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Chambres des représentants de Belgique
Séance du lundi 23 mars 1857

(Présidence de M. de Naeyer.)

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1856-1857)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 1122) M. de Perceval procède à l'appel nominal à 2 heures et quart.

M. Maertens donne lecture du procès-verbal de la séance du 21 mars.

- La rédaction en est adoptée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Perceval présente l'analyse des pièces suivantes.

« Le sieur Parent, batteur d'or en feuilles, prie la Chambre de ne pas admettre au droit de 5 p. c. à la valeur les ors battus en feuilles aussi longtemps que la France en prohibera l'entrée chez elle. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi portant révision du tarif des douanes.


« L'administration communale de Caggevinne-Assent déclare adhérer à la pétition de l'administration communale de Diest en faveur du chemin de fer de Louvain à Beverloo par Diest. »

« Même déclaration des administrations communales de Schaffen et Webbecom. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Plusieurs instituteurs primaires dans le Luxembourg prient la Chambre d'améliorer leur position. »

- Même renvoi.


« Quelques propriétaires, industriels, exploitants, de minerais et commerçant à Hanzinelle prient la Chambre de donner une application temporaire aux nouveaux droits sur la fonte et le fer, d'autoriser le gouvernement à augmenter ces droits dans certaines limites et de permettre la sortie de tous les minerais de fer, moyennant certains droits de douane. »

- Renvoi à la commission permanente de l'industrie.


« Les membres du conseil communal de Nivelles prient la Chambre d'accorder au sieur Waring la concession d'un chemin de fer de Luttre à Denderleeuw. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Séau, ancien militaire, réclame l'intervention de la Chambre pour obtenir un secours. »

- Même renvoi.


« Le sieur Le Coutelier, lieutenant des douanes pensionné, demande qu'il soit fait application de la loi qui accorde dix années de service à des officiers de volontaires. »

- Même renvoi.


« Le sieur Staes-Nennis demande le maintien du droit d'entrée sur les pipes hollandaises. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi portant révision du tarif des douanes.


« Le sieur Vande Loo réclame l'intervention de la Chambre afin d'obtenir le payement, sans frais, de la somme fixée par le jugement de première instance de Hasselt du 27 février 1856, pour l'expropriation de terrains devant servir à l'agrandissement du champ de manœuvres di camp de Beverloo, et demande à être indemnisée de la privation de son capital à partir de cette époque. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« La députation permanente du conseil provincial de la Flandre occidentale renouvelle ses observations relatives au projet de loi concernant un crédit de 500,000 fr. au département des travaux publics. »

-Renvoi à la commission chargée de l'examen du projet de loi.


« Le sieur Wery demande que la compagnie du chemin de fer du Luxembourg soit obligée à remplir les obligations qui résultent de la loi de concession de 1846 et de la convention du 30 avril 1852. »

- Renvoi à la commission des pétitions.

M. Mascart. - Je demande qu'il soit fait un prompt rapport sut cette pétition ainsi que sur celle analysée dans une séance précédente, du conseil communal de Wavre, qui demande que la compagnie du Luxembourg soit mise en demeure d'exécuter les obligations que la loi de concession lui impose.

- La proposition de M. Mascart est adoptée.


« La chambre de commerce et des fabriques d'Anvers demande la libre entrée permanente du charbon de terre. »

- Sur la proposition de M. Osy, dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi portant révision du tarif des douanes.


« Le sieur Fabre et Marsigny proposent des mesure pour améliorer la position des instituteurs primaires. »

- Renvoi à la commission des pétitions.

Projet de loi relatif au cens d'éligibilité pour le sénat

Rapport de la section centrale

M. de La Coste. - J'ai l'honneur de déposer le rapport de la section centrale qui a examiné le projet de loi, que nous a transmis le Sénat, relativement au cens d'éligibilité.

- La Chambre ordonne l'impression et la distribution de ce rapport et le met à la suite des objets à l'ordre du jour.

Projet de loi révisant le tarif des douanes

Discussion générale

La discussion générale continue.

M. de Haerne. - Messieurs, à la fin de la séance d'avant-hier, j'ai eu l'honneur de vous présenter quelques considérations pour faire voir qu'il serait téméraire de se lancer dans ce qu'on appelle le système du libre-échange, et qu'aucune nation n'avait arboré le drapeau de la liberté absolue. A l'appui de cette thèse, j'ai cité l'exemple des nations étrangères et particulièrement de celles qu'on nous représente souvent comme étant entrées dans cette voie. L'exemple de l'Angleterre est frappant à cet égard. Cette nation admet dans son tarif des droits réellement protecteurs, non seulement en distinguant avec soin entre les produits fabriqués et les matières premières, mais aussi par la reconnaissance du principe des droits différentiels de provenance, en les distinguant entre les provenances coloniales et les autres. Il y a une quinzaine d'articles de ce genre dans le tarif anglais actuel. Les droits différentiels, dont je viens de parler, sont réellement élevés et même exorbitants. J'ai cité les bois, j'ai cité les soieries. D'autres articles sont dans la même catégorie et assujettis à des droits tout aussi élevés. C'est bien là le système protecteur entendu dans la véritable acception du mot. Car enfin, si ce n'était pour protéger d'un côté les produits coloniaux et de l'autre côté les produits de la métropole, certes, l'Angleterre n'admettrait pas un pareil système ; un système purement fiscal n'échelonnerait pas les droits de cette manière.

J'ai fait voir, messieurs, que, si l'Angleterre est entrée partiellement dans la voie de la liberté commerciale, que si elle a même réussi à certains égards dans l'adoption de ce système, elle n'a pas eu le même succès en toutes choses ; et il est à remarquer que, lorsqu'elle a reculé c'était principalement quant aux marchandises qu'elle avait exemptées de droits d'entrée. J'ai cité le coton, le lin et la laine, en comparant les années 1845 et 1854.

(page 1123) J’ai cité un article dont on avait parlé dans cette discussion, l'article toiles en fil de main fabriquées en France, quant à la spécialité des batistes ou des toiles de Cambrai.

Cette marchandise, ai-je dit, a été introduite en Angleterre, en 1855, pour une valeur d'à peu près 5 millions de francs.

Depuis que le droit a été levé sur certains produits étrangers, on a vu que l'Angleterre a eu beaucoup de peine à soutenir la concurrence contre l'étranger quant à quelques-uns de ces produits.

Messieurs, on a parlé de l'industrie linière à plusieurs reprises dans la discussion actuelle. On a fait entendre qu'il est temps de l'affranchir aussi de tout droit, on a dit que le régime des traités sous lequel nous vivons avec la France est devenu sans importance et qu'on pourrait l'abandonner sans danger.

Je dois reconnaître, messieurs, que par suite de différentes circonstances et par suite notamment de plusieurs mesures prises par le gouvernement, on a réalisé des progrès très importants dans cette industrie ; mais ces progrès ne sont pas encore assez grands dans toutes les branches de cette industrie, pour qu'elle puisse se passer de tout droit protecteur. Ainsi nos filatures, certes, ne pourraient pas lutter contre les filatures anglaises ; quelques-unes peut-être pourraient soutenir la concurrence quant à certaines spécialités ; mais toutes ne pourraient pas la soutenir et je crois qu'il n'en est aucune qui pût la soutenir pour toutes les catégories de produits.

Il est bien à remarquer qu'il y a une grande différence entre les filatures. Les unes sont dans la prospérité, les autres languissent plus ou moins.

Quant au blanchiment, on a fait des progrès aussi ; mais il est encore très difficile de soutenir, relativement aux prix combinés avec la qualité de blanc, la concurrence de l'Angleterre.

Le tissage est très avancé en Belgique. Nous avons, a-t-on dit souvent avec raison, nous avons les premiers tisserands du monde, et, sous ce rapport, nous pourrions rivaliser avec tous les peuples producteurs ; mais il est à remarquer que depuis quelque temps le tissage mécanique, le tissage à la vapeur a fait de très grands progrès en Angleterre et les progrès de cette espèce de tissage, en Belgique, ne sont pas encore à la hauteur nécessaire pour que dans cette spécialité nous puissions soutenir la lutte contre l'Angleterre, surtout quand on considère que ce pays dispose, pour cette industrie comme pour toutes les autres, d'immenses capitaux.

On a beaucoup parlé de l'application de l'article 40 de la loi sur les entrepôts. Un honorable membre, dans la séance d'avant-hier, n'a pas craint de dire : « Il faudra, dans peu de temps, abandonner cette mesure. »

Messieurs, je crois que de toutes les mesures qui ont été prises par le gouvernement en faveur de l'industrie linière, celle-ci a été une des plus efficaces. D’un côté, il est vrai, on exagère la portée de cette mesure, et d'autre part, on voudrait faire comprendre que la mesure est mauvaise et qu'il faut y renoncer.

Messieurs, restons dans le vrai. La mesure a été utile en ce qu'elle nous a ouvert des marchés nouveaux que nous ne pouvions pas aborder auparavant, soit à cause de l'infériorité de certaines catégories de nos produits, soit à cause aussi de l'élévation de nos prix : en ouvrant des marchés étrangers, principalement les marchés transatlantiques à cette espèce de produits, la mesure a réalisé un autre avantage, en ce que, ces marchés étant connus, les industriels belges ont pu y envoyer d'autres produits liniers, car vous savez qu'en matière de commerce un produit entraîne l'autre.

Mais la portée de la mesure due à l'honorable M. Rogier et dont l'industrie lui a su gré avec raison, a été exagérée sous plusieurs rapports. D'abord, on a fait entendre qu'il n'y avait presque plus d'exportations sur les marchés étrangers hors de France, si ce n'est au moyen de l'emploi du fil anglais. C'est là une grande exagération.

Dans un ouvrage que M. Romberg a publié récemment, l'auteur estime que la fabrication du tissage s'est exercée en Belgique sur une quantité de 15 millions de kilog., tant pour le marché intérieur que pour les marches étrangers.

