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Chambres des représentants de Belgique
Séance du jeudi 17 mars 1859

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1858-1859)

(page 711) (Présidence de M. Orts, premier vice-président.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. de Boe procède à l'appel nominal à 3 heures et demie.

M. de Moor donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier.

- La rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Boe présente l'analyse de la pétition suivante adressée à la Chambre.

« Un grand nombre de propriétaires de bateaux et bateliers naviguant sur le canal de Charleroi prient la Chambre de s'occuper le plus tôt possible, et en tout cas avant la fin de la session, de la réduction des péages du canal de Charleroi. »

- Renvoi à la commission des pétitions.

M. de Fré. - Vu l'urgence et la justice de la demande, je prie la Chambre de réclamer la présentation d'un prompt rapport.

M. Ch. de Brouckere. - Je m'associe à cette demande.

M. le président. - Un prompt rapport sera demandé.


« M. J. Dauby, ouvrier typographe, fait hommage à la Chambre de deux exemplaires de son commentaire de la nouvelle loi sur les conseils de prud'hommes. »

« Il est fait hommage à la Chambre d'un exemplaire du tome XXXI des mémoires de l'Académie royale des sciences, des lettres et des beaux-arts de Belgique. »

- Dépôt à la bibliothèque et mention au procès-verbal.

Proposition de loi accordant une pension viagère aux sieurs Geens et Bonné

Lecture

M. le président. - Messieurs, les sections ont autorisé la lecture d'une proposition de loi qui a été soumise à leur examen. Elle est ainsi conçue :

« Les soussignés ont l'honneur de déposer la proposition suivante :

« Art. 1er. Il est accordé à Jean-Baptiste Geens et Bonne père et fils, condamnés à mort en 1842, et dont l'innocence a été judiciairement reconnue, une pension annuelle et viagère de six cents francs pour chacun d'eux.

« Art. 2. La présente loi sera obligatoire le lendemain de sa publication.

« (Signé) Dumortier, E.-F. Godin, X. Lelièvre, L.-J.-J. Landeloos, J. Notelteirs, J. Van Renynghe, comte Louis Goblet, L Faignart, Louis De Fré, F. Vanden Branden de Reeth, de Ruddere de Te Lokeren, comte L. d'Ursel, Ch. de Pitteurs-Hiegaerts, comte de Mérode-Westerloo. »

M. le président. - Comment la Chambre entend-elle procédera l'examen de cette proposition ?

- Plusieurs voix. - En sections !

- L'examen en sections est ordonné.

M. le président. - A quel jour la Chambre veut-elle fixer les développements de la proposition ?

M. Notelteirs. - A mercredi prochain.

- Cette proposition est adoptée.

Rapports sur des demandes en naturalisation

M. de Bronckart et M. de Paul déposent divers rapports sur des demandes en obtention de la naturalisation ordinaire.

- Ces rapports seront imprimés et distribués et mis à la suite de l'ordre du jour.

Projet de loi portant le budget des dotations de l’exercice 1860

Rapport de la section centrale

M. Deliége dépose le rapport de la section centrale sur le budget des dotations pour l'exercice 1860.

- Même décision.

Rapport de pétitions

M. le président. - La parole est à M Rodenbach.

M. Rodenbach. - Pour des motifs de santé, je cède mon tour de parole à mon voisin, l'honorable M. Tack.

M. Tack. - Je commence par remercier M. le ministre des finances des explications dans lesquelles il est entré hier au sujet de sa circulaire récente sur les patentes à imposer aux ateliers d'apprentissage pour la dentelle.

Ces explicitions m'ont prouvé que les intentions de l'honorable ministre n'avaient pas été bien comprises par quelques agents de l'administration des contributions, puisque, généralement parlant, il semblait que les seuls établissements qui pouvaient réclamer l'exemption du payement du droit de patente étaient les établissements revêtus d'un caractère officiel.

M. le ministre a reconnu qu'il peut y avoir d'autres écoles dentellières n'ayant pas le caractère officiel des écoles privées, qui peuvent réclamer l'exemption du droit de patente.

Il a dit à quelles conditions. J'examinerai tout à l'heure quelles sont ces conditions.

Sur ce terrain nouveau, en quelque sorte, je suis assez près d'être d'accord avec l'honorable ministre.

La question, d'après M. le ministre, est devenue une question de fait, une question d'application, de pratique. Eh bien, en fait, selon moi, doivent être exemptes du droit de patente les écoles proprement dites, c'est-à-dire ces établissements pour lesquels il est constaté, il est évident, il est démontré, à la satisfaction du fisc, que la fabrication ne s'y exerce pas pour compte, au profit des directrices, que ces directrices ne sont que de simples intermédiaires entre l'apprentie ou l'ouvrière et le négociant en dentelles, que l'apprentie a droit au prix total de vente de la dentelle fabriquée, que le fabricat est la propriété exclusive de l'ouvrière.

J'ai dit, messieurs, que cela résultait des principes généraux sur la matière, parce qu'en définitive le droit de patente est un impôt prélevé sur le bénéfice du marchand, du négociant, du fabricant, que ce droit suppose nécessairement l'exercice d'une profession, suppose aussi la réalisation d'un lucre, d'un bénéfice.

Il y a plus, en dehors des principes généraux l'exemption est formellement écrite dans la loi. L'article 3 de la loi de 1819, lettre R, porte en termes exprès que les ouvrières en dentelles sont exemptes du droit de patente.

Il est vrai qu'il y a à cet article un paragraphe, lequel restreint l'exemption aux ouvrières en dentelles qui travaillent seules, assistées de leur famille.

Mais quelle est la signification de cette disposition ? Il est évident que ce paragraphe a en vue de ne pas permettre d'exempter du droit de patente le travail par association, le travail collectif. Or, peut-on raisonnablement soutenir que le travail, tel qu'il s'exerce dans les écoles dentellières que j'ai caractérisées tout à l'heure, est un travail collectif, un travail par association ? Evidemment, non.

