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Chambres des représentants de Belgique
Séance du samedi 3 décembre 1859

Séance du 03 décembre 1859

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1859-1860)

(page 153) (Présidence de M. Orts.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M, de Boe, secrétaireµ, procède à l'appel nominal à 1 heure et un quart.

M. de Moor, secrétaire, donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier.

- La rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Boe, secrétaire, présente l'analyse des pétitions suivantes.

« Le sieur Leclercq présente des observations contre un passage du rapport de la commission d'enquête, dans lequel il est nommé. »

« Observations semblables des sieurs Calders, curé à Rotselaer, et Casteleyns, vicaire de Léau. »

M. Wasseigeµ. - Messieurs, lorsque dans la séance d'avant-hier, j'ai parlé d'un premier démenti donné par des pétitionnaires de Louvain à des allégations contenues dans le rapport de l'honorable M. De Fré, je m'étais servi avec intention de cette épithète : Premier démenti, parce que j'étais certain que d'autres démentis suivraient celui-là. Or, on me dit que la Chambre vient de recevoir trois ou quatre pétitions renfermant de semblables démentis. Je prie la Chambre de vouloir bien maintenir sa première décision et n'ordonner le dépôt des nouvelles pétitions sur le bureau pendant la discussion de l'enquête.

M. Allard. - Messieurs, je ne comprends pas que la Chambre ayant décidé que le rapport de l'honorable M. De Fré ne serait pas inséré dans les Annales parlementaires, on vienne se servir d'expressions telles que celles-ci : Premier démenti, deuxième démenti, troisième démenti. Je pense qu'il serait convenable de s'abstenir de pareilles expressions.

Des pétitions sont adressées à la Chambre, et on en demande le dépôt sur le bureau. Eh bien, cela n'est pas conforme aux usages ; toutes les pétitions doivent être renvoyées à la commission des pétitions qui doit faire un rapport à la Chambre ; car ces pétitions peuvent contenir des expressions plus ou moins inconvenantes.

Je demande que les pétitions dont on vient de présenter l'analyse soient renvoyées, soit à la commission des pétitions, soit à la commission d'enquête ; la commission ferait un prompt rapport, et c'est sur ses conclusions que la Chambre ordonnerait, s'il y a lieu, le dépôt des pétitions sur le bureau.

M. Wasseigeµ. - Messieurs, le mot « pétitions » est peut-être un terme impropre. Ce sont plutôt des réclamations contre des allégations contenues dans le rapport de l'honorable M. De Fré. Ces réclamations établissant que les allégations sont fausses, j'ai cru pouvoir les qualifier de démentis. La Chambre jugera si cette qualification est exacte, et pour qu'elle puisse se prononcer en connaissance de cause, j'ai demandé que les pétitions fussent déposées sur le bureau. Chaque membre de la Chambre pourra en prendre lecture.

Du reste, la Chambre a toujours procédé ainsi. Chaque fois qu'une section centrale ou une commission a présenté son rapport, la Chambre s'est bornée à ordonner le dépôt sur le bureau des pétitions concernant ce l'apport.

M. le président. - M. Allard insiste-t-il ?

M. Allard. - Oui, M, le président, j'insiste ; ces pétitions peuvent quelquefois être rédigées en termes inconvenants, et la Chambre doit être préalablement avertie...

M. Wasseigeµ. - Je ne demande pas la lecture de ces pétitions.

M. Allard. - Je demande que les pétitions soient renvoyées à la commission d'enquête et que cette commission fasse un prompt rapport.

M. le président. - La commission d'enquête a déposé son rapport.

M. Manilius. - Il s'agit de la commission des pétitions qui n'a pas fait de rapport à cet égard. Ce que nous demandons, c'est que la commission prenne lecture des pétitions avant que la Chambre en ordonne le dépôt sur le bureau. Le cas actuel est tout à fait extraordinaire ; nous n'avons vu que démentis sur démentis ; il faut donc que le contenu des pétitions ait été lu et apprécié par la commission, avant que la Chambre se prononce sur la proposition de l'honorable M. Wasseige.

M. le président. - Je me suis borné à dire que le renvoi d'une pétition à une commission qui avait fait son rapport n'était pas conforme aux précédents de la Chambre ; je n'ai pas voulu préjuger la question d'opportunité du renvoi.

M. Manilius. - On a procédé ainsi quand il s'agissait de questions d'intérêts matériels, mais ici on parle de démentis dont on nous entretient depuis deux mois ; il convient que les pétitions ne soient pas communiquées à la Chambre avant d'avoir passé sur l’examen d’une commission.

M. Vander Donckt. - J'ai demandé la parole pour faire observer qu'il est dans les usages de la Chambre d'ordonner qu'une pétition sera déposée sur le bureau pendant la discussion d'un objet quelconque sans examen préalable par une commission.

Je viens de faire savoir à un honorable collègue qui m'avait demandé des renseignements au sujet des servitudes militaires dans les environs d'Anvers, qu'il a été décidé que ces pétitions seraient déposées sur le bureau pendant la discussion, et jamais cela n'a été l'objet d'aucune réclamation ; c'est un usage constant.

Je ne m'oppose pas à ce que la Chambre, revenant sur ses décisions antérieures, prenne une décision contraire à celles qu'elle prend d'habitude. Mais je déclare qu'il est d'un usage de tous les jours, surtout quand les sections centrales ou les commissions ont terminé leur travail et ont fait leur rapport, qu'on ne leur renvoie plus les pétitions relatives à l'objet soumis à leur examen, mais on les dépose sur le bureau pendant la discussion.

Quant aux termes inconvenants que peuvent contenir les pétitions, chacun peut en prendre connaissance ; le dépôt ne préjuge rien. S'il y a des termes inconvenants, on n'en fait pas lecture, il n'y a pas de publicité.

Je demande, comme l'a proposé l'honorable M. Wasseige, le dépôt sur le bureau pendant la discussion du rapport sur les élections de Louvain.

M. Allard. - Je n'ai pris la parole que quand j'ai entendu dire : « Il y a déjà eu un premier démenti donné au rapport de M. De Fré ; aujourd'hui c'est un deuxième et un troisième démenti qu'on lui adresse. »

Quand on se sert de pareilles expressions, la Chambre doit voir ce que sont ces démentis ; quand on se sert de pareilles expressions, la Chambre doit voir s'il convient d'ordonner le dépôt sur son bureau de pétitions présentées comme des démentis à un rapport officiel dune commission instituée par elle.

M. de Baillet-Latour. - On renvoie bien des amendements à une commission, pourquoi n'en serait-il pas ainsi pour les pétitions dont nous nous occupons ?

M. de Haerne. - S'il s'agissait de donner de la publicité aux pétitions dont il s'agit, je concevrais l'observation de l'honorable préopinant, mais il s'agit de les déposer sur le bureau pour que chacun puisse en prendre connaissance et en user conformément à sa discrétion et à sa prudence.

Comme dit l'honorable M. Vander Donckt, quand un projet est à l'ordre du jour et que le dépôt du rapport a eu lieu, les pétitions qui se rapportent à ce projet sont déposées sur le bureau pendant la discussion. Cela s'est fait surtout quand il s'agissait de questions un peu importantes. Si on rejetait cette proposition, il y aurait moyen de concilier les choses, ce serait de renvoyer la pétition dont il s'agit à la commission des pétitions, en demandant non seulement un prompt rapport, mais un rapport avant la discussion sur l'enquête. De cette manière, on pourrait tout concilier.

M. de Gottal. - Vous venez d'entendre l'honorable M. de Haerne faire une proposition qu'il appelle conciliatrice, en demandant qu'un prompt rapport fût soumis à la Chambre sur les pétitions, avant la discussion de l'enquête.

Pour procéder régulièrement, il me semble qu'il est aujourd'hui nécessaire de fixer quand aura lieu la discussion du rapport de la commission d'enquête, et c'est pour faire une proposition dans ce sens que j'ai demandé la parole.

Messieurs, lorsque dans la séance de mardi, l'honorable comte de Theux fit la proposition de ne fixer jour pour la discussion du rapport de la commission d'enquête qu'après que toutes les pièces, y compris la note à fournir par la minorité de la commission, seraient imprimées et distribuées, je m'y suis volontiers rallié, en faisant cependant observer qu'il me semblait convenable de fixer un délai dans lequel cette note serait fournie. Si je n'ai pas insisté dans ma proposition, c'est que l'honorable M. Van Overloop, que je regrette de ne pas voir à la Chambre, a déclaré que la rédaction de cette note exigerait un travail de trois ou quatre jours.

Cette déclaration m'a satisfait. Mais est ensuite intervenue la décision de la Chambre, décidant que l'insertion du rapport n'aurait lieu que lorsque la note serait fournie.

Nous sommes samedi. Je dois dire que lorsqu'on a provoqué cette décision de la part de la Chambre, j'ai dû voter contre, alors même qu'on invoquait cette décision comme une garantie pour la minorité. Les faits, messieurs, ont prouvé que cette garantie était illusoire. Les journaux de toutes les opinions ont publié le rapport de la commission. Les journaux qu'on appelle catholiques l'ont accompagné de qualifications que je n'apprécierai pas. Aujourd'hui nous avons vu circuler un spécimen (page 154) de ces qualifications sur nos bancs, et qui sera probablement reproduit par ces journaux. Il émane du sieur Coppin, déjà trop célèbre dma cette Chambre.

Il me semble, messieurs, que les membres de la minorité ont eu le temps de rédiger leur note, d’autant plus que depuis mardi, ces messieurs n’ont plus assisté ni participé aux travaux de cette Chambre.

Lorsque la Chambre, en présence des faits qui lui étaient signalé, a décidé qu'il y aurait une enquête, elle le devait à sa propre dignité. En agir autrement, c'eût été accepter, autoriser, sanctionner les abus, les faits de corruption contre lesquels on s'était élevé si souvent dans cette Chambre.

L'enquête une fois décidée, si elle a dû traîner, c'est par des circonstances indépendantes de la commission. Aujourd'hui que la minorité a eu toutes les garanties désirables, qu'elle a pu faire entendre les témoins, faculté dont elle a largement usé, je ne vois pas pourquoi on reculerait la solution. Je demande donc que pour délai fatal il soit décidé que la note de M. Van Overloop devra être déposée mardi prochain, et que la discussion du rapport de la commission d'enquête aura lieu mardi en huit.

M. de Moor. - Je viens appuyer la motion d'ordre de l'honorable M. de Gottal.

Dans la séance du 30 novembre, j'ai fait partie de la majorité qui a adopté la proposition de l’honorable comte de Theux ; mais je ne pouvais m'attendre à ce que la publication de la note qui devait être produite par la minorité de la commission serait indéfiniment retardée.

Je n'aurais positivement pas émis le vote que j’ai donné, si j’avais pu prévoir que la presse cléricale lui donnerait la portée de flétrissure adressée à l’honorable rapporteur M. De Fré. Je proteste énergiquement, tant en mon nom qu'au nom de plusieurs représentants de la gauche qui m'y ont autorisé, contre cette insinuation aussi injuste que malveillante. J'ai tenu à faire cette déclaration, et j’ajoute hautement que, pour ma part, je regrette le vote que j'ai émis.

M. de Theux. - Je ne pense pas que nous soyons ici pour discuter la conduite des journaux qui sont parfaitement libres dans leurs allures, à moins qu'on ne parvienne encore à tronquer quelque peu le texte de la Constitution qui garantit la liberté de la presse. Messieurs, les journaux restent libres et continueront à user de la liberté.

Le lendemain de la séance dans laquelle on avait décidé que l'impression du rapport de la commission d'enquête n'aurait pas lieu dans les Annales parlementaires, d'honorables amis de cette Chambre m'ont engagé à protester contre l'insertion du rapport dans deux journaux ministériels. Je leur ai répondu : Non, je ne puis faire cette démarche. Ces journaux ont usé de leur liberté sous leur responsabilité.

Maintenant pour répondre à l’honorable M. de Gottal, je dirai que les journaux conservateurs ont pris le rapport dans les journaux ministériels. A coup sûr cela leur était bien permis. Mais, comme il avait voté pour la publicité immédiate, il ne doit pas s'en plaindre. Les journaux favorables à l'élection de Louvain ont été obligés de suivre l'exemple donné par les journaux qui leur sont hostiles. Nous n'avons donc aucun reproche à faire à ces journaux qui ont publié le rapport.

Un mot relativement aux pétitions.

Quelle que soit la décision de la Chambre, je désire que toutes les pétitions soient déposées sur le bureau pendant la discussion. Assurément je ne demanderais pas l'impression des pétitions sans les avoir connues, et je dirais même que si une pétition contenait des offenses envers la Chambre, il ne serait pas permis à un membre de cette assemblée de s'en servir et d'en donner lecture dans l'intérêt de la discussion. Mais tous les faits contenus dans les pétitions qui viendront soit à l'appui de l'élection, soit contraires à l'élection, doivent nous être connus. Nous sommes ici constitués en juges. Je demande donc que toutes les pièces du procès soient déposées sur le bureau ; dans aucune circonstance on n'a agi autrement ; et ce serait le premier exemple, ce serait un précédent extrêmement fâcheux que la Chambre poserait si elle agissait autrement.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Messieurs, lorsque nous entendons parfois dans cette enceinte certains orateurs aux emportements desquels la Chambre est habituée, parler de la violation de la Constitution, on accueille en général ces accusations sans y attacher grande importance. Mais quand un homme d'Etat, un homme qui a occupé plusieurs fois le pouvoir, qui affecte des allures de gravité, de modération, de calme, vient dire à la Chambre que nous voulons tronquer de nouveau quelque texte de la Constitution, nous sommes en droit de nous en étonner, nous sommes en droit surtout de lui demander les preuves d'une pareille accusation.

Si, en effet, le texte de la Constitution était tronqué, comment serait-il possible que l'opposition assistât tranquillement et passivement à ces mutilations que subirait la Constitution ? Nous pourrions, à bon droit, nous étonner qu'après tous les appels qui sont partis de notre banc à l'opposition, on ne soit pas encore parvenu à établir une discussion sérieuse sur les griefs reprochés au cabinet. Nous sommes à la discussion d'un budget très important, d'un budget essentiellement politique, le budget de la justice. Qu'on soulève donc une discussion, qu'on établisse autrement que par des insinuations peu dignes d'un homme aussi important que l'honorable M. de Theux, que le texte de la Constitution est tronqué, que la Constitution subit des mutilations.

Sortez, messieurs, de ce mutisme ! Etablissez un acte d'accusation en règle. Ne vous livrez pas surtout à des imputations sans preuves.

Je le répète, lorsque de pareilles imputations viennent d'un homme aussi considérable que M. de Theux, dont on se plait à vanter, en général, la gravite et la modération, on trouvera tout naturel que nous nous soyons émus et que nous ayons demandé à l'honorable M. de Theux des explications catégoriques.

M. de Theux. - Je crois, messieurs, que chaque membre de cette Chambre a toujours le droit de critiquer et les actes du gouvernement, et les votes même de cette Chambre. Je me rappelle que, autrefois, l'opposition libérale ne s'en faisait point défaut.

L'honorable ministre s'étonne que j'aie parlé de violation de la Constitution ; ma conviction est que l'article 16 de la Constitution a été violé dans la session dernière. Je crois l'avoir démontré et je persiste dans mon opinion, malgré le vote de la Chambre.

Je pense encore, messieurs, que ç'a été une usurpation d'attributions que de faire porter par les Chambres une loi interprétative de l'article 84 de la loi communale, alors que la juridiction ordinaire n'était pas épuisée, je crois que ç'a été une atteinte portée même à la considération de la magistrature. Que l'on eût porté une loi nouvelle, on était parfaitement en droit de le faire ; mais je pense que la forme qui a été suivie constitue une véritable usurpation, une confusion de pouvoirs.