Eh bien, pour quelle quantité le fil anglais est-il entré dans cette fabrication ? Il y est entré pour une quantité qui n'excède pas un trentième. Depuis que la mesure a été mise en vigueur, il n'est entré que 500,000 à 600,000 kil. par année, et nos exportations générales ont augmenté, tandis que l'emploi du fil anglais pour les exportations a plutôt diminué, car l'introduction du fil anglais, qui en 1855 était de 580,000 kil. est descendue en 1856 à 518,000 kil.

Les exportations ont augmenté de 1855 à 1856 dans la proportion d'un tiers à peu près ; les exportations générales de toiles étaient en 1835 de 2,580,000 kil., et en 1856 de 3,232,000 MI.

Ainsi, d'un côté, il y a diminution dans l'introduction du fil anglais destiné à être exporté sous forme de toile ; et de l'autre augmentation dans les exportations générales.

L'application de l'article 40 de la loi sur les entrepôts a produit entre autres un effet excellent en ce qu'il a contribué à développer nos propres filatures par le stimulant de l'emploi partiel d'un produit étranger.

Messieurs, on a qualifié dans la dernière séance cette mesure de libre-échangiste. Je ne sais pourquoi on l'a qualifiée ainsi ; si cela était, il faudrait supposer que l'introduction du fil anglais a pu restreindre l'emploi du fil indigène.

Il n'en est rien ; car à l'intérieur la chose est impossible ; sur le marché français c'est encore impossible ; et quant aux marchés étrangers sur lesquels les fils anglais sous forme de toiles peuvent être exportés par nous, nous n'y exportions guère de toiles belges auparavant. Ainsi, cette mesure n'a pas restreint l'emploi du fil belge pour l'étranger ni à l'intérieur ; elle a été un stimulant à nos filatures et a contribué à leur développement aussi bien pour la consommation intérieure que pour l'exportation.

On ne peut donc pas dire que c'est une mesure libre-échangiste ; elle n'a rien de commun avec le libre-échange ; elle a protégé d'une manière efficace notre industrie.

L'honorable M. Prévinaire a parlé de fraudes auxquelles cette mesure donnerait lieu. Il faudrait apporter des preuves à l'appui de pareilles allégations, il faudrait citer des faits. Y eût-il quelques fraudes, ce ne serait pas une raison pour condamner la mesure ; en Angleterre il y a fraude aussi sur les drawbacks qui ont beaucoup de rapport avec la mesure dont il s'agit. Drawbacks pour les vins par exemple et pour d'autres produits ; les fraudes auxquelles on sait ne pas pouvoir échapper complètement, ne sont pas une raison suffisante pour que l'Angleterre renonce à cette mesure.

Le bien est général et le mal est partiel ; il faut tolérer un mal partiel en présence d'une utilité générale. Encore faudrait-il constater les faits de fraude.

J'ai pris à cet égard des informations dans ma localité ; j'ai voulu savoir jusqu'à quel point la douane aurait pu constater des faits de fraude ; d'après les renseignements que j'ai reçus, au bureau de douane de Courtrai, il n'a été constaté en 1856 aucun fait de fraude. La douane, cependant, n'a aucun intérêt à la laisser faire ; au contraire, elle a intérêt à la réprimer. Il a été déclaré en exportation au bureau de Courtrai, en fils anglais, 145,000 kilog. et, en fils belges, 950,000 kilog. Voilà le chiffre des exportations par le bureau de Courtrai. Et l'on n'y a pas constaté de fraude ; car la quantité déclarée à l'exportation correspond à cette qui avait été déclarée à l'importation.

D'ailleurs, les fabricants belges n'ont pas d'intérêt à frauder, en exportant comme on le suppose, du fil belge à la place du fil anglais déclaré à l'importation.

En effet, ils devraient nécessairement réintégrer à l'entrepôt la quantité déclarée à l'importation. Eh bien, ce fil belge converti en toile entrerait alors en concurrence sur le marché étranger avec le fil anglais. Or, comme celui-ci est moins cher, on devrait subir sur le fil belge une réduction pour pouvoir vendre la marchandise. On perdrait à l'étranger sur le fil belge ce qu'on gagnerait en Belgique sur le fil anglais. En d'autres termes, on perdrait d'un côté ce qu'on gagnerait de l'autre. Il n'y a donc pas de raison pour se livrer à ce trafic frauduleux. La fraude n'existe que dans l'imagination de ceux qui combattent, sans la connaître à fond, l'application de l'excellente mesure dont je viens de parler.

Messieurs, il est un autre point dont j'ai dit un mot tout à l'heure et sur lequel je dois revenir, parce qu'on est tombé dans une grave erreur dans une des séances précédentes.

L'honorable M. Osy, en parlant du traité conclu avec la France, en fait fort peu de cas et a fait entendre que les effets de ce traité étaient devenus pour ainsi dire insignifiants. Il vous a parlé des exportations que nous avons vers l'Allemagne et il a paru mettre le chiffre de ces exportations au-dessus du chiffre des exportations que nous avons vers la France. Ce sont là autant d'erreurs. Les exportations vers la France, sous le régime de faveur, sont encore considérables et la France est toujours notre premier marché. Depuis la conclusion du dernier traité, la France est entrée pour les deux cinquièmes au moins dans nos exportations générales et l'année dernière à peu près pour un tiers. Sur 3,232,000 kilog. de toile que nous avons exportés, la France nous en a pris un million, tandis qu'en 1855 ce même pays n'avait reçu des toiles belges que pour 861,000 de kilog.

Quant à l'Allemagne, ce marché ne vient qu'en troisième ligne. Le marché hollandais vient en seconde ligne ; il a atteint en 1855, 494,000 kilog. et le marché allemand 340,000 kilog. seulement. Tous les autres marchés réunis n'ont pris en 1855 que 440,000 kilog. de nos toiles.

A-t-on voulu parler des fils et des toiles blanches, je n'en sais rien, mais pour ces deux articles l'Allemagne est sur le même rang que la France. Ainsi sous aucun rapport on ne peut comparer l'Allemagne à la France.

La France est toujours notre premier marché et entre pour une partie très notable dans nos exportations.

Je dois cependant faire observer que nos exportations en général augmentent dans une proportion plus grande encore que nos exportations vers la France. C'est là un résultat qu'on doit constater et qui est des plus heureux.

Messieurs, une autre preuve des progrès réels qui se remarquent dans l'industrie linière, et qui fait voir que les mesures qu'on a prises ont été efficaces ; c'est l'augmentation du nombre des broches des filatures. Ce nombre a considérablement augmenté de 1846 à 1855. En 1846 on comptait 94,000 broches dans l'ensemble des filatures belges ; en 1855 on en comptait à peu près 140,000.

Messieurs, il n'est pas question, pour le moment, de toucher au tarif en ce qui concerne l'industrie linière, je le sais, et je ne veux pas dire que cette industrie ne puisse pas subir un régime plus libéral. Mais, souvent, lorsqu'on parle de cette industrie, on exagère les choses et (page 1124) l'on tombe dans des erreurs très graves telles que celles que je viens de signaler à l'attention de la Chambre. Ces erreurs, si elles n'étaient pas relevées, auraient plus tard de fâcheuses conséquences.

Messieurs, il en est de cette industrie comme de toutes les autres. Les mesures brusques en matière de douane, pourraient être très nuisibles, principalement quant aux filatures.

L'immobilité cependant, comme l'a dit dans une séance précédente l'honorable ministre des finances, est une chose impossible. Mais il est à remarquer, que lorsqu'on marche trop vite, lorsqu'on touche d'une manière téméraire au tarif, on alarme non seulement l'industrie qu'on frappe, mais aussi les autres industries, par la perspective de pareils changements. Ainsi il faut bien reconnaître que nous n'avons pas encore assez de filatures de lin en Belgique, que ces filatures ne sont pas encore assez développées. Il y a de nos villes telles que Courtrai, par exemple, qui n'ont pas encore établi de filatures. Eh bien ! lorsqu'on va à la source, lorsqu'on examine les raisons qui ont détourné les industriels de consacrer leurs capitaux à l'érection de pareils établissements, on demeure convaincu que cela est dû principalement à l'instabilité de notre régime de douane, en ce qu'on n'est jamais sûr du lendemain. C'est là une raison pour laquelle on n'a pas osé faire en Belgique tout ce qu'on aurait dû faire. Preuve que l'on ne peut toucher au tarif que d'une manière très prudente.

La principale question, messieurs, qui s'est agitée dans cette discussion, c'est celle qui est relative à la houille. Permettez-moi d'en dire aussi deux mots. Le ministère propose un droit de 1 fr. 40 c ; la section centrale en propose un de 83 centimes.

Le principe que je viens d'articuler reçoit ici son application ; c'est-à-dire qu'on doit procéder avec prudence dans cette matière comme dans toutes les autres qui concernent l'industrie.

On a dit dans la séance d'avant-hier que, dans tous les cas, nous sommes sûrs du débouché français pour les houilles. Messieurs, je crois qu'on ne peut pas parler d'une manière aussi absolue. La France a besoin de nos houilles, a-t-on dit. La France a besoin de houille, c'est vrai ; elle a besoin de houille étrangère, c'est encore vrai. Mais si la France entrait dans le système de plus en plus préconisé de nos jours, dans le système du droit commun, si la France, par exemple, adoptait, je suppose, le droit unique de 2 fr., n'est-il pas évident qu'elle ouvrirait la porte à la houille anglaise, que celle-ci repousserait la houille belge et la refoulerait peut être en deçà de Paris ; que nous perdrions, par conséquent, sur le marché français une énorme partie de nos exportations actuelles.

Ensuite, par la supériorité du droit commun relativement au droit de faveur, on stimulerait aussi, dans certaines localités, l'exploitation des houilles françaises.

De plus, si l'on procédait graduellement dans l'adoption du droit commun en France, on ne froisserait pas d'une manière notable les industries.

