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Chambres des représentants de Belgique
Séance du jeudi 13 décembre 1849

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1849-1850)

(Présidence de M. Verhaegen.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 205) M. de Luesemans procède à l'appel nominal à une heure et un quart. Il donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier, dont la rédaction est adoptée; il fait ensuite l'analyse des pièces suivantes adressées à la chambre.

Pièces adressées à la chambre

« Le conseil communal de Boussu demande que les commissaires de police reçoivent un traitement sur les fonds de l'Etat et qu'on leur accorde une indemnité au moyen de retenues sur les amendes de police revenant aux communes du canton. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Plusieurs habitants d'Engelmanshoven demandent le rejet du projet de loi sur les denrées alimentaires et l'établissement de droits protecteurs. »

« Même demande de plusieurs habitants de Gelinden, Halmael, Coninxheim et Corenne. »


-Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi sur les denrées alimentaires.

« Le conseil communal et plusieurs habitants de Boussu demandent que la station du chemin de fer dans cette commune soit dirigée par un employé revêtu du grade de chef de station. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Verstraete, capitaine pensionné, réclame l'intervention de la chambre pour obtenir la révision de sa pension. »

- Même renvoi.


« Le sieur Ferdinand Klapp, sergent-major au régiment d'élite, né à Paris, demande la naturalisation ordinaire. »

« Le sieur Olivier Meurice, caporal armurier au régiment de chasseurs carabiniers, né à Fevrière (France),demande la naturalisation ordinaire. »

- Même renvoi.


« Le sieur Seghers, enseigne de vaisseau, réclame l'intervention de la chambre pour que justice soit rendue à ses services. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Plusieurs maîtres bateliers demandent l'établissement d'un bureau de douanes à Hermeton, ou bien à l'endroit appelé le Bal-du-Prince, sur la rive gauche de la Meuse. »

M. Thibault. - Cette pétition a rapport à un point très important : la navigation de la Meuse. Le gouvernement a fait de grandes dépenses pour améliorer l'état de la Meuse. Les pétitionnaires se plaignent d'une entrave apportée à la navigation par l'emplacement du bureau de douane, qui oblige les bateliers à stationner dans un endroit très périlleux. Ils se sont adressés au ministre des finances, qui n'a pas fait droit à leurs réclamations, sous prétexte que l’établissement d'un nouveau bureau de douane entraînerait des frais considérables. Or, il serait facile de faire droit à la réclamation sans aucuns frais. Il suffirait de détacher du bureau voisin deux ou trois employés.

Comme cette affaire est aussi urgente qu'importante, je demande le renvoi de la pétition à la commission des pétitions, avec demande d'un prompt rapport.

- Ce renvoi est prononcé.

Il est fait hommage à la chambre, par M. le docteur Boghe, de 107 exemplaires de son opuscule, intitulé : « Nécessité de remplacer l'exposition agricole par des concours locaux arec des jurys inspecteurs. »

- Distribution aux membres.


M. le ministre de l'intérieur adresse à la chambre 112 exemplaires d'un rapport sur les résultats d'une inspection des chemins vicinaux améliorés avec le concours de l'Etat dans les provinces de Namur et de Liège.

- Distribution aux membres.

Rapport sur des demandes en naturalisation

M. de Perceval, au nom de la commission des naturalisations, dépose des rapports sur plusieurs demandes de naturalisation.

- La chambre en ordonne l'impression et la distribution.

Projet de loi révisant la législation sur les faillites, les banqueroutes et les sursis

Rapport de la section centrale

M. Tesch, au nom de la commission chargée de l'examen du projet de révision de la législation sur les faillites, banqueroutes et sursis, dépose le rapport sur le chapitre X du titre premier relatif à la revendication.

Motion d'ordre

Construction d'un pont sur le Ruppel, à Boom

M. de Luesemans. - Dans la séance d'avant-hier, j'ai eu l'honneur d'annoncer à la chambre que j'aurais quelques interpellations à adresser à M. le ministre des travaux publics. Je n'ai pas voulu interrompre hier la discussion si importante relative à l'institution d'une caisse générale d'assurances sur la vie pour occuper la chambre d'une question d'intérêt local.

Cependant, messieurs, cet intérêt est assez grave pour qu'il ne me soit pas possible de me dispenser plus longtemps d'adresser mes interpellations à M. le ministre des travaux publics.

Il y a quelques jours, messieurs, un journal de cette ville attribuait au gouvernement un fait très grave pour les intérêts de l'arrondissement que je représente dans cette enceinte. Il l'a fait en lui supposant des intentions que je ne dois pas reproduire dans cette assemblée. Cependant, ce journal affirme des faits, et il est de la plus haute importance que les parties intéressées, qui sont très nombreuses, soient informées de leur réalité ou de leur erreur. Voici, messieurs, de quoi il s'agit.

Depuis très longtemps, à ce qu'il paraît, il était question de construire un pont sur le Rupel pour relier entre elles les communes de Boom et de Petit-Willebroeck. Ce projet, qui d'abord ne semblait pas avoir une grande consistance, a gagné successivement du terrain, et en 1832 il a pris un corps; il s'est traduit en proposition formelle.

Dès ce moment, messieurs, toutes les localités intéressées dans la question, et notamment celles qui ont un intérêt direct dans la navigation sur les canaux de Bruxelles et de Louvain, dans la navigation du Demer, des deux Nèthes et même de l'Escaut, se sont émues et ont adressé au gouvernement des protestations nombreuses.

Ces oppositions étaient fondées sur deux motifs principaux.

Le premier, c'est que la construction du pont devait établir un barrage permanent sur une rivière dont la navigation est déjà difficile à cause des ensablements continuels.

D'autres motifs encore, qu'il est inutile de rappeler, furent allégués par les localités diverses, d'après le point de vue auquel elles se plaçaient.

Ensuite les observations s'adressaient à la construction du pont lui-même, c'est-à-dire au mode de construction.

Le second motif d'opposition venait de ce que, par une mesure inexplicable, déraisonnable, on semblait avoir l'intention de faire payer un droit assez considérable sur les bateaux en passage et de frapper ainsi une contribution, relativement très forte, sur les bateliers que ce pont était destiné à ruiner.

Ces oppositions furent de nature à faire réfléchir le gouvernement, aussi le projet fut bientôt abandonné. Du moins on le croyait, lorsqu'on 1847 il vit de nouveau le jour. Aussitôt de nouvelles oppositions furent faites. La ville de Bruxelles, notamment, réclama et réclama avec raison. La ville de Louvain ne resta pas en arrière ; les villes de Diest, de Malines et autres encore, intéressées dans cette question, adressèrent leurs plaintes au gouvernement. D'abord l'opposition contre la construction du pont d'une manière absolue resta debout; mais en entrant dans les détails de la construction, on fit observer d'abord qu'une travée fixe était, un obstacle au passage des bateaux et surtout des bâtiments de mer; en second lieu, que la passe, qui n'était que de 15 mètres, était évidemment trop étroite; en troisième lieu, que le passage de nuit, qui aujourd'hui est libre, deviendrait très difficile ou même impossible.

Voilà quels étaient les griefs principaux qu'on avait contre la construction du pont. Le grief résultant du péage restait également debout.

Cependant, messieurs, une protestation formelle fut déposée au conseil provincial d'Anvers, dans le sens que je viens d'indiquer, par les soins de l'autorité communale de Louvain, qui ne négligea aucun moyen de sauvegarder les intérêts du commerce et de l'industrie de cette importante localité.

Le projet sembla, de nouveau, abandonné en 1847; tout au moins pendant quelque temps il n'en fut plus question. En 1848 les journaux firent de nouveau connaître qu'il venait d'être remis à l'ordre du jour; et le conseil communal de Louvain, sur la proposition que j'eus l'honneur de lui soumettre, fit à la chambre même dans laquelle j'ai l'honneur de parler, une adresse que la chambre accueillit avec faveur ; je lis dans cette adresse ce qui suit :

« Nous aurons encore à vous signaler un projet qui menace le peu de commerce qui nous reste et répand une nouvelle anxiété dans la population.

« Nous voulons parler du projet de construire un pont sur le Rupel à Boom, dans l'intention de relier cette localité à Petit-Willebroeck.

« Déjà la navigation du Rupel réclamait des améliorations sollicitées par notre administration et reconnues nécessaires par la commission du gouvernement; et, au lieu de nous accorder cette légitime satisfaction, au lieu de nous faire participer aux 78 millions de dépenses projetées pour de grands travaux publics, en en affectant une partie à l'amélioration de la navigation du Rupel, il est question d'établir une nouvelle entrave à nos communications avec la mer et à nous faire supporter, au moyen d'un péage sur les bateaux en passage, jusqu'aux frais des constructions élevées pour la ruine de notre commerce. »

(page 206) Il ne fut pas davantage donné suite à ce projet; mais il semblait destine à revoir le jour à des époques périodiques. Encore une fois, le demandeur en concession s'adressa au gouvernement, et cette fois la question devint excessivement sérieuse. Les conseils communaux des localités intéressées s'émurent derechef; il s'engagea une nouvelle correspondance entre elles et le département des travaux publics; de nouvelles oppositions furent formées. Je ne connais aucune affaire qui ait aussi vivement préoccupé l'administration communale dont j'ai l'honneur de faire partie. Je fus personnellement chargé de me mettre en rapport avec le département des travaux publics, et j'eus l'honneur de recevoir de l'honorable chef de ce département, entre autres, deux lettres dont il résulte : 1° qu'il ne pense pas que la construction du pont, d'une manière absolue, puisse être contrariée par quelques intérêts particuliers; 2° qu'aucun péage ne serait prélevé sur les navires en passage ; 3° enfin que toutes les précautions qui sont à la disposition des ingénieurs, afin d'éviter qu'aucun inconvénient ne résulte de la construction de ce pont pour le commerce de Louvain, de Diest et des autres localités intéressées, que toutes ces précautions seraient prises.

Messieurs, je précise maintenant mes interpellations. J'ai l'honneur de demander à M. le ministre des travaux publics :

1° S'il est vrai, comme un journal l'affirme, que la construction du pont sur le Rupel soit décrétée?

2° S'il résulte des conditions imposées ou à imposer au concessionnaire qu'un péage puisse être prélevé sur les bateaux en passage ?

3° Si, pour le cas où la construction de ce pont, contre laquelle la ville de Louvain a fait une protestation formelle, et sur laquelle je fais des réserves non moins formelles, si la construction de ce pont doit avoir lieu, le gouvernement a pris ou prend l'engagement d'employer toutes les mesures propres à empêcher que la navigation du canal de Louvain et des affluents au Rupel ne soit entravée.

Je dois dire, avant de terminer, messieurs, que l'honorable ministre des travaux publics m'avait fait connaître, dans les rapports que j'ai eus avec lui, d'abord qu'aucun péage ne sera prélevé, en second lieu, que la travée fixe sera remplacée par une travée mobile; que la largeur de la passe sera portée de 13 mètres à 18 mètres; que la navigation de nuit ne sera aucunement entravée, et qu'enfin d'autres améliorations seraient encore apportées à la construction, si tant était que le pont dût nécessairement se construire, et que de nouvelles améliorations fussent reconnues comme nécessaires.

M. le ministre des travaux pubics (M. Rolin). - Messieurs, je puis satisfaire complètement l'honorable député de Louvain. En premier lieu, jusqu'à présent la construction du pont n'est pas décrétée, de sorte que toutes les accusations qui ont été dirigées de ce chef contre le gouvernement manquent du premier fondement.

L'adjudication de la concession du pont a été soumise à mon approbation, et c'est précisément pour me donner le temps de bien me convaincre que la navigation de commerce de Louvain et de Bruxelles n'en éprouverait aucune entrave, aucun préjudice, que j'en ai suspendu l'approbation jusqu'à ce jour.

L'honorable préopinant vous a retracé l'historique de toutes les oppositions qui se sont produites contre la construction du pont dont il s'agit, et il a développé les motifs sur lesquels ces oppositions étaient fondées.

Elles avaient pour objet l'établissement d'une travée fixe, le trop peu de largeur du passage laissé aux bateaux, la crainte des atterrissements qui pourraient se former dans la rivière, l'imposition du péage auquel les bateaux auraient été soumis.

Or, le fondement de toutes ces craintes a complètement disparu. Ainsi, la largeur de la travée a été portée de 13 mètres à 18 ; la travée sera mobile.

Le passage des bateaux se fera la nuit comme le jour, à toute heure; des feux seront établis pour la direction des bateliers. Non-seulement aucun péage ne pourra être imposé aux bateliers, mais il est interdit aux concessionnaires et à leurs agents de recevoir aucune indemnité.

