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Chambres des représentants de Belgique
Séance du jeudi 11 décembre 1856

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1856-1857)

(Présidence de M. Delehaye)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 265) M. Crombez procède à l’appel nominal à 1 heure et un quart et donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

Il présente l'analyse des pièces adressées à la Chambre.

« Le sieur Charles-Hubert Goossens, fabricant d'armes à Liège, né à Venloo (partie cédée du Limbourg), demande la naturalisation ordinaire. »

- Renvoi à M. le ministre de la justice.


« Le sieur Henri-Louis Fitzki, commissionnaire en marchandises à Anvers, prie la Chambre de statuer sur sa demande de naturalisation. »

- Renvoi à la commission des naturalisations.


« Le sieur Buyse demande qu'il lui soit nommé un avocat pour soutenir ses droits dans une contestation judiciaire. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Par six pétitions, un grand nombre d'habitants de Bruxelles demandent le maintien de la législation actuelle sur les denrées alimentaires. »

« Même demande d'un grand nombre d'habitants d’Ostende. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi sur les denrées alimentaires.


« Le sieur Filleul Van Elstraete demande que les denrées alimentaires, y compris le jus de fruits verts, soient libres à l'entrée el qu'elles se trouvent frappées d'un faible droit à la sortie du royaume. »

- Même décision.


« Les membres de la chambre des avoués près le tribunal de Liège prient la Chambre de s'occuper de la proposition de loi sur la récusation des magistrats, pour cause de parenté ou d'alliance avec les défenseurs des parties. »

- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner la proposition de loi.


M. Coomans, empêché pour affaires, demande un congé.

- Ce congé est accordé.

Rapport sur une pétition

M. Van Iseghem. - J'ai l'honneur de déposer le rapport de la commission permanente d'industrie, sur la pétition du sieur Clabos, fabricant d'huile à Cureghern.

-La Chambre ordonne l'impression et la distribution de ce rapport, et le met à l'ordre du jour à la suite des objets qui s'y trouvent déjà portés.

Projet de loi portant le budget des voies et moyens de l’exercice 1857

Discussion générale

M. le président. - M. le ministre des finances se rallie-t-il au projet de la section centrale ?

M. le ministre des finances (M. Mercier). - Non, M. le président.

Messieurs, je crois utile de donner à la Chambre des explications sur quelques chiffres indiqués par la section centrale.

Dans la note préliminaire du budget des voies et moyens, j'ai fait remarquer que les dépenses de l'exercice 1857, d'après les budgets votés ou présentés, ou non encore soumis à la Chambre, s'élèvent à. 133,427,380 fr. 91 c. ; que les recettes présumées étant de 138,354,990 fr.,. il devait y avoir un excédant de ressources de 4,927,609 fr. 9 c., qu'en ajoutant à cette somme l'économie ordinaire d'un million qui s'obtient annuellement sur l'ensemble des budgets, l'excédant était de 5,927,609 francs 9 c. Evaluant à 5 millions les crédits qui peuvent encore être redemandés pour les dépenses ordinaires de cet exercice, j'arrivais à cette conséquence qu'il y aurait en définitive un excédant des recettes sur les dépenses de 927,609 fr. 9 c.

L'honorable rapporteur de la section centrale a pensé que le crédit demandé récemment par M. le ministre de la guerre et s'élevant à 1,431,000 fr. n'était pas compris dans les crédits supplémentaires que j'avais eus en vue ; il n'en était pas ainsi ; l'intention de réclamer ce crédit m'était connue ; par conséquent je le portais en ligne de compte dans les 5 millions qui devaient faire face aux crédits à demander encore d'après mes prévisions.

Du reste, chacun sait qu'il est très difficile de connaître d'avance, d'une manière exacte, quel sera le montant des crédits qui pourront être nécessaires dans le courant d'un exercice. C'est donc uniquement pour faire connaître la pensée qui a présidé à nos appréciations, que j'entre dans les détails que je viens de donner.

Je me fais toutefois un devoir, pour éclairer la Chambre et le pays sur la progression des recettes et des dépenses que présentent nos budgets, d'entrer dans quelques détails à cet égard.

La section centrale fait remarquer que le budget des voies et moyens s'élevait, en 1837, à 85,911,700 francs ; en 1847, à 114,673,650 francs, et qu'il est évalué pour 1857, à 138,354,990 francs. Il est nécessaire d'expliquer les causes de cette augmentation. Je le ferai le plus brièvement possible.

Il est à remarquer, d'abord, que le chiffre de 85,911,700 francs, attribué à l'exercice 1837, est vrai quant aux prévisions des recettes de cet exercice ; mais il ne l'est pas quant aux faits réalisés. Les recettes,(page 266) en 1857, ont été de 90,772,000 francs. Il y a là une différence dont il faut tenir compte.

Mais quelles sont les causes principales de l'élévation du chiffre de 90,773,000 fr. obtenu en 1837 à celui de 138,554,990 fr. présumé pour 1857 ?

Je ferai d'abord remarquer qu'il y a au budget des voies et moyens actuel un produit, celui du chemin de fer, qui n'existait encore qu'en très faible partie en 1837 ; il n'était à cette époque que de 1,416,000 fr., il est présumé devoir s'élever en 1857 à 25.780.000 fr. ; l'augmentation est donc de 22,374,000 fr. C'est déjà une notable partie de l'accroissement du budget des voies et moyens.

A cette époque encore nous n'avions à notre charge qu'une très faible fraction de la dette à transférer des Pays-Bas. L'excédant est d'environ 10 millions. Il a fallu faire face par des voies et moyens à ces 10 millions de dépenses qu'il ne dépendait pas de nous d'éviter. C'est une seconde cause de l'augmentation du budget.

Il y en a une troisième, assez considérable aussi : c'est l'amortissement de notre dette. Il est maintenant porté à cinq millions et demi par an, tandis qu'il n'était en 1837 que d'un million et demi.

Voilà encore quatre millions auxquels il a fallu faire face ; ces quatre millions, comme chacun le sait, ne constituent pas une dépense ; c'est une économie, mais encore faut-il les couvrir par des voies et moyens.

Une autre dépense nouvelle assez considérable, que j'évalue en moyenne à 1,100,000 fr., résulte du remboursement du péage de l'Escaut.

Enfin, il est permis de considérer comme n'étant pas une augmentation de dépenses, la somme portée au budget comme provenant du produit des actions du chemin de fer rhénan qui figure au budget pour 232,000 francs.

J'ajoute donc l,332,000 fr. aux chiffres que j'ai déjà indiqués et dont aucun ne représente, à proprement parler, une augmentation de dépenses faites par le gouvernement belge depuis 1837. J’arrive ainsi à un total de fr. 37,705,000.

L'excédant destiné à faite face à des dépenses d'une autre nature se réduit ainsi à 9,867,000 fr., comparativement aux recettes de 90,772,000 francs, réalisées en 1837.

Il était utile d'expliquer ces faits, pour que l'opinion ne s'égarât pas.sur le véritable état des choses.

Disons rapidement d'où est provenue la nécessité de cette augmentation de 9,867,000 fr.

Elle doit être attribuée à diverses mesures d'intérêt public qui ont occasionné des dépenses considérables.

Je citerai l'amélioration des cours d'eau, notamment en ce qui concerne la Sambre, la Meuse ; la construction de routes nombreuses ; celle de canaux dans toutes les parties du pays. J'ajouterai la dépense qui résulte du minimum d'intérêt accordé à des entreprises de chemins de fer construits par des compagnies. C'est une dépense faite dans l'intérêt du pays comme celle qui résulte de la création d'autres voies de communication ou de transport de marchandises.

Il faut tenir compte aussi du déficit laissé par l'exploitation du railway national pendant de nombreuses années ; des sommes très considérables ont été consacrées à la création de chemins vicinaux. Enfin, l'instruction publique à tous les degrés occasionne aujourd'hui des dépenses beaucoup plus considérables qu'en 1837. Les dépenses qui résultent de ces diverses mesures d'intérêt public concourent à la prospérité du pays ; elles ont toutes un but utile ; elles n'ont surtout pas servi à augmenter les dépenses d'administration du pays.

Je pourrais indiquer encore d'autres dépenses moins importantes, ayant le même caractère, mais je crois en avoir dit assez pour que la Chambre soit à même de faire une juste appréciation des causes de l'augmentation du budget des voies et moyens.

Les augmentations de ressources qu'il a fallu obtenir pour couvrir les dépenses dont je viens de parler ne résultent qu'en faible partie de l'établissement de nouveaux impôts ou de l'augmentation de ceux qui existaient en 1837.

Par suite du développement de la richesse publique et de l'augmentation de la population, nos impôts ont donné successivement des produits plus élevés.

Je puis en citer plusieurs auxquels cette observation est particulièrement applicable : l'impôt sur la contribution personnelle n’a pas été augmenté ; ii donne néanmoins un million et demi de plus qu'en 1837.

Le droit de patente, qui a été diminué en ce qui concerne les bateliers et supprimé pour un grand nombre de petits artisans, a donné une augmentation de produit d'environ un million.

Nous avons à constater une augmentation d'à peu près un demi-million sur la redevance des mines.

L'impôt sur le sel, sans avoir été aggravé d'une manière sensible, donne également près d'un million de recette en plus.

L'eau-de-vie indigène a subi, il est vrai, mie augmentation depuis 1837 ; mais le droit sur cette boisson ne s'élève pas à la moitié de celui qui frappe l'eau-de vie dans d'autres pays, et cependant, nous avons ru une recette supérieure de 2,767,000 fr. à celle de 1837.

Le sucre nous donne quatre millions de plus. Ce droit a été très peu augmenté. C'est en améliorant la législation que nous avons obtenu cet accroissement de recette sur l'accise relative au sucre.

Les droits sur l'enregistrement n'ont pas subi non plus d'augmentation ; cependant ils produisent 2,200,000 francs de plus qu'en 1837.

Il en est de même du droit de succession. Sans tenir compte du droit de succession en ligne directe établi il y a peu d'années, nous avons une augmentation de près de quatre millions, sans que l'impôt ait été aggravé.

Le timbre donne une augmentation de 400,000 francs.

Les péages donnent 2 millions de plus. Cet accroissement résulte en partie des nombreux canaux qui ont été construits depuis 1837.

Les renseignements que je viens de présenter à la Chambre dissiperont, je l'espère, des erreurs qui existent dans beaucoup d'esprits sur les véritables causes et la portée des augmentations de recettes et de dépenses, grossissant le chiffre du budget général de l'Etat.

Qu'il me soit permis de dire maintenant quelques mots sur un autre objet.

Dans une circonstance toute récente, d'honorables membres ont cru devoir s'abstenir sur le crédit de 6 millions qui était demandé pour le matériel du chemin de fer.

Je n'ai pu comprendre la pensée qui dirigeait ces honorables membres. L'encaisse de l'Etat est de 30 millions. Cet encaisse peut encore se maintenir pendant assez longtemps à peu près à ce chiffre, ou du moins dans des limites telles, que le trésor n'éprouvera pas le moindre embarras. Or, conviendrait-il de faire immédiatement un emprunt, c'est à-dire de faire verser dans nos caisses une somme considérable qui, ajoutée à celle qui s'y trouve déjà, constituerait un fonds improductif de 40 ou 50 millions ? Ce n'est sans doute pas la pensée des honorables membres auxquels j'ai fait allusion ; c'est donc par erreur que ces honorables membres se sont abstenus.

En effet, qu'y avait-il à faire, si ce n'est de créer momentanément des bons du trésor ? La loi sur la comptabilité prescrivant qu'à côté d'un crédit demandé, doit être indiquée la ressource destinée à y faire face, j'ai proposé des bons du trésor. Pouvais-je faire autre chose ? Faire autre chose, c'était nécessairement avoir recours à l'emprunt. Or, le recours immédiat à l'emprunt est inutile, intempestif et onéreux. Je ne connais pas d'ailleurs exactement le chiffre de l'emprunt qui devra être contracté, ni l'époque à laquelle il conviendra de le négocier. Cela dépendra de diverses circonstances. Nous ne savons pas, à l'heure qu'il est, quel sera le système qu'on adoptera définitivement pour la défense du pays.

Plusieurs projets sont en présence ; quel est celui auquel le gouvernement et les Chambres s'arrêteront ? Je l'ignore encore. Quant à présent il n'y a aucune urgence à créer des ressources nouvelles, et je ne pense pas que je puisse faire autre chose pour obéir à la loi que de proposer de couvrir la dépense par des bons du trésor.

Mon intention n'est pas d'augmenter la dette flottante, car la Chambre est saisie d'un projet d'emprunt, dont le chiffre devra être modifié suivant le système qu'on adoptera pour les travaux à faire pour la défense du pays.

M. Sinave. - La mesure que la Banque Nationale a prise dernièrement concernant les pièces d'or françaises en usage dans le pays depuis des siècles a imposé des pertes sensibles à nos populations et a jeté une très grande perturbation dans nos grandes et surtout dans nos petites transactions commerciales.

Elle a, assure-t-on, été arrêtée sans l'autorisation de M. le ministre des finances sous le prétexte qu'il ne pouvait intervenir, la Banque étant une société privée.

Je crois cette doctrine tout à fait erronée. La Banque ne peut être placée dans la catégorie des sociétés anonymes. Elle a été instituée par une loi spéciale qui lui a octroyé des privilèges spéciaux, tels que le privilège d'émettre des billets au porteur et celui d'être le caissier de l’Etat.

Le motif apparent de la mesure semble être de prémunir la Banque contre certaines pertes éventuelles sur la monnaie d'or de France ; mais ce motif ne peut justifier la mesure. Certes la Banque a le droit de régler le taux de l'intérêt d'après sa position financière. Elle a élevé son escompte et personne ne peut s’en plaindre. Néanmoins si peu rigoureux que soit ce droit, le gouvernement intervient constamment. Mais il n'y a aucune analogie dans l'espèce.

