Accueil Séances Plénières Tables des matières Biographies Livres numérisés Note d’intention

Chambres des représentants de Belgique
Séance du vendredi 24 avril 1857

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1856-1857)

(Présidence de M. Delehaye.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 1353) M. Crombez procède à l'appel nominal à une heure et un quart.

M. Calmeyn donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier. La rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Crombez présente l'analyse des pièces suivantes.

« L'administration communale de Rochefort transmet copie d'une résolution du conseil communal tendante à relever les allégations du président des administrateurs-collateurs des fondations Jacquet, dans sa lettre à un membre de ce conseil. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Les membres du conseil communal de Barvaux-sur Ourthe prient la Chambre d'accorder aux sieurs Lonhienne la concession d'un chemin de fer de Liège à Givet par la vallée de l'Ourthe. »

- Même renvoi.


« La chambre de commerce de l'arrondissement de Nivelles prie la Chambre d'adopter le projet de loi autorisant la concession d'un chemin de fer de Luttre à Denderleeuw demandée par les sieurs Waring. »

- Même renvoi.


« Le sieur Grégoire, ancien maréchal des logis de la gendarmerie, demande une augmentation de pension. »

- Même renvoi.


« Le sieur de Baelen, ancien sous-lieutenant de cavalerie, demande à titre de gratification, le payement d'une année de solde. »

- Même renvoi.


« Le président du tribunal de commerce d'Anvers fait parvenir à la Chambre 108 exemplaires de l'adresse à M. le ministre de la justice, délibéré le 23 janvier 1857 par ce tribunal, à l'occasion du nouveau projet d'organisation de la justice consulaire. »

- Distribution aux membres de la Chambre.

Rapport sur des demandes en naturalisation

M. de Steenhault. - J'ai l'honneur de déposer sur le bureau le rapport de la commission des naturalisations sur deux demandes en grande naturalisation.

- Ce rapport sera imprimé et distribué.

La Chambre le met à la suite de l'ordre du jour.

Rapports sur des pétitions

M. Moncheur (au nom de la commission des pétitions). - « Messieurs, par pétition datée de Wavre le 26 janvier 1837, le conseil communal de cette ville demande que la législature intervienne :

« 1° Afin que la compagnie du Luxembourg soit tenue d'achever immédiatement la ligne directe de la section du chemin de fer de Bruxelles à Wavre.

« 2° Afin que les compagnies du Luxembourg, de Manage à Wavre, de Charleroi à Wavre et de Louvain à Wavre établissent près de cette ville leur station commune, le lieu de jonction et de raccordement de leurs lignes respectives.

« 3° Afin que la compagnie de Manage à Wavre fasse le service de son exploitation de Manage jusqu'à Wavre et non point jusqu'à Ottignies seulement. »

Le conseil communal de Wavre fonde les diverses demandes qu'il formule sur deux ordres de faits principaux : d'abord sur le texte même des lois qui ont octroyé les concessions de chemins de fer qui devaient aboutir à Wavre, et ensuite sur l'intérêt du trésor public et sur la nécessité de faire cesser, pour celui-ci, le préjudice que lui cause l'état actuel des choses.

La pétition du conseil communal de Wavre imprimée et accompagnée d'un long mémoire explicatif vous a été distribuée, messieurs, et vous avez pu en prendre une connaissance toute spéciale.

(page 1354) Il suffira donc au rapporteur de votre commission des pétitions de vous en présenter ici une analyse succincte.

Le conseil communal rappelle d'abord que les lois du 21 mai 1845 et du 21 mars 1846 qui ont octroyé la concession du chemin de fer de Louvain à la Sambre, puis du chemin de fer de Louvain à Namur et à Charleroi par Gembloux, avaient fixé la ville de Wavre comme point de passage obligé et y avaient par conséquent supposé une station.

Vint ensuite la loi du 18 juin 1846 qui accorda à la grande compagnie du Luxembourg la concession du chemin de fer de Bruxelles vers Arlon par Wavre et Namur.

L'article premier du cahier des charges annexé à cette loi de concession est ainsi conçu :

« Le chemin de fer du Luxembourg partira de Bruxelles.

« D'une station située au quartier Léopold, il se dirigera vers le chemin de fer de Louvain à la Sambre qu'il atteindra à Wavre, et avec lequel il pourra en outre être relié au moyen d'un raccordement aboutissant à l'une des stations intermédiaires de la section de Wavre à Gembloux. »

Wavre devait donc être le point de raccordement des chemins de fer de Luxembourg avec celui de Louvain à la Sambre.

La loi du 18 juillet 1846 autorisa ensuite la concession d'un chemin de fer de Manage à Wavre ; de sorte, fait observer le conseil communal de Wavre, que cinq chemin de fer devaient converser vers une ville et y avoir une station commune, savoir : celui de Louvain, celui de Namur, celui de Charleroi, celui de Manage et celui de Bruxelles.

Après la déchéance encourue par la société du chemin de fer de Louvain à la Sambre, la compagnie du Luxembourg obtint la concession de la section de Wavre à Namur, afin de compléter sa ligne vers Arlon, tandis qu'une nouvelle société était devenue concessionnaire des lignes de Louvain à Wavre et de Charleroi à Wavre, en vertu de la loi du 20 décembre 1851.

Mais rien ne fut innové quant au raccordement obligé de ces chemins de fer à Wavre même.

Les ingénieurs, les ministres, plusieurs membres des Chambres continuèrent même à exprimer l'opinion que le croisement et le point de convergence de toutes ces voies ferrées devaient être à Wavre.

Cette ville est en effet, ajoute le conseil communal, le centre du Brabant wallon ; sa population est de plus de 6,000 âmes ; ses marchés bi-hebdomadaires sont très considérables et la valeur des transactions qui s'y fout peut facilement être évaluée à plus de dix millions de francs par an.

Cinq grandes routes y aboutissent.

Elle possède plusieurs grands établissements industriels.

Le produit de la poste aux lettres, ce thermomètre des relations et de la valeur commerciales d'une localité, place Wavre au quatrième rang parmi les villes de la province de Brabant.

Un intérêt local majeur se trouve donc engagé dans la question. Il exige que Wavre reste en possession des avantages qui résultent pour elle des lois existantes et des conventions faites avec les diverses compagnies. Et quant à l'intérêt général il est plus grave et plus patent encore et il exige également que Wavre soit le point de croisement des chemins de fer se dirigeant de Charleroi et de Manage vers Bruxelles, car c'est là l'unique moyen d'empêcher la concurrence ruineuse que feraient ces chemins de fer a la ligne de l'Etat passant par Braine-le-Comte.

C'est dans cet esprit, font observer les pétitionnaires, que les lois de concessions prérappelées ont été portées.

Les rapports des ingénieurs, notamment ceux de M. l'ingénieur en chef Groetaers en font foi.

Mais un fait important fut posé en1852, par la compagnie du Luxembourg. Cette compagnie, désireuse d'atteindre Namur le plus tôt possible et par la voie la plus courte, présenta au gouvernement un plan d'exécution des travaux dirigeant la voie ferrée vers Namur par Ottignies, en laissant la ville de Wavre à 5,500 mètres environ à gauche.

Wavre réclama contre ce tracé devant la Chambre des représentants.

Une longue discussion eut même lieu sur cette réclamation, mais elle n'aboutit à aucun résultat positif.

Le renvoi pur et simple de la pétition de Wavre à M. le ministre des travaux publics fut ordonné par la Chambre. Toutefois, pendant cette discussion, plusieurs orateurs ont soutenus vivement la pétition de Wavre, et ils ont prouvé que les lignes principales que la compagnie du Luxembourg s'était obligé de construire étaient : 1° celle de Bruxelles à Wavre et 2° à celle de Wavre à Namur, mais que la ligne plus directe, et que l'on traçait par Ottignies n'était qu'un raccordement facultatif et accessoire entre les deux lignes principales, raccordement qui ne devait pas être exécuté avant que les lignes principales ne fussent achevées.

A la suite de cette discussion, le gouvernement maintint à la charge de la compagnie, l'obligation de construire, simultanément avec le raccordement par Ottignies, les lignes directes de Bruxelles à Wavre et de Wavre à Namur.

Un arrêté spécial, en date du 30 avril 1832 fut porté à cet effet.

Cet arrêté approuva le tracé et les plans proposés par la compagnie du Luxembourg 1° pour la section comprise entre le ruisseau de la Lasne et Wavre, 2° pour la section comprise entre Wavre et Gembloux, 3° pour le raccordement par Ottignies.

L'article 2 de cet arrêté stipula que ces trois sections seraient exécutées simultanément et que la ligne directe de Bruxelles à Namur, ne pourrait être livrée à la circulation que pour autant que les sections de Bruxelles à Wavre et de Wavre à Namur le fussent également. Le même article prescrivit qu'il y eût au moins deux convois par jour 1° de de Bruxelles à Wavre, 2° de Wavre à Bruxelles, 3° de Namur à Wavre.

Plus tard, lorsqu'une prolongation de délai fut accordée à la compagnie du Luxembourg pour l'exécution de la ligne toute entière, une convention avenue le 7 septembre 1855, entre le gouvernement et la compagnie du Luxembourg, maintint toutes les dispositions de l'arrêté du 30 avril 1852.

Cet arrêté forme donc la loi des parties et doit être exécuté, ainsi que les lois de concessions antérieures, qui fixaient à Wavre comme on l'a dit, le point de convergence des chemins de fer dont s'agit et leur station centrale.

Mais, ajoute le conseil communal de cette ville, non seulement rien ne se fait pour l'exécution de ces lois et de cet arrêté, mais encore depuis la construction des chemins de fer de Charleroi à Louvain et de Manage à Wavre, chemins de fer qui traversant à Ottignies celui du Luxembourg, il s'est établi un régime de fait tout à fait contraire au régime légal.

Ainsi, la véritable station centrale, le lieu de débarquement des voyageurs et de transbordement des marchandises se trouve être aujourd'hui à Ottignies et non point à Wavre.

Or, c'est contre ce régime illégal, régime que le conseil communal de Wavre considère même comme frauduleux, que ce corps proteste énergiquement.

Ce qu'il demande et ce qu'il réclame comme un droit acquis à la ville de Wavre, c'est d'abord que l'on exécute immédiatement l'embranchement de Wavre se raccordant, par la vallée de la Lasnes, avec la section du chemin de fer d'Ottignies à Bruxelles, et en second lieu que tous les convois de voyageurs et de marchandises partant de Charleroi ou de Manage pour Bruxelles soient obligés, après avoir croisé le railway luxembourgeois à Ottignies, de prolonger leur marche jusqu'à Wavre, d'où ils se dirigeraient ensuite vers la capitale.

Les pétitionnaires affirment que c'est là le seul moyen de mettre le trésor public à l'abri des pertes considérables qu'il ferait et qu'il fait même déjà, 1° par la privation des transports de Charleroi et de Manage vers Bruxelles lesquels, se font aujourd'hui par Ottignies au lieu de s'opérer par Braine-le-Comte et 2° par l'aggravation de la garantie d'intérêts que doit l'Etat aux compagnies de Charleroi à Louvain et de Manage à Wavre.

Quant au premier point la pétition établit que la distance de Charleroi à Bruxelles est de 11 kilomètres plus courte par Ottignies que par Braine-le-Comte.