Chaque ouvrière fart un travail complet, aucune d'elles ne met la main à l'œuvre de sa compagne. L'atelier d'apprentissage est en quelque sorte le domicile commun des ouvrières, des apprenties. Les ouvrières qui travaillent dans ces ateliers d'apprentissage ne se trouvent pas dans des conditions autres que celles qui travaillent à domicile. Dès lors, pourquoi leur faire des conditions différentes au point de vue de l'impôt ?

C'est, du reste, dans ce sens que, d'une manière constante, l'article 2, littéra R, a été appliqué En effet, nous avons la circulaire de 1825. Cette circulaire est claire et nette. M. le ministre des finances nous a dit : Mais elle ne s'applique pas aux ouvrières en dentelles, elle ne concerne que les brodeuses sur tulle bobin. Voyons quelle est la disposition de cette circulaire.

Remarquons d'abord que les ouvrières en dentelles sont nominativement désignées dans l'article 3, tandis que les brodeuses sur tulle bobin ne sont pas dénommées dans l'article. On a donc agité, en 1825, la question de savoir si l'exemption consacrée en faveur des ouvrières dentellières par la loi de 1819, était applicable aux ouvrières en broderie, et par analogie, les auteurs de la circulaire ont décidé que les ouvrières brodeuses doivent être assimilées aux ouvrières en dentelles, qu'elles doivent jouir des mêmes faveurs, des mêmes exemptions.

Ils ajoutent que lors même que ces ouvrières sont réunies dans des ateliers, créés dans un but de charité, le droit n'est pas dû. Il me semble, messieurs, qu'il est impossible d'être plus précis, plus explicite. Il pouvait y avoir du doute pour les ouvrières brodeuses, il ne pouvait pas y en avoir pour les ouvrières en dentelles ; voilà la portée de la circulaire.

Mais, dit M. le ministre, à cette époque l'industrie de la dentelle était insignifiante ; ce n'est que depuis 15 ou 20 ans qu'elle a pris de grands développements.

Il est vrai, messieurs, que depuis une vingtaine d'années l'industrie dentellière a pris une extension considérable. Autrefois elle ne s'exerçait que dans certaines villes, et notamment à Courtrai, à Bruges, à Ypres, à Menin ; aujourd'hui elle s'exerce dans les campagnes ; elle a remplacé en grande partie l'industrie du filage à la main ; les débouches sont aussi devenus plus importants. C'est une heureuse coïncidence.

Nous ne sommes plus seulement, comme jadis, en relations de commerce avec les négociants français, mais les négociants anglais, les (page 712) négociants russes, et même les négociants américains, viennent acheter nos dentelles sur place.

Quant aux écoles dentellières, elles existent de temps immémorial, comme, de temps immémorial aussi, l'industrie dentellière a été une des causes de la prospérité des villes où elle florissait.

A mesure que l'industrie dentellière a prospéré, les écoles se sont multipliées, rien de plus naturel, mais le développement qu'a pris l'industrie dentellière n'est pas, évidemment, un motif pour donner à la loi une portée autre que celle qu'on lui a reconnue en 1825, et qu'une pratique invariable a sanctionnée dans la suite.

Dira-t-on que c'est plutôt la disposition de l'article 3, littéra I, qu'il faut ici appliquer. Cette disposition statue que les établissements publics de charité (c'est le texte officiel, le texte hollandais de la loi), dans lesquels on donne l'instruction et où l'on enseigne des métiers, sont exempts du droit de patente, pour autant que le travail profite à l'établissement.

Je comprends que dans le système général adopté par l'honorable ministre des finances en matière de bienfaisance, il ne veuille faire aucune concession sur ce texte ; cette disposition se rattache, en effet, d'une manière assez directe à la loi sur la charité, et plus spécialement à l'article 84 de la loi communale. Je laisse cette question entière, je n'ai pas besoin de m'en occuper, car ce n'est pas dans l'hypothèse de l'article 3, littéra I, que je me suis placé ; je n'ai pas supposé des établissements où le travail s'exerce au profit de l'établissement même, au profit de la fondation, comme dit l'honorable ministre dans sa circulaire, mais j'ai supposé des établissements qui n'exercent aucun commerce à leur profit, où la fabrication s'exerce exclusivement au bénéfice des ouvrières.

C'est donc bien l'article 3, littéra R, qu'il convient d'appliquer dans l'espèce ; c'est aussi dans cette voie que M. le ministre des finances me semble avoir l'intention d'entrer. Voici un passage de son discours qui me le fait croire :

« Nous avons, messieurs, des établissements laïques et des établissements religieux s'occupant de la fabrication des dentelles. Or, je le demande, comment la loi devra-t-elle être appliquée ? Les établissements laïques payeront-ils l'impôt ? les établissements religieux ne le payeront-ils pas ? Cela est-il soutenable ? »

Je réponds que les établissements laïques, comme les établissements religieux, doivent être placés sur la même ligne, doivent être l'objet du même traitement. Je ne veux de privilège ni pour les uns ni pour les autres.

« Il faut, poursuit l'honorable ministre, s'en tenir au principe de la loi. Ce principe est simple, clair, rationnel. Tout établissement qui fabrique des dentelles et qui en fait commerce est soumis à la patente ; s'agit-il, au contraire, d'un établissement laïque ou religieux où l'on se borne à apprendre la fabrication, où l'apprenti arrive avec la matière première et d'où il sort avec la matière fabriquée, c'est une école, et cette école est patentable »

J'appelle l'attention de la Chambre sur la fin de la phrase, et je crois pouvoir soutenir qu'avec la double condition que j'y trouve, pas une seule école n'échappera au droit de patente. Pour que l'école jouisse de l'exemption, il faudra que l'ouvrière apprentie y apporte elle-même la matière première, c'est-à-dire le fil dans toutes les écoles dentellières, soit laïques, soit religieuses ; c'est le négociant en dentelles qui fournit la matière première, ou bien encore elle est fournie par l'intermédiaire des directrices. La raison en est simple : c'est qu'il n'est pas indifférent au négociant en dentelles avec quelle espèce de fil la dentelle est fabriquée. II faut du fil assorti pour les établissements où la fabrication s'opère en grand.

