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Chambres des représentants de Belgique
Séance du samedi 20 août 1859

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1859 extraordinaire)

(page 179) (Présidence de M. Dolez, premier vice-président.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. de Boe, secrétaire, procède à l'appel nominal à 1 1/2 heure. II donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier.

- La rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Vermeire, secrétaire, présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre.

« Des bateliers et industriels demandent que la somme de 1,750,000 francs, proposée par la section centrale pour travaux de canalisation de la Sambre en aval de Liège, soit employée en amont de Namur. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi relatif à l'exécution de divers travaux d'utilité publique.


« Des bateliers dans l'arrondissement de Dinant demandent une modification à l'article 35 de l'arrêté royal du 3 novembre 1841 concernant la police et la navigation de la Meuse. »

M. Thibaut. - J'ai lu la pétition émanant de bateliers dans l'arrondissement de Dinant. Ils demandent le retrait d'un arrêté royal de 1841 concernant la polic .de la Meuse. Ils eussent peut-être mieux fait d'adresser directement leur demande à M. le ministre des travaux publics. Quoi qu'il en soit, je me permettrai, dès maintenant, de la lui recommander et je demanderai que la pétition soit renvoyée à la commission des pétitions, avec prière d'en faire l'objet d'un prompt rapport.

- Adopté.


« La chambre de commerce et des fabriques de Tournai demande la construction, soit aux frais de l'Etat, soit par voie de concession, d'un chemin de fer direct de Tournai à Lille et d'une section d'Ath à Hal, et le creusement d'un canal de jonction de la Lys au canal de l’Yperlée. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi des travaux publics.


« La députation permanente du conseil provincial du Limbourg prie la Chambre de décréter l'abaissement des droits sur les canaux de la Campine, dans la mesure indiquée par la section centrale qui a examiné le projet de loi concernant les péages du canal de Charleroi, à moins que le gouvernement ne prenne l'engagement formel de soumettra, sans retard, une disposition dans ce sens à la sanction royale. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi portant réduction des péages sur le canal de Charleroi.

M. de Renesse. - J'appuie cette résolution.


« Le sieur Huberty prie la Chambre d'améliorer la position des commissaires de police qui remplissent les fonctions d'officiers du ministère public près les tribunaux de simple police. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Des habitants de l'arrondissement de Louvain demandent l'ajournement de la discussion du projet de loi de travaux publics jusqu'à ce que la Chambre se soit prononcée sur la validité des élections de cet arrondissement. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi.


« M. Van Overloop, retenu à l'étranger par les soins de la santé de sa dame, demande un congé. »

- Accordé.


M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Messieurs, le gouvernement a institué une commission chargée d'examiner toutes les questions relatives aux monnaies. Cette commission vient de m'adresser son rapport, qui est très important. Je le dépose, parce que ces questions seront soumises ultérieurement à la Chambre et que les considérations que fait valoir la commission sont de nature à les éclairer d'une vive lumière. L'impression traînera quelque peu en longueur, le rapport est volumineux et les annexes considérables.

M. B. Dumortier. - Quelles sont les conclusions ?

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Le maintien du système actuel.

M. le président. - Il est donné acte à M. le ministre des finances du dépôt de ce rapport.

- Plusieurs membres. - L'impression !

- L'impression est ordonnée.

Projet de loi relatif à l’exécution de certains travaux d’utilité publique

Motion d’ordre

M. B. Dumortier. - Je demande la parole pour une rectification.

Dans la séance d'avant-hier, j'ai été l'objet, de la part de M. le ministre de l'intérieur et de M. le ministre des finances, d'un démenti sir un fait que j'ai avancé.

Je n'ai point voulu, aussi longtemps que la discussion continuait, présenter les faits dans leur véritable jour ; mais aujourd'hui je demande la permission de le faire, car je ne peux pas rester sous l'accusation telle qu'elle a été présentée.

Voyons d'abord ce que porte le Moniteur.

M. le président. - Cela se rattache à la discussion ; ce n’est pas une motion d'ordre.

M B. Dumortierµ. - C'est une rectification, etil a toujours été dans les usages de permettre la rectification d'assertions erronées. Du reste, si vous voulez que j'interrompe la discussion, je le ferai ; mais je crois que, pour l'ordre même de la discussion, il est préférable que je parle maintenant.

M. le président. - Par respect pour le règlement, je dois consulter la Chambre.

M. B. Dumortier. - Cela s'est toujours fait.

M. le président. - S'il n'y a pas d'opposition, la parole vous sera continuée.

M. B. Dumortier. - Voici, messieurs, le fait que je tiens à rectifier :

Un honorable député de Liège, qui avait parlé avant moi, nous avait accusés, nous membres de la droite, d'avoir été injustes envers l'armée, il a dit que nous l'avions marchandée, que nous lui avions fait subir toutes sortes d'outrages.

Je répondis à cet honorable membre, qu'il avait tiré sur ses propres troupes en arrivant dans cette enceinte et que si l'armée avait été marchandée., ce n'était pas par la droite, mais par la gauche.

M. Koeler. — Je demande la parole.

M. B. Dumortier. — Je n'entends pas faire d'accusation directe ou indirecte ; je ne m'occupe que d'une rectification. Je disais :

« Tout à l'heure, l'honorable M. Koeler s'est élevé vivement contre les attaques dont l'armée a été autrefois l'objet dans cette enceinte. L'armée, a-t-il dit, a été traitée comme étrangère au pays ; elle a été attaquée dans cette Chambre ; on l'a marchandée ! Certes, l'honorable membre a certainement bien pris son temps pour parler de la sorte, car, en entrant dans cette enceinte et en y parlant de la sorte, il a visiblement tiré sur ses propres amis. Oui, l'armée a été marchandée ; mais qui est-ce qui est venu dire dans cette enceinte qu'il entrait dans les vues du gouvernement de réduire l'armée à 25 millions ? Qui est-ce qui disait cela alors ?

« M. le ministre des finances. - M. Brabant et vous.

« M. le ministre de l'intérieur. - Vous l'avez voté.

« M. B. Dumortier. - C'est M. Frère et M. Rogier qui sont venus nous présenter cette idée, qui sont venus proposer à la Chambre de réduire l'armée au chiffre de 25 millions.

« M. le ministre des finances. - C'est faux.

« M. B. Dumortier. - La note est imprimée, elle a été remise par votre collègue, l'honorable général Brialmont, à la Chambre. Cette pièce est imprimée dans les documents de la Chambre. Quant au vote dont ont parlé les ministres, s'il est vrai que, à la suite des 24 articles, nous ayons demandé, M. Brabant et moi, de porter le chiffre à 25 millions, remarquez que l'Europe était dans une paix profonde, et que la Belgique venait de se trouver frappée de 10 millions de dette annuelle envers la Hollande et que pour les payer il fallait ou des économies ou des impôts sur le peuple.

« M. le ministre de l'intérieur. - Cinq ans après.

« M. B. Dumortier. - Il fallait payer cette dette. (Interruption.) Eh ! mon Dieu, si je l'avais fait dans d'autres circonstances, je ne ferais pas comme vous, je conviendrais que j'ai fait une sottise. (Nouvelle interruption.)

« Mais vous êtes venus, vous étant ministres, après la proclamation de la république en France, après l'invasion de Risquons-Tous, cette époque menaçante dont l'honorable M. Koeler vient de parler, proposer de réduire l'armée au chiffre de 25 millions de francs.

« MM. les ministres des finances et de l'intérieur. - C'est faux !

« M. Dumortier. - C'est parfaitement exact

« M. le ministre de l’intérieur. - C'est faux.

« M. B. Dumortier. - Vous avez beau dire : C'est faux... C'est acté dans les pièces.

« M. le ministre des finances. - C'est faux. Cela n'est acté nulle part. »

Messieurs, il y a là contre moi deux accusations : la première c'est qu'en 1841 j'aurais proposé de réduire l'armée à 25 millions de francs avec mon honorable ami M. Brabant.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - En 1843.

M. B. Dumortier. - En 1843, cela m'est égal.

La seconde, c'est que j'aurais énoncé un fait faux en déclarant que les ministres de cette époque avaient proposé de réduire l'armée à 25 millions de francs.

Quant au premier fait qui me concerne, il est complétement inexact. Voici, et je n'aurai pas une seule phrase à ajouter, ce que je disais à ‘page 180) la Chambre dans la séance du 3 avril 1843, celle à laquelle évidemment M. le ministre de l'intérieur vient encore de faire allusion. Je disais au contraire à la Chambre, le Moniteur en fait foi : « Je ne pense pas, quant à moi, que 25 millions de francs puissent suffire sur le pied de paix. Mais je crois aussi que les chiffres de M. le ministre de la guerre sont exagérés. »

Vous le voyez donc, loin d'avoir proposé, comme on me l'a imputeé de réduire à 25 millions le chiffre de l'armée, j'ai déclaré ce chiffre insuffisant.

Il est bien vrai que l'année suivante la Chambre a adopté un chiffre fictif pour l'armée ; mais pourquoi ? M. le ministre le sait aussi bien que nous : c'est parce que nous voulions une loi organique de l'armée qui était exigé par la Constitution. Ce vote était inséparable de la condition que nous y mettions ; nous voulions avoir cette loi ; et nous voulions forcer le ministère à la présenter. Mais il reste démontré que l'accusation de MM. les ministres contre moi est complétement inexacte. Car je ne me servirai pas des expressions qu'on a employées contre moi et que je trouve complétement contraires aux usages parlementaires et aux usages de toute bonne société.

Vient l'autre accusation.

Est-il vrai, oui ou non, que j'aie dit un fait faux à la Chambre, en déclarant que les ministres encore aujourd'hui au pouvoir avaient voulu réduire le budget de l'armée à 25 millions ? Voyons.

En janvier 1850, nous discutions le budget ; une grande partie de l'opinion libérale était opposée à l'élévation du budget et voulait le rappeler à un chiffre très bas. Il y avait même dans cette Chambre d'honorables membres, que je respecte profondément, qui voulaient des réductions impossibles sur le budget de la guerre ; d'honorables membres que j'ai toujours estimés et aimés, et qui même ne voulaient plus avoir d'armée, qui disaient qu’il fallait seulement avoir quelques régiments de gendarmes. Je ne prétends pas discuter cette opinion. J'explique simplement les faits.

Le budget était donc fortement contesté par une forte fraction du parti libéral. C’est dans ces circonstances que l'honorable M. Rogier, dans la séance du 18 janvier 1850, voyant que ses amis l’abandonnaient, s'est tourné vers la droite et lui a dit : « Nous acceptons avec reconnaissance toutes les voix qui viendront défendre l'armée avec nous ; » et nous avons tous, nous conservateurs, voté avec l'honorable M. Rogier, pour faire passer le budget. Ceux d'entre vous qui étaient dans la Chambre alors se le rappelleront.

Mais il paraît que la gauche n'a pas été satisfaite de voir que le ministère avait demandé l'appui de la droite pour faire passer le budget de l'armée. C'est alors qu'un système nouveau est intervenu, celui auquel j'ai fait allusion dans la séance d'avant-hier.

Comment les choses se sont-elles passées ? vous les trouvez parfaitement exposées au Moniteur. L'honorable M. Rogier a adressé, le 9 août 1850, à l'honorable général Brialmont, ministre de la guerre, une lettre dans laquelle se trouve ce passage :

« Les hommes les plus considérables de la Chambre que nous avons consultes ont été d'avis qu'au moyen d'une réduction relativement minime et successive, on obtiendrait sur cette question une majorité très unie et pour longtemps immuable. Il ne s'agirait pour cela que d'arrivé au chiffre de 25 millions, en réduisant de 450,000 fr. par année le chiffre du budget, soit 1,300,000 fr. en trois ans. »

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Après.

M. B. Dumortier. - Je lirai tout, si vous le voulez.

« Il est bien entendu, qu'en cas d'événement grave, soit à l'intérieur, tà l'extérieur, le cabinet n'hésitera pas à faire toutes les dépenses extraordinaires que nécessitent les circonstances. »

A cet égard, nous sommes parfaitement d'accord. Mais vous demandiez à l'honorable général Brialmont, qui entrait alors en fonctions en remplacement de l’honorable général Chazal, de réduire le budget de l'armée à 25 millions de francs, ou je ne comprends plus le français ; vous demandiez ce chiffre comme budget normal.