« Or, dit la pétition, si les transports de Charleroi étaient contraints de passer par Wavre, l'économie de parcours serait réduite à 5,500 kilom. légère différence, ajoute-t-elle, que la ligne de l'Etat compense par l'unité et la continuité du service. »

Le raccordement obligatoire des lignes concédées à Wavre, a donc toujours été et doit être considéré comme une barrière infranchissable contre la concurrence que ces lignes pourraient faire à celles de l'Etat pour tous les transports vers Bruxelles.

Permettre le raccordement à Ottignies, ajoute la pétition, c'est modifier les conditions des concessions faites en 1846, et c'est agir contrairement aux termes et à l'esprit des lois qui ont autorisé ces concessions.

Quant à la garantie d'intérêt due par l'Etat aux compagnies concessionnaires, elle serait, selon les pétitionnaires, aggravée de beaucoup par le maintien du régime de fait actuellement en vigueur, vu que les recettes de ces compagnies ne s'opéreraient que sur le parcours de Charleroi et de Manage jusqu'à Ottignies pour tous les transports destinés à Bruxelles, tandis que, d'après le système légal, ces recettes s'opéreraient jusqu'à Wavre, c'est-à-dire sur 5,500 kilomètres de plus.

En ce qui concerne la ligne de Manage à Wavre, les pétitionnaires rappellent que lors de la présentation du projet de ce railway, projet qui est devenu la loi du 18 juin 1846, le ministre des travaux publics, M. de Bavay, avait eu soin de prouver à la législature, qu'il ne pouvait en résulter une concurrence nuisible au chemin de fer de l'Etat, soit dans la direction vers Namur, soit dans la direction vers Bruxelles, attendu que le raccordement, qui devait se faire à Wavre, établissait, vers ces deux villes, des distances plus considérables par les chemins de fer concédés que par celui de l'Etat.

Telles sont ces substances, messieurs, en substance, les considérations que fait valoir le conseil communal de Wavre, pour réclamer l'exécution complète des lois et des conventions relatives aux concessions de chemins de fer susmentionnées.

Votre commission des pétitions reconnaît l'exactitude des citations de lois, d'arrêtés, de rapports et de discours que fait le conseil communal de Wavre concernant l’objet de sa requête. Ainsi, il est très vrai que les lois de 1845, de 1846, de 1851, de 1852 et les arrêtés qui s'y rapportent étaient basés sur l'idée du passage ou d'une convergence à Wavre des chemins de fer dont il s'agit ; mais jusqu'à quel point les faits accomplis depuis lors peuvent-ils ou doivent-ils faire dévier de cette base, c'est là où est toute la question. Quant à votre commission, elle pense qu'en supposant même que l’embranchement de la Lasne fut exécuté, le vœu de la ville de Wavre de voir tous les convois de (page 1355) Charleroi et de Manage pour Bruxelles passer sous ses murs ne pourrait plus jamais être accompli. Elle ne conçoit même pas que telle ait jamais pu être la pensée du gouvernement ou des Chambres, dès l'instant où on permettait un embranchement direct par Ottignies.

En effet, dès qu'une voie de communication est ouverte, elle appartient, pour ainsi dire, au public ; elle devient le domaine de l'industrie et du commerce.

Il ne serait ni juste ni raisonnable de vouloir interdire aux hommes et aux choses la faculté de suivre la voie la plus directe et la plus facile pour se rendre d'un lieu à un autre.

Si l'on voulait défendre qu'un chemin ou une voie de communication quelconque fut pratiqué au gré des voyageurs et selon les besoins de l'industrie, mieux vaudrait ne pas le laisser s'établir.

Ainsi, dès l'instant où la loi du 18 juin 1846 avait permis un raccordement entre les voies directes de Bruxelles à Wavre et de Wavre à Namur, raccordement qui devait nécessairement dévier de 5 ou 6 kilomètres vers Charleroi et Manage, il devenait certain que ce raccordement étant une fois construit, les voyageurs et le transports de ces deux localités vers Bruxelles et vers Namur, ne pouvaient plus être contraints de passer outre et de faire le détour par Wavre.

Il est, en outre, une observation à faire, c'est qu'une loi du 23 juin 1854 a autorisé la concession d'un chemin de fer de Nivelles à Groenendael, ce qui établit, entre Manage et Bruxelles, une communication bien plus directe encore que par Ottignies, et ce qui permet, par conséquent, une concurrence bien plus facile contre le chemin de fer de l'Etat.

Enfin, messieurs, votre commission croit devoir vous faire observer qu'au point de vue des intérêts du trésor public, il y a des compensations, même dans le régime de fait établi ; car s'il est vrai, comme le disent les pétitionnaires, que la prolongation obligée jusqu'à Wavre des convois de Charleroi et de Manage serait l'anéantissement de tous transports, par ces lignes, vers Bruxelles, il serait donc vrai aussi que ces lignes seraient réduites aux seuls transports vers Wavre et Louvain, et que dès lors la garantie d'intérêt accordée à ces concessions par l'Etat pèserait davantage sur ce dernier, que si les compagnies jouissaient d'un trajet additionnel vers Bruxelles.

Ce point étant écarté, il ne resterait que la question de l'embranchement de la Lasne du de Profonsart à Wavre, embranchement destiné à établir une communication directe entre cette ville et Bruxelles.

Le conseil communal de Bruxelles s'est joint à celui de Wavre, pour demander au gouvernement d'ordonner la prompte exécution de cet embranchement.

Messieurs, votre commission des pétitions ne se croit pas appelée à émettre un avis sur la question de savoir jusqu'à quel point l'intérêt public en général, et particulièrement celui du canton de Wavre, exige la construction immédiate de cet embranchement.

Elle ne pourrait apprécier au juste, jusqu'à quel point l'absence de cette voie directe vers la capitale, amènerait la décadence de la ville de Wavre, comme l'assurent les pétitionnaires, ou bien permettrait à cette ville, reliée à Louvain et à Ottignies au réseau général du chemin de fer, de continuer à marcher dans la voie de prospérité dans laquelle elle se trouve.

Toutefois la commission fait remarquer à la Chambre que la ville de Wavre a pour elle le texte des lois de concessions, et l'arrêté du 30 avril 1852 et l'obligation formelle contractée par la compagnie du Luxembourg.

Votre commission ajoute que, par suite des faits qui se sont produits contrairement à ces dispositions positives, la ville de Wavre est loin de se trouver dans la belle position que ces dispositions lui' promettaient et dont le maintien lui fut formellement promis, à diverses reprises par les organes du gouvernement, au sein de la législature. Que non seulement Wavre est privé de convois directs vers Bruxelles, mais encore que la coïncidence des convois est très imparfaite et le transbordement très incommode.

Il est donc certain, messieurs, que la ville de Wavre en présente des dispositions légales en vigueur, a de justes motifs de se plaindre de la position qui lui est faite, et que des mesures doivent être prises pour faire cesser ces justes motifs de plainte.

La ville de Wavre expose encore un grief tout récent. C'est' que la compagnie du chemin de fer de Manage à Wavre au lieu d'exploiter sa ligne jusqu'à Wavre même, ainsi que l'y obligent et la loi du 18 juillet 1856 et le cahier des charges signé par elle le 19 février même, année, se borne à l'exploiter jusqu'à Ottignies seulement.

Il se peut, messieurs, que des motifs plausibles justifient la fusion des compagnies de Charleroi à Louvain et de Manage à Wavre quant à l'exploitation de leur ligne commune à partir d'Ottignies jusqu'à Wavre, mais cet état de choses paraît égaiement en contradiction avec le texte, des lois ou des conventions en vertu desquelles ces concessions ont été accordées.

En résumé, l'opinion de votre commission des pétitions est, messieurs, qu'il faut faire de deux choses l'une, ou bien exécuter les lois et arrêtés en vigueur sur cet objet, ou bien rapporter ou modifier ces lois et arrêtés.

Elle pense que cet objet est trop grave pour que la Chambre ne désire pas obtenir des renseignements de la part du gouvernement, et vous propose, en conséquence, le renvoi de la pétition du conseil communal de| Wavre à M. le ministre des travaux publics, avec demande d'explications.

- La Chambre fixera ultérieurement le jour de la discussion de ce rapport.


M. Vander Donckt. - « Messieurs, par pétition datée de Hougaerde, le 25 février 1857, plusieurs habitants de Hougaerde demandent l'établissement d'un bureau de postes ou de distribution dans cette commune. »

Les pétitionnaires font valoir d’abord l'importance de leur localité qui a une population de plus de 3,400 âmes ; elle contient quinze brasseries et six distilleries ; ils demandent que les lettres soient distribuées dans la commune même au moyen d'un bureau de distribution. Les lettres mises à la posté à Jodoigne, traversent la commune et vont reposer pendant une nuit à Tirlemont ; ce n'est que le lendemain qu'un facteur prend les lettres et les distribué dans la commune. Vous comprenez que des industriels, tels que brasseurs, distillateurs, doivent souffrir considérablement de ce retard. C'est dans ce but qu'ils ont adressé une pétition à la Chambre.

La commission propose le renvoi de cette pétition à M. le ministre des travaux publics.

M. de La Coste. - Messieurs, j'appuie les conclusions de la commission. Je recommande cette pétition à toute l'attention de M. le ministre des travaux publics.

Lorsqu'on a demandé la taxe uniforme de 10 centimes, on nous a dit, qu'il y avait des améliorations à faire dans le service des postes et que c'était le motif pour lequel on ne se hâtait pas encore d'opérer cette réduction. Je pense que les améliorations de la nature de celle qui est ici sollicitée rentrent dans le cercle des idées de M. le ministre des travaux publics.

M. de Muelenaere. - Messieurs, je ne m'oppose, en aucune façon au renvoi de la pétition dont il s'agît au ministre des travaux publics ; mais je ferai remarquer que plusieurs communes des Flandres auraient les mêmes griefs à faire valoir que celle qui a adressé à la Chambre la pétition sur laquelle un rapport vient de vous être présenté et qu'il conviendrait autant que possible de prendre une mesure plus ou moins générale.

M. Coomans. - Un grand nombre de communes des Flandres expriment les mêmes plaintes.

M. le ministre des travaux publics (M. Dumon). - Messieurs, le budget du département des travaux publics contient les allocations nécessaires pour la création d'un certain nombre de distributions nouvelles ; mais il faut naturellement, comme tous les besoins ne peuvent pas être satisfaits immédiatement, pourvoir à ceux des localités les plus importantes et où le service de la poste est le plus en souffrance. Je pense que pour le moment la commune de Hougaerde ne rentre pas dans cette catégorie ; sa correspondance se borne à vingt-quatre lettrés par jour, il y est pourvu d'une manière convenable à leur distribution par le bureau de Tirlemont, qui n'est distant que de cinq kilomètres.

Un facteur part le matin et rentre le soir après avoir fait la distribution et la levée de la boîte. Le service me paraît convenablement établi pour le moment. Les pétitionnaires se plaignent de ce que les lettres de Jodoigne traversent leur commune pour aller se faire dépouiller à Tirlemont et revenir ensuite pour être distribuées à Hougaerde. Cet argument n'a pas grande valeur. L'importance de la correspondance de Jodoigne pour Hougaerde ne peut pas être bien grande. Dans un mouvement de 24 lettres, la plupart des lettres en destination de Hoegaerde viennent de Bruxelles ou du bureau ambulant de Liège.

Cependant comme la commune de Hougaerde a une population et une industrie importantes, il va sans dire que ses titres seront examinés avec soin quand il s'agira de créer de nouvelles distributions, mais je ferai observer, comme l'ont déjà fait les honorables représentants des Flandres, qu'il y a un grand nombre de communes qui ont adressé au gouvernement des demandes auxquelles il est urgent de faire droit.

