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Chambres des représentants de Belgique
Séance du jeudi 27 novembre 1856

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1856-1857)

(Présidence de M. Delehaye.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. Crombez. procède à l'appel nominal à 1 heure et un quart.

M. Calmeyn lit le procès-verbal de la séance précédente.

- La rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Crombez., présente l'analyse des pétitions suivantes.

« Le sieur Pierre-Théodore Galesloot, bottier à Saint-Josse-Ten-Noode, né à Loendersloot (Pays-Bas), demande la grande naturalisation. »

- Renvoi au ministre de la justice.


« Le sieur Théodore-Sylvestre Meewis, boucher à Brée, né à Weert (partie cédée du Limbourg), demande la naturalisation. »

- Même renvoi.


« Le sieur Vanden Bossche, colonel pensionné, prie la Chambre de le nommer conseiller de la cour des comptes. »

- Dépôt au bureau des renseignements.


« Plusieurs habitants d'Helchin réclament l'intervention de la Chambre pour que le département des travaux publics autorise le placement sur l’Escaut d’un bac passe-cheval au rivage d'Helchin. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Roche demande qu'on rapporte les dispositions des règlements d'administration publique qui ne permettent point d'admettre des agents de plus du 50 ans d'âge. »

- Même renvoi.


« Quelques commissaires de police demandent une indemnité pour les fonctions d'officier du ministère public qu'ils exercent près des tribunaux de simple police. »

- Renvoi à la section centrale qui sera chargée d'examiner le projet de loi sur l'organisation judiciaire.


M. de Mérode-Westerloo, obligé de s'absenter pour d'urgentes affaires de famille, demande un congé.

- Accordé.

Projet de loi portant le budget du ministère des travaux publics de l'exercice 1857

Dépôt

M. le ministre des finances (M. Mercier) présente le budget des travaux publics pour l'exercice 1857.

- La Chambre ordonne l'impression et la distribution de ce budget et le renvoi à l'examen des sections.

Projet d’adresse

Discussion des paragraphes

Paragraphes 5 et 6

(page 161) M. Frère-Orban. - Messieurs, je. crois pouvoir me féliciter d'avoir porté la discussion sur le terrain où elle a été maintenue jusqu'à présent et qui a été accepté par mes honorables adversaires. Cette discussion est utile ; elle éclaire de vives lumières ce côté de la politique qui embrasse l'avenir intellectuel du pays. Elle dissipera aussi beaucoup de préventions, beaucoup d'idées fausses, que. l'on s'était plu à accréditer contre l'opposition. Elle servira à mieux marquer encore quels sont les principes ou les tendances des partis qui divisent le pays.

Aussi, l'honorable M. Dechamps, persévérant dans une tactique ancienne d'ailleurs, et qui lui est familière, a-t-il essayé de travestir l'opinion libérale. Il voudrait bien persuader qu'elle est hostile, non seulement aux libertés, mais surtout aux idées religieuses. A la vérité, pour mieux assurer le succès de ses manœuvres et fomenter des divisions dans nos rangs, il n'attribue qu'à une minorité les desseins dangereux qu’il dénonce et qu'il combat, et il adjure ceux qu'il nomme modérés parmi nous, de ne point se laisser égarer.

L'honorable M. Dechamps s'inquiète peu de la vérité si, en la faussant ; en l'offensant, il croit pouvoir servir la cause qu'il défend. L'honorable M. Dechamps invente, pour trouver nos origines, une minorité protestant, au Congrès national, contre les libertés religieuses ; il la fait parler et agir ; il vous la montre s'insurgeant contre les principes fondamentaux de notre Constitution. Il s'écrie, d'une voix qui voudrait bien imiter l'indignation, que cette minorité a demandé qu'on inscrivît son vote hostile au procès-verbal, afin que le souvenir éternel de sa honte ne pût être effacé.

Et puis nous devenons les descendants de cette minorité intolérante. Il retrouve cette minorité dans nos assemblées ; elle se compose de ces libéraux exclusifs, qui ont été tour à tour l’honorable M. Devaux et ses amis, l'honorable M. Delfosse et les siens, et qui sont aujourd'hui représentés par mes amis et moi.

L'imagination de l'honorable M. Dechamps fait tous les frais de sa thèse. Ce n'est pas de l'histoire ; c'est un pur roman.

Il n'a pas existé au Congrès de minorité libérale intolérante, qui aurait repoussé les libertés religieuses. L'honorable membre a pourtant découvert le chef de cette minorité : c'était l'honorable M. Defacqz, et ce nom paraît d'autant mieux trouvé, que M. Defacqz a occupé une haute position dans le libéralisme. L'honorable M. Defacqz a applaudi de cœur à tous les grands principes consacrés par le pacte fondamental ; il les a tous votés. Comment donc M. Dechamps peut-il lui attribuer des sentiments qui ne sont pas les siens ? Voici le prétexte : après que le principe de la liberté des cultes avait été proclamé, M. Defacqz a demandé le retranchement d'une disposition du projet de constitution, portant que l'Etat ne peut intervenir en aucune manière dans les affaires des cultes. Prenez garde, a-t-il dit, que si vous insérez cette disposition dans la Constitution, il en résulterait, entre autres inconvénients graves, que le mariage religieux pourrait précéder le mariage civil, celui-ci serait, le plus souvent négligé par des populations ignorantes, ce qui introduirait un profond désordre dans la société.

Et qu'a fait le Congrès ? Le Congrès n'a pas été sourd aux sages avertissements de M. Defacqz et s'il a maintenu la disposition qui interdit toute intervention de l'Etat dans les actes d'un culte, il a, en même temps consacré l'opinion de. l'honorable M. Defacqz, en décrétant le principe de la prééminence du mariage civil sur le mariage religieux.

Quels sont les membres du Congrès qui ont appuyé de leur parole ou de leur vote la proposition de l'honorable M. Defacqz, pour le retranchement, dans le projet de Constitution, de la disposition que j'ai citée tout à l'heure ? Ce sont ceux-là sans doute qui constituaient la fraction libérale ; intolérante, exclusive, qui protestait contre les libertés religieuses ! Leurs noms parleront plus haut que tous les raisonnements : MM. le vicomte Desmanet de Biesme, Barbanson, Lehon, Fallon, Leclercq, Henri de Brouckere, Forgeur, Fleussu, Charles de Brouckere et même notre collègue, M. Jacques ; voilà, messieurs, parmi les plus notables, les libéraux exclusifs du Congrès : voilà la minorité intolérante dont nous sommes les héritiers !

Il y a un deuxième acte auquel l'honorable M. Dechamps fait allusion. C'est à l'occasion de celui-là que d'honorables membres ont demandé l'insertion de leur vole au procès-verbal.

Le Congrès venait de décréter la liberté d'enseignement. Le principe n'était pas contesté.

Mais des doutes existaient dans l'esprit d'un grand nombre sur le point de savoir s'il ne fallait pas réserver certaine surveillance aux pouvoirs publics.

La liberté d'enseignement entière, absolue, illimitée, ne paraissait pas sans danger à tout le monde. Afin de sauvegarder la liberté, en évitant les abus que l'on prévoyait, à tort, comme l'expérience l'a prouvé, on proposa de décider que pour le cas où des mesures de surveillance seraient jugées nécessaires, cette surveillance ne pourrait être exercée que par des autorités électives. Et qui fit cette motion ? Un libéral intolérant ? Mon Dieu, non ; ce fut l'homme le plus avancé dans les confidences des catholiques, ce fut M. de Sécus.

M. de Mérode. - Au second vote, il ne l'a plus voté.

M. Frère-Orban. - Peu importe. Je réponds à l'honorable M. Dechamps, qui a travesti l'histoire en se fondant sur ce fait même pour établir l'existence au Congrès d'une fraction libérale, hostile aux libertés religieuses. L'auteur de cette proposition était donc l'honorable M. de Sécus père, l'homme qui était le plus en communion d'idées avec les catholiques au Congrès.

Dans le cours do la discussion, après le développement de la proposition, quelques amis de l'honorable membre lui firent remarquer qu'une disposition de ce genre pourrait avoir des inconvénients. Au moment du vote, M. de Sécus abandonna sa proposition qui fut reprise par M. Fleussu et soumise au vote. M. de Sécus s’abstint ; et cette proposition, qui révèle l'hostilité irréligieuse d'une minorité intolérante, fut rejetée par 76 voix contre 71 L'hostilité irréligieuse était en vérité bien près de la majorité au Congrès ! Quels étaient les votants ?

Entre autres intolérants, parmi les hommes qui faisaient inscrire leurs noms au procès-verbal, comme vous savez, nous trouvons MM. Leclercq, H. de Brouckere, de Blargnies, Forgeur, Defacqz, le vicomte Desmanet de Biesme, le baron Osy, Ch. de Brouckere, Fallon, Fleussu, Hippolyte Vilain XIIII, Nothomb et le baron Surlet de Chokier ! Voilà la minorité intolérante de libéraux exclusifs ayant à leur tête M. le vicomte Desmanet de Biesme, le baron Osy et M. Nothomb ! C'est de là que nous procédons ; nous descendons en droite ligne de cette minorité !

C'est, messieurs, qu'il faut à tout prix à l'honorable M. Dechamps des libéraux exclusifs ; depuis quinze ans il lui en a fallu. Il est juste de reconnaître cependant qu'avant de les avoir découverts, il accusa M. Devaux d'avoir inventé les libéraux, et il assurait gravement, en 1840,que l'invention des libéraux avait jeté une grande irritation dais le pays.

Si les libéraux exclusifs venaient à lui manquer, que deviendrait le même discours qu'on nous répète depuis quinze ans ? Les libéraux, exclusifs sont indispensables à l'éloquence, à l'indignation, aux apostrophes de l'honorable M. Dechamps. En 1840, il a poursuivi ces mêmes libéraux exclusifs, défendus alors par un homme farouche, l'honorable M. Dolez, et ayant à leur tête MM. Lebeau, Rogier, Liedts et Leclercq.

Un membre. - Et M. Mercier.

M. Frère-Orban. - Hélas ! M. Mercier aussi.

Aujourd'hui s'il ne me rencontrait pas comme libéral exclusif, il serait obligé de renoncer à son discours. Et c'est pour moi en vérité une singulière fortune. ! A une époque où l’honorable M. Dechamps avait des idées beaucoup plus exaltées que les miennes, j'ai été dix années poursuivi à cause de mon modérantisme. J'appartenais jeune encore, à ce qu'on nommait alors les vieux libéraux. J'ai été élu comme un vieux libéral. Je suis entré au ministère comme un vieux libéral. J'y ai passé cinq années ; l'on n'a pas coutume au pouvoir de gagner beaucoup en exagération, et j'en sors en libéral exclusif !

Que veulent donc ces libéraux exclusifs que signale l'honorable M. Dechamps ?

Dans la question qui nous occupe, messieurs, ce qu'ils veulent toujours, s'il faut en croire notre fidèle historien, ils veulent exclure l'enseignement religieux de toutes les écoles. Ils y veulent introduire le rationalisme, gros mot dont l'honorable M. Dechamps a une grande horreur, lis veulent détruire la religion, il faut qu'ils en aient absolument raison ; et la preuve, c'est qu'ils ont demandé la réforme de la loi sur l'enseignement primaire ; c'est qu'ils ont voté contre la convention d'Anvers. Ce sont les deux actes qui servent à prouver l'hostilité aux idées religieuses des libéraux exclusifs et l'isolement dans lequel ils se trouvent.

Il importe, afin de bien juger le caractère de ces actes, de rappeler ce qui s’est passé lors de la discussion de la loi sur l'enseignement primaire, pour comprendre quel était l'objet de la révision réclamée. L'échafaudage créé par M. Dechamps s'écroulera, rien que par le simple exposé des faits. L’opinion libérale a fait consacrer dans la loi sur l’enseignement primaire un principe très important, et il n’a été malgré l’opposition du ministre et contrairement à l’opinion que défendait M. Dechamps.

L'honorable M. Dechamps a subi dans la discussion de la loi sur l'enseignement primaire l'échec le plus éclatant sur un point fondamental, sur le principe même de la loi.

M. Dechamps. - C'est une erreur.

M. Frère-Orban. - Oh ! oui, c'est une erreur. Mais je fais l'histoire autrement que vous.

M. Dechamps. - C'est un roman.

M. Frère-Orban. - Nous allons voir. On proposait, messieurs, de décréter que l'enseignement religieux aurait lieu dans l'école primaire. Il n'y avait pas d'opposition à ce sujet, hors peut-être, si je ne me trompe, celle de l'honorable M. Verhaegen. Il y avait unanimité à peu près.

Mais quelle conclusion l'honorable M. Dechamps tirait-il de ce principe ? C'est que du moment où le clergé retirait son concours a une école, cette école cessait d'être légale et devait être fermée.

M. Dechamps. - C'est une erreur. M. Dolez m'a interpellé et j'ai dit le contraire. C'est M. Nothomb qui a interprété la disposition de cette manière. Ce n'était pas le rapporteur.

M. Frère-Orban. - Je n'ai pas sous la main vos paroles textuelles..

M. Dechamps. - Je les sais par cœur.

M. Frère-Orban. - Vous les savez par cœur, et moi aussi.

(page 162) L'honorable M. Dechamps soutint dans son rapport que l'école cessait d'être légale, qu'elle devait être fermée, qu'elle ne pouvait plus recevoir aucun subside de l'Etat, de la province ou de la commune, dès que l'enseignement religieux n'y était pas véritablement donné. Le ministre déclara de même, dans la discussion, que, en se retirant, le clergé pourrait rendre impossible l'existence légale de l'école.

Alors un libéral intolérant, un exclusif de ce temps-là, un homme farouche, un homme dangereux, l'honorable M. Dolez (interruption), s'écria : Dans ces conditions le clergé est maître de toutes vos écoles ; ce n'est pas l'intervention, c'est la domination du clergé ; je n'adopte pas votre principe. Et M. Dechamps s'est récrié vainement contre la possibilité de créer des écoles purement civiles.

Il a fallu céder, il a fallu capituler, il a fallu reconnaître, et c'est un point très important même dans cette discussion, que des écoles pouvaient exister légalement en Belgique sans le concours du clergé, fût-ce au premier degré de l'instruction.

Cette résolution est importante, même au point de vue de la discussion qui nous occupe. Car l'honorable M. Dechamps, interprétant à sa façon et la loi sur l'enseignement primaire et la loi sur l'enseignement moyen, nous tient ce langage. L'enseignement religieux est obligatoire dans l'enseignement primaire, obligatoire dans l'enseignement moyen. Comment voudriez-vous qu'on pût aller détruire ce même enseignement dans l'université ? Voilà votre thèse.

Je n'admets pas qu'il y ait de liaison à établir entre l'enseignement religieux de l’école primaire et l'enseignement à donner dans les universités. Mais le point de départ de l'honorable M. Dechamps est faux. Il n'y a point d'enseignement religieux obligatoire dans nos écoles, d'après le sens qu'il attache à ce mot, et la loi suppose, au contraire, un enseignement civil absolument indépendant de l'instruction dogmatique. Cela est d'autant plus évident que la loi admet dans la même école les enfants de cultes différents. S'il y avait une conclusion à tirer de ces faits, quant à l'enseignement universitaire, elle serait donc contraire à celle que M. Dechamps veut en faire découler. Et si la Chambre a adopté alors ces principes, si elle a consacré l'existence possible d'écoles dans ces conditions, c'est qu'elle a reconnu deux choses : la première, c'est que ces écoles peuvent être morales ; la seconde, c'est qu'il y a un enseignement laïque indépendant du clergé.

Un deuxième principe a été admis dans cette loi : c'est que la direction et la surveillance des écoles appartiendraient à l'autorité communale. Ces évêques ont déclaré que confier la direction et la surveillance des écoles aux collèges des bourgmestres et échevins, c'était mettre les mœurs en péril.

Cette opposition se reproduit encore aujourd'hui dans la ville d'Ypres où l'on prétend que le clergé ne peut donner l'instruction religieuse dans les écoles s'il n'en a pas la direction ; et l'on parle ainsi au nom de la morale.

La loi sur l'enseignement primaire repousse formellement cette prétention.

Lorsque, conformément à la loi communale, on a donné aux conseils communaux le droit de nomination des instituteurs, le clergé a demandé à être entendu. Il a demandé que tout au moins son droit fût inscrit dans un règlement. Il ne s'est pas trouvé en Belgique un ministre qui consentît à accueillir cette prétention. Je ne parle pas de ce qui s'est fait dans l'exécution sous divers ministères mixtes ou catholiques. Mais voilà donc trois principes importants consacrés par la loi. Il en est d'autres qui ont été l'objet de justes critiques.

Quand on a demandé la révision de cette loi, sur quoi, je vous prie, insistait-on particulièrement dans nos rangs ?

Il ne s’agissait point de toucher à l'enseignement religieux. Il ne s'agissait pas, apparemment, de déclarer que l'école serait fermée si le concours du clergé n'était pas obtenu. Il ne s'agissait pas apparemment de remettre au clergé la direction et la surveillance de l’école. Il ne s'agissait pas davantage de consulter préalablement le clergé sur la nomination des instituteurs. De quoi donc ? Mais il s'agissait de faire effacer de cette loi le règlement relatif au concours du clergé et d'en faire déterminer les concilions par voie administrative. Voilà quel était l'objet de la révision. On s'était élevé contre cette intervention par disposition législative comme contraire à l'esprit de la Constitution. On avait critiqué le mode d’intervention déterminé par la loi à l'égard d'une autorité qu'on ne peut pas contraindre, qui peut, en s'abstenant, rendre la loi inexécutable, ce qui est contraire à la dignité du législateur.

