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Chambres des représentants de Belgique
Séance du jeudi 22 mars 1860

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1859-1860)

(page 933) (Présidence de M. Orts.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. de Moor procède à l'appel nominal à deux heures et on quart.

M. Vermeire donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier.

- La rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Moor présente l'analyse des pétitions suivantes.

« Des droguistes, à Bruxelles, demandent la liberté de vendre en toute quantité les produits naturels et chimiques employés dans les arts, les sciences, l'industrie, le commerce et l'économie domestique. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Des habitants d'Ooteghem demandent qu'il soit donné cours légal aux pièces décimales françaises en or ou que ces monnaies soient reçues pour leur valeur nominale dans les caisses de l'Etat, et proposent subsidiairement que le gouvernement soit autorisé à battre pour son compte et pour compte des particuliers, des monnaies d'or belges de même valeur, titre et module que l'or français. »

« Même demande d'habitants de Beveren, Calcken.»

M. Rodenbach. - Je continue à proposer à la Chambre de renvoyer ces pétitions à la commission des pétitions, avec demande d'un prompt rapport.

- Adopté.


« Des habitants de Wancennes demandent qu'il soit donné cours légal en Belgique à la monnaie d'or de France. »

« Même demande d'habitants de Beauraing, de Bruxelles et de Couvin. »

- Même décision.


« Les membres du conseil communal de Leuth prient la Chambre de décréter la construction d'un chemin de fer de Bilsen à Liège. »

M. de Renesse. - Je demande le renvoi à la commission des pétitions, avec invitation de faire un prompt rapport.

- Adopté.


M. le ministre de la justice transmet, avec les pièces de l'instruction, trois demandes de naturalisation.

- Renvoi à la commission des naturalisations.

« M. A. Vandenpeereboom, retenu chez lui pour des affaires urgentes, demande un congé. »

- Accordé.

Projets de loi accordant des crédits supplémentaires au budget du ministère des finances

M. David. - Messieurs, j'ai l'honneur de déposer le rapport de la section rentraie qui a examiné le projet de loi ouvrant des crédits supplémentaires au ministère des finances pour les exercices de 1859 et 1860, s'élevant ensemble à la somme de 31,913 fr. 11 c.

- Impression, distribution et mise à la suite de l'ordre du jour.


M. Loos. - Messieurs, j'ai l'honneur de déposer le rapport de la section centrale qui a examiné le projet de loi tendant à ouvrir un crédit de 3,190 fr. 87 c. au département des finances.

- Impression, distribution et mise à la suite de l'ordre du jour.

Rapports de pétitions

M. Vander Donckt, rapporteur. - Messieurs, par pétition datée de Bruxelles, le 25 février 1860, le sieur Dineur réclame l'intervention de la Chambre pour obtenir la restitution du montant d'une amende dont remise lui a été faite par arrêté royal du 19 novembre 1858.

Messieurs, je suis obligé d'entrer dans quelques détails pour expliquer à la Chambre les motifs qui engagent le pétitionnaire à s'adresser à l'assemblée.

Le sieur Dineur a été condamné à une amende de mille francs, et il s'est pourvu en grâce auprès de Sa Majesté.

Sur ces entrefaites, pendant qu'il était en instance, le receveur de l'enregistrement l'a obligé de payer le montant de l'amende qui était de mille francs ; il s'est empressé dy satisfaire en attendant sa grâce par Sa Majesté.

Un arrêté royal en date du 19 novembre 1858 l'a exempté de cette amende, mais lorsque le sieur Dineur est allé réclamer le montant de l'amende qu'il avait payée de bonne grâce, on lui a répondu qu'on ne pouvait la restituer.

Il a fait des instances pour obtenir la restitution de cette amende et pour que l’arrêté royal reçût son exécution. II n'y a plus d'autre moyen de restituer les mille francs, qu'une loi portée par la législature, qui autorise le trésor à restituer l'amende.

Or, vous comprenez que dans la position où se trouve le pétitionnaire, alors que S. M. apprécia les motifs du recours en grâce, l'honorable ministre des finances qui a dû apostiller favorablement la demande et la soumettre à S. M., le ministre était censé avoir eu des motifs suffisants pour exempter le pétitionnaire de l'amende.

C'est ce qu'il demande aujourd'hui. Si on ne veut pas que l'arrêté royal soit une lettre morte, il y a lieu de combler la lacune par un projet de loi présenté par le gouvernement ou émanant de l'initiative de la Chambre. En attendant, la commission a conclu au renvoi au ministre des finances.

M. Mercier. - J'appuie les collusions de l'honorable rapporteur ; je me joins à lui pour engager le gouvernement à présenter un projet de loi dans le sens indiqué par M. Vander Donckt.

M. Hymans. - J'appuie également les conclusions de la commission et j'exprime le vœu qu'une prompte solution soit apportée à cette affaire.

- Les conclusions de la commission sont adoptées.


M. Vanden Donckt, rapporteur. - Par pétition datée d'Opprebais, le 25 février 1860, des habitants d'Opprebais, Incourt et Roux-Miroir demandent l'abrogation des articles 22, 23 et 49 de la loi du 11 juin 1850, sur l'exercice de la médecine vétérinaire.

Messieurs, vous devez vous rappeler qu'un très grand nombre de pétitions ont déjà été présentées à la Chambre par les médecins vétérinaires sortis de l'école vétérinaire qui demandent à être placés sur le pied d'égalité avec leurs collègues établis nommés par le gouvernement. Il y a quelque chose de choquant dans cette position.

Le gouvernement a le droit, d'après la loi de 1850, de nommer des vétérinaires du gouvernement dans les localités.

Ce sont les seuls qui ont le droit d'ordonner l'abattage des bestiaux malades et de faire obtenir par les détenteurs une indemnité pour les bestiaux abattus pour cause de maladie contagieuse. Maintenant, ceux qui ne sont pas vétérinaires de l'Etat sont constamment délaissés par le cultivateur, parce qu'il se dit ; si nous demandons un vétérinaire qui n'est pas nommé par le gouvernement et qui n'est pas investi du pouvoir d'ordonner l’abattage, nous sommes obligés à de doubles frais. Si le vétérinaire déclare que la maladie est réellement contagieuse, nous sommes obligés de demander, en second lieu, le vétérinaire nommé par le gouvernement. Autrement nous ne recevons aucune indemnité. Par suite de cet état de choses, les vétérinaires qui ne sont pas investis de la nomination de vétérinaire du gouvernement se trouvent dans le cas de n'avoir pas de pratiques, de ne pas pouvoir exercer leur art en concurrence avec ceux qui sont privilégiés et nommés par le gouvernement pour cette opération,

Nous croyons qu'il y a la une véritable lacune dans la loi. Il ne s'agit plus ici des anciens empiriques ni de la concurrence avec ces anciens praticiens. Mais il s’agit de la concurrence entre ces jeunes gens qui sont sortis de l'école vétérinaire, dont les uns, privilégiés, ont obtenu une nomination du gouvernement et dont les autres n'en ont pas.

Votre commission a l'honneur de vous proposer le renvoi de la pétition à M. le ministre de l'intérieur avec demande d'explications.

(page 954) M. Moncheur. - J'appuie la pétition des vétérinaires pourvus d'un diplôme, mais non d'une nomination du gouvernement. Je crois que la réclamation des vétérinaires ayant fait leurs études et leurs preuves de sciences est parfaitement fondée. J'espère qu'il y sera fait droit, et pour y faire droit, je crois qu'il y a une lacune à combler dans la loi sur l'exercice de la médecine vétérinaire.

- Les conclusions de la commission sont adoptées.

