Accueil Séances Plénières Tables des matières Biographies Livres numérisés Note d’intention

Chambres des représentants de Belgique
Séance du jeudi 11 avril 1850

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1849-1850)

(Présidence de M. Verhaegen.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 1112) M. Dubus fait l'appel nominal à 1 heure et un quart.

M. de Luesemans lit le procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Dubus présente l'analyse des pièces qui ont été adressées à la chambre.

« Le sieur Renier Christien, ancien militaire, demande à recouvrer la qualité de Belge, qu'il a perdue en prenant du service militaire à l'étranger. »

- Renvoi au ministre de la justice.


« Le sieur Pierre-Joseph-Hubert Knaden, curé à Huy, né à Aix-la-Chapelle (Prusse), demande la naturalisation ordinaire. »

- Même renvoi.


« Le sieur Christian Hofmann, professeur de musique à l'école normale de l'Etat à Nivelles, né à Perlstadt (Sàxe-Weimar), demande la naturalisation ordinaire. »

- Même renvoi.


« Les anciens élèves du collège d'Eecloo prient la chambre de rejeter le projet de loi sur l'enseignement moyen.

« Même demande de plusieurs habitants de Neerpelt, Soignies, Bruges. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi et renvoi à la section centrale.


« Plusieurs habitants de Bruxelles prient la chambre de rejeter le projet de loi sur l'enseignement moyen, ou du moins de le modifier profondément.

« Même demande de plusieurs habitants de Massemen, Beerst, Ramscappelle, Nedereenaeme, Gulleghem, Bilsen , Lille-Saint-Hubert, Branchon, Nevele, Eeghem, Comines. »

- Même décision.


« Le sieur Desutter, serrurier-poêlier à Gand, prie la chambre de lui faire obtenir la décoration de l'ordre de Léopold pour la part qu'il a prise au combat du pont de Paille en 1831. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Falta, ancien conducteur des ponts et chaussées, prie la chambre de faire admettre dans la liquidation de sa pension les années qu'il a consacrées au service de la province. »

- Même renvoi.


Par message, en date du 10 avril, le sénat informe la chambre que l'allocation nécessaire à ses dépenses est de 40,000 francs, chiffre égal à celui qui est porté au budget de 1850.

- Pris pour notification.


M. Moncheur demande un congé de quelques jours.

- Accordé.

Projet de loi portant le budget des dotations de l’exercice 1851

Vote des articles sur sur l’ensemble du projet

M. le président. - Le sénat ayant fait connaître le chiffre nécessaire à ses dépenses, rien ne s'oppose plus à ce que la chambre vote le budget des dotations dont elle a précédemment adopté les articles. Nous pourrions procéder immédiatement à ce vote. (Adhésion.)


L'article unique est ainsi conçu :

« Le budget des dotations est fixé, pour l'exercice 1851, à la somme de trois millions quatre cent quatre mille neuf cent vingt-deux francs soixante et quinze centimes (fr. 3,404,922-75.) »


Il est procédé au vote par appel nominal sur cet article, qui est adopté à l'unanimité des 63 membres présents.

Ce sont : MM. Lebeau, LeIièvre, Lesoinne, Loos, Manilius, Mascart, Osy, Pirmez, Prévinaire, Rodenbach, Rogier, Rousselle, Thibaut, Thiéfry, T'Kint de Naeyer, Toussaint, Van den Branden de Reeth, Van Grootven, Van Iseghem, Van Renynghe, Veydt, Vilain XIIII, Allard, Boulez, Christiaens, Clep, Cools, Coomans, Cumont, de Baillet (Hyac.), de Bocarmé, de Breyne, de Brouwer de Hogendorp, Dechamps, Dedecker, de Haerne, Delehaye, Delescluse, Delfosse, de Liedekerke, Deliége, de Luesemans, de Man d'Attenrode, de Meester, de Perceval, Dequesne, de Renesse, de Royer, Destriveaux, de Theux, de T'Serclaes, d'Hont, Dubus, Dumon (A.), Faignart, Fontainas, Jouret, Julliot, Lange, le Bailly de Tilleghem et Verhaegen.

