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Chambres des représentants de Belgique
Séance du jeudi 29 mars 1849

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1848-1849)

(Présidence de M. Verhaegen.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 1127) M. Dubus procède à l'appel nominal à 1 heure et un quart.

- La séance est ouverte.

M. T'Kint de Naeyer donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Dubus présente l'analyse des pétitions adressées à la chambre.

« Les sieurs Samroy et Riot, président et secrétaire de la société des pharmaciens des provinces de Namur et de Luxembourg, demandent l'organisation de l'enseignement pharmaceutique. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Rutten, huissier à Aubel, demande que, dans certains cas, les huissiers puissent instrumenter hors du ressort pour lequel ils sont admis, et qu'il n'y ait plus de distinction, quant au tarif, entre les huissiers établis dans les villes où siègent des cours et tribunaux et ceux qui sont cantonnés dans les communes rurales. »

- Même renvoi.


« Les élèves de l'université de Gand présentent des observations contre la proposition du gouvernement qui supprime le jury central d'examen et qui rend obligatoire l'inscription à tous les cours. »

- Renvoi à la section centrale chargée de l'examen du projet de loi concernant l'enseignement supérieur.

Projet de loi allouant un crédit supplémentaire au ministère de la justice

Second vote de l'article unique

L'article unique du projet de loi, adopté au premier vote, est ainsi conçu :

« Il est ouvert au département de la justice, un crédit supplémentaire de cent quatre-vingt-treize mille cinq cent soixante et quinze francs (fr. 193,575), pour dépenses d'appropriation, d'ameublement et d'administration des écoles de réforme de Ruysselede, pour les mendiants et vagabonds âgés de moins de 18 ans.

« Cette allocation formera l'article 37bis du budget du ministère de la justice de l'exercice 1849. Elle sera prélevée sur l'excédant prévu au budget des voies et moyens de cet exercice. »

M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - Messieurs, une somme de 1,425 fr. a été retranchée de celle de 195,000 fr. que le gouvernement avait demandée pour l'établissement de Ruysselede. Je prie la chambre de vouloir bien revenir sur cette décision. Quelque minime qu'elle soit, cette réduction pourrait amener la désorganisation de l'administration de l'établissement.

En effet, la section centrale a indiqué que le but de cette réduction était de diminuer les traitements des principaux employés de l'établissement.

Or, le gouvernement a fixé le taux de ces traitements au minimum qu'il a reconnu être indispensable pour assurer le service et pour pouvoir se procurer des employés d'une capacité suffisante. Je pense donc qu'il est impossible de diminuer ces traitements sans décourager ces employés, sans porter le trouble dans l'administration de cet établissement.

Messieurs, c'est surtout dans la période d'organisation qu'il est nécessaire d'attacher à un établissement de ce genre les employés les plus capables ; il ne faut donc pas les décourager en leur faisant une position inférieure à celle à laquelle ils auraient droit.

Ainsi que j'ai eu l'honneur de le faire observer, j'ai été au-devant du vœu d'économie de la section centrale, en opérant sur le budget des prisons une réduction équivalente à la somme dont la section centrale propose de réduire le crédit demandé pour l'établissement de Ruysselede.

Or, quelle serait la conséquence delà nécessité où l'on placerait le gouvernement de réduire les traitements? C'est qu'il devrait rétablir ces fonctionnaires dans la position qu'ils ont quittée, et où je ne suis allé les chercher qu'à raison de leur mérite et leur capacité toute spéciale; de sorte que l'économie que nous pouvons opérer sur le budget des prisons, disparaîtrait en vue d'une économie autre que nous ne réaliserions sur l'établissement de Ruysselede, qu'au préjudice de son organisation et de la marche du service.

Je prie donc la chambre de vouloir bien allouer au gouvernement le crédit intégral de 195,000 fr. qu'il avait demandé.

M. Peers. - Messieurs, j'avais cru pouvoir m'abstenir de demander la parole, avant que l'on passât avant-hier au vote du crédit supplémentaire pour les écoles de réforme de Ruysselede ; les arguments produits par M. le ministre de la justice et par mon honorable collègue et ami M. Delehaye, m'avaient paru de nature à déterminer la chambre à accepter intégralement le chiffre de l'allocation proposée par le gouvernement. Trompé dans mon attente, j'ai cru qu'il était de mon devoir, en ma double qualité de représentant des Flandres et de membre du comité d'inspection des écoles de réforme, de soumettre à la chambre quelques courtes observations qui la détermineront, j'ose l'espérer, à revenir sur sa première décision.

Nul de vous ne peut méconnaître, messieurs, le but et l'importance des établissements qui sont actuellement en voie d'organisation ; ils doivent exercer une influence décisive sur la cure d'une plaie hideuse qui afflige nos plus belles provinces; il s'agit de rendre à la société et de transformer en citoyens utiles, en travailleurs habiles, des milliers d'enfants pauvres, orphelins ou abandonnés, que le régime actuel des dépôts de mendicité condamne presque inévitablement à une incurable dégradation; il s'agit d'enlever à la paresse, à la démoralisation et au perfectionnement incessant du vice, une partie de cette nouvelle génération qui, moralisée, concourra à la richesse nationale et à l'extinction de la mendicité, beaucoup plus efficacement que toutes les lois répressives, et moins dangereusement que les aumônes : il s'agit enfin de soustraire les communes et le gouvernement à une charge devenue écrasante, celle qui résulte de l'entretien improductif, et prolongé dans les dépôts et les prisons, d'un nombre toujours croissant, d'infortunés, qu'un bon système d'éducation peut seul ramener dans la voie du devoir et du travail.

Plus l'œuvre qu'il s'agit d'accomplir, sous ce rapport, est grande et difficile, plus il importe que les fonctionnaires et les employés qui en seront chargés soient à la hauteur de la mission qui doit leur être confiée. C'est surtout ce motif qui a guidé le gouvernement dans la composition du personnel préposé aux écoles de réforme; il a pensé, et vous partagerez comme moi, messieurs, cette opinion, que le succès de cette nouvelle institution devait dépendre avant tout des capacités, de la probité éprouvée, et de l'infatigable dévouement des agents appelés à le seconder; or, ces qualités sont rares, on est heureux de pouvoir les rencontrer chez un petit nombre d'hommes; mais il est juste aussi que ces hommes reçoivent une légitime rémunération pour leurs peines, et la vie toute d'abnégation à laquelle il faut qu'ils se résignent.

Arrachés pour ainsi dire aux avantages et aux douceurs de la vie civilisée, jetés au milieu d'une contrée déserte éloignée de tout centre de population, et condamnés au plus difficile des labeurs, sans espoir d'avancement, ils ont certes droit à une légère compensation pour tant de sacrifices.

L'échelle des traitements fixés par l'arrêté royal du 8 mars dernier, est-elle trop élevée? Est-elle hors de proportion avec les services? Je n'hésite pas, messieurs, à me prononcer pour la négative, et ma conviction à cet égard s'étaye sur des faits positifs, sur des chiffres, et sur la comparaison que j'ai faite des traitements proposés pour l'établissement de Ruysselede, avec ceux d'autres établissements, sinon analogues, du moins aussi importants et qui n'ont jamais donné lieu à soulever la moindre observation dans la chambre.

J'écarte les dépôts de mendicité actuels, qui sont dans des conditions toutes spéciales, où il y a d'importantes réformes à introduire, et qui ne peuvent être assimilés aux écoles de réforme, dont l'administration embrasse l'éducation d'un millier d'enfants, la direction d'une vaste exploitation agricole et l'apprentissage de toutes les industries qui peuvent se rattacher à la vie rurale. Je prends une maison centrale, cède de Gand ou de Vilvorde, par exemple, dont la population ne dépasse pas celle de l'institution de Ruysselede.

Voici les résultats de l'examen comparé que j'ai fait du taux moyen des traitements dans les deux catégories d'établissements.

Le directeur reçoit dans la maison centrale 4,500 francs, plus des tantièmes pouvant s'élever à 6 ou 700 francs annuellement. Aux écoles de réforme, le directeur reçoit un traitement fixe de 4,000 fr.

Dans la maison centrale l'aumônier reçoit 2,000 fr. ; il reçoit 1,200 fr., plus la table évaluée à 350 francs, dans les écoles de réforme.

Dans les maisons centrales, le premier commis reçoit 1,600 fr. ; dans les écoles de réforme, il reçoit 1,200 fr. plus la table évaluée à 350 fr.; les gardiens de première classe 975 fr., de 2ème classe 825 francs y compris la masse d'habillement; les surveillants des écoles de réforme ont un maximum de 750 fr. y compris la nourriture.

Il me serait très aisé de poursuivre ce parallèle, mais les faits que je viens de citer suffisent pour prouver que le gouvernement avait d'avance satisfait au vœu de la section centrale qui se bornait à demander, que le traitement des fonctionnaires et employés attaches aux écoles de réforme fussent en harmonie avec ceux des autres services analogues. Le gouvernement (page 1128) a fait plus encore, il a réduit ce taux au plus stricte nécessaire, il a compris que la plus sévère économie devait présider à la gestion du nouvel établissement, et que cette économie était aussi un gage de succès, je dirai plus une question vitale. Pour ma part, je l'en félicite, et je compte, en ma qualité de membre du comité d'inspection des écoles de réforme, faire tous mes efforts pour maintenir ces établissements dans cette voie humble et modeste, qui ne pourra que contribuer à en faire ressortir davantage tous les bienfaits.

Mais il y a une grande distance de cette sage économie à une lésinerie, passez-moi le mot, qui ne pourrait indubitablement aboutir à d'autre résultat qu'à limiter les choix de l'administration, à écarter les hommes les plus capables, à jeter le découragement dans l'âme des employés, et à compromettre ainsi le succès même de l'établissement.

Je n'examinerai pas ici la question de savoir s'il appartient à la chambre de s'immiscer dans ces minutieux détails de service intérieur, et de dégager en quelque sorte le gouvernement de la responsabilité qui doit peser exclusivement sur lui, pour la faire tomber en partie sur le législateur; je veux croire que la section centrale, en insistant sur la nécessité rte l'économie dans les traitements, n'a eu en vue que de revendiquer un principe sur lequel nous sommes tous d'accord.

Nul doute que le gouvernement ne suive ses avis, s'il le peut sans nuire aux écoles de réforme ; nous ne pouvons vouloir limiter ses actions, il nous suffit de nous réserver le contrôle et le blâme, le cas échéant; c'est là notre droit, et je l'exécuterai pour ma part, chaque fois que l'occasion pourra s’en présenter.

J'aime à croire, messieurs, que ces courtes observations pourront contribuer à engager la chambre à modifier sa première décision et à voter le crédit intégral de 195,000 francs demandé par le gouvernement pour les écoles de réforme.

M. Delehaye. - Si personne ne conteste le chiffre, je renonce à la parole;

M. de Brouckere. - Je n'ai pas l'intention de soutenir une nouvelle discussion relativement à l'amendement présenté par la section centrale. Son honorable rapporteur et moi, nous avons exposé, dans une de vos dernières séances, quels sont les motifs pour lesquels elle a cru devoir proposer une réduction sur les allocations demandées par M. le ministre de la justice. Elle s'en réfère aux développements qui ont été donnés alors.

Je ne ferai qu'une seule observation. Si j'ai bien compris l'orateur qui vient de prendre la parole, en voulant établir la nécessité d'allouer la somme demandée par M. le ministre de la justice, il a comparé l'établissement dont nous nous occupons, non aux autres dépôts de mendicité, mais aux maisons de réclusion, aux maisons centrales de détention. Il est évident que sa comparaison n'est pas juste, dès lors, elle ne prouve rien. Du reste, j'abandonne la décision à prendre sur l'amendement à la sagesse de la chambre.

M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - Il est impossible de comparer l’école de réforme de Ruysselede aux dépôts de mendicité, car elle doit se composer de deux établissements distincts où l'on réunira 900 jeunes indigents des deux sexes, qui y seront employés aux travaux agricoles et auxquels en enseignera les arts et métiers qui se rattachent à l'agriculture. Il s'agit d'ailleurs d'un établissement auquel est attachée une exploitation agricole comprenant 127 hectares de terre. Un établissement de ce genre doit avoir nécessairement un personnel plus capable qu'un simple dépôt de mendicité. Je crois que la comparaison faite par l'honorable M. Peers entre cet établissement et les prisons centrales est beaucoup plus vraie, et qu'il faudra même, chez le directeur de notre école de réforme, plus d'aptitude et d'intelligence qu'il n'en faut à ceux de nos principales maisons pénitentiaires.