D'une part, on satisferait une certaine opinion qui demande le droit commun, et, de l'autre, on favoriserait, par l’élévation du droit, l'industrie des houilles françaises, tandis que la fabrication ne serait pas froissée en général, parce qu'en perdant les facilités qu'elle a aujourd’hui de recevoir les houilles belges, elle gagnerait du côté de l'Angleterre.

C'est là une mesure, messieurs, que la France pourrait adopter sans se faire tort, au moins sans se faire un tort considérable. On ne peut donc pas dire que la France, dans tous les cas et à toutes les conditions, a besoin de nos houilles.

Par les raisons que je viens d'expliquer et par celles qui ont été alléguées par d'autres orateurs, le droit de 1 fr. 40 c. me paraît devoir être adopté.

Mais c'est un droit trop élevé, dit-on, parce qu'il s'agit d'une matière première. J'ai déjà fait voir qu'en Angleterre même il y a des matières premières qui sont aujourd'hui taxées d'un droit de 10 p. c. Tel est le bois.

On a invoqué aussi les besoins de la population ; on a prétendu que les besoins surtout de la classe pauvre s'opposaient à un droit aussi élevé. Mais je rappellerai que M. le ministre des finances vous a fait voir que par l'admission de la houille anglaise, le trésor ferait une perte. Eh bien, perte pour perte ; s'il s'agissait de devoir faciliter l'achat de la houille par la classe indigente, je préférerais voir réduire les tarifs des péages plutôt que d'accepter a un droit trop bas les houilles étrangères.

Je crois donc que telle doit être la conclusion, si nous voulons être prudents en cette matière.

Messieurs, j'ai cru devoir expliquer ma manière de voir à cet égard ; j'ai voulu répondre aux objections qui avaient été faites, notamment en ce qui concerne des branches d'industrie particulièrement exercées dans l'arrondissement que j'ai l'honneur de représenter ici.

M. Rodenbach. - Messieurs, je suis d'avis que dans notre pays nous ne pouvons pas admettre un système exclusif de libre-échange ni un système exclusif de protection. Je crois que ce qu'il faut à la Belgique, c'est un système de fait.

Il faut que notre tarif soit modifié selon l'intérêt et les besoins du pays.

Quel mal, depuis trois ans, a fait la libre entrée du charbon ? Aucun. La prospérité de nos houillères n'a pas diminué. Peut-être même que cette libre entrée d'une centaine de mille d'hectolitres de houille, car le chiffre ne vaut pas la peine d'être cité, a eu pour effet d'empêcher une hausse plus forte sur la houille belge. C'est peut-être le seul bien qu'a produit cette minime importation de houille qui a servi à la consommation d'Ostende, Bruges, Roulers, Thielt et une grande partie de la Flandre occidentale.

Je persiste à croire, messieurs, que le système douanier dans notre pays ne doit pas être toujours le même.

Ainsi, lorsque en Belgique un article est excessivement cher, fût-ce le charbon ou toute autre matière, il faut modifier le tarif douanier et armer le ministère de manière à lui permettre d'arrêter la crise.

C'est ici le cas. La houille se vend aujourd'hui hors des portes de Bruxelles 21 francs les 1,000 kilog, tandis qu'il y a peu d'années elle ne se vendait que 14 francs les 1,000 kilog. ; c'est une hausse d'un tiers.

S'il y a une crise dans l'industrie des houilles, je veux bien admettre le droit d'entrée de 1 fr. 40 c. par mille kilog. que nous propose le gouvernement.

Mais en attendant que cette crise arrive, je veux la liberté, je veux pour la houille l'application du principe du libre-échange.

Messieurs, la première de toutes nos industries aujourd'hui et l'industrie la plus prospère, c'est l'industrie houillère. D'après des rapports que j'ai eu, sous les yeux, elle se monte à 104 millions, l'extraction s'élève à au-delà de 100 millions d'hectolitres, qui, au prix moyen d'un franc par hectolitre, représentent un bénéfice de 20 p. c ; il faut reconnaître, messieurs, que c'est là un bénéfice fort « honnête ».

D'honorables membres ont parlé d'une moyenne de 5 p. c ; mais d'après des rapports que je crois officiels, le bénéfice est de plus de 20 p. c. depuis un certain laps de temps. Messieurs, les libre-échangistes et les protectionnistes ont, depuis plusieurs jours, parlé dans cette enceinte avec beaucoup de lucidité et de bon sens ; ils nous ont donné d’excellents arguments. Mais je répondrai à ceux qui ont dit que l'Angleterre avait sept ou huit fois plus de houille que nous ; je leur répondrai que la Belgique produit dix fois autant de houille que la France et sept fois moins que l'Angleterre ; mais proportionnellement à la surface, la Belgique fournit près de vingt fois autant que la France et la moitié de plus que le Royaume-Uni.

Je répète, messieurs, que pour le moment, nous devons admettre le principe de liberté pour l'entrée de la houille et je crois aussi qu'il faut cesser de dire : Je suis libre-échangiste, je suis protectionniste ; notre position vis-à-vis des grandes puissances exige que nous ayons un système à nous, le système de fait comme je viens de l'énoncer.

Je me bornerai, messieurs, à ces peu de mots dans la discussion générale.

M. David. - Messieurs, depuis bien des années nous étions tombés d'accord sur le meilleur système douanier à appliquer en Belgique ; depuis bien des années tout le monde était d'accord sur ce système qui devait consister dans la libre entrée complète des matières premières et dans l'abaissement successif du tarif douanier pour les objets fabriqués.

Je croyais, messieurs, que nous étions encore d'accord dans le moment actuel, et je n'avais pas pensé à prendre la parole dans cette discussion ; je crois même que je ne l'aurais pas prise sans le discours de l'honorable M. Desmet et celui de l'honorable M. Osy.

L'honorable M. Desmet a été d'une injustice telle à l'égard de quelques-uns des honorables promoteurs de la réforme douanière qui ont organisé des meetings dans ce pays, à l'égard de quelques personnes que je connais particulièrement, qu'il m'est impossible de ne pas lui répondre sous ce rapport. D'un autre côté, il a commis quelques erreurs que je dois relever en passant.

L'honorable M. Desmet traite les promoteurs de la réforme douanière qui se donnent la peine de réunir de ; meetings dans les différentes villes de la Belgique,, il les traite d’agents, de commissionnaires des Anglais ; il les traite de gens inconnus, de gens sans position ; il dit qu’ils ont été recevoir leur éducation au rivage et, si je ne me trompe, lorsqu'à Gand on dit « au rivage » cela signifie parmi les portefaix.

Messieurs, les honorables industriels de Verviers, qui se rendent à ces meetings sont des jeunes gens qui appartiennent à nos premières familles, des jeunes gens qui ont reçu une parfaite éducation, une éducation soignée.

Ce sont des industriels notés comme premiers numéros chez les banquiers, S'ils se rendent dans les différentes localités du pays pour y propager la réforme douanière, ce n'est réellement que par dévouement au bien-être et à la prospérité de la Belgique. L'honorable M. Desmet, loin de les nommer amis des Anglais, aurait dû les désigner comme leurs plus acharnés adversaires ; s'ils ne craignent pas la libre entrée en Belgique des produits anglais, c'est la preuve que sur les marchés étrangers, ils sont parfaitement capables de soutenir la lutte avec les Anglais. Ainsi loin d'être amis des Anglais, ils sont leurs ennemis les plus mortels, ils vont leur faire concurrence sur tous les marchés du monde avec leurs admirables produits.

Quant aux erreurs que l'honorable M. Desmet a commises, en voici, messieurs, quelques-unes.

Il a prétendu que personne en Belgique ne réclamait la réforme douanière. Mais il donne là un démenti aux 8,000 à 9,000 signatures des (page 1125) pétitions qui ont été adressées à la Chambre depuis assez longtemps, et à tous les consommateurs et aux milliers d'industriels qui partout demandent la réforme.

L'honorable membre vient nous inventer une crise industrielle en Angleterre. Est-ce parce qu'il y a à Londres, ville de plus de 2 millions d'habitants, 40,000 maçons, tailleurs, cordonniers, ouvriers de ville sans ouvrage, à cause de la saison d'hiver, ou qui plutôt ont voulu faire une démonstration contre les Workhouses, est-ce pour cela qu'il croit qu'il y a une crise industrielle en Angleterre ? Ceci n'est que local, et réellement il n'y a crise dans aucune grande industrie de ce pays.

L'honorable M. Desmet prétend encore qu'aucune de nos industries n'est trop fortement protégée.

Mais l'honorable M. Desmet est de Gand, il sait que certaines étoffes de coton sont chargées de 50 p. c. de droits d'entrée : en effet 400 kilogrammes tissus de coton, évalués 600 fr. payent 300 fr. de droits d'entrée ; c'est bien 50 p. c. de la valeur et assez exorbitant comme cela.

L'honorable M. Desmet nous fait dire qu'il n'existe plus de droits d'entrée en Angleterre ; nous n'avons jamais prétendu cela. Nous avons toujours avancé qu'en Angleterre à peu près toutes les matières premières sont admises sans droits et que plus on a réduit les droits d'entrée sur les objets de grande consommation plus les recettes des caisses du trésor public sont abondantes, tous les abaissements du tarif ont eu lieu dans ce but.

C'est par suite de ces réductions de droit à l'entrée, que l'honorable M. Desmet peut trouver ces 500 millions, produits par la douane. Sans ces réductions successives, jamais on n’aurait atteint ce chiffre si élevé.

En ce qui concerne l'honorable M. Osy, je ne puis non plus laisser passer sans réponse une phrase de son discours, qui laisserait supposer que l'industrie verviétoise craindrait la réforme douanière.

Il serait, messieurs, excessivement dangereux, il pourrait devenir nuisible à l'industrie de Verviers, à l'industrie de Dison, que cette pensée pût s'accréditer, que l'on pût croire que nous craignons la concurrence d'un autre pays quelconque. Ce serait là proclamer notre infériorité, tandis que nous prétendons être arrivés à un très haut degré de perfection dans notre industrie.