On avait manifesté la crainte que la travée du pont destinée à livrer passage aux bateaux ne formât épi dans la rivière et ne fût cause d'atterrissements; or, on a imposé aux concessionnaires l'obligation non seulement de se conformer, pour l'établissement de la travée mobile, aux ordres qui leur seront donnés par l'administration, mais encore de maintenir le cours de la rivière parfaitement libre, et d'enlever, au premier ordre qui leur sera donné, toute espèce d'atterrissement à 100 mètres en amont et à 100 mètres en aval du pont.

En un mot, toutes les précautions imaginables ont été prises pour que la navigation ne soit exposée à aucune entrave.

Je ferai remarquer, au surplus, que, pendant le mois de septembre dernier, le commerce de Bruxelles, ayant conçu de nouvelles alarmes à l'annonce de l'adjudication, me fit parvenir ses représentations par l'intermédiaire de M. le gouverneur de la province. Des explications furent données par mon département, et depuis lors pas la moindre réclamation ne m'a été adressée. La ville de Louvain, de son côté, me demanda communication du cahier des charges. Une copie lui en fut envoyée; et depuis lors, pas la moindre réclamation ne m'est parvenue.

C'est dans cet état que la question se présente. Il s'agit uniquement de savoir si, pour éviter un ralentissement de bateaux qui ne serait pas même appréciable, on doit empêcher la construction d'un grand ouvrage d'art, qui mettra en communication des contrées importantes et populeuses, sans qu'il en résulte aucune charge pour le trésor. Par cela même, la question me paraît décidée.

M. de Man d'Attenrode. - Messieurs, deux intérêts sont ici en présence. D'abord, l'intérêt si important du mouvement de la navigation ; puis l'intérêt, respectable sans doute aussi, de la circulation des habitants de quelques communes.

J'insiste pour que le premier intérêt ne soit pas sacrifié à l'autre; je dis plus, je demande que l'administration fasse en sorte qu'il ne reçoive aucune atteinte ; c'est, d'ailleurs, le sens des paroles que vient de prononcer M. le ministre des travaux publics. J'aime à les considérer comme rassurantes pour les intérêts que je représente plus directement dans cette enceinte.

Je tiens cependant à rappeler au gouvernement une circonstance relative à la navigation sur le Rupel, qui ne lui aura sans doute pas échappé. C'est que ce n'est pas au moyen du halage que la navigation s'opère sur le Ruppel, mais au moyen des voiles, et par le mouvement de la marée. Ce mode de navigation est sans doute avantageux, mais il offre des dangers que le halage ne présente pas. Un barrage établi sur une rivière de la nature du Rupel tend à multiplier ces dangers, à ralentir la circulation. Aussi, je le répète, j'insiste vivement pour que le département des travaux publics n'accorde l'autorisation pour l'établissement d'un pont à Boom, qu'après avoir stipulé toutes les conditions de facilité et de sécurité que réclame l'intérêt du commerce de plusieurs villes importantes.

M. le ministre des travaux pubics (M. Rolin). - Je ne pourrais que répéter les explications que j'ai données tout à l'heure, et je suis persuadé qu'après ces explications il ne se produira aucune réclamation de la part de Louvain, non plus que de la part de Bruxelles.

Projet de loi instituant une caisse générale d'assurances sur la vie

Discussion générale

M. Le Hon. - Messieurs, j'adhère au principe sur lequel repose le projet du gouvernement, et au système de l'institution qu'il vous propose d'adopter.

Les discours prononcés dans la séance d'hier ont singulièrement restreint ma tâche. J'ai cru que le principe de la loi avait trouvé des contradicteurs, et je le crois encore, après avoir relu leurs opinions, malgré les doutes que j'ai entendu exprimer. Quoi qu'il en soit, je me bornerai à vous soumettre quelques observations sur la manière dont je conçois l'esprit de l'institution elle-même.

Je me suis posé ces trois questions : Quel est le but? Quels sont les moyens? Quels seront les effets? Le but, dans sa plus succincte analyse, c'est d'assurer l'existence du déposant à époque fixe, dans l'avenir, lorsque le travail sera devenu pour lui difficile, sinon impossible. Le moyen, c'est de mettre en action et en rapport le citoyen, travailleur, de toutes les classes et le gouvernement, le travailleur déposant y joue le rôle du capital, et le gouvernement, permettez-moi cette expression, apporte le concours du travailleur. C'est précisément la situation inverse de celles que le socialisme prétend faire à l'un et à l'autre.

Les effets seront les tendances de l'esprit d'ordre, de prévoyance et d'économie à se généraliser dans notre société belge. Ils fortifieront aussi l'esprit de famille; car l'expérience prouve que les ressources assurées pour les jours de la vieillesse ou de l'infirmité resserrent les liens que le besoin et l'indigence ne relâchent que trop souvent, dans les jours avancés.

Le principe d'utilité me paraît donc évident; et j'ai été surpris d'entendre un de nos honorables collègues, qui a l'habitude d'élargir et d'élever la discussion, soutenir, après avoir jeté un regard rétrospectif sur la société ancienne, que les principes nouveaux de la société moderne ne comportent pas cette participation directe de l'Etat, aux mesures qui ont comme celle-ci, pour objet l'assistance ou le bien-être des classes laborieuses.

J'avoue que j'ai sur ce point une opinion diamétralement opposée. Je reconnais la justesse de plusieurs des considérations générales qu'a exposées l'honorable orateur; mais il m'a paru les puiser pour la plupart en dehors du véritable sujet de la loi.

Dans les sociétés anciennes, le pouvoir s'appuyait sur les classes privilégiées; l'assistance et le soulagement des classes inférieures appartenaient aux administrations qui étaient le plus en contact avec les privations et les souffrances du peuple; la charité privée et publique, se consacrant à des besoins de localité, créaient des fondations, des hospices et des secours qui ne s'étendaient pas au-delà de cette limite.

La bienfaisance ainsi exercée est à l'état de sentiment et de vertu locale.

Les gouvernements n'avaient pas l'habitude d'intervenir, et peut-être ne le pouvaient-ils pas; car je doute que leurs regards pussent, d'en haut, percer les nuages épais qui leur dérobaient le spectacle des misères d'en bas; et surtout que les plaintes de l'indigence pussent, de si loin et à travers tant d'obstacles, se faire entendre du pouvoir. Mais depuis lu grande émancipation de 1789, depuis que, sous l'influence de ses principes, tous les citoyens, sans distinction de classes, ont joui des droits civils et politiques, ont obtenu la liberté du travail, en recouvrant celle des croyances et des opinions; depuis lors, le rôle des gouvernements dans les mesures de prévoyance qui intéressait les classes souffrantes, a revêtu un tout autre caractère.

Il s'est élevé à la hauteur d'une grande mission politique qui doit (page 207) imprimer une impulsion puissante à toutes les améliorations que ne pourraient réaliser la bienfaisance locale, la charité publique et les associations mutuelles.

Permettez-moi de vous résumer cette influence de la situation nouvelle des sociétés par la citation du jugement qu'en portait, quelques jours avant sa mort, l'homme qui occupe une si grande place dans l'histoire de notre siècle.

Napoléon dictait ces paroles à Sainte Hélène, le 16 avril 1821 :

« On ne fait de grandes choses en France qu'en s'appuyant sur les masses; d'ailleurs, un gouvernement doit aller chercher son appui là où il est ... Je me suis appuyé sur tout le monde sans exception : j'ai donné le premier l'exemple d'un gouvernement qui favorise les intérêts de tous.

« Je n'ai pas gouverné pour ou par les nobles, les prêtres, les bourgeois ou les ateliers ; j'ai gouverné pour toute la communauté, pour toute la grande famille française …

« Mon fils doit être l'homme des idées nouvelles...... établir partout des idées nouvelles qui fassent disparaître les traces de la féodalité, qui assurent la dignité de l'homme, développent les germes de prospérité qui dorment depuis des siècles; faire partager à la généralité ce qui n'est aujourd'hui que l'apanage d'un petit nombre…

« L'Europe marche vers une transformation inévitable; la retarder, c'est s'affaiblir par une lutte inutile : la favoriser, c'est fortifier les espérances et les volontés de tous. »

Messieurs, en écoutant ces conseils réellement prophétiques que le grand homme adressait à son fils, il y a déjà vingt-huit ans, ceux d'entre vous qui ont recueilli avec soin les remarquables idées émises dans toutes les circonstances par l'héritier de son nom, depuis qu'il préside aux destinées de la France, penseront sans doute, avec moi, que ce prince a profondément médité, et se fait gloire d'appliquer la politique nouvelle recommandée par Napoléon. Les derniers rayons que ce génie civilisateur laissa tomber sur le bord de sa tombe, viennent, après plus d'un quart de siècle, éclairer et guider aujourd'hui le gouvernement de la France.

Ces hautes pensées ne doivent être perdues pour personne; elles doivent profiter à tous. Oui, il faut s'appuyer sur les masses; de nos jours, c'est une condition de stabilité : mais s'appuyer, ce n'est pas peser sur elles. S'appuyer, c'est faire naître dans le peuple les sympathies qui rapprochent, les convictions qui affermissent, les dévouements qui soutiennent et défendent; c'est travailler au bonheur de toutes les classes. Eh bien, pour cela, les gouvernements doivent se faire comprendre et apprécier : c'est-à-dire montrer au peuple ce qu'ils ont de volonté, de persévérance et de force impulsive pour tout ce qui touche à son amélioration morale comme à son bien-être matériel.

Ainsi donc, dans les sociétés anciennes, institutions locales de bienfaisance, centralisées et généralisées au commencement de ce siècle, sous la première influence des principes de la société nouvelle. Mais depuis le développement de ces principes, action nécessaire et plus directe des gouvernements.

Qu'ils n'aillent pas toutefois engager, sans mesure, les ressources de tous pour le profit ou l'assistance de quelques-uns. Le pouvoir, comme représentant de l'être moral, comme esprit vivifiant de la Société, doit, autant qu'il peut dépendre de son impulsion, entretenir partout le mouvement et la vie. C'est là, me semble-t-il, le commentaire de la pensée de Napoléon.

Mais si cela est vrai, en raison du progrès général des lumières et des mœurs politiques, cela est devenu incontestable depuis l'ébranlement social de 1848.

Depuis que la propagande de l'anarchie est venue dire à l'ouvrier non plus comme autrefois, qu'il a la libre disposition de ses facultés et de son travail, mais qu'il a le droit de jouir et d'être riche sans travailler.

Ce qui n'était, il y a peu d'années, qu'un intérêt politique devient aujourd'hui une nécessité sociale.

Comment discuter des aphorismes de cette force où la pensée n'est pas moins coupable que le langage est absurde : le capital est an tyran, et les gouvernements sont les agents de la tyrannie du capital.

Comme s'il était possible qu'un atome de la fortune publique ne fût pas le fruit du travail de quelqu'un, ou le produit de quelque chose !

Les gouvernements sont donc chargés d'accomplir aussi une œuvre réparatrice : ils ont non seulement à développer, pour le bien général, les saines conséquences de la liberté et du progrès; mais ils ont encore à réparer le désordre moral et à calmer les agitations profondes nées de la commotion de 1848. Et c'est au nom de cette grande œuvre que j'appuierais encore le projet de loi, s'il n'avait pas déjà toutes mes sympathies, comme corollaire des principes larges et généreux de notre constitution politique.

Messieurs, l'institution proposée se recommande d'ailleurs par un autre résultat non moins important, qui n'a pas été indiqué encore dans la discussion : C'est que le citoyen, le travailleur, que vous aurez habilité à confier à l'Etat le fruit précieux de ses économies et les produits successifs de l'épargne, pour les convertir, après un long terme, en une rente viagère, ressource assurée de ses vieux jours, celui-là, messieurs, devient un ami, un soutien dévoué de l'ordre public; il est rentier de l'Etat ; il est intéressé à la stabilité du gouvernement; il est l'ennemi de l'anarchie, et, par conséquent, de toutes les doctrines, de toutes les écoles qui pourraient nous y plonger.

Eh bien ! je trouve que c'est déjà un immense bienfait que de répudier par un seul acte toutes les mauvaises doctrines et de faire comprendre au peuple que ce qu'il y a de plus protecteur, de plus tutélaire pour lui, c'est le gouvernement d'un peuple libre, que ce qu'il y a de plus stable, que ce qui offre les garanties les plus sûres, c'est l'Etat, c'est cette caisse où il verse des impôts, mais où il recevra sa pension.

