Accueil Séances Plénières Tables des matières Biographies Livres numérisés Note d’intention

Chambres des représentants de Belgique
Séance du mercredi 9 mai 1849

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1848-1849)

(Présidence de M. Verhaegen.)

Lecture du procès-verbal et appel nominal

(page 1309) M. A. Vandenpeereboom fait l'appel nominal à une heure et quart, et donne lecture du procès-verbal de la séance précédente; la rédaction en est approuvée.

Pièce adressées à la chambre

Il présente l'analyse d'une pétition adressée à la chambre.

« Plusieurs habitants des bords de l'Ourthe demandent que le gouvernement restitue à la grande compagnie du Luxembourg le cautionnement de deux millions de francs affecté à la ligne de Namur à Arlon, pour être appliqué aux travaux du canal de Liège à la Roche. »

Propositions de loi relatives au droit sur les sucres

Discussion générale

La discussion générale continue.

M. Lesoinne. - Messieurs, plusieurs honorables membres de cette chambre se sont étonnés de ce que je m'étais provisoirement prononcé pour le maintien du statu quo dans la question qui s'agite aujourd'hui devant vous. Je dois à ces honorables membres quelques mots d'explications. Ces explications seront très courtes.

Messieurs, j'avais compris que le gouvernement, dans une discussion qui a eu lieu à propos du budget des affaires étrangères, je pense, avait promis une révision des tarifs actuels. Je ne sais pas si mes souvenirs sont exacts, mais j'avais cru le comprendre. Comptant sur cette promesse, j'avais cru pouvoir voter pour le maintien provisoire du statu quo afin de donner, comme je l'avais dit, aux capitaux engagés dans l'industrie des sucres, le temps de se retirer avec le moins de pertes possible. Il s'agissait, en outre, de deux industries auxquelles la province que j'ai l'honneur de représenter est à peu près étrangère, et d'après ce principe de justice : « de ne pas faire à autrui ce que vous ne voudriez pas qui vous fût fait par lui, » je ne voulais pas modifier, pour l'industrie des sucres seule, une législation qui n'aurait pas été en même temps modifiée pour les autres industries du pays.

Mais si, comme l'a dit l'honorable M. Mercier, cette révision ne doit pas avoir lieu, si je dois attendre encore un temps dont nous ne pouvons prévoir la durée, si nous devons en un mot attendre éternellement, je serai bien obligé d'attaquer le système par pièces et morceaux et de le démolir petit à petit.

Je n'avais donc pas cru me mettre en contradiction avec moi-même, en demandant provisoirement le statu quo, toujours dans l'espérance que le gouvernement proposerait très prochainement une révision des tarifs. Puisqu'il ne doit pas en être ainsi, je voterai pour la proposition de l'honorable M. de Brouckere, et pour rassurer l'honorable M. Jullien et lui prouver que les sucres ne font pas sur mes convictions l'effet du chloroforme, je proposerai comme sous-amendement à la proposition de l'honorable M.de Brouckere, de recevoir les sucres raffinés par toutes les frontières au droit de 45 francs par 100 kilogrammes.

M. Mercier. - Messieurs, je demanderai encore un instant votre attention pour vous entretenir de deux points seulement : le chiffre de la consommation et le produit de l'accise.

Messieurs, dans la séance du 2 février 1848, j'ai évalué la consommation du sucre en Belgique, d'après une période de 4 années, 1843 à 1846. A cette époque, messieurs, les résultats de 1847 n'étaient pas encore parfaitement connus. J'en ai donné une indication, comme simple aperçu, mais je n'ai pas cru pouvoir comprendre cette année dans la série que j’avais prise pour établir la moyenne de la consommation. Aujourd'hui, messieurs, la consommation de 1847 nous est connue, et il en est de même de celle de 1848.

Dans la période que j'avais prise d'abord, celle de 1843 à 1846, il y avait un élément qui était incertain, que nous devions apprécier, en quelque sorte, par conjecture; c'est, messieurs, la production du sucre indigène. Pour les années 1847 et 1848, au contraire, cet élément est parfaitement connu, la production a été régulièrement constatée. Il me semble, messieurs, que le plus simple bon sens m'indiquait que dans une nouvelle appréciation je devais nécessairement m'appuyer sur les années 1847 et 1848, qui présentent des éléments sur lesquels il ne peut plus y avoir de doute. C'est ce que j'ai fait. D'ailleurs, on doit convenir que les années les plus rapprochées sont l’expression la plus fidèle de la consommation actuelle.

J’ai donc, messieurs, recherché quelle a été la consommation des sucres pendant les trois dernières années, c’est-à-dire en 1846, 1847 et 1848. Dans ces trois années, il n'y en a qu'une, 1846, présentant un élément dont l'exactitude ne peut être rigoureusement établie ; c'est encore la production du sucre indigène.

Messieurs, il est résulté de la supputation que j'ai faite, pour les trois dernières années, que la consommation, au lieu d'être de 11,500,000 kil., chiffre auquel je l'avais évaluée, d'après les résultats de la période de 1843 à 1846, est réellement de 12.820,000 kil. Je l'avais évaluée d'abord à 12,720,000, mais je m'empresse de reconnaître qu'il y a eu en 1817 une exportation de 595,000 kil. dont je n'avais pas tenu compte, et que, par conséquent, la consommation annuelle se réduit au chiffre de 12,820,000 fr. que je viens d'indiquer.

M. le ministre des finances a appelé cela un changement d'opinion ; je ne puis admettre cette qualification : c'était un fait et il ne peut y avoir deux opinions sur l'existence d'un fait. Je conviens qu'en thèse générale plus la série comprend d'années, plus l'appréciation se rapproche de la réalité. Mais dans cette circonstance les résultats des trois dernières années sont beaucoup mieux constatés que ceux des années antérieures, et, en second lieu, ces trois années étant plus rapprochées déterminent mieux la consommation actuelle.

M. le ministre des finances a fait une autre observation. Il a pensé qu'il y avait lieu de déduire de la production du sucre indigène, de 1846, une quantité de 250,000 kil., ce qui amènerait un chiffre inférieur à celui que j'ai compris dans l'appréciation que j'ai faite en 1848; je ne puis pas faire cette concession, parce que ce n'est pas seulement sur les prises en charge qu'il y a eu défectuosité avant la loi de 1846, mais en outre, il y avait alors un contrôle insuffisant, et l'administration n'avait pas acquis l'expérience nécessaire pour exercer une surveillance tout à fait efficace.

La production des années qui ont suivi l'établissement des nouveaux moyens de contrôle, production qui a été infiniment supérieure à celle des années précédentes, doit être pour nous un indice presque certain que nous nous sommes trompés dans l'évaluation de la production du sucre indigène pour les campagnes antérieures.

M. le ministre des finances a fait une autre objection. Il a pensé que le déchet ne pouvait pas être établi à 3 p. c. Je persiste dans l'opinion contraire. Comme depuis 4846, la quantité de sucre fin mis en raffinage a constamment augmenté, j'en tire la conséquence que le déchet a nécessairement dû diminuer dans une forte proportion.

Dans la moyenne que j'ai établie, il faut en convenir, les deux années 1847 et 1848 ont dû être influencées d'une manière défavorable par les circonstances, si l'on s'en rapporte aux allégations qui ont été avancées, maintes fois dans cette enceinte; la consommation en 1847 a dû se ressentir notablement des circonstances où l'on s'est trouvé; celle de 1848 a dû aussi éprouver certaine réduction, par suite des événements graves qui ont éclaté au commencement de cette année.

M. le ministre des finances a fait encore une objection. Si, dit-il, la consommation est restreinte, il n'en résulte pas que l'exportation du sucre raffiné subisse une réduction dans la même proportion.

M. le ministre des finances semble oublier que l'exportation ne se fait qu'au moyen de la prime, et que la prime ne se prélève que sur le sucre indemne de l'impôt, qui est livré à la consommation intérieure. Si le sucre indemne, offert à la consommation, était trop considérable, il y aurait avilissement des prix. Or, d'après le témoignage même de l'honorable M. Osy, cet avilissement n'a pas eu lieu; par conséquent, il n'y a pas eu d'excédant pour la consommation.

Je maintiens donc que la consommation, en l'appréciant d'après ces dernières années, doit être fixée à 12,520,000 kil.

Cependant pour atteindre le produit de 5,120,000 fr. que j'ai indiqué, il faut une consommation, non pas de 12,520,000, ni même de 42 millions, mais seulement de 11,500,000 kil.

On ne peut se prononcer d'une manière absolue sur le véritable chiffre de la consommation du pays, mais d'après les faits que j'ai exposés, je ne puis croire qu'elle soit au-dessous de 12 millions de kil.

M. le ministre des finances a établi à 1,130,000 de kil. la quantité de sucre cristallisé qui devrait entrer en plus dans la consommation, par suite de l'application du système que j'ai soumis à la chambre.

Messieurs, je suis convaincu que les sucres qu'on soumettrait au raffinage, en Belgique, pour l'exportation donne un rendement supérieur à 75 p. c. Cependant pour ne pas entamer une discussion sur ce point, j'admettrai, sous toutes réserves, le rendement de 75 p. c.

Dans l'appréciation qu'a faite M. le ministre et qui repose sur un simple calcul de proportion, il n'a pas tenu compte de cette circonstance que le raffineur, dans mon système, n'aurait plus intérêt, comme aujourd'hui, à ne soumettre au raffinage que des sucres de qualité supérieure; qu'au contraire , son intérêt serait de se conformer au besoin des consommateurs, de raffiner des sucres de qualité inférieure qu'il achèterait à des prix infiniment plus modérés. Ces sucres, d'après les renseignements qui ont été recueillis il y a quelques années par une commission de la chambre, donnent un rendement infiniment moindre que les sucres de Havane blonds de première et deuxième qualité.

Cette commission, qui renfermait dans son sein un député d'Anvers, un député de Gand, un députe d'Ostende, avait pris des informations à (page 1310) Anvers et à Gand sur le rendement des sucres de différentes catégories.

Les sucres moscovades que l'on aurait intérêt, dans mon système, à soumettre au raffinage, et qui fourniraient relativement plus du travail à nos raffineries, ont été indiqués, à Gand, comme n'ayant qu'un rendement de 30 p. c. en pains, candis et lumps, de 22 p. c. en cassonades et de 22 p. c. en sirop.

Il en est de même des sucres Fernambouc-moscovades et des sucres Rio.

A Anvers, c'est bien autre chose. Le rendement, pour les sucres de Brésil n'a été évalué qu'à 30 p. c. et le déchet à 10 p. c. Pour Manille, en a évalué le rendement en sucre cristallisé à 25 et le déchet à 7.

M. le ministre des finances a évalué à 1,130,000 kil. la quantité de sucre cristallisé qui devrait entrer en plus dans la consommation pour que mon système pût produire cinq millions. Si l’on emploie des sucres bruts des qualités que je viens d'indiquer, la différence de 1,130,000 kil. de sucre cristallisé signalée par M. le ministre des finances serait bien plus que compensée; car loin qu'il y eût excédant de sucre cristallisé, il en manquerait pour suffire aux besoins de la consommation ; de telle sorte que l'on pourrait encore mettre en raffinage une partie assez considérable de sucre de la Havane pour continuer des relations avec cette île. Toutefois, je n'établis pas mes calculs sur ces rendements de 30, 40 ou 50 p. c.

Je prétends seulement qu'en prenant des sucres communs, en modifiant le travail de raffinage qu'on a réglé de manière à obtenir le plus de sucre cristallisé possible, en attribuant à ces sucres un rendement seulement de 55 p. c., on satisfait complètement aux besoins de la consommation, et l’on assure le produit minimum de 5 millions.

Dans la supposition que j'avais d'abord faite d'une consommation brute de 11,500,000 kil. dont 6,500,000 en sucre exotique, il arriverait que si ces 6,500,000; consistaient en sucre moscovade, la diminution de sucre cristallisé serait de 1,300,000 kil.

En effet, 6,500,000 kil. de sucre brut au rendement adopté par le ministre de 75.p. c, donnera en sucre cristallisé 4,875,000 kil. La même quantité de 6,500,000 en sucre moscovade au rendement de 55 p. c, donne 3,575,000. La différence en moins est de 1,300,000 kil.

Les conditions de la consommation étant ainsi rétablies, le produit serait,, pour une consommation de 11,500,000 kilogrammes de 5,120,000: de 12,000,000 kil., de 5,356,000 de 12,520,000 kil. de 5,585,000.

Messieurs, il y aurait avantage pour nous à employer des sucres de qualité inférieure; l'honorable M. Delehaye a dit qu'ils fourniraient plus de travail à nos raffineries toute proportion gardée. J'ajouterai que nos relations avec le Brésil sont infiniment plus favorables que celles que nous avons eues jusqu'ici avec Cuba. Le Brésil produit ces sucres moscovades, et nous avions intérêt à y en aller chercher, car en ce moment déjà nous exportons au Brésil pour 4 millions de produits et si nous multiplissions nos rapports avec cette contrée plutôt qu'avec Cuba, dont le commerce est stérile pour la Belgique, nos exportations pourraient prendre plus de développement.