C'est un honneur, messieurs, pour Verviers, d'avoir provoqué ces réunions où s'agite la question de la réforme douanière. C'est de Verviers que l'élan est porté, de Verviers que les premiers promoteurs de la réforme sont sortis. Cela prouve toute la force, toute la vigueur de son importante industrie. Et si Verviers conseille aux autres de chercher à s'appliquer la réforme douanière, c'est que son industrie s'est fort bien trouvée du régime fort peu protecteur sous lequel elle a vécu jusqu'à présent et je vais avoir l'honneur, messieurs, de présenter l'historique de la position de Verviers depuis une date assez reculée, pour vous faire voir que, sauf à partir de 1838, les produits de Verviers. ont été extrêmement peu protégés.

C'est précisément à ce manque de protection que nous devons, d'après moi, les progrès incessants que notre industrie, de la laine a dû faire.

On a prétendu, messieurs, que les industriels de Verviers ne veulent pas de la réforme douanière ; si, on la veut, mais à des degrés plus ou moins larges. Voici ce qu'on pense.

Il y a à Verviers un certain nombre de fabricants qui proclament qu'ils sont prêts à admettre tous les produits étrangers ou concurrence avec les leurs, indemnes de tout droit d'entrée.

Ceux-ci forment une partie de nos fabricants. Une seconde fraction, et celle-là est très nombreuse, se contente d'un droit de 5 p. c. à la valeur à l'entrée ; une autre fraction demande 10 p. c. et 10 p. c. c'est convenu, constituent encore un droit fiscal ; 8 à 10 p. c, voilà ce que nous avons toujours demandé à la Chambre pour les produits fabriqués, nous qu'on appelle libre-échangistes et qu'on accuse de vouloir bouleverser l'industrie du pays.

La chambre de commerce de Verviers se prononce également pour un droit de 8 à 10 p. c.

Voici le régime douanier qui a régi la fabrication des draps et étoffes de laine depuis le premier empire. Avant 1815, nous pouvions librement vendre nos draps et étoffes sur tout le continent européen, nous avions à lutter contre tout le monde, sauf contre l'Angleterre à laquelle le continent était complètement fermé ; jusqu'en 1815 nous concourrions avec la fabrication française, avec la fabrication allemande, en un mot, avec la fabrication de toute l'Europe ; eh bien, quand est survenue la chute de l'empire, à Verviers, on a regretté cet événement ; on avait fait de brillantes affaires malgré cette formidable concurrence et l'on s'est cru ruiné par le changement de régime survenu à cette époque. Il n'en a rien été cependant.

Par la loi du 3 octobre 1816, le droit d'entrée sur les draps et autres tissus de laine a été porté à 8 p. c. à la valeur. Ce droit n'était, en vérité, pas un droit prohibitionniste, c'était un droit fiscal. Une loi du 12 mai 1819 maintient le taux de 8 p. c. Une loi postérieure du 26 août 1822 modifie les bases de la perception ; mais le taux du droit de 8 p. c. est conservé ou à peu près. Voici le tarif, qui a été maintenu jusqu'en 1838 :

Tarif des draps du 26 août 1822

L'aune à 4 et au-dessous, fl. 40 les 100 kil.

L’aune de 4 à 8, fl. 70 les 100 kil.

L’aune de 8 à 12, fl. 100 les 100 kil.

L’aune de 12 à 16, fl. 120 les 100 kil.

L’aune de plus de 16, fl. 150 les 100 kil.

Casimirs

L'aune à24 et au-dessous, fl. 40 les 100 kil.

L’aune de 2 à 4, fl. 70 les 100 kil.

L’aune de 4 à 6, fl. 100 les 100 kil.

L’aune de 6 à 8, fl. 120 les 100 kil.

L’aune de plus de 8, fl. 150 les 100 kil.

En 1823, le roi Guillaume prit une mesure extrêmement restrictive à l'égard de la France. Les draps français furent prohibés à l'entrée par un arrêté royal du 23 août 1823. Ce régime, adopté comme mesure de représaille, a duré jusqu'en 1838. Nous avons maintenu pour tous les autres pays le droit d'entrée de 8 p. c. à peu près.

De 1815 à 1850 nos débouchés en Allemagne, en Italie ou dans d'autres pays du continent, ont commencé à nous faire défaut. Chaque pays a établi des droits pour ainsi dire prohibitifs à l'entrée des draps. Nous avons ainsi perdu, un à un les débouchés de ces pays. La France avait prohibé l'entrée des draps immédiatement après 1815. C'est ainsi que nous avons dû nous former une fabrication pour la consommation de la Hollande et de la Belgique et une fabrication pour la consommation des Indes hollandaises.

Quand la révolution de 1850 éclata, la Hollande et les Indes hollandaises nous furent fermées ; nous n'étions pas préparés à produire des marchandises propres à d'autres consommations que celle des trois pays que je viens d'indiquer.

A cette époque donc il y eut une crise qui dura près de 2 ans, jusqu'à ce que nous eussions trouvé de nouveaux débouchés. Nous dûmes faire les plus grands efforts pour pouvoir continuer nos affaires. Ces efforts furent couronnés de succès. Plusieurs jeunes gens appartenant aux meilleures familles voyagèrent à l'étranger pour chercher de nouveaux débouchés ; on adapta la fabrication aux soins de l'Amérique, de la Chine et d'autres pays d'outre-mer ; on a réussi, et du 1832 à 1833 les affaires reprirent leur cours ordinaire.

Le tarif de 1822 qui avait établi sur les draps étrangers un droit de 8 p. c, fut modifié en 1838. En 1853, on adopta pour tous les draps en général un droit d'entrée de 250 fr. par 100 kilog. ; seulement les draps français avaient à payer une surtaxe de 9 p. c, comme compensation de la prime de sortie que le gouvernement français allouait aux draps français exportés. Cette prime était encore très favorable aux fabricants français, malgré les 9 p. c. de surtaxe qui devaient lui servir d'équivalent à l'entrée en Belgique.

Cela se comprend, car lorsqu'un fabricant français faisait entrer en France de la laine, il évaluait cette laine infiniment en dessous de sa valeur, et les 22 p. c. qu'il aurait dû payer étaient réduits à 10 ou à 12 p. c ; et quand il déclarait des draps à la sortie, il les estimait beaucoup au-dessus de leur valeur, de manière que les 11 p. c. de prime de sortie équivalaient à 18 ou 20 p. c.

D'un autre côté, le tarif de 250 francs par 100 kilog. pour toutes les qualités de drap, qui a été adopté en 1838, ne représente que 5 p. c. pour les draps fins ; que 8 à 12 p. c. pour les draps moyens qui se fabriquent le plus dans notre arrondissement, mais pour les draps ordinaires, ce droit d'entrée équivaut de 12 à 30 p. c. C'est de ce moment, et pour les qualités ordinaires seulement, que le tarif est devenu réellement exagéré.

Eh bien, pour le dire en passant, ce sont précisément les fabriques de draps ordinaires qui ont fait le moins de progrès ; nos draps fins peuvent marcher de pair avec les draps fins de tous les pays, et nos draps de moyenne finesse sont préférés sur tous les marchés. On fabrique dans notre arrondissement à peu près deux tiers de draps fins et moyens et un tiers de draps ordinaires.

En 1845, à la suite du traité de commerce avec la France, la surcharge de 9 p. c. fut abolie. A cette époque ceux de nos fabricants qui avaient pensé que cette surcharge leur avait été profitable et qui avaient fait peu de progrès, crièrent à la ruine ; ils employèrent toute espèce de moyens pour que la surcharge ne fût pas abolie. Eh bien, en fait, l'abolition a été favorable à l'amélioration de la fabrication dans l'arrondissement de Verviers ; on s'est évertué de toutes façons ; afin de progresser ; les résultats des efforts qu'on a faits l'ont prouvé, il y a eu une augmentation constante de production, l'agrandissement des établissements en est la démonstration.

En 1845, nous avions, dans l'arrondissement de Verviers, 300 assortiments de filatures ; en 1852, il y en avait 395 et en 1856, 426.

La statistique des importations et des exportations vient corroborer ce qui précède.

En 1845 l'importation pour la consommation a été de 831,688 fr., et les exportations de 14,312,804 fr.

En 1855 l'augmentation de l'importation n'a été que de 200 mille fr. seulement, elle montait en tout à 1,082,000 francs ; par contre les exportations se sont élevées à 20,202,000 fr.

En 1856 l'augmentation des exportations est de nouveau très importante. Je n'ai pu en faire le relevé.

(page 1126) Les expositions de Londres et de Paris ont encore prouvé que nous n'avions rien à craindre de la part de nos concurrents. Lorsqu'un Verviétois entrait à l'exposition de 1855, il était tout naturellement et immédiatement entraîné vers les compartiments contenant les articles similaires des produits de sa localité ; tous les exposants avaient, au moyen d'étiquettes, indiqué les prix de leurs produits sur les pièces. Les fabricants français par courtoisie sans doute n'avaient pas pris cette excellente mesure. On quittait tous les étalages, rassuré sur l'avenir de l'industrie de Verviers, quoiqu'il y eût des produits magnifiques de tous les pays. Mais arrivé aux draps saxons, le premier mouvement était de les admirer et d'en trouver les prix extrêmement bas, plus bas que les nôtres ; pour s'assurer de leur réalité et savoir à quoi s'en tenir, on s'est rendu au bureau saxon (car comme vous le savez, il y avait un bureau de renseignements pour les exposants de chaque nation), et plusieurs d'entre nous ont été proposer de très fortes commandes sur les prix affichés ; on a refusé de les exécuter à moins d'une augmentation de 30 p. c. sur les prix cotés.

Voilà à quoi nous en sommes à Verviers.

Quant à l'industrie du fil de laine ; industrie qui n'est exploitée à Verviers que depuis 1840, les progrès sont bien plus extraordinaires encore que pour la fabrication des draps ; dès le début le droit d'entrée fut fixé à 60 francs par 100 kil.

