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Chambres des représentants de Belgique
Séance du jeudi 21 février 1856

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1855-1856)

(Présidence de M. de Naeyer, premier vice-président.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 719) M. Ansiau procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.

M. Maertens lit le procès-verbal de la séance précédente.

- La rédaction en est adoptée.

Pièces adressées à la chambre

M. Ansiau présente l'analyse des pièces adressées à la Chambre.

« Le sieur Olsem, cultivateur à Schadeck, né à Platen (grand-duché de Luxembourg), demande la naturalisation ordinaire avec exemption du droit d'enregistrement. »

- Renvoi au ministre de la justice.


« Le sieur Clermont présente des observations sur la partie du rapport de la section centrale qui se rapporte à ses pétitions concernant la question des octrois communaux. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion de la proposition de loi relative à la suppression de taxes communales.


« Le bureau du premier comice agricole de la Flandre occidentale demande le rétablissement de l'écluse de Blankenberghe sur le canal de ce nom et l'approfondissement de ce canal. »

- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le budget du département des travaux publics.


« Le sieur Fauconnier, receveur des contributions directes à Morlanwelz, aucien commandant des volontaires de Gosselies, blessé de septembre, demande que le projet de loi relatif à la pension d'officiers de volontaires lui soit rendu applicable. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi.


« Par cinq pétitions, des bateliers naviguant sur la Lys et l'Escaut et sur les canaux en communication avec ces deux rivières, prient la Chambre de rejeter le projet de loi sur le pilotage et le halage des bateaux. »

- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner ie projet.


« Un grand nombre d'habitants de Diest demandent que le concessionnaire d'un chemin de fer direct de Bruxelles à Louvain soit obligé de prolonger cette ligne jusqu'à Diest et au camp de Beverloo. »

- Renvoi à la section centrale qui sera chargée d'examiner le projet de loi relatif à la concession de plusieurs lignes de chemin de fer.


« Le sieur Kina, architecte à Grammont, réclame l'intervention de la Chambre pour obtenir le payement de la somme dont la commune d'Onkerzcele lui est encore redevable du chef de la construction d'une église. »

- Renvoi à la commission des pétitions.

M. Thienpont. - Messieurs, cette réclamation me semble mériter une attention sérieuse de la part de la Chambre. Je demanderai donc que la commission des pétitions veuille bien l'examiner avec les mêmes soins qu'elle met toujours à l'examen de toutes les pièces qui passent par son sein. Je demanderai en outre que cette commission soit appelée à nous présenter sur cet objet un prompt rapport.

- Cette proposition est adoptée.


« Les sieurs Cardinal et Sainctelette, vice-président et secrétaire du comité des houillères au Couchant de Mons, transmettent à la Chambre 121 exemplaires des observations de ce comité sur la proposition de M. de Man. »

- Dépôt à la bibliothèque et distribution'aux membres de la Chambre.

Rapport sur des demandes en naturalisation

M. de Steenhault dépose des rapports sur plusieurs demandes en naturalisation.

- La Chambre ordonne l'impression et la distribution de ces rapports et les met à la suite de l'ordre du jour.

Projet de loi modifiant la loi sur les extraditions

Discussion générale

M. le président. - M. Lebeau vient de déposer une nouvelle rédaction de son amendement. Elle est ainsi conçue :

« Les dispositions du pararaphe premier de l'article premier de la loi du 1er octobre 1833 sur l'extradition en ce qui concerne le meurtre, l'assassinat et l'empoisonnement, sont applicables aux mêmes crimes commis sur la personne du chef d'un gouvernement étranger ou d'un membre de sa famille. »

M. Malou. - Messieurs, nous sommes en présence de trois propositions : la proposition du gouvernement, celle de la section centrale et la dernière formule de l'amendement de l'honorable M. Lebeau. Pour apprécier ces propositions, il importe de bien fixer notre point de départ.

La section centrale nous dit que l'extradition est une mesure exceptionnelle, odieuse, qui répugne à nos mœurs ; c'est en quelque sorte porter atteinte à nos plus précieuses libertés, c'est méconnaître l'antique réputation d'hospitalité de la Belgique. Il semble vraiment, messieurs, que l'extradition soit une mesure barbare, sauvage, contraire à toute idée de civilisation.

Nous devons nous placer à un point de vue tout opposé. Lorsque la civilisation était plus imparfaire qu’elle ne l’est aujourd’hui, le droit d’asile existait, l’impunité existait ; à mesure que la civilisation s’est développée, l’impunité s’est restreinte ; et ne l’oublions jamais, ce n’est pas la justice qui est odieuse, c’est le crime qui est odieux ; ce n’est pas la répression qu’il faut restreindre, c’est l’impunité.

On nous dit encore que nous faisons une loi réactionnaire ! Messieurs, il y a vingt ans que nous entendons ce mot : « réactionnaire », comme seule raison de ceux qui n'en ont pas d'autres.

Si la loi a pour objet, comme dans ma pensée elle a réellement pour objet, de restreindre l'impunité pour les crimes qui portent atteinte à la morale universelle, appelez dix fois cette loi réactionnaire ; moi, je l'appelle loi juste, morale, nécessaire, et je la vote avec empressement.

Le véritable but de la loi sur les extraditions c'est de donner une sanction à la justice, partout, sans distinction de frontières ; c'est la consécration de cette idée, que la peine n’est pas une vengeance, mais qu’elle a un caractère préventif, en ce sens que si l’impunité n’existait nulle part, le crime serait rare, ou même n’existerait presque plus.

Où est la limite où l’extradition n’est plus légitime ? C’est lorsque le fait en fait en vertu duquel on demande l'extradition ne porte pas atteinte à la loi universelle de toutes les nations civilisées, lorsqu'il porte seulement atteinte à une forme politique variable ; c'est, par exemple lorsque nous avons devant nous un réfugié politique qui n'est pas un assassin ; la victime d'un changement de gouvernement ; uu homme enfin à qui nous pouvons tous serrer la main.

Ces principes établis, il ne s'agit pas seulement de leur rendre hommage par quelques phrases dans le rapport de la section centrale ; il s'agit de faire la loi de manière qu'ils soient inscrits dans notre législation, que nous puissions présenter cette loi comme appartenant à la législation d'un peuple civilisé.

Je n'hésite pas à le dire, si les principes proclamés hier par l'honorable rapporteur de la section centrale étaient inscrits dans la loi, vous auriez rendu à ces lois de la morale universelle un hommage en paroles, mais vous les auriez sacrifiées en fait.

Nous sommes tous d'accord dans une même pensée d'horreur pour l'assassinat, pour le meurtre et pour l'empoisonnement ; mais il y a dissentiment, lorsque le fait se rattache à un fait politique. Alors, selon l'honorable rapporteur, le crime de droit commun devient l'accessoire et le fait politique devient le principal. Voilà donc votre législation. Quand un étranger qui se trouvera dans ce cas, viendra chez nous, il fera plaider par un avocat et l'on établira à l'évidence que le crime principal de cet étranger, c'est d'avoir conspiré et qu'accessoirement, mais très accessoirement il avait assassiné.

On vous propose par l'amendement de la section centrale et par celui de l’honorable M. Lebeau, de déclarer que l'assassinat, le meurtre et l'empoisonnement commis sur la personne d'un souverain, ne cessent pas d’être des crimes de droit commun. Mais si c'est là ce que nous avons à déclarer, ce n'est pas la peine de faire une loi ; la loi de 1833 suffit, jamais le moindre doute ne s’est élevé sur ce point ; le doute (page 720) s'est élevé exclusivement sur la connexité de faits politiques avec des faits de droit commun. (Interruption.)

Je dis que la question se présente dans ces termes-ci : les tribunaux ont été divisés sur le point de savoir si la loi était applicable, lorsqu'un crime était connexe à un fait politique, et c'est ce doute auquel nous devons mettre une fin. (Interruption.)

Cette question, dit-on, n'a jamais été agitée ; eh bien, l'honorable rapporteur me permettra de lui donner lecture d'un passage d'un arrêt de la cour de cassation.

La question devant la cour de cassation se présentait dans ces termes. Quel est le sens légitime de l'article 6 de la loi sur les extraditions, en ce qui concerne les faits connexes ? Voici ce que je lis dans l'arrêt :

Voilà l'objet réel du dissentiment que nous avons à résoudre aujourd'hui.

Messieurs, pour établir un autre principe que celui de la cour de cassation, la section centrale ne produit en réalité qu'un seul argument ; elle dit : Lorsque deux faits sont connexes, le fait de droit commun est nécessairement l'accessoire et le fait politique est le fait principal.

C'est d'abord une chose étrange que de voir dans une question de droit pénal faire une distinction de fait principal et de fait accessoire ; il y a dans la législation pénale une sorte de hiérarchie de crimes et de peines, mais je ne sache pas qu'il y ait une classification de crimes principaux et de crimes accessoires.

Cela n'existe nulle part, la distinction est donc fausse en droit pénal.

Faut-il insister pour démontrer qu'elle est fausse en morale ? Elle est fausse en droit pénal, fausse en morale, fausse en droit politique, fausse en législation ; nulle part ce principe n'a été admis. On ne peut pas dire que lorsqu'un crime contraire à la loi naturelle, vient se joindre à un petit délit politique, le délit politique absorbe le tout, qu'il est l'objet principal et que le crime a disparu.

L'amendement de l'honorable M. Lebeau ne décide pas plus que l'amendement de la section centrale la question de connexité. En effet, d'après la nouvelle formule qui vient de nous être présentée il déclare que le meurtre, l'assassinat ou Pempoisonnenient sont des crimes de droit commun, même lorsqu'ils ont été commis sur la personne d'un souverain étranger ou d'un membre de sa famille. Il était inutile de le déclarer, cela ne peut pas faire doute, cela n'a jamais été méconnu, le doute existe sur le point de savoir si en cas de connexité avec un délit politique, il y a lieu à extradition. C'est ce qu'il faut décider, si l'on veut faire quelque chose de sérieux, si l'on veut faire une loi.

La rédaction est encore imparfaite sans d'autres rapports. Vous remarquerez que la disposition proposée par M. le ministre de la justice est seule d'accord avec notre législation pénale, car elle se coordonne avec le système de la loi d'extradition tout entière, elle est l'explication d'une disposition sur laquelle le doute judiciaire est né.

Il faut le rattacher au système même de la loi et il ne suffit pas, comme vous le propose aujourd'hui l'honorable M. Lebeau, de renvoyer à un paragraphe d'un article de cette loi. Il faut que la disposition nouvelle vienne prendre place dans ce système, de telle sorte que toute la loi soit applicable dans le cas que nous voulons régir aujourd'hui.

Messieurs, le mot « attentat » a paru tellement vague à l'honorable M. Lebeau, qu'il ne peut pas être inscrit, nous dit-il, dans la loi sur l'extradition. Si la proposition du gouvernement se bornait à dire : « L'attentat sera compris au nombre des faits pour lesquels l'extradition peut avoir lieu », l'observation serait parfaitement fondée, parce que dans certains pays la définition de l'attentat, de la tentative de l'attentat, est en dehors du droit commun, va beaucoup plus loin. Ainsi il y a des législations où l'attentat existe par cela seul que la pensée d'attenter a été concertée entre plusieurs.

Je comprends parfaitement que si l'on se référait ainsi d'une manière vague à une définition que nous n'avons pas ici sous les yeux, il ne faudrait pas rétablir dans notre législation. Mais il n'en est pas ainsi. Le projet du gouvernement n'autorise l'extradition des personnes accusées d'attentat que lorsqu'il y a le caractère d'un crime de droit commun, lorsqu'il y a le caractère soit de l'empoisonnement, soit du meurtre, soit de l’assassinat et alors vous avez la limite dans la loi même que vous faites et dans la législation à laquelle cette loi se réfère.

Il n'y a donc là rien de vague, rien qui soit exorbitant, rien qui puisse donner lieu surtout à des extraditions contraires au système du droit commun, contraires aux intérêts du pays.

De ces explications mêmes il résulte que le fait, dans le projet du gouvernement, est défini d’une manière complète, d'une manière telle qu'il ne peut y avoir ni une extradition contraire aux principes que j'ai définis tout à l'heure et qu'il ne peut pas non plus y avoir une extradition qui froisserait justement et à d'autres titres le sentiment public. Cette loi votée, il sera simplement déclaré qu'il n'y a pas en Belgique d'asile pour ceux qui font du poignard ou du poison un moyen de succès politique.

Nous rendrons à la justice de leur pays ceux qui viendront chercher un asile en Belgique après s'être rendus coupables de ces crimes ; nous les rendrons à leur pays, parce que, comme l'a dit M. le ministre de la justice, la loi de réciprocité est la première loi en cette matière, et que le jour où la Belgique aurait à déplorer de semblables tentatives, en établissant ce principe dans notre législation, nous aurions le droit d'en invoquer le bénéfice au profit du pays.

M. Lelièvre. - Je sus forcé de prendre la parole pour rectifier quelques erreurs de nos contradicteurs qu'il est impossible de ne pas réfuter.

On s'est mépris étrangement sur la portée de l'amendement de la section centrale et on n'a pas paru en comprendré'ia véritable signification.

Convaincus que l'assassinat est un acte odieux, quelle que soit la pensée qui l'inspire, nous pensons que quand il est commis sur la personne d'un souverain étranger, il doit pouvoir motiver l'extradition comme si la victime était un simple particulier.

Voilà la règle que nous entendons consacrer ; mais l'article 6 de la loi de 1833 suppose une autre hypothèse. Il prévoit le cas où des faits donnant lieu à l'extradition sont connexes à un délit politique, et en ce cas le législateur a repoussé la mesure rigoureuse établie par l'article premier.