Il s'agit ici d'un fait grave, d'une mesure qui supprime spontanément la valeur d'une monnaie généralement répandue, depuis longtemps tolérée, dans un moment tout exceptionnel où le pays est privé de toute monnaie d'or nationale et où la monnaie d'argent disparaît en masse de tous les marchés de l'Europe. Par la réunion de ces circonstances quand même il existerait un doute sur le droit d'intervention du gouvernement pour décréter le cours légal, il aurait été du devoir du ministre de maintenir le statu quo jusqu'à la réunion des Chambres.

Il aurait pu d'autant plus facilement prévenir la malheureuse perturbation qui en a été la suite, qu'il connaît la cause de la crise monétaire qui doit durer longtemps encore et qu'il n'ignore pas que c'est le petit commerçant qui en a été frappé tout d'abord, et qu'outre les pertes qu'il doit subir il se trouve encore exploité par l'agiotage. M. le ministre n'ignore pas non plus que cette classe ne jouit d'aucun des avantages que la banque procure aux autres classes de la société ; il n'ignore pas non plus que c'est pour la quatrième fois en peu d'années, que le même fait se reproduit avec le même résultat et que les pertes ont été supportées par les mêmes victimes. Cette manière d'agir de la Banque est injuste, intolérable et généralement réprouvée. La nation à généreusement doté cet établissement en lui accordant l'émission de (page 267) cent dix millions de billets de banque et l’encaisse des deniers publics sans cesse considérable de trente à quarante millions.

Par suite de ces privilèges, la Banque distribue à ses actionnaires des dividendes fort élevés. Il est évident que privée de ces privilèges, elle ne distribuerait plus de dividendes, et ne pourrait plus défrayer son établissement, ni même exister un seul jour.

C'est donc par un égoïsme inconcevable qu’elle se permet de se poser en despote et de fixer le tarif des sacrifices qu'elle prétend faire subir à la nation, sa bienfaitrice.

La Banque aurait dû supporter elle-même les pertes éventuelles que son imprudence a pu provoquer, elle devait maintenir en circulation la seule monnaie d'or possible pour le moment. Elle n'aurait pas dû hésiter dans la marche à suivre, qui était toute tracée par ce qui se passe dans un pays voisin. Suivre une marche contraire, c'est constater son incapacité.

En France où la même crise monétaire s'est produite sur une échelle autrement colossale, lorsque la Banque s'est plainte au gouvernement afin d'obtenir certaines restrictions, celui-ci se fondant sur les privilèges dont elle était en possession, lui a répondu par un refus positif et lui a donné l'ordre de remplacer à ses propres frais la monnaie d'argent par la monnaie d'or, autant que besoin serait.

En Belgique le gouvernement a maintenu de tout temps le cours légal de la monnaie d'argent de France comme une nécessité, à cause des nombreuses transactions qui existent entre les deux pays. Aujourd'hui que la monnaie d'argent fait défaut et qu'elle est remplacée par la monnaie d'or de France, il est naturel de donner aussi le cours légal à la monnaie d'or du même pays. Maintenir la position actuelle est impraticable ; la Belgique sera forcée d'émettre, une monnaie d'or, au moins de cent millions, ou il faut donner cours légal à la monnaie française. Dans le premier cas le pays pourra être exposé à des mécomptes sans atteindre le but de favoriser les transactions entre les deux pays ; dans le second cas le pays n'est exposé à aucune perte. Admettons que par la force des événements imprévus le gouvernement français fût un jour exposé à retirer sa monnaie d'or, la Belgique n'aurait qu'à échanger la monnaie en France. Le meilleur moyen c'est de donner le cours légal à la monnaie française.

Faire le contraire, c'est placer la Belgique dans une position isolée tout exceptionnelle et causer un tort immense à son industrie,car ce serait une erreur de prétendre que les industriels n'ont tout bonnement qu'à vendre leurs produits à des prix plus élevés, et qu'ainsi la perte retomberait sur la France elle-même. IL est évident que si nous augmentons les prix de nos produits, les consommateurs étrangers abandonneront notre marché. Du reste, une pareille méthode est impraticable. Il faut donc rendre légal le cours de la monnaie d'or de France ; c'est d'autant plus urgent que la cause de la crise actuelle n'est pas une de ces crises passagères ; comme il en survient souvent ; elle date de bien loin, de l'origine des relations commerciales entre l'Europe et les Indes orientales ; d'abord dans des proportions minimes, mais qui se sont développées successivement, surtout depuis une vingtaine d'années, d'une manière prodigieuse, c'est ce qui rend impossible de calculer la fin de cette exportation des métaux précieux vers l'Asie, contre laquelle ont échoué, jusqu'à présent, tous les efforts de la puissance industrielle et commerciale de l'Angleterre.

L'Angleterre, conformément aux opinions de ses hommes politiques les plus compétents, en ouvrant par les armes tous les ports de l'Asie avait la pensée, bien arrêtée, d’introduire le libre-échange dans ces vastes contrées où, plus de trois cents millions de consommateurs lui semblaient une proie facile à exploiter.

Elle a partout rencontré par les mœurs et les usages de ces populations une invincible répulsion contre tous les produits.industriels de l'Europe. Ces libre-échangistes de l'Angleterre qui croyaient par l'échange facile et immédiat des produits réciproques, y voir tout au moins la balance du commerce, n y ont trouvé jusqu'à présent qu'une déception complète.

Il est à craindre qu'il ne faille bien du temps encore, à en juger par les opinions émanées aujourd'hui, pour transformer ces usages. Il est donc certain qu'en attendant la solution de cet important problème il faudra continuer à transporter annuellement en argent environ cinq cents millions vers cette partie du monde. Ce n'est que quand ce métal deviendra encore plus rare, fait incontestable, que la force des choses amènera une première transformation, qui certes ne sera guère favorable à l'Europe, car dès l'instant que ces populations d'Asie comprendront que l'écart de quinze fois la valeur entre les deux métaux est réel et qu'il s'est maintenu malgré la grande production d'or, elles accepteront ce dernier métal sans la moindre répugnance, et en prenant une large part dans les exportations, l'or qui semble exposé aujourd’hui à une forte dépréciation reprendra amplement sa valeur primitive.

Je le répète, personne ne peut prédire la solution de l'important problème à laquelle nous aspirons si vivement, la balance de commerce avec l'Asie au moyen de rechange des produits industriels ; le temps en décidera.

Je crois que les autres auxiliaires de cette crise, tels que la guerre de la Crimée, la crise des denrées alimentaires et les entreprises diverses, n'ont eu qu'une influence momentanée et secondaire ; mais les guerres et les troubles qui existent en Asie semblent exercer une désastreuse influence sur les transactions commerciales, car on constate depuis quelques années qu'au lieu de gagner l'Europe continue de perdre d'une manière très sensible.

Pour ce qui concerne la Belgique, sans le moindre doute, c'est un moyen d'atténuer le mal que de rendre par une loi le cours légal à la monnaie d'or française. En définitive qu'en résulterait-il de si fâcheux pour la Banque Nationale ? Elle conserverait son encaisse en monnaie d'argent, recevrait et payerait avec la monnaie d'or de France.

Je prie M. le ministre des finances d'examiner le plus tôt possible cette question, et de prendre une mesure efficace pour faire cesser la perturbation dans laquelle la Banque a aussi imprudemment placé toutes les transactions commerciales du pays.

En commencent, j'ai dit que le but apparent de la mesure prise par la Banque contre l'or français était de se prémunir contre certaines pertes, mais en réalité au lieu d'y perdre elle y a gagné. Son but réel, c'est d'obtenir du gouvernement l'autorisation d'une nouvelle émission de billets de banque. Je ne m'étendrai pas en ce moment sur ce point. Je dirai tout d'abord l'usage que la Banque a fait jusqu'à présent des cent millions en circulation. Certes l'emploi n'a pas été fait en faveur du travail national, car environ quarante millions ont été constamment employés pour favoriser le travail étranger. Cette opération antinationale, je l'ai signalée dès la première année que la Banque a fonctionné.

Ainsi, au lieu d'augmenter la somme des billets au porteur, il y aurait lieu de réduire la circulation à 75,000 millions, somme suffisante pour satisfaire à tous les besoins du travail national.

La Belgique peut facilement supporter au besoin une circulation de papier-monnaie de deux cents millions. Je suis de ceux qui pensent que toute circulation de ce genre doit se borner exclusivement à l'utilité publique, par exemple pour aider à l'exécution des travaux publics, et non en faveur de ceux qui se donnent seulement la peine de recevoir les intérêts et de gros dividendes.

M. Osy. - Messieurs, toute la critique que vient de faire l'honorable M. Sinave contre la Banque devrait s'adresser à la loi que nous avons faite pour constituer notre système monétaire. Que dit le dernier système monétaire que nous avons fait ? Quand nous avons retiré de la circulation les pièces de 10 fr. et plus tard les pièces de 25 fr. après de longs débats nous avons trouvé convenable d'adopter l'étalon argent, et autorisé le gouvernement à retirer les pièces de 25 fr., et la partie de la loi de 1832 relative à la fabrication des pièces de 20 fr., de sorte que la législation en vigueur n'autorise pas le gouvernement à faire frapper des pièces de 20 fr.

En présence de cette législation que pouvait faire la Banque Nationale ? Elle ne pouvait considérer l'or étranger que comme marchandise, c'est-à-dire qu'elle pouvait le recevoir en payement quand elle en avait besoin pour l'étranger, mais elle ne pouvait pas le recevoir pour payer, car la loi vous défend de payer en or et vous seriez les premiers à protester un billet de banque, si la Banque voulait le payer en or, car la Banque est tenue par la loi monétaire de payer en argent blanc. La Banque ne pouvait prendre de l'or français que comme marchandise. La question de la substitution du système or au système argent en présence de la crise qui existe est une très grosse affaire qu'il n'est pas possible de traiter à propos du budget des voies et moyens.

J'ai pris la parole pour faire observer que la Banque n'est pour rien dans les faits dont se plaint l'honorable membre, que c'est la loi elle-même qui règle cette grande question.

Je n'examinerai pas la question du système anglais, c'est une grosse affaire qui a été largement traitée par les journaux étrangers et par ceux du pays ; je me bornerai à dire que, selon moi, après la loi monétaire que nous avions faite, l'adoption de ce système dans notre pays serait une réduction de la fortune publique, car comme l'a dit l'honorable M. Sinave, ou l'or diminue de valeur ou l'argent augmente. Pourquoi l'argent augmente-t-il de valeur ? Parce que l'Inde et la Chine depuis quelques années prennent considérablement d'argent blanc en Europe en payement des produits que ces contrées nous envoient ; parce que dans l'Inde et en Chine les habitants ne veulent que de l'argent. Anciennement ils prenaient des piastres ; aujourd'hui, comme il n'arrive pas assez de piastres de l'Amérique du Sud, ils prennent des lingots et des pièces de cinq francs.

Pourquoi, depuis quelques années, l'exportation dr l'argent vers l'Orient a-t-elle augmenté ? C'est que l'Inde et la Chine ont fait des progrès et qu'elles exportent beaucoup plus que l'Europe ne peut leur payer en produits ; qu'il y a dès lors un solde très considérable à leur payer en argent.

Avant la découverte des mines de la Californie et de l'Australie, la proportion entre l'or et l'argent était de 15 1/2 à 1, et cette proportion se maintenait ; mais elle n'existe plus depuis que ces pays nous envoient des quantités considérables d'or et que, d'un autre côté, nous recevons moins d'argent.

Ainsi, il y a peu de temps, l'argent était à Paris à 3 p. c. avance sur les prix de la monnaie.

Maintenant, messieurs, revenir à l'étalon d'or, ce serait, selon moi, jeter une énorme perturbation dans le pays. Il est vrai que les départements français limitrophes de la Belgique viennent acheter chez nous du bétail, du grain et autres objets qu'ils payent en or, monnaie courante en France et qui n'a pas cours légal dans notre pays ; mais cet or, qui nous arrive par petites sommes, retourne en France pour (page 268) solder d'autres échanges. Si nous adoptions l'étalon d'or, ce serait réellement une réduction de la fortune publique, car l'or, qui a déjà diminué de 3 p. c. par rapport à l'argent, peut diminuer encore beaucoup.

Or, tous les contrats ont été faits en monnaie légale du pays, c'est à-dire en monnaie d'argent, et si vous permettez de payer en or, vous favorisez les débiteurs au détriment des créanciers. Cela conviendrait à la Banque, qui a une forte émission, cela conviendrait à ceux qui ont des lettres de change à payer ; en un mot, je le répète, cela conviendrait à tous les débiteurs, mais cela conviendrait fort peu aux créanciers,.dont les créances se trouveraient réduites.

Je pense, messieurs, comme plusieurs de mes honorables amis, qu'il faut maintenir l'étalon d'argent et nous avons pour nous les pays qui ont mûrement examiné la question.

Autrefois la Hollande n'avait presque pas d'argent, elle n'avait que de mauvaises pièces d'argent, des pièces rognées et beaucoup de pièces de 10 florins ; le gouvernement hollandais a examiné la question avec soin et il a décidé d'adopter l'étalon d'argent, de retirer les pièces de dix florins et de convertir toutes les pièces rognées qui existaient dans le pays en de nouvelles monnaies, tout à fait comme dans les autres pays, monnaies qui ne peuvent être altérées ; car si elles le sont, elles n'ont plus de valeur.

La Hollande, pays qui connaît parfaitement ces matières, a, après mûre réflexion, adopté ce système. Je ne crois pas que nous devions aller contre l'avis des meilleurs économistes de la Hollande, qui après mûre réflexion ont adopté ce système.

Nous avons eu un congrès, non pas un congrès comme il y en a tant, où l'on ne s'occupe que de théories, mais un congrès véritable, le congrès monétaire de Vienne. C'est un congrès dont les membres ont été nommés par toutes les grandes puissances de l'Allemagne, la Prusse, la Bavière, l'Autriche. Depuis deux ans, les délégués de tous les gouvernements sont à la recherche d'un système monétaire unique pour toute l'Allemagne. Avant-hier, 9, ils ont dû prendre une résolution finale en ce sens.