Du reste, la matière première constitue une valeur infiniment petite dans le prix de vente de la dentelle. La valeur de la dentelle dépend surtout de la main-d'œuvre et aussi du mérite du dessin. Avec le même fil, on fabrique des dentelles de la valeur de 10, de 30 ou de 50 francs le mètre.

On objectera qu'il est possible que les directrices des écoles qui fournissent le fil fassent certain bénéfice. Ce bénéfice, s'il existe, est insignifiant Cela est encore incontestable.

Au surplus, je ne pense pas que les directrices des écoles dentellières tiennent à fournir le fil aux enfants. Si elles le font, c'est dans l'intérêt des ouvrières en dentelles ; je crois, au contraire, qu'elles renonceraient volontiers à fournir le fil ; il faudra alors que le fil soit fourni par le magasin.

Si les directrices de certaines écoles persistaient à vouloir fournir le fil, on pourrait présumer qu'à l'aide de cette fourniture elles réalisent des bénéfices, que serait-on en droit de leur imposer ? Une patente de fabricantes de dentelles ? Non ; mais une patente de marchands de fil, patente insignifiante, tandis que la patente de fabricante de dentelles est une patente très onéreuse.

La seconde condition qu'exige M. le ministre des finances, c'est qu'il faut de toute nécessité que l'enfant emporte la dentelle fabriquée et que cette dentelle se vende au gré des parents. C'est tout bonnement là une impossibilité ; cela pourrait se faire pour ce qui concerne les dentelles ordinaires dont le dessin est dans le commerce ; mais non pas pour la grande masse des dentelles.

Pourquoi ? C'est parce qu'en général le fabricant fournit le dessin, et que la dentellière, si elle ne veut pas avoir maille à partir avec le conseil de prud'hommes, ne peut pas vendre la dentelle qu'elle a confectionnée ; notez que le prix de la dentelle est débattu souvent d'avance et qu'il en est des dentelles fabriquées dans les écoles, comme de celles qui sont fabriquées à domicile. La dentellière qui travaille à domicile, pas plus que celle qui fréquente les ateliers d'apprentissage, n'a le droit de vendre sa dentelle au premier venu. Leur position est identique.

La seule règle à suivre qui soit conforme à l'équité et au principe d'égalité de tous devant la loi, c'est qu'on exempte du droit de patente les ouvrières qui travaillent dans les ateliers d'apprentissage, du moment qu'elles sont dans les mêmes conditions que les ouvrières qui travaillent chez elles. C'est tout ce que, pour ma part, je demande ; cette règle de conduite si juste ne recevra point son application si on refuse l'exemption par le motif que la directrice d'une école se fait l'intermédiaire officieuse de l'apprentie pour l'achat du fil et la vente de la dentelle.

Comment exercerez-vous le contrôle ? A quel signe reconnaîtrez-vous que la fabrication n'a pas lieu au bénéfice de l'établissement et qu'au contraire elle se fait au profit des ouvrières en dentelles ?

Le contrôle s'exercera comme il s'exerce en matière de patentes à l'égard de tous les contribuables,

Le fisc a des agents assez nombreux, assez capables, assez zélés pour se rendre compte de ce qui se passe dans les écoles.

Je demanderai à mon tour comment parviennent-ils à constater le nombre d'ouvriers employés par un fabricant quelconque hors de son domicile ?

Il est tel fabricant de Bruxelles qui emploie deux mille, trois mille, peut être quatre mille ouvriers en Flandre, ils sont éparpillés dans un rayon de plusieurs lieues, comment les employés de l'administration des contributions parviennent-ils à faire la supputation de ce nombreux personnel ? Je n'en sais rien ; cependant ils y réussissent. Or, la constatation du nombre des ouvrières en dentelles occupées dans les ateliers, et du régime de chaque atelier est plus facile. Qu'on interroge les apprenties, les ouvrières, qui confectionnent de la dentelle dans les ateliers, elles n'ont aucun intérêt à cacher quelles sont les conditions de leur travail.

Elles savent parfaitement bien si le prix de la dentelle leur est oui ou non intégralement remis ; c'est une chose connue parmi les ouvrières que le prix vénal d'une dentelle.

A côté des ouvrières travaillant dans les écoles, il y a les ouvrières travaillant à domicile ; et celles-ci sont en mesure d'apprendre aux premières la valeur de leur travail à un centime près. Qu'on interroge aussi les directrices des établissements, je ne doute pas qu'elles ne consentent à donner les explications qu'on pourrait désirer d'elles ; il y a dans certains établissements des garanties toutes particulières prises dans l'intérêt des ouvrières.

Je citerai, entre autres, les registres dans lesquels on inscrit dans une colonne les noms et prénoms des ouvrières, dans une autre, le nombre de mètres de dentelles fabriquées par chacune d'elles ; dans une troisième, le genre de dentelles confectionnées ; dans une quatrième, le prix payé. Et, remarquez que ce n'est pas la directrice qui inscrit le prix de vente, mais le négociant lui-même ; donc pour qu'on puisse enlever aux ouvrières la moindre partie de leur salaire, il faudrait une coupable connivence entre le négociant en dentelles et la directrice de l'école.

Jamais pareille supposition n'a été faite, jamais pareille plainte n'a été articulée.

Il reste la question de privilège. C'est, dit-on, une espèce de privilège qu'on accorde aux écoles dentellières, que de les exempter du payement de la patente.

C'est indirectement un monopole qu'on leur accorde, il y a là une inconstitutionnalité ; singulière assertion !

Est-ce que les dentellières qui travaillent à domicile payent patente ? Non, où est donc l'inégalité ?

Savez-vous quand il y aura privilège, inégalité ? Du jour où vous imposerez la patente aux ouvrières travaillant dans les ateliers d'apprentissage. Oui, c'est alors que le privilège naîtra en faveur des ouvrières qui confectionnent la dentelle à domicile et contre celles qui sont occupées dans les ouvroirs.