Projet de loi modifiant la loi monétaire, en ce qui concerne les monnaies d’appoint

Second vote des articles

Article 4

L'article 4 modifié au premier vote est définitivement adopté.

Article 7

A l'article 7, la Chambre a adopté le second paragraphe proposé par la section centrale, ainsi conçu :

« Cette restriction, quant à la monnaie de nickel, ne s'applique pas au payement des impôts dans les caisses de l'Etat. »

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Messieurs, quoique cette affaire paraisse peu importante, je suis obligé cependant d'insister, parce que la mesure, si elle est praticable, si elle est exécutable, présentera pour le public de très graves inconvénients. Il ne s'agit pas seulement de considérer les receveurs des contributions chargés de recevoir le payement des impôts, et qui seraient tenus d'accepter la monnaie de nickel en tout cas et pour toute espèce de payement ; c'est déjà un embarras très grave pour eux ; mais voici comment le public, une partie du public, se trouvera victime.

Afin de faciliter les payements à faire par l'Etat, on assigne sur les receveurs de contributions dans les campagnes une série de payements. Ainsi ces agents sont chargés de payer aux communes les centimes additionnels ; ils payent les pensionnaires de l'Etat qui résident dans leur circonscription, lorsque ceux-ci le désirent ; ils payent les traitements des membres de l’ordre judiciaire, et ceux des curés et des vicaires de leur ressort

Si donc il arrive par hypothèse que, dans certaines localités, le receveur des contributions ait reçu une très forte quantité de monnaie nickel, de deux choses l'une : ou il sera obligé de donner du nickel en payement à ceux auxquels il doit payer, ou il sera obligé de ne pas payer.

- Un membre. - Qu'il change la monnaie de nickel au chef-lieu.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Mais pour aller la changer au chef-lieu, il faudra bien qu'il retarde les payements ; et par conséquent les services publics seront entravés, les améliorations qu'on a voulu introduire en vue des particuliers, se trouveront entièrement détruites.

Qu'est-ce que je demande au surplus ? La simple faculté pour le gouvernement de faire la chose partout où cela ne présentera pas d'inconvénients, et si elle ne présente d'inconvénients pratiques sur aucun point du territoire, elle sera exécutée partout. Je demande que la Chambre, qui ne peut administrer, qui ne connaît pas les difficultés administratives, ne décide pas la question en aveugle, ne décide pas qu'on appliquera cette mesure, quoi qu'il arrive, quels que soient les inconvénients qui se présenteront.

Je demande le maintien de la disposition principale proposée par le gouvernement, qui atteint le but que l'on se propose, et qui, je le fais remarquer de nouveau, est une innovation que j'ai moi-même proposé d'introduire dans la législation, car jusqu'à présent on n'a pas été autorisé à payer en monnaie de cuivre. J'admets qu'on paye les impôts en monnaie de nickel. Mais je demande que le gouvernement ne soit pas entravé par la disposition légale, qu'il ait la facilité de constater jusqu'à quel point, dans toutes les circonscriptions des receveurs, la mesure est complètement et absolument praticable.

M. Pirmez, rapporteur. - Si l'amendement en discussion m'était personnel je ne prolongerais pas cette discussion ; mais je suis chargé de défendre le système de la section centrale et je dois aussi répondre aux observations que vient de présenter M. le ministre des finances.

Le grand inconvénient signalé dans la séance d'avant-hier, était la difficulté pour les receveurs de transporter les monnaies de nickel du lieu de perception au chef-lieu d'arrondissement. Mais je trouve que, à cet inconvénient, il y a un remède dans ce que vient de dire M. le ministre, c'est que cette monnaie de nickel sera donnée et distribuée sur les lieux mêmes aux différentes catégories de personnes qui doivent être payées par le receveur des contributions.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Elles ne sont pas tenues de recevoir de la monnaie de nickel.

M. Piratezµ. - Mats si elles refusent, c'est qu'il y aura excès de cette monnaie dans la localité. Or, quel but poursuivez-vous ?

Le but de la loi est de proportionner toujours exactement la monnaie de billon aux besoins de la circulation.

Le seul fait du refus du nickel prouve qu'il y en a trop dans un lieu donné et que vous devez en retirer.

Or, vous n'avez pour cela, dans beaucoup de localités, qu'un seul moyen, c’est le payement au receveur des contributions. Si vous refusez ce moyen aux localités reculées, vous n'atteignez plus le but que vous vous proposer.

Il me paraît, messieurs, que le maintien de cette proportion que l'on cherche à établir entre les besoins et la circulation est une considération d'une importance tout à fait supérieure ; elle gouverne toute l'économie de la loi. Cette considération a une bien autre valeur que celle des quelques difficultés que présente un transport de nickel.

Remarquez, d'ailleurs, que ces transports ne peuvent jamais être qu'exceptionnels ; car lorsque la circulation sera une fois purgée de son excédant, on ne portera plus de nickel chez le receveur. La raison en est toute simple, c'est que quand il n'y aura pas trop de nickel, les particuliers se garderont bien de se priver de cette monnaie de billon, si nécessaire dans les usages ordinaires de la vie.

J'ajouterai une dernière observation.

M. le ministre invoque ce qui existe aujourd'hui ; mais la disposition qui limitait même vis-à-vis de l'Etat le payement de billons, a été critiquée dès le principe de l'examen de la réforme qui nous occupe.

Le système du projet a été présenté d'abord par M. Lejeune, commissaire des monnaies. Or, ce que M. Lejeune demandait surtout et en première ligne, c'est la suppression de la limitation de la quantité de billon que l'Etat doit recevoir en payement.

Il y a, en effet, quelque chose de très singulier à permettre à l'Etat d'émettre une monnaie n'ayant qu'une faible valeur intrinsèque et de l'autoriser à la refuser.

Ce n'est que par extension de cette première réforme que, et comme un remède plus complet à l'inconvénient de la surabondance de monnaie de billon, l'on a proposé d'établir des bureaux d’échange partout où cela serait possible.

Tout ce que demande la section centrale, c'est de maintenir le point de départ de la loi que nous discutons en ce moment.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je ne conçois réellement pas l'insistance si vive de l'honorable rapporteur de la section centrale pour une mesure de ce genre. Je fais remarquer que, dans l'état actuel de la législation, le gouvernement ne reçoit pas en payement les monnaies d'appoint, si ce n'est dans les limites imposées aux particuliers. Voilà le droit commun, non seulement en Belgique, mais dans tous les pays. Voilà ce qui se passe dans le monde entier.

M. Rodenbach. - On a d'autres monnaies, ailleurs.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Quelles monnaies ?

M. Rodenbach. - On a de la monnaie d'or.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Pour remplacer la monnaie d'appoint ? Voilà donc quel était le droit commun dans le monde jusque dans ces derniers temps. On a proposé, et l'idée me paraît très bonne, on a proposé et la Chambre a sanctionné deux choses : c'est de permettre l'échange des monnaies d'appoint contre des monnaies de payement. Cela pourrait déjà être considéré comme complètement satisfaisant.

Du moment que vous auriez, sur un grand nombre de points, des bureaux où l'on pourrait prendre de la monnaie de payement en échange de la monnaie de billon, ou de la monnaie de billon en échange de la monnaie de payement, du moment que cela existerait, il serait pourvu à tous les besoins.

Mais nous allons plus loin, nous disons : Le gouvernement recevra la monnaie de billon. Mais peut-on dire sans inconvénient, sans dommage pour la chose publique, pour les agents de l'administration ou pour d'autres intéressés, peut-on dire que, dans tous les cas et partout, il sera tenu de la recevoir ? Cela ne peut-il pas présenter certains inconvénients ?

