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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mardi 3 août 1858

Séance du 3 août 1858

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1857-1858)

(page 1351) (Présidence de M. Verhaegen.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. Crombez procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.

M. de Moor donne lecture du procès-verbal de la séance du 31 juillet.

- La rédaction en est adoptée.

Pièces adressées à la chambre

M. Crombez présente l'analyse des pièces qui ont été adressées à la Chambre.

« Par deux pétitions, des habitants du quai Saint-Willebrord, dans la cinquième section d'Anvers et des habitants de Berchem et de Borgerhout, demandent l'agrandissement général de la ville d'Anvers. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi relatif à l'exécution de divers travaux publics.


« Des habitants de Borgerhout déclarent protester contre la pétition d'autres habitants de cette commune, qui se prononcenl pour l'adoption du projet du gouvernement, relatif aux fortifications d'Anvers, et demandent la démolition de l'enceinte actuelle de cette ville. »

- Même décision.


« Le sieur Brunet soumet à la Chambre le plan d'un système nouveau et complet pour l'organisation d'Anvers ; il demande qu'il soit vérifié par tous les intérêts réunis et qu'en attendant, la discussion du projet de loi relatif aux fortifications d'Anvers soit suspendue. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi.


« La députation permanente du conseil provincial du Brabant adresse à la Chambre un rapport dont le conseil provincial a voté les conclusions, tendantes à ce que les Chambres et le gouvernement veuillent bien introduire, dans le système général des impôts perçus au profit de l'Etat, des modifications telles, qu'il soit possible d'arriver à l'abolition des octrois communaux. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« La commission administrative des hospices civils de Stavelot réclame contre les perceptions de droits d'enregistrement auxquelles a donné lieu l'adjudication au rabais des fournitures d'objets nécessaires à ces hospices. »

- Même renvoi.


« Les membres du conseil communal de Villers la Bonne-Eau demandent que la société concessionnaire du chemin de fer du Luxembourg construise l'embranchement sur Bastogne. »

« Même demande des membres des conseils communaux de Mabompré et de Tintange. »

- Même renvoi.


« Le sieur Vanderauwera, ancien officier de volontaires, ancien sous-brigadier des douanes, demande la révision de sa pension. »

- Même renvoi.


« Des exploitants de charbonnages, des industriels et négociants dans l'arrondissement de Charleroi demandent que le projet de loi relatif à l'exécution de divers travaux d'utilité publique comprenne l'élargissement total du canal de Charleroi à Bruxelles. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi.


« Les membres de l'administration communale et des habitants de Bouvignes prient la Chambre de voter les fonds nécessaires pour que la Meuse soit rendue navigable en toute saison. »

- Même décision.

« Les secrétaires communaux de l'arrondissement d'Ostende présentent des observations sur le projet de loi qui institue une caisse centrale de prévoyance en faveur de ces fonctionnaires. »

« Mêmes observations des secrétaires communaux dans les arrondissements de Bruges et de Furnes. »

-Renvoi à la section centrai chargée de l'examen du projet de loi.


M. le président. - J'ai reçu de M. Ch. de Brouckere une lettre dont il m'a demandé de donner lecture à la Chambre. La voici ;

« Bruxelles, le 1er août 1858.

« Monsieur le président,

« Ma santé m'impose le repos et la distraction ; je viens donc vous prier de demander à la Chambre qu’elle m'accorde un congé de dix jours.

« Je sais que cette demande peut paraître étrange dans ce moment ; aussi, je me serais gardé de 'l faire, si j'avais un vote pertinent à émettre dans la question qui divise mes collègues. Mais je ne saurais me rallier à la proposition du gouvernement ; elle diffère trop de ce que j'avais rêvé pour la défense du pays, et nous mènerait fort loin, si l'on continuait à se relâcher sur le maintien des servitudes militaires.

« D'un autre côté, je ne voudrais pas, par un ajournement ou un vote négatif, donner la moindre chance de réussite à ce qu'on appelle la grande enceinte, ni au démantèlement de notre meilleure forteresse. Je devrais donc m'abstenir.

« Veuillez agréer, monsieur le président, l'assurance de ma haute considération.

« Ch. de Brouckere. »

- Le congé est accordé.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - J'ai l'honneur de déposer le rapport sur l'emploi des subsides alloués à la voirie vicinale pendant la période de 1851 à 1855.

- Il est donné acte à M. le ministre de cette communication. La Chambre en ordonne l'impression et la distribution.

Projet de loi relatif à l'exécution de divers travaux publics (fortifications d’Anvers)

Discussion générale

M. Allard. - Je demande la parole pour rectifier une erreur du chiffre que j'ai proposé dans la séance de samedi dernier pour l'exécution des ouvrages pour compléter le camp retranché, et pour signaler l'omission d’une interruption dans le compte rendu de la même séance.

Par mon amendement j'ai proposé une somme de 5,890,000 fr. Je me suis trompé, c'est 5,850,000 fr. que je devais inscrire et voici pourquoi.

Dans le rapport de la section centrale, page 51, on voit l'évaluation des travaux à faire à Anvers. Pour le camp retranché ou fixe le chiffre à 12,998,000 fr. et pour l'enceinte nord à 7,196,000 fr. Cependant le gouvernement, pour ces travaux qui doivent coûter 20,194,000 fr., ne demande que 9 millions. C'est donc 45 p. c. qu'il demande à l'emprunt, et 55 p. c. aux excédants de budget. Voilà pourquoi le chiffre que je propose doit être non de 5,890,000 fr., mais de 5,850,000 fr.

Quant à l'omission d'une interruption, voici, ce qui s'est passé samedi. L'honorable M. Dolez avait la parole et il nous disait ceci : page 1343, deuxième colonne :

« Je ne veux pas parler stratégie, je suis convaincu que je m'égarerais, si j'avais la témérité de le tenter, mais le simple bon sens démontre que cette ligne de forts est une garantie qu'Anvers ne sera pas bombardé. Pour qu'il soit bombardé il faudrait que l'ennemi eût anéanti cette ligne de forts.

« D'après les prévisions militaires combien cette ligne de forts peut-elle résister ? On a dit 6 a 8 mois, j'entends même qu'on me crie : Indéfiniment, mais arrêtons-nous à 6 ou 8 mois ; sans trop présumer je crois pouvoir m'en tenir à cette appréciation.

« Si les forts peuvent tenir pendant 6 à 8 mois, Anvers, grâce à la défense de son camp retranché, échappera au bombardement, car pendant ce temps notre destinée dans le conflit où nous aurions été engagés sera fixée.

« Nous serons secourus ou nous resterons isolés ; si nous restons isolés nous aurons pour toute perspective une défense que le désespoir seul pourrait continuer au nom de l'honneur national. Si nous sommes secourus, les dangers s'éloigneront d'Anvers.

« Notre système défensif doit avoir pour pensée fondamentale de résister assez longtemps à l'ennemi pour permettre à d'autres armées de venir à notre secours. Une défense de 6 à 8 mois permettra d'atteindre ce résultat, s'il doit se réaliser, s

Vous voyez, d'après ce qu'a dit l'honorable M. Dolez, qu'il y a eu une interruption. On lui a dit : Indéfiniment. Je désire qu'on rétablisse dans les Annales parlementaires que cette interruption est venue de M. le ministre des finances. Il a dit : Indéfiniment, aussi longtemps qu’Anvers sera ravitaillé. Comme les paroles prononcées par l'honorable M. Dolez et l'interruption de M. le ministre des finances appuient mon amendement, j'ai cru devoir rétablir cette interruption.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - C'est dans les conditions actuelles de la place que j'ai répondu indéfiniment.

M. le ministre de la guerre (M. Berten). - Dans la séance de samedi dernier, l'honorable Malou a fait au gouvernement une demande à laquelle je m'empresse de répondre.

Il a demandé à connaître la superficie des établissements militaires dans l'agrandissement de la ville d'Anvers. Je puis répondre à l'honorable membre que les établissements militaires seront circonscrits dans les terrains militaires proprement dits, de telle sorte que les 215 hectares compris dans les limites intérieures de la rue des remparts seront exclusivement affectés aux établissements particuliers et à la population civile.

(page 1352) M. Veydt. - Messieurs, je ne perdrai pas de vue que je suis inscrit pour défendre la proposition que j'ai eu l'honneur de déposer samedi et qui tend à ajourner le paragraphe premier de l'article premier jusqu'à la première séance de notre rentrée, au mois de janvier prochain. Quelques explicitions me semblent cependant nécessaires pour faire bien comprendre comment j'ai été amené à présenter cet ajournement. Il est présenté, non point par un adversaire en principe des demandes de crédits extraordinaires qui ont pour but de faire d'Anvers une place de guerre de premier ordre, d'en faire ce qu'on a appelé le boulevard de la nationalité. Non, messieurs, tels ne sont pas mes sentiments.

Les hautes considérations que le gouvernement a fait valoir depuis trois ou quatre ans me touchent, et quant à moi, quoique Anvers soit ma ville de naissance, ma ville d'affection, j'accorderai les crédits nécessaires pour fortifier Anvers, si l'intérêt du pays le commande.

Cette opinion, qu'il y a lieu de s'imposer de lourds sacrifices dans un pareil but, est cependant contestée par plusieurs d'entre nous ; nous en avons eu la preuve dans le discours de l’honorable M. Vanderdonckt ainsi que dans l'opinion exprimée par l'honorable M. Crombez.

Et, dans tout le pays il y a un sentiment très répandu que ces dépenses pourraient, devraient même être évitées et qu'il en est d'autres beaucoup plus utiles.

Il est aussi un très grand nombre d'hommes, qui suivent les affaires publiques, auxquels il semble dangereux de nous convier à marcher si résolument dans cette voie.

C'est pour eux une politique nouvelle et, selon leur manière de voir, la Belgique ferait sagement de continuer à se reposer avec la même confiance sur la foi et la force des traités qui l'ont placée au rang des nations à titre de neutre et d'indépendante.

Je ne cite ces opinions que pour signaler ce qui se passe, ce que beaucoup d'entre vous, messieurs, auront pu constater comme moi ; et un peu aussi, pour dire, qu'il m'eût été facile de m'en servir pour engager le gouvernement à maintenir ce qui existe, sans songer à d'autres travaux de fortifications sous Anvers. Il n'eût été agréable aussi de n'avoir qu'à m'occuper des moyens de bien fortifier la capitale du pays.

Mais j'ai voulu rester dans le domaine du vrai et du possible. Or, j'aurais beau faire, il restera dans la destinées d'Anvers d'être place forte et de devenir, dans un moment suprême, notre dernier rempart. Il y eut un moment, une lueur d'espoir que son sort serait amélioré.

C'était sous l'impression de l'incendie de l'entrepôt et du bombardement de l830, et sans doute pour relever le moral d'une population abattue.

Nous nous sommes crus alors à la veille de mettre la main à l’œuvre pour démolir la citadelle. Ce n'était malheureusement qu'une illusion.

Lorsque je fis partie, en 1856, de la section centrale qui examina les crédits extraordinaires demandés pour le département de la guerre par le cabinet précédent, nous nous sommes très pénétrés de la nécessité de cette nature de dépenses, mais nous avons différé sur le meilleur emploi à en faire et nous ne sommes point tombés d’accord avec lui sur ces plans.

En examinant à fond cette question, nous étions arrivés, après des séances, non moins longues et nombreuses que celles de la section centrale actuelle, à la conviction que le seul moyen d'aboutir à une solution propre à concilier les intérêts de la défense nationale, de la population et du commerce, c'était de se résoudre d'emblée à l'agrandissement général d'Anvers. Nous connaissions les conséquences de cette mesure.

Les 45 millions ont été envisages, alors comme aujourd'hui, comme une sérieuse difficulté ; mais nous sommes restés convaincus qu'elle ne pouvait pas prévaloir, aux dépens d'intérêts plus importants également en cause. Je me rappelle fort bien que notre honorable président de section centrale, M. de Naeyer, à qui nul de nous me fera le reproche d'être prodigue des deniers de l'Etat et qui est très peu soucieux de les dépenser à des travaux qu'il ne croit pas absolument nécessaires, avait cependant embrassé avec sympathie la cause de l’agrandissement général et reconnaissait avec nous qu'il valait mieux se résigner à faire tout d'un coup ce qui convenait tant sous le rapport de la défense que du développement et de la prospérité d'Anvers ; et que ce but, pour être atteint, méritait bien un concours pécuniaire important de la ville.

