Accueil Séances Plénières Tables des matières Biographies Livres numérisés Note d’intention

Chambres des représentants de Belgique
Séance du vendredi 25 avril 1856

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1855-1856)

(Présidence de M. Delehaye.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 1195) M. Ansiau procède l'appel nominal à 2 heures et un quart.

M. Maertens donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier.

- La rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la Chambre

M. Ansiau présente l'analyse des pétitions adressées à la Chambre.

« Le sieur Jean-Baptiste Lynen, agréé facteur à la station du chemin de fer à Ostende, prie la Chambre de donner suite à sa demande de naturalisation et de l'exempter du droit d'enregistrement. »

- Renvoi à la commission des naturalisations.


« Le conseil communal d'Herck-la-Ville prie la Chambre d'accorder à la société Goddyn-Riche-Verhaegen la concession d'un chemin dé fer d'Anvers à Hasselt par Diest. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi relatif à la concession de plusieurs lignes de chemin de fer.

« L'administration communale de Beersel prie la Chambre d'accorder la concession d'un chemin de fer de Lierre à Hasselt par Heyst-op-den-Berg, dont le projet a été soumis au gouvernement. »

- Même décision.

Projet de loi révisant la législation sur le régime commercial

Rapport de la section centrale

M. Van Iseghem. - J'ai l'honneur de déposer le rapport de la section centrale qui a examiné le projet de loi portant révision des lois relatives au régime commercial.

- La Chambre ordonne l'impression et la distribution de ce rapport et le met à la suite des objets à l'ordre du jour.

Rapports sur des pétitions

M. Coppieters 't Wallant (pour une motion d’ordre). - Messieurs, j'ai demandé hier l’impression des explications que M. le ministre des finances, pour satisfaire à la décision prise par la Chambre, a fournies sur la pétition de l'administration communale de Bruges, concernant la révision de la loi des patentes.

Il paraît que ma demande a été mal comprise et que le bureau, en l'absence d'une décision formelle de la Chambre, hésite à ordonner l'insertion de ce document dans nos Annales.

Pour qu'il n'y ait plus de doute à cet égard, je fais aujourd'hui la motion formelle d'ordonner l'impression dans les Annales parlementaires du document auquel je viens de faire allusion ; j'espère que la Chambre voudra bien y consentir.

- La Chambre décide que les explications de M. le ministre des finances seront insérées dans les Annales parlementaires.


M. le président. - La commission conclut au renvoi de la pétition sur la requête du comte Vander Meere à M. le ministre de la justice.

M. Osy (pour une motion d’ordre). - Je demande la parole pour une motion d'ordre.

L'honorable M. Ch. de Brouckere nous a envoyé une lettre par laquelle il réfute plusieurs assertions contenues dans le mémoire de M. Vander Meere. Je demande la lecture de cette lettre et son insertion dans les Annales parlementaires, car celui qui est accusé doit pouvoir se défendre.

- Cette proposition est adoptée.

M. Rogier. - Comment se fait-il que le mémoire dont il s'agit ait été inséré aux Annales parlementaires ? La Chambre n'en avait pas ordonné l'impression. Si nous devons, comme cela est juste, accueillir et faire imprimer toutes les réclamations auxquelles ce mémoire peut donner lieu, les Annales parlementaires pourront se grossir beaucoup. Du reste, je reconnais la parfaite convenance d'accueillir la demande de l'honorable M. de Brouckere.

M. Vander Donckt. - Je ferai remarquer à mon honorable collègue M. Rogier que la lettre de M. Ch. de Brouckere est conçue en dix lignes et tend uniquement à rectifier deux faits historiques qui se sont passés et dont il est parlé dans le mémoire du comte Vander Meere.

J'ai pris lecture de cette lettre et je ne vois aucun inconvénient à ce qu'il en soit donné lecture et à ce qu'elle soit insérée dans les Annales parlementaires. C'est une déférence envers un honorable collègue que nous regrettons tous de ne plus voir parmi nous.

M. Maertens, secrétaire, donne lecture de la lettre de M. Ch. de Brouckere. Elle est ainsi conçue :

« Bruxelles, le 21 avril 1856.

« A Messieurs les Président et Membres de la Chambre des Représentants.

« Messieurs,

« Dans votre séance du 19 de ce mois, le rapporteur de la commission des pétitions a élevé une requête de M. le comte Vander Meere à la hauteur d'un document historique.

« Je me vois donc à regret forcé de protester contre deux assertions qui me concernent personnellement, et je le fais sans scrupule, parce que ma protestation n'enlève rien à l'intérêt que pourrait vous inspirer le pétitionnaire

« Ministre de l'intérieur, le 7 août 1831, je n'étais pas à Tongres, comme on le prétend, mais à Louvàin où je suis resté jusqu'au 10 suivant.

« Ministre de l'intérieur, je n'ai envoyé personne chercher à Namur le lieutenant-général Goethals ; tout au contraire, j'ai protesté contre la présence de cet officier général à Liège, et, à mon arrivée sur les lieux, j'ai fait reprendre le commandement des troupes par le lieutenant général Daine.

« J'ose espérer, Messieurs, que vous voudrez bien ordonner l’impression de ce qui précède aux Annales parlementaires ; jè vous en fais l'humble supplique, et vous prie d'agréer l'expression de ma haute considération.

« Ch. de Brouckere. »

M. Rodenbach. - J'appuie le renvoi de la pétition du comte Vander Meere à M. le ministre de la justice, et j'ose espérer que, grâce à la magnanimité royale,, le petit nombre de condamnés politiques qui se trouvent encore sous le coup de leur peine ne tarderont pas à être graciés. La force d'un gouvernement comme le nôtre, assis sur la popularité èt la modération, ne craint point la clémence. Si je suis bien instruit, messieurs, il ne reste plus qu'un seul condamné politique sous les verrous, et deux exilés sur parole ; voilà le bilan judiciaire de notre politique, cela fait honneur à la Belgique. Cette statistique est belle, mais elle serait encore plus belle, si la prison s'ouvrait devant le dernier prisonnier et la frontière pour les exilés ; c'est le vœu que je forme, tout en respectant la prérogative royale.

M. Van Overloop. - Messieurs, je crois qu'il y a lieu de passer simplement à l'ordre du jour sur la pétition du comte Vander Meere.

Comme vous le savez, le comte Vander Meere a été condamné par arrêt du 25 mars 1842 à la peine de mort. Une première commutation, de cette peine a eu lieu en celle des travaux forcés à perpétuité avec exemption de la marque. Cette première communication a été suivie d'une seconde en vingt années de réclusion ; aux termes de la loi, la durée de la réclusion est de dix ans au maximum et remarquez-le, messieurs, la peine à été commuée en vingt années de cette peine, par conséquent en dix années de plus que ne semble le permettre la loi.

Je dis « que ne semble » car la question me paraît mériter un examen très approfondi et je n'oserais la trancher en ce moment.

Cette seconde commutation fut suivie d'une troisième commutation sur la demande formelle de M. le comte Vander Meere, qui s'engageait d'honneur, comme on le trouve dans sa pétition adressée à la Chambre, à quitter l'Europe et à ne plus y revenir sans l'autorisation du Roi. Je ne sais pas si le comte Vander Meere a tenu l'engagement d'honneur qu'il a pris en 1843, je ne sais pas s'il a obtenu du Roi l'autorisation de rentrer en Europe. Peu m'importe, du reste. Toujours est il que nous n'avons pas, je pense, à nous occuper de la pétition du comte Vander Meere ni à en demander le renvoi à M. le ministre de la justice, parce que ce renvoi, d'après moi, serait chose parfaitement inutile.

Ou l'arrêté pris par le Roi, en 1843, commuant la peine de vingt années de réclusion en un bannissement perpétuel est légal, où il n'est pas légal ou la question est douteuse. Il n'y a que ces trois cas qui puissent se présenter.

Si l'arrêté est légal, incontestablement il est tout à fait inutile de renvoyer la pétition de M. le comité Vander Meere, à M. le ministre de la justice ; si l'arrêté est illégal, M. le comte Vander Meere peut rentrer en Belgique ; si la question est douteuse, M. le comte Vander Meere n'a qu'à se présenter à la frontière, et le pouvoir compétent tranchera la difficulté. Ce pouvoir, c'est le pouvoir judiciaire, seul compétent pour fixer le sens des lois, seul compétent pour décider si l'arrêté est légal ou s'il est illégal.

Mais, messieurs, ce n'est pas la seule considération pour laquelle je crois devoir m'opposer au renvoi de la pétition à M. le ministre de la justice. Cette mesure n'aurait, en ce qui concerne le pétitionnaire, aucun effet.

Quelle est la personne qui s'adresse à nous ? est-ce un Belge ? M. le comte Vander Meere reconnaît dans sa pétition qu'il n'est plus Belge ; il a accepté la petite naturalisation en France, en 1849 ; c'est un Français. Que résulte-t-il de ce fait ? C'est que, dans l'hypothèse que l'arrêté soit illégal, cette illégalité ne profitera en rien au comte Vander Meere. En effet, le gouvernement belge pourra toujours interdire à ce pétitionnaire l'entrée du territoire ; car la loi sur les étrangers lui sera applicable. Nous ne sommes donc pas saisis de la demande d'un Belge qui se trouverait sous le coup d'une peine illégale ; nous sommes saisis de la demande d'un étranger qui veut rentrer en Belgique et qui ne peut plus y rentrer sans l'autorisation formelle du Roi. Je le demande, messieurs, dans ces circonstances, à quoi bon renvoyer la pétition de M. le comte Vander Meere à M. le ministre de la justice ?

Tels sont, messieurs, les motifs qui m'ont engagé à combattre les conclusions de la commission des pétitions et à vous proposer, sans y attacher grande importance, de passer purement et simplement à l'ordre du jour.

M. Verhaegen. - Messieurs, si je prends la parole, ce n'est certes pas dans l'intérêt du pétitionnaire, car la position dans laquelle se place M. le comte Vander Meere n'éveille pas mes sympathies. Une parole aurait été donnée solennellement et une parole donnée impose des devoirs. Mats au-dessus de la question de personne il en est une autre, et le silence en pareil cas serait condamnable. Il s'agit de l'intérêt de la loi, il s'agit de la dignité du gouvernement, il s'agit de la prérogative royale. Quand un fait tel que celui qui est indiqué dans la pétition du comte Vander Meere est signalé à la législature, il faut que la législature, s'il y a lieu, blâme le gouvernement qui a posé l'acte. Eh bien, messieurs, dans mon opinion, il ne s'agit pas d'une question douteuse, mais bien d'une illégalité flagrante que nous devons flétrir. C'est dans ce seul but que je prends la parole.

Messieurs, l'honorable M. Van Overloop vous a exposé exactement les faits. Le comte Vander Meere avait été condamné à la peine de mort. Une première commutation de peine avait eu lieu : la peine de mort avait été changée en celle des travaux forcés à perpétuité ; là, on était resté dans les limites tracées par la loi. Plus tard, la peine des travaux forcés à perpétuité a été commuée en une peine qui n'existe pas dans nos lois pénales, en vingt années de réclusion ; le maximum de la réclusion est de dix années. Plus tard encore, par suite d'un engagement qui aurait été pris par le pétitionnaire envers le gouvernement, la peine de vingt années de réclusion a été enfin commuée en une peine qui n'existe pas non plus dans nos lois pénales, en un bannissement perpétuel. Le bannissement ne peut avoir lieu que pour 10 années au maximum.