Tout le monde est d'accord dans l'administration qu'il peut en résulter des inconvénients. Laissons donc au gouvernement le soin d'exécuter la mesure ; le gouvernement, s'il n'a pas de motifs pour imposer des restrictions, n'en imposera pas. C'est lui qui propose la mesure, c'est lui qui veut la mettre en pratique ; il n'imposera donc de restrictions que si cela est absolument indispensable.

On insiste cependant. Les receveurs font aujourd'hui des payements. Il arrivera de deux choses l'une : ou bien que ces payements ne se feront pas, ou que la législature ayant pris la disposition que je signale à son attention, l'administration sera contrainte de priver les particuliers des avantages qui leur auront été faits, car il n'y a pas de loi qui oblige l'administration à faire effectuer certains payements chez les receveurs des contributions ; les personnes pensionnées, les ministres des cultes, etc. se rendront dans les chefs-lieux pour être payés, ainsi que cela se faisait presque constamment autrefois. Est-ce là ce qu'on veut ?

Tient-on, cependant, à ce que le gouvernement soit lié plus qu'il ne l'est par la disposition qu'il propose ? Eh bien, mettez dans l'article que le gouvernement en autorisera l'admission, autant que possible, dans les caisses de l'Etat. Voilà sa responsabilité engagée vis-à-vis de la Chambre, si l'exécution ne répond pas à l'attente de l'assemblée.

M. de Theux. - Messieurs, l'honorable ministre des finances vient de parler d'une difficulté pratique en ce sens que les receveurs des contributions, recevant pour ainsi dire tous les impôts en monnaie de nickel, seront dépourvus d'argent pour payer les pensions, les traitements et d'autres dépenses de ce genre.

Cet inconvénient n'est nullement à redouter. Pour que la crainte manifestée par M. le ministre des finances fût fondée, il faudrait supposer une surabondance énorme de monnaie de nickel ; il faudrait (page 935) supposer que cette monnaie fût discréditée, que chacun eût hâte de s'en défaire, et qu'elle eût à peine cours dans le petit commerce.

Messieurs, cela n'est pas à prévoir. Mais si cela arrivait, ce serait la faute du gouvernement qui aurait émis la monnaie de nickel en trop grande quantité ; et ce serait précisément dans ce cas que l'amendement de la section centrale serait d'une impérieuse nécessité ; car ce serait alors un papier-monnaie sans valeur ; celui qui l'a émis ne le reconnaîtrait pas, cela n'est pas admissible...

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Cela existe aujourd'hui,

M. de Theux. - La différence est énorme entre la situation d'aujourd'hui et celle que vous voulez créer.

Vous faites aujourd'hui une monnaie de billon qui n'aura pas cours à l'étranger, tandis que notre monnaie de cuivre y a cours ; et puis elle n'est pas en telle quantité qu'elle soit une gêne dans me commerce.

M. le ministre des finances ne se préoccupe que des convenances des receveurs de l'Etat ; nous, nous nous préoccupons des convenances des détenteurs de la monnaie que le gouvernement a émise ; il y a plus, nous nous préoccupons d'une question de justice et de droit.

Celui qui émet un papier-monnaie est au moins obligé de le reconnaître ; adoptez l'amendement de la section centrale, et la confiance subsistera, et la monnaie de nickel aura cours dans le commerce.

La disposition proposée par la section centrale est le remède contre les émissions surabondantes.

C'est une maxime de droit, que celui qui reçoit un papier-monnaie a le droit de le convertir, quand il veut, en argent légalement valable.

Je ne conçois réellement pas qu’il puisse y avoir une discussion sérieuse sur l’amendement de la section centrale, amendement dicté par la stricte justice.

M. Loos. - Messieurs, pour ma part, je ne comprends pas l'insistance qu'on met à demander que la monnaie de nickel soit reçue dans les caisses de l'Etat. Aujourd'hui que se passe-t-il ? Nous avons de la monnaie de billon. Est-elle reçue dans les caisses de l'Etat ? Non ; cependant nous voyons se produire ce qui se produira inévitablement pour le nickel ; le cuivre s'agglomère sur quelques points du pays où il y a beaucoup de fabriques, et il est rare dans d’autres localités ; eh bien, quand il y a surabondance sur certains points, vous êtes obligés de faire une dépense pour l’envoyer sur d’autres points.

D’après le projet, on pourra échanger la monnaie de nickel dans un grand nombre de localités du pays ; vous exigez, en outre, que les receveurs de l’Etat l’acceptent sans restriction dans les caisses publiques. Je ne sais quels sont les inconvénients qui résulteraient de cette mesure dans les communes rurales ; mais je sais que dans les ville on pourra entraver complétement les opérations des receveurs de l’Etat. (Interruption.) Et vous allez le comprendre ; dans les communes rurales les sommes que les contribuables ont à verser pour le payement des impôts sont généralement minimes ; mais dans les grandes villes, on a souvent à payer chez les receveurs de l’Etat des sommes très considérables ; eh bien, si les contribuables peuvent toujours s’acquitter en monnaie de nickel, le payement d’une somme de 3,000 fr., versée par un seul contribuable, prendra toute la journée du receveur et empêchera les autres contribuables qui auront fait une course inutile, de s’acquitter ce jour-là. (Interruption.)

Ne riez pas, messieurs, j'ai vu cette opération se produire, non pas avec de la monnaie de nickel ou de cuivre, mais avec de la petite monnaie d'argent.

Pour ma part, je voterai contre la proposition de la section centrale.

M. Tack. - Messieurs, la grande innovation que consacre le projet de loi ne consiste pas tant dans la substitution de la monnaie de nickel à la monnaie de cuivre, actuellement en circulation ; elle consiste surtout, comme l'a parfaitement démontré l'honorable rapporteur, dans l'admission d'un principe nouveau, qui a pour but de modifier la nature même du billon.

Dans l'état actuel des choses, notre billon est un véritable papier-monnaie, ou, si l'on veut, nos monnaies de cuivre sont des assignats. Vous en faites, par la loi nouvelle, des billets de banque, des titres au porteur au profit de celui qui en est détenteur, en monnaie de payement convertibles, c'est-à-dire en argent.

C'est là le grand principe de la loi, c'est le grand avantage qu'elle présente ; c'est l'innovation qu'elle introduit. Et, en effet, que se passe-t-il actuellement ?

C’est le gouvernement qui est obligé d'apprécier les besoins de la circulation.

Il arrive que, sur un point du pays, le billon foisonne, tandis qu'ailleurs il en manque. Que fait le gouvernement dans cette circonstance ?

Le plus souvent il est dans l'embarras. Envoie-t-il du billon là où il y a pénurie, souvent il s'expose à le faire refluer, par suite du courant déjà établi, vers les points où il y a pléthore et à augmenter ainsi, sans le vouloir, la gêne de ceux qui ont intérêt à se débarrasser du trop-plein.

Voulez-vous éviter cet inconvénient, donnez aux détenteurs le moyen d'échanger facilement la monnaie de billon, ou de s'en servir en payement des impôts, et l'équilibre sera toujours parfait.

M. le ministre des finances déclare qu'il est prêt à donner toutes les facilités imaginables aux détenteurs de billon pour qu'ils puissent s'en débarrasser commodément.

Eh bien, je lui réponds : Puisque vous voulez consacrer le principe, pourquoi ne pas l'inscrire dans la loi et en admettre les conséquences avec certain tempérament, si vous le jugez utile.

Dans notre avant-dernière séance, M. le ministre des finances nous disait que la circulation de la monnaie de billon devait être soumise aux mêmes règles que les billets de banque. (Interruption.)