L'honorable M. Coomans, qui, lui aussi, était un partisan et partisan mieux au fait que quelques-uns d'entre nous, parce qu'il avait siégé dans des commissions d'examen pour les questions de la défense nationale, posa avec conviction la question sur le terrain de l'agrandissement général d'Anvers.

L'obstacle des millions considérables à dépenser avait fini par ne plus paraître insurmontable, eu égard au but qu'il fallait atteindre. Le premier jour de cette discussion-ci, j'ai eu encore une preuve que nous étions, dès 1856, entrés dans la meilleure voie.

L’honorable comte de Renesse, si grand partisan de toutes les économies réalisables, ne s'est pas effrayé non plus des dépenses à faire par l'Etat pour l'agrandissement général, bien entendu sous la même réserve qu'il y aurait un concours pécuniaire de la part d'Anvers. L'amendement que cet honorable membre a présenté, l'indique clairement.

J'abordai donc avec un certain courage le début de cette discussion . Il me semblait que nous avions bonnes chances d'aboutir à une solution acceptable par tous les intérêts en cause.

Je pouvais le croire d'autant plus, que l'honorable ministre de la guerre, dans son premier discours, me confirmait dans l'opinion que c'était l'offre d'un concours efficace qui exercerait une influence déterminante.

En effet, l'honorable ministre disait (Annales parlementaires p. 1283) :

« Le gouvernement se fondant sur l'intérêt du trésor et ne reconnaissant pas la nécessité de l'agrandissement général pour la défense de la position, est d'avis que l'Etat ne peut entreprendre la grande enceinte à ses frais exclusifs. »

La réponse faite le 25 juillet dernier, par le même ministre à l'administration communale d'Anvers contient sur le même sujet le passage suivant :

« Au surplus, messieurs, l'intervention de la ville, telle que vous l'entendez, ne constitue pas un concours réel à l'exécution de la grande enceinte. Le gouvernement et la section centrale de 1856 ont toujours entendu que le concours financier de la ville aurait pour résultat de couvrir le trésor d'une partie de la dépense qu'il devrait supporter. »

La tâche que je pensais pouvoir utilement remplir dans cette discussion était d'insister sur la possibilité d'un rapprochement et d'une conciliation entre le gouvernement et la ville ; d'essayer de faire admettre dès à présent le principe de l’agrandissement général, moyennant le concours et de s'entendre, de concert avec la section centrale, sur le chiffre d'un crédit, qui aurait reçu une application immédiate aux nouveaux travaux de défense sur lesquels on se serait mis d'accord.

Lorsque mon tour de parole était arrivé, j'ai cru convenable d'y renoncer, parce que l'un des éléments essentiels de mon discours m'échappait. Les offres de la ville d'Anvers rencontraient des objections de la part du gouvernement et étaient jugées inacceptables sur les bases proposées.

L'honorable ministre des finances est venu nous dire que telles qu'elles étaient conçues, et échelonnées, ces offres n'avaient pas pour lui une valeur suffisante et que, par conséquent, elles ne pouvaient être prises en considération.

Cette appréciation, je le dirai avec franchise, m'a paru fondée ; et j'ai été heureux d'entendre la lecture de la lettre du collège d'Anvers du 29 juillet demandant au gouvernement de fixer la somme pour laquelle la ville d'Anvers devrait contribuer dans les dépenses pour que son concours fût envisagé comme efficace.

J'envisageais alors la position que la ville a sagement fait de prendre comme devant conduire à une solution appelée de tous mes vœux.

Mais, chemin faisant, ce qui restait de sympathie de la part du gouvernement pour l'adoption du projet d'agrandissement général s’était considérablement affaibli, et de nouvelles difficultés ont été mises en avant pour l'écarter et l'ajourner à dix ou quinze ans.

Que faire en pareille occurrence, quand on est resté convaincu qu'il ne peut être fait droit aux vœux et aux réclamations d’Anvers, que par l'agrandissement général, que c'est en sa faveur aussi que les meilleures raisons ont été produites, que les autorités les plus imposantes se sont prononcées ?

Je n'ai plus trouvé d'autre moyen qu'un plus ample examen et je suis arrivé à proposer l'ajournement.

Telle qu'elle est formulée, la proposition nous laisse un temps qui peut être utilement mis à profit.

J'ai cru préférable de ne me concerter avec aucun de mes honorables collègues ; je savais d’avance qu'elle serait mal interprétée. Des reproches lui étaient adressés avant qu'elle eût été lue ; mais j'en tiens peu compte, car ce sont d'autres sentiments qui me l’ont inspirée.

Si nous avions été au début d'une session, au lieu d'être à sa fin, j'aurais pu abréger le terme. En effet quelques semaines peuvent suffire s'il y a désir sincère de s’entendre en ce qui concerne la question du concours financier.

M. Orts. (pour une motion d'ordre). - Pour que la discussion puisse s'établir d'une manière claire sur cet amendement, je crois devoir adresser à son honorable auteur une question à laquelle je n'ai pas trouvé de réponse dans ses développements.

Je demanderai donc à l'honorable M. Veydt si l'ajournement qu'il propose comporte, en même temps, l'ajournement de la seconde partie du projet de loi sur laquelle l'honorable M. E. Vandenpeereboom a fait rapport.

M. Veydt. - En aucune façon,

M. Orts. - C'est donc une disjonction ?

M. Veydt. - C'est cela.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Le projet de loi, le gouvernement l'a déjà déclaré, est indivisible. (Interruption.)

M. le président. - La parole est à M. le ministre des finances.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je n'ai, M. le président, qu'à répéter ce que je viens de dire : pour le gouvernement, le projet de loi est indivisible ; il l'a déclaré à la section centrale qui a apprécié les raisons que nous avons données de cette indivisibilité ; et je crois pouvoir dire dès maintenant à la Chambre que pas un seul membre de cette assemblée ne contestera cette indivisibilité. Il serait impossible de prononcer l'ajournement du paragraphe premier et de voter les autres travaux. Je me réserve de le démontrer dans la discussion de la proposition d'ajournement.

M. Thiéfry. - Messieurs, plusieurs membres de la Chambre ont reproché très vivement à la section centrale de ne pas avoir déposé un projet pour fortifier Anvers ; ayant rejeté celui du gouvernement, elle (page 1353) aurait dû en produire un autre. Elle a craint, a-t-on dit, d'assumer sur elle une si grande responsabilité. C'est une erreur, aucun de nous ne recule devant la responsabilité de ses opinions, ni des actes qu’il croit devoir poser.

La section centrale avait pour mission d'examiner le projet du gouvernement, elle a consciencieusement rempli son mandat ; elle l'a trouvé défectueux, dangereux même pour la défense nationale ; elle l'a rejeté ; le plan de la grande enceinte du général de Lannoy et celui dit Keller lui ont été communiqués, elle a comparé ce dernier avec le projet qui nous est soumis ; elle l'a trouvé supérieur pour la défense ; malgré tout ce qu'on en a dit, je persiste à croire que cela est juste, et si, pour des motifs que j'ignore, on ne voulait pas à tout prix conserver la vieille enceinte, on ne le dirait pas aussi mauvais.

La section centrale a trouvé des défauts dans les deux plans ; cet angle, cette pointe en avant de Berchem a été l'objet d'observations ; et M. le commissaire du Roi, dans une de nos séances, a même indiqué du doigt la direction d'un autre grande enceinte ; cette direction était celle d'un plan joint à une brochure que il rumeur publique a attribué à l'honorable général.

Dans cet état de choses, la section centrale devait-elle s'ériger en comité de défense ?

Nous avons pensé que tel n'était pas son rôle, et nous nous sommes bornés à poser le principe de la grande enceinte ; nous avons été guidés par des raisons militaires insérées dans le rapport, nous les avons en outre développées dans la discussion. Cela ne satisfait pas l'honorable M. Dolez, il lui faut quelque chose de plus, quelque chose qui ne soit pas l'inconnu, c'est-à-dire le chiffre exact du coût d'une enceinte parfaite ; nous aurions donc dû aller sur les lieux, lever des plans, faire de nombreux calculs, car il aurait fallu déposer des devis ; nous eussions même été obligés de nous aboucher avec la régence d'Anvers, afin de venir dire à la Chambre : L'exécution de l'enceinte que nous proposons coûtera la somme de..., Eh bien, pour ma part, il ne m'a pas convenu, et il ne me convient pas encore de me charger d'une semblable besogne, je ne veux pas faire un travail qui incombe au département de la guerre.

L'honorable ministre de l'intérieur et M. Dolez, en me reprochant de n'avoir point proposé l'exécution d'une enceinte, prouvent qu'ils ont fait peu attention à ce que j'ai dit dans la séance du 27 juillet ; sinon ils se rappelleraient que je ne veux ni l’enceinte, ni les forts, par des motifs que j'expliquerai de nouveau.

La section centrale de 1856, dont M. Rogier faisait partie, n'a point non plus présenté de plan, parce qu'il est des projets pour lesquels les membres de la Chambre ne doivent pas user de leur initiative, et la fortification d'une grande place de guerre est du nombre de ceux-là.

Mais cette section centrale avait en même temps introduit un article dont on ne doit pas oublier la portée ; le ministre de la guerre ayant écrit que Mons serait démantelé, elle avait proposé de voter 100,000 fr. pour que le principe fût admis et les travaux commencés ; on y trouvait, entre autres avantages, celui de disposer d'un matériel considérable dont mon ami, M. Orts, s'est préoccupé. Aujourd'hui, tout nous prouve qu'on ne veut pas démolir des forteresses.

Dans cette situation, je repousse le projet du gouvernement, par les mêmes motifs qui forcent mon ami M. Orts à rejeter la grande enceinte, c'est-à-dire le manque de troupes organisées pour manœuvrer sur le terrain avec la même facilité que M. le commissaire du Roi a guerroyé dans cette enceinte.

Ici, messieurs, il ne faut qu'une grosse armée sur le papier, et un talent oratoire pour produire de l'effet. Devant l'ennemi, ce sera autre chose, on devra avoir des soldats bien enrégimentés, et on ne les aura pas. Les fortifications qu'on veut élever à grands frais ne seront point garnies de leurs défenseurs naturels, j'entends par là l'armée et non la garde civique. Je dirai, comme mon ami M. Orts : Qu'est-ce que des murs et des fosses sans les hommes ?

En cas d'attaque, on pourvoira les places fortes de leur garnison, on tiendra la campagne avec le reste : après s'être énergiquement battu, si l'ennemi est supérieur en nombre on se retirera sur Anvers ; et pour en empêcher le siège, on fera, a dit M. le commissaire du Roi, des sorties avec 40,000 hommes.

Si la Belgique avait une population double, et une armée organisée pour pouvoir suivre ce plan de campagne, je ne ferais aucune opposition ; mais si l’effectif de l'armée est loin d'être suffisant pour remplir cette tâche, tout le système du gouvernement s'écroule. L'extension des fortifications d'Anvers serait alors plus dangereuse qu'utile.

La grande commission nommée en 1851 a été unanimement d'avis que l’effectif de l'infanterie ne pouvait pas être en rapport avec le nombre d’hommes nécessaire à la défense des forteresses, c'est le motif pour lequel elle a proposé le démantèlement des places les moins utiles, savoir : Ypres, Menin, Ath, Philippeville, Marienbourg et Bouillon pour la bonne défense desquelles il fallait 12,398 fantassins.

Après avoir compris la nécessité de démolir des fortifications, et avant même que ces travaux soient entièrement terminés, le département de la guerre nous demande à en élever de nouvelles, lesquelles avec les fortins construit, en 1853, exigeront en infanterie, lorsque l'ennemi sera devant Anvers, plus de monde pour leur défense, qu'il n'en fallait pour les places démantelées. Ce sont les mêmes hommes qui ont reconnu la faiblesse de notre système de défense, et ont aidé à en faire disparaître les défauts, qui viennent aujourd'hui nous proposer d'élever forts sur forts, au risque, si nous n'avions pas le temps nécessaire pour mettre toute l'armée sur le grand pied de guerre, de manquer encore de corps organisés pour les défendre.