Un arrêté du 8 mars a fixé les traitements du personnel; cet arrêté a été pris après mûre réflexion et après avoir consulté la députation du conseil provincial et la commission qui administre l'établissement de Ruysselede avec un zèle au-dessus de tout éloge. Le gouvernement pensé qu’il était impossible, à moins de compromettre le succès d'un établissement aussi intéressant, d'abaisser les traitements au taux indiqué par le rapport de la section centrale. Comme l'a fait remarquer l'honorable M. Peers, ce serait d'ailleurs affaiblir et dégager la responsabilité du gouvernement que de lui imposer, pour le taux des traitements, un chiffre qui le mettrait dans l'impossibilité de trouver des hommes qui eussent sa confiance et qui pussent suffire à la tâche qui leur est confiée.

- La discussion est close.

M. le président. - Je vais mettre aux voix le chiffre le plus élevé à 195 mille francs primitivement proposé par le gouvernement que Ml le ministre reproduit comme amendement.

M. Loos. - Je crois qu'il y a lieu de mettre aux voix l'amendement adopté au' premier vote.

M. Delehaye. - Le rejet de cet amendement aurait pour conséquence l'adoption de la proposition du gouvernement.

- Le chiffre de 193,575 fr., adopté au premier vote, est mis aux voix et rejeté.

Le chiffre de 195,000 fr. est mis aux voix et adopté.

Vote sur l’ensemble du projet

Il est procédé au vote par appel nominal sur l'article unique du projet, ainsi conçu :

« Article unique. Il est ouvert au département de la justice un crédit supplémentaire de 195,000 fr. pour dépenses d'expropriation, d'ameublement et d'administration des écoles de réforme de Ruysselede pour les mendiants et vagabonds âgés de moins de 18 ans.

« Cette allocation formera l'article 37 bis du budget du ministère de la justice de l'exercice 1849. Elle sera prélevée sur l'excédant prévu an budget des voies et moyens de cet exercice. »

- Cet article est mis aux voix et adopté par 83 voix contre 3 (MM. Jullien. Julliot et David). Un membre (M. Jaques), s'est abstenu.

Ont voté pour l'adoption : MM. Faignart, Lange, le Bailly de Tilleghem, Lebeau, Le Hon, Lelièvre, Lesoinne, Liefmans, Loos, Manilius, Mascart, Mercier, Moncheur, Moreau, Moxhon, Orts, Osy, Peers, Pierre, Prévinaire, Reyntjens, Rodenbach, Rogier, Rolin, Rousselle. Sinave, Tesch, Thibaut, Thierry, T'Kint de Naeyer, Tremouroux, Van Cleemputte, Vanden Berghe de Binckum, Vanden Brande de Reeth, Vandenpeereboom (Alphonse), Vandenpeereboom, (Ernest), Van Grootven, Van Hoorebeke, Van Iseghem, Van Renynghe, Vermeire, Veydt, Allard, Ansiau, Boedt, Boulez, Bruneau, Cans, Christiaens, Clep, Cools, Cumont, Dautrebande, de Baillet (H.), de Bocarmé, Debourdeaud'huy, de Breyne, de Brouckere (Henri), de Brouwer de Hogendorp, Debroux, Dechamps, de Chimay, Dedecker, de Denterghem, de Haerne, Delehaye, Delescluse, Delfosse, Deliége, de Luesemans, de Man d'Attenrode, de Meester, de Perceval, de Pitteurs, De Pouhon, de Renesse, de Royer, Desoer, Destriveaux, de T'Serclaes, d'Hoffschmidt, d'Hont, Dumortier et Verhaegen.

M. Jacques est invité à faire connaître les motifs de son abstention.

M. Jacques. - Je ne suis pas bien convaincu que l'école de réforme soit une institution nécessaire. Mais comme elle a été établie par une loi existante, je n'ai pas voulu voter contre le crédit,

Projet de loi, amendé par le sénat, révisant les tarifs en matière criminelle

Vote de l’article amendé et sur l’ensemble du projet

M. le président. - Cet amendement consiste dans la suppression du premier paragraphe de l'article 3, lequel est ainsi conçu :

« Tous les individus condamnés définitivement et par le même jugement comme auteurs ou complices d'un même crime, d'un même délit ou d'une même contravention, et les personnes déclarées civilement responsables, seront tenus solidairement des frais, des amendes, des restitutions et des dommages et intérêts. »

- Personne ne demandant la parole, cet amendement est mis aux voix et adopté.


Il est procédé au vote par appel nominal sur l'ensemble du projet, qui est adopté à l'unanimité des 80 membres qui ont pris part au vote.

Un membre (M. Lelièvre) s'est abstenu.

Ont voté l'adoption : MM. Allard, Ansiau, Boedt, Bruneau, Cans, Christiaens, Cools, Cumont, Dautrebande, David, de Maillet (Hyacinthe), de Bocarmé, Debourdeaud'huy, de Breyne, de Brouckere (Henri), de Brouwer de Hogendorp, Debroux, de Chimay, Dedecker, de Haerne, Delehaye, Deliége, de Luesemans, de Man d'Attenrode, de Meester, de Perceval, de Pitteurs, de Renesse, de Royer, Desoer, Destriveaux, de T'Serclaes, d'Hoffschmidt, d'Hont, Dumortier, Faignart, Frère-Orban, Jacques, Jullien, Julliot, Lange, le Bailly de Tilleghem, Lebeau, Le Hon, Lesoinne, Liefmans, Loos, Manilius, Mercier, Moncheur, Moreau, Moxhon, Orts, Osy, Pierre,, Prévinaire, Reyntjens, Rodenbach, Rousselle, Sinave, Tesch, Thibaut, Thiéfry, T'Kint de Naeyer, Vanden Berghe de Binckum, Vanden Branden de Reeth, Vandenpeereboom (Alphonse), Vandenpeereboom (Ernest), Van Hoorebeke, Van Iseghem, Van Renynghe, Vermeire, Veydt, Vilain XIIII et Verhaegen.

M. Lelièvre. - Je me suis abstenu parce que, si la loi renferme plusieurs dispositions que je considère comme des améliorations, il en est d'autres auxquelles je ne puis donner mon assentiment.

Rapport sur une pétition

M. David dépose le rapport de la commission permanente d'industrie, sur une pétition des fabricants de Bouffioulx et de Châtelet qui demandent l'exemption de l'accise sur le sel employé dans leur industrie.

- La chambre ordonne l'impression et la distribution de ce rapport.

Ordre des travaux de la chambre

M. Cools (pour une motion d’ordre). - Messieurs, je ne sais combien de jours va se prolonger la discussion du budget des travaux publics, mais il me paraît probable que la chambre n'abordera plus aucun objet important avant les vacances de Pâques. Après le vote du budget des travaux publics, on s'occupera de quelques objets peu importants et on se séparera. Quant aux grands projets, ils seront renvoyés après Pâques. Je pense, messieurs, que les choses se passeront ainsi, mais je désirerais être fixé à cet égard, parce que, dans le nombre des projets qui se trouvent à l'ordre du jour, il en est un dans la discussion duquel je devrai intervenir activement, et je désirerais pouvoir me préparer pendant une couple de jours à cette discussion. Je proposerai donc à la chambre de décider, sans rien préjuger d'ailleurs quant au jour où elle prendra ses vacances de Pâques, que le premier objet à l'ordre du jour, après la rentrée, ce sont les propositions relatives au sucre. Je suppose que cette motion ne rencontrera aucune opposition, et je crois dès lors pouvoir me dispenser de l'appuyer; si elle était combattue, je demanderais la parole pour la défendre.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Messieurs, je pense que l'ordre du jour qui a déjà été fixé, peut être maintenu. La question des sucres figurée l'ordre du jour, immédiatement après la discussion du budget des travaux publics. Il n'y a donc rien à décider. Il est très probable que la question pourra être traitée immédiatement après les vacances.

(page 1129) Je recueille encore des renseignements qui me sont indispensables pour la discussion, et j'ai lieu ducroire qu'après les vacances de Pâques, je serai complètement en mesure d'aborder la discussion des propositions relatives aux sucres.

M. le président. - En effet, la question des sucres vient immédiatement après la discussion du budget des travaux publics.

M. Cools. - Messieurs, je connais les usages et les antécédents de la chambre. Je sais qu'à la veille d'une vacance, les objets se discutent assez rapidement et qu'au moment où on prévoit que cette disposition commencera à se manifester, la chambre règle les questions dont elle s'occupera à sa rentrée. Ainsi je propose que la chose soit décidée dès à présent.

Est-on d'accord sur ce point que la question des sucres ne sera discutée qu'à la rentrée? Je vous ai dit les motifs pour lesquels je désire être fixé sur ce point.

M. le président. - L'objet figure immédiatement à l'ordre du jour après le budget des travaux publics.

M. Vilain XIIII. - L'honorable M. Cools demande, non qu'on avance, mais qu'on retarde la discussion des sucres, c'est-à-dire qu'on ne l'entame pas avant les vacances, si le budget des travaux publics est voté et nous laisse encore du temps libre avant les vacances ; il demande que cette discussion soit retardée jusqu'après les vacances, que ce soit le premier objet à l'ordre du jour à la rentrée.

M. le président. - Ceci est une autre proposition. M. Cools est-il d'accord sur ce point avec M. Vilain XIIII ?

M. Cools. - C'est réellement ma pensée.

- La chambre consultée, décide que les propositions, concernant les sucres, seront discutées après les vacances de Pâques, comme premier objet à l'ordre du jour.

Projet de loi portant le budget du ministère des travaux publics de l’exercice 1849

Discussion du tableau des crédits

Chapitre III. Chemins de fer

Discussion générale

La chambre est arrivée au chapitre III, Chemins de fer.

M. Jullien. - Messieurs, je demande à la chambre la permission de l'entretenir pendant quelques instants de la stagnation des travaux du chemin de fer du Luxembourg.

Le 13 février 1846, il est intervenu entre le gouvernement, le sieur de Clossmann, de Londres, et consorts une convention par laquelle ces derniers se sont engagés à exécuter le chemin de fer du Luxembourg sur le pied d'un cahier des charges arrêté entre parties.

Une loi du 18 juin 1846 autorisa la concession du chemin de fer d'après les bases de la convention et du cahier des charges y annexé.

Suivant ces bases, la société concessionnaire devait jouir des péages pendant une durée de 90 ans. Par contre, elle prenait l'engagement de construire le chemin de fer à ses frais, risques et périls, de l'achever dans un délai de cinq ans, et de fournir un cautionnement de cinq millions qui devait être affecté en totalité à la garantie de l'achèvement.

Le cahier des charges, relatif à la concession, renfermait différentes clauses très importantes, entre autres les clauses figurant aux articles 19, 20, 42 et 43. Ces articles portaient :

« Art. 19. Si dans le délai d'une année, à partir de la promulgation de la loi, de concession, les concessionnaires n'ont pas commencé leurs travaux, ils seront par ce seul fait, et de plein droit, déchus de leur concession, sans qu'il soit besoin d'aucune mise en demeure quelconque. »

« Art. 20. Les concessionnaires seront également déchus de tous leurs droits si tous les travaux n'étaient pas complètement achevés endéans le délai fixé par l'article 12, et au vœu de cet article, comme aussi dans le cas où les travaux ne seraient pas à moitié terminés à l'expiration de la troisième année. »

« Art. 42. Le gouvernement fera surveiller par ses agents l'exécution de tous les travaux tant de premier établissement que d'entretien, ainsi que l'exploitation ; à cet effet, les concessionnaires verseront, endéans les trois mois à compter de la date de la concession, et annuellement pendant la durée des travaux, dans la caisse qui leur sera indiquée à cet effet, une somme de 20,000 fr., et ensuite jusqu'à l'expiration de la concession, endéans le premier trimestre de chaque année, une somme annuelle de 4,000 fr.

« Art. 43. La surveillance à opérer par le gouvernement, aux termes de l'article qui précède, ayant pour objet exclusif d'empêcher les concessionnaires de s'écarter des obligations qui leur incombent, est toute d'intérêt public et par suite elle ne peut faire naître à sa charge aucune obligation quelconque. »

Des stimulations non moins importantes furent consignées dans les articles 49 et 50.