Ainsi un meurtre commis sur un simple citoyen dans une insurrection ne peut motiver l'extradition, s'il est connexe au fait même d'insurrection.

Eh bien, nous voulons appliquer le même principe aux attentats commis sur la personne des chefs des gouvernements étrangers. Nous plaçons ces actes sous l'empire du droit commun. En conséquence, si dans une insurrection le chef de l'Etat ou des membres de sa famille engagent la lutte avec les insurgés, nous n'envisageons pas comme pouvant donner lieu à l'extradition le meurtre et les voies de fait connexes à l'insurrection.

Il faut convenir que notre système sur ce point est conforme aux principes du droit criminel. L'accessoire doit suivre le sort du principal et ne peut en être séparé.

Remarquez du reste, messieurs, que la loi de 1833 n'a pas défini ce qu'elle entend par faits connexes à un délit politique, elle s'est rapportée à cet égard à l'appréciation des magistrats et des autorités qu'elle a appelés a se prononcer sur l'extradition.

Tout à cet égard dépend des circonstances particulières qui ne sauraient être précisées d'avance et qui doivent être abandonnées à la sagesse des juges.

Nous devons donc, sur ce point, laisser les choses sous l'empire des dispositions légales et nous ne pouvons qu'imiter la sagesse du législateur de 1833 qui a compris qu'on ne pouvait définir des faits essentiellement variables dont l'appréciation devait dépendre des circonstances particulières auxquelles ils se rattachent.

Il me reste à répondre à quelques observations présentées par M. Malou.

L'honorable membre persiste à soulever que l'extradition ne constitue pas une mesure exceptionnelle, mais il faut méconnaître tous les principes pour contester une vérité aussi évidente.

En effet, puisque en règle générale l'étranger a droit à la protection due aux personnes et aux biens, il est certain que la disposition qui fait cesser ce état de choses est exceptionnelle.

La loi sur les extraditions est tellement une exception, qu'elle n'est autorisée que pour certains délits seulement.

L'honorable M. Malou dénie la théorie que nous avons développée en ce qui concerne le fait principal et le fait accessoire. Il méconnaît une distinction de cette espèce ; mais si M. Malou avait lu l'arrêt de la cour de cassation dans l'affaire Jacquin, ainsi que le réquisitoire de M. l'avocat général Delebecque, il aurait vu écrite textuellement dans les documents la distinction dont j'ai parlé.

Du reste, cette distinction est fondée sur la nature des choses. En effet, il est évident que si, par exemple, un prétendant envahissait un pays, soulevait une insurrection et engageait une lutte dans laquelle des homicides auraient été commis, ces homicides ne sont évidemment qu'accessoires au fait principal qui est l'insurrection. Eh bien, nous prétendons qu'en ce cas l'extradition ne pourrait être accordée, même lorsqu'il s'agit de meurtre commis sur un simple particulier.

Ce principe nous prétendons l'appliquer aux faits énoncés au projet parce qu'effectivement les mêmes raisons juridiques militent pour amener la même solution.

Quant à l'exemple dont a parlé l'honorable M. Malou, c'est-à-dire le fait d'une conspiration suivie d'un attentat à la vie d'un souverain, il est évident que dans cette hypothèse le fait d'assassinat constituerait le fait principal et que dans ces circonstances il y aurait lieu à extradition.

L'honorable M. Malou fait erreur lorsqu'il croit qu'il ne s'est jamais élevé aucun doute sur la question de savoir si l'attentat contre la vie des souverains étrangers tombait sous l'application de l'article premier de la loi de 1833.

En effet, en consultant l'avis émis par la cour de Bruxelles dans l'affaire Jacquin, on se convainc que la chambre des mises en accusation a pensé que l'attentat de la vie des souverains étrangers était en général un délit politique, parce que le fait attaquait l'institution politique et que d'ailleurs inspiré par une pensée politique, il ne pouvait donner lieu à l'extradition.

Voilà donc la difficulté réelle que soulevait l'affaire Jacquin. Eh bien, notre projet la fait disparaître. L'amendement de la section centrale tend à résoudre la question qui avait donné lieu au doute qu'a fait naître l'interprétation de la loi, et sous ce rapport il est inexact de prétendre que ce serait faire acte inutile que d'adopter la résolution arrêtée par la section centrale.

Pour l'appuyer j'ai déduit des motifs sérieux qui n'ont pas été réfutés, et je ne puis que maintenir les conclusions du rapport que je suis chargé de défendre.

(page 721) M. le ministre de la justice (M. Nothomb). - J'aurais repoussé le premier amendement de l'honorable M. Lebeau comme je viens combattre le second. J'aurais combattu le premier par les raisons que vient d'énoncer l'honorable M. Malou. Cet amendement, tel qu'il était indiqué, était sans aucune portée ; il déclarait une chose qui ne peut être sérieusement contestée. Il était d'ailleurs incomplet, et laissait indécise la grande difficulté, la connexité de l'attentat avec un délit politique. L'honorable membre l'abandonnant, je n'ai plus à m'en préoccuper.

J'ajouterai quelques mots à ce qu'a dit M. Malou sur le deuxième amendement. Comme l'a dit cet honorable membre, cette nouvelle réfaction ne tranche pas la question. La difficulté n'est pas dans l'article premier, elle est dans l'article 6. Vous aurez beau proclamer que l'assassinat d'un souverain est un assassinat ordinaire, qui ne tombe pas sous l'application de l'article 6, vous n'aurez pas prévenu les embarras qui peuvent surgir.

Personne n'a soutenu sérieusement que l'assassinat d'un souverain, isolé d'une pensée politique peut échapper à l'extradition. La divergence d'opinions ne se produit que lorsqu'il y a une pensée, un but politique, quand il y a connexité avec un délit politique.

Comme l'a dit l'honorable M. Malou, c'est sur l'article 6 qu'il importe de s'expliquer.

Je n'hésite pas à déclarer que ma première pensée avait été de rattacher le projet de loi à l'article premier. Ce n'est qu'après y avoir réfléchi très sérieusement et après m'être entouré des lumières de nos magistrats les plus éminents que je me suis convaincu que, si l'on ne s'explique pas sur l'article 6, on ne fera rien du tout.

Il importe de prévenir les embarras auxquels cet article donnerait lieu dans l'exécution.

Il y va de la dignité, de l'intérêt du pays.

Je demande donc que la Chambre vote l'interprétation de l'article 6, et je maintiens la rédaction telle que je l'ai présentée.

Quelques mots maintenant en réponse à l'honorable M. Lelièvre. Je suis tout à fait de l'avis de l'honorable M. Malou au sujet de la position de l'honorable rapporteur. L'honorable M. Lelièvre et moi nous sommes tout à fait d'accord en paroles. Mais dans la pratique il n'en est plus ainsi. L'honorable M. Lelièvre m'accorde en paroles tout ce que je demande. Mais s'il parle bien, il conclut mal.

Il pose des prémisses irréprochables, mais elles ne sont point en rapport avec la conséquence qu'il en tire.

Le gouvernement a eu principalement pour but de pouvoir opérer sans aucune difficulté dans l'avenir l'extradition des malfaiteurs, principalement de ceux dont la trop longue liste commence à Fieschi et vient se clore à Pianori.

Tous ou presque tous ont été guidés par une pensée, par un but politique ; beaucoup d'entre eux étaient mêlés a des complots politiques ; ils faisaient partie de sociétés secrètes ; par conséquent, le délit politique était connexe à leur crime, et c'est de ces malfaiteurs que le gouvernement demande à pouvoir faire l'extradition sans difficulté. Or, l'honorable M. Lelièvre nous l'a dit hier ; il eût même fait l'extradition des Jacquin, à l'occasion desquels on a fait tant de bruit. Je prends acte de cette déclaration et je constate que du propre aveu de l'honorable M. Lelièvre, l'extradition de tous ces régicides, de tous ceux qui ont conspiré et qui ont attenté à la vie du souverain, pourrait se faire sans aucune difficulté.

Je lui demande donc dès lors pourquoi il n'est pas d'accord avec nous lorsqu'il s'agit de rédiger la loi. L'autorité de l'honorable membre est grande, et personne, mieux que moi, ne l'accepte dans cette enceinte. Mais quand il s'agira d'exécuter la loi, quand nous serons disparus, quand d'autres hommes seront au pouvoir, nous retomberions dans les mêmes embarras. Nous aurions beau invoquer les déclarations de l'honorable M. Lelièvre, la même difficulté surgirait. Il faut donc que l'on soit logique jusqu'au bout, que l'on dise dans le texte ce qu'on dit dans les discours. Il faut que la conclusion soit en rapport les prémisses. Or, la conclusion à laquelle arrive l'honorable M. Lelièvre est diamétralement contraire à la prémisse.

L'honorable M. Lelièvre a parlé de l'avis de la cour d'appel de Bruxelles dans l'affaire Jacquin et il a soutenu que cet avis avait statué que l'attentat contre la vie d'un souverain est un délit purement politique. Telle n'a certainement pas été la pensée des magistrats. Ce qui explique cet avis, c'est la suite d'une véritable erreur de fait.

En effet j'y lis, qu'il est constant qu'en France les faits de cette nature, c'est-à-dire l'attentat contre le souverain, ont toujours été jugés comme délits politiques et même déclarés tels par les lois les plus expresses. Or c'est là une erreur. En France, au contraire, depuis les modifications apportées au Code pénal en 1832 et la législation de 1853, l'attentat contre la vie du souverain est un crime de droit commun. L'avis de la cour de Bruxelles peut donc être qualifié d'erreur basée sur une noiion incomplète de la législation française.

Nous sommes donc, messieurs, je le dis avec plaisir, nous sommes d'accord au fond sur la portée générale de la disposition que le gouvernement a présentée. Il n'y a désaccord entre le gouvernemeui et quelques membres de cette assemblée, paraît-il, que lorsque le fait d'attentat viendrait se rattacher à un fait politique, par exemple, à une insurrection.

Ici, messieurs, je l'avoue, le terrain est assez difficile à parcourir. Car, si je devais épuiser cette discussiou, et je n'en ai pas l'envie, je devrais demander à l'honorable M. Lelièvre de vouloir nous faire une théorie de l'insurrection, et bien certainement il serait aussi embarrassé que moi.

La plupart des insurrections dont nous avons été témoins ont eu pour moteurs des hommes guidés par de mauvaises passions, par des pensées cupides ou inavouables, égarés par un sot orgueil, et qui ne trouvaient mauvais le gouvernement que par cela seul qu'ils ne l'occupaient pas.

Certes de semblables séditions ne méritent pas l'intérêt que l'on s'efforce d'attirer sur leurs auteurs. La part qu'ils y ont prises est déjà un véritable crime social, digne de toute la répression des lois.

Il faudrait donc que l'honorable rapporteur nous expliquât en quoi consiste l'insurrection, combien il faut d'individus pour la constituer, quels sont, si je puis m'exprimer ainsi, les ingrédients dont elle se compose. Faut-il dix, cinquante, cent individus ? Tout au moins devrait-on s'expliquer à cet égard.

Voyez comment ces doutes pourraient être exploités par les régicides de l'avenir.

Il leur serait facile de s'abriter derrière une prétendue insurrection, Créée par des individus qui, dans la rue, arracheraient quelques pavés, briseraient les réverbères, tireraient quelques coups de fusil, et pénétrant dans le palais du souverain, commettraient un attentat sur sa personne. Serait cela une insurrection ? Si on s'en tenait à ta théorie de l'honorable M. Lelièvre, on serait bien dans le cas d'insurrection. L'extradition serait demandée, mais en vain, car le délit politique absorberait le crime d'assassinat.

Evidemment, messieurs, il ne peut pas en être ainsi, et certes la Chambre ne sanctionnera pas un tel système.

Je dis donc, messieurs, qu'il faut prendre les choses telles qu'elles sont, et ne pas se lancer dans des hypothèses plus on moins ingénieusement combinées. La loi est proposée, ou ne saurait trop le dire, pour des cas malheureusement trop réels et trop fréquents ; elle doit empêcher que des individus pareils à ceux dont les noms ont retenti dans cette enceinte, ne puissent, sous prétexte d'avoir fait partie d'une société secrète, d'avoir trempé dans un complot, d'avoir pris part à une conspiration quelconque, invoquer le bénéfice de la connexité pour se soustraire à l'extradition.

Il faut, messieurs, dans cette matière, s'en rapporter à la prudence du gouvernement, à sa responsabilité.

Lorsqu'une extradition est demandée, le gouvernement n'est pas par cela seul forcé de l'accorder. Il a le droit, le devoir d'appréciation ; ce droit, qui lui est réservé par tous les traités, est d'ailleurs inhérent à la nature des choses. S'il arrivait qu'on demandât l'extradition d'un homme victime d'événements purement politiques, le gouvernement conserverait toujours le droit d'apprécier ; il en userait sous sa responsabilité et devant l'opinion publique.

Quant à ces grandes victimes des proscriptions politiques que nous avons vues depuis un demi-siècle venir s'abriter sous la foi du peuple belge, il n'est pas à craindre que jamais leur extradition soit réclamée, et en fait elle ne l'a jamais été.

L'honorable M. Lelièvre a critiqué hier une opinion que j'ai émise en répondant à une demande de la section centrale. La section centrale m'avait demandé ce qu'il adviendrait, dans le cas où un étranger fabriquerait à Bruxelles, par exemple, des instruments de mort, destinés à être employés dans un paysétranger, contre le souverain de ce pays.

