faire respecter la tolérance, qu'on doive mettre les restes d'un homme hors du cimetière.

Voilà, messieurs, comment à cette époque on a concilié avec le respect de la liberté des cultes le principe de la tolérance civile.

M. Frère-Orban. - C'est la même chose cette fois aussi.

M. Malou. - On me dit : C'est la même chose en 1855. Messieurs, écartons cette confusion d'idées. En 1855, le fait dans sa simplicité se réduit à ceci : que malgré l'autorité ecclésiastique, alors qu'il y avait un espace réservé pour ceux qu'elle n'admettait pas comme ayant appartenu à la religien catholique, on a enterré le nommé Vanheck, suivant l'expression du procès-verbal, dans la ligne ordinaire du cimetière, dans le terrain bénit, tandis qu'en 1845 on a créé en dehors de la ligne ordinaire l'espace réservé, neutre si vous voulez, qui devait exister d'après le décret de l'an XII.

Poussons un peu plus loin les conséquences de ce système. Pouvez-vous, sans violer la liberté des cultes, inhumer quelqu'un que le clergé ne reconnaît pas comme catholique, dans le terrain bénit par la religion catholique ? Evidemment cette liberté est complètement froissée, elle est méconnue, si vous pouvez le faire.

Il est vrai que l'honorable M. Verhaegen, qui contestait tout à l'heure une qualification donnée dans des actes administratifs, reconnaît ici au bourgmestre et à l'autorité civile le droit de délivrer des certificats de catholicisme. Mais que dirait l'honorable membre, si l'on soutenait que le clergé a le droit de délivrer des passe-ports ?

M. Verhaegen. - Je n'ai pas dit cela.

M. Malou. - Vous avez invoqué à plusieurs reprises les certificats de bourgmestres constatant que Vanheck était catholique, qu'il avait été baptisé et même qu'il allait à la messe. Je décline complètement la compétence des bourgmestres pour ces sortes de déclarations.

M. Verhaegen. - J'ai dit qu'il était baptisé.

M. Malou. - Oui, il était baptisé. Mais il ne s'ensuit pas que, d'après les pricipes catholiques, que je suis encore une fois obligé de vous expliquer, on meure catholique par cela seul qu'on a été baptisé.

Messieurs, notre Constitution repose sur un double principe. Elle a voulu l'indépendance des deux pouvoirs. cette indépendance a été établie pour que la liberté de l'un comme de l'autre demeurât intacte. Et en effet, quand on examine toutes les phases par lesquelles l'Eglise et l'autorité civile ont passé, vous trouvez toujours, ou la suprématie de l'Eglise sur l'Etat, ou la suprématie de l'Elat sur l'Eglise ou enfin ce dernier état qui est l'indépendance de ces deux autorités ; et qui dit indépendance des deux autorités, dit respect de chacun quand il se trouve sur son terrain, respect du droit lorsqu'on est compétent.

Et qui plus que le clergé serait compétent pour apprécier s'il y a lieu de reconnaître comme catholique une personne décédée ? Encore une fois, est-ce le bourgmestre ? Et si ce n'est pas le bourgmestre, de quel droit voudriez-vous poser, contrairement aux intentions du clergé, un acte qui est la négation la plus complète du droit et de la compétence, de déclarer si quelqu'un est mort dans la religion catholique ?

Messieurs, je crois que j'abuserais de l'attention de la Chambre si j'insistais plus longtemps sur ce point. Nous avons des questions qui nous divisent ; il y aura toujours des questions qui nous diviseront. Mais, dans les précédents sur cette question, on peut dire que le gouvernement a toujours suivi les mêmes principes, qu'il ne peut pas en suivre d'autres ; et les preuves qui vous ont été données par M. le ministre de la justice, l'honorable M. Verhaegen a eu soin de n'en dire absolument rien. Félicitons-nous de ce que sur une question qui touche aux rapports de l'Etat et de l'Eglise, nous puissions nous trouver d'accord quant à l'application des lois et des principes, notamment avec M. Tielemans et avec M. de Haussy. Si une question est claire, c'est celle qui est décidée de la même manière par des personnes d'opinions différentes sur tant de points. Il s'agit ici d'un principe qui, dans le gouvernement, quelles qu'aient pu être les vicissitudes politiques, a toujours été appliqué dans le même sens ; d'une question jugée invariablement par l'opinion de tous, par le sentiment de tous, par la conscience de tous.

- L'incident est clos.

La séance est levée à quatre heures trois quarts.