- Les conclusions de la commission sont adoptées.


M. Vander Donck, rapporteur. - « Par pétition datée de Herstal, le 7 mars 1857, le sieur d'Heyne-Dujardin, pharmacien à Herstal, réclame l'intervention de la Chambre pour qu'il soit ordonné au sieur Carpaix de déplacer le marteau à estamper qui fonctionne dans son atelier, s'il n'exécute les mesures prescrites pour en faire cesser les inconvénients. »

Messieurs, il s'agit ici d'une affaire déjà ancienne ; on a réclamé à plusieurs reprises ; il est intervenu un arrêté royal ordonnant ce déplacement, arrêté qui a été supprimé par la suite, sur les instances du propriétaire et de l'administration locale ; le pétitionnaire revient à la charge ; depuis le retrait de l'arrêté royal, le marteau fonctionne constamment.

Voici comment s'exprime le pétitionnaire :

« Ce n'est pas du bruit incommode du marteau que nous nous plaignons (attendu qu'il est dans la nature du voisinage d'en faire), mais de la rotation continuelle de ce martinet qui fonctionne depuis 6 heures du matin jusqu'à 9 heures du soir, qui par sa pression et son mouvement fait vaciller mon bâtiment en donnant une secousse aux meubles de mes appartements, que l'on ne peut comparer qu'à un véritable tremblement de terre. »

La commission conclut au renvoi au ministre de l'intérieur. Le gouvernement fera examiner la question et prendra la résolution qu'il croira convenable, ce qu'il n'entre pas dans les attributions de la Chambre de statuer.

- Les conclusions de la commission sont adoptées.


M. Vander Donckt, rapporteur. - « Par pétition datée de Gembloux, de 26 février 1857, des propriétaires d'immeubles limitrophes ou très voisins de la station de Gembloux, (page 1356) demandent qu'il soit interdit à la compagnie du chemin de fer du Luxembourg de donner en bail des parcelles, de terrain de cette station pour y laisser établir des magasins de marchandises. »

Messieurs, les habitants voisins de la station de Gembloux qui ont été expropriés en partie de leur immeuble réclament parce que la société du chemin de fer du Luxembourg veut en donner des parties en location pour établir des magasins dans le voisinage de la station.

Ils prétendent qu'il en résulte un très grand préjudice et que cette mesure est complètement contraire aux lois existantes. Si la société n’a pas besoin des terrains pour son propre usage, pour l'usage du chemin de fer, il ne peut pas lui être permis de céder à d'autres ce qu'elle ne possède qu'à titre précaire, ce qu'elle ne possède que pour son propre usage. Dans tous les cas, il faudrait donner l'option aux propriétaires dépossédés de pouvoir rentrer dans la propriété de leurs parcelles.

Dans cette position, votre commission a l'honneur de vous proposer le renvoi de cette pétition à M. le ministre des travaux publics.

M. Wasseige. - Je me joins à l'honorable rapporteur pour recommander cette pétition à l'attention de M. le ministre des travaux publics.

Il s'agit d'un point fort délicat et qui appelle de sa part la plus grande attention.

M. le ministre des travaux publics (M. Dumon). - Il est difficile de se prononcer à première vue sur le mérite de la pétition et sur le rapport de l’honorable rapporteur. Je n'ai pas lu la pétition et nous n'avons entendu du rapport qu'une lecture assez rapide.

A première vue cependant la réclamation me paraît assez étrange, en ce sens que sur le chemin de fer du Luxembourg comme sur toutes les autres lignes exploitées, le commerce demande des locaux pour déposer et entreposer des marchandises ; et au chemin de fer de l'Etat il y a une taxe pour entreposage dans les terrains de la station.

Il y a demande de location, il y a concessions pour magasins au charbon, pour magasins à chaux, et si c'était ici le cas, il me semble qu'il n'y aurait rien à dire à la compagnie du Luxembourg.

Je demande cependant, avant de me prononcer d'une manière définitive, d'avoir occasion de lire la pétition en entier.

- Les conclusions de la commission sont adoptées.


M. Vander Donckt, rapporteur. - « Par pétition datée d'Anvers, le 13 mars 1857, la députation permanente du conseil provincial d'Anvers transmet une pétition par laquelle le conseil communal d'Hemixem réclame contre un arrêté royal du 5 décembre 1856, qui annule les décisions des autorités administratives, en vertu desquelles la prison de Saint-Bernard a été inscrite au rôle des impositions communales, et demande que le gouvernement fasse un arrangement avec la commune pour la part afférente à l'Etat dans le payement des impositions, à raison de la consommation des objets imposables qui se fait dans cette prison. »

Messieurs, votre commission a conclu au renvoi à M. le ministre de l'intérieur avec demande d'explications.

Comme son rapport est assez long et touche à des questions d'interprétation de lois, que par arrêté du gouvernement, la décision du conseil provincial d'Anvers a été cassée, je propose également l'insertion du rapport aux Annales parlementaires et la discussion à un autre jour, d'autant plus que probablement M. le ministre ne sera pas disposé à donner des explications immédiates à cet égard.

M. Osy. - Je ne m'oppose pas à la remise de la discussion de cet objet à un autre jour. Mais il me paraît qu'il serait utile, lorsque nous discuterons les conclusions du rapport, que M. le ministre voulût bien nous donner des explications pour éviter ainsi une seconde discussion. Je prie donc M. le ministre d'avoir la complaisance d'examiner cette affaire qui est assez importante. Il s'agit d'une difficulté qui existe entre la députation d'Anvers et le gouvernement.

Je demande donc que le rapport soit imprimé et que M. le ministre ait la complaisance de nous donner des explications au moment de la discussion.

M. le ministre de l'intérieur (M. Dedecker). - Messieurs, ne connaissant pas moi-même les termes du rapport qui a été présenté à la Chambre par la commission dont l'honorable M. Vander Donckt est rapporteur, il me serait difficile de rencontrer les observations faites au nom de la commission. Lorsque j'aurai pris connaissance du rapport de la commission, je présenterai à la Chambre des explications pour justifier la conduite du gouvernement.

La Chambre décidera ultérieurement le jour qui lui conviendra le mieux pour la discussion de cet objet.

M. Osy. - Il me paraît que pour la pétition sur laquelle l'honorable M. Moncheur a fait rapport, nous pourrions suivre la même marche et demander que lors de la discussion du rapport, M. le ministre des travaux publics nous donne des explications.

M. le ministre des travaux publics (M. Dumon). - Je suis d'accord avec l'honorable membre.

- L'impression du rapport est ordonnée.

Motion d’ordre

Atteinte à la liberté constitutionnelle de conscience

M. le ministre de l'intérieur (M. Dedecker). - Messieurs, avant les vacances de Pâques, l'honorable M. Thiéfry avait interpellé le gouvernement sur certains faits qui s'étaient passés à l'école vétérinaire. J'étais absent ; j'assistais dans ce moment aux discussions du Sénat sur la loi relative aux jurys d'examen pour les grades universitaires. Mon honorable collègue ; M. Vilain XIIII, a dit à la Chambre que déjà une enquête avait été ordonnée par moi, et que plus tard je serais à même de fournir quelques explications sur ces faits. Vous avez pu remarquer que, pendant les vacances déjà, le Moniteur donné quelques renseignements de la part du gouvernement. Je croyais que ces explications étaient de nature à satisfaire la Chambre relativement aux faits que l'on avait signalés dans la presse. Depuis lors j'ai vu que la presse insistait et signalait encore de nouveaux faits. J'ai, de mon côté, fait prendre de nouvelles informations, et si la Chambre le juge convenable, je pourrai lui fournir, dès aujourd'hui, des explications sur ces faits.

- Plusieurs membres. - Oui ! oui !

M. le ministre de l'intérieur (M. Dedecker). - Messieurs, les faits qui ont été signalés par la presse sont de deux espèces : Il y a d'abord les faits qui se rapportent à l'accomplissement du devoir pascal par les élèves de l'école vétérinaire, et il y a ensuite des faits qui concernent l'enseignement donné par l'honorable aumônier de l'école.

Messieurs, quand je suis arrivé aux affaires, j'ai trouvé que des négociations avaient été ouvertes par mon honorable prédécesseur, pour l'obtention du concours du clergé à l'école vétérinaire de l'Etat. Ces négociations ont été poursuivies, et au mois de septembre, un règlement a été décrété. Ce règlement se trouve aujourd'hui en vigueur. C'est relativement à l'exécution de deux ou trois articles de ce règlement que des réclamations se sont récemment produites,

Les articles 4, 5 et 6 de ce règlement sont surtout en jeu. Je vais d'abord les faire connaître :

Art. 4. L'aumônier a soin de l'éducation chrétienne des élèves ; il veille à ce qu'ils remplissent en temps opportun leurs devoirs religieux. Il s'entend à ce sujet avec le directeur.

Art. 5. Les dimanches et les jours de fête, l'aumônier dit la messe pour les élèves et leur donne une instruction religieuse dans la chapelle de l'école.

Art. 6. Il y a en outre une instruction religieuse dans le courant de la semaine, au jour et à l'heure à arrêter de commun accord entre le directeur et l'aumônier.

Aucune difficulté ne s'était présentée relativement à l'article 5 et à l'article 6, concernant l'instruction religieuse du dimanche et le cours d'enseignement religieux à donner une fois par semaine par l'honorable aumônier. Seulement des difficultés pouvaient se présenter relativement à l'application de l'article 4, en ce qui concerne l'accomplissement du devoir pascal pour les élèves.

L'honorable directeur de l'établissement me demanda quelques explications sur l'esprit dans lequel cet article 4 devait être exécuté et voici les instructions, que je lui donnai :

« Ceux des élèves qui ne veulent pas se conformer aux articles 5 et 6 du règlement du 25 septembre 1855, doivent vous prouver que le vœu de leurs parents est qu'ils n'y soient pas astreints ou qu'ils appartiennent à un autre culte que le culte catholique. S'ils s'abstiennent de produire cette preuve, vous devez vous adresser vous-même aux familles, pour connaître leur intention formelle.

« Quant au devoir pascal, s'il y a des jeunes gens qui ne veulent pas le remplir à l'école avant d'aller en vacances, vous devez vous borner, après vous être entendu avec l'aumônier, à en informer les parents et laisser à ceux-ci la liberté et la responsabilité de leur action.

« Les élèves de l'école vétérinaire, qui tous ont l'âge de la raison, et parmi lesquels il y en a plusieurs qui sont majeurs, ne peuvent être conduits comme des enfants qui ne sont pas en mesure d'apprécier la portée de leurs actes.

« Il faut leur laisser la liberté de s'acquitter, selon leur conscience, de ceux des devoirs religieux qui ne sont pas indiqués formellement dans le règlement du 25 septembre ; c'est aux exhortations de l'aumônier, venant en aide aux traditions de la famille, qu'il appartient de former la conviction qui seule peut amener et justifier l'accomplissement de ces devoirs. »

L'année dernière, messieurs, l'exécution de l'article 4, en ce qui concerne l'accomplissement du devoir pascal des élèves de l'école vétérinaire, n'avait donné lieu à aucune difficulté. Les vacances avaient commencé vers le milieu de la semaine qui précède les Pâques ; on était donc déjà arrivé au temps consacré par l'Eglise à l'accomplissement du devoir pascal et une partie des élèves l'avaient accompli à l'école, les autres étaient porteurs de leur bulletin sur lequel on avait mis qu'ils n'avaient pas rempli leur devoir pascal à l'école, ce qui voulait dire que c'était aux parents, dans la mesure de leur responsabilité, de veiller à ce que leurs enfants s'acquittassent de ce devoir.