En 1849, la proposition de révision se fit jour dans une des sections chargées d'examiner le budget du département de l'intérieur et « la section centrale, énonce le rapport, s'est associée à l'unanimité au vœu exprimé par la deuxième section. Elle demande, de plus, que cette révision ait lieu le plus tôt possible. » La section centrale était composée, il est vrai, de libéraux très exclusifs, très intolérants, de MM. Ernest Vandenpeereboom, Lesoinne, Tesch, Prévinaire, Van Hoorebeke et Orts.

La discussion s'ouvrit dans la Chambre. Le ministère dont je faisais partie, d'accord sur le projet de réviser la loi, refusa de prendre l'engagement de présenter dans un délai déterminé, à jour fixe en quelque sorte, un projet de révision de la loi et cela seul motiva une motion de défiance, dirigée contre le ministère exclusif, et naturellement contre le libéral intolérant qui a l’'honneur de porter la parole devant vous en ce moment. L'honorable M. Henri de Brouckere lui-même demanda la révision de la loi.

« M. le ministre de l'intérieur, disait-il, tout en reconnaissant que la loi sur l'instruction primaire est loin d'être bonne, nous a dit qu'elle pourrait fonctionner quelque temps encore, sans produire les abus auxquelles elle a donné lieu. Eh bien, c'est un fait qui ne sera pas contesté, que dans l'exécution donnée à la loi, on s'est considérablement éloigné de l'esprit de cette loi, et que si, aux yeux d'une grande partie du pays, cette loi parait si mauvaise, c'est en partie parce qu'elle a été mal appliquée. Le pouvoir civil, dans l'application de cette loi, a souvent oublié sa dignité ; il s'est mis sous la dépendance, il s'est laissé traîner à la remorque de ceux vis-à-vis desquels son attitude aurait dû être non seulement indépendante et digne, mais ferme, résolue et souvent énergique. Au lieu de résister aux empiétements, il a admis spontanément, bénévolement, une suprématie réelle. »

M. de Brouckere (Henri) continuait ainsi : « En résumé nous reconnaissons que le gouvernement est, au fond, d'accord avec nous, que la loi sur l'enseignement primaire est défectueuse, qu'elle l'est sous plus d'un rapport et qu'il y a lieu de la réviser. Nous réunissant à la section centrale, nous engageons, sinon tous, je crois du moins pouvoir dire à une grande majorité, nous engageons le gouvernement à s'occuper le plus tôt possible des modifications que réclame cette loi (…)

« Jusque-là, nous attendons du gouvernement, et je l'attends, moi avec confiance, qu'il appliquera la loi dans son véritable esprit ; que loin d'admettre une suprématie quelconque, il ne se soumettra à aucune influence étrangère ; que quand il aura des nominations à faire, il n'écoutera que ses inspirations et n'introduira pas, comme l'ont fait ses prédécesseurs, dans les conseils du gouvernement un pouvoir qui n'a rien à faire, rien à dire dans l'administration civile, pas plus que lui-même ne consulte le gouvernement dans les choix qu'il a à faire. »

M. Dechamps entend-il bien ? C'est M. Henri de Brouckere qui parle ; La loi est défectueuse ; il y a lieu de la réviser. Et il parlait sinon pour tous, au moins au nom de la grande majorité des libéraux. Il n'a été contredit par personne.

Voilà, messieurs, ce que M. Dechamps appelle les libéraux intolérants, exclusifs. Voilà ce qu'il appelle aussi avoir été seul à demander la révision de la loi sur l'enseignement primaire ! Que l'exécution donnée à la loi par le ministère libéral ou d'autres causes aient ensuite contribué à modifier ces opinions, peu importe ; il n'en reste pas moins évident que ce n'est pas une minorité exclusive et intolérante qui réclamait la révision. Dans la chambre, c'était sinon tous, au moins la grande majorité des libéraux. Et, comme vous le voyez, il est impossible d’admettre un seul instant que ce fût pour exclure le clergé de l'enseignement primaire, pour supprimer l'enseignement religieux que la révision était demandée.

Dans la loi sur l'enseignement moyen, nous avons unanimement reconnu qu'il fallait régler par voie administrative l'intervention du clergé. Depuis les faits qui se sont passés, j'ai des doutes très sérieux sur le point de savoir si le règlement législatif n'est pas préférable.

Nous avons admis également l'enseignement religieux, nous avons proposé et défendu l'article 8 de cette loi qui le consacre. Nous avons admis l'amendement d'un membre de la majorité exprimant, quant à l'enseignement religieux, la même pensée que la nôtre, mais par lequel une rédaction nouvelle était substituée à la rédaction du gouvernement.

Et puis la convention d'Anvers a été faite. Je l'ai combattue. Mais l'enseignement religieux a-t-il été, encore une fois, en question ? En aucune manière.

Nous avons différé, messieurs, mes honorables amis et moi, sur le mode d'exécution, sur les conditions insérées dans ce règlement. Mais sur les principes essentiels en cette matière, sur le point de savoir si l’enseignement devait cesser d'être laïque dans nos établissements, s'il devait passer sous la direction du clergé, il n'y a eu entre mes honorables amis et moi aucune dissidence. Il y a dissidence sur la forme, il n'y en a point sur le fond. Ils n'ont pas cru que l'on essayerait de tirer de la convention d'Anvers les conséquences que je signalais et qu'ils repoussaient. Aussi, lorsque mes appréhensions ont reçu quelque continuation, vous avez entendu ceux-là mêmes qui avaient voté loyalement cette convention, déclarer hautement qu'ils en deviendraient les adversaires les plus prononcés, si on voulait l'interpréter comme le faisaient maintenant les membres de la droite de cette Chambre. Quoi qu'il en soit, loin d'avoir combattu l'introduction de l'enseignement religieux, et j'y insiste, messieurs, parce que vous verrez tout à l'heure les conséquences, bien loin d'avoir combattu l'introduction de l'enseignement religieux, j'ai repoussé plus d'une fois la proposition qui avait été faite de ne pas le comprendre dans la loi sur l'enseignement.

L'honorable M. Charles de Brouckere, renouvelant une opinion exprimée en d'autres temps par l'honorable M. Verhaegen, émettait l'avis de laisser aux ministres du culte, en dehors de l'école, le soin de s'occuper de l'enseignement religieux.

Je ne suis pas de l'avis de l'honorable M. Ch. de Brouckere, disais-je, qu'il faudrait exclure l'enseignement religieux des écoles moyennes, (page 163) laissant aux divers cultes soin de s'en occuper ; non que je ne me rapproche complètement de son opinion, en ce sens que, bien évidemment, il n'y aurait aucun péril pour la morale et la religion à ce que l'on procédât de la sorte.

« Le clergé, comme on l’a déjà fait remarquer, ne donne point d'enseignement religieux spécial aux cinq ou six cents mille adultes qui ne hantent pas les écoles moyennes. Il y a peu d'inconvénients à ce que les huit ou dix mille élèves des écoles moyennes soient dans les mêmes conditions que le reste de la jeunesse belge. A Bruxelles depuis trente ans, depuis quinze ou vingt ans dans la plupart de nos grandes villes, le clergé s'est retiré des collèges et l'on s'en est peu préoccupé.

« Mais je tiens compte des faits ; je sais que dans un certain nombre de localités du pays on attache beaucoup plus d'importance à la présence du clergé dans l'école. Eh bien, je ne veux pas, par des dispositions législatives, rendre impossible la réalisation de ce vœu que je respecte. »

Plus tard, à une époque beaucoup plus récente, répondant à l'honorable M. Dumortier, j'ai fait encore remarquer qu'il n'était pas question de l'enseignement religieux dans le projet de révision de la loi sur l'enseignement primaire, pas plus que dans mon opposition à la convention d'Anvers.

« Quand il s'est agi de la révision de la loi sur l'enseignement primaire, disais-je, ce n'était pas l'enseignement religieux qui était en question...

« D'accord sur le principe de l'enseignement religieux, on peut différer d'avis sur le point de savoir si l’intervention des ministres du culte sera réglée par la loi ou par des mesures administratives. La solution dans l'un ou l'autre cas laisse intact le principe de l'enseignement religieux, et n'implique aucune extension des limites dans lesquelles il doit être circonscrit.

« Aussi les deux solutions ont été admises par la législature, la première pour l'enseignement primaire, la seconde, pour l'enseignement moyen. »

L'honorable M. Dechamps connaissait tous ces faits ; il avait assisté à toutes nos discussions ; il m'avait entendu, il avait sous les yeux mes paroles, lorsqu'il annonçait que mon système consistait à exclure l'enseignement religieux de nos écoles. Et prenant texte de sa propre invention, il retrouvait enfin sa minorité exclusive, intolérante, hostile aux influences religieuses. Cette mission accomplie dans cette enceinte, M. Dechamps descendait de la tribune pour aller bien vite dans la presse mêler un peu de venin à son accusation. « Le prêtre hors de l'école, écrivait-il, voilà le système de M. Frère.

« Ce principe n'est pas nouveau ; c'est pendant les plus mauvais jours de la révolution qu'il est né ; il est celui de Robert Blum, d'Ochsenbein, de Mazzini. »

C'est pour arriver à ce rapprochement que mes opinions étaient travesties Et le sens n'en pouvait échapper à personne, car presque chaque jour dans les mêmes journaux qui reproduisaient les lettres admirables de l'honorable M. Dechamps, on lisait : « Mazzini, c'est l'apôtre de l'assassinat politique ; Mazzini met le poignard aux mains de ses adeptes pour tuer les prêtres et les rois. » (Interruption.) Voilà, messieurs, le nom que M. Dechamps place à côté du mien ; voilà ce qu'il n'a pas honte d'insérer dans les journaux. (Interruption.) Messieurs, je n'avais qu'un châtiment à infliger à de pareils procédés, c'était de les livrer au mépris public, comme je le fais en ce moment.

- Des membres. - Très bien. Nous sommes unanimes.

M. Frère-Orban. - Ce n'est pas, messieurs, que je recule devant l'idée que je vous ai signalée en commençant, de maintenir des écoles purement civiles, lorsque le clergé refuse son concours, on y met des conditions inacceptables. Mais je veux rétablir la vérité ; maintenir les faits et mes opinions. Ces écoles en interdit, ces écoles abandonnées par le clergé, continuent à être morales et religieuses ; et lorsque oubliant toutes les convenances, des hommes, quels qu'ils soient, oseront dans leurs mandements, signaler ces écoles, qui sont placées sous le contrôle vigilant des pères de famille, comme des foyers de corruption de la jeunesse, il s'élèvera de tous les cœurs un cri d'indignation, et nos autorités publiques protesteront à l'unanimité contre de pareilles calomnies.

Messieurs, le système qui exclut l'enseignement religieux de l'école est un système pratiqué depuis longtemps par les pays les plus moraux et les plus religieux. La Hollande, à nos portes, a depuis cinquante ans, séparé l'enseignement religieux de l'enseignement laïque, et elle l'a fait dans l'intérêt de la tolérance religieuse. Aux Etats-Unis, dont la législation a été si incroyablement parodiée par l'honorable M. Dechamps ; aux Etats-Unis, l'enseignement primaire tout entier est organisé par l'Etat, et dans tous les Etats, il y a séparation complète de l'enseignement laïque et de l'enseignement religieux. En Angleterre, la grande société des écoles britanniques et étrangères, sous le patronage de la reine, présidée tour à tour par les hommes les plus illustres de ce pays, qui compte parmi ses membres lord John Russell, le marquis de Landsdowne, lord Brougham, etc. ; cette grande société, depuis 1818, également dans une pensée de tolérance religieuse, exclut de l'école tout enseignement dogmatique. L'enseignement religieux dogmatique n'existe pas dans les écoles primaires de la catholique Irlande.

M. Dechamps pouvait donc aisément se dispenser, s'il défigurait mon opinion, de placer mon nom à côté de celui de Mazzini.

Il n'est pas non plus exact, comme le pense l'honorable M. Malou, sur la foi de l'histoire de l'honorable M. Dechamps, qu'aux Etats-Unis et en Angleterre, le budget se partage entre les cultes, que les écoles sont soumis aux cultes ; il n'est pas exact, comme l'a écrit et imprimé l'honorable M. Dechamps, qu'aux États-Unis il y ait, à côté de l'inspection civile, une inspection religieuse ; il n'existe aucune inspection religieuse des écoles aux Etats-Unis.

Cela posé, je puis dire que nous avons, mes honorables amis et moi, un principe commun, sur lequel il sera impossible de nous diviser. Ce principe, le voici : C'est l'indépendance de l’enseignement laïque. L'indépendance de l’enseignement laïque, voilà ce que nous revendiquons, voilà ce que nous défendons, voilà ce que nous avons fait prévaloir jusqu'à prescrit, et tous vos efforts ne prévaudront pas contre ce principe. C'est par cet enseignement que se propagent les idées qui font la vie du monde moderne ; c'est un principe contre lequel vous vous élèverez en vain, vous ne réussirez pas, quoique vous fassiez, à faire régner dans les écoles de l'Etat les influences exclusives du clergé.

Mais vous qui recherchez avec tant de soin au milieu de nous des dissidences, vous êtes donc bien unis ? Il n'y a donc aucune division entre vous ? Vous êtes d'accord sur tous les principes à appliquer, vous êtes d'accord sur la direction politique qu'il convient d'imprimer au pays ? N'est-ce pas une dérision ? L'honorable M. Dedecker, à qui s'adressait-il pendant la longue existence des ministères mixtes, quand il accusait en termes si rudes les catholiques exclusifs, comme il les désignait et qui siégeait à côté de lui, ces catholiques exclusifs qui voulaient, suivant les paroles de l'honorable M. Dedecker, entraîner le pays dans une fausse voie ? MM. de Theux, Malou, Dechamps, ne furent-ils pas pour M. Dedecker quand ils arrivèrent au pouvoir, un anachronisme ou un défi ? Il n'y a pas de dissidence entre vous, vous êtes unis ?

D'où viennent ces différences et ces discordes ? Ce ne sont que des choses futiles qui vous séparent ? Ce sont des principes. Pour l'honorable M. Malou, ce n'est qu'une question de tempérament !

Lorsque pendant l'existence du ministère libéral, M. Dedecker se séparant de vous, a défendu et voté toutes les mesures, une seule excepté, présentées par le cabinet libéral et repoussées par vous avec passion avec l'acharnement le plus infatigable, il n'y avait pas de différence entre vous, vous étiez d'accord, le même principe vous unissait ? Et dans cette discussion même pour la résolution que nous avons à prendre, êtes-vous d'accord ? Lorsque l'honorable M. Dumortier et l'honorable M. de Mérode interpellaient le ministre de l'intérieur qui repoussait leurs prétentions, étiez-vous d'accord ? Lorsque l'honorable M. de Haerne poursuivait de ses attaques dans les journaux, attaques signées, nous a-t-il dit, les opinions émises par l'honorable M. Dedecker à cette tribune, étiez-vous d'accord ? Lorsque M. Dechamps, toujours dans ses admirables lettres, préconisait un système contraire à celui de M. le ministre de l'intérieur, étiez-vous d'accord ? Quand M. Dechamps pose en principe que l'enseignement peut être conforme, mais jamais contraire à la doctrine catholique et que M. Dedecker répond : on peut demander aux professeurs le respect des principes essentiels de tous les cultes, mais on ne peut pas asservir l'enseignement supérieur à un dogme exclusif, êtes-vous d'accord ?

Lorsque j'ai signalé par une interruption ce dissentiment manifeste entre M. Dechamps et M. Dedecker, l'honorable M. Dedecker m'a répondu : « Je dis ce que je dis, et ne suis responsable que de ce que je dis. »

Ces paroles ne sont pas aux Annales parlementaires, mais ces paroles significatives que nous avons entendues, M. le ministre ne les reniera pas.

M. le ministre de l'intérieur (M. de Decker). - Ce n'est pas moi qui les ai supprimées.

M. Frère-Orban. - Je n'entends pas vous rendre responsable de la mention d’une interruption. Mais ces paroles ne sont pas contestées et elles indiquent entre vous le plus profond dissentiment.

La phrase même du projet d'adresse n'est qu'une équivoque. pour cacher vos dissentiments ; vous êtes profondément divisés. Et votre presse qui couronne les uns et outrage M. le ministre de l'intérieur, révèle-t-elle votre union ? Qu'y a-t-il de plus antipathique aux idées qui ont été exposées, défendues en si nobles termes par l'honorable M. Dedecker, que les idées qui ont été produites hier à cette tribune par l'honorable M. Malou ?

Et ceci m'amène à dire encore quelques mots de la question que soulève le projet d'adresse. Pour M. Malou, l'affaire de l’enseignement est bien simple, la difficulté est bien facile à vider : l'Etat c'est nous ! Il faut sortir de l'abstraction : l'enseignement c'est nous ; pourquoi les universités de l'Etat existent-elles ? Pour nous. Eh bien, réglons l'enseignement en conséquence de ces prémisses. Le professeur qui nous représente recevra un mandat de M. le ministre de l'intérieur, par-devant notaire ; on y inscrira ce que doit faire le professeur, comment il doit enseigner, et s’il n'exécute pas son mandat, on le révoquera. Le Code civil a tracé les règles du mandat ; tout est dit ; voilà la solution, de la question.

L'honorable M. Dedecker a un respect beaucoup plus profond pour les hommes de lettres, pour la science, pour l'enseignement, pour la (page 164) noble mission du professeur. Il ne consentirait pas à traiter les professeurs des universités de l’Etat de cette façon cavalière.