Un honorable membre a résumé sa pensée sur le système d'assistance qu'il croit devoir être adopté en faveur du peuple, et voici comment il s'exprime :

« Et qui donc, messieurs, a le plus vif, le plus immédiat intérêt dans l'objet qui nous occupe? Je le dirai sans détour, sans hésitation : c'est le manufacturier, l'industriel, le capitaliste; c'est d'eux surtout que doit venir l'initiative de cette belle œuvre. Je dirai plus : ce sont eux seuls qui peuvent utilement l'organiser. »

J'avoue que l'honorable orateur, en faisant découler cette institution bienfaisante de la responsabilité individuelle et de l'intérêt immédiat de quelques-uns, me semble avoir perdu de vue qu'il s'agit ici de l'intérêt de la société tout entière. On l'a déjà fait remarquer hier à l'honorable membre avec beaucoup de raison : il a divisé ce qui est indivisible; il a oublié la propriété dans sa nomenclature, comme si tous les intérêts n'étaient pas solidaires, comme si l'on pouvait laisser les uns en péril, sans que les autres fussent également menacés.

Je dirai à l'honorable membre que les efforts qu'il demande à la responsabilité individuelle ont été faits en assez grand nombre en Belgique, et je regrette qu'il se soit cru obligé d'emprunter des exemples de ces tentatives à un pays voisin.

Je connais et je vais citer à l'honorable membre une société industrielle qui a déjà dépassé les désirs qu'il exprimait dans son discours. Je citerai des faits précis, parce que j'en veux tirer tout à l'heure la conséquence de la nécessité de la loi actuelle. Il existe en notre pays une vaste exploitation de mines (1) de laquelle dépendent de nombreux établissements métallurgiques et qui tous entretiennent près de 4,000 ouvriers. On y a institué d'abord le salaire fixe et le salaire proportionnel, de telle sorte que chaque travailleur, indépendamment du salaire fixe, reçoit un salaire proportionné à l'influence que son travail exerce sur les résultats du service auquel il concourt.

Outre ce système de rémunération, qui s'applique aussi à tous les degrés de l'échelle administrative, la société a créé une caisse de secours et une caisse de prévoyance. Mais elle fournit elle-même, de ses propres fonds, chaque année, la moitié au moins de toutes les mises des ouvriers: Elle a fondé une caisse d'épargnes. Elle a même été plus loin que ne le veulent, en général, les économistes; car elle a divisé celle-ci en deux catégories : l'une composée de retenues obligatoires, dont les intérêts sont capitalisés et qui sont remis au déposant à sa sortie, ou à sa famille, après sa mort; l'autre, formée de versements facultatifs, c'est-à-dire de l'épargne qu'il convient à l'ouvrier de placer. Celle-là, il peut la retirer à sa volonté et par telles fractions qu'il lui plaît. Tous les dépôts jouissent d'un intérêt de 5 p. c.

On critiquera sans doute cet essai qu'a inspiré à la société dont je parle un sentiment d'humanité appuyé sur l'expérience. Elle a vu, en effet, des ouvriers qui gagnaient jusqu'à 5 fr. par jour mourir subitement et ne pas laisser à leur famille de quoi vivre le lendemain même du décès.

Ainsi, messieurs, caisse de secours pour les maladies accidentelles et les chômages temporaires; caisse de prévoyance pour la vieillesse et les infirmités incurables.

Mais remarquez où s'arrêtent nécessairement les effets de ces institutions. Dans ces nombreux et vastes établissements où le travail est varié à l'infini, l'ouvrier est occupé aussi longtemps que ses forces lui laissent un reste d'activité. Ce n'est qu'au moment où arrive l'impuissance bien constatée, qu'il est pensionné. Il serait impossible aux associations privées d'étendre les bienfaits de la prévoyance au-delà de ces limites.

Dans le système du projet de loi, au contraire, le travailleur stipule l'assistance d'une rente viagère pour une époque fixe de sa vie, pour l'âge ordinaire de l'affaiblissement de ses forces. Le petit capital qu'il enlève à ses besoins présents, l'Etat le fait fructifier et le lui restitue en pension viagère, à partir du jour fixe indiqué par le déposant. Il n'y a pas de société, quelque puissante, quel que riche qu'elle soit, qui puisse lui assurer un si grand bienfait.

Et, messieurs, la raison en est toute simple : c'est qu'indépendamment des vicissitudes des affaires industrielles, il est impossible que l'existence d'une société privée réunisse les caractères de certitude et de durée nécessaires pour offrir à très long terme une infaillible garantie. Il faut, messieurs, être impérissable comme l'est une nation pour pouvoir organiser avec succès l'institution dont nous nous occupons.

Ainsi, le soin que l'honorable membre voulait remettre exclusivement aux industriels, aux commerçants, aux capitalistes, d'organiser les associations de prévoyance, ce soin, ils sont impuissants à le prendre d'une manière efficace dans la mesure que la nécessité commande et qu'embrasse le projet de loi.

Les considérations et les faits que je viens d'avoir l'honneur de vous exposer avaient pour but de vous démontrer que de grandes associations industrielles ont fait, en notre pays, ce qu'il est humainement possible du tenter, dans les limites de leurs ressources et de leurs conditions d’existence. J'ai fait ainsi ressortir à vos veux le caractère distinctif de (page 208) l'institution proposée par le gouvernement et le titre qui le recommande à notre approbation.

Toutefois, on a élevé une objection sérieuse, qui peut faire naître des doutes sur les conséquences de l'article 8. Jusqu'où cet article peut-il entraîner l'Etat, agissant ici non plus comme travailleur, pour me servir encore de l'expression que j'employais tout à l'heure, comme intermédiaire actif, bienfaisant et désintéressé, mais comme administrateur et dépositaire responsable ?

C'est là une question que je ne veux pas résoudre maintenant. J'ai eu d'honneur de vous dire tout, à l'heure, messieurs, que la société dont je parlais intervient pour moitié dans la caisse qu'elle a instituée ; l'Etat doit-il, sans danger, intervenir aussi temporairement dans une mesure qui puisse être déterminée d'avance avec précision et certitude?

Je voudrais, quant à moi, des explications sur le point de savoir si ce concours est nécessaire au succès de l'institution, s'il est bien en harmonie avec son but, son esprit et sa nature. J'en voudrais aussi sur la limite certaine, infranchissable qu'il serait possible d'assigner à ce sacrifice momentané.

Je borne là, messieurs, les considérations qui touchent au principe de la loi, la seule question que j'aie voulu aborder dans la discussion générale.

M. de Theux. - Messieurs, je ne suis point contraire au principe d'une caisse centrale d'assurances sur la vie. Je substitue, à dessein, l'expression « caisse centrale » à celle de « caisse générale », dont se sert le projet de loi; et, en effet, messieurs, on ne peut point, à juste titre, qualifier de générale une caisse qui, évidemment, est destinée à une seule classe de la société, car le peu d'élévation de la rente exclut, et avec raison, toute participation de la classe aisée, et d'autre part, l'élévation du capital qu'il faut pour acheter une rente viagère exclut également toute la classe ouvrière, et ce n'est, messieurs, que dans des exceptions d'une très mince proportion, qu'elle prendra part à la caisse. Est-ce à dire que l'institution soit inutile? Non, messieurs, l'institution s'adresse à une classe évidemment supérieure par ses ressources pécuniaires à la classe ouvrière, mais cette classe est aussi digne de la sollicitude de la loi, bien entendu pourvu que la loi soit rédigée d'une manière telle que l'avenir financier du pays n'en soit point compromis.

Je prouverai plus loin, messieurs, que la classe ouvrière sera, de fait, exclue de la participation à la caisse d'assurances sur la vie; mais je veux, auparavant, signaler à la chambre ce que, dans mon opinion, la loi a d'obscur et d'incomplet, tant en ce qui concerne l'intérêt du trésor qu'en ce qui concerne l'intérêt des participants à la caisse.

Au point de vue du trésor, la loi se borne à dire, dans l'article premier : « Il est institué une caisse sous la garantie de l'Etat. » Et on ne trouve, ni dans l'exposé des motifs, ni dans les discours des orateurs qui ont défendu le projet de loi, la définition de cette garantie. Est-ce simplement la garantie de la fidélité des agents du gouvernement, la garantie de la fidélité dans le payement des rentes inscrites au grand-livre, au profit de la caisse? Si c'est dans ce sens qu'il faut l'entendre, je n'hésite pas un instant à adopter le projet de loi.

Mais, messieurs, si la garantie s'étend au-delà, si elle s'étend à l'insuffisance des capitaux pour le service des rentes annuelles, alors, messieurs, il se présente une autre question : Le gouvernement, qui sera responsable de l'insuffisance des capitaux, fera-t-il profit de l'excédant de ressources que la caisse pourrait présenter? Est-ce un contrat vraiment aléatoire, c'est-à-dire que si, d'une part, comme il est impossible de tout prévoir, le gouvernement est exposé à pourvoir à l'insuffisance de la -aisse par une somme portée annuellement au budget, on pourra, d'autre part, porter en recette ce que la caisse laisserait de boni dans le cas où les chances soient favorables au trésor public?

Sur ce point, il y a évidemment une obscurité dans la loi. Pour moi, je suis porté à croire que, d'après l'article 18, le gouvernement ne pourra, en aucun cas, s'attribuer le bénéfice de la caisse, tandis qu'il serait, dans tous les cas, chargé de tous les déficits de la caisse. L'article 18 me parait plutôt donner lieu à cette interprétation, car les fonds déposés chez les receveurs des contributions doivent être employés à l'acquisition de rentes sur l'Etat; ces rentes sont inscrites au nom de la caisse centrale, et je ne vois nulle part que le gouvernement puisse s'attribuer le bénéfice de la caisse, en compensation de la garantie que lui impose l'article premier de la loi ; je ne le vois pas dans la loi. Cependant les conditions devraient être égales.

Celui qui est exposé à subvenir au déficit d'une semblable institution doit aussi avoir la chance de jouir des bénéfices. C'est ainsi que les tontines ont toujours été envisagées.

Nous avons des institutions qui ont beaucoup d'analogie avec celle que nous discutons aujourd'hui : ce sont les caisses au profit des veuves et des orphelins des fonctionnaires publics. Là, le principe est nettement posé dans la loi et dans le règlement organique. Le gouvernement ne doit pas subvenir au déficit de la caisse, et s'il y a des excédants, ces excédants tournent au profil des veuves et des orphelins, en ce sens qu'on diminue le taux de la retenue sur les traitements des fonctionnaires publics.

Eh bien, messieurs, si un pareil principe était adopté pour la caisse d'assurances sur la vie, d'une part, on aurait l'avantage de rester conséquent avec les précédents déjà posés pour des circonstances analogues, et d'autre part, on lèverait, je pense, les scrupules d'un grand nombre de membres de cette chambre, quant aux charges qui un jour pourraient peser sur le trésor public.

Messieurs, il est une autre circonstance sur laquelle je dois appeler votre attention dans l'intérêt du trésor comme dans celui des participants à la caisse : il s'agit de l'emploi des capitaux et de leur inaliénabilité.

Les fonds seront employés en inscriptions sur le livre de la dette publique. L'honorable M. de Brouckère, répondant hier à une objection très juste d'un honorable député de Nivelles, a dit que l'emploi des fonds serait toujours fait en rentes 2 4/2 ou 3 p. c; conséquemment il ne s'agit pas de la conversion des rentes inscrites au profit de la caisse. Si le placement, dans ces catégories de fonds, est, en quelque sorte, une nécessité, comme l'a dit l'honorable M. de Brouckere, pourquoi ne pas l'inscrire dans la loi?

Si, d'autre part, vous voulez donner à la caisse des assurances sur la vie cette stabilité que la caisse doit avoir, et la mettre à l'abri de toutes les éventualités possibles, il importe, à mon avis, que cette caisse soit considérée comme une personne civile, comme une association sous le patronage du gouvernement; et pour cela il faut que le gouvernement ne puisse pas aliéner les rentes.

Aujourd'hui, d'après le texte du projet, que peut-il arriver? L'aliénation, il est vrai, ne peut avoir lieu que du consentement unanime des membres de la commission, mais les membres de la commission sont nommés par le gouvernement, révocables par lui, et ils agissent de commun accord avec le ministre des finances. Ne pourra-t-on pas, si de grands besoins publics se manifestaient, procéder à l'aliénation de ce capital? Et alors où serait la garantie de la caisse? Je ne vois aucun inconvénient sérieux à ce qu'on déclare dans la loi que les rentes inscrites au profit de la caisse sont inaliénables.