Cette année, une difficulté s'est présentée. Pour des motifs tirés des besoins de l'enseignement, le temps des vacances avait été fixé une semaine plus tôt que d'ordinaire.et voici ce qui avait donné lieu à cette anticipation sur l'époque ordinaire des vacances qui n'est, du reste, pas fixée par le règlement.

Les cours du semestre d'hiver étaient tous terminés ; et, comme les Pâques viennent très tard cette année, l'honorable directeur m'avait fait observer que le semestre d'été serait trop court pour les leçons qui doivent se donner pendant ce semestre.

(page 1357) En conséquence, il m'avait proposé d'avancer de 8 jours les vacances. Pour les leçons du semestre d'hiver on n'avait plus besoin de ces 8 jours qui seraient, au contraire, très utiles pour les cours d'été. On avait donc devancé de 8 jours l'époque des vacances.

L'honorable aumônier, nullement dans l'intention de contrarier le gouvernement, mais en acquit de son devoir, signala à M. le directeur les inconvénients de cette mesure. En effet, ce n'est que le dimanche 5 avril que commençait, cette année, pour la généralité des fidèles, le temps pendant lequel ils doivent remplir leur devoir pascal. Or, les vacances avaient été fixées au 29 mars.

L'honorable aumônier prétendit que, conformément à l'article 4 du règlement, il doit veiller à ce que les élèves s'acquittent de leurs devoirs religieux ; que, selon les règles canoniques, c'est dans le lieu de la résidence habituelle qu'on doit remplir son devoir pascal. Par conséquent, pour se conformer aux règles canoniques, il crut devoir insister pour que les élèves pussent remplir leur devoir pascal à l'établissement.

L'honorable directeur signala à M. l'aumônier la difficulté de revenir sur la fixation des vacances. M. l'aumônier, appréciant les raisons qui avaient motivé cette mesure, se rendit auprès du cardinal archevêque de Malines pour demander que, pour les élèves de l'école, le temps pascal fût avancé de 8 jours. Son Eminence consentit à l'exception.

Les vacances avaient été fixées au dimanche 29 mars, les élèves pouvaient encore ce jour-là remplir leur devoir pascal. M. le directeur leur fit donc connaître cette décision par un ordre du jour, comme cela se pratique d'ordinaire à l'école vétérinaire dont le règlement a un caractère presque militaire.

Les élèves étaient invités à remplir leur devoir pascal à l'école. La moitié des élèves, au nombre de 33, se rendit immédiatement à l'appel fait par M. le directeur ; 32 autres élèves n'y répondirent pas.

Ici, messieurs, se présentent les faits qui ont été articulés dans la presse. On prétend qu'une pression inconstitutionnelle aurait été exercée sur l'esprit de ces 32 élèves. C'est là aussi le point que le gouvernement avait spécialement à examiner.

Je n'ai pu me livrer immédiatement à cette enquête. M. le directeur, dont la santé était un peu délabrée, était déjà allé en vacances, et l'honorable directeur de la division au département de l'intérieur que la chose concerne, avait été appelé dans sa famille par la mort de son beau-père ; j'ai donc été forcé de retarder de huit jours l'enquête à laquelle je me suis livré.

Il résulte des explications qui m'ont été fournies par l'honorable directeur de l'école, qu'aucune pression, dans le sens ordinaire du mot, n'a été exercée sur l'esprit des élèves ; mais l'honorable directeur ne fait aucune difficulté d'avouer qu'il a fait venir successivement ces élèves dans son cabinet pour leur faire connaître le motif pour lequel les élèves avaient été priés de remplir leur devoir pascal à l’établissement ; que c'était uniquement pour se conformer aux règles canoniques ; que du reste, ceux qui voulaient remplir leur devoir chez eux, pourraient le faire ; que dans ce cas on avertirait leurs parents, comme cela s'était fait l'année précédente. L'honorable directeur a cherché à leur faire comprendre la nécessité de se conformer au règlement de la maison, autant que cela pouvait entrer dans leurs convictions ; il a ajouté que, quant à lui personnellement, il désirait qu'aucune difficulté ne surgît du conflit qu'aurait pu amener un refus obstiné de leur part.

La plupart de ces jeunes gens se rendirent à l'appel de l'honorable directeur ; il n'y en eut que huit qui refusèrent de remplir leur devoir pascal à l’établissement. Le directeur les invita à déclarer leur refus par écrit, uniquement pour dégager, sous ce rapport, sa propre responsabilité à l'égard des parents et du gouvernement. Il annonça à ces jeunes gens qu'il allait immédiatement informer leurs parents qu'ils n'avaient pas rempli leur devoir pascal à l'établissement ; ce qu'il fit.

Voilà les faits tels qu'ils se sont passés.

On a accusé le directeur d'avoir exercé une pression par voie de menaces ou de promesses. Cet honorable fonctionnaire proteste hautement contre une pareille accusation ; il soutient que, dans le langage qu'il a tenu aux élèves, il s'est borné à des conseils paternels.

On a cru un instant que la pression avait été exercée par l'aumônier. Je dois déclarer qu'il est resté complètement étranger à tous ces faits.

On a dit ensuite que l'aumônier n'était pas intervenu personnellement, mais que le directeur avait été en quelque sorte l'instrument indirect de l'aumônier. Ceux qui connaissent l'honorable directeur de l'école vétérinaire savent que cette accusation est dénuée de tout fondement. Le caractère indépendant et loyal de ce fonctionnaire nous est garant que, dans toute cette affaire, il a été exclusivement mû par le désir sincère d'être utile aux élèves et à l'établissement même. Il m'a, d'ailleurs, donné l'assurance la plus formelle que l'aumônier n'est intervenu d'aucune façon auprès de lui et ne lui a suggéré aucune des mesures que le seul intérêt des élèves lui a dictées.

J'arrive, messieurs, aux autres faits que la presse a signalés, et qui concernent l'enseignement même donné par M. l'aumônier.

J'avoue que quant à l'appréciation de l'enseignement religieux, je dois me déclarer incompétent. Je n'ai pas le droit d'examiner cet enseignement au point de vue religieux. (Interruption.)

Je ne sache pas que, sous la rapport constitutionnel, aucune accusation ait été formulée contre l'enseignement de M. l'aumônier. J'ai officieusement interrogé l'aumônier et le directeur, et il résulte des explications qui m'ont été données, que M. l'aumônier n'est pas sorti des bornes de l'enseignement religieux. Mais je reconnais qu'à cause de la connexion qu'il y a parfois entre les questions religieuses et les questions politiques, certains faits peuvent paraître sortir du domaine purement religieux.

Ainsi, l'honorable aumônier, en examinant les doctrines d'auteur dont les écrits ne sont pas orthodoxes, a pu citer les noms de quelques auteurs belges contemporains. Sans doute, il serait préférable que de pareils faits ne se fussent pas produits, et j'ai, à cet égard, déclaré franchement mes intentions à l'honorable aumônier ; mais enfin, j'ai acquis la conviction, qu'en agissant ainsi ce professeur a cru, de bonne foi, rester dans la sphère purement religieuse.

Sous le rapport de la forme dans laquelle l'enseignement a été donné, il y aurait peut-être matière à quelques observations ; on a cité certaines plaisanteries dont je ne garantis pas le bon goût. On ne doit pas attacher trop d'importance à ces questions de forme. Si l'on connaissait de près l'enseignement de tous les professeurs en général, on verrait qu'il se passe aussi dans tout enseignement des faits qui s'expliquent par l'espèce de familiarité qui s'établit entra le professeur et ses élèves, mais qui, produits au grand jour de la presse et de la tribune, auraient un caractère que ces faits n'ont pas dans la classe même.

Messieurs, ce que je tiens à bien établir, c'est que les prescriptions du gouvernement ont été, de tout point, parfaitement constitutionnelles. Le gouvernement n'est pour rien dans les faits qui se sont produits dans l'exécution de ces prescriptions ; et, du reste, d'après les explications qui ont été données, il est permis de dire que ces faits se sont passés dans un sens parfaitement constitutionnel.

(page 1361) M. Verhaegen. - Messieurs, quelques jours avant notre séparation, l'honorable M. Thiéfry a signalé à la tribune des faits qui se seraient passés à l'école vétérinaire, des faits graves portant atteinte à la liberté de conscience.

Le gouvernement avait promis d'ouvrir une enquête, non pas, comme l'a dit M. le ministre de l'intérieur, une espèce d'enquête, mais une enquête dans toute la force du mot, une enquête complète, entourée des garanties nécessaires pour arriver à la découverte de la vérité, une enquête contradictoire.

Et à quoi se réduit le simulacre d’enquête dont a parlé l'honorable M. Dedecker ? Il s'est borné à demander quelques renseignements, et à qui ? A ceux qui étaient accusés : au directeur et à l'aumônier !

Le directeur s'est excusé tant bien que mal ; il a prétendu avoir agi paternellement envers les élèves, et le ministre n'a pas pu croire qu'il aurait excédé les bornes que lui traçaient ses fonctions. Quant à l'aumônier, il serait resté complètement étranger aux faits.

C'est le résumé de ces renseignements que M. le ministre de l'intérieur a fait publier au Moniteur et qu'il voudrait faire passer pour une espèce d'enquête.

Il espérait que cette publication aurait mis fin au débat ; mais non : les plaintes se sont reproduites avec plus de force que précédemment, les faits ont été précisés, des détails ont été donnés, les preuves ont été produites à l'appui et on a demandé de nouveau qu'une enquête sérieuse fût ouverte sur les faits signalés.

Les plaignants ont pris la seule voie qui leur fût offerte dans l'occurrence, ils se sont emparés de cette arme formidable qu'indiquait, il y a quelques jours, M. le ministre de la justice, comme garantie contre les abus : la Presse ; la presse leur est venue en aide ; les abus ont été rendus publics, les faits ont été précisés, détaillés, et ces faits ont éveille mon attention comme ils ont éveillé l'attention de plusieurs de mes honorables collègues.

Cependant, plusieurs jours se sont écoulés depuis. Je n'ai pas voulu marcher à la légère ; j'ai désiré avoir des preuves écrites ; et ces preuves écrites je le possède aujourd'hui ; c'est armé de ces pièces que je me présente devant la Chambre, pièces qui, à coup sûr, m'autoriseront à demander comme complément une enquête contradictoire.

La chose est assez sérieuse pour qu'on ne recule pas devant cette mesure et que satisfaction soit donnée à toutes les convictions.

Messieurs, ainsi que le disait tout à l'heure l'honorable ministre de l'intérieur, les faits sont de deux catégories : les uns se rattachent au devoir pascal, les autres concernent l'enseignement religieux donné dans l'école par l'aumônier.

Examinons ces faits et commençons par ceux qui se rattachent au devoir pascal : l'honorable ministre de l'intérieur dans son impartialité, je dois le reconnaître, ne vous a pas caché quelques circonstances qui sont déjà assez importantes par elles-mêmes. Mais la difficulté pour lui a été de les expliquer convenablement. Aussi s'est-il borné à cet égard à une phrase générale mais timide et a-t-il laissé à l'appréciation de la Chambre la question de savoir si, dans l'occurrence, le directeur de l'établissement avait, oui ou non, excédé les limites de ses pouvoirs.

Les vacances, on est d'accord sur ce point, avaient d'abord été fixées au 28 mars.

