Accueil Séances Plénières Tables des matières Biographies Livres numérisés Note d’intention

Chambres des représentants de Belgique
Séance du mercredi 6 juin 1849

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1848-1849)

(Présidence de M. Delfosse, vice-président.)< /p>

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 1548) M. A. Vandenpeereboom procède à l'appel nominal à 1 heure et quart.

- La séance est ouverte.

M. T'Kint de Naeyer donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier, dont la rédaction est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. A. Vandenpeereboom présente l'analyse des pétitions adressées à la chambre.

« Quelques habitants de Bruxelles demandent que le gouvernement fixe un jour prochain, à partir duquel les titres définitifs des emprunts seront irrévocablement délivrés. »

- Renvoi à la commission des pétitions.

M. Rodenbach. - Je demande que la commission soit invitée à faire un prompt rapport.

- Adopté.


M. le Bailly de Tilleghem demande un congé.

- Accordé.

Rapports sur des demandes en naturalisation

M. Van Cleemputte. - J'ai l'honneur de déposer les rapports de la commission sur plusieurs demandes en naturalisation.

- Ces rapports seront imprimés et distribués.

Projet de loi délimitant les communes de Lambusart et Moignelée

Rapport de la commission

M. Lelièvre. - J'ai l'honneur de présenter le rapport de la commission qui a été chargée d'examiner le projet de loi de délimitation des communes de Lambusart et Moignelée. Comme M. le ministre pourra avoir besoin de prendre des renseignements, je crois devoir donner lecture du rapport, qui est d'ailleurs très court.

« Messieurs, depuis longtemps les communes de Moignelée et de Lambusart sont en contestation sur les limites de leurs territoires.

« Une longue instruction a eu lieu devant l'autorité administrative sur les prétentions respectives des parties, et, par suite de concessions réciproques, le litige est aujourd'hui restreint aux parcelles, dites le grand Valinchamps ou Closière du Curé et le bois du Curé, d'une contenance d'environ neuf hectares.

« Le gouvernement propose de trancher le débat en faveur de la commune de Lambusart, nonobstant les réclamations de la députation permanente du conseil provincial de Namur.

« La commission nommée pour examiner le projet ministériel, a pensé que les faits constatés par les documents de l'instruction ne justifiaient pas cette résolution, et qu'il y avait lieu, en conciliant les droits respectifs des intéressés, à adjuger à la commune de Moignelée, indépendamment du territoire lui assigné par le projet, la closière dite du Curé, telle qu'elle est figurée au plan dressé le 27 décembre 1834, par les géomètres Delporte et Roelandt, et par suite les parcelles désignées en ce plan sous les n°248, 249, 250, 251, 252, 253, 254, 255, 256, 257, 258, 259, 260, 261, 262 et 263.

« En conséquence la limite proposée par le gouvernement doit subir, dans l'opinion de la commission, la modification suivante :

Les parcelles n°248, 249, 250, 251, 252, 253 , 254, 255, 256, 257, 258, 259, 260, 261, 262 et 263, décrites au plan annexé au projet ministériel, feraient partie du territoire de Moignelée; par suite la ligne séparative entre les communes dont il s'agit serait fixée conformément à la ligne T U V Q R S N O, tracée dans le même plan.

(page 1549) « Celle décision est appuyée sur les documents de l'instruction et attribue à la commune de Lambusart tout ce qu'il est possible de lui adjuger équitablement.

« Il résulte, en effet, des pièces produites par la commune de Moignelée que, dès l'an VII de la république française, la section de Valinchamps, ou Closière du Curé, figurait à la matrice du rôle de Moignelée, ce qui démontre que ce terrain faisait alors partie du territoire de cette commune.

« Ce document est confirmé par un acte important que le projet semble avoir perdu de vue.

« La parcelle dont il s'agit appartenait ci-devant à la cure de Moignelée, et, à ce titre, elle fut comprise dans la vente des domaines nationaux.

« Or, un procès-verbal d'adjudication définitive du 5 prairial an XI démontre que les biens de la cure en question ont été adjugés à Alexandre Lorent, et ils sont indiqués dans cet acte authentique comme situés à Moignelée et Tamines, communes alors réunies.

« Aussi la vente a eu lieu à Namur, chef-lieu du département de Sambre et-Meuse et devant le préfet de ce même département.

« Ce contrat ayant donné lieu à une mutation à la matrice du rôle, il est démontré que c'est à Moignelée qu'elle a été effectuée, et il résulte des pièces du dossier que la parcelle dont il s'agit n'a cessé de figurer au rôle de la même commune où les contributions ont constamment été acquittées.

« En présence de la possession conforme aux actes, il a paru impossible d'enlever à la commune de Moignelée une portion de territoire dont elle a joui jusqu'à ce jour, et qu'en 1823 les états du Hainaut eux-mêmes consentaient à lui abandonner.

« Au reste, le titre du 30 septembre 1747, sur lequel se fonde la commune de Lambusart, n'a pas paru à la commission de nature à changer sa conviction. Cet acte tend bien à établir que les parcelles contestées faisaient ci-devant partie de la seigneurie de Lambusart; mais l'intervention du curé de Moignelée, qui figure dans le contrat au nom de ses paroissiens, démontre que les terrains, qui en faisaient l'objet, dépendaient de la juridiction spirituelle et de la communauté de Moignelée.

« Or, l'on sait qu'à l'époque où la Belgique fut réunie à la France, les seigneuries comprenaient souvent dans leurs juridictions plusieurs paroisses, plusieurs communautés d'habitants, et que, postérieurement à leur suppression, ce ne sont pas les juridictions féodales qui servirent de base à l'établissement des nouvelles communes, mais bien les circonscriptions des paroisses.

« Cela est si vrai que l'on ne conçoit même l'érection de Moignelée en commune qu'à raison de son ancienne circonscription paroissiale.

« Du reste, la commission a pensé que la délimitation proposée par elle tranchait équitablement le différend au moyen de sacrifices réciproques et en respectant les convenances administratives. Elle est convaincue que les intérêts des deux parties sont convenablement réglés par l'amendement qu'elle a adopté et qui a pour but une conciliation devant mettre fin à des débats toujours fâcheux entre communes limitrophes.

« Un autre point a également fixé l'attention de la commission, ce sont les actes intervenus antérieurement au projet soumis à la chambre.

« Des concessions de mines de houille ont été accordées respectivement aux sociétés de Moignelée et de Bonne-Espérance, par arrêtés royaux en date des 30 mai 1827 et 3 novembre 1841.

« Il est évident que la loi ne disposera que pour l'avenir et n'exercera aucune influence sur les faits accomplis avant sa promulgation. Les intéressés jouiront des droits qui leur appartiennent en vertu de leurs titres et le projet en discussion ne leur portera aucune atteinte.

« Il doit en être ainsi d'après la nature même des choses.

« La commission a cru toutefois, pour prévenir tout doute à cet égard, devoir énoncer une disposition formelle qui sauvegardera tous droits antérieurement acquis.

« En conséquence, et par amendement à la proposition du gouvernement, la commission, à l'unanimité, propose de rédiger de la manière suivante le projet de loi soumis à la législature :

« Art. 1er. La ligne séparative entre la commune de Lambusart, province de Hainaut, et celle de Moignelée, province de Namur, est fixée conformément à la ligne T U F Q R S N O, tracée sur le plan annexé à la présente loi. »

« Art. 2. La disposition qui précède ne porte aucune atteinte aux droits privés, acquis antérieurement. »

M. le président. - Ce rapport sera imprimé et distribué. A quel jour la chambre veut-elle en fixer la discussion?

M. Lelièvre. - Après le projet de loi sur l'enseignement. M. le ministre aura le temps de prendre les nouveaux renseignements qui peuvent lui être nécessaires.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - D'après le rapport que vous venez d'entendre et qui m'avait été communiqué, des modifications sont proposées aux délimitations indiquées au projet. Je demanderai de pouvoir consulter de nouveau les députations, et au besoin, les conseils provinciaux qui vont bientôt se réunir, sur les modifications proposées par la commission.

M. Lelièvre. - Je n'y vois pas d'inconvénient.

M. le président. - Le jour de la discussion sera ultérieurement fixé.

Projet de loi accordant un crédit supplémentaire au budget du département des finances

Rapport de la section centrale

M. T'Kint de Naeyer. - J'ai l'honneur de déposer le rapport sur la demande du crédit supplémentaire du département des finances.

- Ce rapport sera imprimé, distribué et mis à la mite de l'ordre du jour.

Rapport sur des demandes en naturalisation

M. Moreau. - J'ai l'honneur de déposer des rapports sur des demandes en naturalisation.

- Ces rapports seront imprimés et distribués.

Projet de loi de naturalisation

M. Delehaye. - J'ai l'honneur de déposer, au nom de la commission des naturalisations, le projet de loi sur la demande en naturalisation du sieur Pauly qui a été prise en considération par les deux chambres.

- Ce rapport sera imprimé, distribué et mise la suite de l'ordre du jour.

Motion d'ordre

Décès de soldats en service

M. David. - J'avais une interpellation à adresser à M. le ministre de la guerre; mais comme il n'est pas présent, j'attendrai qu'il vienne.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je ne sais pas quelle est la nature de l'interpellation que se propose de faire l'honorable membre; il serait désirable qu'il la fît ; on saurait à quoi s'en tenir; peut-être serons-nous à même d'y répondre. Dans le cas contraire, on ferait prévenir M. le ministre de la guerre.

M. David. - Messieurs, une grande revue a eu lieu à Cortenberg ; on a fait arriver les garnisons de Malines, Louvain et Bruxelles; le bruit court que plusieurs militaires sont morts le jour même, et qu'une grande quantité sont entrés le lendemain à l'hôpital.

Nous devons être soigneux de la santé du soldat, surtout dans ce moment, alors que de grandes fatigues pourraient devenir dangereuses pour la santé publique.

Je désirerais savoir jusqu'à quel point ces bruits sont fondés; je désire qu'ils ne soient point exacts, je l'apprendrai avec plaisir.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je n'ai aucune espèce de renseignement sur les faits signalés. Peut-être, avant d'en saisir la chambre, aurait-il convenu d'en prévenir le ministre de la guerre.

Quant à une revue dans un mois d'été, je ne pense pas que la vie militaire soit incompatible avec l'exercice pendant une certaine chaleur.

Je ne crois pas que la chambre ait à intervenir au sujet de certains mouvements de troupes par un soleil plus ou moins chaud. La troupe doit braver certaines fatigues. Je suis persuadé qu'il y a une grande exagération dans les renseignements parvenus à l'honorable M. David.

Du reste, puisque l'interpellation a été faite, je vais faire prévenir M. le ministre de la guerre, qui s'empressera de se rendre dans le sein de l'assemblée.

M. David. - Cette revue, cette marche forcée ont duré à peu près douze heures. Dans ce moment nous sommes menacés d'une épidémie dangereuse. Tous les docteurs sont d'accord qu'entre autres moyens préventifs il faut interdire les grandes fatigues. On ne doit pas choisir les jours de grande chaleur pour faire des revues.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Ces jours sont fixés à l'avance. On ne peut commander au soleil de briller ou de se voiler.

Du reste, M. le ministre de la guerre, que je viens de faire prévenir, s'empressera de se rendre à la chambre pour répondre à l'interpellation de l'honorable M. David (voir infra, la réponse de M. le ministre de la guerre).

Projet de loi accordant un crédit extraordinaire au budget du ministère de l’intérieur

Discussion des articles

Article premier

La discussion continue sur l'article premier.

M. le ministre des affaires étrangères (M. d'Hoffschmidt). - Messieurs, je commencerai par répondre aux observations que l'honorable M. Dechamps a présentées à la fin de la séance d'hier. Je m'occuperai ensuite des objections qu'a soulevées, dans le sein de la section centrale le projet d'établissement de comptoirs aux Indes orientales.

L'honorable M. Dechamps est favorable à l'établissement de ces comptoirs. Il était impossible qu'il en fût autrement : l'honorable M. Dechamps a toujours préconisé ce système; il l'a introduit dans le projet de loi relatif à la société d'exportation; il a même présenté au projet primitif un amendement qui tendait à créer des comptoirs particuliers en dehors de la société de commerce.

Mais l'honorable M. Dechamps pense qu'on devait s'occuper de la formation d'une grande société. Il croit que la chose était possible, malgré les circonstances difficiles où nous nous trouvons.

Je ne crains pas de le dire, l'honorable M. Dechamps est tout à fait dans l'erreur : il n'est d'accord sur cette question ni avec les chambres de commerce, ni avec la plupart des commerçants, ni avec toutes les personnes, à peu d'exceptions près, qui ont été consultées.

La société d'exportation doit être formée par le concours du gouvernement et des capitaux privés. Personne, que je sache, n'a jamais prétendu que l'Etat seul dût fournir le capital social. D'après le projet même, déposé par l'honorable M. Dechamps, le capital social devait être de six millions : deux fournis par l'Etat, quatre par les capitaux privés. L'insuffisance d'un semblable capital n'a pas tardé à être reconnue. Du reste, cette société ne devait s'occuper que de l'industrie linière, et même on lui avait fait des conditions d'existence telles qu'il est peut-être (page 1550) préférable que ce projet n'ait jamais été voté, parce que je crois qu'il n’aurait abouti à aucun résultat.

L'honorable M. Dechamps avait compris lui-même que le capital pour une grande société d'exportation, réduit à 6 millions de francs, était insuffisant. Si je ne me trompe, son idée première était de former le capital à raison de 15 millions. Ce sont les circonstances financières qui, déjà critiques à cette époque, ont empêché de donner suite à ce projet; il a donc été forcé de réduire le capital à 6 millions.

Dans la pensée du gouvernement, lorsqu'il a soumis une proposition à la chambre, le capital social aurait dû être de 9 millions de francs. D'après le comité des Flandres, qui a fait sur cette question un travail profond et très élaboré, le capital social devait être de 10 millions, dont 3 millions à fournir par l'Etat, et 7 millions par les particuliers.

Eh bien, messieurs, dans les circonstances actuelles, serait-il possible de trouver des industriels, des commerçants, des capitalistes qui fournissent la quote-part des capitaux privés, c'est-à-dire sept millions de francs? Serait-il facile à l'Etat de fournir ces trois millions de francs? Hier, mon honorable collègue et ami, M. le ministre des finances, a déjà répondu en ce qui concerne l'Etat.

L'honorable M. Dechamps croyait qu'au moyen de certaines économies, si l’on n'avait pas employé des fonds à différentes améliorations pour le commerce, on aurait pu former ce capital. Il lui a été répondu à cet égard, de la manière la plus péremptoire, que ces moyens étaient complètement illusoires et inadmissibles.

En ce qui concerne les capitaux à fournir par l'industrie, ainsi que j'ai déjà eu l'honneur de le dire, nous avons consulté les autorités provinciales, et cette enquête a été des plus sérieuses. Les gouverneurs des provinces ont été chargés de demander aux chambres de commerce, aux commerçants et aux industriels de leurs provinces respectives, si, dans l’hypothèse de l'adoption du projet du gouvernement pour la formation d'une société d'exportation avec le concours de l'Etat, ils prendraient des actions. Je vais vous faire connaître le résumé des réponses aux questions qui ont été posées. Je devrai entrer dans quelques développements, mais il importe que la chambre connaisse quelle est l'opinion du pays sur la possibilité de former actuellement cette société.

