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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mercredi 10 février 1858

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1857-1858)

(page 253) (Présidence de M. Verhaegen.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. de Moor fait l'appel nominal à 2 heures et demie, et donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier.

- La rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Vander Stichelen présente l'analyse des pétitions suivantes adressées à la Chambre.

« Des habitants d'Anvers prient la Chambre de voter un subside pour la veuve et les enfants du littérateur flamand Zetterman et appuient la demande de subside faite en faveur de la famille du littérateur flamand Vankerckhoven. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du budget de l'intérieur.


« Des dentellières de Bruxelles se plaignent de la concurrence qui leur est faite par les écoles-dentellières, dirigées par des personnes laïques ne payant point patente. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Zilbach réclame l'intervention de la Chambre pour faire réviser l'arrêté royal du 22 novembre 1856, qui autorise les bureaux de bienfaisance des communes de Brée et de Beek à accepter un legs de sa tante. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Des habitants de Postel demandent la rédaction de l'armée et la réforme de la loi sur la milice dans le sens des enrôlements volontaires. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du budget de la guerre.


« Des meuniers et huiliers, à Hoffen, demandent la réduction du droit de patente auquel ils sont assujettis. »

« Même demande de meuniers et huiliers de Boom. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Des habitants de Wortel demandent la réforme de la loi sur la milice dans le sens des enrôlements volontaires.

« Par 25 pétitions des habitants de Pollaere, Reeth, Nieuwcapelle, Verviers, Saint-Pierre, Mons, Bois-de-Lessines, Sombreffe, Nivelles, Boussu-lez-Walcourt, Ville-Pommeroeul, Heppegnies, Seraing, Beveren, Mettet, Miecret, Noirefontaine, Oignies, Sprimont, Ferrières et Sichen-Sussen-et-Bolré font la même demande. »

- Renvoi à la commission des pétitions avec demande d'un prompt rapport.


« Le conseil communal de Termonde prie la Chambre de décréter la canalisation de la Dendre. »

- Renvoi à la commission des pétitions.

M. de Terbecq. - Je demande que la commission des pétitions soit invitée à présenter un prompt rapport.

- Adopté.


« Le sieur Vanderauwera, ancien officier de volontaires, réclame l'intervention de la Chambre pour obtenir l'augmentation de pension résultant de la loi du 27 mai 1830. »

- Même renvoi.


« La veuve Retiens, ancienne cantinière, demande une pension. »

- Même renvoi.


« Le sieur Guilbert, ancien sergent-major de la compagnie des volontaires dinantais, demande à être compris dans la répartition de la somme qui sera votée pour venir en aide aux décorés et blessés nécessiteux. »

- Même renvoi.

« M. Wala demande un congé de quelques jours. »

- Accordé.

Projet de loi portant le budget du ministère de l’intérieur de l’exercice xxxx

Discussion du tableau des crédits

Chapitre V. Frais de l’administration dans les arrondissements

Articles 37 et 38

M. B. Dumortier. - Je ne m'attendais pas, messieurs, à prenne part à cette discussion ; mais la matière qui a été traitée devant vous présente un caractère d'importance telle, qu'il me serait impossible de garder le silence.

Ce débat ou plutôt cette discussion, car elle ne sera pas suivie d'un vote, cette discussion d'où est-elle née ? Elle est née d'un mot prononcé par mon honorable ami, M. Coomans, au sujet des dépenses électorales, mot qui a donné lieu à M. le ministre de l'intérieur d'exprimer sa pensée sur ce que le gouvernement entrevoyait la possibilité de faire. Là-dessus une discussion s'est engagée, et pour mon compte je la regarde comme très utile, car il est toujours bon, pour le gouvernement lui-même, que le pouvoir soit éclairé par l'opinion des Chambres.

La discussion s'est donc engagée à propos des dépenses considérables occasionnées par les élections.

Répondant à mon honorable ami, M. le ministre de l'intérieur a dit que, quant à lui, il n'avait jamais rien payé pour son élection, et l'honorable M. Devaux a fait la même déclaration.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - M. Coomans aussi.

M. Dumortier. - Cela est possible, mais je dirai à ces honorables collègues qu'au fond de leur âme et conscience, ils savent très bien que si eux n'ont pas payé, leurs amis l'ont fait pour eux et qu'ensuite d'autres membres de la législature, et ils sont en grand nombre, ont eu à supporter des frais électoraux souvent considérables, à tel point que cet état de choses est devenu une véritable calamité dans certains districts, puisque, on l'a dit avec raison, cela tend à rendre nos démocratiques institutions tout à fait oligarchiques et même aristocratiques.

Le gouvernement a d'ailleurs lui-même condamné ces abus, il les a condamnés en proposant d'abord certaines mesures pour y porter remède ; il les a condamnés ensuite en reconnaissant qu'il y avait lieu d'abaisser de moitié et même de plus si c'était possible, le tarif des chemins de fer pour les électeurs qui se rendent au poll électoral. Reconnaître qu'il y a lieu de donner cet adoucissement sur les prix de transport, c'est reconnaître aussi que les électeurs ruraux sont dans de mauvaises conditions électorales et que ceux d'entre eux qui ne jouissent pas du voisinage du chemin de fer sont, sous ce rapport, dans une position évidente d'infériorité vis-à-vis des autres.

En effet, messieurs, l'électeur de la ville va déposer son bulletin dans l'urne sans aucune espèce d'embarras ; tandis que l'électeur de campagne doit parcourir des distances considérables, qui s'élèvent parfois à 8 et 10 lieues et non pas à 2 1/2 lieues seulement, comme l'avançait hier l'honorable M. Devaux.

Ainsi, dans l'arrondissement de Thuin, les électeurs qui doivent arriver du canton de Chimay sont obligés de faire plus de 10 lieues. Il en est de même dans le district de Nivelles où les électeurs des environs de Louvain doivent se rendre jusque sur la frontière de la province de Namur pour exercer leurs droits politiques. Ce qui occasionne d'énormes dépenses électorales.

Il y a donc des abus, de véritables abus.

Où, messieurs la question des frais électoraux a-t-elle son origine ? Comment est-elle devenue une calamité dans ce pays ?

Cette question a surgi d'abord dans les grandes luttes, de 1842 à 1845 ; c'est alors que les frais électoraux ont commencé à prendre quelque extension ; mais ils sont devenus surtout considérables depuis la loi de 1848.

Et en effet, messieurs, la loi de 1848 ayant abaissé le cens électoral jusqu'à 20 fl., jusqu'au minimum fixé par la Constitution, il en est résulté que le nombre des électeurs ruraux a été tiercé, c'est-à-dire qu'il a été de 50 p. c. au-delà du chiffre précédent, dès lors les moyens de transport et les dîners qui se donnent communément aux jours d'élection ont exigé une dépense considérable. Ajoutez à cela que les concurrents veulent souvent faire plus les uns que les autres, et vous arrivez ainsi à des dépenses tellement fabuleuses que, dans plusieurs districts, l'indemnité du député qui vient s'asseoir sur ces bancs vaut à peine l'intérêt du capital qu'il a dépensé pour venir s'y asseoir.

L'honneur de représenter son pays est certainement quelque chose, c'est beaucoup. Mais il est évident qu'il faut laisser cet honneur à toutes les classes de la société, et que par suite des dépenses qu'entraîne aujourd'hui une élection, un jeune homme de grand mérite, de grande capacité, aimé, chéri dans le district, représentant d'une des deux opinions, mais sans fortune, ne peut plus aujourd'hui songer à entrer au parlement. C'est là un abus diamétralement contraire aux principes de notre émancipation politique. On a voulu des institutions démocratiques et l'on arrive, avec le vice de l'argent, à des institutions ultra-aristocratiques.

C'est donc le cens uniforme qui a créé cette augmentation considérable d'électeurs et de la dépense qu'elle engendre. Puis est venue une autre loi dont je vous parlerai tout à l'heure, qui, brochant sur le tout, en a encore augmenté considérablement le nombre. Je veux parler du droit d'abonnement des débitants de boissons distillées.

Le mal est grand ; il est très grand ; il est connu de tous, et nous ne pouvons le nier. Car, véritablement, ce serait nier l'existence de la lumière.

Mais comment y porter remède ?

L'honorable M. de Decker vient présenter un système, c'est de donner aux électeurs l'indemnité que l'on donne aux jurés. Pour moi, je regarde ce système comme complétement inefficace. Car qu'arrivera-t-il ? C'est que vous payerez les électeurs qui bénéficieront du denier que vous leur donnerez, mais vous n'empêcherez pas les électeurs de se faire charrier (page 254) de se faire donner à dîner aux dépens du candidat. Ainsi ce moyen est une véritable illusion et rien de plus.

Ce serait d'ailleurs une dépense énorme. Car ce n'est peut-être pas avec un demi-million que vous parviendrez à couvrir une pareille dépense. Mais dût-on la couvrir avec une somme moindre, il reste toujours constant que le remède serait complétement inefficace. C'est, comme -on le dit à mes côtés, un véritable coup d'épée dans l'eau.