Maintenant le budget de 1531 fut présenté, et nous trouvons dans les documents parlementaires la lettre suivante adressée par l'honorable général ministre de la guerre, ou plutôt par le cabinet, sur l'objet qui m'occupe. Cette lettre n'est pas datée mais elle doit être de la fin de décembre 1850, puisque le rappel est du 17 décembre 1850.

« M. le président, les vues du cabinet sont, ainsi que j'ai eu l'honneur de le dire à la section centrale, d'arriver à ramener le budget normal de l'aimée sur le pied de paix au chiffre de 25,000,000 de fr. et d'atteindre ce chiffre par des réductions successives réparties sur un espace de trois ans. »

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Est-ce possible ou n'est-ce n'est-ce pas possible ? On soumettra la question à une commission.

M. B. Dumortier. - L'honorable général Brialmont était disposé à faire tous ses efforts pour entrer dans les vues du cabinet ; mais il se réservait toujours la possibilité de se retirer si l'on n'y parvenait pas, et il s'est retiré pour ne pas y être parvenu.

Maintenant voyons ce qui se passa dans cette Chambre lors de la discussion, et c'est ici que vous verrez si j'ai allégué un fait faux, comme on l'a répété deux fois dans cette Chambre, ou si j'ai dit l'exacte vérité.

Dans la séance du 17 janvier 1851, l'honorable M. Frère soutenait le chiffre de 25 millions de francs. Il ne le contestera pas, c'est à la page 479.

Et que disait-il ?

« Le cabinet s'est mis d'accord sur ce fait : il est désirable que dans un temps donné le budget (de la guerre) soit ramené à 25 millions. »

Et dans la séance du 22, il ajoutait :

« Messieurs, il y a quelque chose qu'il ne faut pas désorganiser et puisqu'on a amené la discussion sur le terrain politique, je vais m'en expliquer sans détour. Nous ne voulons pas désorganiser l'opinion qui nous a amenés au pouvoir et qui nous y soutient loyalement. Aussi longtemps que nous pourrons maintenir l'harmonie dans cette grande opinion, nous croirons avoir rendu un grand service au pays. »

Il est donc bien évident qu'on voulait réduire le budget de la guerre à 25 millions.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - On voulait examiner.

M. B. Dumortier. - On voulait réduire.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Pourquoi nommait-on une commission ?

M. B. Dumortier. - C’était pour arriver au chiffre de 25 millions.

Et pourquoi, messieurs, ce chiffre de 25 millions ? Pour avoir un vote unanime de l'opinion libérale.

Il résulte de ceci, messieurs, que ce que j'ai eu l'honneur de dire dans la séance d'hier est de la dernière exactitude, il est acte au Moniteur et dans les Documents parlementaires et je dis qu'il est inouï de voir des ministres se servir d'expressions pareilles contre des membres de la Chambre.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je demande pardon à la Chambre de prendre la parole pour répondre à des récriminations hors de saison ; mais la parole ayant été accordée à l'honorable M. Dumortier, la Chambre voudra bien me permettre de lui répondre.

Nous aurions, messieurs, fort à faire s'il nous fallait entamer des discussions sur le degré d'exactitude des discours ordinaires de M. Dumortier ; sous ce rapport, la réputation de l'honorable membre est parfaitement établie dans cette enceinte...

M. B. Dumortier. - Je ne vous reconnais pas le droit de m'adresser un semblable langage. C'est intolérable !

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je maintiens, quant à moi, le démenti que je devais à l'honorable M. Dumortier et que je lui ai donné. Il est faux que le gouvernement ait proposé à la Chambre de réduire le chiffre du budget de la guerre à 25 millions.

Qu'avons-nous fait ? Nous avons soutenu contre l'honorable M. Dumortier et ses amis en 1843, sous l'honorable général de Liem, nous avons soutenu le budget de la guerre au chiffre de 27 à 28 millions ; nous l'avons soutenu alors que M. Dumortier et ses amis votaient contre le budget et renversaient M. le général de Liem. Voilà la vérité.

Plus tard, nous avons continué à soutenir l'armée en toute circonstance ; nous l'avons soutenue, dans le cabinet de 1847, avec l'honorable général Chazal ; le budget était alors de 26 à 27 millions.

Il s'était formé dans les rangs de la gauche une opinion qui avait de l'écho dans les rangs de la droite, une opinion qui ne demandait pas directement une réduction de l'armée, mais qui demandait qu'on examinât toutes les questions relatives à l'armée, la question de savoir s'il était possible d'arriver à la réduction du budget de la guerre. Le ministère a accepté cette position ; il a consenti à la nomination d'une commission.

Cette commission a été nommée. Mais il est faux que le ministère ait proposé à la Chambre de réduire le budget de la guerre à 25 millions ; le ministère a dit à la commission : « On nous a demandé à quelle somme on pourrait réduire le budget de la guerre ; examinez si l'on pourrait réduire le budget à 25 millions par des diminutions successives, sans porter atteinte à la force de l'armée. »

Voilà dans quels termes la question a été posée à la commission. La commission a délibéré ; elle a proposé un chiffre beaucoup plus considérable. Depuis lors, le ministère de cette époque et la gauche presque tout entière ont-ils fait opposition au chiffre qui a été admis par la commission ? Nullement. Nous avons, avant comme après, voté tous les budgets de la guerre ; nous avons été suivis dans cette voie par la plupart de nos amis politiques.

Il est pénible d'avoir à revenir constamment sur ces questions ; nous croyions qu'elles avaient été complétement épuisées dans les années qui ont suivi la retraite du ministère de 1847 ; nous pensions que nous n'avions plus à revenir sur ces faussetés qui nous ont été si souvent imputées et qui ont été relevées comme elles devaient l'être.

Messieurs, puisque j'ai la parole, je demande à rentrer pour un moment dans la question générale.

L'honorable membre, ainsi que plusieurs de ses honorables amis, se sont, depuis quelques années, postérieurement à 1843, drapés volontiers en protecteurs exclusifs de l'armée ; ils ont répété sur tous les tous que l'opinion libérale était hostile à l'année, que l’armée n'avait qu'un soutien : celui de l'opinion se disant conservatrice.

L'armée a su et saura bientôt à quoi s'en tenir sous ce rapport aux sentiments vrais des deux partis.

(page 181) Aujourd'hui ce grand intérêt qu'on porte à l'armée, à la défense nationale, ce mot d'honneur national qu'on a fait tant de fois retentir dans cette enceinte, est-ce qu'il ne résonne plus au fond de vos cœurs ? Est-ce que la défense nationale n'a pas pour vous le même attrait sous un ministère libéral que sous un ministère de votre opinion ?

Qu'est-ce à dire, messieurs ? Il y a deux ans à peine, un ministère de la droite vint présenter le même projet que nous avons reproduit l'année dernière, un projet qui avait pour but la défense du pays. Ce projet reçut un accueil favorable dans les sections.il demandait au pays 20 millions pour les forts détachés et pour la construction d'une enceinte partielle au nord d'Anvers.

Le projet était grand, il avait une signification, il avait un but. Eh bien, s'est-on livré contre ce projet, que le nôtre reproduit et complète, s'est-on livré contre ce projet aux attaques, aux insinuations, aux appels provocateurs dont nous avons eu la douleur d'entendre l'honorable M. Dumortier, le patriote, se porter ici l'organe dans la séance d'avant-hier où- je lui ai dit, pour conclusion de son discours : Vous auriez mieux fait de ne rien dire ?

M. B. Dumortier. - Je demande la parole. (Interruption.)

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Oui, j'ai entendu avec douleur, j'ai entendu, la rougeur au front, plusieurs passages de votre déplorable discours.

Alors, messieurs, on n'avait garde de faire des appels à l'étranger (bruyante interruption), de faire des appels à l'étranger, de chercher à éveiller les susceptibilités des gouvernements étrangers ; on n'allait pas jusqu'à menacer le pays de l'occupation étrangère, ainsi que l’a fait le patriote M. Dumortier dans son déplorable discours d'avant-hier.

Pour nous, messieurs, oh ! pour les libéraux, c'est autre chose ; quand ils apportent le même système, le même projet, ils sont coupables de tous les crimes. Notre projet est un projet antinational plein de dangers, hostile à la France, imposé par l'Angleterre. Voilà le thème.

J'invoque le témoignage de nos honorables prédécesseurs et j'espère que je ne l'invoquerai pas en vain. J'invoque le témoignage du loyal M. de Decker. J'invoque celui des autres collègues qui peuvent être présents dans cette enceinte, ou qui pourraient parler ailleurs si cela leur convient. Lorsqu'ils se sont déterminés à présenter le projet de loi qui avait pour but l'établissement d'un camp retranché composé de forts séparés et l'établissement d'une première enceinte au nord d'Anvers, qui pouvait se concilier avec l'agrandissement général de la ville, je leur demande à quel sentiment ils ont obéi. Ont-ils obéi à un autre sentiment qu'au sentiment de leurs devoirs de ministres, au sentiment national qui doit uniquement et exclusivement diriger la politique d'un cabinet belge ? Ont-ils obéi aux sollicitations de l'Angleterre, oui ou non ? Ont-ils reçu des avis, des observations quelconques de ta part d'un gouvernement étranger quelconque ? Qu'ils répondent. Je fais appel à leur loyauté.

M. de Decker. - Personne ne vous a jamais reproché cela.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Comment ! mais c'est ce que l'honorable M. Dumortier nous reprochait encore avant-hier.

M. B. Dumortier. - Si je me servais de votre langage, je dirais que c'est faux.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - J'en appelle aux souvenirs de toute la Chambre. (Interruption.)

Voilà, messieurs, la position qui nous est faite. Présenté par un ministère catholique, le projet de fortifications d'Anvers est national, irréprochable ; proposé par un ministère libéral, le projet devient antinational, une menace remplie de dangers ; et ceux-là mêmes qui, sous le ministère de l'honorable M. de Decker auraient voté des deux mains le même projet vont peut-être repousser avec la même énergie nos propositions.

C'eût été pour le ministère de l'honorable M. de Decker un titre de gloire, nous nous y serions associés, et probablement ses amis politiques, qui l'ont abandonné dans d'autres circonstances, auraient été, eux aussi, heureux de s'associer à lui pour faire triompher ce grand projet et adoucir un peu, de la sorte, les amertumes qu'ils lui ont fait de temps en temps dévorer.

On est, dit-on, partisan exclusif, car il ne nous est pas permis à nous de protéger et d'aimer l'armée, on est partisan, protecteur exclusif de l'armée, et lorsqu'on vient vous demander une mesuré jugée indispensable par toutes les autorités, comme un élément essentiel de notre défense militaire et de notre organisation militaire, oh ! alors cette armée, dont on se pose comme le protecteur exclusif ; cette armée, on n'en tient plus aucun compte. Qu'il y ait, aujourd'hui que notre système de fortification est ébranlé, affaibli, qu'il y ait une attaque sur la frontière, que nous importe, dites-vous ?

L'armée se défendra comme elle pourra ;1 elle sera repoussée peut-être par des forces dix fois supérieures au-delà de la frontière, mais qu'importe ! Nous nous serons donné la haute jouissance de faire subir à un cabinet libéral un échec sur une question de défense nationale.

Si vous voulez sincèrement, sérieusement défendre l'intérêt de l'armée, être de véritables protecteurs, non pas en vaines paroles mais en actes solides et sérieux, votez le complément des moyens défensifs du pays. C'est par là, bien mieux que par da grandi discours, que vous lui prouverez votre intérêt.

Et qu'est-ce, en effet, messieurs, qu'une armée sans forteresse ? C'est absolument comme une forteresse sans armée. Ce sont deux éléments qui se lient invinciblement ; et repousser le renforcement de nos forteresses en même temps que vous proclamez la nécessité d'une armée forte, c'est soutenir un système plein d'inconséquences et de contradictions.

Nous l'avons dit, M. le ministre de la guerre l'a démontré et permettez-moi de revenir un instant encore sur ce point…

M. le président. - Il me semble, M. le ministre, que ceci s'éloigne de l'incident.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Permettez-moi de conserver la parole ; je suis dan- la question, elle est importante...