L’honorable M. Dedecker veut une juste et légitime liberté pour le professeur, il ne veut pas lui donner un mandat qui lui trace la ligne à suivre et dont il lui sera interdit de s’écarter dans ses investigations historiques, scientifiques et philosophiques. Ce n’est pas dans un comptoir de banque qu’il ira chercher des règles à imposer aux professeurs de l’Etat.

Dans le système de M. Malou, c’est à la majorité à décider quel est l’enseignement qui doit être donné dans les établissements de l’Etat.

Il variera probablement suivant les sollicitations des majorités parlementaires ! je sais votre système : les catholiques sont en immense majorité dans le pays, la statistique est là, dites-vous, qui constate l’existence des 12,000 dissidents tout au plus. Eh bien, il faut que l’enseignement soit exclusivement catholique, à tous ses degrés. M. Malou n’a pas conclu, mais je conclus pour lui.

Cette majorité comment la connaissez-vous ? L’opinion, les croyances comment les constatez-vous ? Vous faites appel purement et simplement à la souveraineté du nombre ; pourquoi ne demandez-vous pas le suffrage universel ? Si la sagesse est dans le nombre, si l’enseignement doit être conforme à la volonté de cette majorité dont vous parlez, faites appel au suffrage universel.

N’est-ce pas cela ? Mais en attendant que nous ayons le suffrage universel, voulez-vous vous en tenir quelque peu aux avis du corps électoral ? Que vous répond-il ? Vous êtes aujourd’hui la majorité, vous ne l’étiez pas hier, vous ne le serez peut-être pas demain ! Et n’est-ce pas un avertissement qui mérite d’être écouté ? La majorité ! mais elle a un moyen de se prononcer et elle s’est prononcée cette fois contre vous. Il y a quatre universités dans le pays. Les familles envoient leurs enfants en nombre relativement faible à l’université catholique, et en nombre relativement très grand dans les universités de l’Etat et à l’université libre. Voilà le choix des familles. Les familles se sont prononcées.

Vous parlez au nom des familles. Mais cela est assez plaisant ! Vous parlez au nom des familles qui envoient leurs enfants à l’université catholique et qui se plaignent prétendument de l’enseignement donné dans les universités de l’Etat ! Qui donc se plaint ? Qui réclame, qui insiste pour que cet enseignement soit modifié dans les universités de l’Etat ? Mais vous seuls ; vous qui parlez exclusivement dans l’intéret de vos établissements, qui sont répudiés par une partie notable du public.

Il faut donc que vous admettiez ce dilemme : ou bien la majorité n’est comme vous le prétendez, catholique en Belgique, ou bien l’on est catholique autrement que vous ne l’êtes. Or, il est évident que l’on n’est pas généralement catholique à votre façon.

Voyez en effet ce qui se passe à l’occasion de l’acte grave émané des évêques. Ils insistent avec violence pour faire déserter l’université de Gand, l’université de Bruxelles, en attendant que l’université de Liége soit inquiétée à son tour, car elle n’est pas non plus orthodoxe, et déjà M. de Mérode a signalé les opinions d’un professeur de cet établissement. Leur voix n’a pas été écoutée. Les universités mises à l’index restent dans les mêmes conditions, elles sont après aussi florissantes qu’auparavant. Voilà une manifestation de l’opinion qui indique clairement combien vous vous abusez lorsque vous vous constituez les défenseurs du vœu des familles.

On m’a accusé (c’est l’honorable M. Malou) d’avoir fixé une règle, un principe inadmissible pour déterminer la limite de l’enseignement dans les établissements de l’Etat. J’aurais indiqué comme règle la morale universelle et j’aurais ainsi permis d’enseigner les doctrines les plus dangereuses.

M. Malou. - Vous avez exclu le matérialisme et l’athéisme.

M. Frère-Orban. - Je n'ai pas déterminé de limites. Je me reconnais incapable d’en déterminer. Je ne suis pas plus habile que vous, que mes honorables amis, que M. le ministre de l’intérieur. Il faut que le professeur ait une grande liberté, cela est incontestable ; mais dire d’avance à quel point il s’arrêtera, c’est évidemment une chose impossible. Vous ne voulez pas qu’il touche aux questions que l’Eglise a résolues ; ni qu’il soit d’une autre opinion que celle de l’Eglise. Mais remarquez que depuis 18 siècles l’Eglise est si intimement liée à toutes les choses de l’histoire, qu’il est impossible d’énoncer une opinion historique sans s’exposer à froisser l’opinion de certains catholiques.

Il y a un moyen peut-être de marquer assez nettement ce qui nous sépare Un écrivain de la compagnie de Jésus a dressé un catalogue des livres qui ne peuvent être lus et de ceux que l'on peut lire. J'en ai trouvé un extrait dans les journaux. Voici les livres défendus :

« Guizot, cours d’histoire moderne. Histoire de la civilisation en Europe. Histoire de la civilisation en France. Guizot est un ennemi bien dangereux du catholicisme. Le dernier ouvrage est un beau livre de littérature, c’est le plus détestable comme histoire et comme doctrine.

« Cousin. - Il mine le catholicisme. Il est panthéiste.

« Malte Brun. - Géographie parsemée de traits contraires à la religion catholique.

« Montesquieu. - Son livre de l’Esprit des lois a préparé la révolution française !

« Pascal. - Les Lettres provinciales foudroyées par l’autorité ecclésiastique.

«Bernardin de Saint-Pierre. - L'esprit philosophique et irréligieux du 18e siècle s'y fait sentir. Toutes les religions lui sont indifférentes. Il calomnie le clergé.

« Salvandy, de l'Académie française. - L'auteur appartient à cette école historique moderne qui envisage le christianisme d'une manière tout humaine.

« Augustin Thierry. - Il dénigre le christianisme. Son histoire de la conquête d'Angleterre est très mauvaise.

« Thiers. - M. Thiers est un Caïn politique. Il dirige l'homicide moral contre la société, etc., etc. »

Mais on peut lire sans crainte et sans péril : Crétineau-July qui a, il est vrai, outragé la mémoire de Clément XIV, ainsi que l’a démontré un professeur de l'université catholique, mais qui a bien défendu les jésuites ; ou peut lire encore M. Todière (interruption), M. Tutron (interruption) ; M. Griffet, M. Charles-le-Griben... (Interruption.)

Voilà, ce me semble, assez bien la ligne de démarcation qui existe entre nous. Nous aimons mieux dans l’enseignement les livres de M. Guizot que ceux de M. Todière. Vous préférez ceux de M. Todière. Mais nous aimons la liberté ; nous souffrons bien volontiers qu'on lise M. Griffet et M. Griben.

M. Dumortier. - Ne nous opposez pas l'opinion d'une personne.

M. Frère-Orban. - Mais remarquez-le bien, c'est une grande autorité.

M. Dumortier. - Non ! non !

M. Frère-Orban. - Messieurs, prenez-y garde ; les écoles que vous avez sont précisément sous cette direction-là. Ou n'y lit pas M. Guizot, mais on y lit M. Griben.

Il y a une autre raison, messieurs, c'est que la plupart des livres que je viens de citer et que l'on ne doit pas lire, sont des livres mis à l’index.

Ainsi dans l'impossibilité de trouver à formuler un principe qui nous sépare, parce que chacun abuse des principes, ; il vaut mieux prendre un exemple. Vous voulez que l’enseignement soit régi d'après les idées que révèle cette division entre les bons livres et les mauvais livres.

M. Coomans. - Du tout.

M. Frère-Orban. - Tant mieux ! Protestez.

M. Coomans. - Sans doute, et très haut encore.

M. Dumortier. - Il ne faut pas nous attribuer des idées qui ne sont pas les nôtres.

M. Frère-Orban. - Remarquez-le bien, vous ne m'offensez pas en protestant ; j'en suis enchanté ; il faut que l'on fasse justice de l’absurdité. Mais vous n'êtes pas les maîtres. Dans toutes les écoles que vous vantez, je le répète, c'est cet enseignement qui prévaut. (Dénégation.) Comment ! Mais c’est un des membres de cette corporation qui l'annonce, qui le dit hautement, publiquement. Est-ce que dans cet institut on lit les livres qui sont à l'index ? Or, les livres qui sont cités sont presque tous des livres à l'index.

Messieurs, il se peut qu'il y ait dans le pays un certain nombre de personnes qui aiment que l'histoire soit enseignée d’après les livres recommandés par l'écrivain de la compagnie de Jésus. Nous aimons mieux notre méthode. Nous ne voulons pas que l’esprit qui règne dans ces livres passe dans l'esprit de nos jeunes générations. Nous voulons qu'on apprenne dans nos écoles non l’histoire arrangée, mais l'histoire vraie. Nous voulons que l'on s'y pénètre par l’instruction, par l'éducation, de l'esprit moderne. Nous voulons que l’instruction reflète un profond amour pour les principes qui nous régissent. Or cet esprit ne règne ni dans les livres ni dans les écoles des jésuites.

L'honorable M. Dechamps s'est fort indigné à ce propos. Il a même trouvé que de pareilles assertions constituaient de véritables calomniée, Mais il rabaisse singulièrement le rôle de l'institut qu'il prétend défendre.

Messieurs, la pensée qui dirige cet institut est grande. Je la comprends, je ne la partage pas et je la combats.

Est-ce que vous voulez nous persuader que les jésuites se réunissent pour donner des leçons aux petits enfants, n’importe de quoi, n'importe dans quel esprit ? Non, sans doute. C’est pour faire prévaloir une idée. C'est une idée très grande, à l’accomplissement de laquelle l'ordre ne suffira pas, qu'il a été impuissant à faire prévaloir dans le passé et qui n'a pas de chances de faire triompher aujourd’hui. Les jésuites veulent ressusciter la puissance de la papauté ; ils veulent lui rendre la direction morale de la société. Et par conséquent, ce que cet ordre doit vouloir, c'est que cette idée soit accueillie, c'est qu'elle se répande dans la société et c'est pour cela qu'il l'enseigne, qu'il la prêche, qu'il la publie.

Eh bien ! messieurs, la conséquence immédiate de l'idée que je viens de signaler, c'est précisément l'attaque à vos principes constitutionnels. Remarquez bien qu'il ne s'agit pas de la forme du gouvernement. L'institut dont je parle se préoccupe très peu de la forme du gouvernement ; il ne combat ni pour la république, ni pour la monarchie, ni pour les gouvernements parlementaires, ni pour les gouvernements qui ne le sont pas. Cela importe peu au but qu'il poursuit. Ce qui lui importe, c'est que, quelle que soit la forme du gouvernement, l'esprit qui y domine, l'esprit qui y règne, soit celui qu’il entend faire prévaloir.

(page 165) Or, croyez-vous, croyez-vous sincèrement que si l'on accoutume nos populations à ne pas considérer l'encyclique, par exemple, de la même manière que l'honorable M. de Haerne ; si l'on persuade à nos populations que tous les principes qui sont renfermés dans la Constitution sont détestables, impies, hérétiques, croyez-vous qu'il ne peut pas se présenter une heure où l'on dira que,principes religieux ou politiques, les principes de ce genre on ne doit pas les laisser subsister ?

Croyez-vous qu'on fera aisément les distinctions que vous avez présentées ici ? Et si les décisions de l'encyclique sont purement religieuses et non politiques, ce que je ne comprends guère, si elles sont destinées au sanctuaire et aux lévites seulement, pourquoi donc les faire figurer dans un mandement relatif à l'enseignement public ? Pourquoi donc a-t-il fallu que l'on sommât un ministre constitutionnel de faire enseigner dans les établissements de l'Etat que les doctrines qui sont la base de notre Constitution, sont des doctrines fausses et dangereuses ? Nous ne voulons pas, messieurs, que cet esprit prévale dans les écoles de l'Etat. Et c'est là, soyez-en bien convaincus, l'une de nos grandes préoccupations. Ce n'est pas, comme vous essayez de le faire croire, l'idée religieuse que nous poursuivons, l'idée religieuse, la plus grande qu'il y ait dans le monde, celle sans laquelle la société n'est pas possible ! Nous n'attaquons pas l'idée religieuse, mais nous pensons, nous sommes profondément convaincus que la liberté seule est favorable au développement des idées religieuses.

M. de Naeyer, rapporteur. - C'est mon opinion.

M. Dechamps. - Nous sommes d'accord.

M. Frère-Orban. - Profondément convaincus, oui, messieurs. L'idée religieuse se corrompt sous le despotisme.

M. Dumortier. - C'est vrai.

M. Frère-Orban. - On a depuis longtemps, en Angleterre, la plus grande liberté de discuter toutes les questions religieuses. Il ne s'y est rien produit d'irréligieux qui ait eu quelque succès. L'idée religieuse est une des principales préoccupations de la société anglaise. Aux Etats-Unis, l'idée religieuse peut se produire avec la plus grande et la plus complète liberté, l'idée religieuse est la préoccupation de toute la société. Oh ! ne craignez rien de cette liberté, si, se détachant un peu des intérêts matériels, la société belge prend part aux grandes discussions qui nous parlent de Dieu, de nos devoirs, de notre destinée future ! Quel que soit le drapeau sous lequel on se range pour discuter et défendre les idées religieuses, que ce soit le drapeau catholique, israélite, protestant ou philosophique, on accomplira une œuvre utile à la société.

(page 145) M. le ministre de l'intérieur (M. de Decker). - Messieurs, la Chambre va bientôt se prononcer sur les questions dont la discussion, à bon droit, l'a si vivement préoccupée depuis huit jours.

Moi aussi, messieurs, je me félicite d'avoir provoqué cette discussion, puisque, par l'importance politique des représentants des deux opinions qui ont pris part à ces débats et par la hauteur à laquelle ils ont su s'élever, ils nous ont mis à même de constater une fois de plus le développement progressif de notre esprit public et d'ajouter une magnifique page à l'histoire de notre jeune Parlement. Je m'en félicite aussi, messieurs, parce que ces débats ont fourni au gouvernement l'occasion de dessiner nettement devant le pays la position qu'il a prise et qu'il entend conserver.

Si je regrette une chose, messieurs, après le discours que vous venez d'entendre, c'est que l’honorable préopinant n'ait pas su se montrer, je ne dirai pas généreux mais juste à l'égard de ses adversaires et surtout à l'égard de cet homme auquel me lie une vieille et fidèle amitié et que j'ai le droit de considérer aussi comme une des gloires de notre Chambre des représentants, à l'égard de cet homme politique qui a consacré toute sa vie à la défense de nos principes constitutionnels, qui a mêlé son nom à toutes les grandes questions agitées dans cette enceinte et dont la voix retentit, pleine d’influence, au fond de tous les cœurs belges.

Messieurs, je ne puis point suivre l'honorable préopinant dans l'examen de toutes les questions politiques par lesquelles il a fait passer la chambre. Il faut, messieurs, à la fin de ce débat, que je rentre dans la question et que j'explique en quelques mots la situation qui est faite aux différentes parties de cette Chambre et la position que le gouvernement entend aussi se faire dans ce débat.

L’honorable M. Devaux a présenté à la Chambre, dans la séance d'hier, un amendement que (lui-même l'a avoué franchement et je le remercie de sa franchise), le gouvernement ne saurait accepter.

Il contient, en effet. le blâme des actes posés par le gouvernement et le blâme aussi des principes que le gouvernement a professés dans sa circulaire. (Interruption.) Si le mot blâme est trop fort, je dirai que l'amendement constate tout au moins un désaccord formel avec les actes et les principes du gouvernement.

L'honorable M. de Mérode avait présenté, avant l'honorable M. Devaux, un amendement qui, de l'aveu de l'honorable membre lui-même, n'a pas une grande portée. Le gouvernement ne peut pas non plus se rallier à cet amendement,, et il vient demander le maintien de la rédaction primitive.

Messieurs, le gouvernement s'est rallié, dès l'origine du débat, à cette rédaction, parce que, quelque incomplète qu'elle soit, il résulte de l'aveu de tous les membres de la commission, aveu qui a été reproduit publiquement, que cette rédaction contient l'approbation des principes déposés dans la circulaire, objet de la discussion. Le gouvernement accepte donc cette rédaction parce que, encore une fois, de l'aveu de tous les membres de la commission, cette rédaction ne renferme, quant aux principes, ni plus ni moins que la circulaire, et que,, quant aux faits, elle contient aussi l'approbation des actes posés par le gouvernement dans l'affaire de l'université de Gand.

Ce qui est donc, en réalité, soumis au vote de la Chambre c'est, d'une part, la circulaire émanée de mon département, et, d'autre part, la proposition de l'honorable M. Devaux.

Vous me permettrez, messieurs, de justifier une dernière fois et très brièvement les principes que le gouvernement a professés dans cette circulaire.

Le professeur est-il libre dans son enseignement et dans ses publications, absolument libre ? Personne n'a osé le dire. Personne n'a osé soutenir que le professeur, dans son enseignement ou dans ses publications, même étrangères à son enseignement, soit complètement libre.

La première question qui se présente est de savoir s'il faut chercher à fixer des règles à cet égard. L'honorable M. Devaux croit que c'est là un rôle que la Chambre n'a pas à remplir. D'après l'honorable membre, la Chambre ne peut point fixer ce qu'il appelle la règle des destitutions. Que nous demande-t-on, en effet, dit l'honorable membre. C'est une règle pour les destitutions.