J'ai répondu que la solution de cette question se trouve dans le droit commun.

J'ai dit que l'individu ayant fabriqué de pareils instruments pourrait, dans un cas donné, être envisagé comme complice. Cette opinion, combattue par l'honorable rapporteur, est cependant fondée. Je tiens à m'expliquer à cet égard, parce que dans l'application, plus tard, on pourra consulter cette discussion, et je tiens à ce que l'opinion du gouvernement soit bien connue.

La question se réduit à une question de compétence, et elle est la même soit qu'il s'agisse d'attentat contre la vie d'un souverain, soit de l'assassinat d'un simple citoyen. Il s'agit de savoir où, dans le cas posé, le délit a été commis. Je suppose que de Cologne, par exemple, un individu écrive à un étranger habitant Bruxelles, de lui envoyer du poison pour donner la mort à une personne habitant Cologne.

L'étranger, habitant Bruxelles, envoie le poison, sachant qu'il servira à commettre le crime ; le crime est commis. Dans ce cas, je prétends que l'étranger s'est rendu complice d'un crime commis à l'étranger, et comme tel, il est sujet à extradition.

Le crime a été commis à l'étranger ; le poison a pu être préparé à Bruxelles ; mais il n'est pas moins vrai que le juge compétent, c'est le juge des territoires où le crime a été commis, c'est-à-dire le juge prussien ; si au contraire, l'individu est Belge, on le poursuivra en vertu de la loi de 1836, qui permet de poursuivre le Belge, lequel a commis à l'étranger un crime contre un étranger. Un fait pareil serait donc punissable.

Ce sont là les véritables doctrines, et l'honorable M. Lelièvre en trouvera la confirmation dans tous les auteurs. Je le renvoie notamment à Mangin, à Dalloz (article Compétence territoriale ou criminelle), à Faustin Hélie, où ces points sont amplement examinés.

L'honorable M. Lelièvre a paru préoccupé hier d'une crainte que je considère également comme chimérique. Il a supposé le cas où un (page 722) proscrit politique honorable viendrait en Belgique, et où le gouvernement auquel le proscrit appartient, mû par des rancunes politiques, voudrait l'impliquer dans une poursuite et obtenir ainsi indirectement l'extradition. Je crois que cette hypothèse n'est pas à prévoir. Des hommes tels que ceux auxquels l'honorable M. Lebeau a fait allusion ne conspirent pas le meurtre, l'assassinat et l’empoisonnement.

Dans tous les cas, la complicité qu'on imputerait à ces proscrits devrait peser sur un fait d'assassinat, de meurtre ou d'empoisonnement, auxquels répugneront certainement tous les hommes honorables. Si, au contraire, le cas de complicité se présente, nous retombons dans l'hypothèse que j'examinais tout à l'heure.

M. Lebeau. - Messieurs, je regrette que l'amendement que j'ai présenté hier n'ait pas été renvoyé à la section centrale ; la section centrale aurait trouvé probablement une rédaction qui exprimât la pensée qui nous est sans doute commune à tous ; mon amendement était, dans mon opinion, un simple canevas que j'avais formulé à la hâte à la fin de la séance.

Je viens de parler d'une pensée qui nous est commune à tous ; car ai-je besoin de protester ici que l'assassinat politique est jugé de même sur tous les bancs de cette Chambre ? En effet, il faudrait être insensé pour avoir la moindre indulgence pour l'assassinat politique.

Dans mon opinion, il n'en est pas un seul dans tous mes souvenirs historiques qui n'ait toujours plus nui à la cause qu'il voulait servir, qu'il ne l'ait servie, depuis les temps les plus reculés jusqu'aux temps les plus modernes, depuis le meurtre fameux accompli par Brutus jusqu'au meurtre unie par Pianori. Non, messieurs, pas un seul de ces crimes n'a servi les intérêts des meurtriers, pas même celui qui fut consommé sur un homme dont le nom résume en lui tout ce qu'il y a de fureur, de démence dans la démagogie. Et bien qu'on ait pendant quelque temps presque déifié la femme qui en avait purgé la France, ce meurtre n'a pas non plus servi la cause qu'où avait voulu sauver. Cet attentat a été le signal d'une fureur nouvelle, d'un régime plus cruel, plus sanglant encore qu'auparavant.

Voilà, une fois pour toutes et pour n'y plus revenir, notre opinion, à tous, je crois, sur l'assassinai politique.

Nous sommes donc tous d’accord au fond ; nous voulons punir tous l'assassinat politique ; mais nous ne voulons pas que, sous prétexte de punir, on puisse jamais arriver à satisfaire aux haines ou à sacrifier aux terreurs, non pas de certains gouvernements, mais de certains hommes dont le zèle imprudent sert mal les gouvernements.

M. le ministre de la justice vient de faire un pas de plus dans l'ordre d'idées qui a inspiré mon amendement.

Je l'avoue, ma préoccupation a été exclusivement concentrée sur la personne des réfugiés honorables. Protestant avec autant d'indignation que qui que ce soit contre l'assassinat, je m'inquiète des graves conséquences qui peuvent résulter pour les hommes les plus honorables de l'abus que l'on pourrait faire de l'accusation de complicité.

Un attentat est commis au-delà de la frontière ; on saisit l'auteur principal ; mais soit qu'il ait quelque espoir, en laissant entrevoir des révélations importantes, de se soustraire au sort qui le menace, soit pour tout autre motif, il implique dans l'affaire comme complices des réfugiés honorables, à l'aide de renseignements fournis par des espions ; et voilà des hommes à l'égard desquels on peut venir demander au gouvernement de faire usage de la loi sur les extraditions.

C'est surtout lorsqu'il s’agit de l'attentat, crime qui est défini en termes assez vagues, en termes différents dans les divers pays qui nous environnent, c'est pour des cas semblables qu'il faut rendre la loi la plus précise possible, prêtant le moins aux odieuses manœuvres et aux dangers que je viens de signaler à laChambre.

Je ne me flatte pas d'y être parvenu par l'amendement que j'ai proposé ; il a été proposé à la fin d’une séance assez vive ; je n'ai pas eu le temps de le mûrir ; c’était, je le répète, un canevas. Je persiste à croire qu'il y aurait un grand danger à adopter purement et simplement la proposition fait par M. le ministre de la justice. Je convie mes honorables amis, plus compétents que moi, à chercher une meilleure formule ; je n'ai pas de parti pris ; je ne tiens pas à la mienne ; je n'en fais pas une question d'amour-propre.

Je ne serai nullement honteux d'avouer que j'ai changé deux fois la rédaction de l’amendement que j'ai cru utile de proposer. C'est assez dire que je n'ai pas de parti pris.

Je voudrais donc que la discussion se prolongeât quelque peu et que quelques honorables amis plus compétents que moi pour émettre une opinion comme jurisconsultes, voulussent bien prendre la parole. La question est fort grave. Evidemment nous voulons tous la même chose ; seulement nous ne sommes pas d'accord sur la forme. Il y a accord dans les intuitions ; la divergence n'est que dans les moyens.

(page 735) M. Frère-Orban. - Je viens demander le renvoi, à la section centrale, de la question qui nous occupe ; elle est de la plus haute gravité, comme l'a très bien démontré l'honorable M. Lebeau.

Il y a dans cette Chambre une pensée commune : personne ne veut que celui qui attente à la vie d'un souverain se trouve dans une condition plus favorable que celui qui attente à la vie d'un particulier ; personne ne veut que l'assassinat comme but ou comme moyen politique jouisse de l'impunité, ni que l'on puisse invoquer pour lui la protection de nos lois.

Je n'ai rien à ajouter sous ce rapport aux sentiments qui ont été exprimés par l'honorable M. Lebeau.

Mais ce n'est pas là que la difficulté réside. Il s'agit de savoir si l'extradition sera permise lorsque les faits incriminés seront connexes à des délits politiques.

La solution de cette question présente les plus sérieuses difficultés, et la disposition proposée par le gouvernement les laisse entièrement subsister.

Le texte du projet de loi ne présentera pas, en certains cas, d'inconvénients réels ; en d'autres circonstances, il placera le gouvernement dans une situation compromettante pour la dignité du pays.

« Ne sera pas réputé délit politique, dit le projet de loi, ni fait connexe à un semblable délit, l'attentat contre la personne du chef d'un gouvernement étranger ou contre celle des membres de sa famille, lorsque cet attentat constitue le fait soit de meurtre, soit d'assassinat, soit d'empoisonnement. »

Que le fait de meurtre, d'assassinat ou d'empoisonnement ne puisse être réputé délit politique, c'est ce que nous voulons tous. Mais si l'homicide revêt les caractères d'un fait de guerre civile, s'il est commis dans une émeute, une insurrection, une révolution, faudra-t-il livrer à un gouvernement étranger ceux qui auront succombé dans la lutte ?

L'honorable M. Lelièvre vous l'a dit, supposons l'hypothèse d'une insurrection ; le chef de l'Etat se met à la tête des troupes, attaque les insurgés. On blesse ou tue le chef de l'Etat ou l'un des membres de sa famille, mais les insurgés sont vaincus.

Il y a des réfugiés sur notre sol ; le gouvernement étranger les réclame ; est-ce le cas de l'extradition ?

Il y a assurément une distinction à faire entre celui qui a commis un homicide en de telles circonstances, et celui qui, même dans des vues politiques, ne craint pas d'avoir recours au crime.

M. le ministre de la justice le reconnaît dans les explications qu'il vient de nous donner, sauf qu'il cherche à faire des distinctions entre les insurrections. Il y en a de bonnes, d'après M. le ministre, il y en a de mauvaises, il y a des insurrections sociales, il y en a d'antisociales ; mais, jusqu'à ce que M. le ministre ait donné un moyen certain de les distinguer et de les juger, comment fera-t-il pour apprécier les faits commis au milieu des troubles civils, et comment fera-t-il pour distinguer ceux qu'il faudrait absoudre, ceux qu'il faudrait condamner ? Encore une fois les homicides connexes à ces faits politiques donneront-ils lieu à l'extradition ? (Interruption.)

On doit vous faire ces objections parce que c'est à vous à lever les difficultés que présente votre projet ; il suffit qu'elles soient insurmontables ou que vous ne puissiez les résoudre pour démontrer le vice de la rédaction que vous proposez.

D'où naissent ces difficultés ? C'est que vous avez dépassé le but que vous sembliez d'abord vouloir atteindre. Votre pensée était, à l'origine, de placer les souverains et les membres de leur famille dans le droit commun ; d'autoriser l'extradition de ceux qui auraient attenté à leur vie, comme de ceux qui attentent à la vie des particuliers, et rien de plus légitime assurément. Que telle fut la pensée du gouvernement, c'est ce que constate une réponse adressée par M. le ministre de la justice à la section centrale.

« Le projet de loi n'a d'autre objet que de faire disparaître le doute qui pourrait exister sur la question de savoir si l'extradition peut être (page 736) accordée lorsqu'il s'agil d'attentat à la vie d'un souverain étranger, de même qu'elle le serait si la victime de l'attentat était un simple particulier. »

C'est en effet le doute que soulevait l'arrêt rendu dans l'affaire Jacquin. Mais M. le ministre de la justice va au-delà de ce qu'il annonçait en des termes si formels. Il y aurait désormais, si la rédaction qui nous est présentée était admise, deux genres d'extraditions, l'une quant aux faits commis à l'égard des simples particuliers, l'autre quant aux faits relatifs à des chefs d'Etats ou à des membres de leur famille. L'homicide connexe à un fait politique ne donnera pas lieu à l'extradition s'il a été tenté ou consommé contre un simple particulier ; il donnera lieu à l'extradition dans la seconde hypothèse. Je demande si c'est bien cela que veutfc gouvernement.

Au milieu de troubles civils, au milieu d'une insurrection et ainsi d'une manière connexe à un fait politique, un homicide est commis par un particulier ; l'extradition est demandée ; aux termes de l'article premier combiné avec l'article 6, l'extradition ne peut être autorisée, car le fait est connexe à un délit politique.

Mais le même individu a blessé ou tué un membre de la famille du souverain qui combattait pour réprimer l'émeute, et ce fait, identique au premier, l’exposera à être livré au gouvernement étranger, quoiqu'il soit connexe au même délit politique. Il n'est donc pas exact d'énoncer, comme l'a fait M. le ministre de la justice, que le projet de loi tend uniquement à faire décider que l'extradition peut être accordée lorsqu'il s'agit d'attentat à la vie d'un souverain étranger, de même qu'elle le serait si la victime de l'attentat était un simple particulier. Non ; ce qui serait permis dans un cas ne le serait pas dans l'autre et, par conséquent, toutes les objections de M. le ministre de la justice, toute son indignation contre l'idée de ne pas extrader lorsqu'il y a connexité du fait incriminé avec un délit politique doivent nécessairement se produire lorsqu'il s'agit de l'homicide commis sur un simple particulier. Et pourtant la loi est formelle à cet égard.

Une autre considération me paraît digne de toute notre attention. Le projet de loi n'a pas seulement en vue l'auteur de l'attentat, d'après M. le ministre de la justice le complice de l'attentat peut être également livré ; mais lorsque l'on combine les diverses dispositions des lois pénales sur l'attentat, la complicité et la connexité, on est effrayé des conséquences auxquelles on arrive.

La lettre imprudente d'un proscrit, la participation à une émeute, un de ces actes douteux ou équivoques dont on peut induire la complicité, feront impliquer des hommes, d'ailleurs honorables, dans la poursuite en répression d'un attentat contre la vie du souverain ou d'un membre de sa famille, et le réfugié politique sera, dans cette position exposé à l'extradition !