M. le président. - Si la Chambre croit devoir laisser parler M. le ministre, je n'insisterai pas.

- Voix nombreuses. - Oui ! oui !

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Messieurs, je disais que M. le ministre de la guerre avait parfaitement établi que la plupart de nos fortifications, par suite des progrès du commerce, de l'industrie et de l'agriculture, par suite des progrès de la population, du grand nombre de voies de communication de toute espèce, chemins de fer, routes provinciales ou vicinales, ponts, canaux, que le système de nos fortifications avait perdu aujourd'hui presque toute sa valeur défensive, que plusieurs de nos fortifications, loin d'être un préservatif pour le pays, étaient devenues un danger. Cela, je pense, n'a été et ne sera contesté par personne.

En ce qui concerne les fortifications d'Anvers proprement dites, c’est là surtout que s'exercent ces ravages, si je puis me servir de cette expression, produits par l'expansion même de la richesse publique, c'est autour d'Anvers que croissent chaque jour irrésistiblement toutes ces constructions, qui viennent apporter d'heure en heure un affaiblissement nouveau à la forteresse. S'il n'en était pas ainsi, messieurs, il est douteux qu'on eût songé à étendre les fortifications d'Anvers : mais avant ces constructions, Anvers était une des places les plus fortes de l'Europe, une place dans laquelle le gouvernement, la Chambre, l'armée auraient trouvé un refuge suffisant.

Mais c'est précisément depuis que, par l'accroissement de la population, par suite de la multiplicité des constructions, cette forteresse a perdu beaucoup de sa force et doit en perdre encore de jour en jour, que la pensée est venue de rendre à la forteresse d’Anvers la force qui lui échappe de jour en jour.

Si vous ne voulez pas porter remède à la situation de votre système défensif en ce qui concerne les fortifications, eh bien, je vous le dis sans détour, et cette opinion, je ne suis pas seul à la professer, renoncez à entretenir d'autre part votre armée sur le pied actuel.

Sans fortification votre armée ne présente qu'une force incomplète, qu'une force insuffisante, n'ayant plus de confiance en elle-même.

C'est donc à ceux qui se posent comme les partisans exclusifs de l'armée que je m'adresse particulièrement pour leur dire : Ne laissez pas le pays s'affaiblir davantage dans ses fortifications. Car du jour où ces fortifications seront devenues impuissantes, inutiles, votre armée sera frappée en même coup.

M. B. Dumortier. - Messieurs, vous savez qu'il est un vieil axiome très répandu qui porte que tout mauvais cas est niable. C'est à cela que je dois attribuer les démentis réitérés de M. le ministre de l'intérieur. Lorsque des pièces sont imprimées dans les Documents parlementaires, venir, en présence de cette même Chambre qui les a reçus, en nier l'existence, arguer de faux celui qui les cite, en vérité, qu'est-ce que cela prouve ? Cela prouve jusqu'à la dernière évidence que plus que jamais tout est permis à certains hommes et que pour eux tout mauvais cas est niable.

Que dit la note ministérielle annexée au n°38 des documents de la Chambre pour la session de 1850 à 1851 ? « Les vœux du cabinet sont, ainsi que j'ai eu l’honneur de le dire à la section centrale ; d arriver à ramener le budget normal de l'armée sur le pied de paix à 25 millions de francs. » Et l'on vient dire que cela est faux ! Mais voilà les pièces imprimées dans les documents de la Chambre. Vous osez dire que le fait est faux ! Qui donc est le faussaire ? Mais le faussaire, c'est donc le président de la Chambre à cette époque, c'est le rapporteur de la Chambre de cette époque, c'est le ministre qui a signé cette pièce. Voilà les pièces, et l'on nous dit que ces pièces sont fausses, puisque en les invoquant on ose m'accuser d'avoir dit une fausseté.

Je ne m'arrêterai pas davantage sur ce point. Je laisserai à l’indignation de chacun de vous le soin d'apprécier ce que valent de pareils démentis. Il faut que l'esprit de parti soit poussé bien loin pour qu'on ne voie pas clair en présence de pareils faits.

M. le ministre de l'intérieur a-t-il oublié que dans cette même discussion l’honorable M. de Theux s'est levé et a dit : Il vaut mieux se séparer que de s'égarer. C’est sur cette même question que l'honorable M. Devaux a lancé ces mots : Il vaut mieux se séparer que de s'égarer.

Messieurs, à ce propos, l’honorable ministre me prête des paroles on ne peut pas plus outrageantes, ii vient dire que je me serais fait l'organe d'appels provocateurs, que je me serais fait l'organe d'appels à l'étranger, que j'aurais menacé le pays de l'occupation étrangère ! Et (page 182) c'est un ministre du Roi qui vient, dans l'assemblée de la nation, prononcer de pareilles accusations, des accusations aussi capitales contre un homme qui a défendu le pays peut-être avant lui, dès 1825, mais toujours aussi longtemps que lui ! Faire des appels à l'étranger ! Oui, j'ai vu faire des appels à l'étranger, mais jamais ils ne sont partis de nos rangs. J'ai vu des hommes pactiser avec l'étranger, mais jamais un seul de ces hommes ne s'est trouvé parmi nous. J'ai vu des hommes conspirer pour ramener l'étranger, mais pas un seul ne se trouve dans nos rangs. Toujours les membres de la droite ont donné l'exemple du patriotisme, ont donné l'exemple de l'amour de la patrie ; et ce sont ces hommes que vous venez accuser ici de la manière la plus odieuse, de la manière la plus scandaleuse, que vous venez accuser de faire des appels à l'étranger, de conspirer contre la patrie ? Honte ! honte è de tels accusateurs !

Des appels à l'étranger ! Quoi ! il ne sera plus permis à un homme politique de venir indiquer l'imprudence d'une mesure qui compromet la nationalité et l'avenir du pays, de venir montrer qu'on crée un danger pour la patrie, sans être accusé de faire un appel à l'étranger ! Mais que devient donc le gouvernement constitutionnel, que devient la liberté parlementaire, que devient la liberté de la tribune ?

Mais s'il n'est plus permis à un patriote qui voit un danger pour son pays de venir le signaler à cette Chambre, fermez donc les portes de cette enceinte et proclamez le despotisme ; mieux vaut le despotisme d'un seul que le despotisme d'un pareil ministère.

Mais, messieurs, c'est une comédie nouvelle que l'on joue devant vous, et pourquoi ? Pour jeter du discrédit sur ce grand parti conservateur, que vous voulez éliminer de cette enceinte, que l'on veut détruire pour pouvoir régner sur ses ruines ; pour traîner dans la boue ce grand parti national ; comme vous voulez le traîner dans la boue par l'enquête de Louvain. Voilà votre but ! Eh bien, le pays est entre vous et nous. Il jugera qui d'entre nous a défendu le sentiment national dans cette circonstance.

Comment ! vous venez prétendre que nous abandonnons la cause de la patrie ! et pourquoi ? parce que nous ne voulons pas que nos soldats abandonnent le sol de la patrie, parce que nous ne voulons pas qu'un point extrême du pays devienne le refuge de notre armée, et cela parce que nous ne voulons pas livrer quatre millions et demi de nos concitoyens à toutes les vengeances, à toutes les rigueurs d’une occupation ennemie.

Et vous qui venez nous proposer en fait l'abandon du sol de la patrie, pour justifier votre conduite, vous venez nous accuser du plus grand des crimes, celui d'abandonner la cause de la patrie, de conspirer contre elle, de faire appel à l'étranger !

Messieurs, j'ai vu dans certaines circonstances des hommes voter pour l'abandon d'une partie de leur pays, et l'honorable M. Rogier était de ce nombre ; en 1839 il a voté l'abandon de nos frères du Limbourg et du Luxembourg. Eh bien, aujourd'hui ce qu'il nous propose, c'est de faire voter l'abandon du pays entier excepté Anvers ! Mon cœur est trop grand et trop ami de son pays pour jamais consentir à un rôle aussi honteux.

Discussion des articles

Article premier, paragraphe premier

M. le président. - Nous reprenons l'ordre du jour, qui appelle la discussion sur les articles du projet de loi relatif à l'exécution de divers travaux publics.

L’article premier est ainsi conçu :

« Art. 1er. Il est accordé au gouvernement, pour l'exécution des travaux ci-après désignés, les crédits suivants :

« Au ministère de la guerre.

« Pour travaux d'agrandissement de la ville d'Anvers et pour la continuation des travaux de défense, vingt millions de francs, (fr. 20,000,000). »

La parole est à M. de Naeyer, inscrit pour.

M. de Naeyer. - Messieurs, on a dit et répété avec raison que le projet de fortification d'Anvers est une des questions les plus importantes et les plus graves qui puissent être soumises à nos délibérations. Et en effet, cette question se lie intimement à notre indépendance nationale qui est notre bien politique suprême, parce qu'il renferme tous les autres. Ce caractère de la loi explique naturellement les paroles éloquentes et patriotiques qui ont retenti dans cette enceinte et qui ont dû trouver dans tous les cœurs de légitimes et vives sympathies.

Cependant, j'éprouve le besoin de le dire, à la rigueur ces paroles étaient de magnifiques hors-d'œuvre, parce que tous tant que nous sommes, qui siégeons dans cette enceinte, nous portons un égal amour et un même dévouement à la Belgique libre et indépendante ; parce que personne ne pourrait élever ici la prétention de donner à ses collègues des leçons de patriotisme, parce qu'il serait souverainement injuste, souverainement odieux, souverainement antinational, de vouloir faire du voie sur cette loi une espèce de thermomètre marquant le degré de dévouement à la patrie dont chacun de nous est animé.

C'est là, messieurs, une mauvaise machine de guerre qu'il faut abandonner à certains organes de la presse qui au moins ont le mérite de l'invention.

Messieurs, nous remarquons dans cette circonstance une confusion d'idées qui a lieu très souvent dans nos discussions. Nous avons à délibérer sur des mesures destinées à atteindre un grand but, un but reconnu et proclamé excellent par tout le monde ; car ce but, c'est la conservation de notre vie comme nation indépendante.

Eh bien, que voyons-nous ? Nous voyons que d'honorables collègues entrent dans d'assez grands développements pour faire ressortir l'excellence du but qui n'est contestée par personne, et perdent aussi de vue qu'il s'agit uniquement cl exclusivement de discuter la bonté, l'efficacité, la valeur des moyens qu'où nous propose pour atteindre le but que nous poursuivons tous avec la même ardeur.

Messieurs, permettez-moi de vous le dire, c'est cette confusion parfaitement illogique du but et des moyens qui amène toutes ces malheurs et ces récriminations, tous ces déplorables et injustes soupçons qui devraient être bannis à tout jamais de cette enceinte, car nous avons été envoyés ici pour traiter les grands intérêts du pays et non pas pour nous injurier mutuellement.

Messieurs, en examinant le projet de loi, je me suis efforcé de faire abstraction complète de deux choses : d'abord de son impopularité ; ensuite de toutes les influences anomales et hétérogènes qui ont été mises à son service et que je désapprouve.

Messieurs, le projet est impopulaire aux yeux d'un grand nombre de nos concitoyens ; c'est un fait malheureusement constant. On peut le nier sans doute comme on peut nier l'évidence ; eh bien, ceci fait ressortir d'une manière plus claire encore la vérité de la distinction que j'établissais tout à l'heure, car enfin il y a du patriotisme en Belgique ; il y en a tout autant que dans aucun pays du monde. Nous savons e 'nous pouvons affirmer de science certaine que nos concitoyens comprennent aussi bien que nous que la calamité la plus effroyable qui pût nous affliger, ce serait la perte de notre indépendance, Ce serait la domination exécrable de l'étranger quel qu'il soit.

Pourquoi donc y a-t-il de l'hésitation ? Messieurs, il y a de l'hésitation, soyons de bonne foi, parce qu'on n'est pas complétement rassuré sur l'efficacité du système qu'on nous propose. Il y a de l'hésitation, parce que plusieurs considèrent ceci comme une espèce d'arme à deux tranchants pouvant nous être utile, mais pouvant aussi dans certaines circonstances nous faire beaucoup de mal. C'est une appréhension qui est dans beaucoup d'esprits ; je la constate, sans la partager entièrement.