Et puis, je ne comprends pas l'honorable membre qui, d'une part, reconnaît qu'il y a lieu à faire quelque chose pour les électeurs, qui reconnaît que les électeurs de campagnes sont lésés dans leurs moyens d'arriver au vote, et qui d'un autre côté veut imposer une amende à quiconque ne prendrait pas part aux élections. Il me paraît qu'il y a là incohérence complète d'idées et qu'un système exclut l'autre. Quant à moi, je ne veux ni l'un ni l'autre moyen.

Je ne veux pas qu'on impose une amende aux électeurs qui ne viendraient pas voter. Quoique désirant que le plus grand nombre de citoyens prenne part au vote, je ne crois pas possible que l'on établisse par une loi que l'on imposera une amende à quiconque ne viendra pas voter. Il faut sous ce rapport s'en rapporter à l'esprit public, il faut s'en rapporter aux luttes de partis qui nécessairement ont lieu dans tout gouvernement représentatif, et ont assez de puissance, assez de force pour amener les électeurs au scrutin. Voyez ce qui s'est passé dans les dernières élections. Vous avez eu des élections dans la saison la plus mauvaise possible.

Il est vrai que nous avons eu un temps qu'on n'a jamais et que l'on ne peut espérer au mois de décembre ; car nous savons tous que depuis le mois, de mai, c'est à peine s'il a plu en Belgique. C'est une année inconnue dans nos climats, exceptionnelle, et dans cet état de choses, il a été très facile de faire venir les électeurs. Mais si vous vous étiez trouvé en pluviôse, comme on le disait du temps de la république une et indivisible, vous auriez eu beaucoup de peine à amener les électeurs au scrutin.

Un honorable ami, M. Malou, a proposé le vote au canton. Eh bien, messieurs, quant à moi je repousse très vivement ce système, car au point de vue des frais électoraux, je soutiens qu'il aurait pour résultat de les augmenter considérablement. Il est évident qu'une dépense divisée est, par cela même, augmentée.

Maintenant la surveillance nécessaire pour empêcher qu'on ne soit trompé (et on l'est toujours en pareille matière), s'exerce très difficilement Or, cette surveillance comment serait-il possible de l'exercer dans tous les cantons ? Je dis que dans ce système les frais électoraux seraient augmentés de 50 p. c.

Reste, messieurs, un troisième système, c'est celui qui a été indiqué par de nombreux pétitionnaires et présenté par l'honorable M. Coomans. Je ne veux pas examiner ce système sur toutes ses faces, mais au point de vue des frais électoraux c'est le seul et unique système qui puisse les supprimer.

Je sais bien qu’il peut présenter des difficultés d'exécution et je crois qu'il serait facile de les faire disparaître ; mais, je le répète, au point de vue de la question qui nous occupe, c'est le seul remède efficace, c'est le seul remède radical. Maintenant faut-il l'appliquer ? C'est ce que chacun examinera à son point de vue, quant à moi, je ne m'occupe ici que.de la question des frais électoraux.

Or, il est certain que si l'électeur n'avait qu'à déposer son vote à la maison communale, cela ne pourrait donner lieu à aucune dépense, et que dès lors ce système aurait pour résultat infaillible de supprimer radicalement l'abus dont on se plaint, cet abus dont il résulte qu'en Belgique le mandat de député coûte plus cher que dans la plupart des districts d'Angleterre, où ce mandat est de 7 ans, tandis qu'en Belgique il n'est que de 4 ans.

De plus eu Angleterre, s'il coûte à acquérir, le mandat de député offre de grands produits, car chacun sait que les bills d'intérêt privé sont payés à ceux qui les votent ; en Belgique nous faisons ce que doivent faire de bons citoyens, nous votons les lois que nous croyons bonnes et nous ne recevons rien de personne ; ce qui est un grand bien, mais ce qui ne compense pas les dépenses électorales.

Je dis donc, messieurs, que l'on a tort de faire fi du remède proposé par l'honorable M. Coomans. Je ne dis pas, encore une fois, qu'il faille l'adopter, qu'il ne faille pas l'adopter, mais je dis qu'au point de vue de la question qui nous occupe c'est le seul remède efficace.

Je disais tout à l'heure, messieurs, qu'une augmentation considérable du nombre des électeurs était résultée de l'abonnement pour le débit îles boissons distillées. La Chambre me permettra de l'entretenir de ce point.

Sous le ministère de l'honorable M. d'Huart, un projet de loi fut présenté à la Chambre pour établir un droit sur le débit des boissons alcooliques, et voici ce qui avait donné lieu à la présentation de ce projet. Sous le roi Guillaume l’accise sur le genièvre était perçue d'après le produit net, d'après le résultat de la fabrication.

Après la révolution les distillateurs de genièvre s'élevèrent avec beaucoup d'énergie contre les vexations fiscales que présentait ce système et demandèrent à la Chambre l'établissement d'un système nouveau. La Chambre, adoptant l'opinion des pétitionnaires, supprima le mode de perception sur le produit et fit porter le droit sur les cuves à macération. Mais, dans les premières années, le trésor public subit un déficit énorme par le fait du changement apporté à la législation sur la matière.

On prétendait alors que le système du droit sur la macération ne pouvait être accompagné que d'une taxe excessivement minime, « sans quoi, disait-on, il y aurait lieu à la fraude. » Depuis lors, l'expérience a prouvé qu'on pouvait élever le droit sans provoquer à la fraude, mais à cette époque, on ne le croyait pas.

Il y eut donc une réduction énorme du droit. Si ma mémoire est fidèle, l'impôt sur le genièvre qui avait rapporté 6 à 7 millions de francs ne rapportait plus alors que 2 millions au maximum. C'est à cette époque qu'en présence de cet énorme déficit des recettes de l'accise, M. l'abbé Andries, membre du Congrès national et plus tard de la Chambre des représentants, est venu demander un droit de débit sur les boissons distillées. Ce système fut proposé et soutenu par plusieurs députés ; le gouvernement finit par l'accueillir et la Chambre fut ainsi saisie d'un projet de loi sur la matière.

Lors de la discussion du projet de loi, la première question soulevée fut celle de savoir si le projet n'aboutissait pas à la création de toute une nouvelle catégorie d'électeurs, d'une nouvelle catégorie prise dans une couche de la société où l'intérêt public ne paraissait pas devoir porter une extension du droit électoral.

Au début même de la discussion, l'honorable M. d'Huart, ministre des finances, déclara dans cette enceinte, que, si le projet de loi avait pour résultat de faire une catégorie d'électeurs de tous ceux qui devraient payer l'abonnement sur les boissons distillées, que si cet abonnement devait tourner en impôt électoral, le gouvernement retirerait le projet de loi à l'instant même.

Voilà la déclaration du gouvernement ; l'honorable M. de Theux, qui faisait alors partie du ministère, pourra confirmer ce fait.

La discussion s'engagea ; elle fut extrêmement remarquable. Parmi les membres qui combattirent avec le plus de force le système de faire compter l'abonnement comme cens électoral, je citerai les honorables MM. Dolez et Devaux.

M. Devaux, après avoir combattu l'exactitude des définitions de l'impôt direct et indirect ; s'exprimait ainsi : « Quelle est la base de notre système électoral ? C'est d'admettre une certaine fortune comme présomption d'aptitude électorale et le cens comme mesure de cette fortune. Or l'impôt des boissons distillées est-il une présomption de fortune et d'aptitude électorale ? Ce serait tout le contraire. En second lieu cet impôt suppose-t-il chez celui qui le subit une aptitude à exercer certaines fonctions publiques ? Non, car on l'établit premièrement parce que le débit de boissons est une profession qui amène des résultats immoraux. Loin de vouloir récompenser cette profession par des pouvoirs politiques, c'est une restriction et presque une peine que vous voulez lui imposer ; loin qu'elle soti une présomption d'aptitude électorale, elle serait plutôt une protestation d'inaptitude. Ainsi vous avez le droit de faire la distinction ; la justice et la convenance sont également hors de doute. »

Vous venez de voir en quels termes s'exprimait l'honorable M. Devaux pour que le droit d'abonnement sur les boissons distillées ne fit pas partie du cens électoral. L'honorable M. Dolez parlait dans le même sens ; répondant à l'honorable M. Gendebien, il disait :

« Je ne puis partager l'opinion de l'honorable membre, non que je répugne à étendre le nombre des électeurs, mais je ne pense pas qu'il faille l'étendre par catégories et particulièrement par celle des débitants de boissons. » « Je ne verrais pas, ajoutait-il, dans cette extension un progrès, mais un danger électoral. »

Voilà, messieurs, comment les choses se sont passées ; tout le monde était de la même opinion quant au danger de créer les débitants de boisson électeurs par catégorie ; et à cette époque on introduisit dans le projet de loi un amendement présenté par l'honorable M. Devaux, portant que ce droit d'abonnement ne constituerait pas un droit électoral.

Cependant en 1852, le tarif, qui était très vicieux, fut révisé.

A cette occasion la Chambre ou plutôt le ministre, M. Frère, dans la loi qu'il présenta, supprima l'article qui avait été adopté sur la proposition de M. Devaux. Cette suppression a été votée par la Chambre, mais la Chambre n'a pas voté que le droit de débit des boissons distillées constituait un impôt électoral. Le ministre et la section centrale ont pu en parler dans ces documents, mais ni la Chambre des représentants, ni le Sénat n'ont été appelés à voter ce principe. Par-là la Chambre a laissé la chose dans le doute ; la question n'a pas été résolue par elle, et elle n'aurait pu l'être. Il n'existe pas de texte de loi portant que ce droit d'abonnement constituait un droit électoral. Au contraire, je soutiens, que la Constitution ne le lui eût pas permis.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Vous vous plaigniez du nombre des électeurs !