Prenez-y bien garde, nons sommes un peu trop sous l'influence des événements, peut-être même des circonstances dans lesquelles la loi a été présentée, pour en apprécier toutes les conséquences avec une entière liberté d'esprit. Voyons : dans les égarements des passions politiques, des dénonciations calomnieuses, des poursuites étayées sur de faux témoignages sont-elles impossibles ?

Après la révolution d'Angleterre, sous Charles II, une dénonciation faite par Titus Oates contre les papistes, les accusait d'avoir formé et arrêté le projet de tuer le roi et de de changer le gouvernement.

Il accusait les catholiques les plus éminenls d'avoir pris part à la conjuration et impliquait gravement les jésuites dans cette affaire. Les soupçons n'épargnaient pas même le duc d'York, frère du roi, connu par son attachement au catholicisme.

Un secrétaire du duc, homme ardent, zélé pour les intérêts catholiques, était en relation avec le Père Lachaise, avec le nonce du pape à Bruxelles et avec d'autres personnages importants. Il est dénoncé ; ses papiers sont saisis ; il est décrété d'accusation et l'on en fait un complice de l'attentat supposé. On trouve dans ses lettres des phrases susceptibles, d'après la pensée qu'on lui attribuait, d'être interprétées comme se rattachant à des complots en faveur des intérêts catholiques.

Il fut condamné et exécuté. Beaucoup d'autres périrent. Cinquante jésuites impliqués dans le procès furent condamnés à mort et subirent leur peine. Le duc d'York fut enfin obligé de se réfugier à Bruxelles. De nos jours, en semblables circonstances, les prétendus complices d'un pareil attentat, il faudrait les livrer d'après le texte du projet de loi. Et cependant il est maintenant bien constaté que l'attentat supposé contre le roi n'était qu'une odieuse machination et que les preuves de participation que l'on avait cru trouver jusque dans des lettres, avaient été faussement interprétées et n'avaient servi qu'à faire périr des innocents sous le coup des passions religieuses ou politiques de l'époque.

J'insiste, messieurs, pour vous rendre attentifs aux éléments constitutifs de la complicité. Ils sont de telle nature que l'on peut aisément impliquer dans une poursuite, à raison d'un attentat, les réfugiés politiques les plus honorables, les victimes les plus respectables des révolutions.

Evidemment ce n'est pas cela que vous voulez. Ce que vous voulez atteindre, et nous le voulons comme vous, ce sont ces hommes pervers qui veulent faire de l'assassinat un moyen politique.

C'est là ce qu'il s'agit de réprimer ; c'est pour de tels faits que vous voulez accorder l'extradition. Mais nul ne voudrait que la loi pût servir d'instrument contre des réfugiés politiques dignes d'intérêt, même aux yeux de ceux qui ne partagent pas les opinions qu'ils ont défendues. Or, à ce point de vue, le texte du projet nous paraît présenter un véritable danger.

Il faut donc chercher une disposition qui exprime mieux notre pensée et fasse taire de légitimes inquiétudes.

Cherchons-la de bonne foi et de commun accord, et nous y réussirons.

Renvoyons à la section centrale, qui examinera mûrement, après la discution qui vient d'avoir lieu, les diverses objections. (Interruption.)

Je ne conçois réellement pas les murmures que soulève une pareille proposition. On demande d'examiner. Il n'y a cependant aucune espèce d'urgence, et je ne pense pas qu'il y ait le moindre inconvénient à différer de quelques jours le vote de la loi.

Examinons.

Nous sommes prêts à voter une disposition qui permette d'atteindre le but que nous avons tous en vue, mais non une disposition qui ne laissera de sécurité à personne et qui peut créer de graves embarras au pays.

Cherchons, messieurs, la disposition qui rende cette pensée-là. Si M. le ministre de la justice ne l'a pas trouvée, si d'autres ne l'ont pas trouvée jusqu'à présent, il se peut, il est certain que l'on trouvera à formuler un texte qui puisse être accepté par toute la Chambre, et il est désirable qu'il en soit ainsi.

Je persiste donc à demander le renvoi à la section centrale de la disposition qui nous est proposée.

(page 722) >M. Vander Donckt. - Je ne refuse pas l'examen approfondi de la question que propose l'honorable M. Frère. Mais ce que je ne puis admettre, c'est le renvoi à la section centrale. Dans le cas où la Chambre décide que la question soit examinée à fond, il me semble que nous avons besoin des lumières et de l'expérience des jurisconsultes consommés qui siègent dans cette Chambre, et je ne crois pas m'humilier en déclarant ici mon incompétence comme membre de la section centrale. Si donc la Chambre juge bon d'ordonner un examen à fond de la question, je demande qu'elle soit renvoyée à une commission spéciale, dans le but même d'abréger les longues discussions qu'elle soulève dans, cette enceinte.

M. Dumortier. - Messieurs, l'honorable M. Frère vient demander de nouveau ce qui a été rejeté hier ; il vient demander un nouveau renvoi à la section centrale. Je déclare que je ne comprends pas l'utilité de ces renvois à la section centrale, alors qu'une discussion est ouverte. La discussion peut beaucoup mieux éclaircir les faits que tous les renvois possibles à la section centrale. En définitive, messieurs, supprimez un débat et créez une section centrale. Mais vouloir renvoyer de pareils projets d'un examen qui n'est pas le nôtre, ce n'est rien autre chose que proclamer notre impuissance ou notre insuffisance. Quand vous aurez renvoyé à la section centrale, est-ce que les débats ne recommenceront pas ? Vous aurez prolongé la discussion, voilà tout.

Messieurs, permettez-moi de le dire, les sentiments qu'ont manifestés, les honorables préopinauis, je les partage avec eux. Je ne voudrais pas, pour mon compte, que la loi actuelle pût devenir un moyen d'expulsion des hommes si honorables qui se trouvent aujourd'hui réfugiés sur notre territoire.

M. Frère-Orban. - Ce n'est pas l'expulsion. On les livre.

M. Dumortier. - Je veux dire un moyen d'extradition. Mais, veuillez lire le projet du gouvernement et vous verrez qu'il ne peut en être question.

Toute la discussion roule sur quoi ? Sur la question de connexité avec un délit politique ; et l’on écarte la phrase sacramentelle qui définit les cas d'extradition. Que porte la fin de l’article qui vous est présenté par le gouvernement ? L'extradition pourra avoir lieu lorsque l'attentat constitue un fait soit de meurtre, soit d'assassinat, soit d'empoisonnement. Mais existe-t-il rien de plus clair que cela ? Il faut qu'il s'agisse de meurtre, d’assassinat, d'empoisonnement pour qu'il y ait lieu à la mesure.

Or je crois que c'est faire un grand outrage à des hommes aussi honorables que ceux que nous avons dans notre pays, et à la magistrature étrangère et au gouvernement étranger, que de supposer que tout ce monde soit d'accord pour prétendre que les hommes inoffensifs, les hommes honorables qui se trouvent dans notre pays se seraient rendus coupables d'empoisonnement, d'assassinat et de meurtre.

Je dis pour mon compte que quand on lit la loi telle qu'elle se présentée, il ne peut se présenter aucune espèce de difficulté, et que toutes les objections qu'on nous fait n'ont aucune espèce de fondement ni de base.

Messieurs, je soutiens que lorsqu'il s'agit d'un cas d'assassinat, d'un cas de meurtre, d'un cas d'empoisonnement, il n'y a pas de connexité avec un délit politique et qu'il ne peut y avoir de connexité avec un fait politique. Comment ! on aura empoisonné un souverain étranger et vous viendrez dire qu'il peut y avoir connexité avec un fait politique !

C'est un lâche assassinat et rien de plus. On viendra assassiner un souverain, on commettra un meurtre sur un souverain ou sur un membre de sa famille, et vous viendrez dire qu'il soit possible qu'il y ait connexité ! Je dis qu'il ne peut y avoir de connexité ; que le fait politique est en dehors de l'empoisonnement, en dehors de l'assassinat.

- Un membre. - Et dans une révolution ?

M. Dumortier. - Dans nue révolution cela n'est pas possible non plus. Dans toutes les révolutions on bannit les souverains, on ne les assassine pas au coin de la rue. Je comprends que la maxime de l'assassinat soit pratiquée par Mazzini et par les hommes de son espèce. Mais vous ne trouverez pas un homme honorable qui ait cherché à obtenir un gouvernement meilleur à coups de couteau et par l’empoisonnement. De pareils faits ne sont jamais et ne peuvent être connexes avec un fait politique.

Et ici, messieurs, je m'explique de la sorte précisément pour repousser de tous mes moyens cette doctrine professée par la cour d'appel de Bruxelles, que le meurtre d'un souverain étranger est toujours un fait politique, parce qu'il est posé dans un but politique. Peu importe le but dans lequel on commet un assassinat, c'est un assassnat, peu importe le cas dans lequel on empoisonne, c'est un empoisonnement.

- Plusieurs membres. - On est d'accord sur ce point.

M. Dumortier. - Si vous êtes d'accord avec moi, vous devez alors voter le projet du gouvernement.

- Plusieurs voix. - Non ! non !

M. Dumortier. - Donc vous n’êtes pas d'accord. Comme le disait M. le ministre de la justice, vous êtes d'accord en paroles, vous ne l’êtes pas en fait.

Messieurs, je ne puis pas comprendre comment il est possible d'argumenter de la sorte sur un fait aussi grave. Je dis que l’honneur de notre pays est intéressé à ce qu'il n'y ait pas de doute sur une pareille législation ; qu'il n'est pas possible que dans un pays civilisé comme la Belgique, on puisse tolérer que des personnes qui viennent créer en Belgique des moyens d'assassinat pussent le faire impunément.

Et c'est ce qui est arrivé dans l’affaire des Jacquin.

Messieurs, je dois l’avouer, je me suis intéressé aux Jacquin ; ils m'avaient été recommandés par des personnes honorables et je ne savais pas ce qu'ils avaient fait. Mais qu’est-il arrivé ? J ai acquis la démonstration que les Jacquin avaient fait faire à Bruxelles la pile galvanique qui devait faire sauter un convoi, qu'ils y avaient fait faire le fil conducteur qui devait mener l'étincelle à cette machine. Je pourrais citer la personne chez qui ils ont fait faire ces instruments, et cesmêmes instruments se sont trouvés à l'endroit où devait passer un convoi. Voulez-vous donc que la Belgique puisse servir de repaire à des gens qui viendraient faire ici des machines pour faire sauter des souverains étrangers ?

- Un grand nombre de membres. - Non ! non !

M. Dumortier. - Eh bien ; c'est là que vous arrivez avec votre système de connexité.

Je maintiens donc que lorsqu'on examine le projet de loi du ministre, d'une manière sérieuse, il n'y a pas de difficulté possible.

Au surplus, je m'oppose au renvoi à la section centrale, je crois que nous sommes ici pour discuter et non pour renvoyer.

Si le projet de loi ne vous convient pas, rejetez-le, mais il s’agit de délibérer.

M. de Theux. - Je pense, messieurs, qu'après l'examen que le projet de loi a subi dans les sections et en section centrale, après les discussions dont il a été l'objet dans cette enceinte, le renvoi, soit, à la section centrale, soit à une commission spéciale, ne serait point justifiable, ne serait réellement pas en harmonie avec la dignité de la Chambre.

L'honorable M. Lebeau craint qu'au moyen de cette loi on n'obtienne l'extradition d'étrangers honorables et innocents, Mais, messieurs, l'honorable membre oublie qu'il ne suffit pas que l'étranger soit extradé pour qu'il soit condamné.

Tous les Etats de l'Europe ont une justice régulière et je ne pense pas que dans aucun Etat ou trouve des tribunaux disposés à condamner un innocent. Or si l’innocence est constatée relativement au fait qui a occasionné l'extradition, il faut, aux termes des traités, que l'individu soit remis en liberté et puisse de nouveau quitter le pays auquel il a été livre, voilà la véritable garantie en matière d’extraditions.

M. le ministre de la justice a encore cité une autre garantie, il a dit que le gouvernement n'est pas lié par les traités, d'une manière si absolue qu il ne soit encore juge du point de savoir s'il y a lieu de faire l'extradition

Eh bien, messieurs, ces deux garanties sont suffisantes. De quoi s'agit-il dans la loi ? D'une accusation de meurtre, d'assassinat ou d'empoisonnement. Vous ne pouvez point sortir des termes de la loi. Ces termes sont clairs et précis, ils sont définis par le Code pénal, il n’y a point là d’arbitraire possible. Je dis que dans ces trois cas, il faut que l’extradition ait lieu suivant les principes de la saine morale.

A mon avis, les traités d'extradition sont la conséquence de la civilisation avancée de notre époque. Elle repose sur ce que dans tous les Etats, il y a une justice régulière, orginisée.

Les traités reposent surtout sur ce principe qu'il faut arrêter et prévenir, autant que possible, la perpétration des grands crimes. Et, en effet, messieurs, l'extradition est un moyen efficace, souvent, d'arrêter la consommation d'un crime. Si l’extradition n'existait point, il suffirait de passer la frontière pour être à l'abri des recherches de la justice de son pays. Mais la civilisation, messieurs, ne permet point cela.

La civilisation exige que les grands crimes soient punis ; tous les Etats y ont un intérêt égal et l'extradition n'a point d'autre objet que de faciliter la punition des grands crimes et en facilitant cette punition, on prévient très souvent la perpétration des crimes par la crainte du châtiment et la difficulté de l'évasion.