Quant à moi, messieurs, puisque l'honorable ministre me provoque, j'avais bien formellement pris la résolution de voter contre le budget de la justice ; ce n'est donc point pour obéir à sa provocation, mais en exécution d'une résolution bien consciencieuse que j'ai prise en présence des faits posés pendant la session dernière.

Un mot, messieurs, sur la proposition de l'honorable M. de Gottal de fixer aujourd'hui le jour de la discussion. Je crois qu'il est inutile que la Chambre se mette en peine de fixer un délai fatal à l'honorable M. Van Overloop pour déposer sa note ; j'ai la conviction quelle sera déposée le jour indiqué par l'honorable membre, mais fixer aujourd'hui le jour de la discussion ce serait revenir sur une décision de la Chambre. Il a été décidé que ce ne serait qu’après la discussion de toutes les pièces et après que chaque membre aura eu le temps moral pour les examiner que l’on fixerait le jour de la discussion.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je ne puis pas considérer comme sérieuse la réponse de l'honorable M. de Theux.

D’abord il suppose que je lui avais contesté le droit de se livrer à des attaques contre le ministère ; loin de lui dénier ce droit, si je l'ai critiqué, c'est de n'en pas faire usage. Il trouve que la Constitution est violée. Eh bien, je dis qu’il manque à son devoir en n’usant pas de son droit d’attaquer le ministère en présence de la violation de la Constitution.

Nous apprenons aujourd'hui que la Constitution aurait été violée, et à quel propos ? L'article 16 aurait été viola par un article du Code pénal relatif à ce qu'on appelle la liberté de la chaire. C'est bien cela ?

M. de Theux. - Oui.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je m'étonne de trouver de pareilles accusations dans la bouche de l'honorable M. de Theux. Comment ! l'article 16 de la Constitution se trouve violé par l'article du Code pénal relatif aux discussions politiques de la chaire !

Comment se fait-il que cet article, qui n'est pas une innovation, qui n'est que la reproduction adoucie de l'article du Code pénal encore en vigueur, comment se fait-il que cet article n'ait jamais été l'objet d'une critique depuis 1830, que personne n'en a demandé l'abrogation, qu'il est encore en vigueur et qu'il restera en vigueur jusqu'à ce que la nouvelle lui soit promulguée ?

Eh bien, si ces articles du code pénal auxquels nous avons apporté des adoucissements, violent la Constitution, proposez dès aujourd’hui l'abrogation de ces articles. Je ne veux pas récriminer ; je ne reviens pas sur le passé ; mais le fait est que c'est une découverte entièrement nouvelle.

Maintenant il est de bon goût de découvrir tous les jours une violation de la Constitution. Que des esprits fantasques, que des cerveaux emportés, que l'opposition quand même, inventent de pareils prétextes, ou le conçoit ; mais que de semblables inventions trouvent quelque chance d'être accueillies et aient la fortune d'être répétées par des hommes comme l'honorable M. de Theux, voilà ce qui me passe. Véritablement ce mal gagne les constitutions les plus robustes, les hommes qu'on croyait à l'abri de toutes ces mauvaises petites passions.

J'engage l'honorable M. de Theux, s'il veut conserver dans son parti le rang que lui assignent son caractère, son talent, les services qu'il a rendus ; je l'engage à se tenir avec soin en dehors d'un pareil cercle d'opposition, à évier autant que possible un pareil contact qui ne pourrait que nuire beaucoup à sa considération.

M. Vilain XIIII. - Messieurs, mon intention n'est pas d'entrer dans la conversation qui vient d'avoir lieu entre l’honorable M. de Theux et M. le ministre de l'intérieur ; je veux seulement indiquer à la Chambre un danger qui semble poindre et que je me permets de signaler, en ma qualité d'ancien dans cette Chambre.

J'ai déjà entendu, plusieurs fois, d'honorables membres attaquer la presse qui n'est pas de leur parti. Je ne suis certainement pas payé pour me constituer ici l'avocat de la presse dite catholique ; mais je regarde comme un très grand danger que la majorité actuelle attribue à la (page 155) minorité les tendances de la presse dite catholique dans le pays, comme j'aurais trouvé très dangereux qu'autrefois la majorité conservatrice attribuât - ce qu'elle n'a pas fait et ce que je n'ai pas fait pour ma part - attribuât à l'ancienne opposition toutes les opinions de la presse de la gauche.

La presse n'est pas justiciable de la Chambre ; ce sont les tribunaux qui sont les juges de la presse.

La presse est un pouvoir à peu près tout aussi important dans le pays que le pouvoir parlementaire ; il doit rester parfaitement libre.

Non seulement la presse ne peut pas venir se défendre dans cette enceinte ; mais elle ne peut pas même attraire devant les tribunaux le membre de la Chambre qui diffamerait un journaliste. J'ai entendu tout à l'heure l'un de vos honorables collègues désigner par son nom le rédacteur d'un journal de Louvain, que je ne connais pas et avec lequel je n'ai jamais eu le moindre rapport.

Eh bien, ce rédacteur non seulement n'a pas le droit de venir répondre ici ; mais il n'a pas même le droit d'attraire devant les tribunaux le membre inviolable de la Chambre qui l'aurait attaqué injustement.

Messieurs, la confusion des pouvoirs est un très grand danger que nous devons chercher à éviter. Il me semble que la majorité actuelle doit avoir assez d'égards pour ses collègues de la minorité, pour ne pas lui attribuer les tendances de la presse dite catholique, comme nous n'avons jamais attribué à l'ancienne minorité les articles, quelquefois bien injustes, bien acerbes, bien violents qui ont paru dans les journaux de la gauche à cette époque.

M. de Gottal. - Messieurs, je désire d'abord protester contre l'interprétation que l'honorable M. de Theux a donnée à mes paroles, dans lesquelles l'honorable membre a cru voir un reproche adressé par moi à la Chambre. J'avais expliqué immédiatement mes intentions ; on les connaissait donc. J'ai signalé la publication du rapport, faite dans les journaux des deux partis, pour faire ressortir que la mesure qu'on avait provoquée dans la séance de mardi dernier avait été illusoire comme garantie.

Messieurs, j'ai également à répondre aux observations présentées par l’honorable M. Vilain XIIII. Lorsque j'ai cité le nom de Coppin, je n'ai entendu nullement incriminer ; si vous ne vous rappelez pas mes termes, les voici.

J'ai dit que dans certains journaux catholiques, il y avait eu des appréciations et des réflexions que je n'appréciais pas, que nous avions vu circuler sur ces bancs un imprimé qui pouvait servir de spécimen et qui portait le nom de l'imprimeur ; je n'ai pu désigner ce nom que par la manière dont il était désignable. Voilà quelle était mon intention. Je suis partisan de la liberté de la presse autant que qui que ce soit dans cette Chambre, et je ne permets pas qu'on donne à mes paroles le sens qu'on a voulu leur donner.

M. B. Dumortier. - Messieurs, j'avoue que je suis vraiment étonné du langage de l’honorable M. Rogier ; il ne conteste pas, dit-il, à la droite le droit de faire de l'opposition ; mais ii lui reproche de n'en avoir pas fait. Et dans le même moment, on adresse à cette droite les expressions les plus dures, les plus antiparlementaires, lorsqu’elle se permet la moindre attaque contre les portefeuilles ministériels.

Que signifie ce double langage ? Vous nous reprochez de ne pas user du droit d'opposition, et quand nous en usons, vous voulez nous flétrir ; je le répète, que signifie ce double langage ?

Comment ! quand nous usons du droit d'opposition, nous sommes inspirés par de mauvaises passions ! Vous l'avez entendu hier, vous venez encore de l’entendre : on est animé de mauvaises passions, quand on fait de l'opposition, et on nous convie à en faire ! Lorsqu’au mois d'août dernier, j'ai pris la parole pour présenter des objections contre le système des fortifications d'Anvers, comment qualifiait-on alors mon opposition ? C'étaient des appels à l’étranger, des actes de trahison envers le pays !

Quand je vois des choses aussi exorbitantes se produire, je dis que ce n'est plus la libre discussion que l'on veut, je dis qu'on n'a pour but que d'étouffer la liberté de la tribune, d'opprimer la minorité !

Qu'on ne vienne donc pas se parer ici de belles couleurs, qu'on ne vienne pas dire qu'on ne demande pas mieux que de voir l'opposition jouer le rôle qui lui est attribué dans les rouages constitutionnels ; mais qu'on avoue franchement qu'on veut frapper sur l'opposition et qu'on n'entend pas qu'elle touche à ce qui constitue l'existence du ministère et de MM. les ministres.

On peut nous appeler, si l'on veut, des esprits évaporés, des cerveaux brûlés, des têtes creuses, toutes gentillesses, toutes aménités dont on peut nous gratifier ; et tout en disant qu'il peut y avoir des têtes creuses ailleurs que sur nos bancs, peut-être même sur les bancs ministériels, je prie l'honorable M. Rogier d'être assuré que l'opposition ne manquera pas à ses devoirs ; qu'elle sait ce qu’elle doit à son pays, qu’elle ne peut laisser opprimer perpétuellement, qu'elle remplira son devoir jusqu'au bout.

M. de Theux. - L'honorable membre qui vient de s'asseoir a exprimé tous mes sentiments relativement au discours de M. le ministre de l'intérieur, je ne les exprimerai pas de nouveau, j'ajouterai une observation ; c'est qu'il serait de l'intérêt du gouvernement d’observer toutes les convenances, toutes les bienséances les plus strictes, il n'y perdrait rien en considération et en force.

Les mauvais procédés indiquent d'ordinaire une mauvaise cause. Je crois avoir indiqué que dans la discussion du code pénal, il avait été porté atteinte à la liberté des cultes, à l'article 16 d la Constitution, j'ai démontré par des arguments graves, sérieux, qui ont entraîné ma pleine conviction, et j'avais pour moi l'autorité de divers membres du congrès, jurisconsultes éminents, que la Constitution était violée par le nouvel article du code pénal.

C'est pour moi une conviction profonde, et rien de ce qui a été dit n'a pu l'ébranler. Ce n'est pas par de mauvaises passions que je me laisse guider, mais quand je juge qu’une disposition de notre Constitution est compromise, j’élève la voix. Toutes les fois qu’il se présentera une cause juste à défendre, je tâcherai de le faire en termes convenables, comme il appartient à un parlement.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Ce sera d'un très bon exemple.

M. de Theux. - J'aurais voulu que cet exemple eût été donné par l'opposition que j’ai vue siéger au temps du Congrès dans la Chambre ; ce n'était pas l'opposition qui siège sur ces bancs, mais celle qui siégeait sur les bancs de la gauche qui a donné l'exemple de la violence du langage. J'engage les honorables membres qui doutent de mon assertion à vouloir ben relire les débats de cette époque.

L'honorable ministre était alors membre d'un ministère mixte ou au moins représentants l’unionisme ; il doit se rappeler avec quelle rudesse il a été attaqué, et il doit être étonné de la modération de notre langage, à moins qu'il ne veuille nous condamner à l'ostracisme, car c'est la maxime de la majorité que la minorité doit être perpétuellement à l'état d’ostracisme.

Tout cela ne nous émeut pas ; les opinions et les situations sont si variables qu'en ces temps les lustres représentent des siècles des temps passés, tant les choses marchent vite ; je ne crois pas à la perpétuité de la majorité et du ministère ; c’est un épisode représentatif, rien de plus.

La proposition que j'ai faite et que la Chambre a adoptée était, dit-on, illusoire ; certes, personne de nous n'a douté que certains journaux ne donneraient pas le rapport de M. De Fré ; mais ce que nous avons voulu, c'est que les documents officiels fussent consignés simultanément dans le Moniteur qui forme une collection qui restera dans toutes les bibliothèques.

On doit pouvoir réunir le pour et le contre.

M. Carlier. - L'honorable M. de Theux vient de nous convier à apporter dans nos débats plus de formes et plus d'aménité ; c'est un appel auquel, pour ma part, je serai toujours heureux de répondre. Mais pourquoi les amis de l'honorable préopinant ne se montrent-ils pas les premiers à suivre ses leçons ?

L'honorable comte, en nous manifestant le désir louable qu'il vient d'exprimer, a réveillé chez nous des souvenirs qui cadrent bien peu avec le reproche qu'il nous fait d'oublier les bienséances et de professer des opinions trop variables. Ne semble-t-il pas vraiment que ces reproches s'adressent à l'un des plus chauds amis politiques de l'honorable comte ?

M. de Theux nous rappelait les débats qui se sont élevés dans cette enceinte à propos de la liberté de la chaire ; ce souvenir m'est précieux, nous le possédons tous, car l'écho de ces débats a retenti dans tout le pays.

Nous nous rappelons tous l'élan d'enthousiasme que la parole inspirée de mon honorable ami fit alors éclater dans les rangs de la droite.

L'honorable M. Dumortier pressait alors M. De Fré dans ses bras et s'écriait qu'un si beau talent, qu'un si noble cœur eût dû briller au sein du Congrès...

Mais les opinions sont variables ; l'honorable M. de Theux a bien raison de le proclamer. Et l'observation des bienséances devient très désirable.

Mardi, M. De Fré siégeait à cette tribune qui devrait être sacrée ; sa parole élevée nous exprimait encore les sentiments de son cœur généreux ; et à cette tribune, il a été, de la part de ses anciens admirateurs, l'objet d'attaques que je puis qualifier d'injurieuses sans sortir du langage parlementaire, car ce langage avant tout doit être l'expression de ta vérité.

Je dis que le champ qui a produit de pareils fruits a été trop fertile et qu'il est temps de le fermer.

Nous devons posséder sans retard la note de l'honorable M. Van Overloop.

Nous devons aborder sans retard la discussion de cette note et du rapport qu'elle doit accompagner ; je voterai donc et vous engage à voter en faveur de la motion qui vous fera atteindre ce double but.

Permettez-moi, messieurs, de revenir au point de départ du débat dans lequel nous sommes engagés.

Touchant les pétitions qui, selon l'honorable M. Wasseige, donnent un démenti au rapport de la majorité de la commission d'enquête, j'estime, avec mes honorables collègues MM Allard et Manilius, qu'elles doivent être renvoyées à la commission d'enquête, qui, pour satisfaire au vœu de l’honorable abbé de Haerne, nous produira son rapport avant la discussion de l'affaire de Louvain.

(page 156) Quant à l'autre demande formulée par mon honorable ami M. de Gottal, et qui tend à ce que la note que la minorité de la commission s'est engagée à produire, soit déposée sur notre bureau au plus tard mardi prochain, je l'appuie de toutes mes forces et je conjure la majorité de l’adopter.

J'insiste pour l'admission de cette motion, parce que je désire mettre un terme aux reproches de la minorité, qui nous impute de vouloir éterniser cette discussion alors que tous nous souhaitons d'y donner une prompte solution.

J'insiste aussi et surtout pour l'adoption de cette motion, qui sera appuyée par la droite, si j'en crois l'impatience qu'elle manifestait naguère, parce que plus nous retarderons la discussion du rapport de mon honorable ami M. De Fré, plus nous élargirons le champ déjà trop fertile des attaques dont l'honorable rapporteur a été l'objet hors de cette Chambre et dans cette enceinte.

M. B. Dumortier. - J'admets volontiers que M. le président ait la police de l'assemblée, j'admets volontiers que des conseils soient donnés par d'anciens membres. (Interruption.)

