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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mardi 2 décembre 1856

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1856-1857)

(Présidence de M. Delehaye.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 189) M. Tack fait l'appel nominal à 2 heures et un quart.

M. Vermeire donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier.

- La rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Tack présente l'analyse des pétitions qui ont été adressées à la Chambre.

« Les membres de l'administration centrale de Breedene réclament l'intervention de la Chambre pour que le département des travaux publics fasse planter des lanternes au pont de la Chapelle en cette commune et au pont de la Porte de Bruges à Ostende. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


M. Van Iseghem. - Le conseil communal de Breedene se plaint, à juste titre, que le gouvernement refuse d'éclairer le pont de Slykens qui appartient à l'Etat, et il demande que l'administration prenne immédiatement des mesures pour porter remède à cet état de choses. J'appuie de toutes mes forces cette requête et j'appelle sur cette pétition toute la sollicitude de la Chambre et du gouvernement. Je crains que si le gouvernement continue à laisser pendant la nuit ce pont important dans l'obscurité, nous aurons des malheurs à déplorer, car ce pont fait partie de la grande route d'Ostende a Oudenbourg, et la dépense d'éclairage ne peut jamais être pour compte de la commune de Breedene.

Je demande que la commission des pétitions soit invitée à faire un prompt rapport.

- Cette proposition est adoptée.


« Le sieur Demaere demande la substitution de la monnaie de bronze à la monnaie de cuivre. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Van Bevere, ancien notaire, réclame l'intervention de la Chambre, pour obtenir une place ou une indemnité. »

- Même renvoi.


« Des meuniers dans le canton de Flobecq demandent de pouvoir continuer l'usage de balances romaines. »

« Même demande de meuniers dans le canton de Westerloo. »

- Renvoi à la commission des pétitions, avec demande d'un prompt rapport.


« Des membres du conseil communal de Glimes prient la Chambre de rejeter le projet de loi portant révision de l'article 25 de la loi sur l'instruction primaire et de faire disparaître de cette loi la disposition fixant le minimum de la part contributive de la commune dans les frais de l'enseignement primaire. »

M. Lelièvre.-— Je pense qu'il y aurait lieu de renvoyer la pétition à la section centrale qui a été chargée d'examiner le projet de loi ou au moins d'en ordonner le dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet.

- La proposition de M. Lelièvre est adoptée.


« Le sieur Cooreman présente des observations sur le crédit de 100,000 francs destiné à établir une clôture au chemin de fer de Dendre-et-Waes et demande de pouvoir former une société pour l'entreprise de cette clôture. »

- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi.


« Les commis-greffiers des tribunaux de première instance d'Anvers, Bruxelles, Gand et Liège demandent que leurs traitements soient portés à 2,600 francs. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du budget de la justice.


« La cour des comptes adresse à la Chambre le rapport qui lui a été demandé sur les moyens de mettre les recettes et dépenses permises par le règlement du 1er février 1819 sur l'administration de l'armée, en harmonie avec la loi sur la comptabilité de l’État. »

M. Thiéfry. - Je demande que cette pièce soit imprimée et distribuée aux membres de la Chambre, comme document parlementaire ; je demande, en outre, le renvoi à la commission qui est chargée d'examiner le budget de la guerre.

- Cette proposition est adoptée.


M. Van Cromphaut, retenu chez lui par des occupations, demande an congé de huit jours.

- Accordé.

Composition des bureaux de section

M. le président. - Les bureaux des sections du mois de décembre ont été composés ainsi qu'il suit.

Première section

Président : M. Matthieu

Vice-président : M. de Baillet-Latour

Secrétaire : M. Moncheur

Rapporteur de pétitions : M. Landeloos


Deuxième section

Président : M. de T’Serclaes

Vice-président : M. Wasseige

Secrétaire : M. Crombez

Rapporteur de pétitions : M. Faignart


Troisième section

Président : M. Lesoinne

Vice-président : M. de Paul

Secrétaire : M. de Moor

Rapporteur de pétitions : M. Vander Donckt


Quatrième section

Président : M. de Renesse

Vice-président : M. Moreau

Secrétaire : M. Delexhy

Rapporteur de pétitions : M. Magherman


Cinquième section

Président : M. David

Vice-président : M. Allard

Secrétaire : M. Thienpont

Rapporteur de pétitions : M. Tack


Sixième section

Président : M. Le Bailly de Tilleghem

Vice-président : M. Osy

Secrétaire : M. Van Iseghem

Rapporteur de pétitions : M. Lelièvre

Motions d’ordre

M. Osy (pour une motion d’ordre). - L'honorable M. Frère, dans le discours qu'il a prononcé samedi dernier, a fait allusion à mon absence, alors que la Chambre était occupée à la discussion du projet de loi tendant à allouer au gouvernement un crédit pour matériel du chemin de fer. J'ai vivement regretté de n'avoir pas pu venir à la séance ; j'avais un enrouement qui ne m'aurait pas même permis de dire oui. D'un autre côté, je n'ai pas assisté à la séance d'hier, parce que, d'après tous les journaux, on devait croire qu'il n'y aurait pas de séance ce jour-là. Le Moniteur lui-même, dans son numéro de dimanche, n'indiquait pas le jour de la prochaine séance. Il n'y a donc pas de ma faute si je n'ai pas répondu hier à l'appel nominal.


M. le président. Le mandat du membre qui fait partie de la commission de surveillance des opérations de la caisse d'amortissement et de celle des dépôts et consignations, étant expiré, il y a lieu de procéder à une nouvelle nomination. Je propose à la Chambre de procéder à cette nomination mardi prochain, jour fixé pour ll'élection d'un membre de la cour des comptes.


M. le président. - Dans la séance de vendredi dernier, la Chambre a chargé le bureau de nommer la commission spéciale qui sera chargée d'examiner le projet de loi relatif à l'organisation judiciaire. Le bureau a composé la commission ainsi qu'il suit : MM. Orts, de Theux, Frère-Orban, Maertens, Wautelet, Lelièvre, Vervoort, Tesch et Malou.

Projet de loi approuvant la disposition additionnelle au traité de commerce et de navigation conclu avec la Grèce

Rapport de la section centrale

M. Van Iseghem. - Messieurs, j'ai l'honneur de déposer sur le bureau le rapport de la section centrale qui a examiné la convention additionnelle au traité de commerce et de navigation entre la Belgique et la Grèce.

- Ce rapport sera imprimé et distribué.

La Chambre le met à la suite de l'ordre du jour.

Projet de loi portant le budget du ministère de la justice de l’exercice 1857

Discussion générale

M. le président. - M. le ministre de la justice se rallie-t-il aux amendements de la section centrale ?

M. le ministre de la justice (M. Nothomb). - Messieurs, la section centrale est d'accord avec le gouvernement sur le projet qu'il a soumis à la Chambre, sauf un seul point, c'est l'article 48 dont l'allocation est destinée au traitement du personnel des prisons ; la section centrale propose une réduction de 5 mille et quelques cents francs.

Le gouvernement croit devoir maintenir le chiffre même du budget. Quant au surplus, nous sommes d'accord.

M. le président. - La discussion s'ouvrira donc sur le projet du gouvernement.

La parole est à M. Verhaegen.

M. Verhaegen. - Messieurs, la presse et le public se préoccupent des griefs nombreux imputés à M. le ministre de la justice. On se plaint du système déplorable de M. Nothomb en fait de nominations judiciaires, et des conséquences de ce système ; on se plaint encore de la désorganisation du service, des tribunaux, par la lenteur excessive et inexplicable de M. le ministre quand il s'agit de pourvoir aux places vacantes.

Je vais examiner très succinctement la valeur de ces griefs, et dans cet examen je m'abstiendrai de toute question de personnes, je ne me laisserai guider que par l'intérêt que je porte à la magistrature et à la considération dont elle doit être entourée ; le bien-être du service, d'ailleurs, n'est pas le moindre de mes soucis.

Depuis que M. Nothomb est au ministère, depuis dix-huit mois la plupart des nominations qu'il a faites dans la magistrature l'ont été à l’encontre (page 190) des propositions des autorités, ou bien à l'issu de celles-ci, voire même à l'insu des magistrats eux-mêmes que M. Nothomb déplaçait sous prétexte de nominations à d'autres fonctions.

Je dis à l’encontre des avis de la magistrature.

Cela est de notoriété publique ; il n'est pas un journal de la capitale ou de la province qui n'ait signalé les motifs spéciaux par lesquels M. Nothomb s'est laissé guider dans ses choix ; et je le déclare tout haut, la camaraderie, le népotisme, l'esprit de parti ou de coterie, des influences de toute nature ont été le mobile de M. le ministre, au grand détriment des cours et tribunaux et sans s'inquiéter en aucune manière de la bonne administration de la justice.

Il est inutile de signaler ici pour chaque nomination la cause qui l'a déterminée ; j'aurais à citer trop de noms propres, et je désire n'entrer dans cette voie que pour autant que l'on m'y force dans la suite de la discussion.

Je ne veux constater qu'une chose, c'est que sur une vingtaine de nominations que l'honorable M. Nothomb a faites depuis qu'il est au pouvoir, il y en a dix-sept qui l'ont été à ['encontre des autorités ; quelques-unes même à l'insu de ceux qui les ont obtenues et partant sans que les autorités aient été consultées. Si l'on ose contester mes assertions, qu'on produise les rapports. Il est bien entendu que je ne parle ici que des nominations dans la magistrature proprement dite, soit assise soit débout, et que je ne m'occupe pas des nominations d'huissiers ou d'autres employés subalternes.

Entre autres nominations faites à l'insu de ceux qui les ont obtenues et par suite sans qu'aucune autorité ait été consultée, je ne puis m'abstenir de citer un substitut du procureur du roi à Bruxelles, qui est venu de Mons ; un substitut de Tournai qui a été envoyé à Mons, quoique son état de santé ne lui permît pas de faire le service des assises, et tout cela pour ouvrir une place à Tournai, dont on voulait gratifier un substitut de Neufchâteau, le seul qui fût dans la confidence.

Il fallait aussi ouvrir une place de juge à Nivelles, car un des collègues de M. le ministre de la justice avait des services électoraux à récompenser, et que fit-on ? On envoya comme substitut à Namur un des juges du tribunal de Nivelles qui y brillait par son talent et par son activité - et remarquez que toutes les requêtes, sauf celle qui eut un résultat, furent envoyées à l'avis des autorités qui jetèrent les hauts cris lorsque la nomination parut au Moniteur.