Je dirai encore un mot en terminant sur les produits secondaires ; M. le ministre des finances estime le produit du droit de douane sur le sucre à 350,000 fr. Je ne puis admettre cette évaluation, ils n'ont été que de 256,000 fr. en 1847, et si notre navigation fait des progrès, ce produit doit diminuer d'année en année, puisque le droit de douane n'est que d'un centime par 100 kilog., quand le sucre est importé directement des lieux de production par navire belge.

J'espère, je présume, que notre navigation prendra une plus grande part aux importations directes qu'elle ne l'a fait jusqu'à ce jour, par conséquent le produit de 350,000 fr., que je réduis à 250,000, se bornera à l'avenir à très peu de chose.

Quant au droit d'entrepôt, je ne sais si nous devons en tenir compte, je ne sais si nous ne louons pas encore des magasins; pendant longtemps nous l'avons fait; dans ce cas, ce produit est en quelque sorte absorbé; il ne faut donc pas en tenir compte; il est d'ailleurs insignifiant.

Dans la discussion, une erreur a été commise par M. le ministre des finances, qui a cru que le droit de tonnage pouvait être considéré comme l'équivalent du droit de péage de l'Escaut ; le dernier est beaucoup plus considérable; le droit de tonnage n'est que de 95 centimes par tonneau pour la première entrée et la première sortie, une fois payés pour l'année, entrât-on dix fois; tandis que le péage, qui est plus élevé, se paye à chaque entrée et à chaque sortie.

M. Ch. de Brouckere. - On ne peut pas aller plusieurs fois au Brésil en une année.

M. Mercier. - On peut faire plus de trois voyages par an à Cuba, et les sept huitièmes de nos sucres bruts importés directement des pays transatlantiques viennent de Cuba. Il en arrive aussi une certaine quantité d'Europe.

Vous ne contesterez pas qu'un navire peut faire au moins trois fois la navigation de Cuba en une année ; divisez le droit de 1-95 par 3 et vous aurez 65, tandis que le péage est de 3 fr. 17 cent.; on ne peut donc pas compenser un droit par l'autre, comme l'a fait M. le ministre des finances. Somme toute, on agit très largement en accordant un excédant de 150 à 200 mille francs sur les droits secondaires au projet du gouvernement.

Je termine par une dernière observation : Le prix du sucre, par suite de ma proposition, ne serait pas plus élevé qu'il ne le serait en adoptant les propositions du gouvernement ; d'abord, parce que nous avons adopté les mêmes droit, et ensuite parce que les sucres bruts moscovades peuvent s'acquérir à des prix de 20 fr. moins élevés que ceux que l'on emploie aujourd'hui.

M. Ch. de Brouckere. - J'arrive bien tard dans la discussion, mais je serai court, et j'espère que vous voudrez bien me prêter pendant quelques instants votre bienveillante attention, car depuis cinq jours, vous n'avez entendu que les défenseurs du privilège et ceux des intérêts fiscaux. Personne ne vous a entretenus de la société belge, personne n'a pris la défense de la consommation.

Le système que j'ai eu l'honneur de proposer en opposition aux systèmes qui ont été développés jusqu'ici, est un système qui est tout entier dans l'intérêt national, dans l’intérêt de tous, parce que tous nous sommes consommateurs et que quelques-uns seulement sont producteurs.

On a défendu, je le répète, des intérêts fiscaux; c'est le système de M. le ministre des finances, et je dis intérêts fiscaux, parce qu'on a considéré le trésor, en faisant abstraction du pays. On a voulu faire produire davantage au sucre, mais davantage aux dépens de la consommation' et au bénéfice de quelques privilégiés.

Les honorables députés qui ont présenté des systèmes tournent dans le même cercle; d'autres honorables membres encore, et particulièrement les députés d'Anvers, demandent le statu quo, il faut bien le dire, dans un intérêt tout à fait exclusif, dans l'intérêt de quelques-uns.

J'admets que ce soit une illusion ; c'est de très bonne foi, messieurs; cela doit être une illusion, et permettez-moi de vous citer une anecdote pour vous prouver combien on peut s'illusionner sur ce point.

Un capitaine grec avait débarqué, il y a quelques années, à Anvers avec sa cargaison. Pendant le déchargement, il s'ingéniait pour avoir des retours. Ses yeux n'étant frappés par rien, il interrogea. Le premier auquel il s'enquit lui répondit : Prenez du sucre; un second : Prenez du sucre; un troisième : Prenez du sucre. Enfin il rencontra un quatrième individu, mais celui-là n'était pas d'Anvers, et il lui dit : Mais vous avez un drôle de pays, il ne produit donc que du sucre? Comment, du sucre; mais il n'en produit pas du tout, répondit le Bruxellois. Et celui-ci de faire l'énumération de tous les fabricats belges. Dès le lendemain, le capitaine grec prit le chemin de fer, vint dans l'intérieur et, y forma une cargaison en produits belges. Depuis lors il est encore revenu dans le pays, et il y a pris une nouvelle cargaison de produits belges.

Ainsi, je le dis, c'est une illusion de bonne foi ; mais elle est si grosse que, sous le rapport industriel, la ville d'Anvers n'emploie pas 200 ouvriers à la fabrication du sucre; et c'est là ce qu'on appelle une grande fabrication ; c'est là ce qu'on appelle le travail national ! Je parle en ce moment du travail industriel, je viendrai au travail commercial plus tard.

Messieurs, ceux qui plaident pour le statu quo ont aussi fait entendre des lamentations sur ce qu'il n'y avait aucune fixité dans la législation des sucres. Ils nous ont dit que, depuis 1830, nous avions changé quatre fois, et l'honorable M. Cools a bien voulu rappeler qu'en Hollande on avait aussi changé quatre fois depuis 1830.

Mais le système date de 1819, et de 1819 à 1830 nous avons aussi modifié deux ou trois fois la législation. C'est que, messieurs, il ne peut en être autrement. Admettez le système de l'honorable M. Mercier, admettez le système de l'honorable M. Cools ou celui de M. le ministre, et dans six mois on vous demandera un changement; cela est infaillible. Pourquoi ? Parce qu'il n'y a pas de fixité pour les choses mauvaises dans leur principe, parce qu'une chose qui est mauvaise dans son principe' frappe immédiatement tout le monde, que ceux-là seuls qui en jouissent demandent le maintien de ce qui existe.

La chose est mauvaise dans son principe ; elle est mauvaise de deux manières : elle est mauvaise parce que vous avez un système de primes et que ce système de primes, dans l'origine, remarquez-le bien, car je me souviens de nos discussions du temps du royaume des Pays-Bas, ce système, dis-je, était basé sur un véritable drawback; et toutes les fois que nous avions des discussions sur le sucre, les fabricants de sucre nous prouvaient qu'ils ne tiraient effectivement pas plus de sucre que la loi n'accordait de décharge, et la partie adverse, soit le gouvernement, soit les membres des états généraux, prétendait, au contraire, qu'il y avait des progrès dans la fabrication, que le rendement était augmenté, qu’il fallait changer la loi.

Or, messieurs, nous sommes encore toujours dans la voie du progrès, et tout à l'heure je vous expliquerai comme quoi nous pourrions faire encore des progrès très considérables, si nous n'avions pas le mauvais système que nous avons.

Mais, indépendamment de cela, nous avons transformé une simple loi d'accise, une loi de consommation, nous l'avons transformée en lutte. Maintenant ce n'est plus le sucre qui paye, c'est la matière qui produit le sucre. Que demain il plaise à quelqu'un de faire du sucre de carotte, du sucre de pomme de terre, il faudra des droits différentiels pour chacun de ces sucres, et le consommateur sera différemment rançonné, selon qu'il prendra telle ou telle espèce de sucre. Qu’il arrive un progrès dans l'une ou l'autre fabrication, l'équilibre est détruit, il faut changer la loi. Aujourd'hui on vous demande une différence de 8 fr. en faveur du sucre de betterave. Mais il y a un an que le fabricant de sucre de betterave et que le fabricant de sucre de canne luttaient à l'envi l'un contre l'autre.

Vous aviez eu des mémoires des uns et des autres; aujourd'hui ils ont fait une trêve, parce qu'ils ont pensé que c'était le moyen d'avoir (page 1311) plus d'appui. Ceux qui sont pour la betterave donneront la main à ceux qui sont pour la canne, et ainsi les doux sucres triompheront peut-être aux dépens de la consommation.

Messieurs, ce n'est pas d'aujourd'hui que j'attaque le système de la loi que l'on se propose d'amender. Au mois d'avril 1848, il m'avait pris fantaisie d’expliquer au public, dans un journal, ce que c'était que cette belle législation des sucres, et j'avais pris pour texte la proposition de l'honorable M. Mercier.

Vous vous souvenez tous qu'en 1848 l'honorable M. Mercier avait dit que la loi actuelle était une loi détestable. Il s'était servi d'expressions beaucoup plus fortes encore que celle-là.

Mais la sienne, c'était une loi modèle. L'honorable M. Mercier me fit l'honneur de répondre dans le journal, et pour prouver que la loi actuelle était mauvaise, il fit un calcul par lequel il démontra, clair comme le jour, que si toutes les industries recevaient une prime d'exportation équivalante à la prime que l'on donnait au sucre, en deux ans de temps, lu Belgique serait complètement ruinée. J'admis ce calcul ; mais je lui répondis, et il ne saurait pas détruire mon argumentation, que si, par la loi actuelle, la Belgique, en étendant la protection à toutes les autres industries, devait périr en deux ans, par le système de l'honorable M. Mercier elle devait périr en six ans et six semaines.

Car toute la différence, c'est que la prime d'un côté est un peu plus forte que de l'autre; que l'une porte le nom de prime d'exportation, tandis que l'autre porte le nom de prime de fabrication, ce qui revient tout à fait au même. Que l'on nous fasse payer le sucre plus cher parce que vous protégez le raffineur, ou que l'on nous fasse payer le sucre plus cher parce que vous protégez le consommateur étranger, peu m'importent des motifs, si je paye le sucre plus cher.

Messieurs, je crois que la législature doit s'inquiéter fort peu, dans une loi d'accises, dans une loi de consommation, du point de savoir de quelle manière et avec quels ingrédients on fait la substance qui est passible de l'impôt. Que si vous vouliez aller autrement, je le répète, vous changeriez la législation tous les ans et vous créeriez toujours de nouvelles illusions et de nouvelles ruines. Le nombre de ruines qu'il y a déjà eu depuis 1836, les capitaux qui ont déjà été détruits dans l'industrie de la betterave, sont incalculables. Eh bien ! qu'est-ce qui a fait naître l'illusion, en 1836, sur l'industrie du sucre de betterave? En 1836, grâce au système des primes, le produit du droit sur le sucre, de ce droit que vous payez 45 francs, était tombé à 205,000 francs : immédiatement les industriels belges se sont dit : Mais l'exportation va tellement bien ; on a là décharge de tout le droit : nous allons fabriquer du sucre de betteraves en concurrence avec le sucre de canne.

Et ces messieurs n'ont demandé aucune espèce de protection ; ils se sentaient assez forts pour lutter d'égal à égal avec le sucre de canne. Ensuite ils ont demandé une protection de 5 fr. Aujourd'hui ils demandent une protection de 8 fr., dans un an on nous demandera une protection de 15 fr. et peut-être plus. Malgré cela, la ruine sera toujours au bout ; car, messieurs, il ne faut pas se le dissimuler, si le sucre de betteraves a pu lutter en Belgique contre le sucre de canne, cela tient uniquement à ce que la consommation du sucre s'est élevée dans une progression très rapide en Europe, cela tient à ce que, malgré cette concurrence, le débit du sucre exotique était toujours plus grand et que les planteurs pouvaient toujours faire des récoltes plus abondantes.

Mais les planteurs transatlantiques ont un aussi grand besoin de cultiver la canne que les cultivateurs belges de cultiver le blé. Cherchez à lutter contre eux de manière que la production s'en ressente et dès ce jour-là, ils ne diminueront pas leur production, mais ils la perfectionneront ; car il y a encore beaucoup à faire sous le rapport de la production de la canne. Pour vous dire, en passant, messieurs, ce que c'est que cet accroissement rapide qu'a pris, la consommation du sucre, je vous signalerai ce fait qu'en 1700 la consommation anglaise n'était que de 10,000 tonneaux, et qu'elle dépasse aujourd'hui 250,000 tonneaux, c'est-à-dire que la consommation anglaise est 25 fois plus forte qu'il y a un siècle et demi. Nous parlerons tout à l'heure des accroissements qui ne datent que de fort peu de temps.

Je concevrais, messieurs, qu'en France la betterave demande une protection ; ce serait là une chose légitime. La betterave, en France, était une industrie forcée; dans l'origine on a imposé aux propriétaires l'obligation de planter de la betterave ; on a imposé, par conséquent la fabrication du sucre de betteraves. Là je conçois que ceux qui ont été forcés par le gouvernement de confier leurs capitaux à une industrie, réclament, après cela, de ce même gouvernement une protection pour cette industrie. Et cependant, en France, il n'y a pas de protection pour la betterave ; la betterave est assimilée au sucre des colonies.

M. de Mérode. - Seulement au sucre des colonies.

M. Ch. de Brouckere. - L'importation du sucre colonial, en France, dépasse 90 millions de kilog.

Maintenant, messieurs, sous le rapport commercial, faut-il maintenir la loi actuelle? Faut-il continuer à accorder les primes que nous accordons, pour favoriser le commerce national ?