Ce que nous en savons, c'est que les membres, de ce congrès viennent, sauf la ratification de leurs souverains, de décider qu'ils adopteraient l'étalon argent, et qu'on ne prendrait l'or que comme marchandise, comme on le prend chez nous.

Je viens de vous citer l'Allemagne et la Hollande, qui, comme nous, ont pris l'étalon argent. Il est prouvé maintenant qu'il est impossible qu'un pays ait deux étalons ; car il est certain que, la valeur de l'or et de l'argent différant en plus ou en moins, l'un doit chasser l'autre.

Vous savez que la France a été obligé, par les circonstances de faire venir beaucoup d'or. L'or ayant diminué de valeur, toutes les pièces de 5 francs s'exportent, et la France n'a plus que de l'or. Il en résulte qu'en France et surtout à Paris, on a beaucoup de peine à se procurer la menue monnaie nécessaire à la vie commune.

La France avait adopté le système du double étalon que nous avons adopté par la loi de 1832 (mais nous n'avons pas exécuté cette loi dans toutes ses parties, puisque nous n'avons pas frappé de monnaie d'or ; je ne parle pas de la monnaie d'or frappée comme médailles). La France n'a plus que de la monnaie d'or ; l'argent est devenu marchandise, quoiqu'il ait encore cours légal.

Et en Angleterre, où il y a la monnaie d'or et la monnaie d'argent il n'y a pas deux étalons. Je vous l'expliquerai.

L'étalon, en Angleterre, c'est l'or, et l'argent pour la circulation n'est vraiment que du billon, c'est-à-dire qu'il a moins de valeur que l'or, comparativement à sa valeur nominale, comme le cuivre chez nous, ce n'est que du billon. Ainsi l'argent blanc en circulation vaut 7 p. c. de moins que l'or. Ce qui prouve bien que ce n'est que du billon. La loi anglaise ne permet de payer que 21 l.st. (50 fr.) en monnaie d'argent, ce qui prouve bien que l'Angleterre ne considère cette monnaie que comme notre monnaie de cuivre avec laquelle on ne peut faire des payements que jusqu'à concurrence de 40 francs.

C'est une monnaie de convention qui ne s'exporte pas et qui n'existe que pour la facilité des payements.

Aussi sans vouloir me poser en prophète, je dis que la France sera obligée d'adopter le système anglais. Quand la dernière pièce de cinq francs aura disparu de France, elle sera obligée de faire de l'argent une monnaie de billon.

Après cela, j'ai mon opinion sur les systèmes d'or et d'argent. J'ai invoqué l'exemple de la Hollande et de l'Allemagne. Je ne dis pas que ce soit le seul système à adopter. Mais je dis que c'est un système que vous êtes obligés de maintenir pour ne pas diminuer la fortune publique.

Je dois maintenant répondre quelques mots aux attaques que l'honorable M. Sinave a dirigées plutôt contre la loi existante que contre la Banque ; car la Banque est obligée comme vous les particuliers de se conformer à la loi existante. Ne pouvant contraindre à recevoir de l'or, elle ne devait le recevoir que dans la proportion de ses besoins pour les payements qu'elle avait à faire à l'étranger. Elle ne pouvait le recevoir que comme marchandise. Le seul reproche qu'on puisse lui faire, c'est qu'elle ait annoncé qu'elle recevait la pièce d'or à 19 fr. 50 c. (elle n'avait pas ce droit) au lieu de se borner à déclarer que n'ayant plus besoin d'or elle n'en recevrait plus. On ne pouvait l'y forcer. La loi est là.

L'honorable M. Sinave a renouvelé contre la Banque l'accusation d'avoir fait plutôt des affaires à l'étranger que dans le pays, d'avoir fait pour 40 millions d'affaires à l'étranger, et d'avoir ainsi favorisé l'étranger au détriment du pays.

Je crois avoir répondu, en plusieurs occasions, à ce grief.

Pour la facilité de la circulation du pays, on a désiré avoir beaucoup de billets de banque. La circulation a donc été portée à 102 millions. La Banque a été obligée d'employer l'encaisse. Elle devait, aux termes de ses statuts, conserver pour la circulation des billets de banque, et pour les comptes courants un encaisse équivalant au tiers de l'émission des billets de banque, c'est ce qui a lieu. Les commissaires de la Banque Nationale veillent trop à ce que l'on se conforme à la loi pour qu'on puisse s'en dispenser.

Les escomptes dans le pays n'étant pas très considérables, la Banque a dû faire valoir l'encaisse qu'elle avait au-delà du tiers de son émission.

M. Sinave. - Contre la loi.

M. Osy. - Nullement. La loi veut que la Banque ait un encaisse s'élevant au moins au tiers de l'émission de ses billets et de ses comptes courants. C'est ce qui a toujours eu lieu. Mais quant à la somme qu'elle avait au-delà du tiers de ses émissions, elle l'a placée en prenant des valeurs sur Paris. Allez dans le Hainaut, et vous saurez combien de facilités elle a données à nos industriels en prenant du papier sur Paris ; comment elle a facilité ainsi les exportations du Hainaut vers la France. Elle a eu effectivement ainsi un portefeuille de 35 à 40 millions de valeurs étrangères. Mais elle pouvait réaliser tous les jours ces valeurs et les faire revenir en espèces de l'étranger. Mais aussitôt que les escomptes du pays ont augmenté, la Banque s'est empressée, dans l'intérêt du pays, de réaliser ces valeurs étrangères, et à l'heure qu'il est, tout son portefeuille qui, d'après le dernier compte rendu de la fin de novembre, s'élève à 85,000,000, consiste en valeurs sur le pays ; il ne contient plus pour un sou de valeurs étrangères.

Lors donc que la Banque Nationale a pris du papier étranger, elle l'a fait dans l'intérêt du pays. Elle recevait surtout ce papier de Charleroi et des autres villes industrielles du Hainaut, et elle a ainsi favorisé singulièrement les exportations vers Paris.

Je crois avoir ainsi justifié la mesure qu'a attaquée l'honorable M. Sinave, et selon moi, le seul reproche qu'on puisse faire à la Banque, c'est d'avoir accepté les pièces de 20 francs à 19 fr. 50 c, alors qu'elle aurait dû dire que c'était une marchandise et qu'elle ne l'acceptait pas. Mais, sous tous les rapports, la Banque a rendu tous les services imaginables au pays.

Voyez, messieurs, ce qui s'est passé pour l'escompte.

La Banque d'Angleterre a été obligée de porter son escompte à 7 p. c. La Banque de France a été obligée, pour la seconde fois depuis la crise financière, de porter son escompte à 6 p. c. et de réduire le terme des billets à 90 jours.

A Hambourg, à Francfort, à Vienne, l'escompte a été porté à 6 p. c. et au-delà. Ici, lorsqu'on a vu que le pays pourrait être épuisé de numéraire par l'étranger, le taux de l'escompte a été porté seulement 5 p. c, et pendant toute l'année 1855, lorsque l'escompte en Angleterre était de 6 1/2 p. c, ici il n'était que de 2 1/2 à 3 p. c.

La Banque des Pays-Bas a toujours eu un encaisse considérable ; nous avons vu, dans les comptes rendus que cet encaisse avait été jusqu'à 90 millions de florins. Eh bien, elle a été obligée avant nous d'élever son escompte à 4, à 5 p. c. et avant-hier elle l'a élevé à 5 1/2 p c. parce qu'elle a vu que l'exportation du numéraire continuait.

Ce sont là des actes de prudence et je crois pouvoir dire que la Banque Nationale n'a eu recours à cette mesure qu'avec beaucoup de prudence, et seulement dans l'intérêt du pays, pour y conserver le numéraire.

Les reproches qu'on a faits à la Banque ne sont donc pas fondés. Si l'on veut examiner les faits sans prévention, on reconnaîtra qu'elle a rendu au pays tous les services possibles et qu'elle a agi avec tous les ménagements possibles, ménagements nécessaires à sa sûreté et à celle du pays. Pour moi, je ne suis qu'un simple commissaire de la Banque Nationale. J'occupe cette position dans l'intérêt public pour voir ce qui s'y passe, pour maintenir les statuts et donner quelques conseils. J'occupe cette position de commissaire avec d’honorables amis qui ont fait ou continuent à faire partie de la Chambre, depuis la création de la Banque ; et je crois pouvoir dire que cet établissement a scrupuleusement observé la loi et qu'elle a rendu le plus de services possible au commerce.

L'honorable M. Sinave ne s'est occupé que du système monétaire et de ses griefs contre la Banque. Cependant, comme j'ai la parole, je dirai quelques mots sur le budget en lui-même.

Le gouvernement nous demande encore le maintien d'une émission de 22 millions de bons du trésor. Comme en décrétant des travaux publics, nous avons créé des voies et moyens pour y faire face, et que ces travaux ne sont pas achevés, il y a eu depuis 1852 à la Banque un fort encaisse qui a facilité les opérations du trésor, et le gouvernement, autorisé à émettre pour environ 22 millions de bons du trésor, a pu se contenter, comme nous l'avons vu dans le dernier compte rendu de la situation du trésor, d'une émission de 10 millions ; le gouvernement a pu ainsi réduire les dépenses de tous les intérêts qu'il n'a pas payés.

Mais il y a un terme à tout ; les travaux publics décrétés en 1852 pourront être achevés dans le courant de 1857 et de 1858, et alors l'encaisse disparaissant, nous arriverons au déficit de 22 millions. Je n'y (page 269) ajouterai pas les 6 millions que nous avons votés il y a quelques jours, parce que ces 6 millions ne seront pas dépensés en 1857. Il faudra faire des commandes et ces commandes ne pourront être toutes livrées en 1857, de manière que je n'évalue qu'à 22 millions le déficit de 1857.

Le gouvernement dit qu'il y a encore de nouveaux crédits à demander ; mais c'est précisément quand on ira au-delà des 22 millions que j'engage le gouvernement à vous proposer de nouveaux voies et moyens pour couvrir l'excédant. Je ne crois pas qu'il soit prudent d'avoir une émission de plus de 22 millions.

Le gouvernement propose de retrancher du budget des voies et moyens le produit de la retenue de 1 pour cent opérée sur les traitements des fonctionnaires, du chef de la pension qui pourra leur être accordée plus tard. Messieurs, dans la discussion de l'adresse nous avons tous reconnu qu'il devient nécessaire d'augmenter les appointements des petits employés, qui ne peuvent plus faire face à leurs besoins, par suite du renchérissement de tous les objets nécessaires à la vie.

Pour ma part, j'adopterai la proposition que le gouvernement nous fera à cet égard, mais je demanderai que l’on compense cette nouvelle charge du trésor par une simplification de l'administration et une diminution de nombre des fonctionnaires.

Eh bien, messieurs, le gouvernement propose en même temps d'augmenter les traitements de 6, 10, 15 et 20,000 francs par la suppression de la retenue de 1 p. c. et c'est ce que je ne puis pas admettre.

En 1849, nous avons tous reconnu que les fonctionnaires devaient contribuer à la formation de leur pension, et le produit de la retenue opérée de ce chef, figurait au budget de 1856 pour 250,000 francs. Ces 250,000 francs, le gouvernement propose de les abandonner.

Je dois combattre cette proposition, d'accord avec la section centrale, et si le gouvernement ne se rend pas à nos observations sous ce rapport, je demanderai tout au moins que si on veut absolument supprimer la retenue de 1 p. c. qui a été admise en 1849 sur la proposition de l'honorable M. Frère, on présente à cet égard une loi spéciale. Alors, nous pourrons examiner la question avec toute la maturité qu'elle mérite. C'est ce qu'il est impossible de faire dans la discussion du budget des voies et moyens où l'on parle de tout.

Rappelez-vous, messieurs, qu'en 1849, l'honorable M. Delfosse avait proposé également, dans la discussion du budget des voies et moyens, de réduire les traitements de la cour des comptes, et que la Chambre a été d'avis d'examiner cette question séparément comme je propose de le faire aujourd'hui pour la retenue de 1 p. c. Dans tous les cas, je défendrai le maintien de cette retenue ; je la trouve d'autant plus juste que les pauvres lieutenants et sous-lieutenants, qui certes n'ont pas de forts traitements, sont obligés de subir des retenues pour la pension de leur femme et de leurs enfants et, je pense, pour leur propre pension.

J'aurais encore une observation à faire sur une proposition faite par l'honorable ministre des finances ; mais pour ne pas compliquer les débats, je la présenterai à l'occasion de l'un des articles du budget. Je choisirai l'article dont les observations, par leur nature, se rapprocheront le plus.

M. le ministre des finances (M. Mercier). - Messieurs, je n'entrerai pas dans la discussion relative au système monétaire. L'honorable M. Osy me dispense d'ajouter de nouvelles explications à celles qu'il a données à la Chambre ; je partage l'opinion de l'honorable membre, en ce sens que, quant à présent du moins, il n'y a rien à changer à notre système monétaire.

Messieurs, l'honorable M. Osy me conseille de ne pas attendre que les besoins du trésor soient devenus trop considérables avant de créer des ressources extraordinaires. Je crois m'être déjà suffisamment expliqué à ce sujet, et je suis parfaitement d'accord avec l'honorable membre ; il appartiendra au gouvernement de juger du moment où, sans préjudice pour le trésor, des ressources extraordinaires pourront être créées. Je fais d'ailleurs remarquer que la Chambre est déjà saisie d'un projet.

L'honorable membre s'oppose à ce que la retenue de 1 p. c. qui est opérée sur les traitements des fonctionnaires soit supprimée ; mais il perd de vue que lorsque cette mesure a été prise, l'auteur même de la proposition, le ministre des finances de l'époque, a suffisamment fait entendre que c'était une mesure temporaire, qu'elle était due aux circonstances tout à fait extraordinaires dans lesquelles on se trouvait.