Eh bien, messieurs, je ne comprends point comme l'honorable membre, la théorie constitutionnelle dans ses rapports avec la question actuelle. Evidemment le gouvernement a le droit et le devoir de tracer une règle de conduite à ses fonctionnaires, aux professeurs comme aux autres. Ce n'est pas là fixer une règle de destitution ; c'est tracer une ligne de conduite que les professeurs ont à suivre. Il est vrai que, s'ils ne la suivent pas, ils deviennent coupables envers le gouvernement, qui a le droit de les punir ; mais il en est ainsi de tous les fonctionnaires.

Ainsi, dans la plupart de nos lois organiques, les devoirs des fonctionnaires sont tracés ; et si les fonctionnaires ne remplissent pas les devoirs qui leur sont imposés, les professeurs deviennent susceptibles d'une pénalité quelconque.

Mais, dit l’honorable membre, cela fait disparaître toute la responsabilité du gouvernement. Tel n'est pas mon avis. Pour ma part, je n'ai entendu échapper en aucune façon à la responsabilité de mes actes, en demandant à la Chambre de ratifier les règles que j'ai jugé nécessaire de poser. Pourquoi fixons-nous des règles ?

Nous les fixons d'abord pour prévenir tout arbitraire.

Il y a là une première garantie pour le fonctionnaire ; il en trouve une seconde dans la responsabilité du gouvernement, laquelle se rattache à l'application de la règle. Au fond, mon système qui détermine une règle, est donc plus favorable aux professeurs, que le système qui n'en détermine pas.

Citons un exemple. Ces jours derniers, on a parlé à diverses reprises de la liberté communale. Certes, cette liberté doit nous être au moins aussi chère que la liberté de la science. Or, qu'a-t-on fait pour le chef de la commune ? A-t-on reculé devant la pensée de tracer les devoirs de ce fonctionnaire ci de poser des cas de destitution. L'article 56 de la loi communale dit positivement que le Roi peut, pour inconduite notoire ou pour négligence grave, suspendre ou destituer le bourgmestre.

Il en est ainsi de la plupart de nos lois. On ferait un code avec les dispositions éparses relatives aux règles tracées aux divers fonctionnaires de l'Etat.

Pourquoi, dans la question actuelle, répugne-t-on à admettre ces règles ? Je remarque que, sous ce rapport, les esprits sont, sous une triple impression.

La première impression est celle qui résulte de la difficulté de tracer d'une manière exacte les principes en cette matière ; en second lieu, on se préoccupe des inconvénients qui peuvent résulter de ces règles, soit pour le professeur, soit pour la science ; en troisième lieu, on s'alarme des abus auxquels l'application de la règle peut donner lieu.

Je conçois cette triple préoccupation des esprits ; mais je n'y vois pas un motif pour nous refuser à tracer une règle.

Ainsi, on ne peut pas fixer d'une manière très précise la limite qui doit être posée à la liberté du professeur ; mais ce n'est pas une raison de ne pas chercher à nous rapprocher, autant que possible, de ce qu'on croit être la vérité, sinon absolue, du moins relative.

On part de cette idée qu'à force de réglementer on peut arriver à ce résultat qu'on nuira soit à l'enseignement du professeur, soit à sa personne.

Mais ne peut-on pas craindre non plus qu'en se refusant à toute (page 146) réglementation, on n'aboutisse, en fait, à la liberté illimitée ? C'est ce qu'on ne veut pas, et ce qu'on ne peut pas vouloir.

Il y va, avant tout, d'un principe constitutionnel. En effet, il importe de savoir quelle doit être la conduite du professeur lorsqu'il a à traiter des questions religieuses en rapport avec des questions philosophiques ou scientifiques.

Le professeur n'étant que l'organe du gouvernement,ne peut pas poser des actes qui soient contraires aux principes essentiels de la Constitution. Il y a donc là une limite certaine ; il est évident que le professeur ne peut pas sortir de cette règle. Vous avez beau vous refuser à inscrire la règle dans une circulaire ; elle existe de fait. Lorsque pour la première fois je l'ai indiquée dans la séance du 22 janvier dernier, tout le monde, dans cette enceinte, a semblé reconnaître la parfaite justesse de mes observations. Depuis cette époque, et jusque dans ces derniers temps, tous les journaux, et surtout les journaux libéraux, n'ont pas cessé de considérer ces observations comme étant parfaitement en harmonie avec les principes de la Constitution.

Il y va aussi de l'intérêt de l'Etat et de celui de ses universités. En effet, vous ne voulez pas faire de vos universités une succursale, soit de l'université de Louvain, soit de l'université de Bruxelles, il faut prendre des mesures en conséquence. Il y a là une distinction à maintenir, et il est du plus haut intérêt pour l'Etat que cette distinction soit conservée.

La deuxième préoccupation des esprits se rapporte aux inconvénients qui peuvent résulter de l'application d'une règle pour les professeurs. Je crois avoir déjà suffisamment réfuté cette objection. Il est évident que la fixation d'une règle, si elle est jusqu'à un certain point un frein, mais un frein légitime pour le professeur, devient aussi pour lui une garantie, comme toute loi qui restreint nos actions, devient aussi pour nous une garantie contre l'arbitraire d'autrui.

Quant à l'influence des règles posées sur l'enseignement des professeurs, il doit être parfaitement reconnu que le gouvernement ne propose rien de nouveau. Quelle est donc, en définitive, la portée de ces règles ? C'est de maintenir cette liberté raisonnable dont les professeurs ont joui jusqu'à présent dans leurs chaires. Quelques-uns semblent vouloir exagérer cette liberté ; dès lors il importe au gouvernement d'avoir une direction pour arrêter cette velléité d'indépendance complète qui pourrait, dans un avenir plus ou moins prochain, donner lieu à de regrettables écarts.

Les règles que j'ai posées ne restreignent donc en rien la liberté dont les professeurs ont joui jusqu'à présent. Or, la généralité des professeurs eis universités de l'Etat se plaignent-ils de la position qu'on leur a faite jusqu'aujourd'hui ? Non ; les règles tracées dans la circulaire ne pourraient déplaire qu’à ceux d'entre les professeurs qui veulent exagérer la liberté que comportent leurs discussions.

Enfin, on redoute les abus. Mais encore une fois, ce n'est pas une raison de ne pas agir, parce qu'on pourrait abuser des règles que nous traçons. On sait parfaitement que, dans cette matière surtout, il est impossible de poser un fait qui ne reçoive pas à l'instant même la plus grande publicité. Eh bien,je maintiens que dans cette publicité se trouve la véritable responsabilité du gouvernement, la véritable garantie du professeur contre toute espèce d'abus de la part de l'autorité.

Maintenant examinons rapidement quelle est la règle que j'ai posée.pour le professeur enseignant. Cette règle est que le professeur doit s’interdire, en matière religieuse, toute attaque directe contre les principes essentiels de tous les cultes. Les mots dont se sert la commission d'adresse n'ont, dans ma pensée et dans celle des membres de la commission, que la même signification. Ainsi, on ne discute pas ici sur des mots et sur des phrases ; on sait parfaitement ce qu'en veut, c'est-à-dire le respect sincère pour les principes essentiels de tous les cultes.

Du reste, messieurs, je n'ai cessé de répéter moi-même que je reconnais qu'il est impossible de prévoir d'une manière exacte quelle peut être l'application de ces règles. Il peut y avoir là des circonstances diverse nature dont il faut tenir compte. Si le gouvernement prend une mesure par suite des règles qu'il soumet aujourd'hui à votre appréciation, il doit subir, et il subira, la responsabilité de l'acte qu'il pose.

Quelle est la règle proposée pour les publications ?

Pour les publications personne encore n'a osé aller jusqu'à dire qu'il y a une liberté complète. De bonne foi, je me suis mis à la recherche de la limite la plus rationnelle, la plus constitutionnelle à apporter à la liberté du professeur.

J'entends beaucoup d'honorables membres avouer que la liberté de publication n'est pas complète pour le professeur ; mais ils se trouvent, eux aussi, en complète divergence d'opinion quand il s'agit de limites à tracer à cette liberté. Chacun parle pour son compte, quand il s'agit de poser une base d'appréciation pour cette limite. L'honorable M. Frère vient encore d'avouer qu'il lui est impossible de fixer d'une manière exacte une limite à la liberté d'écrire du professeur. M. de Brouckere, lui, veut une limite plus dans la forme que dans le fond ; la publication ne devient répréhensible que lorsqu'elle prend la forme d'un pamphlet. L’honorable M. Vervoort veut pour limite les convenances. M. Devaux considère aussi la question de forme comme très importante dans ces questions. Quelles règles tracer par conséquent ? J'ai avoué à diverses reprises qu'il me serait impossible de dire, au point de vue des principes, quelle est la limite à imposer au professeur dans ses publications scientifiques, littéraires et philosophiques, sur des matières étrangères à son enseignement.

Ce que je sais, c'est que, si je veux pour lui une liberté grande, il y faut cependant une limite. Le professeur est fonctionnaire de l'État et responsable, jusqu'à certain point, devant le gouvernement, pour les actes qu'il pose même en dehors de son enseignement. Il ne devient jamais un citoyen complètement libre.

Le gouvernement a le droit d'exiger que le professeur accomplisse la mission qu'il lui a donnée. Si le professeur pose un fait quelconque de nature à contrarier les vues du gouvernement dans la mission qui lui a été conférée, le gouvernement a le droit et le devoir de lui dire qu'il manque à sa mission et de prendre des mesures, sous le contrôle des Chambres et sous sa responsabilité devant elles.

C'est là ce que j'ai appelé l'intérêt de l'université. On s'est étrangement mépris quand on a qualifié d'immorale l'idée de prendre pour guide de conduite en cette matière l'intérêt de l'université.

Ce n'était pas de l'intérêt purement matériel qu'il pouvait s'agir ici. Aussi, je proteste de toutes mes forces contre cette qualification. J'ai voulu parler de l'intérêt moral de l'université. Qu'importe, matériellement parlant, qu'il y ait à l'université de Gand, cent ou six cents élèves ! là n'est pas la question. Il ne s'agit pas d'un intérêt matériel mesquin, mais du crédit, de l'honneur et de la considération de l'université comme établissement de l'Etat.

On a mis en avant l'intérêt de la science pour s'opposer à la fixation d'une règle quelconque pour les publications du professeur.

Je ne pense pas que ce soit sérieusement qu'on puisse m'accuser de vouloir opposer d'inutiles entraves au développement de la science. Je ne suis pas homme à rétablir, même indirectement, une censure quelconque ; et quant aux professeurs, j'ai une trop haute opinion de leur caractère, de leur dignité pour penser que pour plaire à tel ou tel ministre ils consentent à subir cette censure et à lui soumettre le résultat de leurs investigations scientifiques, historiques ou philosophiques. Comme ministre constitutionnel, je n'admets pas, comme on a voulu l'insinuer, l'Index pour règle. Et, à ce propos, puisque l'honorable M. Frère a cru devoir donner lecture de quelques extraits d'un catalogue de livres défendus et de livres permis publié à Bruxelles, je lui dirai que je connaissais ce catalogue d'ancienne date, et qu'il m'est arrivé bien souvent de déplorer la rédaction de semblables pièces, qui ne tendraient à rien moins qu'à préparera la Belgique une génération de crétins.

Encore une fois, comme ministre constitutionnel, je saurai toujours apporter dans mes appréciations des publications du professeur cette largeur de vues que comporte notre civilisation intellectuelle.

On m'a rappelé, il y a peu de jours, un fait que j'ai posé et que je ne regrette pas, puisqu'il atteste mes sentiments d'impartialité constitutionnelle. Oui, j'ai proposé la décoration pour un professeur de l'université de Bruxelles connu par des écrits hostiles au dogme catholique. Ce fait doit vous prouver que je sais reconnaître la science sous quelque drapeau qu'elle se présente, que je sais pratiquer envers mes adversaires comme envers mes coreligionnaires, la plus haute impartialité.

Ce fait, par la citation duquel on a cru m'embarrasser, me fait donc honneur. Y a-t-il là une inconséquence ? Mais pas le moins du monde ! Je pouvais faire décorer le professeur de l'université de Bruxelles comme savant et citoyen libre ; mais je puis, sans être inconséquent, blâmer, en ma qualité de ministre, un professeur fonctionnaire, dans l'intérêt de l'université. D'une part, je pouvais apprécier le mérite d'un écrivain comme écrivain, et d'autre part, comme ministre responsable, blâmer un professeur froissant par une publication la conscience publique et portant ainsi un préjudice grave à un établissement de l'Etat.

Messieurs, ne perdons pas de vue le fond même de ces débats sérieux.

En définitive, la Chambre doit le reconnaître, j'ai un devoir à remplir comme ministre.

L'article 28 de la loi m'imposa la surveillance et la direction des universités de l'Etat. Ce que je demande à la Chambre, c'est de m'aider à remplir ce devoir que la loi m'impose. Je disais à la fin de ma circulaire, que le gouvernement considère comme un de ses devoirs les plus impérieux et comme une de ses plus précieuses prérogatives de conserver, prospères et respectées, les universités de l'Etat ; aujourd'hui je viens par la discussion et le vote, associer la représentation nationale à l'accomplissement de ce devoir.

J'ai voulu que le gouvernement, par l'appui de la Chambre, fût plus fort et pût prendre, avec une autorité plus grande, les mesures nécessaires pour assurer la prospérité de ces universités.

Pour moi, je n'ai pas de projet préconçu ni de parti pris pour l'application de ces mesures dans l'avenir ; et, à cet égard, je me réserve pleinement mon libre examen. Pour vous donner même une preuve du vrai libéralisme dont je suis animé, quant à l'appréciation de livres publiés par des professeurs, je n'hésite pas à vous dire que, lorsque M. Laurent a publié sur l’histoire du droit des gens, les trois volumes dont son dernier ouvrage est indirectement la continuation, je les avais lus, et il ne m'était jamais venu à la pensée qu'on dût ou qu'on put provoquer aucune mesure contre. lui, ou même le blâmer au nom du (page 147) gouvernement. Et cependant, ces trois premiers volumes étaient loin d'être écrits à un point de vue orthodoxe.

Mais dans le dernier volume qu'il a publié, ce professeur a heurté de front toutes les grandes vérités du christianisme : il y a émis, fatalement si l'on veut, des doctrines qu'il n'avait pas soutenues dans les trois volumes précédents, et qui étaient évidemment de nature à froisser profondément la conscience publique. Dès lors, j'ai cru devoir prendre à son égard une mesure que je considérais et que je considère encore comme dictée par l'accomplissement de mon devoir.

Ainsi que nous le rappelait dans une précédente séance l'honorable M. Devaux, les questions que nous agitons aujourd'hui à propos de l'enseignement supérieur sont d'une haute gravité ; et, pour moi, je déplore profondément que cette discussion doive avoir lieu sous l'impression de préoccupations dues aux circonstances au milieu desquelles nous nous trouvons.

Il ne m'a pas été possible de remettre cette discussion. J'ai cru devoir au contraire l'avancer le plus possible dans l'intérêt du pays. Il n'en est pas moins vrai qu'au point de vue des principes à poser, il est regrettable que la discussion ait lieu dans les circonstances actuelles.

Car il ne faut pas se le dissimuler les principes que je défends sont combattus par un grand nombre d'entre vous qui les admettraient, s'ils n'étaient pas en présence de circonstances extraordinaires, et sous l'empire de préoccupations étrangères au sujet discuté.

Quant à moi, dans tout cela, je n'ai jamais eu, je n'aurai jamais qu'un seul but : la prospérité des universités de l'Etat. Je n'ai eu qu'un seul guide : la Constitution.

J'ai même la conviction que si je n'avais pris aucune mesure, si au lieu de chercher à assurer la prospérité des établissements, je les avais laissé aller à la dérive, ceux mêmes qui me critiquent aujourd'hui m'eussent accusé d'avoir forfait à mes devoirs ; peut-être m'eût-on soupçonné d'être le complice de ceux qui paraissent systématiquement hostiles à ces établissements.

Mais les mesures que j'ai prises, les principes que j'ai professés n'ont eu d'autre motif que de contribuer à défendre, dans la mesure de mon pouvoir, l'existence d'une université de l'Etat, et à la prémunir contre les dangers à venir.

En agissant ainsi, je crois avoir posé un acte administratif que je ne regretterai jamais de la vie et qui sera utile au pays. J'attends de l’intelligence de la Chambre la ratification publique de ma conduite.

Messieurs, avant de passer au vote, il importe de dessiner nettement la position du cabinet.

Nous ne devons pas nous le dissimuler, la question est devenue toute politique.

Le cabinet ne compte pas, il n'a pas le droit de compter sur les sympathies de la gauche.

Les hommes les plus éminents de la droite lui promettent leur appui et leur vote. Ce vote, nous l'acceptons honorablement, parce qu’il est donné loyalement.

Ce vote, nous l'acceptons, parce qu'il a pour nous cette portée, qu'il est l'approbation solennelle du système modéré et transactionnel que nous avons adopté, que nous avons constamment et sincèrement cherche à faire prévaloir dans la direction des affaires du pays.

Ce système a-t-il été approuvé dans tous les rangs de nos amis ? Il m'est pénible de le dire (je ne parle pas de la Chambre, je parle du dehors), il m'est pénible de le dire, ce système de modération, qu'on trouvait admirable quand je le défendais pour combattre les libéraux, aujourd'hui quand je viens l'appliquer à une fraction de catholiques contre les tendances de laquelle j'ai protesté l'autre jour, on le trouve « une duperie » ; car c'est l'expression qui paraît consacrée.