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - C'est l'ostracisme des jeunes.

M. B. Dumortier. - Non, ce n\st pas l'ostracisme des jeunes. Personne moins que moi ne veut de l'ostracisme ; mais je crois que les honorables membres qui siègent depuis 1830 comme l’honorable M. de Theux, qui ont l'expérience du passé, peuvent bien en appeler un peu à l'avenir. Certes, nul ne fait plus de cas que moi de la jeunesse ; et si je n’en faisais pas de cas, j'aurais à parler peut-être autrement que je ne le fais.

Mais ce que je ne puis admettre dans aucun cas, c'est que cette jeunesse vienne faire la leçon dans cette Chambre, usurpant ainsi les fonctions de la présidence, et vienne dire que la manière dont j'ai qualifié le rapport de l’honorable M. De Fré était une injure.

Je ne puis l'admettre ; et je pense que l'honorable membre, en tenant ce langage, est sorti des règles parlementaires et du règlement.

Comment ! le règlement défend l'imputation de mauvaises intentions en ce qui concerne les personnes : toute personnalité est interdite, et vous venez vous permettre envers vos devanciers ce qui n'est qu'une personnalité !

M. le président. - M. Dumortier, je dois vous interrompre. Lorsque les paroles que M. Carlier vient de rappeler ont été prononcées, elles ont été suivies d'un rappel à l'ordre, rappel à l'ordre motivé sur ce qu'elles étaient injurieuses. C'est donc chose jugée et il est permis de le dire.

M. B Dumortierµ. - Je ne pense pas, M. le président, que vous ayez prononcé le mot « injurieux ».

M. le président. - Je l'ai prononcé ; et c'est après vous avoir averti deux fois que vos paroles étaient injurieuses, que le rappel à l'ordre a été prononcé.

M. B. Dumortier. - Je n'ai pas le Moniteur sous les yeux, mais lors même, M. le président, que vous auriez qualifié ainsi mes paroles, est-ce un motif pour qu'une autre personne usurpe votre pouvoir, usurpe le fauteuil que vous occupez ?

M. le président. - Personne n'usurpe le fauteuil ; mais on rappelle ce que j'ai fait, et les actes que j'ai posés comme président sont du domaine public et appartiennent à la Chambre.

M. B. Dumortier. - Ils appartiennent à la Chambre ; mais il n'appartient pas à un membre devenir dire que j'ai injurié un député. C'est une chose de la plus haute inconvenance.

M. Carlier. - C'est de l'histoire.

M. B. Dumortier. - L'honorable membre trouve mauvais qui j'aie qualifié, comme je le devais dans mon opinion, comme je ne le devais pas dans la vôtre, le rapport de l'honorable M. De Fré. Et l'on avance à cette occasion des dires complètement inexacts ; on dit que j'aurais été embrasser M. De Fré. Cela n'est pas exact. Restons dans le vrai. J'ai félicité vivement l'honorable M. De Fré, cela est vrai. Certainement, lorsque j'entends l'honorable membre venir défendre avec ardeur, avec chaleur, avec talent la cause de la liberté, en tout et pour tout, mon cœur de 1830 palpite, et certainement je lui serre la main de bon cœur. Mais est-ce un motif pour que j'approuve un document qui, dans le fond ni dans la forme, ne me paraît parlementaire, qui, dans ma conviction, ne présente pas les faits comme ils devaient l'être, c'est à-dire avec vérité, et c'est ce que vous prouvera le contre-rapport que déposera l'honorable M. Van Overloop.

Messieurs, l'honorable membre a parlé de modération. S'il désire plus de modération, je crois qu'il ferait bien d'adresser ses conseils aux ministres, pour qu'on ne les entende plus, lorsque nous discutons des questions soumises par eux à la Chambre, venir dire que nous sommes les partisans de l'étranger, que nous venons faire des appels à l'étranger, pour qu'on ne les entende plus venir dire que nous sommes mus par de mauvaises passions. Voilà ce que j'engage l'honorable membre qui a tant d'influence sur MM. les ministres à leur conseiller !

M. Devaux. - Messieurs, il y a deux choses dans cette discussion. Il y a d'abord la motion concernant l'impression et la discussion de l'enquête, il y a, en second lieu, quelque chose de beaucoup plus grave ; c'est le débat qui vient de s'élever par suite des observations de l'honorable M, de Theux, de M. le ministre de 1 intérieur et de M. Vilain XIIII.

Que l'honorable M. Dumortier se rassure, je ne suis plus jeune et je ne viens faire de leçon à personne.

L'honorable M. Vilain XIIII vient de vous dire qu'il ne faut pas s'occuper des journaux dans cette enceinte, et je partage parfaitement son avis. Mais qu'il me permette d'ajouter qu'il y a une circonstance qui conduit assez naturellement à s'occuper ici des journaux de son parti et de ne pas distinguer de leurs opinions celles de la minorité ; c'est que la minorité elle-même ne nous apprend pas en quoi et jusqu’à quel point elle diffère d'opinion avec les journaux de son parti.

Quand on a devant soi une minorité véritablement parlementaire, c'est-à-dire qui expose sa politique, qui fait connaître ses griefs contre la majorité et le cabinet, qui les précise, on peut savoir ce que pense la minorité et on peut la distinguer des organes extra-parlementaires de son parti.

Mais quand il n'y a dans un parti que les journaux seuls qui parlent sur les questions politiques, on est naturellement, je dirai presque légitimement amené à confondre tout le parti avec ses journaux.

Si donc on confond quelquefois la minorité avec les journaux, la faute, il me sera permis de le dire en restant dans les limites des convenances indiquées par l'honorable M. de Theux, la faute en est à la minorité que nous engageons vainement depuis deux ans à faire connaître ici au pays et à discuter avec nous les griefs qu'elle a à formuler contre la politique du gouvernement et de la majorité parlementaire. Au lieu de nous exposer ses griefs politiques, la minorité se tait et nous laisse en face de ses journaux, derrière lesquels elle se retire pour ainsi dire, les laissant parler seuls au nom de leur parti.

Messieurs, l'honorable ministre de l'intérieur a mis tout à l'heure toute la minorité en demeure d'expliquer ses griefs ; nous entendons dire au-dehors de cette enceinte, dans les journaux, que la Belgique est horriblement opprimée, que toutes les libertés constitutionnelles sont sacrifiées, que la Constitution est foulée aux pieds, que tout ce qu'a fait le Congrès est détruit.

L'honorable M. de Theux disait tout à l'heure : Encore une liberté que vous allez tronquer, faisant aussi allusion à ce qui se dit, au-dehors de cette Chambre, de ce massacre général de nos franchises constitutionnelles.

L'honorable ministre de l'intérieur a formellement invité M. de Theux à faire enfin connaître, au nom de son parti, quelles sont les libertés constitutionnelles qu'il se plaint de voir enfreintes. Voilà la minorité mise en demeure de produire au grand jour de la tribune nos crimes et ceux du gouvernement.

M. de Theux va sans doute les exposer tous, il n'en laissera rien ignorer au pays. Ecoutons la liste de ces griefs. Ils se réduisent à deux. La Chambre, dans la discussion du Code pénal, n'a pas voulu que le prêtre en chaire eût plus de droit qu'il n'en avait eu depuis 29 ans que la Constitution existe, d'attaquer l'administration civile du pays.

Je demanderai, messieurs, quand le Congrès a jamais songé à faire de la chaire une tribune politique. Cette liberté et toutes celles que vous prétendez violées, mais ce sont des libertés de nouvelle fabrique ! Ce sont des libertés que vous avez inventées. Ce sont des libertés auxquelles le Congrès n'a jamais pensé, et la preuve, c'est que les dispositions pénales dont vous vous plaignez, nous ne les avons pas créées ; la cour de cassation a jugé que la Constitution ne les avait pas abolies, partant qu'elle n'y était pas contraire. Nous n'avons fait ici que les adoucir.

Quel est le second grief de l'honorable M. deTheux, la seconde calamité sous laquelle la Belgique est accablée ?

La Chambre a interprété une loi. C'est là une inconstitutionnalité. Eh bien, messieurs, la Constitution dit, article 28, d'une minière expresse : L'interprétation des lois par voie d'autorité appartient au pouvoir législatif.

Mais, dites-vous, la Chambre ne pouvait interpréter une loi qu'après que le doute avait été constaté par le pouvoir judiciaire.

Et où la Constitution dit-elle cela ? Nulle part. Oh donc est votre inconstitutionnalité ? Vous devez argumenter d'une loi.

La loi a été interprétée contre vous. Mais je suppose que vous ayez raison. C'est une loi ordinaire et une autre loi peut toujours la défaire. Il n'y a pas là, je le répète, d’inconstitutionnalité.

Le pays est donc averti que lorsqu'on dit que toutes les libertés sont sacrifiées, ce qu'on entend par là, c'est la défense faite à la chaire de devenir une tribune politique, c'est l'interprétation d'une loi faite aux termes de la Constitution, en vertu des pouvoirs que la Constitution lui délègue ! Voilà la grande oppression, voilà l'épouvantable tyrannie des lois libérales !

Je viendrai en aide à l'opposition. Pourquoi ne pas citer aussi ces terribles restrictions que nous avons faites à la liberté de la charité ? Encore une liberté constitutionnelle sacrifiée. Je demande aux membres du Congrès s'ils ont jamais entendu parler de la liberté de la charité. Est-il un pays au monde où on en ait jamais fait mention ?

La liberté de la charité a été inventée par l'honorable M. Dumortier, vers 1850 ou plus tard.

Jamais personne, avant cela, n'en avait entendu parler. Et que serait cette prétendue liberté ?

Ce serait la faculté laissée au donateur ou testateur le plus déraisonnable de régler selon son caprice et pour des siècles, l'administration du bien des pauvres, qui, on le sait, ne se compose que de legs et de fondations.

(page 157) Sont-ce là, messieurs, les libertés dont on s'occupait au Congrès ? Oseriez -vous le dire ? Les grandes libertés dont on s'occupait au Congrès, c'était la liberté de la presse, c'était la liberté d'enseignement, c'était la liberté d'association, c'était la liberté des cultes, c'était la liberté de conscience, c'était la liberté individuelle.

Y a-t-il une seule de ces libertés qui ne soit intacte aujourd'hui ? est-il un seul pays au monde où elles soient plus entières et plus franchement respectées ? Avez-vous à ce sujet une seule plainte sérieuse à nous faire entendre ? Ne vous taisez pas ; levez-vous, venez défendre ces libertés, et si elles sont seulement menacées, vous trouverez de ce côté de la Chambre des voix qui sauront les défendre avec vous !

Mais non, contre ces libertés qui sont le fond de la Constitution même, vous n'avez pas une seule atteinte à dénoncer. Vous ne pouvez reprocher un seul acte, soit législatif soit administratif, qui leur soit contraire, ni à cette majorité si coupable ni à ce ministère si despotique.

Quand on presse les membres de l'opposition, à quoi leurs plaintes contre le ministère finissent-elles par se réduire ? A une seule. Ils sont de l'opposition et ils se plaignent que le gouvernement ne donne pas assez de places à leurs amis qui font de l'opposition avec eux.

Messieurs, transportons-nous un instant dans quelque autre pays parlementaire, en Angleterre, par exemple ; supposez que lord Derby et son parti reprochant au ministère Palmerston de violer toutes les lois de leur pays, de faire litière de toutes les libertés de la constitution anglaise, d'exercer sur l'Angleterre une effroyable oppression, et qu'engagé à présenter ses griefs, lord Derby n'ait qu'à répondre au cabinet : « Vous ne donnez pas assez de places à mes amis politiques les torys. »

Y aurait-il en Angleterre, y aurait-il dans tous les pays où existent quelques idées du gouvernement constitutionnel assez d'éclats de rire pour accabler le chef de l'opposition anglaise ?

Messieurs, je me félicite de voir la minorité rompre enfin le silence. Je l'engage, si elle veut qu'on la distingue les journaux de son parti, d'être quelque chose par elle-même. Qu'elle n'abandonne pas sa tâche à d'autres ; elle s'en acquittera elle-même avec plus d'efficacité. Certainement il y a sur cette administration comme sur toutes les autres un utile contrôle à exercer par l'opposition. Mais ce n'est pas le moyen de le rendre efficace que de l'abandonner, en dehors de cette enceinte, à ces passions violentes, que devrait refréner, plus que tout autre, un parti qui se donne lui-même le titre de conservateur.

M. de Theux. - A entendre le langage de MM. les ministres et à entendre en ce moment le langage de l'honorable préopinant, je me rajeunis et je me crois reporté au temps florissant du gouvernement des Pays-Bas, alors que les membres de l'opposition étaient de mauvais citoyens, tandis que le gouvernement ne rougissait pas de solder des Libry-Bagnano pour insulter tout ce qu'il y avait de plus honorable en Belgique. A quoi ce système a-t-il conduit ? A Dieu ne plaise que nous voyions jamais le retour de ce qui s'est passé sous le gouvernement des Pays-Bas ! Nos institutions d'ailleurs, l'indépendance du caractère belge nous sont un sûr garant que jamais l'oppression ne sera définitivement consacrée en système dans ce noble pays.

Messieurs, on nous convie à des discussions politiques, et comment s'y prend-on ? Je ne sais pas si M. le ministre ou quelque membre de l'opposition, s'étant préparé, croit pouvoir nous attirer dans une discussion, je ne dirai pas superficielle, le mot ne serait pas propre, mais dans une discussion qui ne serait pas approfondie.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Fixons un jour.

M. de Theux. - Je proposerai un jour quand cela me conviendra, mais soyez persuadé que je n'ai pas renoncé du tout à une discussion politique. J'ai même la résolution d'y prendre un jour ma part légitime.

Messieurs, on prend les griefs un à un et on les rend futiles. On dit que nous n'en avons énoncé que deux.

Nous avons fait ressortir dans la session dernière toute l'injustice du système électoral qui fausse la représentation nationale, base de nos institutions.

- Un membre. - C'est votre ministère qui l'a faite ; vous en êtes l'auteur.

M. de Theux. - On y a apporté des changements dans le temps. Mais quoi qu'on fasse pour m'engager, je ne m'étendrai pas sur ces faits, parce que je compte un jour prendre une part sérieuse à une discussion politique. Mats je ne veux pas me laisser attirer incidemment, je ne dirai pas dans un piège, mais dans une discussion écourtée et qui n'aurait pas l'importance et la gravité qu'elle doit avoir.

En parlant de l'article 84 de la loi communale, on a dit que la Constitution donnait à la Chambre le droit d’interpréter les lois. Je le sais bien. Mais on oublie que la législature, qui a suivi le Congrès, a déclaré qu'il n'y avait lieu à interprétation que lorsqu'il y avait opposition formelle entre les jugements des cours d'appel et de la cour de cassation, et que par-là elle a entendu dire que son intention n'était pas de déférer l'interprétation des lois aux corps politiques qui, dépourvus de la science nécessaire, sont souvent en outre animés de passions politiques.

Relativement à l'article 16 de la Constitution, je n'ai pas demandé le privilège pour le prédicateur de faire de la politique, au lieu de faire des discours de morale et de religion. J'ai demandé que l'on maintînt cette grande liberté que le Congrès a fondée pour corriger les abus qui avaient eu lieu sous plusieurs gouvernements oppresseurs des cultes, la liberté pour le clergé de publier ses actes.

Eh bien, messieurs, cette liberté de publier ses actes, on l'a détruite par le Code pénal. Voudriez-vous peut être, messieurs, qu'on allât un jour jusqu'à cette autre violation de la liberté, qui existe dans un pays étranger, de défendre la publication même par les journaux ?