Un honorable député de Malines a pris le soin, hier, de vous démontrer aussi clairement qu'il est possible de le faire, que ce commerce-là est un commerce ruineux ; aussi je n'ai pas été peu étonné d'entendre l'honorable membre qui vous avait prouvé que ce commerce est ruineux pour la Belgique, vous dire : « Je ne me rallierai cependant à aucun amendement, pas même à celui du gouvernement, parce que je veux conserver à ce commerce ruineux le plus grand développement possible.»

Et pourquoi, messieurs, l'honorable membre en agit-il ainsi ? Pour deux motifs : le premier, parce qu'il craint que les raffineurs belges ne puissent pas lutter avec les raffineurs étrangers, c'est-à-dire parce que, dans son opinion, les raffineurs belges sont moins adroits et sont moins bien outillés que les raffineurs étrangers. Quant au défaut d'adresse, je ne puis pas l'admettre, je crois que les Belges sont aussi adroits qu'aucun autre peuple ; mais quant à l'outillage, je crois que l'observation est fondée.

Mais savez-vous, messieurs, ce que les fabricants nous répondent lorsque nous leur disons : « Pourquoi depuis 25 ans n'avez-vous introduit aucun perfectionnement dans votre fabrication? Pourquoi ne tenez-vous aucun compte du progrès de la chimie? » Ils nous répondent: « Parce que nous gagnons assez d'argent comme cela. - Et pourquoi' gagnez-vous assez d'argent ? - Parce que nous sommes protégés. »

Le second motif de l'honorable membre, c'est qu'il ne veut pas priver le peuple de son luxe ; il lui faut des bas produits, du sucre à bon marché pour le peuple. Eh! mon Dieu ! si vous vous apitoyez sur le peuple et si vous trouvez que nos finances permettent de diminuer certains impôts, prenez sur le sucre, objet de luxe, tout ce que vous pouvez et diminuez, en faveur du peuple, l'accise sur le sel ou l'accise sur la bière.

Je vous avoue, messieurs, que je n'ai pas été peu étonné d'entendre invoquer le témoignage et du chancelier, et de James Wilson, et de lord John Russell, pour arriver à une pareille combinaison. Quoi! vous citez les noms des hommes illustres qui ont préparé une ère de prospérité nouvelle en 1846, à leur pays, et vous les citez pour soutenir le système le plus archi-protectionniste que l'on puisse imaginer ! Je dirai que c'est presque un sacrilège, et l'œuvre eût' été consommée, si vous aviez nommé Cobden !

Messieurs, permettez-moi de vous prouver, à mon tour, que ce commerce est ruineux pour la Belgique, et je demande à faire de nouveau cette démonstration, parce que, par sa conclusion, l'honorable membre a, en quelque sorte, détruit lui-même son argumentation.

Voici ce que je lisais il y a deux jours dans le Journal dés économiste/ du 15 avril :

« Manufacture royale de tapis, à Aubusson.

« Paris, 6 avril 1849.

« Doit M. Tipping, hôtel Mirabeau, un tapis fr. 380. Emballage et frais de douanes : fr. 5. Fr. 385.

« A déduire 20 kilog.; prime à 65 centimes : 17.

« Reste à payer : 368 fr.

« D'où il résulte que M. Tipping, citoyen anglais, qui s'est procuré un tapis d'Aubusson, l'a payé 17 francs de moins qu'un citoyen fiançais.

« D'où il résulte encore que ces 17 francs, qui seront payés par la douane aux fabricants, et dont ceux-ci ont fait remise au citoyen anglais, sortent de la poche des citoyens français.

« Au dire des protectionnistes, la prime profite au fabricant français, qui la restitue à l'ouvrier français.

« En fait, on le voit, les 17 francs dont il s'agit ne vont pas dans une poche française ; mais ils s'en vont des poches françaises : c'est bien différent! »

Messieurs, il ne s'agit pas ici d'une prime de 17 francs. Voici des chiffres qui ont été puisés dans des documents officiels, il y a une couple d'années : le sucre brut, à Anvers, se vendait 85 francs ; le sucre raffiné se vendait 170 francs à l'intérieur, c'est-à-dire à un prix double de celui du sucre brut ; j'entends parler du sucre brut en entrepôt, et du sucre raffiné à la consommation ; ce même sucre raffiné se vendait 90 francs à l'extérieur..

Maintenant, je le demande, cela peut-il jamais être une opération avantageuse à la nation belge, à la société dont nous avons mission de défendre les intérêts, que de faire 30 francs de frais de fabrication sur un objet de 100 francs, plus 10 francs de droit de transport, ce qui fait 140 fr., et de vendre à l'étranger pour 100 francs cet objet de 140 francs. Je demande si la nation belge ne s'appauvrit point par une semblable opération.

L'honorable comte de Mérode me répondra peut-être que non, parce que chacun est favorisé à son tour. Voyons.

Je suppose que la ville d'Anvers (ou toute autre ville) soit représentée par un seul individu que j'appellerai A, et que le reste de la population belge soit représenté par un second individu que j'appellerai B. Vous admettrez au moins que B, qui représente le reste de la Belgique, soit frère de A. Voyons maintenant l'opération :

A fabrique du sucre pour une somme de 100 francs, sur quoi il y a 10 francs de bénéfice pour A. Maintenant, la moitié de ce sucre est vendue à B pour 75 francs, et l'autre moitié est vendue à l'étranger pour 25 francs. Voilà l'effet de la prime, et n'est-il pas évident que si A a gagné 10 francs, B y a perdu 25 et qu'ensemble ils ont essuyé une perte de 15 francs. Supposez que B puisse rendre la pareille à A, c'est-à-dire exporter à son tour une valeur de 50 francs que l'étranger ne lui payera que 25, tandis qu'A lui payera 75 fr. la valeur de 30 fr. qu'il consommera. A qui avait gagné 10 fr. en perd 25, tandis que B qui en avait perdu 25 en gagnera10 à la dernière opération; tous deux ont donc perdu ensemble 50 francs et chacun 15 francs à cet échange de bons (page 1312) procédés, tandis que l'étranger s'est enrichi de toute la perte nationale. Il n'en est pas ainsi; A seul jouit du privilège, et alors je vous demande si on peut dire que A et B sont frères, tandis que l'un écorche l'autre, en opérant un appauvrissement général.

J'ai fait une proposition. Cette proposition est extraordinairement simple. Il me reste à démontrer que cette proposition est dans l'intérêt de la consommation, et dans l'intérêt du trésor, et dans l'intérêt bien entendu du commerce.

Ma proposition est dans l'intérêt du trésor. J'ai diminué cependant le droit de 15 fr. ; je ne demande que 30 fr. au lieu de 45 fr.

Ma proposition est dans l'intérêt du trésor, et vous allez voir, messieurs, que je suis extrêmement modéré. Je ne veux pas contester sur les chiffres comme MM. Cools, Mercier et le ministre des finances; je prends le chiffre le plus bas; la consommation des sucres n'est donc que de 11 millions. 11 millions à 30 fr., cela fait 3,300,000 fr.; c'est déjà une augmentation pour le trésor.

Mais je diminue le prix du sucre. Je ne fais plus payer deux façons pour une, et en même temps je diminue l'accise; j'opère ainsi une grande diminution de prix. Cette diminution doit-elle augmenter la consommation?

Messieurs, la consommation du sucre en Angleterre est de 9 kilog. par individu; dans l'Amérique du Nord de 8 1/2; en Hollande de 6; en France de plus de 4 et en Belgique de 2 3/4.

Maintenant, je le demande, la nation belge n'est-elle pas plus riche que la nation française, population pour population? Pourquoi ne consommons-nous que 2 3/4 de kil. de sucre par individu? Parce que le sucre, chez nous, est à un prix exorbitant. Diminuez donc ce prix, et vous augmenterez la consommation.

Que la consommation arrive seulement à 4 kil., vous aurez un produit de 5,280,000 fr.; qu'elle aille à 4 1/2, vous aurez 5,940,000 fr. ; qu'elle atteigne le chiffre de 5 kil., vous auriez 6,600,000 fr. d'accise pour le trésor, sur le sucre. Ce qui prouverait que ceux qui ont dit que l'accise sur les sucres pourrait rapporter 5 à 6 millions, n'étaient pas dans l'absurde, comme on l'a prétendu.

Messieurs, si vous avez le moindre doute sur l'effet de la consommation, par suite de la réduction du droit, permettez-moi de vous citer d'abord un fait pris dans notre propre pays. Je ne m'appuierai pas directement sur l'exemple de l'Angleterre ; on pourrait dire que nous ne sommes pas Anglais. Le fait que j'ai à citer ne se rattache pas au sucre, car nous n'avons jamais été dans les vrais principes sur cette denrée.

Voici quelle a été la fabrication de l'eau-de-vie (chiffre officiel} dans les villes d'Anvers, de Bruges, de Bruxelles, de Gand et de Liège sous les différentes législations.

En 1828, on n'a fabriqué que 15,236 hectolitres; l'accise dépassait 25 fr.; en 1830, on a fabriqué 56,149 hectolitres, c'est-à-dire 3 1/2 fois autant, parce que l'accise était tombée à 5 fr.; en 1839, on a fabriqué 41,478 hectolitres, lorsque l'accise était remontée à 9 fr. ; et enfin la fabrication descend en 1843,1814 et 184S avec un droit de 17 à 19 fr., à 30,465 hectolitres.

Ainsi la consommation varie de 15 à 56, de 56 à 41 et de 41 à 30 par le changement des droits d'accise.

Vous me permettrez maintenant de citer ce qui est arrivé en Angleterre. En 1820 quand le sucre se payait 27 schellings la consommation était de 2,901,000 quintaux; en 1830, quand le droit a été réduit à 24 schellings la consommation s'est élevée à 3,700,000 quintaux; et en 1846, quand le droit a été réduit à 21 schellings pour les sucres étrangers et à 14 schellings pour les sucres des colonies, la consommation a atteint 4,852,000 quintaux.

Ainsi on éleva la consommation dans une proportion comme 3 est à 4, est à 5, par des abaissements successifs de droit. Maintenant la diminution de droit qui a fait augmenter la consommation d'un quart en Angleterre est de 24 à 21 et 14; je ne tiendrai pas compte du droit de 21, j'admettrai la diminution de 24 à 14. Est-ce que j'accorde une diminution équivalente? Le droit est de 45 fr. sur les sucres bruts ou de 50 fr. sur les sucres raffinés. Je le réduis à 30 fr., soit 33 pour le raffiné ; différence, 17. Je suis donc fondé à dire que la consommation prendra au moins le même développement.

Si la consommation prend ce développement, le commerce souffrira-t-il? Si la consommation par la diminution des droits s'élève rapidement à 18 ou 19 millions de kilogrammes, et d'après moi elle ira plus loin, quelle perte y aura-t-il pour le mouvement du commerce? Aucune ; mais il y aura un grand bénéfice pour le pays. Nous aurons substitué un commerce lucratif à un commerce ruineux. Pour les raffineurs, il y aura lutte momentanée, j'en conviens, parce que l'augmentation de la consommation ne sera pas subite; elle sera successive.

Ce sera un grand bonheur pour la consommation que cette lutte, parce qu'elle forcera les raffineurs à changer d'outils, d'engins, à se mettre à même de produire à meilleur marché. Ce sera une raison de plus pour consommer plus, puisque nous obtiendrions le produit à meilleur marché. Il est encore à remarquer que partout où la consommation du sucre a augmenté, la consommation du café a augmenté immédiatement; c'est-à-dire que toute augmentation de la consommation du sucre a, sans autre circonstance, exercé une grande influence sur la consommation du café d'où une nouvelle source de richesse pour le trésor public.

Messieurs, il me reste à ajouter un mot, parce qu'hier plusieurs honorables amis m'ont dit: Mais vous n'êtes pas dans les véritables doctrines économiques ; comment ne proposez-vous pas aussi l'entrée des sucres raffinés? J'ai répondu : Nous faisons une loi d'accise et non une loi de douane; mais quelqu'un veut-il proposer de permettre l'entrée des sucres raffinés, bien entendu en tenant compte de la différence de valeur du sucre raffiné et du sucre brut, en tenant compte de l'impôt que nous payons sur le sucre brut? Veut-on le laisser entrer au droit de 45 francs quand le droit d'accise sera de 50 fr. ? Je me rallie volontiers à cet amendement.

M. Manilius. - Après le discours que vous venez d'entendre, vous serez étonnés que tout à coup je vienne vous occuper d'opinions tout à fait étrangères à ce discours. Je vais ramener la discussion au point où elle se trouvait quand j'ai déposé mon amendement. Je laisse aux appréciateurs de la proposition de M. de Brouckere le soin de la défendre.

Messieurs, vous comprenez déjà, d'après les termes de mon amendement, que je suis aussi un de ceux qui veulent le maintien de la loi de 1846.

Quand je dis le maintien, c'est avec quelques correctifs introduits exclusivement dans l'intérêt du trésor. La loi de 1846 a fait une espèce de miracle. Depuis plusieurs années et jusqu'à cette époque, on avait établi quasi avec preuves certaines qu'il y avait impossibilité de coexistence pour les industries du sucre indigène et du sucre exotique. Eh bien, le problème a été résolu ; il a été résolu non pas par des probabilités longuement démontrées, mais par des faits consommés successivement en trois années.