Quand nous nous efforçons, dans les questions de politique intérieure, de faire triompher la Constitution, nous voyons tous les jours les colonnes de certaine presse se remplir d'attaques empruntées à un journal étranger et dont le résultat est de provoquer au mépris des principes de notre Constitution.

Sommes-nous donc unis ?

Eh bien, au risque de paraître tomber dans un piège qu'on me tend peut-être et que je vois parfaitement bien, au risque d'être désagréable à quelques amis en dehors du parlement, la loyauté me commande de dire qu’il m'est impossible de trouver que nous sommes parfaitement d'accord sur toutes les questions de la politique intérieure du pays.

Pour les questions sociales, et lorsqu'il s'agit de principes constitutionnels, je suis d'accord avec les honorables membres de la droite et avec cette partie de la presse catholique qui défend ces mêmes principes en dehors de cette enceinte.

Mais quand il s'agit des divers détails de notre politique intérieure, il est évident qu'une fraction des catholiques n'approuve plus la conduite du cabinet.

Et quand l'honorable M. Malou disait hier que toute la difficulté porte sur les questions purement religieuses qui se sont présentées récemment, il sait mieux que moi qu'il existe d'autres causes de division ; il sait mieux que moi que les questions religieuses n'ont été qu'un prétexte pour ameuter contre moi l'opinion dans les Flandres ; il sait mieux que moi que le véritable grief que l'on a contre moi, c'est que je n'ai pas voulu m'associer à de petites vengeances personnelles, à un système de destitutions politiques que repoussent à la fois et ma conscience et mon caractère.

Je le déclare donc hautement, le gouvernement est résolu à persévérer dans la politique conciliatrice qu'il a suivie jusqu'à présent. Si le vote favorable qu'on se propose d'émettre n'avait pas pour signification l'approbation de cette politique, je résignerais à l'instant même le pouvoir, que je ne pourrais plus exercer avec cette conviction d'être utile, qui seule peut en légitimer la possession et qui seule aussi peut en faire supporter les amertumes.

Nous sommes donc résolus à rester « nous » ; nous n'entendons en aucune façon servir de personnes interposées pour faire prévaloir un système politique qui ne serait pas le système conforme aux inspirations de notre conscience et en harmonie avec tous nos antécédents.

En agissant ainsi, j'ai la certitude d'agir dans l'intérêt du pays ; car j'ai la conviction que cette politique de conciliation repose sur une parfaite conformité avec ce que j'appellerai le sentiment intime, et, pour ainsi dire, le tempérament du pays. La Belgique repousse l'exagération de quelque part qu'elle vienne. C'est à cette conviction que j’ai obéi dans toute ma carrière politique. Depuis que je suis au pouvoir, j'ai pu, mieux que jamais, constater cette situation des esprits.

Le mal, messieurs, c'est que malheureusement la parole est presque toujours aux extrêmes. Le mal, c'est qu'à force de mouvement et de bruit, les extrêmes s'imposent aux hommes modérés de tous les partis d'ordinaire plus réservés et plus timides.

Ah ! si les hommes modérés avaient le généreux courage de leur modération, comme les hommes extrêmes et exaltés ont le triste courage de leurs exagérations, vous verriez bientôt apparaître, au milieu de la poussière soulevée par la lutte des partis, cette Belgique calme et sereine, qui sourit à tous ses enfants avec la même affection et qui ne répudie le dévouement d'aucun d'entre eux. Si tous les hommes modérés avaient la millième partie de l'activité, de l'énergie des extrêmes, il serait constitué de fait, ce parti qu'entrevoit dans un prochain avenir l'honorable M. Devaux.

Si donc la politique de transaction apparaît à l'honorable M. Orts comme une politique qui n'est que personnelle, il se trompe étrangement.

Messieurs, plus j'avance dans la carrière politique, plus je vois que les hommes politiques ne valent pas comme personnes, qu'ils ne valent que comme personnification d'une idée, d'un système, d'une situation.

C'est ce que j'ai toujours compris. Aussi, ce qui fait ma force au milieu des difficultés du pouvoir, c'est que je sens que mon cœur bat à l'unisson avec celui du pays.

Cette politique de modération et de transaction, je continuerai dont, avec mes honorables collègues, à la pratiquer.

Eh ! pourquoi désespérerais-je de cette politique ? En désespérerais-je à cause du mouvement qui semble aujourd'hui imprimé d'une façon si imprévue à l'opinion publique ? Mais, au contraire : c'est un signe du temps pour moi. Toute cette émotion est pour moi une preuve nouvelle que le pays répugne à toute espèce d'exagération de quelque part qu'elle vienne. Plus les écarts entre les opinions extrêmes deviennent grands, plus est grande aussi la place qui est réservée aux hommes qui veulent se grouper autour du drapeau de la modération et de la transaction. Plus les opinions deviennent extrêmes, plus leur lutte est vive, plus aussi devient impérieuse et évidente pour tous la nécessité de la constitution d'un parti modéré, s'appuyant sur l'immense majorité du pays.

Pourquoi désespérais-je de cette politique, messieurs ? Mais cette politique n'est-elle pas, l'histoire le prouve, la politique normale du pays : Sur vingt-cinq ans de notre existence, cette politique a été pratiquée pendant vingt ans. C'est donc la politique historique, traditionnelle du pays.

La politique de modération est aussi la politique constitutionnelle par excellence. Car la Constitution, on pourrait l'appeler le code du la transaction politique sur toutes les grandes questions sociales qui tout à l'ordre du jour de notre société actuelle.

Cette politique est rationnelle ; car il est absurde de vouloir appuyer le pouvoir sur l'un ou sur l'autre des partis exagérés qui en sont à s'accuser tous les jours d'être en conspiration permanente, les uns contre les libertés, les autres contre les croyances du pays.

Cette politique est aussi la seule favorable aux intérêts permanents du pays. Il peut y avoir pour les partis des intérêts distincts. Un gouvernement ne doit pas s'en préoccuper. Il doit se préoccuper des seuls intérêts de la nation. Un ministre ne doit être l’homme de personne il doit être l'homme de tous.

Messieurs, ne l'oublions pas, c'est cette politique aussi qui a fut ces grandes choses que nous admirons depuis 1830. Quand nous portons un regard vers cette époque de notre émancipation et que nous passons en revue tous les faits, qui se sont accomplis depuis, on se prend d'admiration pour un petit pays improvisé d'hier et qui a fait d'aussi grandes choses.

La situation du pays, telle qu'elle apparaissait aux yeux du monde entier après les fêtes nationales que nous venons de célébrer, n'était-elle pas pleine de consolation pour nous tous ? Eh bien, qui donc avait puissamment contribué à faire au pays une si favorable situation, une situation comme l'opinion conservatrice à laquelle j'ai l'honneur d'appartenir, n'aurait pas osé en espérer une ? Cette même politique modérée que, depuis son arrivée aux affaires, le cabinet a cherché à pratiquer avec sincérité.

Messieurs, je reste donc plus que jamais dans la croyance que c'est dans ce système que le gouvernement doit persévérer. J'ai la conviction (page 148) que c'est à cette politique que se rattachent toutes les plus glorieuses traditions de notre patrie ; j'ai aussi la conviction que c'est en y demeurant fidèle, qu'elle pourra remplir la haute mission qui lui est dévolue de garder intact le dépôt des institutions libres sur le continent.

Messieurs, le 21 juillet, dernier, le Roi disait ces paroles que je voudrais voir gravées dans tous les cœurs.

« Depuis 1830, la Belgique a su,dans l'ordre moral comme dans l'ordre matériel, accomplir le travail de tout un siècle. Il nous reste un devoir à remplir ; c'est de poursuivre et d'achever dans le même esprit qui a présidé à ses origines, l'œuvre de sa jeune et brillante civilisation. »

Messieurs, à cette œuvre nationale, à cette œuvre bien digne de tenter le cœur d'un Belge, je me suis dévoué et je me dévouerai tout entier. Pour l'accomplir, je suis convaincu que le gouvernement a pour lui toutes les forces vraies, toutes les forces sympathiques du pays.

M. Orts. - Je demande la parole pour un fait personnel.

L'honorable ministre de l'intérieur a mal compris l'expression dont je me suis servi hier, et qui ne le concernait en rien. J'ai une trop haute opinion du caractère personnel de l'honorable ministre de l'intérieur pour avoir jamais rêvé, bien moins encore pour avoir dit dans cette Chambre qu'il considérait la question, qui s'agite ici, comme une mesquine question personnelle. Je me suis servi de l'expression question personnelle, en qualifiant de ce nom les attaques qui avaient été dirigées contre l'université de Bruxelles, et la personnalité se rapportait à moi.

M. Dumortier. - Je demande la parole pour une motion d'ordre.

Messieurs, nous sommes arrivés au moment solennel du vote. Quant à moi, je suis entré ici avec l'intention formelle de donner mon vote de confiance au gouvernement. J'ai défendu le projet d'adresse auquel il s’était rallié. Mais je crois que confiance mérite confiance. Je désirerais donc connaître d'une manière un peu plus précise la pensée de M. le ministre de l'intérieur. Car il est une phrase qu'il vient de prononcer et qui me semble excessivement blessante pour l'une des opinions de cette Chambre, si tant est qu'elle, peut s'appliquer à elle.

M. le ministre a dit qu'il y avait en Belgique deux partis dont l'un conspirait la ruine de nos institutions. (Interruption.)

M. le ministre de l'intérieur (M. de Decker). - Vous avez mal compris. J'ai dit qu'il y avait deux partis qui s'accusaient de conspirer.

M. Dumortier. - Je désirais savoir si la phrase telle que je l'avais comprise s'appliquait à l'opinion à laquelle j'avais l'honneur d'appartenir.

M. le ministre de l'intérieur (M. de Decker). - Je n'ai rien dit de cela, j'ai dit que les partis s'accusaient.

- La clôture est demandée.

M. Dechamps (contre la clôture). - Messieurs, l'étal de ma santé me conseillerait d'accepter la clôture ; cependant la Chambre comprendra que je ne puis pas rester sous le coup du discours de l'honorable M. Frère. Il a dirigé contre moi des accusations amères, injustes, auxquelles je crois devoir répondre. Je. regrette beaucoup d'arriver à la fin du débat, mais je désire que la Chambre veuille bien m'entendre.

M. Verhaegen. - Messieurs, je n'ai pas voulu, il y a deux jours, demander la parole pour un fait personnel, je n'aime pas cette habitude ; je me suis fait inscrire et j'ai attendu mon tour ; serait-il juste, je le demande à la Chambre, lorsque j'ai été mis personnellement en cause, lorsqu'on a attaqué un programme qu'on soutient être mon programme, lorsqu'on a attaqué des amis que j'honore, lorsqu'on a attaqué une institution à laquelle je me fais un honneur d'avoir donné mon nom, serait-il juste de venir m'empêcher de répondre ? Je sais bien que c'est une tactique ; on n'aime pas les réponses ; ainsi on veut bien qu'on lise les journaux catholiques,mais on ne veut pas qu'on lise les journaux libéraux ; on ne veut pas qu'on lise la réponse aux calomnies dont nous sommes l'objet. C'est pour cela que nos journaux sont à l'index. Je fais allusion aux mandements de l'évêque de Liège. Eh bien, si l'on veut traiter la liberté de la tribune comme on traite la liberté des journaux, on peut prononcer la clôture.

M. Rogier. - Je pense, messieurs, qu'il convient de permettre aux membres qui ont été attaqués de répondre aux attaques dont ils ont été l'objet. En ce qui me concerne, on a parlé de la mise à la retraite d'un professeur de Gand, qui a eu lieu sous mon administration ; j'aurais voulu présenter sous son véritable jour ce fait qui a été mal exposé. Cependant, je conçois que l'honorable M. Dechamps éprouve le besoin de parler, et comme je ne suis pas pressé de le faire, je céderai volontiers mon tour de parole à l'honorable membre pour répondre au discours de M. Frère, auquel j’adhère d'une manière absolue.

- La clôture est mise aux voix ; elle n'est pas prononcée.

M. Dechamps, rapporteur. - Messieurs, les attaques injustes et passionnées que l'honorable député de Liège a dirigées tout à l'heure contre mon opinion et contre moi-même, ont trouvé pour moi une large compensation dans des paroles trop flatteuses assurément et que je n'ose pas accepter, mais qui venaient du cœur, dans les paroles de mon honorable ami, M. le ministre de l'intérieur.

Messieurs, j'ai à constater d'abord un résultat important de ce débat. Quelle que soit l'amertume des paroles de l'honorable membre dans la réponse qu'il m'a faite, il n'en est pas moins vrai qu'il a été forcé d'abandonner ses premières accusations et sa première thèse à peu près complètement.

La différence est grande entre son langage d'aujourd'hui et le langage qu'il tenait il y a quelques jours. Il n'a plus parlé dans les mêmes termes de cette vaste conspiration ourdie contre les libertés du pays ; il n'a presque plus insisté sur cette espèce d'incompatibilité qu'il y aurait entre nos doctrines religieuses catholiques et les libertés modernes. En présence des faits que j'ai rappelés et qui ont mis en lumière notre conduite constitutionnelle, il était difficile de nous accuser encore. De l'encyclique, l'honorable membre n'en a presque plus parlé ; sa théorie absolue en ce qui concerne la liberté du professeur, pour combattre la foi religieuse des familles et l'interdiction qui lui serait faite pour la défendre ; tout cela a été à peu près abandonné par l'honorable membre, ou du moins il n'y est revenu que dans un langage plus timide, moins accentué et plus adouci. C'est un résultat heureux du débat, et je serais heureux de penser que j'ai pu y avoir un peu contribué.

Messieurs, on m'a répondu comme si j'avais attaqué l'opposition, comme si l'agression venait de ma part. Mais veuillez bien vous souvenir que je n'accusais pas, que je me défendais, que je défendais l'opinion à laquelle j'appartiens. Quelle était la position de chacun lorsque ces débats se sont ouverts ? Mais dans la presse du pays tout entière, pour employer le mot de l'honorable membre, avec une effrayante unanimité, et dans la presse de l'étranger, l'opinion catholique en Belgique était accusée de conspirer contre la Constitution, de n'attendre qu'un moment favorable pour la renverser.

On remontait plus haut, ou nous accusait sans relâche de ne pas pouvoir être à la fois catholiques et constitutionnels, on faisait remonter à nos convictions religieuses les accusations dirigées contre nos convictions politiques.

Voilà, messieurs, quelle était notre position ; nous étions les accusés.

Et vous vous étonnez que j'aie mis quelque vivacité à répondre ! Mais, messieurs, si je ne l'avais pas fait, si je n'avais pas répondu dans un langage blessé, vous auriez pu nous reprocher d'être les complices, au fond, de ces reproches et de les accepter.

Messieurs, j'ai voulu, par mon discours, protester contre ces reproches injustes, et s'il y avait parmi nos amis une fraction qui prêtât à ces accusations, ma protestation s'adresserait aussi à leurs doctrines politiques qui ne sont pas les miennes.

Messieurs, j'ai fait, pour le besoin de cette défense, l'histoire des partis en Belgique, histoire que l'honorable M. Frère a appelée un roman. J'ai voulu venger l'opinion que l'on attaquait, mais je n'ai pas voulu accuser la vôtre.

J'en appelle à la Chambre tout entière. Qu'ai-je défendu ? Qu'ai-je voulu soutenir en invoquant le souvenir de tout ce qui s'était passé depuis le vote de la Constitution jusqu'à ce jour ? Je vous ai dit que nous avions craint longtemps que votre parti ne fût ni assez constitutionnel, ni assez national pour arriver au pouvoir sans danger pour l'avenir. Je vous ai dit pourquoi ; je vous ai rappelé sur quels faits, sur quels motifs reposaient ces craintes ; mais à quelle conclusion ai-je abouti ? Ai-je accusé ? Au contraire, j'ai loyalement reconnu que nous nous étions trompés ; je vous ai dit qu'en 1848 nous avons dû reconnaître que la révolution nous avait trouvés tous réunis dans une grande homogénéité nationale et constitutionnelle. Ainsi je n'ai pas été injuste ; j'ai été, au contraire, modéré dans l'appréciation des faits.

L'honorable M. Orts a cru que j'avais voulu représenter l'opinion qui n'est pas la mienne comme un parti antichrétien. Je n'ai rien dît de semblable ; telle n'a même jamais été ma pensée. Qu'ai-je fait ? J'ai combattu un programme, j'ai combattu les doctrines du manifeste de l'université de Bruxelles ; j'ai analysé ce document ; je crois l'avoir fait très fidèlement ; j'ai prouvé qu'il y avait dans le pays une opinion avouée qui voulait donner, non seulement dans les universités libres, mais jusqu'à un certain point dans les universités de l'Etat, pour mission à la science et à l'enseignement public d'être l'antithèse de ce qu'on qualifie de foi aveugle, c'est-à-dire la foi romaine, la foi catholique, la nôtre, celle du pays.

J'ai parlé du programme : j'en avais le droit. On avait parlé du mandement des évêques, j'avais le droit de parler de celui de l'université de Bruxelles ; j'ai combattu les doctrines exposées dans ce programme ; j'ai dit au parti libéral : « Prenez y garde ; si l'on entre dans cette voie, le parti libéral, au lieu d'être un parti politique, deviendrait un parti religieux ! » Je ne vous ai donc pas accusés d'être un parti antichrétien ; j'ai dit, au contraire, que si vous entriez dans la voie où l'on vous conviait, vous alliez devenir un parti religieux.

Messieurs, j’ai voulu rétablir les termes de la discussion, j'ai parlé comme opinion accusée, j'ai parlé pour nous défendre ; j'ai mis de la vivacité dans ma défense, parce que mes convictions étaient froissées et que la vérité ne l'était pas moins.