Il me semble que M. le ministre a bien positivement affirmé qu'il fallait assimiler, quant à l'échange et au remboursement, la monnaie de billon aux billets de banque. Mais remarquez que ce n'est pas de cela qu'il s'agit ici. L'amendement que nous discutons ne se rapporte pas à l'échange de la monnaie de nickel, mais à la question de savoir s'il convient d'astreindre le gouvernement à recevoir la monnaie de nickel en payement. A mon avis, c'est chose essentielle, et qui résulte de toute l'économie de la loi ; cependant je crois qu'il y aurait un tempérament à adopter pour éviter des embarras au service de la perception des contributions.

Peut-être pourrait-on indiquer dans quelles caisses la monnaie de nickel serait reçue ; par exemple, elle pourrait être admise au chef-lieu d'arrondissement ou de canton et dans les autres bureaux que le gouvernement désignera. (Interruption.)

C'est dans les villes que l'encombrement se manifeste, c'est dans les localités les plus populeuses, où il se fait le plus de commerce, ce n'est pas dans les campagnes que le billon afflue ; on consacrerait le principe dans la loi, ce serait une obligation pour le gouvernement de recevoir la monnaie de billon ; aujourd'hui il est seulement autorisé ; ce que je voudrais voir admettre, serait un moyen terme qui pourrait satisfaire toutes les exigences.

M. J. Lebeau. - Je pense que si on ne se contente pas de l'engagement moral, pris par M. le ministre, de rechercher les moyens les plus propres à faciliter la réception de la nouvelle monnaie de billon destinée à remplacer la monnaie de cuivre, on s'exposera à de graves inconvénients. Au premier rang, je place une dépense considérable résultant de l'augmentation dans les frais de bureau des préposés à la recette de l'impôt. Je crois pouvoir donner une idée des embarras dans lesquels peuvent être placés les comptables.

Ayant débuté dans la carrière administrative comme caissier d'un receveur d'arrondissement, il m'est arrivé de recevoir en une fois du même comptable environ 40,000 francs, en diverses espèces d'argent ; il m'a fallu deux ou trois heures pour les compter.

Figurez-vous ce qui arriverait si de pareilles choses se produisaient, comme cela pourrait arriver dans nos chefs-lieux d'arrondissement, et qu'on accumulât, pour des payements de ce genre, de la nouvelle monnaie que nous voulons établir.

- Un membre. - C'est impossible.

M. J. Lebeau. - Pourquoi cela ? Vous ne la limitez pas à l'appoint, comme aujourd'hui cela existe pour le cuivre. Si on voulait jouer un mauvais tour à un comptable, à qui on aurait à faire un versement considérable, on pourrait légalement arriver avec un tombereau de monnaie de nickel.

En votant la disposition qu'on propose, vous vous exposez, je le répète, à des demandes de crédit résultant d'une aggravation de frais de bureau considérable qu'entraînerait le droit de verser de la monnaie de nickel. Ce n'est pas là une exagération, soyez-en bien convaincus. Ce que je dis est puisé dans des souvenirs pratiques. Vous payeriez largement en surcroît de frais de bureau la tolérance que vous accorderiez.

Vous pouvez, grâce à la responsabilité morale et politique des ministres, être convaincus que si le régime qu'on veut inaugurer présentait des inconvénients, il serait très facile d'y apporter des modifications.

L'intérêt du gouvernement n'est pas de discréditer la monnaie de nickel qu'il vous demande l'autorisation de créer ; il est intéressé, au contraire, autant que personne à obtenir pour cette monnaie le crédit nécessaire aux besoins des opérations quotidiennes de la plupart de ses comptables.

Cette monnaie pourra, dans la pratique, venir souvent en aide aux receveurs du gouvernement, ainsi qu'aux établissement chargés de payer pour lui.

Que fait-on ? Rien de bien nouveau ; on arrivera à substituer, en fait, à l'appoint de cuivre, l'appoint en nickel. On n'innove point. C'est ici une pure question de comptabilité, il me semble qu'elle est une de celles qu'on ne peut envisager à droite autrement qu'à gauche.

M. Jacquemyns. - Je considère, avec l'honorable rapporteur de la section centrale, la monnaie de billon comme un billet de banque ; elle constitue l'Etat débiteur envers le détenteur. Mais de ce que l'Etat est débiteur envers quelqu'un, il n'en résulte pas qu'il soit obligé de payer son créancier partout où il conviendra à ce créancier de présenter son titre de payement. Cette conséquence ne me paraît pas nécessaire.

Un négociant doit une somme quelconque ; nous sommes tous dans ce cas ; en résulte-t-il qu'on puisse venir nous trouver en tous temps et nous demander le payement de notre dette ? Quand un membre de la Chambre se rendra à l'une de nos séances, par exemple, pourra-t-on (page 936) venir lui demander le payement d'une dette ? Il dirait :Passez chez moi, ce n'est pas dans la rue que je paye, que je fais mes affaires.

Je ne vois pas pourquoi l'Etat se trouverait dans d’autres conditions que les particuliers : il est parfaitement libre de désigner les localités où ii payera.

D'un autre côté, établir le principe que l'Etat doit recevoir constamment la monnaie de billon à l'égal de la monnaie d'argent, cela est absolument impraticable pour les receveurs ; les particuliers qui reçoivent des sommes considérables en menue monnaie viendraient les présenter au receveur qui serait obligé de consacrer beaucoup de temps à la vérification.

Je suppose que plusieurs contribuables se présentent à la fois ; celui qui est arrivé le premier désire payer le premier. S'il paye ne fut-ce que cent francs en monnaie de billon, le temps que nécessitera la vérification sera déjà une entrave à ce que les autres puissent avoir leur tour pour payer.

Si nous voulons appliquer ce principe aux recettes de l'Etat, il faudra aussi l'appliquer au payement qui se fait dans les bureaux du chemin de fer.

Qu'un seul voyageur se présente à l'heure du départ, demande une place pour Paris et présente 35 fr. en monnaie de billon disant : L'Etat doit recevoir le billon dans ses caisses, vous allez me donner mon bulletin ou je dirai que l'Etat ne paye pas ses dettes.

Si l'Etat doit recevoir la monnaie de billon en payement des impôts, les mêmes motifs l'obligent à recevoir cette monnaie au chemin de fer. Il n'y a pas de motifs pour que l'Etat ne la reçoive pas dans les caisses du chemin de fer comme dans celles des receveurs de contributions.

La législature est parfaitement en droit de dire : La monnaie de billon constituée un titre obligatoire envers l'Etat ; mais il n'est obligatoire que dans des conditions données, précisément comme les billets de banque ; la banque n'est pas tenue d'échanger ses billets contre de la monnaie d'argent, partout et à toute heure. La banque indique le jour, l'heure, le lieu où elle fera l'échange contre de la monnaie d'argent.

Je pense qu'il faut également laisser au gouvernement, une certaine latitude à cet égard.

M. Muller. - Je n'ai que quelques mots à dire. L'honorable M. Tack demandait que le principe de l'admission de la monnaie de nickel en payement des impôts fût inscrit dans la loi, sauf, disait-il, les exceptions qui peuvent être indispensables : La première rédaction du gouvernement laissait quelques doutes sur le point de savoir si c'était bien un principe ou une exception que l'autorisation donnée au gouvernement. Les explications de M. le ministre des finances n'ont plus laissé aucune incertitude à cet égard, et la nouvelle rédaction qu'il propose, dans laquelle il est dit que te gouvernement autorisera autant que possible l'admission, me semble consacrer le principe.

C'est pourquoi j'appuie cette nouvelle rédaction proposée par M. le ministre des finances.

- La discussion est close.

M. le président. - Je mets aux voix l'amendement de la section centrale adopté au premier vote,

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - La nouvelle rédaction que je propose est un sous-amendement qui doit être mis aux voix avant l'amendement.