« Art. 49. Dans tous les cas où il y aura lieu à des dommages-intérêts au profit du gouvernement, aux termes des stipulations qui précèdent, ils lui seront acquis à charge des concessionnaires, sans qu'il doive justifier d'aucun préjudice éprouvé. »

« Art. 50. Dans aucun cas, les concessionnaires ne seront recevables à invoquer la force majeure pour quelque cause que ce soit, à moins que dans les trente jours des événements ou circonstances d'où seraient nés les obstacles, ils n'en aient fait reconnaître la réalité et l'influence par le gouvernement. »

Les conventions primitives entre le gouvernement et la société du chemin de fer du Luxembourg ont reçu une première modification par la loi du 23 mai 1847. Par cette loi, le gouvernement fut autorisé à proroger, sous les garanties qui lui paraîtraient nécessaires, le délai d'exécution du chemin de fer qui avait d'abord été fixé à cinq ans. Cette loi déclara en même temps que les 2/5 au moins du cautionnement versé aux termes de l'article 18 du cahier des charges, seraient affectés à la ligne de Namur à Arlon. Selon la convention qui fut publiée en même temps que la loi du 23 mai 1847, le terme d'exécution fut fixé à dix ans et le gouvernement stipula que le délai de trois ans, réglé en premier lieu pour l'achèvement de la première moitié des travaux, serait porté à six ans.

Suivant cette même convention encore, la compagnie concessionnaire contracta l'obligation d'achever la section de Bruxelles à Wavre endéans quatre ans.

Ces premières modifications, introduites par la loi du 23 mai 1847, furent suivies de quelques autres changements consacrés par la loi du 29 février 1848. Cette loi accorde au gouvernement la faculté de rembourser les 3/5 du cautionnement affecté à la ligne de Bruxelles à Wavre.

La convention qui fut conclue par suite de la loi du 29 février 1848, entre la compagnie du chemin de fer et le gouvernement, porte que ce remboursement sera effectué par fractions de 100,000 fr., du moment qu'il serait constaté que des terrains ont été achetés et des travaux effectués jusqu'à concurrence d'une valeur semblable.

Enfin, messieurs, aux tenues de cette dernière convention, la compagnie concessionnaire s'est formellement obligée à continuer les travaux de terrassement sans désemparer, et ce avec un nombre d'ouvriers qui ne devait pas être inférieur à 1,500, (erratum, page 1156) pendant trois mois au moins à dater du 20 mars 1848. Que ressort-il de l'ensemble de ces dispositions dont je viens d'avoir l'honneur de faire part à la chambre? Mais il en ressort jusqu'à la dernière évidence que les travaux de construction du chemin de fer du Luxembourg sur la ligne de Bruxelles à Wavre devraient être aujourd'hui en pleine activité, alors qu'ils sont complètement déserts.

Je sais, messieurs, que la compagnie du chemin de fer du Luxembourg, pour justifier la suspension des travaux, pour motiver le retrait des ouvriers qu'elle employait, se prévaut de ce que le gouvernement lui aurait permis de faire usage de la ligne de Wavre à Namur, ligne non-exécutée et qui devait l'être par la société concessionnaire du chemin de fer de Louvain à la Sambre. Je sais que c'est en se fondant sur l'inexécution de h ligne de Wavre à Namur que la compagnie du Luxembourg prétend aujourd'hui qu'elle est déliée de ses engagements envers l'Etat.

Cette prétention, je dois le dire, est, à mes yeux, mal fondée.

Le gouvernement, par les conventions intervenues entre lui et la compagnie du Luxembourg, n'a contracté aucune garantie personnelle pour l'exécution de la ligne de Wavre à Namur.

Tout ce que le gouvernement a promis, c'est que la compagnie du Luxembourg pourrait user du parcours de cette ligne quand elle serait exécutée ; tout ce à quoi il serait engagé, c'est que dès que cette ligne serait achevée, elle serait déclarée commune aux deux sociétés du chemin de fer du Luxembourg et de Louvain à la Sambre. La société da chemin de fer du Luxembourg est d'autant moins fondée à se considérer comme affranchie de ses obligations envers l'Etat qu'elle a, comme j'ai eu l'honneur de l'exposer, pris à elle à ses risques et périls toutes les conséquences de l'entreprise, sans charge aucune pour le trésor de l'Etat, comme aussi elle a pris à elle tous les travaux quelconques prévus ou imprévus sans distinction aucune; et cela par l'article 15 du cahier des charges.

Le forfait absolu qu'elle a contracté par cette clause a été déclaré être la base du contrat; les parties s'en sont formellement expliquées en ajoutant qu'elles entendaient que, « dans tous les cas possibles », elle recevrait l'application la plus large.

On est allé plus loin, messieurs, on a prévu dans la convention les cas de force majeure, et pour ces cas encore il a été expressément convenu que le gouvernement n'en serait pas responsable, à moins que les événements qui y donneraient lieu ne fussent imputables, au gouvernement lui-même. A cet égard, messieurs, l'article 50 du cahier des charges est précis. Cet article 50, rapproché de l'article 15 et combiné en outre avec l'article 55, prouve clairement que le gouvernement ne peut être rendu, vis-à-vis de la société du chemin de fer du Luxembourg, responsable de la lacune qui se présenterait sur la ligne de Wavre à Namur.

Selon moi, donc, la société du Luxembourg ne peut faire valoir aucune raison fondée pour ne pas continuer les travaux du chemin de fer qui lui a été concédé.

Mais à supposer qu'il en fut autrement, à supposer que la prétention de la société concessionnaire du chemin de fer du Luxembourg fût admissible, qu'en résulterait-il? Il en résulterait de deux choses l'une, ou que le gouvernement devrait contraindre la société concessionnaire du chemin de fer de Louvain à la Sambre à remplir ses engagements, ou bien que, se substituant à cette société, il serait tenu de faire exécuter lui-même la ligne de Wavre à Namur.

Dans cette situation, je crois devoir demander au gouvernement quelles mesures ont été prises envers la société du chemin de fer de la Sambre à Louvain et envers la société concessionnaire du chemin de fer da Luxembourg.

Je crois devoir demander au gouvernement quelle est si pensée nette relativement à l'exécution de ces deux chemins de fer. Je voudrais savoir également s'il a exercé spécialement, en ce qui regarde le chemin de fer du Luxembourg, la surveillance qui lui était attribuée par l'article 42 du contrat, si le gouvernement s'est fait remettre, et s'il se fait remettre encore (page 1130) annuellement une somme de 20 mille francs qu'il était autorisé à exiger à titre de consignation de la part de la société du chemin de for du Luxembourg, pour couvrir les frais de surveillance.

Le gouvernement tient à honneur d'exécuter franchement et loyalement les engagements qu'il prend envers les sociétés. Il faut aussi qu'il tienne sévèrement la main à ce que celles-ci s'acquittent strictement des obligations qui leur sont imposées.

Il ne faut pas que les conventions que le gouvernement conclut, que les chambres sanctionnent et dont les populations attendent l'accomplissement, soient impunément violées. Il ne faut pas que des contrats aussi solennels, auxquels une confiance entière a présidé, dégénèrent, dénués d'exécution, en une véritable mystification, je dirai presque en une véritable flibusterie pour le pays.

M. le ministre des travaux pubics (M. Rolin). - Je suis d'accord avec l'honorable M. Jullien, que les contrats que l'Etat fait avec les particuliers ne doivent pas être impunément violés.

Voici la position du gouvernement à l'égard des deux compagnies concessionnaires de Louvain à la Sambre et de Bruxelles à Arlon.

La compagnie du chemin de fer de Louvain à la Sambre a cessé, depuis quelques mois, de poursuivre l’exécution de ses travaux. Le gouvernement s'est mis aussitôt en règle en justice, à l'effet de faire prononcer sa déchéance, il a dû user de prudence ; et voici pourquoi :

Dans tous les contrats qui ont été faits entre le gouvernement et les compagnies concessionnaires, il a été stipulé que le gouvernement se réservait la faculté d'accorder la jouissance de tout ou partie des lignes concédées à d'autres compagnies, moyennant une indemnité à régler. C'est par suite de cette réserve que, dans le contrat fait avec la compagnie concessionnaire du chemin de fer du Luxembourg, il a été stipulé que cette compagnie pourrait faire usage de la partie de la ligne concédée à la compagnie de Louvain à la Sambre, qui s'étend depuis Wavre jusqu'à Namur. Cette dernière compagnie restant en défaut, la compagnie du Luxembourg a cru pouvoir en tirer parti contre le gouvernement. Elle a prétendu que la clause dont je viens de parler imposait au gouvernement l'obligation de lui garantir l'exécution de la ligne de Wavre à Namur et d'exécuter cette partie de la ligne aux frais de l'Etat, au défaut de la compagnie concessionnaire.

Je pense avec l'honorable M. Jullien, que cette prétention n'a pas de fondement. Mais entre la compagnie et nous qui doit prononcer ? Ce sont les tribunaux. La compagnie s'est adressée à la justice. Nous y défendrons nos droits à l'aide des arguments que M. Jullien vient de déduire et de quelques autres encore. Pour le moment nous ne saurions faire davantage.

On a demandé si nous avions fait régulièrement surveiller l'exécution des travaux.

Je puis, à cet égard, rassurer entièrement l'honorable membre. La surveillance n'a pas été un instant en défaut.

Quant aux frais de surveillance que les compagnies ont à payer à l'Etat, cela n'est pas du ressort du département des travaux publics. Les sommes payées ou à payer de ce chef sont portées au budget des voies et moyens.

M. de Luesemans. - Il existe un procès, comme vient de le dire M. le ministre des travaux publics, entre la compagnie concessionnaire du chemin de fer du Luxembourg et le gouvernement, fondé sur les motifs que l'honorable ministre vient de faire connaître, il est dès lors évident que toute discussion dans la chambre serait prématurée, que c'est aux tribunaux à décider si le gouvernement a ou non accompli ses obligations. Aujourd'hui, je me permettrai de demander à M. le ministre s'il a fait une attention sérieuse à des propositions d'arrangement, de transaction qui lui ont été soumises par la compagnie concessionnaire du chemin de fer du Luxembourg. La compagnie voudrait mettre fin à ce procès.

Si je suis bien renseigné, elle ne demanderait pas mieux que de trancher les difficultés existant aujourd'hui relativement aux obligations respectives du gouvernement et de la compagnie elle-même. Elle a posé, si je ne me trompe, plusieurs conditions, auxquelles elle en ajouterait quelques autres.

Je crois pouvoir dire à la chambre et au gouvernement que, parmi les conditions que la compagnie ajouterait à celles qu'elle a insérées dans le projet de transaction, serait (chose fort agréable à ceux qui siègent sur ce banc) l'achèvement du chemin de fer de Louvain à la Sambre. On le sait, une grande partie de ce chemin de fer est exécutée; des capitaux considérables y sont engagés. Il serait bien désirable qu'il pût s'achever ; or la compagnie ajouterait aux promesses qu'elle a faites par son projet de transaction la proposition d'achever ce chemin de fer.

C'est un objet très important. Il est important pour le pays ; car plus on multipliera les communications qui conduiront les marchandises pondéreuses de la Basse-Sambre, de la Haute Meuse et de l'entre-Sambre-et-Meuse vers l'Escaut, plus il y aura d'avantages pour le pays. Une des lignes les plus courtes, la plus courte tracée par la nature est évidemment celle de Charleroy et de Namur à Louvain.

Il y a, pour prendre en considération les proportions de la société concessionnaire, un motif que je puis ajouter à tous les autres.

Lorsque la fièvre des associations pour la construction de chemins de fer s'est emparée de l'Angleterre, d'une partie du moins des capitalistes anglais, plusieurs sociétés se sont formées. La société de Louvain à la Sambre était du nombre. Elle a commencé des travaux très considérables, comme je viens d'avoir l'honneur de le dire à la chambre, et entre autres travaux, elle a construit dans l'intérieur de la ville de Louvain un tunnel. Mais ce tunnel, au lieu d'être construit en maçonnerie, comme le voudraient les règles de l’art, est seulement creusé dans le sable, et d’un moment à l’autre, il peut y avoir des éboulements. Déjà depuis longtemps, il semble que les étançonnages commencent à se détériorer, et dans très peu de temps il pourrait y avoir une catastrophe semblable à celle que nous avons eu à déplorer à Cumptich.

Voilà un motif qui me semble devoir agir puissamment sur les décisions du gouvernement. En voici un autre.

