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Chambres des représentants de Belgique
Séance du jeudi 17 janvier 1861

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1860-1861)

(page 347) (Présidence de M. Vervoort.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. Snoy fait l'appel nominal à deux heures et un quart. Il lit le procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

Il présente l'analyse des pièces adressées à la Chambre.

« Les membres du conseil communal de Wodecq demandent que les deux métaux soient employés à la confection des monnaies belges ; qu'on batte de préférence celui des deux qui est le plus abondant ; que le rapport légal soit conservé dans toute son intégrité, et qu'on admette l'or français sur le même pied que la France admet l'or belge. »

« Même demande d'habitants de la Louvière et de Nivelles. »

- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner la proposition de loi relative à la monnaie d'or.


« Le sieur Vanden Meulen, ancien sous-officier, congédié pour infirmités contractées par le fait du service, réclame l'intervention de la Chambre pour obtenir la pension de réforme ou du moins pour entrer dans une compagnie sédentaire. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Des membres du conseil communal de Dongelberg demandent que la compagnie concessionnaire exécute le chemin de fer de Tamine à Landen avec embranchement de Perwez à Tirlemont par Jodoigne. »

- Même renvoi.


« Des habitants de Gondregnies demandent la construction simultanée des tronçons de Louvain à Bruxelles, de Hal à Ath et de Tournai à la frontière française, ou du moins l'exécution de la ligne de Hal à Ath avant celle de Louvain à Bruxelles. »

« Même demande d'habitants de Haccourt, Hellebecq, Quenast. »

- Même renvoi.


M. J. Jouret. - Cette pétition a le même objet que celle qui a été renvoyée dernièrement à la commission avec invitation de faire un prompt rapport. Je demande que cette pétition et toutes les pétitions analogues soient jointes à celle sur laquelle un prompt rapport a été demandé, pour qu'elles soient toutes comprises dans un même travail.

- Cette proposition est adoptée.


« Les membres du conseil et des habitants de Linckhout, Zeelhem, Webbecom, demandent l'exécution du chemin de fer qui doit raccorder la ville de Diest au grand réseau national. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Charles Ebbinghaus, ouvrier quincaillier, à Vaux-sous-Chèvremont, né à Godelsberg (Prusse), demande la naturalisation ordinaire. »

- Renvoi au ministre de la justice.


« Le sieur Gérard Vanderwier, demeurant à Richelle, né à Geulle (partie cédée du Limbourg), demande la naturalisation ordinaire. »

- Même renvoi.


« Les membres des administrations communales et des commerçants, industriels et propriétaires de Puers, Cypuers, Ruysbroeck, Bornhem, Weert, Hingene, prient la Chambre d'accorder à la Compagnie Bauwens la concession d'un chemin de fer de Malines à Terneuzen. »

« Même demande des administrations communales de Willebroeck, Clinge et d'habitants de Clinge et Saint-Gilles (Waes). »

- Renvoi à la commission des pétitions.

M. Van Overloop. - Je demande que cite pétition soit renvoyée à la commission, avec invitation de faire un prompt rapport, afin qu'elle puisse être renvoyée à M. le ministre des finances à temps pour qu'il puisse y avoir égard dans le projet de loi de travaux publics dont la présentation nous a été annoncée.

- Cette proposition est adoptée.


« Des habitants de Sombreffe demandent la construction du chemin de fer grand central franco-belge partant d'Amiens et aboutissant à Maestricht, qui est projeté par le sieur Delstanche. »

- Même renvoi.


« M. Vanderdussen fait hommage à la Chambre d'un exemplaire de son ouvrage intitulé : L'industrie dentellière belge. »

- Dépôt à la bibliothèque.

Composition des bureaux des sections

Les bureaux des sections pour le mois de janvier ont été constitués ainsi qu'il suit :

Première section

Président : M. de Renesse

Vice-président : M. Muller

Secrétaire : M. Tack

Rapporteur de pétitions : M. de Paul


Deuxième section

Président : M. David

Vice-président : M. Faignart

Secrétaire : M. Ansiau

Rapporteur de pétitions : M. Julliot


Troisième section

Président : M. Notelteirs

Vice-président : M. H. Dumortier

Secrétaire : M. Wasseige

Rapporteur de pétitions : M. Verwilghen


Quatrième section

Président : M. Laubry

Vice-président : M. Van Dormael

Secrétaire : M. Dechentinnes

Rapporteur de pétitions : M. Hymans


Cinquième section

Président : M. d’Hoffschmidt

Vice-président : M. Coomans

Secrétaire : M. Van Humbeeck

Rapporteur de pétitions : M. Vander Donckt


Sixième section

Président : M. Grandgagnage

Vice-président : M. Van Overloop

Secrétaire : M. Orban

Rapporteur de pétitions : M. Mouton

Pièces adressées à la chambre

« M. Manilius, retenu chez lui par une indisposition, demande un congé. »

- Accordé.


« M. Jamar, retenu par une indisposition, demande un congé. »

- Accordé.

Rapports de pétitions

M. Hymans, rapporteur. - Par pétition datée de Corbion, le 10 mars 1860, des habitants de Corbion réclament l'intervention de la Chambre pour faire recommencer les opérations du tirage au sort de la milice, qui ont eu lieu, pour cette commune, le 22 février dernier.

Les pétitionnaires se plaignent de ce que l'appel des communes n'a pas été fait conformément à la loi. Ils n'apportent aucune preuve à l'appui de leur réclamation qui a déjà été écartée par les autorités compétentes. Votre commission vous propose de passer à l'ordre du jour sur cette requête.

- Ces conclusions sont adoptées.


M. Hymans, rapporteur. - Par pétition datée de Brasschaet, le 20 avril 1860, le sieur Pol, ancien sous-officier, demande une prime pour l'aider à former un établissement en Amérique.

La seule indication du contenu de cette requête prouve que la Chambre ne peut s'en occuper ; aucune pièce justificative n'y étant jointe, il n'y a pas lieu non plus de proposer le renvoi au gouvernement ; votre commission vous propose l'ordre du jour.

- Ces conclusions sont adoptées.


M. Hymans, rapporteur. - Par pétition datée de Gand, le 18 mars 1860, le sieur Dujardin demande que les opérations du tirage au sort de la milice, qui ont eu lieu cette année à Gand, soient annulées.

Cette requête n'est qu'une dénonciation dénuée de toute preuve à l'appui. Nous vous proposons de passer à l'ordre du jour.

- Ces conclusions sont adoptées.


M. Hymans, rapporteur. - Par pétition datée de Seloignes, le 24 avril 1860, des habitants de Seloignes demandent une enquête sur certains actes de l'administration communale.

Encore une dénonciation sans aucun commencement de preuve. La commission vous propose de passer à l'ordre du jour.

- Adopté.


(page 348) M. Hymans, rapporteur. - Par pétition datée de Courtrai, le 26 avril 1860, le sieur Roels, agent d'affaires à Courtrai, réclame l'intervention de la Chambre pour faire annuler l’engagement souscrit, par son fils mineur, au régiment du génie.

Le pétitionnaire déclare lui-même qu'il a autorisé son fils à s'engager ; seulement il se plaint de ce qu'il ait été incorporé dans un autre corps que celui qu'il avait choisi. Le consentement des parents, exigé par l'article 374 du Code civil, n'ayant d'autre portée que de constater que le père autorise son fils à quitter la maison paternelle, il n'y a qu'à proposer l'ordre du jour sur cette pétition.

- Ces conclusions sont adoptées.


M. Hymans, rapporteur. - Par pétition datée de Pry, le 16 avril 1860, des habitants de Pry prient la Chambre de voter, avant la fin de la session, un projet de loi ayant pour but d'assurer la sincérité des élections communales.

Même demande d'habitants de Sart-Eustache.

La Chambre a déjà ordonné le dépôt de différentes pétitions de cette nature au bureau des renseignements. La commission vous propose d'en faire autant pour les pétitions dont il s'agit actuellement.

Je dois faire remarquer à la Chambre qu'il y a un an que le rapport est fait sur cette pétition. Depuis, des faits nouveaux ont prouvé le fondement des réclamations des pétitionnaires. Il est constant qu'aujourd'hui dans une foule de communes on se sert de billets marqués, en argumentant du silence de la loi qui ne déclare nuls que les bulletins dans lesquels le votant s'est fait connaître. D'autres abus se joignent à celui-là : il paraît urgent que le gouvernement prenne des mesures pour obvier à un mal qui va toujours croissant.

M. E. Vandenpeereboom. - Messieurs, cette pétition, comme plusieurs autres qui sont comprises dans les feuilletons qui vont suivre, demande que la Chambre examine s'il n'y a pas lieu d'apporter des modifications à la loi électorale La commission, tout en reconnaissant que des faits nouveaux et nombreux se sont produits, propose le dépôt au bureau des renseignements.

Je crois pouvoir proposer de modifier les conclusions de la commission, et demander que cette pétition, et toutes celles qui sont relatives au même objet, soient renvoyés au ministre de l'intérieur. Le gouvernement nous a déclaré qu'il avait préparé une formule de réforme et que probablement, dans le courant de la présente session, il présenterait cette formule à la législature. Nous avons le droit, et le pays a le droit de compter sur cet engagement.

Sans entrer dans le fond de la question, sans m'enquérir des moyens que peuvent proposer les pétitionnaires je demande donc que la pétition, sur laquelle nous venons d'entendre un rapport, et toutes celles qui sont relatives au même objet, soient renvoyées au ministre de l'intérieur.

Je fais cette proposition, parce que je suis convaincu de la nécessité d'une modification à la loi électorale, dans le but de rendre les élections plus pures et plus sincères.

Quand le gouvernement présentera son projet, nous aurons à rechercher les meilleurs moyens, pour réprimer les fraudes existantes. On peut être divisé d’opinion sur ce point ; mais tous ceux qui demandent que les élections soient l’expression de la volonté nationale, doivent désirer la prochaine discussion de cette question vraiment libérale.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - J'accepte ce renvoi.

M. Hymans, rapporteur. - Je me rallie à la proposition de M. Vandenpeereboom.

- Le renvoi au ministre de l'intérieur est ordonné.


M. Hymans, rapporteur. - Le sieur Filleul demande qu'il soit donné suite à ses plaintes à charge du département de la justice.

Déjà, il y a deux ans, la Chambre a passé à l'ordre du jour sur des requêtes semblables émanées des mêmes individus. La pétition du sieur Filleul n'est qu'un tissu d'injures contre toutes les autorités, et ce sera se montrer fort indulgent que de passer à l'ordre du jour sur sa demande.

- Adopté.


M. Hymans, rapporteur. - Par pétition datée d'Ooteghem, le 15 novembre 1860, la dame Filleul se plaint d'une décision judiciaire prononcée contre son mari et demande la restitution de déboursés.

La commission propose, les mêmes conclusions sur cette pétition ainsi que sur celle, datée de Bruxelles, le 26 mai 1858, par laquelle le sieur Filleul Van Elstraete demande des dommages-intérêts pour avoir été privé de la liberté et de ses biens.

-L'ordre du jour est prononcé sur ces pétitions.