Messieurs, portez votre attention sur les conséquences d'une aliénation de ces rentes. Quel en sera l'emploi? Ce ne sera certainement pas en fonds publics; à moins qu'on ne veuille faire de l'agiotage au nom de la caisse d'assurances ; telle ne peut pas être la volonté du législateur.

Eh bien, de quelle manière ferait-on l'emploi du capital des rentes aliénées? A coup sûr, si les rentes venaient un jour à être aliénées, il y aurait une inquiétude immense et légitime parmi les participants à la caisse, et il y aurait aussi sujet d'avoir de grandes inquiétudes pour le trésor qui resterait responsable de l'aliénation et du défaut d'emploi de ces capitaux.

Tout le monde est d'accord, et l'exposé des motifs, et le rapport de la section centrale, et M. le ministre de l'intérieur dans la discussion générale, et la plupart des orateurs qui se sont fait entendre jusqu'ici; tout le monde, dis-je, est d'accord, que le gouvernement ne doit pas être exposé à des pertes. Dès lors, pourquoi ne pas inscrire ce principe dans la loi?

Messieurs, le taux des rentes varie à l'infini suivant les circonstances politiques; tantôt le prix en est élevé, et tantôt il est bas. Il est donc impossible d'écrire dans la loi même une règle invariable sur le taux d'achat des rentes viagères.

Mais, dit-on, on rendra annuellement compte aux chambres de la situation de la caisse, et les chambres seront appelées à élever ou à abaisser le taux d'acquisition de ces rentes.

Mais n'aperçoit-on pas à l'instant les immenses inconvénients qui se rattachent aux discussions annuelles sur cette matière? Si des discussions annuelles surgissent, l'on verra souvent le débat tendre vers la fiscalité. On dira : Il faut tirer des profits, pour le trésor, des services qu'il rend aux participants à la caisse. D'autres viendront avec des idées humanitaires et diront : Il est indigne de l'Etat de ne pas combler sur les fonds du trésor le déficit de la caisse.

Messieurs, qu'il me soit permis ici d'appeler votre attention sur un précédent parlementaire d'une grande importance.

Lorsqu'a été votée la loi du 1er mai 1834, l'on a inscrit dans la loi que les intérêts des emprunts pour l'établissement du chemin de fer seraient couverts par les péages, que de plus, il y aurait un amortissement annuel. Chaque fois qu'on a réclamé dans cette chambre l'exécution de la loi du 1er mai, l'on a fait un appel à la popularité, et l'on a dit qu'élever le péage, pour le rendre suffisant à cette double destination, ce serait discréditer l'œuvre nationale du chemin de fer. De là est résulté dans les recettes de l'Etat un déficit annuel considérable, qui peut-être ira en s'augmentant.

Eh bien, serait-il téméraire de prédire que si le principe de l'indemnité du gouvernement dans cette affaire n'est pas inscrit dans la loi, si la loi ne porte pas quelques règles d'après lesquelles le gouvernement sera obligé de varier le taux d'acquisition des rentes viagères, suivant le taux de la bourse ; si cela n'est pas écrit dans la loi de manière que le gouvernement doive prendre ses mesures sans discussion ultérieure dans les chambres, on viendra d'année en année soutenir aussi cette thèse populaire, que c'est au trésor public à pourvoir à l'insuffisance de la caisse?

S'il ne s'agissait que de secours à donner à des indigents, on pourrait dire que le résultat de semblables votes ne ferait que déplacer les obligations des bureaux de bienfaisance et des communes pour les porter à la charge du trésor public. Pour moi, je considérerais comme un très grand mal que la charge de la bienfaisance, au lieu de locale, devînt générale, parce qu'alors elle n'aurait plus de limites, elle serait sans contrôle intéressé ; mais ici, comme la caisse n'est pas instituée pour les nécessiteux, qu'elle a pour objet une classe au-dessus des nécessiteux, bien qu'elles méritent toute notre sollicitude, il y a un motif de plus pour être circonspect dans la rédaction de la loi.

(page 209) La commission du gouvernement, qui a apporté tant du soin à faire des tableaux de longévité et de prix de la rente suivant l'âge des individus, aurait eu une tâche bien facile à remplir, en établissant une échelle pour fixer, d'après le taux varié des rentes, le taux de l'acquisition des rentes viagères.

Si la commission avait ainsi complété son œuvre, le projet eût rencontré fort peu d'opposition dans la chambre, alors qu'il serait dit que le prix des rentes viagères doit être fixé de manière telle que le trésor de l'Etat soit indemne.

Il est une autre amélioration que je désirerais voir introduire dans la loi; celle-là, je ne crois pas qu'elle rencontre de contradicteurs. D'après le projet, c'est à la résidence du receveur des contributions directes que les rentiers devraient toucher le montant de leur rente. Ceci exige un déplacement, quelquefois de deux et trois lieues, de la part de personnes âgées, pour toucher quoi? Une rente d'un ou deux francs par mois; c'est-à-dire que la perception ne vaudrait pas la peine du déplacement du viager. Rien ne serait plus facile que de faire payer cette rente dans chaque commune, puisque le percepteur des contributions s'y transporte tous les quinze jours pour opérer les recettes; il profiterait de ses vacations pour payer la rente. Ce serait un moyen de contrôle, parce que dans la localité le rentier est bien connu; on pourrait par là éviter la formalité du certificat et autres mesures, dans le cas où le rentier serait dans l'impossibilité de se transporter à la résidence du receveur; ce qui arrivera surtout pour les personnes âgées, dont la loi veut surtout s'occuper.

Je désirerais que l'on pût organiser au nom de l'Etat une caisse générale d'épargne, dans ces conditions, avec cette facilité de placement et de recette de la part des dépositaires à la caisse ; alors on verrait les caisses d'épargne produire d'incalculables résultats au profit des classes réellement nécessiteuses; car là une épargne est souvent possible dans un moment où le travail abonde, tandis que ces classes ne peuvent pas accumuler un capital suffisant pour une rente viagère de 12 francs, qui d'ailleurs est déjà bien peu de chose.

L'honorable M. Van Hoorebeke a démontré, d'après l'expérience faite en Prusse et les notions du simple bon sens, que la classe ouvrière ne peut guère participer à cette caisse ; mais si une portion de la classe ouvrière y participait, quelle serait cette portion? Celle qui exerce une profession plus ou moins dangereuse, dont le salaire est plus ou moins élevé, qui dans un moment d'abondance de travail peut parvenir à réunir un petit capital. C'est une petite exception. Remarquez que les ouvriers qui exercent ces professions dangereuses ne doivent pas compter sur une grande longévité et que pour eux la caisse de prévoyance pourrait devenir une caisse de déception.

Quelle est la classe qui a chance de longévité? Celle qui n'est pas exposée à des travaux rudes, périlleux, malsains et qui en outre a quelques ressources pour se procurer ce qui est nécessaire à l'entretien de la vie, de la santé; c'est cette classe qui surtout participera à la caisse.

Messieurs , j'applaudirai toujours à toutes les mesures que la loi pourra prendre pour encourager l'épargne ; car, en même temps que l'épargne pourvoit aux besoins, elle est aussi un puissant moyen de moralisation, j'ajouterai de sécurité dans l'Etat; ce sont là des choses qui n'ont pas besoin d'être démontrées, mais pour généraliser l'épargne, c'est surtout par la caisse d'épargne , dont l'accès sera rendu facile, par le dépôt qui pourra être fait dans toutes les communes, par le payement des intérêts qui pourra être fait dans chaque commune, qu'on devra agir. C'est là le problème à résoudre dans l'intérêt des ouvriers. Si le projet de loi ne résout pas ce problème, cependant il a un intérêt suffisant pour que la chambre lui donne toute son attention et l'adopte, mais en tâchant de l'améliorer, car dans ce moment, il est obscur, incomplet et manque des garanties désirables dans l'intérêt même de la caisse.

Je bornerai ici mes observations.

C'est dans la discussion des articles qu'on pourra encore y revenir.

Tout ce que je désire, c'est que la chambre examine ce projet avec le sang-froid que réclament les intérêts du trésor, et que réclame aussi l'institution bienfaisante dont on veut doter le pays, et qu'on fasse abstraction, en cette matière, de toute pensée politique.

- M. Delfosse remplace M. Verhaegen au fauteuil.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - L'honorable orateur qui vient de parler est revenu, à diverses reprises, sur cette pensée que l'institution dont il s'agit n'est pas destinée aux classes ouvrières, que les classes ouvrières n'y trouveront aucun profit, que celle caisse pourrait même être pour elles, au lieu d'une caisse de secours, une caisse de déceptions.

Cependant, messieurs, tout en jugeant d'une manière aussi sévère l'objet de la loi importante que vous discutez, l'honorable préopinant n'a pas cru devoir annoncer qu'il lui refuserait son vote, je crois même qu'il s'est prononcé en principe en faveur de cette institution, et je ne doute pas que, à la fin de la discussion, il ne vienne ajouter sa voix aux voix très nombreuses qui, je l'espère, accueilleront cette loi véritablement bienfaisante.

Messieurs, la loi qui nous occupe n'a pas, je le reconnais, exclusivement pour but de venir en aide aux classes ouvrières, et notamment à la partie pauvre des classes ouvrières. Cette loi s'adresse à toutes les classes de la société. Elle aura pour effet de provoquer et d'entretenir partout l'esprit de prévoyance. Mais où agira-t-elle surtout efficacement ? Elle agira surtout, et c'est son but principal, dans les classes qui, déshéritées de la fortune, ne peuvent trouver que dans l'épargne patiemment, longuement accumulée, un repos assuré, une position pour leurs vieux jours, lorsque leurs bras ou même leur intelligence ne suffiront plus pour assurer leur existence. Mais dire que la caisse ne s'adresse pas aux classes laborieuses de la société, aux classes ouvrières, c'est en méconnaître entièrement le but.

Les classes ouvrières, les classes laborieuses se divisent à l'infini. Si vous descendez jusque dans les classes de la société qui figurent sur les registres des bureaux de bienfaisance, je veux bien reconnaître qu'aussi longtemps qu'une grande réforme ne sera pas introduite dans la distribution des secours par les comités de bienfaisance, je veux bien admettre que pour cette classe la caisse sera inutile. Mais en dehors de la classe secourue par les bureaux de bienfaisance il y a les classes laborieuses qui vivent aujourd'hui indépendantes des bureaux de bienfaisance et qu'il importe beaucoup de maintenir dans cette position. Beaucoup de familles d'ouvriers, par la rigueur des temps, sont obligés de passer de cet état d'indépendance qu'engendre le travail à cet état de dépendance qu'engendre le bureau de charité. C'est pour garantir les classes laborieuses contre cette extrémité, c'est pour les maintenir autant que possible à l'état de classe indépendante que nous cherchons à leur assurer une retraite pour l'époque où ils sont contraints aujourd'hui à recevoir les secours de la bienfaisance publique.

Il y a donc un but moral, politique, social dans l'institution.

Tout en faisant pénétrer l'esprit d'épargne dans les classes laborieuses, elle aura pour effet de les empêcher de tomber à charge des bureaux de bienfaisance, lorsqu'elles ne peuvent plus se suffire à elles-mêmes par le travail matériel ou intellectuel.

Dans les classes laborieuses, on ne compte presque jamais que ceux qui vivent par le travail de leurs bras, mais il en est d'autres. Je citerai la classe des artistes de tous les degrés. On ne peut les assimiler à la classe ouvrière, et c'est une classe très nombreuse dans toutes les localités; celle-là trouvera une grande ressource dans l'institution de la caisse.

Je pourrais citer d'autres catégories qui trouveront également un secours assuré, un secours honorable dans l'institution. D'autres classes de citoyens ne viendront pas à la caisse de retraite, pourquoi? Parce que déjà la sollicitude du gouvernement a pourvu à leur avenir.

Les fonctionnaires publics à tous les degrés (je ne dis pas les ministres, puisque la chambre a cru devoir supprimer leurs pensions), depuis les plus hauts employés de l'Etat, jusqu'aux simples douaniers, les fonctionnaires publics, cette classe nombreuse de citoyens, jouissent de la faveur de la pension. Les instituteurs, en vertu de la loi sur l'instruction primaire, sont appelés à jouir dans leur vieillesse des bienfaits de la caisse de retraite. Administrativement, nous avons étendu le bienfait des caisses des retraites à tous les professeurs des athénées et des collèges du royaume.

Nous les avons compris dans l'association avec les instituteurs et les institutrices des villes qui jusqu'alors avaient été exclus des avantages de la caisse des retraites.