M. Dumortier. - J'examine les lois qui ont été votées et je dis que l'une d'elles a amené une augmentation du nombre des électeurs. Je soutiens qu'il fallait un vote exprès de la législature pour que ce droit d'abonnement pour le débit des boissons distilllées contribuât à former le cens électoral et que la Constitution ne lui eût pas permis de le faire. En effet, qu'est-ce que le droit d'abonnement pour le débit des boissons distillées ? Comme disait M. Frère pour les débitants de tabac, c'est une avance faite par le débitant qu'il récupère par la vente sur l'acheteur, (Interruption.) La définition n'est pas de moi, je n'en suis pas l'auteur.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Et la patente aussi.

M. B. Dumortier. - Non, la patente fait partie du cens électoral. (page 255) Vous n'oseriez pas déclarer que le droit de débit des boissons distillées est une patente, car alors vous tomberiez dans une iniquité scandaleuse vis-à-vis des cabaretiers, vous arriveriez à cette anomalie que des personnes exerçant un commerce très minime payeraient une patente infiniment plus considérable que de gros négociants, ce qui serait une révoltante iniquité. Qu'est-ce donc que le droit d'abonnement sur le débit des boissons distillées ?

C'est un impôt pour subvenir au déficit de l'accise sur les boissons alcooliques, c'est une partie du droit d'accise, et vous n'avez pas le droit de comprendre un droit d'accise dans le cens électoral. L'abonnement pour le débit des boissons distillées existe aussi en France, depuis le premier empire, les droits réunis sont établis en France, c'est notre droit d'accise mais il ne s'exerce pas de la même manière dans toutes les communes.

Dans les petites communes, comment les choses se passent-elles ? Là il y a abonnement ; tandis que dans les grandes villes et dans les communes importantes, il y a perception.

Il en était de même sous le gouvernement des Pays-Bas, quant au droit de mouture ; dans certaines localités il y avait abonnement, dans d'autres il y avait perception. Or, messieurs, oserait-on soutenir que' celui qui payait un droit pour la mouture sous forme d'abonnement, payait un impôt direct, tandis que celui qui le payait sous forme de perception payait un impôt indirect ? Oserait-on soutenir qu'en France, celui qui paye l'accise, les droits réunis comme abonnement, paye un impôt direct, tandis que celui qui les paye par la perception, paye un impôt indirect ? Cela n'est pas possible. C'est donc un impôt indirect que la Constitution vous interdit de compter comme cens électoral. C'est dans la nature de l'impôt que réside la question de savoir si l'impôt est direct ou indirect, reconnaissons-le.

Je saisis cette occasion, messieurs, pour vous soumettre ces questions. Je les ai examinées d'une manière approfondie et je suis heureux d'avoir l'occasion de les soulever ici. Un jour viendra peut-être où ces questions seront discutées et décidées soit à cette Chambre, soit en justice ; un jour viendra peut-être où la justice sera mise en demeure de décider si le droit payé par abonnement constitue, aux yeux de notre Constitution, un impôt direct ou indirect. Quant à moi, je considère le mode de payement de l'impôt comme tout à fait indifférent : l'impôt n'est pas direct par cela seul qu'on le paye directement au trésor, car, à ce compte, le droit que payent les brasseurs, les distillateurs, les raffineurs devrait être considéré comme un impôt direct, taudis que c'est en réalité un impôt indirect.

L'impôt direct est d'ailleurs bien clairement expliqué dans la loi de 1825, cette loi a catégorisé les impôts et c'est en se basant sur cette loi que, cinq ans plus tard, en 1830, quand le Congrès élaborait notre Constitution, il a été décidé que, pour être électeur, il fallait payer une certaine somme à titre d'impôt direct, patente comprise. Or, cette loi de1825 avait rangé parmi les impôts indirects les droits d'abonnement. Ainsi, messieurs, il me paraît démontré qu'il est inconstitutionnel de compter cet impôt parmi les contributions constituant le cens électoral et je suis convaincu que si cette question eût été soumise à un vote lors de la révision de la loi sur l'abonnement des débitants de boissons, la Chambre eût été à peu près unanime pour ne pas sanctionner un système essentiellement inconstitutionnel.

Je ne veux pas, messieurs, vous tenir beaucoup plus longtemps sur ce point. Cependant, il est encore une autre question sur laquelle je vous demande la permission de dire quelques mots.

On a beaucoup parlé, dans cette discussion, de la question du ballottage, et puisqu'il y a lieu d'opérer une reforme quelconque à la loi électorale...

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Pas du tout !

M. B. Dumortier. - Je croyais que M. le ministre avait parlé de certaines mesures qu'il s'agirait de prendre…

M. A. Vandenpeereboom. - Des mesures administratives.

M. B. Dumortier. - On a parlé d'amendes ; or, je ne pense pas que des mesures tendantes à prescrire des amendes pourraient être décrétées par de simples mesures administratives. Au surplus, si le ministère ne juge pas à propos de proposer des modifications à la loi électorale, il ne reste pas moins évident qu'il y a des mesures à prendre pour parer à certains inconvénients résultant de l'état actuel des choses.

On se plaint, et avec raison, du mode de réglementation du ballottage ; on a signalé même des faits incontestables. Ainsi, il est avéré que, dans certains districts, le ballottage n'a pu commencer aux élections du 10 décembre qu'à cinq ou six heures du soir.

M. Coomans. - Et même à huit heures.

M. B. Dumortier. - C'est là, il faut en convenir, un véritable abus, car c'est évidemment mettre au moins la moitié des électeurs dans l'impossibilité d'exercer leurs droits politiques dans toute leur plénitude.

D’où cela provient-il ? Sous l'empire de la loi de 1831, modifiée en 1843, cet abus était tout à fait impossible parce que le nombre d'électeurs qui pouvaient figurer dans chaque bureau électoral était limité. Chaque bureau ne pouvait contenir que 400 électeurs ; maintenant ce chiffre peut s'élever à 600 ; il en résulte que, dans ce cas, le temps manque absolument pour le dépouillement ; et c'est ainsi que les opérations électorales se prolongent d'une manière si démesurée.

Eh bien, je demeure convaincu qu'il serait à désirer qu'on en revînt au système du Congrès et que chaque bureau électoral ne pût se composer que de 400 électeurs au maximum.

Il est évident, eu effet, que lorsqu'il s'agit de la nomination de 9 députés comme à Bruxelles, ou de 7 comme à Gand, les opérations durent un temps considérable et que, en cas de ballottage, il est impossible aux électeurs des campagnes d'y prendre part.

Ce n'est pas tout. On me dira peut-être que ce chiffre est un maximum ; mais c'est précisément là qu'est le vice, parce que vous abandonnez ainsi au commissaire d'arrondissement le soin de décider si, en cas de ballottage, les électeurs des campagnes pourront ou ne pourront pas y prendre part, attendu que c'est le commissaire d'arrondissement qui fait la répartition des bureaux.

En d'autres termes, vous remettez dans certains cas le sort de l'élection à un agent irresponsable, à un agent administratif, qui peut faire échouer un candidat qui lui est hostile, si tel est son bon plaisir. C'est là évidemment un déplorable abus.

Un autre abus que l'on a signalé résulte de certaines conditions relatives aux bulletins. L'honorable M. Devaux disait avec raison, à ce propos, que, sur cette question, tout le monde serait d'accord. Eh bien, disait-il, que l'on présente un système qui empêche toute espèce d'abus et je m'y rallierai immédiatement.

Je suis convaincu que l'honorable membre ne demande pas mieux que de voir la sincérité dans les élections, et sous ce rapport il n'y a, j'en suis certain, qu'une seule opinion dans toute la Chambre. Mais je me demande toujours pourquoi, dans la loi de 1831, on a défendu, par exemple, de faire des bulletins imprimés ou autographiés, pourquoi on a exigé qu'ils fussent écrits à la main.

J'avoue que je n'en comprends pas du tout le motif. Je sais que, dans la loi française, cette disposition existait également ; en France, l'électeur devait écrire son bulletin sur le bureau du président et s'il ne savait pas l'écrire lui-même, le président ou un autre membre du bureau le remplissait pour lui. Mais il n'en est pas de même en Belgique : ici l'électeur arrive avec son bulletin tout fait. Pourquoi donc ce bulletin, ne pourrait-il pas être imprimé ?

J'avoue franchement que j'y trouverais une garantie, car l'électeur n'aurait ainsi aucun moyen de se faire connaître ; d'un autre côté, tous les bulletins contiendraient sans doute les désignations suffisantes, et nous ne verrions pas se produire si souvent des cas de nullité parfois si difficiles à établir.

En France, depuis 1848, on procède par bulletins imprimés, et je ne sache pas que ce système y donne lieu à aucune espèce d'inconvénients.

Je pense donc, messieurs, que c'est encore là un point sur lequel il est nécessaire d'appeler l'attention de l'assemblée pour le cas où l’on aurait un jour à réviser la loi. Puisqu'ici nous sommes à discuter sur tout ce qui concerne cette loi, je croirais manquer à mon devoir si je ne vous communiquais ces observations.