L'intention du gouvernement d'alors était, je n'en doute pas, de ne maintenir que temporairement cette retenue, c'est-à-dire qu'autant que les circonstances l'exigeraient. C'est ce que j'ai rappelé dans l'exposé des motifs du budget des voies et moyens.

On parle des fonctionnaires à gros traitements, comme si nous en avions beaucoup de tels en Belgique. C'est une grave erreur. Le gouvernement a mis sous les yeux de la Chambre la statistique des traitements des fonctionnaires ; je vais la résumer, et la Chambre pourra juger s'il y a beaucoup de gros traitements.

Le nombre des fonctionnaires et employés de l'Etat est de 14,997 ; la somme totale des traitements, non compris ceux du clergé, s'élève à 21,361,310 francs.

Parmi les 14,997 fonctionnaires et employés de tous grades, il en est 9,319 qui sont mariés ou veufs avec enfants. La moyenne du traitement est en général de 1,473 francs ; 11,596 fonctionnaires ou employés ont un traitement inférieur à 2,000 francs, c'est parmi ces derniers fonctionnaires que se trouve déjà un bon nombre des fonctionnaires à gros traitement dont a parlé l'honorable préopinant.

Il reste 2,921 employés de l'Etat ; ceux-là ont un traitement de 2,000 fr. el au-dessus ; parmi ces 2,921 employés, 1,338 ont moins de 3,000 fr. et 621 ont moins de 4,000 fr. Il n'y a donc parmi les fonctionnaires de l'Etat que 702 agents qui aient un traitement de 4,000 francs et au-dessus.

Je demande dès lors, si l'on peut dire avec quelque fondement qu'il y a en Belgique beaucoup de fonctionnaires à gros traitement, et s'il y a lieu de se récrier, lorsque le gouvernement, appréciant la position de tous les fonctionnaires, et sachant intimement que le traitement de la plupart d'entre eux est insuffisant pour leur fournir des moyens d'existence convenables, vient proposer à la législature de supprimer la retenue d'un p. c. qui n'a été créée en 1849 que temporairement, et pour être supprimée dès que les circonstances le permettraient.

Il est cependant une observation de l'honorable M. Osy qui m'a touché : c'est qu'en faisant dans le budget des voies et moyens une proposition qui peut avoir une certaine importance, on ne laisserait pas à la Chambre le temps de la discuter avec maturité. Si la Chambre partage l'opinion de l'honorable membre, qu'il faut faire de cette mesure l'objet d'une loi spéciale, je ne m'y refuserais pas ; mais je suis persuadé que les chiffres que je viens de faire connaître ont déjà chargé l'opinion de beaucoup de mes honorables collègues.

M. Moncheur. - Messieurs, le rapport de la section centrale touche à deux points, sur lesquels la Chambre me permettra de lui présenter, ainsi qu'au gouvernement, quelques observations. Il s'agit des péages et des droits de barrières.

Messieurs, l'égalité de l'impôt est une question à l'ordre du jour et qui mérite certes toute l'attention de la Chambre.

C'est l'idée de l'égalité de l'impôt qui fera entreprendre l'immense travail de la révision du cadastre.

C'est l'idée de l'égalité de l'impôt qui rend imminente une loi nouvelle sur la contribution personnelle. C'est cette idée qui fera réviser la loi sur les patentes. Eh bien, messieurs, c'est aussi au nom de ce principe que vous serez nécessairement amenés à réviser le système des péages sur nos canaux et rivières canalisées.

Que l'on appelle les péages un impôt ou bien, comme le veut la section centrale, le prix d'un service rendu, peu importe ; les péages sur les voies navigables, comme les barrières sur les routes, constituent une charge publique, au profil du trésor public, et dès lors il doit y avoir équité et égalité dans les bases de cette charge, comme dans les bases de toutes les autres.

Au reste, je ne forme pas de doutes, quant à moi, que les péages et les droits de barrières ne soient un véritable impôt, et en cela j'ai pour autorités non seulement celle du Répertoire de MM. Tielemans et de Brouckere, mais encore celle de la Chambre elle-même, comme je le démontrerais facilement, si cela était contesté.

Quoi qu'il en soit, je dis que l'égalité n'existe point aujourd'hui en ce qui concerne les péages qui sont perçus par l'Etat sur les différents canaux de la Belgique. Ainsi l'Etat perçoit sur tel canal un droit triple et même quintuple de celui dont il se contente sur tel autre.

El savez-vous, messieurs, sur quels canaux l'Etat perçoit des droits les plus élevés, des droits écrasants pour l’industrie, c'est sur les canaux les plus petits, sur ceux qui ne permettent qu'une navigation défectueuse et coûteuse, tandis que les droits les plus faibles sont ceux qui sont établis sur les canaux à grande section et où la navigation s'effectue avec les bateaux du plus fort tonnage.

Or, il est clair que cet état de choses ne peut subsister plus longtemps et qu'il est plus que temps que l'on fasse en Belgique une sorte de péréquation de péages comme on l'a faite en France, c'est à-dire que l'on établisse les péages : 1° par tonnes-kilomètres ou en d'autres termes en raison de la charge du bateau et de la distance parcourue, et 2° en raison de la grandeur des sections des canaux ou rivières canalisées, lesquels seraient, à cet effet, divisés en deux ou trois catégories au plus.

Messieurs, tous les partisans du laisser passer doivent être frappés, de l'inconséquence et de l'injustice flagrante de notre système commercial au point de vue que je viens d'indiquer.

D'une part, par exemple, nous appelons l'industrie charbonnière anglaise à venir concourir chez nous avec la nôtre, sans le moindre droit, sans la moindre entrave ; nous poussons l'attention jusqu'à lui rembourser les droits qu'elle paye sur l'Escaut hollandais, et, d'autre part, au premier pas que fait notre industrie charbonnière, pour venir lutter sur nos propres marchés avec les étrangers, notre législation la grève, la rançonne, par des péages équivalant à 30, 40 et 50 p. c. de la valeur des marchandises prises sur les lieux d'extraction.

Et si encore ces droits étaient relativement égaux, sur tous les canaux belges, ils ne revêtiraient pas le caractère d'une double injustice, celle de léser, en Belgique même, les uns au profit des autres. Mais ils ne le sont nullement, comme je viens de le dire.

Je demande donc formellement que le gouvernement s'occupe de cette grave matière, et surtout qu'en s'en occupant, il abandonne complètement l'idée surannée de la soi-disant pondération des différents bassins houillers, idée qui n'est qu'un anachronisme absurde et injuste en présence des chemins de fer dont le pays est sillonné.

(page 270) Je demande qu'il fasse un travail complet et présente un projet de loi dont l'objet serait de régler d'une manière juste et équitable cette matière importante.

Il doit en effet en être des péages comme des droits de barrières ; or, la taxe des barrières est le même sur toutes les routes de la Belgique.

Je m'arrête, messieurs, un instant à ce chapitre des barrières, car c'est sur cette matière aussi que je voudrais présenter quelques observations au gouvernement.

Je le prie de veiller à la stricte exécution de la loi, en ce qui concerne la fixation des lieux de perception du droit de barrières, tant sur les routes de l'Etat que sur celles des provinces.

Je sais positivement que l'on perd à présent parfois de vue les prescriptions les plus formelles, selon moi, de la loi, quant aux distances qui doivent exister entre chaque poteau de barrières.

Et cependant, messieurs, vous le concevez, c'est en vain, au point de vue de l'égalité de cet impôt, que la taxe des barrières serait uniforme partout, si les distances que l'on aurait le droit de parcourir, au moyen du payement de cette taxe, n'étaient point égales, sauf bien entendu, la tolérance des 500 mètres, établis par la loi elle-même.

La législature avait été tellement frappée de la nécessité de maintenir l'égalité de cet impôt des barrières, que depuis 1830 jusqu'en 1838, elle s'était réservé, non seulement le vote annuel de l'impôt en lui-même, mais encore la fixation du tableau des endroits où la perception pourrait avoir lieu.

Ce n'est que par la loi du 10 mars 1838 qu'elle a délégué au gouvernement le droit de fixer, pour ainsi dire par exception, l'emplacement des barrières sur les routes nouvelles, dit la loi, et lorsque des changements au tableau fixé par elle deviendraient nécessaires.

Mais l'article 3 a soin de maintenir la base de l'impôt dans les termes suivants :

« Il ne pourra y avoir plus d'une barrière à raison d'une distance de 5,000 mètres. »

Vient ensuite la tolérance qui est permise par le dernier paragraphe du même article qui porte :

« Toutefois le poteau pourra être placé dans l'espace de 500 mètres en deçà ou au-delà du point que la distance de 5,000 mètres déterminerait rigoureusement. »

On le voit donc, le payement de la taxe permet à celui qui l'a fait un parcours de 5,000 mètres de route, sauf la tolérance.

J'insiste sur ce point, messieurs, parce que je sais qu'une jurisprudence tend à s'établir, laquelle permettrait au gouvernement de n'envisager que la longueur totale de la route pour la fixation des lieux de perception des barrières et de rapprocher les poteaux de perception à des distances moindres de 5,000 mètres, pourvu que l'on n'excédât pas le nombre de barrières permis par cette longueur totale.

Voici, en effet, les considérants que je lis dans un jugement du tribunal de Termonde du 19 juillet 1856 :

« Attendu que la loi du 10 mars 1838, article 3, qui prescrit qu'il ^ne pourra y avoir plus d'une barrière à raison d'une distance de 5,000 mètres, ne doit pas s'entendre en ce sens que les barrières, sauf la tolérance de 1,000 mètres, seront espacées à 5,000 mètres l'une de l'autre, mais bien que, sur l'étendue d'une route, comme dans l'espèce celle de Saint-Nicolas à Kieldrecht, qui a une longueur de 16,000 mètres, il ne pourra y avoir que trois barrières. (…)

« Que c'est donc par erreur que le premier juge a interprété la loi du 10 mars 1838 dans le sens que toutes les barrières dans leur ensemble, sans distinction de sections, doivent être espacées, sauf la tolérance, de 5,000 mètres ; que cette loi n'a eu pour objet que de fixer une limite à l'impôt et a laissé à l'autorité administrative le soin de déterminer les points de perception au plus grand avantage de la recette, le contribuable conservant le droit de se pourvoir administrativement, s'il se croit lésé par les dispositions prises en exécution de la loi. »

Or, je pense que ce système est contraire à la loi.

Messieurs, pour bien comprendre l'esprit de la loi du 10 mars 1838, il faut avoir recours aux lois antérieures, auxquelles cette loi elle-même se réfère ; car l'article premier porte :

« La taxe des barrières continuera à être perçue conformément aux lois du 18 mars 1833 et du 12 mars 1834. »

Or, ces lois, quant à la base de 5,000 mètres, n'ont fait que se référer aux arrêtés lois antérieurs.

Et, dans l’article premier de l'arrêté-loi du 13 février 1845, nous lisons :

« Le droit de barrière continuera y être perçu uniformément à des distances successives de 5,000 mètres, en prenant le centre de chaque ville pour point de départ.

« Art. 2. La taxe sera perçue pour les distances à parcourir. » Même disposition de l'article premier de l'arrêté du 13 février 1816. »

La loi du 18 mars 1833 se référant, quant aux bases du droit de barrières, aux dispositions précédentes, eut surtout pour objet de décider que le droit de barrière ne serait perçu qu'aux endroits déterminés par un tableau joint à la loi elle-même.

Il est donc bien démontré que les distances établies par la loi doivent être rigoureusement observées dans l’établissement des poteaux.

Un autre point résulte encore des citations que je viens de faire, c'est que le placement des poteaux de barrières ne peut avoir lieu à moins de 2,500 mètres du centre des villes.

La loi du 10 mars 1838 ne répète pas, il est vrai, cette disposition, pas plus qu'elle ne répète une foule d'autres dispositions des lois antérieures, qui cependant sont en pleine vigueur, mais elle ne l'abroge pas non plus, de sorte qu'elle reste également en vigueur.

Quoiqu'il en soit, je reconnais que, généralement parlant, le gouvernement observe ce principe de l'éloignement des barrières à plus de 2,500 mètres des villes, mais je connais aussi des exceptions, et c'est contre celles-ci que je m'élève.

En effet, le gouvernement ne doit pas avoir deux poids et deux mesures ; ce qui est juste et vrai pour les grandes villes est juste et vrai pour les petites villes. Or, je citerai une petite ville, celle d'Andenne, où l'on a placé, tout récemment, une perception de barrière, au milieu de l'agglomération de la population. J'espère que cet état de choses ne sera pas maintenu.

Messieurs, on oublie trop l'origine et le but du droit de barrière ; je tiens à vous le remémorer, et pour cela je vais avoir l'honneur de vous lire le préambule de l'arrêté-loi qui a primitivement établi cet impôt. Le voici :

« Attendu la nécessité de pourvoir, sans retard, aux dépenses de l'entretien des routes et du service de la voirie dans la Belgique ;

« Considérant que, pour atteindre ce but, le mode le plus juste et le plus simple, dans son exécution, est de soumettre la circulation sur les routes pavées à une taxe modérée, dont la perception ne soit point vexatoire, etc. »

Ainsi, messieurs, le droit n'a eu, dans l'origine, pour but que l'entretien des routes et du service de la voirie, et en second lieu il a été bien promis que la perception ne devait pas en être vexatoire.

Mais, aujourd'hui, on oublie cela et on ne détermine souvent les points de perception qu'au plus grand avantage de la recette, c'est-à-dire au point de vue purement fiscal. J'espère que M. le ministre des travaux publics veillera à ce que les lois sur les barrières soient exécutées conformément à leur lettre et à leur esprit.

M. Rodenbach. - On a soulevé la question importante du système monétaire. Il est certain que le système actuel dérange considérablement le commerce, surtout dans les Flandres.

Les Français viennent acheter dans ces provinces beaucoup de toiles qu'ils payent en or, monnaie qui perd en Belgique. Par suite, les transactions diminuent. L'on s'en plaint beaucoup, et c'est avec raison.