La question qui se présente est donc celle-ci : Quelque respectable, quelque inviolable que soit le droit de grâce, le Roi peut-il, en usant de cette prérogative, substituer une peine plus forte à une peine moindre ? La solution de cette question n'est pas douteuse. Il est évident que le ministre qui a contresigné l'arrêté de grâce a compromis la dignité du gouvernement et a mis à découvert la royauté.

Cet arrêté porte la date du 23 mars 1843, et à cette époque un publiciste, appartenant au barreau de Bruxelles, et qui est aujourd'hui échevin de la ville de Bruxelles, l'honorable M. Henri Lavallée, fit à cet égard un travail remarquable qui a été inséré dans la « Belgique judiciaire », première année, page 125.

. La question étant très importante, je me permettrai de vous donner lecture de ce travail, qui vous démontrera qu'il ne serait pas convenable de passer purement et simplement à l'ordre du jour. Ce n'est pas qu'en appuyant le renvoi de la pétition à M. le ministre de la justice, je veuille prétendre que le comte Vander Meere ait quelques droits à exercer, surtout dans la position qu'il a prise vis-à-vis d'un gouvernement étranger ; le gouvernement sera libre de faire ce que les circonstances lui commanderont. Je ne veux rien préjuger à cet égard. Mais si les conclusions de la commission des pétitions sont adoptées, c'est dans cet ordre d'idées qu'il y aura des explications à donner, quant à l'acte posé par le ministère de 1845. Il ne faut pas que cet acte passe inaperçu, ne reste pas sans blâme, s'il doit être blâmé ; il faut que nous sachions à quoi nous en tenir.

Voici le travail de l'honorable M. Lavallée :

« Nous avons parlé du changement apporté à la captivité des condamnés politiques, par l'arrêté de grâce qui les a retirés de la prison pour les jeter hors de leur patrie, et leur faire expier au-delà des mers le fol essai de conspiration qui les a perdus.

« La peine si étrange d'une réclusion fixée à vingt ans, celle, plus étrange encore, d'un bannissement perpétuel, nous ont naturellement amené à dire que ces commutations étaient entachées d’illégalité. Cette affirmation, que la réflexion n'a pas entamée, est l'énonce rigoureux d'une conviction profonde. Nous n'obéissons, en prenant la plume, à aucune partialité amicale ou haineuse ; d'accord avec l’opinion publique, nous apprécions toute la convenance de l'arrêté qui met fin à la captivité du général Vander Meere, de Van Laethem et de Verpraet, dans un moment où l'installation définitive de rapports sans arrière-pensée entre la Belgique et la Hollande a dû enlever aux apologistes du royaume des Pays-Bas, aux ennemis, de l'indépendance belge, leur derniére espérance. Mais l'approbation des idées bonnes et généreuses qui ont dicté l'acte de clémence ne doit pas s'étendre jusqu'au mode adopté pour sa réalisation. Le dédain des principes constitutionnels, la violation de la loi pénale, cette espèce de transaction sur des matières qui intéressent si hautement l'ordre public sont, à coup sûr, choses très graves pour qu'on puisse ne pas s'en enquérir ; et c'est aussi pour cette raison que nous croyons devoir donner de nouveaux développements au premier jugement que nous avons porté.

« Dans tous les temps, le droit de grâce a été regardé comme la plus haute prérogative du pouvoir. Le droit dominateur de la législation criminelle n'est pas l'oeuvre arbitraire du caprice de l'homme ; il relève d'un principe de justice réelle, il puise ses conditions dans l'humanité ta plus pure. Planant au-desus de toutes les peines pour les dégager de ce qu'elles ont de trop acerbe, formant un dernier recours contre le malheur des circonstances, permettant à la société d'ouvrir ses bras miséricordieux au repentir, le droit de grâce, tel qu'il se montre à nous, est le complément nécessaire de la justice humaine toujours faillible et imparfaite. Toutefois, malgré l'étendue de ce bel attribut de la royauté, il ne faut pas croire qu'il soit indépendant de la législation, et ne connaisse aucunes limites, Au-dessus des lois pénales par sa nature, en ce sens qu'il donne la faculté de remettre ou de réduire les châtiments, il n'a cependant de sphère d'action que dans la dépendance de la loi. Comme toutes les institutions sociales, la grâce perdrait sa force et ne serait plus rien, si on cessait de la rattacher à la loi de qui elle tient son existence.

« La Constitution belge a minutieusement tracé le cercle dans lequel doit se mouvoir la prérogative royale. Il n'y a ni doute ni incertitude dans les divers textes constitutionnels ; les termes en sont clairs et positifs. D'un côté, on accorde au Roi le droit de remettre où de réduire les peines prononcées par les juges ; de l'autre, on ordonne aux cours et tribunaux de n'appliquer les arrêtés qu'autant qu'ils seront conformes aux lois (articles 73 et 107.) La conséquence à laquelle conduisent inévitablement ces solides maximes, c'est que les actes du gouvernement ne peuvent jamais outrepasser la loi ou lui être contraires. S'ils transgressent la règle constitutionnelIe, ils envahissent arbitrairement le domaine de la législation en vertu d'un droit imaginaire ou d'une prétention sans fondement.

« Dans l'arrêté de grâce du mois de février, la rupture avec la loi est d'une évidence frappante ; cette fois les faits parlent, il n'y a guère de discussion possible. Aux termes de l'article 32 du Code pénal, la durée du bannissement est de dix ans au plus ; dans le système du Code, l'éloignement de la patrie n'est donc qu'une pénalité temporaire, et le banni a toujours la perspective consolante de revoir son pays. Les tribunaux, pas plus que le pouvoir exécutif, n'ont à rechercher si cette peine est trop douce pour celui que de fausses idées politiques, l'esprit de parti, ou une ambition mal entendue ont porté à conspirer dans le but d'arracher à une nation ses libres institutions : dès que le bannissement est prononcé, le condamné ne doit subir qu'une peine temporaire. En usant du droit de grâce, le Roi se constitue juge des cas ou il faut appliquer des châtiments sévères ou tempérer la rigueur de la loi. L'échelle pénale lui laisse toute latitude pour infliger au coupable une peine qui, répondant à la nature et au degré du crime, satisfasse les exigences sociales. Si l'on croyait devoir séparer pour toujours le général Vander Meere de la société, il fallait le réléguer à Bouillon, l'y conserver perpétuellement captif. Si l'on jugeait prudent de lui ravir ses relations et sa patrie, il fallait obéir à la loi et exiler temporairement le condamné du territoire belge. Au lieu d'agir ainsi, on dénature le droit de grâce, puisqu'on ne le laisse pas dans sa vérité ; on déclare le bannissement éternel et les préoccupations de la politique font oublier la législation criminelle et la Constitution. Des relations indiscrètes ajoutent encore à la bizarrerie de cette combinaison aussi inattendue que singulièrement tramée ; on parle d'un acquiescement du condamné à la nouvelle peine qui le frappe, comme s'il appartenait au gouvernement d'importer dans l'administration de la justice des transactions privées !

« Entrons dans le fond des choses. Le pouvoir royal s'est transporté sur un terrain où tous les points d'appui lui manquent. Le droit de grâce n'est plus aujourd'hui ce qu'il était autrefois ; aux siècles passés, le cours même de la justice était fort souvent arrêté au moyen de lettres de rémission, de pardon ou d'abolition, qui éteignaient les crimes avant leur jugement et rétablissaient les coupables dans leurs droits et bonne renommée. La monarchie était alors au faîte de sa puissance, l'autorité royale ne connaissait guère de bornes. Ces abus n'existent plus. Comme toutes les institutions, le droit de grâce a changé de caractère avec les âges. La clémence n'est permise qu'après la condamnation du coupable, et la grâce est réduite à la remise et à la commutation des peines. Le texte de la Constitution n'est pas pliable à tous sens, on n'en fait point ce que l'on veut : il ramène forcément sous les principes communs à la prérogative royale. Après la condamnation à mort, le Roi avait la faculté de disposer de toutes les pénalités criminelles ou correctionnelles, il pouvait exercer dans toute sa plénitude légale le droit de commutation. Le catalogue pénal est assez riche, les punitions sont assez variées, pour qu'on pût faire un choix. Mais porter un arrêté dans lequel deux peines se donnent, pour ainsi dire, rendez-vous ; combiner la déportation (article 9 de la Constitution) avec le bannissement ni c * prunier$ à t'utile la perpétuité, prendre à l'autre son nom pour en faire un instrument d’affliction et d'infamie « sui generis », c'est en vérité dépasser toutes les hardiesses légitimes, c'est véritablement créer une peine !

« Nous ne traçons ici ni fantaisies ni chimères, et nous avons presque honte d'insister sur des idées aussi simples, car chacun sait que nulle peine ne peut être établie, ni appliquée, qu'en vertu de la loi (la peine de la déportation n'a jamais été exécutée en Belgique ni en France, parce que l’on n'a pas de colonies pénales où la translation des condamnés aurait eu lieu). On conviendra avec nous que le pas qui vient d’être fait est grand : mais la carrière à parcourir est immense, si les principes qui viennent d'être posés par le gouvernement passent dans le droit public de la Belgique. Nous reviendrons, en matière pénale, à un régime de pouvoir discrétionnaire, de peines arbitraires, de (page 1197) droit de grâce de nature fort équivoque. Une nouvelle échelle de fautes et de répressions sera établie par arrêtés. Tout va changer de face dans le Code pénal, car l'idée sera féconde dans la pratique. Au moyen de cette méthode, la réclusion, dont le maximum ne peut atteindre que dix ans, a déjà été élevée à une durée de vingt ans ; qui sait ? nous apprendrons peut-être bientôt que la réclusion est une peine perpétuelle. Le pouvoir exécutif doit nécessairement obtenir une grande variété dans les modes de punir, quand il lui est loisible tantôt de faire monter les peines au-dessus de leur niveau légal, tantôt de les abaisser. L'emprisonnement, par exemple, qui, ainsi que le porte l'article 464 du Code pénal, ne peut être moindre d'un jour complet de vingt-quatre heures, va devenir divisible à l'excès (on sait que la divisibilité est la première qualité désirable dans les peines) ; on pourra le réduire à quelques heures de détention.

« Nous mettons un terme aux observations que nous avons cru devoir soumettre à nos lecteurs. En blâmant l'usage qui vient d'être fait du droit de grâce, la « Belgique judiciaire » reste fidèle à ses doctrines ; nous écrivions dans notre programme du 4 décembre qu'il importait au plus haut degré à la dignité morale d'un pays de ne laisser perdre à la loi ni son empire ni sa majesté. Or, quoi de plus déplorable que de voir à la fois la Constitution violée, les règles de la loi méconnues, et, pour comble, l'autorité souveraine compromise en stipulant, en quelque sorte, d'égal à égal, avec un condamné dont la loyauté est la seule sanction du contrat ; car en admettant l'existence d'un engagement verbal ou écrit de la part du comte Vander Meere, engagement dont l'existence n'est pas encore bien certaine, par quel moyen lui interdirait-on l'entrée de la Belgique si, méconnaissant sa promesse, il se présentait aux frontières après dix années révolues ? »

Ce que l'auteur de l'article avait prévu en 1843 arrive aujourd'hui. Vous voyez qu'il serait impossible d'ajouter à ce travail, qui est parfait, aucune considération.