M. le ministre des finances nous a dit aussi que l'affaire n'est pas assez importante pour en occuper la Chambre et en faire tout le bruit qui a retenti dans la presse.

Peut-être a-t-on exagéré, je le veux bien. D'autre part, je ne puis pas admettre les calculs auxquels s'est livré M. le ministre des finances, pour prouver que l'impôt serait insignifiant.

La valeur de la fabrication dentellière s'élève, nous affirme-t-il, à 25 millions par an, je ne veux pas contester ce chiffre, je n'ai pas intérêt à le faire.

Mais pour les 25 millions l'impôt, s'il est payé par toutes les écoles dentellières, n'excédera pas 26,000 fr., nous dit l'honorable ministre. Je réponds que cette valeur de 25 millions ne représente pas seulement la valeur des produits fabriqués dans les ateliers, mais aussi de ceux qui se fabriquent à domicile ; or, la fabrication dans les ateliers d'apprentissage ne représente pas la septième partie de la fabrication totale. On ne peut donc pas faire de comparaison au moyen du chiffre de 25 millions pour juger si l'impôt sera plus au moins onéreux.

(page 713) Voici les conséquences de l'application de la patente aux écoles dentellières. Une école dans laquelle il y a 300 élèves payera une patente de 441 fr. 10 c, plus les additionnels au profit de la province et de la commune ; pour 200 élèves on payera 367 fr. 40 c. ; pour 140 élèves, 305 fr. 80 c. ; pour 100 élèves, 245 fr. 30 c ; il y a beaucoup d'écoles dans lesquelles on compte ce nombre d'élèves.

Le payement d'un droit de patente constituera donc un impôt très lourd pour ces utiles établissements.

Les directrices des écoles dentellières n'ont guère de grandes ressources : les maîtresses laïques n'en ont d'autres que le modeste droit d'écolage qu'elles reçoivent de chaque apprentie et qui est fixé en général à un franc ou un franc 20 centimes par mois. Si vous frappez ces établissements du droit de patente, il est évident que cette charge retombera sur les ouvrières.

Je pense donc, messieurs, qu'il faut mettre la plus grande prudence dans l'application de l'article 3 de la loi de 1819. L'honorable M. Rodenbach le disait hier : l'industrie dentellière a rendu de grands services à nos populations flamandes ; mais il arrive des moments où les salaires sont extrêmement bas ; il y a des moments de crise que l'industrie dentellière doit traverser et il serait regrettable que dans ces ci constances elle se vît accablée de charges extraordinaires, insupportables.

M. le président. - La parole est à M. de Haerne.

M. de Haerne. - J'y renonce pour le moment.

(page 721) Je ne prolongerai pas beaucoup cette discussion ; plusieurs motifs m'y déterminent : le premier de tous est qu'il n'y a pas pour la Chambre de décision positive à prendre en ce moment. Et en effet, M le ministre des finances, après avoir produit une certaine émotion, émotion plus grande qu'il ne s'y attendait peut-être, s'est résolu à ouvrir une enquête. Déjà, vous l'avez entendu dans la séance d'hier, il admet des distinctions, des circonstances dans lesquelles l'impôt de la patente pourrait n'être pas dû.

J'ai un autre motif encore pour ne pas prolonger cette discussion ; en définitive, d'après notre législation, ce n'est pas à la Chambre à juger en ce moment la question qui lui est soumise.

La loi des patentes autorise toute personne qui se croit indûment imposée à s'adresser à la dépufation permanente, et une loi postérieure de 1849, si je ne me trompe, a autorisé le recours en cassation contre la décision de la députation permanente.

Telle est donc la marche naturelle à suivre ; que les personnes qui se croient indûment patentées, auxquelles on demande de faire une déclaration de patente qu'elles croient ne pas devoir, s'adressent à la députation permanente et, au besoin, se pourvoient en cassation.

Lorsque la loi aura reçu une interprétation de la part de l'autorité judiciaire, alors et alors seulement, commencera pour la législature un devoir sérieux, celui d'examiner si cette jurisprudence est conforme aux principes d'une bonne législation et aux véritables intérêts du pays.

M. le ministre des finances a rappelé hier deux circulaires de dates très rapprochées. Je n'ai pas un souvenir précis de ce qui s'est passé entre le 6 et le 10 août, mais il est probable que des réclamations auront été faites sur le sens absolu et trop général de la première circulaire.

J'ai fait alors, sans attendre trois mois, une espèce d'enquête ; j'ai commencé par où M. le ministre des finances a fini et j'ai expliqué, j'ai restreint le sens de la première circulaire. (Interruption.) Il n'y a rien, je pense, dans cette façon de procéder que je ne puisse avouer publiquement. Il peut arriver qu'une mesure ait une portée trop grande, injuste même, et que l'on reconnaisse, après l'avoir prise, qu'il faut la restreindre. Je dirai même, ayant fouillé dans mes souvenirs, que cela m'est arrivé plus d'une fois. J'ai toujours pensé qu'il vaut mieux reconnaître une erreur partielle que d'y persévérer. En relisant ces deux circulaires et le texte de la loi de 1819, je me suis demandé si le sens général qu'on a prétendu y donner par celle de M. le ministre des finances actuel n'est pas contraire au texte et à l'esprit de cette loi.

Et, en effet, messieurs, qu'est-ce que l'impôt de la patente ; quelle est, dans son texte et dans son esprit la loi de 1819 ? La patente est un prélèvement du fisc sur le bénéfice industriel ; pas autre chose. Eh bien, lorsqu'il n'y a pas industrie, lorsqu'il n'y a pas opération faite en vue d'un lucre individuel ou collectif, la raison de la patente cesse, d'après l'ensemble de la loi de 1819, d'après le principe même de cette loi. Il suffit de la lire pour reconnaître que partout où l'idée de commerce, d'industrie, d'exploitation ou de profit matériel a disparu, il y a une exemption.

On comprend, dès lors, l'émotion qui s'est produite. Il ne s'agit pas seulement pour ces utiles institutions de savoir si, toutes ensemble, elles payeront 26,000 fr., mais de savoir si leur caractère d'établissements de bienfaisance sera effacé légalement ; si, au lieu d'être des bienfaiteurs des pauvres, ils en seront les exploiteurs.