M. Hymans, rapporteur. - Par pétition datée d'Anvers, le 10 novembre 1860, le sieur Nys prie la Chambre d'ordonner une enquête sur des faits concernant la marine militaire.

Les faits sur lesquels le sieur Nys demande une enquête sont consignés dans des lettres anonymes, publiées par un journal d’Anvers. Ces attaque, le pétitionnaire ne les fait pas siennes. Votre commission pense qu’il n’est pas de la dignité delà Chambre de s'occuper de pareilles dénonciations, et vous propose de passer à l'ordre du jour.

- Ces conclusions sont adoptées.


M. Hymans, rapporteur. - Par pétition datée de Dottignies, le 25 novembre 1860, le sieur Dechamps, ancien préposé des douanes, demande une indemnité ou un emploi.

Le pétitionnaire expose qu'il a quitté l'administration de son gré, et se plaint de n'avoir plus été admis à y rentrer ensuite. La Chambre n'a pas à s'occuper de cette requête, et votre commission vous propose de passer à l'ordre du jour.

- Adopté.


M. Hymans, rapporteur. - Par pétition sans date, te sieur Heimburger demande la révision de la loi qui détermine le rang et la position de retraite, des chefs de musique militaire

La question soulevée par le sieur Heimburger a déjà été examinée, il y a treize ans, par une commission dont les propositions sont restées sans résultat. La position des chefs de musique de nos régiments a certainement quelque chose d'anomal. Ils ont par assimilation le grade d'adjudant sous-officier, et leur pension est fixée, pour quarante ans de service, à 600 fr. Leur veuve n'a droit à aucun secours. Dans d'autres pays, au contraire, les chef de musique ont, en raison du nombre de leurs années de service, le grade de sous-lieutenant, de lieutenant et de capitaine, et obtiennent la pension du grade auquel ils sont assimilés. Il en résulte que la direction de musique du régiment devient une carrière pour beaucoup d'artistes de mérite qui, en Belgique, reculent devant la perspective de conserver pendant toute leur vie le grade de sous-officier. Des observations justes et généreuses ont été déjà présentées sur ce point, au sein de la Chambre, par les honorables MM. J. Lebeau et Rodenbach. Votre commission vous propose de renvoyer la pétition du sieur Heimburger à M. le ministre de la guerre.

- Ces conclusions sont adoptées.


M. Hymans, rapporteur. - Par pétition datée de Bruxelles, le 2 juillet 1860, les sieurs Van Driessche et Stroobant, présidents de sociétés flamandes, demandent que la loi exige de l'élève universitaire la connaissance de la langue flamande.

Votre commission vous propose le dépôt de cette pétition sur le bureau pendant la discussion du projet de loi relatif au grade d’élève universitaire.

- Adopté.


M. Hymans, rapporteur. - Par pétition datée d'Overrepen, le 19 novembre 1860, le sieur Daenen propose des modifications à la loi électorale.

La Chambre vient d'ordonner le renvoi au ministre de l’intérieur d'une pétition de cette nature ; elle prendra sans doute la même résolution sur celle-ci.

- Le renvoi à M. le ministre de l'intérieur est ordonné.


M. Hymans, rapporteur. - Par pétition sans date, plusieurs curés dans le canton de Virton demandent une augmentation de traitement.

Mêmes demandes des curés des cantons d'Arlon et d'Etalle.

La pétition dont il s'agit est signée de cent vingt curés et vicaires du Luxembourg. Tous ces ecclésiastiques viennent déclarer à la Chambre qu'ils jouissent d'un traitement insuffisant pour vivre. Ce traitement est de moins de 800 fr., et le casuel peut être considéré comme nul, excepté dans quelques paroisses où la fabrique possède des fondations de messes. Le respect et la considération, si nécessaires aux ministres du culte, doivent évidemment souffrir de la gêne dans laquelle ils sont placés. Votre commission vous propose le renvoi de cette pétition au bienveillant examen de M. le ministre de la justice.

(page 357) M. Van Overloop. - Je crois, messieurs, devoir appuyer le renvoi de la pétition à M. le ministre de la justice et appeler sur la demande des pétitionnaires son sérieux examen. J'ai été à même d'apprécier la position misérable d'une foule de membres du clergé dans la province de Luxembourg.

Il est vraiment regrettable de voir à quel degré de pénurie sont réduits certains curés et vicaires dans cette province.

J'ai vérifié de mes yeux ce qui s'y passe ; je crus donc, je le répète, devoir appuyer la réclamation des pétitionnaires et appeler sur eux toute la sollicitude de M. le ministre de la justice. L’article 117 de la Constitution met les traitements des ministres des cultes à la charge de l'Etat ; il faut évidemment que ces traitements soient en rapport avec les besoins.

- Le renvoi, au ministre de la justice est ordonné.


M. Hymans, rapporteur. - Par pétition datée de Liège, le 5 juillet 1860, le conseil provincial de Liége demande la révision de l'article 2 de la loi du 26 mai 1848.

L'article 2 de la loi du 26 mai 1848 est ainsi conçu :

« Les membres des Chambres ne pourront être nommés à des fonctions salariées par l'Etat, qu'une année au moins après la cessation de leur mandat. »

En présence des termes de cet article, le consul provincial de Liège a reculé devant la nomination de M. Kœler, notre ancien collègue, aux (page 349) fonctions de membre de la députation permanente. Mais, en même temps, le conseil, à l'unanimité, a voté la proposition qui suit ;

« Considérant qu'en présence du texte formel de l'article 2 de la loi du 20 mai 1848, les votes d'un certain nombre de membres du conseil n'ont pu être accordés à l'honorable M. Koeler, alors cependant que tel était leur vif désir et leur vœu le plus cher ;

« Considérant que les scrupules de légalité qui ont mû ces personnes sont de nature à se reproduire dans des cas identiques ou analogues, et qu'il est évident que le législateur de 1848 n a eu d'autre but que d'éviter l'influence du pouvoir sur les membres de la législature, proposent au conseil provincial d'émettre le vœu suivant :

« Le pouvoir législatif est instamment prié de réviser l'article 2 de la loi du 26 mai 1848.é

Ce n'est pas la première fois, messieurs, que ce texte de loi est soumis à l'attention de la Chambre. En 1850, lors du renouvellement du mandat des membres de la cour des comptes, une discussion approfondie s'engagea sur cet article, et se termina par l'annulation du scrutin qui avait nommé M. Jacques. Mais à cette époque la question ne se présentait pas dans les mêmes termes. Il s'agissait de décider si la loi de 1848, qui défend de nommer des membres des deux Chambres à des fonctions salariées par l'Etat, dans l’année qui suit la cessation de leur mandat, pouvait s'appliquer à l'élection des conseillers de la cour des comptes.

Il s'agissait alors d'une interprétation, tandis que la pétition du conseil provincial de Liège sollicite la révision de la loi. Il s'est incliné devant la lettre de l'article 2, mais il croit que c'est méconnaître et dépasser l'esprit qui l'a dictée, que d'interdire à un conseil provincial le choix d'un de ses membres parce qu'il a été représentant et n'a pas cessé de l'être depuis un an.

Il résulte en effet pour nous d'une lecture attentive de la discussion qui eut lieu dans cette enceinte les 17 et 18 décembre 1850, que la Chambre voulait interdire aux représentants l'accès de la cour des comptes, afin d'écarter de ces bancs tout soupçon d'intrigues et de pression gouvernementale.

« La loi des incompatibilités, disait-on, a été faite pour empêcher le pouvoir d'exercer une influence fâcheuse sur les membres de la législature ; elle a été faite également, c'était l'honorable M. Verhaegen qui s'exprimait ainsi, pour empêcher les députés d’user de leur influence dans le parlement en vue d’obtenir des votes de leurs collègues, et se faire attribuer de la sorte des places salariées par l’Etat. »

En admettant que telle fût, en 1848, l'intention du législateur, quoique dans la discussion de la loi, il ne s'agisse que des nominations faites par le gouvernement, il nous paraît difficile d'admettre que l'on ait voulu empêcher un membre de cette Chambre élu conseiller provincial dans le courant de l'année, d'être appelé à la députation permanente par le vœu de ses collègues. Ou ne comprend pas quelle peut être ici la pression exercée en faveur d’un candidat qui d'ailleurs, depuis l'expiration de son mandat parlementaire, a reçu le baptême d'une élection nouvelle.

Les scrupules qui ont arrêté le conseil provincial de Liège sont faciles à comprendre et la lettre de la loi les justifie Mais en pareille matière, l’interprétation de la loi est de droit strict ; il ne faut pas étendre les incompatibilités au-delà de ce qui a été formulé par la loi d'une manière expresse.

La commission comprend donc parfaitement le vœu exprimé par le conseil provincial de Liège, et la majorité de ses membres s'y est ralliée.

C'est en vain, nous semble-t-il, que l'on voudrait tirer une objection, comme cet avis, d'une phrase empruntée à un discours de l'honorable M. Delfosse, prononcé dans la discussion de 1850. A l'honorable M. Malou qui disait : « Avec votre système un représentant, élu conseiller provincial, aussitôt après sa sortie de la Chambre, ne pourrait entrer à la députation permanente. » M. Delfosse répondait : « On n'a pas, cela est clair, pensé à cette éventualité. Elle tombe néanmoins sous l'application de la loi. Serait-ce donc un si grand malheur que les membres de la Chambre dussent laisser écouler une année avant d'arriver à être membre d'une députation permanente ? »

M. Delfosse en déclarant d’une manière incidente que cette éventualité tombait sous l'application de la loi, déclarait tout le premier qu'on n'y avait pas pensé. Il ne pouvait donc y avoir grand besoin de remédier à un abus qui n’avait jamais frappé personne.

Aujourd'hui le cas s’est présenté. Pour la première fois depuis 1848, un conseil provincial s'est vu arrêté dans la liberté de son choix, par une loi rédigée en vue d'un grand intérêt politique, et ce même conseil à l’unanimité sollicite la suppression de l'obstacle qui l'a arrêté.

Votre commission des pétitions exprime un avis favorable à la pétition du conseil provincial de Liége et en propose le renvoi à M. le ministre de l’intérieur.

- Ces conclusions sont adoptées.


M, M. Vander Donckt, rapporteur. - Par pétition datée d’Anvers, le 24 juillet 1860, le conseil provincial d'Anvers demande que la législature prenne de promptes mesures pour la suppression du droit de barrières, en accordant une indemnité aux provinces, aux communes et à qui le droit.

Par pétition datée de Tourinnes-Saint-Lambert, le 23 novembre 1860, des habitants de Tourinnes-Saint-Lambert demandent la suppression du droit de barrières.

Même demande des membres du conseil communal d'Estaimpuis, Gosselies et d'habitants de Pecq.

(page 357) M. Vander Donckt. - Messieurs, votre commission a examiné ces diverses pétitions. Il en est résulté une discussion dans laquelle quelques membres ont été favorables à la suppression des barrières et d'autres au contraire ont fait valoir des arguments fort concluants, tendants à ce que le gouvernement ne donne pas suite à ces pétitions. Dans cette position, votre commission s'est cependant décidée à vous proposer le renvoi de ces diverses requêtes à MM. les ministres de l'intérieur et des finances.