Voyons donc si le même inconvénient remarqué en 1851, n'existera pas ; commençons par voir ce dont M. le ministre de la guerre pourra disposer. Dans la situation de l'armée que l'honorable général a envoyée à la section centrale, l'infanterie figure pour 76.365 hommes : voilà ce que j'appelle 76,365 hommes sur le papier ; il faudra commencer par en défalquer 10,000.

Nous avons pour apprécier les pertes deux documents officiels ; l'un est le rapport de la commission des généraux nommée en 1842, pour l'examen de l'organisation de l'armée.

Le général Evain a fourni un tableau d'où il résultait que sur 21,800 miliciens incorporés en 1836 et 1837, il y avait, au commencement de 1842, une perte de 6,129 hommes ou 28 p c.

L'autre est de plus fraîche date. Dans la séance du 17 mars 1847, M. le ministre de la guerre a présenté un tableau des pertes éprouvées sur les classes de 1840, 1841, 1842, 1843 et 1844, en faisant remarquer que ces classes n'ayant accompli le terme du service fixé par la loi, le chiffre des pertes n'était pas définitif, et qu'il augmenterait encore jusqu’à l'époque du licenciement ; avec la durée actuelle du service, ce n'était qu'en 1850 qu'on aurait pu le connaître exactement. Sur 32,500 incorporés, les pertes étaient de 7,445 ou 23 p. c. Mais les réfractaires, d'après la loi de 1847, ne sont plus aujourd'hui compris dans le contingent de la commune, et en les retranchant des 7.445, il reste 6,383 ou 20 p. c. : cette proportion doit nécessairement augmenter, puisqu'on ne délivre maintenant les congés qu'après dix années de service.

En France les pertes sont, d'après les chiffres indiqués en 1849 par le général Paixhans, d'un peu plus de 27 p. c. à la fin de la septième année.

Pour rester eu dessous même de la réalité, je les estimerai à 20 p. c. et comme l'a indiqué M. le ministre de la guerre.

De 1849 à 1852 on a incorporé dans l'infanterie 7,300 miliciens par an, et de 1853 à 1858, 7,500.

Il peut y en avoir en moins, et certainement pas plus, puisque j'ai cité les chiffres du budget. C'est un total pour les dix classes de 74,200 dont il faut retrancher les 20 p. c. ; il reste 59,360 miliciens auxquels on doit ajouter 6,645 volontaires, chiffre encore indiqué par M. le ministre de la guerre ; on aura 66,005 hommes pour l'effectif réel de l'infanterie.

Nous verrons tout à l'heure comment ces hommes seront encadrés.

Si ce chiffre est inférieur à celui qui figure dans la situation de l'armée, la raison en est facile à saisir, c'est que dans la réserve sont portés les détachés aux séminaires, les miliciens passés dans la marine royale, ceux qui voyagent sur mer dans l'intérêt du commerce, les élèves de l'école vétérinaire, des écoles normales ; ceux qui sont dispensés comme frères de la miséricorde et employés dans les prisons, les frères de la doctrine chrétienne, ceux qui sont dispensés en considération de la position des familles, et dans l'intérêt des professions libérales. J'ajouterai qu'il doit y avoir des miliciens à rayer par suite de décès, attendu que bien des bourgmestres négligent de prévenir l'autorité militaire de la mort d'un milicien ; j'ai appris que des hommes avaient été rayés 2 ans après leur décès. Je sais enfin que, dans la situation de l'armée, il y a encore assez de miliciens de 1845, 1846 et 1847 que l'on conserve sur les contrôles, bien que leur terme de service soit expiré, parce qu'ils ont laissé une petite dette à leur régiment.

Examinons maintenant ce qu'il faut pour défendre les places fortes et comment cette infanterie est organisée. Pour que mes raisonnements aient certaine autorité, j'emprunterai encore mes chiffres à des documents officiels.

L'effectif de la garnison d'une place forte dépend de la résistance qu'on veut qu'elle oppose à l'ennemi.

Pour empêcher une surprise on la met en état de sûreté : on se borne alors à lui donner le nombre de fantassins nécessaires pour la surveillance des accès de la place et la garde des remparts.

Pour résister à une attaque de vive force, sans tranchées, on la met en état de sûreté eu y ajoutant un piquet d'infanterie pour réserve.

Pour pouvoir soutenir un siège, on la met en état de défense vigoureuse.

La situation intermédiaire s'appelle état de bonne défense.

Un comité d'hommes spéciaux, dont M. le commissaire du Roi faisait partie, a été nommé en 1848. Il a admis à l'unanimité, que pour mettre toutes les places que nous possédons aujourd'hui en état de sûreté, il faudrait 33,470 hommes. En état de sûreté avec réserve 40,415. En état de bonne défense, 51,809. En état de défense vigoureuse, 70,995.

Dans l’hypothèse d’une apparence de guerre, le comité de 1848 a décidé que toutes les places devaient être mises en état de bonne défense, et par conséquent avoir 51,809 hommes de garnison, parce que le théâtre des opérations se trouvera entre la Meuse, l'Escaut et la vallée du Demer, et que toutes les places seraient considérées comme étant menacées à la fois.

Cependant, a ajouté le comité, dans le cas d'une guerre particulière avec l’Allemagne, on pourrait se contenter de mettre une garnison de sûreté à Nieuport et à Ostende.

(page 1354) Il a terminé en déclarant que les forteresses couvertes par l'armée en campagne, pourraient lui fournir des détachements temporaires.

La commission de 1851 a admis comme exacts les chiffras que j'ai cités pour chacune des situations des places fortes. Un seul membre a contesté la nécessité de mettre partout des garnisons de bonne défense. Cette opinion a été combattue par des officiers d'un mérite éminent. La commission ne s'est pas prononcée sur ce sujet. Mais à mon avis, notre pays a trop peu d’étendue pour que toutes les forteresses ne soient pas en position d'être attaquées ; il me paraît dès lors d'une nécessité absolue de leur donner la garnison de bonne défense : sauf Mons qui devrait avoir la garnison de défense vigoureuse. Cette opinion a été émise au sein de la commission par M. le commissaire du Roi ; je l'ai partagée, et tout le monde d'ailleurs en comprendra facilement l'indispensable utilité.

Au surplus on verra tout à l'heure qu'en diminuant même de quelques mille hommes les garnisons des forteresses, on serait encore bien loin d'avoir un effectif qui permît de jouer le rôle d'une grande puissance. Mon raisonnement sera donc toujours juste. Dans les 51,809 hommes nécessaires à l’état de bonne défense, il y en a 43,263 de l’infanterie, et avec le complément de la garnison de Mons, il en faudra 46,931 dont 36,017 pour les places autres qu'Anvers. Après l'exécution des fortifications projetées, les fantassins qui devront indispensablement être placés dans tous les ouvrages, et les non-valeurs du corps qui s'y trouvera lorsque l'ennemi sera devant cette forteresse, s'élèveront au moins à 27,000 ; ce chiffre étant le résultat de mon appréciation, je vais prouver qu'il n'est point exagéré en en donnant le détail.

Dans la supposition d'un corps de 32,000 hommes d'infanterie belge à Anvers, le minimum des malades et des non-valeurs de toute espèce sera de 1/10, soit 3,200 hommes non combattants.

Il est indispensable de prendre dans l'infanterie des auxiliaires pour l'artillerie et le génie : ces hommes sont nécessaires pour le service des bouches à feu et pour l'exécution des travaux de génie. Lorsqu'il ne s'agissait pas encore d'un camp retranché, les inspecteurs généraux de ces deux armes en ont fixé le chiffre à 4,542 pour Anvers et les forts de l'Escaut.

Dans les 6 citadelles et les 7 forts de la deuxième ligne du camp, on mettra plus de 500 bouches à feu ; or il faut tirer de l'infanterie 5 servants par pièce, ce sera donc une majoration de 2,500 auxiliaires ou 7,042 en tout ; mais comme une partie de ces servants pourraient être tirés du corps de place, où provisoirement ils seraient inutiles, je ne calculerai que sur 5,000 auxiliaires : 5,000

Le département de la guerre va construire des forts et des formidables batteries sur l’Escaut, sous Anvers même ; il craint que les vaisseaux ennemis ne viennent s'embosser devant la ville pour la bombarder : afin d'empêcher l'approche des navires, il y a des forts en aval du fleuve, il faudra les garnir de troupes pour les défendre s’ils étaient attaqués.

Les forts Lillo et Liefkenshoek sont les premiers sous lesquels lue vaisseaux devaient passer, on ne peut mettre moins de 400 hommes dans chacun d'eux : 800

Dans le fort Ste-Marie : 100

Dans le fort à construire sur la rive gauche : 200

Dans le fort du nord qui tient à l'enceinte de la place : 100

Dans le fort Isabelle : 40

Dans le fort de la tête de Flandre : 400

Dans le fort de Burg : 40

La citadelle de la place étant dans une situation qui fait supposer qu'elle ne sera pas attaquée vigoureusement, j'admets qu'on n'y laisse qu'un seul bataillon d'infanterie : 300

Les 5 forts de la 2ème ligne devront être constamment garnis de troupes, on ne peut guère mettre moins de 500 hommes dans chacun d'eux : 2,800

Les citadelles de la première ligne doivent avoir leur garnison au complet ; ce sont les ouvrages qui seront les premiers et les plus vigoureusement attaqués. On compte généralement en moyenne 500 hommes par bastion pour la défense d'une place ; mais les bastions étant plus rapprochés que ceux d'une forteresse, ce nombre peut être diminué. Je suppose qu'on le réduise à 360 ou à 1,800 hommes par fort soit pour les six : 10,800.

Le fort de Deurne étant protégé par des inondations, on se contentera peut-être d'y mettre : 500

Dans le fort Merxem : 300

La ville ne peut rester sans soldats : il en faut pour la conservation du matériel, des magasins, pour le maintien de l'ordre ; on ne peut y laisser moins de 2,000 à 2,500 fantassins. J’en compte : 2,220

Le total des non-valeurs et des hommes qui devront indispensablement être places dans les ouvrages s'élève donc à 27,000.

J'ai établi mes calculs avec une telle modération, que je suis convaincu qu’on élèvera les garnisons des ouvrages au-dessus des chiffres que j'ai indiqués.

Ainsi, d'un autre côté, il faut 36,000 fantassins dans les places fortes, 27,000 dans les ouvrages d'Anvers, c'est déjà un total de 63,000. Or, nous n’avons en infanterie, entièrement organisée, que 49 bataillons ou 42,826 hommes. Le surplus doit être incorporé dans les 32 bataillons de réserve. Pour rester dans le vrai, pour n'apporter aucune exagération dans mon appréciation, je dirai de suite que la maximum des bataillons que l'on pourrait obtenir, dans l'espace de 2 mois, quoique imparfaitement organisés, serait de 16, et cela en formant un seul bataillon avec les cadres de 2 ; on obtiendrait de cette manière 16,000 hommes, on en aurait donc 59,000 ; effectif encore fort insuffisant, puisque j'ai déjà établi qu'il en fallait 63,000 pour la défense des places fortes et des fortifications d'Anvers.

S'il en était ainsi, où trouverait-on la troupe pour faire, à Anvers, des sorties avec 40,000 hommes ? et ne serai-je pas en droit de soutenir, qu'avec l'extension des fortifications, sans la démolition de plusieurs forteresses, on laissera les places fortes sans défense, ou Anvers sans troupe ?

Voyons donc si je me trompe, entrons dans quelques détails sur cette réserve : examinons ce qu'il y aurait à faire pour l'organiser conformément aux principes admis dans toutes les armées d'Europe.

Au moment de passer du pied de paix au pied de guerre, on est obligé, pour donner de la consistance à la troupe, de nommer à des emplois qu'on laisse vacants pendant la paix.

Il faudra alors dans l'armée active 1 sous-lieutenant de plus par compagnie, soit 294 officiers.

25 aides de camp devront être remplacés dans leur compagnie.

Le nombre des officiers manquant dans la réserve sera de 432.

C'est un total de 751 officiers.

Je ne tiens pas compte des 21 officiers attachés au département de la guerre, ni des emplois vacants ; il y en avait 28 au 1er janvier dernier, ce nombre pourra être compensé par les officiers des dépôts.