La coexistence des deux industries a été assurée et en même temps le trésor a trouvé son apaisement. Qu'a-t-on demandé en 1846 aux auteurs de la loi? On a demandé la coexistence des deux industries et une garantie pour le trésor; on n'a rien demandé autre chose et on l'a obtenu. Que demande-t-on à rectifier dans cette loi? En a-t-on signalé les vices ? Nullement ; aucune rectification n'est nécessaire.

On demande une chose; M. Mercier, comme M. Cools, ne demande qu'une seule chose : Avoir un peu plus de produits pour le trésor ; c'est ce qui nous occupe depuis huit jours, c'est ce qui occupe le pays depuis quatre mois. C'est ce qui agile inutilement le pays par suite d'un excès de zèle de ces honorables membres pour le trésor. Il se peut que quelques autres intérêts ont poussé à cette agitation. Et mon amendement tend à reconnaître ces raisons, à redresser ces froissements.

La loi de 1846 était tout le correctif qu'on pouvait apporter, en raison de l'intérêt du trésor. Le correctif a été pour les deux sucres : pour l'un, lorsque le trésor n'est pas en possession de trois millions, augmentation du rendement. Pour l'autre, lorsqu'on augmente la production du sucre qui avait un droit différentiel de 15 fr., c'est-à-dire qui payait 30 fr., majoration du droit, dans la proportion de l'augmentation des produits.

L'honorable M. Cools a grandement facilité ma tâche, il vous a dit hier, il vous a démontré que cette progression de la production du sucre de betterave n'existe pas. C'est la pressuration du fisc, c'est la vigilance du gouvernement qui ont prouvé que l'on produisait non pas deux millions et demi, mais cinq millions de kilog. de sucre de betterave. Mais comment a-t-on justifié cette assertion? L'honorable M. Cools vous l'a dit, pas un nouvel hectare de terre n'a été cultivé en betterave, pas un nouvel établissement pour la fabrication du sucre de betterave n'a été érigé. Vous avez exprimé de la betterave deux millions et demi de plus; vous lui avez imposé un double droit; au lieu d'un droit de 50 fr., vous l'avez frappée d'un droit de 60 fr., puisque vous avez prélevé le droit sur le tout, alors que par un système industriel, que l'on a désigné dans cette enceinte comme subreptice, on était parvenu à ne payer que la moitié du droit.

Cette vigilance, louable de la part du gouvernement, n'en a pas moins chargé la betterave d'un double droit. Non contents de ce double droit, par la loi de 1846 vous avez fait payer 34 au lieu de 30. Quand vous êtes arrivés à une production de 5 millions, au dernier exercice, on a élevé tout d'un coup le droit à 40 francs.

Que veut mon amendement? Il veut être juste envers cette industrie, qui a déployé de louables efforts et employé de bons engins, quoi qu'en dise l'honorable M. de Brouckere. Peut-être, j'en conviens, cette industrie a-t-elle jeté quelque argent dans ses spéculations; mais elle n'en a pas moins surmonté une grande difficulté, celle de lutter contre un autre sucre qui, dans le principe, payait 37 fr. 50 c, alors que la betterave ne payait rien; ensuite elle ne payait que 20 francs.

Il faut cependant faire comprendre à la chambre que ce ne sont pas des théories seulement qu'il faut apprécier, mais qu'il faut aussi apprécier un peu les faits, l'existence de beaucoup d'intéressés qui ont compromis leur fortune dans cette industrie, et enfin l'intérêt du travail national, quoi qu'en ail dit l'honorable M. de Brouckere.

Quoi ! Il n'y aurait que 200 individus, à Anvers, employés dans l'industrie des sucres. Nous ne pouvons admettre que la perturbation soit ainsi jetée dans les idées des honorables membres qui ne connaissent ni les mouvements des ports, ni les usines; il faut laisser à la chambre la pensée du vrai, et la préserver des illusions de l'honorable M. Charles de Brouckere. C'est une véritable illusion que de croire que 200 individus seulement sont employés, à Anvers, dans l'industrie des sucres.

M. de Mérode. - Quel est le nombre d'ouvriers employés dans cette industrie ?

M. Manilius. - Je n'ai pas besoin de vous le dire, mais je puis vous assurer qu'il est considérable. Si je demandais à l'honorable M. de Mérode combien l'industrie du sucre de betterave emploie d'ouvriers, il serait sans doute très embarrassé pour me répondre. C'est impossible, (page 1313) car vous ne savez pas les affinités qu'il y a entre les diverses branches d'industrie.

Je tenais à justifier mon opinion par les raisons que je viens de donner. Il y en a beaucoup d'autres.

Le sucre de betterave, comme je l'ai dit, a été maltraité par la loi de 1846. Le principe admis alors par la grande majorité, et je dirai même par l'unanimité, en Belgique, était qu'il fallait faire l'impossible pour maintenir le commerce. Je ne pense pas que la chambre veuille changer de principe.

Je reconnais qu'on a fait erreur en ne soumettant pas au droit d'accise les premières fabriques de sucre de betterave. On aurait dû les soumettre au droit d'accise, comme on y a soumis toutes les distilleries. Mais enfin le mal est fait. Il faut que tout paye, dit l'honorable M. de Brouckere.

Nous le demandons depuis 14 ans; mais alors indemnisez la betterave. Donnez-lui, si vous le voulez, la protection de la douane, mais non la protection de l'accise, ce qui ne se fait dans aucun pays.

Pour le sel, est-ce que vous donnez la protection de l'accise? Non; l'eau de mer ne peut entrer, quand elle a atteint une certaine densité ; on se récrie contre l'eau de mer; on veut que l'eau de mer paye un droit d'accise.

Je dis que l'on a eu tort de dispenser du payement du droit d'accise les premières fabriques de sucre de betteraves qui se sont établies. Mais on ne l'aurait pas fait sous l'ancien gouvernement, parce que la loi de 1823 ne le permettait pas. Il est vrai qu'elle était encore en vigueur quand on a autorisé l'érection des premières fabriques de sucre de betterave, sans réclamer d'elles le droit d'accise. Aussi légalement ne devait-on pas le faire.

Je puis me tromper, mais je crois que l'établissement de la première fabrique de sucre de betterave date, non pas de 1836, mais de 1831 ; alors, je crois, l'honorable M. de Brouckere était au ministère avec l'honorable M. Duvivier ; et c'est M. Duvivier qui en a autorisé l'établissement.

M. Ch. de Brouckere. - Je n'ai jamais été ministre avec M. Duvivier.

M. Manilius. - J'ai commencé par dire que je me trompais peut-être; mais c'était très près; car vous étiez au ministère en 1831.

Il faut tenir compte des précédents, quand il s'agit de si grands intérêts.

En 1846, on a fait la part des fautes passées; on les a réparées autant que possible. On y a réussi.

Je reviens à mon premier thème. Personne ne se plaint, ceux qui se plaignent ce sont ceux qui pleurent toujours pour le trésor, disant qu'il a trop peu. Mais le trésor n'a rien à prétendre, quand il y a balance entre les recettes et les dépenses. Je m'étonne de cette sollicitude de MM. Mercier et Cools pour le trésor. Le trésor est extrêmement riche, parce qu'il est dans nos poches et on sait y frapper quand il y a des besoins.

Je crois que par une autre considération il serait défavorable de hausser le droit à 48 fr.

Le droit de 48 fr. serait un obstacle à un autre moyen subreptice, celui de livrer le sucre à très bon marché à nos voisins. L'honorable M. de Brouckere a dit tout à l'heure que nous livrions le sucre à meilleur compte ailleurs que dans le pays. Mais il y a une partie de nos voisins qui consomment de notre sucre et qui le payent beaucoup plus cher que nous-mêmes : ce sont nos voisins du Midi. Ils viennent chercher ce sucre et ils viennent le chercher après qu'il a supporté sa part dans les trois millions qui sont versés au trésor, et ils le payent argent comptant. Eh bien, haussez votre droit, portez-le à 48 fr., et ils ne viendront plus vous chercher du sucre; au contraire, on en introduira en Belgique. Voilà quelle sera la conséquence de l'élévation du droit.

Vous avez beau produire tous vos tableaux pour prouver quelles sont les probabilités de la consommation, vous commettrez des erreurs, parce que cette consommation n'est pas réduite à la Belgique exclusivement, parce que le cercle s'agrandit des pays qui nous environnent.

Vous avez à craindre un second mécompte : c'est l'introduction de sucre par la frontière du nord. Je sais que M. le ministre des finances a à sa disposition un moyen de représailles. Il dit : Si la Hollande ouvre des bureaux à l'importation du sucre, j'en ouvrirai pour laisser introduire l'alcool en Hollande. Il est possible qu'il y ait lutte entre la Belgique et la Hollande pour le sucre et l'alcool ; mais il n'en sera pas de même pour votre autre frontière.

Voyez ce qui s'est passé pour le sel. La France a diminué les droits sur les sels. Auparavant nous exportions beaucoup de sel en France ; aujourd'hui non seulement nous n'en exportons plus, c'est tout le contraire qui arrive, et vous verrez, à la fin de l'exercice, quel sera le mécompte que vous éprouverez de ce chef dans vos voies et moyens ; le produit du sel sera peut-être diminué d'un million. J'ai déjà des renseignements assez positifs à cet égard.

Or, ce qui arrive aujourd'hui pour le sel, vous arrivera demain pour le sucre, si vous élevez le droit au-delà de ce qu'il est actuellement. Le droit actuel vous permet d'agrandir encore votre consommation ; avec une augmentation de droit, cela ne vous sera plus possible.

Ces observations, messieurs, justifient complètement le chiffre de 48 fr. que je vous propose.

Quant à la betterave, je vous l'ai dit tout à l'heure, lui faire immédiatement payer 40 fr., c'est la massacrer.

J'ai encore un mot à dire à cet égard. Les 3 millions que vous avez perçus sur l'exercice 1847-1848, vous les avez perçus non pas avec le droit de 40 fr., mais avec celui de 34 fr. M. le ministre des finances vous propose une augmentation de recette de 200,000 fr. Pour obtenir cette augmentation de recette, je consens à porter le rendement à 70 fr. 88 c. et à porter le droit sur la betterave de 34 à 37 fr. Car ce n'est qu'avec le droit de 34 fr. que vous avez opéré votre recette de 1837-1838; la betterave ne doit être frappée du droit de 40 fr. que dans l'exercice courant. En portant le droit à 37 fr., vous aurez donc nécessairement une augmentation de recette de ce chef; vous en aurez aussi une par suite de l'élévation du rendement.

Vous voyez que ces deux combinaisons satisferont complètement aux vues du gouvernement et produiront la recette de 3,200,000 francs qu'il veut obtenir.

La seconde partie de mon amendement est relative à l'article 5. Comme je l'ai dit tout à l'heure, j'accepte le rendement nouveau proposé par M. le ministre, celui de 70 fr. 58.Cependant comme ce chiffre ne répond pas exactement aux 64 francs, je n'ai pas mis ce dernier chiffre pour la catégorie A. Je laisse au ministre à faire cela par fraction, ou bien je me rallie au chiffre de 64 francs qui représente un rendement de 70-31 ; je crois qu'avec l'autorisation que j'accorde de diminuer la ristourne, nous pourrions marcher longtemps d'accord avec le gouvernement.

Ces observations me paraissent suffire pour justifier ma proposition. Je déclare que je voterai contre toute aggravation de la loi actuelle du moment qu'elle dépasserait la proposition que je viens d'avoir l'honneur de développer.

M. Veydt. - Vous avez tous compris, messieurs, qu'il n'était pas possible que des députés, qui ont été envoyés dans cette enceinte par la localité que l'honorable M. Ch. de Brouckere a trouvé bon de mettre spécialement en cause, gardassent le silence, comme s'ils étaient d'accord avec lui qu'il ne s'agit que d'un intérêt privé, d'un intérêt circonscrit entre un très petit nombre d'Anversois. Si la question avait de si mesquines proportions, je l'abandonnerais, quoique député d'Anvers.

Non, messieurs, la législation belge sur les sucres n'a pas été faite dans un intérêt privé. Si elle n'avait qu'un pareil but, il y a longtemps qu'elle n'existerait plus.

Au point de vue de notre marine marchande, le mouvement commercial que la loi de 1846 a procuré à la Belgique, est pour elle une condition d'être ou de ne pas être. Elle est condamnée à languir, et je dirai avec vérité encore, condamnée à périr, si vous ne lui laissez que le transport du sucre exotique que peut consommer le pays.

Au point de vue du commerce et de l'industrie, n'est-ce qu'une affaire de localité que ces transactions qui se sont élevées, en 1847, à cinquante millions de francs, et qui, en même temps, ont procuré une recette directe au trésor de trois millions de francs?

C'est grâce à la législation de 1846 que ce résultat a été obtenu, malgré tout ce qui a été dit, ce résultat subsiste et nous devons en tenir compte. Si, pour d'autres branches importantes du commerce ou de l'industrie, il s'agissait d'acquérir un résultat semblable, le pays consentirait à des sacrifices. Nous en avons eu des exemples, toutes les fois que des moments de crise sont survenus et ont fait chômer le travail. Alors pour le ranimer, on ne s'est pas arrêté à des principes rigoureux d'économie politique. On a considéré les intérêts en péril et on leur est venu en aide. Pour les nombreux intérêts qui se lient à la législation sur les sucres, il y a un double motif d'en tenir compte. C'est qu'ils se sont développés, depuis plus de 25 ans, sous une législation ayant toujours le même principe pour base : une certaine restitution, une prime, si vous le voulez, pour l'exportation des sucres raffinés.