Messieurs, l'opinion publique, il est inutile de vous le dire, est un fait grave dont il faut savoir tenir compte. C'est pour ce motif que j'ai appuyé hier l'ajournement ; non pas pour que le gouvernement nous fît de nouvelles propositions, mais pour que les propositions qui nous sont soumises, fussent approfondies, fussent étudiées, fussent mûries, fussent mieux comprises par l'opinion publique.

Messieurs, s'il faut tenir compte de l'opinion publique, il y a aussi une circonstance importante qu'il ne faut pas perdre de vue.

L'appréciation du mérite intrinsèque du projet exige évidemment des connaissances spéciales qui font malheureusement défaut à beaucoup d'entre nous, peut-être à tous. Je parle des membres de la représentation nationale.

Or, le public en général qui juge sévèrement le projet de loi, se trouve dans la même position que nous ; il est également dépourvu de connaissances spéciales, tandis que personne ne contestera la parfaite compétence de l'auteur du projet qui le défend ici avec une chaleureuse conviction et qui en assume toute la responsabilité devant le pays. Je vous avoue que cette circonstance exerce une grande influence sur mon esprit, et il m'est impossible de considérer l'impopularité dont je parlais comme une fin de non-recevoir, qui nous dispenserait d'examiner le projet et même de l'adopter si, après mûr examen, nous le croyons utile.

L'année dernière, messieurs, on nous demandait 20 millions pour les fortifications d'Anvers. Je n'ai pas hésité un instant à repousser le projet qu'on nous présentait alors.

Cette année on nous demande 50 millions, et, déduction faite de la valeur des terrains, 40 millions. Et cependant je suis assez disposé à voter le projet.

Est-ce, messieurs, parce qu'on nous demande 20 millions de plus ? Je crois que je n'ai jamais posé aucun acte qui puisse me valoir le reproche d'être prodigue à ce point des deniers publics. Non, mais c'est, parce que, quoique coûtant beaucoup plus cher, je trouve ce qu'on nous propose aujourd'hui meilleur ou dans tous les cas moins mauvais que ce qu'on nous proposait l'an dernier. En un mot, dans les propositions de l'année dernière il m'était impossible de voir autre chose qu'un détestable provisoire manquant de franchise et de valeur réelle, tandis qu'aujourd'hui au moins on nous présente un projet complet et définitif et que nous pouvons savoir enfin à quoi nous en tenir.

Messieurs, je me suis escrimé ici très souvent pour obtenir des économies de 2, 3, 4, ou 5,000 fr., parce que la dépense qu'on nous proposait ne me paraissait pas suffisamment justifiée. Je n'entends aucunement renier ces antécédents, en proclamant aujourd'hui très haut que quand il s'agit de dépenses relatives à notre établissement militaire, c'est-à-dire à la garantie de notre indépendance, la question financière devient secondaire.

Pour les dépenses ordinaires, je me demande avant tout s’il ne vaudrait pas mieux laisser l'argent dans la poche des contribuables qui (page 183) sont incontestablement les grands, les vrais artisans de la prospérité publique, et dont le travail, je suis fâché de le dire pour les partisans de certain système de providence gouvernementale, mais dont le travail est toujours plus fécond que celui de la machine administrative, s'immisçant pédantesquement dans le domaine de l'activité privée.

Quand il s'agit de la défense du pays, messieurs, toutes ces considérations disparaissent. Alors l'utile se confond avec le nécessaire, et l'utilité une fois reconnue, il n'y a plus d'autres limites que le possible, car il s'agit là d'une question de vie et de mort. Quand un pays a pris rang parmi les nations, il faut qu'il soit décidé fermement à supporter tous les sacrifices possibles pour conserver cette position.

Or, la charge qu'on nous propose est lourde sans doute, mais je ne la trouve pas écrasante ; je crois que nous pouvons dire avec un juste orgueil qu'elle n'excède pas les forces du pays.

Et voilà pourquoi je la voterai du moment que j'ai la conviction de son utilité.

Messieurs, je comprends parfaitement le regret plein d'amertume exprimé par plusieurs honorables collègues lorsqu'ils constatent que les dépenses de la guerre absorbent le plus clair de nos revenus, 30 ou 40 millions par an. C'est là une chose fâcheuse, triste même ; mais enfin, il y a dans la vie publique, comme dans la vie privée, il y a de dures nécessités auxquelles il faut savoir se soumettre, sous peine d'endurer des malheurs encore plus affreux.

Permettez-moi une comparaison un peu vulgaire, mais que je considère comme concluante sous plusieurs rapports. Dites-moi, s'il vous plaît, à quoi dans la plupart des familles sont employées les ressources les plus précieuses, les ressources acquises au prix des sacrifices les plus pénibles ? Eh bien, n'est-ce pas à pourvoir aux besoins, aux nécessités impérieuses de la vie matérielle ? C'est à-dire, messieurs, pour faire face à une véritable guerre, à une guerre de destruction qui nous est livrée sans relâche par une foule d'éléments qui conspirent contre nous et qui ne respectent ni notre inviolabilité, ni même notre neutralité.

Il est évident qu'il serait beaucoup plus agréable, beaucoup plus grand, beaucoup plus digne de l'homme de pouvoir consacrer ses ressources à la partie la plus élevée de son être, à la culture de son esprit, aux nobles, aux sublimes jouissances de l'âme. Et cependant, messieurs, malheur à celui qui méconnaîtrait ici les cruelles nécessités de la guerre, car il est évident que bientôt son individualité serait effacée de la carte des vivants.

Messieurs, il est possible que cet aveu coûte à notre orgueil ; mais la vérité nous oblige à reconnaître que dans presque toutes les positions l'homme semble être fatalement condamné à dépenser la partie la plus précieuse de ses ressources à combattre le mal, à prévenir le mal, à se prémunir contre le mal, et ce n'est qu'un excédant assez faible que nous pouvons employer directement à réaliser le bien. Je conçois que l'on entreprenne de bonne foi de changer en quelque sorte ces destinées de l'humanité, mais je pense qu'en réalité c'est faire la guerre à l'humanité que de vouloir réformer ses destinées en mutilant les conditions de son existence. J'abandonne le terrain de ces considérations un peu philosophiques ; j'en ai dit assez pour vous faire connaître les principes qui m'ont guidé dans l'examen de la loi et qui me menaient nécessairement sur la voie d'une conclusion favorable. Cependant, messieurs, des objections, et des objections assez graves se sont présentées à mon esprit. Ainsi, je ne sais réellement pas pourquoi, éclairé par les discussions qui ont eu lieu l'année dernière, le gouvernement n'a pas, enfin, consenti à dégager cette grande question d'Anvers de tout élément hétérogène.

Il aurait dû, ce me semble, avoir franchement confiance dans notre patriotisme, sans appeler à son secours une foule d'appétits locaux. Quand je vois le gouvernement nous présenter d'une main les fortifications d'Anvers, de l'autre deux millions et demi pour la Dendre, un demi-million pour la Vesdre, un million pour le port de Blankenberghe, 200,000 francs pour les égouts de Liège, un million et demi pour la Sambre, etc., etc. ; eh bien, je le dis ouvertement, j'éprouve un sentiment très pénible, je me sens blessé dans mon patriotisme, et dans mon indépendance.

On nous a dit, messieurs, et je crois avoir lu dans le rapport de notre honorable président : « Mais ce qui s'est passé l'année dernière prouve que la marche adoptée par le gouvernement ne gêne aucunement la liberté du parlement. »

Eh bien, qu'est-ce qu'il y a eu l'année dernière ? La Chambre a rejeté les fortifications d'Auvers et immédiatement on a retiré les travaux publics. Et savez-vous quelle a été l'impression assez générale dans le pays ? C'est que ce retrait a été la punition du vote du parlement et qu'il devait servir à nous rendre désormais plus sages, plus raisonnables dans le sens ministériel. Je ne vois pas dans cet antécédent une chose qui soit de nature à nous rassurer sur notre dignité parlementaire.

Je sais, messieurs, ce qu'on fait valoir pour justifier cet amalgame monstrueux de tant de choses hétérogènes entre lesquelles il n'existe pas la moindre connexité ; on dit que tout cela repose sur une grande combinaison financière, qui est une et indivisible ; c'est une magnifique pensée qu'il faut accepter sans mutilation, sous peine d'une espèce de sacrilège. Eh bien, messieurs, savez-vous ce que j'ai vu de plus clair, dans cette grande combinaison financière ? J'y ai vu une malheureuse (page 183) tendance à méconnaître les véritables attributions de la législature. Petit à petit on nous entraîne vers un système déplorable où tout serait fait par le gouvernement, où tout serait décrété par le gouvernement, en ne nous laissant en réalité d'autre rôle que celui de voter les lois de crédit.

Messieurs, examinons un moment le texte du projet de loi, dont notre honorable président vient de donner lecture. Voici ce qu'il porte :

« Travaux d'agrandissement de la ville d'Anvers et continuation des travaux de défense, 20,000,000 de fr. »

Je crois que c'est le même texte que l(année dernière. Cependant, messieurs, vous avouerez que le système est bien différent.

Ainsi, d'après ce texte la Chambre ne décrète ni la grande enceinte ni la démolition de l'enceinte actuelle, il s'agit uniquement de travaux d'agrandissement. Mais, armé de ce texte, le gouvernement peut se contenter de faire l'agrandissement au nord ; il peut se contenter de faire toute autre chose que ce dont il est question aujourd'hui, car nous savons que le gouvernement n'est pas obligé de se conformer et que très souvent il ne se conforme pas au plan de travaux qui n'est qu'indiqué dans l’exposé des motifs et dans la discussion, sans être sanctionné par le texte même de la loi de crédit ; il aurait fallu agir plus franchement et d'une manière plus conforme aux attributions de la Chambre.

Il fallait, puisqu'il s'agissait d'une grande question qui méritait certainement les honneurs d'une loi spéciale, d'une loi de principes, il fallait laisser à la Chambre le soin de décréter dans le dispositif de la loi : 1° L'agrandissement d'Anvers au moyen d'une nouvelle enceinte fortifiée ; 2° la démolition de l'enceinte actuelle, puis la construction d'un camp retranché dans les conditions déterminées, sauf les modifications accessoires qu'on pourrait y apporter. C’est ainsi qu'on a procédé dans toutes les grandes questions ; toujours il y a eu une loi de principe et la loi de crédit venait ensuite. Si l'on avait suivi cette marche qui, d'après moi, était exigée par la dignité de la Chambre, alors tous les arguments tirés de la fameuse combinaison financière venaient à disparaître ; la combinaison financière aurait fait l'objet d'une loi subséquente, d'une loi de crédit.

Franchement, messieurs, si l'intérêt dont il s'agit était moins grave, moins national surtout, cette considération seule me ferait repousser la loi, car quand il s'agit de dignité et d'attributions, les questions de forme ont une importance prépondérante.

Messieurs, je n'ai pas besoin de parler de mon incompétence à discuter les observations présentées par l'honorable ministre de la guerre pour établir la valeur militaire du projet.

J'admets volontiers que le système de la concentration est le dernier mot de la science pour assurer la bonne défense d'un pays et surtout d'un petit pays ; l'honorable ministre nous a cité, à cet égard, les idées émises, les instructions données par Napoléon Ier ; évidemment il était impossible d'invoquer une autorité plus imposante.

Il ne suffit pas cependant que le système soit bon, il faut encore, il faut surtout qu'il soit bien et judicieusement appliqué. Si j'ai bien compris les citations faites par l'honorable ministre de la guerre, NapoléonI1er parlait de la défense d'un petit pays allié à une grande puissance. Je ne sais trop si ces citations conservent toute leur valeur quand il s'agit d'un pays neutre et ayant particulièrement à cœur de garder sa neutralité, d'un pays qui est l'ami de tout le monde, mais qui n'a et ne veut avoir aucune alliance spéciale. C'est une triple observation de ma part, que je me permets de soumettre à la haute raison de l'honorable ministre de la guerre.