Projet de loi relatif à l’enseignement moyen

Motion d'ordre

M. Rodenbach (pour une motion d’ordre). - Messieurs, des pétitionnaires de Bruges, de 1829, réitèrent aujourd'hui leurs plaintes contre le monopole ministériel que l'on tente de rétablir en Belgique en 1850. Parmi ces notables habitants, je remarque quatre membres du Congrès national, vétérans de la liberté, qui se prononcent énergiquement et avec une chaleur entraînante contre le malencontreux projet de loi sur l'instruction moyenne, soumis à nos délibérations.

Je demande que cette requête soit renvoyée à la section centrale avec prière de faire un prompt rapport sur toutes celles qui lui ont été adressées dans ce sens depuis plusieurs jours. Je demande aussi qu'elles soient déposées sur le bureau pendant la discussion.

M. le président. - C'est ce qui a été fait.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Messieurs, j'appuie le renvoi de la pétition à la section centrale. On dit que la pétition est signée par quatre membres du Congrès; je ne le nie pas; mais je suis convaincu que, si ces quatre anciens membres du Congrès sont fidèles aux traditions de cette assemblée, et veulent franchement et complètement l'exécution de la Constitution, qu'ils ont contribué à fonder, ils voudront qu'à côté de la liberté d'enseignement, il y ait aussi un enseignement donné aux frais de l'Etat. Ainsi l'a voulu la Constitution, ainsi l'a voulu la première émanation de la révolution belge, le gouvernement provisoire, qui, en émancipant l'instruction publique, a décrété en même temps le maintien de l'instruction donnée aux frais de l'Etat.

Nous faisons aussi un appel aux souvenirs du Congrès. Il est d'une injustice flagrante, je dirai plus, il est d'une mauvaise foi révoltante d'entendre soutenir que le projet de loi que nous apportons ici en exécution d'une disposition formelle de la Constitution, ait pour but de rétablir le monopole hollandais. Je ne puis pas me dispenser de traiter cette accusation de véritable calomnie. Le projet de loi a exclusivement pour but de régler un article formel de la Constitution.

Est-ce que nous venons, les premiers déposer ce projet de loi?

Les honorables amis de M. Rodenbach, n'ont-ils pas déposé un projet qui allait beaucoup plus loin que le nôtre en ce qui concerne la liberté des communes que vous venez invoquer d'une manière si tardive et si peu opportune? Nous démontrerons que, sous le rapport de la liberté des communes, notre projet va plus loin que les projets précédemment présentés, qu'il est plus libéral que tous ceux qui ont été préseulés par nos prédécesseurs.

M. de Theux. - C'est ce que nous verrons.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Nous le démontrerons.

J'attendrai l'honorable M. de Theux à la discussion.

M. de Theux. - J'y suis.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je dis qu'il y a manque de bonne foi à faire dire aux pétitionnaires que le projet que nous avons présenté tend à rétablir le monopole du gouvernement hollandais, quand ce projet a uniquement pour but de faire ce que veut la Constitution, de régler par la loi l'enseignement public donné aux frais de l'Etat. Cet article de la Constitution est resté vingt ans inexécuté.

On a cherché à plusieurs reprises à en assurer l'exécuter; mes prédécesseurs ont déposé des projets qui n'ont pas été discutés. Nous n'avons fait qu'exécuter une promesse déposée mainte fois dans les discours du Trône à l'ouverture des sessions; et quand nous venons exécuter cette promesse, on nous accuse de violer la Constitution, on fait appel aux passions et en même temps on invoque le secours céleste pour le maintien de nos institutions, comme si nos institutions étaient le moins du monde menacées, comme si le projet lui même n'était pas la preuve de notre respect entier pour nos institutions.

M. de Liedekerke. - Nous croyons le contraire.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Vous n'avez rien démontre: vous avez combattu des fantômes, vous avez dirigé de grands coups de lance contre des moulins à vent; vous vous êtes créé un projet de loi tel que vous auriez voulu peut-être que nous en présentassions un; ce que vous avez combattu hier n'existe que dans votre imagination.