Messieurs, l'honorable M. Frère a prétendu que dans l'histoire des partis que j'ai retracée, j'avais fait un roman politique ; il a contesté les faits, ou plutôt il les a tournés, pour ne pas avoir à les examiner. Au lieu de les envisager par leurs grands côtés, il les a considérés par les petits côtés.

Tous ceux qui ont lu les Annales du Congrès peuvent-ils ne pas reconnaître que, dans cette assemblée, la grande majorité qui a fait la Constitution, qui en a dicté tous les articles, que cette grande majorité était composée de l'opinion catholique conservatrice presque tout (page 149) entière, avec l'adjonction d'une fraction de l'opinion libérale qu'on nommait l'opinion libérale unioniste ?

N'est-il pas vrai qu'il y avait au Congrès une forte minorité qui ne voulait pas de la liberté d'enseignement, de la liberté religieuse et de la liberté d'association et que cette minorité était composée en très grande partie, presque entièrement de vos amis politiques ? On ne peut pas contester cela, sans contester l'évidence et l'histoire.

Que fait l'honorable M. Frère ? L'honorable membre a été fidèle au système qu'il suit toujours dans les discussions. Voici sa méthode : il prend une, deux ou trois exceptions, quelques petits faits qui sont quelquefois de petites erreurs ; il les grossit, il les élève ; et il érige en système ce qui n'est qu'une exception ; il bâtit des synthèses sur des pointes d'aiguille ; l'ensemble des faits disparaît ; on passe à côté, et l'honorable membre n'argumente que sur des incidents.

L'honorable M. Frère nie qu'une minorité du Congrès, presque exclusivement composée de libéraux, ait parlé, protesté contre la liberté d'enseignement, la liberté religieuse et la liberté d'association.

M. Frère-Orban. - Ces libertés ont été adoptées à l'unanimité.

M. Dechamps, rapporteur. - Comment ! vous oubliez la proposition de M. Defacqz, les discours de M. Camille Desmet et de ses amis, ceux de M. Seron et de ses amis contre la liberté d'association, par peur des couvents, les protestations inscrites encore daun les procès-verbaux du Congrès contre ces libertés constitutionnelles ! Que signifie, après cela, la circonstance que dans quelques-uns ou dans l'un de ces votes, quelques noms aujourd'hui conservateurs y figuraient ? Les noms de M. Jacques et de M. Desmanet de Biesme changent-ils la valeur des faits ?

L'honorable M. Frère a invoqué le nom respecté du vénérable baron de Sécus, père de notre collègue.

Ce membre du Congrès, à la fin d'un débat long et acharné, avait proposé, comme une concession à vos amis, de décréter que la surveillance des écoles serait remise à des autorités électives ; eh bien, M. le baron de Sécus, si respecté du Congrès, s'est trouvé isolé cette fois sur son banc ; a dû reconnaître qu'il s'était trompé, et il a fini par s'abstenir.

J'en appelle ici aux souvenirs des anciens membres du Congrès ; n'est-il pas de notoriété que l'opinion catholique et conservatrice a défendu toutes nos libertés constitutionnelle ? Et je me souviens de l'impression qui fut produite le jour où M. Defacqz, prononça son discours contre la liberté religieuse, où les libertés que nous défendions venaient d'être si vivement attaquées. A peine cette discussion fut-elle fermée, que l'on vit monter à la tribune les membres du clergé, M. l'abbé Verduyn, M. l'abbé Desmet et les autres ecclésiastiques faisant partie du Congrès, pour défendre la liberté de la presse, en acceptant l'amendement de l'honorable M. Devaux qui élargissait le principe de cette liberté.

Nous avons parlé de l'œuvre du Congrès ; vous ne pouvez cependant, nous qu'on accuse de ne pas aimer la Constitution, vous ne pouvez pas nous blâmer de nous rattacher à ces grands souvenirs de 1830. L'honorable M. Devaux a parlé du catholicisme de 1830 ; le catholicisme n'a pas de date ; mais enfin dans l'idée que l'honorable membre a voulu exprimer, nous sommes-nous, de ce catholicisme-là ; nous avons voulu le rappeler à ceux qui l'oublient.

Eh bien, est ce que l'honorable M. Frère l'a contesté dans cette longue histoire qu'il appelle un roman ? Voilà ce que j'ai essayé de prouver. Il a incidenté, mais il n'a pas contesté.

A-t-il contesté un autre point que j'ai cherché à établir ? J'ai dit que les grandes luttes qui s'étaient engagées dans le parlement, avaient été exclusivement portées sur le terrain de la liberté de l'enseignement, de la liberté religieuse, de nos libertés qui étaient nos libertés de préférence, avant que la Constitution fût faite, mais qui depuis partagent la solidarité avec toutes les autres. A-t-il contesté que jamais aucune discussion parlementaire n'avait eu lieu sur la liberté de la presse, sur la liberté d'opinion et de libre examen ?

Pour définir le caractère de ces luttes, j'ai dit que c'est vous qui à tort ou à raison, je n'examine pas cela, avez défendu le principe de la centralisation, ce qu'on appelle les droits de l'Etat, l'influence du pouvoir ; que c'était nous qui défendions la liberté. Vous pouvez nous reprocher d'avoir exagéré la liberté, d'avoir voulu trop l'étendre, de n'être pas assez les partisans d'une forte organisation de l'enseignement public qui limite et restreint la liberté ; mais, encore une fois, nous étions en tout cela plus que vous les défenseurs de la liberté constitutionnelle. Cela n'est-il pas vrai ? M. Frère l'a-t-il contesté ? Aucunement. Il a déplacé la question.

Dans l'enseignement il y a deux questions : la liberté d'enseignement en regard de ceux qui veulent donner pour contrepoids à la liberté d'enseignement une forte organisation d'enseignement public aux frais de l'Etat.

A côté de cette question, il y en a une autre, celle de l'instruction religieuse, du concours du clergé dans l'enseignement.

Je n'en avais pas parlé ; c'était en dehors de ma thèse ; M. Frère n'a parlé que de celle-là, au nom de ce qu'il nomme l'indépendance du pouvoir civil. Mais les garanties religieuses pour les familles à obtenir dans l’enseignement public sont aussi une question de liberté, et c'est nous qui l'avons surtout défendue.

L'honorable M. Frère m'a paru profondément blessé de ce que j'avais parlé d'une minorité dans la gauche parlementaire divisée à cet égard, minorité vivante, héritière, selon moi, des idées de la minorité du Congrès, minorité qui veut la réforme de la loi de 1842 sur l'instruction primaire et qui veut l'annulation de la convention d'Anvers,

M. Frère nie-t-il l'existence de ce dissentiment ? Conteste-t-il qu'il eût été la quatrième voix en 1842, pour voter contre la loi primaire et qu'il était à la tête d'une minorité de douze voix pour s'opposer à la convention d'Anvers ? Non, assurément, mais il tâche de donner à ce dissentiment une valeur moins grande et moins réelle que je ne lui en attribue.

L'honorable membre est partisan de la réforme de la loi de 1842, il veut en renverser la base. Il ne veut, dit-il, que substituer une garantie administrative aux principes du concordat avec le clergé inscrits dans la loi même. Mais c'est là toute la loi. Or, l'honorable membre qui a été cinq ans au pouvoir n'a pas osé apporter cette réforme à la tribune, il n'a pas trouvé une majorité prête à l'appuyer. Voilà le dissentiment ; je n'ai pas besoin d'autre preuve.

L'honorable membre m'a reproché de lui avoir attribué une opinion qu'il n'a pas, d'avoir travesti sa pensée ; il a prononcé le mot de calomnie. Quand j'apprécie les actes de mes adversaires, je puis me tromper, mais on ne m'a jamais accusé d'avoir manqué d'égards envers eux et surtout de les avoir jamais calomniés. Je n'accepte pas ce reproche, je proteste contre cette injure.

Voici pourquoi je me croyais en droit de lui attribuer cette opinion de bonne foi : L'année dernière, quand il a développé son programme, ses principes en fait d'enseignement, il a passé en revue ce qu'il croyait être la législation des divers pays ; il nous a parlé de la France en tombant dans une grave erreur quant à la loi de 1850 ; il a parlé de l'Angleterre en professant des erreurs beaucoup plus essentielles, il a prétendu que la société britannique et étrangère, comme le gouvernement anglais, en Irlande, avaient exclu des écoles tout enseignement religieux dogmatique ; qu'aux Etats-Unis le même système était heureusement appliqué. D'un bout à l'autre de son discours, de la première à la dernière ligne, il a préconisé ce système de la séparation de l’enseignement religieux et de l'enseignement profane, de la séparation du prêtre et de l’instituteur, du système qui relègue l'instruction religieuse dans les églises ou les temples ! C'est ce que j'ai résumé par ces mots : le prêtre hors l'école.

Voici quelques paroles de l'honorable membre que je prends au hasard dans ce discours ;

« Cette objection, dit-il, - il parle d'une objection que j'avais faite, - repose sur cette idée erronée qu'il serait impossible de séparer l'instruction profane, l'instruction littéraire, d'un enseignement dogmatique. »

Cette impossibilité était donc à vos yeux une idée erronée ; cette séparation vous paraissait réalisable ; je pouvais croire et je croyais qu'elle vous paraissait désirable. Vous ajoutiez, en effet, un peu plus loin, après avoir cité avec éloges, avec approbation, le témoignage et l'opinion d'un auteur suédois, sur les heureux résultats de cette séparation que vous croyez établie dans tous les Etats de l'Union américaine ; vous disiez : « Je livre ces observations à M. Dechamps. Elles me semblent de nature à le convaincre que l'on peut arriver à propager les doctrines religieuses par un système diamétralement opposé à celui qu'il préconise et qui lui paraît seul propre à atteindre ce but. »

Ce système, diamétralement opposé, le système américain, celui de l'exclusion du prêtre de l'école, et que M. Frère me citait avec de tels éloges, comme étant si favorable à la propagation des doctrines religieuses, n'avais- je pas le droit de croire que c'était le sien, celui qu'il préférait ?

Les paroles que je viens de rappeler et l'ensemble de tout son discours ne vous ont-ils pas laissé la même impression qu'à moi : que c'était le principe que M. Frère préconisait et voulait faire prévaloir ? Si je me suis trompé, ne l'ai-je pas fait avec la meilleure foi, et est-ce moi qu'il faut accuser ?

M. Frère-Orban. - J'ai dit le contraire ; vous aviez sous les yeux les paroles qui exprimaient ma pensée quand vous l'avez travestie, et je vous ai averti personnellement.

M. Dechamps, rapporteur. - Les paroles que j'avais sous les yeux sont celles que je viens de rappeler ; je n’ai rien travesti. J'ai pu me tromper. Je me réjouis d'entendre que l’honorable M. Frère ne professe pas entièrement la théorie que je lui ai prêtée avec une entière bonne foi. Il veut supprimer les garanties légales, se borner à des garanties administratives, précaires et variables ; cela ne vaut guère mieux.

L'honorable membre, en parlant de la discussion de la loi de 1842, a dit que j'avais subi un échec. Je n'ai pas le Moniteur sous les yeux. Je ne m'attendais pas à cette discussion de détail. Mais l'honorable membre se trompe. D'après le rapport de la section centrale, que j'ai présenté à la Chambre, je n'avais pas professé la doctrine absolue qu'il me prête.

C'est dans la discussion que l'honorable ministre de l'intérieur, M. Nothomb, avait donné au projet présenté par la section centrale un sens plus absolu que celui qu'elle y avait elle-même donné. Et les honorables MM. Dolez ou Rogier, après avoir relu à la tribune un passage de mon rapport, constatèrent que l'honorable ministre avait été plus loin que nous dans la pensée qui avait dicté le projet de loi. Du reste, cette concession que nous aurions faite à nos adversaires, serait un acte de conciliation et non un échec subi.

(page 150) L'honorable membre veut la réforme fondamentale de la loi de 1842. Il considère les dispositions essentielles de la loi comme inconstitutionnelles : il rappelle ce mot dont on a tant abusé que le clergé est admis dans les établissements d'instruction primaire à titre d'autorité. Vous vous rappelez que l'honorable M. Devaux a avoué, dans cette enceinte, qu'après avoir beaucoup étudié le sens de cette expression : à titre d'autorité, il n'était jamais parvenu à le découvrir. Je suis dans le même cas que lui. On a parlé de style sibyllin et de phrase d'oracle, ceci y ressemble beaucoup. Mais M. Frère vient de constater lui-même tout à l'heure que le clergé n'intervenait pas à titre d'autorité, puisque le gouvernement restait toujours libre à son égard, qu'il décidait toujours en dernier ressort sur toutes les questions.

S'il en est ainsi, que veut dire l'intervention du clergé à titre d'autorité ? Il n'intervient pas à titre d'autorité, puisqu'il ne juge et ne décide jamais. C'est un mot que je ne comprends pas plus que l'honorable M. Devaux.

L'honorable M. Frère a rappelé le souvenir de la loi de 1850 et de la convention d'Anvers pour l'enseignement moyen ; il a rappelé qu'il avait accepté l'amendement de l'honorable M. Lefèvre.

M. Frère-Orban. - Comme l'expression de ma pensée.

M. Dechamps, rapporteur. - Qu'il me permette de le lui dire, il l'a plutôt subi qu'accepté. Car dans le travail des sections, celles-ci avaient presque toutes insisté pour que l'enseignement obligatoire de la religion fût inscrit en tête du programme des études, et dans la section centrale le ministère s'est formellement refusé à admettre que ce principe fût inscrit dans la loi. Mais l'honorable M. Rolin, qui a exercé une grande influence sur les décisions de ses collègues, a insisté pour que cette concession fût faite, et elle a été acceptée.

Les garanties religieuses, les conditions du concours du clergé furent renvoyées à l'exécution de la loi.

Dans la discussion, beaucoup d'orateurs de la majorité du ministère du 12 août, les honorables MM. Devaux, Le Hon, Delfosse et plusieurs autres avaient indiqué quelles devaient être ces garanties. C'étaient exactement les garanties introduites dans la convention d'Anvers : ll'admission d'un membre du clergé dans le bureau administratif et dans le conseil supérieur. Dans la discussion, vous aviez admis ces conditions du concours du clergé.

Comment s'est-il fait que dans les négociations ouvertes avec le clergé, ces conditions et ces garanties si clairement indiquées dans les débats ne furent pas offertes ? Comment expliquer ce silence après ces promesses ?

L'honorable M. Devaux a dit depuis à la Chambre qu'il croyait que ce mode de concours, que ces garanties de la convention d'Anvers avaient été dans les vues, dans les intentions du ministère du 12 août.

M. Frère-Orban. - C'est une erreur.

M. Dechamps, rapporteur. - C'est M. Devaux qui l'a dit. Il a cité les faits qui lui donnaient cette conviction. Si telle a été l'intention, pendant quelque temps, du ministère du 12 août, pourquoi l'a-t-il abandonnée ? Cette révélation de M. Devaux n'a-t-elle pas donné quelque crédit à un mot qui a couru sur nos bancs et qu'on a attribué à M. Frère : J’ai besoin de la rupture avec les évêques, pour maintenir l'homogénéité libérale. En définitive, ces garanties qu'on avait promises et qu'on voulait faire, pourquoi ne les a-t-on pas offertes ?

M. Rogier. - Parce que les évêques ne se contentaient pas de ces garanties.

M. le président. - M. Rogier, puisque vous avez cédé votre tour de parole à l'orateur, vous ne devez pas l'interrompre.

M. Rogier. - Je ne l'interromps pas. Il m'interroge, et je réponds.

M. le président. - Cette interrogation est une forme oratoire ; elle ne demande pas une réponse immédiate.

M. Dechamps, rapporteur. - Je n'ai plus que deux mots à dire. L'honorable membre a voulu signaler à son tour un dissentiment entre M. le ministre de l'intérieur et moi sur les principes de la circulaire que nous débattons depuis quelques jours.

Il a fait entendre que je voudrais qu'on prescrivît l'enseignement religieux dans l'enseignement supérieur, qu'on le fît donner par ordre. Je répondrai à l'honorable M. Frère, mes paroles sont encore dans toutes les oreilles. J'ai dit au commencement de la discussion que j'étais d'accord avec M. le ministre de l'intérieur pour reconnaître que l'enseignement religieux ne pouvait pas être prescrit, que l'enseignement des universités pouvait être conforme à la religion, mais qu'il ne devait jamais y être hostile. Voilà le principe, nous sommes complètement d'accord.

L'honorable M. Frère a fini son discours en proclamant que l'idée religieuse avait besoin surtout de liberté. Ce n'est pas moi qui le contesterai, à coup sûr. Je conseille à M. Frère de le rappeler souvent à ses amis du Piémont et d'autres pays où ce n'est pas la liberté que l'Eglise catholique rencontre.

Nous sommes en plein XIXème siècle : qui aujourd'hui, dans le monde, réclame presque partout la liberté religieuse, et qui presque partout la dispute et la refuse ? N'est-ce pas l’Eglise catholique qui la réclame presque partout ; et qui la lui dispute ou la lui refuse sinon le schisme grec en Russie, le protestantisme en Suède, en Danemark, l'intolérance anglicane en Angleterre, la vieille intolérance du synode de Dordrecht en Hollande, le piétisme luthérien et le joséphisme en Allemagne, le radicalisme en Suisse, le libéralisme en Piémont, les know-nothing aux Etats Unis, la persécution et le martyre en Orient, en Chine et dans les Indes, et les menaces de la révolution dans l'avenir ?