Cette même compagnie, ayant été autorisée à poursuivre les expropriations, est parvenue à faire décider par les tribunaux que toutes les formalités voulues en matière d'expropriation ont été accomplir

Il en résulte que dès ce moment le dessaisissement a eu lieu, que les propriétaires ne peuvent plus disposer de leurs propriétés ; ne peuvent plus les vendre, ne peuvent que très difficilement les louer ; c’est un véritable interdit qui pèse sur les propriétés qui se trouvent dans ce cas

Ce sont là des points qu'il est très urgent de régulariser. Le gouvernement aurait donc, ce me semble, intérêt à examiner de très près les propositions qui ont été faites par la compagnie du Luxembourg, alors surtout que cette compagnie vient lui offrir, pour mettre fin à un procès dont l'issue est au moins douteuse, dû construire le chemin de fer le plus important que je connaisse, celui qui doit relier la Sambre à l'Escaut.

Je ne sais, messieurs, si je devance les internions du gouvernement et s’il se dispose à nous donner quelques explications. Si cependant cette question, qui est pendante, se ressentait un peu de ces questions diplomatiques sur lesquelles il n’est pas bon de s’expliquer toujours et en tous lieux, je n’insisterais pas. Mais si M. le ministre des travaux publics croyait pouvoir nous donner quelques explications, je serais heureux de les entendre.

M. le ministre des travaux pubics (M. Rolin). - Messieurs, la franchise étant la meilleure diplomatie, je n'ai pas la moindre répugnance à donner à la chambre les explications que l'honorable M. de Luesemans vient de provoquer.

En effet, il y a quelques mois, il y a eu des négociations entre le département et la compagnie du Luxembourg. Cette compagnie, se plaçant au point de vue que nous sommes tenus à lui garantir l'exécution de la ligne de Wavre à Namur, eût été disposée, je pense, à se charger elle-même de l'exécution de cette ligne, moyennant certains avantages pécuniaires qu'il serait trop long d'énumérer et qui sont d'ailleurs d'un ordre secondaire, et en outre à la condition d'être déliée de l'obligation d'exécuter le chemin de fer depuis Namur jusqu'à Arlon, et la partie du cautionnement affectée à l'exécution de cette ligne, eût été consacrée à l'exécution d'un canal de Liège à La Roche ou à d'autres travaux d'utilité publique dans le Luxembourg.

Vous comprendrez, messieurs, qu'une double raison a dû me détourner d'entrer dans cette voie : la première, qu'il n'était pas en mon pouvoir de dispenser la compagnie d'une obligation aussi considérable, dont l'exécution intéressait toute une province; la seconde, que l'Etat n'était pas en droit de céder à la compagnie du Luxembourg une concession qui n'était pas dans son domaine.

Lorsqu'une compagnie concessionnaire est déchue, même de plein droit, l'Etat ne devient pas immédiatement propriétaire du chemin concédé et abandonné. Il doit le mettre en adjudication publique, et s'il se présente un adjudicataire, le prix de la vente n'appartient pas au gouvernement, mais à la compagnie déchue ou à ses ayants droit. Ce qui nous appartient par le seul effet de la déchéance, c'est le fonds du cautionnement et rien de plus.

Que si la première adjudication demeure sans succès, deux mois après on en recommence une nouvelle ; et c'est seulement en cas d'insuccès de la deuxième adjudication, que le gouvernement conserve la propriété de la concession elle-même des terrains, des matériaux et des travaux d'art.

Ou comprend des lors que le gouvernement n'a pu céder à la compagnie du Luxembourg ce qui ne lui appartient pas à lui-même. Nous avons nécessairement dû suivre la voie que nous avons suivie, à savoir attraire la compagnie déchue devant les tribunaux, faire déclarer la déchéance en droit, faire procéder à une adjudication, et nous réserver, d'après le résultat de la deuxième adjudication, d'agir selon les circonstances.

M. de Luesemans. - Messieurs, les explications que M. le ministre des travaux publics vient de donner me prouvent, ce que je ne savais pas, que la transaction proposée est définitivement rejetée, parce qu'elle est déclarée non acceptable.

Dès lors, messieurs, si la compagnie du Luxembourg perd son procès et si elle est, en définitive, dans l'impossibilité de pouvoir achever le chemin de fer, ou si elle ne veut pas l'achever, ce qui revient au même, je reconnais avec le gouvernement qu'il faudra accomplir les formalités tracées par le cahier des charges. On remettra le chemin de fer en adjudication, et le résultat décidera si le chemin de fer peut être construit. Mais comme la compagnie du chemin de fer de Louvain à la Sambre se trouve très près, si je ne me trompe, de l'époque de la déchéance, si déjà la déchéance n'est acquise et prononcée, je demanderai à M. le ministre des travaux publics si son intention est de faire immédiatement, ou bien le plus tôt possible, usage de la faculté qu'il a de mettre en adjudication la construction du chemin de fer de Louvain à la Sambre.

Je ne puis trop insister sur la nécessité qu'il y a de ne pas perdre de temps, trop d'intérêts le réclament, les travaux considérables qui se trouvent achevés seront peut-être un appât pour les entrepreneurs; d'autre part, (page 1131) les autres motifs que j'ai fait valoir, d'abord le danger, et ensuite l'interdit dont se trouvent frappées des propriétés nombreuses, sont des raisons majeures pour qu'il ne soit pas perdu de temps.

Je prierai M. le ministre des travaux publics de bien vouloir, s'il le juge convenable, me donner quelques explications à cet égard. Je lui demanderai si son intention est d'user le plus tôt possible de la faculté qui lui est donnée, et de mettre en adjudication la construction du chemin de fer de Louvain par Wavre vers Namur et Charleroy.

M. le ministre des travaux pubics (M. Rolin). - Je compte le faire aussitôt que les délais seront expirés.

M. Lelièvre. - J'appelle l'attention particulière de M. le ministre des travaux publics sur l'objet dont il s'agit, qui touche si vivement la province de Namur, le priant de prendre en considération les intérêts de celle-ci.

M. Tesch. - Messieurs, je n'ai demandé la parole que pour remercier le gouvernement d'avoir bien voulu résister à toute transaction avec la société du Luxembourg, qui aurait eu pour base l'abandon de la construction du chemin de fer du Luxembourg. J'espère que le gouvernement persistera dans cette voie et qu'il ne sera rien fait qui puisse être contraire aux intérêts de ma province.

M. Julliot. - Messieurs, j'ai présenté hier dans la discussion générale du budget des travaux publics, quelques considérations applicables à ce budget.

J'ai regretté que M. le ministre de ce département ne fût pas ici, mais le Moniteur contient mon discours.

Je ne répéterai donc pas, messieurs, ce que j'ai dit hier; j'en donnerai le résumé en deux mots.

Je terminerai en faisant différentes interpellations à M. le ministre sur l'exploitation du chemin de fer par l'Etat.

J'ai dit, messieurs, que la gêne, le manque de travail en Belgique, provenait principalement de ce que l'Etat par ses entreprises grandiose, imite en ceci par les particuliers, avaient tous ensemble immobilisé trop de capitaux.

J'ai dit qu'en Belgique le capital circulant n'était plus en rapport avec le capital fixe, que l'équilibre naturel, normal, était fatalement rompu ; permettez- moi, messieurs, de le démontrer par un exemple.

J'emprunterai pour un moment un industriel de Bruxelles; cet industriel possède 500,000 francs, il en affecte 400,000 à l'érection d'un établissement ; il faut pour que son établissement marche activement un capital circulant de 300,000 francs; il n'a plus de disponible que 100,000 francs; que pensez-vous de l'activité de son atelier et de ses bénéfices ? Je présume que personne de nous ne tiendra à être son associé, mais qu'on lui fournisse un supplément de 200,000 francs, il travaillera quatre fois autant et fera des bénéfices en proportion.

Voilà pour le moment, du plus au moins, notre situation industrielle ; ceci est élémentaire, messieurs; car, que la Providence fournisse demain 300 millions à la circulation en Belgique, et dix jours après nous nous disputerons pour obtenir un ouvrier.

La Californie, dans son état actuel, est le tableau le plus saisissant qu'on puisse présenter dans cet ordre d'idées, il faut donc, par tous les moyens possibles , attirer les capitaux étrangers sur les travaux existants, afin de pouvoir dégager les nôtres. Là est le point culminant de la question à laquelle se rattache le budget que nous discutons.

J'arrive à mes interpellations, et pour faciliter la lâche du gouvernement je lui laisserai le choix du terrain.

Messieurs, de deux choses l'une, ou les recettes que peut fournir l'exploitation du chemin de fer par l'Etat suffiront aux frais d'exploitation, d'usure de la partie du capital qui en est susceptible, et à l'intérêt de 4 p. c. du capital total engagé.

Et dans ce cas je demande au gouvernement, 1° s'il est disposé à prendre l'engagement de faire produire au chemin de fer tout le montant de ces dépenses, en supposant le pays dans un étal normal de paix.

Ou bien, il est démontré au gouvernement lui-même que le chemin de fer est loin de pouvoir se suffire et, dans ce cas, son exploitation coûte annuellement plusieurs millions à la généralité des contribuables. Or, je demande si le gouvernement croirait utile au pays de vendre le chemin de fer contre des capitaux étrangers, au chiffre de 200 millions par exemple, qui seraient versés dans la circulation pour raviver les forces productrices du pays, tout en allégeant les charges du contribuable.

3° Je demande au gouvernement, qu'à défaut d'occasion de pouvoir vendre, il nous présente à la session prochaine un projet de loi, ayant pour but l'adjudication publique de l'exploitation du chemin de fer, par l'intérêt privé, sous toutes les garanties reconnues nécessaires.

Messieurs, si à une de ces trois questions, je reçois une réponse affirmative, je voterai pour le budget; si au contraire les trois réponses sont négatives ou évasives, je voterai contre le budget des travaux publics. Alors j'engage ceux de mes honorables collègues qui comprennent la question, comme je la comprends, à émettre un vote négatif.

M. le ministre des travaux pubics (M. Rolin). - Messieurs, la première question qui m'a été posée par l'honorable préopinant est, si j'ai bien compris, celle de savoir si le gouvernement est prêt à contracter l'engagement de faire produire au chemin de fer 4 p. c. de toute la somme qu'il a coûté. Je dois le dire, messieurs, sur ce point ma réponse sera quelque peu évasive. Le seul engagement que je puisse contracter, c'est de faire tous les efforts imaginables pour faire produire au chemin de fer non seulement 4, mais 5, 6 p. c. et encore davantage. La deuxième question est de savoir si le gouvernement est disposé à vendre son chemin de fer au plus offrant, et, si c'est possible, au prix de 200 millions.

Ma première réponse, c'est qu'il y aurait peut-être bien quelque difficulté de trouver un acheteur. Ma deuxième réponse, c'est que, dans la supposition même qu'il put se rencontrer un acheteur, il n'y aurait pas d'ennemi plus déclaré que moi d'une semblable vente. Je suis fier pour mon pays de la propriété du chemin de fer. Je pense que c'est une exploitation nationale qui a de l'avenir. Je pense que, indépendamment des produits financiers, il nous procure des produits indirects qui nous payent avec usure des sacrifices qu'il nous coûte. A mon avis, messieurs, le chemin de fer, entre les mains de l'Etat, est bien plus propre à remplir l'immense but d'utilité public dans lequel il a été créé, qu'il ne le serait dans des mains privées. Le commerce et l'industrie seraient les premières victimes de la vente qu'on nous conseille.

Il a été souvent parlé, dans cette enceinte, d'équilibre. Quelqu'un a-t-il songé à la manière dont cet équilibre pourrait être rompu, si une compagnie pouvait exploiter le chemin de fer en ne consultant que l'intérêt de ses finances? Je suppose, messieurs, que pour utiliser les waggons, on transporte le charbon de Liège, à des conditions beaucoup plus favorables que le charbon de Mons ou le charbon de Charleroy? N'y aurait-il pas là de graves intérêts compromis? Je ne parle pas d'une foule d'autres raisons qui commandent à l'Etat de rester maître de cette puissante communication.

L'honorable préopinant m'a demandé, en troisième lieu, si nous ne' serions pas disposé tout au moins à abandonner l'exploitation des chemins de fer de l'Etat à l'industrie privée. Je répondrai: Pas davantage. Les raisons que j'ai données pour écarter la vente sont aussi de nature à écarter la location.