« Liége. Le gouverneur a réuni, pour délibérer sur la question posée, les principaux industriels, commerçants et capitalistes de Liège, de Huy et de Verviers. On a été d'avis qu'une société d'exportation subsidiée par le gouvernement, loin d'être utile, serait même nuisible en ce qu'elle ferait concurrence, au moyen des deniers du trésor, aux moyens d'exportation déjà établis, et qu'une telle société n'offrirait pas en elle-même les éléments de prospérité nécessaires.

« La question spéciale de savoir si le gouvernement peut compter, pour la réalisation du projet conçu, sur les capitaux particuliers de la province, ai été résolue négativement à l'unanimité. »

« Flandre orientale. Si toutes les souscriptions à réunir en ce moment dans la province s'élèvent à la somme de 200,000 francs, c'est le maximum que l'on puisse espérer.

« Un des principaux armateurs de Gand, par exemple, s'engagera à prendre une dizaine d'actions mais pas dix maisons de la Flandre orientale n'iront aussi loin.

« Abstraction faite de ses chances de réalisation, le projet, tel que le résume la circulaire ministérielle, semble faire au gouvernement, au point de vue financier, la position la plus compromettante. La question importante n’est pas celle de savoir si le gouvernement engagera ou non deux ou trois millions des fonds de l'Etat, mais où le mènera l'affaire dans laquelle il s'agit de l'engager.

« Si l'on avait une initiative à prendre dans cette question, on se tiendrait en garde contre les instigations de l'impatience, dans la crainte de ne servir que des cupidités en croyant servir des besoins; au lieu d'aller au-devant de la confiance, on la laisserait se raffermir encore ; dans l'intervalle, on s'efforcerait de faciliter par des sacrifices l'établissement de simples comptoirs sur les principaux points où nous manquons complètement de relations directes, et l'on continuerait d'encourager des expéditions vers les autres, tels que la Havane, Rio, etc., etc. »

« Flandre occidentale. Le gouverneur a consulté les chambres de commerce; voici le résumé de leurs avis :

« Bruges. Les capitalistes trouvent aujourd'hui des placements trop favorables dans les fonds publics, pour que l'on puisse compter sur leur concours dans une entreprise que l'on considère comme devant offrir beaucoup de chances de déception aux actionnaires. Quant aux industriels et aux commerçants, ils ne disposent pas de capitaux suffisants , et si l'on s'attend à leur concours, on se prépare un mécompte complet.

« Courtray. Les circonstances ne sont pas encore assez favorables pour que l'on puisse espérer le concours des capitaux privés pour l'établissement d'une société d'exportation.

« Pour le cas où le gouvernement persisterait dans son projet, on se réserverait de lui soumettre ultérieurement des observations sur le projet de statuts, qui renferme plusieurs dispositions contraires aux intérêts de l'industrie et du commerce privés. Quant à présent, on se borne à dire que la société devrait être seulement commerciale, dans le but d'ouvrir de nouveaux débouchés; qu'elle devrait opérer ses achats par voie de concurrence, fans toutefois pouvoir expédier sur les marches d'Europe.

« Au lieu de créer une société d'exportation, le gouvernement encouragerait le commerce et l'industrie, en augmentant la prime actuelle de 50 p. c. pour les produits liniers expédiés dans les contrées transatlantiques, et en instituant des primes en faveur d'autres fabricats des Flandres qui, jusqu'à présent, n'ont pas encore joui de cette faveur.

« Ostende. La chambre de commerce pense qu’aucune action ne sera prise dans cette localité, où il n'y a point de capitalistes faisant des placements de fonds de cette nature, et où le commerce et l'industrie ne sont pas dirigés vers le but de la société dont il s'agit.

« Ypres. La confiance semble renaître; une reprise dans les affaires, en général, en est la conséquence; d'un autre côté, l'industrie linière se traîne toujours dans un état précaire. On pense donc que le gouvernement doit tenter tout ce qui est possible pour mettre, aussitôt que possible, à exécution le projet d'une société d'exportation des produits liniers. Quant au concours des capitaux privés, on est d'avis, bien qu'on n'ait pas eu le temps de sonder l'opinion à cet égard, qu'il ne fera pas défaut; toutefois, il faut pour cela, comme condition indispensable, que le personnel de l'administration et de la direction présente toutes garanties désirables de probité, d'activité et de connaissances pratiques.

« Ce concours dépendra encore de la garantie qui sera donnée, contre les pertes éventuelles à résulter de la gestion de la société, garantie qui se trouve, il est vrai, déposée dans le projet de loi, mais qui n'est pas encore sanctionnée par la législature. Ce n'est pas sur une simple hypothèse que des capitalistes consentiront à engager leurs fonds. La loi pourrait n’être votée que sous la condition que l'on parviendra à réaliser la part du capital à couvrir par les souscriptions particulières; on obvierait par là à la difficulté résultant de l'incertitude signalée.

« Quant à l'opinion personnelle du gouvernement, elle se résume dans les termes suivants :

« La situation industrielle et commerciale s'améliore, il est vrai ; mais en général, et même dans des circonstances normales, les sociétés commerciales ou industrielles ne pourraient que faiblement alimenter leurs capitaux dans cette province. De telles entreprises y ont à lutter contre un certain sentiment de défiance qu'il est extrêmement difficile de vaincre.

« Anvers. Toutes les personnes entendues, capitalistes, commerçants, industriels, ont été unanimes dans leur avis, que, dans le moment actuel, le gouvernement ne trouverait pas, à Anvers, à placer pour cent mille francs d'actions de la société projetée; que, même dans des circonstances plus favorables, on se ferait illusion si l'on comptait, pour la réalisation de ce projet, sur des capitaux d'Anvers ; à moins qu'on ne réduise, le projet, à des proportions plus restreintes; qu'on ne donne aux actionnaires, par le choix des personnes appelées à diriger la société, par la ville où elles sera établie, par des statuts plus certains, des garanties formelles que les intérêts commerciaux et le désir de faire des bénéfices sur des opérations, prudemment combinées, seront les seuls mobiles qui guideront cette compagnie ; et même avec toutes ces garanties, le concours précité n'offrirait-il encore que des chances fort incertaines. »

« Limbourg. Les démarches qui ont été faites auprès des principaux industriels de cette province, afin de les engager à prendre un certain nombre d'actions dans la société projetée, sont restées sans succès ; ce résultat trouve son explication dans la circonstance que ce genre d'industrie ne s'exerce pas dans le Limbourg, dont les produits sont, pour ainsi dire, tous consommés dans le pays.

« Brabant. Le gouverneur a pressenti dans des conversations particulières, l'opinion de quelques-uns des principaux négociants, capitalistes, etc.; à l'exception de deux ou trois personnes, toutes furent d'avis que, dans les circonstances actuelles, le gouvernement ne peut compter sur aucune prise d'actions dans le Brabant.

« Hainaut. On trouverait peu de capitalistes disposés à placer des fonds dans une société de l'espèce, d'abord parce que la crise industrielle et commerciale qui a suivi les événements de 1848 a porté un coup funeste à l'esprit d'association, ensuite parce que, en général, on craint d'exposer ses capitaux dans une société qui ne paraît pas présenter assez de garanties de succès. On croit donc que les circonstances ne permettent pas de réaliser le projet d'institution, et que l'on ne peut espérer le concours des capitaux du Hainaut pour cette réalisation.

« Les chambres de commerce de la province ont été consultées par le gouverneur ; voici le résumé de leurs avis :

« Tournay. Depuis longtemps on réclame une mesure qui doit avoir pour effet de faciliter l'écoulement du trop-plein; mais si les opérations de la société projetée sont limitées à l'exportation des produits d'une industrie ou de certaines industries, on comprend facilement que les industriels qui ne seront pas appelés à profiter de l'entreprise ne concourent pas à la mettre à exécution en y prêtant leurs capitaux. Restreindre les opérations de la société, c'est la tuer dès sa naissance ; plus les produits exportés seront variés, plus on aura de chances de placement, plus il y aura d'industriels intéressés au succès de l'entreprise, plus on en trouvera qui seront disposés à prêter le concours de leurs capitaux.

« Mons. Quant à présent, et dans des circonstances même plus prospères peut-être, on trouverait dans ce ressort bien peu de capitalistes disposés à placer des fonds dans cette entreprise. La position difficile dans laquelle se sont trouvées des sociétés puissantes à la suite des événements de février, a porté un coup funeste à l'esprit d'association, et l'on croit qu'il faudra longtemps encore avant que les effets de cette panique aient pu disparaître totalement.

« Namur. On croit être à même d'assurer qu'il est très douteux que l'on parvienne à trouver dans la province de Namur des personnes disposées à s'intéresser à une entreprise de ce genre et qui lui prêtent leur concours pécuniaire. »

Voilà, messieurs, quelle est l'opinion des chambres de commerce, des principaux industriels et commerçants du pays. Je le demande à l'honorable M. Dechamps, en présence d'une semblable (page 1551) unanimité, avec la certitude que nous ne pourrions pas réunir les capitaux nécessaires, est-ce qu'il eût été prudent, est-ce qu'il eût été loyal, dirai-je, de venir soumettre un projet, sur cette matière à la législature?

Qu'aurait répondu le gouvernement à la première question qui lui eût été adressée par des membres formant opposition à la société d'exportation, à la question de savoir s'il pourrait faire exécuter le projet, s'il pourrait réunir les capitaux nécessaires? Le gouvernement aurait été obligé de répondre négativement; et comment dès lors eussions-nous pu soumettre un pareil projet à la chambre? C'eût été, on l'a dit dans le temps, un véritable charlatanisme.

Maintenant, messieurs, que fallait-il faire? Il fallait chercher à faire ce que bien des membres dans cette enceinte nous ont indiqué; il fallait mettre à exécution la partie la plus utile du projet de loi relatif à la société d'exportation, c'est-à-dire l'établissement de comptoirs. L'honorable M. Dechamps lui-même, dans la discussion rappelée hier par M. le ministre de l'intérieur et d'autres membres encore, ont soutenu cette opinion. L'honorable M. de Haerne disait encore dernièrement : « Si l'on ne peut pas former une société d'exportation, que l'on établisse des comptoirs. » L'honorable M. De Pouhon a soutenu la même opinion.

L'honorable M. De Pouhon est contraire, lui, à la société d'exportation ; mais il est tout à fait favorable à l'établissement de comptoirs sur les marchés transatlantiques.

Messieurs, depuis que je suis arrivé au ministère des affaires étrangères, j'ai fait des appels réitérés à l'industrie et au commerce; j'ai fait connaître aux négociants et aux capitalistes que, s'ils voulaient s'entendre pour former une pareille société, le gouvernement était disposé à leur venir en aide. Eh bien, messieurs, vous avez vu combien ces appels ont eu peu de succès. Cependant depuis quelque temps, ou plutôt depuis quelques jours, une société s'est formée à Anvers par des hommes dont la solvabilité, la probité et la capacité ne peuvent pas être révoquées en doutée Il est tout naturel que le gouvernement devait accueillir favorablement de semblables propositions.

La section centrale, messieurs, ne veut pas autoriser le gouvernement à conclure l'arrangement projeté, mais la section centrale se montre cependant favorable au principe de la formation de ces comptoirs. Dans l'article premier de son projet de loi, elle accorde des fonds pour encouragements au commerce d'exportation et, à en juger du moins par ce que nous avons entendu, elle est favorable à l'établissement de comptoirs. Comment donc se peut-il qu'elle refuse d'autoriser le gouvernement à entrer dans cette voie, et cela uniquement parce qu'une condition du contrat lui a paru trop onéreuse?

Nous aurons l'occasion tout à l'heure d'examiner ces conditions, qui, du reste, ne sont qu'à l'état de propositions. Mais quand bien même une de ces conditions serait trop onéreuse, est-ce que la section centrale, qui veut donner carte blanche au gouvernement, devait proposer d'ajourner la question? Devait-elle demander un projet spécial, un ajournement en quelque sorte indéfini? C'est là, ce me semble, une véritable contradiction.

La section centrale donne carte blanche au gouvernement. Elle lui permet d'employer comme il l'entend les fonds mis à sa disposition, mais quant au moyen que le gouvernement considère comme le plus efficace, le plus utile, devant amener les résultats les plus durables, celui-là elle le repousse.

Remarquez, messieurs, qu'elle le lui refuse, lorsqu'il s'agit uniquement d'employer à l'établissement de ces comptoirs les sommes qu'on avait mises l'année dernière à sa disposition, et qu'il lui était libre de dépenser entièrement, sans retour au trésor public. Ainsi, vous voudriez punir le gouvernement des économies qu'il a faites; vous voudriez le punir de la loyauté dont il a fait preuve, en expliquant ses vues à la section centrale ; il est venu exposer ses intentions, il est entré dans tous les détails, quand il n'y était pas tenu, et sa récompense serait le rejet de ses projets !

L'honorable rapporteur a, lui, son système. D'après lui, il suffit qu'on favorise le perfectionnement des produits exportables. Du moment que nous aurons des produits exportables, dit-il, nous n'aurons plus à nous embarrasser de rien : on placera ces produits sans comptoirs, sans commerce direct.

Je suis d'accord avec l'honorable rapporteur, que la première condition d'exportation, c'est d'avoir des produits exportables, égaux au moins en qualité et en prix à ceux de nos rivaux en industrie. Mais quand il s'agit de marchés lointains, quel est le meilleur moyen d'y parvenir? N'est-ce pas l'établissement de comptoirs qui vous renseigneront sur le goût des consommateurs, sur les changements qu'il convient d'apporter dans nos produits? Ne sont-ce pas ces comptoirs qui s'occuperont de leur placement, des retours à combiner, dans des opérations semblables? Si vous n'aviez pas d'agents spéciaux, vous devriez avoir recours à des maisons rivales qui ne soigneront certainement pas vos intérêts, comme le feraient nos propres agents.

Pour pouvoir placer vos produits sur les marchés lointains, il faut donc faire ce que font toutes les nations commerciales ; vous devez lutter avec vos rivaux en industrie, et vous n'y arriverez qu'en usant des moyens qu'ils emploient ; mais ne croyez pas qu'il suffise de bien travailler dans vos ateliers, et qu'alors il n'y ait plus rien à faire ; c'est une erreur.

Et pour ces produits où nous l'emportons sur nos rivaux, les armes, les draps, ne pensez-vous pas qu'avec des comptoirs ce placement peut doubler et tripler?

Mais ce que veut la section centrale, c'est un projet de loi spécial, présenté après avoir consulté tous les intérêts, après l'avoir soumis à une espèce d'enquête; eh bien; je ne crains pas de le dire, si la chambre se ralliait à cette opinion, ce serait un ajournement à la session prochaine.

Pense-t-on que les capitaux se représenteront encore à cette époque? Il est du plus grand intérêt pour le pays qu'une opération semblable se fasse dans les circonstances actuelles. IL y, a quelque chose d'honorable pour la Belgique à fonder pareil établissement au milieu de la perturbation générale où se trouve l'Europe. Ensuite, si dans le moment actuel, on pouvait expédier pour 500,000 francs de marchandises, cette année deux navires: partiraient déjà pour les Indes orientales; les années suivantes, il s'agirait d'un million de produits au moins à expédier pour ces contrées. Ces exportations peuvent être illimitées.