La filature de la laine cardée avait prospéré jusqu'en 1843, on porta alors le droit d'entrée de 60 à 120 francs, ce régime dura jusqu'en 1845, époque à laquelle intervint notre traité avec la France ; eh bien, de 1843 à 1S45 il ne s'est formé aucun établissement nouveau pour la filature de la laine cardée ; en 1845, on ramena le taux du droit d'entrée de 120 fr. à 60 fr. : les fabricants réclamèrent ; à les entendre, ils allaient être ruinés ; heureusement on ne les écouta pas, ils firent de nouveaux efforts et leur industrie alla en grandissant davantage, vous allez le voir :

En 1843 il n'existait que 40 assortiments pour cette filature, 84 en 1852 et en 1856 le nombre en était déjà arrivé à 122.

Maintenant la statistique confirme ce qui précède. La voici pour les fils de laine écrus et non tors, dégraissés, blanchis, lors et teints :

(le tableau statistique inséré aux Annales parlementaires n’est pas repris dans la présente version numérisée)

Le progrès est encore incessant ; bientôt la statistique, pour 1856, viendra le prouver.

Je crois que si la fabrication du coton avait été autant stimulée que la fabrication des draps et des étoffes similaires, elle n'en serait plus à réclamer 50 p. c. de droit d'entrée sur ses produits.

La statistique, du reste, devrait faire comprendre à ces messieurs les fabricants de Gand, que la protection leur devient chaque jour moins nécessaire.

C'est ainsi que les importations de coton blanchi imprimé, et teint en 1845 s'élevaient à 3,100,000 fr. et les exportations à 6,951,022 fr. ; en 1855 les importations sont tombées à 2,500,000 fr. tandis que les exportations sont montées à 9,100,000 fr. En dix années les exportations ont augmenté d'un tiers. Une industrie qui fait de tels progrès peut renoncer à une portion des droits qui pèsent sur les objets qui rentrent dans sa fabrication.

L'honorable M. T’Kint de Naeyer s'oppose à toute réduction de droits sur les produits qu'elle fabrique, parce que, dans les moments de crise, selon lui, le pays serait inondé des produits anglais,et, pour prouver la vérité de son assertion, il a cité l'année 1848, mais sans indiquer de chiffres ; s'il avait cité les chiffres des importations en cette année, ils lui auraient donné un démenti.

Il a dit que la Belgique avait été inondée de cotons anglais qui avaient été vendus à vil prix. D’après des documents officiels, la statistique commerciale, il n'en est pas ainsi ; l'importation des cotons blancs imprimés et teints est même limitée, en 1848, au-dessous de la moyenne ordinaire ; on n'en a importé que pour 1,260,181 francs, tandis qu'on en exportait encore pour 4,030,000 francs.

Il ne faut pas, en ce qui concerne le continent, craindre les crises à l'égal de ce qui se passe en pays étranger. Il est certain que, quand une crise éclate en France ou en Angleterre, elle n’est pas locale, mais envahit aussitôt toute l’Europe. Alors in aurait beau avoir des marchandises à vendre, on ne trouverait pas d’acheteur ; car lorsqu’il y aura une crise en Angleterre, elle sévira également en Europe et en Belgique. Il n’en est pas de même pour les pays transatlantiques.

En attendant qu'une crise qui se déclare en Europe se fasse sentir dans ces pays, on a encore le temps d'y bloquer une certaine quantité de marchandises. Mais, pour l'Europe, il n'y a pas possibilité matérielle qu'il en soit ainsi ; les affaires sont anéanties partout simultanément.

En son temps, lorsque le gouvernement vous présentera le reste du projet de réforme douanière en ce qui concerne les articles fabriqués, nous aurons à revenir sur la quotité des droits d'entrée qu'il conviendra d'établir sur ces produits.

Occupons-nous maintenant d'une des matières les plus indispensables à toutes les industries de notre pays, c'est-à-dire, de la houille. A mon sens, la houille doit être complètement libre à l'entrée en Belgique. Contrairement à ce qu'a dit l'honorable M. Desmet, tout le pays réclame cette réforme.

On vient encore, dans la séance de ce jour, d'analyser une pétition de la chambre de commerce d'Anvers demandant la liberté complète d'entrée des houilles.

Je ne me dissimule pas que même cette liberté d'entrée aura bien peu d'effet sur le prix de la houille. Il est probable que cette mesure ne suffira pas. S'il en était ainsi, nous serions obligés d'avoir recours à une mesure plus radicale, à décréter la libre entrée des fers. Ce sont les hauts fourneaux qui emploient le plus de houille. Ce sont eux qui sont cause des hauts prix. Si la libre entrée des houilles ne suffit pas pour amener une réduction dans les prix, nous serons obligés d'aller plus loin, et nous faisons nos réserves sous ce rapport.

La libre entrée des houilles peut être admise sans danger ; car, remarquez-le bien, si la houille n'a pas à payer de droits d'entrée, elle a à supporter des frais de transport considérables, de chargement, de déchargement, de commission ; elle se brise, il y a beaucoup de déchet, tout cela équivaut à un taux très élevé des droits d'entrée.

Lorsqu'on parle du prix de la houille, on le fait d'une manière générale, et l'on n'a garde de vous dire qu'en Angleterre et en Belgique il y a du charbon gras, du charbon demi-gras et du charbon maigre. On vous dit un prix, sans vous dire s'il s'agit de charbon gras ou de charbon maigre. Vous savez tous cependant que quand en Belgique le charbon gras vaut 14 fr., le charbon maigre se vend 5 ou 6 fr.

L'Angleterre n'a pas trop de charbon gras pour le coke, employé dans les gazomètres. Elle n'en exporte pas. Ce qu'elle exporte c'est du charbon pour les machines à vapeur, du charbon demi-gras ou maigre pour l'usage domestique. Lors donc qu'on fait des comparaisons, qu'on les fasse entre des charbons de même nature.

Quel mal y aurait-il donc à ce que l'Angleterre importât quelque peu de charbon pour l'approvisionnement du littoral où le charbon est si cher ?

Je ne crois pas que ce fût la mort des houillères de notre pays. Bien loin de là ; car si nous pouvions ainsi amener une baisse sur le prix, tout le monde y gagnerait, et les exploitants n'y perdraient pas ou y perdraient beaucoup moins qu'on ne pense. En effet, qu'arriverait-il si nous obtenions une baisse sur le prix du charbon ? L'industrie qui a le plus le rapport avec celle de la houille est l'industrie du fer. Pour faire un kilog. de fer, il faut deux kilog. de charbon gras. Si l'on obtenait une réduction sur le prix de la houille, immédiatement l'on pourrait obtenir la fonte à meilleur marché. Quel effet aurait cette réduction du prix de la fonte ? C'est que toutes les industries qui emploient la fonte, l'obtenant à meilleur compte, pourraient produire infiniment davantage, parce qu'elles seraient mieux à même de concourir sur les marchés étrangers avec les producteurs des pays limitrophes.

C'est ainsi que dans la province de Liège que je connais mieux que les autres, nous avons vu la clouterie arrêtée par le haut prix du fer et du charbon car non seulement lorsque la houille est chère, la matière première, le fer fondu, devient plus chère, mais on doit payer plus cher le charbon nécessaire à la manipulation du fer ; ainsi ces produits deviennent plus chers que ceux de nos voisins, et de l'Angleterre surtout.

Il en est de même pour les fabriques de tôles, de machines, d'armes, de chaudières.

Donc l'abaissement du prix de la houille est une mesure favorable à toutes les industries qui travaillent le fer. Vous auriez une plus grande consommation de charbon. Comment y aurait-il un ralentissement de la production des houillères ? Je ne pense pas que ce soit possible. Toutes les industries qui emploient des machines à vapeur travailleraient davantage et les pauvres qui ne se chauffent point ou se chauffent peu, parce que la houille est chère aussi en consommeraient davantage. Il résulterait de là une augmentation de production.

Je ne vois pas que les ouvriers pourraient souffrir de ce qu'il y aurait réduction des prix. Les exploitants devraient réduire tant soit peu leurs bénéfices, voilà tout. Un fait inouï s'est même produit, il y a deux ou trois ans que la houille était tellement rare que deux de nos fabricants ont dû faire venir du charbon de Mons pour leurs machines à vapeur à Verviers.

Je crois avoir prouvé qu'il n'y aurait pas ralentissement et que les exploitants ne souffriraient guère d'un abaissement du prix du charbon. Je crois même qu'ils n'en souffriraient pas du tout, car qu'arrive-t-il dans les moments où il se produit un abaissement de prix sur les produits des charbonnages ? Immédiatement on introduit des économies, des améliorations, on répare les machines défectueuses, on les remplace par de plus perfectionnées, on adopte des moyens d'exploitation plus rationnels, plus économiques ; on établit des voies de communication (page 1127) plus faciles dans l'intérieur des houillères, qui mettent à même de réduire le nombre des ouvriers, le nombre des chevaux.

C'est ce qui est arrivé en 1848. Nous avons eu à cette époque une crise, telle que la même génération n'en voit pas une seconde de même nature et dont on ne viendra pas, j'espère, argumenter, parce que j'en aurais fait mention.

En 1848, dans certaines houillères du pays de Liège, le prix de revient qui, quelques jours avant la révolution, était de 18 francs par charrée de Meuse, soit 2,300 kil. fut amené à celui de 12 francs après le 24 février 1848.

On y parvint en introduisant des économies et des améliorations telles, que le prix de vente, quoique tombé de 28 à 16 francs, donnait encore du bénéfice. Obtenir une réduction pareille dans les prix de revient, cela n'est pas aussi difficile qu'on le pense. Quoi qu'en dise l'honorable M. Wautelet, il existe peu de houillères en Belgique qui aient un système d'exploitation parfait ; il n'en existe probablement pas, et cela pour une foule de motifs. Ainsi, je demanderai à ceux qui s'occupent de ces sortes d'affaires, qui ils ont pour directeurs des charbonnages. Presque partout ce sont des ouvriers montés en grade qui sont devenus maîtres ouvriers et dont on a fait plus tard des directeurs ; des maîtres ouvriers qui peuvent avoir la pratique, mais qui n'ont aucune théorie ; qui connaissent même fort peu la partie des chiffres et du commerce.