Il y aura dans la réserve 672 sous-officiers à nommer : comme les nominations d'officier donneront encore lieu à des vacances dans le corps des sous-officiers, on aura à nommer 1,423 sous-officiers ; mais il est à remarquer qu'un sergent commanderait dans l'armée active 35 hommes et dans la réserve 41.

Il est reconnu que c'est là un commandement trop important pour avoir une bonne organisation : en France 1 sergent commande 27 hommes dans la ligne et 29 dans les chasseurs. M. le ministre de la guerre a si bien compris la nécessité d'augmenter le nombre des sergents sur le pied de guerre, qu'un arrêté royal prescrit d'en nommer alors 2 de plus par compagnie ; ce sera donc 588 à ajouter aux 1,423.

Si ce principe est vrai pour l'armée active, il doit à plus forte raison être appliqué à la réserve, en raison même de sa composition. En ayant 8 sergents par compagnie, chacun d'eux commanderait 30 hommes, c'est encore une majoration de 256.

Ou aura par conséquent à nommer 751 officiers, ou une quantité, à très peu de chose près, égale à la moitié de ce qui existe dans l'armée, et 2,267 sous-officiers, c'est-à-dire autant qu'il s'en trouve aujourd'hui dans l'armée (il y eu a 2,298). A l'exception de 100 à 120 appartenant aux dépôts et aux compagnies spéciales, tous devront être pris dans l'armée active. Il ne faut pas qu'on vienne me dire qu'on les trouvera parmi les miliciens ; on n'obtient pas des sous-officiers avec des hommes qui restent en congé pendant d'aussi longues années ; il ne suffit point de mettre des galons sur l'habit d'un homme pour en faire un sergent ; cela ne se pratique qu'au théâtre.

Il est par conséquent impossible que l'armée active ne soit pas entièrement désorganisée. A moins que l'on n'ait un an devant soi, et cela est évidemment impossible, cette organisation ne sera jamais faite.

L'honorable commissaire du Roi disait au sein de la commission de 1851 : Les réserves n'ont pas de cadres, et les cadres des régiments sont appauvris, à ce point qu'il serait difficile de trouver les moyens de former ceux de la réserve et de compléter ceux de l'armée active : depuis lors, rien n'a été changé dans l'armée active, et la réserve a encore en emplois vacants, ce que je viens d’indiquer. Force sera donc, lorsque l'armée sera mise sur le pied de guerre, de ne pas renforcer les cadres comme le détermine l'arrêté royal, et de faire, comme je l'ai dit, un bataillon de réserve, avec les cadres de deux bataillons ; on aura alors 59,000 hommes. Mais, si, sans égard aux observations que je viens de présenter, on voulait avoir les 32 bataillons de réserve, et M. le commissaire du Roi est bien obligé, par sa position, de soutenir qu'on les aura ; examinons quelles seraient les conséquences de cette bonne réserve.

Parmi les miliciens en congé, il y aura des malades, des absents, des déserteurs, il en sera alors en Belgique comme dans tous les autres pays : il est même à craindre que les manquants soient plus nombreux chez nous, en raison de la prolongation de la durée du service. Quand les hommes sont dans leur village pendant 6 à 8 ans, qu'ils sont mariés, qu'ils ont des enfants, on doit s'attendre à ce que le nombre de ceux qui oublieront leur devoir envers la patrie, sera plus considérable. Je sais bien qu'on me répondra que les miliciens ne feront pas défaut, qu’on rappellera une ou deux classes de plus, on n'aura en effet qu'à étendre la mesure prise pour les 9e et 10e classes de miliciens, et qui consiste à ne les libérer du service que deux ans après le terme fixé par la loi ; qu'on applique, dis-je, cette mesure aux 11e et 12e classes, on aura sur le papier 86,000 fantassins au lieu de 76,000 ; qu'on aille plus loin encore et on en obtiendra 100,000. Le moyen est ingénieux ; seulement il ne satisfait pas à une bonne défense, et le remède est presque (page 1355) aussi dangereux que le mal, parce qu'on obtient ainsi des hommes et non pus des soldats. Mieux vaut ne pas élever de nouvelles fortifications ou diminuer les places fortes pour ne pas avoir besoin d'une aussi grande quantité de troupes.

Les hommes ne manqueront ni de bravoure, ni d'énergie ; mais un milicien qui est resté dans son village de 2 à 8 ans sans jamais avoir rejoint son drapeau, est redevenu paysan, il ne sait plus tirer juste, il n'a plus en lui cette confiance que doit avoir un soldat, et cette confiance ne lui sera pas inspirée par ses officiers ; il n'en connaîtra pas un seul, au jour du danger il les verra pour la première fois. Et combien en trouvera-t-il dans sa compagnie ? 2 là où il en faudrait 5 : dans toutes les bonnes armées, on a un officier pour une quarantaine d'hommes ! En France il y en a 1 pour 38 : tandis que dans notre réserve on en compte 2 dans une compagnie de 250 hommes ; et seulement 2 sergents alors qu'il en faudrait au moins 8. Je cite bien des chiffres officiels puisque ce sont ceux du budget. Les nominations à faire seront si nombreuses, et je l'ai prouvé, que quand on rappellera la réserve, ce sera un véritable désordre pendant quelque temps.

M. le commissaire du Roi a quelquefois comparé cette réserve à la landwehr prussienne ; la différence est cependant bien grande, les cadres de la landwehr soul toujours au complet, partie sous les armes, et le plus grand nombre en congé, tous les officiers sortant de l'année y sont placés, la landwehr est réunie chaque année. Un bataillon de landwehr sur le pied de guerre comprend :

22 officiers,

81 sous-officiers,

17 musiciens, 904 soldats,

1,024 hommes divisés en 4 compagnies.

Au premier appel tous ces hommes sont encadrés, parce qu'il n'y a aucun emploi vacant. Le bataillon de réserve belge, au contraire, n'est jamais réuni ; il ne compte que 8 officiers et 12 sous-officiers, Pour le mettre sur pied, il faudrait, comme je l'ai dit, procéder à une masse de nominations ; ce sera toujours là une très grande difficulté à laquelle le temps mettra obstacle.

Tout ce que je soutiens est appuyé sur des faits.

Pour la quantité des hommes manquants, l'exemple nous en a été donné en Prusse en 1849 et surtout en France en 1823, lorsque l'on a rappelé la réserve, à l'occasion de ta guerre d'Espagne ; le nombre en a été si considérable, que cette espèce de réserve a été supprimée.

Pour les nominations, pour le temps nécessaire pour organiser, c'est dans notre propre pays que nous avons reçu la leçon. On a eu en 1815 trois mois pour la formation des bataillons de milice belge, et aucun d'eux n'a été prêt pour prendre part à la bataille de Waterloo.

Quant au peu de consistance de troupes semblables, la Sardaigne, après en avoir fait un malheureux essai, a changé son organisation.

Eh bien, je demande à mes honorables contradicteurs, qu'ils viennent aussi avec des exemples prouver que leur réserve est bonne, qu'ils citent un seul pays où elle est en usage, qu'ils indiquent les services qu'elle a rendus. Sinon, je serai en droit de leur dire : Vous n'aurez ni la quantité ni la qualité.

J'irai au-devant d'une réponse qui me sera faite. M. le commissaire du Roi se réfugiera derrière le concours de la garde civique. Il sera facile de cette manière d'augmenter le chiffre de l'armée de 20,000 ou 25,000 hommes.

Je suis le premier à reconnaître les services rendus par la garde civique, j’aime à constater qu'après avoir été réunie un an ou deux, elle avait, lors de la révolution, autant de consistance que la troupe de ligne, et je suis persuadé, qu'au jour du danger, la garde civique ne fera pas défaut : mais il lui faudra encore être réunie pendant quelque temps avant d'avoir une certaine valeur. Je ferai, d'ailleurs, remarquer à M. le commissaire du Rot, que le système de défense d'un pays ne doit pas reposer sur des bases semblables, il est imprudent, dangereux même, de donner trop d’extension aux fortifications, lorsqu'on a la certitude qu'elles ne pourront être défendues que par des gardes nationaux ou par des levées en masse. Quand les hostilités surgissent, on profite des bonnes dispositions de la population pour augmenter les moyens de résistance, tandis que pendant la paix, on prépare son système de défense en ne comptant que sur l'armée et sur les établissements permanents, et pas sur autre chose.

Ce principe a été suivi par la commission de 1851 dont M. le ministre de la guerre et M. le commissaire du Roi faisaient partie. L'honorable général Renard voulait alors 80,000 hommes de l'armée et 20,000 hommes de la garde civique. Un membre a proposé d’inscrire le concours de la garde civique dans les décisions de la commission ; cette proposition a été écartée à l'unanimité. La commission a dit : Ce n'est pas sur la garde civique que la défense du pays doit être organisée, c'est sur l'armée et sur une réserve de l'armée ; organisons celle-ci pour avoir 100,000 hommes. Cela a été fait et on a adopté la réserve dont j'ai parlé.

La garde civique était à cette époque à la disposition du gouvernement comme elle l'est aujourd'hui, et pourtant, en raison même de l'effectif de l'armée, la commission a été unanime pour la démolition de certaines fortifications ; ce n'est donc pas en s'appuyant sur son concours qu'on peut proposer d'en élever d'autres, alors que l'on a la preuve matérielle que l'armée sera insuffisante pour les défendre.

Je terminerai par quelques observations sur les objections qui nous ont été présentées.

Je ne m'étendrai pas longuement sur l'espèce d'ouvrage qu'il faut à Anvers. L'honorable rapporteur, plusieurs membres de cette Chambre et moi-même, nous avons suffisamment fait ressortir l'avantage d'une grande enceinte pour n'avoir plus besoin de revenir sur ce sujet. J'exprimerai d'abord toute ma surprise de ce qui s'est passé à la dernière séance. Rarement ou a vu une section centrale chargée de l'examen d'un projet de loi aussi important, plus rarement encore une section centrale a dû assumer sur elle une aussi grande responsabilité, puisqu'il était de son devoir d'éclairer la Chambre sur une question du plus haut intérêt, et de la solution de laquelle dépend la bonne ou la mauvaise défense du pays

Dans une circonstance aussi grave, la section centrale aurait voulu faire connaître à la Chambre l'opinion de toutes les commissions qui ont examiné la manière dont Anvers devait être fortifié ; elle a demandé communication des pièces, on s'y est obstinément refusé, et à la dernière séance, on nous a lu, non pas une délibération, mais les conclusions d'une commission réunie en avril dernier ; or ce n'est pas sur ces simples conclusions que nous pouvons former notre jugement, surtout quand l'on sait qu'elles sont opposées à celles prises antérieurement par certains membres de cette commission. Tout le travail, y compris les procès-verbaux des comités antérieurs, aurait dû être produit. Nous eussions comparé les raisonnements donnés alors pour la grande enceinte, et ceux mis en avant pour la petite ; de cette manière on aurait pu voir si des considérations étrangères à la défense nationale, n'avaient point motivé ces changements d'opinion. Je regrette cette marche insolite qui ne saurait m'inspirer confiance.

J'ai cité Paris comme une grande place de guerre, dont les fortifications sont suffisantes pour présenter un obstacle sérieux qui arrêterait l'ennemi devant son enceinte, bien que celle-ci ne soit point pourvue au dehors d'ouvrages tels que le gouvernement en a projeté pour la grande enceinte d'Anvers. M. le commissaire du Roi en a fait bon marché ; cette place pour lui est sans valeur, elle ne résisterait que quinze jours, un mois au plus. Si cela était exact, il faudrait avouer que les Français ont été d'une prodigalité excessive ! Dépenser des centaines de millions pour la construction d'une mauvaise place, d'une bicoque, cela ne se comprend pas. Paris est la forteresse la plus importante de la France, et on va adopter, pour la fortifier, un système qui n'offre pas de résistance ; ces ingénieurs français sont donc bien ineptes ! Mais il n'en est rien, et ce sont les autorités invoquées par M. le commissaire du Roi qui m'en donnent la preuve.

Pour faire apprécier les avantages d'une alliance avec la France, l'honorable général Renard a cité les paroles du général Paixhans qui a fait ressortir la facilité avec laquelle une armée serait transportée par le chemin de fer de Paris à Anvers et d'Anvers à Paris ; ces deux positions, y est-il dit, ne formeraient qu'un seul camp, et cependant, si, au lieu d'être amis, nous étions adversaires, est-ce qu'une attaque subite serait aussi impossible qu'on a voulu le faire croire, et puisque M. le commissaire du Roi reconnaît le général Paixhans comme un homme faisant autorité, et il lui rend justice, je m'étonne qu'il n'ait pas aussi lu son opinion sur les fortifications de Paris. Je vais réparer cette omission.