Au surplus, messieurs, je crois qu'il est facile de démontrer que, dans les mains de l'Etat, le chemin de fer a produit tout ce qu'il pouvait produire. Je néglige pour un instant la question de savoir s'il a produit 2, 3 ou 4 p. c, s'il nous laisse un déficit annuel de 6, 7 ou 8 millions, ce que je conteste avec une profonde conviction. Mais, abstraction faite de cette question, je crois que la vente ou l'abandon à l'industrie privée ne nous donnerait pas un produit meilleur que l'exploitation directe.

Si donc le vote de l'honorable préopinant devait être subordonné à mon assentiment à l'une ou à l'autre des mesures qu'il propose, je serais forcé, messieurs, de devoir y renoncer.

M. Vermeire. - Messieurs, je suis un de ceux qui croient que l'admirable et gigantesque institution des chemins de fer, dont la Belgique peut s'enorgueillir à juste titre d'avoir la première doté le continent, est appelée à rendre des services toujours nombreux et signalés aux populations qu'elle dessert.

Je crois en outre que, plus on peut diminuer les tarifs des transports tant pour les personnes que pour les marchandises, plus on popularisera cette institution, et plus on augmentera le bien-être général de toute la nation, sans exception aucune.

Est-ce à dire, messieurs, que la situation de notre pays et surtout sa situation financière permette que ce service, dont certes une partie de la nation profite plus qu'une autre partie, puisse ou doive se rendre avec une charge égale pour la population entière ?

Non, messieurs, telle n'est pas, telle ne peut être ma manière de voir. Si d'une part le chemin de fer rend des services, d'autre part il est juste et équitable que, pour les services rendus, il reçoive un prix rémunérateur. Telle a été l'intention du législateur, alors qu'il a décrété l'établissement du railway belge, tel doit être le but vers lequel doivent tendre tous nos efforts, dans l'exploitation de cette grande entreprise nationale.

Messieurs, on a critiqué et on critique encore le bas tarif du transport des marchandises sur notre railway; mais M. le ministre vous a dit, à plusieurs reprises, que ce bas prix est précisément la source productive pour le trésor, qu'il est même supérieur au prix de transport des marchandises des railways exploités par des compagnies particulières, telles que la compagnie du chemin de fer du Nord, etc.

Si des compagnies particulières trouvent une récompense rémunératrice suffisante dans l'exploitation à prix réduits, il est donc certain que ce n'est point aux tarifs élevés que nous devons attribuer notre déficit, mais aux dépenses plus fortes que nous faisons, comparativement aux exploitations des chemins de fer par les compagnies privées. Envisagée sous ce point de vue, l'exploitation du chemin de fer devient une entreprise industrielle et c'est aussi comme telle que je désirerais la voir gérer. Il me semble donc, messieurs, qu'afin de rendre plus claire et plus compréhensible aux yeux de tout le monde la situation de notre chemin de fer, il suffirait simplement de poser un bilan général de cette entreprise industrielle, bilan contrebalancé par un compte exact de pertes et profils, c'est-à-dire que l'on débiterait cette administration, d'un côté, de toutes les dépenses faites; de l'autre, de toutes les recettes obtenues ; que ce compte fût accompagné d'un tableau analytique, nous désignant combien coûte, sur le chemin de fer, « l'unité du trafic » comme l'appellent, en termes techniques, les ingénieurs du chemin de fer.

Eh bien, messieurs, je dois vous le dire, dans les nombreux documents que l'on nous a remis, je ne trouve rien de pareil. Peut-être n'ai-je pas bien dirigé mes recherches dans ce dédale, car pour moi, messieurs, je le confesse en toute humilité, j'ai bien de la peine à me retrouver dans ce labyrinthe. Je dois cependant dire, messieurs, qu'à la page 75 du travail : « De l'influence des tarifs sur les mouvements et les recettes de voyageurs sur les chemins de fer de l'État », publié par l'ingénieur en chef au corps des ponts et chaussées, et qui nous a été distribué, je lis :

« Pour arriver à cette appréciation (du coût de l'unité du trafic) non (page 1132) consulterons le travail si remarquable que M. l'ingénieur Alphonse Belpaire a public sous le titre de : « Traité des dépenses d’exploitation aux chemins de fer », ouvrage rédigé d'après les documents officiels, et le seul, par conséquent, qui puisse inspirer confiance. Dans cet ouvrage que j'ai sous les yeux, M. de Belpaire évalue le cout par un convoi à grande vitesse, pour 5 kilomètres.

(Suit un tableau technique, non repris dans la présente version numérisée).

D'après ces données, je ne sais vraiment qui je dois croire, ou M. l'ingénieur en chef de l'Etat lui-même, ou M. Belpaire à qui M. l'ingénieur de l'Etat nous renvoie, comme étant celui qui, ayant basé son prix de revient sur des documents officiels, est le seul, par conséquent, qui puisse inspirer confiance.

Je dois cependant ajouter, pour rester dans le vrai, que M. l'ingénieur en chef des ponts et chaussées, argumentant d'une augmentation de 1 1/2 million de voyageurs au cas que l'on diminue le prix des voyageurs de 20 p. c, ne prend pour frais que la traction, les frais de charriage et les frais spéciaux pour des convois à grande vitesse, parce que, dit-il, les frais d’administration, de surveillance, d'entretien de la roule et d'embarquement de voyageurs, ne seront pas aggravés d'une manière sensible par cet accroissement, tandis que M. Belpaire, envisageant les faits dans leur ensemble, porte les frais d'administration et de surveillance, les frais d'entretien de la route, les frais de traction, les frais de charriage, les frais d'embarquement et les frais spéciaux.

Je crois, messieurs, que, sans pouvoir cependant contrôler les chiffres de M. Belpaire, celui-ci doit être plus près du vrai, parce que je ne puis admettre que 1 million et demi de voyageurs en plus ne supporteraient aussi leur part dans tous les frais; et ce qui est une preuve incontestable qu'ils la supportent, c'est qu'avec une augmentation de services, de nouveaux crédits deviennent nécessaires et à l'appui de cette allégation, je citerai le service de nuit que l'on veut inaugurer dans le cours de cette année, et pour lequel on nous demande au budget un supplément de crédit.

Envisagée comme entreprise industrielle, l'administration du chemin de fer doit être régie d'après les mêmes bases et les mêmes règles. Et comme, en industrie, il est de règle élémentaire d'établir les prix de revient de chaque production, il doit en être de même pour le chemin de fer, c'est-à-dire que l'on doit établir, sur des règles fixes et des données certaines, le prix de revient du coût de chaque voyageur, de chaque colis, de chaque marchandise que l'on transporte.

Que diraient MM. les actionnaires à la direction d'une entreprise industrielle comme, par exemple, d'une fabrique de fer, lorsque, demandant un prix de revient exact du coût de chaque espèce de fer, celle-ci ne pouvait répondre : une tonne de fer de tel numéro coûte autant pour minerai, autant pour charbon, autant pour main-d’œuvre, autant pour frais, et entre pour auront dans les frais de premier établissement, intérêt sur le capital, le fonds de roulement, etc., etc. Total autant.

La réponse, messieurs, ne se ferait pas attendre.

En, messieurs, si nous devions trouver la solution à une pareille question, au sujet du chemin de fer qui, en industrie est tout élémentaire, il faudrait être bien habile pour la trouver, si tant est qu'on ne vous renvoie encore à l'un ou l'autre auteur ayant écrit sur la matière.

Je crois donc, messieurs, que le déficit produit par le chemin de fer doit être plutôt attribue à la gestion dispendieuse de l'administration, qu'à la réduction des tarifs, auxquels, d'après moi, on l'attribue à tort.

Si par exemple, messieurs, la compagnie du chemin de fer du Nord ou toute autre devait exploiter notre chemin de fer, croyez-vous que, pour un embarquement de marchandises, et le nettoyage des voitures, ou payerait 615,000 fr. ou environ 9 p. c. du produit brut, alors que celui-ci n'est que d'environ 7,000,000 de fr.

Croyez-vous que cette compagnie continuerait à fabriquer du coke, alors qu'elle peut l'obtenir à 25 p. c. meilleur marché chez l'industrie particulière?

Croyez-vous, messieurs, que cette compagnie continuerait à payer un état-major coûtant 220,000 fr., et dont le chef reçoit 15,000 fr., et les autres des traitements relativement élevés ?

Croyez-vous, messieurs, qu'avec une administration aussi nombreuse, cette compagnie serait encore forcée d'allouer des primes d'encouragement pour exiger des employés subalternes l’accomplissement d'un devoir?

Croyez-vous, messieurs, que cette compagnie accorderait, outre des traitements élevés, des primes pour chaque expédition, soit 2 c. au départ et 2 c. à l'arrivée, plus 2 c. par tonneau pour les marchandises, soit 1 c. pour l'expédition et 1 c. pour la réception?

Et, messieurs, accordât-elle cette prime, croyez-vous que les chefs de station en recevraient seuls la moitié, tandis que l'autre moitié serait seulement dévolue aux préposés chargés de presque toute la besogne ?

Croyez-vous, messieurs, que cette compagnie continuerait à payer des chefs d'ateliers étrangers au prix de 10 fr. 60 c. par jour de 4/4, tandis que les nationaux ne reçoivent que de 5 fr. 60 à 7 fr. 60 par même durée de travail, alors que des engagements préalables et formels ne l'y obligeraient?

Croyez-vous, messieurs, que cette compagnie continuerait à accorder des primes pour le ménagement du coke, alors que ces primes n'ont qu'une influence minime sur l'emploi de ce combustible ?

Et cette influence, messieurs, doit être presque nulle, car nous lisons à la page VIII du compte rendu des opérations du chemin de fer pour l'exercice 1847 :

« Depuis quelques années, la consommation du coke, par lieue de parcours d'un convoi, est reste à peu près stationnaire. Ainsi elle a été en 1844 de 57,60 kilogr par lieu, en 1845 de 58.17 kilogr., en 1846 de 57.40 kilogr. et en 1847 de 57.15 kilog. », ce qui fait croire qu'elle est arrivée à son taux normal.

Je crois cependant que le chiffre, pour 1847, n'est pas exact, car. je vois, page 69 du rapport de la section centrale, que la consommation totale dd coke est d'environ 48,000 tonnes, et page VI du compte rendu pour 1847, que les convois ont parcouru 761.814 lieues X 58 kil. 13 = 44.299 tonnes 484 kil. Dans l'hypothèse d'un emploi de 48,000 T. de coke, chaque lieue de parcours emploierait environ 63 kil. au lieu de 58.13; ce qui, relativement à la traction du convoi qui, en 1846 était de 14 voitures pour 57.40 de coke et, en 1847, 15.2 de voiture devrait employer 62 k 32 g par lieue; donc preuve de plus que l'emploi du coke est resté stationnaire depuis plusieurs années.

Croyez-vous enfin, messieurs, que cette compagnie serait, en outre, encore forcée d'accorder des primes, pour faire arriver à heure fixe les convois à destination ? Le croire serait avoir une idée bien mesquine des employés de ce chemin de fer.

Toutes ces questions qui pourraient se prolonger à l'infini, seraient sans doute résolues négativement. La disparition de tous ces frais inutiles apporterait dans une pareille exploitation de grandes économies, et par suite de notables améliorations.

Je me résume, messieurs, en déclarant que je crois que notre exploitation du chemin de fer est trop dispendieuse; qu'il est de toute nécessité d'en réduire les frais, et que surtout l'on ne peut tarder d'en faire une entreprise industrielle, c'est-à-dire une entreprise économique, en calculant les prix de revient de chaque transport, sans omettre aucuns frais ; en exploitant aussi favorablement que les compagnies particulières, afin de pouvoir soutenir avantageusement la concurrence.

M. de Denterghem. - Messieurs, je n'ai point pris la parole dans la discussion générale, parce que M. le ministre n'assistait pas à la séance ; j'ai préféré remettre mes observations à l'article 43 où il s'agit du chemin de fer.

Nous l'avons entendu répéter ces jours derniers, il existe un déficit. Il est essentiel de le combler. Il y a deux moyens de le faire : l'un c'est de créer des ressources nouvelles, l'autre, c'est tout simplement de chercher un à diminuer nos occasions de dépenses. Je crois qu'il est incontestable que l'immense majorité du pays, et j'oserais dire l'immense majorité de la chambre, est d'avis qu'il faut améliorer notre position financière, plutôt en réduisant nos dépenses qu'en établissant des obligations nouvelles qui pèseraient sur les contribuables.