Il y a encore bien d'autres points vicieux, il y aurait peut-être certaines petites réformes à apporter dans notre loi électorale ; mais je pense en avoir dit assez, et je suis fort heureux que cette discussion se soit engagée pour traiter un peu ces questions dont on ne s'occupe malheureusement jamais dans la Chambre et qui pourtant aussi ont besoin d'être examinées.

M. A. Vandenpeereboom. - Messieurs, après la clôture de la discussion générale du budget de l'intérieur, tout le monde dans cette Chambre était loin de s'attendre à voir surgir une question aussi importante que celle de la réforme électorale. Je crois qu'un grand nombre de collègues désiraient que toute discussion grave, qui peut devenir plus ou moins irritante, fut écartée pour le moment. On le désirait, parce qu'on comprend en général que, dans la situation actuelle, il est bon que le pays puisse rentrer complétement dans le calme et que les événements du dehors ne permettent pas d'ailleurs d'entamer dans cette enceinte des discussions qui pourraient jeter l'agitation dans le pays.

Il n'en a pas été ainsi. L'honorable M. Dumortier vous a dit comment cette discussion a surgi inopinément. Je partage à cet égard sa manière de voir.

Mais je ne la partage plus lorsque l’honorable membre dit qu'il a vu avec plaisir naître cette discussion, qu'il la croit utile et opportune. Moi, messieurs, je le déclare très franchement, je regrette vivement ce débat. Je le regrette d'abord parce qu'il doit jeter une certaine inquiétude dans le pays. Je le regrette, parce qu'il peut donner au-dehors une idée très fausse de nos institutions. Je le regrette en troisième lieu, pane que je le regarde comme mesquin. Il y a, en effet, quelque chose de mesquin à voir discuter ici nos intérêts personnels et évaluer en sous et deniers nos dépenses électorales. Ce sont là des affaires privées, des affaires de famille auxquelles on ne doit pas donner un aussi grand retentissement.

J'ai dit que cette discussion peut jeter une certaine agitation dans le pays. En effet, messieurs, la question électorale touche de bien près à notre organisation politique. La question de la réforme électorale est donc de nature à agiter les esprits comme elle les a agités déjà à diverses (page 256) époques. Que résulte-t-il de cette discussion ? Il en résulte sans doute que la droite n'est pas d'accord sur la marche à suivre, mais il est évident aussi que quelques membres du parlement ont la conviction que la réforme électorale doit se faire et déclarent que, lorsqu'ils arriveraient au pouvoir ils modifieront la loi électorale en décrétant le vote, soit à la commune, soit au chef-lieu de canton.

Eh bien, pareille déclaration doit entretenir dans le pays une certaine agitation et cette agitation est extrêmement inopportune.

Je regrette cette discussion en second lieu, parce qu'elle montre un des vices, vice peu considérable, il est vrai, mais un des vices de notre organisation politique, et je me demande si à l'étranger on n'interprétera pas mal les discussions qui ont lieu dans cette enceinte.

Je n'examinerai pas, vous le comprenez par ce que je viens de dire, les meilleurs moyens à prendre pour éviter les inconvénients qui ont été signalés. Je ne les discuterai pas, parce qu'ils ont été discutés et examinés déjà et peut-être trop longuement.

Mais je dois faire une observation générale en ce qui concerne les réformes.

Depuis notre organisation politique, depuis une vingtaine d'années, plusieurs réformes très graves ont été apportées à nos lois organiques. La loi électorale a été modifiée, la loi communale, qui est la charte de nos communes, a été changée à diverses reprises. Et par qui se sont faites ces modifications ? Est-ce par le parti qu'on accuse de vouloir tous révolutionner ? Non, chaque fois qu'une réforme a été demandée et réalisée, chaque fois qu'une loi organique a été changée, ce n'est pas nous, mais l'opinion qu'on appelle conservatrice qui à tout bouleversé.

- Un membre : Et en 1848 ?

M. A. Vandenpeereboom. - En 1848 soit, mais toutes les autres réformes à nos lois organiques sont votre œuvre ; vous ne pouvez le nier. Eh bien, n'est-ce pas un singulier système de conservation que le système d'un parti qui, pour se conserver au pouvoir, ne peut conserver les lois qui l'y ont porté ?

J'arrive à 1848. Un changement à nos lois organiques a été fait par nous, je le reconnais ; mais quelle différence entre la modification que nous avons introduite et celles que vous avez imposées au pays !

Lorsque vous étiez au pouvoir, chaque fois que vous avez modifié une loi organique, vous l'avez fait dans un but de parti. La réforme que nous avons adoptée en 1848, nous l'avons faite dans l'intérêt du pays, et nous l'avons faite avec vous contre nous ; les changements apportés alors à la loi électorale n'ont certainement pas profité à l'opinion libérale. Mais que nous importait ? Nous n'avons en vue que l'intérêt du pays. Les réformes antérieures au contraire ont toujours été réalisées par vous, pour vous et contre nous !

Vous avez modifié fréquemment et la loi électorale et la loi communale, et plusieurs membres qui siègent du côté droit de cette Chambre demandent encore des changements à la première de ces lois. Mais pourquoi demandez-vous, pourquoi avez-vous introduit ces modifications ?

Vous les avez faites et vous les demandez évidemment pour vous donner plus de pouvoir, plus de force et pour assurer plus facilement votre arrivée au pouvoir, ou votre maintien quand vous l'avez conquis ; enfin vous les demandez pour créer des obstacles que vous croyez décisifs contre l'opinion qui gagne tous les jours dans le pays.

Eh bien, permettez-moi de vous le dire, vos efforts n'ont pas réussi jusqu'ici, et si quelque jour les partisans de la réforme électorale parvenaient à la réaliser, ils n'atteindraient pas leur but. Les obstacles que l'on dresse contre l'opinion publique sont bien vite renversés par elle.

Messieurs, le gouvernement nous a déclaré qu'il comptait prendre quelques mesures pour faciliter l'exercice du vote. J'examinerai ces mesures avec beaucoup de sollicitude, et je leur donnerai mon adhésion, à deux conditions cependant. Je ne veux pas que, d'une part, la loi proposée par le gouvernement puisse compromettre la dignité du corps électoral ; je ne veux pas, de l'autre, que ces mesures puissent amener un changement immédiat à nos institutions politiques.

Je m'explique sur ce dernier point.

Si l'on admettait une proposition qui a été mise en avant, si l'on indemnisait les électeurs qui se rendent au chef-lieu, ne serait-il pas à craindre que cette mesure ne pût un jour donner lieu à des exigences qui seraient légitimes ? Les nombreux citoyens qui aujourd'hui ne sont pas appelés à exercer leur droit électoral, ne pourraient-ils pas venir dire : En Belgique, tout le monde paye l'impôt !

Tous les citoyens doivent leur part. Pourquoi donc quelques privilégiés doivent-ils seuls recevoir une rémunération pour un service qu'ils rendent à la société, il est vrai, mais que nous ne demandons pas mieux que de lui rendre aussi, et que peut-être nous lui rendrions sans réclamer aucune indemnité ?

Vous voyez donc, messieurs, que ces idées, si simples à première vue, pourraient nous mener très loin et nous conduire indirectement au suffrage universel. Ces propositions méritent donc un sérieux examen.

Messieurs, je me déciderais difficilement à apporter à nos lois électorales des modifications sérieuses. Je crois que la loi est bonne ; elle a fonctionné depuis 27 ans et jusqu'à présent elle n'a donné lieu à aucun abus grave. La loi électorale est la base du système politique qui a fait de la Belgique le plus beau, le plus heureux pays du monde. Mais si quelque jour on voulait modifier cette loi, alors si nous n'étions pas plus conservateurs que vous ne l'avez été, il y a des dispositions que nous pourrions fort bien faire tourner à notre profit.

Ainsi, par exemple, l'article 19 porte que les sections électorales sont formées par commune ou par canton ; eh bien, si nous voulions faire une modification utile à notre opinion un arrangement de nature rendre la liberté du vote plus grande, nous pourrions demander que les sections soient formées d'après l'ordre alphabétique et par arrondissement. Chacun comprendra, en effet, la portée de cette mesure : il suffit d'avoir été une seule fois candidat, ou d'avoir suivi avec quelque attention les opérations électorales pour reconnaître les inconvénients qui résultent de la formation des sections par communes.

Nous avons vu des électeurs violentés, séquestrés ; nous avons vu passer l'inspection des bulletins électoraux avant le vote. Il y a là quelque chose que je ne crains pas de qualifier de scandaleux.

Si nous n'étions pas guidés avant tout par un grand esprit de conservation, par le respect de nos lois organiques, nous proposerions, aujourd'hui que nous sommes majorité, de voter la modification que j'ai l'honneur d'indiquer.

Puisqu'on a parlé de manœuvres électorales, j'appellerai l'attention du gouvernement sur des faits qui m'ont été signalés : il paraît qu'on fabrique en ce moment dans de grandes proportions un nombre considérable de faux électeurs.