Je ne sais, mais mes pressentiments m'inquiètent. Je dis que le pays est dans une mauvaise voie.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Messieurs, je ne veux pas insister pour provoquer l’honorable M. de Theux à parler : je désire seulement constater qu'il refuse de parler. (Interruption.) Il refuse de parler aujourd'hui, dites-vous ; eh bien, fixons un autre jour. Nous laissons à l'opposition le soin d'indiquer le jour où il lui conviendra d'ouvrir une discussion. Veut-on continuer les débats mardi prochain ?

- Des membres à droite. - Non ! non !

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Vous refusez, soit ! Je le constate. Il serait peu généreux de notre part de chercher les moyens de contraindre en quelque sorte nos adversaires à discuter ici notre politique, quand ils veulent absolument garder le silence. Mais nous devons faire remarquer que si l'opposition recule devant la nécessité de s'expliquer, elle ne s'abstient pas d'insinuer des griefs, et qu'elle jette dans la Chambre, par l'organe de M. de Theux, ces mots : « Nouvelle violation de la Constitution », qu’elle est ensuite impuissante à justifier.

Déjà l'honorable M. Devaux a fait justice de cette tactique dont le but est facile à saisir.

Je n'ai pris la parole que lorsque j'ai entendu l'honorable M. de Theux se complaire dans le grief tiré de ce que nous avons interprété l'article 84 de la loi communale par voie d'autorité, sans savoir attendre que le doute sur le sens de la disposition eût été constaté par une contrariété d'arrêts. Et d'abord, c'est un droit incontestable pour le pouvoir législatif de statuer ainsi sinon, en dépit de la disposition constitutionnelle qui est expresse, il n'y aurait pas de loi dont le véritable sens pût être déterminé par voie d'autorité.

M. Moncheur. - Par voie d'interprétation.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - L'honorable M. d'Anethan en présentant un projet de loi en 1845, si je ne me trompe, a formellement reconnu le principe que nous défendons ; il a, d'avance, proclamé la parfaite régularité du mode que nous avons suivi, en appelant le pouvoir législatif à se prononcer sur le sens d'une loi par voie d'interprétation. Mais il y a mieux : nos adversaires, M. de Theux en tête, ont proposé deux interprétations par voie d'autorité, invoquant et appliquant ainsi le droit qu'ils contestent aujourd'hui. Dans le projet de loi sur la charité qui a été présenté par le cabinet précédent, qui a été défendu avec énergie par l'honorable M. de Theux, deux interprétations par voie d'autorité ont été soumises aux Chambres ; identiquement ce que nous avons fait pour l'article 84 de la loi communale. Elles sont nettement indiquées dans l'exposé des motifs et dans le rapport fait par l'honorable M. Malou sur ce projet de loi.

Voici quel en était l'objet :

Les cours de Belgique avaient unanimement déclaré que le décret de 1809 ne conférait pas au pouvoir exécutif le droit de constituer des corporations enseignantes, mais seulement des congrégations hospitalières, et avaient refusé d'appliquer une série d'arrêtés royaux contresignés par l'honorable M. de Theux et par l'honorable M. d'Anethan qui avaient abusé de ce décret.

Il n'y avait pas de doute sur ce point. Il n'y avait pas, comme dans le cas de l'article 84, des arrêts contradictoires, et, y eût-il eu doute, d'ailleurs, que la question resterait la même, car ce que l'on conteste c'est le pouvoir de statuer par voie d'interprétation, c'est-à-dire avec effet rétroactif. Eh bien, l'honorable M. Nothomb est venu présenter et l’honorable M. de Theux a défendu une proposition qualifiée d'interprétation, en propres termes, ayant pour but de faire déclarer que le pouvoir exécutif, contrairement à la décision des tribunaux, puisait le droit dans le décret de 1809, d'accorder la personnification civile aux corporations enseignantes.

Ainsi, l'honorable M. de Theux, qui nous reproche d'avoir interprété comme nous l'avons fait l'article 84 de la loi communale, a défendu avec le cabinet précédent, avec l'honorable M. Nothomb, une interprétation par voie d'autorité du décret de 1809. Il en a été de même quant aux dispositions qui régissent les bourses d'études. C'est la preuve, messieurs, de ce que valent les griefs de l'opposition.

M. de Theux (pour un fait personnel). - Messieurs, je n'ai pas défendu les propositions dont parle M. le ministre des finances, puisqu’elles n'ont pas été discutées, mais je dois dire que je n'ai aperçu dans ces propositions aucune intention de fixer le sens d'une loi d'une manière rétroactive.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - C'est dit tout au long dans l'exposé des motifs.

M. de Theux. - Cela m'est échappé, mais je n'ai pas vu dans te texte de cette loi l'intention de donner à ses dispositions un effet rétroactif.

Il s'agissait de disposer pour l'avenir, et je n'ai jamais fait de difficulté d'accorder au pouvoir législatif le droit de modifier une loi ou d'en fixer le sens pour les actes qui seront posés ultérieurement, mais en laissant toujours aux tribunaux le droit de prononcer suivant leur opinion sur les faits antérieurs à la loi.

(page 158) .M. Dechamps. - M. le ministre des finances et, avant lui, l'honorable M. Devaux nous ont reproché de garder un silence systématique. On nous parle sans cesse du « mutisme de la minorité ». On insinue des griefs, dit l'honorable M. Frère, et on n'ose pas les livrer à une discussion politique. D’abord, messieurs, je pourrais répondre que l'opposition choisira et a le droit de choisir son heure pour les débats politiques, et qu'il est au moins étrange de voir que ce soit toujours le gouvernement, qui devrait être un pouvoir modérateur favorisant le calme du pays...

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Vous nous accusez de violer la Constitution.

M. Devaux. - Faites taire votre presse.

.M. Dechamps. - Faisiez-vous taire votre presse lorsque vous étiez opposition, et que nous étions nous, pouvoir, traînés tous les jours dans la boue et aux gémonies par votre presse ?

Je dis donc qu’il est au moins étrange de voir le gouvernement intéressé au calme du pays, condition de sa prospérité, provoquer sans cesse des débats irritants, passionnés, dont il paraît avoir besoin pour vivre et se maintenir au pouvoir.

Mais avons-nous gardé le silence tant reproché ? Chaque fois qu'une question politique a été soulevée, ne sommes-nous pas montés à la tribune pour défendre nos convictions ? La question de l'enseignement, la question de la charité, les questions de la liberté de la chaire, et de la liberté de la presse, celle si importante des fortifications d'Anvers, nous ont-elles trouvés muets ? Demain, à propos de l'enquête de Louvain à laquelle le rapport de l'honorable M. De Fré donne un caractère politique tel qu'en peut présenter une discussion politique comme vous les aimez, nous ne déserterons pas, croyez-le bien, le terrain de la lutte.

Nous avons abandonné la tribune une seule fois, c'est quand on l'a renversée, c'est quand la violence nous a fermé les portes du parlement. (Interruption.)

Je ne vous accuse pas, mais il m'est permis de vous reprocher de ne pas avoir protesté. Comment ! pendant que les huées et les insultes couvraient nos voix, en présence de ce grand échec légal et parlementaire, personne d'entre vous n'a bondi à la tribune pour protester et pour dégager l'opposition de toute solidarisé avec ces violences, qui se cachaient derrière elle ! (Interruption.)

Ainsi, messieurs, chaque fois qu'une question politique vraie a été posée, nous avons défendu nos convictions, aussi longtemps que la tribune est restée debout, libre et respectée.

Mais, messieurs, lorsqu'un ministère vent provoquer légitimement un débat politique, que fait-il ? Il le provoque par un discours du trône ; voilà le terrain d'une discussion générale sur la politique ministérielle, désigné par les usages de tous les pays constitutionnels.

Pourquoi n'y a-t-il pas eu de discours du trône ? Est-ce nous qui l'avons supprimé ? Est-ce nous qui avons, par cette absence de discours du trône, conseillé le silence politique à la Chambre, silence que, du reste, la situation européenne pouvait conseiller ? (Interruption.)

On nous reproche notre silence, n'ai-je pas le droit de dire à MM. les ministres que, d'après les usages parlementaires, le terrain d'un grand débat politique, c'est le discours du trône ? Or, ce n'est pas à nous, à coup sûr, que le pays doit imputer qu'un pareil débat politique ne se soit pas ouvert au début de la présente session.

L'honorable M. Devaux et MM. les ministres s'étonnent que nous parlions des libertés constitutionnelles, selon nous altérées ou compromises.

On dirait vraiment que ces honorables membres ont perdu complètement le souvenir de toutes les grandes discussions politiques qui ont constaté, depuis 25 ans, le dissentiment qui nous sépare.

Sur quoi a porté ce dissentiment ? N'est-ce pas sur ces libertés constitutionnelles et fondamentales, l'enseignement, la charité, la liberté religieuse et la liberté de la presse, que nous voulions plus entières et plus larges, et que vous voulez plus limitées et plus restreintes ?

Dans l’enseignement, comme dans la charité, vous avez défendu l'extension du pouvoir et de l'action de l'Etat, la centralisation ; c'est un système, c'est le vôtre ; je n'examine pas si vous avez raison de le défendre, je ne discute pas, je constate que sur ce terrain des libertés constitutionnelles, c'est vous qui vouliez le pouvoir fort, la vaste organisation d'un enseignement public, la concentration de la bienfaisance dans les mains de l’Etat, et que c'est nous qui défendions moins d'action de l’Etat, moins de centralisation, c'est-à-dire une plus grande, une plus généreuse liberté.

Vous pouvez croire cette liberté aussi étendue, mauvaise et dangereuse, vous pouvez soutenir que nous voulons une liberté exagérée ; là n'est pas la question ; ce que je prétends et ce que vous ne pouvez pas nier, c'est que dans toutes les questions politiques soulevées depuis vingt-cinq ans, c'est nous qui constamment avons voulu ou maintenir ou étende la liberté et que c'est vous qui avez voulu la limiter et la restreindre. Voilà la vérité !

Eh bien, dans ces questions, comme dans celle soulevée sur la liberté religieuse, sur l'interprétation de l'article 16 de la Constitution, où nous avons été heureux de trouver l'honorable M. De Fré à côté de nous, n'est-ce pas la Constitution qui était toujours en cause ? N'avons-nous pas toujours soutenu que votre vaste organisation de l'enseignement public n’était pas celle que voulait le Congrès ? Et nous avons en pour soutiens dans cette cause plusieurs de vos amis, parmi lesquels je cite le plus éminent, l'honorable M. Ch. de Brouckere, rapporteur de la question d'enseignement au Congrès, et qui vous a déclaré que l'interprétation que vous avez donnée à cet article de la Constitution n'était pas celle du Congrès national.

M. Devaux prétend que le Congrès ne s'est nullement préoccupé de ce que nous appelons la liberté de la charité. Je rappelle à M. Devaux que depuis le Congrès jusqu'en 1847, sous tous les ministères et sous toutes les majorités, le Congrès et la législature avaient compris comme nous ce grand principe libéral et économique que, selon nous, vous avez altéré.

Ainsi, ne feignez pas de croire que nous n'osons pas articuler nos griefs et ne dites pas que nous recourons à des insinuations. Voilà plus de dix ans que nous les produisons à la tribune et que nous prétendons que les traditions du Congrès se perdent, que vous ne comprenez pas les libertés constitutionnelles comme on les voulait en 1830, que vous réagissez contre elles et qu'en introduisant l'esprit de parti dans le gouvernement et en fondant le gouvernement des partis, c'est la Constitution dans sa base et son essence que vous avez altérée.

En terminant, je répète à l’honorable M. Devaux et à MM. les ministres que l'opposition a le droit de choisir l'heure du débat politique ; c'est à elle de le provoquer, comme elle le jugera convenable ; nous aurons plus d'une occasion de le faire, et tout présage une discussion prochaine à laquelle on s'efforcera, je m'y attends, de donner un caractère politique.

Nous l'accepterons, si on nous l'offre, et nous prouverons que si nous préférons le calme qui nous sert mieux que les passions politiques, nous ne gardons pas le silence quand notre devoir nous commande de parler.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Messieurs, on nous reproche de convier l'opposition à des discussions violentes. Quant à moi, je n'ai pas adressé de semblables provocations à l'opposition. Voici ce que j'ai pris la liberté de dire à l'honorable M. de Theux, chef de l'opposition : « Vous venez de proférer des paroles qui sont très graves dans votre bouche ; vous avez parlé de violations, de mutilation de la Constitution ; prouvez ces accusations ; ne gardez pas le silence. »

J'étais bien en droit, moi ministre, accusé de mutiler la Constitution, j'avais bien le droit de demander à l'accusateur les pièces à l'appui de son accusation.

Est-ce là être provoquant ? Faut-il que les ministres se taisent quand ils entendent l'opposition, leur reprocher de travailler à la mutilation de la Constitution ?

Messieurs, nous demandons une discussion complète, loyale ; nous prions les chefs de l'opposition de ne pas se livrer à de simples insinuations. Voilà tout ce que nous voulons. Nous n'entendons pas imposer à l'opposition l'obligation de parler ; elle a le droit de parler, comme elle a le droit de se taire.

Qu'elle se taise complètement, elle en est libre ; mais lorsqu'elle se livre à des insinuations, qu'elle leur donne au moins quelques développements ; sinon, messieurs, elle passera pour être une opposition de mauvaise humeur, chagrine, peu contente de ne pas obtenir autant de places qu'elle voudrait ; mais elle ne passera pas pour une opposition politique sérieuse.

Du reste, il semble qu'on est disposé à sortir un de ces jours du mutisme qu'on s'est imposé jusqu'ici : Nous attendons ce jour avec impatience ; nous laisserons à l'opposition le temps de réunir tous ses griefs, mais nous sommes prêts dès maintenant à répondre aux attaques qu'on nous annonce.

M. Devaux. - Un mot d'abord sur quelque chose qui a l'air d'être personnel à quelques membres de ce côté de la Chambre. L’honorable M. Dechamps fait allusion au bruit qui s'est fait dans les tribunes et dans les rues de la capitale au mois de mai 1857.

.M. Dechamps. - Vous appelez cela du bruit ?

M. Devaux. - Oui, j'appelle cela du bruit ; je sais que d'autres parlent de barricades de pavés, moi je n'en ai pas vu ; j'ai été témoin de huées inconvenantes, mais non de barricades.

L'honorable M. Dechamps nous reproche de n'avoir pas pris la parole après que le bruit avait eu lieu dans les tribunes ; ce désordre a été comprimé par M. le président, et M. Dumortier le disait tout à l'heure, ce ne sont pas les membres de la Chambre qui oui la police de l’assemblée.

On a, dit M. Dechamps, laissé passer sans protestation les bruits qui ont eu lieu dans la rue ; mais lorsque le moment pouvait être venu d'en parler, nous avons, avant d'entrer en séance, été appelés dans le cabinet du président.

Et là, messieurs, comme l'honorable M. Dechamps et ses amis, j’ai dit, moi : Il y a trois choses que vous ne pouvez pas faire avant que le calme soit rétabli : vous ne pouvez pas retirer la loi, vous ne pouvez pas clore la session, le ministère ne peut pas se retirer. Mes amis et moi, dites-vous, nous n'avons pas protesté en séance publique contre ce qui s’était passé, mais vous oubliez que c'est vous qui nous avez engagés à renoncer à toute discussion !

(page 159) La mémoire de M. Dechamps le sert bien mal.

Il a oublié que les membres de la gauche ont fait exactement ce que les amis de M. Dechamps et lui, leur avaient demandé dans le cabinet du président.