Il y a donc autre chose qu'une question d'intérêt matériel ; il y a véritablement une question de principe pour cette précieuse manifestation de la charité chrétienne.

Nous pouvons, messieurs, nous égarer dans l'interprétation de la loi en appliquant à son texte le sens que certains mots ont acquis à la suite de la polémique qu'a soulevée depuis 1847 le nouveau système de charité publique. Depuis 1819 jusqu'en 1847, on n'avait pas songé à établir de distinction entre la charité officielle et la charité libre ; cette distinction, qui n'existe pas dans la loi, n'existait pas non plus dans les actes du gouvernement. Comme preuve de cette confusion qui n'a disparu que depuis 1847, voyez le texte hollandais et le texte français et vous y trouverez les mots établissements, institutions, et le mot fondation qui est une manifestation de la charité libre reconnue.

Tout l'article 3 sur lequel se fonde la controverse actuelle établit cette confusion au point de vue des discussions, des dissentiments qui nous divisent aujourd'hui.

Je crois, messieurs, qu'en examinant ces textes et l'esprit de la loi, il y a un doute très sérieux sur le point de savoir si lorsque les institutions ne produisent pas de bénéfices directs pour ceux qui les dirigent, il y a matière à patente. J'incline à croire que toutes les fois qu'il n'y a pas bénéfice pour les institutions, la raison de la patente, le droit de l'établir n'existent pas.

Je me borne à ces simples observations parce que, je le répète en finissant, il me semble que la question doit être discutée devant les députations permanentes et devant la cour de cassation avant de pouvoir se présenter utilement aux délibérations de la Chambre.

(page 713) M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Messieurs, la discussion à laquelle on vient de se livrer a ramené l'affaire qui vous occupe à ses véritables proportions. Elle n'est plus aujourd'hui ce qu'elle était hier encore dans la presse. Hier, ou appelait à la révolte, à la résistance, tous ceux qui prétendument devaient être victimes de l'application de la loi. Aujourd'hui on leur donne fort sagement le consei1 que j'ai moi-même donné dès l'origine, au moment des premières plaintes, au mois de janvier dernier : Si vous croyez que votre réclamation est fondée, leur ai-je dit, pourvoyez-vous devant la députation permanente, et au besoin devant la cour de cassation. L'administration exécutera les décisions qui seront prises par ces corps compétents.

L'honorable M. Malou a supposé que je n'avais pas pressenti la grande émotion qui devait se manifester au sujet de la circulaire du mois d'octobre 1858. En un certain sens, l'honorable membre a raison. Je n'avais pas supposé que l'on se porterait à de pareils excès. Mais qu'on essayerait de résister parce que le droit assez insignifiant d'ailleurs était réclamé de certains établissements religieux, j'en avais d'avance la conviction, et cette conviction, je la puisais en quelque sorte dans les pièces du dossier. J'y lisais une circulaire de l'honorable M. Malou à la date du 4 août 1847, et une autre circulaire à la date du 10 août 1847, qui avaient une certaine contradiction entre elles et je supposais évidemment que ce n'était pas sans motifs ni sans avoir reçu certans avertissements qu'on avait ainsi modifié sa première opinion. J'avais donc là un avertissement bien significatif.

L'honorable M. Malou veut bien nous dire que dans cet intervalle du 4 au 10 août 1847, il avait fait une enquête. Je ne suis pas en cela aussi prompt que lui, dit-il ; car j'ai attendu trois mois avant d'en ordonner une.

J'avoue encore que je n'aurais pas pu faire une enquête dans l'espace de quelques jours. Mais celle que j'ai prescrite, pourquoi l'ai-je faite ?

J'ai prescrit l'enquête, parce que l'on a soutenu, l'on a affirmé que le plus grand nombre des établissements que l'on voulait soumettre à la patente, ne faisaient aucune espèce de spéculation, ne faisaient aucune espèce de commerce. Eh bien, j'ai dû nécessairement faire examiner les faits.

Je ne pouvais pas, de mon cabinet, juger si en effet ces divers établissements se trouvaient ou non dans les conditions déterminées par la loi.

Cette enquête est ouverte, les résultats m'en arrivent successivement, j'y trouve des faits de différentes natures.

Ainsi j'ai constaté que dans certaines communes, de simples ouvrières en dentelles se réunissent en effet dans un même local pour économiser les frais de chauffage et au besoin d'éclairage. Ce sont là de simples ouvrières qui ne sont pas sujettes à la patente. Ce n'est pas moi qui fais ces distinctions ; c'est la loi qui parle. La loi déclare que de simples ouvrières, dans de pareilles conditions, ne sont pas assujetties à la patente.

D'autres faits me sont encore révélés par cette enquête. Ainsi il y a, comme je le disais hier, de simples écoles. (Interruption.) Encore une fois, ce n'est pas moi qui crée des distinctions. Encore une fois cela est écrit dans la loi. La simple école n'est pas soumise à la patente. Mais qu'est-ce que l'école ? L'école est l'établissement où les apprenties viennent avec la matière première et emportent la matière fabriquée pour en disposer. Il y a d'autres établissements, et c'est le plus grand nombre, où l'on fabrique réellement la dentelle. Les directrices, soit laïques, soit religieuses, cela importe peu, fournissent tous les objets nécessaires, reprennent le produit fabriqué et vendent ce même produit fabriqué. Ce sont ici de véritables fabriques. Il est impossible de leur donner une autre qualification. Appelez-les écoles, si vous voulez : donnez-leur le nom d'institutions de bienfaisance si cela vous convient ; mais ce sont de véritables fabriques.

Pour toute autre espèce d'industrie, on peut dire aussi que c'est un établissement très charitable qui procure du travail aux ouvriers. Toutes les industries sont même dans ces conditions. On procure du travail aux ouvriers, on leur distribue un salaire, on dispose du produit fabriqué.