« Les périls de 1840 étaient survenus, le gouvernement de 1830 commença et acheva rapidement l'entreprise des fortifications de la capitale, entreprise qui avait été la pensée de Vauban, la pensée de Napoléon, la pensée des hommes de guerre les plus expérimentés.

« Ces fortifications, qui sont les plus vastes du monde, auront ce grand avantage : que si un ennemi, momentanément victorieux, arrivait jusqu'à Paris, il se trouverait face à face devant un obstacle formidable, avec la France tout entière accourant derrière son armée. Elles auront cet autre avantage, plus grand encore, de dissuader les étrangers d'entreprendre la guerre contre nous, et en effet, il n'est pas à l'étranger un officier de quelque mérite, qui ne sache très bien, et qui ne dise hautement que la fortification de Paris serait une immense difficulté »

Vous comprenez maintenant, messieurs, le motif pour lequel on n'a pas lu ce qu'a écrit le général Paixhans. Je pourrais encore vous citer d'autres auteurs, des généraux, des maréchaux de France, ayant approuvé et voté cet important travail ; je crois inutile d'en dire davantage pour détruire les arguments de M. le commissaire du Roi, je m'en rapporte à votre bon jugement.

L'honorable général Renard prétend que l'enceinte serait désavantageuse à la défense ; il a beaucoup insisté sur ce que la troupe, placée entre la grande enceinte et les forts avancés, serait trop exposée au feu de l'ennemi : entre l'enceinte et les forts il y aura 1,500 mètres, et ce que ne dit pas M. le commissaire du Roi, c'est qu'à cette distance, il faut ajouter la portée de nos boulets : la moitié des forts de Paris ne sont pas plus éloignés de l'enceinte. J'ajouterai que la position de l'armée ne saurait pas être fixée d'une manière définitive ; elle sera dans le camp retranché, aussi longtemps que le camp ne sera pas forcé.

Oh ! me répond-on, vous voulez renfermer l'armée dans Anvers comme dans une boîte, pour faire des sorties avec 40,000 hommes, vous emploierez des barquettes !... Ces raisonnements ne sont réellement pas sérieux, on met en avant des absurdités pour se réserver l'avantage de les combattre.

Est-ce que Mayence, en 1793, avait plus de portes qu'il ne s'en (page 1356) trouve sur les plans qui nous ont été soumis ? Les Français ont cependant fait de nombreuses sorties, bien qu'ils fussent assiégés par une armée de 80,000 alliés, et la garnison n'était pas si faible, puisque le roi de Prusse a fait 22,000 prisonniers.

On nous parle du temps à employer pour faite des sorties, par les portes de l'enceinte : comme si nous ne nous rappelions pas qu'en 1809, dans une seule nuit, Napoléon faisait passer le Danube à toute son armée ; à 3 heures du matin, elle était rangée en bataille dans les plaines de Wagram, et il avait dû, lui, jeter 4 ponts pendant la nuit. Si donc, M. le commissaire du Roi, vous voulez faire des sorties, vos portes suffiront pour la troupe, puisque 4 ponts ont été suffisants pour le passage de toute l'armée française en un temps bien court.

M. le commissaire du Roi nous a parlé d'un bombardement comme d'une chose produisant peu d'effet sur les grandes villes, et pouvant seulement avoir des conséquences graves sur une citadelle ou une petite place. IL est évident que plus la place attaquée sera restreinte, plus elle souffrira du bombardement C'est précisément la raison pour laquelle une grande enceinte diminuerait les effets désastreux : la troupe et la population seraient réparties sur un plus grand espace.

M. le commissaire du Roi ne me paraît pas tenir assez compte des conséquences d'un bombardement : voici ce qu’en dit le général Paixhans cité par le général Renard.

Au lieu d'attaquer les places comme autrefois, par des travaux réguliers, ou s'en empare au moyen des bombardements, des blocus ou des surprises.

De 1792 à 1815, pendant cette guerre immense, il y eut environ 180 forteresses sérieusement attaquées ; or, sur ces 180 il y en a eu :

64 attaquées par des bombardements ; 49 ont été prises ;

48 attaquées par des surprises ; 42 ont été prises ;

44 attaquées par des sièges réguliers ; 38 ont été prises ;

24 attaquées par des blocus ; 17 ont été prises.

Ainsi sur 180 places attaquées de diverses manières, 49 ont succombé au bombardement et 38 seulement à la suite d’un siège. Il en résulte que les bombardements ne sont ni rares ni désavantageux à celui qui les emploie.

Les garnisons de Longwy et de Verdun en 1792 ont été forcées par les habitants de capituler après seulement 24 heures de bombardement.

L'année suivante Breda se rendit à Dumouriez après 3 jours de bombardement.

En 1794 Landrecies fut pris par les Autrichiens après 3 jours de bombardement, et cette même ville 2 mois 1/2 après fut reprise par les Français après avoir essuyé le feu de 40 pièces pendant une nuit..

Les garnisons de Gaëte en 1799, de Magdebourg en 1806 furent également obligées, par les habitants de se rendre immédiatement.

J'ai cité quelques faits uniquement pour prouver que ce moyen de destruction réussit plus souvent qu'on ne le dit, et qu'il est prudent de prendre des précautions pour s'en garantir, j'ai choisi mes exemples en dehors du pays pour ne blesser aucune susceptibilité. Je me réunis du reste aux sentiments patriotiques exprimé par M. le commissaire du Roi, et par plusieurs membres de cette Chambre, pour espérer que, dans de telles circonstances, nos populations sauront faire noblement leur devoir.

L'honorable M. Dolez a fait un appel à l'union des libéraux, comme s'il s'agissait ici de principes politiques ; notre collègue me semble avoir oublié que nous discutons une question de défense nationale ; ce n'est pas la première fois que nous nous en occupons, et toujours les sections centrales ont été composées de catholiques et de libéraux ; et elles ont constamment marché parfaitement d'accord, même sous un ministère dont nous ne partagions pus les opinions. Notre collègue a prononcé des paroles éloquentes pour rappeler le devoir de tout citoyen envers la patrie. Je lui dirai avec moins de talent, mais avec autant de sincérité et de patriotisme, qu'il peut être convaincu qu’il me faut une bien profonde conviction pour me séparer d'une partie de mes amis politiques, pour faire de l'opposition aux hommes auxquels j'ai donné tant de preuves de dévouement. C'est que ma conscience me dit qu'au-dessus de mon parti, il y a la patrie dont a parlé M Dolez, il y a l'indépendance belge, pour laquelle je sacrifierai tout, mes affections et mes propres intérêts.

L'honorable M. Dolez a terminé en exprimant le vœu que le lendemain du vote le parti libéral se retrouve profondément uni.

Tous ceux qui aujourd'hui appartiennent à ce grand parti sont trop attachés à leurs principes pour craindre que, parmi eux, il y ait de ces hommes sans conviction politique, et qui, par ambition ou autres calculs, vont de la gauche à la droite eu emportant avec eux le mépris de tous.

M. Lesoinne. - Messieurs, je ne comptais pas prendre la parole dans cette discussion. Mais je demande la permission à la Chambre de lui soumettre quelques réflexions que la discussion qui a eu lieu jusqu'à présent a fait naître dans mon esprit.

Il semblerait résulter, en effet, de cette discussion que le grand devoir de la défense nationale devrait être exclusivement réservé à l'armée. Ce que vient de dire l’honorable M. Thiéfry tend encore à confirmer cette opinion.

Je regarderais cette conclusion qu'on pourrait tirer de la discussion qui a eu lieu comme regrettable, sous deux rapports : d'abord elle pousserait à l'indifférence en matière de nationalité ; ensuite elle serait de nature à décourager l'armée elle-même qui a besoin, pour remplir son grand et noble devoir, de se savoir et de se sentir soutenue par le pays tout entier.

Messieurs, je suis de ceux qui pensent que nous devons défendre notre territoire, s'il était envahi. Je crois avec l'honorable M. Dolez que nous devons pourvoir aux nécessités que l'avenir réserve à la sécurité de notre patrie. C'est un devoir pour un peuple qui s'administre lui-même de se défendre lui-même. C'est un devoir pour tout homme capable de porter une arme et surtout de s'en servir, de défendre le pays et ses institutions.

Je pense donc que, sous ce rapport, il y a quelque chose à faire.

Nous disposons, pour la défense du pays, de l'armée et de la garde civique. Car quoi qu'en ait dit l'honorable M. Thiéfry, la garde civique a été aussi organisée dans un but de défende nationale. Mais je dois le dire, elle n'est ni organisée, ni armée de manière à concourir efficacement à la défense du territoire.

Les armes qui sont dans les mains de la garde civique ont été supprimées dans toutes les armées de l'Europe. Elles pourraient servir comme armes blanches, mais comme armes de tir elles sont tout à fait inefficaces. Il serait dangereux de s'en servir contre des troupes armées de fusils supérieurs pour le tir et la portée. L'armée elle-même, et je parle ici d’une question dans laquelle je puis émettre un avis en connaissance de cause, ayant été fabricant d'armes et ayant suivi les progrès que cette fabrication a réalisés, l'armée elle-même, dans mon opinion, n'a pas des armes aussi bonnes qu'elle pourrait en avoir. Le calibre employé pour nos armes de guerre est trop fort ; on a conservé pour les projectiles coniques le calibre que l'on avait pour les balles sphériques. Il en résulte que ces projectiles sont trop lourds, ce qui donne, lieu à un recul plus fort, la balle décrit une parabole très forte, et le soldat ne peut porter avec lui qu'un nombre de cartouches restreint. Aussi plusieurs pays, notamment l'Allemagne, l'Autriche, la Prusse, ont diminué le calibre de leurs armes de guerre.

J'ai dit tout à l'heure qu'on disposait, pour la défense nationale, de l'armée et de la garde civique. Mais n'y aurait-il pas moyen de trouver dans notre population une force nouvelle à ajouter à celle dont on dispose déjà ? Il existe dans notre pays beaucoup de sociétés de tir, il y a des sociétés de carabiniers parmi lesquelles il y a déjà beaucoup de tireurs habiles, d'autres qui emploient des armes qui ne sont plus en usage aujourd'hui.

Ces sociétés ont aussi été d'abord instituées dans un but de défense nationale. Ne pourrait-on pas les ramener à leur caractère primitif en encourageant dans notre pays l'exercice du tir, comme cela se pratique dans d'autres contrées ?

Cela se pratique particulièrement en Suisse et dans une grande partie de l'Allemagne et des pays qui nous avoisinent, les gouvernements de ces pays ont compris l'utilité d'encourager de semblables sociétés à se former et à s'exercer au tir. Je pense que si le gouvernement voulait stimuler un peu le zèle des sociétés qui existent chez nous, il trouverait chez elles un concours actif et intelligent. Au bout d'un certain nombre d'années, dans un avenir que je crois très rapproché, il pourrait alors trouver, en cas de besoin, un nombre considérable de tireurs habiles dont on aurait bientôt fait des soldats propres à une guerre défensive.

Messieurs, j'ai cru devoir soumettre ces réflexions à la Chambre, parce que je pense qu'il ne suffit pas d'établir des forteresses pour abriter notre armée en cas de revers. Il faut encore organiser le pays de manière à rendre ces revers moins à craindre, moins probables.

Dans une des sessions précédentes, j'ai déjà fait un appel à la Chambre, je lui ai demandé qu'elle voulût bien accorder un subside pour encourager les sociétés de tir. Je disais alors que l'homme qui avait la conscience de pouvoir défendre son pays, l'en aimait davantage, était plus attaché à ses institutions. Cela aurait un côté moral ; cela entretiendrait dans nos populations l'esprit de dignité personnelle ; cela les relèverait à leurs propres yeux, les mettant à même de remplir le devoir que je considère comme le plus sacré de tous, celui de défendre le pays et ses libertés.