- Ces conclusions sont adoptées.


M. Vanden Donckt, rapporteur. - Par pétition datée de Lille, le 17 septembre 1860, la dame Lehouque demande à jouir du bénéfice de la loi du 18 décembre 1857, concernant la pension de la veuve sans enfant, qui se remarie.

Messieurs, cette dame demande qu'il soit donné un effet rétroactif Ma loi. Le nom de la dame Lehouque vous est parfaitement connu par les pétitions antérieures très nombreuses qu'elle n'a cessé d'envoyer à la Chambre. Pour en finir une bonne fois, votre commission a décidé de vous proposer l'ordre du jour.

- Ces conclusions sont adoptées.


M. Vanden Donckt, rapporteur. - Par pétition datée de Bruges, le 15 juin 1860, le sieur de Penaranda présente des considérations tendantes à provoquer la révision des différentes questions encore pendantes, relatives aux créances du chef de la dette gallo-belge.

Messieurs, vous connaissez aussi tous le nom de M. de Penaranda. L'objet de ses nombreuses requêtes a donné lieu à une discussion fort longue, dans laquelle d'honorables membres ont fait valoir l'intérêt des hospices et d'autres l'intérêt du trésor public.

Cette proposition peut donc être considérée comme définitivement résolue par la Chambre. Le pétitionnaire n'allègue rien de neuf. Vous connaissez le rapport produit par l'honorable M. Liedts lorsqu'il était ministre temporaire des finances, rapport très lucide et mûri sur une question qu'en sa qualité de membre de la commission de liquidation à La Haye, l'honorable ministre était plus à même que tout autre d'élucider.

Vous connaissez l'opinion de l'honorable ministre des finances actuel qui, lui aussi, s'est opposé à ce que les pétitions de M. de Penaranda fussent renvoyées è son département. Votre commission, pour en finir aussi une bonne fois avec les réclamations lu pétitionnaire, a l'honneur de vous proposer l'ordre du jour.

- Ces conclusions sont adoptées.


M. Vanden Donckt, rapporteur. - Par pétition datée de Bouillon, le 13 novembre 1860, le juge de paix et le greffier de la justice de paix de Bouillon demandent la révision de la loi des 28 septembrc-6 octobre 1791, concernant la police rurale.

Les pétitionnaires disent qu'au moment où la Chambre va s'occuper de la révision des lois pénales et lorsqu'elle a déjà voté une loi sur le Code forestier, il convient que l'attention de la législature et du gouvernement soit appelée sur le code rural qui doit être évidemment modifié et révisé.

Votre commission, messieurs, a l'honneur de vous proposer le renvoi de cette pétition à M. le ministre de la justice.

- Adopté.

Projet de loi relatif au grade d’élève universitaire

Discussion générale

(page 349) M. de Boe. - Messieurs, la question du rétablissement du grade d'élève universitaire, ou, pour me servir des expressions du nouveau projet de l'examen de gradué ès lettres, a été l'objet d'un commencement de discussion, vers la fin de la session dernière et lors de l'examen du budget de l'intérieur pour 1860. Lorsque j'eus, en ma qualité de rapporteur de ce budget, l’honneur d'appeler l'attention de la Chambre et du gouvernement sur l'utilité qu'il y aurait à rétablir l'examen d'élève universitaire, je ne me dissimulai pas les inconvénients qu'il présentait tel qu'il se trouvait formulé par la loi de 1849.

Le programme en était surchargé outre mesure. Pour se préparer à l'épreuve, les élèves étaient obligés de livrer à un travail de répétition considérable qui leur faisait négliger les deux années les plus précieuses de l’enseignement moyen, les années de la poésie et de la rhétorique, de telle sorte que le but qu'on se proposait d'atteindre, à savoir de ne permettre l'accès des universités qu’à des jeunes gens suffisamment préparés pour en suivre les cours avec fruit, ce but ne se trouvait pas atteint.

Il me semble que le projet qui nous est soumis donne une très heureuse solution à la question. Désormais les jeunes gens qui ont fait leurs humanités d’une manière convenable et qui se sont surtout appliqués pendant les années de poésie et de rhétorique, seront à peu près certains de réussir dans cette épreuve, désormais l'enseignement moyen aura un couronnement, une garantie, et l'enseignement universitaire aura une base.

La Belgique n'est pas seule à chercher dans cet examen intermédiaire de l'enseignement supérieur et de l'enseignement moyen, un obstacle à l'abaissement du niveau des études dans l'un et dans l'autre.

Il en est ainsi en Prusse, ce pays où l'enseignement fait l'objet des plus graves préoccupations du gouvernement.

La Prusse est le pays d'Europe où la vie universitaire est la plus active, c'est là aussi que l'enseignement moyen est le plus complet ; c'est celui où l'enseignement primaire est le plus répandu, grâce à l'instruction obligatoire. Dans ce pays, le gouvernement n'intervient pas dans la collation des grades universitaires, des examens scientifiques ; il a établi des examens d’Etat pour ceux qui aspirent à remplir certaines fonctions publiques ou à exercer certaines professions libérales.

Cependant, il est un examen que ce gouvernement a cru devoir imposer et maintenir ; c'est l'examen qui sépare l'enseignement moyen de l'enseignement universitaire, c'est à-dire l'examen d'élève universitaire.

Cet examen porte en Prusse le nom assez barbare semi-latin et semi-germain d'Abiturienten ou de Maturitats prüfung.

En Hollande on avait aboli l'examen d'élève universitaire en 1852, mais on s'est empressé de le rétablir en 1853, et il existe encore aujourd'hui.

Mais le pays incontestablement le plus intéressant à étudier en ce moment au point de vue des questions relatives à l'enseignement, c'est la Grande-Bretagne. Pendant bien longtemps, l'Angleterre a été le pays (page 350) qu'on a indiqué comme exemple en faveur de la non-intervention du gouvernement en matière d'enseignement.

Et, en effet, pendant bien longtemps le gouvernement anglais s'est abstenu d'intervenir.

C'était l'époque où M. Léon Faucher, dans ses Lettres sur l'Angleterre, signalait à l'attention publique ce fait que dans ce pays, un des plus riches, des plus civilisés et des plus éclairés de l'Europe, il existait, dans les grands centres manufacturiers, des populations réduites à la misère la plus abjecte, vivant sans aucune instruction et presque sans religion.

Le gouvernement anglais, avec le bon sens pratique qui le distingue et avec cet esprit de charité chrétienne qu’il apporte dans tous les actes d'administration intérieure, le gouvernement anglais a compris qu'il y avait là un danger pour l'ordre social et qu'il n'était pas digne d'un gouvernement humain de laisser durer plus longtemps un pareil état de choses ; il est intervenu ; et la somme qui figurait, il y a 40 ans, dans le budget anglais en faveur de l'instruction publique et qui s'élevait à peine à 40,000 livres, a été portée, l'année dernière, à 800,000 livres, et il est question de la porter à 2 millions de livres, soit 50 millions de francs

L'attention du gouvernement anglais n'a pas eu seulement pour objet l'enseignement primaire ; elle s'est fixée aussi sur l'enseignement moyen, et surtout sur l’enseignement supérieur donné dans les universités, notamment à Oxford et à Cambridge.

Depuis longtemps déjà des plaintes avaient été formulées ; on disait que l'enseignement dans ces grands établissements n'était pas au niveau du siècle ; qu'une réforme était indispensable ; une proposition d'enquête fut faite à la chambre des communes en 1851 ; il s'engagea, à cette occasion, une lutte très vive à laquelle les chanceliers eux-mêmes des universités, le prince Albert et le duc de Wellington crurent devoir prendre part. Nonobstant une opposition très vive, une commission d'enquête fut nommée ; elle constata que le niveau des études laissait beaucoup à désirer ; et l'un des moyens les plus efficaces que l'on indiqua pour relever l'enseignement, fut d'établir un examen d'entrée uniforme et préalable à l'immatriculation.

L'on alléguait à l'appui de ce système que déjà la plupart des collèges de ces universités avaient cru devoir établir de semblables examens. Seulement leur niveau variait considérablement ; ceux des collèges qui avaient à sauvegarder leur antique réputation d'excellents établissements scientifiques, se montraient sévères, tenant plus à la qualité qu'à la quantité des élèves ; d'autres, moins scrupuleux, accueillaient à peu près tout le monde ; on proposa un examen uniforme pour relever l'enseignement de ces derniers établissements.

Ce fut, comme je viens de le dire, le moyen le plus efficace qui fut indiqué pour relever le niveau des études dans les universités.

En Ecosse, à une situation analogue on proposa une solution identique.

Depuis un certain temps, le gouvernement anglais, rompant avec les traditions du patronage aristocratique, exigeait des conditions de capacité, prouvées par examen ou concours, de tous ceux qui aspiraient à entrer dans les fonctions publiques ; et il avait notamment exigé des conditions de capacité de ceux qui aspiraient à entrer dans le service civil de l'Inde.

Beaucoup de jeunes gens sortis des universités d'Ecosse, des bacheliers ès arts, des maîtres ès arts se présentèrent et échouèrent.

Ce fut un cri de douleur dans tout le pays. L'Ecosse tient énormément à sa réputation littéraire. Elle a donné le jour à une école philosophique célèbre, au créateur du genre romantique, à Walter Scott ; au père de l'économie politique, Adam Smith ; à des historiens, Robertson et Macaulay. Sa capitale est une des villes les plus lettrées de l’Europe ; on a dit du peuple écossais qu'il gouverne intellectuellement le peuple anglais.

Ce pays voyait son enseignement universitaire tombé tellement bas, que les jeunes gens sortis de ses établissements n'étaient pas en état d'affronter l'examen, extrêmement simple, exigé pour entrer dans le service civil de l'Inde.

Une enquête fut ouverte et on constata que les causes de cette décadence étaient dues surtout à l'admission beaucoup trop facile dans e es universités déjeunes gens mal prépares aux cours académiques.

Voici ce que dit à cet égard un homme qui jouit dans ce pays d'une grande réputation, le professeur Blakie :

« Les institutions académiques d'Ecosse, au point de vue du niveau de leur enseignement littéraire et scientifique, se trouvent par suite de l'admission de tous ceux qui possèdent quelques notions de ces branches du savoir, être au degré le plus bas connu en Europe. L'enseignement n'a pas le caractère universitaire, mais le caractère d'un enseignement moyen. »

Et le remède que l'on propose, c'est un examen d'entrée.

« C'est la vraie base d'une réforme universitaire. Qu'un examen, dont le niveau ne soit pas élevé d'une manière extravagante, ni ridiculement bas, soit établi, et les académies reprendront leur caractère universitaire. »

On fait pourtant une objection :

« La seule objection fondée, dit-on, que l'on puisse faire à l'établissement d'un examen d'entrée aux universités, c'est qu'il en résultera une diminution dans les émoluments des professeurs. »

Quant à la violation de la liberté d’enseignement, à l'uniformisation des méthodes, il n'en est pas question.