M. le président. - Cela revient exactement au même. Je mets donc aux voix la disposition proposée par M. le ministre t.es finances. Elle est ainsi conçue :

« Le gouvernement en autorisera, autant que possible, l'admission dans les caisses de l'Etat en quantités plus fortes, en payement des impôts. »

- L'appel nominal est demandé.

La disposition proposée par M. le ministre des finances, est mise aux voix par appel nominal.

86 membres prennent part au vote.

50 votent pour la disposition.

36 votent contre.

En conséquence, la rédaction proposée par M. le ministre des finances est adoptée.

Ont voté l'adoption : MM. Saeyman, Tesch, E. Vandenpeereboom, Vanderstichelen, Van Iseghem, Van Leempoel, Ansiau, Carlier, Dautrebande, David, de Baillet-Latour, de Boe, de Breyne, Ch. de Brouckere, Dechentinnes, de Florisone, De Fré, Deliége, de Moor, de Paul, de Renesse, de Rongé, de Terbecq, d’Hoffschmidt, Frère-Orban, Frison, Goblet, Grandgagnage, Grosfils, Guillery, Hymans, Jacquemyns, Jamar, M. Jouret, Julliot, Koeler, Lange, Laubry, J. Lebeau, Loos, Manilius, Moreau, Mulier, Nélis, Orban, Pierre, A. Pirson, V. Pirson, Rogier et Orts.

Ont voté le rejet : MM. Royer de Behr, Sabatier, Snoy, Tack, Thibaut, Thienpont, Vander Donckt, Van Overloop, Van Renynghe, Vermeire, Verwilghen Wasseige, Beeckman, de Decker, de Gottal, de Haerne, de Liedekerke, de Man d'Attenrode, de Mérode-Westerloo, de Montpellier, de Muelenaere, de Pitteurs-Hiegaerts, de Portemont, Desmaisières, de Smedt, de Theux, H. Dumortier, d'Ursel, Faignart, Landeloos, Magherman, Mercier, Moncheur, Nothomb, Pirmez et Rodenbach.

Vote sur l’ensemble

Il est procédé au vote par appel nominal sur l'ensemble de la loi.

86 membres prennent part au vote.

84 votent pour le projet.

2 votent contre.

En conséquence, le projet de loi est adopté ; il sera transmis au Sénat.

Ont voté l'adoption : MM. Royer de Behr, Sabatier, Saeyman, Snoy, Tack, Tesch, Thibaut, Thienpont, E. Vandenpeereboom, Vander Donckt, Vanderstichelen, Van Iseghem, Van Leempoel, Van Overloop, Van Renynghe, Vermeire, Verwilghen, Wasseige, Ansiau, Beeckman, Carlier, Dautrebande, David, de Baillet-Latour, de Boe, de Breyne, C. de Brouckere, Dechentinnes, de Decker, de Florisone, De Fré, de Gottal.de Haerne, de Liedekerke, Deliége, de Mérode-Westerloo, de Moor, de Muelenaere, de Paul, de Pitteurs-Hiegaerts, de Portemont, de Renesse, de Rongé, Desmaisières, de Smedt, de Terbecq, de Theux, d'Hoffschmidt, H. Dumortier, d'Ursel, Faignart, Frère-Orban, Frison, Goblet, Grandgagnage, Grosfils, Guillery, Hymans, Jacquemyns, Jamar, M. Jouret, Julliot, Koeler, Landeloos, Lange, Laubry, J. Lebeau, Loos, Magherman, Manilius, Mercier, Moncheur, Moreau, Muller, Nélis, Nothomb, Orban, Pierre, Pirmez, A. Pirson, V. Pirson, Rodenbach, Rogier et Orts.

Ont voté le rejet : MM. de Man d'Attenrode et de Montpellier.

Projet de loi révisant le code pénal (livre II, titre V)

Discussion des articles

Titre V. Des crimes et des délits contre l’ordre public, commis par des particuliers

Chapitre VIII. Des infractions relatives à l'industrie, au commerce et aux enchères publiques
Section II
Articles 414 à 416

M. Royer de Behrµ (pour une motion d’ordre). - Je demande la parole pour une motion d’ordre.

J'ai l'honneur de proposer à la Chambre de remettre à mardi la discussion des articles 414. 415 et 416 du Code pénal. Les avis des chambres de commerce et les procès-verbaux des délibérations du conseil supérieur d'industrie et de commerce nous sont parvenus hier soir très avant dans la soirée. Je pense que beaucoup de membres de cette Chambre n'auront pas pu prendre une connaissance suffisante de ces documents qui sont extrêmement importants. Il me semble que ce n'est pas trop de deux jours pour les étudier. J'espère donc que la Chambre accueillera favorablement ma proposition.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Je ne pense pas qu'il y ait lieu de remettre à mardi la discussion des articles qui sont relatifs aux coalitions et qui font suite aux articles dont nous nous sommes occupés hier.

On pourrait commencer l'examen de ces articles aujourd'hui et la continuer demain. D’ici là, les honorables membres pourront prendre connaissance des avis des chambres de commerce et du conseil supérieur d'industrie.

J'ai lu ces pièces, et il ne m'a pas fallu plus d'une soirée pour en prendre connaissance.

M. de Montpellier. - Dernièrement M. îe ministre de la justice a demandé lui-même dix jours.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Je n'ai pas demandé dix jours.

M. de Montpellier. - D'avoir quelques jours avant le commencement de la discussion sur les coalitions. Il voulait avoir l'avis du conseil supérieur d'industrie. Nous ne demandons que ce qu'il a demandé, c'est d’avoir le temps de prendre connaissance de cet avis.

M. Dolez. - Je comprendrais la demande sur laquelle on insiste s'il s'agissait d'une discussion qui doit finir aujourd'hui. Mais il est évident, que cette discussion aura une certaine durée et qu'en conséquence, ceux de nos collègues qui n'ont pu depuis hier consulter les documents qui ont été distribués, pourront le faire d'une manière suffisante, d'une manière convenable pendant le cours de la discussion. Nous ne devons pas ajourner l'examen d'une question qui est à l'ordre du jour depuis longtemps et à la discussion de laquelle tout le monde s'attendait.

M. Pirmez. - On pourrait, pour concilier les opinions, discuter d'abord les articles qui suivent ceux relatifs à la coalition et ensuite commencer l'examen de ces derniers articles.

M. le président. - Il y a trois orateurs inscrits sur la question de la coalition.

M. Royer de Behrµ. - J'admets l'observation de M. le ministre de la justice. Mais s'il lui a fallu une seule soirée pour examiner les documents dont il s'agit, les membres qui vont prendre la parole n'ont pas eu le temps de les examiner suffisamment, puisqu’ils ne nous sont arrivés qu’hier à dix heures du soir.

J'appuie la proposition de l'honorable M. Pirmez et je demande qu'on remette à demain la discussion des articles relatifs à la coalition.

M. Hymans. - Je prends la liberté de faire observer que le premier orateur i-nscrit est un membre du conseil supérieur d'industrie qui par conséquent doit savoir parfaitement ce qui s'y est passé.

L'orateur inscrit après l'honorable M. Vermeire est mon honorable ami M. Jamar qui est prêt à parler.

(page 937) Entendons ces deux discours ; nous arriverons ainsi à la fin de la séance, et d'ici à demain les honorables membres qui réclament auront pu examiner les pièces.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - J'ai une simple observation à faire.