Le reproche le plus grave qui ait été dirigé contre le projet, c'est d'organiser en quelque sorte l'abandon du pays par l'armée. L'honorable ministre de la guerre a repoussé et détruit ce reproche avec beaucoup de dignité, et avec une noble énergie ; cependant il convient d'examiner de plus près ce point réellement délicat de la question.

Non, jamais nous ne verrons notre brave armée aller se réfugier derrière les murs d'Anvers, du moment que l'ennemi se montrerait à la frontière pour envahir la Belgique. Jamais elle n'accepterait un rôle aussi humiliant, et si par impossible il lui était imposé, l'honneur serait plus sacre à ses yeux que la discipline. En cas d'invasion, notre territoire sera donc défendu pied à pied. C'est avec du sang que l'envahisseur violant notre indépendance devra acheter pour ainsi dire chaque pouce de terrain, j'en ai l'intime conviction. Cependant, il est une éventualité terrible qu'il serait déraisonnable de ne pas prévoir, il peut arriver qu'après des prodiges de valeur, qu'après avoir prodigué leur sang pour la défense du pays, nos soldats, cédant devant des forces supérieures, doivent chercher un refuge dans notre dernier réduit, eh bien, c'est alors que s'accomplira cette cruelle séparation qui préoccupe le pays.

Je le sais, messieurs, il faut à l'armée une base d'opération, et adoptez telle base que vous voulez, l'inquiétante perspective que je viens d'indiquer, il est impossible de l'écarter entièrement. Cependant que faudrait-il pour que, dans cette situation suprême, le pays ne se crût pas abandonné par son armée et par son gouvernement, il faudrait, ce me semble, que le gouvernement et l'armée eussent pour lieu de refuge une place qui commande le pays et je dois le reconnaître, ou a répondu assez faiblement aux observations qui ont été présentées pour prouver qu'Anvers, sous ce rapport, ne se trouve pas dans les meilleures (page 184) conditions. Ce point mérite, je pense, de fixer beaucoup l'attention de l'honorable ministre de la guerre.

Quand je songe aux terribles bouleversements que peut amener une conflagration générale en Europe, quand je pense combien un pareil événement pourra produire des résultats imprévus et en quelque sorte soudains comme la foudre, je ne suis pas entièrement rassuré sur l'avenir de mon pays, si nous ne pouvons compter absolument, pour la défense de notre nationalité que sur nos propres forces et sur les secours éventuels de l’une ou de l’autre grande puissante ; mon patriotisme me fait désirer une garantie plus puissante encore et plus rassurante pour tous les grands intérêts de notre civilisation ; cette garantie, je crois la trouver en faisant naître chez les autres nations et surtout chez les grandes puissances un intérêt réel, un intérêt incontestable, à respecter notre territoire et notre neutralité ; c'est là le résultat que j'ai principalement en vue en donnant mon vote aux propositions du gouvernement.

Messieurs, voici pour moi la question dans toute sa simplicité : en cas d'une guerre générale, si nous n'avons qu'une force militaire insufflsante, incomplète dans ses éléments constitutifs, nous serons nécessairement et immédiatement envahis, car toute confiance étant alors détruite entre les puissances belligérantes, si nous sommes reconnus trop faibles pour faire respecter notre nationalité, il est impossible que nous restions longtemps en quelque sorte à la merci de l'envahisseur plus diligent.

Mais si nous complétons notre établissement militaire, si, ayant déjà une bonne et brave armée, nous lui donnons une base d'opérations solide, douée d'une valeur réelle, il me semble que la question change, il me semble qu'alors une puissance quelconque qui serait tentée de nous envahir doit nécessairement faire les réflexions suivantes : La Belgique, qui n'occupe qu'un faible espace en Europe, est dévouée de cœur et d'âme à sa nationalité, elle possède une armée d'une valeur réelle, et cette armée est appuyée sur une place dont la prise exigerait nécessairement des sacrifices considérables d'hommes et d'argent. Si je laisse les Belges tranquilles, ils ne me feront aucun mal, mais si je viole leur neutralité, il est évident que j'aurai contre moi et leur armée et leur place forte, et que cette armée et cette place forment un point stratégique extrêmement important, seront mises au service de mes ennemis dont j'aurai fait forcément les alliés de la Belgique.

Eh bien, si la Belgique doit être envahie, il est plus prudent, il est plus sage et évidemment plus juste que je me réserve le rôle d'allié et que je laisse à mes ennemis le rôle d'envahisseur ; il n'y a rien, d'ailleurs, qui presse, puisque les Belges sont parfaitement à même de soutenir une première attaque et même de faire payer cher cette injuste violation de leur nationalité. Or, comme ce raisonnement de simple bon sens serait également vrai pour toutes les puissances, il y aurait là, ce me semble, la meilleure garantie possible pour la conservation de cette indépendance qui nous est si chère, et veuillez remarquer que l'attitude que nous prenons dans cette hypothèse ne peut évidemment offenser personne, c'est une attitude qui est purement défensive.

Cependant, je le sais, il y a une objection, et une objection assez grave. On nous dit : Anvers est un point stratégique d'une importance européenne, il est impossible qu'il reste en dehors des opérations d'une guerre générale. Anvers est une de vos plus belles gloires en temps de paix, mais en temps d'une conflagration générale, c'est nécessairement un des dangers les plus sérieux de votre position ; or, plus vous exécutez de travaux à Anvers, plus vous augmentez le danger ; au lieu d'éloigner la guerre, vous l'attirez chez vous. Il y aurait beaucoup à répondre à cette objection, je me contente de dire que l'objection tombe si, par une conduite ferme, franche, loyale et honnête, nous donnons à l'Europe l'entière conviction qu'Anvers, entre nos mains, sera toujours neutre. Or, tel est le premier devoir du gouvernement belge, et c'est ce devoir dont j'exige le scrupuleux accomplissement, en donnant mon adhésion au projet de loi.

Messieurs, je viens de vous faire connaître aussi brièvement que possible, mais loyalement et franchement, ma manière de voir sur le système qui nous est proposé. Oui, il reste certains doutes dans mon esprit, j'y ai mis beaucoup de bonne volonté et je ne suis pas parvenu à me convaincre que ce système est excellent sous tous les rapports ? Mais évidemment il y a quelque chose à faire pour compléter notre établissement militaire, il est indispensable de donner une base d'opérations solide à notre bonne et brave armée ; la démonstration de cette thèse a été faite par d'autres, d'une manière irréfragable, eh bien dans cet état de choses il y a une dernière considération qui entraîne mon vote affirmatif En matière de défense nationale, le plus détestable de tous les systèmes c'est de ne rien faire ou de délibérer éternellement quand il faut agir ; or après toutes les études qui ont été faites et renouvelées depuis tant d'années, je désespère de trouver quelque chose de plus satisfaisant que ce qu'on nous propose aujourd'hui. J'ai hâte d'ailleurs de faire cesser l'incertitude qui est, dans toute hypothèse, un mal très grave.

Un dernier mot et je termine, si les espérances que je nourris pour l'avenir de notre belle patrie venaient un jour, ce qu'à Dieu ne plaise, à être cruellement trompées, au moins j'aurai la consolation d'avoir pris pour guide l'autorité d'hommes dont la compétence est incontestable, j’aurai la consolation d’avoir agi sous l’impulsion de mon dévouement au pays.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je ne me lève point, messieurs, pour faire un discours. La Chambre n'a plus rien à apprendre sur la question qui lui est soumise, et elle témoigne assez le désir de ne point prolonger des débats qui se reproduisent ici depuis plusieurs années. Je n'aurais pas, d'ailleurs, à répondre à l'honorable M. de Naeyer, qui a exprimé, sous tant de rapports, et en si bon termes, des sentiments dont nos cœurs sont remplis.

Je demande seulement la permission de présenter deux observations.

Jusqu'à présent, je n'ai entendu que dans la bouche des adversaires du projet un mot que je viens de retrouver dans le discours de l'honorable M. de Naeyer et qui me force à parler.

L'honorable membre a exprimé le regret que le projet de loi relatif aux fortifications d'Anvers fût uni à d'autres projets de travaux publics, et il a répété après d’autres qu’il y avait là quelque chose qui portait atteinte à la dignité des membres de la Chambre.

De la part des adversaires du projet de loi, ce reproche, présente en d'autres temps et toujours dédaigné, ne m'avait jamais paru qu’une sorte de tactique, un argument plus ou moins habile. à l'usage de toutes les oppositions qui ne négligent aucune arme pour combattre les mesures que propose le gouvernement. Le moyen paraissait d'autant plus heureux en cette circonstance que non seulement il servait à l'attaque mais qu'il créait en même temps un piédestal magnifique à ceux qui avaient l'art de le bien employer.

Ils semblaient hui après l'autre, nous dire, en effet : Moi, j'ai un esprit libre et dégagé ; moi, je suis indépendant ; je ne suis soumis à aucune influence ; je ne me laisse pas séduire par l'appât des travaux publics ; je juge en conscience les projets qui nous sont présentés ; mais, autour de moi, je vois des collègues que j'estime peu (je le dis tout bas)...

M. Guilleryµ. - Je demande la parole.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - ... Et que je soupçonne fort de se laisser dominer par des intérêts locaux.

M. Guilleryµ. - Je n'ai donné à personne le droit de me prêter une pareille pensée.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je n'ai nommé personne. L'idée que je repousse a été exprimée plus d'une fois, et j'ai le droit de faire éclater aux yeux de tous ce qu'elle cache réellement. Si les adversaires d'une partie du projet de loi se font honneur de se prononcer en toute liberté sur la disposition relative à la défense du pays, sans se préoccuper des objets secondaires qui viennent à la suite, qu'ils se persuadent bien que leurs collègues, favorables au projet, ont, tout autant qu'eux, le sentiment de leur devoir, de leur responsabilité et de leur dignité. Je ne voyais donc dans cette étrange critique qu'une mauvaise machine d'opposition.

Mais quand j'ai entendu l'honorable préopinant, à la loyauté duquel je rends hommage, articuler le même grief tout en parlant du projet, il m'a paru qu'une explication était nécessaire.

Je dis que l'honorable membre n'y a point pensé ; il s'est abandonné sans réflexion à une impression fâcheuse. Et d'abord, est-ce que nous sommes venus vous annoncer, comme le dit si complaisamment l'honorable membre, une grande et magnifique conception financière, si belle et si digne de respect, que l'on ne pourrait, sans se rendre coupable d'une mauvaise action, porter atteinte à l'indivisibilité du projet ? Ce projet est-il une sorte de chose sacrée, res sacra, à laquelle il serait interdit de toucher ? Est-ce sérieusement que l'honorable M. de Naeyer a pu se complaire dans une pareille ironie ? Ensuite, qu'il veuille bien le remarquer, la plupart des objets compris dans le projet de loi de travaux publics qui sont à la suite de l'article relatif aux fortifications d'Anvers, ne sont guère susceptibles de contestation ni même de discussion. A peu d'exceptions près, ce sont des compléments de crédits pour des objets qui ont été déjà sanctionnés par la Chambre.

Quel appât, puisqu'il faut reprendre ce mot, peuvent donc offrir de tels travaux publics ? S'ils ne s'exécutent pas aujourd'hui, ils s'exécuteront demain ; ils s'exécuteront nécessairement, il en est même qui sont en voie d'exécution. Voilà la vérité.

Et puis, voyez comme ce plan machiavélique et plein d'appâts, serait profondément conçu ! comme il révélerait, sinon notre bon sens et notre pénétration, du moins notre habileté ! comme il nous mériterait, à ce point de vue, l'approbation du pays ! L'an passé, avec une dépense de 20 millions pour Anvers, nous proposions les mêmes travaux publics et l'on sait le succès que le plan a obtenu.

Le projet a échoué ; et cette année, pour augmenter l'appât, accroître nos chances de succès, pour faire en sorte que beaucoup fussent intéressés à faire triompher notre proposition principale, nous sollicitons les mêmes crédits pour les travaux publics ; nous ne tenons aucun compte de ce qui nous a été demandé, nous refusons d'accueillir les réclamations qui nous ont été adressées ; nous combattons des propositions que, dans les vues que l'on nous suppose, il nous serait sans doute facile de comprendre dans le projet de loi, au risque de rompre l'équilibre entre les dépenses et les ressources présumées, et nous présentons en même temps une dépense non plus de 20 millions, mais de (page 185) 50 millions pour les fortifications d'Anvers ! Telle serait la pitoyable invention et le triste appât dont on veut nous gratifier !