On m'a assuré que des veuves, par exemple, font inscrire leur contribution personnelle et leur patente soit sous le nom d'un de leurs fils, soit sous le nom d'un étranger, afin de donner ainsi la qualité d'électeur à des personnes qui ne la possèdent point en réalité. J'appelle sur ce point l'attention du gouvernement afin qu'il vérifie si les faits sont exacts et prenne des mesures pour rendre ces coupables manœuvres illusoires.

J'ai dit en commençant que je regrettais cette discussion, parce qu'elle me semblait empreinte d'exagération et de nature à donner à l'étranger une idée très fausse de nos belles institutions constitutionnelles. Je maintiens messieurs, que les plaintes qui ont trouvé de l'écho dans cette enceinte sont exagérées et que nous valons infiniment mieux que nous ne semblons le croire.

Je ne vois pas le mérite qu'il peut y avoir à nous dénigrer nous-mêmes.

Le mal que l'on a signalé est loin d'être général et si l'on en voulait une preuve, je citerais les orateurs qui se sont levés pour se plaindre des sommes immenses qu'on doit, d'après eux, dépenser pour pouvoir être élu ; la plupart d'entre eux ont déclaré, en effet, que l'abus n'existe pas dans leur arrondissement.

Mais, messieurs, en entendant les plaintes de ces honorables membres parfaitement désintéressés, je me demande pour quel motif ces honorables représentants se sont constitués les avocats d'office de leurs collègues qui ne se plaignent pas ? Cela ne prouve-t-il pas qu'il doit y avoir sous ces plaintes d'autres motifs que ceux que l'on veut bien alléguer ici publiquement ?

Mais, messieurs, il y a quelque chose de plus grave dans cette discussion.

J'ai été péniblement affecté quand j'ai entendu un honorable membre de cette Chambre, un homme dont la parole a de l'écho dans le pays et à l'étranger j'ai été ému quand j'ai entendu l'honorable comte de Theux dire que la violence des partis était telle en Belgique que dans un collège électoral un membre (qui appartient sans doute à l'opinion conservatrice) n'aurait pu se présenter dans un bureau électoral sans être écharpé ! Je le demande, messieurs, si à l'étranger on lit de pareilles accusations portées par l’honorable comte de Theux, un homme d’État, je le répète, calme, froid, dont la parole est toujours respectée, je le demande, que pensera-t-on de nos institutions, que pensera-t-on de la libre Belgique ? Ne croira-t-on pas que nous sommes un peuple sauvage, qu'on ne peut pas exercer en ce pays les droits les plus chers sans s'exposer à être écharpé ! Je proteste donc contre ces exagérations et je dis que si un citoyen avait été molesté, tout le corps électoral aurait été là pour le défendre.

D'ailleurs nos lois sont-elles lettre morte ? Le coupable n’aurait-il pas été puni ? Et dans cette Chambre il ne s'élèverait qu'une voix pour condamner pareille violence. Je proteste donc, je le répète, contre de pareilles exagérations et je dis qu'en Belgique le système de l’écharpement n'existe pas plus que la théorie du poignard.

L'honorable M. Coomans, se plaçant à un autre point de vue, est venu nous dire que, pour entrer dans cette Chambre, il faut être millionnaire.

M. Coomans. - Je n'ai pas dit cela. Je ne veux pas laisser croire que je suis millionnaire. Cela aurait des inconvénients.

M. A. Vandenpeereboom. - Vous avez dit que bientôt il faudrait être millionnaire pour entrer dans cette Chambre.

Du reste, comme le dit M. Coomans, il y aurait assez d'arguments ad homines pour prouver qu'il ne faut pas être millionnaire pour siéger dans cette enceinte. Mais que peut-on penser à l'étranger en lisant de pareils discours ? On croirait tout au moins que ceux qui veulent entrer dans cette Chambre doivent avoir beaucoup d'argent pour acheter beaucoup de voix et on en conclurait que nous ne sommes plus les représentants de la nation, mais les représentants de quelques sacs d'écus.

Je dois protester encore contre de pareilles allégations. II ne faut pas calomnier nos institutions. Il1 faudrait plutôt les exalter. Dans les (page 257) circonstances actuelles, dans ce moment où nous sommes peut-être le seul peuple constitutionnel qui se maintient droit et ferme en Europe, nous devons être fiers de nos institutions et nous devons le proclamer bien haut.

D'ailleurs ces allégations sont fausses. Est-il, dans le monde, un pays constitutionnel où l'application de ce système donne lieu à moins d'abus qu'en Belgique ? Chaque jour, l'éducation politique des citoyens belges se développe et s'améliore ; nos luttes politiques, je le veux bien, sont vives, ardentes. Mais est-ce un mal ? N'est-ce pas, au contraire, un signe de la vitalité de la nation ? Et loin de pouvoir lui être imputé à crime, n'est-ce pas un honneur pour le pays ?

Quand la lutte est terminée, que voit-on ? Le calme succède immédiatement à l'orage. Les bulletins une fois déposés dans l'urne, il n'est plus question de lutte. Les partisans des différentes opinions se donnent la main et tout est oublié. Chacun se soumet sans murmurer à la décision de la majorité.

Voit-on, en Belgique, à propos des élections, des abus tels que ceux qui se commettent dans d'autres pays ?

Est-ce en Belgique que les bureaux électoraux sont le théâtre de rixes sanglantes, comme dans d'autres pays, au-delà des mers ?

Est-ce en Belgique, qu'après une élection vivement disputée, comme en Irlande, on poursuit les ministres du culte pour avoir usé ou peut-être abusé de leurs droits électoraux ? Non, messieurs, en Belgique tout se passe avec ordre et avec calme, et la lutte finie, l'agitation cesse.

Je le dis donc en terminant : loin de médire de notre pays ou de le calomnier, constatons les heureux résultats que nous avons obtenus. Proclamons avec orgueil que nous sommes fiers de nos institutions et que sous l'égide de notre libérale Constitution et le règne de notre bon Roi, la Belgique est le pays le plus heureux du monde. II est vrai que nos lois peuvent avoir quelques légers inconvénients ; mais loin de les exagérer jetons un voile sur les abus de détail,

N'en parlons pas, ou n'en parlons qu'à huis clos pour y porter remède. Ne faisons pas croire à toute l'Europe que nous sommes un peuple corrompu, et que les citoyens en Belgique ne peuvent exercer leurs droits électoraux qu'au risque d'être écharpés.

Je pense que le système que je préconise vaut beaucoup mieux que celui que nous suivons depuis plusieurs jours.

Messieurs, en agissant comme je viens de le dire, en pratiquant sagement le régime constitutionnel, nous arriverons à mériter en 1858 l'approbation de tous les gouvernements européens ; comme nous avons mérité celle des peuples en 1848, bien que nous n'ayons pas voulu nous laisser entraîner dans la voie révolutionnaire.

(page 259) M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Messieurs, après le grand mouvement qui avait été organisé dans le pays pour la réforme électorale, après ce que divers orateurs de la droite nous avaient annoncé sur la convenance, l'opportunité, la nécessité d'une grande discussion sur la réforme électorale ; après que, dans une de nos sessions précédentes, l'un des orateurs principaux de la droite s'était écrié : « La réforme électorale, vous l'aurez. » Après de pareils antécédents, on était en droit de s'attendre à voir formuler par les auteurs de cette agitation politique un système quelconque, saisissable, discutable et sur lequel ils fussent du moins d'accord.

Or, messieurs, quel spectacle avons-nous depuis deux jours devant les yeux ? Quatre des membres principaux de la droite ont pris la parole sur cette grave question.

Le premier nous a proposé le système du vote à la commune. Le second s'est levé pour lui dire : « Ce système ne vaut rien ; il faut le vote au canton. » Le troisième suivant en cela ses antécédents personnels, s'écrie : « Le vote à la commune, le vote au canton, cela ne vaut rien ; il faut le maintien du vote au chef-lieu d'arrondissement ; mais voici un remède efficace aux abus : payons les électeurs ; et s'ils s'avisent de ne pas venir exercer leurs droits électoraux, condamnons-les à l'amende. »

Ce système vient d'être condamné par un quatrième et brillant orateur de l'opposition, l'honorable M. Dumortier qui déclare que le système de l'honorable M. de Decker n'a pas le sens commun.

C'est avec cette divergence complète de vues dans une matière aussi grave, c'est en présence d'un pareil désaccord au sein de l'opposition, qu'on n'a pas craint d'agiter le pays sur une question aussi fondamentale ■que la loi électorale, et c'est le parti qui s'appelle conservateur qui donne de pareils exemples l

Je crois, messieurs, qu'il se prépare en ce moment une autre agitation qui aboutira probablement au même résultat.

Je ne veux pas revenir sur ce qui a été fait contre l'institution de la garde civique. On s'est attaché, dans des sessions précédentes, à énerver, autant qu'on l'a pu, cette institution constitutionnelle.

Cela fait, le parti conservateur s'en prend à la loi fondamentale de la milice. Voilà qu'on sème l'agitation dans les campagnes pour obtenir des habitants des pétitions contre la milice.

Messieurs, il est facile d'agiter les intérêts sur de pareilles questions ; il est facile de se créer un rôle de patron, de protecteur du peuple, en faisant un pareil appel à ses intérêts. Si de notre côté, alors que nous étions dans l'opposition, nous eussions voulu agiter le pays sur de pareilles questions ; si nous eussions dit : « Il y a lieu de supprimer les patentes, la contribution personnelle, » l'agitation eût été bien facile.