On a prétendu, en 1850, que les milliards d'or que l'on commençait à importer en Europe, de l'Australie et de la Californie, produiraient une dépréciation effrayante de la valeur de l'or. C'est ainsi que l'on nous a déterminés à admettre un seul étalon. La France n'a pas partagé ces frayeurs. On évalue à deux milliards l'or qu'elle a reçu de l'Australie et de la Californie. Depuis six ans les banquiers ont fait frapper pour un milliard de monnaie d'or. Ils ont fait sur cette opération un bénéfice immense. Notre pays, au contraire, en abolissant l'étalon d'or, a perdu. Nos banquiers ne font pas frapper de monnaie. Seulement les changeurs et la Banque Nationale, qui reçoivent avec une perte l'or qu'ils expédient en France, où ils le placent au pair, réalisent un bénéfice au détriment de l'industrie et du commerce.

Bientôt, nous verrons s'établir dans les Flandres des changeurs qui spéculeront sur la dépréciation de l'or.

Il y a ici un intérêt pour les changeurs et les banques. Mais quand cet intérêt est opposé à l'intérêt général, notre choix ne peut être douteux.

La question monétaire est, à mon avis, une question pratique plutôt qu'une question théorique. C'est ce que l'on a malheureusement oublié, au grand détriment du pays.

L'honorable ministre des finances a dit que la crise est forte. Je ne le conteste pas. Mais on n'aurait pas dû l'aggraver en entravant la circulation de la monnaie d'or française et en la dépréciant comme on l'a fait par l'avis de la Banque Nationale portant qu'elle n'est plus reçue qu'avec un perte de 2 et demi p. c.

Je doute en vérité que nous ayons bien fait, en 1850, d'adopter le système de l'étalon unique d'argent ; car je n'ai pas l'orgueil de croire que nous avons raison contre tout le monde, et je suis porté à croire que nous nous sommes trompés, lorsque je vois l'Angleterre conserver l'étalon unique d'or, et la France conserver le double étalon, et la fortune publique ne pas s'en trouver plus mal.

Quant à ce qu'a dit l'honorable baron Osy d'un congrès qui se réunirait à Vienne pour avoir une monnaie unique, c'est simplement une utopie. L'intérêt des banquiers dont la prépondérance en ces matières sera toujours grande, s'opposera constamment à cette unité. Mais ce qui doit déterminer notre choix dans le système monétaire, c'est la nature de nos relations commerciales. Chacun sait que le mouvement de notre commerce avec la France est de 380 millions. Ce chiffre suffit pour prouver que nous avons tort de refuser de recevoir l'or français.

Vainement prétend-on que cela nous ruinerait.

Je ne vois pas que la France soit ruinée pour avoir reçu des milliards d'or de l'Australie et de la Californie.

M. Moreau, rapporteur. - Je désire répondre quelques mots sur les considérations. Que M. le ministre vous a présentées au commencement de la séance. Je souhaite beaucoup que ses prédictions se réalisent, c'est-à-dire que les crédits supplémentaires, dont on présume avoir besoin en 1857, ne dépassent pas cinq millions, en tenant compte de 1,200,000 francs pour l'amélioration du sort des employés inférieurs et de (page 271) 1,400,000 fr. et plus, demandés pour le budget de la guerre, quoi qu'il soit difficile de déterminer, quant à présent, quel sera le montant des crédits nécessaires pour couvrir les dépenses non prévues aux budgets.

Je ferai cependant remarquer que, d'après l'exposé de la situation du trésor, on a voté en 1856 des crédits s'élevant à plus de neuf millions, crédits qui ne concernaient pas des services spéciaux, car le total de ces crédits se monte à plus de 16 millions. D'ailleurs, je ne pouvais savoir que l'augmentation demandée par M. le ministre de la guerre, a son budget, était comprise dans les crédits supplémentaires de cinq millions, car l'exposé des motifs porte : que les budgets présentés et non votés ne s'élèvent qu'à 76,438,631 fr. 8 cent., tandis qu'en réalité, ils se montent à 77,995,526 fr. 85. J'avais donc lieu de croire que les 1,400,000 fr. demandés par M. le ministre de la guerre ne faisaient pas partie des crédits présumés nécessaires en 1857.

En comparant les budgets de 1837, 1847 et 1857, je n'ai indiqué que des chiffres qui sont exacts et qui n'ont pas été contestés. Je n'en ai pas tiré des conséquences et je reconnais volontiers l'exactitude des renseignements qui vous ont été donnés par M. le ministre des finances ; aussi pour être exact et impartial, j'ai eu soin d'insérer dans une note du rapport de la section centrale le montant respectif des impôts pendant lesdites années, qui étaient en 1837 de 73,105,500 fr., en 1847 de 84,345,850 fr., et qui sont évalués pour 1857 à 98,420,000 fr. Mais il n'est pas moins vrai de dire que les contribuables verseront au trésor de l'Etat, en 1857, environ 27 millions de plus qu'en 1837 et 11 millions de plus qu’en 1847.

Je ne parlerai pas de la retenue d'un pour cent sur les traitements des fonctionnaires, retenue que la loi du budget supprime, puisque le gouvernement paraît être disposé à se rallier à une opinion émise en section centrale, c'est-à-dire à présenter un projet de loi spécial sur ce point.

M. le ministre des finances (M. Mercier). - Quant au crédit de 1,451,665 fr. 77 c, je n'ai voulu donner qu'une explication des intentions que j'avais lorsque j'ai rédigé la note préliminaire du budget. Il est très difficile d'établir des présomptions présentant quelque degré de certitude sur les crédits supplémentaires qui peuvent être demandés dans le cours de l'année. Cependant il est à observer aujourd'hui que les budgets sont plus normaux, et nous ne serons plus, je l'espère, en présence de circonstances extraordinaires telles que celles qui se sont produites en 1856, où la cherté des denrées alimentaires a forcé le gouvernement à demander de nouveaux crédits pour faire face à la situation.

Je suis loin de faire un reproche à l'honorable rapporteur d'avoir présenté, dans son rapport, des comparaisons, exactes d'ailleurs, entre les budgets précédents et le budget actuel, car il m'a fourni l'occasion de donner des explications sur la véritable situation des choses, sur les véritables causes des augmentations de dépenses et de recettes qui ont eu lieu depuis 1837.

M. Sinave. - Je dois un mot de réponse à l'honorable M. Osy. Malgré toutes les explications dans lesquelles il est entré, je n'en persiste pas moins à dire que la Banque ne mérite pas son titre de Banque Nationale. (Interruption.)

Vous avez cherché à justifier la conduite de la Banque en disant qu'elle a employé une partie de son capital en faveur du travail national ; mais je vous répondrai que pendant tout le temps de son existence elle a escompté le papier étranger à 1 1/2 p. c. tandis qu'elle faisait payer 4 p. c. au commerce national.

Voilà ce à quoi je vous demande de répondre, car c'est ce qu'on a fait constamment jusqu'à présent. Maintenant, dit-on, on ne prend plus de papier étranger, la raison en est simple ; vous avez augmenté le taux de l'escompte, vous l'avez porté à 5 p. c, on ne vous présente plus de papier étranger.

Vous aviez voulu faire concurrence aux Banques de France et d'Angleterre ; par suite du taux de l'escompte auquel vous le receviez, le papier qu'on présentait à la Banque d'Angleterre est venu chez nous.

Immédiatement après l'installation de la Banque, le ministre interpellé sur le fait dont je viens d'entretenir la Chambre et qui s'était déjà produit, a répondu que cela ne pouvait pas continuer et qu'on y mettrait un terme. Nonobstant cette déclaration, cela a continué jusqu'à présent.

L'honorable M. Osy vous a dit que les 40 millions qui avaient été employés en papier étranger étaient rentrés à la Banque ; ce n'est pas en papier de commerce que ces 40 millions sont rentrés, je voudrais bien que l'honorable membre nous dît ce qu'on a fait de ces 40 millions.

M. Osy. - Ils ont été employés en papier belge.

M. Sinave. - L'honorable membre a combattu l'idée de substituer le système or au système argent comme devant être préjudiciable au pays, cependant il est impossible que le pays reste dans l'état où il est, c'est-à-dire sans monnaie.

D'après la conduite de la Banque, le but qu'elle se propose est d'augmenter le papier-monnaie, d'en forcer la circulation dans le pays.

En effet, quand il n'y aura plus de pièces de 5 francs en France, d'où elles sont constamment exportées, d'où en tirerons-nous ? Dans l'impossibilité de s'en procurer, tout le monde sera forcé de prendre du papier. Si vous pouvez nous donner une meilleure explication, je l'accepterai.

M. le ministre nous dit qu'il n'y a rien à faire pour le moment. Il me semble, moi, qu'il y a beaucoup à faire. Il faut prendre des mesures pour que nous ayons de la monnaie dans notre pays.

Nous ne pouvons pas aller chercher des florins allemands, des florins hollandais ou des guinées anglaises ; c'est à la France avec qui nous avons des relations journalières, dont les habitants fréquentent nos marchés, que nous pouvons emprunter de la monnaie, c'est sur ce qu'elle fait que nous pouvons nous guider ; ce qui se fera à Vienne, ne peut nous intéresser.

Ce que nous devons envisager, ce sont nos voisins, les Français et les Anglais.

Messieurs, je borne là mes observations.

M. Dumortier. - Messieurs, je vois avec plaisir que la Chambre, à l'occasion du budget des voies et moyens, se soit livrée à l'examen d'une question qui préoccupe excessivement nos populations ; je veux parler de la situation du pays vis-à-vis de l'or français.

Vous savez, messieurs, que depuis 1832 nous avions le même système monétaire que la France pour l'or et pour l'argent ; vous savez encore que la plupart de nos affaires se font avec la France et qu'une grande partie du numéraire qui se trouve dans le pays est au type français.

Jusque dans ces dernières années l'or avait cours comme l'argent, pourvu qu'il fût au type monétaire admis dans ce pays. Mais tout à coup on découvre de riches mines dans la Californie, on en découvre dans l'Australie. Voilà qu'aussitôt les économistes se mettent en mouvement et en peine et qui nous prédisent que l'or va devenir tellement commun qu'on en fera des batteries de cuisine. Un honorable ministre de cette époque entre dans cette Chambre, il prétend que l'or est une chimère et qu'il faut le démolir, et l'on vote la suppression de l'or comme monnaie en Belgique.

Voilà la situation.

En même temps on crée une Banque nationale. Lorsque nous discutâmes la création de cette Banque, le ministre de cette époque nous assura que cet établissement ne pourrait émettre au-delà de 30 millions de francs en papier-monnaie. Mais il est évident que l'intérêt de cette société, qui jouit d'un privilège national, était de remplacer l'or par son papier, et de jouir des bénéfices qui devaient en résulter. Dès lors, elle trouva que rien n'était plus facile, qu'il fallait profiter de la suppression de l'or en Belgique pour développer son papier.

Je ne reviendrai pas sur la théorie du double étalon dont on parle toujours, théorie fausse et qui n'a cours nulle part. Car il n'existe aucun pays où il n'y ait deux et trois étalons. En Angleterre, il y a plus d'argent qu'il n'y en a en Belgique.

M. Osy. - Comme billon.

M. Dumortier. - Il y a de l'argent comme de l'or et de l'or comme de l'argent. Seulement dans chaque pays il y a une proportionnalité qui est en raison de la valeur réelle des objets dans chaque contrée.

Ainsi en Angleterre où les objets ont des valeurs plus grandes et où les capitaux sont plus considérables, on a développé davantage la monnaie d'or. En France, en Belgique, on a développé davantage la monnaie d'argent. En Hollande on vient de supprimer la monnaie d'or, mais pour établir le papier-monnaie, par spéculation de la part du gouvernement. Mais je dis que dans tous les pays du monde il y a de la monnaie d'or et de la monnaie d'argent, qu'il y a, quoi qu'on en dise, deux étalons tarifés par la loi et que, quand on dit le contraire, on soutient une véritable inexactitude. Je voudrais que l'on me citât un seul pays où l'on emploie la monnaie d'argent et non la monnaie d'or ou de papier, out bien la monnaie d'or et non celle d'argent.

Mais enfin on a eu des scrupules. On a cru que l'or allait perdre une partie de sa valeur. Mais comme les journaux anglais le reconnaissaient, dernièrement, les prévisions des économistes ont été complétement trompées. L'or a conservé sa valeur. Mais qu'est-il arrivé ? C’est que la valeur de l'argent a haussé. L'argent tend à quitter l'Europe Pourquoi ?

Parce qu'on a besoin d'argent dans les colonies, dans la Chine particulièrement et dans certains endroits où la monnaie d'argent est nécessaire et où elle fait défaut. Cet argent on l'exporte. J'ai vu dernièrement le Baron Osy, non pas notre honorable collègue, mais le vaisseau qui porte son nom, qui parlait avec 3 à 4 millions de noire argent. Ainsi le Baron Osy, vaisseau, emporte notre argent et le baron Osy, représentant, ne veut pas que nous ayons de l'or. (Interruption.) Chaque jour des exportations d'argent ont lieu. Vous n'eu recevez pas et vous ne voulez pas de l'or, vous le démonétisez. Vous ne recevez pas l'or ; d'autre part, l'argent quille l'Europe. Que vous restera-i-il donc pour faire vos affaires ? Il vous restera des billets de banque ; c'est-à-dire que vous ne voulez pas de la monnaie d'or et que vous préférez du papier qui n'a aucune espèce de valeur, qui n'est qu'une représentation.

Qu'a fait, dans de telles circonstances, la Banque Nationale ? D'abord, comme j'avais l'honneur de vous le dire, l'émission de son papier ne devait, dans aucune hypothèse, excéder 30 millions de francs ; et en. effet, quand, en 1848, il fut nécessaire de donner u» cours forcé aux billets de banque, le chiffre des billets mis alors en circulation par les deux sociétés qui existaient, n'était que de 20 millions de francs, à savoir 15 millions émis par la Société Générale, et 5 millions par la Banque de Belgique. Il se trouve ici des administrateurs de ces deux sociétés, ils peuvent affirmer ce fait.