Il démontre à la dernière évidence que l'arrêté contresigné en 1843 par l'honorable M. Nothomb (Nothomb premier, bien entendu), est complètement illégal, et que si nous laissons cette question sans nous en occuper et en passant purement et simplement à l'ordre du jour, nous aurions l'air d'approuver d'une manière implicite un arrêté qui, à tous les points de vue, est condamnable.

C'est d'après ces considérations que je pense qu'il y a lieu, non pas dans l'intérêt de M. Vander Meere, mais en raison des principes, de renvoyer la pétition à M. le ministre de la justice.

M. Van Overloop. - J'ai pris connaissance de la dissertation de la « Belgique judiciaire » dont l'honorable M. Verhaegen vient de donner lecture. Je reconnais avec l'honorable membre que les arguments que la « Belgique judiciaire » met en avant sont frappants. Mais d'un autre côté, ils ne me paraissent pas décisifs, La question me paraît assez grave pour que je croie ne pas devoir me prononcer sans en avoir fait un examen approfondi.

Jusqu'où s'étend le droit de grâce ? Telle est la question soulevée par l'honorable député de Bruxelles. Faut-il le réduire aux proportions dont a parlé l'honorable membre ? Et d'abord ne convient-il pas (ce que la « Belgique judiciaire » n'a pas fait) de distinguer entre la peine et la durée de la peine ? Il y a, dans notre législation, plusieurs échelles de peines, et la durée de chacune de ces diverses échelles de peines est déterminée par la loi.

Le droit de grâce peut-il aller jusqu'à combiner deux échelles de peines ? C'est là une première objection qui se présente à mon esprit. Je ne la résous pas, mais je la soumets à l'appréciation de la Chambre.

Il s'élève une seconde objection que je ne résous pas davantage. Le Roi peut-il remettre une peine conditionnellement ? Vous vous rappelez, messieurs, qu'en Angleterre on a introduit avec un grand succès l'exercice conditionnel au droit de grâce.

Or, je me demande si, en vertu de l'article 75 de la Constitution, le Roi ai le droit d'accorder des grâces conditionnellement. En d'autres termes, pourrait-on, en Belgique, appliquer le système anglais ? Je crois devoir soulever cette question, parce qu'elle a été résolue affirmativement en Angleterre, et que le gouvernement anglais s'en trouve très bien au poîut de vue de la répression des crimes et de l'amendement des coupables.

A quoi servirait d'ailleurs le renvoi au ministre de la justice ? Je suppose que M. le ministre soit d'avis que l'arrêté de 1843 est illégal et que M. Vander Meere rentre en Belgique : l'opinion de M. le ministre empêcherait-elle les tribunaux de décider que l'arrêté est légal ? Seuls ils peuvent décider de telles questions. Donc, si M. Vander Meere se représentait en Belgique, il serait probablement arrêté et le pouvoir judiciaire, en vertu de l'article 107 de la Constitution, aurait, quelle que son l'opinion de M. le ministre, à apprécier si l'arrêté est légal ou non.

Ce n'est qu'après la décision du pouvoir judiciaire, qu'on saurait à quoi s'en tenir d'une manière définitive ; tandis que toutes les explications que l'honorable ministre de la justice donnerait sur la quesiion ne trancheraient nullement la difficulté. Elles ne pourraient lier le pouvoir judiciaire si elles étaient favorables à M. Vander Meere ; si M. le ministre de la justice était d'avis que l'arrêté de 1843 est illégal, cela n'empêcherait pas que les tribunaux pusseut l'appliquer et le déclarer légal.

Si je demande qu'on passe purement et simplement à l'ordre du jour, c'est donc par cette considération que le renvoi à M. le ministre de la justice me semble chose parfaitement inutile.

A un autre point de vue, je le répète, je demande qu'on passe à l'ordre du jour, parce qu'en définitive le comte Vander Meere n'est pas un sujet belge. Il est Français, et je ne vois pas pourquoi nous irions nous occuper de questions purement théoriques, alors que nous avons le budget des finances à discuter et que nous avons à employer notre temps d'une manière beaucoup plus utile.

Au fond, du reste, je n'ai aucun motif personnel pour m'opposer au renvoi de la pétition à M. le ministre de la justice. Je soulève des objections, la Chambre les appréciera.

M. le ministre de la justice (M. Nothomb). - Messieurs, je ne comptais pas prendre part à cette discussion, et je voulais laisser la Chambre décider, soit sur la motion de l'honorable M. Van Overloop, soit sur les conclusions de la commission des pétitions. Mais les paroles que vient de prononcer l'honorable M. Verhaegen m'engagent à demander à la Chambre la permission de lui soumettre quelques observations.

L'honorable M. Verhaegen a critiqué vivement un arrêté intervenu en 1845, et qui a commué la peine de vingt années de réclusion du comte Vander Meere en un bannissement perpétuel. L'honorable membre a signalé cet acte de l'administration de 1843 comme illégal, comme inconstitutionnel, comme compromettant gravement la dignité royale.

Je ne veux pas, messieurs, me prononcer ici sur la question de droit qui est au fond du débat soulevé par la pétition du comte Vander Meere. Ainsi que l'a dit l'honorable M. Van Overloop, la question est sérieuse, elle est controversable, elle peut être soutenue dans les deux sens. Sous ce rapport je suis d'accord avec l'honorable député de Saint-Nicolas. Mais je ne puis être d'accord avec l'honorable M. Verhaegen quant à la solution absolue qu'il faudrait dès maintenant donner à la question.

Pour l'honorable M. Verhaegen, la question est simple ; elle est résolue par le texte du Code pénal, elle est résolue par la Constitution, elle est résolue par la nature des choses. Il provoque une espèce de blâme posthume, de blâme rétrospectif en quelque sorte contre l'administration de 1845 qui a proposé la mesure de commutation au Roi.

Si un pareil blâme pouvait être émis, il ne faudrait pas le borner au cabinet de 1843, mais y englober toutes les administrations qui ont été aux affaires depuis 1830. Car toutes, tous les ministres de la justice au moins ont posé des actes analogues qui mériteraient d'encourir la censure que l'honorable M. Verhaegen veut infliger au ministre de la justice de 1843, et si celui-ci est coupable, il l'est en nombreuse compagnie.

Que reproche-ton à l'arrêté de 1843 ? D'avoir outrepassé la limite du bannissement, de l'avoir fait passer du terme de dix ans, qui est inscrit dans le Code pénal, à l'état de perpétuité ; d'avoir, en d'autres termes, étendu la durée d'une peine inscrite dans le Code pénal.

On peut d'abord répondre à cela que la prérogative royale sous ce rapport n'est pas limitée.

Sans doute, le Roi ne peut pas créer de peines nouvelles ; il ne peut pas établir des pénalités dont le principe n'existerait pas dans nos lois pénales, il ne pourrait introduire des peines telles que celle de la détention, du cachot dur ou d'autres de ce genre. Mais ne peut-il pas étendre les peines dont le principe est inscrit dans la loi ? Voilà précisément, quelle est la question. L'essence d'une peine n'est pas dans sa durée, elle est dans sa nature.

Ensuite le Roi est investi inconlestableuier.t du droit absolu de réduire, de mitiger les peines. Or, du moment que le Roi n'aggrave pas les peines, qu'il les mitige, on doit admettre que le Roi reste dans ses prérogatives constitutionnelles. Or, dans l'espèce, le Roi n’a pas fait autre chose.

L'ex-général Vander Meere ayant encouru la peine de mort, avait d'abord obtenu la commutation de cette peine en celle des travaux forcés à perpétuité, et un peu après, celle-ci avait été réduite en vingt années de réclusion ; et à ces différentes peines qu'on pouvait exécuter (on pouvait exécuter la première peine, la peine capitale ; on pouvait exécuter la peine des travaux forcés à perpétuité) ; le Roi, qui pouvait le plus, a usé du moins et, par mesure de grâce, a substitué la peine du bannissement perpétuel sur la demande même du sieur Vander Meere.

Evidemment, cette dernière peine était plus douce qu'aucune de celles qui l'avaient précédée ; il est donc exact de dire qu'ici le Roi n"a pas crée une peine nouvelle, mais que par un acte de clémence, accepté alors avec reconnaissance, il a réduit la peine qu'avait encourue le condamné.

Est-ce là une chose inouïe, une chose unique dans l'espèce qui nous occupe ? J'ai déjà eu l'honneur de le rappeler à la Chambre, toutes les administrations ont procédé de cette manière. C'est la jurisprudence administrative constamment suivie au département de la justice. Ainsi il arrive très souvent que la peine des travaux forcés a perpétuité est commuée en 25 ou 30 ans de travaux forcés.

Or, d'après le Code pénal, les travaux forcés temporaires ne peuvent être que de 20 ans au maximum. Par conséquent, dans le système de l'honorable M. Verhaegen, et suivant la dissertation dont il a donné lecture, une pareille disposition serait également illégale. Cependant, je le répète, tous les ministres de la justice ont contresigné des arrêtes de cette espèce.

Il y a plus : la question qui nous occupe maintenant a été l'objet, si (page 1198) je ne me trompe, des délibérations, de l'administration dont faisaient partie l'honorable M. Rogier et l'honorable M. Frère.

C'est à propos de l'affaire de Risquons-Tout où des condamnations capitales avaient été prononcées contre Spilthoorn et plusieurs autres, Le cabinet de cette époque a commué ces peines, en quoi ? En vingt années de réclusion. C'est-à-dire, selon l'honorabie M. Verhaegen, qu'il a commis une illégalité, qu'il a commis une inconstitutionnalité.

En effet, d'après la lettre du Code, la peine de la réclusion n'est que de dix ans au maximum. Pour Spilthoorn et quelques-uns de ses complices, on a étendu cette peine à vingt ans, pour d'autres à quinze ans, pour d'autres à 12 ans. Autant d'illégalités, selon l'honorable membre.

Dans la pratique on a donc, par formé de faveur, substitué à une peine plus sévère, une peine moins rigoureuse mais d'une durée plus longue que celle déterminée par le Code. Cette jurisprudence a été constante, elle n'a présenté jusqu'ici aucune espèce d'inconvénient et elle ne peut avoir aucun résultat, fâcheux, parce qu'il s'agit toujours d'atténuation implorée ou acceptée avec ardeur par les coupables. Elle n'a rencontré, que je sache, de contradicteurs parmi les jurisconsultes que dans l'honorable M. Verhaegen, dans l'auteur de la dissertation insérée dans la « Belgique judiciaire » en 1843, et, j'ajouterai, dans un commentaire de M. Thonissen sur l'article 73 de la Constitution. Cette jurisprudence est aussi suivie dans d'autres pays.