D'un autre côté, l'école des mines de Liège ne nous a pas fourni jusqu'à présent un nombre suffisant de sujets pour que tous nos charbonnages puissent être dirigés par des jeunes gens capables. Un grand nombre des jeunes gens et souvent les plus capables qui sortent de cette école des mines sont immédiatement accaparés par l'étranger. Il ne nous en reste pas suffisamment. Il nous faut encore dix à quinze ans avant que dans nos charbonnages belges nous ayons obtenu toute la perfection possible. Car les jeunes gens qui sont sortis de l'école des mines de Liège et qui dirigent des houillères maintenant, n'ont pas encore l'expérience qu'ils auront d'ici à quelques années et la théorie sans la pratique ne vaut guère mieux que la pratique sans la théorie.

Par toutes ces raisons, je pense que nous pouvons sans rien craindre décréter dès aujourd'hui la liberté à l'entrée pour les houilles et charbons de tous les pays qui nous environnent.

L'honorable M. de Brouckere, pour combattre l'amendement que nous avons eu l'honneur de déposer, nous a dit que si nous avions décrété, il y a trois ans, la libre entrée du charbon, nous ne l'avions fait que d'une manière provisoire et poussés par les circonstances exceptionnelles de grande cherté.

Messieurs, à cette époque déjà nous nous attendions au raisonnement qu'on tient aujourd'hui. Nous savions bien que du moment où il y aurait amélioration, où il y aurait apparence de baisse sur les prix, on viendrait nous tenir le langage que nous a tenu l'honorable M. de Brouckere. C'est pourquoi, à cette époque, nous disions qu'il était indispensable d'avoir une loi définitive ; c'est pour cela que beaucoup de membres de cette Chambre ont demandé alors que la loi fût définitive.

Messieurs, je demanderai à l'honorable M. de Brouckere, si, depuis trois ans, il y a eu une baisse semblable sur le charbon. Je crois que s'il y a eu une baisse, elle est imperceptible. Je n'en entends parler nulle part.

Mais cette baisse existât-elle, je crois qu'elle serait de bien courte durée, et la libre entrée est aussi nécessaire qu'en 1853. J'ai lu, depuis quelques jours, les comptes rendus des assemblées des actionnaires de nos trois banques : de la Société Générale, de la Banque Nationale et de la Banque de Belgique.

Eh bien, quoi que nous ait dit l'honorable M. Osy, que la paix allait amener le calme dans les affaires, les directeurs et gouverneurs de ces établissements financiers se réjouissent de ce que la paix est stable, parce que, disent-ils tous, on va voir les affaires prendre un nouvel élan, un nouvel essor.

Ainsi nous n'avons pas à nous effrayer de la paix. Je crois que la paix, loin de nous amener un ralentissement dans les affaires, va au contraire donner une nouvelle activité à toutes les industries.

Afin de nous combattre facilement, l'honorable M. de Brouckere a prétendu que nous voulions la liberté commerciale entière, complète, que nous ne voulions absolument de droits sur rien : ce sont tout bonnement des moulins à vent qu'il s'est donné le plaisir de combattre. De tous temps nous avons demandé que les matières premières servant à nos industries fussent libres à l'entrée, mais que les objets fabriqués fussent grevés d'un droit fiscal de 3 à 10 p. e. ; et aujourd'hui encore nous maintenons ce taux.

On nous parle toujours de l'Angleterre. On nous dit que l'Angleterre n'est pas libre-échangiste, qu'elle a beaucoup d'objets qui sont encore tarifés. Messieurs, il est vrai qu'il existe encore des objets tarifés en Angleterre. Mais ils sont peu nombreux et dans tous les cas les droits d'entrée ne sont pas élevés et ne s'appliquent pas aux matières premières, et voici comment l'Angleterre comprend le mot matière première.

Je connais le drap mieux que tout autre article, je. le prendrai donc pour exemple. Eh bien, l'Angleterre considère le drap comme une matière première, parce qu'on ne peut porter le drap sans qu'il reçoive la façon du tailleur ; il est indemne de droit. Les couvertures de laine au contraire sont des objets fabriqués, parce qu'on peut s'en servir telles qu'on le achète. Elles payent un droit de 10 p. c.

Voilà comment en Angleterre on.distingue les matières premières des objets fabriqués.

L'honorable M. de Brouckere s'oppose également à la libre entrée du charbon, en argumentant du remboursement du péage de l'Escaut que nous avons à faire à la Hollande pour tous les navires qui arrivent par ce fleuve. Mais cette prime, si prime il y a, existe pour toutes les marchandises que nous importons. Pourquoi remboursons-nous les péages sur l'Escaut aux navires de toutes les nations, si ce n'est pour que l'Escaut soit entièrement libre ? Si, par un moyen quelconque, par des droits à l'entrée, par exemple, vous faites revivre indirectement le péage, vous portez de nouveau entrave à la liberté de l'Escaut. Eh bien, pour être conséquent, il faudrait que l'honorable M. de Brouckere allât encore un peu plus loin.

S'il craint la concurrence anglaise, il ne faut pas qu'il se contente d'apporter des entraves à la liberté de l'Escaut, mais il faut qu'il cherche à fermer cette voie navigable à la houille et aux fontes afin que les exploitants belges puissent dormir un peu plus tranquillement et ne plus redouter pour certaines parties du pays les agitations dont ils veulent nous faire un épouvantail.

L'honorable M. de Brouckere nous a dit que les importations de houilles anglaises augmentent d'une manière extraordinaire et il a pris pour base de ses calculs les quantités importées en janvier et en février dernier. D'après cela, messieurs, il dit que nous arrivons à 168,000 tonnes par an, si la progression continue sur le même pied.

Mais, messieurs, l'honorable M. de Brouckere sait parfaitement qu'en été la consommation de ce genre de charbon est excessivement réduite. En été, les importations de charbon anglais seront pour ainsi dire nulles, ses calculs ne peuvent donc être pris en considération. Il a ajouté que l'Angleterre n'ayant plus de charbon à fournir pour la navigation vers la Crimée, pourrait déverser ces quantités sur la Belgique ; si la guerre n'absorbe plus de charbon, il en faut davantage pour les dépôts à former aux Indes et partout en vue de l'extension croissante de la navigation à vapeur commerciale.

L'honorable membre nous a aussi parlé du fret. Il a dit que le fret tendrait à baisser depuis que la guerre d'Orient est terminée et qu'une quantité de navires sont devenus disponibles pour le transport du charbon.

Mais, messieurs, tout le monde sait que depuis quelques années le commerce s'est porté beaucoup plus loin qu'il y a maintenant un commerce extrêmement actif avec la Californie, avec l'Australie, avec la Chine, avec tous les pays lointains où jadis on faisait très peu d'affaires. Or, messieurs, pour ces voyages un navire emploie 5 ou 6 mois ; il ne peut faire qu'un voyage et demi ou, bien rarement, deux voyages par an.

Ainsi, messieurs, d'après cette tournure qu'ont prise les affaires et les voyages longs et lents des navires, il faudrait pour le fret baissât, qu'on eût construit une véritable flotte de navires nouveaux ; or, la construction des navires ne s'improvise pas (interruption), ni, comme on le dit à côté de moi, les matelots non plus, et le défaut de matelots sera bien longtemps encore un grave empêchement au développement de la marine marchande.

Messieurs, je crois avoir prouvé qu'il n'y a aucun danger à admettre la libre entrée des houilles. Je persiste dans l'amendement que j'ai signé avec quelques-uns de mes honorables amis.

Projet de loi réglant les conditions d’établissement et d’exploitation des télégraphes

Dépôt

M. le ministre des travaux publics (M. Dumon) présente un projet de loi ayant pour objet de régler les conditions de l'établissement et de l'exploitation des télégraphes.

- La Chambre ordonné l'impression et la distribution de ce projet et le renvoie à l'examen des sections.

Projet de loi portant acquisition des biens enclavés dans la forêt de Soignes

Dépôt

M. le ministre des finances (M. Mercier) présente un projet de loi relatif à l'acquisition faite au nom de l'Etat de 12 hectares 22 ares de bien enclavés dans la forêt de Soignes.

- Impression, distribution et renvoi aux sections.

Pièces adressées à la chambre

M. le ministre des finances (M. Mercier) dépose ensuite le rapport annuel sur l'administration de la caisse d'amortissement el des dépôts et consignations.

- Impression et distribution.

Projet de loi révisant le tarif des douanes

Discussion générale

M. Dumortier. - N'attendez pas, messieurs, que je vienne dans cette circonstance suivre l'honorable préopinant dans toutes les épluchures commerciales auxquelles il s'est livré. Je crois que le libre-échange a aujourd’hui fait son temps. En Belgique, c'est une question morte el définitivement enterrée ; il faut laisser à ses amateurs le plaisir de dire quelques mots sur sa tombe, c'est le chant du cygne, mais dorénavant le libre-échange est mort en Belgique.

Aussi longtemps qu'il ne se trouvait dans ce pays personne pour prendre la parole, en dehors de cette enceinte, en faveur de la protection due au travail national, les libre-échangistes avaient beau jeu ; (page 1128) quelques hommes ardents, actifs faisaient croire par leurs manifestations que le pays tout entier était devenu libre-échangiste, que subitement, dans un intervalle d'un an ou deux il était passé du blanc au noir ; mais il s'est constitué une association pour la protection du travail national à la formation de laquelle je me fais gloire et honneur d'avoir contribué et qui en peu de temps, a étendu, comme par enchantement, ses ramifications dans le pays entier.

Aussi les libre-échangistes qui nous parlaient sans cesse de spoliation, d'expropriation pour cause d'utilité publique, que sais-je, viennent aujourd'hui déclarer, dans cette discussion, que personne ne veut du libre-échange immédiat.