(page 272) Il n'y avait donc que vingt millions de papier. Mais il est vrai qu'il y avait énormément d'or en circulation. La révolution de février arrive, que fait-on ? On donne le cours forcé à ces vingt millions de francs, en y ajoutant quelques millions pour le service de la caisse et pour empêcher la crise. Mais l'émission totale n'a jamais été au-delà de trente millions.

C'était le chiffre maximum que nous avions en Belgique, à l'époque même de la crise, lorsque le numéraire se cachait, lorsqu'il se retirait de la circulation. Aujourd'hui où en sommes-nous arrivés ? Au moyen de ce système de démonétiser l'or, de lui enlever son cours dans le pays, la Banque Nationale en est arrivée à ce résultat d'avoir 97 millions de francs de papier en circulation en Belgique, et cela a été jusqu'à 110 millions de francs.

Eh bien, messieurs, chacun voit les affaires publiques à sa manière, mais je déclare qu'à mes yeux un pareil état de choses est effrayant pour le pays. Qu'il survienne en Europe une de ces crises dans lesquelles les capitaux se retirent et que vous soyez obligés des donner un cours forcé de 97 millions de francs en billets de banque, je dis que ce sera la calamité la plus affreuse qui pourra peser sur le pays.

J'ai signalé plusieurs fois cet état de choses au gouvernement. Il est évident que si vous voulez préparer les voies pour que dans un moment de crise réelle, lorsqu'un étranger vous menacerait d'un envahissement, pour que la Belgique soit alors dans l'impossibilité, soit alors dans l'impuissance d'entrer en lutte, vous n'avez qu'à continuer ce qui existe pour être réduit un jour à donner cours forcé à 97 millions de billets de banque.

Je fais ces observations, messieurs, parce que nous avons encore le temps d'aviser. Avant tout, ce qu'un homme d'Etat doit avoir en vue, ce n'est pas de jeter la bride sur le cou à une société particulière, de lui permettre de mettre en circulation une si effrayante quantité de billets ; le devoir d'un homme d'Etat, c'est de prévenir les dangers qui peuvent nous menacer dans l'avenir.

Mais, messieurs, d'où vient donc cette exubérance de papier ? D'où vient qu'en six ans le chiffre des billets de banque a presque quadruplé ? Cela provient d'une seule chose, de ce qu'on a retiré la valeur légale à la monnaie d'or.

Il est évident que la monnaie d'argent ne peut pas suffire ; il faut une monnaie moins encombrante, et si vous n'avez pas de monnaie d'or, la force des choses amène nécessairement la monnaie de papier.

Maintenant, messieurs, qu'a fait la Banque Nationale ? Elle s'est permis de faire une véritable démonétisation de l'or ; elle s'est permis de repousser de la circulation la monnaie d'un pays voisin avec lequel nous faisons le plus d'affaires.

Je dis que le gouvernement aurait dû arrêter la Banque dans une semblable voie. Je sais très bien que la Banque avait le droit de refuser l'or puisqu'il n'a pas cours légal dans le pays, mais ce qu'elle n'a pas le droit de faire, c'est de venir dire : La pièce de 20 fr. battue pour 20 fr. par le gouvernement d'un pays voisin, je ne la reçois que pour 19 fr. 50.

Il n'appartient qu'au pouvoir législatif de poser un pareil acte, un acte qui est d'une extrême gravité puisqu'il pourrait nous exposer à des représailles. Et tout cela, la Banque l'a fait dans son propre intérêt, car remarquez bien, messieurs, que ces pièces qu'elle recevait à 19 francs 50 centimes, elle ne les donnait pas pour 19 francs 50 centimes, elle savait très bien les renvoyer en France et réaliser ainsi un bénéfice. Je dis que c'est là un bénéfice odieux, puisqu'il pourrait compromettre nos relations avec un pays voisin.

Messieurs, dans toutes nos provinces et particulièrement dans celles qui avoisinent la frontière de France, il y a des réclamations incessantes sur le régime monétaire qui existe aujourd'hui chez nous. Je comprends, comme le dit l'honorable M. Rodenbach, que cela fasse les affaires des banquiers. Oh ! supprimez l'or et supprimez l'argent, les banquiers négocieront du papier ; ils prendront 1/4, 1/2 p. c. ; mais nous ne sommes pas ici pour faire les affaires de ces messieurs ; nous sommes les mandataires du pays et Dieu merci ! nous ne sommes pas les commettants des banquiers.

Je dis, messieurs, que toutes ces choses il est du devoir du gouvernement de les surveiller de très près et d'y porter remède. Mais le remède quel est-il ? IL est bien simple. C'est, non pas de battre de la monnaie d'or, puisque vous avez des scrupules à cet égard, mais, au moins, de recevoir dans les caisses de l'Etat l'or battu en France, sauf à donner au gouvernement le pouvoir de retirer l'or le jour où il serait question de le démonétiser en France. De cette manière la mesure ne pourrait présenter l'ombre d'une difficulté, car rien ne serait plus facile, grâce aux chemins de fer, que de renvoyer promptement en France toute la monnaie d'or qui se trouverait dans le pays.

Je dis, messieurs, que l'état de choses actuel ne peut pas être maintenu ; nos houilles, nos toiles, tous les produits que nous envoyons en France sont payés en or français ; il en résulte une gêne que nos populations ne peuvent pas continuer à supporter. Il y a abus de tous côtés : il y a abus de la part de la Banque Nationale, il y a abus de la part de l'Etat à ne pas recevoir l'or français.

J'appelle l'attention sérieuse de M. le ministre des finances sur ce point, et je l'engage vivement à présenter un projet de loi pour remédier au mal que je viens de signaler. S'il ne le faisait pas, je me croirais obligé d'user de mon initiative et de présenter moi-même un semblable projet.

(page 283) M. le ministre des finances (M. Mercier). - C'est avec raison que l'honorable préopinant attribue une haute importance à la question monétaire ; cette importance est telle, qu'une erreur commise en pareille matière doit inévitablement produire tôt ou tard les conséquences les plus graves. Elle mérite donc l'attention la plus sérieuse.

L'honorable membre suppose que tous les pays ont deux étalons monétaires. C'est une erreur. Les Pays-Bas entre autres n'ont qu'un seul étalon, et c'est après une longue expérience, après avoir alternativement vu disparaître tantôt sa monnaie d'argent, tantôt sa monnaie d'or par l'effet de la baisse dans la valeur relative de l'un ou de l'autre métal ; après avoir essuyé des pertes très considérables, dues au système du double étalon, que le gouvernement néerlandais s'est enfin déterminé à ne plus en conserver qu'un seul, l'étalon d'argent.

L'Angleterre n'a pas, non plus, deux étalons ; elle n'a que l'étalon d'or ; il est vrai qu'elle a établi une monnaie subsidiaire ; elle a donné à cette monnaie une valeur intrinsèque inférieure à sa valeur nominale, ce qui se justifie par la restriction apportée à son cours légal ; elle ne doit, en effet, être acceptée que pour appoint, dans des proportions déterminées ; ce n'est assurément pas là un second étalon.

L'honorable membre nous conseille d'adopter simultanément l'étalon d'or et l'étalon d'argent. Mais n'avons-nous pas à nos portes un exemple de ce que produit encore aujourd'hui le double étalon ? L'honorable membre croit-il que l'Etat voisin auquel je fais allusion se trouve dans une situation plus facile que la nôtre au point de vue monétaire ? Mais la crise monétaire est là bien plus intense que chez nous ; tous les efforts du gouvernement ont été impuissants pour empêcher la disparition de la monnaie d'argent, soit par la fusion du métal, soit par l'exportation. C'est là évidemment l'effet du double étalon qui existe en fait dans ce pays. Le même phénomène se produira tôt ou tard partout où ce système sera établi ou maintenu. La valeur légale des deux monnaies restant invariable et le rapport de leur valeur intrinsèque pouvant au contraire se modifier chaque jour, l'un des deux métaux doit fatalement devenir un objet de commerce et de spéculation. C'est donc précisément dans un pays où l'on fait usage de la monnaie d'or, que l'on a à déplorer la plus forte disparition du signe monétaire. Si nous adoptions aujourd'hui le double étalon, les graves embarras qu'on éprouve ailleurs se produiraient chez nous.

En Belgique, il n'y a pas, à proprement parler, de crise monétaire ; les habitants de nos frontières du Midi éprouvent, il est vrai, quelques embarras momentanés, parce qu'étant habitués à faire des transactions avec les communes limitrophes, ils essuient une certaine perte s'ils acceptent la monnaie d'or étrangère.

Je ferai observer d'abord que ce fait ne provient d'aucun changement récent dans notre législation. J'ajouterai que bientôt chacun dans le commerce saura faire la distinction entre une valeur en francs d'or et une valeur en francs d'argent ; les transactions se régleront en conséquence.

Je suis persuadé que le temps n'est pas éloigné où aucune nation ne persistera à maintenir le double étalon.

Il est permis de discuter la question de savoir si l'on adoptera l'étalon d'or ou l'étalon d'argent, mais je regarde comme une question définitivement jugée qu'il ne faut qu'un seul étalon.

On se plaint qu'il y ait eu Belgique une circulation de papier très considérable. Mais, messieurs, il dépend de chacun de remplacer par de l'argent le papier dont il est porteur : il n'a qu'à se présenter à la Banque Nationale.

Quant au reproche fait à la Banque Nationale d'avoir en quelque sorte tarifé la monnaie étrangère, l'honorable M. Osy a déjà fait remarquer que, dans la forme, la mesure n'était, pas irréprochable ; il eût été convenable, en effet, de ne pas faire de publication, bien que cet établissement se soit borné à déclarer à quel prix il accepterait, pour son compte, la monnaie d'or étrangère ; on doit reconnaître, du reste, qu'il était en droit de ne pas la recevoir, puisque aucune monnaie étrangère n'a cours légal dans notre pays ; on ne peut donc exprimer qu'un regret à cet égard, c'est qu'un avis ait été publié et que cet avis ait pu momentanément produire un effet fâcheux sur le cours de cette monnaie en Belgique.

(page 272) M. Vermeire. - Messieurs, à l'occasion de la discussion du budget des voies et moyens, on a agité la question importante du crédit de la Banque Nationale ainsi que la question du système monétaire.

Je commencerai par dire qu'à mon avis aussi il convient que la Belgique n'ait qu'un seul étalon monétaire, car s'il y en a deux, il est certain que l'un ou l'autre disparaît si l'équilibre entre la valeur des deux métaux est rompu.

M. Dumortier. - Qu'est-ce que cela signifie ?

M. Vermeire. - Je vais vous dire ce que cela signifie. Lorsque vous avez une monnaie, il faut qu'elle ait, comme valeur intrinsèque, le titre qu'elle représente.

Sans quoi, ce serait une fausse monnaie, comme me le dit l'honorable M. Rodenbach ; et il en faudrait en plus grande quantité, pour payer une même quantité de marchandises.

Eh bien, si la valeur de l'or n'est pas en équilibre avec la valeur de l'argent, il est certain et positif que l'argent doit aller là où l'on en offre le prix le plus élevé et que l'or reste ce que l'on est convenu d'appeler la fausse monnaie. (Interruption.) Je ne sais si je m'exprime très clairement...

- Des membres. - Si ! si ! on vous comprend très bien.

M. Vermeire. - Quel est le métal dont la valeur est le moins sujette aux fluctuations des prix ? C'est évidemment l'argent.

L'or, au contraire, a diminué plus souvent de valeur dans une mesure assez forte, surtout depuis quelques années, par suite de la découverte des mines aurifères de l'Australie et de la Californie.

On a aussi beaucoup parlé de crédit ; je crois que le mot crédit est synonyme de celui de confiance, que la confiance doit reposer sur des garanties réelles que celles-ci trouveront dans la publicité. Je crois que les relevés mensuels qui sont faits par la Banque Nationale ne donnent pas toute la publicité désirable, en ce sens que l'encaisse de l'Etat, dans ce relevé, est confondu avec l'encaisse appartenant aux particuliers. Je voudrais qu'à l'instar de ce qui se pratique en Angleterre, on séparât ces articles, c'est-à-dire que tous les mois on fît connaître isolément le chiffre de l'encaisse de l'Etat et celui de l'encaisse appartenant à la Banque.

L'encaisse de la Banque Nationale, si je ne me trompe, est d'environ 30 millions ; cette somme représente à peu près le quart du montant du budget de nos recettes, si nous en défalquons les revenus du trésor. Que résulte-t-il de ces faits ? C'est que les payements à opérer par le gouvernement ne se font qu'après trois mois de crédit. (Interruption.) Si vos budgets s'équilibrent en recettes et en dépenses et que vous ayez constamment un encaisse de 30 millions, il en résulte, clairement, comme je viens de le dire, que vous avez trois mois de crédit ; s'il n'en était pas ainsi, vous n'auriez pas d'encaisse.

Je pense donc que si le gouvernement a toujours un encaisse de 30 millions, il n'est pas nécessaire de faire un nouvel emprunt, car l'encaisse actuel dépasse encore, de beaucoup, l'émission des bons du trésor.

Maintenant, lorsque l'on prend la situation de la Banque Nationale,, telle qu'elle est accusée pour le mois de novembre, l'on remarque tout d'abord que le portefeuille et l'encaisse réunis couvrent au-delà toutes les obligations contractées par la Banque.

Je crois que s'il y a un pays où le crédit est suffisamment garanti, c'est bien en Belgique.

Et la preuve en est, que, dans ces derniers temps, alors que le taux de l'escompte avait considérablement augmenté dans tous les pays voisins, par suite de l'extension donnée aux dépenses en immobilisant beaucoup de capitaux, l'escompte en Belgique a dû être augmenté, et cela par une mesure de prudence, seulement de 1 p. c. Lorsque en Angleterre l'escompte était porté à 8 p. c, à Hambourg, à 10 et à 11 p. c. et que la Banque de France avait porté le sien à 6 et à 7 p. c, la Banque de Belgique n'élevait son escompte que de 1 p. c, c'est-à-dire à 4 p. c. les effets acceptés et à 5 p. c. ceux qui ne l'étaient pas.