Eh bien, messieurs, tout en se posant depuis quelques années, comme les défenseurs de l'armée, que font en ce moment des représentants de la droite ? Avant que l'opposition se soit mise d'accord sur les principes de cette grande réforme, on n'hésite pas à provoquer des pétitions contre l'institution de la milice. Quand viendra la discussion de cette question, on ne sera pas d'accord sur les réformes à introduire. Quand on n'est pas plus d'accord sur ce qu'on veut faire, quand on n'a pas plus mûrement étudié les questions, quand on n'est pas plus profondément convaincu de la nécessité d'une réforme, on ne provoque pas des pétitions contre ce qui existe, on les repousse au lieu d'en agiter le pays, c'est à ce titre seulement qu'on peut s'appeler parti conservateur.

Messieurs, rien de plus facile que le système qui consiste à dire ; il y a quelque chose à faire. J'avoue que cette maxime ne me déplaît pas. J'aime assez les gouvernements qui trouvent qu'il y a quelque chose à faire. Pour ma part, je suis heureux quand je puis faire quelque chose de bon. Mais si toutes les lois ont des inconvénients, si nous n'avons aucune de nos lois parfaites, s'ensuit-il qu'il faut s'occuper sans cesse de les corriger, qu'il ne faut pas reculer devant le danger d'ébranler nos institutions les plus constitutionnelles ?

Ainsi pour en revenir à l'objet en discussion, notre loi électorale remonte au Congrès, c'est une émanation du Congrès national qui savait ce qu'il faisait. A cette époque, il y avait un esprit public, qui, j'espère bien, n'est pas éteint en Belgique, mais qui cependant a besoin de se développer, de grandir encore.

C'est sous l'empire de cet esprit public qu'on a conféré le droit de voter aux habitants des campagnes en statuant qu'ils viendraient voter au chef-lieu d'arrondissement S'est-il élevé une seule voix alors pour s'apitoyer sur le sort des malheureux habitants des campagnes qui auraient cinq ou six lieues à faire pour venir exercer leur droit ? Personne n'a fait aux habitants des campagnes l'injure de supposer qu'ils considéreraient comme une corvée l'exercice de leurs droits politiques.

A entendre certains orateurs, le droit électoral, comme ils le représentent, ne serait plus un droit, un privilège, une des plus belles attributions du citoyen belge, ce serait une corvée insupportable, dont il faudrait soulager au plus tôt le campagnard en l'indemnisant.

Le campagnard a plus de patriotisme que vous ne supposez ; il sait que c'est par ce droit électoral qu'il est quelque chose, qu'il est quelqu'un dans la nation, tandis qu'avant l'époque glorieuse de son émancipation, il n'était qu'une chose, il était à peine un homme, il n'était pas citoyen.

C'est depuis qu'il est appelé à intervenir dans la législation, dans l'administration du pays, qu'il a pu se proclamer citoyen, et comprendre la valeur des droits politiques. S'il lui fallait choisir entre la corvée ancienne et ce qu'on considère comme une corvée moderne, c'est en faveur de la corvée moderne qu'il se prononcerait ; et certes, il aime mieux celle-ci que l'autre.

Maintenant est-il vrai que ce soit une corvée que l'exercice d'un droit électoral, et que pour cette raison les électeurs des campagnes s'abstiennent de se rendre au scrutin ?

Je publierai une statistique électorale d'où il résulte que depuis longtemps le nombre des électeurs des campagnes qui exercent leur droit sur cent inscrits est, à un ou deux près, aussi grand que le nombre des électeurs des villes.

En 1857, au mois de décembre, à cette époque néfaste qui a valu tant d'accusations au cabinet qui avait été dans l'obligation, dans la nécessité absolue de choisir cette époque pour convoquer les électeurs, il y a eu 84 pour cent de votants pour les villes et 83 pour les campagnes.

Aux élections de 1852 il y a eu 76 p. c. de votants dans les villes et 74 dans les campagnes. En 1856, la différence est en faveur des campagnes, il y a eu 70 p. c. de votants dans les villes et 72 p c. dans les campagnes. Je publierai le tableau complet. Il en résultera à l'évidence qu'on outrage l'électeur des campagnes quand on le représente, non comme un citoyen énergique, comme il appartient à la forte population de nos campagnes de l'être, mais comme une femmelette qui ne peut faire un pas sans tomber en faiblesse, auquel on est obligé de venir en aide au moyen de bonnes voitures, qu'on est obligé de réconforter au moyen de bons dîners.

C'est faire outrage à ces mâles et braves populations ! L'on s'apitoie sur leur sort, on les représente comme des mendiants auxquels il faut faire la charité s'ils viennent exercer leur droit électoral. Et que disait-on autrefois ? Quand nous demandions pourquoi on conférait le droit électoral au citoyen des campagnes payant 20 florins, tandis qu'on le refusait au citoyen des villes payant 50 florins, que nous répondait-on ? Il y a une distinction très grande à faire entre les habitants des villes et les habitants des campagnes ; le campagnard payant 20 florins d'impôt jouit d'une plus grande aisance que l'habitant des villes payant 50 florins.

On disait que le campagnard payant 20 florins d'impôt n'avait pas, pour parfaire le cens, la contribution personnelle, la patente ; que de plus le loyer entrait pour très peu dans la formation du cens ; que les électeurs à 20 florins sont des propriétaires, des personnages plus importants que beaucoup d'habitants des villes payant le double.

Voilà ce que vous avez dit très souvent pour justifier l'inégalité dit cens entre les villes et les campagnes. Et moi aussi je soutiens que ces habitants des campagnes, sur le sort desquels on s'apitoie, alors qu'eux-mêmes ne se plaignent pas, je soutiens, dis-je, que ces électeurs sont parfaitement à même de se déranger quelque peu de leurs habitudes une fois tous les quatre ans, sauf les cas extraordinaires, et de supporter cette légère charge pour aller exercer leurs droits politiques dans la ville où ils ont, d'ailleurs, cent fois par an l'occasion ou l'obligation de se rendre pour leurs intérêts privés.

C'est sans doute pour en venir à l'une des conclusions de nos adversaires, car ils en ont plusieurs, qu'il a paru nécessaire de représenter comme étant fort lourde, la charge qui pèse sur l'électeur rural du chef de ce déplacement ; et voici le raisonnement que l'on fait ; puisque ce déplacement constitue une charge trop lourde pour l'électeur campagnard, laissons l'électeur chez lui ; qu'il vote à la commune et il n'aura plus de frais à supporter. Voilà, je suppose, le motif pour lequel on a tant insisté sur les dépenses, les frais, les fatigues extraordinaires imposés à ces pauvres électeurs campagnards.

Le vote à la commune, ai-je besoin de le combattre ? Il me semble qu'il n'a guère de chance de réussir, même dans les rangs de l'opposition. Nous attendrons, du moins, qu'il y ait réuni quelques voix de plus et qu'il ait pris une forme, pour nous donner la peine de le combattre : jusqu'à présent nous n'y voyons qu'une ombre et aucune apparence de réalité.

Le vote et le fractionnement de l'élection par canton ? Ce système, je le déclare, ne m'a jamais beaucoup effrayé ; et lorsque, à une autre époque, on nous disait que l'opposition préparait un système qui devait consister à fractionner le pays en autant de collèges électoraux qu'il y a de fois 40,000 âmes, je me disais, en faisant certains calculs, certains rapprochements, qu'il ne serait jamais mis sérieusement en avant ni soutenu par la droite. Je crois, en effet, qu'il y a, dans la droite, de nombreux et puissants intérêts qui s'opposeraient à ce qu'elle proposât un tel système ; que si, par exemple, les grands centres de population couraient le risque de perdre un ou deux représentants au plus, les villes secondaires, qui sont, elles, écrasées par les électeurs de la campagne, gagneraient, pour la défense de leurs intérêts dans cette Chambre, un nombre plus considérable de représentants.

J'ai donc été tout à fait rassuré quant aux conséquences de cette proposition si elle était formulée ; mais je crois, par cela même, que nous ne devons pas nous attendre à la voir se produire ici.

Cependant, messieurs, en suivant cet axiome ; il y a quelque chose (page 260) à faire, je ne me dissimule nullement quasi, dans certains arrondissements les distances sont telles que, dans ces arrondissements, très peu nombreux d'ailleurs, depuis l’établissement de nos chemins de fer, l'exercice du droit électoral est fortement gêné, il y aurait équité de les fractionner en 2 ou 3 cantons. C'est là un point à examiner ; nous ne sommes pas absolus, nous voulons faciliter autant que possible l'exercice du droit électoral ; nous l'avons déjà prouvé en réduisant le tarif du chemin de fer.

Peut-être pourrions-nous supprimer complétement les frais de transport pour ces jours de grande solennité politique. Mais quand vous aurez fait cela, quel résultat aurez-vous obtenu ? Les candidats qui sont dans l'habitude de défrayer leurs électeurs, y trouveront-ils un allégement complet au sacrifice qu'ils s'imposent maintenant ?