Quant à la question des fortifications d'Anvers, il y a deux intérêts qui sont en présence : l'un l'intérêt de la défense nationale ; l'autre l'intérêt du commerce et de la prospérité d'Anvers. Le gouvernement est disposé à tenir compte de cet intérêt, et je pense que l’avenir d'Anvers intéresse la Belgique tout entière. C'est un port admirablement situé et je le crois, pour ma part, appelé à de très belles destinées. Je crois que si le gouvernement continue à adopter une politique commerciale de plus en plus libérale, l'agrandissement d'Anvers sera considérable et se fera promptement.

Je désirerais donc, pour ma part, que le gouvernement pût trouver un moyen de concilier ces deux intérêts, celui de la défense nationale et celui du développement d'Anvers.

J'ai été frappé de l'idée exprimée par l'honorable M. Dolez et qui vient d'être reproduite par l’honorable M. Thiéfry. M. Dolez a demandé combien de temps pourrait tenir le camp retranché. On a répondu : Six ou huit mois, et l’honorable ministre des finances a ajouté : « Indéfiniment. »

(page 1357) M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Tant qu'on serait secouru.

M. Lesoinne. - Eh bien, messieurs, je pense qu'après la construction des forts nouveaux, si cette enceinte de fortifications venait à être forcée, comme on l'a dit, au bout de 6 à 8 mois, si l'armée victorieuse se présentait devant l'enceinte actuelle, la résistance serait très difficile. L'honorable général Goblet l'a prouvé, les constructions nombreuses faites contre les fortifications actuelles d'Anvers faciliteraient l'approche de la place et nuiraient à la défense. Ces populations refoulées par l'ennemi dans Anvers, avec les habitants qui s'y trouvent déjà trop à l'étroit, entraveraient l'action des troupes déjà amoindries par la défense du camp retranché. Lorsque le bombardement commencerait, figurez-vous, messieurs, le tumulte et la confusion qui régneraient ! Ils seraient tels, que l'armée ne pourrait pas défendre la place.

Maintenant, messieurs, quel temps prendra la construction de ces forts ? Cinq ou six ans au moins. Anvers consentirait sans doute à attendre l'achèvement des forts, avant de commencer la démolition de l'enceinte actuelle.

Je crois que de son côté le gouvernement pourrait y consentir sans grand inconvénient. Si l'armée peut défendre le camp retranché pendant six à huit mois, elle aura rempli son devoir, ce ne sera pas quelques jours d'une résistance inutile de plus qui augmenteront sa gloire ; l'honneur de la Belgique sera sauf ; elle aura cédé à la force, mais elle l'aura fait honorablement.

Messieurs, je ne vote pas non plus le projet sans réserve. L'honorable commissaire du Roi a dit que les travaux d'Anvers sont le complément de l'organisation de 1853 ; j'ai voté contre l'organisation de 1853 parce que je croyais alors comme je crois encore aujourd'hui qu'il y a moyen d'avoir une organisation moins dispendieuse en temps de paix et en même temps plus forte en temps de guerre.

Je voterai cependant le projet, messieurs, mais j'avoue que si le gouvernement pouvait faire quelque chose pour se mettre d'accord avec la ville d'Anvers, je le voterais avec beaucoup plus de satisfaction.

M. B. Dumortier. - Messieurs, j'aborde sans hésitation et avec une conviction profonde cette grave et importante discussion bien qu'étranger aux études militaires. Je l'aborde parce que, suivant moi, depuis 1838 la Belgique ne s'est pas trouvé en présence d'une discussion aussi grave, aussi importante pour son avenir. C'est en effet l'avenir de la patrie que nous examinons aujourd'hui, c'est son avenir que nous allons décider demain.

J'aborde enfin cette discussion, messieurs, parce que, tout étranger que je suis aux études dont on a beaucoup parlé dans ces débats, je n’ignore pas qu'il y a à côté des questions techniques et qui sont du domaine militaire, des points de bon sens que tout homme peut et doit saisir. S'il était question de discuter des tracés d’enceintes ou des plans de bataille, je m'inclinerais devant les connaissances des généraux qui ont pris part à cette discussion ; mais quand il s'agit de données générales, je répéterai ce que disait notre honorable et savant collègue le général Goblet, dans la section à laquelle j'avais l’honneur d'appartenir : « Ce sont là des questions qui sont à la portée de toutes les intelligences. » C'est à ce titre, messieurs, que je prends devant vous la parole.

L'honorable M. Dolez, qui a parlé dans la séance précédente, a représenté la Chambre comme incompétente pour examiner ces questions ; il disait qu'un avocat serait très mal venu à s'occuper de questions militaires, et cependant l'honorable membre, dans un discours où sa brillante parole a tenu l'assemble attentive, n'a fait que s'occuper de ces questions Cela m'a fait souvenir, et je le rappellerai à l'honorable membre qu'il y a des avocats qui ont fait preuve de très grandes capacités militaires ; je lui rappellerai l'avocat Moreau, devenu le général Moreau ; je lui rappellerai le professeur Hoche, qui ont prouvé qu'il n'était pas rigoureusement nécessaire d'être élevé dans les camps pour n'être pas dépourvu de connaissances dans ces matières.

Je le répète, messieurs, il y a dans cette discussion des questions de bon sens, des questions de droiture d'esprit, des questions historiques même que l'on peut résoudre sans entrer dans les détails techniques.

Jusqu'ici, messieurs, une seule question a été agitée devant vous. On s'est demandé ; Faut-il faire à Anvers une grande enceinte ou ne faut-il point y faire une grande enceinte ?

Le débat s'est toujours circonscrit dans ces limites. Permettez-moi, messieurs, de l'élargir, d'examiner la question à son véritable point de départ et de me demander d'abord si c'est bien Anvers qui doit être le pivot de notre indépendance nationale en cas d'invasion.

Ce qui m'enhardit à placer le débat sur ce terrain, c'est que je lis dans le rapport de la section centrale que la question de savoir si dans la situation actuelle il vaut mieux fortifier Bruxelles qu'Anvers, cette question a été résolue affirmativement par 4 voix contre 3. C'est donc l'opinion de votre section centrale, à laquelle je n'avais pas, d'ailleurs, l'honneur d'appartenir, c'est l'opinion de notre section centrale que je viens défendre devant vous.

Dans ma conviction profonde, messieurs, la base de nos opérations militaires, le centre de nos opérations militaires, c'est Bruxelles. Bruxelles est le cœur du pays, c'est là qu'il faut planter haut et ferme le drapeau du patriotisme, c'est là qu'il faut appeler toutes les populations à la défense de notre territoire, de notre indépendance.

Permettez-moi, messieurs, de dire quelques mots sur cette question.

Il est d'abord une chose qui me frappe dans toutes nos discussions de politique militaire, c'est l'absence d'esprit de suite que je remarque dans les actes du pouvoir depuis 25 ans. Cet esprit de suite, qui devait être la base de la défense du pays, je le cherche en vain, je ne le trouve pas.

Nous avons d'abord organisé une armée pour tenir la campagne. Cela était tout naturel. Nous étions en lutte avec la Hollande, puissance égale à la nôtre : nous devions nous mettre en mesure de résister à une invasion de sa part, nous devions donc avoir une armée pour tenir la campagne.

En 1839, la paix se conclut ; et quelle paix ! Vous vous rappelez tous les douloureux sacrifices qu'elle nous a imposés.

C'est alors qu'il aurait fallu montrer du patriotisme, enchaîner la victoire au char de la patrie, empêcher la vente de nos frères du Limbourg et du Luxembourg, qui nous seraient certes d'un si grand secours si notre nationalité était menacée.

Quoi qu'il en soit, nous devions, à cette époque, modifier le système et le suivre avec cet esprit de suite qui fait la force des armées. La paix étant faite avec la Hollande, la lutte ne pouvait se présenter qu'avec les grandes puissances qui nous avoisinent ; il devenait nécessaire de modifier notre système militaire, et cependant le système est resté toujours le même. Malgré, le traité de 1832, on conserve toutes les forteresses et, en même temps, on conserve une armée qui est toujours destinée à tenir la campagne ; deux choses manifestement incohérentes, inconciliables.

1848 arrive. On conçoit des craintes qui étaient fondées : les événements de Risquons-Tout l'ont prouvé. On veut modifier un peu le système ; on crée une commission militaire ; on démolit certaines forteresses, on démolit Ypres, Menin, Ath, Philippeville, Marienbourg.

La grande commission se crée, et l'honorable général Chazal, au grand talent duquel je ne puis rendre trop d'hommages, conçoit, à la suite des guerres de Lombardie, l'excellente et admirable pensée d'établir un camp retranché sous les murs d'Anvers.

Ce camp retranché, les Chambres en votent la dépense, il se fait, il est exécuté ; il conserve aujourd’hui sa force et sa puissance, car les événements n'ont pas changé de caractère depuis six ans.

Mais aujourd'hui que présente-on ? Ce camp retranché, qui était excellent il y a cinq ans devient aujourd'hui insuffisant ; il faut lui donner une extension plus que double ; il faut l'entourer d'une nouvelle enceinte de forteresses ! Vous voyez combien il y a peu d'esprit de suite dans tout ce qui concerne notre état militaire.

Messieurs, j'aurai l’honneur de vous démontrer tout a l'heure que le système dans lequel on veut entrer aujourd'hui est diamétralement opposé à ce qu'on a fait jusqu’ici. Et je dirai tout d'abord, en deux mots, que dans l'hypothèse où vous vouliez faire d'Anvers, non pas, comme le général Chazal, un lieu de refuge, ce qui était une haute conception, mais une grande place de concentration, dans cette hypothèse, il faudrait vous rappeler qu'Anvers est bien plus près de Lille par la Flandre que par le Hainaut et le Brabant ; il aurait donc fallu s'abstenir, toujours dans ce système, de démolir Ypres et Menin pour empêcher l'armée envahissante d'arriver jusqu'à Anvers, avant que nous y soyons nous-mêmes.,

Comment la question militaire a-t-elle été envisagée depuis que nous avons fait la paix avec la Hollande ? Elle a toujours été considérée sous ce point de vue.

La Belgique qui est un pays de plaines, que la nature n'a pas accidenté comme d'autres petits pays ; la Belgique, champ de bataille des grandes puissances militaires de l'Europe, a pourtant deux obstacles naturels. L'histoire prouve que c'est toujours entre ces deux obstacles naturels, entre l’Escaut et la Meuse que se sont accomplis les grands événements militaires dans lesquels notre pays a été en jeu. Toutes les batailles sous Louis XIV ont été livrées entre la Meuse et l'Escaut ; et de nos jours, où ont eu lieu les batailles de Fleurus, de Jemmapes, de Waterloo ? Entre la Meuse et l'Escaut ; le point qu'on voulait atteindre, le terme objectif, c'était Bruxelles.

Or, si vous fortifiez Anvers, si vous mettez votre concentration à Anvers, que faites-vous ? Je viens de l'indiquer. Notre Flandre est la route la plus courte pour arriver en cas d'une invasion méridionale, de Lille jusqu'à Anvers ; et vous avez démoli les forteresses qui couvraient notre Flandre. Il n'y a donc aucun esprit de suite dans ce qui s'est fait jusqu'ici ; votre système d'aujourd'hui est l'oppose de celui d'il y a cinq ans ; voilà ce que je déplore.

M. le ministre de la guerre et M. le général Renard ont reproché à la section centrale de créer un système qui aurait pour résultat l'abandon du pays. Eh bien, je ferai ici un appel à vos souvenirs. Il est un fait incontestable, c'est que la section centrale n'a fait que traduire ce que tous les organes du gouvernement ont dit et répété depuis quatre ans.

Depuis 1855, dans les sections centrales, dans les commissions, partout, c'était toujours une concentration qu'on voulait opérer à Anvers.

Je tiens de quelques collègues qui faisaient partie des sections centrales que, déjà, dans les années précédentes, tous les organes du gouvernement ont déclaré sans hésiter, qu'en cas d'invasion, toute l'armée et les autorités devraient immédiatement abandonner la capitale et le reste du pays, pour se porter immédiatement à Anvers, jusqu'à ce qu'il nous arrivât du secours.

C'est justement cette position dont je ne veux pas. Cette position, (page 1358) je la repousse de toute la force de mon âme, de toute l'énergie de mes convictions. Cette position, je la déclare malheureuse, hostile au pays, elle n'est pas belge, elle est étrangère. (Interruption.)