M. Rodenbach. - Je demande la parole.

M. le président. - Tout ce qui vient d'être dit se rapporte au deuxième objet à l'ordre du jour, et si la discussion sur l'incident continue, on va nécessairement intervertir l'ordre des inscriptions dans la discussion du projet de loi sur l'enseignement moyen.

Messieurs, plus l'objet de la discussion est grave, plus il importe d'apporter dans les débats, du calme et de la modération, et surtout d'éviter l'emploi de certaines expressions qui pourraient être mal interprétées au poiiit de vue des intentions.

M. Rodenbach. - On a prononcé le mot calomnie; je demande la parole pour un fait personnel.

M. le président. - Cette parole est sans doute échappée à M. le ministre de l'intérieur ; et je ne doute pas qu'il ne s'empresse d'expliquer sa pensée.

M. Coomans. - L'accusation de mauvaise foi adressée à un honorable collègue n'est pas parlementaire; pour la dignité de l'assemblée, pour la dignité du parlement belge, je proteste contre cette parole échappée trop souvent à M. le ministre de l'intérieur.

M. le président. - Je n'ai pas attendu les observations de l'honorable préopinant pour faire respecter le règlement. J'ai engagé les honorables membres qui prennent part aux débats à ne pas se servir d'expressions qui pourraient être considérées comme des imputations de mauvaise -intention, et je ne pense pas que les mots de mauvaise foi, dont s'est servi M. le ministre, aient été adressés à aucun membre de cette assemblée.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je présume, M. le président, que vos observations ne s'appliquent pas à moi. Je n'ai pas pris l'initiative des incriminations. Je crois avoir été extrêmement modéré danis l'exposé des principes du gouvernement. L'honorable M. Dumorlier a bien voulu, sous ce rapport, rendre hommage à la manière dont je me suis expliqué à l'ouverture de la discussion. Aujourd'hui, je me suis animé; lorsque j'ai entendu un honorable membre de cette assemblée, répétant des assertions calomnieuses produites au-dehors accuser le gouvernement de vouloir rétablir l'ancien monopole hollandais. Je dis qu'attaquer de cette manière le projet de loi, c'est se rendre, à son insu et sans intention mauvaise, l'écho d'accusations produites ailleurs avec beaucoup de mauvaise foi.

M. Coomans. - C'est autre chose.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Ce n'est pas autre chose.

Je prie M. Coomans de croire que ce n'est pas de lui que je recevrai des leçons de convenance et de modération. Qu'il se surveille lui-même, il fera beaucoup mieux.

M. Coomans. - Je ne vous ai jamais accusé de mauvaise foi.

M. Rodenbach. - Le fait est que M. le ministre a répété deux fois les mots de calomnie et de mauvaise foi. Il vient de faire une espèce de rétractation. Je ne pense pas que l'on puisse traiter de calomniateurs d'anciens et très honorables membres du Congrès? S'ils ne partagent pas les principes émis dans un projet de loi, qu'ils regardent comme un retour au système de 1829, un ministre n'a pas le droit pour cela de qualifier leur opinion de calomnie.

Je regrette ce débat; mais je crois que le public me donnera raison, et que le droit de pétition restera dans notre pacte fondamental, et qu'aucun ministre, quel qu'il soit, ne pourra détruire ni notre Constitution, ni nos libertés communales.

Discussion générale

M. le président. - La parole est à M. de T'Serclaes, inscrit contre le projet.

M. de T’Serclaes. - Messieurs, depuis trois ans que j'ai l'honneur de siéger parmi vous, je n'ai guère participé que par un vote silencieux aux discussions politiques qui se sont élevées. Ayant coopéré aux événements qui ont fondé la nationalité belge, blessé de septembre, administrateur politique dans des positions importantes, j'aurais peut-être dû apporter aussi un autre contingent, quel qu'il fût, à l'œuvre commune. Est-ce que j'ai eu tort de me reposer, pour le maintien de nos grandes institutions, sur le patriotisme de la chambre, pour la défense de nos intérêts moraux et matériels, sur le talent, l'éloquence de mes amis, que je reconnais comme de beaucoup supérieurs aux miens ?