L'honorable M. H de Brouckere, sur la demande des amis de M. Dechamps, a proposé le renvoi de la loi à la commission. C’est parce que l'honorable M. Dechamps lui-même m'en avait prié à plusieurs reprises dans le cabinet du président, que moi-même j'ai ajouté quelques paroles pour engager la commission à montrer des dispositions conciliantes et à introduire dans la loi des changements importants.

M. de Brouckere et moi nous n'avons fait, je le répète, que nous conformer scrupuleusement à ce qui avait été demandé par les membres de la droite, et c'est l’un d'eux qui vient nous reprocher aujourd'hui de n'avoir pas prolongé un débat qu'eux-mêmes nous conjuraient de finir !

Je ne dis pas que les membres de la majorité ont eu tort de faire ce qu'ils ont fait, chacun est juge de sa position, mais je dis que si de pareils événements étaient arrivés quand l'opinion libérale était au pouvoir...

M. Janssens. - Ce n'est pas possible !

M. Devaux. - Il s'est passé plus d'une fois des choses regrettables dans votre parti.

Eh bien, dans ce cas savez-vous le conseil que j'aurais donné ? J'aurais dit : Continuons la discussion ; que le gouvernement comprime le bruit et si une émeute doit éclater, qu'il comprime l'émeute.

J'ajoute que, membre de la majorité, je n'aurais pas rendu la minorité responsable du maintien de l’ordre dans les rues.

Quand on est majorité, on a la responsabilité du pouvoir ; vous ne pouvez pas vous plaindre, vous, majorité et pouvoir, d'avoir été renversés par des voies de fait contre lesquelles vous n'avez employé aucun moyen de répression.

En effet, où la force publique a-t-elle rencontré de la résistance ? Nulle part ; il y a eu des manifestations inconvenantes, coupables, si on le veut, mais dont il y a beaucoup d'exemples dans tous les pays parlementaires et dont on n'a jamais reporté la responsabilité sur une opposition régulière dans le parlement.

Nous avions demandé aux membres de la minorité quelles étaient les nombreuses libertés qui avaient été comprimées en Belgique ; aux deux griefs de M. de-Theux, l'honorable M. Dechamps est venu ajouter la violation d’une troisième liberté, la liberté de l'enseignement.

La liberté d'enseignement, d'après M. Dechamps, est violée par nos lois. En vérité, messieurs, je l'apprends avec surprise. M Dechamps n'a oublié qu'une chose, c'est que la majorité et le ministère actuel n'ont fait aucune loi sur l'enseignement. C'est que toutes les lois de l'enseignement existaient sous le ministère précédent, quand les amis de M. Dechamps formaient ici la majorité et le pouvoir, et qu'à ces lois qui violent la liberté de l'enseignement, ils n'ont rien changé.

Quoi ! vous aviez la majorité, et une liberté constitutionnelle aussi importante était violée, et vous n'avez rien fait ; et vous, M. Dechamps, vous vous êtes tu, et pour vous en plaindre vous attendez que la majorité et le pouvoir soient passés à vos adversaires. Voilà donc le bilan des libertés sacrifiées !

Le pouvoir législatif a usé du droit que la Constitution lui donne d'interpréter les lois par voie d'autorité ; les lois qui punissent le prêtre qui s'attaque en chaire aux autorités civiles ont été adoucies ; les lois sur l’enseignement public, que la droite a conservées quand elle formait la majorité et le pouvoir, ont été maintenues.

Voilà cette situation lugubre du pays, voilà tous les griefs que la tribune peut articuler, voilà le gouffre dans lequel nos institutions et notre loi fondamentale ont été précipitées, voilà cette désespérante oppression du cabinet libéral et de la majorité qui l'appuie !

M. Nothombµ. - Je désire donner quelques explications au sujet de la question des corporations enseignantes, dont M. le ministre des finances vient de parler ; il a soutenu que la jurisprudence avait condamné, d'une manière absolue, comme illégal, l'enseignement donné par certaines congrégations religieuses, mais que nonobstant cette jurisprudence, nous avions proposé, dans notre projet de loi sur les établissements de^ , de revenir, par voie d'interprétation, à une application différente du décret du 18 février 1809, qu'ainsi le cabinet précédent avait exactement voulu suivre, pour ce dernier décret, le même mode d'interprétation que celui que le cabinet actuel vient d'appliquer à l'article 84 de la loi communale.

C'est bien ainsi, je pense, que M. le ministre s'est exprimé., Messieurs, les décisions de la jurisprudence que rappelle l'honorable M. Frère n'ont pas eu la portée qu'il leur attribue ; je me souviens de deux arrêts sur la question, prononcés à propos des sœurs enseignantes de la congrégation de Marie de Braine-le-Comte ; ils sont de 1846, je le pense du moins ; je puis me tromper de date, car je ne suis pas préparé à la discussion.

M. Dolez. - Et les dames du Sacré-Cœur à Mons !

M. Nothombµ. - C'est possible ; mais ce que je sais très bien, c'est que ces arrêts ont décidé que ce qu'il y avait seulement de contraire au décret de 1809, c'est l'enseignement moyennant salaire, tandis que l’enseignement gratuit des pauvres rentrait essentiellement dans l'esprit du décret. Au fond, on a admis pleinement que le décret de 1809 laissait au gouvernement la faculté de permettre aux congrégations hospitalières de donner l'enseignement gratuit aux enfants pauvres. Dans la pratique, on avait été, et depuis longtemps, depuis l'origine, bien plus loin : l’enseignement salarié avait même été toléré. Il y avait eu sous ce rapport une application très large du décret de 1809, pratiqué tour à tour par les différents ministres qui s'étaient succédé aux affaires, n'importe l'opinion à laquelle ils appartinssent.

MM. Lebeau, Ernst, Liedts, Leclercq, d'Anethan, avaient tous donné à cette disposition la portée étendue que j'indique et dont on ne s'était départi que depuis quelques années. Eh bien ! faisant nue loi nouvelle, nous avons dit qu'interprétant, c'est-à-dire, comprenant le décret de 1809 dans son sens véritable, nous revenions à sa constante application. Nous n’avons voulu ni innover, ni rétroagir, nous conformions simplement le passé.

Il n'y a donc, vous le voyez, aucune espèce d'analogie entre ce qui s'est fait pour la récente interprétation de l'article 84 et ce que nous proposions dans le projet sur la charité.

Je m'arrête sur ce point. Il est possible que je me trompe sur quelques dates : je n'ai aucun document sous les yeux, mais telle est la portée de la disposition que j'avais proposée.

Messieurs, dans une de nos dernières séances et aujourd'hui encore, nous avons été, quelques honorables amis et moi, en butte à des attaques très vives. On nous reproche de faire une opposition mesquine, tracassière, de céder à de mauvaises passions, à des rancunes, que sais-je ? On s'est surtout livré contre nous à ce genre d'argumentation dans la séance d'avant-hier. Je ne l'ai pas immédiatement relevé parce qu'il m'a paru que l'honorable M. Frère cédait en ce moment à un mouvement d'emportement, ce qui lui est assez habituel quand la cause qu'il défend n'est pas bonne. (Interruption.) C'est peut-être vote tactique.

Quant à la cause, je le répète, que vous défendez n'est pas bonne, vous avez l'habitude de vous emporter.

M. le président. - Veuillez parler à la Chambre, comme le veut le règlement, et non au ministre des finances

M. Nothombµ. - Je défère à votre injonction, M. le président, et je viens seulement dire que si j'ai laissé passer les imputations de M. le ministre des finances sans les relever dans cette séance, je ne puis me taire aujourd'hui qu'on revient à la charge, M. le ministre de l'intérieur vient nous reprocher aussi d'avoir cédé à de mauvaises passions.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je n'ai pas dit un mot de cela.

M. Nothombµ. - Pardon : De céder à de mauvaises petites passions, ce sont vos expressions littérales, de ne pas faire une opposition digne et telle qu'elle sied à une opposition sérieuse et à un parlement. Eh bien, je le demande, les deux honorables membres qui nous accusent d'obéir à de mesquines passions et de nous livrer à une opposition tracassière, ont-ils le droit de nous tenir ce langage ? Ont-ils donc perdu la mémoire de ce qui se passait dans cette même enceinte, il y a trois ans, quand la minorité actuelle était majorité et que quelques-uns d'entre nous occupaient le pouvoir ? Si vous l'avez perdue, je vais vous rappeler quelques faits qui prouveront au pays quelle a été la nature, la tendance de votre opposition.

Et je suis forcé, messieurs, de faire intervenir ici ma personne. Quand j'ai eu l'honneur d'entrer dans les conseils du Roi, j'occupais une position modeste à la cour d'appel. C'était ma seule ressource en ce moment ; c’était, je n’hésite pas à l’avouer, mon gagne-pain.

Je n'étais pas dans cette enceinte comme ministre, siégeant sur ces bancs de quelques semaines, que j'ai été menacé d'interpellations sur le retard que j'apportais à nommer à la place que j'abandonnais. Etait-ce là une opposition grande et large ? Et, M. Frère, à cette époque, auriez-vous empêché cette interpellation ? Auriez-vous reproché à votre ami politique qui voulait faire cette interpellation, de céder à de mesquines considérations ?

J'en doute. Mais attachons-nous à des choses plus importantes et prenons quelques objets de nos débats d'alors.

La loi des extraditions concernant les régicides a donné lieu à une 'grande discussion qui a duré trois semaines, à une lutte ardente. Il s'agissait d'une loi de la plus haute importance.

Eh bien, qu'a fait l'opposition dans ce temps ? Elle a été jusqu'à nous accuser d'apporter un texte rédigé par une puissance étrangère, de nous faire les complaisants serviles de cette puissance, de ne pas oser changer une virgule au projet.

C'était l'imputation la plus grave que l'on pût lancer à des hommes d'honneur, à des dépositaires du pouvoir. On devait savoir que c'était impossible. Et cependant, quand ces accusations ont été proférées par un de vos amis, vous êtes-vous levé, M. Frère ? Avez-vous dit : Je suis l'adversaire politique du ministre de la justice, mais je ne crois pas qu'il ait pu consentir à mettre son nom au bas d'un projet de loi que l'étranger lui aurait imposé. Je n crois pas qu'il puisse consentir à faire de la Belgique la vassale, l'esclave d'une puissance étrangère. Vous n'avez pas protesté, M. Frère, et vous m'avez combattu avec acharnement, à outrance. Mais ma loi, vous la conservez aujourd'hui !

Etait-ce là, je vous le demande, une grande et large opposition ? A quoi cédait-on à cette époque ? N'était-ce pas à de mesquines passions, à de misérables rancunes ?

(page 160) Et la loi sur la charité que l'on vient de faire intervenir dans ce débat ! Mais à quelles invectives n'a-t-elle pas donné lieu ? N'ai-je pas été accusé pendant deux mois d'avoir apporté un projet imposé par l'épiscopat, un projet auquel je n'aurais rien osé changer ?

Eh bien, je dis qu'en votre âme et conscience vous deviez savoir que cela n'était pas, que c’était impossible. Et en voici la preuve entre mille : c'est que ce projet, vous ne pouviez le méconnaître, était loin le satisfaire certains esprits dont les idées peuvent être exagérées en matière de bienfaisance. Il renfermait un luxe de précautions dirigées contre la charité privée ; de tous les projets, c'est le premier qui ait restreint la mainmorte, qui existe aujourd'hui illimitée ; seul, le projet a voulu établir un contrôle sérieux, seul aussi il a voulu concilier loyalement, mais énergiquement, les intérêts de la liberté avec ceux de l'Etat. La preuve que j'osais le changer, ce sont les amendements, les modifications profondes que j'ai spontanément introduits dans le cours de la discussion.

Et s'il vient un jour où l'on puisse librement discuter la question, je prouverai ce qu'était le projet et combien il a été calomnié.

Eh bien, je le demande, quand nous étions exposés à tant et à d'aussi amères récriminations, quelqu'un de vous s'est-il levé ? A-t-il dit : « Ces accusations sont exagérées, sont injustes ? »

Non ; on a laissé faire : la calomnie contre le projet a fait son chemin et nu sait où l'on est arrivé.

Une autre fois, messieurs, quand on discutait le budget de la justice, quels griefs a-t-on été chercher cintre moi ? On s'est emparé de l'expulsion d'un individu dont la nationalité était douteuse et est restée douteuse. L'acte pouvait être une erreur de ma part, mais à coup sûr il n'y avait eu ni mauvaise intention ni même négligence. Et cependant l'opposition en a pris prétexte pour voter unanimement ou à peu près contre mon budget.

Voilà quelle a été votre opposition ! Que l'on juge si elle a été grande et large : elle a été haineuse et tracassière et j'ai le droit de vous renvoyer vos accusations eu disant qu'elles étaient inspirées par de mesquines considérations, qu'elles s'alimentaient de rancunes personnelles et qu'elles obéissaient à de mauvaises passions !

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Messieurs, je suis en butte à un singulier reproche de la part de l'honorable préopinant : « J'étais ministre, me dit-il, et des accusations diverses ont été dirigées contre moi ; m'avez-vous défendu ? Vous êtes-vous levés pour me protéger ? » Je ne sais si l'honorable membre (et je tâcherai d'être extrêmement calme pour qu'il soit bien convaincu que la cause me paraît excellente), je ne sais si l’honorable membre s'est jamais imaginé que j'étais chargé de sa défense ! Une seule fois, que je sache, lh’onorable membre a réclamé mon appui et celui de mes amis.

C'est lorsqu'il s'est présenté comme candidat libéral aux électeurs dt Neufchâteau, pour faire échouer un candidat catholique, et alors je crus que la communauté d'opinions qui existait entre l’honorable membre et mes amis nous permettait de soutenir sa candidature. Mais le jour où l'honorable M. Nothomb a changé d’opinion, le jour où il a cessé d’appartenir au paerti libéral, où il est venu servir, comme ministre, la politique que nous repoussions, pouvait-il encre compter sur mon appui ? Il m’avait donné de grandes raisons pour le combattre et peut-être me donnait-il des raisons pour le combattre sans garder pour lui l’estime qu’on peut avoir pour un adversaire.

Dois-je, messieurs, relever les plaintes étranges de l'honorable membre ? Elles sont vraiment puériles.

Il était à peine de quelques mois au ministère qu'il a ouï dire - c'est ce qu'il rapporte -que quelques membres de l'opposition, je ne sais qui, un inconnu, se proposait de l’interpeller sur le point de savoir s'il était disposé à pourvoir à la place qu'il venait de laisser vacante au parquet de la cour d'appel de Bruxelles. Et il me demande si je l'aurais protégé contre l'intention supposée de cet inconnu. Est-ce sérieux ?

L'honorable membre a été accusé dans une discussion, non pas, comme il le prétend de présenter un projet qui serait venu de l'étranger, mais de s'obstiner à ne vouloir y introduire aucune espèce de modification, ce qui a fait dire à un membre de l'opposition :

« On croirait vraiment que vous l'avez reçu ne varietur. »

Et voilà pourquoi l'honorable membre est profondément ulcéré. (Interruption.)

Mon Dieu, je vous concéderai même que ce mot était désagréable, blessant, si vous le voulez, mais tous les ministres sont exposés à entendre de pareilles choses ; ils se défendent et le pays juge. (Interruption.)

N'avons-nous pas été éprouvés par des imputations du même genre, mais dont les conséquences pouvaient avoir une tout autre gravité ; n'avons-nous pas été soumis à de rudes épreuves dans une discussion récente ? Le projet sur les fortifications d'Anvers, d'où nous venait-il ? De l'étranger. Il nous était imposé par l'Angleterre, il ne pouvait être exécuté qu'avec l'argent de l'Angleterre.