C'est donc d'une véritable loi de civilisation qu'il s'agit. La portée de la loi est d'autant plus juste qu'il s'agit de sauvegarder la tête des souverains. Et, en effet, nous sommes malheureusement à une époque où l'assassinat politique, dans l'opinion de bien des hommes, ne constitue point un crime, tellement la saine raison est oblitérée.

Nous voyons l'assassinat politique se commetre à l'égard des souverains, à l'égard d'autorités importantes, à l'égard de magistrats chargés de maintenir l'ordre, à l’égard de simples particuliers appartenant à une opinion contraire à celle de l'assassin.

El c'est lorsque nous voyons cette plaie s'étendre, que nous nous montrerions si difficiles, si pointilleux pour accorder au gouvernement la faculté de conclure des traités d'extradition ? Pour moi, je ne comprends pas ces scrupules. Je vois devant moi un grand intérêt social à sauvegarder, et je donne au gouvernement le moyen d'y contribuer.

Messieurs, réfléchissons à deux faits : d'une part vous voyez de vils assassins attenter à la vie de tout ce qu'il y a de plus sacré dans la société, je ne dirai point pour quel motif, je ne dirai même pas que ce soit exclusivement par l'entraînement d'une passion politique ; souvent il y a derrière ce crime la pensée de conquérir une position sociale qu'on ne sait point conquérir par un travail honnête ; c'est par un crime politique qu'on veut y arriver. D'autre part, que voyons-nous ? De la part des souverains une clémence signalée. Combien de fois n'avons-nous point vu des assassins, convaincus par la justice, obtenir une commutation de la peine de mon à laquelle ils étaient condamnés ! Ainsi, messieurs, d'un côté, acharnement contre la vie de tout ce qu'il y a de plus élevé dans la société ; de l'autre côté indulgence exemplaire et signalée de la part des souverains.

En présence de tels faits, eu présence d'un besoin social si évidemment constaté par les faits nombreux qui se sont passés dans divers Etats, je ne comprends réellement pas l'hésitation. Quant à moi, messieurs, je n’hésitesiterai pas et voterai sincèrement et sans détour la loi telle qu'elle est proposée par le gouvernement, parce que je pense qu'il est impossible de la présenter d'une manière plus claire, plus précise, ni de la défendre d'une manière plus loyale que le gouvernement l’a défendue, parce que tout ce qu’on a tenté d’y substituer ne tend qu’à jeter de l’obscurité dans la loi, parce qu’il ne faut pas qu’on puisse douter de la sincérité de notre désir de prévenir efficacement et autant qu’il est en notre pouvoir la tentative de pareils crimes.

M. Orts. - L’honorable préopinant a présenté, en terminant, des considérations destinées, si elles s'appuient sur l'observation exacte des faits, à exercer une certaine Influence.

Il semblerait qu’à l'époque où nous vivons, époque que nous nous plaisons à appeler une époque de progrès et de civilisation, l'assassinat politique trouverait des partisans, des défenseurs, qu'il en trouverait plus qu'aux époques où les idées de saine morale étaient complètement perverties et troublées. Je ne sais pas où l'honorable membre a rencontré des faits à l'appui de sa thèse. (Interrupiioa.)

Il y a du vrai dans ce que vous avez dit, je suis loin de le méconnaître, mais il y a à côté du vrai de l'exagération et cette exagération est bonne à signaler, lorsque tout le monde entend émettre un vote de bonne foi. Je veux et je dois vous la montrer.

L'honorable membre paraît croire qu'aujourd'hui ia vie des souverains, dans tous les Etats de l'Europe, est plus particulièrement menacée qu'à aucune autre époque historique.

Sans doute, des exemples regrettables d'attentats se sont produits dans des temps rapprochés de nous, mais à une époque plus éloignée, à une époque dont personne, cependant, n'a perdu le souvenir dans cette enceinte, ces faits n'étaient-ils pas plus fréquents ? Et à cette époque le besoin d'une loi semblable, à celle que le ministère nous propose n'a point été signalé.

Pourtant, alors l'honorable préopinant se trouva longtemps à la tête du cabinet belge, et personne mieux que lui ne pouvait prendre l'initiative de pareille réforme, si elle était juste ou nécessaire. Pendant dix-huit années un souverain ami de la Belgique, lié au souverain de la Belgique par les liens les plus étroits, par les liens du sang, n'a-t-il pas été l'objet de tentatives fréquentes d'assassinat et personne pas plus l'honorable M. de Theux que d'autres personnes n'a songé à présenter une loi de cette nature. (Interruption.) personne n'a songé que la loi pût s'interpréter ainsi, s'écrie un honorable interrupteur ? Rappelez-vous les doutes graves soulevés par les esprits les plus compétents, dès la première difficulté pratique, et vous aurez la réponse à l'interruption que vous m'adressez.

Ne portons pas, messieurs, la question sur ce terrain : s'il s'agit d'un attentat ordinaire, tout le monde est d'accord : sur aucun banc de la Chambre, il n'y a le moindre doute à cet égard, et il y aurait bonne foi chez nos adversaires à le reconnaître franchement et nettement. Mais nous avons des scrupules respectables, et vous les connaissez. Il serait peut-être juste et politique de les respecter, de faire quelque chose pour obtenir un vote unanime sur uue question d'aussi haute moralité nationale.

Que voulons-nous ? C'est que, sous prétexte d'attentat à la vie d'un souverain étranger, on ne vienne point, dans des circonstances désastreuses et pour des faits que vous excuseriez évidemment vous-mêmes, réclamer de la Belgique une mesure répugnant aux sentiments du pays, répugnant à la dignité nationale et qu'il sera toujours difficile de refuser au gouvernement étranger qui la réclamerait au nom des traités.

Si la loi proposée est votée, il pourra se faire que le cas rentre dans le texte et que cependant la mesure rencontre chez nous une répugnance invincible, répugnance dictée par cette vieille iradition d'hospitalité qui est l'un de nos plus légitimes, de nos plus anciens titres de gloire et d'estime aux yeux des nations du monde.

Certes, messieurs, il n'y a pas deux manières d'envisager le meurtre, l'assassinat, l'empoisonnemeni. Ce sont toujours des crimes : que l'assassin prenne pour point de mire le plus humble particulier ou quelque tête couronnée. Mais pour que cet accord subsiste, il faut que ces méfaits soient des actes purement individuels, dictés par ces mêmes mauvais sentiments qui poussent à l'homicide du particulier. Que cette condition disparaisse, le doute alors, le doute légitime surgit.

Je demanderai à l'honorable M. Dumortier, par exemple, si ce n'est point un meurtre que de tirer volontairement, de dessein prémédité, un coup de fusil contre quelqu'un, afin de le tuer. Il répondra évidemment : Oui, c'est un meurtre que de tirer sur quelqu'un dans le dessein de le tuer.

Vous avez le meurtre daus votre loi. Si maintenant uue insurrection armée éclate dans un pays, si les insurgés tirent sur les partisans du gouvernement établi, ils tirent évidemment dans le but de tuer ; c'est la guerre civile ; je demanderai encore si par hasard daus un cas pareil, vous accorderiez l'extradition ?

. Lorsque à la suite d'une insurrection armée, d'une insurrection malheureuse, quelque sainte et légitime qu'elle puisse être, comme l'insurrection polonaise de 1831, par exemple, les hommes qui y ont pris part, qui ont fait la guerre dans la rue et ailleurs et qui se sont réfugiés chez vous, vous leur appliquerez votre loi sur les extraditions ?

- Un membre. - Ce n'est pas la question.

M. Orts. - C'est la question, c'est toute la question, et c'est parce (page 724) que vous ne voyez pas que c'est là la question, que nous vous demandons un examen ultérieur.

Vous êtes d'accord avec moi, avec mes amis sur le fond. Vous voulez voter d'entraînement.

Je vous montre le danger, et vous ne voulez pas que nous ayons le temps d'y réfléchir ; je vous montre ce danger dans l'espoir de vous arrêter. Voilà mon but.

Vous me direz peut-être que dans les exemples que je viens de produire, les personnes auxquelles je fais allusion n'encourraient pas l'extradition ; ni le chef de l'Etat étranger ni sa dynastie ne seront en jeu. Poursuivons : si par hasard un de ceux qui répriment l'émeute se trouve être le chef de l'Etat étranger ou un membre de sa famille, une de ces personnes pour lesquelles la loi est proposée, changerez-vous votre manière de voir et accorderez-vous l'extradition, alors que par un hasard aussi malheureux que peu prémédité, dans la rue, en face de l’insurrection, ce personnage aura été tué ? Accorderez-vous alors ce que vous refuseriez certainement, si ce hasard ne s'était pas produit ?

Ces faits peuvent-ils être assimilés à l'assassinat, au meurtre et à l’empoisonnement, alors qu'il s'agit d'un simple particulier ? Je demanderai à l'honorable M. Dumortier s'il regarde comme meurtriers les citoyens au courage desquels la Belgique doit son indépendance et nous l'honneur de siéger ici, ces citoyens qui, aux journées de 1830, n'ont pas reculé devant la nécessité de tirer des coups de fusil au prince Frédéric des Pays-Bas, entrant à Bruxelles à la tête de ses troupes ?... Supposons par hasard S A. R. Monseigneur le duc d'Orléans, sur la plage de Boulogne, lors du coup de pistolet de 1840, qu'il y eût trouvé la mort en réprimant l’émeute, auriez-vous accordé l'extradition de Louis-Napoléon Bonaparte si, confiant dans notre antique renom de terre d'asile, il s'était réfugié sur le sol belge ? Répondez, et jugez votre loi.

Voilà les questions pratiques que nous vous posons ; nous vous montrons qu il y a la de graves dangers, nous voulons les prévenir ; nous ne voulons pas que sous prétexte qu'un attentat est connexe à un fait de guerre civile, on puisse abuser de la loi.

Que cherchons-nous ? Une formule permettant de réaliser ce que nous paraissons tous vouloir au fond ; ce que nous voulons en réalité. Nous voulons une loi qui nous préserve de complications et d'embarras ultérieurs aux jours mauvais de l'avenir.

Noue voulons une loi qui nous préserve d'être faibles et injustes ; nous voulons une loi qui nous permette de maintenir religieusement intact ce qu'il y a chez nous d'aussi ancien que la patrie, ce qui est notre plus chère tradition, le vieux renom de l'hospitalité belge, nous voulons une loi qui ne porte pas atteinte à l'éclat du nom belge, nom glorieux qui nous a été légué pur et sans tache par nos aïeux, et que nous devons transmettre intact à nos neveux.

Cette loi, voulez-vous la faire avec nous ? C'est la question que posent les honorables membres réclamant le renvoi des amendements à une commission. Réfléchissez.

M. de Theux (pour un fait personnel). - L’honorable préopiuant s'est étonné qu'étant au pouvoir, je n'aie pas moi-même présenté la loi dont il s'agit, alors que des attentats ont été commis contre la personne du roi Louis-Philippe. La tréponse est bien simple : c'est que jamais à cette époque-là le moindre doute ne s'est élevé sur l'applicabilité de la loi. Si un doute quelconque s’était présenté, j'affirme que je n’eusse pas hésité un seul instant a déposer la loi.

M. Malou. - Messieurs, cette discussion présente vraiment une caractuère anormal ; il semble qu un grand nombre de membres de la Chambre seront à la recherche d'une rédaction qui ne soit pas celle du gouvernement et que sans pouvoir détruire le sens clair et logique de cette proposition, ils en veulent une autre ; mais en réalité ils ne savent laquelle et ne détruisent pas la rédaction du gouvernement.

En effet, on combat le projet par des hypothèses qui sont en dehors de la proposition ; ou le combat en faisant des amendements qui ne décident pas les questions que l'on pose.

Ainsi, l'honorable M. Lebeau tout a l'heure encore motivé le renvoi à la section centrale parce que la question de complicité n'est pas résolue ; l'honorable M. Frère élève une difficulté relative à la complicité, et l’amendement de l'honorable M. Lebeau, amendement qui est la troisième ou la quatrième édition des variantes que leurs auteurs eux-mêmes ne trouvent pas satisfaisantes, ne tranche pas la question de la complicité, elle la laisse tout entière.

Ainsi, je suppose que l'amendement de M. Lebeau soii admis, le cas de complicité qu'il prévoit est résolu par la législation actuelle ; c'est-à-dire quand il y aura complicité dans le sens du Code penai, il y aura lieu à extradition.

Messieurs, que dit le projet de loi ? Il y aura lieu à extradition, lorsqu'un assassinat, un meurtre on un empoisonnement auront été commis envers la personne d'un souverain étranger, alors même que ces faits seraient connexes à un délit politique. Il rend hommage à ce principe de morale que la politique et l'assassinat sont deux choses différentes ; voilà ce que dit la loi et pas autre chose,

Maintenant voyez dans quelle singulière voie on s'engage encore. L'honorable M. Orts tout à l’heure raisonnait comme si, en présence du texte de cette loi, le gouvernement devait, dans tous les cas, accorder l’extradition. C'est précisément le contraire qui se trouve dans notre législation. Ainsi, dans le traite avec la France, le gouvernement s’est expressément réservé de refuser l'extradition, même pour des crmes de droit commun, et je me rappelle que pendant les huit années que j'ai passées au ministère de la justice, j'ai vu refuser l'extradition en vertu de cette loi, même pour un crime de droit commun.

Messieurs, vous avez pour celui qui est poursuivi deux garanties ; la garantie de l'examen par la justice belge et celle qu'offre la justice du pays auquel vous livrez l'étranger.