Doit-on dédaigner de semblables avantages? S'agit-il d'une question inconnue qui surgisse tout à coup au milieu de nos débats, d'une innovation sur laquelle on n'a pas encore pu former son opinion? La question des comptoirs se débat depuis dix ans, on a consulté les chambres de commerce, plusieurs enquêtes ont été instituées, on a même présenté un projet de loi dont l'adoption a été proposée par la section centrale.

Chacun a donc son opinion formée sur l'utilité d'une semblable mesure; il n'y a dès lors aucun motif pour ajourner la résolution à prendre par la chambre. Je désire que la chambre se prononce maintenant. Si la majorité est contraire à la proposition, qu'elle le déclare; elle en portera la responsabilité. Mais qu'on n'aille pas encore ajourner la décision. La chambre est suffisamment éclairée sous tous les rapports pour pouvoir se prononcer en connaissance de cause.

Ce sont les clauses du contrat que la section centrale trouve trop onéreuses. C'est là même sa seule objection ; elle n'est pas opposée au principe de l'établissement de comptoirs, mais elle est opposée aux clauses ou plutôt à une clause, car je crois qu'il n'y a que celle de la garantie qui l'arrête. Voyons si cette clause est aussi onéreuse qu'on le prétend.

Le gouvernement fournirait un quart du capital, l'industrie privée fournirait les trois autres quarts. Le gouvernement a contre lui la chance de la perte du tiers du capital, mais cette chance, nous ne devons pas croire qu'elle se réalise. Tous les renseignements sont favorables ; on considère l'opération comme devant être avantageuse; dès lors cette chance n'est pas probable. Si elle ne se réalise pas, quelle sera la condition du gouvernement? Il avancera 850 mille francs, dont il recevra l'intérêt et dont il sera remboursé sur les bénéfices.

Ainsi, dans cette hypothèse qui est la plus probable, le gouvernement aurait fait une avance de fonds qui rentreront au bout d'un certain temps, et il aura contribué à créer un établissement de la plus haute utilité pour l'exportation des produits de notre industrie. Les principes de l'économie politique la plus sévère ne condamnent pas un semblable encouragement.

Tous les économistes sont d'avis qu'une protection momentanée pour la création d'une nouvelle industrie est parfaitement légitime; il s'agit d'une protection de ce genre, il s'agit d'une industrie nouvelle, d'un commerce à établir avec le plus grand marché du monde ; l'intervention ne sera que temporaire. Nous n'avons qu'une chance fâcheuse et la chance la plus improbable.

Veuillez remarquer, messieurs, que pour la société d'cxportation, les conditions étaient bien autrement onéreuses, puisqu'on a employé ce mot, que dans le cas qui nous occupe.

Pour la société d'exportation il y avait intervention pour le tiers du capital social; il y avait garantie de 4 1/2 p. c. d'intérêt, sur tout le capital; il y avait remboursement au prorata des actions du gouvernement, en cas de perte du tiers du capital. Ces conditions, autrement onéreuses que celles dont il s'agit, ont été approuvées. Maintenant qu'il ne faut qu'une simple garantie dans un cas improbable, on trouve la condition inacceptable. Du reste le gouvernement fera ses efforts pour obtenir des conditions meilleures, il tiendra compte des observations de la section centrale.

L'honorable M. Dechamps disait hier : Je ne vois ici aucun intérêt pour l'industrie linière ; nous n'exporterons pas de tissus de lin aux Indes orientales. Je répondrai que là ne s'arrêtera pas la création des comptoirs; c'est un premier pas dans cette voie, et à la session prochaine nous serons à même de compléter le système. Mais si vous arrêtez l'essor qui se manifeste et l'esprit d'entreprise, il est certain que les capitaux ne se représenteront plus et que sur plusieurs points du globe des comptoirs qui peuvent être utilement créés ne le seront pas.

Je citerai entre autres Santo-Thomas, cette petite colonie qui, vous le savez, se maintient par elle-même, où les conditions de sécurité, de salubrité et de fertilité sont résolues.

Eh bien, elle est dans la situation la plus heureuse pour y fonder l'élément commercial. Le port de Santo-Thomas est un des meilleurs de toute l'Amérique; si on parvient à y fonder un comptoir, no -seulement la colonie se développera sur des bases solides, mais présentera de très grands avantages pour l'exportation de nos produits.

L'Amérique centrale est appelée à de grandes destinées commerciales, surtout depuis la découverte des mines d'or dans la Californie. Si nous acceptons la proposition qui nous est faite pour Singapore, on ne tardera pas à organiser, à la vérité sur des bases moins larges, la fondation d'un comptoir à Santo-Thomas et sur d'autres points importants du globe. Vous voulez que nous ne nous bornions pas au comptoir de Singapore, nous sommes parfaitement de cet avis ; ce système, nous l'étendrons à d'autres contrées, où l'industrie linière trouvera les avantages que désire avec raison l'honorable M. Dechamps. Je suppose qu'à Singapore l'industrie linière ne trouve pas de débouché important, mais indépendamment des armes, des chaux, des verres à vitres, du zinc et de bien d'autres articles, (page 1552) l’industrie cotonnière y placera ses produits et peut prendre une extension telle que les exportations s’élèveront à 10 ou 20 millions par année ; je ne crois pas qu’on aurait à regretter un pareil établissement, le travail national y gagnerait aussi bien que s'il s'agissait des produits liniers.

Voulez-vous savoir quelles sont nos relations avec les contrées transatlantiques? Nos importations en produits tropicaux et denrées coloniales sont énormes, et nous n'exportons, dans l'état actuel des choses, sur tous les marchés du globe, sauf ceux de l'Europe, que pour 10 à 12 millions.

Voilà un fait qui doit frapper le gouvernement et les chambres. Il est inconcevable qu'un pays aussi industriel que le nôtre, un pays qui, après l'Angleterre, est peut-être le premier en fait d'industrie, n'exporte sur tous les marchés du globe, sauf ceux d'Europe, que 10 ou 12 millions, tandis qu'il va y chercher des produits pour une valeur de 50 à 60 millions.

Eh bien, devons-nous rester dans cette situation ? Ne devons-nous pas faire des efforts pour arriver à de meilleurs résultats ? Que demande-t-on constamment au gouvernement? On lui demande de favoriser les exportations et on lui reproche sans cesse de ne rien faire pour ouvrir de nouveaux débouchés. Puis quand il fait des propositions dans ce but, on l'arrête dans sa marche, et cela pour quelle grande raison ? Pour une clause qui paraît, dit-on, onéreuse.

L'honorable M. Dechamps m'a posé hier quelques questions sur les conditions du contrat projeté avec la société. Revenant sur le projet de 1847, il a dit que ce projet présentait certains avantages. Mais je dois faire observer d'abord que ce projet n'a abouti à aucun résultat.

L'honorable M. Dechamps demande si les comptoirs seront accessibles à tout le monde : c'est-à-dire si tous les négociants belges pourront correspondre avec les comptoirs, sans passer par l'intermédiaire de la société. Je réponds que les comptoirs seront accessibles à tout le monde.

La société garantira-t-elle la solidité de ces comptoirs? Je réponds : Oui , la société garantira la solidité des comptoirs.

Maintenant l'honorable M. Dechamps nous demande qu'on stipule dans le contrat que les Belges ne payent que la moitié de la commission en usage dans les contrées où les comptoirs seront établis. Ici, je ne suis pas d'accord avec l'honorable membre. Je crois qu'il faut laisser aux comptoirs une entière liberté. Si vous leur imposez des conditions onéreuses, ils ne réaliseront que de la perte, vous n'aurez rien gagné. Il faut que les comptoirs soient d'un facile accès; mais il ne faut pas leur imposer des conditions difficiles. Il faut que les comptoirs réalisent de larges bénéfices, tout en ouvrant des débouchés à nos exportations.

Je crois que, pour encourager le travail national, il n'est pas de moyen plus efficace que celui-là. Nous encouragerions tout à la fois l'industrie, le commerce et la navigation : l'industrie puisque dès la première année 500,000 fr. de ses produits seraient exportés, 1,000,000 de fr. ensuite. C'est là le minimum, car l'exportation sera illimitée; le commerce, en nous ouvrant des relations directes avec les contrées lointaines, avec le premier marché du monde; la navigation, puisque la société établirait 4 navires de 600 à 700 tonneaux qui desserviraient la ligne entre la Belgique et les Indes orientales.

Je demande si, en présence de ces avantages, vous pourriez refuser au gouvernement la faculté de conclure un arrangement de cette nature et de profiter d'une occasion qui ne se représentera peut-être plus d'ici à longtemps.

L'année dernière, lorsque vous avez voté les deux millions, vous avez eu assez de confiance dans le gouvernement pour ne pas lui imposer de conditions. Vous l'avez laissé libre de disposer de ce crédit comme il l'entendait. Mais parce que le système qu'il vous propose est plus large et plus avantageux, irez-vous l'entraver dans ses projets? Non, j espère que la chambre n'adhérera pas à une semblable résolution.

Projet de loi accordant un crédit extraordinaire au budget du ministère de l’intérieur

Discussion des articles

Article premier

M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Je viens d'apprendre que des interpellations ont été adressées au gouvernement au sujet d'un mouvement de troupes qui a eu lieu avant-hier. On a accusé le gouvernement d'avoir fait faire ce mouvement pendant un temps extrêmement chaud, d'avoir donné des proportions considérables à ce mouvement qui aurait entraîné de graves accidents, beaucoup de maladies, et même (je crois que l'on est allé jusque-là) plusieurs morts.

Je m'étonne que des bruits aussi malveillants, aussi absurdes, donnent lieu à une interpellation dans la chambre, alors qu'il est si facile d'obtenir des renseignements en s'adressant, soit à l'hôpital militaire, soit à l'état-major de la division, soit au ministère de la guerre.

Le mouvement de troupes dont on a parlé est une de ces manœuvres qui ont lieu tous les ans à pareille époque ; ces manœuvres sont prescrites par les règlements; la manœuvre d'avant-hier a duré moins de temps, et s'est exécutée sur une étendue de terrain moins considérable que beaucoup de mouvements analogues qui ont lieu journellement dans les différentes garnisons du royaume.

Savez-vous quel en a été le résultat au point de vue sanitaire? C’est que pas un seul soldat n'a été réellement malade des suites de cet exercice.

Quant à ce qu'on a dit de plusieurs morts, je ne conçois pas qu'on avance un pareil fait lorsqu'il n'y a pas même un seul cas d'indisposition sérieuse.

De toutes les troupes de la garnison de Bruxelles, qui ont pris part à cet exercice très ordinaire, il y a eu trois hommes qui sont entrées à l'hôpital, et qui vont en sortir entièrement remis. L'état sanitaire de la garnison est des plus satisfaisants.

Je viens de voir, à l’instant même, le général commandant la troupe de Louvain, et il m'a dit que ses troupes étaient rentrées dans leur garnison sans avoir éprouvé le plus petit accident. Hommes et chevaux sont encore là dans la meilleure situation.

Je demande si chaque fois que le département de la guerre ou un général fera mouvoir des troupes, il faudra être exposé à des interpellations de cette nature.

Tous les ans nous faisons des manœuvres plus considérables ; les troupes qui sont au camp font des manœuvres plus fatigantes qui durent des journées entières et quelquefois même deux jours consécutifs, et alors on les fait bivaquer en plein champ.

Dans peu de temps, les troupes des garnisons vont partir pour le camp; il faut bien les préparer aux fatigues qu'elles auront à y supporter. C'est par des exercices fréquents, des marches par tous les temps, qu'on forme des troupes. Ce n'est pas en les tenant dans les casernes qu'on forme de bons soldats sur lesquels on puisse compter.

Il faut que l'armée s'habitue aux fatigues et aux intempéries des saisons.

D'ailleurs, les officiers du service de santé, pleins de sollicitude pour l'armée, veillent sur les soldats; ils les accompagnent dans les exercices et les manœuvres, et ils ont pour mission de veiller à ce qu'ils n'aient pas à en souffrir. Ils font reposer et mettre sur des fourgons d'ambulance les hommes fatigués ou ceux qui sont indisposés. Aucun soin enfin n'est négligé pour prévenir les accidents.

J'ai vu l'officier de santé. qui dirigeait, pendant cette manœuvre, le service sanitaire; il m'a dit (bien que cela puisse paraître extraordinaire, je dois le répéter) qu'avant la manœuvre, il y avait chaque jour de 20 à 25 hommes hors de service et que, depuis la manœuvre, il n'y en a plus que de 18 à 19.

On a remarqué que chaque fois qu'on occupe et fait exercer activement les soldats, l'état sanitaire est plus satisfaisant que lorsqu'on les laisse croupir dans les casernes.

M. David. - J'avais demandé les renseignements à l'hôpital militaire ; je les attendais. D'après ce que vient de nous dire M. le ministre de la guerre, j'aurais probablement modifié les termes de mes interpellations si M. le ministre de l'intérieur ne m'avait pour ainsi dire provoqué à les formuler de suite.

Ces renseignements vont me parvenir dans un moment; mais toujours, est-il que j'eusse persisté, à prétendre que, dans un moment où règne une maladie épidémique si dangereuse, il ne faut pas, contre l'avis de tous les médecins qui recommandent le repos, fatiguer inutilement toute une armée pendant douze heures de chaleur insupportable.

M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Pour qu'on ne sème pas l'inquiétude dans la chambre et même dans le pays (car les parents des miliciens pourraient croire que leurs enfants sont exposés à des fatigues extraordinaires et dangereuses), je dirai que dans les garnisons même où régnait l'épidémie, les exercices ont été un salutaire préservatif. On a remarqué que les régiments de certaines garnisons où s'était montré le choléra, en ont été délivrés pendant les marches que je viens de leur faire faire en les envoyant au camp de Beverloo et que cette maladie a disparu de ces régiments aussitôt qu'ils ont été en route.

Ainsi les manœuvres, loin de faire du mal au soldat, lui sont très favorables, et mon intention est de tenir la main à ce qu'on les exerce rigoureusement dans toutes les garnisons.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Ce n'est pas moi qui ai provoqué l'interpellation de l'honorable député de Verviers.

L'honorable député de Verviers a exprimé l'intention d'interpeller M. le ministre de la guerre, s'il était présent. Si M. le ministre de la guerre eût été présent, il lui aurait adressé immédiatement son interpellation, sans attendre les renseignements qu'il a demandés à l'hôpital de Bruxelles. Mais des interpellations de cette nature, dans les circonstances où nous sommes, du moment où elles sont annoncées, doivent être immédiatement produites. Lorsqu'on parle d'interpeller M. le ministre de la guerre, le pays peut supposer qu'il s'agit de tout autre chose que d'une simple revue de troupes. Voilà pourquoi j'ai désiré que l'honorable M. David fît immédiatement son interpellation.

M. le président. - Nous reprenons l'ordre du jour.

Projet de loi accordant un crédit extraordinaire au budget du ministère de l’intérieur

Discussion des articles

Article premier

M. Osy. - Messieurs, le projet de loi dont nous nous occupons est une véritable loi de confiance, qui sort tout à fait des règles ordinaires d'une bonne comptabilité, puisqu'il ne s'agit plus d'une dépense votée par le budget, ou du vote de fonds spéciaux pour des objets spéciaux.