Et ce juge de Nivelles par qui fut-il remplacé ? Par un jeune avocat qui n'avait jamais plaidé au tribunal civil et dont le seul titre était d'avoir rempli, pendant très peu de temps, les fonctions de juge suppléant de la justice de paix ; mais il était le fils de l'ami politique de l'agent électoral de M. le ministre des finances, qui l'a imposé, l'expression n'est pas trop forte, à son collègue de la justice.

Et M. le ministre de la justice, a cédé avec d'autant plus de facilité à la pression dont il était l'objet, que lui n'avait aucune dette à acquitter à raison de la déplorable campagne électorale qu'il avait ouverte naguère dans l'arrondissement de Thuin.

Cette nomination à Nivelles, je fais un appel à ceux qui connaissent l'arrondissement, cette nomination a causé une pénible impression sur le public et même sur le tribunal dont elle entrave le service, au point qu'on disait au barreau que M. le président se disposait à se retirer et à demander sa pension.

Je citerai un troisième fait, non moins important.

Un magistrat qui remplissait convenablement les fonctions de procureur du roi à Malines, est envoyé comme substitut du procureur général à Bruxelles, place pour laquelle, paraît-il, il n'avait aucune aptitude.

Et qui envoie-t-on pour le remplacer comme procureur du roi ? Un substitut du procureur du roi à Gand, lequel laisse ainsi ouverte une place qu'on destinait à un homme dont le seul mérite était d'être le proche parent d'un homme influent.

Messieurs, les conséquences d'un semblable système conduisent au mécontentement légitime de la magistrature et de ses chefs, qui voient leurs avis méprisés, alors que, sans contredit, ils connaissent mieux les aptitudes des candidats que M. le ministre de la justice ; elles conduisent à l'humiliation des magistrats et du barreau auxquels on impose des hommes qui ne peuvent pas avoir leur confiance et qui en fait n'en jouissent pas ; elles conduisent à la mauvaise expédition des affaires, au découragement des candidats capables et sérieux qui se trouvent dans l'impossibilité de faire appel à l'esprit de népotisme, de camaraderie ou d'influence politique.

Enfin, elles conduisent aux mesures rigoureuses et légitimes, dit-on, qui ont produit dans tout le pays une émotion d'autant plus profonde qu'elles étaient sans précédent ; et, à ce propos, je demanderai formellement à M. le ministre de la justice, s'il est vrai que M. le procureur général près la cour d'appel de Bruxelles s'est vu forcé de provoquer la destitution de deux magistrats haut placés du parquet, nommés par M. le ministre de la justice contre l'avis des autorités, ou tout au moins de protester officiellement contre la manière dont ils remplissent leurs fonctions ?

Tous les journaux ont parlé de ce fait, il n'a pas été démenti ; je dois donc croire qu'il est vrai.

M. le ministre de la justice trouverait-il un inconvénient à nous communiquer la protestation de M. le procureur général, dont une copie a été vue entre les mains de proches parents des intéressés ?

Il serait d'autant plus convenable d'initier le public à ces détails que les magistrats dénoncés par le chef du parquet se trouvent aujourd'hui l'objet de plusieurs imputations que l'on colporte et qui, peut-être, ne se trouvent pas dans le rapport. C'est ainsi qu'on leur attribue certains faits qui auraient eu pour conséquence des détentions préventives de plusieurs mois, subies par des hommes dont l'innocence a été reconnue par eux-mêmes.

Messieurs, un second point sur lequel j'ai l'honneur d'appeler l'attention de la Chambre est celui-ci :

Non seulement M. le ministre de la justice fait de déplorables nominations, mais encore il les fait, on ne sait pas pourquoi, le plus tard possible. On serait tenté de croire qu'il veut faire bénéficier le trésor public au détriment de la bonne administration de la justice.

Pourquoi, par exemple, depuis huit mois, c'est-à-dire depuis le 1er mars, le tribunal de Bruxelles est-il incomplet ?

Pendant quatre mois il y a manqué un juge, et maintenant depuis quatre mois il y manque un substitut du procureur du roi ; c'est-à-dire que pendant-huit mois consécutifs et encore à l'heure qu'il est le service se fait, dans le tribunal le plus important du royaume, à grands renforts le juges suppléants et d'avocats assumés.

Je demanderai formellement à M. le ministre de la justice pourquoi il s'obstine depuis quatre mois à ne pas compléter le parquet près du tribunal de Bruxelles.

Y aurait-il quelque raison politique pour en agir ainsi, comme il y en a pour laisser ouverte la place de juge de paix d'Ath qui depuis près d'un an et demi se trouve desservie par un juge suppléant au grand détriment des justiciables et contrairement au principe constitutionnel, qui proclame l'inamovibilité des magistrats ?

Il y a un an, cette conduite de M. le ministre de la justice a reçu des qualifications sévères, et cependant elle n'a pas été modifiée.

Je termine, messieurs, en laissant à mes honorables collègues qui appartiennent à d'autres localités, à vous signaler des faits de même nature qui se sont accumulés depuis la dernière session.

M. le ministre de la justice (M. Nothomb). - Messieurs, je répondrai en quelques mois aux attaques que l'honorable préopinant vient de diriger contre moi. Dans le reproche en quelque sorte général qu'il m'a adressé, l'honorable membre est tombé dans une contradiction qui vous aura frappés. Tandis que d'un côté il me dit : Vous ne faites que des nominations auxquelles préside l'esprit de népotisme, de favoritisme ou de parti, de l'autre côté il me fait un grief d'apporter de la lenteur dans les nominations que je soumets à la signature royale. Si j'étais capable de ne me laisser guider que par l'esprit de parti ou de favoritisme, j'aurais probablement un parti pris à l'avance ; à peine une place serait-elle ouverte, que je saurais quel homme je dois y appeler.

L'hésitation que je puis mettre parfois à faire un choix, n'indique-t-elle donc pas l'absence d'un parti pris ? Ne prouve-t-elle pas que je laisse à chacun le temps de faire valoir ses titres, que je ne fais mes propositions qu'après avoir mûrement examiné ?

D'après l'honorable membre, je désorganiserais l'administration de la justice. A une accusation aussi générale, aussi vague, on me permettra de ne point répondre, jusqu'à ce qu'il ait plu à l'honorable M. Verhaegen de la préciser, de dire où cette désorganisation s'est produite, où on la voit, en quoi elle est sensible.

L'honorable membre me reproche de faire toutes les nominations que je contresigne sans tenir compte des propositions des autorités judiciaires, d'agir systématiquement à rencontre de ces propositions, de ne jamais les suivre, Je me permettrai de faire ici une simple observation à l’honorable M. Verhaegen, c'est qu'il y a une certaine difficulté à ce que je fasse des nominations contrairement aux propositions de la magistrature. Pour cela il y a une très bonne raison, c'est que la magistrature n'est pas appelée à faire des propositions.

M. Verhaegen. - Je n'ai pas dit propositions.

M. le ministre de la justice (M. Nothomb). - Vous avez dit propositions, j'en appelle au souvenir de la Chambre, et j'ai écrit ce mot sous voire dictée.

M. Frère-Orban. - Les avis.

M. le ministre de la justice (M. Nothomb). - Vous reconnaîtrez qu'il serait impossible que j'eusse écrit en tête de cette feuille blanche le mot « propositions » si on ne l’avait pas prononcé.

M. Frère-Orban. - Mettez-y « avis ».

M. le ministre de la justice (M. Nothomb). - Non. On m'a reproché d'avoir repoussé systématiquement les « propositions » de la magistrature, c'est-à-dire de repousser les personnes qu’on me désigne pour remplir des fonctions judiciaires. Or, je le répète, les magistrats, quelque haut placés qu'ils soient, ne font pas de propositions. Ils émettent leurs considérations sur le mérite des candidats. Mais ils n'en désignent aucun au choix du gouvernement.

Cette marche existe dans l'administration, en vertu de circulaires qui ne sont pas nouvelles. Un de mes prédécesseurs, en 1844 ou 1845, a invité les magistrats à s'abstenir à l'avenir de proposer des candidats et à ne plus dresser qu'une liste alphabétique des postulants avec l’avis sur chacun d'eux. Cette circulaire a été rappelée par un honorable prédécesseur en 1850 ou 1851.

M. Tesch. - Ce n'est pas en 1851.

(page 191) M. le ministre de la justice (M. Nothomb). - Je crois que cette circulaire est le fait de l’honorable membre qui m'interrompt.

M. Tesch. - Pardon.

M. le ministre de la justice (M. Nothomb). - Je crois me rappeler que, comme procureur du Roi, j'ai la signature de M. Tesch, ministre de la justice, au bas d'une circulaire de cette espèce.

Du reste, je n'attache aucune importance à ce fait, Je constate seulement qu'en deux circonstances les autorités judiciaires ont été formellement mises en demeure de ne plus faire de propositions. Il n'est donc pas exact de dire que je rejette des propositions qui en fait ne peuvent exister.

L'honorable membre auquel j'ai l'honneur de répondre vous a dit que sur vingt nominations, j'avais dans dix-neuf cas rejeté les propositions de la magistrature supérieure.

Vous venez de voir, messieurs, qu'il m'eût été difficile de me conformer à ces propositions, puisqu'il n'y en a point eu ; s'il s’agissait de simples avis, ce serait encore un reproche vague auquel je ne pourrais répondre en l'absence d'une indication des faits. Et que l'honorable membre ne croie pas que je repousse cette publicité, si elle était possible.

Si l'on pouvait, s'écartant des principes de responsabilité constitutionnelle, bouleversant en quelque sorte les règles administratives, venir devant le parlement avec des dossiers, lire des rapports des autorités judiciaires, et peser le mérite des candidats, dire qu'un tel est indigne, qu'un autre est capable, je ne reculerais pas devant cette publicité, car j'y trouverais la justification la plus éclatante de mes actes. Non pas que j'aie la prétention, aucun ministre ne l’a, de faire des nominations toujours infaillibles, de toujours rencontrer le mérite transcendant. Mais j'ose dire que je prouverais à la Chambre, par documents, combien j'apporte de bonne foi et de sincérité dans les nominations que je soumets a la signature du Roi. S'il m'était donné de faire une telle communication en dehors de la publicité, soyez convaincus, messieurs, que personne ne le ferait avec plus d'empressement que moi.