Cependant, messieurs, s'il est une population qui est jalouse de la liberté d'enseignement, c'est la population écossaise. Dans ce pays, comme en Angleterre, les questions d'enseignement se trouvant intimement liées aux questions religieuses.

Vous savez combien le nombre des sectes dissidentes est grand dans ce pays ; toutes sont jalouses d'empêcher l'intervention du gouvernement dans l’enseignement, parce que le gouvernement professe la religion établie, la religion anglicane.

Cette question a donc reçu à peu près partout la même solution.

J'ai indiqué aussi l'an dernier qu'en France on s'est plaint de l'absente d'études littéraires chez les jeunes avocats. On avait constaté chez eux absence de style, absence de méthode et, chose plus grave, absence d’idées. Le moyen qu'on a cru devoir proposer, c'est de relever l'enseignement littéraire. On a obligé les étudiants en droit à suivre deux cours de la faculté des lettres. La France, par suite de l'organisation de son enseignement moyen qui comprend la classe de philosophie, ne peut constituer l'examen d'élevé universitaire. Lille a dû prendre un moyen détourné pour atteindre le but.

Je n'ai pas l'intention, messieurs, d'entrer dans de plus longs développements sur cette question. Jusqu'ici l'examen du grade d'élève universitaire n’a guère été combattu. J'attendrai donc les objections qui pourraient se produire. Comme je l'ai dit en commençant, cet examen sera surtout utile en ce qu'il tend à rendre aux études littéraires leur véritable importance dans l'enseignement, et ceci me conduit à traiter une question extrêmement grave, celle de la baisse du niveau des études dans les universités.

On s’en plaint depuis bien longtemps ; selon les uns il est au plus bas, selon les autres, le mal n'est pas aussi grand ; mais tout le monde est à peu près d'accord pour reconnaître que l'esprit littéraire et scientifique décline dans nos universités.

L'honorable M. de Decker, alors ministre de l'intérieur, disait dans la discussion de 1857 : « L'amour de la science s'en va. Le goût des études laborieuses et élevées sans arrière-pensée d'intérêt et de calcul n'existe plus guère. »

On a jusqu'ici, d'une manière presque exclusive, cherché la cause de ce triste état de choses, soit dans le programme des examens, soit dans la formation des jurys. C'est ainsi que, sous l'empire de la loi de 1835, on disait que c'était le jury central qui était cause de cette situation, on disait que les jeunes gens, ne se trouvant pas en contact avec leurs professeurs dans les commissions d’examen, étaient obligés en quelque sorte de prévoir d'avance toutes les questions qui pourraient leur être adressées et d'en préparer la solution, de telle sorte que leur travail se bornait, pour ainsi dire, à un travail de pure mnémotechnie.

On accusait en même temps le programme d'être surcharge ; on demandait l'établissement de l'examen d'élève universitaire et la loi sur l'enseignement moyen. En 1849, toutes ces choses furent accordées par la création des jurys combinés, on mit l'élève de l'université eu contact avec ses professeurs ; par le dédoublement des examens du doctorat et de la candidature en philosophie, on simplifia le programme ; et, par la loi de 1850, on réorganisa l'enseignement moyen donné par l'Etat. Et cependant l'esprit littéraire et scientifique continue à ne point reparaître.

En 1855, il y eut revirement, on revint sur ses pas : on abolit le grade d’élève universitaire. Par la loi de 1857, on maintint cette abolition et on relégua au nombre des matières à certificat presque toutes les branches d'enseignement portées au programme par la loi de 1835. Et cependant l’esprit littéraire et scientifique continue toujours à ne point reparaître.

Il faut conclure de là que le mal ne gît pas seulement dans les lois sur l'enseignement. Et, en effet, on se plaint presque partout. On se plaint en France ; on y constate notamment qu'il y a décadence (page 351) de l'éloquence au barreau ; je ne parle pas de cette ancienne éloquence parlementaire qui a disparu avec les mœurs et les traditions de l'ancienne magistrature ; mais de l'éloquence beaucoup plus moderne au XIXème siècle. J'ai dit tout à l'heure quel était le moyen qu'on avait cru devoir adopter pour remédier à cet état de choses.

On se plaint en Angleterre : on y constate la même décadence, et je lis dans l'ouvrage d'un auteur anglais, avocat à Londres, la phrase suivante : « Les hautes aspirations du barreau, l’ardeur de ses sympathies pour les lettres, ont considérablement diminué. »

L'Allemagne seule, en quelque sorte, échappe à cette décadence.

Ainsi, messieurs, voilà divers pays dans lesquels les lois sur l'enseignement varient, où les méthodes sont également diverses ; et cependant on y constate partout le même fait. Ne peut-on pas en conclure que la cause de la perte de l’esprit scientifique et littéraire est beaucoup plus générale ?

Dans l'histoire de l'enseignement, on divise la période qui s'étend depuis le rétablissement de la paix européenne de 1815 jusqu'à nos jours, en deux époques : l'une qui s'étend de 1815 à 1835, et l’autre de cette dernière date jusqu'à nos jours.

Au lendemain de 1815, un véritable mouvement de renaissance se produisit, eu Europe, et comme la situation des esprits des universités se trouve influencée par le mouvement général des esprits dans la société, il en est résulté que la vie scientifique et littéraire des universités était extrêmement active. On vit apparaître une grande école historique, où figuraient les noms des Augustin Thierry, des Guizot, des Sismondi, des Hallam ; on vit une rénovation complète dans la littérature, l'école romantique vit le jour.

Ce mouvement de renaissance expire en quelque sorte après la révolution de 1350. A partir de cette époque les préoccupations des gouvernement et des populations ne sont plus ce qu'elles étaient auparavant ; jusque-là les uns et les autres poursuivaient des intérêts moraux, luttaient pour ou contre la liberté de la presse, pour ou contre la liberté de l'enseignement, pour ou contre la liberté de la tribune.

Désormais on lutte pour l’établissement du libre-échange, pour l’établissement des chemins de fer, pour l'établissement du crédit, etc. ; le siècle en un mot se matérialise, et cette tendance matérialiste ne tarde pas à envahir les universités. L'esprit de la jeunesse devient positif comme le siècle ; ce qu'elle recherche, c'est une carrière qui lui donne au plus vite les moyens de faire fortune ; c'est là la cause primordiale de la perte de l'esprit scientifique et littéraire dans les universités.

Les jeunes gens étudient exclusivement en vue de se créer une profession, en vue de l'examen et du grade qui doit leur en ouvrir l'accès. Leur unique aspiration est de sauter au plus vite par dessus les entraves que la loi a mises à l'exercice de ces professions. Pour ne parler que du droit, les étudiants ne s'occupent que de jurisprudence et en appliquant exclusivement leur esprit à cette science extrêmement aride, ils atrophient une des plus belles facultés de l'intelligence, la faculté créatrice, l'imagination.

Lorsqu'on étudie la vie des grands hommes qui ont joué un grand rôle dans l'histoire, la vie même des mathématiciens comme Kepler, Newton et Humboldt, on est convaincu que, s'ils sont arrivés à de si grandes découvertes, c'est qu'ils étaient doués d'une puissante imagination. Leurs œuvres sont surtout le produit de cette faculté créatrice.

Il faut réagir, si c'est possible, contre cette tendance matérialiste. Est-ce en augmentant ou en diminuant le programme des examens, en substituant un jury central au jury combiné, ou le jury combiné au jury central, que vous remédierez à un pareil état de choses. Je ne le crois pas.

Pour trouver, selon moi, le vrai remède, il importe de se bien rendre compte du but de l'enseignement supérieur. Ce but n'est pas, comme beaucoup de personnes se le figurent, de créer des avocats, des médecins, des pharmaciens, des ingénieurs. S'il en était ainsi, la question ne préoccuperait pas si vivement les gouvernements et notamment les Chambres belges depuis bientôt trente-cinq ans.

Le but est beaucoup plus élevé ; c'est de déverser annuellement dans la société des jeunes gens qui par leurs goûts, leurs études, leurs lectures constituent de petits foyers d'intelligente qui inspirent à ceux qui les entourent l'amour des hautes aspirations intellectuelles et les arrachent en quelque sorte aux préoccupations exclusivement matérielles ou futiles de la vie ; le but en un mot est de sauvegarder ce qui constitue le plus grand intérêt d'un peuple civilisé, le mouvement intellectuel de la société.

Or, qu’est-ce qui constitue le fond intellectuel de la vie d'une nation ?

C'est la littérature, l'histoire, la philosophie. On peut être un homme très intelligent sans savoir le droit, sans avoir approfondi les mathématiques, les sciences naturelles, mais il est presque impossible d'être un homme instruit si l'on n'a pas fait d’études littéraires ; ce sont ces études qu'il faut fortifier dans les universités ; c'est parce que ces études sont restées si fortes en Allemagne que l'Allemagne a échappé à la décadence qu'on remarque partout ailleurs.

L'Allemagne depuis le commencement de e siècle s'est donné la mission d'élucider l’histoire grecque et l'histoire romaine ; pour remplir cette mission elle est tenue de faire des études approfondies des langues grecque et latine, aussi les études classiques y sont-elles en grand honneur.

En Angleterre aussi, dans ce pays éminemment pratique où la première préoccupation des hommes d'Etat est de laisser après eux des hommes qui les remplacent, qui puissent remplir dignement les fonctions de membres de la chambre des lords ou des communes, dans ce pays où, depuis 170 ans, on a toujours considéré l'enseignement des études classiques et historiques comme le meilleur moyen de former l'intelligence de ceux qui sont appelés à exercer les fonctions politiques, c'est le fond de l'enseignement des six grands collèges de Harrow, d'Eton, etc., des universités d'Oxford et de Cambridge. Un mot d'un grand homme d'Etat de ce pays définit admirablement lu but de cet enseignement.

Lorsque le premier comte de Chatham, William Pitt conduisit, je ne sais plus dans quel collège son second fils, qu'il destinait à la carrière politique et qui fut le second William Pitt, il lui dit : Je ne te demande qu'une chose, c'est qu'en sortant d'ici je puisse dire de toi : C'est un homme. Les études littéraires n'ont pas d'autre objet. Le goût en est moins développé en Belgique qu'ailleurs, c'est une raison pour le fortifier. Le génie belge, à l'époque où se formaient les grandes littératures de l'Europe, la littérature française, la littérature anglaise, la littérature néerlandaise, a été stérile ; à la fin du XVIIIème et au commencement du XVIIIème siècle, il était dans la plus complète décadence ; nous n'avons pas eu chez nous de ces loyers intellectuels qui exercent une si grande influence sur le mouvement littéraire, nous n'avons jamais eu quelque chose dans le genre de l'hôtel de Rambouillet ou des salons du XVIIIème siècle, ou de la société de Weimar ; il faut y suppléer par l’enseignement.

Quelle est la part de ces études dans les quatre années passées à l'université ? Pour l'étudiant en droit, trois années sont consacrées à l'étude du droit, une seule à l'étude approfondie de la littérature, de l'histoire et de la philosophie ; il est impossible que dans un aussi court espace de temps, il acquière des notions approfondies sur les diverses branches de la science et que partant il quitte l'école avec le goût de l'étude et de la lecture.