- Un membre. - On n'a pas dit cela.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Vraiment ! Je vous ferai pourtant encore cette concession : c'est au dehors qu'on l'a dit et vous le désavouez, Prenons acte de ce désaveu.

Je crois en conscience, lorsque j'examine les actes de l'opposition en face du cabinet précédent, je crois en conscience que l'on y a mis beaucoup de modération ; la plupart des discussions ont été imprimées, elles sont nées dans la Chambre d'opinions le plus souvent exprimées par l'honorable M. Nothomb et que, souvent, on ne pouvait pas laisser passer sans protestation.

Les honorables MM de Decker et Vilain XIIII n'ont pas eu à soutenir les mêmes discussions, non pas qu’on voulût les séparer de leurs collègues, on n'a pas eu recours à cette tactique, mais parce qu'ils ne s'exposaient pas de la même façon. Que l'honorable M. Nothomb fasse un retour sur sa carrière ministérielle et il se convaincra que je suis dans le vrai.

M. Nothombµ. - Je dirai pourquoi tout à l'heure.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je le veux bien. Mais vous reconnaîtrez que ma cause est bonne, car je continue à être d'un calme parfait.

L'honorable M. Nothomb, diverses fois, à propos de projets de lois soumis aux délibérations de la Chambre, a exprimé non pas seulement des opinions politiques, mais des opinions juridiques qui étaient vraiment insoutenables ; il y a persévéré avec une opiniâtreté incroyable. La Chambre se rappelle ce qui s'est produit à propos de la loi sur les poids et mesures, c'est-à-dire à l'occasion d'une simple question de droit. Est-ce qu'on avait tramé un complot... une conspiration contre vous ? Loin de là : lorsque la question s'est présentée, nous vous avons averti, nous vous avons demandé de modifier votre opinion, nous vous avons représenté que vous tombiez dans une évidente erreur.

Vous y avez persisté plus que jamais, le lendemain, le troisième jour ; seulement alors nous nous sommes récriés. Voilà de quoi vous vous plaignez ! Quand, après tant d’années, vous rappelez le souvenir de cette mésaventure, on doit répéter que nous ne pouvons l'imputer qu'à votre maladresse ou à votre inexpérience.

M. Nothomb se plaint plus amèrement encore des attaques qui ont été dirigées contre lui à propos du projet de loi sur la charité. Il a été alors accusé d'avoir apporté ici un projet de loi dicté par l'épiscopat ! Mais on justifiait cette accusation. On a mis en regard les dispositions principales de la loi, les conditions formulées dans un écrit émané d'un des principaux membres de l'épiscopat, et l'on a démontré que les dispositions les plus exagérées du projet concordaient avec les opinions et les exigences consignées dans cet écrit.

Et l'on s'étonne après cela que cette loi ait excité dans le pays une si grande émotion ! On voudrait bien persuader, comme le faisait entendre tout à l'heure l'honorable M. Dechamps, que si nos adversaires sont tombés du pouvoir, si ministère et majorité se sont dissous, c'est en cédant à la violence et non aux vœux de l'opinion publique. Mais comme nous le disait l'honorable M. Devaux, il n'y a eu alors ni émeute, ni barricades. Il y a eu un grand courant d'opposition qui s'est emparé de tous les esprits, et qui vous a renversés. Mais personne, pas un seul sur vos bancs n'a cru que la chose publique était en péril, que les institutions, que le gouvernement étaient en danger.

M. de Liedekerke). - Et les bûchers de Jemmapes ?

M. B. Dumortier. - Et les pavés de Bruxelles ?

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Personne n'a cru que l'existence du gouvernement fût menacée.

M. B. Dumortier. - Et les huées au sein du parlement ?

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Oui, tout le monde sentait que l'on avait affaire à une opposition vive, énergique ; l'agitation s'était manifestée par la présence d'un grand nombre de personnes sur la place de ce palais ; il y eut ensuite des rassemblements dans les rues ; mais encore une fois, il n'y avait là rien qui mît en péril nos institutions, qui mît en danger l'existence du gouvernement.

Vous avez reconnu le caractère peu inquiétant de ces rassemblements en n'agissant pas contre eux. Aucun mouvement de troupes n'a eu lieu, et si quelques pelotons de soldats se sont présentés quelque part, aucune résistance ne leur a été opposée.

Et si vous aviez réellement eu les inquiétudes dont vous parlez aujourd'hui, c’était votre devoir, à vous gouvernement et majorité, de rétablir l'ordre et d'empêcher que la tribune ne fût renversée ; c'était votre devoir à vous qui disposiez de la force publique, de faire respecter les droits de la Chambre.

Voulez-vous que je vous dise ce que nous avons fait en ce temps-là ; ce que l'opposition a fait, et ce qui l'honore ? Pendant cette effervescence l'honorable M. Vilain XIIII vînt à moi ; il me demanda si j'éprouvais quelque répugnance à causer de la situation avec ses collègues. Je lui répondis que j'étais à sa disposition. Il me mit en rapport avec les honorables MM. de Decker, Nothomb et de Tlieux qui se trouvaient dans le cabinet de M. le président. La question qui fut posée presque incontinent est celle-ci : Le projet de loi doit-il être retiré ?

M. Vilain XIIII. - Je n'ai jamais admis, quant à moi, la possibilité de cette hypothèse.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je dis que eette question fut posée. Et cela est vrai. Je répondis : J'appartiens à l'opposition ; je crois ce projet de loi fatal, et certes je ne demanderais pas mieux que de (page 161) le voir disparaître ; mais lorsque vous réclamez mon avis, vous, hommes du pouvoir et de la majorité, moi qui mets au-dessus des considérations de parti le respect de l'autorité et de la légalité, je vous réponds que vous ne pouvez pas retirer le projet de loi dans les circonstances actuelles. M. Nothomb répliqua : C'est aussi mon avis. C'est après cette entrevue qui ne laissait aucun doute sur l'attitude que mes amis et moi nous voulions prendre, c'est après cette entrevue que des délibérations furent ouvertes entre les membres de la gauche et de la droite ; c'est alors que mes amis exprimèrent les mêmes sentiments que les miens, sans que nous nous fussions concertés, et ‘cest par suite d'un accord établi entre la majorité et la minorité, que M. H. de Brouckere demande le renvoi à la section centaale des amendements qui avaient été formulés quelques jours auparavant.

M. Nothombµ. - C'est vrai.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Eh bien, conçoit-on qu'après de pareils actes, après la conduite tenue par l'opposition dans ces circonstances, l’honorable M. Dechamps ne craigne pas de nous reprocher. de n'avoir pas défendu la majorité contre des manifestations irrégulières et regrettables.

.M. Dechamps. - Je me suis plaint de ce qu'il n'y avait pas eu de votre part de protestation contre les atteintes portées aux droits de la Chambre.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - N'appelez-vous pas une protestation ce conseil qui vous fut donné par la gauche de ne pas retirer le projet de loi dans ce moment ? Je dis moi que c'est la plus énergique, la plus noble des protestations.

Et maintenant pour vous poser en victime, pour dissimuler sur une prétendue violence l'échec éclatant que vous avez subi par la seule puissance de l'opinion publique, vous venez prétendre que la liberté de la tribune a été violée, que la Chambre a été injuriée, outragée ! Que ne la défendiez-vous ? Vous oubliez d'ailleurs que des actes de ce genre se passent dans tous les pays libres, et que jamais les hommes politiques sérieux de l'Angleterre ne sont venus proclamer que la Constitution était violée et perdue parce que quelques actes répréhensibles avaient été commis par la foule sur la place publique.

Vous oubliez que le duc de Wellington qui avait rendu tant de services à son pays, que le duc de Wellington, résistant à des projets de modifications aux lois sur les céréales, si je ne me trompe, vit son palais mis en quelque sorte au pillage ! Vous oubliez qu'indigné de ce que le peuple anglais qui lui devait tant, se fût ainsi conduit à son égard, il persista jusqu'à sa mort à ne pas laisser rétablir les vitres de son palais, mais que du moins, ni au jour de l'égarement de la foule ni depuis, lord, Wellington ne pensa que la constitution était anéantie et que la liberté n'existait plus en Angleterre ? (Interruption.)

Lord Wellington était attaqué pour ses opinions qu'il avait exprimées à la tribune ; il avait été assailli par les huées, lui lord Wellington, au sortir du parlement ; il y avait eu ensuite des émeutes dans la capitale ; la foule s'était portée devant Apsley-House, la résidence du duc, et avait brisé les vitres du palais.

Il n'a pas prétendu que la ruine de l'Angleterre était consommée parce que les vitres de son habitation avaient été brisées. Il vous était réservé de propager dans le monde que vous êtes frappé d'ostracisme, que vous gémissez sous l'oppression, que les libertés de la Belgique ont disparu, parce que quelques carreaux de vitres, d'une valeur de cent fr. peut-être, ont été brisés à Bruxelles au mois de mai 1857 !

Et récemment encore, un membre du parlement, lord Grosvenor, ose de son droit d'initiative pour faire interdire les concerts dans les parcs à Londres, les dimanches. La proposition soulève des orages. Lord Grosvenor est accueilli par des huées ; les vitres de son hôtel sont brisées. Lord Grosvenor qui a du sens commun, s'est contenté de retirer sa motion, et n'a pas prétendu que la tribune avait été renversée et que la liberté n'existait plus en Angleterre.

Et puis, lorsque, pour expliquer votre chute, vous voulez à tout prix avoir été victime de la force brutale, vous oubliez une chose : Depuis le mois de mai 1857 jusqu'au mois de novembre suivant, en quelles mains le pouvoir était-il ? Entre les vôtres. Est-ce par suite des violences dont vous parlez que vous êtes tombés du pouvoir ? Non ; vos amis qui l'occupaient, l'ont résigné après avoir constaté par des élections, c'est-à-dire les manifestations les plus légales et les plus concluantes de l’opinion publique, que la majorité du pays les abandonnait.

Ils ont donné librement, volontairement leur démission ; nous avons été appelés à les remplacer et le pays consulté a consacré notre mandat.

Il faut donc faire trêve à ces accusations ; jusqu'aujourd'hui, elles n'avaient trouvé d'autres issue que dans la pressé : on nous appelait le ministère de l'émeute, le ministère des pavés (interruption) ; je ne répète pas toutes les injures qui ont suivi la constitution du cabinet actuel ; mais aujourd'hui que vous êtes appelés à la discuter, quelqu'un prend-il la responsabilité de ces paroles ? Quelqu'un va-t-il nous dire : Le ministère est sorti de l'émeute ?

Sans doute, comme l'a exprimé l'honorable M. Vilain XIIII, nous n’avons pas le droit de juger la presse ; nous ne voulons pas l'appeler à notre barre, la condamner et l'exécuter. Que l'on ne fasse donc point d équivoque a ce sujet. Nous constatons seulement un fait. Depuis deux ans, la presse qui semble parler en votre nom, vit exclusivement de ces accusations ; quelqu'un de vous en prend-il la responsabilité ?... Qu'il se lève et qu'il parle ! Vous imprunvez la presse par votre silence, soit : nous en prenons acte et nous vous en félicitons.

Messieurs, je dois maintenant quelques mots de réponse à dsî observations qui ont été présentées sur la violation, signalée par l'honorable M. de Theux, de je ne sais quelle disposition constitutionnelle, à propos de l'interprétation de l'article 84.

L'honorable M. Nothomb, en rappelant assez inexactement certains arrêts de nos cours sur la portée du décret de 1809, n'a pu contester qu'il eût proposé d'interpréter ce décret. Ces explications n'ont eu d'autre résultat que de confirmer ce que j'ai l'honneur d'avancer.

L'honorable M. de Theux qui ne se doutait guère qu'il fût notre complice, nous a déclaré que cet objet avait échappé à son attention ; que l'article du projet de loi sur la charité n'avait pas été mis en discussion et que, par conséquent, il ne s'était pas aperçu qu'il s'y trouvait une proposition d'interpréter la législation relative aux bourses d'études et le décret de 1809, identique à celle que nous avons faits pour l'article 84 de la loi communale. (Interruption.) L'effet rétroactif, comme vous le nommez, résulte de ce que la loi est une loi interprétative.

Eh bien, l'explication de l'honorable M. de Theux ne vaut rien ; il n'osa pas attendre que l'article fût mis en discussion pour se prononcer ; il faisait partie, avec moi, de la section centrale, et le rapport de la section centrale porte en toutes lettres :

« L'exposé des motifs indique pourquoi le gouvernement a cru devoir proposer cet article. La force légale du décret de 1809, en vertu duquel des congrégations hospitalières peuvent être reconnues, n'est ni contestée, ni contestable Quelques difficultés se sont élevées dans la pratique sur la nature des attributions qu'il est permis de leur confier. L'article 99 décide ces questions controversées, et il le fait dans le sens que le gouvernement impérial et ceux qui l'ont suivi y ont attaché ; il le confirme et l'interprète, mais en le laissant intact. »

Il y a une seconde interprétation du même genre dans le même rapport de la section centrale dont faisait partie l'honorable M. de Theux et qui a été également hâtée par lui ; c'est à propos des bourses d'études.

« L'article nouveau que nous proposons rassurera les familles qui ont repris depuis trente-sept ans l'exercice des droits enlevés lors de la conquête du pays, à la fin du dernier siècle, et lèvera en même temps les doutes qui se sont produits. Ce n'est point nue innovation, mais une interprétation : nous disons seulement que les fondations continueront d'êtres régies par les arrêtés de 1818, 1823, 1829 et 1831. »

Voilà donc qui est parfaitement clair et évident. Deux fois, avec l'approbation de l'honorable M. de Theux, on a proposé de statuer par voie d'interprétation.

L’honorable M. de Theux a eu par conséquent la main très malheureuse lorsqu'il nous a reproché cette violation de je ne sais quel principe constitutionnel au sujet de la loi interprétative que vous avez votée dans notre dernière session.

Messieurs, il en est des autres violations de la Constitution comme de celles que je viens de signaler à votre attention, et le débat actuel aura au moins ce résultat, d'avoir déjà jeté quelques lumières sur ces accusations qui nous sont journellement adressées, de ne point respecter notre pacte fondamental.

M. Nothombµ (pour un fait personnel). - Messieurs, je veux me renfermer exclusivement dans le fait qui m'est personnel.

M. le ministre des finances vient de rappeler un fait qui remonte à 1851, et qui est relatif à une candidature que j'avais acceptée pour la Chambre.

Effectivement à cette époque j'ai fait savoir au gouvernement représenté à peu près par les mêmes hommes qu'aujourd'hui, que je me portais candidat pour la Chambre, et j'ai demandé quelle attitude il se proposait de prendre vis-à-vis de moi. Je le devais par une raison bien simple ; j'étais fonctionnaire amovible et j'avais des raisons particulières et majeures avant d'agréer la candidature, d'en faire part au gouvernement : rien de plus, rien de moins.

Je crois que ma conduite était parfaitement régulière, car je professe l'opinion que, nul fonctionnaire amovible ne peut se porter candidat à la députation sans avoir au préalable soumis sa résolution au gouvernement dont il est l'agent direct.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - C'était pour combattre un candidat catholique.

M. Nothombµ. - Qu'importe ? Le fait est que le gouvernement avait en face de lui deux candidats dont aucun ne lui convenait ; on en a bien cherché un troisième, mais ne le trouvant pas, on a choisi celui des deux qu'on trouvait le moins hostile, le moins antipathique. Voilà l'explication de cet incident. Au surplus, je n'ai pas accepté le mandat qui m'avait été donné.