' Je crois, messieurs, que cette opposition assez forte qui a surgi dans cette enceinte lors de la discussion du budget de la guerre, est due à ce principe. On a voulu opérer des économies pour éviter la création d'impôts nouveaux.

Messieurs, que le gouvernement ne s'y trompe pas. S'il ne cherche pas quelque chose de ce genre, il n'évitera pas ce qu'il a voulu éviter et ce que, pour ma part, je le dis franchement, je considérerai comme un malheur. Je désire qu'on respecte l'armée telle qu'elle est. Quand nos concitoyens viennent aussi nous offrir leur existence, tout ce qu'ils possèdent, je pense que le moins que nous puissions faire c'est de tâcher de rendre leur existence le moins incommode possible; je ne dirai pas plus : commode parce qu'il est impossible de les rétribuer de manière qu'ils soient récompensés comme ils méritent de l'être.

Il est mauvais de traiter l'armée comme des mercenaires qu'on renvoie quand le besoin de leurs services cesse.

J'ai déjà eu occasion de le dire et je le répète encore : le gouvernement n'augmente pas sa considération à raison du grand nombre d'employés qu'il a autour de lui; il ne s'attire pas même la considération, à raison de la somme de bien-être qu'il répand autour de lui, si ce bien- .être doit exister aux dépens du trésor.

Le dernier règne qui s'est accompli en France en a été un exemple. Jamais, je pense, souverain ne fut plus généreux pour la ville de Paris que ne le fut Louis-Philippe ; peu de souverains s'y sont donné autant de (page 1133) peine que lui pour étendre le bien-être matériel en France.

La monarchie était couverte d'employés plus que sous aucun autre règne. Qu’est-il arrivé de là ? C'est que les charges ont été constamment en augmentant ; on s'est irrité, on a accusé le gouvernement de corruption, et par suite, il est tombé dans un avilissement tel, qu'au jour du danger, on osait n grande peine se déclarer son partisan; et ce pouvoir, qu'on croyait si fort, s'est évanoui presque comme une vaine fumée.

Le gouvernement hollandais avait aussi beaucoup fait en Belgique pour les intérêts matériels, mais les charges qui pesaient alors sur le peuple étaient lourdes, et l'on n'a pas apprécié tous les efforts qu'il faisait.

J'insiste d'autant plus sur ceci, que le gouvernement constitutionnel, qu'on a cru pendant quelque temps un gouvernement à bon marché, ne l'est pas du tout et ne peut l'être. Mais c'est une raison de plus pour chercher à établir le plus de simplicité possible dans les rouages administratifs.

En effet, il est incontestable à mes yeux, qu'un gouvernement, pour qu'il soit réellement populaire, doit peser le moins possible sur la nation en général, et on n'obtiendra ce résultat qu'à l'aide d'un système administratif organisé avec beaucoup de simplicité.

Par suite de ce principe, on arrive à la condamnation de la participation du gouvernement à tout ce qui est à la portée de l'industrie privée.

Je désire beaucoup voir sortir le gouvernement de la voie où il a été entraîné par suite des circonstances; je souhaite que tout ce qui est du domaine des entreprises particulières ne soit plus dans les mains du gouvernement.

D'abord il est incontestable qu'une entreprise dirigée par des particuliers, et au nom de leurs intérêts propres, le sera avec beaucoup plus d'économie qu'il ne l'est par le gouvernement lui-même.

Et puis (ce qui constitue un abus, une injustice) le gouvernement est obligé de puiser dans la caisse de tout le monde; il vient par conséquent prendre sur le capital d'un chacun, et c'est à l'aide de la somme qu'il prend sur le capital d'un chacun, qu'il forme un nouveau capital destiné à concourir avec ceux des particuliers, et par conséquent il nuit à ces derniers : il nuit à la société en général, parce qu'il emploie des capitaux qui, s'ils étaient restés entre les mains des particuliers, auraient produit un intérêt incontestablement plus élevé.

Une chose que la loi autorise, c'est l'expropriation pour cause d'utilité publique; mais je n'ai jamais vu ni ouï dire que la loi permettait l'expropriation pour cause de spéculation publique.

Pour abréger la discussion j'arrive immédiatement à l'extrême conséquence du principe que je préconise.

J'ai entendu tout à l'heure l’honorable ministre des travaux publics s'élever contre l'idée de concéder l'exploitation du chemin de fer. Cependant on sera bien forcé d'en venir là un jour. Le gouvernement ne peut pas avoir la prétention d'exploiter toujours par lui-même, alors même qu'il finira par devenir possesseur de ce réseau de chemins de fer qui se construit dans toutes les parties de la Belgique; et cependant il en sera un jour le possesseur, il sera impossible au gouvernement d'exploiter tout cela simultanément.

Je ne puis partager l'opinion de M. le ministre des travaux publics, qui pense qu'une société particulière n'exploiterait pas aussi bien que peut le faire le gouvernement.

M. le ministre nous disait tout à l'heure que la compagnie du chemin de fer du Nord transporte des charbons à fort bon marché, parce qu'elle ne veut pas ramener ses waggons à vide. Eh bien, je suppose qu'il arrive la même chose entre Liège et Anvers; il part beaucoup de waggons d'Anvers vers la frontière allemande, et puis ils reviennent à vide. Qu'en résulterait-il ? C'est que le gouvernement ou la compagnie amènera du charbon de Liège vers Anvers à très bon marché. Je ne comprends pas que cela soit un mal ; je comprends que cela déplace des intérêts; mais quand nous avons créé le chemin de fer, n'avons-nous donc pas déplacé des intérêts? Pourquoi ne nous sommes-nous pas arrêtés devant cette difficulté? Parce que nous avions en vue l'intérêt de tout le monde. Il en est de même de tout, au milieu des inventions nouvelles qui surgissent de toutes parts ; mais il faut laisser à chaque industrie la faculté de s'organiser de manière à se ressentir le moins possible du fait nouveau.

Messieurs, je vous prierai de remarquer ceci : La Belgique est à peu prè le seul pays qui ait suivi le système actuellement en vigueur. Dans presque tous les autres pays, on a adopté un système différent. Partout le chemin de fer est administré en vue d'attirer la plus grande somme possible d'actions.

Et comment voudriez-vous qu'il en fût autrement? L'intérêt de toutes ces compagnies est de satisfaire les intérêts du plus grand nombre, et dès lors elles se mettent nécessairement au niveau de tous les besoins des pays qu'elles parcourent.

Des considérations politiques se rattachent aussi à cette question. Le gouvernement français s'est-il trouvé mal du système qu'il a suivi ? Je ne le pense pas, et dans d'autres pays je n'ai jamais entendu aucune plainte à cet égard. Et en tout cas le gouvernement belge se trouverait dans une position infiniment plus avantageuse qu'aucun autre pays, sous ce rapport, puisque le chemin de fer lui appartiendrait toujours. Je ne parle pas de le vendre, je veux tirer le parti le plus avantageux possible pour tous du capital formé avec les fonds de tous. Je comprends ce que M. le ministre disait tout à L'heure, que le chemin de fer était destiné à rendre de très grands services au commerce et à l'industrie; mais je ne pense pas que l'intérêt d'une compagnie serait de froisser ces intérêts.

Je sais que nous ne sommes pas à la veille d'obtenir le résultat que je désire, mais ce n'est qu'en parlant et en réfléchissant qu'on arrivera à un résultat qui satisfasse. Je voudrais qu'on organisât la chose de telle manière que les compagnies concessionnaires reprendraient immédiatement le matériel d'exploitation. Le gouvernement leur abandonnerait la jouissance des bâtiments et des routes; moyennant ceci les compagnies seraient tenues de payer annuellement une somme à fixer par adjudication.

Je crois que ce serait le moyen le plus économique, le seul moyen peut-être de tirer un avantage réel de cette construction. On a beau dire ce que l'on veut, mais ce qui est incontestable, c'est que des sommes énormes sont enfouies là et ne rapportent rien. Chaque année le chemin de fer nous entraîne dans des dépenses plus considérables que les produits.

Si ce capital, provenant du matériel d'exploitation, entrait dans la caisse de l'Etat, et formé peut-être par des sommes venant de l'étranger; car nous avons vu arriver des capitaux considérables de l'étranger, pour des spéculations moins favorables que celle dont il s'agit ici, on pourrait, à l'aide de ce capital, faire face aux besoins de l'époque, et nous ne serions pas dans la cruelle nécessité de demander aux contribuables de nouveaux sacrifices.

Mais ce système que je préconise, est-ce donc un système nouveau ? Il est si peu nouveau qu'il est appliqué en Belgique même. Le chemin de fer de Jurbise appartient à une compagnie particulière. Cette route est exploitée par le gouvernement; la compagnie prélève sur les recettes brutes un droit de cinquante pour cent.

Or, ce qui se fait dans ce cas-ci, ne peut-il pas se reproduire dans d'autres cas encore?

Je bornerai là mes observations, je ne veux pas abuser des moments de la chambre. J'avais des chiffres, je n'ai pas voulu en faire usage, j'attendrai un moment plus opportun pour m'en servir.

M. le ministre des travaux pubics (M. Rolin). - Les deux orateurs que vous venez d'entendre se sont élevés contre l'exploitation du chemin de fer par l'Etat et les charges qu'elle entraîne, et ils sont arrivés à la même conclusion, à savoir qu'il serait désirable que l'exploitation fût abandonnée à l'industrie privée.

L'honorable M. Vermeire a exprimé le regret de ne pas trouver dans les documents soumis à la chambre des renseignements suffisants sur le coût général du chemin de fer et de son exploitation, ainsi que sur ses produits. C'est une erreur, messieurs, tous ces renseignements se trouvent, de la manière la plus détaillée, dans les comptes rendus qui sont entre les mains de tous les membres de la chambre des représentants.

Dans le compte rendu de 1845-1846, aux pages 34 et suivantes, on trouve le compte général du chemin de fer, arrêté au 1er janvier 1846. Dans celui de 1847, on trouve le même compte, arrêté au 1er janvier 1848.

L'honorable M. Dumortier, dans une autre séance, s'était plaint d'avoir eu à faire des recherches très pénibles à la cour des comptes, pour recueillir ces renseignements. Il aurait pu s'épargner cette peine, en consultant le document dont je viens de parler.

M. Vermeire. - J'ai demandé le prix de revient du trafic.

M. le ministre des travaux pubics (M. Rolin). - Quant au prix dé, revient ou coût du trafic, on trouve également dans les comptes rendus tous les renseignements nécessaires pour l'établir. Il est vrai que tous les ingénieurs belges, comme les ingénieurs étrangers, ne sont pas d'accord sur les éléments dont ce prix de revient doit se composer. De là la différence entre les évaluations qu'on vous a signalées.

M. Vermeire. - C'est l'ingénieur de l'Etat qui me renvoie à M. Belpaire.

M. le ministre des travaux pubics (M. Rolin). - L'honorable député de Termonde a dit que, si on abandonnait l'exploitation à une compagnie privée, on ne rencontrerait plus ces énormités que présente l'exploitation pour compte de l'Etat : on n'aurait plus ces états-majors brillants, chèrement payés; on n'aurait plus ces primes accordées aux chefs et aux employés des stations; on n'aurait plus ces chefs d'ateliers étrangers, recevant des salaires considérables en proportion de ce que reçoivent les nationaux ; on n'aurait plus les primes qui s'accordent pour des économies prétendument obtenues sur la consommation du coke, tandis qu'il résulte du compte rendu qu'il n'y a pas eu d'économie réalisée et que la consommation est restée stationnaire. On n'aurait plus enfin ces primes de régularité, données aux gardes convois et aux machinistes qui font arriver les convois à destination dans le temps voulu par les règlements.

Je reprends cette énumération, messieurs.

Nous n'aurons plus, dit-on, cet état-major richement payé par l'Etat. Mais l'honorable M. Vermeire ignore qu'il serait difficile de trouver une compagnie de chemin de fer dont l'état-major ne reçoive pas des traitements plus riches la nôtre.

Ainsi, à la compagnie du chemin de fer du Nord, il y a plusieurs employés supérieurs qui reçoivent 14,000 et 12,000 fr. Or, en Belgique, il n'existe qu'un seul traitement de 12,000 fr., c'est celui du directeur.

- Un membre. - Et 3,000 fr. d'indemnité.

M. le ministre des travaux pubics (M. Rolin). - Pas du tout. Il (page 1134) reçoit des frais de déplacement lorsqu'il se déplace. C'est-à-dire qu'il est indemnisé de ses débours, et rien de plus.