Dans un autre ordre d'idées, l'honorable M. Verhaegen m'a reproché d'avoir fait maintes nominations à l'insu des candidats, C'est là un reproche qu'on pourrait faire avec autant de vérité à tous les ministres présents, passés et je pourrais dire futurs.

Un ministre connaît nécessairement le personnel. Il ne subordonne pas nécessairement les mouvements qu'il fait surtout, dans le ministère public, au désir personnel des candidats, à leurs convenances. C'est l'intérêt public qui doit être son guide unique.

Il arrive donc souvent qu'un magistrat, dans le ministère public comme dans les administrations, est déplacé à son insu. Tous les ministres l'ont fait et le feront probablement dans l'avenir. C'est dans ces conditions que j'ai appelé à Bruxelles un substitut de Mons, que j'ai appelé un substitut de Charleroi à Tournai, parce que je connaissais la capacité de ces magistrats, et que la destination que je leur donnais me paraissait exigée par les besoins du service.

On me reproche d'avoir enlevé au tribunal de Nivelles un sujet distingué et de l’avoir nommé substitut à Namur. Quel reproche y a-t-il à me faire de ce chef ? Si ce magistrat avait brillé par son zéle, son activité, n'était-ce pas précisément un motif pour lui accorder de l’avancement ?

J'ai nommé, dit-on, pour le remplacer, un jeune avocat. Ce jeune avocat, messieurs, a pratiqué pendant dix-sept ans, il est dans la maturité de l'âge ; il a rempli depuis 1849 des fonctions dans la magistrature comme suppléant de justice de paix ; n'étaient-ce point là des titres suffisants pour être appelé aux fonctions de juge au tribunal de Nivelles ?

L'honorable M. Verhaegen s'est ensuite emparé d'un bruit qui a dégénéré en une sorte de scandale et qui concerne deux magistrats, l'un attaché au parquet, de la cour d'appel de Bruxelles et l'autre chef d'un parquet dans un tribunal voisin de la capitale.

L'honorable membre m'a demandé s'il est vrai que le chef du parquet de la cour de Bruxelles ait demandé la révocation de ces magistrats. Il m'a pour ainsi dire mis en demeure du m’expliquer sur cette interpellation. Je réponds ici de mes actes, messieurs, je n'en décline jamais la responsabilité. J'accepte celle-ci tout entière. Mais je ne crois pas devoir dévoiler à cette Chambre ce qui se passe entre moi et l'un de mes inférieurs. Je ne pourrais le faire sans introduire dans l’administration un esprit de confusion que je n'hésiterais pas à signaler comme déplorable.

L'honorable M. Verhaegen, s'érigeant pour ainsi dire en juge, m’a adressé ce qu'on appelle, en style de procédure, un interrogatoire sur faits et articles.

Je ne crois pas pouvoir déférer à cette sommation et j'oserai ajouter qu’à ce rôle de juge que l’honorable M. Verhaegen prend vis-à-vis de moi, il manquerait une qualité essentielle : l’impartialité.

D'après l'honorable membre, le chef du parquet de la cour d'appel de Bruxelles aurait formulé une protestation contre certaines nominations, qu'en connaît l'honorable M. Verhaegen ? Comment le sait-il ? Comment peut-il le savoir ? Non, messieurs, le chef du parquet de Bruxelles ne fait pas de protestations contre le gouvernement.

Ce magistrat est trop imbu du sentiment de ses devoirs, il sait top bien ce qu’il doit à l’autorité supérieure, il est trop pénétré du respect de la loi pour se permettre de pareils procédés, et si, fait impossible, un magistrat, si haut placé, fût-il procureur général, protestait contre les actes du gouvernement, je saurais ce que je dois à la dignité du gouvernement. Un procureur général ne proteste pas. Qu'il fasse des observations, je les examine, je les apprécie, mais je ne puis pas apporter à la barre de cette Chambre les rapports essentiellement confidentiels qui existent entre ces magistrats et moi.

Si donc certaine publicité a été donnée à ces faits, j'en repousse, quant à moi, toute la responsabilité. Je crois aussi pouvoir la repousser au nom du procureur général près la cour d'appel de Bruxelles. Mais enfin où donc l'honorable M. Verhaegen a-t-il trouvé ces faits ? Il les a rencontrés dans ce que j'appellerai des commérages de journaux, dans les élucubrations d'une certaine presse qui se cache volontiers sous le voile de l'anonyme, abri commode pour tant d'excès, quelquefois même pour des lâchetés. Est-ce là que l'honorable M. Verhaegen a été puiser les éléments du discours qu'il vient de prononcer ? Eh bien, je le regrette pour l'honorable membre, je le regrette surtout pour ces magistrats si dignes, si honorables dont les noms figurent dans les journaux et qui viennent d'être désignés si clairement à cette assemblée.

Je suis bien aise, messieurs, de saisir l'occasion que m'offre l'honorable membre, non point pour me justifier, mais pour justifier deux hommes honorables, indignement attaqués, qui sont absents de cette assemblée et vis-à-vis desquels je dois remplir un devoir. C’est la vie entière de ces honorables magistrats que je viens défendre devant la Chambre.

Un d'eux remplit auprès de la cour d'appel de Bruxelles des fonctions très difficiles ; chargé spécialement du service de la cour d'assises, il a à lutter contre un barreau remarquable par le talent ; sou rôle n'est pas facile ; comment le remplit-il ?

Pour m'éclairer sur les bruits qui étaient répandus par les journaux, j'ai voulu m'adresser aux magistrats qui pouvaient le mieux me renseigner à cet égard, aux présidents de la cour d'assises qui, depuis 18mois entendant cet officier du ministère public, voient de quelle manière il remplit ces fonctions ; eh bien, ces honorables magistrats m'ont tous dit que l'avocat général dont je parle s'acquitte de ses fonctions d'une manière tout à fait convenable.

Qu'avait été ce magistrat dans le passé ? Au moment où il s'agissait de pourvoir à la place en question, je l'ai trouvé procureur du roi à Malines. Comment m'était-il signalé par les rapports judiciaires ? Il m’était signalé comme un excellent procureur du roi.

Il avait déjà parcouru plusieurs tribunaux, il avait rempli les fonctions de substitut à Malines même et plus tard à Tournai.

M. Dumortier. - Où il a laissé de magnifiques souvenirs.

M. le ministre de la justice (M. Nothomb). - Je suis fort aise d'entendre l'honorable M. Dumortier rendre justice au magistrat dont je vous parle et dans ce que vient de dire l'honorable membre, je trouve un accord parfait avec ce que pensait de ce magistrat un de mes honorables prédécesseurs.

Voici la copie d'une note textuelle écrite par l'honorable M. de Haussy, le 31 janvier 1850.

« M. de R. pourrait être appelé à Mons, en remplacement de M. H., ou plutôt, pour ne pas trop affaiblir le parquet de Tournai, M. H. pourrait être nomme directement d’Anvers à Mons. »

La Chambre voit donc que dès 1850, M. de R. était jugé, par l'honorable ministre de la justice de l’époque, assez capable pour remplir les fonctions du ministère de la justice... où ? Au tribunal de Mons, à l'un des plus importants, qui a une cour d'assises, et où se traitent les affaires criminelles les plus graves ; l’honorable M. de Haussy voulait le nommer, et pourquoi ne l’a-t-il pas fait ? Parce que M. de R. était très capable et qu’en ce moment l’honorable ministre ne voulait pas affaiblir le tribunal de Tournai, de sorte qu'à cette époque, le magistrat a porté en quelque sorte la peine de sa capacité, ainsi que de la bonne opinion qu'avait de lui le ministre de la justice.

Voilà ce que je croyais devoir à la défense de l'honorable membre du parquet de la cour d’appel de Bruxelles.

Un autre magistrat n’a pas été épargné davantage. C’est le procureur du roi actuel de Malines.

L’honorable M. Verhaegen disait tantôt que cette nomination portait en elle ce cachet de favoritisme qui caractérisait tous mes actes ; il m’a dit : Vous n’avez fait sortir M. H… du tribunal de Gand qu’afin de pouvoir disposer de son siège en faveur d’un autre candidat que vous protégiez.

Eh bien, je puis déclarer que le candidat que j’ai nommé substitut à Gand état l’objet de très bons rapports des autorités judiciaires. M. le président du tribunal de Gand notamment, non juge assurément en fait de capacité, a émis une opinion très favorable ; en un mot, les rapports de toutes les autorités judiciaires étaient d’une nature telle que la nomination s’est faite, je puis l’affirmer, dans toutes les conditions normales.

Est-il donc nécessaire de recourir à des suppositions outrageantes pour tout le monde, pour expliquer la nomination du procureur du roi actuel de Malines ? Ce magistrat n’était-il donc pas digne de l’avancement qu’il a reçu ? La chambre va en juger.

M. H. comptait en 1956 près de 20 ans de services ; il a débuté par être juge de paix à Etch, au pied de la forteresse de Luxembourg, à une époque où ce rôle n’était pas très facile et ou très peu de monde l’enviait ; dès 1837 il a occupé ces fonctions avec intelligence et avec fermeté.

En 1839, le gouvernement belge le nomma en la même qualité à Verviers, (page 192) à l’une des justices de paix les plus imposantes du pays ; il s'y est acquitté de ses devoirs d'une manière distinguée, puisque de juge de paix il a été nommé substitut près d'un tribunal de deuxième classe, à Tongres, chef-lieu judiciaire de province, et, par conséquent, siège d'une cour d'assises. Je dois croire que là encore ce magistrat a très bien rempli ses fonctions, puisqu'en 1850 un de mes honorables prédécesseurs l'a nommé substitut près du tribunal de première instance de Gand, l'un des quatre tribunaux de première classe.

Voilà comment se présentait à mes yeux la carrière du magistrat dont je m'occupe en ce moment, carrière longue et bien remplie. Lorsqu'il a été désigné pour diriger le parquet de Malines, les journaux de Gand se sont occupés de cette nomination.

Voici comment s'exprimait sur le compte de M. Hofmann un journal de la localité qui n'a pas l'habitude de me prodiguer des éloges, éloges que, du reste, je n'ambitionne point de sa part :

« Nous donnons plus loin les nominations qui viennent d'avoir lieu dans l'ordre judiciaire.