M. le ministre des finances a cherché à mettre ma position dans le cabinet dont j'ai fait partie en opposition avec celle de deux de mes honorables collègues, MM. Vilain XIIII et de Decker. Comment se fait-il, s'écrie-t-il, que vous ayez été exposé à tant d'attaques quand ces honorables membres ne l'étaient guère ?

D'abord une erreur, car à propos de la loi sur les poids et mesures où nous avons débuté comme ministre, je crois me rappeler que l’honorable (page 162) M. Decker a été l'objet des mêmes injures, de plus d'injures même que moi. Si je voulais, je pourrais rappeler quelques-unes des paroles infiniment dures que M. Frère lui adressait à cette époque.

Mais ensuite la réponse à la question de M. le ministre est bien simple et il est vraiment bien bon de la demander, comme s'il ne pouvait pas la donner mieux que moi : Pourquoi j'ai été exposé spécialement à toutes les colères de l'opposition ?

C'est que j'étais chargé de présenter le projet de loi sur la charité, et l'opposition avait parfaitement compris qu'il fallait avant tout entamer le ministre appelé plus particulièrement à soutenir cette discussion.

Voilà la clé de l'opposition si âpre que dès le premier jour j'ai rencontrée dans cette Chambre. Vous avez fait preuve, ajoute M. Frère, d'inintelligence et d'inexpérience, et c'est pour cela que la Chambre vous a condamné

Que répondre à cela ? Je ne puis me discuter moi-même et je dois me borner à rappeler, puisqu'on m'y oblige, que la Chambre m'a presque donné raison pendant ma carrière ministérielle, dans les discussions nombreuses et difficiles auxquelles j'ai pris part.

Qu'on consulte les Annales parlementaires et on verra quel appui constant j'ai rencontré chez la majorité de la Chambre. Attaqué comme je le suis, il m'est bien permis de constater ce fait, et c'est pour moi une grande satisfaction ; il me dédommage amplement de la désapprobation de l'honorable membre. Enfin, M. Frère vient de se servir à mon égard d'expressions blessantes que toutes les convenances devaient lui interdire.

La Chambre les aura reprouvées comme antiparlementaires ; quant au degré d'estime que M. Frère peut me porter, j'y suis parfaitement indifférent, je dédaigne souverainement l'opinion qu'il peut avoir de moi ; ici je ne reçois de lui aucune leçon, ni d'honorabilité, ni de dignité, et quant aux questions d'honneur, si je ne puis pas les débattre dans cette enceinte, je suis prêt à les régler avec lui ailleurs et partout où il voudra.

M. de Theux. - Messieurs, je n'ai pas demandé la parole pour rouvrir le débat, mais pour donner quelques explications sur un des événements les plus importants de ma carrière parlementaire, sur ma présence à la réunion qui eut lieu en mai 1857 à la section centrale, sous la présidence de M. Delehaye, où se trouvaient en nombre à peu près égal des membres des deux côtés de la Chambre.

Je tiens à honneur de déclarer que j'ai soutenu avec énergie dans le sein de cette réunion que le gouvernement ne pouvait ni se retirer, ni retirer la loi, que l'opposition ne pouvait honorablement accepter le pouvoir. Voilà les deux thèses que j'ai soutenues, j'ai cherché un moyen de conciliation, j'ai proposé de discuter les articles de la loi d'une manière sommaire ; l'opposition pouvait déclarer qu'elle combattrait sommairement pour ne pas prolonger cette situation dangereuse pour le pays.

On a dit qu'il n'y avait rien de grave dans la situation. C'est une erreur ; plusieurs membres de la gauche m'ont dit : Le moment est suprême, nous n'avons pas de conseil à donner, attendez les nouvelles des provinces, voyez la situation de la capitale ; le moment est suprême, il faut une résolution prompte et décisive. Voilà l'opinion exprimée par plusieurs membres avec lesquels j'ai causé à part ; ils m'ont dit tous : La situation est extrême.

Je ne pense pas qu'on accuse les membres de la droite d'avoir montré de la pusillanimité dans ces circonstances.

A la sortie de la Chambre, j'étais désigné, mon nom a été prononcé, les huées ont commencé ; un membre de la gauche a proposé de m'accompagner, j'ai refusé ; je lui ai dit : Je remplis un devoir, je n'ai pas besoin de protection. Le même membre m'a dit : Ce qui se passe ici n'est pas déshonorant pour la majorité, mais c'est un événement triste pour la minorité.

Ces nobles paroles, je les ai retenues ; je saurai toujours gré au membre de la gauche qui a eu le courage de les articuler.

J'ai déjà protesté contre les insultes parties de la tribune publique, qui était tellement tumultueuse qu'il n'était pas possible de se faire entendre dans cette Chambre.

Maintenant on dit qu'il n'y a eu que quelques carreaux de vitre cassés. Messieurs, outre les insultes adressées à des membres de cette Chambre, on a attaqué leur domicile, on y a pénétré ; un enfant effrayé de l'invasion de la maison s'est précipité par la fenêtre. Si ce jeune homme avait été tué et qu'on fût venu vous jeter son corps sanglant au milieu de cette enceinte en vous disant : Voilà le résultat de vos paroles, qu'auriez-vous répondu ? /

Si ce malheur fût arrivé, j'aurais voulu que le père eût le courage héroïque de vous apporter le cadavre de son enfant. Quant à moi, je ne veux pas revenir sur les détails de cette affaire, ils sont trop tristes, trop affligeants pour le pays. Dès ce moment la confiance a diminué dans le pays et encore plus à l'étranger.

Un mot encore sur la loi interprétative, présentée par le cabinet libéral en comparaison avec la loi de M. Nothomb. J'ai déclaré que je ne comprenais pas que la loi interprétative eût un effet rétroactif. Il ne peut pas être question des droits déjà acquis et des faits déjà passés.

M. De Fré. - Je n'assistais pas à la séance lorsqu'il a été donné lecture de la pétition qui a donné lieu à ce débat.

M. le président. - Il n'en a pas été donné lecture.

M. De Fré. - Il y a deux jours, une pétition est arrivée de Louvain, et un membre de cette Chambré s'est levé et a dit : Voici un premier démenti donné au rapport de la commission d'enquête. Aujourd’hui, ce même membre s'est levé et a dit : Voici un second démenti donné au rapport de la commission d'enquête.

Je désire que la discussion sur ce rapport arrive le plus tôt possible. Il ne sagit pas de moi, il s'agit d'une œuvre élaborée en commission, dont la rédaction a été discutée en commun.

J'ai, quant à moi, revu jusqu'à deux fois tous les faits qui sont indiqués dans le rapport, ainsi que toutes les dépositions des témoins ; et c'est lorsque les membres de la majorité ont été d'accord sur la rédaction de ce travail, sur le caractère qu'il devait avoir, sur la portée des termes qui devaient être employés, c'est lorsque ce travail a été approuvé par la majorité libérale de la commission que je l'ai présenté à la commission tout entière.

Pendant la lecture de ce rapport qui soulève aujourd'hui tant de colères et qui sortira victorieux de la discussion, aucun membre de la minorité n'a fait d'observation ni sur les faits énoncés, ni sur les termes dans lesquels ces faits avaient été énoncés.

Il a été constaté au procès-verbal de cette séance que la minorité se réservait le droit (ce sont les termes mêmes du procès-verbal que j'ai sous les yeux), s'il y avait lieu, de donner sous forme de note les motifs de son opposition.

J'ai été étonné que des membres de cette Chambre qui ne savent rien de l'enquête, qui n'en connaissent pas le premier mot, viennent jeter un démenti à la face de notre honorable président, de l'honorable M. Vandenpeereboom et de moi. Je proteste contre une telle conduite. Elle tend à dire que l'œuvre de la commission est une œuvre de partialité.

Messieurs, c'est une œuvre sérieuse, et si elle vous irrite, ce n'est pas parce que les termes n'en sont pas convenables, il n'y a pas un mot du rapport qui soit inconvenant, c'est qu'il vous touche, c'est qu'il vous prend en quelque sorte à la gorge. Eh bien, vous avez beau crier dans votre presse, vous avez beau nous jeter les injures les plus honteuses et les accusations les plus odieuses, je vous répète que ce rapport sortira victorieux de la discussion ; et ce sera la honte de ceux qui accablent d'injures des hommes qui ont fait preuve d'indépendance vis-à-vis de vous, vis-à-vis du pouvoir, vis-à vis de tous.

Car si quelque chose m'a inspiré c'est l'honnêteté, c'est la probité politique !

Il faudrait être circonspect ici.

Vous avez vu que le lendemain du jour o ùnous avions statué sur l'enquête, une contre-pétition nous est parvenue qui protestait contre la première pétition. Cette contre-pétition est maintenant anéantie.

Les signataires eux-mêmes ont déclaré faux les faits qui y étaient contenus.

.M. Dechamps. - Vous discutez l'enquête.

M. De Fré. - Il ne s'agit pas de l'enquête, je réponds à un démenti donné par la presse...

M. de Liedekerke). - Nous ne sommes pas la presse.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Ce démenti lui a été donné aussi par un de ses collègues.

M. Wasseigeµ. - J'ai demandé la parole pour m'expliquer.

M. De Fré. - Je réponds à cette tribune à des paroles prononcées à cette tribune. Ce mot de « démenti » est un mot discrédité, reproduit aujourd'hui pour la deuxième fois, et je ne serais pas étonné que l'on allât chercher une nouvelle protestation pour fournir à l'honorable M. Wasseige l'occasion de signaler un troisième démenti au rapport de la commission d'enquête. Eh bien, je suis curieux de voir la figure que fera l'honorable M. Wasseige quand viendra la discussion. Je vous attends à ce jour, M. Wasseige. Mais modérez-vous, tranquillisez-vous.

Vous pouviez assister aux dépositions des témoins, à toutes les séances de la commission d'enquête. Y êtes-vous venu ?

M. Wasseigeµ. - Oui.

M. De Fré. - J'ai eu l'honneur de vous y voir une seule fois et vous n'avez fait tout le temps que causer avec votre honorable compagnon. Vous ne connaissez rien de l'enquête, et lorsqu'il s'agit de l'œuvre, non pas d'un seul membre, mats d'une commission, d'une œuvre d'hommes sérieux et modérés, lorsqu'il s'agit d'une œuvre de ce genre, vous devriez mettre un peu plus de réserve dans votre appréciation.

Je désirerais que la Chambre s'occupât de l'enquête à l’heure qu'il est. Si elle le veut, je lui montrerai qu'une pétition a protesté en disant que l'argent n'avait pas été « envoyé », mais « reçu » ; qu'un témoin a déclaré qu'il n'avait pas dit certaines choses, et quatre témoins ont prouvé le contraire.

M. le président. - Ceci est la discussion de l'enquête.

M. De Fré. - Ce n'est pas pour mon plaisir que j'entretiens la Chambre de tout cela. J'arrive à ma conclusion. Je demande que par suite des observations que je viens de présenter, la Chambre fixe jour le plus tôt possible pour la discussion du rapport de la commission d'enquête.

M. Wasseigeµ. - Je ne comprends pas la susceptibilité qui s'est emparée de l'honorable préopinant. La première fois que je me suis servi de cette expression, elle n'a provoqué aucune réclamation.

(page 163) M. Allard. - On ne nous avait pas entendu, sans cela on aurait protesté immédiatement.

M. Wasseigeµ. - L'expression a été insérée aux Annales parlementaires, on aurait donc pu réclamer le lendemain.

Je le répète, messieurs, je suis convaincu que cette expression n'a rien d'injurieux. Je n'ai pas eu l'intention de lui donner ce caractère, et je demande comment mes honorables adversaires appelleraient de fait ; une pièce dans laquelle des faits contenus dans une autre pièce sont déclarés faux ? Je demande de quelles expressions ils se serviraient pour qualifier cette pièce ? Quant àmoi, j'ai trouvé le terme de démenti.

Je ne veux pas que ce démenti soit fondé. Je dis seulement que des faits contenus dans le rapport de l'honorable M. De Fré sont démentis dans une autre pièce.

Maintenant je demande que cette pièce soit déposée sur le bureau, afin qu'on puisse l'examiner et voir si réellement les faits qu'on y énonce sont exacts ou ne le sont pas.

Je pense que toute personne impartiale ne verra pas la moindre qualification injurieuse dans le terme dont je me suis servi.

- Plusieurs membres. - Aux voix !

M. Hymans. - C'est précisément pour vous demander d'aller aux voix que je prends la parole.

Vous venez d'assister à une discussion très intéressante, mais dans laquelle on a tout à fait perdu de vue la proposition qui y a donné lieu. L'honorable M. de Gottal a demandé que la Chambre priât l'honorable M. Van Overloop de déposer, mardi au plus tard, la note de la minorité. Je demande qu'on vote sur cette proposition, et je vais plus loin, je demande que si le rapport de l'honorable M. Van Overloop n'est pas déposé mardi, la Chambre passe outre.

Messieurs, je demande cela parce que je trouve que nous jouons ici un rôle de dupes. Je m'explique :

La majorité de la Chambre a décidé qu'une enquête aurait lieu ; elle a chargé le bureau de nommer une commission pour faire cette enquête. Cette commission a été composée d'hommes dont personne n'a contesté la valeur. Il y a été placé deux membres de la minorité ; vous ne pouviez pas exiger davantage, à moins de prétendre avoir la majorité dans la commission d'enquête.

La commission a d'abord entendu tous les témoins qui avaient à déposer sur les faits avancés dans les pétitions. L'honorable M. Van Overloop a demandé qu'on en entendît une centaine d'autres appelés à déposer sur des faits qui prétendument devaient incriminer les candidats libéraux. Il a été fait droit à cette réclamation.

La commission a délibéré ; à l'unanimité elle a nommé son rapporteur ; l'honorable M. Van Overloop et l'honorable M. Notelteirs ont donné leurs voix à l'honorable M. De Fré.

M. H. Dumortier. - Il a voté pour lui-même.

M. Hymans. - Il devait le faire, attendu que s'il ne l'avait pas fait, vous auriez eu un partage dans la commission.

A moins d'adopter le système de l'honorable M. Nothomb, qui prétend qu'il faut soutenir ses adversaires, il est évident que l'honorable M. De Fré devait agir ainsi.

Le rapport de l'honorable M. De Fré est apporté en séance de la commission ; il y est lu, non pas une fois, mais deux fois. L'honorable M. Notelteirs est présent ; l'honorable M. Van Overloop est présent ; ils approuvent par leur silence.

Le rapport arrive à la Chambre, l'honorable M. De Fré monte à la tribune pour en faire le dépôt. La lecture en est demandée. L'honorable M. Notelteirs et l'honorable M. Van Overloop, qui sont présents, qui connaissent le rapport, qui savent ce qu'il contient, ne disent pas un mot. Ils le laissent lire, décidés d'avance à s'opposer à l'impression.

L'honorable M. de Theux demande que cette impression n'ait pas lieu. Une partie des membres de la gauche, croyant accorder à la droite une garantie qui, à mon avis, était parfaitement inutile, vote la proposition de l'honorable M. de Theux. Cette proposition est adoptée. Elle ne sert à rien, vous le savez parfaitement. J'ai cru, en entrant dans cette Chambre, qu'on n'y faisait que des choses utiles. Or, la proposition de l'honorable M. de Theux ne pouvait être utile qu'à la condition de décider que le rapport ne paraîtrait nulle part.

Vous ne vous êtes pas bornés là ; vous décidez que le rapport, qui est une pièce officielle de la Chambre, ne sera imprimé qu'accompagné du contre-rapport de l'honorable M. Van Overloop, qui, lui, sera imprimé sans même qu'il en soit donné connaissance à la Chambre ; et vous n'êtes pas encore contents.