Oh ! si nous avions table rase, je ne serais peut-être pas éloigné de prendre en considération la proposition radicale de l'honorable député de Bruxelles auquel je réponds; car, moi aussi j'ai des tendances libérales en matière de commerce.

Si j'avais à m'en expliquer, je dirais que l'interdiction de toute protection, la liberté parfaite du commerce est, à mon avis, une perspective idéale que l'on ne peut pas se flatter de voir se réaliser; mais qu'il faut l'avoir toujours en vue, afin de travailler à en approcher autant qu'il est possible de le faire. Je pense qu'il faut l'envisager comme la grande règle générale, et que lorsqu'on se propose de s'en écarter, ceux qui le font sont tenus d'exposer les motifs qui doivent justifier une pareille exception.

Telle est la conduite que nous avons tenue. Vous apprécierez, messieurs, si les motifs de l'exception sont, en effet, aussi graves, aussi prépondérantes, que toutes les législatures qui vous ont précédé l'ont cru, et que nous persistons à le croire.

L'honorable M. Ch. de Brouckere s'est efforcé de rendre son raisonnement plus saillant, en personnifiant les intérêts engagés par A et B. Certes, s’il n’y avait que deux intérêts, l’un exploitant, l’autre exploité, son raisonnement pourrait être juste ; mais l’intérêt de A devient aussi l’intérêt de B, du moment que le premier, par l'exercice de son commerce, facilite et développe le commerce ou l'industrie du second. Je ne comprends pas cette démarcation tranchée du producteur et du consommateur ; celui-ci, à son tour, a sa part de production dans un mouvement commercial qui s'étend à plus de 50 millions.

L'amendement de l'honorable député de Bruxelles aurait des conséquences immenses; il bouleverse d'abord de fond en comble la législation du pays ; il ne laisse le temps à aucun intérêt de se reconnaître ni de se mettre à couvert. Tout sera sacrifié, sans calculer l'étendue des ruines.

Je me rappelle une circonstance solennelle, où cet honorable membre a fait preuve de plus de modération.

(page 1314) Lorsqu'il présida, en 1848, le congrès du libre-échange, un membre proposa une résolution portant que le congrès, quoique convaincu que la liberté commerciale est fondée en raison et en principe, émet l'avis que, dans l'état actuel des esprits; elle ne peut être établie que graduellement.

Cette proposition fut appuyée par des hommes bien convaincus de l'excellence de la liberté commerciale. MM. Dunoyer et Wolowski, entre autres, se prononcèrent en faveur de l'application progressive du principe.

Le premier déclare que, quant à lui, il ne consentirait pas à établir brusquement un nouveau système. Le second, qu'il voulait une application par voie de tarifs décroissants, un abaissement graduel afin que les industries engagées ne fussent pas victimes d'un trop brusque changement.

Des membres se prononcèrent cependant en faveur d'une application immédiate. Le président (notre honorable collègue) jugea que la question était grave, qu'elle méritait d'être discutée sous toutes ses faces, et il proposa l'ajournement jusqu'au prochain congrès. C'était donner le temps de réfléchir. Cette proposition d'ajournement fut adoptée.

Il est juste, il est nécessaire d'en agir de même à l'égard de l'amendement de l'honorable député de Bruxelles. Si la chambre est appelée à se prononcer sur cet amendement, je demanderai qu'il soit renvoyé aux sections; aucune d'elles n'a eu à délibérer sur aucune question ayant une pareille portée ; dans tous les documents qui nous ont été remis, au nom de la section centrale, rien n'y fait allusion. C'est un système nouveau; il ne peut prévaloir qu'après un mûr examen.

Je me bornerai, messieurs, à ces observations générales. Le moment n'est plus opportun pour entrer dans des calculs et de chiffres. J'ai vérifié encore ce matin ceux de M. le ministre des finances et ceux de l'honorable M. Cools, et j'ai reconnu que les premiers sont des plus exacts ; je ne puis en dire autant des chiffres de l'honorable M. Cools qui se fonde sur une hypothèse contredite par les faits, quand il porte la production du sucre de betterave à 4 millions de kil. pour 1843-1846. Mes honorables collègues qui voudront faire une semblable vérification arriveront aussi à constater cette erreur.

M. Loos. - Messieurs, je conviens que l'honorable représentant de Bruxelles défend ses opinions avec beaucoup d'esprit, et je n'ai pas la prétention d'établir sous ce rapport une lutte avec lui. Il a cité fort spirituellement une anecdote incroyable; et si son but n'avait été que d'exciter l'hilarité de l'assemblée, j'aurais ri comme tout le monde; mais son but a été d'accuser toute une population d'un sentiment d'égoïsme que cette population n'éprouve pas.

M. Ch. de Brouckere. - Je n'ai rien dit de semblable.

M. Loos. - Il est possible que je confonde ce que l'honorable membre m'a dit hier dans une conversation particulière avec ce qu'il vient de dire dans son discours; mais son but a été tout au moins de démontrer que la population anversoise est ignorante de tous les intérêts du pays, qu'elle ne connaît que l'intérêt d'Anvers. En bien, messieurs, le sentiment que me fait éprouver une semblable allégation ne me permet pas de m'associer à l'hilarité de la chambre, car je trouve qu'il y a quelque chose d'odieux à accuser ainsi toute une population de sentiments dont l'honorable membre sait fort bien qu'elle n'est pas animée.

Pour le prouver, il me suffirait de citer un seul fait : Quelle est la population du pays qui, la première, s'est émue de la misère des Flandres? Quelle est la ville qui, la première, a ouvert une souscription, qui fort heureusement a été imitée dans les autres parties du pays, pour venir au secours de nos frères des Flandres? Ce n'est pas la population de Bruxelles, mais je puis le dire avec un légitime orgueil, c'est la ville dont j'ai l'honneur d'être le représentant. Eh bien, c'est cette ville qu'on veut représenter comme égoïste! Je le répète, il y a là quelque chose d'odieux.

L'honorable membre a encore avec beaucoup d'esprit individualisé les intérêts du pays dans les lettres A et B et il a représenté A comme profitant exclusivement de ce que pourrait gagner B, qui devait inévitablement se ruiner à cette opération. Cela est sans doute fort joli et cela venait admirablement à l'appui du système de l'honorable membre; mais je me souviens d'une autre époque où c'était B qui venait dans cette enceinte nous dire qu'il était ruiné si on ne lui réduisait pas le prix du transport sur certain canal au taux le plus bas possible. Vous voyez donc bien, messieurs, que tout n'est pas profit exclusivement pour A et que B a quelquefois besoin du secours de A.

J'avais demandé la parole quand j'ai entendu l'honorable membre dire qu'en définitive l'industrie du sucre à Anvers n'occupait pas 200 ouvriers. Je ne sais combien d'ouvriers sont employés au canal dont je parlais tout à l'heure; mais ce dont je suis bien certain, c'est que l'industrie des sucres occupe à Anvers au moins dix fois autant d'ouvriers que le canal dont l'honorable membre est venu plaider si chaudement la cause dans cette enceinte. Je ne connais pas le nombre des ouvriers que l’industrie du sucre emploie à Gand, mais je puis dire qu'à Anvers ce nombre dépasse les 2,000.

M. Delehaye. - Il en est de même à Gand.

M. Loos. - Si vous ne voulez compter que les ouvriers qui ne font que manipuler le sucre, c'est-à-dire ceux qui transforment le sucre brut en sucre raffiné, il est fort possible qu'il n'y en ait pas deux mille ; je ne sais s'il y en a plus de 800; je ferai de larges concessions là-dessus ; mais ce que je sais, c'est qu'indépendamment des ouvriers qui manipulent le sucre, il y a une quantité d'autres ouvriers employés exclusivement par les raffineries, et tous ensemble dépassent bien certainement le nombre de 2,000.

Il est une autre circonstance que la chambre ignore peut-être, qu'elle a pu oublier, mais qui s'est révélée en 1846 dans cette enceinte.

A cette époque, ce n'est pas seulement la population d'Anvers qui, au nom de ses ouvriers, est venue demander une loi meilleure; c'était la population de Boom, de Niel, de Rupelmonde, et elle déclarait dans une pétition, adressée à la chambre, que le commerce des sucres entretenait dans ces diverses localités au moins 4,000 ouvriers briquetiers.

Eh bien, je dis qu'une industrie qui occupe un nombre aussi considérable de bras mérite d'être traitée sérieusement dans cette enceinte. J'ajoute qu'une population qui, dans les tristes circonstances où s'est trouvé le pays, a montré tant de sympathie pour les provinces malheureuses, ne mérite non plus pas d'être traitée d'égoïste et d'exclusive, comme l'a fait l'honorable membre.

J'ai entendu dire encore par l'honorable membre que si on ne perfectionnait pas les usines, c'est qu'on gagnait trop d'argent dans la position où l'on se trouvait et que dès lors on ne sentait pas la nécessité de tels perfectionnements.

L'honorable membre a dit : « La loi de 1846 est venue améliorer le sort des raffineries de sucre ; a-t-on vu beaucoup de perfectionnements? »

J'ai dit, dans une autre séance, que quand la loi de 1846 a paru quelques industriels qui ont eu foi dans la stabilité de la loi nouvelle, ont fait d'énormes sacrifices pour améliorer leurs usines ; mais le plus grand nombre n'ont pas eu confiance, et d'après moi ils ont eu parfaitement raison ; la preuve, c'est que nous sommes occupés à bouleverser la législation, et ceux-là n'ont rien changé à leurs usines.

L'honorable M. Cools nous a dit hier les changements que depuis 1830 la législation des sucres a subis dans notre pays. Je le demande, peut-on, avec des bouleversements continuels, espérer de voir les industriels dépenser des sommes considérables pour changer leurs usines? Peut-on espérer de trouver quelqu'un qui soit assez imprudent pour engager dans une fabrication quelconque de grands capitaux, alors qu'il est constamment menacé, et qu'avant un an peut-être tous les sacrifices qu'il aura faits seront complètement perdus?

Mais, a dit l'honorable M. Cools, vous avez tort de citer l'exemple de la Hollande pour la stabilité, là aussi des changements successifs ont eu lieu.

Il y a eu des changements, c'est vrai ; mais l'honorable membre aurait dû dire aussi ce qui avait provoqué ces changements. En Hollande, ce n'était pas le fisc qui s'attaquait à l'industrie ; c'était l'industrie elle-même qui demandait au gouvernement d'apporter des changements à la loi ; elle disait :

« Sous la sauvegarde des lois qui nous régissent, nous nous sommes perfectionnés, au point que la législation, qui était bonne en 1822, nous gêne en ce moment ; nous venons vous demander d'élever le rendement. »

Voilà dans quelles conditions les chambres des Pays Bas ont accepté des modifications à la législation des sucres. En Hollande, ce n'était pas le gouvernement qui prétendait élever le rendement, rendre plus difficile la condition d'existence de l'industrie du sucre, comme on l'a fait dans ce pays-ci. C'était, au contraire, le gouvernement qui s'était posé le défenseur des industries qui ne s'étaient pas suffisamment perfectionnées, afin, de ne pas élever le rendement autant que le désiraient les industries plus, perfectionnées. C'est encore ce qui arrive en ce moment.

L'honorable M. de Brouwer de Hogendorp nous a parlé d'une brochure qui a été publiée en Hollande ; il a dit qu'un industriel y demandait l'abolition des primes si on ne voulait de nouveau augmenter le rendement. Vous comprenez, messieurs, que pour en agir ainsi, cet industriel doit avoir eu un intérêt quelconque. Quel est cet intérêt? C'est que justement l'établissement dont l'honorable M. de Brouwer a parlé est peut-être l'établissement le plus grand, le plus perfectionné, non pas seulement du continent mais du monde entier, c'est-à-dire que s'il n'existait plus de primes nt en Belgique, ni en Hollande, cet établissement pourrait parfaitement soutenir la concurrence sur les marchés étrangers avec les établissements les plus perfectionnés de l'Angleterre.

Vous voyez donc, messieurs, que quand on vous donne l'explication des choses, elles n'ont plus la signification qu'on voulait leur donner. C'est ainsi qu'on vous soumet une foule de chiffres, au moyen desquels, et sans explication aucune, on cherche à vous prouver telle ou telle chose. J'ai entendu hier l'honorable M. de Brouwer, fortement appuyé aujourd'hui par l'honorable M. Ch. de Brouckere, dire qu'en Angleterre on était bien persuadé que l'industrie des sucres, telle qu'elle s'exerce dans ce pays et en Hollande, ne procurait pas à ces pays un avantage tel qu'ils dussent craindre la concurrence; j'ai entendu l'honorable membre dire que, dans l'opinion du chancelier de l'échiquier, la Hollande ne persévérerait pas longtemps à suivre ce système dont l'Angleterre avait déjà reconnu les vices et qui commençait à être apprécié de même en Hollande.

Mais, messieurs, dans quelle circonstance le chancelier de l'échiquier a-t-il tenu ce langage? C'était quand les industriels venaient se plaindre auprès de ce ministre de la mesure nouvelle qui avait été prise à l'égard de l'industrie des sucres, venaient prétendre qu'ils ne pouvaient plus lutter contre les industriels hollandais. J'aurais voulu que l'honorable M. de Brouwer nous eût dit sur quels marchés libres les Anglais soutiennent la concurrence avec les Hollandais.