« Pour celles de ces nominations que nous sommes à même de juger, c'est une justice que nous devons à nos adversaires de reconnaître qu'elles méritent l'approbation de tous.

« Le tribunal de Malines aura dans M. H... un procureur du roi actif, zélé, impartial. Et quant à MM. D. et N., les souvenirs que le barreau de Gand garde d'eux, garantissent qu'on n'eût pu faire de choix plus utile à la bonne administration de la justice et plus méritée. »

Voilà comment dans la localité on jugeait ce magistrat ; il est vrai que depuis lors ce même journal m'a reproché d'avoir, en nommant ce magistrat, gratifié le parquet de Matines d'un procureur du roi peu capable ; mais c'est là une nouvelle preuve de la fixité d'opinion de certains journalistes.

Il y a plus : quand les bruits, qui sont l'objet de la présente discussion ont couru dans les journaux, le tribunal de Gand s'en est ému, et spontanément ce corps m'a adressé en faveur du magistrat qu'on poursuit et qu'on traque si injustement dans la presse, un certificat des plus honorables. Je suis heureux de pouvoir livrer cette pièce à la publicité. La voici :

« Les soussignés, membres du tribunal de première instance de Gand, ont vu avec peine les attaques dirigées contre leur ancien collègue M. H., procureur du roi à Malines, et n'hésitent pas à déclarer que ce magistrat a fait preuve, tant aux audiences civiles qu'aux audiences correctionnelles, de sérieuses et fortes études en droit, d'intelligence, de capacité, ainsi que d'un zèle infatigable. Ils s'empressent de lui donner aujourd'hui un témoignage spontané de leur estime.

« Gand, le 23 novembre 1856.

« Signés : Lelièvre, Morel, Lebrocquy, Gheldolf, Vander Bruggen. »

Il y a encore un dernier moyen d'apprécier la valeur d'un magistrat, c'est de le suivre dans ses actes mêmes. Or, c'est ce que j'ai fait : j'ai voulu m'assurer de quelle façon le magistrat dont nous parlons remplissait ses fonctions ; j'ai consulté le sort des appels qu'il interjette, le tort des conclusions qu'il prend devant le tribunal civil. Voici ce qui est résulté de ces recherches :

Dans l'espace de dix-huit mois il a pris des conclusions civiles dans 97 affaires, et sur ce nombre dans quatre-vingt-huit, ses conclusions ont été acceptées par les juges ; dans le même espace de temps il a formé neuf appels correctionnels portés devant la cour de Bruxelles ; sur ces neuf appels un seul n'a point été admis ; devant le tribunal de Malines il a apporté six appels de tribunaux de simple police ; ils ont été tous accueillis.

Voilà des preuves irrécusables de la manière dont le procureur du roi dont il s'agit exerce ses fonctions.

Je crois, messieurs, en avoir dît assez pour convaincre l'assemblée que les magistrats signalés sont loin d'être incapables ; qu'au contraire, ils remplissent leurs fonctions d'une manière parfaitement convenable, qu'ils sont dignes de la confiance que le gouvernement leur accorde.

S'il est dans cette enceinte des honorables membres qui aient connu les magistrats dont il est question, je les adjure au nom de la vérité de dire si l'appréciation que je fais de leur conduite et de leur capacité est fondée ou non.

L'honorable M. Verhaegen a terminé son discours en faisant allusion à la justice de paix de la ville d'Ath, dont il a été question dans la session précédente.

La situation est restée la même ; le gouvernement s'est trouvé en présence de deux intérêts également sérieux, également considérables : l'intérêt administratif et l’intérêt judiciaire. L'intérêt administratif a paru commander au gouvernement le maintien du statu quo ; le gouvernement a cru devoir maintenir dans ses fonctions de bourgmestre M. Lux ; l'intérêt judiciaire a été assuré par la nomination de suppléants ; le service marche régulièrement ; jamais aucune plainte ne m'est parvenue. Je tiens en main une lettre de M. le procureur du roi qui me déclare que le service est assuré pour l'année prochaine.

Je crois que dans ce qu'a dit l'honorable membre il n'y a rien qui puisse informer ce que j'avance.

M. de Renesse. - M. le ministre de la justice ayant interpellé les membres de la Chambre, sur les allégations qu'il vient d'énoncer par rapport à certains magistrats, je crois devoir déclarer que quant à M. Hofmann, qui a été plusieurs années substitut du procureur du roi au tribunal de Tongres, il y a laissé les souvenirs les plus honorables sous tous les rapports ; je suis persuadé que mon affirmation à cet égard sera confirmée par MM. les membres du tribunal et du barreau de Tongres.

M. Dumortier. - Messieurs, je puis déclarer que l'honorable M. Ryckman a été attaché au parquet du tribunal de Tournai pendant plusieurs années, qu'il y a laissé les souvenirs le plus honorables et que quand il a quitté cette localité il a emporté les regrets des magistrats et du barreau.

M. de Perceval. - Je fais volontiers en faveur de M. Hofmann une déclaration identique à celle de l'honorable M. Dumortier en faveur de M. de Ryckman.

M. Hofmann est un magistrat très digne, jouissant sous tous les rapports de l'estime et de la considération publique. J'ajoute que j'ai été étonné d'apprendre que M. le procureur général de Bavay avait dénoncé M. le procureur du roi Hofmann et qu'il demandait sa révocation à M. le ministre de la justice pour cause d'incapacité.

M. Vanden Branden de Reeth. - J'ai demandé la parole en même temps que l'honorable préopinant pour déclarer qu'il est à ma connaissance que l'ancien procureur du Roi de Malines jouissait de la considération et de l’estime générales ; j'ajouterai que ce n'est pas seulement une opinion personnelle que j'exprime ici, mais une opinion recueillie près de plusieurs magistrats et jurisconsultes très à même de juger en cette affaire.

M. Verhaegen. - Messieurs, comme toujours, M. le ministre de la justice cherche à se justifier en déplaçant la question ; il a encore une autre tactique, c'est de se servir de pièces même confidentielles quand il croit en avoir besoin et de refuser la communication de celles qui lui seraient défavorables. Savez-vous comment il cherche à se tirer d’affaire ? Il prétend que j'ai attaqué d'honorables magistrats, entre autres l'honorable M. Hoffmann ; et immédiatement plusieurs honorables membres se lèvent pour donner des témoignages favorables à ce magistrat.

Messieurs, je n'ai rien fait de semblable, mon discours est écrit (dans des questions délicates comme celles-là, j'ai l'habitude d'écrire, je n'improvise pas), mon discours sera remis entre les mains de MM. les sténographes tel qu'il a été prononcé.

Quant à MM. de Ryckman et Hoffmann, je ne les avais pas nommés. (Interruption.)

Messieurs, ce n'est pas une réticence ; en faisant allusion à deux magistrats sans les nommer, je les avais, il est vrai, suffisamment désignés mais je ne les ai pas attaqués.

Mon discours est là.

M. Van Overloop. - Cela revient au même, vous les avez désignés clairement.

M. Verhaegen. - J'ai fait allusion à deux magistrats qui vous ont parfaitement connus, j'en conviens. Mais encore une fois je ne les ai pas attaqués. J'ai parlé d'un fait qui a causé dans le public et dans le barreau, l'honorable M. Van Overloop le sait bien, une profonde impression, et j'ai demandé à cet égard des explications à M. le ministre de la justice.

J'ai dit que M. le procureur général près la cour d'appel de Bruxelles avait demandé la destitution de deux magistrats haut placés du parquet.

Il a circulé à cet égard des bruits qui ont été colportés dans le barreau. Ou a parlé d'un rapport que les parents des magistrats intéressés dans cette affaire avaient entre les mains. J'ai demandé à ce sujet des renseignements à M. le ministre de la justice.

C'est dans l'intérêt de la magistrature que j'ai agi ainsi, et il semble vraiment, à la manière dont M. le ministre de la justice répond, qu'il ne se trouve pas à Bruxelles en ce moment ; car, qu'il interroge toute la magistrature, qu'il interroge tous ceux qui sont à même d'avoir une opinion à cet égard, et il comprendra la nécessité qu'il y a de la part du gouvernement de s'expliquer catégoriquement. M. le ministre de la justice ne veut pas répondre : il y a, dit-il, entente cordiale entre lui et son subordonné, M. le procureur général près la cour d'appel de Bruxelles. M. le procureur général, ajoute-t-il, connaît trop bien ses devoirs pour protester contre un acte du gouvernement, pour demander la destitution de deux magistrats qui ont été nommés contrairement à son avis. Il n'en est rien, absolument rien !

Je livre ce langage à l'appréciation de la magistrature tout entière. Mais en attendant si M. le ministre de la justice est si sûr de la convenance des actes qu'il a posés, pourquoi donc ne pas nous soumettre des pièces qui ne sont pas confidentielles, comme celle qui a communiquée tout à l’heure, comme la note de l'honorable M. de Haussy ? Ce sont des rapports officiels. Qu'il mette ces pièces sous les yeux de la Chambre, et nous verrons.

Mais c'est extrêmement commode : vous allez chercher dans un dossier une note confidentielle de l'honorable M. de Haussy ; vous en faites usage, et quand nous parlons de faits graves qui ont ému le public, la magistrature, le barreau, vous nous dites : Je ne réponds point. Je ne veux pas vous soumettre les pièces dont j'aurais besoin pour m'expliquer. Je n'occupe pas la Chambre de cela. Encore une fois il est très commode de se soustraire ainsi à des attaques, quelque fondées qu'elles soient.

(page 193) Je me résume sur ce point, et je dis : Je n'ai attaqué aucun magistrat ni directement, ni indirectement. Je n'ai fait aucune allusion ni à M. Hoffmann, ni à M. de Ryckman pour prétendre qu'ils fussent incapables de remplir leurs fonctions. Je n'ai dit qu'une chose, c'est que M. le procureur général près la cour d'appel de Bruxelles avait demandé la destitution de deux magistrats. Il est fort désagréable pour des hommes, que j'ai moi-même qualifiés d'hommes honorables, d'être l'objet de soupçons de cette nature.

Il est aujourd'hui de l'intérêt de ces hommes que ces soupçons soient dissipés, et qu'on sache qui a raison de M. le procureur général près la cour d'appel de Bruxelles ou de M. le ministre de la justice. Voilà ce qu'il importe que nous sachions, et s'il y a un scandale, c'est là qu'il gît, et ce scandale doit cesser au plus tôt.