Pour toutes ces classes de citoyens, et elles sont nombreuses, l'avenir est assuré. Ils peuvent néanmoins s'associer à la caisse des retraites, mais, je le répète, ce n'est pas à ces classes que s'adresse l'institution.

N'est-il pas juste, messieurs, que le gouvernement, que l'Etat tâche d'appliquer successivement à toutes les classes de la société les bienfaits qui jusqu'ici ont été réservés pour la classe des fonctionnaires seulement? N'est-il pas d'une bonne politique qu'il ne s'établisse pas, dans l'esprit des populations, des comparaisons défavorables à l'égard du gouvernement, à qui l'on reprocherait de n'avoir de sollicitude, de prévoyance que pour les fonctionnaires, et d'abandonner toutes les autres classes de citoyens à toutes les mauvaises chances de la vie privée.

La caisse de retraite, je le répète, ne pourra pas embrasser l'ensemble de tous les habitants du royaume; elle ne s'adressera pas en général aux classes secourues par les bureaux de bienfaisance. Mais, je le répète, au-dessus de cette classe pauvre se trouvent des classes nombreuses et respectables, qui nagent en quelque sorte entre la misère et une sorte d'indépendance sociale, et qu'il importe beaucoup de retenir, de relever dans ce milieu.

Quelle sera, dit-on, la garantie de l'Etat pour que cette caisse ne soit pas une déception pour les participants?

La garantie de l'Etat, je n'hésite pas à le dire, ne sera pas seulement une garantie morale; elle sera au besoin une garantie matérielle. Si la caisse ne pouvait pas se suffire à elle-même, il faudrait que l'Etat vînt à son aide.

Mais cette éventualité doit-elle se produire? Quand se produira-t-elle? Ici, messieurs, il est impossible de livrer à la chambre des données tout à fait certaines ; mais ce qu'on peut dire, c'est qu'en principe et pour toujours il est très vraisemblable que la caisse se suffira à elle-même, sans que le gouvernement soit appelé à pourvoir à un déficit. S'il arrivait que la caisse ne pût pas se suffire à elle-même, le gouvernement, les chambres auraient en main les moyens de pourvoir à cet inconvénient. On aurait à changer les conditions, les bases des tarifs, et on arriverait à ce résultat, que nous devons tous désirer, que la caisse se couvre elle-même.

Ceci, messieurs, est une question d'avenir, d'avenir très éloigné. Nous ne pouvons, pour le moment, baser nos calculs que sur les données qui ont été reconnues exactes par les hommes les plus compétents, les plus spéciaux qui ont but des tarifs combinés avec les tables de mortalité l'objet de leurs études les plus consciencieuses, les plus approfondies.

(page 210) La caisse, dans un avenir qu’il est impossible de déterminer aujourd’hui, présentera-t-elle une insuffisance de ressources ? Alors, messieurs, je n’hésite pas à le dire, l’État ayant pris sous sa garantie, ayant assuré le payement des rentes à tous les participants, devra intervenir. Mais cette obligation cessera à l’instant même où elle aura été révélée comme nécessaire ; on pourra arrêter immédiatement le mauvais résultat qui sera constaté.

Mais, dit l'honorable M. de Theux, la déclaration que vous faite, a été faite aussi en 1834. On a voulu alors que le chemin de fer pût se suffire à lui-même. Il a été entendu que les recettes du chemin de fer devraient couvrir les dépenses et les intérêts des capitaux engagés dans sa construction. Ce résultat n'a pas été obtenu.

Messieurs, les situations sont entièrement différentes. Il n'y a pas le moindre rapport entre le vœu exprimé en 1834, relativement au chemin de fer, et l'obligation qui peut être inscrite, si l'on veut, dans la loi, que la caisse doit se suffire à elle-même. Il ne dépend pas de vous de faire affluer au chemin de fer les marchandises et les voyageurs de telle manière que nous lui fassions produire autant de recettes qu'il nous convient. Mais il dépendra toujours de nous de fixer aux déposants à la caisse les conditions nouvelles auxquelles ils devront s'astreindre, afin que nous arrivions à des ressources suffisantes.

Messieurs, ce que l'on craint pour un avenir très incertain, très éloigné, c'est-à-dire l'obligation pour l'Etat de venir en aide à l'insuffisance de la caisse, s'est déjà réalisé pour des institutions anciennes, et on ne les a pas pour cela repoussées. L'honorable M. de Theux lui-même a concouru aux propositions faites en faveur des caisses de prévoyance des ouvriers mineurs. Le budget des travaux publics, chaque année, porte un subside en faveur de ces caisses.

M. de Theux. - Cela est très limité.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Cela est limité, sans doute. Et si le gouvernement venait demander des sommes considérables, la chambre y mettrait bon ordre, en limitant les subsides, de la même manière que la chambre ferait obstacle aux demandes du gouvernement, s'il voulait faire voler à perpétuité des sommes considérables à la caisse de retraite au jour très éloigné où il serait constaté qu'il y a insuffisance.

Je ne puis concilier ces deux opinions de l'honorable M. de Theux : d'une part, il effraye la chambre par le gouffre du déficit qu'ouvrirait éventuellement la caisse de retraite ; et d'autre part, il effraye les participants éventuels, en leur disant : Cette caisse qui vous est offerte comme un bienfait, ne sera pour vous qu'une déception. Mais si la caisse n'est qu'une déception pour les classes ouvrières, c'est qu'elle fera sans doute des profits à leur détriment, et alors il n'y aura pas de déficit à craindre. Si, au contraire, elle a des déficits à combler, ce sera au profit des déposants. Je crois avoir bien compris l'honorable préopinant. (Interruption.) Il m'a paru que l'un des buts du discours de l'honorable préopinant était d'effrayer à la fois et la chambre et les classes ouvrières en ce qui concerne la caisse de retraite.

On a demandé ce que deviendraient les profits. A cet égard la loi se tait : lorsque, après une longue série d'expérience on trouvera que la caisse a fait des profits, on en disposera par la loi. D’après l’esprit de l’institution, il faudra que ces profits soient réservés au même usage, reçoivent la même destination que l’institution elle-même. Voilà, messieurs, ce que pourront devenir les profils au jour très éloigné où ils auront pu être liquidés.

On trouve, messieurs, que la loi est incomplète. C'est vrai. Nous n'avons pas voulu pourvoir à toutes les nécessités, prévoir à tous les besoins; l'institution dont il s'agit n'a qu'un but: c'est d'assurer, à un âge avancé, une pension de retraite à tout individu qui aura déposé une certaine somme à certaine époque. Voilà le seul but de la loi.

Mais, en dehors de cette institution, d'autres peuvent être créées, peuvent être secondées pour venir en aide aux classes chez lesquelles on veut développer et encourager l'esprit de prévoyance. Nous avons déjà encouragé par des subsides des sociétés de prévoyance, d'assistance mutuelle. Nous y avons convié les populations. A mesure que ces associations mutuelles se développeront, nous les encouragerons, sans entraîner le trésor public à des dépenses exagérées.

Nous avons cherché à organiser dans le pays des associations pour l'acquisition, en temps opportun, de denrées alimentaires. C'est encore là un genre d'association qui ne rentre pas dans la loi actuelle.

Il serait à désirer, messieurs, sans que je veuille en aucune manière restreindre la discussion générale, qu'elle pût, autant que possible, se renfermer dans l'objet même de la loi. Tout le reste viendra successivement. Les caisses d'épargnes entrent dans le plan du gouvernement. Il en est de même des sociétés de secours mutuels entre ouvriers. Il ne suffit pas, en effet, de pourvoir aux besoins de la vieillesse, il faut encore pourvoir aux besoins accidentels; il faut que l'ouvrier, lorsque la maladie ou d'autres circonstances malheureuses l'arrêtent dans son travail, puisse trouver un secours momentané dans l'association.

Il est des besoins momentanés auxquels il faut pourvoir par des institutions particulières. Ces institutions doivent surtout naître par l'initiative des intéressés, par l'initiative surtout des classes supérieures, qui peuvent exercer une si utile influence dans toutes ces innovations, si importantes pour l’ordre social.

Messieurs, je le répète, loin de vouloir éteindre l'initiative personnelle, nous faisons tous nos efforts pour exciter cette initiative. Il reste encore beaucoup de devoirs à remplir, beaucoup de maux à guérir en dehors des institutions que le gouvernement prend sous son patronage.

Le champ ouvert à la charité, à l'initiative personnelle, est immense. Le gouvernement ne peut, lui, s'occuper que des besoins généraux; il doit laisser à l'initiative des particuliers l'établissement de ces nombreuses associations qui, sous toutes les formes, peuvent contribuer au bien-être moral et matériel de la société.

Mais, messieurs, vouloir que le gouvernement ne fasse rien, s'abstienne d'intervenir, et, d'un autre côté, ne rien faire non plus, ne rien entreprendre de sérieux, de complet par l'initiative individuelle, c'est vouloir laisser à perpétuité la société dans l'état où elle se trouve. Or, messieurs, si nous voulons un progrès sage et sérieux de la société, c'est bien à la condition que ce progrès ne s'accomplira pas tout seul, que l'action du gouvernement et l'action des particuliers lui viendront en aide.

Nous avons, messieurs, le bonheur de vivre sous un régime de liberté, où nous avons des droits de toute espèce à exercer; mais il ne suffit pas, dans une société bien organisée, d'avoir des droits, il y a aussi des devoirs à remplir. On réclame souvent des droits pour les citoyens, on ne leur parle pas assez souvent de leurs devoirs; droits et devoirs sont inséparables dans une société bien organisée. Comme les citoyens, le gouvernement a ses droits, il a aussi ses devoirs; et ces devoirs, nous tâchons de les accomplir aidés du concours de la chambre.

Déjà un assez grand nombre de mesures ont été accueillies avec faveur par la législature. La loi actuelle est certainement une des plus grandes mesures qui lui aient été proposées. Qu'elle soulève des questions, qu'elle puisse être améliorée par la discussion, nous ne le nions pas. Nous accueillerons avec empressement les améliorations qui pourront nous être signalées. Nous croyons que la loi, telle qu'elle est présentée, est bonne, que le principe en est sage. Nous sommes convaincus qu'elle obtiendra l'adhésion de la grande majorité de cette chambre. Mais nous nous ferions scrupule de repousser par un amour-propre qui nous conviendrait d'autant moins, que les auteurs mêmes de la loi ne sont pas dans le gouvernement, nous nous ferions scrupule de repousser les modifications qui nous paraîtraient susceptibles d'être admises pour l'amélioration de la loi. Lorsque nous arriverons aux articles, nous examinerons tous les amendements avec beaucoup d'attention. Je le répète, si des modifications peuvent être introduites dans la loi, en l'améliorant, nous nous empresserons de nous y associer.

M. T’Kint de Naeyer, rapporteur. - Messieurs.au point où la discussion est arrivée, après les arguments que plusieurs honorables orateurs ont fait valoir avec tant de force, en faveur de l'établissement d'une caisse de retraites par l'Etat, je me bornerai à présenter à la chambre quelques courtes observations.

La question de l'organisation du travail, du droit à l'assistance, le fantôme du socialisme qu'on nous a laissé entrevoir un instant, ne me semblent plus devoir exercer une grande influence sur le débat. Personne, messieurs, dans cette enceinte, n'a jamais songé à demander au gouvernement le redressement de tous les maux, le soulagement de toutes les misères. C'est dans la liberté que nous cherchons les remèdes aux maux qu'elle peut guérir.

Nous ne demandons au gouvernement que ce qu'il peut accorder : une protection active, une surveillance éclairée, enfin son concours, là où les efforts individuels font défaut.

Eh bien, messieurs, je pense qu'il a été démontré de la manière la plus complète et par les faits et par les témoignages des autorités les plus compétentes que les sociétés de secours mutuels ne peuvent pas tenir les engagements qu'elles contractent de servir des pensions à la vieillesse ; que les industriels et les négociants, exposés eux-mêmes à tant de vicissitudes, essayeraient vainement, au prix des plus généreux sacrifices, de promettre à leurs ouvriers ou à leurs employés des ressources dans un avenir lointain; que les compagnies d'assurance ne peuvent être d'aucune utilité aux classes laborieuses, parce que, d'une part, il est impossible qu'elles opèrent avec un désintéressement complet, et que, de l'autre, elles offriront toujours une garantie inférieure à celle que présente le trésor public.

Il m'a paru, dans cette discussion, que quelques membres étaient trop souvent tentés de confondre les associations de secours mutuels, destinées à distribuer des secours temporaires et très propres à remplir ce service, avec les caisses de retraite, destinées à assurer des ressources à la vieillesse.