Je finis en déclarant que si la Chambre trouve convenable de renvoyer cette pétition à l'examen du département de la justice, la question de principe sera plus amplement étudiée et j'en ferai rapport si la Chambre l'exige. Mais je me hâte d'ajouter que je ne vois pas à quoi cela pourrait aboutir. Et ici je me rencontre avec l’honorable M. Van Overloop. Au fond, la Chambre ne me paraît pas compétente pour apprécier à ce point de vue l'étendue du pouvoir royal. C'est au pouvoir judiciaire à décider si l'arrêté dont il s'agit et ceux du même genre qui ont été pris par les divers ministres de la justice sont réguliers. Que le général Vander Meere, oublieux de son engagement, se présente en Belgique, qui n'est plus sa patrie, les autorités judiciaires chargées d'exécuter la loi décideront.

M. Verhaegen. - Messieurs, ce que vient de dire l'honorable ministre de la justice nous prouve qu'il faut faire autre chose que de prononcer l'ordre du jour. L'honorable ministre de la justice vient de nous apprendre que ce n'est pas seulement le cabinet de 1843 qui a posé des actes de la nature de celui que je trouve illégal, mais que de pareils actes ont été posés sous presque toutes les administrations ou même sous toutes les administrations. Ce n'est pas, messieurs, parce que telle ou telle administration, composée de mes amis, a posé tel ou tel acte que je retirerai mes observations. Loin de là. L'acte que j'ai signalé est, dans ma conviction, un acte illégal ; maintenant si l'on est dans l'habitude de poser de pareils actes, actes graves, actes illégaux, d'après moi, la question mérite au moins d'être examinée et si, en définitive, on abuse du droit de grâce, la Chambre doit intervenir. Prononcer l'ordre du jour, ce serait ne pas vouloir s'occuper de la question. Il n’y a d'ailleurs aucune espèce d'inconvénient à renvoyer la pétition à M. le ministre de la justice.

J'appuie les conclusions de la commission.

M. de Perceval. - A l'occasion de la pétition qui nous est soumise, l'honorable M. Rodenbach a fait entendre de généreuses et nobles paroles ; il a demandé une amnistie générale pour tous les condamnés politiques. J'appuie de tout cœur cette motion qui répond également à mes sentiments. Comme lui, je désire que la clémence royale s'étende sur ceux que la justice a cru devoir frapper et qui appartiennent à la classe des détenus politiques.

Je pourrais m'appuyer longuement sur des considérations d'humanité, de justice, de bonne et de sage politique, qui, dans mon opinion, devraient amener cette large mesure d'oubli et de pardon général. Mais je veux me borner à l'expression pure et simple d'un vœu (car, messieurs, veuillez ne pas le perdre de vue, nous n'avons qu'un vœu à manifester dans cette occurrence), et ce vœu, je vais avoir le bonheur de le rendre dans les termes dont s'est servi l'honorable M. de Decker lui-même, aujourd'hui ministre de l'intérieur, lorsqu'il a réclamé, à la séance du 19 novembre 1849, une amnistie complète pour toutes les catégories de détenus politiques.

Voici, en quels termes éloquents l'honorable ministre s'est exprimé à cette époque :

« Je ne me propose pas de présenter à la Chambre, disait-il, des considérations générales sur la situation politique du pays. Il me tarde de placer les discussions de la présente session sous les auspices d'une pensée d'humanité, d'une pensée qui, je l'espère, obtiendra tous vos suffrages. Je viens, du haut de la tribune nationale, demander l'amnistie pour nos détenus politiques.

« Eh bien, aujourd'hui que nous sommes fiers de constater la situation heureuse de la Belgique, aujourd'hui que nous exaltons l'excellence de nos institutions, le bon esprit des habitants, cette sagesse royale à laquelle nous nous plaisons tous à rendre hommage, sachons nous montrer modérés, puisque nous sommes forts ; généreux, puisque nous sommes vraiment libres et tranquilles.

« Je demande donc qu'au nom des sentiments d'humanité qui vous animent tous, la mesure d'amnistie soit étendue à toutes les catégories de détenus politiques...

« Tant qu'a duré la crise politique proprement dite, la sécurité du pays exigeait que ces hommes à tête exaltée, mais souvent aussi au cœur généreux (ne l'oublions pas), fussent mis dans l'impossibilité de propager leurs doctrines qui pouvaient alors offrir des dangers. Mais aujourd'hui que la raison a été satisfaite par ces rigueurs justes, utiles ; aujourd'hui je demande la satisfaction d'un besoin du cœur. J'espère que tout le monde, dans cette enceinte et au-dehors, comprendra les vrais sentiments qui me portent à faire la présente motion. »

Comme l'honorable M. de Decker, je demande aussi aujourd'hui la satisfaction d'un besoin du cœur ; c'est dans le cœur que la véritable politique puise ses plus nobles inspirations.

M. de Mérode. - Il me semble qu'on peut très bien renvoyer la pétition à M. le ministre de la justice, d'après ce qu'il a dit lui-même, et j'ajouterai, d'apiès une observation très juste de l'honorable M. Van Overloop. L'honorable membre nous a rappelé, en effet, qu'en Angleterre on a trouvé fort avantageux de procéder conformément à ce qui a eu lieu dans l'application de la grâce dont il s'agit. Si réellement, en procédant ainsi, on peut obtenir plus utilement la correction de certains condamnés, diminuer le nombre des individus que l'on tient incarcérés, évidemment on aura fait une bonne chose, dès qu'il n'en résuite aucun préjudice pour la répression des crimes et délits.

Désirant mieux profiter de l'importante observation qne nous devons à M. Van Overloop, je crois, différant en cela de son opinion, qu'il serait bon de renvoyer la pétition à M. le ministre de la justice.

Quant à ce qui antérieurement peut avoir été dit par tel ou tel ministre, lorsqu'il était simple député, cela ne peut engager tout un ministère composé de plusieurs membres. Lorsqu'on n'est que représentant on n'a pas la responsabilité de l'action gouvernementale, on occupe une position qui permet plus d'abandon dans l'émission d'une pensée ou d'un désir ; cependant, puisque tel membre d'un cabinet n'y est pas seul, une décision ne peut jamais être prise à cause d'improvisations précédentes sur une question grave que de l'assentiment de la majorité, ' au moins, du conseil.

On a parlé, messieurs, de cœurs généreux. Quant à moi, je ne trouve rien de généreux dans la conspiration qui cherche à priver un pays de son indépendance acquise. Je ne viens pas m'opposer à ce que la clémence du Roi s'exerce à l'égard d'individus qui peuvent se trouver dans le cas d'en obtenir l'effet, mais il m'est impossible de voir trace de générosité dans la conduite qui a motivé les condamnations, dont les peines commuées de certaine manière suscitent le débat où nous sommes en ce moment engagés.

M. Rogier. - Mon intention, messieurs, n'est pas d'aggraver la situation de la personne qui s'adresse à la Chambre, mais j'avais demandé comment ce mémoire (car ce n'est pas une pétition, c'est une espèce de mémoire historique où beaucoup de noms propres, où beaucoup de nos concitoyens se trouvent compromis), j'avais demandé comment ce mémoire s'est trouvé inséré dans les Annales parlementaires, pourquoi ce privilège lui a-été accordé ?

J'ai dit que beaucoup de noms propres, de noms belges, sont accusés dans ce mémoire soi-disant historique ; rien ne sera plus juste que d'accueillir les réclamations auxquelles ces accusations pourront donner lieu. Je demande qu'à l'avenir aucune pétition ne soit insérée aux Annales parlementaires sans une décision de la Chambre.

Du reste, je ne m'oppose pas le moins du monde à ce qu'une mesure de bienveillance soit prise envers le petit nombre de personnes qui peuvent se trouver sous le coup d'une pénalité du chef de faits politiques.

M. Vander Donckt, rapporteur. - Messieurs, c'est sur ma proposition que la Chambre a ordonné l'insertion de cette pétition aux Annales parlementaires.

M. Rogier. - Les Annales parlementaires n'en disent pas un mot.

M. Vander Donckt. - Il y a aujourd'hui huit jours que j'ai été chargé de piésenter le rapport sur la demande du comte Vander Meere ; il y avait plusieurs autres prompts rapports ; j'étais réellement fatigué et la Chambre était fatiguée également d'avoir entendu la lecture du rapport très long sur un mémoire qui nous avait été adressé par MM. les notaires de canton de tous les points de la Belgique, réunis en association à Bruxelles.

Arrivé au rapport sur la pétition du comte Vander Meere, je proposai à la Chambre de faire imprimer ce rapport dans les Annales parlementaires, et d'en fixer la discussion à vendredi. Si cette décision n'est pas insérée dans les Annales parlementaires, c'est une lacune qu'il faut attribuer à la sténographie et non pas à nous.

M. Rogier. - Je constate de nouveau qu'il n'est dit nulle part dans les Annales parlementaires que la Chambre ait décidé l'impression de la pétition dans les Annales.

M. le président. - Le procès verbal de la séance constate qua la Chambre a adopté l'insertion de la pétition dans les Annales parlementaires.

M. le ministre de la justice (M. Nothomb). - Messieurs, les honorables MM. Rodenbach et de Perceval viennent d'appeler l'attention du gouvernement sur la position de quelques détenus politiques, et à cette occasion, l'honorable M. de Perceval a cité quelques paroles prononcées (page 1199) par mon honorable collègue, M. le ministre de l'intérieur, paroles dont j'ignorais l'existence. Je suis heureux de pouvoir constater devant la Chambre que mon honorable collègue et ami a eu occasion de traduire en fait les paroles qu'il aprononcées en 1849. Le cabinet actuel a proposé naguère à S. M. de mettre en liberté un des derniers détenus politiques auxquels on a fait allusion, et S. M. s'est empressée de souscrire à cette proposition.

Mon honorable collègue, M. le ministre de l'intérieur, a eu sa part dans cette initiative qui doit satisfaire l'honorable M. de Perceval ainsi que les honorables membres qui ont parlé dans le même sens.

Du reste, je pense que la Chambre peut ici s'en fier pleinement à la clémence éprouvée du Roi et qu'il faut laisser en cette matière toute sa liberté d'action au gouvernement.

- La discussion est close.

M. Van Overloop. - J'ai demandé l'ordre du jour ; je retire cette proposition en présence de l'opinion de M. le ministre de la justice et de l'honorable M. de Mérode.

- Le renvoi de la pétition à M. le ministre de la justice, proposé par la commission des pétitions, est mis aux voix et adopté.


Prompts rapports sur des pétitions

M. Vander Donckt, rapporteur. - Messieurs, par pétition datée de Saint-Josse-ten-Noode, le 14 mars 1856, les sieurs de Lobel, Van Berchem, Jules Ketele et autres habitants de Saint-Josse-ten-Noode, réclament l'intervention de la Chambre pour obtenir la fermeture de la fabrique de sulfate de cuivre située rue Verte, faubourg dè Cologne-lez-Bruxelles.