M. le ministre de l'intérieur (M. Dedecker). - Au 29 mars.

M. Verhaegen. - Je répète qu'elles avaient été fixées d'abord au 28 mars et j'ajoute que cette date avait été annoncée aux élèves et même aux parents dans les bulletins trimestriels. Mais ensuite on les a retardées d'un jour et cela pour arriver au but qu'on se proposait, pour pouvoir forcer les élèves à remplir leurs devoirs religieux à l'école vétérinaire.

C'est aussi aux mêmes fins que M. l'aumônier s'est adressé à l'archevêque pour obtenir une exception en faveur de l'école vétérinaire quant à l'ouverture de la période pascale et que cette ouverture a été fixée huit jours plus tôt que d'habitude. Si ce zèle outré et exceptionnel ne s'était pas produis, les choses auraient suivi leur cours naturel, et aucun conflit n'aurait surgi : les élèves seraient rentrés dans leur famille avant l'ouverture du temps pascal. Les parents les auraient surveillés s'ils avaient jugé à propos de le faire et il aurait été satisfait aux exigences. Mais non, ou a cru que le moment était favorable pour poser un acte d'autorité ecclésiastique et on a voulu forcer les élèves à se confesser avant leur départ et à faire leurs pâques à l'école.

Et qu'est-il arrivé ? Presque tous les élevés ont refusé, dans le principe, de se rendre aux injonctions de l'aumônier, et c'est alors que M. le directeur, dont nous comprenons difficilement la conduite, les a mandés un à un dans son cabinet ; ce fait est en aveu.

A en croire M. le ministre de l'intérieur, M. Didot se serait borné à faire à ces élèves des représentations toutes paternelles et à leur exposer la convenance qu'il y aurait pour eux à remplir leur devoir pascal à l'école. C'est ici, messieurs, que commence le dissentiment.

D'après des renseignements qui m'ont été donnés par écrit des faits graves se seraient passés dans le cabinet de M. le directeur. Je me garderai bien de citer des noms propres ; car dans les temps où nous vivons il pourrait y avoir des victimes. Je ne veux pas exposer ceux qui se plaignent à la colère des intolérants (interruption) ; mais leurs renseignements me servent de garantie, et si vous ordonnez une enquête contradictoire les faits seront établis.

Que s'est-il donc passé dans le cabinet du directeur ? (Interruption.) Cela soulève des murmures. Je devais m'y attendre ; mais j'irai jusqu'au bout ; et il faudra bien que vous m'écoutiez.

Que s'est-il passé dans le cabinet du directeur ? Le directeur ne s'est pas borné à des représentations paternelles, beaucoup s'en faut ; à moins qu'on ne veuille donner ce nom à des menaces pour les uns, à des promesses pour les autres : aux boursiers il aurait insinué qu'on pourrait bien, s'ils ne consentaient pas à faire leurs pâques, leur retirer la bourse dont ils jouissaient ; aux miliciens qui avaient obtenu des congés temporaires, qu'on les renverrait dans leurs corps ; aux étrangers, qu'on les expulserait de l'école ; à tous il aurait fait comprendre, d'une manière très paternelle sans doute, que leur position serait gravement compromise au sortir de l'école, s'ils ne remplissaient pas leurs devoirs religieux ; que nous vivions sous un ministère catholique, dans un temps où les exigences du clergé allaient toujours croissant et se trouvaient justifiées par le succès ; que s'ils ne voulaient pas briser leur avenir, s'ils voulaient un jour être nommés médecins vétérinaires du gouvernement, il convenait qu'ils se rendissent à ces exigences et fissent leurs pâques.

Il aurait ajouté, toujours très paternellement, que ceux qui si conduiraient bien, qui rempliraient leurs devoirs religieux, auraient une attestation qu'en tout temps ils pourraient montrer aux autorités, que ce serait leur passeport à la sortie de l'école, et en d'autres termes, qu'on leur délivrerait un billet de confession, signé par l'aumônier et visé par leur directeur ; que ceux qui se montreraient récalcitrants seraient signalés, et que bonne note en serait tenue dans les bureaux du ministère.

A ceux qui se sont laissé entraîner par ces promesses et qui ont rempli leurs devoirs religieux sous cette contrainte morale, on a, en effet, donné des billets de confession. En voici un.

M. de Liedekerke. - Lisez-le.

M. Verhaegen. - Je n'entends pas me rendre aux exigences de l'honorable M. de Liedekerke. Je lirai le billet quand il me conviendra de le lire, et avec les précautions voulues.

M. de Liedekerke. - Nous ne sommes pas obligés de vous croire.

M. Verhaegen. - Vous regretterez bientôt ce que vous venez de dire. C'est un billet de confession dans toute la force du terme. Je le tiens en mains, et je dis qu'à coup sûr celui qui a reçu ce billet et qui me l'a remis n'est pas un de ceux qui, sans contrainte, se seraient rendus aux injonctions de MM. les directeur et aumônier.

Maintenant, vous me demandez que je lise le billet de confession ; je vais le lire ; mais j'ai eu soin de couvrir d'une bande le nom de celui à qui il est donné, pour qu'il ne soit pas victime de sa révélation :

« M. X... a fait ses pâques à l'école vétérinaire.

« Cureghem, le 29 mars 1857.

« L'aumônier (signé) Taymans.

« Vu, le directeur (signé) Didot. »

Au bas se trouve le sceau de l'établissement.

Maintenant, je le demande, quel peut être le but d'un semblable billet ? Le but est évident ; je l'ai mis à nu, et en présence d'une pareille pièce, peut-on encore se refuser à une enquête ?

Ce n'est pas tout ; aux parents des élèves qui refusent, on écrit des lettres dont la forme et le fond témoignent de l'intention. J'ai par devers moi quelques-unes de ces lettres, et certes, les parents qui me les ont fait remettre pour en faire usage ne partagent pas l'avis de M. le directeur.

Et ce n'est pas seulement M. le directeur qui a écrit, c'est M. l'aumônier lui-même qui, voulant faire ace d'autorité ecclésiastique, s'est adressé directement aux parents, alors que, d'après l'honorable ministre de l’intérieur, l'aumônier devait se borner à sa mission spirituelle et ne pas s'occuper d'actes d'administration parmi lesquels se range la correspondance avec les parents ; j'ai également ces lettres à ma disposition.

Voici d'abord les lettres de M. le directeur :

« École de médecine vétérinaire,

« Monsieur,

« J'ai l'honneur de vous informer que monsieur votre fils refuse positivement de faire ses pâques à l'école, ainsi qu'il y est obligé par la convention d'Anvers convertie en loi le 1er juin 1850... (Interruption.)

« Veuillez, je vous prie, me faire connaître vos intentions à cet égard par le retour du courrier et me dire s’il appartient à la religion catholique. » (Interruption.)

Voila ce qu'écrit M. Didot dans sa sollicitude toute paternelle. J'ai supprimé les adresses pour ne pas compromettre les personnes qui m'ont confié ces lettres.

Voici maintenant les lettres de l'aumônier :

« Monsieur,

« Je crois qu'il est de mon devoir de vous apprendra que monsieur votre fils a obstinément refusé de satisfaire au devoir pascal qui, d'après les (page 1362) lois de sainte Eglise, doit être fait à la chapelle de l'établissement. Sur 64 élèves il n'y a que neuf récalcitrants.

« Agréez, etc.

« Bruxelles, 28 mars 1857.

« (Signé) Taymans, aumônier. »

C'est l'aumônier qui, d'après l'honorable M. Dedecker, devait rester complètement étranger au conflit.

Messieurs, nous faisons des pas de géant. L'instruction religieuse était présentée en 1850 de la manière la plus inoffensive. Pourquoi, disait-on, vous opposeriez-vous à ce que, dans un établissement public d'instruction moyenne, on donnât une instruction à la fois si simple et si morale ?

Pourquoi vous opposeriez-vous à ce que le clergé eût l’entrée dans ces établissements ? Ainsi présentée, la chose pouvait pour quelques-uns ne pas présenter d'inconvénient. Mais on voit la marche que l’on a suivie et où l’on en est arrivé.

Il ne s'agit plus d'enfants ; il ne s'agît plus d'adultes, il s'agit de jeunes gens, je dirai même d'hommes faits. Il ne s'agit pas d'écoles primaires, d'écoles moyennes.

Il s’agit d'un établissement de haut enseignement, car enfin l'école vétérinaire qu'est-elle ? C'est une faculté de médecine appliquée aux animaux. Voyez la nomenclature des connaissances requises pour obtenir le grade de médecin vétérinaire : le programme est très compliqué et il faut être parvenu à un certain âge pour se livrer à des études telles que celles-là.

Aussi M. le directeur a-t-il calomnié M. le ministre de l’intérieur quand il a pris son nom pour arriver au résultat qu'il se proposait. La missive que vient de lire M. le ministre de l'intérieur et qu'il adressait, le 12 mars 1856, à M. Didot était très sensée ; il y disait : « Vous ne devez pas traiter les élèves de l’école vétérinaire comme des enfants ; la plupart sont majeurs ; il faut se conduire d'une toute autre manière. C'est à leur conscience qu'il faut faire appel. Il faut éviter de recourir à des moyens qui ne sont pas en rapport avec leur position. » M. le ministre de l'intérieur aurait pu ajouter qu'il y a, parmi les élèves de l'école vétérinaire, des hommes mariés. Et c’est à des gens de cette catégorie qu'on voudrait appliquer la convention d'Anvers !

Vous voyez, messieurs, quels pas immenses nous avons faits depuis 1850. On veut aujourd'hui appliquer partout la convention d'Anvers Ce n'est plus seulement dans l'enseignement moyen qu'il s'agit de faire intervenir le clergé pour donner l’instruction religieuse, c'est dans tous les établissements et même dans des établissements spéciaux comme l’école vétérinaire, qu'on veut cette intervention et qu'on veut obliger les élèves à faire preuve de l'accomplissement de leur devoir pascal. Il en sera donc de même pour l'école militaire, et par suite pour les universités de l'Etat ; la convention d'Anvers sera applicable à l'enseignement dans tous ses degrés.

Voilà où nous arrivons ; voilà où conduisent ces exigences que l'on présentait comme si peu importantes, alors qu'il s'agissait de les faire admettre et d'où l'on tire d'aussi énormes conséquences après les avoir fait sanctionner ; et les fonctionnaires, dans leur zèle, ne savent pas où ils vont, ils ne connaissent plus même l'origine des choses. Le directeur écrit aux parents que les élèves de l'école vétérinaire sont obligés de faire leurs Pâques aux termes de la convention d'Anvers convertie en loi le 1er juin 1850. Et quelle est la loi du 1er juin 1850 ? C'est la loi sur l'enseignement moyen. Or la convention d'Anvers n'a été sanctionnée qu'en 1854. (Interruption.)

- Plusieurs membres. - Pas par une loi.

M. Verhaegen. - Je suis excessivement large dans mes appréciations ; je retire le mot « sanctionné », s'il ne vous plaît pas ; c'est cependant ainsi qu'on apprécie les choses.

La convention d'Anvers est d'ailleurs exclusivement applicable à l'enseignement moyen et encore seulement à l'externat.

Messieurs, il y a quelques années, j'étais, au dire de mes adversaires, un exagéré, et, pour me servir d'une expression triviale dont on se servait alors, un « oiseau de mauvais augure ». Je disais qu'un jour on arriverait aux billets de confession. Eh bien, les billets de confession sont là ; je disais qu'on arriverait à la mainmorte, on va nous la donner et dans des proportions effrayantes ; je parlais de la dîme, et la dîme est en route, elle se rapproche de nos frontières. Je ne regrette qu'une chose, ce sont les conséquences terribles que je prévois pour mon pays d'un pareil état de choses.