Le chemin de fer d'Orléans, qui n'a pas le tiers de l'étendue du nôtre, compte un état-major beaucoup plus nombreux et plus chèrement payé que ce dernier.

L'honorable M. Vermeire se plaint des primes accordées aux chefs de stations et aux employés pour chaque expédition de marchandises. Je tiens, au contraire, que c'est un excellent principe d'intéresser les fonctionnaires de l'administration au succès financier de l'exploitation. L'intérêt personnel est et sera toujours un plus sûr et plus puissant stimulant que le seul sentiment du devoir.

D'ailleurs le système des primes est en usage même chez les compagnies privées, et souvent il s'y applique sur une échelle bien plus vaste.

La compagnie d'Orléans intéresse ses employés à ce point, qu'ils reçoivent une partie de leurs traitements en tantièmes du bénéfice net de l'entreprise. Je dois dire que c'est une idée qui m'a souri, et à laquelle je n'ai pas positivement renoncé jusqu'ici. Je crois que si tous les employés du chemin de fer étaient intéressés à sa prospérité, ils se surveilleraient les uns les autres, et seraient les premiers à nous signaler que telle dépense pourrait être réduite, et tels ou tels employés supprimés. Aucune partie au revenu du chemin de fer ne serait détournée de sa source.

Il y a des objections graves, je le reconnais; et c'est pour cela que j'hésite. Mais quant aux primes, je suis décidé à les maintenir.

Vous dites que nous accordons des primes pour économie sur le coke, et qu'en réalité il n'y a aucune économie. Je suis bien aise de trouver l'occasion de rectifier cette assertion.

M. Vermeire. - Je n'ai pas dit cela.

M. le ministre des travaux pubics (M. Rolin). - Pardon, vous l'avez dit ! Je l'ai parfaitement entendu ! Vous pourrez vous en convaincre, en relisant votre discours. Or, voici les premiers résultats obtenus :

Les primes allouées aux machinistes, en raison des économies apportées par eux dans la consommation du coke, ont été instituées à partir du 1er juin 1842. Les quantités consommées en moyenne par chaque locomotive, avant et depuis cette date, par chaque lieue parcourue, sont les suivantes : 95.72 kil. en 1840, 99.77 en 1841, 105.65 en 1842 (cinq premiers mois) , 80.10 en 1842 (cinq derniers mois), 66.33 en 1843, 57.61 en 1844, 58.28 en 1845, 57.41 en 1843, 58.18 en 1847, 53.40 en 1848.

C'est, il me semble, la démonstration la plus complète qu'on puisse donner de l'utilité des primes.

Les primes de régularité, qui serait disposé à s'en plaindre? Depuis quand les convois marchent-ils régulièrement, ni avec plus de vitesse, ni avec plus de lenteur qu'il n'est prescrit par les règlements ? C'est depuis que les conducteurs et les mécaniciens sont intéressés à arriver à l'heure fixée par l'administration.

Je puis citer un exemple plus remarquable encore : c'est celui des primes qui ont été récemment accordées pour l'économie dans la consommation de l'huile, objet minime en apparence. Depuis qu'elles sont établies, la consommation de l'huile a diminué dans une proportion énorme.

Au reste, c'est une erreur de croire que ce système appartient exclusivement en propre à l'Etat.

Faut-il rappeler ce que font les chefs des maisons de commerce les plus importantes? N'arrive-t-il pas fréquemment qu'ils intéressent leurs employés au succès de leurs opérations? C'est ainsi qu'ils trouvent chez eux non pas seulement une obéissance passive, et la stricte observation du devoir, mais le zèle, mais le dévouement, qui sont les conditions du succès. Ainsi, loin de voir dans les primes l'inconvénient que l'on redoute, il me semble au contraire qu'elles présentent un très grand avantage.

A l'honorable M. de Denterghem je ne dois rien répondre pour le moment; car, si je ne me trompe, il ne demande pas que j'abandonne immédiatement, dès cette année, le chemin de fer à l'exploitation privée. Ce n'est, je pense, qu'une question qu'il livre à mes méditations. Je suis d'autant plus tenté de le croire ainsi, qu'il a dit que le gouvernement se trouvera forcé de prendre ce parti à l'expiration du terme des chemins de fer concédés.

A ce prix, il me reste encore du temps pour délibérer, les concessions étant données pour le terme de 90 ans. Je m'engage volontiers à apporter à la chambre, au bout de ce terme, le résultat de mes réflexions. (Hilarité.)

M. Osy. - J'ai appuyé le tarif du 1er septembre, que je considère comme modéré et avantageux au pays. Pour qu'il en soit ainsi, il serait nécessaire que nos voisins et notamment la société rhénane adoptassent le même tarif. Nous avons à cela un grand intérêt. Je demanderai au gouvernement si, par l'influence que nous donnent les actions du chemin de fer rhénan que nous possédons, nous ne pourrions pas obtenir que cette société adoptât le même système que nous. Alors seulement le transport des marchandises pourra augmenter de plus en plus.

J'ai vu avec plaisir que la section centrale, à l'unanimité des voix moins une, avait approuvé le service de nuit qui commencera le 1er mai. Mais ce qui serait avantageux pour la Belgique, ce serait que notre gouvernement obtînt du gouvernement hanovrien qu'il partît le matin de Cologne et de Hambourg des convois en coïncidence avec nos convois de nuit. Les convois de nuit arrivent à Cologne le matin de bonne heure, il serait à désirer qu'il y eût des convois du matin qui partissent de Cologne vers Hambourg et Berlin.

Je demanderai aussi au gouvernement de négocier également avec les compagnies des chemins de fer au-delà de Cologne des tarifs avantageux, pour que les marchandises que nous aurions à transporter dans le cœur de l'Allemagne pussent y arriver. C'est alors seulement que les tarifs du 1er septembre, que je trouve merveilleusement calculés, seront avantageux au trésor.

M. le ministre des travaux pubics (M. Rolin). - L'honorable M. Osy m'a fait trois recommandations : la première, de tâcher d'obtenir avec la compagnie rhénane une convention plus avantageuse que celle qui existe aujourd'hui; la seconde, non seulement d'établir des convois de nuit en relation avec l'Allemagne, mais encore de faire en sorte qu'il en soit également établi par la compagnie rhénane, et qu'un convoi du matin parte de Cologne en relation avec le Hanovre. La troisième recommandation qu'il m'a faite est de négocier des conventions de tarif avec d'autres compagnies de chemin de fer d'Allemagne.

J'ai devancé le désir de l'honorable membre, quant au premier point; une commission a été récemment nommée, pour se rendre à cet effet à Cologne, un membre de la chambre de commerce d'Anvers en fait partie. J'espère que nos négociations aboutiront à un résultat tel que nous sommes en droit de l'attendre, c'est-à-dire à une convention basée sur le principe d'une parfaite réciprocité.

Je ferai tout ce qui sera en mon pouvoir pour lever les difficultés qui s'opposent, de la part du gouvernement du Hanovre, à ce que des convois circulent la nuit dans le parcours de son territoire; et j'ai lieu d'espérer que la Compagnie Rhénane ne tardera pas plus que nous à établir un service de nuit.

Jusqu'à présent, aucune négociation n'a été établie avec les compagnies allemandes plus éloignées. Je pense, avec l'honorable M. Osy, qu'il est utile que nous nous mettions en rapport avec elles, et que nous fassions des conventions de tarifs partout où il sera possible d'en faire.

M. de Denterghem. - M. le ministre des travaux publics vient de nous donner l'espérance qu'il nous fera connaître le résultat de ses méditations dans 99 années. Je répondrai qu'il ne faudra pas 99 années pour que l'Etat soit propriétaire d'une partie de chemins de fer concédés. Vous avez entendu tout à l'heure l'honorable M. Jullien vous dire que l'Etat se trouvait dans le cas d'exproprie des lignes concédées.

Il devra utiliser les capitaux qui en proviendront pour des travaux analogues. Il me semble donc que le gouvernement peut se trouver facilement entraîné à être mis en possession de ces nouvelles lignes. J'ai demandé s'il se proposait de les exploiter aussi, il n'y a pas là sujet à plaisanterie; mais si M. le ministre n'a pas de bonnes raisons à m'indiquer, je comprends qu'il s'en tire par une saillie d'esprit.

M. Dumortier. - Messieurs, la discussion sur le chemin de fer est revenue plusieurs fois sur le tapis dans cette chambre depuis l'ouverture de cette session, et l'on s'était donné jour pour la traiter à fond, lors de la discussion du budget des travaux publics.

Cependant, messieurs, je reconnais que le moment est assez mal choisi pour examiner cette question dans tous ses détails : la chambre, d'une part, désire voter le budget pour prendre ses vacances de Pâques, qu'elle a d'ailleurs si bien méritées par ses travaux.et d'un autre côté, si je m'étendais trop sur cette question, on pourrait venir me dire : Mais nous sommes ici à examiner le budget des dépenses, et vous nous parlez des recettes.

Si je fais cette observation, c'est pour que l'on sache bien que c'est seulement la situation dans laquelle nous nous trouvons qui m'empêche d'examiner à fond la question de la situation du trésor vis-à-vis du chemin de fer.

Au reste, qu'ai-je besoin de pousser plus loin mon examen sur cette question? M. le ministre m'avait dit :

Vos calculs sont faux, ce sont des romans, des inventions, une immense exagération, que sais-je? nous vous le prouverons lors de la discussion du budget des travaux publics. J'ai attendu, messieurs, jusqu'à maintenant cette preuve, je l'ai attendue patiemment. Messieurs les ministres ont déjà parlé plusieurs fois, la discussion s'épuise et rien n'a été prouvé contre mes calculs. Dès lors j'ai gain de cause et je ne vois pas pourquoi je répéterais des choses qu'on ne conteste aucunement, et qu'en vérité on ne saurait contester.

Je n'abuserai donc pas longtemps des loisirs de la chambre; cependant je dois répondre deux mots à ce qu'a dit M. le ministre des travaux publics.

M. le ministre des travaux publics, faisant allusion aux discours que j'ai prononcés dans différentes séances, vous a dit : L'honorable M. Dumortier a prétendu qu'il avait été à la cour des comptes pour connaître l'état du chemin de fer. Il n'avait pas besoin de faire de semblables recherches ; il les aurait trouvées dans le compte rendu de l'exploitation du chemin de fer de 1846, et d'une manière plus exacte encore dans le compte rendu de 1847.

Je répondrai à M. le ministre des travaux publics que s'il veut se donner la peine de relire mes discours, il verra que je n'ai pas fait mystère (page 1135) de mes recherches et que j'ai déclaré que c'était à l'honorable M. Frère que je devais d'en être venu à bout.

J'ai dit et je répète que le seul rapport qui m'ait mis à même d'être sur la voie des dépenses du chemin de fer, que celui seul qui a pu me faire apprécier quelles étaient ces dépenses et le préjudice du trésor, était le travail de l'honorable M. Frère; et c'est ce travail en main que j'ai présenté à la chambre les indications que je lui ai fournies dans les séances précédentes et dont la vérité ne saurait donc être contestée.

Mais il va de soi que ce rapport, s'arrêtant au 31 décembre 1847, ne pouvait comprendre la dépensé faite dans le cours de 1848 ; c'est sur ce point que la cour des comptes m'a fourni des renseignements ; et en ajoutant au travail de l'honorable M. Frère qui s'arrête au 31 décembre 1847, l'état des dépenses faites en 1848, et surtout la partie affectée au chemin de fer sur les deux emprunts forcés, en y ajoutant ensuite les crédits supplémentaires dont il n'était pas parlé dans le rapport, j'ai pu reconnaître avec exactitude quelles étaient les dépenses totales du chemin de fer.

C'est avec ces chiffres que je suis venu à la chambre, et il reste démontré que le chemin de fer, dont la dépense totale, indiquée par l'honorable M. .Frère à la page XXXIV de son rapport, s'élève à 237 million de francs, sauf cependant à en déduire les recettes effectuées pendant le cours de son exécution, produit au trésor, du chef des frais de premier établissement, une dépense annuelle de 10,124,638 fr. 5 c. C'est là ce que le chemin de fer nous coûte tous les ans pour ses frais de premier établissement.