En vérité, je ne sais pas pour quelles raisons vous voulez ajourner ce débat. Je ne sais pas quelles raisons secrètes a la droite pour désirer que les honorables membres, élus à Louvain, n'entrent pas dans cette Chambre. Il est évident que ce n'est pas la gauche qui s'oppose à ce qu'on valide leurs pouvoirs ; c'est de la droite que sont venus tous les obstacles. (Interruption)

Messieurs, quand vous retardiez l'enquête, vous opposiez un obstacle à l'admission des honorables membres. Eh bien, je ne sais pas quelle et la raison secrète qui inspire cette conduite. Peut-être le saurons-nous plus tard. Nous verrons ce qui suivra le dépôt de la note de M. Van Overloop.

Quant à moi, je dis que, par respect pour la discussion de la majorité il faut que la Chambre aborde la discussion.

On parle beaucoup dans cette enceinte et l'on a surtout beaucoup parlé aujourd'hui du respect de la minorité. J'ai un très grand respect pour la minorité, mais, je n'hésite pas à le dire, j'ai un respect beaucoup plus grand pour la majorité, (interruption.) pour le principe des majorités sans lequel aucun gouvernement n'est possible, qui est l’âme du gouvernement représentatif et sans lequel il n'y a que révolutions, troubles et violences.

La majorité a décidé qu'il y aurait une enquête. Cette enquête a été faite ; il faut qu'il soit pris une décision.

Je demande donc formellement à la Chambre de décider que si M. Van Overloop ne dépose pas mardi son contre-rapport, fait qui est d'ailleurs sans précédent dans les Annales parlementaires...

M. B. Dumortier. - Du tout.

M. Hymans. - Permettez ; lorsqu'on nomme une commission pour se prononcer sur une question, ce n'est pas pour qu'elle fasse deux rapports : un pour et un contre.

Lorsqu'un jury s'occupe du sort d'un accusé et lorsqu'il se prononce contre cet accusé ; l’individu condamné pir la majorité du jury ne peut pas dire : J'ai été acquitté par la minorité.

Je demande qu'on passe au vote sur ma proposition.

M. B. Dumortier. - La réponse est excessivement simple. J'ai eu l'honneur de voir tout à l'heure mon honorable collègue et ami M. Van Overloop. Je lui ai demandé quand son rapport serait prêt ; il m'a dit que si la Chambre avait séance lundi, il le déposerait lundi ; que si la Chambre avait séance mardi, il le déposerait mardi.

Deux mots encore. Qui a le plus d'intérêt à voir déposer le rapport de la minorité de la commission ? N'est-ce pas nous ? Pourquoi donc nous accusez-vous de vouloir retarder la présentation de ce rapport ? Après l'impression dans vos journaux du rapport de l'honorable M. F. De Fré, l'intérêt de la minorité est de voir ce rapport fait. Ne nous accusez donc pas de vouloir le retarder. Notre intérêt nous commande de le faire paraître le plus tôt possible.


M. le président. - Nous avons trois propositions : M. de Gottal a demandé que la Chambre fixât un dernier délai pour la production de la note de la minorité, lequel délai expirerait mardi prochain, et que dès aujourd'hui l'on mît à l'ordre du jour de mardi en huit la discussion du rapport sur l'enquête.

Cette proposition rentre dans celle de M. Hymans, d'après laquelle on passerait outre si la note n'était pas déposée mardi prochain.

M. Wasseige a demandé que les pétitions qui ont été analysées fussent déposées sur le bureau pendant la discussion du rapport.

M. Allard a demandé, au contraire, que les pétitions fussent renvoyées à la commission, et M. de Haerne, sous-amendant la proposition de M. Allard, a demandé que la commission fût invitée à faire un rapport avant le jour de la discussion.

M. Wasseigeµ. - Je me rallie à la proposition de M. de Haerne.

M. Allard. - Je demande que le renvoi soit fait à la commission d'enquête. Chaque fois qu'un rapport a été déposé sur uu projet quelconque, les amendements sont renvoyés à la section centrale qui a examiné le projet, et il en est de même des pétitions.

C'est là l'usage constant de la Chambre ; on a agi de cette manière notamment dans la discussion de la loi sur la charité, et je pourrais citer une foule d'autres exemples.

M. de Haerne. - J'ai demandé le renvoi à la commission des pétitions.

M. Manilius. - Il me semble, messieurs, que c'est la commission d'enquête qui doit être appelée à juger si les pétitions sont de nature à être déposées sur le bureau ou à faire l'objet d'un rapport ultérieur.

- La Chambre, consultée, décide que les pétitions seront renvoyées à la commission d'enquête, avec prière de faire son rapport avant la discussion.


M. le président. - Nous avons maintenant la proposition de M. de Gottal.

M. de Nayerµ. - Je ferai remarquer qu'en adoptant cette proposition nous nous exposons au danger de violer notre règlement, au moins dans son esprit.

Le règlement exige qu'il y ait un certain intervalle, non pas entre le dépôt du rapport et la discussion, mais entre la distribution du rapport et la discussion, et cela est fort raisonnable : il ne suffit pas que le rapport ait été déposé sur le bureau pour que tous les membres puissent en prendre connaissance, il faut qu'il ait été distribué à domicile.

Je crois, messieurs, que le parti le plus sage, c'est de maintenir la décision de la Chambre, portant que le jour de la discussion sera fixé après la distribution des pièces.

M. E. Vandenpeereboom. - Messieurs, l'impression est extrêmement avancée ; il n'y a plus à imprimer que la contre-note. Or, cette contre-note ne doit pas même être déposée sur le bureai ; la Chambre a décidé qu'elle sera envoyée directement à l'imprimeur, bien entendu, après la lecture en commission. La distribution du dossier (page 164) complet pourra donc avoir lieu mardi prochain, sans difficulté ; et, dès lors, si vous fixez la discussion à mardi en huit, vous aurez sept jours pour examiner les pièces.

De cette manière, la minorité aura plus de temps pour formuler sa note, que n'en a eu la majorité pour faire le rapport. Sans la décision de la Chambre de mardi dernier, vous seriez tous saisis de toutes les pièces, sauf la contre-note. Ce n'est donc pas notre faute si des retards se sont produits.

M. B. Dumortier. - Il est littéralement impossible, messieurs, de fixer le jour des débats sur l'enquête avant d'avoir reçu les documents. Ou dit que l'enquête a deux ou trois cents pages, et remarquez qu'il n'y a rien au monde de plus compliqué qu'une enquête. Les dépositions des témoins sont inscrites jour par jour sans aucune espèce de corrélation. Comment voulez-vous que tous les membres de la Chambre puissent en peu de temps se former une opinion sur un semblable document ?

Je le comprends pour les membres qui ont assisté à l'enquête, qui l'ont suivie avec assiduité, mais je ne le comprends pas pour nous qui n'en connaissons pas une ligne.

D'ailleurs le règlement exige que le jour de la discussion soit fixé seulement après la distribution des pièces, et cette considération me semble décisive.

M. Carlier. - L'honorable M. De Fré a terminé son rapport en trois jours ; il me semble dès lors que 8 jours nous suffisent pour l'examiner. D'ailleurs si au bout de ces 8 jours l'honorable M. Dumortier ou ses amis trouvaient qu'ils ne sont pas suffisamment préparés à la discussion, il serait temps encore de demander un nouveau délai.

M. Hymans. - Je désire seulement constater que si l'ostracisme des députés de Louvain se prolonge, ce n'est pas à nous qu'il faut l'imputer.

M. de Naeyeeµ. - Le règlement dit qu'il faut un intervalle de deux jours au moins entre la distribution d'un rapport et la discussion de ce rapport. Quel est l'esprit de cette disposition ? C'est évidemment pour laisser aux membres de la Chambre le temps nécessaire pour examiner l'affaire à fond.

Or, il s'agit ici d'une affaire d'un caractère tout à fait extraordinaire, compliquée d'une foule de questions, escortée d'un cortège de nombreuses pièces dont l'examen sera indispensablement difficile et laborieux.

Il est dès lors impossible, je dis même qu'il serait déraisonnable de fixer dès à présent le jour de la discussion. Nous devons attendre la distribution des documents. Comment pourrions-nons déterminer le temps nécessaire pour les examiner, alors que nous ne les connaissons pas encore ? Lorsque nous aurons sous les yeux toutes les pièces, alors seulement nous pourrons apprécier en hommes raisonnables le temps moral dont nous aurons besoin pour les étudier d'une manière sérieuse et approfondie.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Messieurs, le règlement ne pourra pas être violé au préjudice de la minorité. Un seul membre réclamant l'exécution du règlement, le règlement serait exécuté. Si, après la distribution des pièces, le délai prescrit par le règlement n'existe pas, on se conformera aux prescriptions du règlement. En fixant à huitaine cette discussion, il est probable, on peut même dire qu'il est certain que le délai exigé par le règlement sera obtenu. S'il n'en est pas ainsi, on réclamera l'exécution du règlement.

M. de Baillet-Latour. - Messieurs, si, comme on vous l'annonce, la note de l'honorable M. Van Overloop est remise lundi, elle pourrait être imprimée, et distribuée mardi dans l'après-dînée, et vous aurez huit jours pour examiner cette note, ainsi que les autres documents de l'enquête : on n'attend plus que la note, pour distribuer mardi ces pièces.

Je ferai remarquer que mardi en huit, c'est le 14, et qu'alors nous serons déjà assez près de l'époque à laquelle la Chambre prend ordinairement ses vacances et qu'il nous reste beaucoup de budgets à discuter et à voter avant le 1er janvier.

M. de Naeyer. - Messieurs, je ne comprends pas l'insistance que l’on met à vouloir fixer dès à présent le jour de la discussion. J'admets que la lettre du règlement sera observée, car comme l'a fait remarquer M. le ministre des finances, si un seul membre réclamait, le règlement devra être exécuté. Mais je n'ai pas seulement argumenté de la lettre du règlement, j'ai encore et surtout argumenté de l'esprit du règlement. Or, quand le règlement dit qu'il faut un délai de deux jours au moins, cela signifie évidemment que les membres de la Chambre doivent avoir le temps nécessaire pour étudier les pièces. Eh bien, je dis qu'il nous est impossible, aujourd'hui que nous n'avons pas toutes les pièces sous les yeux, de déterminer dès à présent le temps dont nous avons besoin pour nous livrer à un examen approfondi de tous les documents. Il est à remarquer que le parti catholique est accusé dans cette affaire ; or, ce qu’en bonne justice on ne refuse jamais à un accusé, c'est le temps de préparer sa défense. Et voilà pourquoi je ne comprends pas l’opposition qus rencontre ma proposition.

M. Devaux. - Messieurs, je crois que ce que vient de dire l'honorable M. de Naeyer est le résultat d'un malentendu. D'après ce qui se dit autour de moi, l'enquête tout entière, à l'exception de la note de l'honorable M. Van Overloop, serait déjà imprimée ; or, comme l'honorable M. Van Overloop doit déposer sa note lundi, ainsi que vient de l'annoncer M. B. Dumortier, il est bien certain que cette note sera imprimée mardi ; nous aurons donc mardi au soir, ou tout au plus tard mercredi, l'ensemble de l'enquête ; on aura pour examiner les pièces, non pas deux jours, mais six ou sept jours.

Si, après que tout le monde aura sous les yeux le rapport et les annexes et la note de M. Van Overloop, il y avait quelque motif sérieux pour prolonger le délai, ou pourrait encore en proposer un plus long ; mais, dans tous les cas, le règlement sera observé.

M. Allard. - Vous vous plaignez de n'avoir pas les pièces ; mais vous n'avez qu'à' vouloir, vous les aurez demain, excepté la contre-note de l’honorable M. Van Overloop ; c'est vous qui avez décidé qu'aucun document ne serait distribué sans cette contre-note ; l'honorable M. Van Overloop ne l'a pas encore remise, et vous vous plaignez de n'avoir pas connaissance des pièces ; autorisez-nous donc à distribuer ces pièces demain, on distribuera plus tard la contre-note.

M. de Naeyer. - Il y a décision de la Chambre.

M. Carlier. - Je propose à la Chambre d'ordonner que les pièces de l'enquête soient distribuées ce soir ou demain. Quant au rapport de l'honorable M. De Fré, il est probable que nous le possédons tous. On distribuera ensuite la note de l'honorable M. Van Overloop. Ce qui est important pour nos adversaires, c'est d'avoir les pièces de l'enquête dans lesquelles ils puiseront les moyens de combattre le rapport de l'honorable M. De Fré.

M. Vermeire. - Messieurs, d'après toutes les probabilités, la distribution de toutes les pièces pourra se faire mardi prochain ; dans ce cas, la discussion pourrait être fixée à mardi en huit. Dans la supposition que toutes les pièces ne puissent pas être distribuées mardi prochain, je propose à la Chambre de fixer la discussion huit jours après la distribution des documents.

Il nous est très difficile d'examiner cette affaire avant d'être en possession de toutes les pièces. Il faudra nécessairement confronter les faits avancès dans le rapport de l'honorable M. De Fré avec ceux que constatera la note de l'honorable M. Van Overloop. Si cette dernière pièce était distribuée plus tard et isolément, ce serait un nouveau travail à faire. Je crois que toutes les opinions seraient satisfaites si on décidait que la discussion aura lien huit jours après la distribution de tous les documents. Je propose formellement à la Cbambre de prendre une décision en ce sens.

- La discussion est close.


M. le président. - La Chambre est en présence de plusieurs propositions.

La proposition faite par M. de Gottal a un double objet. Ce membre propose d'abord de déclarer que si la contre-note de M. Van Overloop n'est pas fournie pour mardi prochain au plus tard, la Chambre passera outre.

Cette première partie de la proposition de M. de Gottal est mise aux voix et adoptée.


M. le président. - M. de Gottal demande maintenant qu'on fixe à mardi en huit la discussion des conclusions de la commission d'enquête.

M. Vermeire demande qu'on fixe cette discussion huit jours après la distribution des pièces ; comme il vient d'être décidé que si la note de la minorité n'a pas été produite mardi prochain elle ne sera pas imprimée, la proposition de M. Vermeire ne présente plus d'inconvénients.

M. de Naeyer. - Il faut le temps de l'imprimer.

- La proposition de M. Vermeire est mise aux voix et adoptée.

M. le président. - Il est entendu que c'est huit jours après la distribution des pièces que s'ouvrira la discussion.


M. le président. - Reste la proposition de M. Carlier de distribuer l'enquête, moins le rapport.

- Cette proposition est adoptée.

Rapports sur des naturalisation

M. Thienpont. - J'ai l'honneur de déposer des rapports sur deux demandes en naturalisation.

- Ces rapports seront imprimés, distribués et mis à l'ordre du jour.

Projet de loi fixant le contingent de l’armée pour l’année 1860

Rapport de la section centrale

M. Allard. - J'ai l'honneur de déposer le rapport de la section centrale qui a examiné le projet de loi relatif au contingent de l'armée.

- Ce rapport sera imprimé, distribué et mis à l'ordre du jour après le budget de la justice.

Rapport sur des demandes en naturalisation

M. Savart. - J'ai l'honneur de déposer des rapports de la commission sur plusieurs demandes en naturalisation.

M. de Boe. - J'ai l'honneur de déposer plusieurs rapports également sur des demandes en naturalisation.

- Ces rapports seront imprimés, distribués et mis à la suite de l'ordre du jour.

La Chambre renvoie la prochaine séance à mardi à 2 heures.

La séance est levée à 5 heures.