Lorsque le projet a été examiné en sections, j'ai critiqué la manière dont il nous était présenté, parce qu'il ne contenait aucune indication, parce qu'on ne nous disait pas quelles sommes on appliquerait aux diverses catégories indiquées dans le projet. C'est à la troisième section, dont j’avais l'honneur de faire partie, que M. le ministre de l'intérieur a donné des renseignements à cet égard. Nous voyons maintenant, par ces renseignements, comment la somme que l'on demande doit être employée.

La section centrale, ne tenant pas compte des besoins du gouvernement pour l'année prochaine, n'accorde qu'une somme de 400,000 francs pour 1849. Cependant je conçois que devant sortir de la marche régulière, le gouvernement doit désirer de connaître la somme dont il pourra disposer et d'être mis à même de prendre des engagements pour l'année 1850. Sous ce rapport, j'approuve la marche suivie par le gouvernement de (page 1553) nous demander un crédit qui sera réparti moitié sur 1840 et moitié sur 1880.

Reste l'article 3 qui tend à allouer au gouvernement une somme presque aussi forte que la première. Je reviendrai tout à l'heure sur cette proposition. Je commencerai par dire mon opinion sur les cinq ou six objets mentionnés dans la lettre de M. le ministre de l'intérieur à la section centrale.

Le premier de ces objets concerne les encouragements à l'industrie et au commerce d'exportation. Je crois que, d'après tout ce qui a été dit, nous sommes d'accord que si, en principe, le système des primes ne doit pas être approuvé, il est encore nécessaire d'y recourir cette année-ci et l'année prochaine, pour pouvoir exporter nos produits.

Comme je l'ai dit dans une autre occasion, je n'approuve pas, en général, le système des primes ; mais je crois que, dans les circonstances où nous sommes, le gouvernement ne peut y renoncer ; toutefois si l'industrie continue à marcher, comme elle l'a fait dans le courant de l'année actuelle, j'engagerai le gouvernement à examiner s'il n'y a pas lieu de réduire la prime, l'année prochaine, de 10 à 7 1/2 p. c.

Je suis aussi d'avis d'accorder au gouvernement la somme de 350,000 fr. qu'il demande pour améliorations agricoles et pour la colonisation intérieure.

Mais je voudrais que le gouvernement ne se fît pas entrepreneur, qu'il ne fît pas construire des habitations à ses frais ; qu'il s'entendît plutôt avec les communes, qu'il leur fît des avances pour construire ces habitations. Lorsque les habitants des Flandres viendraient occuper ces habitations, ils en rembourseraient successivement le prix aux communes qui elles-mêmes rembourseraient au gouvernement.

Quant au troisième article, les travaux d'assainissement, je vous avoue qu'avec 150,000 fr. pour deux ans, je ne crois pas qu'on pourra obtenir des résultats bien remarquables. Je ne puis d'ailleurs adopter l'opinion du gouvernement à cet égard.

Nous connaissons l'état des habitations des pauvres, des ouvriers dans les villes. Mais ne croyez pas que ces habitations appartiennent aux pauvres, aux ouvriers. Non, elles appartiennent à de riches propriétaires qui les louent par semaine. Eh bien, je crois qu'il s'agit ici surtout d'une affaire de police ; que l’on défende la location de toutes les habitations qui ne présentent pas toutes les conditions nécessaires de salubrité. Il faudra bien que les propriétaires améliorent alors ces habitations et les ouvriers trouveront à se loger convenablement. Cependant, comme il pourrait se faire qu'il y eût utilité à venir au secours de certaines communes qui voudraient coopérer à l'amélioration des habitations des classes pauvres et qui n'auraient pas de ressources suffisantes, je voterai les 150,000 fr. qui nous sont demandés.

Le gouvernement nous demande aussi une somme de 170,000 francs pour la voirie vicinale, tandis que je vois que la section centrale alloue une somme de 100,000 fr. pour le même objet. Si nous votons le crédit d'un million demandé par le gouvernement, il n'y aura pas lieu d'accorder les 100,000 fr., autrement il y aurait double emploi.

Reste le crédit demande pour encouragements littéraires et artistiques. Je conçois que dans les circonstances où nous nous trouvons, les littérateurs et les artistes aient dû éprouver de grandes pertes, parce que tout le monde a dû se restreindre. Mais je vois que l'Etat ne nous demande que 50,000 fr. comme subside aux communes pour secours aux indigents. Je crois que c'est faire beaucoup d'une part et bien peu de l'autre.

Je voudrais donc que le crédit pour favoriser le travail artistique fût réduit à 50,000 fr. et que le crédit pour secours aux indigents fût aussi porté à 50,000 fr., d'autant qu'aux budgets de 1849 et de 1850 nous avons déjà alloué des sommes assez considérables pour les artistes.

J'arrive à l'article 3.

Cet article, quoi qu'en ait dit M. le ministre des finances, est tout à fait contraire à la loi de comptabilité, et comme il ne faut pas défaire aujourd'hui ce que l'on a fait il y a deux ou trois ans , je ne puis pas donner mon adhésion à la rédaction du gouvernement.

L'article 5 de la loi de comptabilité veut que toutes les sommes soient versées au trésor sous la surveillance du ministre des finances et l'article 16 de la même loi défend aux ministres de mandater s'ils n'ont pas de crédits spéciaux. Je crois donc qu'il faudrait proposer une rédaction à peu près conçue en ces termes :

« Il est ouvert au gouvernement un crédit de 979,500 fr., qui sera imputé sur tels et tels articles du budget. »

Mais, messieurs , je dois demander au gouvernement ce qu'il compte faire de ces 979,500 francs. M. le ministre des affaires étrangères a envoyé à la section centrale une demande de crédit de 550,000 francs, qui devra, je pense, être imputé sur l'article 3. Il restera donc 400,000 francs à renseigner.

Je dirai d'abord mon opinion sur l'objet auquel sont destinés les 550,000 fr. Il est de toute impossibilité, dans les circonstances actuelles, de trouver, même dans la ville où il y a le plus de capitaux, les fonds nécessaires pour forma une grande société d'exportation; ta situation de l'Europe, le taux des fonds publics ne permettent pas aujourd'hui de réunir des capitaux pour une semblable entreprise.

L'honorable M. Dechamps et un honorable député de Bruxelles croient qu'on pourrait placer des actions en en faisant prendre une partie par les individus qui donneraient des marchandises: mais, messieurs, vous savez tous où en est l'industrie : le grand mal de l'industrie, c'est qu'elle n'a pas de capital roulant ; c'est avec la plus grande peine qu'elle a pu traverser la crise de l'année dernière. Les uns ont dû emprunter sur hypothèque, d'autres ont dû emprunter sur leurs marchandises, au moyen des warrants par exemple. Je dis donc qu'il est impossible que nos industriels se contentent de recevoir le payement de leurs marchandises, partie en argent et partie en actions. Pour faire cette opération , ils seraient forcés de vendre leurs actions avec une forte perte, et par conséquent d'exiger un prix plus élevé de leurs marchandises. Or, dans ce cas, la société perdrait encore plus d'argent. Ce n'est qu'en vendant à bon marché que nous pouvons espérer de faire quelques bonnes affaires et de pouvoir exporter.

Je ne connais pas, messieurs, les détails de la proposition qui a été faite au gouvernement pour l'établissement d'un comptoir, et je crois que tous les députés d'Anvers sont dans le même cas, mais, en présence de l'impossibilité où nous sommes de former une société d'exportation, il me semble que la seule chose que le gouvernement puisse faire, c'est de profiter de la proposition dont je viens de parler, pourvu que les conditions n'en soient pas trop onéreuses. Nous devons à cet égard donner un vote de confiance au gouvernement, et pour mon compte je n'hésiterai pas à le faire parce que je suis persuadé qu'il n'accordera pas légèrement les fonds qu'on lui demande, mais qu'avant de les accorder il s'assurera que l'entreprise est combinée de manière à faire atteindre le but.

Ainsi, messieurs, j'accorderai au gouvernement les 550,000 fr. qui sont destinés à favoriser l’établissement d'un comptoir, et je laisserai au gouvernement toute la responsabilité de l'entreprise.

Il restera ensuite, messieurs, à donner le détail de l'emploi de 400,000 francs environ, et je prierai M. le ministre de l'intérieur de s'expliquer à cet égard.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - La destination est indiquée dans l'article premier.

M. Osy. - Ainsi c'est pour les divers objets mentionnés aux différents litteras de l'articles premier. Eh bien, je voterai pour le crédit ; mais je demanderai au gouvernement de changer le libellé de l'article 3 dans le sens des observations que j'ai faites.

En ce qui concerne les 100,000 fr. proposés par la section centrale pour la voirie vicinale, je ne puis admettre cette proposition, alors que le gouvernement demande déjà 170,000 fr. pour le même objet.

Ainsi, messieurs, je voterai la proposition du gouvernement, mais j'espère qu'il augmentera de quelque chose les subsides aux villes et communes en diminuant d'autant les encouragements pour les travaux littéraires et artistiques. Je trouve que 100,000 fr. pour cet objet sont une somme beaucoup trop forte en comparaison de celles que l'on consacre aux autres objets dont il s'agit dans le projet de loi.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Messieurs , l'honorable M. Osy vient d'insister de nouveau sur la question de forme qui a été traitée hier. Je tiens à démontrer une seconde fois à la chambre que l'article 3, loin d'être une violation d'une disposition de la loi de comptabilité, est, au contraire, l'exécution textuelle des articles 5 et 16 de cette loi.

Que demande, en effet, le gouvernement? « C'est que les rentrées, ainsi que le porte l'article 3 du projet, à opérer sur le fonds spécial indiqué en l'article précédent, et celles qui pourront être remboursées sur le crédit de deux millions de francs, alloué par la loi du 11 avril 1848, puissent être employés pendant une période de trois années aux dépenses désignées dans la proposition soumise à vos délibérations. »

Que dit l'article 5 de la loi de comptabilité? « Toute entrée de fonds dans les caisses publiques, quel que soit le service auquel ils appartiennent, a lieu pour le compte du département des finances, qui en centralise le montant dans les livres de la comptabilité de la trésorerie générale. »

Eh bien ! le projet parle des rentrées, et celles-là se feront conformément à la loi de comptabilité.

Hors de là, qu'y a-t-il de commun entre l'article 5 de la loi de comptabilité et l'article 3 du projet du gouvernement? Le projet du gouvernement s'occupe de fonds qui doivent sortir et qui seront mis à la disposition du gouvernement. De quoi s'occupe l'article 5 de la loi de comptabilité? De l'entrée des fonds dans la caisse ; précisément le contraire de ce que l'on veut obtenir par l'article 3 du projet. C'est parce qu'ils sont rentrés, parce que l'article 5 de la loi de comptabilité a été et sera exécuté, que nous proposons l'article 3.

Des fonds avaient été mis à la disposition du département de l'intérieur qui en a disposé en prêts; ces prêts doivent rentrer dans les caisses de l'Etat, ils y viendront en vertu de l'article 5 de la loi de comptabilité. Mais une fois rentrés, il faut une autorisation des chambres pour les en faire sortir de nouveau. C'est ce que nous demandons par l'article 3.

J'arrive à l'article 16 de la loi de comptabilité. Cet article porte: « Les ministres ne peuvent faire aucune dépense au-delà des crédits ouverts à chacun d'eux.

Ils ne peuvent accroître par aucune ressource particulière le montant des crédits affectés aux dépenses de leurs services respectifs. »

M. le ministre de l'intérieur ayant eu à sa disposition un crédit de deux millions et ce crédit ayant été épuisé en dons et en prêts, il ne peut pas, en vertu de l'article 16, employer de nouveau les fonds avancés, fussent-ils rentrés en ce moment dans les caisses de l'Etat; et pour satisfaire à l'article 16 de la loi de comptabilité et non pour le violer, nous proposons l'article 3 qui autorise le ministre de l'intérieur réemployer les fonds qui rentreraient. Cela me paraît plus clair que le jour

Maintenant, les termes de l'article 5 ne font rien à cette question; on peut le rédiger de vingt manières différentes, pourvu qu'on atteigne le but. On pourrait, comme le propose l'honorable M. Osy, dire :

« Un crédit de 900,000 fr. est ouvert au département de l'intérieur. (page 1554) Les voies et moyens de ce crédit seront formées par les rentrées successives à opérer sur les fonds, etc. »

Il n'y a entre cette rédaction et celle de l'article 5 d'autre différence que dans les termes. (Interruption.)

« Je stipule la somme, » dit l'honorable M. Osy. Mais il conviendrait beaucoup au gouvernement que l'on fixât le chiffre. Le gouvernement, par l'article 3 tel qu'il est rédigé, demande simplement à pouvoir réemployer les fonds qui rentreront; quoique 900,000 fr. aient été prêtés, il n'est pas certain que cette somme rentre intégralement ; il est possible qu'on nous fasse essuyer une perte de 50,000, 00,000 ou 100,000 francs. (Interruption.)

Nous demandons seulement à être autorisés à employer les fonds qui rentreront; l'honorable M. Osy veut nous en donner plus, il dit : « Vous êtes autorisés à employer 900,000 fr. » Il dit, en second lieu : » C'est à l'aide des rentrées que ces fonds seront couverts. » Mais comme le gouvernement aura été autorisé par la loi à disposer de 900,000 fr., il faudra bien combler la différence, si les rentrées n'atteignent pas ce chiffre.

Je répète, en terminant, qu'il nous importe peu qu'on adopte l'un ou l'autre mode; je tiens seulement à constater qu'il n'y a ici rien d'irrégulier ; que l'article 3 est l'exécution littérale de la loi de comptabilité. Mais si l’on veut absolument donner au gouvernement plus qu'il ne demande, nous aurions fort mauvaise grâce à ne pas y acquiescer.

M. T'Kint de Naeyer. - Messieurs, je regrette que lorsque le gouvernement nous a présenté, il y a deux mois, une demande de crédit extraordinaire au département de l'intérieur, il n'ait pas jugé préférable de déposer des projets de loi sur une société d'exportation, sur la colonisation intérieure et sur les travaux d'assainissement des villes et des communes rurales.

M. le ministre des affaires étrangères, en nous faisant connaître l'opinion des différentes chambres de commerce du pays, a cherché à démontrer que l’établissement d'une société de commerce serait tout à fait impossible en ce moment.

Mais je ferai remarquer qu'aussi longtemps qu'un projet n'est pas définitivement arrêté, on rencontrera toujours une grande hésitation et qu'il sera difficile d'obtenir des propositions formelles.

Je crois que c'était principalement sur Anvers que nous pouvions compter. Et en effet, c'est à Anvers que le gouvernement a trouvé les fonds nécessaires pour établir des comptoirs de commerce. Encore quelques efforts, et peut-être le noyau de la société que nous avons eu vue parvenait à se former.

Nous n'avons pas des renseignements bien précis sur les comptoirs que le gouvernement a l'intention d'établir ; mais leur utilité, en ce qui concerne l'industrie linière, me semble au moins problématique; car, d’après la note que M. le ministre des affaires étrangères a communiquée à la section centrale, il s'agit uniquement d'ouvrir des rapports directs entre la Belgique et l'Inde.

Or, vous savez, messieurs, que l'industrie linière doit trouver son principal débouché en Amérique; c'est le marché le plus important du globe.

Je comprends l'établissement de comptoirs combinés avec une société de commerce, mais je crains que l’établissement de ces comptoirs, fait isolément, ne soit en définitive la mort de la société d'exportation.