Voilà, messieurs, une reculade admirable que je me hâte de constater, que je suis heureux de reconnaître et dont je fais le plus grand honneur aux honorables membres qui ont prononcé cette maxime. Evidemment, ils ont vu qu'ils avaient été trop loin et aujourd'hui ils ne veulent plus le libre-échange immédiat dont ils parlaient comme d'un si grand bienfait il y a quelques mois à peine.

Cela est dû, encore une fois, à l'initiative des personnes honorables qui ont usé d'un droit constitutionnel en fondant une association protectionniste et qui, par ce moyen, ont fait comprendre à tous le danger qu'il y avait à subir le joug de cette petite minorité active et turbulente qui envoie des agitateurs dans toutes les provinces, je dirai même en certains cas des agents provocateurs lorsque c'est dans les villes de fabriques qu'ils viennent s'aventurer.

Le libre échange est, comme je l'ai dit, définitivement condamné, et, pour le présent, je n'abuserai pas des moments de la Chambre en venant l'en entretenir davantage.

Cependant, messieurs, je ferai remarquer quelques contradictions qu'il y a entre les paroles et les votes.

Mais les paroles mielleuses et attiédies sont-elles cependant en harmonie avec les actes ?

L'honorable M. Prévinaire nous dit que personne ne veut du libre-échange en Belgique, et dans le même moment il demande la suppression du droit d’entrée sur les houilles. C'est-à-dire que du droit de 14 fr. 89 c. il arrive à zéro. L'honorable membre ne veux pas du libre-échange immédiat ; ce qui ne l'empêche pas d’appliquer immédiatement le libre-échange à une des plus grandes industries du pays ; le fond de sa pensée est donc resté le même, mais la force de l'opinion publique l'oblige de cacher son drapeau.

Voici maintenant l'honorable M. Osy ; ah ! Lui, il le déclare, veut être sage ; et, effectivement, dans le discours qu'il a prononcé, il y avait de la sagesse en certains cas. Je m'étonne qu'après cela l'honorable membre se soit prononcé pour la réduction du droit de douane sur les houilles à 83 centimes par tonne, ce qui fait 6 centimes par hectolitre. Je ne pense pas qu'on ait le droit de se dire fort sage, quand on veut arriver à un pareil résultat, quand on veut tomber d'un droit de 10 fr. à 83 centimes.

Mon honorable ami, M. Vermeire, veut, lui aussi, que le droit qu'il reconnaît devoir exister ne puisse aller au-delà de 83 centimes ; il demande en même temps la réduction du péage sur les canaux, ce qui est l'aveu que le droit qu'il propose est insuffisant. Et voilà un autre membre, l'honorable M. Julliot, un libre-échangiste, mais qui, lui, tient compte des faits et qui vient répondre à M. Vermeire que les canaux sont un domaine public, et qu'un domaine public doit commencer, par rapporter au trésor de l'Etat, avant de songer à établir des impôts sur les particuliers ; en cela, l'honorable membre a parfaitement raison ; mais il détruit par là même l'argumentation de l'honorable M. Vermeire.

Vous voyez, messieurs, combien il y a de contradiction chez nos adversaires ; mais il reste toujours quant aux houilles deux systèmes libre-échangistes en présence :les uns voudraient le droit d'entrée de 83 centimes ; les autres, absolument rien.

Vous voyez encore que tout en déclarant qu'on ne veut pas du libre-échange immédiat, on vient en demander l'application immédiate à une industrie aussi considérable que celle des houilles, à une industrie qui apporte à la Belgique le plus de capitaux de l'étranger ; et vous voulez que cette industrie ne s'alarme pas et qu'à cette vue le travail national ne se place pas sur la défensive !

Vous dites que nous faisons des coalitions ; oui, certes, nous faisons des coalitions, et pourquoi ? Pour déjouer les coalitions que vous faites contre les intérêts, dans le but de tuer les intérêts les uns par les autres. C'est la pire et la plus odieuse de toutes les coalitions que de mettre les intérêts aux prises les uns contre les autres, de les tuer les uns par les autres. Et vous ne vous en cachez pas : car vous êtes venus dire qu'après avoir aboli les droits d'entrée sur les grains et la houille, vous en viendrez à d'autres articles ; et vous ne voulez pas qu'en présence d'une semblable coalition que je qualifie d'immorale parce qu'elle manque de franchise, vous ne voulez pas que les industriels réunissent et combinent leurs efforts contre des doctrines subversives de la fortune publique et du travail national ; ils l'ont fait et ils ont très bien fait.

Messieurs, j'entends souvent soutenir cette maxime, qu'il faut arriver à l'abaissement graduel de la protection douanière, de manière à n'avoir plus en fin de compte qu'un simple droit fiscal dans l'intérêt du trésor.

Messieurs, la chose publique doit marcher, et pour qu'elle puisse marcher, il faut des impôts ; or, la douane a toujours été une des premières bases des impôts, une des principales ressources du trésor. Eh bien, qu'est-ce que la douane rapporte au trésor public dans l'état actuel des choses ? Et ici je dirai en passant que je déplore tous ces projets de loi qui nous ont été présentés et qui ont pour but de réduire les recettes du trésor public. Eh bien, dans le budget des voies et moyens que vous avez voté, il y a trois mois, les recettes de la douane, pour l'entrée et la sortie, s'élèvent à 11,150,000 francs ; la dépense s'élève à 7,892,000 fr. ; de manière qu'il ne reste au trésor, à ce trésor public auquel vous vous intéressez tant en paroles, il ne lui reste que 3,258,000 fr. de revenu.

Ce n'est pas tout ; la dépense de 7,892,000 fr. en matière de douanes consiste presque exclusivement en traitements, et quand les employés de la douane ont le nombre des années de service requises par la loi, ils sont mis à la pension, vous avez, du chef de ces pensions, une nouvelle dépense de plus d'un million à ajouter aux 7,892,000 francs ; de manière qu'aujourd'hui la douane n'est plus un moyen sérieux de recette pour le trésor public. (Interruption.)

Encore moins, me dit-on, s'il n'entre rien en Belgique ; mais s'il y entre moins, vous maintenez le travail dans le pays ; si ce travail était perdu pour nos ouvriers, il faudrait établir la taxe des pauvres. (Nouvelle interruption.) Vous voulez imiter l'Angleterre ; eh bien, imitez-la jusqu'au bout : ayez le courage d'établir la taxe des pauvres !

Je vous disais, messieurs, que le droit fiscal que perçoit la douane n'est plus que de 3,250,000 fr. ; mais croyez-vous que cette recette consiste exclusivement dans les droits de douane établis sur les marchandises manufacturées entrant en Belgique ? Ce serait une grave erreur. Vous n'ignorez pas qu'indépendamment des autres impôts il y a des droits de douane sur les cafés, sur les sucres, sur les vins, sur les objets de consommation qui nous arrivent de l'étranger. Et c'est là ce qui constitue le produit. Que faisons-nous depuis quelque temps ? Nous réduisons les revenus de la douane et le projet de loi en discussion aura pour conséquence une nouvelle réduction, petite, il est vrai, car elle ne sera que d'une vingtaine de mille francs : mais je vois avec peine pour mon compte, une réduction d'une vingtaine de mille francs de revenu.

Lorsque nous avons discuté le projet de loi sur la sortie des produits, il s'est agi entre autres d'un article (les lins) qui payait un quart p. c. à la sortie. Cette légère taxe ne pouvait influer d'une manière quelconque ni sur l'achat ni sur la vente ; elle nous rapportait de 250,000 à 300,000 fr. ; ou l'a supprimée. Qui demandait cette suppression ? Personne ; je me trompe ; le libre-échange la demandait, et nous nous sommes privés d'un revenu assuré dont nous avons fait cadeau à l'étranger.

Je pose en fait que si nous analysions toutes les diminutions de recette qui ont été opérées depuis quelque temps, nous arriverions tout au moins à un demi-million de réduction sur les recettes, tandis que des hommes de bonne volonté, se mettant, à l'ouvrage, pourraient très facilement faire produire à la douane plusieurs millions au-delà de ce qu'elle produit aujourd'hui ; ainsi, l'intérêt fiscal, dont on nous parle, existe à peine dans le tarif actuel.

L'honorable M. Prévinaire disait, en vantant les produits du libre-échange, que le pays a aboli toutes les primes. L'honorable membre se trompe gravement ; non, le pays n'a pas aboli toutes les primes ; les plus grosses sont restées. Permettez-moi de faire ici un examen rétrospectif. En 1837 ou 1838 après avoir terminé les lois en faveur de l'agriculture, nous fîmes la loi protectrice de l'industrie indigène ; cette loi embrassait toutes les industries, ses résultats méritent d'être pesés.

A cette époque, la balance commerciale était en défaveur de la Belgique de 60 millions ; or, depuis cette époque, au moyen des droits protecteurs, la balance est annuellement de 60 millions en notre faveur. Voilà un renversement extrêmement favorable à la fortune publique. Nous étions dans un système de protection sage et modérée, nous n'avions pas de prohibition, c'est au moyen de cette protection que nous avons établi l’état de choses qui a renverser la balance commerciale du pays.

Comme nous voulions protéger toutes les industries sans exception, nous avons étendu notre protection sur Anvers qui aujourd'hui oubliant ce qu'elle doit au système protecteur, vient, rompant l'union pour la protection, se faire le pivot de la démolition du système protecteur pour toutes les autres industries. Qu'a-t-on fait en 1839 pour Anvers ? vous ne l'ignorez pas ; toujours dans le système de protection on a racheté le péage sur l'Escaut ; ce rachat du péage est une prime évidente, incontestable, c'est de l'argent pris dans le trésor public pour favoriser une industrie, c'est la prime la mieux conditionnée qu'on puisse accorder.

Eh bien, qu'est-ce qui coûte cette prime ? En 1856, la somme s'est élevée à un million et demi, vous avez dû payer à la Hollande 1,495,399 fr. 95 c. pour le rachat du péage de l'Escaut.