Qu'on le veuille ou qu'on ne le veuille pas, lorsque vous aurez mis votre grande concentration à Anvers, la force des choses qui sera maîtresse de vous, qui vous dominera, contre laquelle vous ne pourrez rien ; la force des choses vous amènera à l'abandon du pays ! et alors que deviendra la patrie ? Le pays entier abandonné ; l'étranger viendrait fouler le sol sacré de notre territoire. Il viendrait nous écraser et tirer du pays du sang et de l'argent, pour aller combattre nos frères dans ce camp d'Anvers ! Mon cœur se révolte à cette pensée parricide ; et on oserait prétendre qu'un pareil système est un système national ! Non, il ne l'est pas ; encore une fois, il est étranger.

Et pourtant, cette pensée est celle qui domine au fond de tous ces calculs, de toutes ces combinaisons et c'est pour cela que le camp du général Chazal est devenu insuffisant.

Remarquez-le bien : cette pensée a été même exprimée dans la discussion ? Que vous disait l'honorable général Renard dans le premier discours qu'il a prononcé ? Il vous disait : Si nous sommes seuls, l'armée se retirera à Anvers ; si nous sommes aidés, nous tiendrons dans le pays. Voilà donc l'aveu. S'il y a invasion et si nous sommes seuls, on concentrera l'armée à Anvers et le pays sera abandonné ! Si nous sommes seuls ! Mais au commencement des hostilités nous serons seuls ; c'est donc l'abandon du pays qui vient aujourd'hui se présenter à vos yeux.

L'honorable commissaire du Roi disait encore dans la dernière séance qu'Anvers doit servir de séjour à l'armée.

Mais si Anvers doit servir de séjour à l'armée, vous la concentrez à Anvers ; par conséquent vous abandonnez la capitale, vous abandonnez le pays, c'est-à-dire vous séparez la cause de l'armée de celle du pays. Certes, ce ne sont pas nos braves soldats qui voudront accepter un semblable rôle, qui voudront abandonner la patrie à l'ennemi envahisseur et sans combattre, pour aller s'enfermer et se défendre dans ce qu'on a appelé avec raison une boîte à cailloux ...

M. le général-major Renard, commissaire du Roi. - J'ai dit le contraire.

M. Dumortier. - Vous avez dit que si nous étions seuls, l'armée devait se concentrer à Anvers, et vous avez ajouté dans la dernière séance qu'Anvers servira de séjour à l'armée. (Interruption.) Quand nous serons attaqués par des forces supérieures ; eh bien, toutes les nations qui nous environnent, excepté la Hollande, ont des forces supérieures aux nôtres.

On admet donc, de quelque manière qu'on veuille l'expliquer, on admet la possibilité, la nécessité d'une concentration sous les murs d'Anvers, en y réunissant non seulement l'armée, mais les autorités administratives. Or c'est là ce qui révolte le pays, parce qu'il sait que la force des choses y mènera infailliblement.

Maintenant, permettez-moi d'appeler, messieurs, votre attention sur un point : Anvers ne possède pour la Belgique qu'un seul chemin de fer, celui de Bruxelles à Anvers. Je ne parle pas du chemin de fer d'Anvers vers la Hollande, celui-là n'est d’aucune espèce d'utilité pour le pays ; j'écarte également le chemin de fer de la Flandre orientale, attendu que la distance des rails ne permet pas à nos waggons d’y circuler, et d'ailleurs il serait sous l'inondation, par conséquent il ne nous serait d'aucun service.

Anvers n'a donc qu'un seul et unique chemin de fer. Je suppose une invasion venant de l'Allemagne ou de la France ; comme elle aurait lieu par des forces infiniment supérieures, toute l'armée, le gouvernement, les fonctionnaires publics, les Chambres, la caisse publique, tout devrait prendre immédiatement ce chemin de fer et s'enfuir à Auvers.

N'est-ce pas un sauve-qui-peut organique que vous voulez établir ?

Et vous vous imaginez pouvoir faire passer sur cette seule voie tout le pays, l'armée, la cavalerie, l'artillerie, les fonctionnaires, les ministères le trésor ; mais c'est impossible ; cela n'a que le mérite du ridicule. Quel désordre, bon Dieu ! vous préparez, au moment où il faut de l'ordre ! Et cette armée que vous aurez fait fuir devant l'ennemi, quel courage pourrez-vous encore attendre d'elle !

Si j'examine au contraire la position de Bruxelles, qu'y vois-je ? J'y vois toutes les administrations, tous les fonctionnaires restant en place et le pays entier mis en rapport avec Bruxelles par ses six chemins de fer.

Le cœur du pays c'est Bruxelles ; les artères qui portent dans ce cœur, le sang et la vie avec la rapidité de l'éclair, ce sont nos chemins de fer qui convergent vers ce grand cœur national, par là tout le pays accourra à la défense de la capitale, il viendra défendre le drapeau da.s le lieu où il a été habitué à venir le défendre, à le voir secondé par la victoire. Par là le centre du pays conservé par nous, par conséquent, il nous reste une patrie aussi longtemps que Bruxelles n'aura pas été réduit et qu'on verra notre glorieux drapeau flotter sur ses tours.

Mais dit-on, il y a à Anvers de grands avantages, l'Escaut et les inondations. Je vous dirai à ce propos que ce qui fait ici la force d'Anvers est précisément ce qui fait sa faiblesse. L'Escaut ? Mais Anvers est-il un port de mer, un lieu situe contre la mer ? Vous ne l’ignorez pas, Anvers est à 32 lieues de la mer, par conséquent qu’il y a 44 lieues de mer à défendre pour assurer vos ravitaillements.

M. Orts. - En y comprenant le territoire hollandais.

M. Dumortier. - Et si la Hollande est avec nos ennemis, comment alimenterez-vous votre forteresse ? Nous faisons une affaire de raison. Si la Hollande est avec nos ennemis, si elle est en alliance avec l'agresseur, et cela est très possible, nos communications avec la mer sont coupées. J'insiste sur cette considération que tout le système de baser le refuge de la nationalité à Anvers repose sur ceci : que vous serez maîtres des deux rives de l'Escaut jusqu'à la mer et que vous empêcherez l'ennemi de s'y établir. Eh bien, ouvrez les pages de notre histoire ; vous verrez que c'est toujours par l'Escaut qu'Anvers est tombé ; toujours Anvers est tombé par l'Escaut en aval d'Anvers. Comment le duc de Parme s'empara-t-il d'Anvers ? En se rendant maître des rives de l'Escaut en aval de la ville. Quand lord Chatham de Flessingue voulut pousser jusqu'à Anvers avec une flotte des plus considérables, c'est une simple batterie de campagne cachée dans des joncs qui l'empêcha de passer, les rives ici encore ont dominé le fleuve, car quand vous êtes maître des rives et des passes de l'Escaut, vous empêchez toute flotte de passer. Quand, de nos jours, le général Chassé a voulu ravitailler la citadelle d'Anvers, qu'a fait le maréchal Gérard ? Il a commencé par établir au Doel une batterie sur la rive devant laquelle la flotte hollandaise a dû reculer ; elle n'a pu venir ravitailler la citadelle d'Anvers et cette citadelle est tombée.

Voilà ce que c'est que cette grande voie fluviale sur laquelle vous fondez le ravitaillement et la durée de la résistance. Comme je le disais, ce qui fait sa force fait sa faiblesse. Croyez-vous qu'une armée envahissante ne trouvera pas un point pour établir une batterie sur l'une des rives en aval d'Anvers ? Alors vous ne pourrez pas faire arriver un vaisseau à Anvers. Vous serez dans la souricière et vous y resterez.

L'Angleterre, dit M. le commissaire du Roi, peut avec ses flottes s'approcher d'Anvers. Mais y pensez-vous ? Sans doute, l'Angleterre est une puissance militaire de premier ordre, mais avez-vous oublié qu'elle est toujours la dernière sur le terrain ? Le Times le disait hier encore à son gouvernement : Toujours trop tard.

Mais les inondations ! les inondations sont une grande force défensive, mais d'une autre part elles présentent ce côté sérieux que si elles empêchent l'ennemi d'arriver auprès de la place, elles empêchent les défenseurs d'en sortir.

Votre armée réunie dans le camp retranché ne peut opérer que sur un point. Il suffit donc à l'envahisseur de réunir une force imposante sur ce point pour rendre votre armée inopérante.

Dans une ville comme Bruxelles, au contraire, elle pourrait opérer de tous côtés, tandis qu'à Anvers elle ne peut le faire que sur cinq à six kilomètres.

Ignorez-vous aussi que, par suite des progrès de l'art de la guerre, on se sert de l'eau pour établir des batteries flottantes au moyen desquelles on bombarde les villes ?

Si les forts garantissent Anvers contre un bombardement par terre, et je trouve qu'ils le garantissent complètement ; sous ce rapport les craintes des Anversois ne sont pas fondées. Si vous mettez ainsi Anvers à l'abri du bombardement par terre au moyen des forts avancés, en est-t-il de même du côté couvert par les inondations ? On me dit : On baisse les eaux. Mais on ne baisse pas les eaux comme on veut dans les polders ; là vous ne pouvez pas baisser les eaux à votre gré, vous n'avez pas d'écluses ; et si l’eau baisse les radeaux attendront que l'eau revienne et ils bombarderont la ville en attendant. Le côté vulnérable d’Anvers ne sera plus celui par lequel on l'a attaqué jusqu'à ce jour, ce sera par le côté opposé, le côté des inondations, vers lequel les approches d'Anvers sont faciles.

J'ai dit que notre système militaire était sans suite ; que jusqu'ici les agressions à travers la Belgique s'étaient faites entre les deux obstacles naturels que nous possédons, l'Escaut et la Meuse.

Si une agression venait du midi, en établissant Anvers comme principale base d'opération, en en faisant l'objectif, pour me servir du terme technique, vous engagez l'ennemi à prendre la voie la plus courte pour arriver à Anvers, vous l'amenez à entrer par les Flandres, en faisant une attaque simultanée par le Hainaut.

Ce n'est pas tout, par suite de ce changement de système vous devrez couvrir Anvers dans les Flandres et défendre le Hainaut contre l'invasion du Brabant. Vous voulez, dites-vous, faire de la concentration et vous faites ainsi précisément de la dissémination de vos forces. La force des choses ici encore vous conduira à avoir une moitié de votre armée dans les Flandres à gauche et l’autre dans le Hainaut à droite de l'Escaut, et ce fleuve au milieu coupant en deux votre armée d'opération et comme placé là pour empêcher la concentration.

Aussi, vous amenez le système inverse de celui que vous vous proposez puisque vous devez avoir une partie de votre armée pour couvrir Anvers et une autre partie pour couvrir le Hainaut et le Brabant. L'armée sera coupée en deux.

D'autre part, quel est l'intérêt d'un général agresseur ? C'est d'abord et avant tout de couper l'armée ennemie de sa base d'opération. C'est toujours la première chose que fait un général : faire force de diligence d'activité pour couper l'adversaire de sa base d'opération. Voilà à quoi il vise, c'est ce qui fait le succès dans les combats.

(page 1359) Eh bien, qu'une armée étrangère vienne se placer entre Bruxelles et Anvers, que deviennent vos fortifications d'Anvers, votre pivot de résistance nationale. Qu'elle vienne en trois ou quatre jours de marches forcées se placer entre ces deux villes, que deviennent ces fortifications ? Vous n'avez qu'un seul chemin de fer ; il sera occupé. Le pont de Duffel : on peut le faire sauter .Que vous reste-t-il donc pour concentrer vos troupes dans la ville d'Anvers ? Les Flandres ! vous n'y pouvez pas compter, toutes communications vous seront coupées de ce côté. Vous le voyez donc, ce système est un système qui n'est point conçu, qui n'est pas combiné, qui ne souffre pas l'examen.

Maintenant, ce n'est pas tout : dans le système de forteresses que j'examine, je vois, d'après les plans qui nous ont été distribués, que la défense d'Anvers occuperait 23 forts, non comprise l'enceinte et un certain nombre de lunettes. Or, ces forts sont en partie situés dans le pays des polders, dans le pays des fièvres. Vous aurez donc là des maladies à redouter ; vous aurez des réductions considérables dans vos cadres ; comment les réparerez-vous ? Où irez-vous chercher les hommes pour remplacer les hommes manquant à l'appel ? Vous serez cernés, bloqués par l'étranger qui occupera le pays ; vous ne pourrez pas trouver de remplaçants ; et vous serez dans une enceinte établie à grands frais que vous aurez formée pour qui ? Pour l'étranger, je vous le prédis d'avance.