Au reste, je ne sais pas si M. le ministre de la justice n'a pas voulu me comprendre. Il a parlé d'attaques dirigées contre M. Hoffmann, comme chef du parquet de Malines. Mais je n'ai contesté ni son honorabilité, ni sa moralité, loin de là. Seulement, j'ai dit, et j'ai appelé l'attention de la Chambre sur cette circonstance sur laquelle l'attention du public a été éveillée, c'est qu'en faisant venir M. Hoffmann d'une autre localité, on a voulu ouvrir une place au profit de la personne qui a été désignée.

Ainsi, mon argumentation n'est pas celle que M. le ministre a combattue ; elle est tout autre ; elle consiste à établir que les nominations se font par esprit de camaraderie et de népotisme.

On a prétendu que nous étions en contradiction avec nous-même, que, d'une part, nous prétendions qu'il y avait précipitation dans les nominations, que, d'autre part, nous soutenions que le ministre restait très longtemps avant de pourvoir aux places vacantes.

Mais, a dit le ministre, si les nominations se faisaient par esprit de camaraderie, les listes seraient toutes prêtes ; les nominations se feraient immédiatement. Nullement, car il faut que les arrangements se fassent, que les combinaisons puissent s'exécuter convenablement. C'est ainsi qu'on agit sans avoir égard aux intérêts bien entendus de la justice. Vous y mettez, de la précipitation, dites-vous, au lieu d'y mettre de la lenteur.

Oui, savez-vous dans quel sens, c'est que quand une place est ouverte, et donne lieu à des vacances successives à quatre ou cinq mutations, le ministre nomme à la fois à toutes les places qui deviennent successivement vacantes, et c'est ainsi qu'il prétend que les candidatures peuvent se produire ! Mais on nomme aux places avant qu'on ne sache qu'elles sont vacantes.

C'est ce qui se fait constamment. Ainsi, une place va donner lieu à quatre mutations. On nomme aux quatre places à la fois. C'est une grave erreur de croire que l'intérêt de la justice exige qu'il en soit ainsi. Il faut que les candidatures puissent se produire. Il faut que les candidats aient eu temps de présenter leurs demandes. Ce qui est impossible avec votre système consistant à faire toutes les nominations à la fois.

C'est dans ces circonstances que nous avons signalé des faits au sujet desquels M. le ministre de la justice a jugé à propos de ne donner aucune réponse.

Je ne m'étendrai pas davantage sur ces différents points. Il me suffit que ce que j'ai dit obtienne l'approbation de tous ceux qui sont au courant de l'affaire. M. le ministre refuse de répondre à la demande que j'ai eu l'honneur de lui adresser relativement à la protestation de M. le procureur général. Il refuse d'y répondre. La magistrature saura à quoi s'en tenir.

M. Lelièvre. - Messieurs, à l'occasion du budget en discussion, je crois devoir appeler l'attention du gouvernement sur quelques mesures qui sont du ressort du département de la justice et qui me paraissent avoir une utilité incontestable.

Depuis longtemps on comprend la nécessité de soumettre les budgets des fabriques des églises non seulement à l'approbation de l'évêque diocésain, mais aussi à la sanction de la députation permanente du conseil provincial.

Sous ce rapport, les fabriques devraient être assimilées aux bureaux de bienfaisance. Ce sont en effet des établissements publics dont l'administration doit être essentiellement soumise au contrôle des pouvoirs publics, contrôle nécessaire pour assurer l'emploi utile des fonds et la régularité de la gestion.

Sans doute l'on pourrait dans la formation du budget concéder certaine latitude aux conseils des fabriques, mais au moins il est évident que l'intervention de l'autorité supérieure est indispensable sous certains rapports.

C'est donc là un objet que je recommande à l'attention du gouvernement. Tout ce qui concerne l'administration des biens des églises touche à l'intérêt public, auquel le législateur ne saurait être indifférent, et il est clair que l'intervention de l'autorité provinciale n'est pas moins nécessaire que s'il s'agissait des intérêts des pauvres et des autres établissements placés sous la sauvegarde des lois.

Je crois aussi devoir émettre une observation relative à certains règlements épiscopaux, concernant les fabriques des églises cathédrales, qui ont été approuves par le gouvernement sous l'administration de l'honorable M. Faider. Aux tenues des articles 5, 6 et 7 du décret du 31 décembre 1809, rendue applicables par l'article 103 aux églises cathédrales, l'autorité civile intervient dans la nomination des membres des conseils des fabriques. Du reste, ces corps sont appelés à se renouveler eux-mêmes et les conseillers qui doivent remplacer les membres sortants, sont élus par les membres restants.

Cependant, d'après les règlements admis à Liège et à Bruges, si je ne me trompe, non seulement la nomination des membres du conseil de fabrique de l'église cathédrale appartient entièrement à l'évêque diocésain, mais c'est également à ce dernier qu'est réservé le droit de choisir les conseillers appelés à remplacer les membres sortants.

A mon avis, il faut revenir aux règles si sages tracées par le décret de 1809 ; elles ont fait une large part aux chefs des diocèses et d'un autre côté elles décrètent un ordre de choses qui assure l'indépendance des membres des conseils des fabriques.

Je recommande ces observations à l'attention de M. le ministre de la justice.

Il est un autre point qui me paraît digne de l'examen du gouvernement.

Je suis convaincu que les rapports des officiers du parquet ont signalé la nécessité de mesures efficaces pour protéger les propriétés rurales contre les maraudages fréquents qui se commettent dans les champs ouverts.

D'après la loi de mai 1849, on ne peut plus prononcer qu'un simple emprisonnement de huit jours contre les individus qui enlèvent les récoltes et fruits pendants par racines, le délit eût-il même été commis à l'aide de sacs, paniers ou voitures, et même en bande.

Il y a plus, les délinquants ne peuvent même être arrêtés, puisqu'il ne s'agit que d'un fait de la compétence des tribunaux de simple police.

Cet état de choses donne lieu aux plus graves abus et réclame une répression analogue à celle établie par le code pénal français révisé en 1832 qui commine en ce cas des peines correctionnelles assez élevées. On ne saurait même attendre la révision de nos lois criminelles pour s'occuper de cet objet, parce qu'il y a urgence de faire cesser un état de choses compromettant pour le droit sacré de propriété.

Depuis longtemps aussi, on attend un tarif pour le règlement des honoraires des avoués et des huissiers. Le tarif de 1807 n'est plus en harmonie avec les besoins, non seulement à raison de la dépréciation de la valeur monétaire, mais aussi eu égard aux formalités introduites par les lois nouvelles, notamment par la loi sur l'expropriation forcée et celle sur le régime hypothécaire.

Les avoués des divers tribunaux se sont déjà adressés plusieurs fois aux Chambres législatives et il est temps, ce me semble, de faire droit à leurs justes réclamations.

Enfin, je recommande à M. le ministre de la justice la position des secrétaires des parquets et celle des commis greffiers. Ces employés ne jouissent plus d’un traitement en rapport avec les nécessités de la vie, et il y a lieu de prendre des mesures pour leur accorder une rémunération digne et convenable. Quand on pense au chétif traitement que reçoivent les secrétaires des parquets de quatrième classe, on reste convaincu de la nécessité de ne plus maintenir cette classification. J'espère que le gouvernement s'occupera immédiatement des dispositions propres à faire droit aux justes réclamations des employés dont il s'agit, qui ont réellement une position déplorable.

Je n'entrerai dans aucune question personnelle, mais je dois prier le gouvernement de faire cesser l'état de choses existant à Ath. Les plus graves intérêts s'opposent à ce que la justice de paix soit desservie plus longtemps par un suppléant. La justice doit être administrée par des magistrats inamovibles et un juge titulaire présente d'ailleurs des garanties plus sérieuses qu'un juge suppléant. J'engage donc M. le ministre à ne plus laisser subsister un ordre de choses irrégulier qui n'a duré que trop longtemps.

M. F. de Mérode. - Messieurs, je suis loin de trouver mauvais que des observations plus ou moins critiques soient adressées aux ministres sur leur administration. Les ministres sont nommés constitutionnellement par le Roi, et non pas par les Chambres ; mais celles-ci, par l'organe de leurs membres, ont droit de signaler ce qu'ils considèrent comme des défauts.

Cependant, et malgré tous les avantages de la publicité, les rapports des procureurs généraux de cours d'appel au chef du département de la justice ne doivent pas être l'objet de communications divulguées au dehors. Que ferions-nous, en effet, de ces communications ? discuterions-nous les titres de tel ou tel membre de l'ordre judiciaire ? pourrions-nous formuler à leur égard un jugement quelconque ?

Nous ne voyons point en d'autres pays, et notamment en France, sous le gouvernement du roi Louis Philippe, les chambres entrer dans de semblables détails.

Je présente, messieurs, ces courtes observations dont l'idée s'est offerte à mon esprit pendant le débat qui vient de se produire en ce moment.

M. Orts. - Messieurs, je suis jusqu'à un certain point de l'avis de l'honorable préopinant. Je crois que les discussions du genre de celle qui se trouve en ce moment engagée devant nous, par le fait, je crois, de M. le ministre de la justice, sont déplorables. Je dirai plus, il est impossible de les soutenir jusqu'au bout ; nous en avons la démonstration devant nous. Mais à qui un peu la faute ? Selon moi à M. le ministre de la justice. Il en a du trop ou il en a dit trop peu.

L'honorable M. Verhaegen avait entamé la discussion sur ce terrain. Il disait à M. le ministre de la justice : Les nominations dans l'ordre judiciaire (page 194) doivent être déterminées uniquement par des considérations puisées dans les besoins du service.

Pour être certain que les exigences ne sont pas méconnues du ministre qui doit y donner satisfaction, qu'établissent les règles en cette matière ? La nécessité de consulter, préalablement à toute nomination, les autorités placées assez haut pour se trouver à même de juger impartialement et placées assez près cependant des candidats pour juger aussi en parfaite connaissance de cause. Ces avis, disait l'honorable M. Verhaegen (je résume son opinion, je ne dis pas jusqu'à présent la mienne), ces avis, M. le ministre de la justice systématiquement ne les suit pas.

Il fait plus quelquefois ; avec l'intention préconçue de nommer des candidats avec lesquels il est entré en rapport direct, il ne demande pas les avis des autorités indiquées par tous les précédents comme par les règles de la matière.