M. te ministre des affaires étrangères nous a dit que ce serait un véritable charlatanisme de venir soumettre à la chambre un projet de loi relatif à la création d'un pareil établissement. Mais en est-il de même, messieurs, en ce qui concerne la colonisation intérieure et les mesures à prendre dans l’intérêt de la santé publique?

Rien ne nous empêchait de discuter des projets de loi sur ces matières s'ils avaient été présentés en temps utile. Ces projets, bien connus, bien élaborés, auraient eu les sympathies de la législature; il eût été utile de les soumettre à une discussion approfondie. Le vote ne pouvait pas être douteux, car si le pays a énergiquement repoussé des incuries chimériques, il n'a jamais reculé quand il s'est agi de réaliser des progrès véritables.

J’appuierai, messieurs, le crédit demandé, mais comme moyen transitoire pour arriver à une législation permanente.

De quoi s'agit-il en ce moment? D'accorder au gouvernement un vote de confiance pour aider au maintien du travail agricole, industriel et artistique, ainsi que pour toutes autres mesures à prendre dans l'intérêt des classes ouvrières.

En bien, il me semble que nous ne devons rien préjuger en ce qui concerne les moyens auxquels le gouvernement croira devoir recourir pour atteindre le but qu'il se propose.

Dans le fait, vous autorisez le gouvernement à faire des essais; vous aurez plus tard à vous prononcer sur le mérite de ces essais, vous aurez à vous prononcer sur les principes qui devront passer définitivement dans la législation. Il y aurait quelque inconvénient à discuter chacune des menues que le gouvernement a énumérées pour justifier la demande de crédit qu’il nous a soumise.

Ce crédit est global; il n'y a aucun article réglant les mesures d'exécution, je crois que le gouvernement doit en avoir toute la responsabilité, si des membres émettent leur opinion sur les questions que le projet de loi soulève, ce ne peut être, me semble-t-il, qu'à titre de renseignements.

Messieurs, l'honorable M. Moncheur, dans son rapport et dans les considérations qu'il a présentées hier à la chambre, a fait connaître les motifs qui ont déterminé la section centrale à rejeter le projet du gouvernement. C'est, en résumé, l'exposition pure et rigoureuse de certaines doctrines qui peuvent sourire aussi longtemps qu'il ne s'agit pas d'en faire l'application; une impérieuse nécessité les réduit à leur juste valeur ; les conclusions de l'honorable membre le démontrent de la manière la plus évidente.

Je sais qu'il n'y a pas de panacée pour guérir les maux de la société; mais est-ce à dire que le gouvernement doive rester inactif, qu'il doit laisser faire?

Je vous le demande, messieurs, si un gouvernement inscrivait ces principes dans son programme, où trouverait-il une majorité pour l'appuyer?

Je suis entièrement convaincu qu'un bon gouvernement peut faire beaucoup pour l'amélioration du sort des classes ouvrières. Le gouvernement peut faire beaucoup pour elles en stimulant le travail et en encourageant la prévoyance. Le travail, c'est le pain de tous; les ouvriers qui manquent de travail tombent, en définitive, à la charge de l'Etat ; quoi que vous fassiez, vous les retrouverez à la porte des hospices et du bureau de bienfaisance; vous les retrouverez dans les prisons.

On a parlé des dépenses qui résultent de l'intervention du gouvernement! Mais les dépenses n'augmenteront-elles pas bien plus par la progression des crimes, par la progression des frais de justice, par les mesures de police qui devront être multipliées ?

L'honorable rapporteur a peu de confiance dans les mesures que des personnes qui s'occupent davantage de philanthropie que de finances croient devoir proposer ; mais si l'on se préoccupait froidement de l'intérêt financier, je demanderais à l'honorable membre s'il connaît un moyen plus efficace pour remplir les caisses de l'Etat, que le développement de l'industrie, du commerce et de l'agriculture, c'est-à-dire la diminution du malaise général.

L'honorable M. Moncheur a reconnu que l'horizon n'est pas encore assez éclairci pour que l'on puisse considérer la situation comme parfaitement normale ; ce n'est pas parce que l'horizon est couvert de nuages que je voterai le crédit, c'est pour empêcher que ces nuages ne s'amoncellent que je le voterai et que j'engagerai le gouvernement à aller plus loin.

Messieurs, les améliorations ont de la peine à se faire jour; et ici je dois rendre justice à M. le ministre de l'intérieur : dès 1834 il s'est préoccupé de la question d'assainissement des villes et des communes rurales; mais vous voyez, messieurs, que les bonnes idées marchent lentement, car aujourd'hui nous en sommes encore à quelques essais très incomplets. D'ailleurs, je le répète, ce que nous faisons n'est que le premier pas; le gouvernement devra faire davantage; qu'on ne se le dissimule pas, la question des Flandres n'est pas résolue et il faudra la résoudre; comme l'Angleterre devra résoudre la question de l'Irlande. Il y a d'autres difficultés, d'autres complications que dans les Flandres, j'en conviens; mais la solution du problème est une question vitale pour l'empire britannique.

Je ne crains pas, messieurs, d'insister sur cette idée; je l'appuie sur l'opinion d'un homme d'Etat dont personne ici sans doute ne récusera l'autorité.

« C'est en vain, disait sir Robert Peel, dans une des dernières séances du parlement, que l'Angleterre pense par indifférence ou par négligence se débarrasser du fardeau. Ce fardeau pèsera sur elle avec une force plus intense, et le résultat sera que les districts anglais seront réduits à la même condition que ceux de l'Irlande. »

Ces paroles, messieurs, peuvent être méditées , je n'y ajouterai rien.

Dans mon opinion, les travaux que le gouvernement fera entreprendre, les encouragements qu'il donnera pour développer l'industrie, le commerce et l'agriculture, peuvent devenir le fondement d'un meilleur état de choses. Je suis loin d'exclure l'énergie individuelle, mais dans notre pays elle a encore besoin d'être fortement stimulée. Les particuliers n'ont pas encore assez foi en eux-mêmes; des entreprises mal conçues, mal dirigées suffiraient pour paralyser le mouvement qui commence à s'opérer.

Il est temps de s'occuper sérieusement de la colonisation intérieure et des moyens de faciliter l'exportation de nos produits; le gouvernement est à même d'avoir sur ces matières l'avis des hommes les plus compétents. Je désire bien vivement que les essais qu'il va tenter réussissent de la manière la plus complète. Il est temps de se mettre à l'œuvre. Le pays attend des actes.

Quant à moi, messieurs, s'il m'était permis d'émettre un vœu, je demanderais un peu moins de discours et plus de faits. Je suis assez tenté de partager l'opinion d'un publiciste célèbre, qui prétend que les discours sout des tentes par lesquelles les forces vives du pays s'échappent depuis trop longtemps.

M. Bruneau. - Messieurs, la section centrale a combattu les différents points du projet de loi au nom de ce qu'elle appelle les principes.

Je ne veux pas faire ici un paradoxe; mais je crois que ce mot de principes a empêché beaucoup plus de bonnes choses de naître qu'il n'en a arrêté de mauvaises.

En politique comme en administration, à part les principes d'éternelle justice, il n'y a guère de principes fixes et absolus; il se modifient selon les temps et les besoins de la société.

Il y a 30 ans, il y a 2 ans même encore dans différents pays, on considérait comme des principes mauvais, dangereux, toutes les doctrines qi ont amené le régime constitutionnel.

(page 1555) Au 20 février 1848, l'illustre M. Guizot considérait comme un mauvais principe la réforme électorale, et vous savez ce qui en est arrivé.

Aujourd'hui le régime constitutionnelles principes de la réforme, tels qu'on les entendait alors, sont devenus des principes conservateurs.

Je crois donc pouvoir dire qu'en politique comme en administration, les bons principes sont l'application d'actes justes, utiles, avantageux ou nécessaires. Les mauvais principes sont l'application d'actes injustes, inutiles, stériles ou nuisibles.

C'est à ce point de vue que je me propose d'examiner le projet de loi et les objections de la section centrale.

Le premier point auquel est destinée une partie du crédit demandé par le gouvernement, concerne les encouragements à l'industrie et au commerce d'exportation.

La section centrale a critiqué cette partie du crédit principalement en ce qui concerne les primes d'exportation qui ont été accordées en vue de faciliter les expéditions de produits belges et notamment des produits de l'industrie des Flandres vers des marchés nouveaux.

Mais il résulte du rapport fait par M. le ministre de l'intérieur sur l'emploi du crédit mis précédemment à sa disposition, que la partie la moins importante de ce crédit a reçu cette destination qui ne peut être considérée que comme une mesure transitoire et essentiellement temporaire, mais que la plus grande partie du crédit nouveau qui est demandé est spécialement destinée à faciliter la réalisation des efforts qui se poursuivent afin de varier, de développer et de perfectionner le travail industriel dans les Flandres.

Pour ma part, je ne puis trop engager le gouvernement à persister dans cette voie.

L'introduction d'industries nouvelles dans les Flandres, l'amélioration des anciens modes de fabrication au moyen d'ateliers modèles, d'outils perfectionnés et d'autres encouragements de même nature, sont le remède le plus efficace à la situation de ces provinces.

La prochaine exposition de l'industrie qui va avoir lieu à Gand démontrera, j'en ai la conviction, les heureux effets des mesures qui ont été prises à cet égard par le ministère, et je puis dire que les ateliers modèles qui ont été établis à Alost donneront en particulier la preuve de l'efficacité de ces mesures par la variété et la perfection de leurs produits.

Le second objet auquel doit s'appliquer le crédit demandé est relatif aux améliorations agricoles, et à la colonisation intérieure.

La chambre ne peut croire qu'elle a fait jusqu'à présent tout ce qu'elle devait faire pour les Flandres. Sa tâche est loin d'être finie, on peut dire même que jusqu'à présent elle n'a encore pu s'occuper que des mesures transitoires. L'application de mesures permanentes et d'avenir doit continuer et se développer encore si on veut en retirer de bons effets.

Parmi ces mesures, les améliorations agricoles et la colonisation intérieure ont été indiquées par la commission instituée au ministère de l'intérieur pour les affaires des Flandres, et qui est présidée par l'un de nos honorables collègues des Flandres, qui a fait une étude toute spéciale de ces questions et auquel je m'en rapporterai volontiers sur ce point.

Enfin, messieurs, les autres objets auxquels le crédit demandé est destiné, concernent l'amélioration de la voirie vicinale et les travaux d'assainissement des villes et communes dans les quartiers occupés par la classe ouvrière.

La section centrale approuve la partie du crédit qui doit être appliquée à l'amélioration de la voirie vicinale, elle propose même de l'augmenter de cent mille francs, mais elle rejette la partie qui concerne les travaux d'hygiène publique.

J'approuve, comme la section centrale, tous les crédits demandés en faveur de la voirie vicinale; j'ai la conviction que c'est un des moyens les plus efficaces de développer l'activité nationale, et, comme le dit l'honorable rapporteur de la section centrale, d'augmenter la valeur des propriétés territoriales, c'est-à-dire le capital de ceux qui possèdent.

Mais, messieurs, le capital du pauvre, de l'ouvrier, c'est sa vie, ce sont ses bras, c'est sa santé surtout, et les crédits qui sont destinés aux travaux d'assainissement dans les villes et communes des quartiers occupés par la classe ouvrière ne méritent pas moins nos sympathies.

Quant à moi, messieurs, c'est à cette catégorie de dépenses que je voudrais voir employer une bonne partie du crédit demandé.

Je l'approuve non seulement comme l'application d'un principe utile et nécessaire, mais encore comme un bon acte d'administration, et voici comment j'entends cette application :

Vous savez, messieurs, qu'aujourd'hui dans les villes surtout, les habitations de pauvres sont souvent l'objet d'une spéculation assez lucrative. L'unique but des entrepreneurs est d'entasser le plus grand nombre d’habitations sur le plus petit espace possible. Je ne suis pas d'avis que l'administration doive intervenir dans ces entreprises particulières autrement que par des mesures de police locale qui garantissent la salubrité publique; mais je crois qu'il serait utile d'engager les administrations des bureaux de bienfaisance , au moyen de l'allocation de subsides, à faire construire elles-mêmes des maisons d'habitations pour les pauvres qu'ils doivent entretenir, et pour lesquels ils doivent aujourd'hui payer la majeure partie, ou même la totalité des loyers à titre d'aumônes.

J'ai la conviction que ce mode d'emploi de leurs fonds serait beaucoup plus productif que l'acquisition de biens immeubles qui ne produisent que 2 1/2 à 3 p. c, et leur permettrait ainsi d'aider plus efficacement leurs pauvres, eu leur procurant en même temps des habitations propres et salubres.

Ce moyen, en créant une concurrence aux entreprises particulières, aurait encore pour résultat d'améliorer la construction de celles-ci, et de faire ainsi disparaître ces bouges infects où nos populations malheureuses vont s'étioler ou s'abrutir.

J'appelle toute la sollicitude de M. le ministre de l'intérieur sur ce point, je l'engage à exciter les administrations locales et de bienfaisance à entrer dans cette voie au moyen de subsides à leur allouer, et je suis assuré qu'elles en retireront d'heureux fruits.

Il me reste à dire quelques mots sur le projet d'établissement de comptoirs pour l'exportation. Si j'avais à me prononcer sur les conditions de ce projet tel qu'il nous est indiqué, j'avoue que j'aurais beaucoup de ses dispositions à critiquer.

J'avoue aussi que je crains, ainsi que l'honorable préopinant, de voir dans ce projet une cause d'éloignement de la société d'exportation, objet de nos vœux depuis si longtemps, notamment dans les Flandres.

Je regrette de ne pas voir dans ce projet une stipulation particulière qui assure la participation de l'industrie principale des Flandres, de l'industrie toilière. Mais, comme l'honorable préopinant, je ne le considère que comme un premier pas et comme un projet susceptible de modifications. Je ne refuse donc pas le crédit demandé pour l'établissement des comptoirs, mais dans l'espérance que le gouvernement obtiendra des conditions bien meilleures, lorsque le projet définitif sera arrêté.

Ainsi je trouve exorbitante la part faite dans le projet aux pertes à supporter par le gouvernement, dans le cas de liquidation forcée lorsque la perte s'élèverait à 30 p. c. du capital.

Le gouvernement y interviendrait pour 25 p. c., c'est-à-dire, que le gouvernement intervenant pour un quart dans le capital, supporterait les cinq sixièmes de la perte, tandis que les capitalistes pourraient ne supporter aucune perte ; car il est équitable que, d'après les stipulations de cette société, les directeurs devront être rémunérés.

Il est probable également que les personnes qui interviendront à titre d'administrateurs ou d'actionnaires auront l'occasion plus tard de faire des affaires personnelles avec cette société, soit comme négociants, soit comme fabricants, soit à tout autre titre. Ils trouveront ainsi un avantage de ce côté. Il en résultera qu'ils ne supporteront aucune perte, et que l'Etat supportera la perte en totalité.

Eh bien! je crois que c'est là un contrat léonin et que si l'Etat intervenait dans la perte pour 15 p. c, par exemple, il ferait tout ce qu'on peut demander, puisqu'il ne fournit qu'un quart du capital et qu'il supporterait la moitié de la perte.

J'appelle l'attention de M. le ministre des affaires étrangères sur ces observations, et dans ces vues je n'hésiterai pas à accorder le crédit qui nous est demandé.