II ne faut pas confondre ce qui ne doit pas être confondu. Si certains établissements publics peuvent fabriquer de la dentelle, sans être patentés, à la condition que tout le produit soit appliqué au bénéfice de la fondation, c'est qu'en pareil ca s, il s'agit d'une institution publique de bienfaisance que surveille l’autorité, qui s'assure ainsi de l'emploi du bénéfice. S'il y a ailleurs des institutions particulières où l'on prétend faire la même chose, elles ne se trouvent pas dans les conditions déterminées par la loi, et il serait impossible de s'assurer si le motif de l'exemption existe réellement dans ces établissements, parce qu'il est impossible de savoir quel emploi on y fait des bénéfices.

La loi est expresse sur ce point. Un particulier réunit-il chez lui des apprentis ? Ces apprentis apportent-ils la matière première ? emportent-ils le produit fabriqué ? Pas de difficulté. Il n'y a pas là de patente à payer. Dans tous les autres cas, la patente est due.

L'honorable M. Tack a supposé que les instructions que j'ai données n'avaient pas été bien comprises par les agents de l'administration ; qu'on leur avait donné une extension que, d'après mes explications, elles ne comportent pas. C’est une erreur. Les agents de l'administration ont parfaitement compris ce que j'ai indiqué. Je n'ai apporté à la Chambre d'autres explications que celles qui se trouvent dans les instructions. Ce que j'ai dit hier à la Chambre était parfaitement connu de l'administration. Je n'ai pas apporté de restriction aux opinions que j'avais précédemment exprimées.

L'honorable M. Malou suppose que la question qui nous occupe actuellement se rattache en quelque sorte à la discussion de l'article 84 de la loi communale, qu'elle est relative à la distinction à faire entre les institutions privées et les fondations publiques et que nous sommes égarés par l'opinion que nous avons défendue jusqu'à présent, sur ce qu'il faut entendre par une fondation publique. L'honorable M. Malou se trompe. Jamais, à aucune époque, ni dans aucun pays, on n'a appelé fondation publique, institution publique, une association privée formée par des particuliers. Dans aucune langue cela ne peut être ainsi compris ; on appelle fondation publique, un établissement créé sous certaines conditions déterminées par la loi, autorisé par l'autorité publique et surveillé par cette autorité.

Mais les établissements que des particuliers trouvent bon de créer, qui disparaissent selon leur volonté, où l'administration n'a aucun droit de pénétrer, ces établissements-là ne seront jamais des établissements publics, dans aucune langue, dans aucun pays. Eh bien les établissements dont s'occupe l’honorable M. Malou sont-ils oui ou non de la première ou de la seconde catégorie ? Ils sont évidemment de la seconde, car ils sont créés par la simple volonté de particuliers qui peuvent les faire disparaître quand bon leur semblera.

La différence, messieurs, entre ce qui a été indiqué d'autre part par l'honorable membre pour les ouvriers qui sont exemptés par la loi et les ouvriers réunis en fabrique, se conçoit parfaitement ; la loi a voulu accorder un bénéfice à cette petite industrie exercée isolément, tandis qu'elle a très légitimement soumis à la patente l'industrie exercée sur une certaine échelle par un individu qui tire un profit de la fabrication à laquelle contribuent un nombre plus ou moins grand d'ouvriers. Tout le système de la loi des patentes est précisément fondé sur ce principe.

Je me borne, messieurs, à ces explications puisque la Chambre n'a aucune décision à prendre. La question n'est pas même soumise aux tribunaux, et il y aurait lieu seulement à saisir la Chambre d'une proposition si les honorables membres qui soutiennent la thèse opposée à la mienne croyaient qu'il y eût lieu à réformer la loi des patentes.

M. de Haerne. - Messieurs, j'avais renoncé tout à l'heure à la parole ; mais les quelques détails dans lesquels vient d'entrer M. le ministre des finances, m'engagent à soumettre à la Chambre certaines observations qui me semblent de nature à mériter son attention.

D'après la loi des patentes, le droit ne peut être prélevé que sur le bénéfice ; il ne peut jamais être prélevé sur le travail. La véritable question est de savoir s'il y a bénéfice pour les établissements dont il s'agit.

Vous semblez raisonner dans l'hypothèse d'un bénéfice réalisé, non par celui qui est à la tête de l'industrie, mais par les ouvriers mêmes. Or, messieurs, ce n'est point là une application équitable du droit de patente ; la circulaire de 1825 est formelle à cet égard.

Puisque j'ai la parole, je crois devoir faire une autre observation : le point de départ de M. le ministre des finances, ce sont certaines pétitions adressées à la Chambre. J'ai examiné ces pétitions puisque M. le ministre des finances a appelé notre attention sur ce point. Elles émanent de dentellières de Bruxelles, qui se plaignent du travail qui se fait (page 714) dans certaines communautés ; surtout dans les Flandres et dans des ateliers tenus par des laïques, il résulte de là, disent-elles, une grande concurrence pour elles. Une de ces pétitions se plaint aussi de la concurrence de l’industrie de Binche. Je ne vois là, messieurs, que de la jalousie de métier, et une seule observation fera voir que la réclamation n'est aucunement fondée.

Comment se fait le travail de la dentelle de Bruxelles dans les écoles manufactures des Flandres ?

On y confectionne non pas des dentelles proprement dites ; mais ce qu'on appelle des fleurs de Bruxelles, qui sont envoyées à Bruxelles ; et c'est là qu'on les applique sur le réseau. C'est donc pour compte des maisons de Bruxelles que se fait le travail des fleurs. Vous voyez, messieurs que la réclamation des dentellières de Bruxelles porte complétement à faux, et c'est cependant là le point de départ de l'honorable ministre des finances

Pour faire droit à ces pétitions, il faudrait supprimer toute concurrence et fixer les salaires, comme du temps des corps de métiers privilégiés.

M. le ministre des finances demandait tantôt comment il est possible de constater qu'un établissement est une véritable école et non pas une fabrique ; et cette objection l'honorable ministre l'avait déjà faite hier. Tout le monde sait qu’on est entré largement dans la voie des écoles-manufactures dans les Flandres, à partir de la grande crise linière.