Je n'ai pas demandé dernièrement, comme l'a dit l'honorable M. de Montpellier, un délai. J'ai répondu à l'interpellation que m'a faite l'honorable M. Royer, que le gouvernement désirait avoir l'opinion du conseil supérieur d'industrie, et que ce ne serait que pour le cas où cette opinion ne lui serait pas parvenue à temps que la discussion pourrait subir un retard de quelques jours.

M. Royer de Behrµ. - Je pense bien que l'honorable M. Vermeire est disposé à prendre la parole dès à présent. Il est en effet membre du conseil supérieur d'industrie et du commerce. Mats l'honorable M. Vermeire n'est pas membre des chambres de commerce. Or nous avons aussi les avis des chambres de commerce à consulter.

En tous cas je ferai observer que l'heure est très avancée.

Je ne demande pas que la séance soit levée, mais je crois qu'il vaudrait mieux ne commencer que demain la discussion des articles relatifs aux coalitions.

M. Muller. - Je n'ai qu'une observation à faire. D'honorables membres sont prêts à prendre la parole. Ceux qui veulent parler demain ont intérêt à les entendre aujourd'hui.

- La proposition de remettre à demain la discussion des articles relatifs aux coalitions et mise aux voix ; elle n'est pas adoptée.

En conséquence la discussion est ouverte sur la section II du chapitre VIII : « Des entraves apportées à la liberté de l'industrie. »


M. Vermeire. - Messieurs, toute question qui touche à la liberté mérite d'attirer l’attention du législateur. A ce titre, celle qui concerne les entraves apportées à la liberté de l'industrie doit être examinée avec un soin d'autant plus minutieux, que les intérêts qu'elle embrasse sont plus grands, plus élevés.

La loi qui édicté des peines contre les abus commis par ceux qui donnent le travail, comme par ceux qui l'acceptent, doit, à mon sens, déterminer, d'une manière claire et précise, les infractions qui tombent sous son application.

Si, au temps de la féodalité, alors que les gouvernements crurent devoir prendre des mesures contre le producteur, afin de l'empêcher de livrer à la consommation des objets altérés ou falsifiés ; si alors, le travail n'était confié qu’à des corporations spéciales, et que l'on ne pouvait être admis à en faire partie, qu'à condition d'avoir fait preuve d'aptitude et de connaissances suffisantes, il ne peut plus en être de même, aujourd'hui que la liberté du travail a été proclamée et que, dans l'ordre économique comme dans l'ordre politique,on a admis la liberté prenant sa base dans les principe fécondants de 1789.

Ces principes, il est pénible de l'avouer, ne sont, généralement, pas encore bien compris.

Ils sont dénigrés par les uns comme portant dans leurs flancs des germes de dissolution, ils sont exagérés par les autres, comme pouvant servir de point de départ vers un état de perfectibilité qui devrait assurer, sous la garantie du gouvernement, à tous les citoyens, le travail et les fruits légitimes qui en sont la conséquence immédiate. Les positions sociales, selon eux, devraient être nivelées, et pour atteindre à un pareil résultat, on devrait commencer par abolir le prolétariat et par substituer à l'action personnelle qui se meut dans la liberté individuelle, l'action collective de l'Etat, distribuant à tous, des ressources suffisantes pour satisfaire à des besoins reconnus.

Des lois qui seraient conçues de manière à favoriser l'un ou l'autre de ces systèmes exagérés, seraient revêtues ou d'un caractère de despotisme, ou d'un caractère de licence, suffisant l'un ou l'autre pour étouffer la liberté dans son essence même.

Mais à mesure que la civilisation se développe, à mesure que les peuples apprennent à connaître mieux leurs droits et à apprécier plus exactement l'étendue de leurs devoirs, les lois répressives peuvent être moins rigoureuses et leur application devient d'autant plus rare que le progrès a été plus rapide.

La rigueur des lois se justifie donc par le degré de civilisation des pays auxquels celles-ci sont appliquées ; par le degré de probité et de moralité qui en distinguent les populations.

C'est ainsi que les dispositions du Code pénal sont un progrès réel sur l’ancien régime, en ce qu'elles donnent plus de garantie à des droits individuels, longtemps méconnus.

C'est ainsi encore que nous rétrograderions vers les temps anciens en substituant à l'individualisme la collectivité dans laquelle l'homme, faisant abandon de toute volonté personnelle, laisse confisquer son travail au profit de la généralité et lui abandonne le prix de son aptitude, sous prétexte que la solidarité lui fait un devoir de venir en aide à ceux que souvent la paresse endort et qui, pour ce motif, se disent être impropres à des travaux plus ou moins pénibles ou assidus.

L'exercice du droit de la liberté ne peut donc enfreindre la liberté d’autrui. La liberté ne peut point être absorbante de sa nature ; elle doit se circonscrire dans le cercle de la volonté individuelle sans avoir la faculté d'empiéter sur le droit du voisin.

Si telle n'était point la liberté, elle perdrait son caractère propre et échangerait sa condition contre la licence qui, fatalement, doit conduire la société vers un abîme de misères et de désordres et semer partout, sur sa route, la ruine et la consternation.

Chaque page de l'histoire, qui indique un pareil débordement, relate, en même temps, les larmes et les souffrances qui en ont été le résultat ; les sacrifices douloureux auxquels les nations ont dû souscrire pour sortir d'une situation aussi désolante. Et, parmi ces sacrifiées, on compte, souvent, la perte de la liberté. Je n'ai pas besoin, messieurs, de citer des exemples à l'appui de cette assertion ; les événements qui se sont produits, dans d'autres temps, sont trop connus pour que l'on puisse admettre, à cet égard, le moindre doute.

Aussi, dans ces moments de cataclysme, de bouleversements généraux, ce sont, surtout, les classes laborieuses qui sont livrées à toutes les horreurs de la misère et des privations, parce que, comme le disait, naguère, notre honorable collègue M. Joseph Lebeau, rappelant le mot d'un ancien : « Les classes laborieuses, elles aussi, n'ont pas le temps d'attendre. »

La liberté du travail doit prendre sa base dans l'application de ce principe, que l'homme ayant des besoins, il doit être libre de se créer, par son travail, les ressources nécessaires pour y pourvoir. Quand la justice divine a condamné l'homme au travail, elle lui a laissé le choix du travail qui lui paraîtrait être le plus propre à remplir les conditions imposées. Apporter des entraves à ce choix, c'est violer la loi qui, basée sur la justice, a de tout temps garanti la liberté et doit continuer à la garantir dans l'avenir.

Maintenant, si la liberté du travail est garantie, toute mesure qui y porterait atteinte doit être punie ; sans quoi, la liberté cesserait d'exister.

Si, comme le fait observer, avec justesse, la chambre de commerce de Mons, les Belges ont le droit de s'associer, ils ont aussi le droit de n'être liés que par leur seule volonté. Il faut donc que ceux qui désirent rester hors des associations puissent exécuter leurs engagements sans avoir aucun péril personnel à redouter. D'où la conséquence que la loi pénale doit intervenir pour faire respecter les droits d'une minorité, chaque fois que ceux-ci seraient méconnus ou qu'on voudrait en comprimer la libre expression, par des menaces ou des voies de fait.

La loi doit donc garantir la liberté des transactions que celles-ci se présentent collectivement ou qu'elles soient la conséquence d'engagements pris individuellement. De plus, elle doit tracer distinctement la ligne de démarcation entre le droit et l'abus du droit, entre la liberté et la licence ; enfin elle doit être conçue d'une telle manière que toute substitution, entre ces faits divers, devienne impossible.

Faisant application de ces principes, la loi ne doit punir les coalitions que quand elles sont accompagnées de violences, de menaces ou de proscriptions qui seraient de nature à troubler l'ordre public ou à empêcher le travail dans les fabriques ou les manufactures contre lesquelles des damnations auraient été prononcées.