Je dis, moi, que sur tous les marchés libres où les Hollandais ont paru, (page 1315) ils en ont chassé les Anglais ; et je crois que si les Anglais se sont plaints auprès du chancelier de l'échiquier, ils avaient raison do se plaindre.

Mais quand on est entré dans un système et qu'on se montre aussi exclusif que l'honorable M. Ch. de Brouckere, qu'on soit le chancelier de l’échiquier ou représentant de Bruxelles, cela est indifférent, on marche en avant dans ce système, on ne considère pas la ruine qu'on élève autour de soi, on se montre opiniâtre sauf à dire plus tard qu'on s'est trompé.

Il me paraît que le système de l'honorable membre tend un peu à ceci : un propriétaire qui a une maison présentant beaucoup d'incommodités, des vices nombreux, et qui, pour les faire disparaître, ne trouve pas d'autre moyen que de raser la maison sauf à se loger en plein air en attendant qu'elle soit rebâtie.

On démontre bien quelques côtés vicieux de notre édifice commercial, mais on méconnaît ce qu'il a de confortable, et au lieu de corriger ce qu'il peut avoir de vicieux, on tend à le bouleverser de fond en comble.

M. Ch. de Brouckere. - Je suis étonné du langage que vient de tenir l'honorable député d'Anvers. Il n'y a eu dans mes paroles, j'en appelle à la chambre tout entière, rien de blessant, rien de personnel. Il vous a dit à dessein : Je confonds peut-être avec une conversation que j'ai eue hier. Oui, hier, en sortant de la chambre, j'ai dit en riant à mon honorable collègue : Vous êtes un peu égoïste! Si les plaisanteries dites au sortir de l'assemblée doivent être traduites en séance publique comme chose sérieuse, à l'avenir je m'abstiendrai. J'ai dit qu'à Anvers, et de très bonne foi, on se faisait illusion, au point de vue industriel, sur l'importance de la fabrication du sucre. Voilà ce que j'ai dit et ce que je maintiens.

On est venu vous rappeler une discussion antérieure et dire que j'avais demandé, dans un intérêt bruxellois, l'abaissement de certains droits; mais le député d'Anvers qui rapporte ici des conversations particulières, m'a poussé trois ou quatre fois à insister sur ma proposition parce qu'il trouvait très avantageux pour Anvers qu'on abaissât les péages sur le canal de Charleroy.

Je ne dis pas qu'il m'ait parlé d'Anvers, mais il m'a dit, en général, que c'était une bonne chose, il m'a engagé à persister. Ce n'était pas l'intérêt de Bruxelles, mais l'intérêt du trésor que je défendais. Le gouvernement et la chambre entière n'auraient pas admis ma proposition, s'ils n'avaient pas vu qu'il était préférable de rendre productive une voie navigable qui ne coûte rien plutôt qu'une voie ferrée dont les 7/8ème des produits s'en vont en faux frais.

M. Loos. - J'ai beaucoup d'intérêt à rétablir un point de la discussion. D'après l'honorable député de Bruxelles, il semblerait que j'ai fait usage d'une conversation particulière, et que j'en ai fait la base de ma réfutation. Ce n'était pas là mon intention. L'honorable membre a répété une anecdote qu'il m'avait dite hier et que je ne croyais pas assez sérieuse pour être reproduite ici.

M. de Brouckere. - Je vous avais averti que je la citerais.

M. Cools. - J'avais cru que c'était une plaisanterie ; comme il m'avait dit en plaisantant que nous étions des égoïstes, je croyais avoir entendu le même mot ici, mais dans mon incertitude j'ai dit naïvement que je ne savais pas si ce n'était pas dans une conversation que le mot avait été prononcé. Mais je vous le demande, quel était le but de l'anecdote? La conclusion naturelle n'était-elle pas qu'on ne connaissait à Anvers que les intérêts anversois? On leur demande s'il y a quelque chose à exporter ; ignorant de tous les intérêts du pays, on répond : Il n'y a que du sucre. Je le demande à la chambre, le but n'a-t-il pas été de présenter les Anversois comme des égoïstes, ne connaissant d'autres intérêts que ceux de leur localité?

Quant à l'affaire du canal de Charleroy, je ne me souviens pas de ce que je puis avoir dit à l'honorable membre; je sais seulement que j'ai voté pour la proposition qu'il a défendue. J'ai considéré que c'était un grand intérêt pour la localité qu'il représente, que' d'autres localités et à mon avis le pays tout entier devront en profiter; toutes les fois qu'une proposition sera faite présentant ces caractères je m'empresserai de la voter.

- Plusieurs voix. - La clôture! la clôture!

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je ne m'oppose pas à la clôture de la discussion générale; mais il y a des amendements qui n'ont pas été développés et l'on ne peut pas dire qu'on le fera à l'occasion des articles, car plusieurs amendements constituent des systèmes nouveaux, et ne se rattachent à aucun article des projets en discussion.

M. Delehaye. - J'insiste sur la proposition de M. le ministre, d'entendre, avant la clôture, les développements des propositions; je désirerais entendre les développements de celle de M. Delfosse ; toutes les propositions déposées ont un côté sérieux à envisager ; ainsi, quant à la proposition de l'honorable M. de Brouckere, je demanderai à son auteur, si elle est adoptée, ce qu'il fera des sucres déclarés en consommation. La discussion n'a porté que sur l'ensemble des propositions, la chambre devra maintenant entrer dans l'examen des propositions qui lui sont soumises; il faut savoir quelle sera la portée de chacune d'elles. L'honorable M. Lesoinne a signalé les inconvénients du système actuel; mais ces inconvénients frappent à mort la proposition qu'il a faite, ce que je me charge à démontrer.

Je propose de clore la discussion générale, mais avec la réserve d'ouvrir une discussion sur chacun des systèmes.

M. le président. - Plusieurs grands systèmes sont présentés; à chacun se rattachent des amendements. La discussion générale serait close, mais on reviendrait à chacun des systèmes qui seraient considérés comme des détails.

M. Orts. - Si la clôture était prononcée dans le sens qu'y attache notre honorable président, je ne verrais pas à quoi elle servirait. Il est évident, en effet, que si vous concédez à chacun le droit de s'expliquer sur les divers systèmes dans la discussion des détails, cette discussion deviendra une discussion générale. En prononçant la clôture et en y faisant de telles restrictions, nous ne ferions qu'un non-sens.

M. le président. - Je n'ai rien proposé; je ne puis rien proposer; je n'ai fait que résumée la proposition de M. Delehaye.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je me suis borné à demander tout à l'heure que les propositions qu'on a déposées fussent développées, abstraction faite des diverses questions qui ont été traitées jusqu'à présent. On a qualifié d'amendements tous les systèmes proposés. Mais ces amendements constituent des systèmes complets, à chacun desquels se rattachent même des amendements.

Ainsi, il y a le système de M. Mercier, amendé par M. de Mérode.

Il y a le système de M. de Brouckere, amendé par M. Lesoinne.

Enfin, il y a le système du gouvernement, amendé per MM. Manilius, Delfosse et Anspach.

Quand pourra-t-on développer ces amendements, si on ne les développe pas maintenant? Ce ne sera pas là de la discussion générale; elle sera close. Il y aura lieu, non pas à examiner ce qui déjà a été discuté, mais à entendre les raisons données à l'appui de chaque nouveau système.

M. Orts. - Au point où en est venue la discussion, je crois que la chambre doit lui faire faire un grand pas. Après la clôture de la discussion générale, que je désire de tout mon cœur, il ne reste plus, ce me semble, qu'à voter sur les systèmes par questions de principe, et à mettre en discussion les amendements se rattachant au système qui aura prévalu.

M. Cools, rapporteur. - J'étais convaincu depuis longtemps que viendrait un moment où cette marche devrait être suivie.

Il est certain que tous les systèmes qui ont été présentés se rattachent à deux grandes idées. Le principe de la prime et l'importance du produit. Ce sont là les deux points importants. Faisons donc deux parts des amendements proposés, car ils se subdivisent dans cet ordre.

Je suppose, pour un moment, qu'on prononce la clôture de la discussion générale et qu'immédiatement après on arrive à la première question : « Demandera-t-on au sucre tout ce qu'il peut produire, sans....?» (Interruption.)

M. le président. - Je rappellerai à l'honorable orateur qu'il a la parole, non sur la position de la question, mais sur la demande de clôture.

M. Cools. - J'avais pensé, M. le président, qu'il convenait de traiter maintenant cette question. Si on ne le fait pas, cette discussion se présentera aussitôt que la clôture aura été prononcée. Il n'y aura donc aucune avance.

M. Delehaye. - J'admets la question posée comme elle l'est par l'honorable M. Orts et par M. le ministre des finances. Mars je ne puis l'admettre comme elle est posée par l'honorable M. Cools.

La question est de savoir si la chambre persiste dans le système qu'elle a suivi jusqu'à présent, et que je considère comme bon. Après qu'on aura résolu cette question, on examinera les diverses modifications dont est susceptible le système qui aura prévalu.

M. Delfosse. - En règle générale, lorsque des amendements sont déposés dans la discussion générale, on obtient la parole pour les développer ; et s'ils sont appuyés, le président déclare qu'ils sont compris dans la discussion.

On doit suivre cette marche, par une raison très simple : c'est que la discussion générale est bien plus complète, bien plus utile, lorsqu'elle porte à la fois sur la proposition principale et sur les amendements déposés.

Pourquoi n'a-t-on pas suivi cette marche? C'est parce que l'honorable M. Manilius a présenté son amendement à la fin de la séance de samedi. Il était trop tard pour que la chambre pût en entendre les développements. On en a ordonné l'impression, sans donner la parole à M. Manilius pour le développer, sans demander s'il était appuyé.

J'aurais pu ne pas présenter mes amendements avant la clôture de la discussion générale, j'aurais pu attendre la discussion des articles ; mes amendements se rattachent aux articles 1, 5 et 6. J'ai préféré les déposer avant la clôture de la discussion générale, afin que chacun pût en prendre connaissance et se préparer à la discussion. Si je n'ai pas réclamé le droit que j'avais de les développer immédiatement, c'est que j'ai cru que ces développements trouveraient mieux leur place dans la discussion des articles ou des questions de principes auxquelles les amendements se rattachent.

Je ne m'oppose donc pas à la clôture de la discussion et j'adhère à la proposition de l'honorable M. Orts.

- La chambre consultée prononce la clôture de la discussion générale.

Discussion des questions de principe

M. le président. - Je crois, dans l'intérêt des travaux de la chambre, devoir résumer en quelques mots les diverses propositions.

Il y a la proposition de la section centrale à laquelle, je pense, s'est rallié l'honorable M. Cools.

M. Cools. - Oui, M. le président.

M. le président. - Il y a la proposition de M. Mercier, il y a celle du gouvernement, il y a celle de M. Sinave, il y a celle de M. Ch. de Brouckere. A chacune de ces propositions principales se rattachent des amendements.

Si j'ai bien compris ces propositions, dans celle de M. Mercier, dans celle de M. Sinave et dans celle de M. Ch. de Brouckere se trouverait la suppression des primes d'exportation du sucre raffiné. Eh bien! si la Chambre décidait d'abord cette question : Les primes d'exportation du (page 1316) sucre raffiné sont-elles supprimées? Ce serait un grand pas de fait. Si la chambre décide cette question négativement, il ne sera plus question ni de la proposition de M. Mercier, ni de celle de M. Sinave, ni de celle de M. Ch. de Brouckere.

Je proposerai donc à la chambre de discuter d'abord cette question.

M. Delehaye. - Messieurs, j'admets en partie la proposition telle que vient de la formuler M. le président. Mais comme il est un point sur lequel nous ne sommes pas entièrement d'accord, je demanderai que la question soit posée en d'autres termes. M. le président pose la question avec le terme de primes, je demande que l'on dise : Le système de la ristourne, tel qu'il existe à présent, est-il maintenu? C'est du reste la même question formulée autrement.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Messieurs, ne vous semble-t-il pas qu'il serait plus simple, les systèmes étant maintenant parfaitement connus, de voter sur ces systèmes mêmes, en commençant par le plus radical de tous? Ainsi, on voterait d'abord sur le projet de l'honorable M. Ch. de Brouckere.

M. Manilius. - Non ; sur celui de M. Sinave.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Le système de l'honorable M. Ch.de Brouckere est plus radical et plus libéral que celui de l'honorable M. Sinave, puisque l'honorable M. Sinave veut un impôt plus élevé.

Il me paraît donc qu'on pourrait très bien voter sur le système de l'honorable M. Charles de Brouckere. S'il était écarté, il y aurait lieu d'examiner celui de l'honorable M. Sinave, puis celui de l'honorable M. Mercier. De cette manière tout le monde conserve sa liberté et chacun sait les conséquences du vote qu'il émet.

M. Mercier. - Messieurs, la proposition que vient de faire M. le ministre des finances est propre à jeter la confusion dans les débats.