Voilà le souffle d'intolérance qui passe sur le monde ! Ce n'est pas l'Eglise qui menace ; de toutes les libertés modernes la seule menacée ou du moins le plus menacée, c'est la sienne. (Interruption.)

M. Frère-Orban (pour un fait personnel). -L'honorable M. Dechamps s'est excusé de la violence des attaques qu'il a dirigées contre moi en invoquant la nécessité où il s'est trouvé de se défendre en me répondant dans cette discussion. Je ferai observer à l'honorable membre que ses offenses ont précédé mon discours.

L'honorable M. Dechamps a donné un second motif à titre de circonstances atténuantes ; c'est qu'il devait repousser avec énergie l'opinion que j'aurais exprimée, compromettante pour son parti, à savoir : que le catholicisme était incompatible avec les principes de la Constitution. L'honorable M. Dechamps a peut-être lu cette interprétation de mes paroles dans la presse de son parti ; je l'ai, du reste, entendue encore hier dans le discours de l'honorable M. Malou. Mais la vérité est que j'ai déclaré, au contraire, que je ne croyais pas à l'existence d'un parti parlementaire hostile à nos institutions. Je n'ai pas davantage prétendu qu'il y aurait incompatibilité entre le catholicisme et les libertés modernes, comme votre presse, comme plusieurs d'entre vous me le font dire chaque jour.

J'ai dit que deux partis existaient dans le monde catholique ; que l'un, soutenait qu'il y a incompatibilité entre le catholicisme et les principes ; de notre Constitution ; que l'autre soutenait au contraire que la foi est conciliable avec les libertés modernes.

Je vous ai engagé à protester contre le parti puissant qui établit un antagonisme entre le catholicisme et la Constitution.

M. Dechamps. - Nous avons protesté.

M. Frère-Orban. - Vous avez protesté. Mais qui a provoqué ces protestations, si ce n'est moi ? Qui a répondu le premier à cet appel si longtemps attendu, si ce n'est l'honorable ministre de l'intérieur ? C'est M. le ministre de l'intérieur qui, avec une énergie qui l'honore et dont le pays lui tiendra assurément compte, a osé dire à la presse intolérante el passionnée qui représente ce parti, qu'elle conduisait le pays à un abîme où s'engloutiraient, non seulement nos institutions, mais jusqu'à la religion qu'elle prétend servir.

Messieurs, je ne reviens pas sur la question de l'enseignement. L'honorable M. Dechamps doit avoir aujourd'hui la conviction qu'il m'a attribué une opinion qui n'était pas la mienne. Mais je ne puis m'empêcher de faire remarquer que je l'avais personnellement prémuni contre cette erreur. Après la publication de la première de ses lettres sur l'enseignement, je l'ai averti qu'il se trompait. L'honorable M. Dechamps a persévéré. C'est depuis que j'ai été contraint de faire justice devant cette Chambre de pareils procédés de discussion qu'il s'est rétracté.

M. Dechamps vient d'apporter à cette tribune un mot qui se trouve aussi dans ses admirables lettres. Il a osé répéter, comme l'ayant recueilli autour de lui sur ces bancs, que je n'avais pas voulu que l'on offrît des garanties acceptables au clergé parce que j'avais besoin d'une lutte contre le clergé pour rester au pouvoir. Oh ! vous me connaissez mal si vous croyez que j'ambitionne le pouvoir et que lorsque j'y suis, j'aie besoin de pareils moyens pour m'y maintenir. Je proteste contre cette pitoyable et ridicule accusation. Nous avons proposé et défendu loyalement la loi sur l'enseignement moyen, dont le principal honneur revient à mon honorable ami M. Rogier. Nous avons proposé ensemble, nous avons défendu ensemble et dans le même esprit, dans la même pensée, avec la même loyauté le projet de loi sur l'enseignement moyen. Nous avons ensuite exécuté cette loi avec le désir sincère de permettre aux ministres des cultes de déférer aux vœux des pouvoirs publics. Susciter des entraves au lieu de chercher à aplanir ces difficultés, eût été indigne de nous. Les Chambres ont solennellement approuvé notre conduite.

Vous avez dit, vous avez répété dans un esprit persévérant de calomnie que nous n'avions pas fait figurer l'enseignement religieux dans le projet de loi sur l'enseignement moyen. C'est que vous avez intérêt à proposer dans une partie du pays que l'opinion libérale a le dessein, pour employer votre expression, de décatholiser la Belgique. Vous vous maintenez à l'aide de ce mensonge.

Nous avons formulé, quant à l'enseignement religieux, la seule disposition qui nous parût vraiment constitutionnelle : le projet de loi déclarait que les ministres des cultes seraient invités à donner l'enseignement religieux dans les établissements de l'Etat. Nous n'avons pas subi l'amendement de l'honorable M. Lelièvre ; nous l'avons accepté immédiatement comme exprimant notre pensée. L'enseignement religieux n'était pas plus obligatoire en vertu de cet amendement qu'en vertu de notre proposition.

L'enseignement religieux obligatoire ne peut être inscrit dans aucune de nos lois, et n'y est point, puisque le gouvernement n'a ni le droit ni le pouvoir de contraindre les ministres des cultes à venir enseigner dans les établissements de l'Etat. L'honorable M. Vilain XIIII ne reconnaissait-il pas que notre formule était la seule constitutionnelle, la seule acceptable ? Et cependant après cette déclaration si explicite de l'un de vos amis, vous avez continué à soutenir qu'on voulait chasser le clergé des collèges pour les soustraire à l'influence (page 151) religieuse. Mais vous avez appris par les interpellations de l'honorable M. Devaux quels sont ceux qui ne veulent pas donner l'enseignement religieux, quand on les y convie et quels sont les motifs qui les inspirent.

M. Malou. - Je demande la parole pour un fait personnel. Je ne dirai que deux mots, je ne ferai pas un discours sous prétexte de fait personnel.

Dans la séance d'hier, j'ai apprécié l'idée fondamentale développée avec tant de talent par l'honorable M. Frère au début de cette discussion.

Cette idée m'a paru reposer d'abord sur une distinction comme l'honorable M. Frère en fait très souvent, distinction entre les éléments parlementaires et les éléments extra-parlementaires ; et l'honorable membre par une précaution oratoire a mis hors de cause les éléments parlementaires. Ensuite l'impression que j'ai recueillie de son discours c'est que selon lui, dogmatiquement il y avait incompatibilité entre le catholicisme et les institutions modernes. (Interruption.)

Je n'attaque les intentions de personne ; je défends les miennes. Je dis que c'est là l'impression qui m'est restée, et que loyalement et de bonne foi j'ai cru pouvoir déclarer que je combattais cette théorie. Du reste, messieurs, le pays nous jugera. Echangeons des faits personnels pendant huit jours encore ; cela n'y fera rien. Le pays a sous les yeux les pièces du procès, qu'il juge.

M. de Mérode. - J'ai proposé un amendement qui rendrait un paragraphe de l'adresse plus simple et plus clair, et dispensait la Chambre de répéter en style perroquet, mot à mot, les locutions d'une circulaire ministérielle.

Mais puisque M. le ministre de l'intérieur tient absolument, politiquement, à ce qu'on mette ici en parallèle la liberté de conscience de l'élève qui n'a pas, comme chacun sait, le droit de choisir l'établissement où il étudie avec la liberté relative du professeur, très libre lui de ne pas être professeur de l’Etat rétribué par les deniers du trésor public.

En conséquence ne voulant pas personnellement susciter d'embarras aux votants pour la suppression de trois ou quatre mots inutiles, je dirai même mal choisis ; puisque l'élève est généralement placé sous la tutelle de ses parents jusqu'à l'âge d'émancipation.

Je retire mon amendement.

M. le président. - La parole est à M. Verhaegen.

- Plusieurs membres. - La clôture !

D’autres membres. - A demain.

M. Verhaegen. - Messieurs, je suis inscrit depuis deux jours, on a pris la parole pour des faits personnels, et maintenant j'arrive à la fin de la séance ; on sera pressé. (Interruption.)

M. le président. - On a voulu que la discussion continuât, M. Verhaegen a la parole ; je demande qu'on veuille bien l'écouter.

M. Verhaegen. - Messieurs, si je prends la parole une seconde fois, ce n'est pas pour rentrer dans le fond du débat, qui me semble arrivé à son terme. Ce n'est pas surtout pour répondre à l'honorable ministre de l'intérieur, dont les paroles généreuses et patriotiques, qui sont autant d'attaques contre la droite, m'ont profondément touché.

Je prends la parole pour répondre, en quelque sorte, à des faits personnels. Je n'ai pas voulu user de mon droit en interrompant la discussion. J'ai attendu que mon tour fût arrivé d'après l'ordre des inscriptions, et maintenant j'espère que la Chambre voudra bien me donner quelques moments d'attention malgré l'heure avancée à laquelle nous sommes arrivés.

Messieurs, j'ai été personnellement mis en cause. On a parlé de mon programme, de mes principes en matière d'instruction ; on a attaqué un établissement auquel je suis lier et serai toujours fier d'avoir attaché mon nom ; enfin on a fait intervenir dans cette discussion des noms qui appartiennent à notre parti et qui nous sont chers ; on a dirigé des attaques contre des hommes honorables qui ne sont pas ici pour se défendre, contre des hommes qui ont une autre importance que ceux que nos adversaires sont dans l'habitude de glorifier.

Messieurs, on a donné entrée dans cette enceinte à mon discours universitaire, on l'a même mis sur la même ligne que les mandements des évêques. Je remercie l'honorable M. Dechamps de l’honneur qu'il a bien voulu faire à ce document. Il l'a attaqué, mais avec des armes courtoises, je n'ai aucun reproche à lui adresser sous ce rapport. Je reconnais son droit, c'est le résultat du libre examen, et certes je ne recule pas devant cette liberté qui est pour moi l'une des plus précieuses.

Une première observation, à laquelle je tiens beaucoup, c'est que mon discours n'a été prononcé qu'au milieu du mois d'octobre et que les mandements de MM. les évêques sont des 8 et 18 septembre, de sorte que ce discours est une réponse aux attaques inconvenantes et passionnées dont l'université de Bruxelles avait été l'objet de la part de l’épiscopat. Nous étions donc dans le cas de la légitime défense et, messieurs, je vous le déclare tout de suite je n'ai rien, absolument rien à retrancher de ce qu'on appelle mon programme ; je suis dans l'habitude d'accepter la responsabilité de tous les actes que je pose, jamais je ne recule devant cette responsabilité.

Je suis accusé et l'université de Bruxelles est accusée avec moi de vouloir saper le sentiment religieux ; nous voudrions, pour me servir d'une expression dont s'est servi l'honorable M. Dechamps, décatholiser la Belgique.

Messieurs, il en est de nous comme de certains orateurs qui nous ont précédé et dont on a travesti les opinions pour avoir l'occasion de les combattre. Nous aurions directement attaqué la foi catholique, en disant que la science, telle qu'elle est enseignée à l'université de Bruxelles, est l'antithèse de la foi et puis, comme si ce n'était pas encore assez, on a ajouté que nous étions les hommes les plus intolérants du monde, parce que, d'après nous, l'Eglise catholique ne posséderait aucune vérité quelconque. Ce sont bien là les paroles de l'honorable M. Malou.

M. Malou. - Je demande pardon à la Chambre de la forme que j'ai employée hier, mais voici ce que j'ai dit : j'ai dit que toutes les convictions sincères sont intolérantes pour les convictions contraires et que M. Verhaegen comme les évêques sont, l'un comme les autres, dogmatiquement intolérants.

M. Verhaegen. - Vous avez prétendu que j'avais nié à l'Eglise catholique toute vérité quelconque. Je m'en rapporte à toute la Chambre.

Eh bien, messieurs, ces attaques reposent sur des assertions complètement démenties par les faits.

La science, messieurs, a été mise entre les mains de l'homme pour distinguer la vérité vraie de la vérité fausse et tout ce que nous voulons c'est de laisser à la science la liberté d'exercer son action.

Si la religion catholique ne peut pas soutenir l'examen, si elle recule devant la lutte des controverses, c'est qu'elle se défie de sa propret cause.

Dieu nous a donné la raison pour en faire usage et s'il ne nous était plus permis de raisonner, il ne nous resterait plus qu'à nous livrer pieds et poings liés au parti dominant, qui sait si bien spéculer sur la crédulité aveugle et inintelligente des masses.

Nous sommes loin de prétendre qu'il faille un enseignement contraire à la foi, contraire à une religion quelconque, mais nous soutenons que l'enseignement ne peut donner la préférence à aucun culte, et en cela nous sommes d'accord avec nos principes constitutionnels.

Nous n'avons pas dit que la foi est l'antithèse de la science, ou la science l'antithèse de la foi ; nous avons parlé de cette foi aveugle et inintelligente qui refuse l'examen et réclame une soumission absolue, une obéissance passive, etc.

L'honorable M. Deschamps, pour pouvoir donner une couleur à ses attaques, a été obligé de tronquer mon discours universitaire ; il a cité certaines phrases de ce discours, en les séparant de certaines autres qui en fixent le sens et la portée.

Voici ce que j'ai dit ; écoutez et jugez :

« Oui, messieurs, l'université de Bruxelles est le temple élevé à la science par l'esprit libéral qui agite les temps modernes. C'est une institution unique dans le monde, si l'on tient compte des circonstances dans lesquelles elle a pris naissance et qui ont contribué à son développement. Sa mission est de propager, par la voie de l'enseignement et de la publication, toutes les doctrines progressives qui se produisent dans la philosophie, dans la littérature, dans l'histoire, dans le droit, dans les sciences en général, afin de seconder, d'une part, les aspirations généreuses de notre époque, en tant qu'elles sont conformes à la vérité, et de combattre, de l'autre, toutes les tendances rétrogrades sur le terrain de la science. Son instrument est la raison ; sa méthode est la libre discussion ; son antithèse est la foi aveugle, la foi inintelligente, qui refuse l'examen et réclame une soumission absolue, une obéissance passive à des principes indiscutables, à des préjugés, à des mystères. »

Maintenant j'ai le droit de vous demander, à vous qui m'attaquer, quelle est votre foi ? Votre foi est-elle une foi aveugle et inintelligente qui refuse l'examen et réclame une soumission absolue, une obéissance passive à des principes indiscutables, à des préjugés, à des mystères ?

Vous n'oseriez certes pas le soutenir, car vous ne faites que raisonner en matière de foi, vous ne cessez d'entasser subtilités sur subtilités pour échapper aux conséquences de nos arguments. A commencer par l'encyclique n'est-ce pas la raison qui vous a suggéré cette distinction subtile entre le sentiment religieux et le sentiment politique ? Mais si vous avez une foi tellement robuste qu'aucune objection ne vous soit permise, que vous soyez esclave au point de dire : Je crois, parce qu'on m'ordonne de croire, il ne vous est pas permis de raisonner sur l'encyclique, en vous menant en opposition avec son texte et en ne tenant, aucun compte du mandement de l'évêque de Bruges qui la confirme. (Interruption.)

Quant à nous, messieurs, nous sommes loin de vouloir saper la fol, de chercher à décatholiser la Belgique, nous laissons à chacun ses opinions, comme nous voulons qu'on nous laisse les nôtres.

Ce que nous voulons, c'est qu'on n'arrête pas la marche du progrès, qu'on ne nous ramène pas au moyen âge, et qu'on ne finisse pas, pour me servir de l'expression de feu l'honorable M. Seron, qu'on ne finisse pas par faire de la Belgique une vaste capucinière, ou, comme le disait tout à l'heure l'honorable ministre de l'intérieur, qu'on ne fasse de la population de la Belgique une population de crétins.

Nous sommes intolérants, dit-on, et pour le prouver ou prétend que nous refusons à l’Eglise catholique toute vérité quelconque.

C'est là, messieurs, une seconde accusation, bien grave, mais qui est tout aussi dénuée de base que la première.

(page 152) Nous aurions prétendu que l'Eglise catholique ne possède aucune vérité quelconque ! Eh bien, le discours universitaire dit précisément le contraire.

Le discours à la page 11 porte en termes :

« Vous savez ce qu'il en a coûté déjà à l'université de Gand pour n'avoir pas voulu se restreindre : elle est enveloppée avec la nôtre dans la commune réprobation des évêques.

« II était impossible que cette réprobation doublement intéressée n'arrivât pas, et nous sommes loin de nous plaindre qu'elle soit arrivée ; car nous ne refusons à personne le droit de critiquer notre enseignement, de contredire nos opinions, de contester nos doctrines, sûrs que nous sommes de triompher de nos adversaires dans toute lutte sérieuse où nous aurons pour juge le bon sens du pays. Mais puisque le gant est jeté, nous demanderons dès à présent à ceux qui nous combattent avec tant d'acharnement de quel droit ils se prétendent seuls en possession de la vérité ?

« Nous leur dirons : Vous ne possédez que la vérité d'une Eglise, et nous ne vous empêchons pas de l'enseigner ; nous ne défendons pas à nos élèves de la croire et de la pratiquer.

« Nous dirons à nos adversaires : Vous ne possédez que la vérité d'une Eglise, et vous avez l’orgueil de prétendre à la vérité universelle ! eh bien ; non, la vérité universelle ne vous appartient pas. »

Voilà ce que nous avons dit et voilà ce que nous maintenons. Encore une fois je vous le demande, avons-nous prétendu que l'Eglise catholique ne possédât aucune vérité quelconque ? Non, tout au contraire nous avons dit qu'elle avait sa vérité à elle, mais qu'elle n'avait pas la vérité universelle et à cet égard nous sommes entré dans quelques développements.