Voilà, messieurs, ce qui nous attend et voilà ce que je ne veux pas ; j'aime mieux n'avoir pas de fortifications que nous ne pourrions pas conserver par nous-mêmes que d'avoir des fortifications qui, comme vient de le dire l'honorable M. Thiéfry, n'auraient été faites que pour l'ennemi.

Qu'on ne compare donc pas, messieurs, la position d'Anvers avec celle de ces points militaires où nous avons vu des armées résister longtemps à l'envahissement du pays. On vous a cité Wellington ; on vous l'a montré à Torres Vedras, à Cadix, résistant et maintenant le drapeau national pendant toute l'invasion française.

Eh bien, quel était le secret de cette résistance de même que de celle des Russes à Sébastopol. C'est que Wellington en Espagne a toujours été en communication avec l'Angleterre, de même que le général commandant à Sébastopol avec l'armée russe du nord ; tandis que dans la position qu'on veut nous créer, il n'y aurait pas possibilité de maintenir Anvers en communication avec le reste du pays et qu'avec nos 24 lieues de rives de l'Escaut depuis Anvers jusqu'à la mer, il n'est pas à espérer que nous pourrions empêcher l'ennemi de venir prendre position le long de ce cours d’eau.

Et cela est tellement vrai, que, dans le rapport de la commission de marine, qui a été imprimé au Moniteur, il est dit, en termes formels, que tout ce qui se fait à Anvers serait sans valeur si vous n'aviez pas une flottille d'une dizaine de vaisseaux, devant coûter 10 millions, pour garder vos rives. Eh bien ! cette flottille vous ne l'avez pas.

M. Coomans. - C'est un fait officiel.

M. B. Dumortier. - L'honorable M. Coomans faisait, en effet, partie de cette commission ; cette assertion n'est donc pas contestable.

C'est la réponse la plus claire à tout cet échafaudage de défense que l'on élève autour d'Anvers. Une fois privé de toute communication avec le reste du pays, d'un côté par l'Escaut, d'un autre côté par l'armée envahissante, où trouverez-vous vos approvisionnements ; où trouverez-vous tout ce qu'il faut pour entretenir, loger, nourrir une armée de 60,000 à 80,000 hommes et de 10,000 chevaux ?

Ce n'est pas tout encore : vous n'avez pour vous protéger à Anvers que la partie située entre les inondations et la ville et les faubourgs de Berchem et de Borgerhout.

En dehors de là tout est inondation ; par conséquent, il n'est pas d'armée agressive qui puisse venir de ce côté ; mais comme cette distance n'est que de 5 à 6 kilomètres, il faut à l'armée opérante bien moins de forces pour empêcher les routiers de l'armée assiégée. Mais d'un autre côté, quelle est donc la situation d'Anvers ? Elle est à l'extrémité du pays, hors du passage des armées de grandes puissances comme l'Allemagne et la France qui seraient en guerre. Ce passage naturel est par la capitale ; c'est là le centre, le nœud gordien de notre défense. Quand Wellington a établi son armée en avant de la forêt de Soignes, il a voulu préserver la capitale et la route vers l'Allemagne. La capitale est non seulement le cœur du pays au point de vue de la résistance nationale, mais c'est encore, au point de vue de la défense, le point essentiel à fortifier.

Et ici j'ai pour moi l'autorité des plus habiles tacticiens dont on puisse invoquer l'opinion. Ainsi le général Jomini, l'un des plus célèbres militaires qui aient traité de la tactique, disait que la ville de Belgique qu'il fallait fortifier c'était Bruxelles. Le général Richmond a imprimé un ouvrage dans lequel il déclare formellement que ce n'est pas Diest qu'il faut fortifier, mais Bruxelles ; et il ajoute « Mais nous ne le permettrons pas ; » et en effet il comprenait qu'une telle position serait tout à fait inexpugnable. Je pourrais aussi citer l'opinion d'un homme devant les connaissances duquel nous nous inclinons volontiers.

L'honorable général Goblet dans la section dont qui je faisais partie nous disait et a répété plusieurs fois que, dans la position qui est faite à la Belgique, la défense de Bruxelles serait la perfection de la défense nationale ; et l'honorable général Renard lui-même nous a aussi révélé la même pensée sur ce point dans notre dernière séance.

Il nous a dit, en effet : qu'il rejetait la grande enceinte, mais qu'il considérait comme un mal de faire d'Anvers la grande position militaire du pays.

Ce qui veut dire, si je ne me trompe, que c'est à Bruxelles et non à Anvers qu'il serait préférable de faire le point dominant de la défense nationale. Voilà des autorités qui ont certes une valeur incontestable. En effet, Bruxelles fortifié comme l’est Paris ; Bruxelles mis à l'abri du bombardement par des forts éloignés à 5 kilomètres environ des fortifications actuelles, Bruxelles présenterait le système de défense le plus parfait qu'on puisse supposer, soit que l'invasion vînt du nord, soit qu'elle vînt du midi.

A Bruxelles, vous avez d'abord le grand avantage de ne déplacer personne, de conserver le drapeau national où il a été planté par notre glorieuse révolution, d'appeler tous les hommes de cœur, tous les hommes d'énergie pour venir défendre la capitale. Vous avez un autre avantage qui est immense, c'est d'établir la base d'opération dans le pays, non pas qui a le plus grand patriotisme, car toute la Belgique a du patriotisme, mais dans la contrée qui au patriotisme joint l’intérêt le plus direct à la conservation de notre nationalité. Car enfin Anvers sera toujours Anvers, nos villes seront toujours nos villes ; mais Bruxelles, devenant un simple chef-lieu provincial, perd tout. C'est donc là surtout que l'intérêt se combine avec le patriotisme.

Aussi ouvrez les pages de l'histoire ; Bruxelles souvent assiégé n'a jamais été pris. Bruxelles a pu passer à l'étranger par capitulation ; il a pu être échangé par des traités, mais il n'a jamais été pris. Et ici je rends hommage à l'énergie des courageuses populations bruxelloises ; dans toutes les circonstances elles ont su défendre leurs murs. Bruxelles a subi des bombardements, mais il a toujours su se défendre. Le Bruxellois acquiert une nouvelle énergie dans le voisinage des bombes. Alors il vole avec un double courage à la défense de la patrie et il empêche, par sa bravoure, la reddition de sa ville.

Songez qu'à Bruxelles, vous pourriez compter sur les 13,000 hommes de garde civique pour garder vos forts et votre enceinte ?

A Bruxelles encore, vous trouvez tous les officiers retraités qui pourraient vous être si utiles dans certaines circonstances en se mettant à la tête des anciens soldats dont la capitale abonde.

Et puis, veuillez-le remarquer, Bruxelles est soumis à une double inondation qui couperait l'armée agressive en deux parts. Les inondations de la Senne, de cette petite rivière, comme on peut l'appeler, sont très considérables et l'armée ennemie se trouverait dans la nécessité de se partager en deux parties.

Ce n'est pas tout. Quelle serait la position de Bruxelles fortifié ? Bruxelles fortifié aurait cet avantage qu'il faudrait une armée de 150,000 hommes pour en faire le siège.

Or, je vous le demande, en cas de guerre européenne, en cas d'un grand conflit entre le Nord et le Midi, quelle est la puissance qui, entrant en campagne, pourrait détacher 150,000 hommes de son armée d'opération, pour les envoyer autour de Bruxelles ?

Il n'y en a pas. Aussi en fortifiant Bruxelles, et en en faisant le centre de la défense nationale, vous rendez le pays inattaquable. vous couvrez jusqu'à nos frontières, vous sauvez les Flandres des horreurs d'une invasion et vous déplacez le lieu de conflit entre l'Allemagne et la France ; Bruxelles transformé en forteresse de premier ordre avec camp retranché, vous déplacez le terrain du combat entre la France et l'Allemagne et vous le portez sur la Moselle.

On dira : Mais la question des vivres ! Eh bien, agissez comme on a agi à Paris, et vous aurez des vivres. Si l'on a pu assurer la subsistance d'une population d'un million d'hommes que comprend Paris, vous pouvez à plus forte raison assurer la nourriture d'une population de 200,000 hommes que vous avez à Bruxelles.

Ensuite, si vous voulez un point où le drapeau national flotte longtemps, au point où il flotte pendant des années, un point inexpugnable, ce point, vous l'avez à vos portes, vous avez Ostende.

Cette ville est inondable à une lieue de ses remparts, l'attaque y devient presque impossible. Le siège d'Ostende, conduit par les plus grands ingénieurs sous Albert et Isabelle, a duré trois ans. Là, vous n'avez pas de rives de fleuve à garder, vous avez la pleine mer ; vous pouvez recevoir en tout temps des secours de l'étranger autant que vous le voulez et quand vous le voulez.

Là vous pouvez faire flotter le drapeau national pendant des années et vous serez sûrs que le patriotisme pourra se dire : Aussi longtemps que je vois le drapeau national flotter sur ces murs, je ne désespère pas de la patrie !

Là nous, momentanément asservis, nous irons saluer ce brillant drapeau et notre cœur patriotique, à coups précipités fera sortir ce cri de nos poitrines : Il reviendra.

Messieurs, je pourrais m'étendre encore sur cette question. Mais la Chambre est arrivée au moment où elle doit désirer d'en finir.

Je vous ai présenté les points généraux du système que je défends et ce système est celui de la majorité de la section centrale et d'hommes illustres dans l'art de la guerre. Pour mon compte, je désire vivement que ce point soit examiné ; on l'a beaucoup trop négligé. Permettez-moi deux mots encore quant à la question de dépense.

C'est là, je le reconnais, l'argument le plus fort qu'on puisse opposer à la fortification de Bruxelles. L'honorable M. Loos, calculant sur (page 1360) les données des fortifications de Paris, a dit que la fortification de notre capitale coûterait 70 à 80 millions.

Ce raisonnement le voici : Les fortifications de Paris ont coûté 140 millions ; l'enceinte de Bruxelles serait environ moitié de celle de Paris, soit donc 70 millions.

Messieurs, j'ai consulté à cet égard un des hommes les plus compétents, les plus éminents de notre armée. Il a examiné avec soin les dépenses qui ont été faites à Paris et il m'affirme que les fortifications de Bruxelles, loin de coûter 70 à 80 millions, n'en coûteraient que 40. Pourquoi ? A Paris, les terrains acquis avaient une valeur double et triple de ce qu'ils coûteraient à Bruxelles. Les terrassements s'y payent infiniment plus cher qu'à Bruxelles. La maçonnerie, qui a coûté 22 à 24 fr. le mètre cube à Paris, ne coûte que 12 fr. à Bruxelles.

II en résulte que la dépense pour fortifier Bruxelles ne dépasserait pas 40 millions. Or remarquez-le bien, ce n'est pas plus que pour Anvers. On vous demande 20 millions pour fortifier Anvers, et ce n'est pas là le dernier mot, mais si vous fortifiez Bruxelles, vous pouvez vendre les terrains de l'enceinte actuelle d'Anvers que l'on reconnaît ne plus rien valoir ; puis l'on veut construire des. forts éloignés. Cette vente vous produira 20 millions, en sorte que vous aurez fortifié le capitale, vous aurez fortifié le cœur du paya avec la même dépense qui vous est demandée.

Cela ne mérite-t-il pas une attention sérieuse ? Quant à moi je dirai toujours que le point sur lequel le pays peut arriver pour défendre la nationalité est Bruxelles et non Anvers ; que le point où nous avons vu triompher notre cause, c'est à Bruxelles ; que le point où elle doit triompher, c'est à Bruxelles.

Si vous voulez préparer les moyens de défendre notre nationalité, faites-le sérieusement, et alors pour nous ce n'est plus une question d'argent que nous avons à examiner, c'est une question de patriotisme, une question d'amour du pays ; vous êtes sûrs de notre concours lorsque vous nous proposerez un système efficace, un système qui sauvegarde l'honneur, la dignité du pays et le drapeau de la patrie.

- La séance est levée à cinq heures.