Voici les matières qu'on lui enseigne :

Exercices philologiques et littéraires sur la langue latine.

Explication d'auteur latin à livre ouvert.

Histoire de la littérature française.

Psychologie.

Logique et philosophie morale.

Histoire politique de l'antiquité.

Antiquités romaines envisagées au point de vue politique.

Histoire politique du moyen âge.

Histoire politique de la Belgique.

Je le demande, est-ce en une année qu'on peut acquérir des notions même superficielles sur un nombre aussi considérable de matières ?

Il y a donc, je pense, lieu de créer une seconde classe de philosophie et lettres ; l'unique question est de savoir s'il importe de la placer avant l'enseignement du droit ou de la reporter après cet enseignement, et je crois que ce second moyen serait le meilleur.

Dans cette classe de haute littérature et d'études historiques approfondies, on enseignerait surtout l'art de la composition historique et l'art de l’éloquence, c'est-à-dire que l'on enseignerait aux jeunes gens qui se destinent au barreau, un art qui constitue, en définitive, pour eux, un art professionnel. Ou leur apprendrait à parler.

C'est une chose assez étrange à constater combien cet art, si nécessaire dans un pays parlementaire, est négligé chez nous Il n'est presque pas un homme jouissant de quelque instruction, de quelque fortune, ayant une position dans le monde qui tôt ou tard ne puisse se trouver appelé à remplir des fonctions publiques, à défendre ses actes, à faire (page 352) prévaloir des opinions par la parole. Ceux mêmes qui ont fait des études humanitaires ou des études universitaires n'y sont qu'imparfaitement préparés.

Je crois donc qu'il y aurait lieu d'organiser ce haut enseignement à l'université comme couronnement de l'enseignement du droit ; qu'il y aurait de plus lieu d'ouvrir dans les universités, chose que je suis très étonné de ne pas y trouver, des conférences littéraires dans lesquelles les jeunes gens produira eut des travaux critiques et s'essayeraient aux discussions.

Cette réforme amènerait une prolongation des études universitaires, dont la durée serait portée de quatre à cinq ans.

On me dira que les parents trouvent que les études sont déjà beaucoup trop longues.

En effet, on peut constater dans notre pays que les trois quarts, peut-être les neuf dixièmes des jeunes gens reçoivent, une instruction, de beaucoup supérieure à celle de leurs parents. Tout le monde est convaincu chez nous de la nécessité d’une bonne instruction comme le meilleur moyen d'arriver à se faire une position supérieure dans la société. Il résulte de là que la plupart des parents font des sacrifices considérables pour donner de l'instruction à leurs enfants et qu'ils voudraient voir cesser ces sacrifices le plus tôt possible, qu'ils voudraient que leurs enfants soient mis à même au plus tôt de gagner par eux-mêmes leur vie.

Ce désir existe aussi chez les étudiants ; aussi que voyons-nous ? L'impatience est telle que la garantie du stage n'existe plus. Les jeunes gens, pour être admis à plaider, sont tenus de faire un stage de trois ans ; exceptionnellement les présidents des tribunaux et des cours peuvent les autoriser à plaider.

Eh bien, l'exception est devenue de nos jours la règle, c'est-à-dire que presque tous, les jeunes gens pratiquent immédiatement après avoir été reçus docteurs eu droit. Il s'ensuit qu'ils se trouvent en quelque sorte lancés, à un âge extrêmement jeune, à l'âge de 21 ou 22 ans, dans les préoccupations de la vie matérielle, et que cet âge, dans lequel on doit surtout étudier les lettres et la science, est consacré par eux à des études professionnelles.

En Prusse, on oblige les jeunes gens à s'occuper de travaux intellectuels jusque vers l'âge de 30 ans, et lorsqu'on étudie le système des examens de ce pays, on constate que ce système n'a presque pas d'autre but.

Vous le savez, ce sont dans ce pays les universités qui confèrent les grades ; il y a des examens d'Etat pour ceux qui veulent entrer dans les fonctions publiques ou exercer les professions libérales. Eh bien, ces examens d'Etat sont espacés. On ne peut les passer tous immédiatement. Il faut laisser s'écouler un certain délai, et l'une des choses sur lesquelles on se montre le plus exigeant, c’est sur ce qu'on appelle le curriculum vitae, c'est-à-dire que tout aspirant est obligé d'indiquer à la commission d'examen comment il a employé son temps depuis sa sortie de l'université, ou depuis qu'il a passé le précédent examen, quels sont les travaux intellectuels auxquels il s'est livré, et la commission d'examen tient grand compte de ces occupations pour admettre le candidat.

Grâce à ce système, le gouvernement prussien oblige, en quelque sorte, les jeunes gens à travailler, comme je l'ai dit, jusqu'à l'âge de trente ans ; et quand on considère que chez nous beaucoup de jeunes gens qui sont reçus docteurs à l'âge de 21 ans, commencent aussitôt à plaider, on ne doit point s'étonner s'il en résulte une perte de l’esprit scientifique et littéraire, non seulement dans les universités, non seulement dans le barreau, mais encore dans la société.

Il n'existe de plus dans notre pays aucun moyen de suivre l'enseignement du moment qu'on est sorti de l’université. Nous n'avons pas ces grands établissements que l'on nomme en France la Sorbonne et le Collège de France. Mon honorable ami M. Hymans et moi nous avons proposé l'année dernière la publicité des cours des universités.

Nous l'avons fait dans un but multiple. L'un d'eux était précisément de fournir l’enseignement à ceux qui, ayant fini leurs études, veulent cependant approfondir certaines branches de la science. Cette idée n'a guère eu de succès.

Nous l'avions demandée, en outre, dans le but de faire tomber un usage extrêmement funeste en matière d'enseignement supérieur, l'usage des cours dictés.

Le but de cet enseignement est surtout de donner à l'élève le goût de la lecture, le goût de l'étude et non pas de lui enseigner depuis l'alpha jusqu'à l'omega toute une science. Le vice de l'enseignement supérieur en Belgique, c'est que les cours sont trop complets. Le professeur ne peut guère professer. Il est obligé de condenser tellement ses idées, qu'il écrit son cours et qu'il le dicte.

Il devrait se borner à prendre quelques points de la science, à les développer et surtout à les rendre attrayants pour l'élève.

J'ai, pour ma part, suivi dans le temps un cours de ce genre en 1851.

C'était le cours de M. Michel Chevalier ; l'honorable économiste professait sur la monnaie et n'ayant pas à enseigner toute l'économie politique eu un an, il rendit sa leçon tellement attrayante qu'en sortant du Collège de France je m'empressai d'acheter quelques manuels sur la science que je lus avec avidité. Et en six semaines ou deux mois j'en savais autant que si j'avais pendant un an suivi un cours complet d'économie politique.

Ce n'est qu'en se mettant en contact sympathique avec ses élèves pair la chaleur de la parole, que le professeur peut leur donner le goût et l'enthousiasme de la science.

Nous avons enfin proposé la publicité des cours dans le but de donner un auditoire aux professeurs. Il faut qu'un professeur ait de l'éloquence, et l'on ne peut guère être éloquent lorsqu'on parle à une douzaine d'auditeurs.

Si les grands orateurs avaient dû parler à un public peu nombreux, occupé à prendre texte de la moindre de leurs paroles, les grands orateurs n'eussent jamais existé.

Si MM. Guizot et Villemain, dont les cours étaient si brillants et serviront toujours de modèles, oui mis tant de chaleur et d'éloquence dans leur enseignement, c'est précisément à cet auditoire sympathique qu'ils le durent.

Ce public indispensable au professeur n'existera en Belgique que lorsque la publicité des cours universitaires sera décrétée.

On nous a objecté que les seuls cours suivis seraient ceux de littérature, d'histoire et de philosophie ; nos vœux ne vont pas au-delà. Ce qu'il faut répandre dans la société c'est le goût des sciences morales.

C'est en fortifiant l’enseignement de la littérature, de l'histoire et de la philosophie, en lui donnant de l'attrait que vous rendrez aux jeunes gens le goût de l'étude et des lettres.

Sachant manier la langue et la manier d'une manière brillante, ils seront, certains d'être lus s'ils écrivent : ils ne tarderont pas à prendre la plume

L'esprit scientifique et l'esprit littéraire, qui sont intimement unis, ne tardèrent pas à renaître, pour autant qu'il dépend d'une puissance humaine de les relever.

M. de Theux. - Je pense, messieurs, que tout le monde sera d'accord qu'à aucune autre époque il n'y a eu autant de moyens d'instruction qu'à l'époque actuelle, non seulement en Belgique, mais dans tous les pays.

Les efforts de tous les gouvernements se sont appliqués à créer un vaste système d'enseignement. D'autre part, l'aisance des populations a fait affluer vers tous les établissements d'instruction une masse de jeunes gens.

Cela existe pour les écoles primaires, pour les écoles moyennes, pour les athénées et pour les universités ; c'est la tendance de l’époque, chacun cherche à étudier. Néanmoins on se plaint dans tous les pays de la décadence des sciences, de la décadence des lettres, d'où cela provient-il ? Cela ne provient pas, d'abord, de l'absence de moyens d'instruction, je crois que tout le monde en convient. Cela provient-il de l'absence de certains examens ? Je ne le pense pas ; je crois que les examens sont assez multipliés. Cela tient à d'autres causes, à des causes qui sont en dehors de la puissance législative.

Il est évident, messieurs, qu'à aucune autre époque il n'y a eu autant de préoccupation de se créer une position au moyen des études, qu'à l'époque actuelle.

Mais ce qui manque, c'est cette spécialité de gens de lettres, d'hommes de science qui consacrent toute leur vie à produire des monuments littéraires, des monuments scientifiques pour la gloire, pour l'utilité publique. Voilà ce qui manque.

Autrefois, il y avait des corporations savantes où l'on consacrait toute sa vie à l’étude, où l'intérêt social dominait.

Aujourd’hui c'est l'individualisme qui domine, et l'individualisme conduit nécessairement à tirer profit, pour soi et pour sa famille, des études que l'on fait.

C'est là le but le plus commun, le plus général, et aucune loi n'y portera remède.

D'u, autre côté, les cause de distraction sont plus nombreuses qu'à aucune autre époque. Il y a la littérature légère et le journalisme qui prennent un temps immense dans toutes les classes de la société.

(page 353) les journaux nous mettent au courant à l'instant même de tous les faits qui se passent, de toutes les découvertes qui se font dans l'univers entier ; mais d'autre part la lecture habituelle des journaux détourne des études sérieuses.

Cependant, messieurs, n'exagérons point le mal. Le mal dont il s'agit, comme on l'a dit, n'est point spécial à la Belgique ; on le remarque en Angleterre, on le remarque en France ; on excepte seulement l'Allemagne.

Je ne nie point que les études spéculatives sont peut-être plus approfondies et plus communes en Allemagne qu'elles ne le sont ailleurs, mais ce que je ne crains pas d'affirmer c'est que la Belgique offre dans toutes les carrières, des hommes capables, des hommes pratiques en aussi grand nombre qu'aucun autre pays et qui rendent à la société des services immenses.