Les pétitionnaires se plaignent de la fabrique du sieur Allard, établie en 1849, malgré une requête en opposition par plus de 50 habitants de l'aggloméré au milieu duquel elle est placée ; ils disent que les sondages ont prouvé que l'écoulement des liquides nuisibles imprégnés de cuivre, a pénétré dans le sol tant à l'intérieur qu'à l'extérieur de l'établissement, que non seulement la terre en est imprégnée, mais même l'eau de source qui alimente les puits du voisinage ; qu'ainsi l'analyse a constaté un septième de carbonate de cuivre dans l'eau des puits n°23 et 25, rue des Secours, et qui se trouve à 15 mètres de la fabrique ; qu'un procès-verbal dressé par ordre de la députation permanente du Brabant déclare le mal sans remède ; que toute la hauteur étant saturée de cuivre, quand même on creuserait de nouveaux puits on ne peut espérer d'avoir de l'eau potable, et que partant le voisinage est non seulement incommodé gravement par les émanations méphitiques, mais privé d'eau potable ; et qu'enfin nonobstant l'arrêté de l'autorité provinciale ordonnant de fermer l'usine, on ignore par quelle influence occulte cet arrêté reste sans exécution, mais que ce qui est certain et patent, c'est qu'elle continue jour et nuit à marcher avec la plus grande activité ; ils terminent en faisant appel à l'autorité supérieure afin de faire cesser ces abus. Votre commission, messieurs, a l'honneur de vous proposer le renvoi de cette pétition à M. le ministre de l'intérieur.

M. Thiéfry. - Messieurs, si mes renseignements sont exacts, la députation permanente du conseil provincial du Brabant a pris effectivement une décision qui prononce la fermeture de la fabrique dont il s'agit. Mais elle a accordé, pour la préparation de certains produits chimiques, un dernier délai qui expirera le 1er mai. Ce n'est donc qu'à cette époque que l'intervention de M. le ministre de l'intérieur pourra être utile. Cependant les réclamants devront encore s'adresser à la députation permanente qui, je pense, saura bien faire respecter sa décision. Eu égard à l'importance de la pétition, j'appuie les conclusions de la commission qui tendent au renvoi à M. le ministre de l'intérieur.

- Ces conclusions sont mises aux voix et adoptées.

M. Vander Donckt, rapporteur. - Messieurs, par pétition datée de Campenhout, le 3 avril 1856, des habitants de Campenhout et de Haecht réclament contre une décision du département des travaux publics qui a pour objet le déplacement de la station de Haecht et son transfert à Wespelaer.

Les pétitionnaires soutiennent que la station actuelle est placée à mi-chemin entre Louvain et Malines, qu'elle leur a été accordée comme indemnité du préjudice causé par la suppression des diligences et des barques entre ces deux villes et pour favoriser le commerce et l'industrie de ces communes, tandis que le transfert à Wespelaer leur causerait un très grand préjudice et rapprocherait la station de Louvain. Ils soutiennent que la station de Haecht est très importante et rapporte annuellement plus de 4,000 francs au trésor, tandis qu'il faudrait que l'Etat construisît une route pavée jusqu'à Wespelaer de plus de 2,500 mètres de longueur ; ils demandent, en terminant, le maintien de la station actuelle.

Votre commission, messieurs, a l'honneur de vous proposer le renvoi de la pétition à M. le ministre des travaux publics.

M. de Steenhault. - Messieurs, je regrette de devoir encore dans cette circonstance demander le renvoi de la pétition à M. le ministre des travaux publics avec demande d'explication. Mais ce n'est pas ma faute si le gouvernement pose des actes qu'on ne comprend pas, mais qui ne laissent pas que de bouleverser les intérêts de plusieurs localités importantes. Je ne sais pas, messieurs, si tous vous êtes bien au courant de cette affaire ; mais au surplus voici, messieurs, de quoi il s'agit :

La commune de Haecht est en possession, depuis l'établissement du chemin de fer, de la station qui se trouve entre Malines et Louvain. Cette station est assise à l'embranchement du pavé provincial de Bruxelles vers la Campine et à mi-chemin de Louvain à Malines. La commune de Wespelaer a une halte pendant quelques jours de la semaine ; et depuis longtemps, elle demande qu'une station permanente soit établie chez elle. Cette réclamation remonte à 10 ou 12 ans.

Aujourd'hui, M. le ministre des travaux publics croit devoir donner raison à la commune de Wespelaer, à la condition qu'on fasse deux pavés, l'un allant de Wespelaer à Haecht, l'autre allant de Rymenam à Boortmeerbeek.

J'avoue franchement que je ne puis pas m'expliquer le transfert de la station de Haecht à Wespelaer, si ce n'est par l'influence d'intérêts privés, puissants il est vrai, mais enfin d'intérêts privés ; il n'y a en jeu aucun intérêt public. Quel motif le gouvernement aurait-il pour opérer ce transfert ? Serait-ce pour pouvoir supprimer une des haltes ? Car remarquez bien qu'il y en a deux, quand d'ordinaire on n'en trouve qu'une sur une distance égale. Non, puisqu'on veut établir une nouvelle station à Boortmeerbeek.

On aggrave même la situation, car au lieu d'une station et d'une halte on aura deux stations, deux points d'arrêt fixes.

Boortmeerbeek serait-il mieux placé ? Mais bien évidemment non. D'abord on a déjà, dans le temps, essayé d'une halte dans cette commune, et on a dû y renoncer parce qu'elle ne produisait rien.

Mais, dira-t-on, Rymenam sera relié par un pavé. Rymenam, messieurs, est une commune de 1,800 à 2,000 âmes, qui, au point de vue de la nouvelle station, ne sera qu'un vrai cul-de-sac. Rymenam n'a derrière lui que des communes qui n'y aboutissent que par des chemins établis dans des bruyères de sable, et qui, certes, ne permettront guère de transport vers le chemin de fer. Il n'y aura que la recette de Rymenam à espérer, et on ne soutiendra pas qu'elle peut être de grande influence.

La station de Wespelaer sera-t-elle mieux placée pour l'avantage des communes environnantes ? Pas le moins du monde ; car, pour rétablir les choses dans l'état actuel, c'est-à-dire pour que le plus grand nombre puissent comme aujourd'hui user du chemin de fer, on est obligé de construire des pavés ; si certaines communes ont avantage à ce que la station soit à Wespelaer, d'autres ont intérêt à ce qu'elle reste à Haecht. On a fait le relevé des communes qui ont intérêt à ce que la station soit maintenue à Haecht et de celles qui ont intérêt à ce qu'on la transfère à Wespelaer ; il y en a dix des premières avec une population qui s'élève à 16 mille âmes, tandis que les autres ne sont qu'au nombre de cinq avec environ cinq mille âmes.

La commune de Campenhout, qui est une des plus importantes du canton, est sacrifiée à la commune de Wespelaer qui ne compte que 800 âmes.

On me dira qu'il y a un pavé qui relie cette commune à la station de Wespelaer.

Je répondrai que Wespelaer a aussi un pavé qui le relie à la station actuelle.

Une des raisons qu'on allègue pour demander le transfert de la station, c'est qu'il ne se trouve aucun bâtiment à la station de Haecht, mais aucune des communes qui aboutissent à cette station ne s'en plaint.

Voilà 20 ans que cela existe, et il n'y a que Wespelaer qui réclame. Si le gouvernement trouve qu'une station est nécessaire, mais rien de plus simple que d'en établir une ; elle ne lui coûtera pas plus cher à Haecht qu'à Wespelaer.

Je demande le renvoi à M. le ministre avec demande d'explicalions.

M. Verhaegen. - Messieurs, j'appuie les observations qui viennent de vous être soumises par l'honorable M.de Steenhault ; mais permettez-moi d'y ajouter quelques observations nouvelles : Haecht, depuis plusieurs années, est en possession de sa station. Des habitants de cette commune ont fait autour de cette station des constructions ; ce serait une véritable expropriation que de leur enlever ce dont ils jouissent depuis plusieurs années.

Il faudrait au moins de très graves raisons pour opérer ce changement.

Eh bien, au lieu qu'il y ait des raisons pour enlever à Haecht sa station, il y a des raisons très fortes pour la lui conserver. Haecht est le chef-lieu du canton ; il est naturel qu'on ait une station au cher-lieu plutôt qu'à une petite commune secondaire ; Haecht est d'ailleurs la chef de la Campine. Je ne vois pas pourquoi on enlèverait au chef-lieu, à la commune la plus importante du canton, une station dont cette commune jouit depuis plusieurs années.

Si l'on fait le calcul des habitants qui doivent profiter de cette station, on trouve que le nombre est quintuple de celui des habitants qui sont intéressés à avoir la station à Wespelaer. On vous a dit que l'intérêt général allait fléchir devant l'intérêt privé. On s'est borné à faire une insinuation ; moi j'irai droit au but et je dirai que des influences s'exercent pour que le château de Wespelaer puisse avoir sa station au détriment de Haecht.

Je n ai pas l’habitude de tourner autour de la question. C'est devant le château qu'on veut placer la station, la commune n'en jouirait même pas, car ce ne serait pas vis-à-vis du centre de la commune qu'on la placerait, mais en face de l'avenue du château. Qu'on en tienne bonne note, le fait prouvera plus tard que j'ai eu raison.

M. de Brouwer de Hogendorp. - La chaleur avec laquelle l'honorable préopinant vient de défendre ce qu'il nomme les intérêts de la commune de Haecht ne me surprend pas, et la Chambre n'en sera pas plus étonnée que moi lorsqu'elle saura, ce que peut-être elle ignore, de l'histoire de l'honorable membre, que Haecht est le berceau de la famille Verhaegen. Les sympathies de l'honorable M. Verhaegen pour la commune de Haecht sont grandes, et je suis loin de l'en blâmer ; leur puissance est telle, qu'elle n'a pas fait reculer l'honorable membre devant une coalition avec M. le curé de Haecht ; mais les sympathies font parfois commettre des erreurs, et c'est précisément ce qui est arrivé à l'honorable M. Verhaegen.

Voici les faits, messieurs. Il y a entre Malines et Louvain deux halles : l'une est établie à l'intersection du chemin de fer et de la route provinciale de Bruxelles à Wesemael ; c'est ce qu'on nomme la halte de Haecht quoiqu'elle soit située sur le territoire de la commune de Wespelaer ; l'autre est établie à 1,900 mètres plus loin, à proximité de la partie agglomérée de Wespelaer dont elle porte le nom. Le premier de ces arrêts constitue seul une halte complète pour le service des voyageurs et des marchandises ; l'autre n'est exploité qu'en été et n'est desservi alors que par quelques trains de voyageurs.

Il résulte de cet état de choses des inconvénients, non seulement pour le service des convois à l'époque où ils s'arrêtent aux deux haltes, mais surtout pour les habitants de nombreuses localités qui, en ce qui concerne le transport des choses, seraient mieux desservies par la station de Wespelaer, si elle était transformée en halte complète, qu'elles ne le sont par la halte de Haecht qui est située au milieu des champs à une distance assez grande de toute habitation. Aussi le déplacement de la halte de Haecht a-t-il été réclamé par un grand nombre de communes. Je citerai notamment Wespelaer, Thildonck, Vellhem, Beyssem, Bueken, Herent, Winxele, Werchter, Wackerzeele, Werchter, c'est-à-dire par une population de plus de 7,000 âmes.

Les communes qui se sont opposées au déplacement de la halte de Haecht sont au nombre de quatre : ce sont Haecht, Rotselaer, Tremeloo et une partie de Campenhout.