Remarquez que cette crise a coïncidé à peu près avec la loi de 1842, sur l'enseignement primaire. Dans la loi sur l'enseignement primaire on trouve à l'article 25, paragraphe 3, que le gouvernement encouragera par des subsides les écoles de charité et d'apprentissage.

Eh bien, messieurs, combinez cette disposition avec l'article 2 de la même loi et vous verrez que vous avez là le véritable caractère public, bien qu'il s'agisse d'établissements dus à la liberté. En effet l'article 2 de la loi sur l’enseignement primaire admet des écoles tout à fait privées comme suffisantes, lorsqu'elles sont organisées de manière à donner une bonne instruction. Si vous combinez l'atricle 25 avec l'article 2, vous voyez que l'intention du législateur a été de donner le caractère d'école publique à cette espèce d'école que vous appelez privée.

Par conséquent ces écoles, aussi bien en ce qui concerne le travail qu'en ce qui regarde l'instruction, doivent être rangées parmi les écoles publiques. S'il n'en était pas ainsi, nous tomberions dans l'absurde. Il est évident que ce serait renverser d'une main ce qu'on a créé de l'autre, car enfin, toute cette guerre faite, je ne dis pas ici, mais dans la presse, aux écoles dentellières, s'adresse à toutes les institutions semblables, aux ateliers de tissage, par exemple. Les ateliers d'apprentissage créés dans les Flandres pour former des tisserands, sont montés absolument sur le même pied que la plupart des écoles dentellières. Or, vous allez les frapper de la même manière.

Cependant, messieurs, que n'a-t-on pas fait pour encourager ces établissements ? Je dois rendre hommage à M le ministre de l'intérieur. Je dois dire qu'en développant la mesure prise par l'honorable M. de Theux, il a fait beaucoup de bien aux Flandres, au moyen de ces ateliers. On me dira que la plupart de ces ateliers sont subsidiés C'est très vrai ; mais une masse d'écoles dentellières ont été subsidiées aussi dans le temps ; elles se trouvent donc absolument dans le même cas. Quelle sera donc la conséquence de la nouvelle application de la loi des patentes ? Par les excellentes mesures prises pour remédier à la misère des Flandres, vous avez fait un bien immense ; vous avez provoqué beaucoup d'actes de bienfaisance, vous avez sollicité les particuliers à marcher sur les traces du gouvernement et à créer des institutions publiques pour le travail combiné autant que possible avec l'instruction primaire.

Maintenant que faites-vous en frappant une patente, patente insignifiante dans quelques cas, si vous voulez ? Le gouvernement dit aux particuliers : Vous désiriez d'entrer dans la voie que je vous ai ouverte ; prenez-y garde, je vous frapperai d'une patente.

Je dis que vous détruisez d'une main ce que vous avez édifié de l'autre. C'est se montrer inconséquent, c'est arrêter la propagande des ateliers d'apprentissage, qu'on avait si bien encouragée jusqu'ici. Il y a là un danger qui pourrait devenir grave en temps de crise.

Messieurs, on a invoqué la loi hollandaise : le mot openbare (publics), ne peut pas être entendu dans le sens qu'on lui a donné. Il est évident à mes yeux que jamais le législateur hollandais n'y a attaché cette idée.

J'ai ici en main un ouvrage qui contient la nomenclature de toutes les écoles de travail qui existent à Amsterdam, protestantes, catholiques ou israélites, c'est-à-dire appartenant aux trois cultes qui dominent dans cette ville ; je trouve que toutes ces écoles sont fondées par des associations ou par des personnes privées ; il n'en existe pas et il n'en a pas existé d'autres en Hollande ; c'est donc bien à ces institutions-là qu'il est fait allusion dans la loi hollandaise. Ce sont ces ateliers que la loi appelle publics.

On force le sens de la loi, en voulant lui donner l'interprétation que nous combattons.

Je ne prolongerai pas cette discussion en répétant ce que d'autres orateurs ont dit.

M. le ministre des finances a ouvert une enquête ; nous en attendrons le résultat ; en tout cas, un recours est ouvert ou peut s'ouvrir devant la députation permanente et devant la cour de cassation contre les décisions qui ont cié prises.

M. Malou. - Messieurs, deux mots seulement.

L'honorable ministre des finances me paraît donner au texte de la loi un sens trop restrictif.

Le système de la loi des patentes est d'exonérer de l'impôt le travail et de ne frapper que le bénéfice du travail. Partout où vous voyez l'ouvrier seul ou associé, il y a exemption ; partout où vous voyez exclue l'idée du bénéfice au moyen du capital employé, il y a encore exemption.

Maintenant s'ensuit-il que le seul cas d'exemption soit les hypothèses signalées par M. le ministre des finances ? Ainsi, il faut, dit l'honorable ministre, que l'école soit ouverte seulement pour ceux qui apportent la matière première et qui on emportent le produit.

Eh bien, que le produit soit fourni par le fabricant qui fait apprendre le métier n'existe-t-il pas, au point de vue des principes, les mêmes motifs légitimes d'exemption de l'impôt ?

M. de Fré. - Messieurs, la conclusion de la commission est le renvoi de la pétition à M. le ministre des finances ; je viens proposer à la Chambre de la déposer au bureau des renseignements.

En effet, la pétition demande à M. le ministre des finances de violer la loi.

Il y a un principe inscrit dans la Constitution : Pas de privilège en matière d'impôts. Or, ce que les pétitionnaires demandent, c'est un privilège en matière d'impôt.

La loi de 1819 et toutes les traditions administratives font obstacle à ce que M. le ministre des finances accueille cette pétition. Or, si nous renvoyons la pétition à M. le ministre des finances, nous admettons que c'est contrairement à la loi qu'on a exigé un droit de patente des corporations religieuses faisant de la dentelle.

J'engage les honorables orateurs de la droite à ne pas laisser s'établir un privilège au profit de ces corporations religieuses.

Savez-vous que le travailleur s'émeut de ce privilège ? Savez-vous que si vous voulez que les corporations religieuses soient respectées, il faut qu'elles restent dan le droit commun !