Il ne demande pas d'avis ; ou les avis qu'il demande sont demandés pour la forme et avec l'intention arrêtée de ne pas les suivre, parce que le choix est fait.

Voilà l'accusation telle qu'elle a été formulée. Et pour ne pas rester dans le vague, comme on n'a pas manqué de lui reprocher, malgré la précaution qu’il avait prise, l’honorable M. Verhaegen a été obligé de faire, quoi ? De faire quelques indications. Et l’honorable ministre de la justice a dit au début de sa réponse, que l’honorable M. Verhaegen n’avait pas assez prouvé ; c’est le premier reproche qu’il a adressé à l’honorable membre.

L’honorable M. Verhaegen disait : Ce système doit amener M. le ministre de la justice à des erreurs, à des erreurs regrettables ; et la preuve que cette conséquente est inévitable, c'est que nous avons un fait dont a parlé toute la presse, non pas la mauvaise presse, celle qui se cache, qui n'ose pas répondre de ses actes, qui n'a que l'anonyme pour refuge, mais la presse toute entière. Ces autorités, disait l’honorable M. Verhaegen, que vous ne consultez pas, dont vous évitez systématiquement les avis, sont obligées plus tard de réclamer contre les choix que vous avez faits ; et la preuve, c’est qu’il est de notoriété publique qu’une semblable réclamation s’est produite Je ne sais pas s’il y a eu protestation ; l’honorable ministre ne s’est pas expliqué sur l’exactitude de la qualification ; mais toujours est-il que des observations tendant à indiquer que dans les choix qui ont été faits contrairement aux autorités consultées, on s’était trompé, ont été faites par un magistrat haut placé, M. le ministre ne l’a pas contesté, ce fait est éminemment regrettable. Pourquoi ? Par une double raison : la première, parce qu'il nous amené à des discussions semblables à celles auxquelles nous assistons, discussions dans lesquelles il faut inévitablement qu'une des deux parties soit sacrifiée, et c'est ce qui est arrivé ; discussions qui portent atteinte à la dignité de la magistrature, qui forcent l'honorable ministre à venir défendre des personnes, et qui forcent ceux qui n'acceptent pas la défense d'une manière complète à se poser en accusateurs d'honorables magistrats.

Or, cette position est éminemment regrettable. M. le ministre avait un moyen beaucoup plus simple et j’ai regretté qu'il ne l'ait pas suivi. M. le ministre n'avait pas besoin de venir ici avec des pièces confidentielles propres à disculper des magistrats dont en définitive l'honorabilité n'est pas en cause. Car il peut se faire que des hommes, très aptes à remplir telles fonctions dans la magistrature, se trouvent, quoique parfaitement honorables, quoique parfaitement capables, déplacés dans une autre sphère et surtout dans une sphère où ils sont amenés malgré eux.

Ainsi des magistrats peuvent être parfaitement placés à la tête d'un parquet de province, peuvent faire d'excellents procureurs du roi, parce qu'ils ont des aptitudes particulièrement propres à la besogne judiciaire, que je pourrais appeler plus spécialement administrative.

D'autres peuvent faire des magistrats de cour d'assises des plus brillants, parce qu'ils sont doués d'un talent hors ligne.

Sans contester donc l'honorabilité de magistrats qui n'avaient pas besoin de certificats, j'ai demandé la parole pour éviter un résultat auquel nous allons tout droit.

J'ai dit que dans de pareils débats lorsqu'on discute des questions de personne et du moment qu'on les discute à moitié, il faut nécessairement qu'une personne soit sacrifiée. Eh bien, on a sacrifié le procureur général près la cour d'appel de Bruxelles et si on a donné des certificats à des magistrats dont je ne conteste en aucune manière le mérite, je dois dire, à mon tour, que depuis vingt-quatre ans j'exerce la profession d'avocat à Bruxelles en face de M. le procureur général, que sans doute je n'ai pas toujours été du même avis que lui, mais que j'ai toujours remarqué chez lui une idée dominante, c'est la nécessité, en fait de nominations, d'assurer avant tout la bonne et exacte administration de la justice. Si donc il s’est plaint de faits que je ne connais pas, j’ai au moins la certitude que ses plaintes reposaient sur un fondement solide et je vous demande à tous, messieurs, de ne pas juger lorsque vous n'avez entendu qu'une seule des parties en cause.

M. le ministre de la justice (M. Nothomb). - Messieurs, j'éprouve le besoin de répondre quelques mots aux dernières paroles que vient de prononcer l'honorable M. Orts.

Il a paru me reprocher d'avoir sacrifié M. le procureur général près la cour de Bruxelles, à la justification de deux autres magistrats. Telle n'a pas été ma pensée, et toute ma conduite, depuis que j'ai l'honneur de siéger devant la Chambre, proteste contre une pareille intention. (Interruption.) J'ai cru comprendre qu'on me reprochait d'avoir sacrifié M. le procureur général, je repousse ce reproche, me rappelant ce qui s'est passé dans cette enceinte.

Qui donc a défendu M. le procureur général lorsque, l'année dernière, il était attaqué sur ces bancs ? Qui, alors, a pris sa défense contre quelques membres de la gauche ? N'est-ce pas moi ?

Je puis ajouter que j'ai eu avec cet honorable magistrat les meilleures relations, lorsque j'étais son inférieur ; plus tard, j'ai fait plus, j'ai proposé à Sa Majesté de donner à M. le procureur général une marque éclatante de la bienveillante royale.

Ce serait donc bien à tort que l'honorable M. Orts, à l'opinion duquel j'attache beaucoup de prix, m'accuserait ici d'avoir sacrifié M. le procureur général.

J'ai fait une seule chose, j'ai défendu deux honorables magistrats qui avaient été attaqués indignement dans la presse et qui ne sont pas ici pour se défendre.

Lorsque M. le procureur général m'adresse des rapports confidentiels, je les examine, je les discute ; je n'admets pas toujours son avis, mais depuis quand le ministre est-il obligé de suivre tous les avis des magistrats qu'il consulte ? S'il en était ainsi les rôles seraient renversés et le jour où M. Orts sera ministre, il ne suivra pas tous les avis, parce que ces avis ne sont point uniques, et par conséquent, peuvent être différents les uns des autres. On ne peut cependant en suivre qu'un.

L’honorable M. Orts semble encore me reprocher d’avoir dit trop ou trop peu. Ce n’est pas moi qui ai provoqué ce débat ; je l’ai accepté à regret, et je l’ai accepté en faisant mes réserves. J’ai dit qu’on ne mettait dans une position telle que ma justification était impossible. En effet, messieurs, pour me justifier que devais-je faire ? Prendre les dossiers, produire les avis, discuter les personnes. C'est ce que je ne puis pas faire. Je préfère laisser croire que je ne me suis pas suffisamment justifié. Quel serait donc le magistrat qui voudrait encore donner un avis lorsque ses rapports pourraient être traduits à la barre de la Chambre ? Mais ce serait le mutisme qu'on leur imposerait à tous.

Les rapports qui me sont adressés par M. le procureur général concernant les magistrats sous ses ordres, sont des rapports nécessairement confidentiels ; ils le sont par leur nature même ; ils me sont adressés à la condition de conserver ce caractère. Je ne puis donc pas les soumettre à la Chambre.

L'honorable M. Orts a paru s'associer au reproche que m'a fait l'honorable M. Verhaegen de m'écarter systématiquement des avis des autorités judiciaires. Mais pour établir la valeur de ce reproche, il faudrait préciser les faits, et les faits ne peuvent être précisés. Il n'existe que la seule affirmation de M. Verhaegen, et à cette affirmation j'oppose la mienne.

Comment l'honorable membre sait-il que je m'écarte systématiquement des avis des autorités judiciaires ? A-t-il vu mes dossiers ? Les autorités judiciaires sont-elles donc venues lui confier que je repousse sans examen, par pur caprice, leurs avis ? Comment donc le sait-il ? Je regrette de le lui dire, mais il s'est rendu l'écho de certains journaux, dont j'ai déjà parlé.

Si l'honorable membre avait un peu plus de confiance dans le ministre et qu'il me permette d'ajouter : un peu plus de bienveillance pour l'homme, que ne vient-il me demander des renseignements dans mon cabinet ; je les lui donnerais de grand cœur, je lui ouvrirais mes dossiers.

Si l'honorable membre avait suivi cette marche, peut-être aurions évité ce fâcheux incident, ce regrettable débat. (Interruption). Il y a une affaire, dit-on, ou aucun avis n’a été demandé. Rien de plus vrai. Il arrive très souvent que des avis sont inutiles. (Interruption.) Vous êtes mal informé. J’avais deux avis depuis six semaines. (Interruption.) Que vous êtes donc mal renseigné et quelle preuve nouvelle ! Que nous nous serions épargne ces débats si vous aviez daigné m'en dire un mot auparavant.

On a dit encore que l'un de ces magistrats est venu ici malgré lui en quelque sorte. C'est à M. de R. qu'on a fait allusion. Eh bien, ce magistrat n'est pas venu ici malgré lui, il a sollicité la place qu'il a obtenue.

Ou me dit aussi : Vous faites très souvent des mouvements, ce qu'on appelle vulgairement des fournées, sans consulter les autorités. Certainement, lorsque ces avis seraient inutiles, je possède des données suffisantes.

Il n'y a guère de magistrat sur lequel il n'y ait plusieurs rapports et dans la plupart des cas le ministre sait d'avance quelle sera la réponse. En effet, ce qui était vrai hier est presque toujours vrai lu lendemain. Il arrive très souvent que les ministres font des mouvements ; lorsque par suite d'une vacance, de nouvelles places représentent, lorsqu’on fait ce qu'on appelle un mouvement, on ne consulte parfois ni les candidats, ni les autorités judiciaires. Si l'on n'agissait point ainsi, il en résulterait que le service de la justice se trouverait souvent désorganisé. J'ai donc suivi les errements dr l'administration ; j'ai fait tout ce qu'ont fait mes honorables prédécesseurs.

J'abandonne ce point, pour rencontrer en quelques mots les observations présentées par l'honorable M. Lelièvre.

L'honorable membre a parlé d'abord de la manière dont se rendait les comptes des fabriques d'églises, ainsi que de la nomination des membres d'un conseil d'administration des cathédrales, J'aurai soin (page 195) d’examiner les objections de l'honorable membre et d'y faire droit dans ce qu'elles ont de fondé.