M. Delehaye. - Messieurs, depuis les événements de février de l'année dernière, j'ai eu souvent l'occasion d'exprimer mon opinion sur les dangers qui pourrait réellement menacer la Belgique. Les événements sont venus confirmer de la manière la plus éclatante l'opinion que j'avais émise à cet égard.

J'ai toujours pensé, et je persiste à penser, que pour la Belgique il n'y a pas d'autre danger que celui qui peut provenir de la stagnation du travail de l'inactivité de l'ouvrier.

J'ai dis bien des fois qu'il suffisait de donner du travail à l'ouvrier, de lui assurer des moyens honorables d'existence, pour que l'appel fait aux mauvaises passions n'obtint auprès de lui aucun résultat. Ce qui s'est passé dans deux des principales villes du royaume, où les provocations de quelques insensées ont été étouffés par l'ouvrier lui-même, prouve suffisamment que si la chambre persiste à allouer des subsides pour donner du travail aux ouvriers, le maintien de l'ordre est assuré dans notre pays.

J'ai donc été d'accord avec le gouvernement sur tous les points lorsqu'il s'est agi de maintenir l'activité de nos ouvriers. J'ai été d'accord avec lui et j'ai mis à sa disposition toutes les sommes qu'il nous a demandées, aujourd'hui encore je ne lui en refuserai aucune, quelque élevées qu'elles puissent paraître. Appréciant mieux que la section centrale les véritables besoins du pays, et l'utilité de la somme que nous demande le gouvernement, je le lui accorderai tout entière.

Cependant, je dois le dire, je ne suis pas complètement d'accord avec le gouvernement sur l'efficacité des mesures pour lesquelles le crédit est destiné.

Quant aux encouragements à donner à l'industrie, en général, les mesures qui ont été prises jusqu'ici par le gouvernement ont mon entier assentiment. Le gouvernement a bien fait, je dirai même qu'il ne pouvait se dispenser de faire ce qu'il a fait pour l'industrie en général. Les primes d'exportation, de quelque manière qu'on les envisage, quelque qualification qu'on veuille leur donner, étaient une nécessité; sans elles il eût été impossible de maintenir le travail dans le pays. Vous vous trouviez en présence des événements de l'Europe qui rendaient les exportations impossibles et qui rendaient la consommation intérieure même à près nulle. Vous savez aussi bien que moi, il est inutile d'insister sur ce fait, que les ventes ne se faisaient plus à l'intérieur, qu'elles se faisaient beaucoup plus difficilement encore à l'étranger, tant chacun comprenait la nécessité de l'économie.

La France, pour déblayer son marché intérieur, s'est vue forcée d'accorder des primes. Dans cette situation, et en présence des sacrifices que faisait l'Angleterre en faveur de son industrie, vous avez été obligés de recourir à une semblable mesure. Le gouvernement a donc bien fait (page 1556) d'accorder des primes d’exportation. Je lui dirai même qu'il commettrait une grande faute s'il déclarait dès aujourd'hui qu'à une époque donnée il n'accordera plus de primes d’exportation. Qu'arriverait-il en effet, si pareille déclaration était faite? Messieurs, ne vous le dissimulez pas, il existe encore sur le marché intérieur une grande quantité de produits fabriques. Si le fabricant était certain qu'à une époque rapprochée toute prime d'exportation sera supprimée, il devrait ralentir sa production, et une partie de nos ouvriers se trouverait sans travail. Il vaut mieux laisser cette question dans le doute, et se borner à faire connaître au pays que la sympathie de la législature ne fera jamais défaut au travail.

Je sais très bien que, comme l'a dit l'honorable rapporteur de la section centrale, pour qu'un produit soit exportable, il faut qu'il convienne à l'étranger ; et sous ce rapport, l'industrie belge, placée dans des conditions d'égalité, n'a rien à craindre de la concurrence étrangère. Mais lorsque vous voyez que dans un pays où nous avions des débouchés considérables, qu'en France, à l'aide d'une protection sage, l'industrie linière est parvenue à prendre les développements les plus considérables, ne convient-il pas que vous accordiez aussi à voire industrie la protection qu'elle sollicite? Je demanderai à mes honorables adversaires de bien vouloir pour un instant quitter le champ des théories, de ne plus s'abandonner aux théories de la liberté commerciale, liberté qui, comme toutes les autres, a des chances, liberté sur laquelle il est facile de faire de beaux discours; mais quand il s'agit de la pratique, toutes ces belles phrases disparaissent.

Je leur demande de bien vouloir me répondre à ce seul fait : Comment eût-il été possible que la France fût parvenue à expulser notre industrie linière de son marché sans le système protecteur qu'elle a embrassé ? Qu'ils me disent si, la France proclamant la liberté commerciale, un pareil résultat eût été possible.

Notre industrie linière, comme notre industrie cotonnière, peuvent être citées comme modèles en Europe. Sous le rapport des progrès, nous n'avons rien à envier aux étrangers. Mais ce qui nous arrête, ce sont les obstacles que nous suscitent les étrangers pour protéger leur propre industrie.

Je dis donc que le gouvernement a parfaitement bien fait en adoptant ce système de primes, système qui n'est d'ailleurs que momentané, qui deviendrait mauvais s'il était proclamé comme permanent, mais comme mesure transitoire, réclamée par les circonstances, il doit avoir votre assentiment. Je n'ai d'ailleurs qu'à citer les résultats qu'a produits cette mesure, pour que tous vous y applaudissiez. C'est par suite de l'adoption de ce système que vous êtes parvenus à débarrasser votre marché intérieur d'un encombrement qui était tel que si le fabricant n'avait consulté que ses intérêts, il aurait dû mettre un terme à sa fabrication. C'est parce que vous êtes parvenu à déblayer le marché intérieur, que l'activité de l'ouvrier a pu être maintenue.

Un second motif pour lequel le gouvernement nous demande des subsides, ce sont les améliorations agricoles et la colonisation à l'intérieur.

Les améliorations agricoles, il faut le reconnaître, ont depuis longtemps déjà et à plusieurs reprises, l'assistance de la chambre. Chaque fois que le gouvernement est venu manifester sa sympathie pour l'industrie agricole, il a eu l'assentiment de la chambre. Cette fois encore cet assentiment ne lui fera pas défaut.

Mais quant à la colonisation à l'intérieur, je crois, comme un honorable préopinant, que cette matière aurait dû être réglée par une loi. Nous ne sommes pas tous d'accord sur la colonisation intérieure, et je vous l'avoue, il est tel système appliqué à la colonisation intérieure, qui n'aurait pas mon assentiment. Ainsi je comprendrais difficilement qu'alors que vous établissez dans les Flandres un grand nombre d'industries nouvelles, vous songeassiez dans le même temps à déplacer une partie de vos populations.

Ne vous le dissimulez pas, les individus constituent aussi un capital et ce ne sont pas les pays les plus pauvres qui ont la population la plus considérable, surtout quand cette population trouve à s'occuper. Eh bien ! je ne suis pas entièrement d'accord avec le gouvernement sur le mode de colonisation à introduire. J'aurais voulu, comme mon honorable ami M. T'Kint de Naeyer, que cet objet fût réglé par une loi. Mais en l'absence d'une loi, laissant au gouvernement la responsabilité des mesures qu'il croira devoir prendre, je n'aurai garde de rejeter le subside qu'il nous demande.

Vient ensuite, messieurs, un subside pour l'assainissement des villes et communes rurales. Un honorable collègue, qui a parlé immédiatement avant moi, a dit qu'il faut faire concurrence à la propriété privée. Je partage entièrement cette manière de voir. Que se passe-t-il dans les grandes villes? Il suffit qu'un propriétaire d'un terrain quelconque dont il veut tirer immédiatement parti, le couvre d'un grand nombre d'habitations toutes plus malsaines les unes que les autres. Son unique but, c'est de tirer de la propriété un revenu considérable. Eh bien, engagez les bureaux de bienfaisance, les hospices à faire concurrence à ces propriétaires; que ces institutions obtiennent des subsides du gouvernement pour construire, de leur côté, des habitations destinées à la classe pauvre, et vous arriverez aux plus heureux résultats.

Nous avons déjà à Gand un exemple de ce que l'on peut faire sous ce rapport. Les hospices de Gand sont propriétaires de plusieurs maisons habitées par la classe moyenne, maisons saines et dont le loyer est très peu élevé. Il en résulte un très grand avantage pour les hospices et pour ceux qui habitent ces maisons.

Mais, messieurs, il ne suffit pas de procurer aux ouvriers des logements convenables, il faut encore songer à tout ce qu'exige l'hygiène publique. En Angleterre, il est fortement question d'obliger les paroisses à créer partout des bains et des lavoirs publics, dont le peuple puisse user à un prix très faible. On pourrait en établir également, dans les établissements que construiraient les hospices et les bureaux de bienfaisance. Nous devons, sous ce rapport, imiter l'Angleterre, pays fort digne de notre admiration à bien des égards.

J'espère que le gouvernement ne perdra pas cet objet de vue lorsque la chambre aura mis à sa disposition les fonds qu'il demande et qui, selon moi, ne sont pas assez considérables en présence des grands intérêts dont il s'agit.

Je dirai peu de chose de la partie du crédit qui est destinée à la voirie vicinale. Dans mon opinion, ce qu'on peut faire de mieux pour l'agriculture la protection la plus efficace qu'on puisse lui accorder, c'est l'amélioration de la voirie vicinale. Je suis donc disposé à accorder au gouvernement toutes les sommes qu'il demandera pour cet objet, bien que la voirie vicinale soit très bien soignée dans la province à laquelle j'appartiens.

Quant à la somme que le gouvernement sollicite pour les lettres et les arts, je crois, en effet, qu'elle pourrait aujourd'hui être réduite de quelque chose. Cependant, comme j'ai déjà eu l'honneur de le dire, les hommes qui se livrent aux lettres et aux arts méritent aussi la protection de l'Etat. S'ils ne sont pas immédiatement utiles à la classe ouvrière, ils produisent un grand résultat ; ils concourent à donner à l'étranger une opinion favorable de la Belgique. Jusqu'ici notre pays n'a reculé devant aucune amélioration ; les lettres et les arts y sont cultivés avec le même succès que toutes les industries. Nous devons faire tous nos efforts pour nous maintenir dans cette voie.

Mais, messieurs, je ne puis pas donner mon assentiment à la dernière proposition du gouvernement. Comme l'honorable M. Dechamps, je suis intimement convaincu qu'en donnant au gouvernement l'autorisation de conclure un arrangement avec une société chargée de l'établissement d'un comptoir, nous compromettons la formation de toute société d'exportation. Il ne faut pas se le dissimuler, messieurs, le plus grand obstacle que rencontre aujourd'hui une semblable institution ce sont tous les vains essais que nous avons tentés.

Si dès le principe, ainsi que l'a dit l'honorable M. Dechamps, nous avions consacré toutes les sommes dépensées pour l'industrie linière à des mesures réellement utiles, à la création d'une société d'exportation, par exemple, depuis longtemps nous aurions obtenu de beaux résultats. Eh bien, je crains que l'établissement d'un comptoir ne soit encore une de ces mesures qui éloignent la réalisation de projets réellement utiles.

Cependant, messieurs, je ne voterai pas contre le crédit qui est demandé pour cet objet ; je veux laisser la responsabilité du gouvernement entière. Mais j'aurais voulu que le ministère vous eût donné le temps de réfléchir; j'aurais voulu que les chambres de commerce eussent été consultées sur la proposition soumise au gouvernement, et je suis persuadé que toutes elles eussent déclaré que l'établissement d'un comptoir sur le point dont il s'agit ne peut être d'aucune utilité pour l'industrie linière. Or, je crains que plus tard on n'ajoute la somme consacrée à l'établissement de ce comptoir aux autres sommes dépensées pour l'industrie linière et qu'en faisant ce relevé on ne dise que toutes ces tentatives infructueuses doivent s'arrêter. La création d'une société d'exportation, mesure réellement utile, serait ainsi rendue impossible.

Je finis, messieurs; l'industrie belge ne le cède à aucune autre; à conditions égales, nous pouvons lutter avec toutes les nations, mais il nous manque une chose : le Belge est trop prudent; il reculerait devant les pertes que peuvent présenter les entreprises commerciales lointaines. Lors de la réunion de la Belgique et de la Hollande, nous n'avions pas besoin de cet esprit commercial que nos anciens frères du Nord possèdent à un si haut degré; nous vendions nos produits par leur entremise.

Nous pourrions récupérer cet avantage par un large traité de commerce avec les Pays-Bas. Un semblable traité nous procurerait de bien plus grands débouchés que nous ne pourrons jamais en obtenir au moyen de l'établissement de comptoirs.

Je recommande ce point à toute l'attention du gouvernement, et je désire que M. le ministre des affaires étrangères ne perde pas un seul instant vie vue la haute utilité de négociations commerciales bien dirigées avec la Hollande.

(page 1569) M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Messieurs, je ne veux pas occuper pour longtemps la place des orateurs inscrits; nous agitons des questions sur lesquelles je comprends que beaucoup de membres aiment faire connaîtra leur opinion. Quant à nous, nous aimons beaucoup aussi à entendre nos honorables collègues s'expliquer sur toutes ces questions. Cependant, messieurs, je dois, dès ce moment, rectifier une erreur commise par deux honorables députés de Gand. Ils pensent que l'établissement de comptoirs n'a pas été réclamé par le commerce ; ils voient même dans les comptoirs le tombeau de la société d'exportation. Eh bien, messieurs, s'il est une question sur laquelle, de tout temps, toutes les opinions ont été d'accord, c'est précisément sur l'utilité de l'établissement de comptoirs. Les chambres de commerce ont recommandé l'établissement de comptoirs ; celles qui se montraient contraires à la société d'exportation conseillaient les comptoirs.

Dans le budget de 1848, un crédit spécial de 100,000 francs avait été proposé pour l'établissement de comptoirs. Est-ce que la section centrale les repoussa? Nullement; la section centrale insista sur l'utilité des comptoirs, mais elle demanda au ministre d'en faire l'objet d'une proposition spéciale. Ce fut de commun accord entre le gouvernement et la section centrale, que le crédit fut momentanément retiré du budget, pour devenir l'objet d'une proposition spéciale. La section centrale, à l'unanimité, s'était prononcée pour l'établissement de comptoirs. Cela résulte de la discussion du 30 novembre 1848.

« Ce que demande la section centrale, disait l'honorable M. Osy, ce n'est pas un ajournement, c'est la conversion de la demande du gouvernement en un projet de loi spécial. »

M. de Haerne disait : « Je prie M. le ministre de bien vouloir présenter ce projet le plus tôt possible et sans le subordonner au projet de loi sur la formation d'une société d'exportation. »

M. le ministre répondait : « Je considère l'ajournement comme ne pouvant pas être de longue durée. »

L'honorable M. Gilson ne voulait pas qu'on retirât le crédit du budget; il craignait qu'on n'ajournât pour un terme indéfini l'établissement des comptoirs.

Ainsi, cette institution a l'avantage d'avoir été recommandée par tous ceux qui, dans cette enceinte, ont demandé au gouvernement de prendre des mesures en faveur du commerce d'exportation. Toutes les chambres de commerce, je le répète, sauf deux, se sont prononcées, à deux reprises différentes, en faveur de l'établissement de comptoirs. Le gouvernement ne s'est jamais refusé en principe à cette institution; il a annoncé aux industriels que le jour où ils seraient prêts à former une association, il leur viendrait en aide par un subside.