Mais aujourd'hui, si je fais allusion à mon passé, c'est, afin de donner quelque autorité à mes paroles. Aujourd'hui j'obéis à un devoir supérieur à tout autre, à un devoir d'homme et de chrétien en élevant la voix contre un projet dont l'adoption serait, à mes yeux, funeste pour le pays entier, funeste surtout à l'esprit moral et chrétien de nos populations.

Parmi le grand nombre d'objections que soulève le projet de loi sur l’enseignement moyen, il y en a deux surtout qui frappent par leur importance et leur généralité : il présente une lacune essentielle par rapport à l'éducatior religieuse et morale; il exagère les droits et les devoirs de l’État en matière d'enseignement. L'honorable M. de Liedekerke, l'honorable M. Dumortier vous l'ont démontré par des raisons prises dans l'ordre le plus élevé de la raison et de la politique. Quant à moi, messieurs, je m'attacherai principalement à combattre l'esprit et les tendances du projet de loi sur ces deux points fondamentaux, en (page 1114) suivant les termes et le développement des idées, de l'exposé des motifs et du rapport de la section centrale.

Loin de moi de dénaturer les intentions ou d'aller au-delà. Je les prends telles qu'elles ont été énoncées; elles parlent assez par elles-mêmes. Je combats, d'abord, l'esprit et les tendances du projet de loi en ce qui concerne l'enseignement de la morale et de la religion.

Ces principes généraux du projet appartiennent à deux ordres d'idées différents, suivant qu'on les considère au point de vue administratif, ou au point de vue de l'enseignement. Au point de vue de l'administration, l'exposé ne dit rien de la morale et de la religion.

Au point de vue de l'enseignement l'exposé traite du programme, du recrutement du corps professoral, de l'action du gouvernement; pas un mot de religion et de morale, un paragraphe final parle seulement du concours du clergé. Vous savez parfaitement de quelle manière.

Dans le projet, même silence; seulement l'article 8 porte que les ministres du culte seront invités à donner ou à surveiller l'enseignement religieux : quant au surplus, ni dans l'exposé ni dans le projet, il n'est pas dit un mot de la nature et de l'étendue de cet enseignement, des branches dont il se compose, de l'obligation pour les professeurs et les élèves de diriger leurs cours suivant certains principes généraux, sans lesquels la société ne peut subsister.

N'est-on pas autorisé à conclure de là que l'enseignement de la religion et de la morale occupe dans la pensée des auteurs du projet de loi un rang tout à fait secondaire ? que c'est un accessoire tel quel de l'enseignement moyen, nullement un point fondamental, une matière capitale, la base de l'institution civile et sociale.

Ne pourrait-on pas dire que si les auteurs du projet avaient pensé que ni la société, ni l'Etat, ni la monarchie, ni la république, ni la civilisation, ni l'ordre, ni le bonheur public, ni le bonheur privé ne peuvent pas subsister un instant sans la religion, sans la morale, ils auraient fait une autre part à cet enseignement qui doit vivifier tous les autres, qui doit assigner à tous les autres leur véritable but, sans lequel tous les autres sont un don funeste, un principe de perte et de malheur pour les particuliers comme pour la société !

L'enseignement de la morale cl de la religion est à vos yeux un accessoire : ce n'est pas un objet principal, car vous n'en parlez pas lorsque vous énumérez ceux que vous considérez comme tels : ce n'est pas la base de l'enseignement, car vous ne le déclarez pas obligatoire.