Messieurs, je me résume sur ce premier point et je dis : Des faits graves sont signales par les élèves mêmes de l’école vétérinaire. Celle fois on n'est pas resté dans le vague, on a spécifié ces faits ; on les a détaillés, une enquête devait s'ouvrir. L'honorable ministre de l'intérieur convient qu'il n'y a eu qu'une espèce d'enquête, qu’il n'a entendu que M. le directeur, qu'il n'a entendu que la partie intéressée. Je demande qu'on entende les élèves, qu'on entende les plaignants ; et je ne demande ici que ce que nos adversaires politiques ont demandé eux-mêmes dans d'autres circonstances. Est-ce que les élevés qui avaient assisté à Gand, aux cours de M. Laurent et de M. Brasseur n’inspiraient pas toute confiance à l'honorable M. Dumortier, lorsqu'il venait invoquer leur témoignage et leurs cahiers ? Notre jeunesse est honnête, elle peut être ardente lorsqu'il s'agit de soutenir ses droits constitutionnels, mais elle a le cœur bon et généreux ; elle est loyale et l'on peut être sûr qu'en faisant un appel à la conscience des élèves, en les interrogeant sous serment, ils ne diront que la vérité.

Ainsi, appuyant d'abord mes assertions sur des preuves écrites qui constatent les faits principaux, je viens demander un complément de preuve par une enquête contradictoire et régulière, faite avec toutes les garanties nécessaires pour arriver à la constatation de la vérité.

Reste le second point et ce second point n'est pas moins important que le premier. Il s'agit de l'enseignement religieux donné à l'école vétérinaire de Cureghem.

Vous avez dû vous apercevoir, messieurs, par les paroles que vient de prononcer l'honorable ministre de l'intérieur, que cet enseignement est loin d'être ce qu'il devrait être ; mais M. le ministre a cru se mettre à l'aise en disant qu'il était incompétent pour l'apprécier. Je me hâte de lui répondre qu'avec ce système, on permet à tous les membres du clergé qui viennent donner un enseignement dans une école, sous prétexte que cet enseignement est religieux, de débiter toutes les théories qu'ils jugeront à propos, anticonstitutionnelles et autres, sans qu'ils soient soumis au contrôle du gouvernement.

Que lorsqu'il s'agit de l'enseignement religieux proprement dit, de l'enseignement du catéchisme, le gouvernement ne soit pas compétent pour l'apprécier, soit ; mais si au lieu d'enseigner le catéchisme, de s'occuper de religion, le ministre du culte chargé de donner l'instruction religieuse, s'occupe de toute autre chose ; si, sous prétexte d'enseignement religieux, il vient blâmer les établissements de l'Etat, il vient calomnier des établissements privées, il s'occupe de billevesées qui, en définitive, lui retirent toute la confiance que les élèves pourraient avoir en lui, oh ! alors c'est autre chose, et le devoir du gouvernement est d'intervenir. Eh bien, ici encore les faits graves qui ont été signalés seront constatés par l'enquête.

Voulez-vous savoir, messieurs, ce qui est enseigné par l'aumônier d« l'école vétérinaire. Dans une de ses leçons, il disait, en parlant de MM. Laurent et Brasseur, en les indiquant nominativement, qu'ils étaient des propagateurs de l'erreur et du mensonge et « qu'ils étaient voués à la réprobation générale ». Puis il ajoutait : « Si je niais l'existence de Dieu (M. l'abbé insinue charitablement que les deux professeurs de Gand enseignent l'athéisme), si je ne croyais pas à toutes les vérités de la sainte Eglise, si j'émettais des principes absurdes, vous vous récrieriez et vous vous élèveriez contre moi, comme le public s’est élevé contre Laurent cl Brasseur. »

Voilà comment il traite les établissements de l'Etat, lui, aumônier d'un autre établissement de l’Etat. Et le gouvernement n'aurait rien à y voir, rien à y dire !

Puis, messieurs, voici une calomnie contre un établissement privé :

« II n'existe qu'un Dieu unique et indivisible : cela est patent, la raison ne saurait se refuser d'y croire, mais vous le dirai-je, messieurs, en Belgique, dans la capitale, il y a un enseignement supérieur où l'on dit que mon livre est Dieu, que ce quinquet est Dieu ; en un, où l'on professe le panthéisme. Quand on enseigne de pareilles absurdités, on est sûr de ne pas être écouté. »

Enfin il s'efforce de mêler le plaisant au sévère : Ainsi, en parlant de Jean Jacques Rousseau, il dit a « qu'il était fou et qu'il n'a eu que de rares intervalles lucides ;» il dit de Voltaire « qu'à son lit de mort « il avait, dans un accès de désespoir, avalé ses excréments ; » il dit de George Sand « que ses écrits sont des provocations au suicide, » et il affirme sérieusement que cet écrivain a tué plus d'hommes qu'un conquérant.

Voilà, messieurs, les phrases telles qu'elles ont été prononcées, telles qu'elles ont été notées par les élèves. Voilà l'aumônier de l'école vétérinaire.

Je ne conteste pas à M. l'aumônier le droit de dire tout cela dans un sermon s'il le trouve utile, de raconter ces billevesées à ses amis ; mais que, payé par l'Etat comme aumônier de l'école vétérinaire, il vienne enseigner dans son coins de religion pareilles absurdités, voilà ce que je condamne, parce que cela dépasse toutes les limites dans lesquelles sa mission spirituelle se renferme. Aussi l'honorable ministre de l'intérieur a-t-il été assez embarrassé pour se tirer d'affaire, il vous a dit : L'instruction n'est pas ce qu'elle doit être, elle pourrait être meilleure ; mais que voulez-vous que j'y fasse ! Je ne suis pas compétent pour la contrôler.

Il semblerait, messieurs, que personne ne soit compétent pour réprimer les abus commis par le clergé. La presse elle-même est suspecte, car elle est signalée comme mauvaise presse, du moment qu'elle touche à ce qu'on est convenu d'appeler l'arche sainte. Apres cela, que nous reste-t-il ? Il ne nous reste qu'à courber la tête et à nous soumettre aveuglément. Il ne nous reste qu'à abandonner au clergé tous les ressorts administratifs et à reconnaître que le gouvernement ne peut être que l'exécuteur de ses volontés.

(page 1357) >M. Vander Donckt. - Messieurs, j'ai été péniblement affecté de voir que l'honorable directeur de l'école vétérinaire était calomnié dans la presse et que dans cette enceinte même on semble incliner à donner raison à certains élèves contre lui. Quant à M. l'aumônier, je ne le connais pas ; à son égard je m'abstiendrai ; mais quant au directeur je le connais particulièrement et je puis assurer qu'il est digne de toute la bienveillance de l'autorité et des Chambres. On lui doit de grands perfectionnements dans l'école vétérinaire et je regrette infiniment de voir que son honorabilité soit mise en doute, que son autorité soit infirmée.

Si nous, premier corps de l'Etat, nous ne soutenons pas les fonctionnaires, si, au mépris de toute hiérarchie, nous écoutons des jeunes gens, des élèves qui ne sont que trop enclins à l'insubordination, je dis que nous créons la plus déplorable anarchie. Nous devons entourer les autorités de l'estime et des égards qui leur sont dus. Nous devons soutenir les fonctionnaires contre la malveillance, et c'est ce que mes honorables amis ont démontré dans plusieurs circonstances ; surtout l'honorable M. Devaux, lorsqu'il s'est agi dans cette enceinte de l'Académie de médecine. Je ne puis que me référer à ce qu'il a dit dans cette occasion.

Messieurs, s'il faut une enquête je ne m'y oppose pas, mais c'est une humiliation pour les autorités. Ce que je regrette amèrement, c'est que dès à présent et sans examen on jette du blâme sur la conduite d'un homme dont le caractère ferme et loyal est connu de tout le monde, d'un homme qui est dévoué corps et âme à son institution, qui l'a fait largement progresser. Je regrette amèrement de voir décourager un homme qui, d'ailleurs, ne dépend pas de l'école vétérinaire et qui peut-être, à notre grand regret, sera un jour dans le cas de se retirer si les calomnies prévalent, sans que nous trouvions à le remplacer convenablement.

Je dis que c'est un fonctionnaire honorable, un homme éminent, incapable de commettre les bassesses dont on l'accuse. Il faudrait le justifier et défendre, bien loin de permettre qu'on le traîne dans la boue.

Moi aussi, messieurs, j'ai des relations avec des élèves de l'école vétérinaire, j'ai causé avec eux, je les ai interrogés à ce sujet, et j'ai acquis une conviction tout opposée à celle que l'honorable M. Verhaegen vient d'énoncer.

Eh bien, messieurs, qui a tort, qui a raison ? C'est une question entre le directeur et entre les élèves, et je n'hésite pas à la résoudre en faveur de l'honorable directeur. Je regrette infiniment, je le répète, les paroles qui ont été prononcées et surtout ce qui a été dit dans la presse contre lui.

M. de Liedekerke. - Messieurs, je n'entrerai pas dans la discussion de faits qui a été soulevée par les explications de M. le ministre de l'intérieur ; je n'examinerai pas la réponse de l’honorable M. Verhaegen : je désire seulement joindre mon témoignage à celui de l’honorable M. Vander Donckt, à l'égard de M. le directeur de l’école vétérinaire, dont l'esprit, l'intelligence, la science et les connaissances ont été appréciés depuis longtemps.

J'ai eu l'occasion d'avoir des rapports, il y a quelques années, avec M. le docteur Didot, actuellement directeur de l'école vétérinaire.

Quels étaient ces rapports ! L'honorable M. Didot résidait, à cette époque, à Dinant ; il y était un des chefs du parti libéral ; je l'ai rencontré dans deux élections comme un de mes adversaires les plus décidés, les plus ardents, les plus dévoués aux idées libérales.

Je connais assez le caractère de l'honorable membre pour être (page 1358) convaincu que, quelle que soit la place qu'il peut occuper, place qui lui a été conférée par M. Piercot, il n'aura en rien abdiqué ses sentiments, ses opinions et ses convictions.

Je rends ici hommage à un ancien adversaire, parce que, bien que nous puissions professer des opinions diverses, il y a dans tous les partis des hommes honorables et qui méritent d'être respectés de tous. Je joins donc ma voix à celle de l'honorable M. Vander Donckt ; j'exprime avec lui un vif et sincère regret, qu'on ait essayé d'atteindre, d'amoindrir le caractère d'un homme parfaitement loyal qui, placé à la tête d'une école importante, a cherché à remplir avec conscience son devoir, tant à l'égard des parents dont après tout il est le représentant qu'à l'égard des élèves dont l'avenir repose sur lui.

M. Verhaegen. - Messieurs., un seul mot.- L'honorable M. de Liedekerke vient de dire qu'il défend ici un ancien adversaire, moi je dirai que je n'attaque ni ne défends personne, que je me borne à exposer des faits tels qu'ils m'ont été signalés dans des notes écrites que je tiens en mains.

Je demande une enquête et ceux qui défendent M. le directeur de l'école vétérinaire, devraient bien se joindre à moi pour engager le gouvernement à se rendre à mon désir. M. Didot appartînt-il encore aujourd'hui à l'opinion à laquelle je me fais gloire d'appartenir, cela ne m'empêcherait pas de remplir mon devoir, dût-il en résulter des conditions défavorables à M. le directeur.