Il y a deux systèmes en présence : celui qui autorise la prime et celui qui supprime la prime. Comme M. le président l'avait parfaitement bien établi, la proposition de l'honorable M. de Brouckere, celle de M. Sinave et la mienne ont un principe commun. Elles ne sont pas identiques dans toutes leurs dispositions, mais elles ont un principe commun, principe essentiel dans l'espèce : c'est la suppression des primes. Eh bien ! c'est sur cette suppression que la chambre doit d'abord se prononcer. Si elle n'est pas adoptée, mon système tombe à l'instant même, il n'y a plus que l'ancien système avec ses modifications diverses.

Quant à l'expression, je n'y tiens pas excessivement. Que l'on dise : Y a-t-il lieu de maintenir le système de drawback, ou le système de ristourne ou le système de primes tel qu'il est établi par la loi de 1846, peu importe. Ne disputons pas sur les mots; mais soyons d'accord que c'est cette question de principe qu'il faut d'abord mettre aux voix.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - L'honorable M. Mercier vient de dire que le mode de voter indiqué par moi n'était propre qu'à jeter la confusion dans le débat. L'honorable M. de Brouckere prétend que l'on pourrait arriver par là à donner la majorité, par voie d'exclusion, au système qui sera le dernier mis aux voix.

Il me paraît évident, quant à moi, qu'aucune confusion n'est possible dans le débat ni dans le vote, alors qu'il s'agit de voter sur un système formulé, précis, qui est connu, qui sera discuté.

M. Mercier. - Il est complexe.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - S'il est complexe, vous en demanderez la division.

Si l'on admet le système indiqué par les honorables membres, sous prétexte d'une question de principe, on vote de manière à induire en erreur. Lorsqu'on dit : La prime sera-t-elle supprimée, on induit le public en erreur; et l'honorable M. Mercier le reconnaît lui-même en déclarant qu'il consent à changer les termes de la question. C'est qu'en effet il s'agit d'un genre de prime d'une espèce particulière.

C'est une prime que vous ne pouvez pas déterminer ; ce n'est pas une prime payée par le trésor. C'est un droit analogue à tous les droits protecteurs, qui représentent une prime payée par le consommateur. Voilà la confusion qu'on peut jeter dans le débat et dont nous devons nous garder.

Il n'y a pas de tactique de ma part à demander qu'on vote sur chacune des propositions. Je le demande pour que les choses soient loyalement entendues. Que l'on adopte un mode ou l'autre, que l'on vote sur un principe pourvu qu'il rende clairement la pensée que la chambre doit exprimer, que l'on commence par l'une ou l'autre proposition, peu m'importe, mais que personne ni le public ne soit du moins trompé sur la signification de la résolution de la chambre.

M. Loos. - J'ai demandé la parole pour appuyer le mode proposé par M. le ministre des finances ; c'est d'ailleurs celui qui a toujours été usité dans cette chambre. Toutes les fois qu'il s'agit d'aller aux voix, c'est sur les amendements que l'on vote d'abord. Lorsqu'il s'est agi de lois financières, je ne sache pas qu'on ait jamais formule le vote par principes.

Comme l'honorable M. Mercier le disait fort bien tout à l'heure, nous n'allons pas voter ou discuter sur des mots, mais sur des principes, sur des systèmes. Dès lors peut-on poser ainsi la question : Accordera-t-on ou n'accordera-t-on plus de primes? Plusieurs d'entre nous pourraient soutenir que dans certain système il y a prime ; d'autres, qu'il n'y a pas prime. Ce sont là des questions que celui qui vote serait obligé d'examiner dans son for intérieur.

Je dis donc qu'il faut voter sur les systèmes tels qu'ils ont été présentés, tels qu'ils ont été définis. Ainsi il y a le système de l'honorable M. Mercier; j'espère qu'il l'a suffisamment développé dans cette enceinte.

Il y a le système de l'honorable M. Cools ; la chambre a suffisamment entendu développer ce système par l'honorable membre, et je crois que' c'est en toute connaissance de cause qu'on peut voter. Mais si vous voulez formuler ce système en principe absolu, si vous voulez dire : Nous déciderons d'abord s'il y a prime ou s'il n'y a pas prime, je dis qu'il y a confusion dans le vote. Il faut, pour agir comme nous l'avons fait précédemment, voter sur les amendements qui ont été présentés et tels qu'ils ont été formulés.

Pour moi, messieurs, si j'avais à voter sur le système de l'honorable M. Delfosse, et si la question était posée en ces termes : Y aura-t-il une prime ? je vous avoue que je serais fort embarrassé; car je dis qu'il n'y a pas de prime dans le système de l'honorable membre, quoique lui-même puisse croire le contraire.

Vous voyez bien que cette manière de procéder doit nécessairement amener de la confusion dans les idées.

M. Jullien. - J'ai demandé la parole, messieurs, pour faire observer que tous les systèmes produits dans la discussion se rattachent à trois grands principes. Premier principe : Y a-t-il lieu à maintenir les primes d'exportation? Deuxième principe : Quelle sera la quotité du droit d'accise? Troisième principe : Ce droit d'accise sera-t-il uniforme pour le sucre de betteraves et pour le sucre de canne et, en cas de négative, quelle sera la différence entre l'accise sur les deux sucres?

Il est de toute nécessité, messieurs, que nous procédions par votes sur des questions de principe, afin de dégager par chaque vote, de la discussion tous les systèmes qui ne seraient pas admissibles et les amendements qui s'y rattachent, comme aussi afin d'amener un vote entièrement libre de la part de la chambre. Que si nous ne procédions pas ainsi, mais il arriverait ce qui a eu lieu au sein de la section centrale, l'opinion qui sera en minorité pourrait se trouver forcément admise par la majorité. Eh bien, messieurs, une marche semblable ne peut pas être suivie. Il faut donc, comme j'ai eu l'honneur de le dire, procéder par questions de principe et sous ce rapport l'observation de l'honorable président est parfaitement fondée.

M. le président. - La parole est à M. Sinave.

M. Sinave. - Après les observations que vient de présenter M. Jullien, je n'ai plus rien à dire. La première question à mettre aux voix c'est celle de savoir si on maintiendra la prime déguisée qui existe aujourd'hui.

M. Christiaens. — Je viens appuyer le mode proposé par M. le ministre des finances. (Interruption.) Quand il s'agira de voter sur la question de savoir s'il y a lieu de supprimer la prime, il faudra bien que l'on sache si on vote pour le système de M. de Brouckere, ou pour celui de M. Mercier, ou pour celui de M. Sinave. (Nouvelle interruption.) Je veux bien voter la suppression de la prime dans le système de l'honorable M. Mercier, mais non pas dans celui de l'honorable M. de Brouckere ni dans celui de l'honorable M. Sinave.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Messieurs, on pourra peut-être tout concilier en posant la première question en ces termes : « L'exportation pourra-t-elle continuer d'avoir lieu avec décharge de l'accise. »

M. Rousselle. - C'est la proposition que je voulais faire.

M. de Mérode. - Il me semble, messieurs, que la formule présentée par M. le président est encore la plus claire.

M. Dumortier. - Je ne puis pas, messieurs, me rallier à la formule présentée par M. le ministre des finances. Il n'est personne qui ne veuille accorder à un produit exporté le remboursement des droits qu'il a payés. La question proposée par M. le ministre des finances devient pour moi, sans doute bien contre son intention, devient pour moi excessivement captieuse; pourquoi? Parce que nous ne nous expliquons pas ce que c'est que l'accise qu'il s'agirait de restituer: les uns disent: Le sucre brut rend telle quantité de sucre raffiné ; les autres disent : Le sucre brut rend telle autre quantité de sucre raffiné.

Ainsi, en votant sur la question posée par M. le ministre des finances, vous n'aurez rien résolu, et pour mon compte, je ne vois qu'un seul mode de voter possible, c'est celui qui a été indiqué par M. le président. Par ce mode-là vous avez l'immense avantage de mettre hors de cause tout ce qui se rattache au système que vous aurez repoussé, seul moyen d'avancer dans une pareille délibération.

Cependant, messieurs, je demanderai à sous-amender en quelque sorte la proposition de M. le président. Je demanderai qu'il soit entendu que lorsque la chambre se sera prononcée en faveur de l'un ou de l'autre des systèmes qui se trouvent en présence, nous puissions présenter les amendements que nous croirons nécessaires par suite du vote de la chambre. Cela est indispensable.

M. Mercier. - L'observation que l'honorable M. Dumortier a faite en commençant était parfaitement juste; il pourrait y avoir malentendu si nous votions sur la question telle qu'elle a été posée par M. le ministre des finances, car nous ne proposons pas de supprimer la décharge de l'accise, puisque nous accordons la décharge au sucre raffiné en entrepôt. (Interruption.) D'ailleurs, on pourrait tout concilier en ajoutant à la question posée par M. le ministre des finances ces mots : » Dans le sens de la loi de 1846, » de cette manière, il n'y aurait plus d'équivoque possible.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je ne vois aucune difficulté à faire cette addition.

(page 1317) M. le président. - Ainsi la première question serait celle-ci :

« L'exportation pourra-t-elle continuer à avoir lieu avec décharge de l'accise, dans le sens de la loi de 1846 ? »

Je vais consulter la chambre sur le point de savoir si elle entend procéder à la discussion et ensuite au vote sur la question telle que je viens de la poser.

- La chambre décide que la discussion et le vote porteront d'abord sur la question que M. le président vient de formuler.

M. le président. - Ainsi la chambre décide qu'elle s'occupera d'abord de la question telle qu'elle vient d'être posée.

La discussion est ouverte.

- Des membres. - Aux voix ! aux voix !

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Messieurs, on demande à aller aux voix. Mais la question, telle qu'elle est posée, doit être discutée. (Interruption.)

On me dit qu'on la discute depuis huit jours; on se trompe : on discute depuis huit jours pour savoir quelle est l'importance de la consommation, quelle est l'utilité du principe de la législation actuelle. La question, telle qu'elle est posée, implique la proposition de l'honorable M. Charles de Brouckere ou celle de l'honorable M. Sinave, qui n'en diffère que par la quotité du droit. Nous avons eu l'avantage d'entendre notre spirituel et savant collègue, M. Charles de Brouckere ; mais je ne sache pas qu'on ait entendu les adversaires de sa proposition; je ne sache pas qu'on ait dit quels inconvénients résulteraient de l'adoption de sa proposition.

Je crois donc que la chambre doit entendre ceux qui ont à donner des explications sur ce point.

M. le président. - La clôture n'est pas demandée.

M. Delfosse. - Mais pour qu'une discussion reste ouverte, il ne suffit point qu'on ne demande pas la clôture; il faut que quelqu'un demande la parole. Or, jusqu'à présent personne n'a réclamé la parole.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - J'ai dû m'opposer d'abord à ce que la question fût mise aux voix, comme on le réclamait. Maintenant, je demande la parole.

Messieurs, je dirai en très peu de mots mon opinion sur la proposition de M. Charles de Brouckere.

C'est de toutes les propositions la plus simple, la plus nette, la plus logique, la plus conforme aux saines doctrines. Si nous n'étions pas en présence des faits, je serais le premier à la défendre.

Mais l'adoption de la proposition aurait pour résultat de mettre immédiatement aux prises les deux industries du sucre exotique et du sucre indigène. Ce serait une lutte à mort entre ces deux industries.

M. Orts. - Je demande la parole.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Elles vont chercher à conquérir le marché intérieur; celui-là seul leur restera.

Si la chambre croit qu'elle peut inopinément changer, d'une manière aussi radicale, la législation qui nous régit, elle peut adopter la proposition. Mais le gouvernement pense qu'il y a là un très-grand danger.

Depuis dix ans, on a vu successivement la betterave se développer ; eh bien on la ruine, on la tue si on change tout à coup la législation.

Les fautes sont imputables au passé. Je n'examine pas si on a eu tort ou raison de laisser se développer ainsi cette industrie. Mais enfin c'est un fait accompli. Elle est aujourd'hui dans la condition de la plupart de vos industries, qui se sont développées à l'abri de votre système de douane, de toute votre législation commerciale basée sur le même principe protecteur.

Si la considération des capitaux dirigés dans cette voie ne vous arrête pas, si vous croyez qu'un sacrifice peut être ainsi supporté inopinément, sans aucune espèce de ménagement, je conçois, messieurs, que vous adoptiez la proposition de l'honorable M. C. de Brouckere.

Maintenant cette raison s'applique également à l'industrie du raffinage, en tant que la question de principe, telle qu'elle est posée, s'applique à la proposition de l'honorable M. Mercier. Le changement est trop brusque, trop radical. La suppression complète du système qui a été en vigueur jusqu'à présent aurait les plus graves inconvénients.

Je convie donc la chambre à y bien réfléchir avant de voter sur la question telle qu'elle lui est posée: abolition complète du système de la législation de 1846.

Je rappelle à la chambre que le projet du gouvernement est une modification à cette législation, dans un sens progressif, de manière à en atténuer les inconvénients successivement d'année en année. Le gouvernement ne se dissimule pas le vice de cette législation, puisque lui-même vous a saisis d'une proposition qui a pour but d'en atténuer les effets. Améliorer sans trouble, sans perturbation, sans grands sacrifices, c'est ce qui m'a paru le plus sage et le plus prudent dans les circonstances où nous nous trouvons.

M. Orts. - Messieurs, je ne demande la parole que pour démontrer à la chambre en deux mots que M. le ministre des finances se trompe complètement sur la portée de la solution négative que recevrait la question de principe, telle qu'elle vient d'être posée par le vote de la chambre.