Je crois pouvoir borner ici mes observations ; pris en quelque sorte au dépourvu, il me serait difficile, pour le moment, d'entrer dans de plus grands développements.

M. Osy. - Je regrette que l'honorable M. Dumortier ne se soit pas trouvé ici quand j'ai pris la parole ; je lui aurais prouvé qu'il n'est pas exact, comme il l'a prétendu, que tous les pays qui nous entourent aient trois étalons. J'ai expliqué qu'en Angleterre il n'y avait qu'un seul étalon, l'étalon d'or et que le reste de la monnaie n'était que billon.

M. Dumortier. - En théorie.

M. Osy. - En chiffres ; je les répéterai pour vous ; le billon en Angleterre vaut 7 p. c. de moins que l'or, on emploie l'argent en Angleterre pour faciliter la circulation usuelle et l'argent n'est considéré en Angleterre que comme le cuivre chez nous, c'est-à-dire comme une monnaie de billon.

Voyez ce qui existe en Prusse, vous n'y trouverez qu'un seul étalon, l'étalon d'argent ; la monnaie d'or qu'on y rencontre n'est qu'une marchandise, les pièces de 5 écus valent 5 écus 23, ce qui vous prouve que là aussi l'or n'est considéré que comme marchandise.

J'avoue que noire système présente quelques difficultés pour nos provinces voisines de la France où l'on paye en or. Mais si cela continue (page 273) il s'établira une valeur différente de la marchandise suivant qu'on la payera en or ou en argent. Cela arrivera infailliblement.

Si vous adoptiez le système or, comme le demande M. Dumortier, ce serait une réduction de la fortune publique que vous décréteriez. (Interruption.) Comme on le conteste, je suis obligé de donner une explication.

Déjà en France on a payé 5 p. c. d'agio pour les pièces de 5 francs ; à la monnaie les pièces de 5 francs avaient une valeur supérieure à la valeur nominale, elles avaient un agio. Si vous adoptiez le système or au lieu de votre système argent, tout ce que vous devez payer à l'étranger, vous devriez le payer plus cher, par conséquent ce serait une réduction de la fortune publique.

En 1849, lorsqu'on a créé la Banque Nationale, la Banque a pris l'engagement de vous donner des pièces de 5 fr. contre ses billets ; c'est un grand avantage que vous feriez à la Banque si vous l'autorisiez à payer en monnaie d'or qui vaut moins que la monnaie d'argent. Qui perdra ? Le public, tandis que vous feriez un cadeau à la Banque Nationale. Les personnes qui ont souscrit des lettres de change savent qu'elles doivent payer en pièces de 5 fr. ; si vous les autorisez à payer en or, vous leur faites encore un cadeau.

C'est une grosse affaire, je l'ai déjà dit, que de changer notre système et de venir au système or. Il est même impossible de reprendre, comme le voulait la loi de 1832, le double système.

On serait obligé, si l'on adoptait le système or et argent, d'avoir comme en Angleterre une monnaie d'argent relativement inférieure à celle de l'or, car sans cela votre monnaie d'argent partirait et vous vous trouveriez en présence des mêmes difficultés que la France où l'argent manque même pour les appoints. Les pièces de 5 francs sortent de France, mais elles viennent ici, elles alimentent et les caisses de l'Etat et les besoins du public. On nous dit qu'on exporte de partout la monnaie d'argent vers l’Inde et la Chine, mais nous avons la ressource de recevoir des pièces de 5 francs de Paris.

Voyez le taux du change sur Paris ; (erratum page 295) il a été jusqu'à 1 p. c., et qui vous dit qu’il n’ira pas jusqu’à 3 et 4 p. c et au-delà ? Si l'écart entre la valeur de l'or et de l'argent continue, le change sur Paris devra continuer à baisser.

La proportion de (erratum page 295) 15 ½ à 1 entre l'or et l'argent est rompue depuis les importations d'or de l'Australie et de la Californie, les extractions d'argent n'ayant pas suivi la même progression.

Je répondrai maintenant deux mots seulement à l'honorable M. Vermeire avec qui je suis charmé d'être d'accord, excepté sur un point.

L'honorable membre vous a parlé de la publication mensuelle de la situation de la Banque et il a exprimé le regret que l'encaisse du gouvernement n'y fût pas mentionné. Si l'honorable membre veut examiner le bilan mensuel, il y verra figurer un article : comptes courants. Là se trouvent compris l'encaisse du gouvernement comme celui des particuliers qui ont de l'argent à la Banque.

M. Vermeire. - C'est confondu.

M. Osy. - Je vais expliquer pourquoi les 31 millions qui figurent sous la rubrique comptes courants comprennent l'encaisse du gouvernement et celui des particuliers qui ont un compte courant à la Banque. Sous le ministère de M. Frère, M. Jacques avait demandé que le gouvernement fît publier dans les renseignements mensuels de la Banque l'encaisse de l'Etat séparé des comptes courants des particuliers ; M. Frère a donné de très bonnes raisons pour ne pas y consentir. Je crois qu'il n'est pas convenable de mettre le public au courant de l'encaisse réel de l'Etat ; il pourrait se présenter des circonstances, comme en 1848, où la caisse de l'Etat ne contenait pas beaucoup d'argent. Il importe seulement pour le public de savoir quelle somme la Banque a en comptes courants, parce qu'elle doit avoir dans ses caisses en écus le tiers de la somme de ses dépôts en compte courant et de ses billets en circulation.

A chaque situation vous verrez que ce tiers est dépassé par son encaisse, de manière que c'est une simple curiosité de savoir tous les mois quel est l'encaisse de l'Etat. Quand c'est nécessaire, le gouvernement vous le dit. Encore aujourd'hui et il y a huit jours, M. le ministre des finances a déclaré que l'encaisse de l'Etat est de 30 millions, (erratum page 295) et que l’émission des bons du trésor ne se monte qu’à 10 millions. Nous savons donc quand nous voulons quel est le chiffre de l'encaisse, et il est inutile de le dire tous les mois ; car cela ne fait rien pour le public. Il y a des circonstances où cela pourrait être très dangereux. Le principal est de savoir de combien est l'émission de billets de banque, et à combien s'élèvent les comptes courants. Quant au chiffre de l'encaisse, c'est une simple curiosité ; cela n'intéresse en rien le public ; car les comptes courants des particuliers sont la même chose que le compte courant de l'Etat.

J'approuve entièrement la réponse que fit l'honorable M. Frère, quoique depuis 1852 l'encaisse ait toujours été très fort, parce que les travaux publics, décrétés par la loi de 1852, n'étant pas achevés, ne sont pas payés, quoique nous en ayons fait les fonds.

Quant à la mesure qui a été prise par la Banque Nationale, je répète que je ne l'approuve pas. Mais il ne faut pas dire plus qu'il n'y a eu : la Banque n'a pas tarifé la pièce de 20 francs ; elle a seulement dit : « Je ne la prends, pour moi, qu'à 19 fr. 50 c. » Ce n'était pas la tarifer. Cependant, il aurait mieux valu se borner à dire : Je ne la reçois pas.

Si l'honorable M. Dumortier avait été ici, il m'aurait entendu déclarer que c'est une erreur qu'on a faite. Je l'ai dit où j'étais en droit de le dire. Je n'y ai pas manqué.

Certainement je conviens qu'avant la révolution de février la Société Générale et la Banque de Belgique n'avaient qu'une émission de billets de banque de 20 à 25 millions. Aujourd'hui les billets de banque en circulation s'élèvent, comme l'a dit l'honorable hl. Dumortier, à 97 millions. Mais c'est au profit du commerce et de l'industrie dont on escompte plus de valeurs que quand la circulation des billets de banque était moindre. Toute la différence est employée à l'escompte de valeurs commerciales. Je crois donc que le gouvernement a bien fait d'autoriser la Banque Nationale à porter son émission à 130 millions.

L'honorable M. Sinave a encore parlé d'une somme de 40 millions placée en valeurs étrangères. Mais si l'on veut examiner la situation mensuelle donnée par la Banque, on y trouvera, en fonds belges 10 millions ; en propriétés 6 millions, tandis que son capital est de près de 17 millions, et que d'ici à deux ans son capital de 25 millions sera entièrement versé.

Quant à la question monétaire, c'est une question à part que le gouvernement doit résoudre après avoir entendu le pour et le contre.

Je vous ai dit ce que je pensais du système adopté en Hollande : le gouvernement a démonétisé les pièces de 10 fl., et sa mauvaise monnaie d'argent dont la valeur intrinsèque était bien inférieure à la valeur nominale. En attendant que la nouvelle monnaie fût frappée, il a émis des billets de monnaie visés par la banque et qui sont retirés à mesure que l'on a frappé de la monnaie.

Si ces billets de monnaie ne rentrent pas tous, c'est que, comme ils sont garantis par le gouvernement et par la Banque, ils inspirent une entière confiance.

C'est une opération qui a été très lucrative pour la Hollande, bien qu'elle lui ail occasionné une dépense de 7 millions de florins.

La situation financière de la Hollande est si brillante, (erratum page 295) que tous les ans, avec les excédants de ses budgets, elle diminue la dette nationale et il y a des années où elle a racheté pour plus de 13 millions, et que cela monte quelquefois à 13 ou 14 millions de florins, de manière que vous comprenez qu'elle n'a pas besoin d'émettre de papier-monnaie. La Banque en émet seulement pour faciliter ses opérations, comme le fait la Banque Nationale, comme le fait la Banque de France, comme le fait la Banque d'Angleterre. Et lorsqu'une banque est bien administrée, lorsque la surveillance y est bien exercée et que l'on est certain que fa loi et les statuts seront exécutés, je crois qu'une émission de papier-monnaie est un avantage pour le pays, qu'elle procure des facilités au commerce et à l'industrie.

M. Dumortier. - Messieurs, il m'est très difficile de m'entendre avec l'honorable ami qui vient de se rasseoir. Cet honorable ami discute toujours les intérêts nationaux comme s'il s'agissait d'une affaire de banque, et moi je ne vois dans une banque qu'un instrument et je n'envisage ces questions qu'au point de vue de l'intérêt national. Vous comprenez que nous nous plaçons à deux points de vue qui ne se ressemblent nullement.

Je comprends très bien que pour une société de crédit il soit excessivement avantageux d'émettre pour 97 millions, pour 100 millions, pour 110 millions de papier. Je conçois que pour cette société il est singulièrement commode de ne pas avoir d'or dans le pays, parce que l'argent, comme l'a très bien dit mon honorable ami, étant trop encombrant pour faire de grands payements, il faut bien passer par les mains de la Banque. Mais moi qui ne m'intéresse pas à cette Banque, qui ne vois que l'intérêt général des masses, cela ne me touche nullement, et j'aime mieux satisfaire l'intérêt des masses que celui d'une banque. Messieurs, pourquoi avez-vous tant de papier-monnaie dans le pays ? C'est évidemment parce que vous avez supprimé la monnaie d'or. La suppression de l'or a donné un développement exorbitant à la circulation du papier ; mais le jour où vous aurez rétabli en Belgique, je ne dis pas l'autorisation pour le gouvernement de battre une monnaie d'or, je ne le ne proposerai pas, je ne voudrais pas le proposer, mais l'autorisation de recevoir l'or français à sa valeur comme la pièce de 5 fr., ce que je demande et ce que je déclare formellement que je proposerai à la Chambre, ce jour-là il est clair que la Banque Nationale aura moins de papier dans la circulation. El qui est ce qui y perdra ? Ce sera la Banque Nationale. Mais le particulier y gagnera, et c'est ce que nous devons désirer.

Un honorable préopinant nous dit : Qu'est-ce que cela vous fait ? Quand vous allez à la Banque avec un billet, vous pouvez toujours avoir de l'argent. Il est vrai qu'il en est ainsi pour un banquier, pour un caissier.

Mais en est-il de même pour le particulier qui habite la province, qui habite un village ou une petite ville ? Quand il a un billet de banque de 1,000 francs, peut-il l'échanger ? Evidemment non ; tandis qu'avec des pièces d'or ou d'argent, il peut effectuer toute espèce de dépense. Examinez donc un peu moins l'intérêt de la Banque et examinez un peu plus celui des particuliers.

Il est, messieurs, un fait qui, à mes yeux, présente une étrange contradiction. On nous vante toujours le libre-échange et ses bienfaits, et quand il s'agit de la question monétaire, on ne veut plus du libre-échange ; on se place dans un système diamétralement opposé ; on veut la prohibition absolue.

Si nous, qui sommes protectionnistes, nous venions vous parler de prohibition, ce serait un tollé général, et je remarque que les personnes qui se livreraient à ce tollé sont précisément celles qui voudraient prohiber l'or en Belgique.

(page 274) Je dis prohiber, parce qu'en définitive, on fait payer un droit d'entrée sur les monnaies étrangères, tandis qu'on veut supprimer toute espèce de droit sur les fabricats étrangers.

Je voudrais que MM. les libre-échangistes se missent d'accord avec eux-mêmes. Au reste, le tissu de leurs inconséquences n'est pas peu de chose à démêler.

Mais voyez comment marchent les choses dans ce système auquel j'adresse des reproches fondés. Vous savez qu'en vertu de la loi, la Banque est obligée à avoir en capital un tiers des valeurs émises. Or, messieurs, comment procède-t-on pour avoir ce tiers des valeurs émises ? On vient de nous le révéler. On prend les fonds de l'Etat. Voilà la garantie qu'ont les preneurs de billets de banque ; ce sont les fonds de l'État qui servent à former le principal capital de ce tiers. Où est donc la garantie pour le particulier ? L'État garantit-il l'émission des billets de la Banque Nationale ? Évidemment non ; et lorsque la loi a décidé que la Banque devait avoir un encaisse égal au tiers de ses émissions, il est certain qu'elle a voulu parler d'un encaisse appartenant à la Banque et non d'un encaisse appartenant à l'État.