Je crois, messieurs, que si nos honorables adversaires avaient été mieux informés, s'ils avaient été mieux éclairés sur le véritable esprit des institutions de ce genre qui existent dans les grands centres industriels; je crois qu'ils n'auraient pas attaqué le projet de loi d'une manière aussi radicale.

Et ici je me permettrai de faire remarquer à l'honorable M. de Liedekerke que, si nous avons de nombreuses associations de secours mutuels à Gand, je ne sache pas que jusqu'à présent on y ait organisé une caisse de retraite en faveur de la vieillesse.

Je disais donc que si ces honorables membres avaient été mieux informés, ils n'auraient sans doute pas repoussé le projet de loi, car l'honorable M. de Liedekerke lui-même admet que l'Etat peut se (page 211) charger de certaines entreprises qui, par leur grandeur, déposent les forces individuelles; il admet que l'Etat peut soutenir le crédit, détendre les capitaux de toute atteinte. Comment refuserait-il alors la garantie de l'Etat au capital du travailleur, capital qui est à mes yeux le plus respectable de tous.

Ainsi, messieurs, si vous ne répudiez pas le bienfait des caisses d'assurances, si vous voulez que cette institution soit réellement bienfaisante, moralisatrice, vous devez la placer sous la direction et la garantie de l'Etat.

Et ici, je rencontre l'amendement de l'honorable M. Dumortier qui veut supprimer la garantie de l'Etat : je lui répondrai avec l'honorable M. Charles de Brouckere : « Mieux vaudrait rejeter la loi. » Et pour ma part je ne consentirai jamais à ce que le nom de l'Etat intervienne dans une institution de ce genre, comme une espèce d'amorce pour le public. On se rappellerait involontairement certaines marchandises qui, pour être brevetées, n'en sont pas moins parfois fort mauvaises.

La garantie de l'Etat ne doit pas être onéreuse. L'honorable M. de Theux a demandé jusqu'où irait cette garantie; M. le ministre de l'intérieur lui a donné à cet égard des explications ; cette garantie sera complète.

Il s'agit d'une opération à forfait, l'Etat perçoit une mise déterminée d'avance, en échange de laquelle il doit une rente également déterminée d'avance.

En principe, la caisse devra se suffire à elle-même ; cela est de l'essence de l'institution. Les tarifs seront révisés lorsque la nécessité en sera démontrée par les comptes mêmes de la caisse. Ces comptes seront arrêtés au 31 décembre de chaque année, ils seront publiés et soumis à un conseil de censure.

Mais, messieurs, n'est-ce pas là une véritable mise en demeure? Et comment le gouvernement échapperait-il à la nécessité de réviser les tarifs, lorsqu'une insuffisance, une perte aura été publiquement constatée?

L'honorable M. Cools veut que les rentes s'acquièrent par des tarifs, qui seront réglés par arrêté royal.

Il trouve là une garantie plus forte ; moi j'y vois une délégation des droits de la législature en faveur du pouvoir exécutif, peut-être une source d'abus. La chambre aura à se prononcer sur ce point. Je le répète donc, lorsque la perte ou le gain aura été publiquement constaté, il est impossible que la révision des tarifs n'ait pas lieu. L'honorable M. de Theux lui-même l'a reconnu, vous ne pouvez pas, dès à présent, inscrire dans la loi des dispositions réglementaires sur ce point, il s'agit ici du principe, de la base fondamentale de l'institution.

Ainsi, messieurs, un bilan sera dressé tous les ans; les charges et l'actif de la caisse seront évalués et devront se balancer chaque année.

Si l'actif de la caisse est insuffisant, l'Etat devra combler la différence. Si, au contraire, après avoir rempli tous ses engagements, la caisse conserve une somme qui n'est plus destinée à payer une pension, il est évident, sans que le projet de loi ait besoin de l'énoncer, que cet excédant reste acquis au trésor.

L'honorable comte de Theux a manifesté des inquiétudes sur l'emploi des fonds de la caisse de retraite. Mais, pour cette administration, entièrement distincte de toutes les autres, la garantie sera la même que celle qui est offerte aux fonds versés à la caisse des dépôts et consignations.

La section centrale, dit l'honorable M. Cools, a essayé timidement d'introduire une espèce de garantie dans le projet de loi. Mais l'honorable membre n'a pas sans doute lu cette partie du rapport, pas plus qu'il n'a lu celle qui se rapporte aux funérailles. La disposition finale de l'article 9 a pour but d'imposer au gouvernement l'obligation de soumettre à la législature un rapport, qui présente un résumé des opérations de la caisse, des résultats obtenus, des inconvénients qui auront été signalés pendant un certain nombre d'années. C'est un élément d'appréciation, d'étude; ce n'est pas une garantie nouvelle que nous avons eue en vue; cela ne change rien au compte annuel. Veut-on que ces comptes annuels, après avoir été soumis au conseil de censure, soient renvoyés à la chambre? Je n'y vois, pour ma part, aucune difficulté.

Quant à l'intervention de la caisse d'amortisse ment en ce qui concerne le placement, la conservation et la réalisation des valeurs, la section centrale avait déjà appelé sur ce point l'attention du ministre des finances. Je crois que ce serait là une amélioration ; mais, dans tous les cas, je ne pourrais pas admettre la suppression de la commission spéciale de cinq membres qui, d'après l'article 10, doit être placée à la tête de l'administration de la caisse, et qui statuera en dernier ressort sur les difficultés auxquelles peut donner lieu l'application des articles 8, 10 et 13. Ce point est très important.

Mais, dit-on, c'est une assurance, une spéculation à primes qu'on veut faire faire à l'Etat. Non, messieurs, vous devez en être bien convaincus maintenant, il ne s'agit pas ici de spéculation. L'Etat rend un service ; il offre aux classes laborieuses, en ne leur demandant qu'un très léger sacrifice, un moyen de se créer d'une manière certaine, à l'abri de tout risque, des ressources pour la vieillesse. Et ici, messieurs, je dois, avec M. le ministre de l'intérieur, combattre l'opinion de l'honorable M. de Theux qui pense que les classes laborieuses proprement dites ne pourront pas jouir du bénéfice de la caisse. Je crois avoir, dans mon rapport, cité un exemple qui prouve le contraire ; l'ouvrier qui acquerrait chaque année, depuis l'âge de 18 jusqu'à 50 ans, une rente de 12 francs, ne devra faire sur son salaire qu'une modique retenue de 69 centimes par mois. Ainsi avant l'âge où ordinairement les charges de la famille lui rendront l’économie plus difficile, il se sera assuré une ressource qui ne le mettra sans doute pas complètement à l'abri du besoin dans ses vieux jours, mais qui au moins ne l'obligera pas d'aller finir ses jours à l'hospice, comme cela arrive trop souvent.

La caisse sera utile à tous ceux qui, à une époque quelconque de la vie, trouveront le moyen de réaliser des économies même peu importantes; elle est générale, car elle admet tout le monde sans aucune distinction. Elle n'a pas à s'enquérir à quelle profession ou à quelle catégorie l'assuré appartient.

Il y a une autre objection à laquelle je crois qu'il n'a pas été répondu jusqu'à présent.

On a parlé de l’inégalité des chances pour les ouvriers des différentes professions. Mais vous savez, messieurs, que les compagnies d'assurances opèrent sur des têtes choisies; elles ont plusieurs tarifs et elles ont bien soin de tenir compte, non seulement de la profession plus ou moins dangereuse de l'assuré, mais même de son état sanitaire. Vous comprenez que dans ce calcul, la philanthropie trouve peu de place.

Le gouvernement à établi son tarif sur de larges bases, dans un but d'intérêt général. On ne pouvait pas procéder autrement, sans s'exposer à une foule de complications. Car il faut bien admettre que le travail ne reste pas toujours le même, que l'ouvrier peut changer de profession.

Je suis convaincu que toutes les classes se trouveront infiniment mieux d'une moyenne générale, équitable; d'autant plus que, à l'inverse des compagnies, l'Etat n'a en vue aucun bénéfice.

Messieurs, l'honorable M. Vanden Brande de Reeth ne me semble pas avoir bien compris le véritable principe des assurances, le bienfait réel qui en résulte, celui d'astreindre chaque associé au versement le moins élevé possible.

Je ne renouvellerai pas ici les observations qui ont été consignées dans le rapport de la section centrale en ce qui concerne l'article 4, mais je dois faire remarquer que les amendements de M. Vanden Brande de Reeth constitueraient un système entièrement nouveau. Il voudrait non seulement que les sommes versées fussent restituées à la famille, mais qu'on y ajoutât, les intérêts composés.

A propos de ces amendements et de beaucoup d'autres que je me réserve d'examiner plus spécialement, quand nous aborderons la discussion des articles, il est de mon devoir d'insister sur un point très important, c'est le danger qu'il y aurait à compliquer, dès le début, une institution que le gouvernement a cherché à organiser de la manière la plus simple, précisément afin qu'elle ait des chances de succès. Vous prendrez sans doute en considération, messieurs, que ce projet de loi a été élaboré avec le plus grand soin par une commission composée d'hommes spéciaux. En lisant attentivement les nombreux documents que la commission a bien voulu mettre à ma disposition, j'ai remarqué que la plupart des objections qui ont été faites dans cette discussion, que la plupart des modifications qui ont été proposées, ont été aussi discutées dans le sein de la commission, et qu'après avoir débattu le pour et le contre, après avoir recherché tous les avantages et tous les inconvénients des différents systèmes on est arrivé aux conclusions qui se résument dans le projet de loi.

Je crois donc, qu'avant de modifier certaines dispositions du projet de loi, il faut examiner mûrement si elles ne détruiraient pas l'harmonie qui doit exister dans tout son ensemble.

Deux objections capitales me semblent avoir dominé dans le débat : les chances de perte que l'institution ferait courir à l'Etat, et l'immoralité du placement viager à fonds perdus.

Après la démonstration si claire, si péremptoire de l'honorable M. Ch. de Brouckere, il me reste peu de chose à dire sur les risques que l'Etat aura à courir. L'Etat, en s'adressant à l'esprit de prévoyance et d'économie, ne fait que développer ce qui existe chez nous, ce qui existe dans d'autres pays. Il assume une responsabilité moins grave que celle qui résultera des dépôts des caisses d'épargne , lorsque ces caisses seront organisées chez nous aussi complètement que chez nos voisins.

En France, au 9 mars 1848, le compte de la caisse des dépôts et consignations s'élevait pour les caisses d'épargne à 335,087,717 fr.

En Angleterre, pays que l'on cite souvent pour démontrer que l'Etat ne doit pas intervenir dans les intérêts privés, la somme totale déposée par les caisses d'épargne et due par l'Etat est de 701,000,000 de francs.

On semble perdre de vue que, si la responsabilité de l'Etat est engagée, il y a une large compensation par les garanties d'ordre et de sécurité que le pays entier trouvera dans le développement de la prévoyance.

A l'appui de cette assertion, je puis citer les faits les plus éloquents, A une époque où les émeutes étaient si fréquentes à Paris, parmi les milliers d'individus arrêtés, il ne s'est jamais trouvé un seul ouvrier porteur d'un livret de la caisse d'épargne. Et dans le rapport que M. F. Delessert a présenté récemment à l'assemblée générale des directeurs de la caisse d'épargne de Paris, il a rendu hommage au calme, au bon sens des ouvriers porteurs de livrets de la caisse d'épargne, pendant les quatre mois calamiteux qu'a duré la suspension des remboursements.

Il a fait ressortir combien leur admirable conduite contrastait avec celle des funestes cohortes sorties des ateliers nationaux.

On a dit que l'institution est immorale; mais comment la pensée peut-elle venir de diriger cette accusation contre des placements successifs, (page 212) de minimes retenues faites volontairement sur le salaire de chaque semaine ou de chaque mois.

Vous savez, messieurs, que la caisse de retraite se borne à offrir un nouveau moyen, un nouveau mode d'épargne.

Les versements sont entièrement libres ; il n'y a aucune obligation de continuité.

Chaque versement, dès qu'il est suffisant pour former 12 francs de rente est un contrat complet. Jamais il n'y a confiscation.

L'institution se plie aux moyens les plus restreints des classes laborieuses; le payement de la rente se fait mensuellement.

Il est important que tout le monde, l'ouvrier surtout, se rende bien compte du véritable sens, du but de l'institution. Moyennant le payement de quelques primes qu'il payera lorsqu'il le pourra, lorsqu'il le voudra, il aura la faculté de s'assurer une ressource pour la vieillesse.

La caisse de retraite ne doit pas avoir pour résultat d'éloigner l'ouvrier ni des sociétés de secours mutuels, ni de la caisse d'épargne. C'est le complément d'un plan général de prévoyance.