Mais j'ai eu l'honneur de vous dire que les deux haltes ne sont séparées que par une distance de 1,900 mètres. Il est évident par conséquent qu'elles ne rendent pas le service que pourraient rendre deux stations situées à une plus grande distance l'une et l'autre. C'est ce qui a fait demander par les communes de Boortmeerbeek, Hever, Rymenam, Keerbergen, Muysen, Bonheyden et même par une partie de celle de Campenhout, l'érection d'une halte à Boortmeerbeck au lieu de celle de Haecht.

Quelle était la marche à suivre par le gouvernement en présence de ces réclamations diverses ? C'était de rechercher une combinaison qui, tout en donnant la satisfaction la plus complète aux intérêts des localités intéressées, favorisait le mieux les intérêts du trésor. C'était l'établissement de deux haltes aux points où le chemin de fer était accessible au plus grand nombre de riverains.

Le gouvernement suivit cette voie. Après une sérieuse instruction de l'affaire, M. le ministre des travaux publics décida, le 15 mars 1854, sur l'avis conforme de la députation permanente du Brabant, je prie l'honorable M. Verhaegen, de remarquer ceci, le ministre décida, dis-je, en principe :

1° Le maintien de deux haltes entre les stations de Malines et de Louvain ;

2° L'établissement définitif de ces deux haltes, d'une part, à Wespelaer, et, d'autre part, à Boortmeerbeek, mais seulement lorsque les points désignés pour former station permanente auront été reliés par des routes pavées, le premier à la route provinciale de Haecht à Wesemael, le second au village de Rymanem :

3° Le maintien de la halte de Haecht jusqu'à l'achèvement de ces deux voies pavées.

4° L'établissement simultané des deux haltes définitives à Wespelaer et à Boortmeerbeck après l'achèvement de l'une et de l'autre de ces communications.

Cette résolution était assurément de nature à satisfaire aux intérêts de toules les localités, mais elle présentait à la commune de Haecht la possibilité d'en entraver l'exécution. C'est ce qui eut lieu. En effet Wespelaer, Boortmeerbeek et Rymenam se déclaraient prêts à accepter les conditions posées par M. le ministre, mais Haecht déclara ne pas vouloir s'y soumettre et eut recours à l'honorable M. Verhaegen pour se faire appuyer dans son opposition. La commune de Haecht déclara ne pas être assez riche pour contribuer à la construction d'un chemin pavé auquel elle soutint d'ailleurs n'avoir aucun intérêt.

L'affaire était arrivée à ce point lorsque M. le ministre voulut bien la soumettre, pour examen et avis, au comité consultatif des chemins de fer.

Nous examinâmes les réclamations des communes sans parti pris, et nous fûmes amenés à conseiller à M. le ministre de modifier la décision prise par son prédécesseur en ce sens que l'établissement définitif de la halte de Wespelaer et la suppression de celle de Haecht ne seraient plus subordonnés à l'exécution entière du chemin pavé de Wespelaer à Haecht, mais seulement des deux tiers de ce chemin et que la commune de Wespelaer serait tenue de construire ces deux tiers, quoique la nouvelle chaussée ne doit parcourir son territoire que sur une étendue d'environ 500 mètres.

Il est à remarquer que la longueur totale du chemin à construire est d'environ 2,100 mètres. Wespelaer devait, selon nous, en construire les deux tiers, parce qu'il nous semblait qu'il était juste d'imposer la charge la plus lourde à la commune qui était la plus immédiatement intéressée à cette construction. Le sacrifice imposé à la commune de Haecht se réduisait ainsi à peu de chose : elle n'avait à construire en dehors de l'agglomération du village qu'environ 450 mètres de pavé.

M. le ministre admit l'avis du comité ; il fit connaître sa résolution aux communes. Celle de Wespelaer avait le droit de penser qu'elle était définitive et ne s'attendait certes pas à l'intervention de la Chambre dans cette matière. Elle acheta, si j'en dois croire une pétition qui m'est passée sous les yeux, les matériaux nécessaires pour l'exécution des travaux. Les communes de Rymenam et de Boortmeerbeck s'apprêtent aussi à commencer la construction de la chaussée qui doit relier les deux communes.

La Chambre voudrait-elle obliger le ministre à révoquer sa décision ? La chose me semble impossible. Elle voudra bien se dire que personne n'est lésé dans toute cette affaire. La commune de Haecht n'a pas à se plaindre, puisque, moyennant un bien léger sacrifice, elle obtient un accès vers le chemin de fer plus facile, par un chemin plus court que celui qu'elle a aujourd'hui. En outre, le nouveau chemin pavé devant être rattaché à la chaussée de Wespelaer à Thildonck, il lui est donné un chemin payé plus direct vers Louvain.

J'ajouterai que la nouvelle chaussée devant être la continuation de celle dont je viens de parler, l'honorable M. Verhaegen a commis évidemment une erreur en disant que cette chaussée viendrait aboutir au château de M. de Marneffe.

La commune de Campenhout a un faible intérêt dans la question du déplacement de la halte : une grande partie de la commune trouvera des facilités dans l'établissement de la halte de Boortmeerbeek.

Je finis, messieurs, en vous demandant pardon de vous avoir parlé si longtemps d'une affaire si peu importante et en vous disant que la résolution prise par M. le ministre est conforme aux intérêts bien entendus du plus grand nombre de localités et est conforme aussi aux intérêts du chemin de fer de l'Etat.

M. le ministre des travaux publics (M. Dumon). - L'honorable député de Bruxelles trouve que les actes posés par le gouvernement ont une portée tellement grande qu'il y a lieu de donner des explications.

La Chambre comprendra que cette affaire rentre dans le domaine administratif. Si elle désire des explications, je les lui donnerai. Elles seront très simples ; mon honorable prédécesseur, ayant à résoudre cette question, s'est adressé au département de l'intérieur et par son intermédiaire au gouverneur de la province et à la députaiion permanente, représentants légaux des intérêts qu'il s'agissait de sauvegarder.

C'est sur leur rapport et conformément à leurs propositions que la décision de mon honorable prédécesseur a été prise.

Ce déplacement des stations est subordonné à une condition essentielle, c'est que les localités voisines ne subiront aucun dommage, c'est-à-dire que le déplacement n'aura lieu que lorsque les communes seront reliées aux nouvelles stations qu'il s'agit d'établir.

Du reste, les choses sont dans le même état.

Si certaines communes ont voulu mettre la main à l'œuvre et réaliser la condition à laquelle le déplacement a été subordonné, d'autres y ont mis du mauvais vouloir. Rien n'est donc changé, et les actes si monstrueux que j'ai pu poser n'ont existé que dans l'imagination de l'honorable député de Bruxelles.

Cet honorable membre me prête bien gratuitement l'intention d'être agréable au propriétaire d'un château qui est dans l'arrondissement de Louvain.

Plusieurs membres. - Assez ! assez !

M. le ministre des travaux publics (M. Dumon). - La Chambre désire passer à l'ordre du jour. Je n'insiste donc pas. Si l'on désire des explications plus complètes, je les fournirai par écrit.

M. de La Coste. - Messieurs, j'ai demandé que cette pétition fût examinée avec attention, parce qu'elle concerne les intérêts de plusieurs communes importantes.

Lorsque la Chambre a à se prononcer sur des rivalités de province à province, sur de grands intérêts qui se combattent, elle est souvent fort embarrassée de décider entre Charleroi et le Couchant de Mons, entre la Flandre occidentale et la Flandre orientale, et naturellement elle sera encore plus embarassée de se prononcer entre des communes que la majorité de ses membres ne connaît pas ; et moi, représentant de l'arrondissement de Louvain, où la plupart de ces communes sont situées, je suis plus embarrassé encore. Car du moment où la pétition a été présentée, j'ai reçu la visite de personnages honorables qui me l'ont recommandée. Au moment même j'ai reçu une lettre qui me priait très instamment de la combattre. Depuis lors et ce matin même encore j'ai reçu une lettre qui me recommande très vivement de l'appuyer. Or je ne puis me charger à la fois de ces deux rôles.

Messieurs, je ne désire que ce qui est utile et ce qui est juste. Je voui avoue qu'à mes yeux la commune de Haecht a un certain titre, c'es celui de la possession. Dans cet état de choses, je ne puis qu'appuyer le (page 1201) renvoi pur et simple de la pétition à M. le ministre des travaux publics, afin que la question soit mûrement examinée.

M. Verhaegen. - Quant à moi, messieurs, je n'éprouve pas le même embarras que l'honorable membre. Je ne suis pas placé entre des intérêts divers se rattachant à mon arrondissement. Il s'agit, non de mon arrondissement, mais de celui de Louvain ; de sorte que je suis tout à fait en dehors des questions électorales.

L'honorable M. de Brouwer pense que Haecht a mes sympathies. Haecht en effet a mes sympathies, comme il l'a dit, parce que c'est le berceau de mes ancêtres. Il n'y a pas de château à Haecht, il y a tout bonnement des exploitations rurales, et je suis fier de cette origine. Oui, c'est parce que Haecht a mes sympathies que je viens défendre ses droits contre des prétentions injustes. Je me porte son défenseur parce que Haecht a besoin d'être défendu dans l'occurrence ; il en a d'autant plus besoin qu'il se trouve attaqué par un homme qui n'appartient pas non plus à l'arrondissement, mais qui est très compétent en matière de chemin de fer.

On n'a pas été fâché d'avoir l'appui d'un homme tel que l'honorable M. de Brouwer. Vous voyez donc que la question est importante et que j'ai bien fait de venir en aide au berceau de mes ancêtres.

Messieurs, après tout voyons si Haecht a raison ou tort. L'honorable M. de La Coste, au milieu de l'embarras où il se trouve, vous a dit une grande vérité. Il vous a dit qu'il y avait une circonstance qui plaidait pour Haecht, à savoir la possession. Haecht est en possession d'une station ; pourquoi voulez-vous la lui enlever ? On a fait des constructions autour de cette station. C'est une véritable expropriation à l'égard de ceux qui ont des droits acquis, qui se sont fiés à la parole du gouvernement et qui ont construit aux abords de cette station.

On s'est permis de dire que nous avions tort de prétendre que l'intérêt public était sacrifié à l'intérêt privé. On a équivoqué sur une chaussée dont ne profiterait pas certain château. Mais c'est du déplacement de la station que ce château doit profiter. La station est à Haecht. Elle doit être placée vis-à-vis de l'avenue du château. Voilà toute la question.

Quant à l'intérêt général, l'honorable M. de Brouwer a fait un faux calcul. J'ai ici la liste des communes qui profitent de la station de Haecht. Elles ont une population de 16,500 habitants, tandis que la population qui profiterait de la station nouvelle (et encore y a-t-il doute à cet égard) ne donne qu'un chiffre de 5,650 habitants. La population qui profite de la station de Haecht est donc triple de celle qui profitera de la station de Wespelaer ; Pourquoi voulez-vous enlever à Haecht sa station ? Et ceux qui disent ne pas connaître la question peuvent consulter un homme très compétent à cet égard : c'est l'honorable M. le Bailly de Tilleghem, qui a été dix ans commissaire d'arrondissement à Louvain et qui connaît parfaitement les localités.

Il vient de me dire à l'instant, avec autorisation de le répéter à la Chambre, que ce serait, en présence des besoins qu'il connaît, une souveraine injustice que d'enlever à Haecht sa station.