On ne peut donc pas nous accuser d'intolérance ; mais ce sont précisément ceux qui nous accusent qui sont intolérants au premier chef, car ce sont eux qui revendiquent la vérité universelle pour l'Eglise catholique et qui prétendent que les évêques doivent nécessairement être intolérants puisque leur mission principale consiste à faire comprendre aux fidèles qu'on ne peut se sauver que dans la seule religion catholique toutes les autres religions sont mauvaises, détestables.

Et c'est pour appuyer des prétentions aussi exorbitantes que l’évêque de Bruges a rappelé dans son mandement du 18 septembre le cinquième concile de Latran présidé par le pape Innocent III.

Nous allons messieurs, vous mettre sous les yeux ce cinquième concile, mais nous ne pouvons pas nous dispenser de vous faire apprécier aussi celui qui le précède. (Interruption.)

Ce n'est pas nous, messieurs, qui avons pris l'initiative de ces discussions théologiques c'est vous qui nous y avez conviés.

Voici donc l'extrait du cinquième concile de Latran rappelé dans le mandement de l'évêque de Bruges :

« Ce misérable subterfuge de la philosophie aux abois n'est pas nouveau : mais il n'en est pas plus acceptable. Il y a plus de trois siècles que le cinquième concile de Latran l'a enlevé aux sophistes, attendu, dit le saint concile que la vérité ne peut être contraire à la vérité, nous déclarons tout à fait fausse toute assertion qui contredit la vérité de la révélation, nous défendons sévèrement d'enseigner le contraire, et nous ordonnons d'éviter et de punir tous ceux qui suivent ces doctrines erronées, comme des hommes qui sèment de très funestes hérésies, comme de détestables et abominables hérétiques et infidèles qui tendent à renverser la foi catholique. »

Et voici l'extrait du quatrième concile qu'on voudrait bien faire oublier dans les circonstances actuelles et pour cause :

« Ce n'est pas seulement un droit mais un devoir de persécuter les hérétiques et il est impossible d'être bon catholique sans suivre ce principe. »

Voilà, messieurs, les conséquences de la vérité universelle dont l'Eglise se prétend en possession et que nous lui dénions. Voilà les conséquences de cette intolérance que l'honorable M. Malou constatait comme base de la foi entendue à sa manière.

- Plusieurs voix. - A demain ! à demain !

M. Verhaegen. - J'en ai encore pour quelque temps, je ne veux pas le dissimuler, mais je vous en ai avertis avant de prendre la parole,

M. le président. - La Chambre entend-elle renvoyer la séance à demain ?

- Un grand nombre de voix. - Non ! Non !

M. le président. - Puisque vous avez désiré que M. Verhaegen parlât aujourd'hui, je vous invite à l'écouter. M. Verhaegen vous a dit qu’il n'avait pas voulu demander la parole pour un fait personnel.

- Plusieurs voix. - Nous écoutons.

Un membre. - Il est près de cinq heures, demandez le renvoi à demain.

- Un grand nombre de voix. - Non ! non !

M. le président. - La parole est continuée à M. Verhaegen.

M. Verhaegen. - Messieurs, on m'a accusé, ainsi que je le disais tantôt, d'avoir attaqué les croyances catholiques, d'avoir prétendu que la science est l'antithèse de la foi ; on m'a en outre accusé d'intolérance ; et d'où viennent, ces accusations ? Elles viennent de ces hommes qui sont eux-mêmes bien fragiles dans leur foi et qui se déclarent intolérants par essence ; ce sont eux en effet, qui, nonobstant l'infaillibilité qu'ils attribuent ouvertement au chef de l'Eglise, osent apporter des modifications à l'encyclique de 1832, ce sont eux qui, dans nos débats, se permettent de réduire le catéchisme catholique à l'état de lettre morte. (Interruption.)

Vous nous avez attaqués, permettez-nous de nous défendre.

Vous avez reproché à mon honorable ami, M. Frère, de s'être occupé de questions idéologiques et entre autres de la dîme que les autorités ecclésiastiques soutiennent être de droit divin. Il y a quinze ans, moi aussi je vous ai parlé de la dîme et à côté de la dîme j'ai parlé de la mainmorte ; de quels sarcasmes n'ai-je pas été l'objet de la part de cette Chambre ! Et cependant la mainmorte nous l'aurons bientôt, à en croire nos adversaires, et la dîme se paye actuellement dans plusieurs communes des Flandres.

La dîme ! nous dit-on : mais c'est de la vieillerie ; ce n'est qu'une arme de guerre dans les mains des libéraux.....Quoi ! vous osez dire que la dîme est une vieillerie ! Et cependant elle est l'objet d'un commandement de l’Eglise, portant son numéro. (Interruption.)

Messieurs, vous niez ; voici le catéchisme. (Nouvelle interruption.)

Quand nous parlons de catéchisme, vous dites que nous ne le connaissons pas et quand nous nous présentons le catéchisme à la main, vous croyez avoir répondu en riant aux éclats. Mais vous m'écouterez jusqu'au bout.

Voici le catéchisme, chapitre VII intitulé : des commandements de l'Eglise. Il porte : 4 Les droits et dîmes payera à l'Eglise fidèlement.

M. Coomans. - C'est votre catéchisme, ce n'est pas le nôtre.

M. Verhaegen. - El pourquoi donc ne serait-il pas le vôtre ? Il a été imprimé par ordre de l'épiscopat. Je continue, messieurs.

Après avoir indiqué le quatrième commandement de l'Eglise, ce catéchisme que j'ai en mains entre dans des développements et ce sous formes de questions que voici :

« D. A qui doit on payer la dîme ?

« R. De droit divin la dîme est due à l'Eglise.

« D. Ce droit est-il ancien ? *

« R. Très ancien. Nous lisons que dans l'ancienne loi, même au commencement du monde, l'on payait déjà la dîme.

« D. Pourquoi paye-t-on la dîme ?

« R. 1° En reconnaissance des biens qu'on a reçus de la main qui les donne ; 2° pour l'entretien du culte et des ministres du seigneur.

« D. Est on obligé de payer la dîme ?

« R. Oui sous peine d'excommunication contre ceux qui en retiennent ou qui en empêchent le payement.

« Comment pèche-t-on contre ce commandement ?

« R. En ne payant pas les dîmes et les droits de l'Eglise ou ne donnant comme Caïn que les plus mauvais fruits. »

M. F. de Mérode. - Ainsi vous êtes excommunié.

M. Verhaegen. - Oui. Et je le suis en bonne société, car je le suis avec vous.

Ce sont des vieilleries, dites-vous ? Pourquoi nous occuper de catéchisme dans cette enceinte ?... Eh bien puisque vous récusez le catéchisme, je vais vous citer d'autres documents.

L'évêque de Gand, dans son mandement du 8 septembre, invoquait à l'appui de ses exhortations les faits posés par ses prédécesseurs et parmi ces faits vient naturellement se placer la présentation du fameux Mémoire adressé en 1814 par monseigneur M. de Broglie aux hautes puissances alliées réunies au Congrès de Vienne.

Par ce Mémoire l'évêque de Gand demandait en première ligne le rétablissement de la dîme.

« Il est juste, disait-il, de la rétablir, parce que c'est aujourd'hui l'unique moyen de doter le clergé et les églises, parce que toutes les propriétés territoriales ont été acquises de temps immémorial jusqu'à l'époque de la révolution française avec la charge de la prestation de la dîme, et que délivrer les propriétaires de cette charge, c'est leur livrer le bien des décimateurs sans aucun titre et sans aucune indemnité. »

Savez-vous, messieurs, ce que demandait encore, par ce Mémoire, l'évêque de Gand ? Il demandait en second lieu que deux évêques entrassent comme évêques dans le conseil d'Etat, et demandait enfin que la religion protestante ne fût tolérée que pour les princes exclusivement et pas ailleurs que dans leur palais.

Ce Mémoire a été envoyé à Vienne le 8 octobre 1814, et a été imprimé à Gand, chez Poelman.

Ce n'est pas tout encore : au mois d'octobre de l'année dernière, à la réunion des évêques qui a eu lieu toujours à Gand et où les membres du bas clergé sont venus rendre compte des opérations de la société de Saint-Vincent de Paul, on rappela que la dîme se percevait très facilement dans plusieurs communes des Flandres, et notamment dans la commune de Zwynaerde, que ce n'était pas à dire qu'on rétrogradait pour cela jusqu'au moyen âge, que cttle perception se faisait de la manière la plus convenable et la plus régulière, et ce rapport fut approuvé par MM. les évêques. Il fut imprimé et envoyé à toutes les autorités religieuses.

- Un membre. - Lisez-le.

(page 153) M. Verhaegen. - Je ne l'ai pas sous la main, il est en possession d'un de mes honorables collègues qui a quitté la séance mais il pourra, si vous le désirez, être imprimé dans les Annales parlementaires.

Ainsi, messieurs, ce ne sont pas des vieilleries dont vous puissiez vous débarrasser si facilement lorsqu'elles vous gênent. Ce sont des choses sérieuses, de nature à vous mettre dans une fausse position, au point de vue de votre foi à laquelle nous ne voulons pas toucher en vous priant de respecter la nôtre.

Après nous avoir attaqué personnellement, après avoir attaqué l'établissement que nous avons l'honneur de diriger, on est allé jusqu'à attaquer plusieurs de nos amis qui ne sont pas ici pour se défendre ; on a parlé de l'honorable M. Defacqz et de cette minorité à la tête de laquelle il se trouvait au Congrès, de cette minorité qui, d'après vous, se serait prononcée contre toutes les libertés constitutionnelles, et qui se serait reproduite encore dans les diverses assemblées qui ont succédé au corps constituant.

Déjà, il a été répondu à ces objections, mais vous insistez et vous cherchez à renforcer vos attaques ; eh bien, je vais être franc et comme toujours je vous dirai toute ma pensée.

il se manifestait déjà au Congrès des tendances qui étaient de nature à faire naître des craintes sérieuses chez nos amis politiques. Vous le disiez alors comme vous l'avez dit depuis, comme vous le disiez hier encore, qu'il y avait pour vous certaines libertés de prédilection, entre autres la liberté d'association religieuse et la liberté d'enseignement, alors que vous ne considériez que comme secondaires, pour ne pas dire plus, la liberté de conscience, la liberté des cultes, la liberté de la presse et la liberté des associations politiques.

Cette distinction que vous avez faite entre les libertés de votre choix et celles auxquelles l'opinion libérale attachait de l'importance avait déjà éveillé l'attention de nos amis au Congrès et les avait engagés à être circonspects. Et c'est ce qui explique la conduite de l'honorable M. Defacqz et de la minorité dont vous a parlé l'honorable M. Dechamps.

Pour ce qui me concerne, j'ai toujours partagé l'opinion de cette minorité et je n'hésite pas à répéter la profession de foi que je vous ai faite en entrant dans cette enceinte.

Messieurs, je n'ai pas pris part à l'union qui s'est formée entre les libéraux et les catholiques en 1829 ; je n'ai pas même, je le dis ouvertement, été partisan de la révolution de 1830, par la raison que je prévoyais que cette union et par suite cette révolution ne devaient tourner qu'à l'avantage des catholiques et que les libéraux jouaient en cela un véritable métier de dupes ; et les événements sont venus confirmer mes prévisions.

Est-ce à dire, messieurs, que la révolution étant un fait accompli, nous ne nous soyons pas franchement ralliés à l'ordre des choses, et que nous ayons voulu nous soustraire à la franche exécution de la grande transaction de 1831 ?

Non, messieurs ; en entrant dans cette enceinte, j'ai considéré la révolution comme un fait accompli et la Constitution comme une chose sérieuse. Aussi ai-je saisi toutes les circonstances qui se sont offertes pour défendre cette Constitution contre les attaques dont elle a été successivement l'objet, attaques qui, à coup sûr, ne sortaient pas de nos rangs. Ne me suis-je pas toujours montré le plus chaud partisan de nos institutions et de notre nationalité ? Ma conduite de 1848 ne répond-t-elle pas de ma conduite future, et ne me sera-t-il pas permis de vous dire que je serais l'adversaire d'une commotion nouvelle au moins tout autant que j'ai été l'adversaire delà commotion de 1830 ?

Tous les hommes de notre opinion, quoi que vous ayez dit, se sont constamment, par leurs actes et dans leurs écrits, montré les partisans et les défenseurs de la Constitution de 1831, qu'ils veulent entière et sans mutilation.

Vous, messieurs, vous ne pouvez pas en dire autant. C'est de vos rangs que sont sorties ces attaques qui méritent le nom de conspirations contre nos institutions. Au nom de l'honorable M. Defacqz, président du congrès libéral, qui est resté pur et vénéré, je vous opposerai le nom du Congrès national, celui du l'honorable M. de Gerlache, et je vous citerai ses écrits.

M. F. de Mérode. - Prenez ses conclusions et non des passages isolés.

M. Verhaegen. - Je vous lirai toute sa brochure, si vous le voulez.

Oui, messieurs, des hommes, infidèles à leur passé, reniant l'œuvre à laquelle ils ont mis la main, insultant à la gloire du Congrès national, ont osé écrire que « les assemblées parlementaires sont incapables de faire une Constitution durable ; que les préjugés sont les racines des institutions : que la liberté des croyances, que l'indépendance des religions et de la foi, les libertés politiques, l'égalité des droits entre les citoyens, la fraternité sociale entre les castes ne sont que des rêves ; et comme résumé de tout cela : que ces libertés contiennent la monnaie courante de toutes la révolution. »

Ce qui n'a pas empêché un de ces mêmes membres de faire, dans des moments d’enthousiasme, de magnifiques discours en faveur de la Constitution qu'il poursuit de ses sarcasmes lorsqu'il est froid et réfléchi.

Voulez-vous quelque chose de plus encore ? Voici la brochure à laquelle je faisais allusion.

Il y a des dogmes politiques comme il y a des dogmes religieux, et voyez comment l’auteur, l'honorable M. de Gerlache, traire le dogme de la souveraineté du peuple, de la souveraineté du peuple en vertu de laquelle nous siégeons ici ! « Le dogme de la souveraineté du peuple, dit-il, sur lequel reposent toutes nos théories constitutionnelles, est gros de révolutions, inconciliable avec l’ordre et la paix et avec tout gouvernement régulier. C'est la plus détestable flatterie, le plus insigne mensonge que les démagogues ont jamais pu jeter aux masses. »

Voilà M. de Gerlache. Et vous osez venir nous parler de l'honorable M. Defacqz, de.M. Defacqz qui est en tout point resté fidèle à ses convictions, de M. Defacqz qui, après avoir voté la Constitution, n'a cessé de réunir tous ses efforts peur en assurer toujours la franche et entière exécution.

Messieurs, je n'en dirai pas davantage. J'aurais beaucoup d'autres observations à faire, mais je vois que la Chambre est fatiguée. Je termine en vous remerciant de l'attention que vous avez bien voulu me donner.

- Plusieurs membres. - La clôture !

M. Rogier. - Je ne m'oppose pas à la clôture. Je rappelle seulement que j’avais cédé mon tour de parole à l'honorable M. Dechamps, me réservant de donner quelques explications sur un fait particulier. Je demande seulement la permission à la Chambre de m’expliquer à l'occasion du dernier paragraphe de l'adresse, qui sera probablement discuté demain.

M. le président. - M. Rogier sera inscrit sur le dernier paragraphe.

- La clôture est mise aux voix et prononcée.

L'amendement de M. Devaux est mis aux voix par appel nominal.

102 membres prennent part au vote.

41 votent pour l'amendement.

61 votent contre.

En conséquence l'amendement n'est pas adopté.

Ont voté l'adoption : MM. Frère-Orban, Goblet, Grosfils, Jouret, Lange. Laubry, Lebeau, Lesoinne, Loos, Mascart, Moreau, Orts, Pierre, Prévinaire, Rogier, Tesch, Thiéfry, Tremouroux, Vandenpeereboom, Van Iseghem, Verhaegen, Vervoort, Veydt, Allard, Ansiau, Anspach, Coppieters, 't Wal-lani, Dautrebande, David, de Baillet Latour, de Breyne, de Brouckart, Delexhy, Deliége, de Moor, de Paul, de Perceval, de Renesse, de Steenhault, Devaux et Dubus.

Ont voté le rejet : MM. Faignart, Jacques, Janssens, Julliot, Lambiu, Landeloos, de Bailly de Tilleghem, Lient, Maertens, Magherman, Malou, Matthieu, Mercier, Moncheur, Osy, Rodenbach, Roussette, Tack, Thibaut, Thienpont, T'Kint de Naeyer, Vau Cromphaut, Vanden Branden de Reth, Vander Donckt, Vau Goethem, Van Overloop, Van Renynghe, Van Tieghem, Vermeire, Vilain XIIII, Wasseige, Wautelet, Boulez, Brixhe, Calmeyn, Coomans, Crombez, de Brouwer de Hogendorp, Dechamps, Dedecker, de Haerne, de Kerkhove, de La Coste, Delehaye, de Liedekerke, de Man d'Attenrode, F. de Mérode, de Muelenaere, de Naeyer, de Pitteurs-Hiegaerts, de Poitemont, de Rasse, de Ruddere de Te Lokeren, de Sécus, Desmaisières, Desmet, de Theux, de T'Serclaes, de Wouters, Dumon et Dumortier.

- Les paragraphes 5 et 6 de l’adresse sont mis aux voix et adoptés.

La séance est levée à cinq heures et un quart.