Chacun choisira selon ses convenances, selon les nécessités de sa position.

On cherchera d'abord sans doute à se créer un petit capital mobile, toujours prêt à être employé.

En second lieu se présentent les secours en cas de maladie et autres accidents temporaires, et enfin, une pension viagère irrévocablement garantie.

Voilà l'ensemble des institutions qui apprendront aux travailleurs, tout en s'aidant mutuellement, à compter sur eux-mêmes, sur leur propre activité.

Est-ce à dire que nous repoussons les inspirations généreuses de la charité, de la bienfaisance? Nous faisons au contraire un appel au patronage éclairé de tous ceux qui s'intéressent au sort des travailleurs.

L'article 12 du projet de loi permet à l'industriel de faciliter les versements de l'ouvrier, de récompenser ses services, son dévouement.

Nous pensons, messieurs, que lorsqu'il s'agit d'améliorer la destinée des classes laborieuses, de venir en aide à ceux qui souffrent, il n'y a pas de privilège.

L'Etat, aussi bien que chacun de nous, a des devoirs à remplir. Faisons donc le bien ensemble. C'est en nous aidant mutuellement, c'est en développant les sentiments de la véritable fraternité, de la fraternité chrétienne, que nous éloignerons les dangers qui menacent la société.

Projet de loi portant le budget du ministère de la guerre de l’exercice 1850

Rapport de la section centrale

M. Manilius. - Messieurs, j'ai l'honneur de déposer le rapport de la section centrale que vous avez chargée d'examiner le budget de la guerre.

- Plusieurs membres. - Les conclusions?

M. Manilius. - La section centrale a décidé, par 4 voix contre 3, qu'elle n'examinerait pas les détails du budget. Elle a statué, comme suit, sur les questions ci-après :

« 1° Y a-t-il lieu à procéder à la révision de la loi d'organisation de l'armée, pour arriver à une économie sur le budget ? »

Résolu affirmativement par 4 voix contre 2 et une abstention.

« 2° En cas de réorganisation, mettra-t-on les officiers au-dessus du complet à la suite de leurs régiments avec solde entière? (addendum page 226) On doit entendre par le mot « officiers » les officiers au premier degré, c’est-à-dire jusqu’au grade de capitaine inclusivement. »

Résolu affirmativement par 6 voix contre une abstention.

« 3° Accordera-t-on, en cas de réorganisation, des crédits provisoires sur le pied du budget actuel? »

Résolu affirmativement par 4 voix contre 3.

- Ce rapport sera imprimé et distribué.

Ordre des travaux de la chambre

M. le président. - A quel jour la chambre veut-elle fixer la discussion?

M. Dumortier. - C'est précisément sur cette question que j'ai l'intention de vous entretenir et de vous présenter quelques observations.

Messieurs, nous nous sommes engagés dans la discussion d'une loi d'une extrême importance. Cette discussion occupera évidemment encore la chambre pendant plusieurs séances. Nous désirons tous faire une bonne loi, et pour la faire bonne, il faudra examiner attentivement tous les amendements. Déjà ceux qui sont déposés sont nombreux, et on vous en présentera d'autres à mesure que la discussion avancera.

Cependant, messieurs, nous sommes au 13 décembre, et nous avons une foule de lois importantes à discuter et à voter impérieusement avant le 1er janvier : c'est la loi sur le budget de la guerre, dont le rapport est déposé en ce moment; c'est la loi sur les céréales qui est à l'ordre du jour; c'est la loi sur le budget des travaux publics, la loi sur le contingent de l'armée, la loi sur le budget des voies et moyens, la loi sur le caissier de l'Etat.

- Un membre. - Il n'y a pas de projet.

M. Dumortier. - Il vous en sera présenté un. Le discours du Trône nous indique qu'un projet de loi sur cette question nous sera présenté avant le 1er janvier, et nous devrons le voter avant cette époque.

De plus, nous devons laisser au sénat le temps d'examiner toutes ces lois.

Dès lors, messieurs, ne serait-il pas sage d'interrompre, comme on l'a fait souvent en pareille occasion, la discussion de la loi très importante que nous examinons en ce moment, pour nous occuper des lois que nous devons impérieusement voter avant le 1er janvier ? (Interruption). Messieurs, il n’est pas nécessaire que nous votions, avant la fin de l’année, la loi sur une caisse d’assurances sur la vie. Mais les lois d’impôts, les budgets, les lois de contingent ne peuvent être ajournées. Si la chambre veut continuer la discussion actuelle, je le veux bien; moi-même je suis inscrit et je désire vous présenter mes observations. Cependant je sacrifierai volontiers mon tour de parole dans l'intérêt de nos travaux.

Messieurs, nous n'avons plus que douze à quatorze séances jusqu'à la fin de l'année; il est évidemment impossible, dans un nombre aussi restreint de séances, de voter la loi sur la caisse d'assurances, et de discuter les autres lois importantes que nous avons à examiner avant le premier janvier. Je soumets donc à la chambre cette question : Ne serait-il pas bon de commencer immédiatement la discussion de ces dernières lois? La chambre délibérera dans sa sagesse; mais j'ai cru qu'il était de mon devoir d'attirer son attention sur ce point.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je ne comprendrais pas comment la chambre pourrait se rallier à cette proposition. Voilà trois jours que nous consacrons à la discussion générale d'une loi importante, sur le principe de laquelle s'est prononcée une très grande majorité. Le gouvernement se trouve d'accord avec la section centrale sur les principes essentiels de cette loi, qui ne se compose que de 22 articles; et on vient soumettre à la chambre l'idée de suspendre la discussion et de l'ajourner je ne sais à quelle époque. Cela n'est pas possible. Je prie l'honorable M. Dumortier de remarquer que rien n'est à l'ordre du jour pour demain.

M. Dumortier. - La loi sur les denrées alimentaires.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Elle doit venir après la loi sur les faillites; cela a été décidé ainsi.

Il serait sans exemple, messieurs, que l'on interrompît l'examen d'une loi de cette importance, et que l'on perdît ainsi trois jours de discussion générale. Je crois au surplus que la chambre fera très bien de ne pas prolonger outre mesure cette discussion générale, afin de pouvoir accomplir en temps opportun les divers devoirs qui lui incombent avant la fin de l'année. Mais j'insiste pour qu'on continue et pour qu'on achève la discussion de cette loi importante.

M. Dumortier. - C'est précisément parce qu'il s'agit d'une loi de cette importance que je demeure convaincu qu'il nous sera impossible de la terminer immédiatement et de voter en même temps les lois que nous devons forcément examiner avant le 1er janvier. Il y a encore sept orateurs inscrits dans la discussion générale. Je ne pense pas qu'il entre dans l'intention de M. le ministre de l'intérieur d'étrangler cette discussion. Il vient de dire tout à l'heure qu'il appelait notre concours pour améliorer la loi en tout ce qui était possible. Ce concours, nous sommes disposés à le lui prêter; mais il est évident qu'il faut avoir le temps de pouvoir le faire.

Je prierai M. le ministre de vouloir nous dire comment il suppose que la chambre puisse, dans les treize ou quatorze séances qui nous restent avant le 1er janvier, terminer la discussion de la loi sur les faillites, et discuter, outre la loi qui nous occupe, la loi sur les céréales, la loi sur le budget de la guerre, la loi sur le budget des travaux publics, la loi sur le budget des voies et moyens, la loi sur le contingent de l'armée, la loi sur le caissier de l'Etat? Je dis que, continuer la discussion actuelle, c'est nous obliger à en venir encore une fois aux crédits provisoires. Mais si vous pouvez voter des crédits provisoires pour le département des travaux publics, pouvez-vous en voter pour le budget de l'armée après le rapport que vient de vous être fait? Quant à moi, messieurs, qui veux soutenir le budget de l'armée, je déclare que je ne veux pas voter de crédits provisoires, que je ne veux pas laisser l'armée en suspens en présence de semblables propositions. Or, pourrons-nous émettre un vote sur cette question si grave, si nous continuons la discussion d'une loi qui nous prendra encore au moins dix jours? (Interruption.)

Messieurs, je maintiens que cette loi demandera dix jours de discussion. J'ai un peu d'expérience de la chambre; je suis un des vieux de l'assemblée ; et c'est précisément cette expérience que j'invoque. Je sais combien dure la discussion de ces lois qui introduisent un système entièrement nouveau, à l'égard duquel il n'y a pas de précédents. C'est pour ces lois que les discussions sont les plus longues, parce qu'alors chacun vient présenter les améliorations qu'il croit possible d'introduire dans un projet qui renferme un système complètement neuf. Vous ne parviendrez donc pas à éviter une longue discussion sur cette loi.

Messieurs, est-elle urgente? Ne peut-elle pas être aussi bien discutée en janvier qu'en décembre? Mais c'est tout autre chose, si vous renvoyez au mois de janvier le vote du budget des voies et moyens.

Messieurs, ce qui arrivera si vous repoussez ma proposition, c'est qu'on étranglera l'examen de toutes ces grandes questions qui sont aujourd'hui urgentes; c'est que vous n'aurez pas de discussion sur le budget des travaux publics; c'est que vous n'aurez pas de discussion sur le budget de l'armée. C'est peut-être ce que l'on veut. Mais moi, je veux avoir une discussion franche, une discussion approfondie sur tous ces objets.

C'est pourquoi je demande à la chambre de bien vouloir ajourner la discussion si importante qui nous occupe, afin d'aborder l'examen d'une de ces lois sur lesquelles nous sommes appelés impérieusement à émettre un vote avant le 1er janvier.

J'ai une dernière observation à présenter. Le sénat doit aussi voter ces lois, et nous ne pouvons pas porter atteinte à son initiative. Or, (page 213) aujourd'hui le sénat ne peut pas même s'assembler, parce que nous sommes engagés dans la discussion de lois autres que celles que nous devons voter avant la fin de l'année.

Messieurs, la chambre décidera ; mais j'aurai rempli mon devoir.

M. le président. - M. Dumortier, insistez-vous sur votre motion?

M. Dumortier. - Je la reproduirai.

- Plusieurs membres. - Non, non ! Aux voix, aux voix!

M. le président. - Je vais mettre la motion de M. Dumortier aux voix.

M. Dumortier. - Je la retire.

M. le président. - Le rapport sur le budget de la guerre sera imprimé et distribué. On fixera le jour de la discussion après la distribution.

Projet de loi instituant une caisse générale d'assurances sur la vie

Discussion générale

M. de Liedekerke. - J'en demande pardon à la chambre, et je regrette vivement de devoir rentrer dans ce débat. J'espérais, messieurs, ne plus y être appelé, mais le discours si direct, si véhément, si personnel de l'honorable député de Bruxelles, m'y appelle forcément.

L'honorable préopinant m'a fait l'honneur de traiter d'une manière toute particulière les principes que j'avais établis, les déductions et les conclusions que j'en avais tirées ; la chambre ne trouvera pas dès lors déplacé que je m'attache particulièrement à répondre aux arguments dont il a cru m'accabler.

Certes, messieurs, une discussion publique est une chose utile, un débat est une chose désirable ; il peut en jaillir des lumières constantes dans l'intérêt des membres de cette chambre, il peut en naître des éclaircissements souverainement utiles pour le pays tout entier, mais à un prix, à une condition, c'est que l'on ait des égards, des respects réciproques pour les pensées de ses contradicteurs et pour les idées qu'ils peuvent émettre; c'est qu'à des raisons on oppose des raisons, c'est qu'à des arguments on oppose des arguments, c'est qu'à des conclusions on oppose des conclusions. Si on les traite avec trop d'indifférence, avec un dédain trop marqué, un orgueil trop prononcé, permettez-moi de le dire, on pourrait en arriver à la supposition d'une excessive suffisance, si la différence d'âge qui me sépare de l'honorable préopinant, sa longue carrière, la position éminente qu'il occupe n'en détournaient pas chez moi jusqu'au soupçon.

L'honorable préopinant, non content de retourner vers le passé, a sondé l'avenir; il m'a donné rendez-vous à une discussion qui s'ouvrira prochainement dans cette enceinte. Ce rendez-vous, je l'accepte; cette citation, j'y serai fidèle. Oui, messieurs, j'accepte le rendez-vous de l'honorable préopinant, et je viendrai, moi et d'autres honorables amis, nous viendrons réclamer pour 2,500,000 travailleurs agricoles, non pas le privilège, non pas une prérogative, non pas une exception au droit commun, mais le traitement que vous donnez au reste de la nation.