Si à cette somme nous ajoutons les frais d'exploitation, frais que nous devons porter tels qu'ils ont été votés par les chambres, jusqu'à reddition des comptes (car nous ne pouvons savoir ce qui se passe dans le bureaux du ministère), si, dis-je, nous ajoutons les frais d'exploitation au chiffre des sommes affectées au premier établissement, frais qui sont par conséquent, pour 1848, de 9,787,003 fr., il en résulte que, toujours dans la supposition que M. le ministre a dépensé tout le crédit mis à sa imposition, la dépense totale en 1848 a été de 19,911,761 fr. 55 c.

Eh bien, comme la recette a été de 12,104,077 fr. 90 c, il en résulte qu'en 1848 le chemin de fer a présenté un déficit de 7,807,683 f r. 63 c. Je le répète, il faudra déduire de ce déficit le montant des économies que M. le ministre a pu faire sur son budget de dépenses. Nous ne connaissons pas le chiffre de ces économies. S'il était, par exemple, de 800,000 francs, le déficit serait réduit à 7 millions; si l'économie n'était que de 500,000 francs, le déficit serait de 7,500,000 francs, et ainsi de suite. Toujours est-il que nous sommes en présence d’un déficit qui est déplorable pour le trésor public.

Je suis convaincu, messieurs, que les dépenses du chemin de fer ne sont pas aussi exorbitantes qu'on le pense généralement, et ici je partage l'opinion de l'honorable ministre des travaux publics. En effet, si nous comparons les frais d'exploitation de notre chemin de fer avec ceux des compagnies voisines, nous verrons que nous n'exploitons pas à un prix plus élevé que les autres chemins de fer. Je ne veux pas conclure de la qu'il n'y a point d'améliorations à faire, d'économies à introduire ; mais je demeure convaincu que notre système d'exploitation est économique. Ce n'est donc pas là qu'est le mal, car je le répète, notre exploitation n'est pas plus coûteuse que celle des compagnies, et il y a des compagnies qui exploitent beaucoup plus chèrement que nous.

Ainsi pour le chemin de fer du Nord, les dépenses d'exploitation sont infiniment plus fortes que chez nous, et cependant le chemin de fer du Nord est tout neuf, tandis que le nôtre est livré à l'exploitation depuis 10 à 12 ans, de sorte que nous avons tous les ans des frais de réparation et de renouvellement qui n’existent pas encore sur le chemin de fer français.

Nous suivons donc, toutes proportions gardées, un système d'exploitation économique. D'un autre côté, je suis convaincu que l'honorable M. Rolin recherchera tous les moyens possibles de la rendre plus économique encore, et sous ce rapport je suis, pour mon compte, bien loin de désapprouver l'idée d'intéresser les employés au succès de l'entreprise; non pour les voyageurs, cela n'est pas nécessaire; mais pour les marchandises, c'est une bonne chose. Remarquez d'ailleurs, messieurs, que cela se pratique dans toutes les entreprises analogues .

Ainsi, messieurs, le mal principal n'est pas dans l’exploitation. Où est le mal? Messieurs, c'est très simple, il est dans les vices de la tarification. Cette tarification présente les anomalies les plus choquantes, je vais en donner des preuves. D'Anvers à Bruxelles il y a 9 lieues; quand je vais à Anvers et que je reviens, je fais 18 lieues ; de Bruxelles à Tournay il y a 18 lieues. Il en résulte que si je suis allé à Anvers et que je suis revenu à Bruxelles, j'ai fait absolument la même route que si j'étais allé à Tournay.

Eh bien, je prends une place de diligence pour aller à Anvers, je paye 3 fr. 25, je paye même somme pour revenir, j'ai dépensé, pour les dix-huit lieues que j'ai parcourues, 6 fr. 50, et j’ai suivi la ligne droite, c'est-à-dire que j'ai fait le trajet dans le temps le plus court possible. Si, au contraire, je vais à Tournay, d'abord je fais un détour de 3 lieues, premier désavantage, perte de temps, ensuite je paye 7 fr. 75, c'est-à-dire 1 fr. 25 de plus que pour aller à Anvers et revenir.

Mais, messieurs, s'il devait y avoir une différence de prix, ce serait évidemment en faveur de la route où l'on fait un détour, afin de compenser ainsi en quelque sorte l'inconvénient de la perte de temps, et pourtant c'est cette route qui est la plus chère.

Cependant, messieurs, nous ne nous plaignons pas du prix comparativement élevé que nous payons, mais nous demandons que sur les autres lignes les prix soient élevés au niveau de ce qu'ils sont sur la nôtre. Il faut absolument de deux choses l’une, ou abaisser les prix sur les lignes du Midi au niveau des prix de la ligne d'Anvers, ou élever ceux-ci au niveau des prix de la ligne du Midi.

Voici une autre anomalie. Un honorable ami, qui assiste à la séance, se rendait dernièrement à Leuze en même que je me rendais à Tournay. Nous montons ensemble en diligence. J'eus la curiosité de demander à voir son coupon, et je fus très surpris de voir que lorsque j'avais payé 7 fr. 75 c. il n'avait payé lui jusqu'à Leuze, qui est à 4 lieues de Tournay, que 5 fr. 73 ; or, de Leuze à Tournay, le prix n'est que de 1 fr.50, de manière qu'un voyageur qui voudra gagner 50 c., n'aura qu'à prendre un coupon pour Leuze, descendre à Leuze et y prendre un autre coupon pour Tournay. Il faut convenir, messieurs, que de semblables tarifs ne peuvent pas être maintenus.

Je pourrais citer une foule d'exemples de ce genre. Ainsi de Mons à Tournay il y a plus court que de Mons à Bruxelles; eh bien, je crois qu'on paye un franc de plus pour aller de Mons à Tournay que pour aller de Mons à Bruxelles.

Voici, messieurs, d'autres anomalies, qui nous ont été indiquées par l'honorable M. Dechamps, alors ministre des travaux publics, lorsqu'il nous a présenté, en 1845, le projet de loi sur les tarifs du chemin de fer.

Pour les diligences, les prix sont ainsi fixés : Pour 86 stations, à 35 centimes par lieue ; pour 32 à 36 centimes par lieue ; pour 19 à 37 centimes par lieue ; pour 36 à 38 centimes par lieue ; pour 20 à 39 centimes par lieue, ; pour 9 à 40 centimes par lieue ; et pour 28 stations à plus de 40 centimes par lieue.

Ainsi, lorsque 86 stations ne payent que 35 centimes, il en est 28 qui payent plus de 40 centimes et dans ce nombre il en est qui payent beaucoup plus ; celle de Namur à Floreffe, par exemple, paye 65 centimes par lieue.

Voici maintenant les prix des chars à bancs par lieue ; 43 stations à 25 centimes ; 38 à 26 centimes ; 47 à 27 centimes ; 55 à 28 centimes ; 34 à 29 centimes ; 25 à 30 centimes ; et 38 beaucoup au-delà de 30 centimes.

Pour les waggons ; 12 stations payent 15 centimes ; 27 16 centimes ; 30 17 centimes ; 43 18 centimes ; 27 19 centimes ; 18 20 centimes, et 23 beaucoup au- delà de 20 centimes.

De manière que, d'une station à l'autre, il y a souvent une différence de plus de 33 p. c.

Maintenant, messieurs, quelles sont les sections où l'on paye le plus? Ce sont presque toujours celles où l'on fait un détour et où, par conséquent, on devrait payer moins, puisque vous y avez déjà l'inconvénient d'une plus grande perte de temps. Si l'Etat vous fait faire un détour, parce qu'il a trouvé plus convenable pour lui d'établir le chemin de fer ainsi, ce n'est pas une raison pour nous faire payer davantage ; il devrait, au contraire, je le répète, vous faire payer moins dans ce cas que lorsque vous allez en ligne droite et que vous avez l'avautage de franchir la dislance avec plus de rapidité.

Ceci, messieurs, rentre complètement dans la base de tous les tarifs existants; lorsqu'il y a un détour on le compte pour moitié au bénéfice du gouvernement et et pour moitié au bénéfice du voyageur.

D'un autre côté, toute la ligne du Midi paye plus que la ligne du Nord. C'est là une règle générale. Eh bien, encore une fois nous ne nous plaignons pas des prix que nous payons, nous ne demandons pas à être dégrevés, mais cependaut il faut bien nous dégrever ou surtaxer les autres. Je pense, messieurs, que ce seul fait que les prix sont plus élevés sur la ligne du Midi que sur la ligne du Nord, prouve à l'évidence qu'en élevant modérément les tarifs sur cette dernière ligne on arriverait à obtenir des produits plus considérables. En agissant de la sorte, vous arriveriez à ne pas devoir établir de nouveaux impôts, à ne pas devoir voter des lois odieuses aux populations, des lois qui leur sont onéreuses, au moins, et cela par les ressources que vous trouverez dans le chemin de fer.

Je suis convaincu, messieurs, qu'une bonne classification des marchandises, une révision des tarifs, en restant dans les termes les plus modérés, amènerait ce résultat, que le chemin de fer couvre ses dépenses. C'est là le but que je me propose avant tout, car c'est une situation excessivement fâcheuse quand il faut voter de nouveaux impôts, parce que, en vue de faire des expériences on ne veut pas faire produire au chemin de fer des recettes suffisantes, pour qu'il couvre ses dépenses.

Messieurs, le chemin de fer en Belgique est une entreprise purement commerciale. L'Etat l'a construit et l'exploite seul. En Angleterre, les bills qui concèdent les chemins de fer réservent toujours la clause, que chacun pourra faire rouler ses locomotives, ses waggons, sur ces (page 1136) chemins de fer; qu'il pourra enfin les exploiter. Mais en Belgique, le gouvernement a le monopole, et il n'est pas juste que lorsque le gouvernement a le monopole d'une entreprise commerciale, il vienne demander à l'impôt de couvrir les déficits de cette entreprise.

Remarquez-le, messieurs, il n'y a rien d'hostile dans mes paroles contre personne. J'ai toujours protesté contre toute interprétation semblable donnée à mes paroles. Je me borne à soutenir une opinion consciencieuse dans l'intérêt du trésor. Mais je demeure convaincu qu'au moyeu de quelques modifications dans les tarifs, nous pourrions, dans les années ordinaires, voir le chemin de fer couvrir ses dépenses et même aller au-delà.

Il n'y aurait pas à cela grand mal, je pense. Que devrait-on faire de cet excédant? On devait en faire une espèce de réserve pour le renouvellement ultérieur du matériel.

Messieurs, on s'imagine généralement que le matériel du chemin de fer, s'il n'est pas éternel, se renouvelle chaque année peu à peu. C'est là une grave erreur. A la vérité, certaines parties du matériel se renouvellent peu à peu. Ainsi les waggons, les diligences, etc., tout cela ressemble beaucoup au couteau de Jeannot. Mais il n'en est pas de même des rails et des billes. S'il m'était permis de me servir d'une comparaison un peu triviale, je vous expliquerais bien clairement quelle sera la situation du trésor relativement à une grande dépense des rails et des billes. Les rails sont absolument dans la même position que celle où se trouverait un ménage où l'on achèterait une douzaine de couteaux pour le service de table; les domestiques en casseront quelques-uns, et les autres finiront par être tellement usés, qu'il faudra finir par renouveler la douzaine.

Il en est de même des rails. Les rails ont coûté de 30 à 40 millions de francs. Quand il faudra les renouveler, vous aurez alors un grand mécompte. Par conséquent, si vous avez une réserve pour parer à cette éventualité, ce serait un grand bien. Si le chemin de fer donnait un revenu un peu supérieur à celui de ses dépenses, personne ne s'en plaindrait, pas plus qu'on n'est fâché chez M. de Rothschild d'avoir un excédant de 4 millions à la fin de l'année.

Je borne là mes observations, sauf à y revenir et à les développer quand nous examinerons le tarif des voyageurs.

Mais avant de finir, je dois appeler dès à présent toute l'attention de la chambre sur la question des services de nuit, pour lesquels une somme de 400,000 fr. environ vous est demandée. Je combattrai fortement ces services de nuit. D'abord je ne pense pas que, dans un moment où l'on est en plein déficit, il faille encore l'augmenter. En second lieu, je regarde ces services de nuit comme étant de la dernière inutilité pour les voyageurs belges ; et quant aux voyageurs allemands, anglais, français, qui peuvent vouloir traverser notre territoire, nous ne devons pas avoir souci de dépenser 400,000 fr. pour les faire voyager la nuit.

- La suite de la discussion est remise à demain.

La séance est levée à 4 heures et demie.