Ce n'est pas tout : vous avez en Belgique plus que la garantie de l'examen par la magistrature belge ; vous avez dans le cri de l'opinion publique, dans le retentissement de cette tribune, dans nos institutions, de véritables garanties pour les réfugiés.

Tout comme l'honorable préopinant, nous voulons respecter les lois de l'hospitalité envers les réfugiés honorables dont on a parlé ; mais nous ne voulons pas que l'on confonde avec ces hommes que nous nous honorerions d'avoir pour amis ceux qui font de l'assassinat un moyen de succès politique.

Je le demande à l'honorable membre : y a-t-il dans la rédaction qu'on propose quelque chose qui se rapporte aux hypothèses de guerre civile qu'il a posées ? Il y n'a absolument rien Partout, après le vote de la loi comme avant, il y a une différence essentielle que tout le monde comprend, que le gouvernement appliquerait, que les Chambres le forceraient à appliquer, entre le meurtre, l'assassinat et l'empoisonnement tels qu'ils sont définis dans le Code pénal et un fait de guerre civile ou de guerre étrangère.

Le fait de guerre a un caractère spécial, car malheureusement au XIXème siècle la guerre est encore considérée parfois comme un mal nécessaire ; la loi n'est applicable à des faits de ce genre ni dans son texte ni dans son esprit. On combat donc la loi au moyen d'hypothèses qui sont en dehors de la loi, et c'est sans aucune espèce de motif qu'on demande le renvoi à la section centrale.

Tous les membres de la section centrale sont ici ; plusieurs ont pris part à la discussion ; d'autres membres qui n'ont pas eu l'honneur d'être membres de la section centrale y ont également pris part.

La question à examiner nous occupe déjà depuis deux jours ; on veut la renvoyer à la section centrale. Mais nous sommes ici la grande section centrale ; quelle discussion peut être plus approfondie et peut mieux aboutir que celle à laquelle nous nous livrons ? Après tout ce qui s'est dit, je pense que la section centrale ou une commission quelconque ne sera pas plus heureuse et ne réussira pas à trouver une cinquième ou sixième formule qui satisfasse les honorables membres.

M. de Mérode. - Messieurs, j'ai bien peu de chose à dire jusqu'à l'explication que vient de donner l'honorable M. Malou au mot « meurtre ». J'étais embarrassé à l'égard de cette expression, car les observations présentées par l'honorable M. Orts et autres membres m'avaient inquiété sur les conséquences d'un combat tel qu'ils avaient indiqué, mais d'après les explications données, il est évident pour moi que le meurtre commis dans les circonstances signalées ne tombe pas sous l'application de la loi ; dès lors je ne vois pas l'inquiétude que nous pouvons avoir sur la portée de la loi qui nous occupe.

L'honorable M. Malou a fait de nouveau ressortir un fait capital, c'est que vous ne livrerez pas nécessairement à la justice du gouvernement étranger l'individu qu'il réclame, car je n'admets pas que tous les gouvernements étrangers donnent des garanties suffisantes quant à la manière dont la justice est rendue ; je n'ai pas la même confiance dans la magistrature de tous les pays. Mais comme la nôtre n'est pas obligée de livrer quand on réclame l'extradition, elle ne l'accordera pas quand elle jugera qu'il n'y a pas lieu de l'accorder.

Voilà la garantie qui me rassure ; l'autre ne me rassurerait pas, mais-celle-là, la garantie que me présente notre magistrature étant ajoutée à l'autre, je suis satisfait.

Vous nous proposez de renvoyer le projet à l'examen de la section centrale, mais, comme dit encore l'honorable M. Malou, cette section centrale ne vaut pas la grande section centrale que nous composons et d'où ressort pour moi plus de lumière que de cette section centrale qui n'accouchera de rien de nouveau.

- Plusieurs voix. - La clôture ! la clôture !

M. Frère-Orban. - Discutons, au moins, si vous voulez vous éclairer.

M. Dumortier. - M. Orts nous a interpellé sur la question de savoir si les personnes qui avaient attaqué le prince d'Orange à la tête de ses troupes auraient pu être l'objet d'une extradition. Cela ne peut pas faire question, évidemment non ; il s'agit ici de meurtre, d'assassinat et d empoisonnement.

M. Frère-Orban. - De meurtre !

M. Dumortier. - Un fait de guerre civile n'a jamais été et ne sera jamais un meurtre, (Interruption.)

M. Frère-Orban. - C'est une erreur !

M. Dumortier. - Résumez vos objections dans un amendement.

Voilà deux jours que nous discutons la loi, je déclare que tout renvoi à la section centrale serait une fin de non-recevoir, et non autre chose. La loi est faite pour un cas spécial, pour l'assassinat, tout ce qui n'est pas assassinat ne tombe pas sous le coup de la loi.

Si, au milieu d'une insurrection, le souverain est frappé, ce n'est pas un meurtre, ce sera un fait de guerre civile, si une balle lui est envoyée au milieu de la mêlée ; mais si, pendant le combat, un individu se présente devant lui sous prétexte de parlementer et le frappe, vous aurez beau me dire : C'est un fait de guerre, je répondrai : C'est un (page 725) assassinat ; et, bien que connexe avec un fait politique, c'est un assassinat, comme si vous aviez tué ce souverain dans sa chambre.

Aucune objection n'est possible à la proposition du ministre quand on l'examine sérieusement et sans parti pris de ne rien faire ; pour moi je la trouve excellente et je suis d'avis que nous devons lui savoir gré de l'avoir présentée.

L'honorable M. Orts a demandé pourquoi on n'avait pas présenté cette loi sous le règne de Louis-Philippe. C'est qu'alors la difficulté ne s'était pas présentée, elle n'existe que depuis que la cour de Bruxeltes a donné à la loi une interprétation qui n'était dans la pensée d'aucun de ceux qui siégeaient dans cette Chambre, depuis que la cour a rendu un arrêt contraire aux vues du législateur ; c'est pour cela que le ministère actuel a présenté la loi et il a très bien fait.

L'honorable membre dit qu'il veut conserver la vieille et antique hospitalité qui a fait l'honneur de notre pays ; moi je ne veux pas en faire un repaire d'assassins, d'empoisonneurs et de meurtriers.

M. Vervoort. - Quelques-uns des honorables orateurs que vous venez d'entendre repoussent le renvoi du projet de loi et des amendements soit à la section centrale, soit à une commission spéciale agissant en dehors de la section centrale ou concurremment avec elle. La discussion publique doit seule, selon eux, s'éclairer le débat ; ils se plaignent de ne pas voir la production d'un amendement qui satisfasse tout le monde, ils prétendent que, peu disposés à adopter la loi, nous sommes impuissants à la combattre.

Eh bien, il est résulté des discussions qui ont eu lieu jusqu'à présent que le projet soulève de grandes difficultés. (Interruption.)

Il est résulté de la discussion, que nous nous sommes confondus dans une même pensée eu égard au but que nous voulons atteindre. Nous avons tous la même aversion, une aversion profonde, universelle pour le meurtre, l'empoisonnement, l'assassinat, quel que soit le mobile de l'agent.

Mais quand il s'agit des moyens d'atteindre le but, comme l'a fait observer l'honorable M. Frère, nous ne sommes plus d'accord.

Vous nous reprochez de ne pas combattre suffisamment la disposition du projet de loi, de demander le renvoi à une commission.

Je conçois que l'on veuille passer outre, lorsqu'il y a parti pris, lorsqu'on est décidé d'avance à repousser la conciliation à laquelle nous vous convions. Mais il me semble que si l'on voulait la conciliation, si souvent préconisée, si l'on avait le désir d'obtenir l'unanimité en faveur de la proposition soumise à l'assemblée, unanimité si désirable en faveur d'une loi de cette nature, personne ne contesterait la nécessité d'un examen nouveau, consciencieux et approfondi en présence des difficultés qui se présentent. Permettez-moi, messieurs, d'exposer en peu de mots des difficultés que la discussion a révélées.

S'il s'agissait purement et simplement, comme l'a dit M. le ministre de la justice dans sa réponse à la section centrale, d'assimiler l'assassinat d'un prince à celui d'un particulier, il n'y aurait pas matière à discussion. Mais c'est la question de connexité qui fait la difficulté.

Si vous maintenez l'article tel qu'il est proposé par le gouvernement, il y aura peu de proscrits auxquels on ne puisse l'appliquer, en combinant les articles 227 du Code d'instruction criminelle, l'article 88 et l'article 60 du Code pénal relatifs à la complicité.

Je n'ai pas besoin de dire à la Chambre combien sont nombreux les cas de complicité et de connexité.

- Un membre. - Dites.

M. Vervoort. - Si on le désire, je lirai à la Chambre l'article 227 du Code d'instruction criminelle et elle sera convaincue de l'extension que l'on pourrait donner à la loi par l'application de cet article :

« Les délits sont connexes soit lorsqu'ils ont été commis en même temps par plusieurs personns réunies, soit lorsqu'ils ont été commis par différentes personnes, même en différents temps et en divers lieux, mais par suite d'un concert formé à l'avance entre elles, soit lorsque les coupables ont commis les uns pour se procurer les moyens de commettre, les autres pour en faciliter, pour en consommer l'exécution ou pour en assurer l'impunité. »

L'article 88 de notre code pénal voit un attentat dans les actes commis ou commencés pour parvenir aux crimes prévus par les articles précédenls.

Vous le voyez, nous ne pouvons perdre de vue les cas de complicité, les cas de connexité et ceux prévus par l'article 88 du Code pénal.

Ai-je besoin de vous rappeler l'élasticité donnée dans une circonstance mémorable à l'article 60 du Code pénal ? Vous devez vous souvenir d'une célèbre cour de justice qui a trouvé un fait de complicité morale dans des articles de journaux ; la découverte fut faite par des hommes d’un grand esprit.

Par la combinaison de ces articles, on peut arriver directement à accorder l'extradition pour les délits politiques.

Et cependant quelle fut la pensée du législateur de 1833 en votant la loi sur les extraditions ?

L’honorable M. Dumortier a dit qu'il n'est pas possible d'appliquer la loi actuelle à des hommes politiques, à des réfugiés malheureux, en cas de meurtre, d'empoisonnement et d'assassinat.

Voici comment s'exprimait, en 1832, l'honorable M. Jullien, député de Bruges :

« J'arrive à l'article premier. C’est l'assassinat, c'est l'empoisonnement auquel il faut appliquer le principe de l'extradition. On a seulement eu soin de déclarer formellement que l'intention du législateur n'avait pas été d'appliquer la loi aux crimes politiques, et on a formellement stipulé que ces crimes ne pourraient jamais autoriser l'extradition. C'est bien ; mais il est une observation qu'il ne faut pas perdre de vue ; c'est qu'il est impossible que dans des circonstances peu graves, des crimes politiques se commettent sans pouvoir être confondus plus ou moins facilement avec un des crimes prévus dans les articles du projet. »

Que répond le rapporteur de la section centrale, M. Ernst ?

« On a prétendu qu'un crime politique pourrait, dans certaines circonstances, donner lieu à une accusation d'assassinat ou de meurtre et rentrer enfin dans une des catégories de la loi. On a cité l'exemple de Chambure. Mais, messieurs, il ne faut pas séparer l'article premier de l'article 6. Pour que l'extradition ait lieu, il ne suffit pas qu'il existe un des faits énumérés dans l'article premier, mais il faut aussi, d'après l'article 6, qu'il soit bien prouvé que le fait est étranger à des opinions ou à des événements politiques. La cour qui doit être consultée s'attache à vérifier ce point. »

Ces explications du rapporteur de la section centrale caractérisaient parfaitement l'esprit de la loi et la Chambre a défendu l'extradition pour tout fait connexe à un délit politique.

L'honorable M. J.-B. Nothomb, alors membre de la Chambre, analysant la loi avec sa lucidité, sa précision habituelles, disait : « Je découvre dans le projet de loi trois caractères essentiels :

« 1° L'extradition est considérée comme un acte du pouvoir exécutif ;

« 2° L'extradition politique est interdite ;

« 3° Les délits prévus qui peuvent être l'objet d'une extradition sont énumérés. »

La loi excluait donc formellement, d'après l'opinion de ces honorables membres, d'après l'opinion du rapporteur de la section centrale (son texte d'ailleurs est formel), excluait l'extradition politique. Que veut aujourd'hui le gouvernement ? Le gouvernement veut l'introduire dans la nouvelle loi. Voici comment s'explique M. le ministre de la justice dans l'exposé des motifs :

« Le projet de loi ci-joint a donc pour objet de déclarer plus explicitement que l'extradition pourra avoir lieu toutes les fois que l'attentat contre la vie du chef de l'Etat se produira avec les caractères du meurtre ou de l'assassinat. »

Voilà le but que le ministère se proposait d'atteindre quand il a annoncé l'année dernière, lors de l'affaire Jacqnin, l'intention de présenter un projet de loi par suite du dissentiment né entre le gouvernement et la cour d'appel de Bruxelles. Mais M. le ministre ajoute :

« Le texte qui vous est présenté, messieurs, va même plus loin. Il statue que la connexité de l'attentat, tel qu'il vient d'être limité, avec un délit purement politique, ne sera point un motif suffisant pour faire écarter l'extradition. »

Le gouvernement veut donc rétablir par le projet de loi l'extradition politique interdite par la loi de 1833. C'est la destruction partielle de la loi de 1833. (Interruption.)