En revanche, il est souvent question du clergé et dans le rapport de l'honorable M. Dequesne et dans l'exposé des motifs. Mais comment est-il parlé du clergé? Comme d'une corporation puissante constituée en face sinon à l’encontre de l'Etat ; corporation suspecte à certains égards, hostile quelquefois ; jamais on ne va au-delà des hommes, de ceux que l’on appelle des concurrents, des rivaux; jamais on ne remonte aux principes éternels dont ces hommes sont, par devoir, par mission, les défenseurs et les interprètes. Laissons-là un moment les hommes, qu'ils soient ou non tels que vous les supposez, et voyons ce qu'ils enseignent, voyons ce qu'ils disent au cœur, à l'intelligence, au cœur surtout des jeunes générations, et dites-nous si ce n'est pas là l'idéal de ce que vous souhaitez que soient vos fils, l'idéal de ce que vous regrettez de ne plus être vous-mêmes?

Si cela est vrai, et vous en conviendrez de bonne foi, faut-il mettre au second plan de l'éducation, ou passer sous un silence affecté, ce qui, après tout, fait l'homme et le bon citoyen, la connaissance, le sentiment, la pratique de ses devoirs envers Dieu et envers ses semblables?

Eh! messieurs, parlons un peu moins de droits, d'autorité, de séparations de pouvoirs, d'influences, et pensons à ce qui est et doit être : le droit des droits, la garantie des garanties, savoir : la connaissance exacte et la pratique des devoirs, des notions certaines sur la mission et la destinée de l'homme. Les droits, l'indépendance de l'Etat, voilà surtout ce qui préoccupe l'honorable rapporteur. C'est là, à ses jeux, la véritable question que nous sommes appelés à résoudre.

Pour moi, je suis parfaitemenl convaincu du contraire; je trouve cette manière de voir étroite et au-dessous du sujet. Ce n'est pas à ce point de vue que je puis me placer pour apprécier la question d'enseignement, qui doit décider de l'avenir des générations. J'ai l'inébranlable conviction que si l'on était parfaitement persuadé de la nécessité et de l'importance de l'enseignement religieux, on parviendrait, avec la plus grande facilité, à résoudre ces questions de pratique, sans léser la dignité et les droits de qui que ce soit : il y a donc ici avant tout une question de principe à aborder de front.

Cette question, je la pose en ces termes: Admettez-vous que l'enseignement à tous ses degrés doit être basé sur la religion, doit être imprégné de l'esprit religieux; que, sans le sentiment de la vertu, le développement de l'intelligence est chose funeste et nuisible à l'homme comme au citoyen; que la connaissance de la religion est la première et la plus nécessaire de toutes nos connaissances? je réponds non pour M. Dequesne comme pour M. Rogier, car pas plus que ce dernier la section centrale n'écrit dans la loi la nécessité de l'enseignement religieux.

Les paroles, les protestations en faveur de la conscience, ne sont rien. Lorsque l'on cherche la vérité avec un cœur droit, on la trouve infailliblement.

Si votre but est de créer des citoyens probes, religieux, honnêtes, tout autant que des hommes instruits, ayez le courage de le dire, dites-le loyalement, franchement dans vos lois; inscrivez-le en tête de vos programmes, et soyez persuadés que vous parviendrez facilement à prévenir ou à réprimer les abus inséparables de l'application. Lorsque l'on a un but commun, on est bien près de s'entendre.

Il y a donc ici une question de principe, et malgré tout ce que l'on peut dire, je maintiens que l'opinion de M. le ministre de l'intérieur, l'opinion de la section centrale, plût au Ciel que je ne puisse ajouter l'opinion de la majorité de cette chambre, c'est que l'enseignement de la morale et de la religion n'est pas l'objet capital, fondamental de l'instruction secondaire, comme de tous les degrés de l'enseignement; en d'autres termes, que cet enseignement ne vient qu'en seconde ligne ; qu'enfin l'objet de cet enseignement est de former avant tout des hommes capables et intelligents, sauf à laisser à d'autres le soin de donner une direction morale, un fondement solide aux connaissances acquises

Voilà la pensée, voilà le principe hautement avoués par M. le ministre de l'intérieur; c'est là la pensée, le principe que je crois devoir combattre de toutes mes forces, comme une erreur radicale et désastreuse dans ses conséquences.