Cette circonstance, que nous avons attendue longtemps, se présente en ce moment; nous croyons qu'il est utile et urgent de la saisir. Ce n'est pas à dire pour cela que nous voulions entraîner le trésor dans des opérations trop onéreuses.

Nous croyons que, dans toute hypothèse, qu'il se forme par la suite une société d'exportation ou qu'il ne s'en forme pas, l'établissement de comptoirs sera toujours une institution utile. Si une société d'exportation doit se former, les comptoirs seront un premier pas vers cette institution plus grande ; si une société d'exportation ne se forme pas, des comptoirs pourront s'établir successivement et tenir lieu, jusqu'à un certain point, d'une société d'exportation établie sur une plus large échelle.

Ici encore, comme dans toutes les dépenses qui sont proposées à la chambre, le gouvernement procède par voie de stimulant, d'encouragement, pour la satisfaction des besoins nés des circonstances.

Le gouvernement n'aventurera pas légèrement les sommes qui seront mises à sa disposition, et il l'a prouvé dans les circonstances les plus difficiles, dans des circonstances où personne, je pense, ne serait venu reprocher au gouvernement d'avoir dépensé d'une manière trop libérale les fonds qui lui avaient été accordés; ces circonstances difficiles, il les a traversées avec une allocation de 2 millions qui lui avait été donnée, sans condition, pour entretenir le travail; il les a traversées, au-delà même du terme assigné, au moyen d'une dépense, non remboursable, de 1,100,000 fr. et d'une somme de 900,000 fr. distribuée en prêts.

Messieurs, les crédits qui ont été alloués au gouvernement pour venir en aide à la situation, et notamment à l'état des Flandres, ces crédits ne sont pas considérables. Un premier crédit de 500,000 fr. a été accordé au gouvernement en 1847; après la révolution de France, un autre crédit de 2 millions de fr. a été mis à sa disposition; ensemble 2,500,000 fr. ; voilà ce dont le gouvernement a pu disposer pour venir en aide à cette grande crise des Flandres, compliquée depuis par la crise générale. Eh bien ! sur la somme de 2,500,000 fr., le gouvernement s'est réservé le retour de près d'un million. Je demande si, après un tel emploi des fonds mis à la disposition du gouvernement, vous avez à craindre qu'il ne vienne à abuser du nouveau crédit qu'il demande.

Ce nouveau sacrifice qu'il réclame est en tout d'un million à répartir sur deux années. Au moyen de ce million, joint aux 2,000,000 fr. qui ont déjà été alloués par les chambres, le gouvernement n'aura pas encore atteint les 3,700,000 fr. qu'il avait demandés le 23 février 1848 , et qui lui avaient été accordés en principe par la section centrale.

Messieurs, nous continuerons d'encourager tous les efforts individuels, tous les efforts des communes, des bureaux de bienfaisance par des subsides sagement et sobrement distribués. Il serait ridicule de songer à faire face à tous les besoins que nous signalons, au moyen de la somme d'un million. Ce million doit en produire 5 ou 6. Sans cela, ce serait se jouer du parlement, que de lui promettre de grands résultats au moyen d'un million.

Il arrivera ici ce qui est arrivé pour la voirie vicinale. C'est à l'aide de subsides, sagement répartis dans tout le pays, que chaque année les sommes mises à la disposition du gouvernement ont produit des dépenses triples, quadruples, quintuples de celles que faisait le gouvernement. C'est ainsi que nous agirons pour les travaux d'assainissement dans les villes. Sous ce rapport, les conseils donnés par d'honorables députés des Flandres m'ont paru fort sages. Nous croyons que les établissements publics, les bureaux de bienfaisance, doivent être sollicités par le gouvernement, et surtout par les administrations communales, & changer en quelque sorte la nature des secours qu'ils distribuent aux pauvres. Au lieu de distribuer les secours ordinaires, je crois que les bureaux de bienfaisance agiraient plus utilement en leur procurant des logements propres et commodes, en leur distribuant de l'air, du jour, de la santé, tous moyens de perfectionnement moral et matériel pour les classes pauvres.

Il faut que tout le monde concoure à cette grande affaire ; le gouvernement remplit son rôle en stimulant; c'est à la charité privée, aux bureaux de bienfaisance, aux communes et aux provinces, à opérer successivement toutes ces améliorations qui sont si vivement réclamées par les besoins de l'époque.

Messieurs, à la manière dont a marché la discussion, je prévois que le gouvernement n'aura plus de très grands efforts à faire pour soutenir les allocations qu'il demande; en général les propositions du gouvernement reçoivent un accueil favorable, et les restrictions qui y sont apportées par la section centrale ne paraissent pas rencontrer l'adhésion d'un grand nombre de membres. Mais de ce que le crédit demandé me semble aujourd'hui presque obtenu dans l'opinion de beaucoup de membres, ce n'est pas à dire que je veuille restreindre cette discussion : il est utile que la nation sache qu'on s'occupe d'elle dans ses divers ordres d'intérêt ; mais, quant à moi, je me tiendrai pour satisfait, je renoncerai même à la parole, s'il résulte des discours que nous allons entendre, à part quelques observations critiques, que l'admission du projet n'est pas contestée.

(page 1556) M. Prévinaire. - J'avais demandé la parole pour appuyer le projet du gouvernement; je pense qu'il a beaucoup de chances de réussite près de la chambre. Je désire que les orateurs qui ne partagent pas ma manière de voir veuillent bien se faire entendre, je renonce pour le moment à la parole sauf à la réclamer plus tard si je le crois nécessaire.

M. de Chimay. - Je ferai la même observation que M. Prévinaire. Du reste je ne serai pas long.

Messieurs, en terminant hier son second discours, M. le ministre de l'intérieur a dit qu'il attachait le plus grand prix à connaître l'opinion du parlement sur le projet de loi qui nous occupe. En tout temps, j'aurais compris ce désir, je le comprends surtout en présence des réserves de la section centrale, en présence du blâme indirect dont elle semble atteindre les actes accomplis et ceux que l'on prépare.

J'abandonnerai à d'autres l'appréciation et la critique du passé : Pouvait-on faire mieux ? pouvait-on faire plus? Quant à moi, je trouve qu'on (page 1557) a fait beaucoup. Sans doute, on a pu errer, comme cela arrive inévitablement dans l'application de toute idée nouvelle. Mais en somme, on a agi avec zèle et intelligence, pendant qu'ailleurs on se contente de parler et que l'on se perd dans les utopies.

Je pense que si nos éloges ne sont pas acquis sans réserve au ministère, il a droit du moins à nos sincères et loyaux encouragements.

L'honorable rapporteur a vivement critiqué l'allocation demandée pour l'assainissement des communes. Il voudrait en laisser tout le soin aux communes elles-mêmes. Si l'on avait moins sacrifié, dit-il, aux embellissements, aux monuments, on eût réalisé sans peine les améliorations réclamées exclusivement aujourd'hui du trésor public. Cela peut être vrai jusqu'à un certain point. Je conviens avec mon honorable collègue que la prévoyance des communes et des villes, comme celle de bien des gouvernements, a été prise au dépourvu, non par le choléra asiatique, mais bien par la maladie sociale, qui, partout ébranle notre vieux monde jusque dans ses derniers fondements. Mais en cela, comme en politique, ne faut-il pas tenir un peu compte du fait accompli ? Faut-il mal faire aujourd'hui, parce que hier on a mal agi ? Nous dépenserons, dit-il, des sommes incalculables ; nos deux mille communes crieront au privilège. Mais le mal est-il le même partout? Dans la crainte de froisser quelques intérêts, faut-il n'en soigner aucun? Si le concours de l'Etat est subordonné aux efforts particuliers des communes, à l'aide des provinces, peut-on admettre que toutes nos communes, toutes nos villes, sans exception , sans restriction , réclameront une part du crédit voté? Il y a près d'un an, si je ne me trompe, que les circulaires ministérielles ont provoqué les demandes des communes et des villes, et cependant je n'en vois que 22, signalées dans le rapport de la section centrale, comme ayant demandé des secours.

Mon honorable collègue, M. Dechamps, tout en promettant son appui au projet de loi, a regretté la division des moyens ; il eût voulu spécialiser davantage, et par là même rendre plus efficace l'action du gouvernement en matière d'exportation. Je partage ses regrets, mais à l'égard du comptoir, et sauf révision du projet de contrat qui me paraît aussi trop onéreux, je ne vois encore dans la mesure proposée, qu’un premier essai, digne d'intérêt et d'encouragement.

Il y a longtemps, messieurs, que l'idée d'une société d'exportation a été posée comme une des principales conditions de nos succès industriels et commerciaux. Dès 1839, et pendant ma mission en Hollande, justement préoccupé de notre situation commerciale, entouré des avis les plus compétents, je signalais pour ma part au gouvernement les immenses avantages d'une création de ce genre.

Quelles que soient l'intelligence et l'habileté de nos industriels, ils ne pourront de longtemps encore se passer d'intermédiaires dans leurs relations commerciales, avec les contrées transatlantiques surtout. Je laisserai de plus habiles que moi traiter à fond ces hautes questions; mais mon insuffisance ne m'empêche pas d'apprécier les obstacles, les entraves que la nécessité d'avances considérables de fabrication, les tâtonnements et les chances de pertes causées par l'ignorance des besoins locaux, la difficulté des retours, la rareté et l'élévation du fret apportent nécessairement aux succès des efforts particuliers.

En Belgique plus qu'ailleurs, je pense qu'il faut à l'industrie, en matière d'exportation surtout, quelques années au moins d'apprentissage et de secours. N'oublions pas, messieurs, que de 1820 à 1830, période de la naissance ou plutôt de la renaissance de nos industries, la Hollande nous a aidés de ses colonies et de ses vaisseaux. N'oublions pas que, privés tout à coup de ces avantages, et gênés sur l'Escaut sans que la France nous ait ouvert ses frontières ; c'est à peine si, depuis dix à douze ans, nous avons pu nouer des relations directes sur quelques-uns des points où le pavillon néerlandais avait seul jusqu'alors représenté la Belgique.

S'il m'était permis, messieurs, d'abandonner un instant le sujet qui m'occupe, je déplorerais ici l'étrange erreur de ceux qui, loin de sauvegarder de si précieux intérêts, en multipliant sans ostentation et sans luxe, mais dans une sage mesure, les explorations de notre pavillon, condamnent à l'impuissance les excellents, mais trop faibles éléments maritimes, que la persévérance de l'Etat était parvenue à former.

On nous a enfin parlé, messieurs, de moraliser; on a, en quelque sorte, ramené à cette haute pensée tout le projet du gouvernement.

Oui, messieurs, il faut moraliser, mais il faut aussi faire vivre. Que les primes d'exportation soient mauvaises en principe, je le veux bien ; que la création de sociétés de commerce et de comptoirs n'ait lieu qu'à titre d'essai, qu'il y ait certains inconvénients à faire intervenir ainsi et dans tout, le gouvernement, j'y consens; mais je dis cependant qu'il est de ces questions, de ces intérêts, de ces actes sur lesquels la main du gouvernement doit peser, sous peine de manquer au premier, au plus saint de ses devoirs; ce sont les questions, les intérêts, les actes qui touchent à la moralité, au bonheur, au travail des masses. Croyez-le, messieurs, l'oubli de ce grand principe a eu des conséquences plus fatales qu'on ne le pense dans l'histoire contemporaine. Les minorités qui seules font les révolutions, doivent en grande partie leur succès au malaise des majorités. Je ne me crois pas révolutionnaire, encore moins socialiste, et pour cause; je me rappelle cependant, qu'en adressant en 1836 un rapport au roi Louis-Philippe, sur mes écoles industrielles, j'avais pris cette phrase pour devise : « Les classes supérieures de la société ne devraient jamais oublier que les principales conditions de la sécurité qu'elles réclament reposent avant tout sur le bien-être et la prospérité des classes inférieurs.» Oui, messieurs c'est là un grand axiome que nous ne devons jamais perdre de vue.

Que se passe-t-il autour de nous? Quand vient le danger, c'est à qui s'occupera d'améliorations sociales; que les nuages se dissipent, les promesses sont oubliées. On dit alors qu'il faut laisser faire le temps ; qu'il faut attendre. Non, messieurs, en Belgique, il ne faut pas attendre; il faut, au contraire, redoubler d'activité ; il faut utiliser, au profil de nos populations, de leur bien-être, de leur richesse, les moments de calme et de prospérité relative que nous devons à la Providence, non moins qu'à l'admirable bon sens et à l'intelligence du pays. Croyez que ce ne sera pas la moindre gloire de notre gouvernement constitutionnel de mettre journellement en pratique les améliorations que tant de peuples, autour de nous, demandent en vain aux utopies révolutionnaires. Je désirerais, pour mon compte, que chaque perturbation européenne trouvât la Belgique plus forte d'un nouveau progrès; je voudrais que chaque victoire de l'ordre sur l'anarchie fût le signal d'un nouveau bienfait pour l'humanité. Prévoir le mal, messieurs, c'est quelquefois l'empêcher, c'est toujours l'amoindrir. Plus que tout autre, je repousse les attaques aussi outrées qu'injustes de ces myriades d'intrigants, passés réformateurs, parce qu'ils ne veulent ni ne peuvent être bons et utiles citoyens. Mais si le pouvoir, aux jours de la tempête, doit être inexorable pour eux, il doit aussi préparer sa victoire et la faire oublier par des bienfaits.

Je voterai, messieurs, pour le projet du gouvernement, non parce que je le trouve sans reproche, mais parce qu'il me paraît d'accord avec les opinions souvent émises, dans cette chambre, par les hommes les plus compétents, et qu'il me semble justifié au triple point de vue des intérêts moraux, politiques et commerciaux du pays.

M. David. - Messieurs, sans approuver toutes les questions de détail contenues dans l'exposé des motifs et les annexes qui accompagnent le projet de loi qui nous est soumis, je suis cependant favorable au principe qui a dicté les mesures que nous sommes appelés à voter, mais à la condition que le gouvernement se borne au rôle d'instigateur d'entreprises utiles, sans jamais tendre à remplacer l'industrie privée, sauf dans l'exécution de grands travaux d'utilité publique. Quelques honorables membres combattent ces principes. Mais je leur demanderai ce qu'étaient les chemins vicinaux avant l'intervention du gouvernement ? Ils répondront avec moi : De véritables bourbiers partout, oui partout.

Aujourd'hui, ils ont reçu d'assez notables améliorations dans beaucoup de localités; malheureusement elles sont encore trop restreintes; d'abord parce que les ressources financières mises à la disposition du gouvernement pour ces travaux sont insuffisantes, et que les villes, dont on croit les intérêts distincts de ceux des campagnes, ne comprennent pas encore toute l'importance du bon état de la voirie vicinale, qu'elles-mêmes ont cependant un si grand besoin de voir bien établies, bien entretenues. De là j'augure que, dans une foule de circonstances, l'intervention du gouvernement est utile, et que souvent elle devient nécessaire.

Une partie du crédit est demandée pour encouragement à l'industrie et au commerce d'exportation. Les encouragements à l'industrie seront principalement destinés aux Flandres. Dans les Flandres, bien des essais ont été faits par le gouvernement ; je l'en félicite; ils ont eu pour but de ranimer l'industrie. Seront-ils couronnés de succès? Nous n'en savons rien ; mais nous le désirons tous.