J'en trouve la meilleure preuve dans ce fait que l'étranger nous emprunte fréquemment des hommes distingués. Aussi les études qui se font en Belgique, si elles ont un côté matériel, ont immensément contribué au développement de la prospérité du pays, ce qui est d'une importance extrême si l'on tient compte de l'accroissement continuel de la population.

Ne calomnions point les études, mais tâchons de les diriger le mieux que nous pouvons vers le triple but de l'utilité matérielle, de l'utilité sociale et de l'utilité littéraire, et scientifique.

Sous ce dernier rapport j'ai peu de confiance dans les moyens de coercition, et quelques changements que vous apportiez à la législation, je doute que vous atteigniez le but indiqué par l'honorable préopinant et qui sans doute est très louable.

L'honorable membre a beaucoup vanté la longueur des études et les stages qui existent en Prusse. Je suis convaincu que si le système prussien était proposé à la Chambre, il n'y rencontrerait pas d'approbateurs ; je suis encore plus certain qu'il répugnerait énormément à nos mœurs et que l'opinion publique le repousserait.

L'honorable membre voudrait qu'après l'achèvement des études en droit, en médecine, en sciences, on fût obligé en quelque sorte de suivre les cours du doctorat en philosophie et lettres. C'est la première fois que l'idée de ces cours comme obligatoires a été mise en avant. Il y'a divers encouragements qui devraient le faire suivre, et malgré cela il faut convenir qu'il est bien peu fréquenté et je doute que l'obligation de suivre ce cours, pour couronner les études en droit et en médecine fût accueillie avec faveur.

Je pense qu'on objecterait avec raison que cela détournerait du barreau et de la médecine un grand n'ombre de jeunes gens dont les familles n'ont point des ressources suffisantes pour faire face à des dépenses aussi prolongées.

Une observation que j'ai faite moi-même, c'est que les études sont trop rapidement terminées ; on les commence trop jeune, et on les finit trop jeune.

Si les études universitaires pouvaient se prolonger jusqu'à l'âge de 25 ans, où l'intelligence est plus mûrie, où l'on est plus éclairé par l'expérience et par l'observation, il est certain que les études universitaires seraient plus fructueuses ; il est certain aussi qu'habitué à la vie intellectuelle par une plus longue série d'études, on s'abandonnerait moins vite et moins exclusivement à ce que l'existence a de positif et de matériel. Mais je ne pense pas qu'on puisse recourir au moyen qu'on indique.

Ce serait, dans un pays d'égalité et de liberté pour tous, rendre les carrières de la magistrature et de la médecine inaccessibles à un grand nombre de familles ; ce ne serait pas, je pense, conforme à l'esprit de nos institutions.

L'honorable membre a aussi parlé de la publicité des cours ; il a assisté, nous a-t-il dit, à un cours public d'économie politique qui se donnait d'une manière très distinguée à Paris.

Mais, messieurs, la publicité des cours a existé jusqu'à un certain point dans les universités belges, en ce sens que les professeurs ont admis à leurs cours des auditeurs non étudiants qui désirent y assister. Mais ces auditeurs sont très peu nombreux. La publicité des cours, telle que la désire l'honorable préopinant, se conçoit dans une grande capitale comme Paris qui, au point de vue des lettres et des sciences, est la principale ville du monde ; qui renferme dans son sein une foule d'hommes instruits : toutes choses que vous ne pouvez improviser ni créer par la loi.

Messieurs, je me borne pour aujourd'hui à ces courtes observations ; je me propose, dans la séance de demain, de reprendre la parole pour faire connaître mon opinion sur la question du grade d’élève universitaire. Mais je prétends, en terminant, que notre pays n'est pas dans un état d'abaissement scientifique et littéraire qui doive être pour lui un objet d'humiliation et de honte.

M. Van Humbeeckµ. - Messieurs, je demande pardon à la Chambre de descendre des sphères élevées où l'ont attirée les précédents orateurs ; je me propose de reprendre l'examen des diverses questions du projet de loi à un point de vue plus modeste, unis plus technique.

Et d'abord je ne sais si je m'explique bien la portée actuelle du projet de loi. A l'origine, il traitait de deux objets parfaitement distincts ; la prorogation du mode de nomination des membres du jury d'examen et le rétablissement du grade d'élève universitaire. A la fin de la dernière session, la Chambre a adopté une proposition d'ajournement pour la partie du projet relative au grade dont je viens de parler ; quant au mode de nomination du jury d'examen, elle a voté une prorogation moins longue que celle qui était demandée par le projet de loi.

Je crois cependant qu'aujourd'hui nous sommes appelés à discuter à la fois les deux questions : celle de savoir s'il y a lieu de proroger ultérieurement le mode actuel de formation des jurys d'examen ; et celle de savoir s'il y a lieu de rétablir, sous un nom ou sons un autre, le grade d'élève universitaire. Si tel est réellement le terrain sur lequel porte la discussion actuelle, j'aborderai successivement les diverses questions que les deux points soulèvent.

Examinons d'abord s'il faut proroger le mode actuel de nomination des jurys d'examen. Le projet de loi nous propose de maintenir ce système ;mais je crois que le moment est arrivé de revenir à un jury unique.

Il y a onze ans que ces jurys combinés fonctionnent ; on doit convenir qu'ils n'ont pas produit tous ces inconvénients. Les détracteurs les plus ardents de ces jurys doivent reconnaître aujourd'hui qu'ils avaient été trop loin dans leurs appréhensions... Toutefois l'expérience n'a pas détruit les arguments qui avaient été produits en faveur du maintien d'un jury unique.

Quel est le but qui justifie l'institution d'un jury quelconque ?

C'est l'influence scientifique heureuse qu'on suppose une pareille institution destinée à exercer. Je sais bien, comme le disait tout à 'l’heure l'honorable M. de Boe, qu'un jury, quelque parfait qu'il soit, ne pourra ranimer l'esprit scientifique et littéraire dans une génération où cet esprit serait éteint ; mais si on ne reconnaît aucune influence scientifique aux jurys, il faut prononcer leur condamnation, il faut dire que l'institution doit disparaître.

Reconnaissons-leur donc une influence scientifique et littéraire, restreinte, si l'on veut, mais réelle. Si cette influence existe, pourquoi refuser à l'institution la force dont on doit désirer qu'elle dispose, pourquoi refuserait-on de revenir au système de l'unité, de la centralisation ?

Messieurs, à côté de la centralisation destinée à rendre au jury toute sa force, conservons le système de la représentation des quatre universités et de l'enseignement privé, système introduit par la loi de 1849 et qui a été un des bienfaits de cette loi. Le maintien de ce système est imposé à la fois par les exigences de la liberté de l'enseignement et par les exigences du principe d'égalité pour les divers établissements nationaux d'instruction supérieure.

En combinant le principe de l'égalité de représentation inscrit dans la loi de 1849, et le principe de la centralisation qui se trouvait dans la loi de 1835, on rendra au jury toutes les conditions d'impartialité, on lui rendra une autorité morale plus grande que celle qu'il peut avoir actuellement, et l'on évitera enfin un incontestable fléau, la possibilité d'une concurrence entre les jurys.

Je dis, messieurs, qu'un jury unique offre, des garanties d'impartialité plus grandes que tout autre jury. En effet, là les intérêts se trouvent en présence ; tous ceux qui existent dans le sphère de l'enseignement supérieur sont contrebalancés les uns par les autres, veillent les uns sur les autres.

En présence de ce contrôle, de cette surveillance, de cet équilibre, un abus devient impossible.

Un jury organisé sur cette base, ai-je dit, aura aussi une autorité morale plus grande. Cette autorité morale sera le résultat de l'impartialité que je signalais tout à l'heure, et aussi le résultat de l'unité de jurisprudence que le rétablissement d'un jury central doit nécessairement amener.

Nous ne pourrons plus craindre les variations entre les marches suivies par des jurys différents ; les décisions scientifiques ne pourront qu'y gagner.

(page 354) Un pareil jury rend encore impossible toute concurrence de juridiction ; la concurrence est chose fâcheuse, déplorable, non pas en matière d'enseignement, mais en matière de jugement sur les questions d'enseignement.

Si en fait de méthode, si partout où l'émulation est nécessaire, la concurrence stimule et vivifie, elle devient, au contraire, un principe funeste là où doit régner le calme pour donner des garanties de justice que personne ne puisse contester.

Je ne dis pas que cette concurrence se soit produite. Mais je faisais remarquer, récemment encore, qu'il ne fallait pas s'attacher seulement aux abus qu'une loi a produits, mais encore aux abus possibles sous l'empire de cette loi.

II peut y avoir avec les jurys combinés une concurrence soit de sévérité, soit d'indulgence. L'une et l'autre doivent nuire à la mission des jurys.

L'institution d'un jury unique fera encore disparaître un inconvénient que signalait tout à l'heure l'honorable M. de Boe. ; je veux parler de l'attachement trop servile de l'élève aux cahiers du professeur.

L'élève à peu près certain de rencontrer son professeur dans un jury, d'y voir l'établissement dont il sort représenté dans une grande proportion et n'ayant vis-à-vis de lui qu'un seul autre établissement, cet élève, pour réussir dans ses examens, cherche avant tout à comprendre la science telle que veut la lui inculquer le professeur.

Il ne s'attache pas à s'élever plus haut. Le rôle de l'étudiant a toujours été et sera toujours de prendre en quelque sorte la mesure de ce qu'il est appelé à se mettre dans l'esprit. Sachant que ce qui est dans le cahier de son professeur est suffisant pour passer l'examen, il s'en tiendra exclusivement aux leçons qui lui seront données.

Avec le jury central, où l'élève ne sera plus en présence de son professeur, il devra élargir la sphère de ses études ; il ne pourra plus s'en tenir au cahier du professeur, il devra recourir à des études plus générales et nécessairement plus profitables.,

Dans tous les systèmes de jurys, dans celui du jury central comme dans les autres, on a signalé deux grands inconvénients : la permanence dans les fonctions de juré et l'inégalité dans la représentation des différentes branches dont se compose le programme de l'examen.

Je crois, messieurs, que pour éviter le premier de ces inconvénients il faudrait rendre le nombre des membres du jury moins considérable qu'il ne l'a été jusqu'ici.

En agissant ainsi, on peut modifier plus souvent la composition des jurys ; on ne met plus dans les mains de quelques-uns le monopole des appréciations scientifiques.

On évite un inconvénient, qui constitue une cause nouvelle d'abaissement pour les études. Avec un semblable monopole, encore une fois, l'élève connaît d'avance l'étendue de ce qu'on exigera de lui et n'ira pas au-delà de la sphère dans laquelle il sait qu'il suffit de se mouvoir pour arriver au succès.

Dans le système des jurys multiples, la permanence est en quelque sorte inévitable ; le personnel enseignant des diverses universités n' est pas assez nombreux pour permettre de modifier souvent la composition des jurys combinés.

Quant à l'inégalité de la représentation des diverses branches, il est impossible d'éviter entièrement cet inconvénient.