M. Dumortier. - C'est le sens de la loi.

M. Vervoort. - C'est la loi modifiée. C'est parce que le projet a un résultat semblable, c'est parce que nous avons vu par la discussion toute la portée des termes du projet de loi, que nous croyons nécessaire le renvoi soit à une commission, soit à la section centrale, afin d'examiner le projet de plus près, et d'arriver à nous entendre sur ce texte qui peut être dangereux et devenir la source de grands embarras.

L'honorable M. de Theux a dit qu'il fallait voter la loi sous l'impression de la volonté de réprimer les crimes qu'elle a en vue, qu'il faut la voter sans hésitation. Messieurs, il y a une distinction à faire entre la répression et l'extradition, entre la justice et la politique.

Nous n'avons pas à voter une loi de répression mais une loi d'extradition. Or, s'il faut avoir égard dans cette occurrence aux principes des lois répressives, il ne faut pas non plus oublier les principes relatifs au droit d'asile. Ce droit sacré était écril dans la Joyeuse Entrée du Brabant et se trouve reproduit dans l'article 128 de notre Constitution. Il s'agit de concilier ces différents principes. Le rapporteur de la section centrale disait en 1833 à propos de la loi du 1er octobre :

« Notre terre de liberté doit toujours offrir un refuge assuré aux étrangers persécutés et opprimés ; elle doit rester la patrie de tous les malheureux, de tous les proscrits. »

Nous ne devons pas perdre de vue ces généreuses pensées. Nous, devons nous efforcer de concilier les règles du droit répressif avec les principes du droit des gens qui protègent les prescrits. Eh bien, c'est cette conciliation à laquelle nous voulons arriver et à laquelle nous vous convions de concourir avec nous.

L'honorable M. Dumortier a énuméré une série de garanties qu'il promet aux persécutés, il invoque l'opinion publique, la vigilance des Chambres. Ces garanties sont précieuses, mais les garanties véritables et solides résident dans la loi qui concilie la protection due aux victimes de l'assassinat et du meurtre, quel que soit leur rang, et le respect du droit d'asile qui fut toujours reconnu dans notre pays. L'opinion peut s'égarer, elle peut devenir injuste et tyrannique. La loi, au contraire, étend à tous sa protection bienfaisante, et tous nous sommes ses enclaves.

Je demande le renvoi du projet de loi à l'examen d'une commission de sept membres à désigner par le bureau.

(page 726) M. le président. - M. Vervoort vient de déposer la proposition suivante :

« Je propose un examen plus approfondi du projet de loi et de l'amendement de l'honorable M. Lebeau par une commission spéciale de sept membres qui seront nommés par le bureau. »

M. le ministre de la justice (M. Nothomb). - Messieurs, je crois devoir m'opposer au renvoi des amendements soit à la section centrale, soit à une commission ; non pas que j'aie ici le moindre amour-propre de rédaction, mais, parce que je suis convaincu que, quoi qu'on fasse, on n'arrivera pas à une formule qui résolve toutes les difficultés de fait que l'on a combinées.

Quelles sont en définitive les difficultés qu'on a signalées ? Ce sont des difficultés d'exécution. Quelle est la loi qui n'en présente pas ? On est entré dans le champ des hypothèses, champ vaste, champ illimité. Mais ce n'est pas sur ce terrain que le gouvernement peut suivre la discussion. Il se tient à la rédaction qu'il a proposée, parce qu'elle lui paraît avoir le mérite d'être claire et simple.

En cette matière, messieurs, il faut évidemment tenir compte de la sagesse du gouvernement, je ne dis pas seulement du gouvernement actuel, mais de tout gouvernement qui présidera aux destinées du pays, il n'en est pas qui, dans les hypothèses presque imaginaires choisies par les honorables membres, voulût faire une extradition.

Il faut que la mesure soit basée sur un fait immoral, sur un fait criminel d'après toutes les lois naturelles et sociales. Il faut soit le meurtre, soit l'assassinat, soit l'empoisonnement. A entendre les honorables membres, on dirait réellement que l'extradition est une mesure qui s'accomplit lestement ; que les gouvernements se passent les réfugiés sans aucune espèce de garantie pour ceux-ci. En droit et en pratique les choses se passent tout différemment ; il y a une foule de garanties qui protègent la personne du réfugié. Déjà d'honorables membres les ont signalées, je vais les redire.

Il y a d'abord l'instruction dans le pays du réfugié devant ses juges naturels, devant ses concitoyens qui certes ne sont pas ses ennemis.

- Un membre. - Des juges politiques.

M. le ministre de la justice (M. Nothomb). - Les juges politiques sont toujours des magistrats, je ne connais aucune juridiction exceptionnelle Il se fait une instruction devant le magistrat compétent, devant le juge d'instruction. Le juge d'instruction soumet son travail à une chambre du conseil. Cette chambre décide s'il y a des charges suffisantes, et aujourd'hui dans tous les pays qui nous entourent, il se trouve un degré de juridiction pareil. Cette chambre du conseil, composée de trois juges, prend une décision ; la poursuite est ensuite soumise à une chambre des mises en accusation composée de cinq magistrats, quelquefois d'un plus grand nombre, et c'est alors seulement que l'on décide s'il y a des charges suffisantes pour renvoyer un individu devant le tribunal chargé de le juger.

Voilà ce qui se passe dans le pays auquel appartient l'individu. Il faut alors que par la voie diplomatique on demande l'extradition de l'étranger. Une correspondance le plus souvent s'engage entre le gouvernement qui demande l'extradition et le gouvernement du pays où demeure momentanément l'étranger.

Ce dernier gouvernement peut refuser l'extradition. S'il croit devoir y consentir, il soumet la demande à l'instruction qui est déterminée par la loi. Il demande l'avis de la chambre du conseil et de la chambre des mises en accusation. Sans doute ces avis ne doiveut pas lier le gouvernement. Mais c'est dans tous les cas pour lui une considération morale de la plus haute importance. le gouvernement peut sans doute faire l'extradition malgré l'avis d'une chambre des mises en accusation. Mais c'est un cas grave et exceptionnel, parce qu'alors la responsabilité du gouvernement en devient d'autant plus grande.

Le gouvernement reste donc maître d'apprécier dans sa prudence, dans son patriotisme, dans son respect de l’opinion publique, s'il y a lieu de faire l'extradition. Et je le demande, messieurs, peut-on supposer un gouvernement qui au mépris de nos institutions, au mépris de l'opinion publique, voulût livrer un proscrit politique aux vengeances d'un gouvernement étranger ?

L'honorable membre paraît croire que lorsque l'extradition aurait eu lieu pour un crime de droit commun, l'étranger pourrait êlre jugé en même temps pour un délit politique.

C'est une erreur : les traités d'extradition portent et la loi de 1833 l'exige formellement, que lorsqu'on aura livré un étranger à la justice de son pays pour uu crime de droit commun, cet étranger ne pourra pas être jugé pour un délit politique. Si donc l'étranger est acquitté du chef du crime de droit commun, il ne sera pas jugé du chef d'un délit politique et il sera reconduit à la frontière. Voila, messieurs, les garanties dont toute extradition est entourée.

L'honorable M. Vervoort a cité quelques lambeaux des discussions de 1833.

Je ne crois pas devoir le suivre de nouveau sur ce terrain ; j'ai eu hier l'honneur de démontrer à la Chambre, par la lecture des discussions de cette époque, quel était le sens de la loi du 1er octobre. Le gouvernement n'a pas entendu changer l'esprit de cette législation, il y est resté complètement fidèle en proposant la mesure qui est soumise à la Chambre.

Je le répète, en terminant, messieurs, si vous ne vous en rapportez pas à la sagesse du gouvernement, vous ne ferez jamais une loi de ce genre.

M. Devaux. - Messieurs, je regrette vivement de voir M. le ministre de la justice s'opposer, non pas suivant le programme du cabinet, en ministre de conciliation, mais en vrai ministre d'irritation, (Interruption.)

Messieurs, je suis arrivé hier à la Chambre avec le désir de pouvoir aller plus loin que la section centrale, je suis arrivé avec le profond désir de pouvoir me rapprocher de l'opinion du gouvernement, de pouvoir adopter même ce que le gouvernement proposait, si ses explications calmaient mes scrupules. J'ai écouté la discussion avec le plus grand soin ; eh bien, je n'ai entendu d'un côté de cette Chambre, que des suppositions les plus outrageantes pour les objections les plus modérées.

J'ai entendu repousser toute espèce de modifications conciliantes, rejeter avec dédain tout effort, tout examen approfondi ayant pour but d'arriver à une entente commune, et hier, comme aujourd'hui, j'ai vu M. le ministre de la justice se ranger de ce côté qui ne veut pas même rechercher si on peut se mettre d'accord, prendre le ton le plus cassant, présenter toutes les opinions par leur côte le plus extrême, comme s'il prenait plaisir à diviser l'assemblée.

Est-ce là le rôle d'un sage gouvernement ? Tandis qu'il vous serait probablement peu difficile d'avoir pour votre loi la presque unanimité des voix, ce qui, vous devriez le comprendre, serait si désirable, vous vous exposez de gaieté de cœur au hasard d'un vote comme celai d'hier, où vous ne l'avez emporté que d'une seule voix.

Messieurs, lorsqu'on est si près de s'entendre... (Murmures,) Y aurait-il donc ici des personnes qui verraient cette entente avec regret ? (Interruption.)

Je dis, messieurs, que si on ne veut que le fond des choses et qu'on ne s'attache pas obstinément à une forme qui peut être bonne dans l'esprit de quelques-uns et être dangereuse pour les autres, il n'est nullement impossible de se mettre d'accord.

Au fond, messieurs, quel est le point principal ? C'est de reconnaître que l'assassinat d'un souverain étranger n'est pas un délit politique. Et M. le ministre de la justice a tellement reconnu l'importance de ce point qu'il vient de vous dire que cette déclaration aurait suffi pour autoriser l'extradition de tous les régicides qu'il y a eu eu France depuis Fieschi jusqu'à Pianori.

N'est-ce donc pas là de beaucoup le point le plus important et lorsque nous sommes tous d'accord sur ce point, qu'il ne reste plus qu'à se mettre d'accord sur une partie de la loi qui est d'une application extrêmement rare, n'est-il pas vrai que paur le fond de la loi nous sommes peu éloignés les uns des autres ?

Messieurs, une partie de la Chambre est évidemment sous la préoccupation exclusive du présent ; elle ne songe pas à l'avenir. Je connais des membres de cette partie de la Chambre qui, lorsqu'il s'agissait de faire la loi de 1833, ne songeaient nullement aux dangers que pouvaient courir les souverains, et dont toute la préoccupation exclusive était de donner des garanties aux réfugiés ; eh bien, aujourd'hui on fait tout le contraire et on passe d'une exagération à uua autre.

On a été autrefois beaucoup plus difficile lorsqu'il s'agissait seulement des expulsions qui sont cependant tout autre, chose que les extraditions, c'est ce qu'on pourrait perdre complètement de vue aujourd'hui.

Quant à moi je pense qu'en matière d'expulsions, la Belgique, dans la position où elle se trouve, peut dans certaines circonstances aller assez loin, mais entre l'expulsion et l'extradition la différence est énorme.

L'expulsion, c'est l'interdiction de notre sol à un étranger auquel nous ne devons rien, auquel nous ne nuisons pas et que nous laissons aller où bon lui semble ; mais par l'extradition, nous consentons à nous faire l'instrument d'un gouvernement étranger et nous livrons le réfugié pieds et poings liés à ses châtiments.

Un traité d'extradition, tout le monde semble l'oublier, nous lie non seulement envers les gouvernemeuls actuels de l'Europe, mais encore envers les gouvernements qui leur succéderont. et dont nous ne pouvons savoir ni quelle sera la forme ni quel sera le caractère.

M. Malou. - Vous pouvez le dénoncer.

M. Devaux. - C'est toujours là un acte d'une extrême gravité, et qui peut avoir les conséquences les plus funestes.

Si en réalité nous ne nous obligions par des traités qu'envers les gouvernements actuels de l'Europe, je pourrais adopter la loi avec peu de crainte, car les gouvernements qui nous entourent sont aujourd'hui tous modérés et le temps ne fera que les modérer davantage encore ; mais pouvons-nous oublier à quelles éventualités l'Europe entière est exposée ? N'y a-t-il pas tel pays de l'Europe qui, depuis que notre loi d'extradition, existe, en est déjà à son troisième gouvernement et dans lequel depuis 60 ans les gouvernements n'ont qu'une durée moyenne de 6 ans ?

Or, je suppose que dans un des pays avec lesquels nous avons des traités d'extradition, il éclate une révolution. Je suppose qu'un pouvoir violent, despotique, sanguinaire, ennemi de la propriété, du culte, de lai famille, parvienne à s'emparer d'une partie du pays, qu'une autre partie de ce pays parvienne à se soustraire d'abord à ses fureurs et réussisse à défendre pendant quelque temps contre lui tous ce que les hommes ont de plus sacré ; que cette partie, la plus honnête, la plus respectable de la nation, finisse par succomber après un conflit armé dans lequel un des chefs de cet exécrable pouvoir aura été blessé ; la Belgique, lorsqu'il fera procéder par commissaire au jugement des rebelles, devra-telle, en vertu d'un traité fait avec le gouvernement qui l'aura précédé, et en vertu de (page 727) la connexité du meurtre de celui qui a été atteint dans le conflit, livrer à leur bourreau de nobles victimes qui, loin d'être des assassins, voulaient défendre leur pays contreles assassinats du pouvoir ? Ces victimes pourront être au nombre des hommes les plus distingués de l'Europe, peut-être les principaux chefs du clergé se trouveront-ils parmi elles, peut-ètre y verrait-on également les membres d'une de ces mêmes familles royales ou impériales, dans l'intérêt desquelles la loi paraît conçue.