L'honorable député de Namur a signalé ensuite comme très fâcheuse l'espèce d'impunité dont sont entourés aujourd'hui les délits de maraudage. L'honorable membre a reconnu lui-même, que la loi qui a mitigé les peines en cette matière, date de 1849 ; c'est après mûre discussion qu'on a cru devoir introduire cet adoucissement et je crois qu'on a eu raison. L'honorable membre semble croire qu'il faille dès à présent provoquer une nouvelle loi ; je crois que, s'il est réellement nécessaire d'élever les peines en fait de maraudage, il faut attendre pour cela la révision générale du Code pénal.

Quant au tarif des frais de justice en matière civile, je puis donner l'assurance que ce travail suit très régulièrement son cours. Le travail qui concerne cet objet, a été soumis à une commission de jurisconsultes ; la commission a adressé son rapport au département de la justice qui l'a examiné ; le travail est presque complet ; déjà même plus de cent articles sont imprimés ; sous peu, je compté communiquer à la commission le travail révisé, et j'espère qu'il pourra être converti bientôt en arrêté royal.

M. de Perceval. - À l'occasion des fêtes qui ont été célébrées en Belgique pour le vingt-cinquième anniversaire de l'inauguration du Roi, des conflits très regrettables ont surgi dans la plupart des villes du pays pour les préséances.

Je renouvelle la motion que j'ai faite il y a quatre ans, et je demande à M. le ministre de la justice qu'il veuille bien s'occuper de cette question, assez importante dans mon opinion. Personne ne peut contester l'indispensable nécessité d'avoir une loi sur les préséances ; il importe de fixer les places et d'assigner les rangs que les autorités doivent occuper dans les solennités publiques.

M. le ministre de la justice (M. Nothomb). - La question dont a parlé l'honorable membre, a été agitée sous toutes les administrations précédentes ; on s'est trouvé en face de nombreuses difficultés ; la révision du décret du 24 messidor an XII, est devenue très difficile sous notre organisation actuelle, puisqu'il a été créé une foule de fonctions nouvelles.

C'est un travail pour la confection duquel tous les départements ministériels doivent se concerter. Je soumettrai à mes collègues les observations de l'honorable M. de Perceval.

- Personne ne demandant plus la parole, la discussion générale est close.

On passe aux articles.

Discussion du tableau des crédits

Chapitre premier. Administration centrale

Article premier

« Art. 1er. Traitement du Ministre : fr. 21,000. »

- Adopté.

Article 2

« Art. 2. Traitement des fonctionnaires, employés et gens de service : fr. 190,350. »

M. de Renesse. - Messieurs, je saisis l'occasion de la discussion du budget de la justice pour présenter à la Chambre quelques courtes considérations sur les augmentations de crédits demandées par le gouvernement, pour améliorer principalement la position des employés subalternes.

En général, on paraît d'accord, que le traitement de ces employés n'est plus en harmonie avec la cherté de tous les objets de première nécessité, qu'il y aurait lieu de mieux les rétribuer, et, pour parvenir à ce but le gouvernement semble vouloir, à chaque budget, proposer une certaine majoration du crédit pour le personnel.

Le budget de la justice étant le premier sur lequel porte cette augmentation, j'ai cru devoir prendre la parole pour motiver mon vote sur ces suppléments de crédits.

J'admettrais volontiers une pareille marche, je serais porté à voter ces augmentations, si, d'un autre côté, je voyais que le gouvernement cherchât à introduire successivement une réduction dans les autres dépenses de l'Etat, surtout dans celles de luxe, ou qui sont purement facultatives, et pour compenser de cette manière les suppléments demandés pour les employés inférieurs.

Maïs, malheureusement, il n'en est pas ainsi ; presque chaque année, les budgets de l'État, comme ceux des provinces et des communes, tendent à s'accroître.

Les économies paraissent n'être plus à l'ordre du jour ; au lieu de rechercher les moyens de simplifier les rouages de l'administration générale du pays, on semble toujours vouloir les augmenter : on tourne toujours dans le même cercle administratif, et la bureaucratie est poussée outre mesure, sans que, pour cela, le travail administratif soit mieux exécuté. Aussi la section centrale reconnaît que la bureaucratie est une des plaies de notre époque. Il me semble qu'il serait préférable de réduire plutôt le nombre des employés, d’en avoir moins, mais de très capables, afin de pouvoir les rétribuer plus largement et de ne plus avoir besoin d'augmenter constamment le personnel et par conséquent les dépenses de l'Etat.

J'ai l'intime conviction que nous ne parviendrons pas à provoquer une diminution dans les charges du trésor public, à moins que, comme en 1848, il ne s'établisse formellement, dans le pays, une forte réaction contre cette tendance manifeste du gouvernement de vouloir augmenter ses attributions et d'intervenir en toutes choses. Il y a un danger réel, d'après moi, à vouloir toujours accroître les dépenses de nos budgets ; il est un moment où il faut savoir s'arrêter, surtout lorsque l'Etat a comme actuellement, un déficit assez considérable qui, d'après la situation du trésor au 1er septembre de l'année courante, doit s'élever à près de 22 millions de francs. Je ne pense pas qu'il puisse entrer dans l'intention du gouvernement de vouloir établir de nouvelles charges pour les contribuables, déjà assez grevés par des contributions de toute nature et par renchérissement de toutes les denrées de première nécessité ; il y a actuellement un véritable malaise parmi la classe peu fortunée qui comprend le plus grand nombre des habitants du pays ; leur position mérite aussi d'être prise en considération, et au lieu d'augmenter leurs charges, il serait plus rationnel de chercher à les diminuer en améliorant les lois financières et surtout par une plus prompte révision de notre tarif douanier, accordant jusqu'à présent des privilèges exorbitants à plusieurs de nos industries au grand détriment de la masse des consommateurs.

Si l'Etat avait besoin de ressources nouvelles, pour équilibrer les recettes et les dépenses, qu'il cherche à imposer les capitalistes, et leur nombreux capitaux qui, jusqu'ici, ont su s'affranchir des charges de l'Etat, ou qui n'y ont contribué que pour une trop minime part, comparativement à celle de la propriété immobilière ; que le gouvernement établisse une plus juste répartition entre les charges publiques, de manière qu'il n'y ait plus de privilèges pour personne et qu'il y ait enfin, dans notre pays de liberté, une égalité devant le fisc, comme devant la loi.

Ces considérations me guideront dans le vote que j'aurai à émettre sur les augmentations demandées pour les budgets de l'exercice 1857 ; je me verrai donc forcé de repousser la plupart des suppléments de crédits demandés pour le personnel des différentes administrations, à moins d'obtenir l'assurance formelle que ces augmentations seront largement compensées par des réductions à consentir sur d'autres articles des budgets.

Je déclare, en terminant, que] mes votes n'auront rien d'hostile aux honorables ministres ; je leur accorderai, néanmoins, mon loyal concours pour toutes les mesures qui pourraient être utiles au pays.

- Personne ne demandant plus la parole, l'article 2 est adopté.

Articles 3 à 5

« Art. 3. Matériel : fr. 13,000. »

- Adopté.


« Art. 4. Frais d'impression de recueils statistiques : fr. 6,000. »

- Adopté.


« Art. 5. Frais de route et de séjour : fr. 6,000. »

- Adopté.

Chapitre II. Ordre judiciaire

Articles 6 à 9

« Art. 6. Cour de cassation. Personnel : fr. 215,000.

« Charge extraordinaire : fr. 5,500. »

- Adopté.


« Art. 7. Cour de cassation. Matériel : fr. 5,250. »

- Adopté.


« Art. 8. Cours d'appel. Personnel : fr. 549,000.

« Charge extraordinaire : fr. 28,000 »

- Adopté.


« Art. 9. Cours d'appel. Matériel : fr. 18,000. »

- Adopté.

Article 10

« Art. 10. Tribunaux de première instance et de commerce : fr. 1,022,095.

« Charge extraordinaire : fr. 18,216. »

M. Vervoort. - Messieurs, j'appelle l'attentiou de M. le ministre de la justice sur la nécessite d'augmenter le personnel du tribunal civil d'Anvers. La bonne administration de la justice exige qu'on augmente le nombre des juges de ce siège. En 1810, le tribunal d'Anvers possédait 10 juges ; en 1832, lors de h nouvelle organisation judiciaire, on a maintenu ce personnel.

C'est en 1849 que, contrairement à l'avis de la section centrale, on a réduit ce nombre à 6 juges, y compris le président et le vice-président.

Dans les temps ordinaires un juge suppléant siège en quelque sorte en permanence. Or, cet état de choses est contraire aux prescriptions de la loi, qui ne permet pas que les fonctions d'un juge suppléant deviennent des fonctions habituelles.

Lorsque la cour d'assises siège à Anvers. ce service absorbe deux magistrats ; le juge d'instruction a des fonctions spéciales ; de sorte que lorsqu'un juge est malade ou quand il y a une vacature, il reste deux juges pour composer la chambre civile et le tribunal correctionnel.

Un juge suppléant a siégé, en quelque sorte, en permanence pendant trois ou quatre ans, et constamment le tribunal est obligé d'avoir recours au barreau pour se compléter.

Il est urgent de porter à cet état de choses un remède que réclament à la fois la bonne administration et la dignité de la justice.

Je demande à M. le ministre s'il se propose de présenter incessamment un projet de loi pour compléter le personnel du tribunal d'Anvers.

M. Lelièvre. - Je me joindrai à l’honorable M. Vervoort pour prier le gouvernement de présenter un projet de loi pour augmenter, (page 196) au moins provisoirement, le personnel des cours et tribunaux là où il y a insuffisance.

Ce que vient de dire l'honorable M. Vervoort est applicable non seulement au tribunal d'Anvers, mais également à celui de Namur et à la cour de Liège ; l'état de choses actuel est véritablement intolérable.

L'administration de la justice est réellement en souffrance dans plusieurs localités et les intérêts des justiciables sont compromis. Il est évident qu'on ne saurait attendre la discussion du projet de loi d'organisation judiciaire. Il y a urgence de faire cesser les abus existants. La justice est une dette sacrée de la société, c'est au gouvernement qu'il appartient d'y pourvoir.

J'engage M. le ministre à prendre les mesures que réclament des intérêts importants.