Du reste, s'il est des personnes qui défendent M. Didot, il en est d'autres qui l'accusent ouvertement. Le surlendemain de la rentrée, voici ce que disait M. l'aumônier :

« Messieurs, on m'accuse d'avoir violenté vos consciences. Cela n'est pas vrai. Je ne voudrais jamais réaliser une atrocité pareille, car jamais prêtre ne l'a fait. Si vous avez été violentés tenez pour sûr que je ne suis pour rien là-dedans ; cela vient d'ailleurs. »

M. le ministre de l'intérieur (M. Dedecker). - Messieurs, les faits que la Chambre a à apprécier ont-ils la gravité que leur attribue l'honorable M. Verhaegen ? Je ne le crois pas. Je n'entends pas justifier de tout point ce qui s'est passé dans cette circonstance ; mais je persiste à croire que les principes constitutionnels dont le maintien doit surtout nous préoccuper ici, n'ont reçu aucune atteinte.

Examinons encore les faits en peu de mots.

Quelle est la mission de l'aumônier à l'école ? elle est inscrite dans l'article 4 du règlement, cet article porte :

« Cet aumônier a également soin de l'éducation chrétienne des élèves ; il veille à ce qu'ils remplissent eu temps opportun, leurs devoirs religieux. Il s'entend à ce sujet avec le directeur. »

Or, l'aumônier a demandé l'exécution littérale de l'article 4. Il doit veiller à ce que les élèves remplissent leurs devoirs religieux en tête desquels figure évidemment le devoir pascal.

Comment les élèves doivent-ils remplir le devoir pascal ? Faut-il qu'ils le remplissent à l’établissement ou ailleurs ?

Je dis que ceux des élèves qui ont intention de remplir le devoir pascal, peuvent le faire à l'établissement tout aussi bien que dans leurs communes respectives. Voilà pour les élevés. Quant à l'aumônier, il a des prescriptions canoniques, d'après lesquelles on doit remplir le devoir pascal dans le lieu où l'on réside habituellement. Eh bien, je me demande en quoi les élèves sont le moins du monde violentés lorsqu'on leur demande de remplir leur devoir pascal à l'établissement plutôt que chez eux.

Il est bien entendu qu'ils ne doivent pas l'accomplir auprès de l'aumônier ; trois confesseurs étrangers à l'établissement avaient été mis à la disposition des élèves. A-t-on forcé les élèves à remplir le devoir pascal ?

Non ; on leur a demandé de le remplir à l'établissement, avant d'entrer en vacances, et on a ajouté que, comme précédemment, on avertirait les parents de ceux qui ne le rempliraient pas.

Evidemment c'était un droit et un devoir même d'avertir les parents.

Maintenant, quant au fait, que les élèves auraient subi une pression pour remplir leur devoir pascal à l’établissement plutôt que chez eux, l'honorable M. Verhaegen prétend que cela est ; l'honorable directeur soutient le contraire,- voici ce que dit ce fonctionnaire dans sa lettre :

« Je crus devoir leur représenter la gravité d'une résolution qui leur faisait rompre tout rapport régulier avec la religion qu'ils avaient toujours professée et que personne ne peut impunément fronder, surtout dans les campagnes. Comme homme de cœur, comme père de famille, comme directeur, je crus devoir leur adresser des observations bienveillantes pour les prémunir contre les inconvénients présents et futurs d'un scepticisme qui devait nécessairement nuire à leur avenir ; et, en agissant ainsi, j’ai la conviction de n'avoir été ni fanatique, ni intolérant. Je n'ai jamais encouru ce reproche, et je ne suppose pas que personne puisse se croire autorisé à me l’adresser aujourd’hui. »

Si M. le directeur pouvait avoir fait les promesses ou proféré les menaces dont a parlé tout à l'heure l’honorable M. Verhaegen, je déclare hautement que je désavouerais sa conduite ; je n'ai pas besoin d'ajouter qu'il n’avait pas reçu de ma part la moindre instruction dans ce sens ; vous connaissez, au contraire, les instructions toutes constitutionnelles qui lui furent données.

On a posé des faits, a dit l'honorable M. Verhaegen, pour faire connaître ceux qui avaient rempli leur devoir pascal, ainsi que ceux qui ne l'avaient pas rempli.

Messieurs, cela s'explique tout naturellement. On a fait miroiter devant vos yeux un billet de confession ; c'est un terme dont on a bien souvent abusé et dont l'effet est en général assez piquant ; or, je le répète, l'explication de l'existence de ce billet de confession est bien simple. Le directeur, en envoyant aux parents les bulletins des élèves, bulletins mentionnant le commencement et la fin des vacances, leur avait annoncé en même temps que les élèves n'avaient pas rempli le devoir pascal à l'établissement.

C'est après l'envoi de ces bulletins, que l'aumônier demanda que les élèves, pour se conformer aux règles canoniques, voulussent remplir le devoir pascal à l'établissement.

Eh bien, pour ceux qui avaient rempli leur devoir pascal il fallait que le directeur avertît les parents ; sans cette précaution, d'après les bulletins, ils auraient été signalés à leurs parents comme n'ayant pas rempli leurs devoirs religieux.

Il fallait donc un billet du confesseur pour cette circonstance particulière. Voilà comment s'explique ce fameux billet de confession.

Maintenant, quant aux lettres adressées aux parents des élèves qui n'avaient pas rempli leur devoir pascal à l'école, ces lettres, (abstraction faite de la rédaction que je n'entends pas approuver) avaient pour but d'avertir les parents que leurs enfants n'avaient pas rempli le devoir religieux, pour qu'ils vissent ce qu'ils avaient à faire, leur laissant la responsabilité des actes de leurs enfants.

Mais, dit-on, l'aumônier a adressé aussi une lettre aux parents. Le directeur avait donné l'avertissement aux parents en sa qualité de chef de l'établissement. L'aumônier de son côté, avait cru devoir donner ce même avertissement pour dégager sa responsabilité morale, comme chargé, par sa conscience comme par le règlement, d'une mission spéciale relativement à l'éducation chrétienne des élèves.

Voilà les faits dans leur simplicité. Si on veut n'examiner que le côté constitutionnel de la question, les faits et les circonstances n'ont plus d'importance.

Messieurs, l'honorable M„ Verhaegen prend texte de ces faits pour dire que nous faisons des pas de géant dans la voie des exigences et des prétentions. Je ne suis pas comme l'honorable préopinant frappé de ce spectacle. Ce n'est pas, en tout cas, de ces faits qu'il faudrait induire de pareilles conclusions. Il s'agit d'un établissement de haut enseignement, dit-il, il ne fallait pas le mettre à ce régime.

C'est une question qui n'est pas si simple que celle de savoir à quel degré de l'enseignement appartient l'école vétérinaire. Il est vrai qu'on y enseigne certaines matières d'enseignement supérieur, mais l'honorable membre sait que ces matières ne sont pas traitées là avec le développement scientifique qu'on leur donne dans les universités. On ne peut pas comparer l’enseignement de l'école vétérinaire à l'enseignement universitaire, vous savez que les jeunes gens qui suivent les cours de cette école n'ont pas reçu l'enseignement moyen, ils ne peuvent nullement être comparés aux élèves des universités ; ils viennent pour la plupart du fond d'un village après avoir reçu une bonne instruction primaire, mais ils n'ont pas fait de hautes études.

M. Verhaegen. - Ils subissent un examen !

M. le ministre de l'intérieur (M. Dedecker). - Sans doute, ils doivent subir un examen : mais, pour subir cet examen, il ne faut pas du tout qu'on ait fait des études moyennes. Je ne crois pas qu'il y ait à l'école un seul élève qui ait fait ses humanités.

On dit qu'il y a des hommes mariés.

D'abord il n'y a pas d'élève marié à l'école. Parmi les quatre ou cinq élèves externes admis, par faveur exceptionnelle, à suivre les cours de l'école il y a un homme marié.

Il n'a pas été question de devoir pascal pour les externes ; ils assistent à l’instruction religieuse du jeudi, parce qu'elle fait partie essentielle du programme des études.

Mais ils n'assistent pas aux exercices religieux du dimanche. On n'a donc pas exercé à leur égard la moindre pression.

L'honorable M. Verhaegen a critiqué l'enseignement religieux, tel qu'il est donné par l'honorable aumônier.

Je maintiens ce que j'ai eu l'honneur de dire quant à cet enseignement ; je.ne me considère pas comme compétent pour le juger. Quand des questions analogues ont été traitées pour l'enseignement moyen il a été entendu que les inspecteurs ecclésiastiques, dans le cas où l'on viendrait à en nommer, si la convention d'Anvers se généralisait, ne pourraient pas sortir du domaine de leur enseignement religieux, qu'ils n'auraient pas la moindre action, la moindre intervention, en ce qui concerne l'enseignement littéraire on scientifique.

Il a été admis ; par réciprocité, que le gouvernement ne s'immiscerait pas dans l'enseignement religieux proprement dit. Si ceux qui sont chargés de donner cet enseignement manquent à leurs devoirs, oublient ce qu'ils doivent au caractère grave et sérieux dont ils sont revêtus dans l'enseignement qu'ils ont mission de donner, le gouvernement peut en avertir l'autorité supérieure ecclésiastique et s'entendre avec elle, pour provoquer des mesures jugées nécessaires.

Ce sont des questions que le gouvernement a à examiner, sous sa responsabilité. Je ne dis pas qu'il n'y aura pas pour le gouvernement quelques mesures à prendre pour que le règlement pour l'enseignement religieux à l'école vétérinaire soit convenablement exécuté.

(page 1359) Faut-il sortir des voies que le gouvernement s'est tracées, abandonner, la conduite qu'il a tenue dans cette circonstance, en un mot, faut-il une enquête contradictoire ? C'est vouloir que les élèves soient solennellement posés comme juges du directeur de leur institution et de leur aumônier.

Je ne sais où cela conduirait. Non seulement je crois inutile de faire une enquête, parce que les faits sont suffisamment connus, mais encore parce qu'il y aurait les plus grands dangers à vouloir les constater par une enquête officielle.

M. Frère-Orban. - Il est une chose qu'on perd de vue ; dans la discussion qu'on vient d'interrompre, on se plaint, on s'indigne à l'idée qu'on puisse vouloir porter atteinte à ce que l'on se plaît à nommer la liberté de la charité ; mais il y a une liberté plus vraie que celle-là, plus essentielle et qui aujourd'hui est en cause, c'est la liberté de conscience. Cependant la droite montre une forte impatience en entendant discuter la question grave qui nous est soumise.

Quelques hommes, nous ne pouvons pas les appeler des enfants, quelques hommes se plaignent d'avoir été violentés sous ce rapport ; il n'est pas présumable que ce soit sans motifs qu'ils viennent se plaindre, qu'ils se sont adressés à la presse et que le gouvernement a été obligé de demander des explications. On a employé à leur égard des moyens qu'ils considèrent comme portant atteinte à leurs droits à la liberté de conscience.

Et l'on ne veut pas les entendre ! On ne veut se livrer à aucune enquête sérieuse. Le directeur est seul entendu, le directeur qui est inculpé. Je ne prétends pas dire qu'il a tort, qu'il doit être condamné. Mais on doit au moins s'éclairer : et lui seul serait entendu ! Tous les élèves de l'établissement ne sont pas dans la même position ; ceux qui ne se plaignent pas ne seraient pas même entendus pour qu'on sache ce qui s'est passé. Mais quel moyen ceux qui ont à se plaindre ont-ils de se faire rendre justice ?