Je ne connais aucun système qui puisse le faire, disparaître complètement ; mais il y a moyen de l'atténuer, et ce moyen se confond précisément avec celui que j'ai signalé pour éviter la permanence des fonctions de juré. C'est le roulement, le changement fréquent du personnel du jury-

Avec ce roulement chaque établissement à son tour aura le désavantage d'être représenté par ceux qui professent dans son sein les branches les moins importantes, mais chacun des intéressés ayant à son tour à souffrir de cet inconvénient, il n'y aura plus d'intérêt pour aucun des établissements à abuser de cette inégalité. Si elle existe momentanément en faveur d'un établissement, par suite du roulement elle sera établie à la session suivante en faveur d'un autre ; chacun, ne fût-ce que par intérêt, veillera à ce que l'impartialité règne toujours.

A propos de la nomination des membres du jury, une autre question encore a son importance.

Le président et le secrétaire du jury sont aujourd'hui nommés par le gouvernement. Le président doit même être choisi en dehors du corps enseignant.

Messieurs, on a donné à l'appui de ce système de fort bonnes raisons, bonnes au moins en apparence. On a prétendu qu'il fallait placer, entre des intérêts opposés, un conciliateur éventuel. Il n'était pas nécessaire pour cela de prendre le président du jury en dehors du corps enseignant ; on pouvait parfaitement continuer le système suivi jusqu'en 1849 et abandonner au jury la nomination de son président et de son secrétaire.

Des considérations militent en faveur de cet ancien système, c'est la dignité du corps professoral, c'est le principe, que la qualité de professeur est indispensable pour être bon examinateur.

Si la qualité de professeur est indispensable pour être bon examinateur, si dès lors les professeurs sont les seuls examinateurs réels, pourquoi ne pas leur laisser le droit que nous donnons, en définitive, à tous nos corps politiques, à la plupart de nos corps judiciaires et aux plus importants d'entre eux et à tous nos corps scientifiques : le droit de choisir ceux qui sont appelés à diriger leurs délibérations ?

En leur laissant ce choix on trouve un conciliateur désigné par le jury lui-même.

Il n'y a pas d'influence plus considérable au sein d'un corps que la confiance de la majorité de ceux qui le composent.

Messieurs, à propos de ce changement, je reprends une raison dont j'ai déjà fait usage : la nécessité de ne pas introduire la permanence des membres des jurys. Si vous prenez les présidents en dehors du corps enseignant ; si, surtout, il doit nécessairement en être ainsi, vous restreignez excessivement vos choix. En dehors du corps enseignant très peu de personnes peuvent être de bons présidents de jurys. Je dois rendre au gouvernement cette justice que jusqu'à présent ses choix ont été excellente.

Je tiens à constater que je ne viens pas faire ici la guerre aux présidents de jurys ; mais, dans l'intérêt de la dignité de l'enseignement, pour donner aux jurys plus de prestige, il serait bon de laisser aux jurys mêmes la nomination de leurs présidents.

Ce système, d'ailleurs, a fonctionné pendant quatorze ans sans le moindre inconvénient.

Messieurs, le système, que je viens de développer sur la composition des jurys ne m'appartient pas ; je l'ai trouvé tout entier, à l'exception de ce qui concerne le nombre des membres des jurys, dans le projet de loi qui a été proposé en 1857 par l'honorable M. de Decker.

Ce projet émane d'un ministère qui n'a pas été pris dans nos rangs, mais je n'hésite pas à faire connaître la source où je le puise. En matière d'enseignement et de science, il faut consulter des intérêts plus élevés que les intérêts de partis. Aussi je crois pouvoir avouer mes sympathies pour ce projet sans commettre la moindre forfaiture à l'égard de l'opinion libérale. D'ailleurs, si le moindre reproche pouvait m'être adressé de ce chef, je le mériterais en bonne et respectable compagnie : ce projet, en effet, a été soumis par le conseil administratif de l'université libre de Bruxelles à toutes les facultés de cette université, et toutes y ont fait l'accueil le plus favorable. Je ne crois pas que l'on puisse invoquer une autorité libérale plus imposante !

Je termine ici, messieurs, mes observations sur cette première partie du projet, sur la prorogation du mode de nomination des jurys.

J'arrive à l'examen des dispositions proposées pour rétablir le grade autrefois connu sous le nom de grade d'élève universitaire et auquel vous me permettrez de continuer, par habitude, à donner cette dénomination, quoique je trouve, avec la section centrale, que le titre de gradué en lettres convienne infiniment mieux.

On a, messieurs, attaché, selon moi, au grade d'élève universitaire une importance qu'il n'a jamais eue. On y a attaché cette importance parce qu'on est parti d'une idée complètement fausse.

On y a vu on grade, qui devait nécessairement relever les études. C'est une erreur fondamentale. : le grade d'élève universitaire ne relèvera pas les études, pas plus qu'aucun examen ne les a jamais relevées ; la raison en est fort simple : lorsque vous instituez un nouveau grade, vous ne pouvez pas confier au jury chargé de le conférer une mission d'ostracisme. Le jury se trouvera en présence de récipiendaires sortis d'établissements existants ; que devra-t-il faire ?

Devra-t-il dire : Ce niveau des études dans tous les établissements existant aujourd'hui est trop faible, je vais donc exclure impitoyablement tous ceux qui ne se présentent devant moi qu'avec la somme de science qu'ils ont pu acquérir dans de semblables établissements. Cela est évidemment impossible ; aucun jury ne voudrait accepter une pareille mission ; elle soulèverait coutre lui une telle réprobation qu'il serait arrêté dans sa marche.

Les jurys doivent donc nécessairement opérer sur la moyenne de capacité qu'ils trouvent, qu'ils constatent ; ils doivent subir l'influence du milieu dans lequel ils se trouvent. Or, cette moyenne de capacité étant donnée, et le jury étant forcément obligé d'opérer sur elle, comment voulez-vous que les études se relèvent ?

(page 355) C'est par d'autres moyens qu'elles doivent se relever, par des moyens d'émulation, par le perfectionnement des méthodes, par quelques-uns des moyens aussi qu'indiquait tout à l'heure l'honorable M. de Boe. Mais, comme le disait cet honorable membre, il n'y a ni réforme dans l'organisation des jurys, ni établissement de nouveaux grades académiques qui puissent les relever.

On a défendu le grade d'élève universitaire par trois arguments auxquels j'ai déjà répondu en partie, mais que je me propose de rencontrer encore successivement et d'une manière plus spéciale.

Le grade d'élève universitaire, a-t-on dit, empêchera l'abaissement de l'enseignement supérieur ; il relèvera le niveau des études moyennes ; il simplifiera l'examen de candidat en philosophie et par conséquent le rendra plus sérieux.

Examinons quelle est la force de ces diverses raisons.

D'abord, je conteste que le grade d'élève universitaire puisse empêcher l'abaissement de l'enseignement supérieur. Pour celui qui se rend compte de cet enseignement la chose est évidente. Le professeur d'université, dit-on, a des élèves trop faibles ; par conséquent il est obligé d'abaisser le niveau de ses leçons. Nous lui donnerons des élèves plus forts et, par conséquent, il pourra élever son enseignement.

Mais, messieurs, cela laisse supposer que le professeur dans l'enseignement supérieur se trouve en contact avec ses élèves. Or, ce contact fait complètement défaut ; le professeur ne se trouve en contact avec ses élèves qu'au moment des examens, à ce moment pourra toujours arriver un événement de nature à relever le niveau des études.

Ce sera le rejet ou l'ajournement de l'élève ; c'est là certainement la meilleure garantie contre l'ignorance du récipiendaire.

Si le professeur d'université abaisse son enseignement ; il le fait volontairement ; il ne doit pas le faire nécessairement. S'il l'abaisse volontairement en l'absence d'un grade d'élève universitaire, il pourra encore l'abaisser, le grade existant ; on ne doit donc pas compter sur le rétablissement proposé pour relever le niveau des études supérieures.

Relèvera-t-on l'enseignement moyen ? Je ne le crois pas, messieurs, et cela par la raison que j'indiquais tout à l'heure ; le jury qui sera chargé de conférer le grade d'élève universitaire sera forcément obligé d'opérer sur la moyenne de capacité actuellement existante.

De plus, la pratique a déjà démenti cet avantage qu'on a prétendu faire résulter du grade d'élève universitaire ; en 1855 il a été universellement reconnu, même par ceux qui voulaient le maintien du grade, que celui-ci, tel qu'il avait été institué, n'avait pas conduit au but qu'on s'était proposé, qu'il n'avait pas relevé le niveau des études moyennes.

A cette époque nos meilleurs orateurs ont soutenu cette opinion et n'ont guère rencontré de contradiction.

On me dira que le grade qu'on veut établir n'est pas celui qui existait en 1849. Je crois pouvoir démontrer le contraire. Je crois pouvoir démontrer, en prenant le texte du projet de 1849 et celui du projet de 1860, que les deux grades sont les mêmes ; seulement, en 1860, une imperfection de plus s'est produite ; je la signalerai bientôt.

J'arrive à la troisième raison que je voulais rencontrer : simplifiera-t-il les examens et les rendra-t-il plus sérieux après cette simplification ? Je réponds que, s'il est bien compris, il peut avoir ce résultat. Cette raison plaide en faveur du grade de candidat universitaire ou gradué en lettres.

Mais c'est la seule que je puisse admettre ; en l'admettant et en écartant les autres, je maintiens, que la question n'est pas là où la plaçaient le projet de 1849 et le projet de 1860 ; mais qu'elle se rattache à la révision de la loi sur l'enseignement supérieur dans les parties qui concernent l'histoire, la philosophie et les lettres ; c'est ce que j'avais déjà dit dans le commencement de la discussion qui a eu lieu à la fin de la dernière session, et je crois devoir reproduire cette observation aujourd'hui.

Que faut-il pour simplifier l'examen de candidat en philosophie et le rendre plus sérieux ? Il faut prendre ce grade dans la loi qui l'avait conçu d'une manière complète, dans la loi de 1835.

Mais pour que l'examen ne soit pas un exercice de mémoire et ne surcharge pas les intelligences, il faut procéder à une division des diverses branches dont il se composait alors.

Il faut ranger dans une première subdivision de l'examen, subdivision que vous pourrez appeler l'épreuve de gradué en lettres ; les branches, dont les élèves peuvent acquérir, dans l'enseignement moyen, une connaissance suffisante.

II faut, de plus, trouver une combinaison qui ne présente pas le défaut de presque tous les examens.

Il faut que l'élève, d'après notre programme, ne puisse attendre le succès que par la marche qu'il aurait suivie, s'il avait étudié la science pour la science. Y a-t-il moyen d'arriver à un pareil résultat ? C'est la question que je me propose d'examiner.

Les branches sur lesquelles le futur candidat en philosophie peut prendre des notions suffisantes dans l'enseignement moyen bien dirigé, sont les langues anciennes et les mathématiques.

Les mathématiques ne pourront constituer qu'un objet accessoire dans un examen dont le but est surtout littéraire. Pour ceux qui se destinent au barreau et à la médecine, elles sont plutôt des moyens d'éducation que des matières d'instruction, elles serviront plutôt à développer le raisonnement qu'à meubler de science la tête de l'élève.