Les orateurs qui ont pris la parole avant moi vous ont prouvé d'une manière irréfutable, par la raison, par les traditions de tous les pays civilisés, que l'instruction ne peut pas être séparée de l'éducation.

Pourquoi les écoles dirigées ou soutenues par le clergé catholique gagnent-elles en peu de temps la confiance des pères de famille en Belgique? Est-ce par suite de suggestions, de captations? Nul n'oserait le dire, mais instinctivement les pères de famille ont reconnu que là seulement on donnait à leurs enfants une éducation complète sous le rapport du cœur, complète sous le rapport de l'intelligence; c'est que là seulement, en ouvrant l'esprit, on le prémunit contre les écarts auxquels de certaines lumières mènent trop souvent.

Là on ne dit pas que l'école est insuffisante pour produire les citoyens qui pourront continuer avec gloire l'œuvre que la Providence a assignée à leur pays. (Rapport de la section centrale, page 14).

Au contraire, là le foyer domestique se retrouve auprès de l'autel, là au moins l'enseignement de la religion, inscrit en tête du programme, oblige les professeurs à régler leur conduite privée et leur enseignement suivant les prescriptions de la religion sainte. Pourquoi les établissements de l'Etat, notamment sous le régime hollandais, excitaient-ils la défiance? C'est qu'avant 1830, comme dans le projet de loi, on se bornait à l'instruction, et que l'aumônier appelé au sein de l'école ne pouvait exercer son ministère d'une manière digne; c'est que des professeurs, très instruits d'ailleurs dans les sciences, n'inspiraient aucune confiance par leur conduite privée ou leurs principes.

Pour que l'éducation soit complète, il faut que l'instruction religieuse soit sérieuse, approfondie, qu'elle croisse avec les autres connaissances de l'élève, qu'elle pénètre dans toutes les classes, dans tous les cours, que la religion placée au premier rang, entourée d'un haut respect, fasse écarter de l'enseignement toute parole, tout principe contraire à la loi de Dieu, qu'elle éclaire l'application des sciences, qu'elle enseigne à en faire un usage conforme à la destinée de l'homme.

L'enseignement religieux est plus nécessaire même dans les collèges et écoles moyennes que dans les autres, parce que les collèges et athénées ont pour but de former les classes essentiellement influentes de la société, qu'ils les forment à un âge où les principes deviennent décisifs pour la vie entière ; qu'enfin plus l'intelligence se développe, plus elle a besoin de frein et d'une direction morale. J'en atteste l'opinion de l'ancien ministre de la justice M. Leclercq, alléguée par l'honorable M. Dumortier.

Voilà toutes choses que les auteurs et défenseurs du projet de loi n'ont pas comprises, et cependant on est bien obligé d'énoncer cette terrible vérité : Une éducation donnée sans direction morale est toujours immorale, comme une éducation donnée sans religion est toujours impie.

Eh quoi! je défie qui que ce soit d'enseigner ni l'histoire, ni la littérature, ni les belles-lettres, ni même les sciences exactes, sans y mêler les notions de la morale, les idées d'une religion positive quelconque, et vous bannissez de la loi jusqu'aux mots de morale et de religion, et votre projet de loi reste muet !

C'est là une erreur, un aveuglement déplorable. Jamais, dans aucun temps, un Etat, une société ne se sont constitués sans poser pour fondement le principe religieux. Je ne parlerai pas des peuples antiques où, malgré les grossières erreurs du paganisme, l'on a compris que le premier devoir de l'homme est de le lier avec son Créateur. Quel est, parmi les peuples modernes, celui qui n'a pas donné dans sa législation une part importante, une part souveraine aux rapports des individus el de la société tout entière avec Dieu ? Quelle est la constitution politique où il n'est pas parlé de religion? On ne peut en citer aucune. Mais si vousécrivez la religion dans votre Code politique, pourquoi n'en parlez-vous pas dans votre législation sur l'enseignement? Le but de cette loi n'est-il pas, oui ou non, au point de vue politique, de former des citoyens? Si, comme citoyens, vous les posez en rapports nécessaires avec Dieu, comme enfants, comme jeunes gens, pourquoi ne les obligez-vous pas à se pénétrer de ces rapports qu'ils devront appliquer plus tard, devenus hommes, citoyens?