Messieurs, si de pareils faits peuvent se réaliser, les scrupules que cette partie de la loi, d'une application fort rare, nous inspire, pouvez-vous dire qu'ils ne soient pas respectables ?

Croyez-vous qu'ils ne méritent pas d'examen ? Croyez-vous que si dans cinq, dans dix, dans vingt ans, un fait de ce genre venait à se réaliser, le vote favorable que vous auriez émis aujourd'hui ne vous laisserait ni remords ni regrets ? Ces regrets, si nous pouvons nous les épargner en nous écoutant mutuellement avec un peu de condescendance, la prudence la plus vulgaire ne nous le commande-t-elle pas ?

Vous ne pouvez nier que la rédaction du gouvernement présente des dangers.

Avec une pareille loi et les traités qu'elle autorise, si dans la guerre de Pologne un des archiducs de Russie avait été blessé, le Tzar en rendant ce fait connexe dans une accusation à celui de la révolte générale, aurait pu vous demander de livrer à ses tribunaux tous les Polonais qui se sont trouvés en Belgique.

Je reconnais que nous avons des devoirs à remplir ; je veux aller aussi loin que nous le pouvons avec dignité et prévoyance ; mais il n'y a aucune raison pour prendre une résolution précipitée.

Cette hâte même, messieurs, n'est pas de la dignité de la Chambre. Je ne sais vraiment d'où vient cet excès de zèle et de chaleur que quelques-uns y mettent, car assurément il ne s'agit pas même ici d'une question de parti.

Je demande que la Chambre adopte la motion de l'honorable M. Vervoort ; je demande que la matière soit mûrie...

M. Coomans. - Si on présente un amendement.

M. Devaux. - Je n'ai pas l'inspiration aussi soudaine que mon honorable interrupteur ; je ne sais pas trancher les questions les plus difficiles au moyen d'un jeu de mots.

Quant à moi, si on ne me présente pas une rédaction meilleure, une rédaction qui me rassure plus que celle de M. le ministre de la justice, je serai forcé de voter soit pour l’amendement de la section centrale, soit pour celui de l'honorable M. Lebeau.

Mais je ne demande pas mieux que d'aller plus loin, pour que vous inscriviez dans la loi une garantie contre les dangers que j'ai signalés.

M. Malou (pour uue motion d'ordre). - Messieurs, il me semble qu'il y a un moyen de concilier toutes les opinions ; d'honorables membres ont des scrupules, des doutes ; eh bien, qu'on remette la suite de la discussion à demain. Quant à nous, nous ne voyons rien de mieux à faire que d'adopter le projet du gouvernement. Que ceux qui sont d'un autre avis se réunissent demain avant la séance, et formulent une disposition ; nous serons les plus conciliants du monde ; mais nous concilier avec rien, c'est impossible.

Je demande la remise de la discussion à demain.

M. le ministre des finances (M. Mercier). - Messieurs, l’honorable M. Malou vient de faire une proposition qui me paraît tout concilier. Pourquoi faut-il que le bureau nomme une commission et la substitue à la section centrale ?

Les membres qui s'opposent à la loi, telle qu'elle est présentée, trouveront bien parmi eux cinq ou six jutisconsultes très éclairés qui formuleront, s'il y a lieu, un nouvel amendement. Mais il n'y a pas d'exemple que la Chambre ait retiré à une section centrale l'examen d'un projet de loi pour le transférer à une commission. Cela est contraire à nos usages ; je le répète, les honorables membres qui repoussent la rédaction du gouvernement et qui voudraient une autre rédaction, peuvent se réunir ; qu'ils préparent un amendement, qu’ils le déposent ; on l'appréciera.

M. Frère-Orban. - Si vous voulez être conciliants, permettez qu'on s'éclaire. (Interruption.)

M. de Liedekerke. - Je demande la parole.

Vous nous accusez d'obscurantisme ; mais éclairez-nous, présentez un amendement.

M. Frère-Orban. - Nous voulons précisément vous éclairer.

- Plusieurs voix. - Levez la séance ! levez la séance !

M. le président. - Si le tumulte continue, je suspendrai la séance.

M. le ministre des finances (M. Mercier). - Vous pouvez trouver dans votre sein des jurisconsultes très distingués pour approfondir la question et présenter une conclusion ; je ne vois pas pourquoi vous exigez, pour atteindre ce but qu’une commission soit nommée par le bureau, en dépouillant une section centrale du mandat que les sections lui ont conféré.

M. de Moor. - M. Mercier fait de cette affaire une question de parti, je l'ai entendu le dire à M. Vander Donckt. (Interruption.)

- - Un grand nombre de voix. - A demain ! à demain ! Levez la séance !

- D'autres voix. - Votons !

- Voix. - La motion d'ordre !

M. le président. - J'ai dit que si le tumulte continuait, je suspendrais la séance ; le tumulte a continué, je suspens la séance pour une heure, aux termes de l'article 32 du règlement,

M. Frère-Orban. - Restons avec calme sur nos bancs jusqu'à' ce que la séance soit reprise.

- La séance est suspendue à 5 heures 5 minutes.


A 6 heures 5 minutes la séance est reprise.

M. Verhaegen. - J'avais demandé la parole sur la motion d'ordre avant la suspension de la séance, M. je président vient de me l'accorder.

Je crois qu'il n'y a pas lieu d'adopter la motion d'ordre de M. Malou qui a proposé de continuer la discussion à demain. Il y avait eu hier une proposition de renvoyer l'amendement de M. Lebeau à l'examen de la section centrale, je l'avais appuyée parce qu'il me semblait que pour s'éclairer, il était nécessaire d'avoir un examen plus approfondi. On s'est opposé au renvoi, je lc sais trop pourquoi, et le ministère entier s'est associé à cette opposition.

Aujourd'hui, à mon grand étonnement, l'un des ministres, combattant la proposition de renvoi à l'examen d'une commission spéciale faite par l'honorable M. Vervoort, a exprimé la pensée qu'il convenait de renvoyer à l'examen de la section centrale. Hier le cabinet tout entier s'opposait à tout renvoi à la section centrale ; aujourd'hui un membre du gouvernement vient reconnaître qu'il y aurait convenance de renvoyer à la section contrale. Cette proposition de M. Mercier fait justice de la motion de M. Malou, car M. Malou se borne, à demander le renvoi de la discussion à demain.

Il donne pour raison que les membres de la gauche pourraient avoir une réunion, nommer une commission et élaborer un projet quelconque qui serait de nature à être examiné en séance publique demain et sur lequel on pourrait voter.

Il semble, à la manière dont on s'en explique, qu'il soit question d'une affaire de parti comme on l'a dit tantôt. Ce seraient les membres de la gauche qui devraient élaborer un contre-projet pour remplacer celui du gouvernement.

Nous examinons le projet du gouvernement, nous trouvons sur le terrain deux amendements : celui de la section centrale et celui de M. Lebeau. Nous avons la franchise de déclarer que nous qui sommes disposés à donner les mains à une bonne loi, qui avons le désir qu'elle puisse être votée à l'unanimité, nous avons, dis-je, la bonne foi de déclarer que ni l'amendement de la section centrale, ni celui de M. Lebeau n'atteignent le but que nous nous proposons. Nous désirons arriver à un résultat plus satisfaisant.

C'est pour cela que nous demandons le renvoi à l'examen d'une commission spéciale. Nous n'avons pas un conseil d'Etat qui prépare les lois ; dans d'autres pays il y a des corps chargés de ce travail, de sorte que les lois arrivent devant les Chambres, bien étudiées, bien examinées, bien élaborées. C'est chose dangereuse, que d'examiner et de voter en séance publique des amendements improvisés. Nous avons vu déjà les inconvénients d'amendements ainsi introduits dans les lois,, on rtgretle de les avoir adoptés sans examen suffisant, la loi en souffre ; on s'en aperçoit quand il est trop tard ; on en éprouve les inconvénients. Il faut donc examiner les amendements avec toute la maturité que la chose comporte.

C'est dans le cabinet, dans les sections, dans une Chambre où l'on se trouve en comité qu'on fait de ces choses-là, mais pas en séance publique, où l'on se laisse entraîner par des improvisations. Ce danger est reconnu par tout le monde Ainsi ce n'est pas en séance publique que nous pouvons examiner des questions de cette importance.

Tous nous voulons un seul et même résultat. Mais nous ne sommes pas d'accord sur les mots. Examinons donc et sérieusement.

Le vrai moyen est celui proposé par l'honorable M. Vervoort : c'est de renvoyer à une commission spéciale qui serait composée de membres qui jusqu'à présent n'ont pas pris part aux délibérations de la section centrale.

Cette commission, qui serait nommée par le bureau, examinerait avec impartialité et avec le temps que les discussions exigent, les difficultés qui ont surgi. Cette commission ferait son rapport, car je ne pense pas qu'un retard de 2 fois 24 heures offrît le moindre inconvénient.

Ya-t-il véritablement urgence ? Pourquoi donc ? Je ne le comprends pas.

Je voudrais savoir quels motifs l'on a pour s'opposer à ce que la Chambre s'éclaire. Je ne puis croire que ce soient des motifs d'amour-propre. Il n'y en a pas sur ces questions-là. Qu'on me dise pourquoi l'on ne veut pas examiner, pourquoi l'on cherche de petits moyens pour échapper aux conséquences de la proposition de mon honorable ami. Nous avons, par suite, perdu toute une séance, et nous perdions toute la séance de demain.

Si l'on avait fait droit à la proposition que notre honorable collègue avait soumise à la Chambre, déjà la section centrale a examiné, l'honorable M. Lelievre s'était engagé à faire un rapport. Nous aurions eu le rapport à l’ouverture de la séance. Nous serions arrivés à un résultat. Mais l'honorable M. Malou a dit : Discutons, et nous verrons après s'il y a lieu de renvoyer à ia section centrale. Puis quand nous venons faire une proposition analogue, on nous dit qu'elle a déjà été faite et rejetée.

(page 728) Le renvoi à une commission centrale doit avoir la préférence parce que l'honorable M. Lebeau, qui fait partie de la section centrale et la section centrale elle-même ont présenté des amendements.

Je demanderai à M. le ministre de la justice pourquoi, je ne veux pas dire cet entêtement, mais cette persistance à vouloir que la Chambre n'examine pas.

On considère cette loi comme une loi politique, touchant à des intérêts internationaux.

Ne serait-il pas fâcheux qu'une loi de cette nature fût, comme la motion d'hier, votée à une voix de majorité ? Ne serait-il pas préférable d'arriver, comme on le pourrait sans doute par un mûr examen, à l'unanimité des voix ! Remarquez que si on se refuse à examiner la loi, la loi sera votée à une très faible majorité ; car ceux à qui vous aurez refusé les lumières qu'ils réclament voteront contre la loi.

Je demande donc que l'on adopte la proposition de l'honorable M. Vervoort.

Il me paraît évident qu'à la manière dont les choses se sont passées, on est arrivé par le fait à un résultat que l'on n'a pas pu obtenir par le droit. Ceux qui nous combattaient se sont retirés. C'est ce que l'on voudra bien constater.

M. le président. - Il n'y a plus d'orateurs inscrits. En conséquence la discussion est close sur la motion d'ordre.

M. Visart. - La Chambre n'est plus en nombre.

- Plusieurs membres. - L'appel nominal !

M. le président. - Le bureau vient de constater que la Chambre n'est plus en nombre.

M. de Perceval. - Je demande que ce soit constaté par appel nominal.

M. Loos. - Avant qu'il soit procédé à l'appel nominal, je désirerais savoir si M. le ministre de la justice persiste à s'opposer au renvoi à une commission.

M. le ministre de la justice (M. Nothomb). - Je ne puis que répéter ce que j'ai dit tantôt. Le renvoi me paraît inutile. Une rédaction qui résolve des hypothèses la plupart imaginaires, que l'on s'est efforcé de combiner, me semble impossible.

La section centrale l'a tenté, d'honorables membres l'ont essayé ; leurs efforts ont été vains. Je crois donc devoir maintenir le projet de loi qui a été mûrement examiné, et dont tous les termes ont été peséa avec le plus grand soin.

M. le président. - La discussion a été close sur la motion d'ordre. Il s'agit de voter.

M. Devaux. - Je ne comprends pas que l'on déclare la discussion close, et qu'on déclare ensuite que la Chambre n'est plus en nombre.

M. Frère-Orban. - C'est l'observation que je voulais faire. La discussion ne sera pas close si l'on n'est pas en nombre.

- Un grand nombre de membres. - C'est évident.

M. le président. - Il va être procédé à l'appel nominal pour constater si la Chambre est en nombre.

- M. Ansiau procède à l'appel nominal, qui constate la présence de 47 membres seulement.

Ce sont : MM. Allard, Ansiau, Calmeyn, Closset, Coppieters 't Wallant, Dautrebande, de Baillet-Latour, de Bronckart, Rogier, de Decker, Delfosse, Deliége, de Moor, de Naeyer, de Perceval, de Pitteurs, Dequesne, de Renesse, de Steenhault, Devaux, Dumon, Frère-Orban, Goblet, Lange, Laubry, Lebeau, Lelièvre, Lesoinne, Loos, Maertens, Manilius, Moreau, Orts, Pirmez, Prévinaire, Sinave, Thiéfry, Thienpont, Tremouroux, Vandenpeereboom, Van Grootven, Van Iseghem, Verhaegen, Vervoort, Veydt, Vilain XIIII et Visart.

- La séance est levée à six heures et demie.