Cette seule considération n'aurait-elle pas dû démontrer à l'honorable membre que c'est uniquement pour obéir à une prescription formelle de la loi qui nous oblige à présenter les voies et moyens des dépenses que nous soumettons à la Chambre, que ce projet reparaît aujourd'hui dans son unité primitive ? Si nous avions cherché le moyen de le diviser, sans sortir des règles prescrites, on ne nous aurait pas moins accusés, je n'en doute pas, d'offrir le même appât en deux comme en un seul projet, et certes, il faudrait être bien perspicace pour y trouver quelque différence. Mais comment, après un pareil reproche venant de l'honorable M. de Naeyer, nous serait-il possible aujourd'hui de consentir à la division du projet ? Nous serait-il possible de reconnaître - et quant à moi, je ne le ferai point - que nous avons voulu porter atteinte à la dignité de la Chambre ?

M. de Naeyer. - Je n'ai pas dit que vous l'avez voulu.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Par le fait, nous aurions porté atteinte à la dignité de la Chambre en lui présentant cette combinaison. Eh bien, c'est là ce que je ne reconnaîtrai jamais.

Messieurs, si l'on s'était donné la peine de s'enquérir auprès de nous, avec quelque bienveillance, de nos intentions et de nos actes, qu'aurait-on appris ? C'est qu'au jour de la convocation des Chambres, nous avions proposé un projet portant exclusivement sur les travaux d'Anvers. D'autres crédits pour l'armée auraient été également demandés.

La situation de l'Europe était telle, que nous n'aurions pas cru possible de venir proposer à la Chambre de décréter autre chose que ces travaux et les crédits nécessaires en vue de guerre ; nous avions donc un projet comprenant uniquement l'affaire d'Anvers ; il a été rédigé et signé préalablement à la convocation. Mais lorsque la paix de Villa-franca est survenue, ce projet a tout naturellement dû être modifié et nous avons rétabli la combinaison qui avait été présentée l'an passé. Nous n'y avons pas mis plus de prétention, plus de recherche, plus de désir d'arriver à une combinaison qui pût exercer la moindre influence par le vote de l'article premier du projet de loi, et nous avons vu l'an passé, nous avons vu hier, nous verrons bientôt que ce sont, en effet, d'autres considérations et plus élevées et plus puissantes, qui déterminent le vote des représentants.

J'ai encore entendu, dans la bouche de l'honorable membre, la répétition d'une de ces assertions dans lesquelles on se complaît, et qui, partant d'ici, se répandant au-dehors, peuvent donner à l'étranger une fausse idée des sentiments du pays. Le projet, dit-on, est impopulaire ; l'opinion publique le condamne ! Mais par quel signe cette impopularité s'est-elle manifestée ? par quelle voix l'opinion publique nous a-t-elle parlé ? La presse, vous la dédaignez, vous croyez qu'elle ne reflète pas, cette fois, la pensée du pays ; et cependant, la presse libérale presque tout entière a prêché et ne cesse de prêcher en faveur du projet de loi. Est-ce la presse de l'opposition qui vous a révélé le secret de l'opinion publique ? La presse de l'opposition ! cette presse qui vous déclare que, n'était notre neutralité, elle convierait la Belgique à l'associer à ceux qui voudraient faire une descente en Angleterre, sont-ce là ceux qui vous ont révélé l'opinion du pays ?

L'opinion publique vous a-t-elle parlé par la voix efféminée de ceux qui s'en vont proclamant que toute défense est inutile, que toute résistance serait vaine, et que vos forteresses et votre armée ne sont qu'un lourd fardeau qui devrait être épargné au pays ? Est-ce là, pour vous, l'opinion publique ?

L'opinion publique vous a-t-elle parlé par la voix de ceux qui s'en vont répétant partout que votre gouvernement et votre Roi sont vendus à l'Angleterre ; qu'ils vont chercher à Londres leurs inspirations et leurs plans et jusqu'à l'argent nécessaire pour la construction de leur forteresse ?

Et je vous dis, moi, tout au contraire, que l'opinion publique flétrit du sceau de l'infamie ceux qui ne craignent pas de faire entendre à nos populations indignées de pareilles turpitudes !

L'opinion publique chacun l'interprète au gré de ses désirs. Je nie, quant à moi, l'impopularité du projet. Je nie que l'opinion publique soit contraire au projet de loi. L'opinion publique n'est pas toujours facile à discerner. Si l'on pouvait toujours aisément la saisir, les hommes publics ne courraient pas souvent le risque de s'égarer. L'opinion publique, c'est le sphinx antique qui propose une énigme à deviner à ceux qui sont chargés du difficile honneur de diriger les peuples. S'ils ne la comprennent pas, ils sont dévorés. Eh bien, nous avons compris qu'elle nous disait d'être prudents et prévoyants ; elle nous disait qu'une nation indépendante et libre doit être préparée à se défendre, et pour conclure selon ces vœux, nous vous avons soumis le système de défense qui convient au pays. C'est là pour nous ce que demande l'opinion publique ; c'est là pour nous la solution de l'énigme. Et maintenant nous attendons le sphinx.

M. Guilleryµ. - Je n'avais pas l'intention de demander de nouveau la parole, mais l'honorable ministre des finances m'y oblige en m'attribuant une pensée qui n'était pas la mienne. Il me semble que la supériorité de l'honorable M. Frère est assez grande, pour qu'il puisse ménager les adversaires dont il n'a jamais eu à se plaindre. Car je ne sache pas que, soit que j'aie tenu la plume ou que j'aie porté la parole, j'aie jamais écrit ou prononcé un mot qui fût de nature à le blesser. Or, voici ce qui se trouve dans le discours que vient de terminer M. le ministre des finances. L'honorable M. Frère prétend que lorsque j'ai émis l'opinion que vient d'émettre l'honorable M. de Naeyer, j'ai voulu me placer sur un piédestal et accuser plusieurs de mes collègues d'être capables de céder à la corruption.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je n'ai pas parlé de corruption, j'ai rappelé ce que l'on a nommé l'appât des travaux publics.

M. Guilleryµ. - Je crois avoir bien saisi le caractère de l'argument de M. le ministre des finances. On aurait exercé une pression sur plusieurs membres de la Chambre par l'appât de divers travaux, ce qui ressemble beaucoup à de la corruption. L'honorable M. Frère a dit qu'il comprenait très bien une pareille accusation dans la bouche des adversaires du projet de loi, parce que c'était de leur part une tactique. Je vous déclare, et lorsqu'on me connaîtra je n'aurai plus besoin de le déclarer, que jamais je ne ferai ici de tactique, que jamais surtout je n'emploierai pour en faire des arguments d'un ordre aussi élevé.

J'ai toujours pensé que la disjonction était une question de dignité parlementaire et je vous ai répété, en acquit du mandat que j'ai reçu, ce qui était en moi une conviction profonde, et je n'ai pas eu un instant l'intention d'adresser une injure à mes collègues. Si l'on admettait un pareil système d'interprétation, il ne nous serait plus permis d'exprimer librement notre pensée dans cette enceinte.

Un de vos honorables vice-présidents que vous avez choisi à la presque unanimité de vos suffrages, émettait la même opinion l'année dernière et voici dans quels termes :

« Il est certain qu'une pensée politique a inspiré le paragraphe premier du projet de loi, celle d'établir sur une base solide notre étal militaire pour protéger notre nationalité et nos droits ; et de devenir, en cas d'agression, les premiers défenseurs de notre neutralité et de nos libellés.

« Mais telle est l'élévation de ce but, qu'il méritait bien les honneurs d'un projet de loi séparé et d'un examen auquel ne vînt se mêler aucune préoccupation étrangère.

« Aussi, la surprise a été grande, chez la plupart des membres de cette Chambre, de voir figurer ce projet sous le paragraphe d'un article renfermant une série de travaux de toute nature. »

Voilà bien la même pensée exprimée avec infiniment de réserve et de tact.

L'opinion publique, a dit encore l'honorable ministre des finances, ne s'est pas prononcée pour la disjonction ; si elle avait vu ce que vous y voyez, elle n'aurait pas manqué de le faire ; et la preuve qu'elle n'y a rien vu de pareil, c'est que la presse libérale presque tout entière n'a cessé de prêcher en faveur du projet. Je demanderai à l'honorable M. Frère si, lorsque la presse libérale tout entière réclamait la réforme postale, il a vu dans ses réclamations un motif suffisant pour lui faire changer d'opinion. C'est notre droit, à nous députés, de venir sur tontes les questions qui vous sont soumises, vous communiquer ce que nous considérons comme l'expression de l'opinion publique. Vous venez d'entendre un honorable membre, parlant pour la loi et qui partage l'une des opinions que nous avons émises contre le projet de loi. Nous avons donc en notre faveur une attestation grave et ce qui est précieux, tout à fait impartiale et désintéressée.

C'est là, messieurs, tout ce que j'avais à dire. Je regrette cet incident, mais j'ai cru devoir faire ces quelques observations dans l'intérêt de la dignité de la Chambre.

.M. Dechamps. - La discussion générale est close, mon intention n'est pas de la rouvrir par un discours ; je demande la permission à la Chambre de lui donner, le plus brièvement que je pourrai, quelques explications sur le vote que je vais émettre.

J'ai voté hier pour l'ajournement, je voterai aujourd'hui pour le projet de loi. En émettant ces deux votes que ma conscience m’aura dictés, je ne crois manquer ni de logique, ni surtout de patriotisme.

Si j'avais hésité hier à voter l'ajournement, les paroles imprudentes prononcées par M. le ministre de la guerre, paroles que j'ai vivement regrettées et qui m'ont profondément affligé, ces paroles auraient suffi à m'y déterminer.

Je tenais à honneur, décidé que j'étais à accepter la loi, à ne pas me séparer de ceux de mes amis qui ne l'acceptent pas, et à porter avec eux l'accusation que l'on semblait faire peser sur leur patriotisme éprouvé.

Je connais trop le général Chazal, qui me permettra ici de l'appeler mon ami, j'apprécie trop non seulement son talent, mais son caractère et sa parfaite loyauté, pour ne pas être convaincu que son cœur et ses intentions avaient désavoué d'avance les paroles injustes et regrettables qu'il a laissé échapper de ses lèvres. Je suis convaincu qu'il porte aussi haut que moi-même le patriotisme des adversaires convaincus de la loi, parmi lesquels, comme il l'a du reste déclaré hier, il rencontre plusieurs de ses compagnons de 1830 et des défenseurs respectés de notre nationalité.

Mais, messieurs, si je trouve aux paroles prononcées par M. le ministre de la guerre dans la séance d'hier, une excuse dans l'impression passionnée sous laquelle il se trouvait, je n'en trouve aucune pour justifier les paroles plus blessantes encore que vient de prononcer M. le (page 186) ministre de l'intérieur, qui devrait donner l'exemple ici de la modération, du calme et de la dignité.

Le lendemain de cet incident qu'il fallait non pas renouveler mais effacer, à froid, pour ainsi dire, M. Rogier est venu renouveler cette accusation. Il est venu parler encore d'appels provocateurs, d'appels à l'étranger et il a adressé cette accusation, à qui ? A l'honorable M. Dumortier dont le patriotisme, à coup sûr, est placé en dehors de l'atteinte d'une pareille et aussi inqualifiable attaque.

Eh bien, messieurs, je vous le déclare, lorsque j'écoutais tout à l'heure M. le ministre de l'intérieur, j'ai eu la tentation de renoncer à la parole, j'ai été sur le point de prier M. le président de me rayer de la liste des orateurs. Mais j'obéis à un devoir supérieur et impérieux. En présence de pareilles accusations, pareilles injustices, je voudrais avoir deux votes à émettre ; j'en donnerais un pour le projet, pour mon pays, je déposerais l'autre contre vous. Mais comme je n'en ai qu'un, c'est à mon pays que je le donne. (Interruption.)