La violation des contrats, intervenus entre le patron et l'ouvrier, ne pourrait donner lieu qu'à une action civile, attendu que la société ne doit intervenir dans les contestations individuelles que quand l'ordre ou l'intérêt public l'exige.

Ainsi en abolissant la peine édictée actuellement contre la coalition simple, c'est-à-dire contre celle qui ne présente point la caractère de violence ou d'autres infractions ; en autorisant les réunions dans lesquelles les citoyens se livrent paisiblement à l'examen de questions qui concernent leurs intérêts, on rend hommage au principe d'association qui est garanti par la Constitution.

En rendant les délits uniformément punissables, on applique le principe d'égalité qui fait la base de notre édifice social, et on traduit en droit et en fait l'égalité de tous devant la loi. Mais, je le répète, si nous croyons que les coalitions simples peuvent être tolérées, nous avons aussi la conviction intime que les coalitions avec voie de fait et menaces doivent être d'autant plus rigoureusement punies, que le dommage qu'elles causent est plus grand, plus réel. En effet, ces coalitions constituent un despotisme dur et dégradant par une partie des ouvriers sur l'autre ; elles ruinent les patrons comme les ouvriers ; elles causent, les pertes d'industries qui émigrent vers des pays plus tranquilles, elles troublent souvent l'ordre public ; elles laissent dans un état d'oisiveté, de nombreux ouvriers, en proie à de mauvaises passions, souvent à la faim et au désespoir, et qui se livrent alors à des excès déplorables sous la conduite d'avides agitateurs exploitant leurs faiblesses. C'est contre de pareils abus que, dans ma manière de voir,1a loi doit sévir rigoureusement.

M. Jamar. - Depuis vingt ans je me trouve en rapports constants avec de nombreux ouvriers et j'ai vu se dérouler sous mes yeux les phases de plusieurs coalitions. C'est l'appréciation des causes qui les avaient fait naître, des prétentions qu'elles avaient pour but de faire triompher, des moyens employés pour les prévenir ou les réprimer, c'est cette appréciation, presque toujours désintéressée, qui depuis longtemps m'a fait considérer ta législation actuelle sur les coalitions comme une iniquité criante.

L'examen des doctrines n'a fait que me confirmer dans cette opinion.

(page 938) Aussi, tout en applaudissant aux généreux sentiments, aux considérations économiques et politiques si élevées, développées dans le rapport de la commission, je regrette profondément qu'elle n'ait pas cru pouvoir proposer à la Chambre de proclamer le principe de la liberté absolue du travail.

Elle a apporté à cette liberté une restriction, dont les conséquences peuvent être une aggravation de la condition actuelle de l'ouvrier.

Ce n'est pas, j'en suis convaincu, ce qu'a voulu la commission.

Le principe de la liberté du travail a trouvé dans l'honorable rapporteur de la commission un trop éloquent défenseur, pour que cette hypothèse soit admissible. Je ne crois pas m'abuser cependant sur les conséquences fâcheuses que peut avoir le projet de la commission, s'il était adopté.

Élever à la hauteur d'un délit une simple infraction à une convention ou l'inobservation d'un délai d'information fixé par l'usage, punir ce délit non seulement d'une amende de 26 à 1,000 francs, mais d'un emprisonnement de huit jours à trois mois, c'est indiquer aux entrepreneurs d'industrie un moyen indirect de perpétuer à leur profit cette inégalité de condition, contre laquelle protestent aujourd'hui, et avec raison selon moi, toutes nos populations ouvrières.

En Belgique l'offre du travail est presque toujours plus considérable que la demande. Dans très peu d'industries, deux maîtres courent après un ouvrier, pour me servir de l'expression si pittoresque mais si juste de Cobden, dans presque toutes au contraire deux ouvriers courent après un maître.

Qu'arrivera-t-il dans ces conditions ? Rien ne sera plus simple que d'obtenir des ouvriers de signer des conventions qui les obligeront à travailler, moyennant un salaire convenu, pendant un laps de temps considérable, tandis que de leur côté les maîtres ne s'engageront à leur fournir du travail que sous certaines réserves, qu'ils obligeront l'ouvrier à accepter.

Qu'il survienne ensuite des faits de nature à justifier en quelque sorte une coalition de la part de ces ouvriers, des changements à l'outillage, qui, en augmentant les profits du maître, rendraient la tâche de l'ouvrier plus pénible en nécessiteraient des connaissances spéciales, des modifications aux heures de travail, l'insalubrité des ateliers, une crise alimentaire qui rende le salaire des ouvriers insuffisant, ceux-ci s'apercevront trop tard qu'ils ont aliéné leur liberté.

Dans la plupart de ces cas, je le dis hautement, les 9/10 des patrons renonceront à se prévaloir des avantages que leur assure leur contrat ; il en est cependant qui n'hésiteront pas à user des droits que leur confère leur convention vis-à-vis de leurs engagés et à obliger ceux-ci, sous peine d'un emprisonnement, à subir des exigences injustes et quelquefois cruelles.

Vous supprimez ainsi fatalement les conditions de liberté et d'égalité qui doivent présider au règlement des différends qui peuvent s'élever entre le maître et l'ouvrier, et celui-ci se trouvera dans une position d'autant plus fâcheuse, que les magistrats, chargés d'appliquer la lui, verront dans la violation d'un contrat ou l'inobservation d'un délai d'information, des charges aggravantes qui les engageront à se montrer plus rigoureux qu'ils ne le sont en général aujourd'hui.

Ce qui sera regrettable, messieurs, quand des faits de coalition se produiront dans les conditions que je vous indiquais tout à l'heure, c'est que les patrons qui, sous l'empire des sentiments d'humanité et d'équité, auront accueilli les prétentions de leurs ouvriers, se trouveront dans l'impuissance de soutenir la concurrence que pourront leur faire ceux qui profiteront de la position que leur crée le projet de la commission ou la législation actuelle, en ne laissant à leurs ouvriers que le choix entre un salaire insuffisant ou la prison.

Et qu'on ne m’accuse pas de créer des situations exceptionnelles imaginaires, pour les besoins de ma cause. Au mois de février 1857, sous la pression de rudes circonstances et encouragés par l'initiative si digne d'éloges que prit l’honorable bourgmestre de Bruxelles, en augmentant le prix de la journée de travail, les typographes de la capitale tentèrent auprès de leurs patrons des démarches à l'effet d'obtenir une augmentation de salaire. Presque tous y consentirent, un seul crut devoir maintenir le salaire à l'ancien taux et pendant six mois résista à toutes les démarches tentées auprès de lui par les ouvriers.

En présence de l'inutilité de leurs efforts, une vingtaine d'ouvriers quittèrent simultanément cet atelier, dont le directeur crut devoir déposer contre eux une plainte du chef de coalition. Le tribunal correctionnel de Bruxelles les condamnait, le 26 mai 1858, les uns à 40 fr., les autres à 20 fr. d'amende seulement.

Les considérants de ce jugement, trop longs pour que je puisse les lire à la Chambre, sont, selon moi, la condamnation formelle de la législation actuelle.

Ils renferment la justification la plus complète de la conduite tenue par ces ouvriers, mais il y avait eu une coalition paisible, respectueuse, et ils sont condamnés. Eh bien, je dis qu'il est difficile d'inspirer le respect des lois aux classes ouvrières si vous oblitérez ainsi chez elles le sens de la justice.

Si le but que la commission cherche à atteindre est, comme l'indique le rapporteur, de donner à beaucoup le temps de la réflexion, de rompre la simultanéité d'une désertion soudaine et de laisser un noyau de travail qui devienne un centre de ralliement, imposez aux maîtres et aux ouvriers l'obligation de se prévenir 15 jours à l'avance de leur intention de suspendre le travail d'une manière générale. Obligez même, si vous le voulez, les ouvriers travaillant à façon à un ouvrage, pouvant être terminé en un mois, à terminer le travail commencé.