Je marche, dit-on, d'accord avec M. le curé de Haecht. Je m'en félicite. M. le curé de Haecht est un homme très respectable ; il partage mon opinion ; je ne pense pas, dès lors, que les honorables députés de Louvain répudieront cette opinion.

M. Coomans. - Si nous nous rendons à l'avis de l'honorable M. Verhaegeu qu'il y a lieu d'approfondir ce grave problème et d'examiner qui a raison de Haecht ou de Wespelaer, il nous faudra sept ou huit séances pour vider cet important procès.

Je vous en prie, messieurs, finissons-en. C'est une halte beaucoup trop longue dans nos travaux parlementaires. Quoi ! nous avons décrété la construction d'importants chemins de fer sans même en indiquer le tracé, sans même indiquer les villes que ces chemins de fer devaient traverser ; et aujourd hui, nous nous ingérons dans une simple question d'administration, qui, au fond, ne nous concerne pas, qui ne devrait pas nous concerner, qui est au-dessous de la dignité de nos travaux. Nous sommes sommés de nous prononcer sur le plus ou moins d'inconvénients qu il y a à maintenir une halte en faveur de l'un village ou en faveur de l'autre.

En voilà assez, messieurs, et laissons le ministre mettre le turbot à la sauce qu'il voudra.

M. de Steenhault. - Je ne pense pas que ce soit manquer |à la dignité de la Chambre que d'appeler son attention sur cet objet. Des intérêts respectables sont en jeu et l'on discute bien des fois sur des points dont on ne pourrait pas en dire autant.

M. le ministre disait tout à l'heure que je croyais avoir signalé des faits monstrueux. Mais, messieurs, je ne sais où l’honorable ministre a été chercher cela. Son imagination dans cette circonstance est bien plus vive et plus ardente que la mienne. J'ai tout simplement dit que transférer cette station serait un acte que je ne comprendrais pas ; et ce que j'ai dit, je le maintiens.

Un dernier mot, messieurs, et qui ne sera pas long.

La station de Haecht, lors de l'établissement des chemins de fer, a été placée là pour dédommager Campenhout de la perte qu'il allait subir, par suite de la suppression des moyens de transport sur le canal et sur la route de Malines à Louvain.

Supprimer aujourd'hui cette station., ce serait un vrai déni de justice, ce serai méconnapitre un droit acquis.

- Les conclusions de la commission sont mises aux voix et adoptées.

Ordre des travaux de la chambre

M. Osy (pour une motion d’ordre). - Messieurs, on a distribué hier le petit projet de loi, ayant pour objet d'allouer au département des finances un crédit supplémentaire de 2,200 fr. ; comme il y a beaucoup de travail dans les sections, je demande le renvoi de ce projet à la section centrale qui a examiné le budget des finances.

- Cette proposition est adoptée.

Projet de loi portant le budget du ministère des finances de l’exercice 1857

Discussion du tableau des crédits

Chapitre premier. Administration centrale

Article premier

« Art. 1er. Traitement du ministre ; fr. 21,000. »

- Adopté.

Article 2

« Art. 2. Traitements des fonctionnaires, employés et gens de service : fr. 487,200. »

M. Verhaegen. - J'ai à soumettre à la Chambre quelques courtes observations concernant l'application de l'arrêté organique du ministère de finances.

Par un arrêté tout récent, du 4 janvier 1856, on a apporté à l'arrêté organique des modifications qui, en dernière analyse, causeront un préjudice au trésor public ou aux petits employés. Je m'explique.

L'arrêté organique du 30 mars 1849 a fixé le nombre des employés supérieurs attachés à l'administration centrale et c'est sur le pied de cette fixation que les allocations ont été portées an budget. Ainsi, l'arrêté du 30 mars 1849 organise les administrations du secrétariat général : trésor public, contributions directes et caisse d'amortissement, et les grades supérieurs sont fixés comme suit :

5 directeurs généraux à fr. 9,000

2 inspecteurs généraux à fr. 8,000

8 directeurs à fr. 7,000

6 inspecteurs ayant de fr. 5,000 à 6,000

Ce qui fait pour ces divers fonctionnaires supérieurs, en prenant pour les inspecteurs une moyenne de 5,500 fr., une somme totale de 150,000 fr.

Depuis l'arrêté du 4 janvier 1856, au lieu de huit directeursi 7,000 fr. il y en a 11 ; au lieu de 6 inspecteurs aux appointements de 5,000 à 6,000 fr. il y en a 12, c'est-à-dire que le nombre en est doublé. Eh bien, messieurs, en prenant, comme je l'ai fait tout à l'heure, pour le traitement des inspecteurs, le chiffre moyen de 5,500 fr., nous trouvons que les appointements des fonctionnaires supérieurs de l'administration centrale s'élèvent aujourd'hui à 204,000 francs, tandis que d'après l'arrêté organique, ils ne s'élevaient qu'à 150,000 fr. Il y a donc une différence en plus de 54,000 fr.

Comment trouve-t-on le moyen de subvenir à cette augmentation de 54,000 fr. ? Lors de l'organisation telle qu'elle a été faite par l'arrêté de 1849 les chiffres ont été portés au budget et ont été votés d'après le nombre des employés supérieurs indiqués dans cet arrêté ; il faudrait donc, pour trouver la somme de 54,000 fr. en plus, demander une augmentation au budget ; on ne le fait pas, mais voici comment on opère.

L'article 37 de l'arrêté organique porte :

« A mesure que les vacances de places et les avancements le permettront, les titulaires des emplois qui jouissent d'un traitement inférieur au taux minimum déterminé par l'arrêté, recevront le complément de ce traitement.

« Les sommes disponibles seront réparties, à la fin de chaque semestre, entre les employés et fonctionnaires dans la proportion à déterminer par le ministre pour parfaire leur traitement normal. »

Eh bien, messieurs, il y a eu beaucoup de vacatures. Certaines fonctions ont été supprimées et on a reconnu, par conséquent, qu'elles étaient inutiles. Il y a eu aussi des vacatures par suite de décès, c'est-à-dire que des fonctionnaires décédés n'ont pas été remplacés, également parce qu'on a trouvé que leurs fonctions étaient inutiles. Toutes ces vacatures ont rendu disponibles des sommes assez considérables, qui, aux termes de l'arrêté organique de 1849, devaient être consacrées, à donner aux fonctionnaires de tout grade le minimum de leurs appointements, et il y eu a beaucoup qui ne jouissent pas encore de ce minimum.

Eh bien, messieurs, ces sommes, au lieu de servir à donner aux petits employés le minimum de leur traitement, ont servi à payer les fonctions supérieures qui ont été créées en sus du nombre fixé par l'arrêté organique.

Ainsi, de simples chefs de bureau ont été élevés au grade d'inspecteur et on a jugé à propos de ne pas même les remplacer comme chefs de bureau.

Voilà l'usage qu'on a fait des sommes disponibles et les petits employés qui n'ont pas le minimum de leur traitement et auxquels ces sommes étaient destinées d'après l'arrêté organique, ces petits employés n'auront plus jamais rien à espérer si l'on continue à agir de cette manière.

Voilà ce que je voulais signaler à l'attention de M. le ministre ainsi qu'à l'attention de la Chambre.

Il y avait déjà eu une petite dérogation à l'arrêté organique sous le ministère de l'honorable M. Liedts, mais si mes renseignements sont (page 1202) exacts, il s'est arrêté à temps. L'honorable M. Liedts avait également reçu plusieurs réclamations d'employés supérieurs qui demandaient le titre d'inspecteurs, etc., et ces réclamations l'ont amené à faire une circulaire où il disait qu'avec tout le désir qu'il avait d'être agréable à ses employés il ne pouvait pas cependant nuire aux intérêts des petits employés qui ne jouissaient pas encore du minimum de leur traitement et qui, si l'on absorbait successivement les sommes disponibles par suite de vacatures, n'auraient jamais l'espoir de voir améliorer leur position au plutôt de se voir rendre justice.

M. le ministre des finances (M. Mercier). - L'honorable M. Verhaegen a singulièrement exagéré la portée de la modification qui a été apportée à l'arrêté royal du 30 mars 1849. Il est à remarquer qu'au département des finances le travail intellectuel prend beaucoup d'extension par la multitude des affaires importantes qui doivent s'y instruire et notamment par les changements fréquents de législation. L'arrêté du 30 mars 1849 n'est pas une sorte de constitution à laquelle on ne puisse rien changer, alors même que des considérations, conformes à l'intérêt du service, exigent certaines modifications.

Mais l'honorable préopinant est très mal renseigné lorsqu'il allègue que le nombre des directeurs a été porté de 8 à 11, et celui des inspecteurs de 6 à 12. Je me suis borné à créer deux grades d'inspecteurs pour les conférer à des chefs de bureau ; à supprimer un grade de chef de bureau et un grade de premier commis. Or, le travail dont s'occupaient les titulaires des emplois de chef de bureau était réellement d'une importance exceptionnelle ; j'ajoute qu'ils s'en acquittaient, du reste, avec distinction.

J'ai donc pensé qu'un travail exigeant des connaissances très étendues et des études constantes et compliquées devait être récompensé par un grade plus élevé que celui de chef de bureau ; c'est mon appréciation, et je la crois juste.

D'un autre côté, la besogne materielle diminue plutôt qu'elle n'augmente par suite de diverses mesures qui ont été prises, de telle sorte que j'ai pu retrancher deux emplois inférieurs ; de cette manière, aucun employé n'a éprouvé le moindre préjudice de la mesure qui a été prise. Je cherche du reste à faire obtenir aussitôt que possible le traitement minimum à ceux des employés inférieurs qui n'en jouissent pas encore.

En ce moment même, j'ai fait préparer un projet pour placer en province un ou deux employés de l'administration centrale, et grâce à cette combinaison, je pourrai réaliser en grande partie la mesure que je viens d'indiquer.

Ainsi, l'acte qu'a dénoncé l'honorable M. Verhaegen n'a pas du tout la portée que l'honorable membre lui a attribué ; le surcroît de dépenses pour les grades supérieurs n'est pas, comme il le suppose, de 54,000 fr., mais seulement d'environ 2,000 fr.

Du reste, l'honorable membre peut être persuadé que ma sollicitude pour les fonctionnaires de mon administration n'a pas besoin d'être éveillée, alors surtout qu'il s'agit de ceux qui ont un faible traitement.

M. Verhaegen. - Je crois que M. le ministre des finances est dans l'erreur ; je n'ai pas de documents officiels, mais si M. le ministre des finances veut s'en assurer, il pourrati dans une autre occasion me dire que mon appréciation était exacte. Du reste M. le ministre vient de déclarer que son attention est éveillée sur la position des employés et j'espère qu'il ne perdra pas de vue cet objet.

- Personne en demandant plus la parole, l'article 2 est mis aux voix et adopté.

Articles 3 à 10

« Art. 3. Honoraires des avocats et des avoués du département. Frais de procédures, etc.

« Charge ordinaire ; fr. 81,500.

« Charge extraordinaire ; fr. 2,500. »

- Adopté.


« Art. 4. Frais de tournées : fr. 7,000. »

- Adopté.


« Art. 5. Matériel : fr. 46,000. »

- Adopté.