Non, messieurs, car il n'y a pas que les frais de transport que ces candidats s'imposent ; il y a encore, comme le disait un honorable curé dans une lettre adressée à un de ses agents électoraux, il y a encore à boire et à manger. (Interruption.) Et il ajoutait que le billet joint servirait pour le transport et la collation. (Nouvelle interruption.) La lettre est écrite en latin ; mais elle est parfaitement claire et significative.

Eh bien, qu'arrivera-t-il ? C'est que le candidat, exonéré des frais de transport, payera une bouteille de vin de plus au dîner ; de sorte qu'il ne gagnera pas grand-chose, en définitive, à ce changement. Voilà, je pense, quel serait le résultat de la réforme proposée par l'honorable M. de Decker.

Ce qu'il faudrait réformer, messieurs, si, en effet les mœurs publiques étaient aussi corrompues qu'on veut bien le dire, ce qu'il faudrait, au lieu de proposer des indemnités aux électeurs des campagnes qui ne savent pas, comme il convient à des citoyens libres, exercer leurs droits politiques, il faudrait leur adresser de sévères leçons.

Nous devrions leur dire que, dans un pays libre, ii y a des droits à exercer qui équivalent à des devoirs à remplir ; que la liberté ne s'exerce pas toujours gratis ; nous devrions chercher à relever ces électeurs à leurs propres yeux, à leur faire comprendre que ce n'est pas une corvée qu'ils ont à subir quand ils vont prendre part à ce grand acte de souveraineté nationale, que c'est un droit de citoyen qu'ils exercent, et qu'il est indigne d'eux et du pays qu'on les transforme en espèces d'agents salariés qui ne peuvent pas faire un pas dans l'intérêt général sans en être indemnisés.

Voyez, messieurs, ce qui se passe dans les villes aux jours des luttes électorales. Je vous ai dit que jamais je n'avais eu à payer, pour mon élection, ces frais considérables dont quelques-uns se plaignent ; pourquoi ? Parce qu'il règne dans les villes un esprit tel, que les électeurs seraient humiliés si on leur offrait une indemnité quelconque pour l'exercice de leurs droits électoraux..

Eh bien, messieurs, que cet esprit s'étende partout dans nos campagnes, ce doit être là un des sujets les plus sérieux de nos préoccupations. Que par nous chaque habitant des campagnes comprenne ses droits de citoyen et soit jaloux de les exercer avec dignité, et par cette réforme vous aurez obtenu de bien meilleurs résultats que ceux que vous cherchez et que vous chercherez longtemps encore. Il existe, je le sais, chez beaucoup d'habitants des campagnes, un sentiment d'avarice ; mais ils ont aussi le sentiment de l'amour-propre, et c'est à ce sentiment qu'il faut s'adresser pour les relever à leurs propres yeux.

Oui, messieurs, il y a quelque chose à faire pour relever les électeurs des campagnes. On parle de l'espcee de torture physique qu'ils ont à supporter, parce qu'ils ont à faire quatre, cinq ou six lieues quelquefois par le mauvais temps.

Comme si toute la vie de l'habitant des campagnes n'était pas, heureusement pour lui, à ciel ouvert, comme s'il n'avait pas l'habitude de braver l'intempérie des saisons ! On s'apitoie sur leur sort ; ils éprouvent une espèce de torture physique pour se rendre à la ville une fois tous les quatre ans.

^ Messieurs, ils ont à subir une autre espèce de torture dont je voudrais bien plutôt les voir délivrés Ils sont l'objet, de la part d'une classe très influente et très nombreuse, de torture morale qu'ils seraient bien heureux de voir disparaître. Pour ma part, je crois qu'ils ont plus à souffrir de celle-ci que de celle-là, je crois que l'électeur des campagnes qui se voit placé sous la menace de la damnation éternelle, s'il vote pour M. Jean au lieu de voter pour M. Pierre, est beaucoup plus malheureux et beaucoup plus maltraité que s'il a tout simplement quelques lieues à faire à pied pour venir déposer son bulletin. Voilà un des côtés de la question qui n'a pas été indiqué, je le conçois, par l'opposition, mas que je crois devoir signaler. Je ne sais pas s'il y a un remède à prendre contre cette espèce de torture morale, mais je la signale et je la dénonce au pays.

Je me permets de soumettre à la Chambre une autre observation. On ne se plaint pas seulement de l'abstention forcée des électeurs campagnards, et j'ai démontré qu'ici il y a erreur complète de la part de ceux qui font cette objection, que les électeurs des campagnes ne s'abstiennent pas plus que ceux des villes ; mais on dit en outre que les dépenses auxquelles étaient condamnés les candidats, en éloignaient un grand nombre, et qu'à l'avenir, il faudrait être très riche pour devenir représentant.

Messieurs, si j'avais cette opinion, elle ne ferait que me confirmer dans l'idée qu'on a été beaucoup trop loin en 1848, lorsqu'on a exagéré la réforme que l'opinion libérale, représentée par nous, avait proposée pour les incompatibilités parlementaires. Lorsque les candidats à la chambre deviennent plus difficiles à trouver, il me semble, si cela est bien constaté, que parmi les remèdes il faudrait indiquer aussi celui d'une réforme à la loi des incompatibilités. Nous avions un certain nombre de candidats très respectables, de candidats indépendants, comme fonctionnaires par leur position de fortune, ayant l'expérience, les lumières, animés en général d'un bon esprit. Et nous les avons, non pas nous, mais vous, membres conservateurs, vous les avez radicalement supprimés.

M. Coomans. - Vous aviez la majorité.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Sur ce point, la majorité d'alors s'est divisée. L'honorable auteur de la proposition, l'honorable M. Malou, qui professait des opinions excessivement larges, a dit : Vous nous proposez une réforme étriquée, vous faites des catégories, vous voulez conserver certains fonctionnaires comme propres à former de bons représentants. Nous, nous ne faisons grâce à personne, nous supprimons tout le monde.

Le ministère d'alors, ce ministère révolutionnaire, comme vous savez, a combattu cette réforme exagérée et a voté contre à la Chambre et au Sénat.

Eh bien, je crois qu'il y aurait là aussi quelque chose à faire. Je crois qu'on pourrait alors, dit-on, que la matière des candidats vient à manquer, rouvrir aux électeurs un cercle de candidats qui tenaient une place très respectable dans cette chambre, qui y rendaient de grands services et qui offriraient, dans les cas de pénurie, d'excellents choix aux électeurs qui se trouveraient embarrassés.

J'aimerais mieux, messieurs, cette réforme que celle que l'honorable M. Dumortier vient de nous proposer.

Je demande à agrandir le nombre des éligibles ; l'honorable M. Dumortier voudrait diminuer le nombre des électeurs, et c'est aux cabaretiers, aux débitants de boisson qu'il s'en prend. Eh bien, cela n'est pas très libéral. Nous cherchons à étendre autant que possible l'exercice des droits électoraux. Je ne sais pas pourquoi ou exclurait les cabaretiers, alors qu'ils payent une patente comme les autres.

Voilà une catégorie d'électeurs bien malheureuse. D'une part on se plaint que les électeurs mangent et boivent trop au préjudice des candidats. Il faudrait, si on le pouvait, proclamer un jour de jeûne ; ceci n'est pas de notre compétence ; il faudrait interdire aux électeurs de boire et de manger ce jour-là, et certes les cabaretiers n'y trouveraient pas leur compte. Mais non contents de priver les cabaretiers de cette aubaine qui revient tous les quatre ans, on veut les priver même du droit d'être électeurs, ou plutôt, dans votre système, on veut leur accorder le privilège de ne plus être électeurs, le soulagement de ne plus venir voter à la ville. Car il paraît que c'est une charge terrible, et que chaque fois qu'on supprime un électeur, on fait un heureux dans les campagnes.

Je demande grâce pour cette catégorie de patentables. Ce n'est pas d'une manière détournée qu'on a supprimé la disposition qui déclarait que cette patente ne serait pas comprise dans le cens électoral. Cela a été formellement proposé et déclaré par mon honorable ami M. le ministre des finances, dans l'exposé des motifs de la loi. Voici ce que j'y lis :

« C'est en invoquant la Constitution que nous avons rétabli comme faisant partie du cens électoral cet impôt. »

M. B. Dumortier. - C'est là une opinion personnelle.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Voici maintenant ce que dit le rapport de la section centrale :

« Cette disposition n'étant pas reproduite dans la loi nouvelle, il s'ensuit que cet impôt est un impôt direct qui sera compris dans le cens électoral. »

Ainsi, l'exposé des motifs et le rapport de la section centrale sont parfaitement explicites. Je crois que cela n'est pas discutable.

Nous ne toucherons donc pas à cette partie de la loi électorale.

Nous ne toucherons pas non plus à la partie de la loi électorale qui fixe le chef-lieu d'arrondissement pour la réunion des électeurs et nous serons en cela conséquents avec le Congrès.

Nous ferons acte de conservation politique. Nous maintiendrons ce qui a été maintenu en 1848, car en 1848 lorsque nous proposions la réforme électorale, nous disions dans l'article 2 du projet :

« Art. 2. Les électeurs continueront à se réunir au chef-lieu du district administratif. »

C'était une réserve expresse pour faire comprendre au pays qu'en modifiant le cens électoral nous n'entendions pas toucher au principe du vote au chef-lieu d'arrondissement, principe défendu en termes si énergiques par l'honorable M. de Theux en 1831.