Je remercie l'honorable M. Vermeire de nous avoir révélé ce fait Je ne partage pas son opinion lorsqu'il vient nous dire qu'il faudrait publier la situation de la caisse de l'Etat. Je reconnais qu'il pourrait y avoir là, dans certaines circonstances, un danger.

Mais je maintiens que les fonds de l'Etat qui n'appartiennent pas à la Banque, qui sont seulement déposés entre ses mains jusqu'à ce qu'ils servent à la chose publique, ne doivent pas figurer dans son encaisse, qu'elle doit avoir un encaisse à elle pour garantir l'émission de ses billets.

Je le répète, au moyen de ce procédé, la garantie qu'a voulu établir la loi est complètement illusoire ; car si, pour une émission de 100 millions de valeurs, la Banque a un encaisse de 30 millions, et que dans ces 30 millions il y en ait 20 qui appartiennent à l'Etat, la garantie n'est plus réellement que de 10 millions, c'est-à-dire d'un dixième des émissions.

Je demande si un pareil état de choses peut être toléré. Je remercie de nouveau notre honorable collègue M. Vermeire de nous avoir mis sur la voie d'un pareil abus, et j'espère que M. le ministre des finances voudra bien interdire à l'avenir à la Banque de compter sur les fonds de l'Etat pour la garantie de son papier.

Messieurs, voyez où vous arrivez avec un semblable système ; c'est que ce serait l'Etat qui deviendrait garant des opérations de la Banque Nationale. C'est ce que personne de nous n'a jamais voulu, n'a jamais pu vouloir.

M. le ministre des finances, en me répondant, s'est élevé sur ce qu'il appelle les deux étalons. Je l'ai dit et je le répète, il y a, dans tous les pays qui battent monnaie, autant d'étalons que de monnaies ; c'est un fait incontestable et vous dénaturez le mot étalon. Mais ce qu'il y a de vrai, c'est qu’il y a un étalon prépondérant ; maintenant la prépondérance de l'étalon qu'est-ce que c'est ? C'est l'affaire des circonstances.

Le jour où l'or aura moins de valeur, ce sera l'étalon d'argent qui sera prépondérant. Le jour où l'argent sera moins recherché, ce sera l'étalon d'or qui sera prépondérant.

Mais qu'est-ce que cela fait au particulier, dès qu'il a de la monnaie pour faire des échanges ? Qu'est-ce que cela fait au particulier qui commerce avec l'étranger, si c'est aujourd'hui l'argent qui a le plus de valeur et si demain c'est l'or ?

Consultez le particulier et demandez-lui si cet or que vous considérez comme une chimère, il ne le préfère pas au papier, et il vous dira qu'il regrette de ne pas avoir plus d'or et moins de papier.

Mais, dit M. le ministre des finances, avec deux étalons vous arrivez à des crises. Voyez la crise en France. M. le ministre des finances doit savoir, et sait mieux que moi à quoi tient la crise monétaire en France. Il sait qu'elle est due principalement à un établissement de crédit qui, j'espère, n'existera jamais en Belgique, qu'elle est due au crédit mobilier. Voilà ce qui a surtout occasionné la crise monétaire en France. Et puis la guerre. Mais ce sont les entreprises désordonnées d'un établissement financier, désordonné lui-même, qui oui amené la crise actuelle.

Je reviens, messieurs, à ce que je disais de la Banque Nationale. L’honorable M. Osy avait déjà, avant moi, déclaré que la Banque Nationale n’eût point dû fixer le taux de la pièce d'or à 19 francs 50 c, mais il prétend qu'elle ne la point tarifée. Tout cela, messieurs, n'est qu'un jeu de mots : lorsque la Banque Nationale, qui a des agents et des bureaux dans toutes les parties du pays, déclare qu'elle ne prend la pièce d’or qu’à 19 fr. 50 c., c’est une véritable tarification qu'elle en fait et elle nuit ainsi aux particuliers, elle nuit à la fortune publique, car, je le répète, ce même or qu’elle prend à 19 fr. 50 c. elle le renvoie en France par le courrier suivant, pour 20 fr. Eh bien une pareille conduite est intolérable et je regrette vivement que M. le ministre des finances n’ait pas déclaré le lendemain dans le Moniteur qu'il ne la souffrirait pas.

Je le répète, messieurs, il n'y a qu'un seul moyen de remédier à la situation fâcheuse où nous nous trouvons ; l’argent nous quitte et vous avez beau en faire venir de France, il s’en va immédiatement d’un autre côté. L’argent a une grande tendance à se diriger vers l’Orient ; l’or, au contraire, a des dispositions à nous arriver et l’or, remarquez-le bien, ne perd pas de sa valeur.

L'Angleterre, qui connaît si bien la valeur des métaux, se trouve très bien d'avoir l'étalon d'or. Je ne proposerai pas de battre ici de la monnaie d'or, mais une chose que l'on peut faire très facilement, c'est de donner cours légal aux pièces de 20 fr., tout en autorisant le gouvernement a suspendre l'effet de cette mesure si l'or venait à être démonétisé en France. De cette manière il ne pourrait résulter aucun inconvénient, de ce que je demande, ni pour les particuliers, ni pour l'Etat. La seule chose qui arriverait, c'est que nous n'aurions plus cette effrayante quantité de 97 millions de billets de banque, qui peuvent, dans un moment de crise, devenir un véritable danger pour le pays.

M. Osy (pour un fait personnel). - L'honorable M. Dumortier a dit, dans son premier discours, que j'envisageais toujours les questions au point de vue de la Banque et non point au point de vue du pays. Eh bien, messieurs, je déclare que j'ai tout juste le nombre d'actions nécessaire pour pouvoir être commissaire, c'est-à-dire dix actions. C'est dans l'intérêt du pays que je parle, et je suis convaincu que la grande émission de billets de banque, dont se plaint l'honorable M. Dumortier, est un avantage considérable pour le pays, puisqu'elle a permis à la Banque de faciliter les opérations de l'industrie et du commerce en prenant jusqu'à 85 millions à l'escompte. Cette émission de billets de banque est d'ailleurs parfaitement garantie pour les personnes qui y regardent de près.

M. Dumortier. - Personne ne reconnaît plus que moi que l'honorabilité de mon honorable ami M. Osy ne peut être mise en doute par qui que ce soit. Si j'ai dit que l'honorable membre se plaçait au point de vue de la Banque, j'ai voulu dire que c'était là le point de départ de ses idées ; mais il n'est pas entré dans ma pensée de suspecter le moins du monde le parfait désintéressement de l'un des hommes que j'estime le plus dans cette assemblée.

M. le ministre des finances (M. Mercier). - Tout à l'heure l'honorable M. Dumortier me reprochait de ne pas avoir, par un avis inséré au Moniteur, fait rapporter la mesure qu'il a critiquée et qui a été prise par la Banque Nationale, c'est-à-dire l'avis qu'elle a publié qu'elle ne recevrait plus les pièces d'or qu'à 19 fr. 50 c.

Je ferai remarquera mon honorable ami que je n'en avais pas le pouvoir ; il ne dépendait pas de moi d'interdire à la Banque de publier qu'elle ne recevrait plus les pièces d'or qu'à 19 fr. 50 c. ; encore moins de lui enjoindre de recevoir, à un taux quelconque, une monnaie quelconque n'ayant pas cours légal en Belgique.

M. Malou. - Le moment n'est pas venu, ce me semble, de nous prononcer définitivement sur le système monétaire, qu'il conviendra d'adopter en Belgique.

En 1832 on a admis à tous égards la communauté du régime monétaire avec la France ; l’un des principaux motifs de cette mesure était l'étendue de nos relations avec la France. Ces relations se sont développées encore et nous avons aujourd'hui, si mes souvenirs sont exacts, un commerce avec la France, qu'on peut évaluer à environ 340 millions.

Le régime monétaire français est demeuré le même en droit, mais chaque jour il change en fait.

Il est évident, pour quiconque suit le mouvement imprimé aujourd'hui à la circulation de l'or et de l'argent, que le système français, qui était basé principalement sur l'argent, tend à se transformer et qu'avant peu d'années, si le mouvement continue, il sera basé exclusivement sur l’or, connue le système anglais.

Dans une telle situation, ce serait à la fois une puérilité et un danger pour la Belgique de prétendre conserver un système identique à celui de la France quant à l'argent, lorsque, dans ce pays, il n'existerait plus que de nom. Vous auriez beau le vouloir, il changerait sans nous et malgré nous.

La cause de ce courant qui se manifeste, courant qu'on peut appeler universel, c'est, outre la guerre et des entreprises exagérées, le besoin de l'exportation de l'argent de l'Europe vers l'Inde et la Chine. Si ce courant se maintenait, si, comme le supposait l'honorable M. Osy, il arrivait un jour où la France serait obligée de lâcher sa dernière pièce de 5 francs, je le demande, combien vous en resterait-il ?

Il ne faut donc pas se dire : Nous maintiendrons à jamais, envers et contre tous, notre système d'argent ; car, je le répète, si le mouvement actuel continue, ou bien vous n’aurez plus qu'une circulation de papier, ou bien vous changerez votre régime monétaire.

Ce régime, si je ne me trompe, ne se compose pas de théories, il se compose principalement d'intérêts. En général, considérant une nation comme un particulier, il faut s'attacher à faire sa circulation au meilleur marché possible. El ici, j'ai un léger dissentiment avec un de mes honorables amis. Comment l’Angleterre, par exemple, fait elle sa circulation ?

D'après une évaluation généralement admise, elle la fait au moyen de 1,200 à 1,500 millions d'or et de 1,200 à 1,500 millions de billets. Il est évident que la circulation du papier dans un pays n'est pas une cause de malaise, n'est pas une indication, si je puis m’exprimer ainsi, d'un état d'infériorité ou d'appauvrissement ; mais, au contraire, la circulation du papier est souvent un indice de progrès et de supériorité. C'est un moyen de circulation économique.

En considérant la nation comme un individu, il y a un autre côté de la question qui mérite l’attention de la Chambre.

L’intérêt national consiste à avoir une monnaie qui, relativement à (page 275) l’autre, soit au meilleur marché. Ainsi, en ce moment les nations de l'Occident réalisent avec bénéfice la monnaie qui offre une prime. Je suppose que nous ayons eu dans notre circulation 200 millions d'argent, et que ces 200 millions aient pu être réalisés et remplacés à 3 p. c. de prime, quel sera le bénéfice de la nation considérée comme un particulier, ce sera 6 millions.

Le système qui consisterait à vouloir, en opposition avec les faits, maintenir pour la Belgique seule, soit une communauté légale de monnaie avec la France, lorsque les faits ont changé dans ce pays, soit la circulation exclusive de l'argent lorsque l'argent s'en va, serait une véritable utopie, et en outré une idée antiéconomique.

La circulation ne doit pas seulement être considérée au point de vue de l'Etat tout entier, s'assimilant à un individu. Quelles que soient nos théories absolues sur l'étalon double ou simple, il faut bien se dire que lorsqu'il arrive une perturbation comme celle dont nous sommes les témoins, les Etats qui ont l'étalon simple éprouvent également le contrecoup de ces fluctuations.

En effet, vous le voyez se produire en Angleterre où l'étalon simple existe ; vous le voyez se produire en France où l'or s'est substitué en grande partie à l'argent. Et pourquoi ? Parce que dans ce cas-là, c'est la plus-value de la monnaie qui détermine la gêne dans la circulation.

Eh bien, nous en sommes déjà là, surtout dans les provinces frontières, parce que la monnaie d'or s'y substitue, par la nécessité des transactions, à la monnaie d'argent. Le pays ne se ruine pas pour cela ; il y a seulement une gêne dans la circulation, et lorsqu'il y a une gêne dans la circulation monétaire, c'est pour un pays la cause d'un malaise.

Il ne faut donc pas fonder le système monétaire sur telles ou telles théories, mais sur les faits, et sur nos relations avec les pays qui nous environnent.

Par exemple, dans notre Flandre occidentale, le budget reçoit plus qu'il dépense ; lorsqu'on reçoit des pièces de 5 francs dans cette partie du pays, elles arrivent à la Banque Nationale : aussi, au centre du pays, sent-on moins cette gêne de la circulation ; mais supposons que ce mouvement continue, plus tard la gêne s'étendra jusqu'au centre ; il sera impossible de conserver la monnaie d'argent.

Messieurs, je termine par une dernière observation relative à l'encaisse de l'Etat. L'Etat a maintenant encore un encaisse de 30 millions ; d'après le compte rendu qui nous a été distribué dernièrement sur la négociation des bons du trésor, l'Etat a eu une circulation de 7 à 10 millions pendant l'année 1855. Je crois que, dans les circonstances actuelles, il n'y a aucun motif pour maintenir en fait la dette flottante à un chiffre aussi élevé. Je pense que la fortune de l'Etat doit être gérée comme celle d'un particulier. Ainsi que dirait-on d'un particulier qui, ayant 30,000 francs en caisse, s'amuserait à payer l'intérêt de 10,000 francs ? Or, l'Etat fait précisément la même opération, il paye 200,000 à 300,000 francs d'intérêt, lorsqu'il a 30 millions d'encaisse ; en réalité, il paye l'intérêt du tiers de son encaisse. Cette combinaison ne serait pas bien favorable à la fortune d'un particulier ; comment pourrait-elle être avantageuse à la fortune de l'Etat ?

Projet de loi fixant le contingent de l’armée pour l’année 1857

Rapport de la section centrale

M. Van Overloop. - Messieurs, j'ai l'honneur de déposer le rapport de la section centrale qui a été chargée d'examiner le projet de loi relatif au contingent de l'armée.

- Ce rapport sera imprimé et distribué.

La Chambre le met à la suite de l'ordre du jour.

La séance est levée à 4 heures trois quarts.