« Art. 6. Traitement du graveur des monnaies et des poinçons de titre et de garantie, ainsi que du chimiste attaché à l’hôtel des Monnaies et chargé de la surveillance des travaux d’affinage : fr. 6,200. »

- Adopté.


« Art. 7. Service de la monnaie : fr. 27,200. »

- Adopté.


« Art. 8. Achat de matières et frais de fabrication de pièces de monnaie de cuivre ; charge extraordinaire : fr. 00,000. »

- Adopté.


« Art. 9. Magasin général des papiers : fr. 108,000. »

- Adopté.


« Art. 10. Documents statistiques : fr. 19,500. »

- Adopté.

Chapitre II. Administration du trésor dans les provinces

Articles 11 à 13

« Art. 11. Traitements des directeurs et agents du trésor : fr. 123,000. »

- Adopté.


« Art. 12. Frais de bureau, de commis, de loyer, etc., des directeurs et agents : fr. 25,300. »

- Adopté.


« Art. 13. Caissier général de l'Etat : fr. 100,000. »

- Adopté.

Chapitre III. Administration des contributions directes, douanes et accises

Articles 14 à 26

« Art. 14. Surveillance générale. Traitements : fr. 334,900. »

- Adopté.


« Art. 15. Service de la conservation du cadastre. Traitements : fr. 304,700. »

- Adopté.


« Art. 16. Service des contributions directes, des accises et de la comptabilité. Traitements fixes : fr. 1,211,600. »

- Adopté.


« Art. 17. Idem. Remises proportionnelles, et indemnités (crédit non limitatif) : fr. 1,443,200. »

- Adopté.


« Art. 18. Service des douanes et de la recherche maritime : fr. 3,975,950. »

- Adopté.


« Art. 19. Service de la garantie des matières et ouvrages d'or et d'argent : fr. 47,900. »

- Adopté.


« Art. 20. Suppléments de traitements : fr. 50,000. »

- Adopté.


« Art. 21. Traitements temporaires des fonctionnaires et employés non replacés ; charge extraordinaire : fr. 35,000. »


(Les crédits portés aux articles 1, 14, 15, 16, 18, 19, 20 et 21 du présent chapitre pourront être réunis et transférés de l'un de ces articles aux autres, selon les besoins qui résulteront de la mise à exécution de l'organisation de l'administration des contributions dans les provinces.)

- Adopté.


« Art. 22. Frais de bureau et de tournées : fr. 68,840. »

- Adopté.


« Art. 23. Indemnités, primes et dépenses diverses : fr. 284,200. »

- Adopté.


« Art. 24. Police douanière : fr. 5,000. »

- Adopté.


« Art. 25. Matériel : fr. 117,800. »

- Adopté.


« Art. 26. Frais généraux d'administration de l'entrepôt d'Anvers : fr. 19,450. »

- Adopté.

Chapitre IV. Administration de l’enregistrement et des domaines

Articles 27 et 28

« Art. 27. Traitement du personnel de l'enregistrement et du timbre.

« Charge ordinaire : fr. 392,880.

« Charge extraordinaire : fr. 1,500. »

« (La partie du crédit concernant les traitements des seconds commis pourra être transférée, jusqu'à concurrence d'une somme de 6,380 fr., à l'article 32, littera C, relatif aux frais de bureau des directeurs.) »

- Adopté.


« Art. 28. Traitement du personnel du domaine.

« Charge ordinaire : fr. 100,025.

« Charge extraordinaire : fr. 7,260. »

- Adopté.


Article 29

« Art. 29. Traitement du personnel forestier : fr. 241,900. »

M. David. - Messieurs, vous vous rappellerez les longues et laborieuses discussions qui ont eu lieu à l'occasion du Code forestier. Nous pensions avoir prévu toutes les dispositions qui pouvaient rendre cette loi bonne, complète ; nous avons été jusqu'à spécifier le nombre et la qualité des membres du personnel de l'administration des eaux et forêts. Ce personnel se composait de gardes généraux, de sous-inspecteurs et d’inspecteurs, de brigadiers et de gardes ; mais l'arrêté royal d'exécution a créé, dans son article 4, une nouvelle catégorie de fonctionnaires, celle des aspirants forestiers. Voici comment est conçu l’article 4.

Le ministre peut attacher à chaque inspection un ou deux aspirants âgés de 18 ans au moins et de vingt-cinq ans au plus.

Pendant la discussion de la loi, il avait été question, il est vrai d'elevés forestiers ; le rôle que devaient jouer ces élèves était celui-ci et diffère essentiellement de celui qui sont rappelés à remplir les aspirants en question, puisque ceux-ci peuvent arriver d'emblée aux fonctions de garde général. L'article 3 dit que les gardes généraux seront choisis parmi les aspirants, les brigadiers et gardes en activité. Voici donc ce que devaient être les élèves forestiers.

Ils devaient être adjoint comme surnuméraires à certains brigadiers des eaux et fôrets, faire un cours pratique, et après ce cours il leur était permis de briguer une place de garde pour arriver ensuite à celui de brigadier, et ainsi de suite jusqu’aux plus haites fonctions.

Mais il y a loin de ces élèves aux aspirants. L’aspirant est un individu complètement étranger à l’administration qui peut venir briguer les plus auts emplois.

C’est ainsi que pour quelques places de gardes généraux qui se trouvent vacantes, des aspirants, par conséquent des étrangers à l'administration, puisqu'on ne pouvait pas introduire de nouvelle catégorie de fonctionnaires d'après la loi, se mettent sur les rangs pour les obtenir. Il faut passer des examens ; mais ces jeunes gens qui sortent des écoles subiront l'examen avec plus de succès que des brigadiers des eaux et forêts. Ils ont la rédaction facile, le style élégant, il leur est très facile de subir avec distinction un examen dans un cabinet ; mais autre chose est de passer ainsi un examen et d'administrer une forêt.

Il me semble que l'arrêté d'organisation n'étant conforme ni à l'esprit ni au texte de la loi, ces aspirants doivent être mis de côté. C'est dans l'intérêt de l'administration des eaux et forêts que je fais mon, observation, c’est une carrière qui offre peu d'avenir à ceux qui y entrent. Si vous autorisez des jeunes gens étrangers à l’administration à briguer des emplois supérieurs, vous découragez des fonctionnaires utiles, et ce sera un grand malheur, car il nous reste encore un grand nombre de forêts, et nous eavons intérêt à ce qu'elles soient bien administrées et bien aménagés.

Je proteste donc contre cet arrêté d’organisation.

M. le ministre des finances (M. Mercier). - La question soulevée par l’honorable membre est celle de savoir s mon honorable prédécesseur a pu conserver dans l’administration forestière un grae dont il n’est pas question dans la loi relative au Code forestier. Je suis convaincu que le gouvernement avait ce pouvoir. Voici comment en conçu l’article 4 de la loi du 20 décembre 1854 :

« L’organisation de l’administration forestière, le mode de nomination de ses agents et proéposés, le taux des traitements, indemnités et frais seront réglés par arrêté royal, dans les limites tracées par les dispositions suivantes.

L’organisation appartient donc au gouvernement. Dans la discussion de la loi, il a été question du grade d’élève forestier, qui n’est pas une innovation ; ce grade existait dans l’organisation antérieure à la nouvelle loi ; celle-ci ne fait mention que des fonctionnaires rétribués et de leurs attributions, mais elle ne dit pas qu’il ne peut pas y en avoir d’autres.

C’est de cet article combiné avec les articles 5 et 6 que l'honorable membre infère qu'on ne pouvait pas créer de gardes surnuméraires ou des aspirants ; il y en a toujours eu, et il a été entendu que l'ancienne organisation ne devait pas subir de changements sous ce rapport.

La loi n'a parlé que des agents effectifs, ayant des attributions constantes et déterminées pour la surveillance et la constatation des délits ; mais de tout temps il a été jugé indispensable pour l'administration forestière d'avoir des élèves forestiers ayant fait des études spéciales et pouvant, ainsi que les brigadiers, être appelès au grade de garde général. L'aspirant dont il est fait mention dans l'arrêté royal du 20 décembre 1854 aura exactement les mêmes attributions que l'ancien élève forestier ;i il y a un changement de nom et pas autre chose. C'est dans ce sens que l'arrêté de 1854, soumis au Roi par mon prédécesseur, est et doit être entendu.

- L'article 29 est mis aux voix et adopté.

Articles 30 à 33

« Art. 30. Remises des receveurs. Frais de perception (crédit non limitatif) : fr. 850,000. »


« Art. 31. Remise des greffiers (crédit non limitatif) : fr. 45,000. »

- Adopté.


« Art. 32. Matériel : fr. 52,620. »

- Adopté.


« Art. 33. Dépenses du domaine.

« Charge ordinaire : fr. 90,000.

« Charge extraordinaire : fr. 10,000. »

Chapitre V. Administration de la caisse générale de retraite

Articles 34 à 36

« Art. 34. Administration centrale. Traitements. Frais de route et de séjour : fr. 4,300. »

- Adopté.


« Art. 35. Administration centrale. Matériel : fr. 1,500. »

- Adopté.


« Art. 36. Remises proportionnelles et indemnités des fonctionnaires chargés de la recette et du contrôle (crédit non limitatif) : fr. 3,500. »

- Adopté.

Chapitre VI. Pensions et secours

Articles 37 et 38

« Art. 37. Premier terme des pensions à accorder éventuellement : fr. 17,500. »

- Adopté.


« Art. 38. Secours à des employés, veuves et familles d'employés qui, n'ayant pas de droits à une pension, ont néanmoins des titres à l'obtention d'un secours, à raison de leur position malheureuse : fr. 7,500. »

- Adopté.

Chapitre VII. Dépenses imprévues

Article 39

« Art. 39. Dépenses imprévues non libellées au budget : fr. 12,000. »

- Adopté.

Vote de l’article unique et sur l’ensemble du projet

« Le budget du ministère des finances est fixé, pour l'exercice 1857, à la somme de dix millions neuf cent vingt-sept mille cinq cent vingt-cinq francs (10,927,525 fr.), conformément au tableau ci-annexé. »

- Il est procédé au vote par appel nominal.

Le projet est adopté à l'unanimité des 63 membres qui ont répondu à l'appel.

Ont répondu à l'appel : MM. Lambin, Landeloos, Lange, Laubry, le Bailly de Tilleghem, Lesoinne, Magherman, Mascart, Matthieu, Mercier, Moncheur, Moreau, Osy, Rodenbach, Rousselle, Sinave, Tack, Thibaut, Thiéfry, Thienpont, T'Kint de Naeyer, Trcmouroux, Vanden Brandon de Reetb, Vandenpeereboom, Vander Donckt, Van Iseghem, Van Overloop, Van Renynghe, Verhaegen, Vermeire, Veydt, Wasseige, Ansiau, Anspach, Boulez, Brixhe, Coomans, Coppieters 't Wallant, Dautrebande, David, de Bronckart, Dechamps, de Haerne, de La Coste, Delfosse, de Man d'Attenrode, F. de Mérode, de Mérode-Westerloo, de Moor, de Naeyer, de Perceval, de Portemont, de Ruddere de Te Lokeren, de Sécus, de Theux, de T Serclaes, Dubus, Dumon, Frère-Orban, Goblet, Jacques, Juiliot et Delehaye.

- La séance est levée à 4 heures trois quarts.