La question est celle-ci : « Dans l'avenir, continuera-t-on à appliquer le système de restitution des droits, introduit par la loi de 1846? »

Eh bien, je suppose que la chambre veuille résoudre négativement cette question, et condamne définitivement le système de 1846 et la restitution de l'accise telle qu'elle est établie dans le système; ce vote aurait-il pour résultat l'adoption de la proposition de l'honorable M. C. de Brouckere et la mort de la betterave? C'est-à-dire le maintien d'un droit uniforme sur le sucre de betterave et sur le sucre exotique? Pas le moins du monde. Après la solution négative de la question, vous aurez à examiner la proposition de l'honorable M. Mercier, qui introduit une accise différentielle pour ces deux sucres. Vous aurez peut-être à examiner les mesures transitoires qui auraient pour but de faire passer la betterave, au bout d'un certain temps, du régime actuel au régime nouveau; vous aurez enfin à examiner la question de l'indemnité à accorder à l'industrie de la betterave, si vous ne voulez pas la conserver.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Messieurs, la chambre voudra bien me permettre de dire quelques mots. Cette discussion qui a duré beaucoup de jours commence seulement à se préciser. Y a-t-il lieu pour la législature de maintenir le système qui, après de longues discussions et par voie de transaction entre les trois grands intérêts engagés, a été établi en 1846? Le gouvernement ne propose pas de maintenir ce système tel qu'il est, bien que pour le juger définitivement, il eût fallu attendre peut-être qu'il eût pu produire tous ses effets.

Le gouvernement, tout en maintenant le principe de la législation de 1846, vient le renforcer au point de vue du trésor en même temps qu'il introduit d'autres modifications qui forceront les industries à faire de nouveaux progrès. Les propositions du gouvernement ont donc un double but : renforcer la législation de 1846 au point de vue des recettes, et forcer les industries que cette législation concerne, à marcher dans la voie du progrès. Tous les autres systèmes plus ou moins radicaux, qu'on oppose à celui de la loi de 1846, auraient pour effet à nos yeux de porter imprudemment, injustement la perturbation dans des intérêts tout aussi respectables et beaucoup plus considérables que tels ou tels autres intérêts qui ont toujours trouvé dans cette enceinte de chauds et nombreux défenseurs.

Messieurs, la législation de 1846 a consacré un principe de protection pour l'industrie du sucre exotique et pour l'industrie du sucre indigène. En cela cette législation est en parfaite harmonie avec la législation générale. Nous vivons sous une législation qui, d'une manière directe ou indirecte, a pour but d'accorder une protection à l'industrie. Les primes que l'on accuse l’industrie du sucre exotique, d'accord avec l'industrie du sucre indigène, de prélever sur la consommation, ces primes sont prélevées par toutes les industries protégées; et pour poser directement la question à M. Ch. de Brouckere, je lui demanderai à combien s'élève la prime payée par le consommateur de houille belge à l'exploitant de houille belge, à combien de millions s'élève la prime payée par le consommateur de fonte et de fer belge au fabricant de fonte et de fer belge? J'attends la réponse de l'honorable député de Bruxelles.

M. Ch. de Brouckere. - Faites la proposition de réduire les droits, je l'appuierai.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Il faut bien le dire; ce régime protecteur sous lequel vivent la plupart de nos industries, c'est le consommateur et le consommateur seul qui en fait les frais.

Il serait souverainement injuste d'attribuer à une seule catégorie de producteurs cette exploitation du consommateur belge. A ce point de vue, il est exploité, on peut le dire, par tous les producteurs. La question est là. En ce qui concerne la protection accordée à la houille et aux fers, non-seulement le consommateur paye de nombreux millions aux exploitants, mais le commerce lui-même, ceux qui vivent du commerce, et cette industrie en vaut bien une autre, sont privés d'un de leurs aliments essentiels.

Accordez aux commerçants, aux armateurs, à ceux qui vivent de l'industrie maritime, accordez-leur la faculté de transporter la houille et la fonte anglaise, vous introduirez dans le commerce un élément considérable qui lui fait entièrement défaut pour accorder aux fers et aux houilles une protection.

Donnez aux ports de mer le transport des houilles et des fers étrangers, ils feront meilleur marché de la prime accordée aux sucres.

- Un membre. - Nous sommes d'accord.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Si nous sommes d'accord, je suis très près d'être d'accord avec vous sur ces questions, il faudrait aborder en grand la révision de nos tarifs.

M. Lesoinne. - Pourquoi ne le faites-vous pas ?

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Nous ne croyons pas que le moment soit venu défaire sur le pays une pareille expérience. Nous l'avons déclaré en entrant au pouvoir. Tout partisans que nous sommes d'un système libéral en matière de douane et de commerce, nous devons tenir compte des intérêts qui se sont développés à l'abri du système protecteur, tels sont les houilles, les fers, les toiles, les draps, les colonnades, le sucre qui seul ne doit pas faire exception dans cette grande famille des industries protégées.

- Un membre. - Et les céréales.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - On me cite les céréales ! Je sais que là est l'objection.

En même temps que nous avons déclaré que nous maintiendrions le régime actuel sans l'aggraver, nous avons dit cependant que, quant aux denrées destinées à l'alimentation du peuple, nous voulions un régime libéral. La chambre tout entière a consacré ce système; d'ailleurs quand nous avons fait cette déclaration, le régime libéral était établi, il avait deux années d'expérience et comme le pays n'en avait pas souffert nous l'avons continué et nous le continuons sans préjudice pour l'agriculture.

(page 1318) Eh bien, messieurs, en ce qui concerne le commerce, cette grande branche de l'activité belge, vous tiendrez compte des conditions qui lui ont été faites. Vous reconnaîtrez qu'il mérite quelque peu la sollicitude des chambres ; le sucre est la matière première essentielle du commerce, ce avec quoi on fait du commerce, vouloir faire du commerce sans sucre, ce serait vouloir faire du drap sans laine, du fer sans fonte, des cotonnades sans coton ; retrancher cet élément de commerce, c'est dire à un homme de marcher après lui avoir coupé les jambes. Cela est évident. Il serait puéril de le démontrer.

Vous voulez pousser le gouvernement dans cette voie, vous voulez une société d'exportation, l'établissement de comptoirs. Vous voulez qu'on favorise par tous les moyens l'exportation de nos produits. Nous le voulons aussi. Mais qui est chargé de ce rôle? A qui est dévolue la mission d'exporter? Au commerce. Mais si, en retour des objets qu'il exporte, il n'a pas une matière à rapporter, un élément essentiel manque, tous avez une opération boiteuse, stérile.

Qu'on veuille bien me dire avec quoi l'on payera les produits exportés vers la Havane, vers la mer Pacifique, si nous n'avons pas les sucres en retour.

M. de Mérode. - C'est recommencer la discussion.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Permettez : je suis dans la question. J'ai poussé la réserve jusqu'à m'interdire de parler pendant huit jours. On me permettra de défendre mon opinion.

M. de Mérode. - La discussion ne va donc pas être close?

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je suis dans la question. N’a-t-il pas été décidé qu'on discuterait le principe?

M. de Mérode. - Alors on pourra répondre ?

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Assurément !

L'honorable M. de Mérode a prononcé cent discours contre les sucres. Qu'il me permette d'en prononcer un. Il en a parlé en tout temps et toujours le sucre et le chemin de fer ont eu le privilège d'exciter sa colère.

Je pense que j'étais écouté avec bienveillance par la chambre. Je n'ai été interrompu que par l'honorable M. de Mérode.

Je tiendrai compte, du reste, de la disposition des esprits après une pareille discussion. Je vais bientôt terminer.

Je crois que de telles questions doivent être envisagées sans passion, avec sang-froid, au seul point de vue de l'intérêt public. Je fais appel aux sentiments de sagesse et de modération de la chambre. Je demande si dans le but très problématique, très incertain de procurer au trésor quelques centaines de mille francs de plus, il serait sage, il serait prudent, de bouleverser une législation qui compte à peine deux ans d'existence, de jeter la perturbation dans une masse d'intérêts industriels qui se sont engagés et développés sur la foi d'une telle législation.

Je rappellerai à la chambre que le gouvernement, en vue de procurer au trésor des ressources plus considérables, n'a pas craint de renforcer le système de 1846, en demandant plus de 3 millions, alors qu'en 1846, les plus exigeants se contentaient de 3 millions. Je demande s'il serait prudent d'aller plus loin et de renverser une législation, qui, par un heureux concours de circonstances, a mis d'accord trois intérêts longtemps divisés : le trésor, le sucre exotique et la betterave.

Voilà ce que nous vous demandons de maintenir, non pas tel que le législateur de 1846 l'avait voulu, mais avec des ressources nouvelles pour le trésor.

Nous vous demandons si pour obtenir le résultat très problématique d’une recette en plus de quelques centaines de mille francs, il convient de jeter le découragement et le désordre dans cette branche si importante du travail et de l'activité nationale.

Vous avez accordé au gouvernement des sommes considérables pour entretenir le travail dans toutes les directions, vous avez applaudi à la concession de primes à l'exportation de plusieurs de nos produits industriels, vous l'avez fait, guidés par les circonstances où nous nous trouvons. Vous avez reconnu l'importance pour le gouvernement, pour les chambres, de maintenir partout l'activité nationale, qui est la meilleure sauvegarde de l'ordre dans le pays.

Prenons-y garde! 200 ouvriers, dit-on, sont employés dans cette industrie. En supposant qu'il n'y eût que 200 ouvriers occupes par cette industrie, serait-ce un motif pour les traiter avec dureté, pour bouleverser leur existence?

Mais ce n'est pas par centaines, c'est par milliers que l'on compte les ouvriers qu'occupent l'industrie et le commerce des sucres.

Il faut que tout le monde puisse travailler en Belgique. Ce n'est pas le moment de tarir aucune source de travail. Comment ! Nous cherchons à introduire des industries nouvelles, à perfectionner les industries anciennes et vous viendrez, de gaieté de cœur, sans autre base à vos calculs qu'une vaine hypothèse, détruire un élément essentiel de l'activité nationale ! Vous n'en ferez rien. Vous maintiendrez ce qui a été fait en 1846. Vous accepterez ce que le gouvernement propose : c'est-à-dire une amélioration de la législation au point de vue du trésor et de l'industrie, qui sera forcée à faire des progrès.

On peut dire que le gouvernement, dans la vue de procurer des ressources nouvelles au trésor, a été peut-être trop loin. Sous ce rapport, ses propositions, quoi qu'on en ait dit, loin d'être acceptées avec faveur par les intérêts que la législation de 1846 concerne, sont considérées comme devant être onéreuses pour ses intérêts dans le principe.

- La discussion est close.

M. le président. - Je relis la question à mettre aux voix : «

L'exportation pourra-t-elle continuer d'avoir lieu avec décharge de l'accise dans le sens de la loi de 1846? »

- L'appel nominal est demandé. En voici le résultat :

93 membres prennent part au vote.

54 répondent affirmativement.

39 répondent négativement.

En conséquence, la question est résolue affirmativement.

Ont voté pour l'affirmative : MM Dolez, Dubus, Faignart, Frère-Orban, Jouret, Lange, Lebeau, Loos, Manilius, Moreau, Osy, Pirmez, Prévinaire, Reyntjens, Rodenbach, Rogier, Rolin, Rousselle, Schumacher, Thiéfry, T'Kint de Naeyer, Van Cleemputte, Van den Berghe de Binckum, Vanden Branden de Reeth, Vandenpeereboom (Alphonse), Vandenpeereboom (Ernest), Van Grootven, Van Iseghem, Vermeire, Veydt, Allard, Anspach, Bruneau, Cools, Coomans, Cumont, David, de Baillet (Hyacinthe), de Breyne, de Brouckere (Henri), de Brouwer de Hogendorp, Dechamps, Dedecker, de Dentergem, de Haerne, Delehaye, Delfosse, Deliége, de Luesemans, de Pitteurs, De Pouhon, Devaux, d'Hoffschmidt et Verhaegen.

Ont voté pour la négative : MM. d'Hont, Dumont, Du mortier, Jacques, Jullien, Julliot, le Bailly de Tilleghem, Le Hon, Lelièvre, Lesoinne, Mascart, Mercier, Moncheur, Moxhon, Orts, Pierre, Sinave, Tesch, Toussaint, Tremouroux, Van Renynghe, Vilain XIIII, Ansiau, Cans, Christiaens, Clep, Dautrebande, de Baillet-Latour, de Brouckere (Charles), Debroux, de Chimay, de Liedekerke, de Man d'Attenrode, de Meester, de Mérode, de Perceval, |de Renesse, Desoer et de Theux.

M. le président. - Un amendement nouveau a été déposé par M. de Brouwer de Hogendorp ; il sera imprimé et distribué, ainsi qu'une addition présentée par M. de Mérode à son amendement.

Vérification des pouvoirs

Arrondissement de Thuin

M. le président. - M. le ministre de l'intérieur nous a transmis les procès-verbaux de l'élection de Thuin.

Il est procédé au tirage au sort de la commission chargée de vérifier les pouvoirs de M. Dequesne; elle se compose de MM. Pirmez, Julliot, de Liedekerke, Ansiau, E. Vandenpeereboom et Van Renynghe.

- La séance est levée à 4 heures trois quarts.