Aussi l'élève sortant du collège peut savoir des sciences mathématiques tout ce qu'il doit en savoir ; dans l'examen à passer au sortir du collège, ces branches peuvent donc être comprises sans inconvénient ; les branches mathématiques inscrites par nos lois de 1835 et de 1849 dans le programme du grade d'élève, de candidat en philosophie sont enseignées à partir de la 3ème pour une très grande partie et à partir de la seconde pour le surplus.

L'élève aura donc au moins deux ans d'études sur ces matières ; on ne pourra pas dire qu'elles auront été apprises trop rapidement. Pour les langues anciennes, il n'aura pas seulement trois années d'études ; lorsqu'il sort du collège, ces langues ont fait l'objet de ses travaux depuis six années consécutives. Que doit-il savoir alors ? Comment pourra-t-on l'examiner pour connaître s'il a profité de ses études ? Sera-ce comme le veut le projet qui place des thèmes latins dans un examen d'élève universitaire ?

Je ne pense pas qu'un grade ainsi conçu dans ses détails puisse être considéré comme vraiment sérieux.

Que peut-on demander à l'élève en sortant du collège ? S'il a obtenu le résultat auquel ses études ont dû le conduire, s'il sait le latin, s'il sait le grec.

Je ne suis pas partisan des thèmes, ni même des narrations ou des discours dans un examen pareil ; ce que je veux, c'est qu'on mette dans les mains de l'élève un auteur latin usité en rhétorique, et qu'il puisse, en l'ouvrant au hasard, l'expliquer et ensuite se livrer à des exercices divers sur les passages expliqués.

Il doit pouvoir faire cela s'il a fait des études moyennes profitables ; s'il ne le peut pas, il n'a pas profité de ses études.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - C'est difficile.

M. Van Humbeeckµ. - C'est difficile, je le sais bien, mais si vous ne voulez pas aller jusque-là, nous ne relèverons pas le niveau des études moyennes et des études supérieures. Pour le grec je ne demanderai pas qu'on l'explique à livre ouvert, je ne crois pas qu'on puisse se tenir à la même sévérité que pour le latin.

Là le jury aurait à apprécier si celui qui se présente pour subir son examen d'élève universitaire a préparé un auteur d'une force suffisante et en a préparé un assez grand nombre de passages. Celui, par exemple, qui aurait préparé une tragédie grecque entière ou trois discours de Démosthène, et qui serait disposé à subir un examen sur ces pages, serait un élève qui saurait le grec, et l'on ne pourrait pousser la sévérité jusqu'à demander pour cette langue un examen à livre ouvert.

Messieurs, ce système, quant aux langues anciennes, aurait réellement les avantages que l'on a toujours cherché vainement dans le grade d'élève universitaire.

Si l'on admet le programme que j'indique, on arrivera réellement à relever les études. D'abord lorsque l'élève arrivera à l'examen de candidat en philosophie, les branches seront nécessairement réduites. Sur les quinze branches dont se composait le programme de la candidature en philosophie et lettres de 1835, nous n'en laissons que neuf, dont plusieurs se rattachent les unes aux autres.

Il y aura quatre branches philosophiques : il y a quatre branches historiques, enfin l'histoire de la littérature française que nous pourrons j'espère, un jour remplacer par l'histoire de notre littérature nationale.

Les branches se trouvant ainsi réduites, et l'examen ayant été précédé déjà d'un examen sérieux, on pourra se servir plus efficacement de données philosophiques et historiques pour approfondir les branches des examens ultérieurs. Avec le système que je propose, on arriverait également à relever le niveau de l'enseignement moyen ; en effet pour relever ce niveau, il faut imposer à l'élève un travail long, consciencieux, varié.

II faut non pas qu'il se soit assimilé à la hâte et qu'il ait plus ou moins bien digéré quelques bribes de latin et de grec ; il faut qu'il se soit approprié dans une certaine mesure le génie de la littérature grecque et de la littérature latine.

(page 356) Est-il possible d'arriver à expliquer à livre ouvert un auteur latin de la force de ceux qui s'expliquent en rhétorique, sans ce travail que nous voulons provoquer ?

Pour aboutir à ce résultat, un travail de mémoire devient impossible. Vous aurez ainsi évité les défauts qui se rencontrent dans les examens d'élève universitaire institués ou proposés jusqu'ici.

Le système du projet de loi n'a pas ces avantages. J'ajoute que le système proposé en 1860 n'est que celui de 1849 avec une imperfection de plus.

Cette imperfection en plus, c'est le système des certificats, si déplorablement introduit dans la loi sur l'enseignement supérieur et qu'on veut appliquer aujourd'hui au nouveau grade proposé.

Pour se convaincre de la vérité de ce que j'avance, il suffit de prendre les articles 3 et 5 du projet qui vous est soumis et de les rapprocher du texte qui fixait en 1849 le programme du grade d'élève universitaire.

Voici ce que porte le projet.

« Art. 3. (Je lis le projet de la section centrale) :

« L'examen de gradué en lettres comprend :

« 1° Une traduction du français en latin ;

« 2° Une traduction du latin en français ;

« 3° Une traduction du grec en français ;

« 4° Une composition française ;

« 5° L'algèbre jusqu'aux équations du second degré ;

« 6° La géométrie plane ou la géométrie à trois dimensions au choix du récipiendaire, etc. »

« Art. 5. L'examen supplémentaire a lieu par écrit. Il comprend :

« 1° Les principes de rhétorique ;

« 2_ L'histoire grecque et l'histoire romaine ;

« 3° L'histoire de la Belgique ;

« 4° La géographie.

« 5° Le flamand, l'allemand ou l'anglais au choix du récipiendaire ;

« 6° L'arithmétique ;

« 7" lies notions élémentaires de physique. »

L'examen complet, tel que veut l'instituer le projet actuel, se compose donc d'un examen ordinaire imposé à tous et d'un examen supplémentaire pour ceux qui ne présentent pas de certificats. C'est absolument la même chose que si l'on avait pris la formule dont se sert la loi de 1857 ; si l'on avait dit : L'examen d'élève universitaire se compose des matières suivantes : 1° matières d'examen se trouvant dans l'article 3, et 2° matières à certificat, portées à l'article 5, et qu'on eût ajouté, comme dans la loi de 1857, que ceux qui ne présenteront pas de certificats auront à passer un examen supplémentaire sur ces matières.

Or, les branches d'examen et les matières à certificat réunies nous ramènent au texte de la loi de 1849. Cependant on a ajouté l'arithmétique et les principes de rhétorique, mais on a supprimé la géométrie rectiligne. Mais cette modification est peu importante et je suis autorisé à dire que le système proposé aujourd'hui est le même que celui de 1849 ; que la seule modification, c'est l'introduction du système des certificats.

Or, ce motif suffirait pour que je ne pusse donner mon adhésion au projet tel qu'il est conçu. Je considère le système des certificats dans les examens existants comme trop déplorable, pour que j'en approuve l'introduction dans l'examen à créer ; ce qu'on doit faire des certificats, c'est y renoncer partout.

Il y a de plus, messieurs, dans le système du projet, une injustice flagrante envers les études privées. Ceux qui ne produiront pas un certificat constatant qu'ils ont suivi les cours d'un établissement organisé, devront subir un examen sur les matières des articles 3 et 5, c'est-à-dire sur toutes les matières qui entraient dans l'examen de 1849 ; ils devront donc subir un examen que vous condamnez, que vous repoussez comme mauvais, auquel vous voulez en substituer un autre. Ceux, au contraire, qui sortiront des établissements organisés passeront le nouvel examen que vous considérez comme bon. Je dis, messieurs, que c'est établir dans la loi une injustice qui ne peut pas y être.

Avec le système que je propose les certificats disparaissent, l'examen le simplifie, et en se simplifiant, devient néanmoins plus sérieux.

Maintenant, messieurs, examinons l'article 3, pris isolément. Voyons si dans le cas qui arrivera le plus souvent, c'est-à-dire dans le cas où l'élève sera muni d'un certificat constatant qu'il a suivi les cours d'un établissement organisé, les études auront la moindre garantie. Je viens de vous donner lecture des matières dont se compose l'examen ordinaire de gradué en lettres tel qu'on le propose.

Mais cet examen-là un bon élève de troisième peut le passer. Voulez-vous prétendre que vous donnerez des garanties aux études en introduisant un examen que pourra passer un élève de troisième ? Le but que vous vous proposez est excellent, mais évidemment vous n'avez pas pris la bonne route pour y arriver.

Je finis, messieurs, par quelques observations relatives à d'autres points qui se rattachent à la matière.

Le projet de loi ne consacre que l'existence d'un examen écrit. Je crois, messieurs, qu'il faut ici, comme pour tout autre grade académique, un examen écrit et un examen oral.

Les deux examens se complètent l'un par l'autre. Dans l'examen écrit la réflexion est mieux possible ; si l'élève est timide, sa timidité se met à l'aise ; cet examen est donc nécessaire. Dans l'examen oral on peut s'assurer de la sincérité de l'examen écrit, on permet à l'élève de compléter ce qu'il y aurait eu d'incomplet dans ses réponses écrites ; par conséquent cette épreuve est également indispensable.

Elle est indispensable, d'ailleurs, à un autre point de vue et par un autre motif ; cette épreuve est entourée de la publicité nécessaire à tout jugement et notamment à celui qui ouvre ou ferme aux jeunes gens la porte des hautes études.

Je crois donc que l'examen par deux épreuves, l'une écrite, l'autre orale, est nécessaire non seulement pour le nouveau grade, mais pour tous autres et qu'il faut y revenir partout.

En résume, messieurs, les modifications que je propose ne sont pas bien terribles. Je demande qu'on rétablisse un jury central. Je demande que l'institution du grade nouveau se borne à un dédoublement sérieux de l'ancien examen de candidat en philosophie et lettres. Je demande qu'on supprime les certificats d'études et qu'on rétablisse pour tous les examens l'épreuve écrite.

Ces modifications, d'après moi, sont indispensables pour que le projet puisse atteindre réellement le but de ses auteurs. Elles font l'objet d'un amendement que je dépose sur le bureau.

Projet de loi allouant un crédit extraordinaire de 15,561,170 francs au budget du ministère de la guerre

Dépôt

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Messieurs, d'après les ordres du Roi, j'ai l'honneur de déposer un projet de loi qui a pour objet d'allouer au département de la guerre un crédit de 15,561,170 francs pour travaux se rapportant au matériel de l'artillerie et du génie. Cette somme comprend un crédit pour mettre en état de défense quelques enceintes fortifiées.

Projet de loi augmentant le nombre des conseillers de la cour d’appel de Gand

Dépôt

M. le ministre de la justice (M. Tesch) présente le projet de loi ayant pour objet d'augmenter de deux le nombre des conseillers à la cour d'appel de Gand.

- La Chambre ordonne l'impression et la distribution de ces projets et les renvoie à l'examen des sections.

La séance est levée à 4 heures trois quarts.