Je ne veux pas, messieurs, faire ressortir les avantages de ce système. Il n'est pas sérieusement attaqué, mais je dirai avec un de mes honorables amis qu'il est fâcheux dans les circonstances actuelles et même à toutes les époques, de voir mettre en question toutes nos institutions, de voir dénigrer aux yeux du pays et aux yeux de l'étranger les lois constitutives qui font toute notre force, qui font tout notre honneur et auxquelles nous devons tous porter un commun respect.

(page 257) M. de Theux. - Je prie la Chambre de me permettre une courte réplique aux griefs articulés contre le parti conservateur.

La discussion sur la réforme de la loi électorale avait été ajournée par quelques membres de la gauche à l'examen du budget de l’intérieur. Cette discussion a été, en ce qui nous concerne. courte, calme, modérée ; nous avons appelé l'attention sur quelques griefs et nous nous sommes bornés à cela.

L'honorable M. Vandenpeereboom s'est cru obligé de nous adresser une leçon de calme, de modération, de représenter le pays comme en danger par cette discussion, la plus inoffensive qui se soit jamais produite dans un parlement.

Messieurs, si un discours était de nature à exciter ces passions, ce serait assurément celui de l'honorable membre, car il nous a adressé une série de provocations, une série de critiques qui, s'il fallait y répondre, exigeraient peut-être une discussion de huit jours. Il ne s'agirait, en effet, de rien moins que de passer en revue tous les actes des partis politiques depuis 1830 jusqu'à ce jour. Vous comprenez, messieurs, que je n'ai pas l'intention de suivre l'honorable membre sur ce terrain. Nous nous bornerons à dire que, suivant nous, il a fait une appréciation complétement fausse des faits.

Nous demandons, dit-il, une loi de parti pour ressaisir le pouvoir, nous voulons modifier la loi électorale dans un intérêt de parti, Messieurs, ce ne sont point là des raisonnements : nous pourrions dire à 1 honorable membre : Vous voulez maintenir cette loi, qui vous a portés au pouvoir, vous voulez la maintenir dans un esprit de parti. Le public aurait toujours à juger qui de nous deux a tort ou raison.

On a dit que nous avons accusé les électeurs d'être un peuple corrompu. Je ne sais qui a porté cette accusation, mais à coupsùraueun terme n'est sorti de ma bouche, qui pût avoir cette couleur. J'ai dit que les électeurs ruraux se trouvent dans des conditions de fatigues et de dépenses tout à fait inégal s et j'ai réclamé justice. J'ai ajouté que c'est seulement à ce titre qu'on peut justifier les dépenses électorales que les candidats ont souvent l'occasion de faire. Il n'y a rien là d'injurieux pour personne.

L'honorable ministre de l'intérieur a dit qu'on avait agité le pays l’année dernière par les pétitions demandant la réforme électorale. Je ne me suis pas aperçu qu'il y eût dans le pays de l'agitation. J'ai bien vu arriver dans cette Chambre un grand nombre de pétitions, mais un grand nombre de pétitions n'est pas du tout de l'agitation ; on peut demander avec calme ce que l'on croit juste ; ce n'est point là de l'agitation.

Cette agitation, dit l'honorable ministre, est d’autant plus inconcevable que les agitateurs ne sont pas même d'accord sur le remède à apporter au mal qu'ils signalent Mais, messieurs, c'est là une réfutation du grief de l'honorable membre ; car cela prouve que ces pétitions n'avaient pas été concertées.

L'unanimité des plaintes sur ces bancs, plaintes qui ne sont pas restées sans écho sur une partie des bancs de la gauche, prouve qu'il y a réellement un vice dans la situation actuelle. Cela n'empêche pas qu'il puisse y avoir divergence quant au remède à appliquer.

Si l'on veut se donner la peine de consulter ce qui s'est passé ailleurs, on sera étonné du grand nombre de lois électorales qui se sont succédé dans tous les pays où le système représentatif existe. Pourquoi ? Parce que c'est une matière très difficile et qu'on a souvent reconnu des vices dans la législation qui était en vigueur.

On dit que les griefs contre la loi électorale n'ont jamais été articulés que par nous ; je me rappelle cependant très bien une époque où des griefs étaient articulés contre cette loi par le parti libéral.

L'opinion libérale, arrivée au pouvoir en 1848, a saisi l'occasion de faire ses affaires et a modifié la loi électorale qui existait alors.

On nous dit : La loi électorale est l'œuvre du Congrès. C'est là une grave erreur : Si vous voulez dire que la loi électorale est l'œuvre da Congrès, révoquez la loi de 1848.

Mon honorable ami, M Malou, dans les aperçus statistiques qu'il a communiqués hier à la Chambre, a démontré, à la dernière évidence, que le système du Congrès était complétement rompu...

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Proposez le.

M. de Theux. - C’est à moi à apprécier dans quelles circonstances je pourrais faire une proposition à la Chambre, et bien certainement je me garderai de demander conseil à M. le ministre des finances.

M. le ministre de l'intérieur nous a signalé les habitants de la campagne comme étant en proie à une torture morale de la part des curés. Je dois déclarer que, pour ma part, je n'ai jamais entendu un électeur rural, un électeur quelconque se plaindre de la torture morale exercée sur lui par son curé. (Interruption.)

Quoi de plus simple ? Vous adressez vos conseils à des électeurs que vous croyez disposés à vous suivre ; d'autres adressent des conseils à d'autres électeurs qu'ils croient disposés à les suivre. En cela, les uns et les autres ne font qu'user du droit que la Constitution leur accorde : la liberté d'opinion.

Je ne reconnaîtrai de torture morale exercée sur l'électeur que dans le cas où il serait placé, par une force majeure, entre ce qu'il croit un devoir de conscience et un intérêt matériel qu'il trouverait compromis, (Interruption.)

Quand un électeur est convaincu que son obligation morale est de donner sa voix au candidat, qui peut le mieux servir le pays, je crois que c'est pour lui un devoir de conscience de suivre cette conviction.

Mais il s'agit de prouver à cet électeur que telle est son obligation morale, que le candidat est bien réellement celui qui peut rendre le plus de services au pays. Voilà ce qu'il faut prouver à l'électeur. Or, c'est un droit qu'ont tous les citoyens. Il n'y a là absolument aucune espèce de torture morale.

Je ne connais qu'un seul moyen d'empêcher la torture morale au point de vue religieux, je parle de la crainte de la vie future, c'est de déclarer qu'il n'y a pas de vie future.

Aussi longtemps que vous n'aurez pas prouvé à l'électeur qu'il n'y a pas de vie future ou bien qu'il peut à son gré choisir l'homme qui, devenu député, peut faire le plus de mal au pays, ou celui qui peut lui faire le plus de bien, vous n'aurez rien fait. Vous ne pouvez pas sortir de là. (Interruption.)

Vous n'avez aucun moyen. J'attends que M. le ministre de la justice, qui m'interrompt, nous propose une loi qui soit en harmonie avec la Constitution et qui prévienne les tortures morales exercées sur les électeurs. (Nouvelle interruption.)

L'honorable ministre des finances nous parle de certaines dispositions du Code pénal ; nous attendons l'application de ces dispositions. J'avoue que je serais fort curieux et ce serait fort intéressant de voir cette question débattue devant un tribunal ou devant la Chambre.

Un honorable membre m'a fait le reproche d'être sorti en quelque sorte de mon caractère, en disant que dans certains bureaux électoraux il y a eu crainte de violence. En bien, ce que j'ai avancé, est encore un fait de notoriété publique, car j'ai entendu dire, non pas une fois, mais cent fois, que bon nombre de votes avaient été donnés à l'opinion libérale, uniquement par la crainte qu'il n'y eût des troubles dans certaines localités. J'ai entendu notamment ce fait avancé par une personne qui appartient à l'opinion libérale et qui est un homme éclairé.

Du reste, ce sont de ces faits sur lesquels nous avons beau discuter ; je les avancerai, vous les nierez et,' en définitive, nous resterons au même point. Il n'y a que les personnes qui ont pu apprécier les faits de près, qui soient à même d'en décider.

M. le ministre de l'intérieur nous a parlé de l'agitation qui aurait été provoquée dans le pays pour la réforme de la loi sur la milice. Je ne pense pas que cette agitation, si elle existe, puisse être attribuée à un parti.

J’ai entendu à gauche et à droite articuler des griefs contre la loi sur la milice. Ce n'est pas là une question de parti.

Je suis heureux, quant à moi, de pouvoir dire que, depuis 1830, la (page 258) charge de la milice est devenue beaucoup moins onéreuse, que les miliciens s'éloignent beaucoup moins de leurs foyers, qu'ils restent en quelque sorte en famille ; d'autre part, l'état de neutralité qui a été imposé au pays diminue nécessairement les craintes que les hasards de la guerre peuvent inspirer aux parents et aux familles.

Si le gouvernement est dans l'intention de nous faire des propositions à cet égard, nous les examinerons avec calme et au double point de vue de la défense du pays et de l'intérêt des familles.

Je borne ici mes observations. Je crois être resté dans les limites du droit de légitime défense.

M. le président. - Personne n'étant plus inscrit sur l'incident, il est clos. Nous reprenons la discussion des articles.

- Des membres. - A demain.

- La séance est levée à 4 heures et demie.