M. le ministre de la justice (M. Nothomb). - Messieurs, je suis de l'avis des deux honorables membres qui viennent de se rasseoir, que le personnel de quelques tribunaux et spécialement de celui d'Anvers, réclame une augmentation. Cependant la présentation d'un projet de loi en ce moment, pour augmenter le personnel de quelques tribunaux, me paraîtrait difficile. C'est en vue de ces difficultés que j'ai prié la Chambre de vouloir bien hâter l'examen préparatoire du projet de loi sur l'organisation judiciaire, j'ai vu avec satisfaction qu'une commission vient d'être nommée.

Il est certain que l'augmentation même du personnel tient à la solution qui sera donnée à quelques questions de principes dans la loi d'organisation générale. Deux de ces questions, par exemple, sont celles de savoir s'il y aura cinq ou trois magistrats à la cour d'assises, si les assises appartiendront à la cour d'appel ou aux tribunaux, s'il y aura un président judiciaire (si je puis m'exprimer ainsi) près des tribunaux de commerce. Il est évident que la solution qui sera donnée à ces deux questions est de nature à exercer une influence notable sur l'organisation des tribunaux de première instance.

Je ne pourrais donc en ce moment en présentant un projet de loi spécial pour l'augmentation du personnel de quelques tribunaux qu'agir en aveugle. Je crois qu'il est prudent que la Chambre attende la discussion du projet général. Je prie la commission de hâter ses travaux, quand les questions de principes seront résolues la question du personnel viendra naturellement.

M. Verhaegen. - Si le gouvernement ne veut pas présenter de projet de loi pour augmenter le nombre des juges de certains tribunaux, il convient du moins de tenir les tribunaux au complet, de faire en sorte que la justice puisse marcher. J'ai demandé à M. le ministre de la justice pourquoi la place de substitut du procureur du roi de Bruxelles reste ouverte depuis quatre mois.

Le service du tribunal en souffre évidemment, le tribunal a été incomplet pendant huit mois, il a manqué un juge, on a laissé la place ouverte pendant quatre mois ; depuis quatre mois une place de substitut du procureur du roi est vacante, on s'obstine à ne pas vouloir y nommer, j'en ai fait la demande tantôt, on ne m'a pas répondu.

M. Wasseige. - Messieurs, la section centrale s'est préoccupée de la réorganisation judiciaire, elle en a fait l'objet d'un paragraphe spécial de son rapport. Elle n'a pas pensé qu'on dût scinder le projet d'organisation en augmentant le personnel de certaines cours et tribunaux où le besoin s'en fait sentir plus vivement ; elle a pensé qu'il était préférable de laisser le projet dans son ensemble. Du reste, les membres qui ont demandé l'augmentation du personnel des tribunaux de leurs localités pourront obtenir justice, car ils viennent d'être nommés membres de la commission chargée d'examiner le projet de loi ; il dépend d'eux de hâter le travail que nous appelons de tous nos vœux.

M. Frère-Orban. - M. Verhaegen a adressé une question à laquelle M. le ministre de la justice n'a pas répondu.

M. le ministre de la justice (M. Nothomb). - J'avoue que je ne croyais pas qu'il fût urgent de répondre à cette question, cependant je suis prêt à le faire.

Je crois que l'honorable membre s'exagère ce qu'il appelle le désarroi du tribunal de Bruxelles. On a réclamé la nomination d'un juge, j'y ai fait droit ; la seule nomination qu'il reste à faire à Bruxelles, est celle d'un substitut.

Soyez bien convaincu que si j'étais actuellement en mesure de terminer cette affaire, la solution ne se ferait point attendre. Il n'y a, du reste, pas bien longtemps que la place dont il s’agit est vacante, et je puis vous donner l’assurance qu'aucune autorité judiciaire ne m'a signalé la désorganisation dont a parlé l'honorable M. Verhaegen. Le service se fait régulièrement, soit au moyen des autres officiers du ministère public, suit avec le concours des suppléants.

Je suis donc autorisé à croire que l'honorable membre s'est exagéré les inconvénients dont il a entretenu la Chambre.

M. Verhaegen. - Les membres du tribunal de Bruxelles se trouvent dans une position telle, qu'une des trois chambres devra bientôt chômer ; on en est réduit à prendre le premier avocat venu pour remplir les fonctions de juge. Les juges suppléants ne suffisent pas ; il y a trois jours, un avocat qu'on avait pris pour occuper un siège de juge, un instant après est descendu de son siège pour plaider devant la même chambre ; cela se présente tous les jours à Bruxelles.

Et après cela, vous direz que ce n'est rien de laisser une place vacante pendant quatre mois ! On laisse des places vacantes pour des motifs personnels à M. le ministre et qui ne tiennent pas au besoin du service de la justice.

M. Loos. - Messieurs, l'insuffisance du personnel des tribunaux se fait sentir plus particulièrement pour ma localité ; elle est telle que des juges suppléants y siègent tous les jours depuis quatre ans. Les procès-verbaux de carence ont été adressés récemment à M. le ministre de la justice ; il est indispensable qu'on augmente le nombre des juges du tribunal d'Anvers, car il est impossible que les choses restent dans l'état où elles sont.

M. Dumortier. - Ce que vient de dire l'honorable préopinant s'applique à plusieurs tribunaux ; dans plusieurs tribunaux, il y a insuffisance du personnel ; je crois que cela tient à une assez mauvaise habitude qui s'est introduite depuis quelque temps dans les tribunaux, c'est de laisser aller les avocats trop loin.

Si les juges ou les conseillers faisaient un peu mieux la discipline et modéraient l'intempérance de parole des avocats, le personnel des tribunaux serait suffisant partout.

M. Orts. - On sait qu'il est assez de mise que les plaideurs fassent certaines plaisanteries sur les avocats, comme les malades en font sur les médecins ; n'était que cela, je n'aurais pas pris la peine de répondre à M. Dumortier. Mais je ferai remarquer que pour le tribunal de Bruxelles, il y a une réponse péremptoire ; l'insuffisance du personnel est manifeste : des deux chambres qui font le service correctionnel, l'une ajoute à ce service celui des affaires d'enregistrement ; or sur cent affaires correctionnelles, il s'en trouve à peine une où il se présente un avocat ; ainsi l'habitude de trop parler n'est pour rien dans l'encombrement dont on se plaint ; quant aux autres, aux affaires d'enregistrement, elles s'instruisent sur mémoire, et à peine de nullité, il est défendu d'ouvrir la bouche pour plaider.

M. Dumortier. - Je maintiens l'observation que j'ai faite ; j'ai eu le courage de la faire tout haut ; tout le monde pense comme moi ; il n'y a pas là de plaisanterie ; il y a une vérité, rien de plus. Je désirerais qu'on nous présentât un tableau indiquant les heures qu'on consacrait aux plaidoiries, il y a vingt-cinq ans, et celles qu'on y consacre aujourd'hui ; nous pourrions voir d'où vient qu'on veut aujourd'hui entraîner le pays dans de nouvelles dépenses.

Je connais des tribunaux où le président met des bornes à l'intempérance de langage des avocats ; on y a vidé l'arriéré et on est parfaitement au courant. Si on faisait de même partout, il ne serait plus question de demander d'augmentation de traitement ou de personnel. Cela ne ferait pas le compte de MM. les avocats, mais bien celui des plaideurs et de la justice.

M. Vervoort. - Je répondrai un seul mot à ce que vient de dire l'honorable M. Dumortier.

Je ne m'étonne pas que l'on se fasse quelquefois un malin plaisir de critiquer la prolixité des avocats, ce reproche n'a rien de nouveau ; mais ce qui m'étonne, c'est que M. Dumortier se soit chargé de ce soin au sein de la Chambre.

M. Dumortier. - Quand je parle j'ai toujours l'honneur d'être écouté et je n'abuse pas de la parole au-delà du temps pendant lequel on veut bien me prêter attention. Je suis étonné que l'interruption qui vient de m'être lancée soit venue de l'honorable M. Vervoort.

M. Orts. - J'aurai peu de chose à dire pour démontrer que l'honorable M. Dumortier a tort de prétendre que les avocats parlent trop. J'ai eu l'honneur de plaider pour lui. Quand nous avons eu dit ce que nous avions à dire, il a trouvé sans doute que nous n'avions pas assez parlé, car il a demandé la parole et a parlé pendant une heure.

M. Dumortier. - Ce langage-ci sort de la dignité de la Chambre. J'ai signalé un fait grave que tout le monde connaît, c'est que si le personnel des tribunaux est insuffisant, c'est parce qu'il n'y a plus de discipline des avocats. Mais je conçois fort bien que cette observation contrarie un peu MM. les avocats ; car, si elle est admise, elle aura pour conséquence de faire réduire leur salaire. Mais c'est l'intérêt de la justice qui m'a guidé.

- L'article 10 est adopté.

Article 11

« Art. 11. Justices de paix et tribunaux de police : fr. 545,400.

« Charges extraordinaires : fr. 6,970. »

- Adopté.

Chapitre III. Justice militaire

Articles 12 à 15

« Art. 12. Cour militaire. Personnel : fr. 16,070.

« Charges extraordinaires : fr. 4,233. »

- Adopté.


« Art. 13. Cour militaire. Matériel : fr. 2,000. »

- Adopté.


« Art. 14. Auditeurs militaires et prévôts : fr. 29,819.

« Charges extraordinaires : fr. 212. »

- Adopté.


« Art. 15. Frais de bureau et indemnité pour feu et lumière : fr. 3,540. »

- Adopté.

Chapitre IV. Frais de justice

Articles 16 et 17

« Art. 16. Frais de justice en matière criminelle, correctionnelle et de police : fr. 570,000. »

- Adopté.


(page 197) « Art. 17. Traitement des exécuteurs des arrêts criminels et des préposés à la conduite des voitures cellulaires : fr. 9,800.

« Charges extraordinaires : fr. 16,415. »

- Adopté.

Chapitre V. Palais de justice

Article 18

« Art. 18. Constructions, réparations et entretien de locaux. Subsides aux provinces et aux communes pour les aider à fournir les locaux convenables pour le service des tribunaux et des justices de paix : fr. 33,000.

« Charges extraordinaires : fr. 40,000. »

- Adopté.

- La discussion sur les articles est continuée à demain.

La séance est levée à 4 heures et demie.