Messieurs, je voterai pour la loi, parce que je la crois bonne, utile, nécessaire à mon pays, parce que tous mes antécédents me le conseillent, parce que ma conviction réfléchie me le commande.

Je voterai la loi, parce que je la considère comme étant la conclusion logique, le complément nécessaire de l'œuvre militaire, de l'œuvre politique que nous avons fondée, à laquelle d'importantes majorités dans les deux Chambres de toutes les époques, ont donné leur puissante sanction.

Depuis près de vingt-cinq ans que je siège dans ce parlement, j'ai toujours défendu cette cause et cette politique, avec le ministère lorsqu’il soutenait contre le ministère, comme cela est arrivé une fois en 1851, lorsque à mes yeux il l'abandonnait.

J’ai toujours pensé, je pense aujourd'hui plus que jamais que nous avons des devoirs européens à remplir et que le premier de ces devoirs, c'est de défendre notre neutralité.

Lorsque l'Europe a proclamé notre neutralité et nous l'a confiée, croyez-vous qu’elle ait voulu nous accorder un privilège d'impuissance et de faiblesse ? Messieurs, c'est le contraire, elle nous l'a confiée comme une garantie pour elle et pour nous. Or, une garantie ce n'est pas une faiblesse, c'est une force. Il ne dépend pas de la Belgique de s'isoler en Europe, de se faire oublier, de tâcher de ne pas attirer l'attention des puissances, de se mettre à l'écart des événements et des tempêtes politiques ; messieurs, notre position géographique et politique nous le défend. Lâ Belgique est un pays stratégique, nos fleuves, l'Escaut et la Meuse, sont des fleuves stratégiques ; si nous les défendons, on nous respectera, mais si nous ne le pouvons pas, on les défendra pour nous.

Messieurs, croyez-le bien, si la Belgique est inutile au jour des conflits européens, si nous ne jouons pas en Europe le rôle important que les puissances nous ont assigné et que notre position commande, eh bien, le lendemain de ce conflit européen on nous traitera comme les choses inutiles, comme un embarras que l'on fait disparaître. Si nous sommes faibles, si nous sommes impuissants à défendre nos frontières et notre sol, on les gardera pour nous, nous serons occupés de deux, peut-être de trois côtés à la fois, et nous serons le théâtre des guerres nouvelles comme nous avons été le théâtre des guerres anciennes.

Messieurs, j'ai dit tout à l'heure que le projet de loi actuel était le complément nécessaire de l'œuvre militaire que nous avons fondée. Cela me paraît évident, à moins de nier que l'armée doit avoir une base d'opération, un pivot stratégique, un point d'appui pour se défendre, un refuge pour se retirer. Or, si l'on rejette le projet de loi, quelle est la base d'opération que vous avez la chance de voir admettre ?

On n'a pas voulu de la petite enceinte ; on rejetterait la grande enceinte. La grande enceinte d'Anvers serait donc condamnée. Nous ne voulons pas, personne ne veut conserver les anciennes forteresses. Vous voulez Bruxelles ? Je comprends l'intérêt politique qui s'attache à la défense de Bruxelles. Si Bruxelles pouvait être défendu militairement, évidemment je donnerais ma voix à tout projet qui aurait pour but de défendre la capitale, dût-on y consacrer des sommes considérables.

Mais connaissez-vous un ministre de la guerre prêt à présenter un pareil projet, en s'appuyant sur nos autorités militaires qui depuis 1847 sont presque unanimes à désigner Anvers comme le point central de la défense du pays ? Connaissez-vous une majorité probable qui voudrait voter la dépense considérable que nécessiteraient ces grands travaux ? Evidemment non.

Je vois bien ce que l'on repousse, je ne vois pas ce que l'on pourrait substituer au système proposé.

Rejeter le projet aujourd'hui, après onze années d'études et de discussion, c'est décider que l'armée n'aura pas de base solide d'opérations, c'est l'exposer à des périls certains et à une humiliation presque inévitable. Je préférerais renoncer aux dépenses que nécessite notre établissement militaire, rendu à peu près inutile.

Messieurs, j'ai défendu cette politique à toute ses époques, pendant la longue paix dont a joui le monde, lorsque la situation de l’Europe paraissait affermie, lorsque l'alliance de la France et de l’Angleterre, dont nous étions le nœud et la condition, semblait nous assurer une complète sécurité.

Messieurs, lorsque nous avons défendu cette politique, c'était précisément pour l'heure où nous sommes, pour le jour où les traités seraient niés, menacés, détruits, où l'alliance de la France et de l'Angleterre serait compromise, où les alliances anciennes seraient dissoutes, où l'Europe de 1815 serait ébranlée dans toutes ses bases, comme nous le voyons aujourd'hui.

C'est pour cette heure que nous avons adopté les lois d'organisation do l'armée en 1845 et en 1853, que nous avons voté les dépenses pour commencer à fortifier Anvers, et plus d'un milliard pour nos budgets militaires ; et le jour où l'on demande de conclure, d'ajouter cette dernière pierre à notre édifice militaire et national, j'irais, messieurs, repousser ce projet, en oubliant mon passé ? Je sens dans ma conviction quelque chose qui me dit que je manquerais à mon devoir.

Messieurs, la loi me paraît bonne en elle-même ; je viens de vous en indiquer sommairement les raisons.

J'ai voté cependant pour l'ajournement, non pas pour amener, par un vote déguisé, le rejet d'une loi que j'approuve, non pas pour obéir à l'esprit de parti, dans une pareille question, ce qui me frapperait d'indignité à mes propres yeux, mais par des motifs sérieux et dans l'intérêt de la loi même.

La loi est utile, mais le ministère l'a présentée à une heure mauvaise.

Ce moment coïncidait avec des événements extérieurs que personne n'avait prévus et qui ont donné, en apparence, au projet de loi un caractère qu'évidemment il n'a pas. C'est pour cela, messieurs, qu'une partie de l'opinion publique s'est méprise et, selon moi, a été égarée ; c'est pour cela qu'un préjugé fâcheux a accueilli le projet de loi à l'étranger ; de là peuvent naître des préventions dangereuses que la prudence conseillait de ne pas heurter, dans les circonstances si pleines de menaces et d'obscurité qui nous enveloppent. Je suis convaincu de l'utilité de la loi, c'est pour cela que je l'accepte ; j'ai des craintes graves sur son opportunité, c'est pour cela que je voulais l'ajourner.

Je voulais que le gouvernement eût le temps, par les débats publics auxquels nous assistons, par la presse, de ramener l'opinion égarée et de dissiper, par les influences diplomatiques dont il dispose, ces préjugés fâcheux qui peuvent encore exister à l'étranger à l'égard du projet de loi.

Et n'oubliez pas, messieurs, que pour des mesures de ce caractère, il faut leur donner pour appui de grandes majorités patriotiques.

C'est une mesure nationale que vous voulez proposer, mais il faut aussi que l'opinion nationale y corresponde et lui accorde sa sympathie. Messieurs, je crains que cette grande majorité patriotique, vous ne l'ayez pas.

Je crois que si l'on avait attendu quelques mois pour laisser les événements s'éclaircir, pour laisser à l'opinion le temps de se calmer, je pense que la loi aurait été votée par une grande majorité patriotique dans les deux Chambres. Il valait bien la peine d'attendre quelques mois pour obtenir un résultat aussi important.

Messieurs, encore quelques mots et je finis. Quand un gouvernement responsable, lorsque le gouvernement du Roi, à une heure aussi solennelle que celle où nous sommes, vient présenter un projet de loi de ce caractère, comme une mesure de salut public, comme un moyen sans lequel il déclare que la défense nationale serait compromise, évidemment je devrais avoir de bien fortes raisons, une conviction bien robuste, des doutes ne me suffiraient pas, il me faudrait deux fois l'évidence, pour refuser mon vote à une pareille mesure.

Si je me trompais avec le gouvernement, avec le chef constitutionnel de l'armée, je pourrais regretter cette erreur, sans doute, mais au moins, je sentirais ma responsabilité personnelle suffisamment couverte. Mais si, au lieu de me tromper avec le gouvernement, je me trompais contre lui, si ses prévisions, ses craintes, venaient un jour à se réaliser, si notre Belgique, comme la Venise de 1797, était un jour convaincue d'impuissance à défendre sa neutralité ; si comme la Toscane, comme Parme et Modène en 1859, elle était occupée stratégiquement en attendant qu'elle le fût politiquement ; si après ces 29 ans de préparatifs militaires, après le milliard voté pour les budgets militaires, si après les efforts énergiques que nous avons faits tous ensemble pour créer cette patriotique et belle armée, si un pareil fait se produisait, je le déclare, je ne trouverais aucune excuse dans ma conscience pour justifier un pareil vote et je ne veux risquer à aucun prix de porter plus tard un pareil remords. (Interruption.)

Messieurs, pour moi, permettez que je le dise en finissant, trois conditions sont nécessaires pour que la Belgique traverse des jours dangereux et triomphe des périls que peut-être l'avenir lui réserve. La première condition c'est, comme je l'ai dit, une neutralité sérieuse, armée, défendue et forte. La deuxième condition, c'est avant tout de pratiquer une politique loyale, ferme, ne laissant jamais, à aucun jour, pencher notre neutralité, soit d'un côté, soit de l'autre côté de l'Europe.

Mais la troisième condition, la plus importante de toutes, c'est que la situation intérieure des partis se modifie prochainement et (page 187) profondément ; c'est qu'une politique que je regarde comme fatale ne démolisse pas ce que j'appellerai la forteresse morale du pays et sans laquelle, messieurs, nos forteresses de pierre ne serviront de rien. (Interruption.)

M. Vervoort. - L'honorable membre qui vient de porter la parole, a exprimé un noble vœu : c'est de voir nos dissentions intestines s'affaiblir et diminuer.

Eh bien, messieurs, l'occasion est belle, que l'honorable membre, et ses amis, nous donnent un de ces grands exemples de conciliation capables d'atteindre le résultat élevé qu'il ambitionne : qu'ils s'unissent à nous en cette circonstance solennelle. L'honorable M. de Naeyer ne vient-il pas de proclamer que toute la Chambre est d'accord sur la nécessité de donner à la Belgique la grandeur de devenir son premier et son plus énergique défenseur ?

Unissons-nous donc pour atteindre ce but et reconnaissons tous que le moyen proposé par le gouvernement est seul puissant et efficace. L'union, sous l'inspiration d'une aussi grande pensée, sera certes féconde et glorieuse.

L'an dernier j'ai, avec une vive énergie, combattu le projet du gouvernement parce que les moyens de défense qu'il présentait me semblaient insuffisants, incomplets, dangereux.

On nous opposait alors avec hauteur, avec une certaine dureté, notre incompétence.

Et cependant je constate que toutes nos idées ont reçu une complète consécration. Aussi je voterai en faveur du projet. Je suis convaincu qu'il faut à l'armée un point d'appui, une base d'opérations, et, au pays en possession d'une force militaire, un vaste arsenal à l'abri d'un coup de main et même d'une attaque régulière.

Le ministre de la guerre a démontré la nécessité de constituer sur des bases plus solides la forteresse d'Anvers.

J'ai eu la témérité d'attaquer les plans présentés l'an dernier, parce que je les croyais mauvais. J'aurai la témérité de m'expliquer encore sur ceux qui nous sont présentés.

Je les ai attentivement examinés et je dois dire que les études de la commission et du ministère de la guerre ont été dirigées avec un soin et une intelligence remarquables.

Selon moi, le plan qui nous est proposé concilie les besoins du commerce, de la population d'Anvers et de ses faubourgs, et les exigences stratégiques. Ma conscience me porte à dire que ce plan est un chef-d'œuvre comme travail de défense.

Messieurs, mon intention n'est pas de rentrer dans le débat. Je supprime les considérations que je me proposais de vous soumettre, puisque votre désir est de terminer la discussion.

Cependant il est un point sur lequel je crois devoir insister ; l'honorable M. de Naeyer l'a indiqué.

L'honorable membre a dit qu'il faut qu'à l'étranger on ait la conviction que le port d'Anvers sera toujours neutre. Je crois avec lui que de nos débats doit ressortir pour l'étranger cette conviction.