Il est évident que les explications mêmes données par M. le ministre de l'intérieur attestent qu'il y a des indices graves d'une violence exercée à l’égard des élèves.

Le premier indice, c'est cette espèce de manigance employée pour obliger les élèves à faire leurs pâques à l'établissement. C'est un fait assez grave. Pas n'était besoin de recourir à de pareils moyens.

L'aumônier peut être parfaitement dans son droit, du moment où l'enseignement religieux se donne dans l'établissement, d'avertir les élèves qu'ils ont à remplir leur devoir pascal, qu'ils doivent le remplir dans l'établissement, de les engager, s'ils ne le remplissent pas dans l'établissement, à le remplir chez eux. Mais employer des mesures pour les surveiller, pratiquer une espèce d'inquisition à leur égard, je dis que c'est mauvais, que c'est blâmable.

A ce premier indice s'en joint un second. Tous les élèves ont été appelés chez le directeur, qui paternellement leur a représenté les inconvénients pour leur avenir de leur abstention à remplir leur devoir pascal. Etait-il bien, en cela, dans son rôle ? Je ne le pense pas. Le directeur pouvait rappeler aux élèves l'article 4 du règlement.

Mais du moment que quelques élèves réclamaient, qu'ils se refusaient à remplir le devoir pascal dans l'établissement, ils devaient être parfaitement libres, et le devoir du directeur était de protester contre toute violence de la part de l'aumônier ; car il n'y a pas à demander beaucoup de tolérance à un membre du clergé. Qu'il soit intolérant, cela est naturel. Mais nous avons le droit d'exiger la pratique de la tolérance de la part du directeur ; il est le représentant de l'autorité civile ; il doit veiller à ce que la liberté civile soit respectée.

Sur tous ces faits y a-t-il des renseignements suffisants ? Le ministre est-il bien convaincu que ses instructions qui m'ont paru convenables, faites dans un esprit de sage tolérance et de liberté, n'ont pas été méconnues ? C'est un point sur lequel le ministre ne doit pas hésiter à se livrer à une enquête sérieuse.

Lorsqu'il s'est agi de l'université de Gand, on n'a pas hésité à faire une enquête. On a fait comparaître les élèves, lorsque le professeur était inculpé. Quelles raisons y a-t-il pour ne pas agir de la même manière à l'égard de l'école vétérinaire ?

Pour le second point, je dois faire des réserves quant à l'opinion exprimée par M. le ministre de l'intérieur. Nous sommes d'accord avec lui que le gouvernement est incompétent pour s'occuper de l'enseignement religieux proprement dit. M. le ministre de l'intérieur est parfaitement incompétent pour critiquer, au point de vue du dogme, ce qu'un ministre du culte trouvera bon d'enseigner sous ce rapport. Mais je ne puis admettre que l'enseignement religieux consiste à attaquer l'université de Bruxelles.

On dénigre aujourd'hui l'université de Bruxelles. Demain, l'on dénigrera les universités de Gand et de Liège. On dénigrera le gouvernement quand il ne sera pas entre les mains des catholiques. On enseignera les doctrines contraires à la Constitution. Le ministre s'abstiendra-t-il, sous prétexte qu'il n'est pas compétent pour s'occuper de l'enseignement religieux ? Evidemment non. L'abstention de M. le ministre de l'intérieur ne peut donc être admise.

Le ministre de l'intérieur a le droit et le devoir de s'assurer que, sous prétexte d'enseignement religieux on ne se livre pas à des actes répréhensibles dont il devrait nécessairement provoquer la répression.

Si les faits sont tels qu'ils ont été exposés, M. le ministre de l'intérieur a des devoirs à remplir. Je suis convaincu qu'il n'hésitera pas à le faire ; Je pense donc que M. le ministre de l'intérieur ne doit pas se refuser à procéder à une nouvelle enquête pour s'assurer que la libellé de conscience a été respectée et que l'enseignement religieux se renferme dans ses véritables limites.

M. de Haerne. - Messieurs, je n'entrerai pas, après tout ce que a été dit, dans l'examen des faits produits à la Chambre par l’honorable M. Verhaegen.

Je me borne à dire avec l'honorable ministre de l'intérieur que je trouverais un grand danger à procéder à l'enquête qui est réclamée, surtout après celle qui a déjà eu lieu ; elle serait contraire à l'intérêt des établissements de l'Etat ; car une mesure de ce genre ferait précédent, ; et ne fût-elle réclamée que par un ou deux élèves anonymes, on serait obligé d'y recourir.

Si des élèves connus et appuyés de leurs parents, dénonçaient des faits graves et bien établis, ce serait différent. Alors on pourrait aviser.

J'ai demandé la parole pour répondre à une assertion qui vient d'échapper, par distraction, probablement, à M. Frère. Cet honorable membre vient de vous dire qu'on ne pouvait s'attendre à beaucoup de tolérance de la part du clergé ; mais que ceux qui réclament la liberté de la charité avec tant d'insistance, devraient donner satisfaction à une liberté plus grande, je dirais, quant à moi, à une liberté tout aussi grande, à la liberté de conscience.

J'admets qu'il faut user d'une grande tolérance dans cette matière délicate. Je l'admets non seulement par devoir de charité, mais j'oserais dire, en vue du dogme, dans le cas dont il s'agit. Permettez-moi de vous parler ici d'expérience. En pareil cas, la tolérance m'a toujours été inspirée non seulement par l'esprit de charité mais par la religion même. J'ajouterai que tous les ecclésiastiques, que j'ai connus dans l'enseignement, m'ont toujours tenu le même langage.

Il faut être sévère dans cette matière vis-à-vis des élèves en général, surtout dans les instructions religieuses ; il faut leur prescrire d'une manière rigoureuse l'accomplissement du devoir pascal : mais en particulier il faut beaucoup de réserve, il faut s'abstenir de toute pression, de toute apparence contrainte.

Et pourquoi ? Parce que si l'on avait l'air d'exercer sur les jeunes gens la moindre violence sous ce rapport, on s'exposerait à leur faire commettre un sacrilège aux yeux de la foi outre qu'on en ferait des hypocrites.

Voilà ce qui nous est commandé non seulement par la charité chrétienne, mais aussi par un devoir sacré que nous impose le dogme catholique.

M. Orts. - Je veux répondre deux mots à la considération que présentait, au début de ses observations, l'honorable M. de Haerne. ! Il semble craindre, au point de vue de la prospérité des établissements de l'Etat, le résultat que pourrait avoir une enquête dans laquelle on entendrait des élèves se plaignant de violences qui, si elles ont été exercées comme ils l'allèguent, sont, de l'aveu de tout le monde, condamnables et ne peuvent être tolérées, et cela au point de vue de la liberté civile comme au point de vue du dogme catholique, ainsi que le disait tout à l'heure l'honorable abbé de Haerne.

Pourquoi serait-il dangereux d'entendre des élèves qui se plaignent, qui sont, comme on me le faisait observer tout à l'heure, des hommes et non des enfants, c'est-à-dire des individualités ayant le droit d'émettre des opinions, et ayant également droit à la protection qu'accorde la loi à la liberté de conscience, à la liberté en toute matière.

Messieurs, dans des circonstances analogues, quand il s'agissait de vérifier des faits du même genre, s'est-on arrêté au danger que pourrait offrir une enquête ouverte au sein d'un établissement d'instruction de l'Etat, pour vérifier l'exactitude des plaintes des élèves ?

Rappelons-nous ce qui s'est passé relativement à l'incident de l'université de Gand, lorsque trois ou quatre élèves ont prétendu que la conscience avait été froissée par l'enseignement d'un professeur ? Les autorités académiques, le gouvernement, les membres de cette Chambre ont-ils considéré comme un danger ou comme une monstruosité le fait d'entendre ces élèves, de les voir venir devant une autorité quelconque affirmer la réalité de leurs plaintes ? Nullement. Une enquête a été ouverte à l'université de Gand ; le conseil académique a fait venir les élèves, elle les a interrogés, elle a examiné leurs cahiers pour savoir si réellement le professeur, en enseignant, avait porté atteinte à la liberté de conscience de ses élèves ; et lorsque l'incident s'est élevé à la Chambre, des membres de la droite se sont armés des allégations des élèves pour soutenir la réalité de leurs plaintes contre les allégations, des autorités académiques de l'université de Gand.

Aujourd'hui qu'il s'agit non plus de l'université de Gand, mais de l'école vétérinaire, aujourd'hui que l'abus se produit en sens inverse de celui sur lequel ont porté jadis les investigations, faut-il avoir deux poids et deux mesures ? Voilà la question. Si l'on a cru que la vérité pouvait être constatée dans une circonstance antérieure, par une enquête dans laquelle les élèves ont été entendus, je dis qu'il n'y a pas de motifs pour ne pas suivre aujourd'hui la même marche, si ce n'est que d'un côté ou d'autre on n'aurait peur que la vérité se manifeste.

M. le ministre de l'intérieur (M. Dedecker). - L'honorable M. Osy voudra bien avouer que ce n'est pas au gouvernement à avoir peur que la vérité se manifeste.

(page 1360) Je crois, quant à moi, que les faits que le gouvernement a posés sont parfaitement connus et sont appréciables par le pays comme par la Chambre. Seulement c’est dans l'intérêt de l'établissement que je crois devoir m'opposer à ce qu'on donne suite à cette demande d'enquête.

M. de Brouckere. - Faites-la spontanément.

M. le ministre de l'intérieur (M. Dedecker). - Les faits sont connus, on peut le dire. Je crois qu'il y a eu peut-être, de la part de l'honorable directeur de l'école, un excès de zèle qu'explique son dévouement aux intérêts de cette institution, mais de semblables faits ne se produiront plus.

Ils se sont présentés à cause de l'application nouvelle d'un règlement qui soulevait une difficulté imprévue. Si, donc c'est pour l'avenir qu'on veut une enquête, elle est encore inutile.

M. Devaux. - Défendez les billets de confession.

M. le ministre de l'intérieur (M. Dedecker). - J'ai expliqué l'origine, dans ce cas spécial, des billets de confession. On avait fait savoir aux parents par les bulletins semestriels, que les élèves n'avaient pas rempli à l'école leur devoir pascal.

Comme depuis lors s'est présenté la réclamation de l'aumônier que désirait que, conformément aux prescriptions canoniques, les élèves remplissent leurs devoirs religieux à l'école, on a voulu qu'ils pussent apporter à leurs parents la preuve qu'ils avaient rempli leur devoir pascal.

Désormais, et par l'application normale du règlement, il ne pourra plus être question de billets de confession.

Quant à l'enseignement religieux, il est évident que tout en reconnaissant ma parfaite incompétence pour apprécier cet enseignement, le gouvernement a pour devoir de veiller, à ce que, sous prétexte d'enseignement religieux, on ne fasse pas de la politique et que l’on n'attaque pas les principes constitutionnels du pays. Sons ce rapport je n'entends certes pas que le gouvernement soit désarmé. Mais, jusqu'à présent, des accusations de ce genre n'ont pas été articulées.

Du reste, je suis convaincu que le résultat de cette discussion sera que désormais on se montera extrêmement prudent et sous ce rapport les discussions qui ont eu lieu à la tribune produiront d'heureux résultats.

M. le président. - Personne ne demandant plus la parole, l'incident est clos.

Projet de loi relatif aux établissements de bienfaisance

Discussion générale

M. de Kerchove. - (L'honorable orateur termine le discours qu'il a commencé dans la séance précédente. Nous avons réuni les deux parties de ce discours que nous avons publié en entier, page 1341.)

- La séance est levée à 4 heures et demie.