Veuillez le remarquer, cette prime peut être d'autant plus onéreuse au trésor public, que plus le port d'Anvers augmentera l'importance de ses affaires, plus le trésor public sera grevé d'une somme considérable, qui, dans quelques années, peut s'élever à plusieurs millions.

Je demande donc si ceux qui jouissent d'une pareille prime sont fondés à venir préconiser le libre-échange, à vouloir qu'on sacrifie toutes les autres industries à la leur !

On ne s'est pas borné là ; dans l'intérêt du port d'Anvers on a abaissé de 25 p. c. le droit de transport sur les marchandises partant d'Anvers, en transit vers l'étranger, alors que la Belgique n'y a aucun intérêt.

En effet, cette mesure profite exclusivement à certains ouvriers du (page 1129) port d'Anvers et aux négociants qui font la commission. On a donc réduit de 25 p. c. le droit de transport sur les marchandises passant d'Anvers en transit sur nos chemins de fer ; on peut évaluer cette réduction â un demi-million. Voilà deux millions pris sur le trésor public pour être donnés en primes à cette ville, Et ce sont ceux qui jouissent de ces primes, uniques chez nous et si considérables, qui se mettent à la tête d'un mouvement libre-échangiste et qui veulent sacrifier toutes les industries du pays pour pouvoir vendre ce que les manufactures des pays étrangers produisent au détriment du travail national.

Ce n'est pas tout, il y a encore le rachat du péage de» eaux intérieures qu'on peut évaluer à un demi-million ; c'est donc 2 millions et demi de primes dont Anvers jouit. Vous ne voyez que des primes dans ce monde-là et c'est lui qui prêche le libre-échange. Vraiment ! c'est par trop fort de voir les députés d'Anvers se faire les promoteurs de la liberté commerciale alors que la ville qu'ils représentent et dont ils défendent les intérêts est ainsi partie prenante au budget, unique et très grosse partie prenante des deniers publics.

Messieurs, j'ai déjà entendu plusieurs fois des industriels émettre l'idée que puisque la ville d'Anvers par ses députés et par son commerce veut supprimer la protection de l'agriculture et de la fabrication, il y a lieu de la supprimer à son égard.

Je crains bien que le système qu'elle adopte ne lui soit un jour funeste, ne finisse par lui tomber douloureusement sur la tête, car quand elle aura froissé tous les intérêts, elle pourra bien voir ces intérêts outragés se lever en masse pour demander au nom du trésor public la suppression des primes dont elle profite. Qui les défendra alors ? Les cinq députés ; mais qui les appuiera ? Personne. Je le dis avec franchise, agir comme on le fait à Anvers, c'est jouer avec le feu ; et c'est là un jeu très dangereux en toutes circonstances, mais pour le port d'Anvers, c'est d'autant plus dangereux que nous arrivons à une époque où nous voyons disparaître le droit de péage sur le Sund, où la liberté de la navigation vers la mer devient un principe européen.

L'intérêt de la Belgique quel serait-il dans cet ordre d'idées ? De mettre le port d'Anvers dans les conditions du Sund. Y arriverez-vous jamais quand vous remboursez les droits que perçoit la Hollande ? Dans le rachat des droits du Sund, chaque puissance a remboursé sa quote-part. Or, quelle puissance viendra offrir sa part du remboursement de ce droit comme on le fait pour le Danemark.

Lorsque la Belgique consent à payer pour tout le monde, aucune puissance ne fera la folie d'offrir de payer sa part de remboursement à la Hollande, de façon que la loi que nous avons faite en faveur d'Anvers devient un obstacle au remboursement du péage de l'Escaut par les puissances étrangères. Dans la question du Sund, chaque nation a consenti à capitaliser le droit, parce que chaque nation le payait.

Pour capitaliser le péage sur l'Escaut, qui n'aurais jamais dû être consenti et qui n'était pas stipulé dans ces conditions-là au traité de 1831, il faudrait, et le concours, et l'intervention pécuniaire des puissances ; or ce concours et cette intervention vous ne l'aurez pas tant que vous consentirez à payer le droit pour tout le monde ; l'intérêt du pays serait de laisser ce droit à la charge des nations qui naviguent dans l'Escaut.

Et c'est dans le moment où l'intérêt du pays est ainsi en jeu que la ville d'Anvers, choisissant la question la plus palpitante pour notre existence nationale, cherche à substituer le travail anglais au travail du pays ! Je dis que la ville d'Anvers ne comprend pas ses plus chers intérêts, et que c'est jouer avec le feu.

L'article 3 de la loi du 5 juin 1859 établissant le remboursement du péage de l'Escaut, porte que « pour faire face en partie au remboursement prescrit par l'article premier il sera prélevé 3 centimes additionnels sur les droits de douane, de transit et de tonnage, à partir de la date qui sera fixée ultérieurement par le gouvernement. » Ces trois centimes produisent annuellement une somme de 300,000 fr.

Vous payez chaque année pour remboursement des péages de l’Escaut 1,500,000 fr.

Il y a donc là une prime réelle de 1,200,000 fr.

J'engage mes honorables collègues les députés d'Anvers à bien comprendre que le système qu'ils ont adopté contre le travail national est extrêmement dangereux, et qu'il pourrait avoir pour résultat de leur créer des embarras qu'ils ne soupçonnent pas. Effectivement l'honorable M. Osy, par exemple, vous propose de réduire le droit sur la houille à 83 c.

Or, le péage remboursé pour un tonneau de houille s'élève à 3 17. Il y a donc là pour la houille étrangère importée dans le pays une prime de 2 34. Avec le droit de 1 fr. 40 c. proposé par M. le ministre des finances, la prime est de 1 77.

Ainsi nous payons une prime pour que la houille anglaise vienne faire concurrence à la houille du pays. Est-ce là ce que vous voulez ? Est-ce de la moralité. Et vous dites que vous ne voulez pas de prime ! Commencez au moins par établir des droits équivalant au remboursement de péage que l'on fait pour importer la houille étrangère dans le pays et de ceux que l'on impose sur les canaux pour transporter nos produits aux centres de consommation.

Jusqu'ici cette question ne s'est pas présentée, parce qu'avec le droit prohibitif il n'entrait pas de houille étrangère dans le pays. Maintenant qu'il va en entrer, il faut bien fixer des droits qui rendent le trésor indemne et qui compensent les frais de transport de la houille du pays par canaux. Ainsi pour la houille qui vient du bassin du couchant ou du bassin de Charleroi, les péages sont de 2 fr. 31 cent., celle du centre paye 2 fr. 65 cent. jusqu'à Bruxelles, et vous voulez recevoir la houille étrangère, moyennant un droit de 83 cent. En vérité, en présence de tels faits, le mot de libre-échange, mot qui n'est raisonnable, sous aucun rapport, car il n'y a pas là d'échange, on ne fait que recevoir, est une dérision. Il n'y a pas non plus de liberté commerciale ; car il n'y a pas de liberté sans égalité, et je viens de démontrer qu'il n'y a pas d'égalité dans ce système, qu'il n'y a que le privilège organisé au profit de l'industrie étrangère et au détriment de l'industrie nationale. Voilà où conduit l'étude de la théorie, qui ne tient aucun compte des faits.

Je pense qu'il est regrettable de trouver dans la loi que nous discutons certains articles qui ont des analogues avec la production belge. Je citerai les bois et les soieries qui devraient être renvoyés à l'autre loi concernant spécialement les produits étrangers qui ont des analogues dans la production belge.

On vous propose, dans le projet de loi actuel, une réduction sur les bois. Les bois divers payeront 5 fr. par 100 fr., 5 p. c. Eh bien, est-ce encore là agir avec justice ? L'arbre qui a grandi dans une de nos forêts et qui coûte 100 fr., n'a-t-il pas payé plus de 5 fr. de droit ? Mais il a payé infiniment plus. Ici encore vous n'établissez pas l'équilibre entre le producteur belge et l'introduction de l'étranger. Vous faites encore un de ces actes qui sont de mauvaise administration.

Un hectare de bois paye d'ordinaire 5 à 6 francs par an ; cela dépend des conditions ; mais prenons le chiffre de 5 fr. Sur un siècle, cet hectare de bois a payé 600 fr. Combien a payé chaque arbre ? Evidemment il a payé bien plus de 5 francs, il a payé 12 à 15 fr. Je le répète donc, vous n'êtes pas, encore une fois, dans les conditions de légalité entre le producteur agricole et l'étranger. Vous accordez encore une prime à l'étranger sur votre propre travail national.

Quant aux céréales, ne vous y trompez pas, la loi qui entrera en vigueur au 1er juillet prochain est une loi qui n'aura pas beaucoup de durée.

Pour peu que nous ayons une seconde bonne récolte, il est évident que l'industrie agricole elle-même viendra réclamer, avec beaucoup de raison, la protection à laquelle elle a légitimement droit, et nous nous empresserons de le lui accorder, malgré MM. les libre-échangistes. Comme j'ai eu l'honneur de le dire lorsqu'elle a été votée, cette loi n'aura pas plus de durée que toutes les autres ; jusqu'à ce que nous ayons une loi sérieuse qui prévoie tous les événements, nous ne ferons que du provisoire en pareille matière.

Messieurs, je me bornerai à ce peu de mots. Je ne veux pas entrer, comme j'ai eu l'honneur de le dire, dans tous les détails d'épluchures d'articles dont on s'est occupé. Mais nous discutons le tarif des douanes ; nous ne discutons pas la question du libre-échange, quand nous en serons là, MM. les libre-échangistes me trouveront sur la brèche, toujours prêt à les combattre et à prouver qu'ils ont grand tort.

Pour le présent je crois que la Chambre ferait fort bien de ne pas s'en tenir au chiffre proposé. Que si l'on ne veut pas de disjonction, ce qui serait désirable, on doit tenir compte des primes que le trésor paye pour les importations par l'Escaut et, des péages sur les canaux pour les charbons qui arriveraient par Ostende ou quelque autre port de mer.

J'attendrai la discussion et lors des débats sur les articles, je verrai s'il y a lieu de faire une proposition.

- La séance est levée à 4 heures et demie.