Cependant en introduisant, je dirai même avant d'introduire des industries nouvelles, les principaux efforts du gouvernement ne devraient-ils pas porter sur l'amélioration de l'industrie mère, de l'industrie séculaire de ces provinces, de l'industrie linière en un mot? Pour cela il faut améliorer l'industrie de la filature, c'est la seule qui soit restée en arrière, car le tissage marche bien, les apprêts sont brillants, bien finis, et permettent déjà d'exporter quelques toiles avec avantage, tout le monde est d'accord sur ces derniers points, et personne ne conteste l'infériorité de l'industrie de la filature dans les Flandres. Si ce fait n'était point clair pour tous, les entreprises heureuses faites dernièrement par l'administration de la prison de Saint-Bernard viendraient surabondamment le prouver.

Ces entreprises ne réussissent qu'au moyen du fil étranger que l'administration de la prison de Saint-Bernard introduit pour la fabrication de toiles destinées à l'exportation.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Elle emploie du fil belge aussi.

M. David. - En petite quantité, je pense ; car M. le ministre de la justice nous a demandé, il y a quelques jours, un crédit de 800 mille fr. pour achat du fil étranger à introduire en Belgique. Ce ne sera pas le dernier qu'on demandera pour ce genre de fabrication à part des toiles Russias, qui nécessite l'emploi d'une grande quantité de fil étranger, sans être possible encore au moyen de tout fil produit en Belgique.

M. Bruneau. - La quantité de fil belge employé augmente tous les jours.

M. David. - J'apprends cela avec plaisir. Mais pour accélérer le perfectionnement des fils, ici je reviens à une idée que déjà j'ai produite deux fois dans cette enceinte. Ne serait-il pas utile d'introduire dans les Flandres la filature à façon pour les particuliers comme cela existe pour les usines à Verviers et à Dison? Si cette idée était admise, je demanderai au gouvernement d'employer une partie de la somme destinée à encourager l'industrie, à garantir un minimum d'intérêt, 4 à 5 p. c. de la valeur des bâtiments et ustensiles employés à ce genre de filature, j'engagerai M. le ministre à vouloir examiner cette question qui, d’après moi, aurait la plus heureuse influence sur l'avenir de l'industrie linière.

Ce crédit a également pour but l'établissement de comptoirs dans les contrées transatlantiques.

(page 1558) J'approuve, jusqu'à un certain point également, l'établissement de ces comptoirs. Le commerce d'exportation en Belgique se serait, je crois, déjà considérablement développé, si le commerçant belge avait su à qui s'adresser d'une manière certaine et présentant quelque sécurité, s'il avait pu découvrir au-delà des mers des maisons étrangères méritant toute confiance, quant à la loyauté et la solidité.

Mais, messieurs, je ne pense pas que les exportations belges aient eu, en général, à se louer des maisons étrangères établies hors d'Europe : elles cherchent bien plutôt et en tout premier lieu, à faire leurs propres affaires, qu'à procurer des bénéfices par des ventes avantageuses et des retours bien choisis aux personnes qui leur confient des marchandises pour qu'elles en opèrent le placement sur le marché étranger. Toujours, le contraire est très rare, la première affaire leur confiée rend parfaitement bien; on veut vous allécher pour une deuxième ou une troisième expédition qui malheureusement emporte presque infailliblement le bénéfice fait sur la première, et le négociant belge, dégoûté, renonce à renouveler de pareilles opérations.

Pour changer un état de choses calamiteux pour notre commerce d'exportation, il faut que des maisons belges honorables aillent s'établir sur les points principaux des divers marchés du globe. Pour le moment, si les particuliers ne se sentent pas le courage d'entreprises semblable, il convient que des comptoirs donnent l'exemple, établissent des dépôts de nos marchandises à l'étranger. Ces comptoirs, subsidiés par le gouvernement, montreront le chemin à notre commerce d’exportation, à nos commissionnaires qui bientôt, encouragés par des renseignements certains obtenus, voudront fonder des établissements sur les marchés lointains. Ces comptoirs étendront bientôt leur influence sur une quantité de localités les plus importantes, d'abord dans les parages de leur siège principal. Ils y établiront des succursales dirigées par des Belges. Et enfin nous nous aurons l'avantage de pouvoir nous adresser à des maisons belges honnêtes et actives; nous serons enfin affranchis de l'obligation de nous adresser à des Anglais, par exemple, qui tout naturellement font de préférence les affaires de leurs nationaux et négligent les nôtres. D'un autre côté, il me semble que si tant est qu'une société d'exportation doive voir le jour en Belgique, les comptoirs établis doivent être les précurseurs, les avant-coureurs, les éclaireurs même de toute société de ce genre qui voudra vivre quelque temps.

Pour le moment je réserve mon opinion sur cette question. Je ne suis pas jusqu'à présent favorable à la formation d'une société d'exportation. J'ai besoin d'apaisements et d'arguments propres à m'éclairer pour changer d'avis.

Ainsi j'admets le système des comptoirs encouragés par le gouvernement; mais seulement encouragés et subsidiés par le gouvernement, aussi longtemps que des maisons belges ne seront pas là prêtes à les remplacer. Ce moment venu, il faudra que tout subside au comptoir vienne cesser, sans quoi il ferait une concurrence sérieuse aux maisons belges qui voudraient s'établir à côté de lui. Aucune ne pourrait y résister; car les subsides accordés aux comptoirs les mettraient à même d'établir des conditions de vente exceptionnellement basses, et ne pouvant rémunérer un négociant ordinaire ; celui-ci serait obligé de renoncer à lutter, et vous comprendrez, messieurs, qu'en pareille circonstance, les comptoirs auraient pour résultat bien plutôt d'empêcher que de favoriser l'extension de notre commerce d'exportation, une seule maison de commission ne pouvant suffire sur un marché d'une certaine importance. Car il est bien certain, par exemple, que vingt fabricants de Verviers ne voudront pas employer l'intermédiaire d'une même maison; les intérêts des uns seraient sacrifiés aux intérêts des autres. Pour les autres industries, il en sera de même. Ainsi il faut que le champ reste libre aux maisons particulières, lorsqu'elles seront prêtes à remplacer les comptoirs.

L'honorable M. Moncheur nous disait hier qu'il ne s'agit que de produire des marchandises exportables pour exporter. Quant à moi, je crois que c'est un point essentiel que d'avoir des marchandises exportables pour exporter; mais je prétends que cela ne suffit pas; que même pour bien vendre au-delà des mers, il ne suffit pas de trouver un acheteur. Je dis qu'il faut, en outre, avoir un bon vendeur intermédiaire, un commissionnaire intelligent et actif, sans quoi vous aurez beau expédier des marchandises magnifiques, vous n'aurez que des affaires irrégulières, vous n'essuierez que des pertes.

Tout en appuyant le système des comptoirs, je ne puis cependant approuver le projet de convention que le gouvernement a soumis à la section centrale. Je le crois trop onéreux pour le trésor, j'engage donc le gouvernement à chercher si ce projet ne pourrait pas être modifié. D'après ce que nous en connaissons, une perte de 600,000 fr. aurait pour résultat la dissolution de la société. De cette somme, 100,000 fr. seulement incomberaient comme part de perte pour les actionnaires, et peut-être encore cette perte n'en serait-elle pas une ! Car l'équivalent de cette somme aurait probablement été touché en guise d'honoraires par les directeurs et administrateurs qui, sans aucun doute, seront choisis parmi les actionnaires.

Je passe maintenant aux améliorations agricoles.

Je ne m'étendrai nullement sur cet article. Je désire cependant qu'en fait d'améliorations agricoles, le gouvernement emploie une certaine partie des fonds mis à sa déposition à fonder des classes d'agriculture, d'horticulture dans tous les établissements, je dis dans tous les établissements appelés à nous donner des instituteurs primaires.

Quant à la question matérielle des encouragements à l'agriculture, je désirerais que la plus grande quantité possible de reproducteurs mâles et femelles d'animaux domestiques fussent distribués dans les campagnes aux cultivateurs les plus expérimentés et les plus progressifs. Je voudrais aussi que, lors des concours et expositions agricoles, les primes et médailles fussent remplacées par des récompenses consistant en reproducteurs des deux sexes de nos animaux domestiques; ce serait un grand moyen d'exciter le zèle des cultivateurs et de transformer en peu d'années certaines races défectueuses du pays.

D'un autre côté, une grave question pour l'agriculture est celle du transport des engrais. J'engage le gouvernement à faciliter ce transport par tous les moyens dont il peut disposer; je lui recommanderai surtout la réduction des péages sur les canaux et rivières et sur le chemin de fer. Je suis certain que la chambre applaudirait à des réductions de ce genre et verrait avec plaisir M. le ministre des travaux publics entrer dans cette voie qui aurait pour but l'amélioration de l'agriculture.

Parmi les améliorations agricoles figurent les défrichements. Sur ce point vous connaissez ma manière de voir. Les défrichements en grand ne peuvent pas du tout me convenir. Nous manquons déjà d'engrais pour les terres cultivées. Les éparpiller sur des terres incultes, souvent peu fertiles, ce serait nuire à l'agriculture plutôt que de la favoriser; ce serait reculer au lieu d'avancer. Par contre, je suis partisan des défrichements faits avec une grande prudence, et je crois que le gouvernement fera bien de procéder avec la plus minutieuse réserve sous ce rapport.

J'admets aussi le crédit demandé pour l'assainissement des quartiers habités par les classes ouvrières dans les villes et les communes rurales ; mais je rendrai le gouvernement attentif à un piège dans lequel il pourrait tomber. Je crains que, par ci par là, ce ne soit pour embellir certains quartiers des villes que les administrations communales demanderont à participer aux subsides pétitionnés, et j'engagerai donc le gouvernement à bien examiner toutes ces demandes avant d'admettre leurs réclamations. Il faut que ce subside reçoive sa véritable destination, l'assainissement des rues et des habitations infectées.

Quant à l'amélioration de la voirie vicinale, elle constitue une question vitale pour l'agriculture. Je ne puis donc qu'approuver le crédit qui nous est demandé pour cet objet, en formant le voeu que, par la suite, des sommes plus considérables puissent être affectées à un usage aussi manifestement utile.

M. le ministre des affaires étrangères (M. d'Hoffschmidt). - Messieurs, l'honorable membre demande que le gouvernement cherche à obtenir les meilleures conditions possibles dans le contrat à intervenir entre l'Etat et la société pour l'établissement de comptoirs. Il n'est pas douteux que nous ne fassions tous nos efforts pour arriver à ce résultat. Mais il n'est pas exact de dire qu'aux conditions actuelles la société ne sera exposée qu'à une perte de 5 p. c.

La société ne pourra pas s'arrêter, lorsqu'elle aura subi une perte de 30 p. c. Elle procédera comme une maison de commerce. Lors même que son capital ne serait que de 3 millions, elle fera des opérations pour une somme plus considérable; et, en cas de perte, cette perte pourrait aller à 40, à 50 p. c. avant que les opérations pussent être arrêtées. Quoi qu'il en soit, nous tâcherons d'obtenir des conditions plus favorables.

Messieurs, je raisonne ici, comme l'ont fait constamment les honorables membres, en me plaçant dans l'hypothèse la plus défavorable, en supposant que la société fera des pertes. Mais je suis convaincu que ces résultats défavorables ne se réaliseront pas.

J'ai encore quelques observations à présenter sur des objections qui ont paru faire quelque impression sur l'honorable préopinant.

On a dit qu'on ne stipulait pas en faveur de l'industrie linière, que c'était cependant là la question principale. J'ai déjà fait remarquer que nous ne faisions qu'un premier pas dans la voie qu'il s'agit d'ouvrir, que d'autres comptoirs seraient créés dans l'avenir. Mais le comptoir à établir aux Indes orientales est sans contredit le plus important. Savez-vous, messieurs, quel est le mouvement commercial qui se fait avec les Indes orientales, indépendamment des colonies anglaises ? Il est de plus de 600,000,000 de francs, et dans cet immense mouvement, la Belgique n'intervient que pour une somme tout à fait insignifiante. Singapore, où il s'agit d'établir le comptoir principal, est un entrepôt général pour les échanges entre l'Europe et les Indes.

C'est un port fréquenté par des milliers de navires. Il s'y fait des opérations immenses,- et ces opérations s'y font sans payement de droits. C'est peut-être le point le plus important du globe, dans les contrées transatlantiques, pour les opérations commerciales; et sur ce point nous n'avons ni maison de commerce, ni comptoir, pour nous représenter. Qui niera donc qu'il y a là un immense intérêt pour le commerce belge?

Je prie la chambre d'y faire attention, de ne pas s'arrêter en définitive à la crainte de la perte éventuelle, peu probable et que, quant à moi, je ne redoute pas, d'une somme que la chambre avait déjà accordée au gouvernement, qu'elle avait sacrifiée, qu'elle croyait avoir été dépensée; car ce sera une économie du gouvernement qui sera appliquée à une entreprise qui doit amener des conséquences si favorables à nos exportations.

Si nous favorisons le tissage dans les Flandres, que ce soit pour les toiles ou pour les cotonnades, les ouvriers n'y trouvent-ils pas leur salaire? Le travail national n'y gagnera-t-il pas? Plus tard d'autres entreprises du même genre seront plus favorables à l'industrie linière. Déjà les primes d'exportation ont produit de bons résultats. D'autres mesures sont prises journellement par le département de l'intérieur. L'industrie linière, dans ce moment, se trouve dans une position relativement meilleure.

Si nous parvenons à augmenter le tissage, nous aurons rendu un (page 1559) immense service au pays; or, je n'ai pas de doute que nos cotonnades ne puissent se placer facilement dans les Indes; le tissage est à plus bas prix chez nous que partout ailleurs.

Je considère donc la mesure dont il s'agit comme étant de la plus haute importance; j'espère que la chambre partagera cette opinion.

Ce ne sera du reste pas un obstacle à l'établissement d'une société d'exportation. Comme vous l'a dit l'honorable M. David, cette question en sera au contraire éclairée; les comptoirs seront l'avant-coureur de la société d'exportation. Pourquoi ces comptoirs ne se fondraient-ils pas eux-mêmes dans une grande société d'exportation, si plus tard elle vient à se constituer?

Il ne faut pas que la chambre se laisse arrêter par cette considération.

Les comptoirs seront tellement peu un obstacle, qu'à côté du projet d'établissement d'une société de commerce, l'honorable M. Dechamps en avait présenté un autre pour l'établissement de cinq grands comptoirs.

Messieurs, la société d'exportation aura encore un champ assez vaste. Ce que je crains même pour une société de commerce, c'est que le champ à exploiter ne soit trop vaste. Il s'agira d'exploiter le monde entier; elle aura à s'occuper d'une telle foule d'opérations, que je ne sais quels hommes pourront être à même de diriger avec succès des affaires aussi multipliées.

Cette objection n'est donc pas fondée. L'établissement d'une société d'exportation sera toujours possible. Nous ne pouvons arriver en ce moment à cette création. C'est un motif de plus pour ne pas repousser une mesure utile, une mesure qui sera éminemment avantageuse à l'industrie, au commerce et à la navigation du pays.

- La séance est levée à 4 heures et demie.