Vous m'avez dit hier : « Nous verrons si l'honorable préopinant nous laissera disposer de notre travail, lui qui parle tant de liberté pour le travailleur. » Messieurs, ce n'est point nous qui devrons donner cette liberté, ce n'est point de nous qu'elle peut venir. Que l'honorable préopinant fasse tomber les tarifs douaniers de la France, que l'honorable préopinant réclame l'anéantissement des douanes de la Russie, que l'honorable préopinant demande l'abaissement des douanes de l'Espagne, qu'il fasse le tour du monde, qu'il fasse régner la liberté de l'économie politique sur tous les points et alors nous aussi pourrons entrer dans la liberté des échanges qu'il proclame avec un fanatisme qui, lui aussi, a ses dangers.

Messieurs, j'aborde un autre ordre d'idées.

L'honorable préopinant a voulu m'embarrasser par une citation d'une lettre patente de 1790, lettre patente qui organisait, disait-il, le travail. Messieurs, la constitution de 1789 et les décrets des 17 mars, 14 et 17 juin 1791, voilà les décrets qui ont fondé la liberté du travail. Et qu'il me soit permis ici de répéter une distinction que je faisais dernièrement. Que disais-je? Qu'on avait accordé la liberté au travail, mais qu'on ne l'avait pas accordée au même degré aux travailleurs. Je vous disais que, tandis que le travail était libre, l'association, la solidarité et la prévoyance, qui en découlent, n'avaient pu s'établir comme la libre concurrence l'exigeait impérieusement. Et j'ajoutais que c'est dans l'association fomentée, excitée par les forces individuelles, que se trouve le remède le plus efficace, le seul efficace contre les excès de la concurrence, la seule digue solide contre les vaines et insensées théories qui agitent et troublent l'Europe.

Et quand je parle des forces individuelles, quand je répète sans cesse que c'est à elles surtout à prendre l'initiative de ces hautes améliorations et de ces grands bienfaits, suis-je donc si éloigné des économistes? Je demande à la bienveillance de la chambre de me permettre une citation :

« Chacun doit faire sa destinée dans ce monde, pourvoir à son existence par le travail; c'est la loi, la condition de toutes les sociétés, de tous les peuples. Une nation ne peut prospérer, ne peut vivre qu'autant qu'elle comprenne bien cette condition et qu'elle l'accomplisse dans les limites du possible.

« La condition d'existence des sociétés se résout donc en obligations individuelles, et celui-là est coupable envers la société qui n'accomplit $(manque une ligne) destruction de la société qui ne travaille pas utilement pour lui-même, qui ne pourvoit pas à sa propre existence. »

Je demande à l'honorable préopinant s'il accepte ce passage.

M. de Brouckere. - Oui, je l'accepte en entier.

M. de Liedekerke. - Il est de l'honorable préopinant.

Messieurs, j'ai constaté un fait. J'ai dit que les associations s'appliqueraient surtout, et auraient principalement un but d'utilité dans les centres manufacturiers et industriels. Est-ce donc dire que je veux en exclure qui que ce soit? On parle sans cesse de capitalistes, mais capitalistes et propriétaires sont parfaitement synonymes. Sans doute, messieurs, je n'ai pas voulu exclure ni les populations campagnardes, ni les propriétaires, ni les capitalistes, et lorsque M. le ministre de l'intérieur disait qu'il fallait exciter les populations agricoles vers les caisses de retraite, assurément je ne m'éloigne pas de son idée. Mais enfin quelle était ma pensée? J'ai dit que les chômages sont beaucoup moins fréquents à la campagne, que la détresse y est moins grande, que les crises enfin y sont moins intenses que dans les grands centres industriels. Quant aux économies que peut faire le campagnard, n'est-il pas préférable de les lui voir appliquer à l'amélioration du sol et à des acquisitions territoriales lorsque vous êtes à la veille de nous proposer l'établissement d'un crédit foncier !

Ne serait-il pas vraiment étrange de détourner les capitaux du travailleur agricole vers les caisses de retraite, tandis qu'il pourrait les enfouir si utilement, si sûrement dans le sol?

Messieurs, l'honorable préopinant a prononcé hier une parole qui m'a profondément, douloureusement affecté; il a dit que la charité dégradait...

M. de Brouckere. - Je n'ai pas dit cela.

M. de Liedekerke. - J'en appelle au souvenir de tous les membres de cette chambre, et ma mémoire est aussi fidèle que la plume des sténographes : j'ai fait une interpellation à l'honorable préopinant; et il s'est écrié que, si la charité honore celui qui la fait, elle dégrade celui qui la reçoit.

S'il est vrai que la charité dégrade celui qui la reçoit, je vous prouverai qu'elle dégrade aussi celui qui la donne. Car si, lorsque l'on donne la charité à l'un de ses semblables, on dégrade celui-ci, on se ravale soi-même au même instant.

Mais, messieurs, la charité, c'est le lien qui unit ceux qui ont le don de la fortune avec ceux qui en sont déshérités; mais la charité, elle comble la distance qui sépare les pauvres des riches. Quoi! il serait possible de dire, et je m'empare ici de l'idée d'un homme d'Etat illustre, il serait possible de dire que saint Vincent de Paul, et ses émules, et ses imitateurs ont outragé l'humanité! Ah! messieurs, quelle triste extrémité!

Savez-vous, messieurs, où serait le mal? Il serait dans la parole de l'honorable préopinant; le danger serait qu'une telle parole pût se répandre, s'accréditer, se développer dans les convictions des malheureux. Oui, dans mon opinion sincère, si une conviction aussi déplorable pouvait s'emparer des classes laborieuses, ce serait le premier jour où la première heure de la décomposition irrésistible de la société!

Savez-vous, messieurs, ce que la charité volontaire a fait en France? Après les désastres de la révolution, elle a, de 1800 à 1845, donné à la France 122 millions, et je n'énumère pas les donations ou legs au-dessous de 300 francs qui n'ont pas besoin d'autorisation légale, je ne compte pas les dons manuels, ni les souscriptions volontaires qui se faisaient dans les villes et qui, pour Paris seul, s'élevaient à 200,000 francs annuellement.

Messieurs, une dernière parole.

L'on a paru inférer de mon discours que je combattais le projet du gouvernement tout entier. Non, messieurs; je n'ai cessé de m'écrier que j'approuvais le principe, la pensée noble et généreuse qui avait inspiré le projet de loi. Mon dissentiment commençait à l'application du principe; c'est sur l'application seule que je différais avec le gouvernement.

Je lui disais : Veillez à ce que les associations ne puissent pas aboutir à une issue fatale pour l'associé, à ce qu'elles ne puissent pas se dissoudre à son détriment ; voilà à quoi se bornaient mes vœux. Non, jamais je n'ai attaqué le principe en lui-même, je le porte haut ce principe, je l'estime et le vénère.

Mais la responsabilité financière qui peut vous entraîner vers l'inconnu, cette responsabilité dont M. le ministre de l'intérieur disait encore tout à l'heure que c'était seulement dans un grand lointain qu'on pourrait savoir quels en seraient les résultats finals pour l'Etat; la responsabilité financière qui faisait dire à l'honorable M. de Brouckere : « Faisons encore un peu de socialisme pendant dix ans, et puis nous en sortirons. » Voilà ce que je combats, voilà où je vois des dangers sérieux.

Prouvez-moi que l'Etat n'y perdra rien, que l'Etat restera un simple gérant sans responsabilité; à l'instant j'accepte et vote le projet de grand cœur.

Messieurs, je répéterai ce que je vous disais tout récemment : les grands devoirs qui incombent à l'Etat ne sont pas si vains, si stériles; l’Etat peut et doit développer le capital intellectuel et moral des populations; il peut exciter l'énergie individuelle ; il doit concourir à entretenir la flamme de la foi, les principes de la religion ; oui, les principes de la religion, qui sont le lien le plus puissant des familles et qui sont, outre $(manque une ligne)

(page 214) Messieurs, que les particuliers s'associent à cette action? que les particuliers suivent ce noble et bel exemple dont parlait hier notre bienveillant collègue, M. Van Hoorebeke ; qu'ils suivent l'exemple de ce fabricant de Gand, que j'aime à honorer ici publiquement, et ils opéreront le bien.

Et nous pourrons nous écrier alors que nous avons complète une grande œuvre nationale; que, dans le domaine matériel, nous avons trouvé et appliqué les remèdes suprêmes qui seuls pouvaient dominer la situation, tout comme il y a vingt ans vous les avez découverts et fondés dans le domaine politique; oui, alors vous aurez conquis, comme le disait hier un honorable ami, le député de Termonde, vous aurez conquis une belle et noble gloire pour la Belgique, une gloire qui reluira du plus pur éclat dans la postérité.

M. de Brouckere (pour un fait personnel). - Messieurs, je ne veux que répéter les paroles que j'ai dites hier : Ceux qui ont de la mémoire s'en souviendront probablement. Je n'ai pas prononcé le mot de charité. J'ai dit : Nous voulons donner à l'ouvrier le pain qui élève et qui ennoblit ; le pain qu'il trouve à la campagne, ai-je ajouté, c'est le pain qui avilit. Sur ces mots j'ai été interrompu; j'ai relevé l'interruption, et j'ai répondu : La charité est une vertu, mais la mendicité avilit.

M. de Liedekerke (pour un fait personnel). - Quels que soient les dissentiments qui peuvent me séparer d'avec un membre quelconque de cette chambre, je prie mes honorables collègues d'être persuadés que jamais il ne pourrait entrer dans ma pensée, non jamais ma conscience ne pourrait supporter d'altérer un mot, une parole, de supposer une pensée à l'un ou l'autre de mes honorables collègues qui ne fût pas sienne.

Hier, j'ai interrompu l'honorable préopinant en disant que la charité ne dégradait jamais; il a répondu, j'en atteste tous les souvenirs, la charité dégrade celui qui la reçoit, et non celui qui la donne.

- Plusieurs voix. - Non ! non !

- D'autres voix. - Si ! si !

M. de Liedekerke. - Tous les journaux l'ont répété.

M. de Brouckere. - Il y a un moyen facile de vérifier ce fait; qu'on prenne la minute des sténographes, on verra s'il y a des ratures, si on y a touché; ils ont rendu mot pour mot ce que j'ai dit. D'ailleurs, il serait trop absurde que je voulusse ternir la charité. Qu'on vienne à l'hôtel de ville, on verra le cas que je fais de la charité; qu'on vienne entendre dans mes cours ce que je dis de la charité. Je la préconise comme une vertu ; quant à l'aumône, je la flétris.

M. Pierre. - Je me bornerai à motiver en quelques mots le vote que j'émettrai.

Un honorable membre vous a dit qu'il lui paraissait y avoir de graves inconvénients, peut-être même certain danger à faire du gouvernement un assureur direct sur la vie.

Il a ajouté que s'il était, selon lui, peu prudent d'engager l'Etat dans cette voie nouvelle, dont nous ne pouvons prévoir l'issue, une autre considération non moins puissante le conviait à repousser le projet en discussion, il regarde la loi proposée comme le premier jalon d'un système plus étendu, auquel elle ne servira, pour ainsi dire, que d'introduction.

C'est précisément ce motif, déterminant principalement la répulsion de l'honorable membre, qui m'engagera à voter en faveur du projet ; ce qui fait l'objet de ses appréhensions fait celui de mes plus sincères désirs. A mon avis, le mode des assurances que nous allons établir les rendra fort peu accessibles aux classes inférieures de la société, aux classes laborieuses proprement dites. Elles ne seront guère profitables qu'aux classes moyennes. Ainsi que nous l'a dit M. le ministre de l'intérieur, quand bien même la loi ne serait destinée à être utile et à profiter qu'à ces classes moyennes, dignes aussi de tout notre intérêt, je la regarderais encore comme une heureuse innovation.

A ce point de vue-là seul, je la voterais ; mais je la voterai également, parce que je l'envisage comme l'inauguration d'un genre nouveau d'administration publique, d'une administration en quelque sorte paternelle. J'en félicite vivement le ministère, non pas tant pour les dispositions de la loi elle-même, dont je reconnais cependant en général le mérite, que pour le principe important, salutaire, qu'elle pose et consacre. Je la considère réellement comme un premier pas vers un système plus vaste, dont les bienfaits seront plus tard mieux mis à la portée des classes inférieures, ou plutôt, pour parler plus exactement, des véritables travailleurs, trop longtemps oubliés, méconnus. Je voterai cette loi, comme une espèce de gage d'améliorations plus efficaces que l'avenir leur réserve.

- La chambre ordonne l'impression d'amendements présentés par MM. Thibaut et Mercier.

La séance est levée à 4 heures et demie.