Je ne puis m'empêcher de signaler à l'honorable rapporteur une contradiction qui me paraît manifeste.

A la page 56 je lis, à propos de la coalition simple, cet argument si logique : « Deux ouvriers ou deux maîtres ont, de l'aveu de tous, le droit d'agir de la même manière séparément ou même simultanément, pourvu que ce soit sans concert préalable, mais comment, quand ce concert apparaît comme trait d'union entre ces deux actes, verrait-on naître un fait criminel ? N'est-il pas évidemment impossible que deux faits licites en se joignant produisent un fait illicite ?

A la page 64, au contraire, appréciant la coalition faite en violation de contrat, voici comment s'exprime l'honorable rapporteur :

« Quand un seul maître ou un seul ouvrier manque à ses obligations par une cessation de travail, arrivant au milieu d'un terme convenu, il n'y a là qu'un simple fait d'inexécution que la loi pénale peut laisser en dehors de ses prescriptions ; mais si cette cessation de travail a lieu par suite de coalition, elle a un caractère d'immoralité et de gravité tout particulier et que nul ne peut méconnaître. »

Ainsi donc, dans la pensée de l'honorable rapporteur et contrairement à l'idée qu'il exprimait à la page 56, deux faits qui étant isolés peuvent être laissés en dehors des prescriptions de la loi pénale, deviennent, en se joignant, un délit d'un caractère grave et immoral.

Et ce qui donne à ces faits ce caractère incriminé, c'est le concert de plusieurs, c'est-à-dire, comme le dit si justement l'honorable M. Pirmez à la page 57, l'essence même du droit constitutionnel d'association.

Pour ma part, messieurs, je ne puis adopter un pareil système, dont l'application ne serait qu'un redressement tout à fait illusoire des griefs des ouvriers contre la législation actuelle.

Les grands principes de liberté et d'égalité, que proclame la Constitution, et dont la défense et le développement sont le devoir et l'honneur de notre parti, nous tracent la voie que nous devons suivre.

Je crois qu'il y a non seulement convenance et sagesse, mais obligation stricte de supprimer d'une manière absolue toutes les entraves apportées à la liberté d'association et à l'exercice de ce droit sacré que doit avoir tout homme dans une société civilisée de disposer librement de ses facultés individuelles, physiques ou intellectuelles.

Bornons-nous à punir sévèrement, énergiquement la violence ou la contrainte que les coalisés tenteraient d'exercer, soit sur les ouvriers engagés dans le même travail pour les forcer à suivre leur exemple, soit sur les maîtres, qui les emploient, pour les faire céder par la menace ou par la force à leurs injustes prétentions.

C'est là, en effet, et là seulement que le délit commence et c'est alors seulement aussi que la loi et la justice peuvent intervenir avec raison.

Voici, messieurs, comment l'un des plus grands économistes de l'Angleterre, John Stuart Mill, formule cette opinion.

« Indépendamment de toutes les considérations de liberté constitutionnelle, les intérêts les plus élevés de l'humanité exigent que toutes les expériences économiques entreprises volontairement puissent avoir pleine carrière, et que la violence et la fraude soient de tous les moyens d'améliorer leur sort, les seuls qui soient interdits aux classes les plus pauvres de la société. »

Je partage complètement pour ma part cette doctrine et je suis partisan de la liberté absolue du travail, telle qu'elle existe en Angleterre depuis 35 ans.

Celte liberté absolue, que je voudrais voir proclamer, peut avoir quelquefois des résultats funestes, soit pour les maîtres soit pour l'ouvrier ; mais il n'est pas de liberté pure de tout inconvénient et à laquelle ne s'attachent des maux qu'il est impossible d'en séparer. Voici ce qui disait à cet égard M. Hippolyte Passy dans un discours qu'il prononçait à l'Académie des sciences morales et politiques sur la liberté du travail.

« La liberté de la presse en mettant aux prises des opinions divergentes excite chez ceux qui les professent des passions ardentes et provoque dans les partis des luttes haineuses qui peuvent compromettre la paix publique. La liberté des cultes est féconde aussi en animosités intestines : enfin la liberté la plus simple, celle d'employer suivant ses propres convenances son temps et son argent peut favoriser la paresse et l'ivrognerie.

« S'il fallait abolir ou restreindre les libertés à raison des abus qu'elles autorisent, pas une assurément ne demeurerait intacte, et cependant toutes sont essentielles au développement des prospérités humaines, toutes impriment aux esprits et aux caractères ce degré de vigueur et d'activité nécessaire aux populations pour marcher résolument dans la voie du progrès et de la civilisation. »

L'industrie anglaise, messieurs, a été violemment agitée par des coalitions notamment, en 1829, en 1836 et en 1842 ; il y a quelques mois à peine, une coalition formidable de 15,000 ouvriers appartenant aux industries qui se rattachent à celle des constructeurs s'est formée à Londres même. Les industriels anglais se sont-ils émus de cet état de chose, (page 939) ont-ils demandé au parlement d'apporter des restrictions à cette liberté de l'ouvrier qui pouvait] compromettre leurs intérêts ? Permettez-moi de vous lire un document qui ne laissera aucun doute dans votre esprit à cet égard. C'est un extrait du discours prononcé par le ministre de l'intérieur, sir Cornwall Lewis, au banquet annuel du lord maire au mois de novembre dernier, eu présence des plus hautes notabilités de l'aristocratie et de l'industrie anglaise. Voici comment s'exprimait lord Lewis :

« Je puis féliciter les citoyens de Londres de ce que peut être à aucune époque antérieure de noire histoire, le pays ne s'est trouvé dans une situation plus prospère. Partout vous trouverez les preuves les plus évidentes de la condition heureuse de nos affaires intérieures.

« Il y a eu sans doute de légères ondulations sur la surface du fleuve, lequel sans cela n'eût pas été troublé. Nous avons eu, en effet, un événement qui a tout particulièrement pesé sur les habitants de la métropole, je veux parler de la perturbation qui a troublé l'industrie des constructeurs, mais j'espère que nous approchons de la fin de la crise de cette industrie particulière.

« Le gouvernement en a suivi les phases avec un vif intérêt, bien qu'il ait cru de son devoir de ne pas intervenir, en restant ainsi fidèle à ses principes deston intervention.

« Nous avons désiré ne pas nous interposer dans aucune question débattue entre les maîtres et les ouvriers, et laisser les deux parties régler leurs différends, conformément à la loi naturelle de l'offre et de la demande, et j'espère que le temps n'arrivera jamais où l'on essayera d'user d'efforts ou de moyens d'intimidation quelconques, afin d'établir pour e travail un système de protection qui serait aussi peu sage eu principe que la doctrine, aujourd'hui abandonnée, de la protection en matière d'agriculture, doctrine qui a été bannie de la législation du pays au grand avantage de toutes les classes de la communauté. »

Et tous ces riches commerçants, et ces grands industriels, tous ces hommes dont la fortune pouvait être ébranlée par la suspension du travail dans leurs ateliers, applaudissent les paroles du ministre.

C'est que ce sont là, messieurs, les véritables principes qui doivent présider aux rapports entre les maîtres et les ouvriers ; en les mettant en pratique depuis longtemps, l'Angleterre a trouvé dans la liberté du travail et dans la liberté du commerce, des agents aussi puissants pour sa grandeur commerciale et industrie le que dans la vapeur ou l'électricité.

- La séance est levée à quatre heures et demie.