Si je vote le projet de loi, c'est parce que j'y vois une œuvre purement nationale qui affermit notre neutralité armée et qui constitue une œuvre de sécurité pour nous et pour nos voisins.

Qui donc pourrait en prendre ombrage ?

La. Suisse armée n'a-t-elle point donné une sécurité incontestable aux puissances belligérantes pendant la guerre d'Italie ?

Le projet de loi nous présente une œuvre éminemment et exclusivement belge.

Il faut que l'Europe le sache.

Oui, c'est l'œuvre d'un fier et libre pays, agissant dans la plénitude de son indépendance et de ses patriotiques inspirations.

Ce n'est point une menace, ce n'est point un acte de vasselage.

Si je pouvais soupçonner qu'il en fût autrement, certes, je repousserais le projet de toutes mes forces.

Mais la Belgique est aussi incapable d'ingratitude que de faiblesse ou de félonie.

La Belgique veut des forces au service de la défense et non au service de l'étranger.

Les traités, messieurs, garantissent non seulement sa neutralité, mais aussi son indépendance.

Cette indépendance est sa force, sa gloire et sa vie. C'est sous son égide qu'elle a organisé et qu'elle pratique ses précieuses libertés.

Pour assurer son indépendance et sa neutralité, le pays ne doit reculer devant aucun sacrifice.

La Belgique tend ses mains loyales, ennoblies par le travail, aux puissances amies qui l'entourent et qui ont constitué et garanti son état politique ; mais si cette nation paisible, industrieuse, faible par le nombre mais grande par ses institutions, pouvait être menacée, contre toute probabilité et contre le droit qui la protège, alors elle aurait en réserve son armée qui sera son glaive de défense et, si vous votez la loi, une puissante forteresse qui deviendra son bouclier.

- La discussion de l'article premier est close.


M. le président. - Je mets cet article aux voix.

- Plus de cinq membres demandent l'appel nominal. Il est procédé à cette opération.

En voici le résultat :

106 membres sont présents.

57 répondent oui.

42 répondent non.

7 s'abstiennent.

En conséquence, l'article premier est adopté.

Ont répondu oui : MM. Deliége, de Moor, de Naeyer, de Paul, de Renesse, de Rongé, Desmaisières, de Vrière, d'Hoffschmidt, d'Ursel, Faignart, Frère-Orban, Frison, Grandgagnage, Hymans, Jacquemyns, Jamar, J. Jouret, Koeler, Lange, le Bailly de Tilleghem, C. Lebeau, J. Lebeau, Lesoinne, Loos, Manilius, Mercier, Moreau, Muller, Neyt, Orban, Orts, A. Pirson, V. Pirson, Prévinaire, Rogier, Saeyman, Tesch, A. Vandenpeereboom, Vanderstichelen, Van Iseghem, Van Volxem, Vervoort, Carlier, Dautrebande, de Bast, de Boe, de Breyne, de Bronckart, Ch. de Brouckere, H. de Brouckere, Dechamps, de Decker, de Florisone, De Fré, de Gottal et Dolez.

Ont répondu non : MM. de Mérode, de Montpellier, de Muelenaere, de Pitteurs-Hiegaerts, de Portemont, de Ruddere de Te Lokeren, de Smedt, de Terbecq, de Theux, B. Dumortier, Goblet, Guillery, Janssens, M. Jouret, Julliot, Laubry, Magherman, Moncheur, Nélis, Notelteirs, Pierre, Pirmez, Rodenbach, Sabatier, Snoy, Tack, Thibaut, Thienpont, Vanden Branden de Reeth, E. Vandenpeereboom, Vander Donckt, Van Renynghe, Vermeire, Verwilghen, Vilain XIIII, Wasseige, Ansiau, Coomans, Crombez, Dechentinnes, de Haerne et de Liedekerke.

Se sont abstenus : MM. Henri Dumortier, Grosfils, Nothomb, Allard, Coppieters 't Wallant, David et de Lexhy.

MpDµ. - Les membres qui se sont abstenus sont invités, aux termes du règlement, à énoncer les motifs de leur abstention.

M. H. Dumortier. - Messieurs, je me suis abstenu parce que la Chambre a rejeté la proposition tendante à ajourner la discussion jusqu'au mois de novembre prochain.

M. Grosfils. - Messieurs, je me suis abstenu parce que, dans mon opinion, les fortifications d'Anvers, telles qu'elles existent aujourd'hui, peuvent suffire, jusqu'à ce que les puissances qui doivent nous protéger, viennent à notre secours.

M. Nothombµ. - Je n'ai pas cru pouvoir rejeter le projet parce que j'admets des travaux de fortification à Anvers, mais seulement dans la mesure où le cabinet, dont j'ai fait partie, les a proposés.

Je n'ai pas pu voter le projet parce que je suis profondément convaincu que les circonstances actuelles sont inopportunes pour décréter des travaux aussi significatifs que le sont ceux qui nous sont présentés.

M. Allard. - Messieurs, je n'ai pas voté contre le projet de loi, parce que je crois que la situation, faite à la ville d'Anvers, doit cesser au plus tôt ; je n'ai pas voté pour, parce que, dans ma pensée, on peut très bien fortifier Anvers, en dépensant moins d'argent.

M. Coppieters 't Wallant. - Admettant, ainsi que le prouve mon vote de l'année dernière, qu'il est nécessaire d'exécuter à Anvers et de terminer le plus promptement possible les travaux indispensables à la défense nationale, je n'ai pas voté contre un projet de loi qui consacre en quelque sorte le principe de ces travaux ; je n'ai cependant pu émettre un vote approbatif, parce qu'en compensation d'une extension de travaux proposée en grande partie dans l'intérêt exclusif de la ville d'Anvers, le projet de loi ne stipule pas une intervention pécuniaire sérieuse et efficace de la part de cette ville, alors que d'après toutes les déclarations antérieures devait dépendre de cette intervention l'exécution de la grande enceinte que le projet actuel comporte.

M. David. - L'honorable ministre de la guerre nous a dit dans son premier discours, qu'en fortifiant Paris on avait triplé la force défensive de la France ; qu'en faisant d'Anvers une grande place de guerre on doublerait la force active de notre armée ; si par de pareilles fortifications et un système de concentration des troupes on attend de pareils résultats, il serait naturel et logique pour nous, nation neutre, donc forcément pacifique, de réduire le budget ordinaire annuel de la guerre ; le ministère ne promet pas cette réduction, et le budget qui était de 41 millions en moyenne montera à 46 1/2 millions, pensions militaires et intérêts des nouvelles fortifications compris, je ne puis donc voter pour.

Mais je n'ai pas voté contre afin de ne pas ébranler, renverser peut-être le ministère, composé de mes amis et ne pas retarder l'exécution de travaux publics utiles au pays.

M. de Lexhyµ. - Depuis que j'ai l'honneur de siéger dans cette enceinte, j'ai toujours émis des votes contraires à notre organisation militaire, parce que je ne la trouve pas en harmonie avec nos ressources nationales.

Voter affirmativement dans cette circonstance serait, à mon avis, répudier mes antécédents, puisque l'adoption du projet amènera fatalement, selon moi, l'accroissement des dépenses militaires.

D'autre part, je n'ai pas voulu émettre un vote hostile au cabinet, qui a toutes mes sympathies.

Article 2

(page 188) M. le président. - La Chambre entend-elle aborder maintenant la discussion de l'article 2 du projet relatif à la part d'intervention de la ville d'Anvers ?

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Il est entendu que l'article 2 conservera sa place dans le projet de loi.

M. le président. - Le projet de la section centrale dont nous nous occupons en ce moment comprend tout à la fois les articles 1 et 2 du projet ; il me semble donc que nous devons passer maintenant à l'article 2 puisqu'il est compris dans le rapport de l'honorable M. Orts.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - L’article premier dont nous nous occupons contient divers paragraphes. Le paragraphe premier est relatif aux travaux d'Anvers ; puis viennent divers autres paragraphes relatifs à d'autres travaux publics, et après cela l'article 2 concernant la part d'intervention de la ville d'Anvers. Cet article doit être maintenu à sa place, c'est-à-dire après les paragraphes qui le précèdent.

M. le président. - Il me semblait que cet article 2 faisait un seul tout avec le paragraphe premier que nous venons de voter.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - On peut le voter maintenant, sauf à le classer plus tard.

M. Vermeire. - La section centrale propose de faire autant d'articles qu'il y a de paragraphes dans l'article premier. Il conviendrait donc de discuter sur cette proposition de la section centrale à laquelle le gouvernement semblait ne pas se rallier.

- Un membre. - Au contraire ; il s'y rallie.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - L'honorable M. Vermeire se trompe. Le projet de loi tel que l'a proposé le gouvernement a été admis par la section centrale avec un amendement que j'ai proposé et qui est de nature à satisfaire toutes les opinions. Il consiste à joindre à la loi un tableau indiquant tous les crédits compris dans la loi et à donner au gouvernement le pouvoir d'opérer seulement la répartition des sommes disponibles dans la limite de ces crédits.

M. Vermeire. - Vous obtenez le même résultat.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Exactement.

M. E. Vandenpeereboom. - En effet, la section centrale a été saisie, par toutes les sections, d'une demande tendante à ce que chacun des paragraphes de l'article premier fût considéré comme un article spécial, c'est-à-dire que, de cette manière, aucun transfert d'un paragraphe à un autre n'aurait pu avoir lieu, ainsi que l'exige la loi de comptabilité. M. le ministre des finances a fait droit à cette demande, et il nous a dit que les imputations se feraient d'après le tableau annexé à la loi et que vous trouvez à la page 46 du rapport.

Nous sommes donc d'accord jusque-là ; il est bien entendu qu'il n'y aura aucun transfert possible.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Evidemment !

M. E. Vandenpeereboom. - Maintenant, quant au vote de l'article 2 lui-même, je dois dire que je n'en comprends pas parfaitement la portée, si l'on ne veut pas aller plus loin. Si l'on veut se contenter de voter immédiatement sur la part d'intervention de la ville d'Anvers, je n'y vois aucune espèce d'inconvénient ; mais si l'on veut compléter l'article de manière à en faire deux articles séparés...

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Non ! non !

M. E. Vandenpeereboom. - Eh bien, alors je ne vois pas d'inconvénient à voter l'article 2 après le paragraphe premier de l'article premier.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Sauf à classer plus tard l'article.

M. E. Vandenpeereboom. - Sans doute, mais je demande si maintenant le gouvernement veut encore entamer le système financier tout entier et ainsi revenir à la disjonction qu'il a repoussée lui-même.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Non.

M. le président. - J'ai proposé tout à l'heure de discuter maintenant l'art. 2.

M. B. Dumortier. - Il y a beaucoup d'observations à faire sur cet article.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Présentez-les.

M. B. Dumortier. - Je ne suis pas préparé ; il s'agit de 20 millions de francs !

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Eh bien votons alors.

M. le président. - A moins qu'on ne demande la remise à un autre jour.

- Plusieurs voix. - Oui ! Oui !

- D'autres voix. - Non ! non !

Ordre des travaux de la chambre

M. Coppieters t' Wallant (pour une motion d’ordre). - Puisqu'il semble que l'article 2 doit soulever quelques discussions et qu'il serait impossible d'arriver au vote aujourd'hui, il vaudrait mieux, je pense, le laisser à sa place, et le discuter quand son tour viendra.

Si la Chambre l'entendait ainsi, je lui proposerais d'intervertir son ordre du jour, c'est-à-dire de tenir en suspens la partie du projet de loi qui a trait aux travaux publics civils, et sur laquelle un volumineux rapport vient seulement de nous être distribué, et d'aborder lundi ou mardi la discussion du projet de loi concernant l'organisation de l'enquête au sujet des élections de Louvain. Après cela et si la Chambre y était préparée, elle pourrait reprendre la discussion du projet de travaux publics.

- La Chambre consultée renvoie la suite de la discussion sur les articles du projet de loi concernant divers travaux d'utilité publique après la discussion du projet de loi relatif à l'organisation de l'enquête parlementaire.

La Chambre fixe sa prochaine séance à mardi à 2 heures.

La séance est levée à 4 heures.