Je défendrai toujours le droit commun ; je l'invoquerai contre vous, comme je l'ai invoqué pour vous.

Ce qui est certain, et il y a dans cette enceinte des administrateurs qui peuvent le constater, c'est que la concurrence qui est faite aux travailleurs laïques par les corporations religieuses est désastreuse ; c'est que les établissements religieux qui, à côté de leur école, ont une fabrique de dentelles, font le commerce dans des conditions excessivement favorables.

Le père de famille, fabricant de dentelles, paye d'abord patente. Il a des enfants à élever. Il a des obligations sociales qui exigent de grandes dépenses.

Mais les personnes qui font de la dentelle dans les établissements religieux, ne sont pas dans ces conditions ; elles peuvent donc lutter avec avantage contre le commerce laïque, si je puis m'exprimer ainsi.

Ainsi on vient dire au fabricant de dentelles de Bruxelles : « Dans les couvents des Flandres, nous achetons la dentelle à un prix moindre. » Et savez-vous ce qui en résulte ? C'est que pour faire la concurrence le fabricant de Bruxelles baisse son prix et que la pauvre ouvrière ne gagne plus un salaire suffisant, et devient ainsi la proie du vice, la proie de l'hôpital. Voilà ce que la diminution du salaire, par suite de la concurrence des corporations religieuses, produit à Bruxelles.

Il s'agit donc ici d'une question de justice et d'humanité. Or, si la Chambre adoptait les conclusions de la commission, elle semblerait par là abandonner les travailleurs. Il ne faut pas permettre que M. le ministre des finances puisse être invité à établir, au profit d'une certaine classe de citoyens, un privilège quelconque en matière d'impôts.

M. de Theux. - Messieurs, personne dans cette enceinte n'a demandé un privilège. En renvoyant la pétition à M. le ministre des finances, la Chambre n'indique à ce haut fonctionnaire aucune espèce de décision à prendre. On lui renvoie la pétition, pour qu'il examine les faits qui y sont exposés.

Puisque M. le ministre a ordonné une enquête, il est naturel que la pétition soit renvoyée à son département.

L'honorable membre suppose démontré, incontestable, précisément ce qui est contesté ; c'est pour cela que nous demandons que le ministre des finances examine la réclamation.

M. Wala, rapporteur. - Messieurs, je dois maintenir les conclusions prises par la commission. Elle n'a pas eu à examiner s'il s'agissait d'un principe à poser, d'une règle à établir ; elle a été uniquement saisie de réclamations s’appliquant à des faits spéciaux consignés dans la pétition. Considérant que la Chambre était incompétente pour en connaître, elle a pensé que si les faits signalés étaient de nature à amener une exemption d'impôt en faveur des réclamants, le gouvernement serait assez équitable pour faire une juste application de la loi ; que s'il ne le faisait pas, les pétitionnaires pourraient s'adresser aux autorités compétentes pour statuer.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je ne saurais attacher à l'une ou l'autre proposition qu'une même signification. J'ai donné des (page 715) explications sur le sens de la loi ; on est d'accord que le gouvernement n'a autre chose à faire que de l'exécuter. Si des particuliers croient avoir à se plaindre, ils peuvent se pourvoir devant une autorité indépendante, la députation permanente, et s'ils n'acceptent pas sa décision, leur recours est ouvert devant la cour de cassation. Le gouvernement n'a rien à faire ; quelle que soit la décision que prendra la Chambre, elle aura les mêmes effets.

M. de Fré. - D'après les explications de M. le ministre des finances, je n'insiste pas.

- Les conclusions de la commission sont adoptées. La parole est continuée à M. Wala.


M. Wala, rapporteur. - Par pétition datée de Moen, le 25 janvier 1859, le sieur Desmet réclame l'intervention de la Chambre pour obtenir le redressement et la réouverture du chemin vicinal Olief-Reystraet, situé dans la commune de Moen.

Si la suppression de ce chemin a été ordonnée, il est présumable qu'elle l'a été par l'autorité compétente dans les termes de la loi du 10 avril 1841.

En conséquence, la commission a l'honneur de vous proposer l'ordre du jour.

- Adopté.


M. Wala, rapporteur. - Par pétition datée d'Ensival, le 25 janvier 1859, des curés desservants dans la province de Liège prient la chambre d'assimiler les curés ruraux aux autres curés, ou du moins de leur accorder une augmentation de traitement.

Ils exposent qu'à raison de la cherté des denrées alimentaires, de la dépréciation de l'argent et des exigences de l'époque, leurs traitements sont devenus insuffisants ; ils ajoutent qu'ils ne sont pas en rapport avec les traitements des curés de canton.

- La commission propose le renvoi de la pétition à M. le ministre de la justice.

M. Lelièvre. - J'appuie les conclusions de la commission, parce que je pense qu'il y a quelque chose à faire en ce qui concerne le traitement de certains curés ruraux qui n'est pas proportionné aux besoins de la vie.

- Le renvoi est ordonné.


M. Wala, rapporteur. - Par pétition sans date, le sieur Cogniau, milicien de la classe de 1858, demande à être libéré du service militaire.

Le pétitionnaire prétend avoir droit à l'exemption du service comme fils pourvoyant.

C'est à l'autorité compétente qu'il doit s'adresser ; aucune pièce n'est jointe à l'appui de sa réclamation ; la Chambre n'a pas à intervenir ; elle a en conséquence l'honneur de vous proposer l'ordre du jour.

- Adopté.


M. Wala, rapporteur. - Par pétition datée de Glimes, le 26 janvier 1859, le sieur Branckaer, ancien commis des accises, réclame l'intervention de la Chambre pour obtenir une indemnité à raison de ses années de service, et de ce qu'il a versé à la caisse de pension sans avantage pour lui.

Aucune pièce n'est annexée à la pétition, rien ne justifie que la réclamation soit fondée à aucun titre, la commission a, en conséquence, l'honneur de vous proposer l'ordre du jour.

- Ces conclusions sont adoptées.

La séance est levée à 5 heures.