Vous inscrivez sur le fronton de l'édifice politique le nom de Dieu; vous l'introduisez dans le parlement, dans les tribunaux , dans les prisons, dans les écoles primaires, dans les administrations publiques, pourquoi ne l'inscrivez-vous pas sur le fronton du collège, de l'athénée?

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Il y est.

M. de T'Serclaes. - Je l'ai vainement cherché. Véritablement, messieurs, je suis tenté de me demander si les auteurs du projet de loi ont réfléchi sur ce que doit être la religion ? Que (page 1115) de choses utiles et nécessaires il y aurait a dire ici, si j'allais parler de dogmes, de rédemption, de la grâce, de la charité, vérités sublimes que les catholiques professent jusqu'au martyre? Mais je prends le mot de religion dans le sens le plus général, dans le sens que l'Europe et la civilisation leur attribuent; dans cette acception, je citerai deux idées seulement que le genre humain s'est transmises d'âge en âge comme son trésor le plus précieux : la croyance en Dieu et l'immortalité de l'âme. Une simple réflexion sur l'idée de Dieu m'apprend que je ne connais rien à fond, ni dans le physique ni dans le moral, si je ne connais Dieu, et que je ne puis raisonner comme il faut sur rien, si j'ignore Dieu, vérité fixe, immuable, substantielle, cause première et fin dernière de toutes choses. Et l'on prétend ici enseigner, élever la jeunesse sans faire ostensiblement une part à cette idée, à laquelle remontent toutes les vérités particulières comme à la vérité universelle !

L'âme est immortelle, donc la vie actuelle n'est que la préparation à une autre existence, préparation fort courte et presque insensible eu égard à la durée des temps : d'où il suit logiquement que toute l'activité de l'homme, toute la vie de l'homme n'a pas d'autre but réel que de se préparer, en suivant la loi de Dieu, à cette vie future qui est la véritable vie. De là découle ensuite la nécessité du travail, du sacrifice, de l'amour de ses semblables, la sanction de la vertu.

Si vous faites abstraction de ces principes, vous descendez dans un matérialisme abject ; il n'y a réellement pas de milieu ; la morale, les rapports sociaux, les rapports politiques tombent à l'instant dans le néant; il n'en reste plus qu'une forme vaine, une sorte de spectre creux, que les lois répressives peuvent bien maintenir quelque temps, mais qui se dissipe et s'évanouit au premier souffle des perturbations politiques.

Si vous n'admettez pas ces notions comme fondamentales dans l'ordre de la société et par conséquent de l'éducation, que pouvons-nous dire, messieurs? Déplorer une prodigieuse aberration n'est pas assez ; combattre une doctrine funeste est pour nous le premier des devoirs; tâcher d'éclairer, d'apporter la lumière, la plus sacrée de nos obligations.

Mais l'on se récrie, et on demande à quoi bon? Nous admettons parfaitement tout cela, nous ne cessons de dire que nous professons le plus profond respect pour la religion, que nous la voulons dans les collèges, les écoles, qu'elle est nécessaire ; nous proclamons hautement que c'est une tactique déloyale de votre part de nous représenter comme n'accordant pas à ce grand intérêt social la part qui lui est due. Prenez garde, messieurs, si telle est votre pensée, et j'aime à le croire, je suis parfaitement persuadé que vous êtes de bonne foi, alors vous n'avez pas réfléchi sur les conséquences des principes que vous admettez avec nous. Vous vous êtes arrêtés sur le seuil, vous n'êtes pas allés plus loin. Ah ! ces matières sont redoutables pour certains esprits, mais il ne suffit pas de quelques paroles vaines, quand vous vous mettez aux prises avec l'idée; vous êtes forcément, irrésistiblement amenés à reconnaître que la base de l'ordre social est la religion, et, comme conséquence, que pour constituer un Etat, pour initier l'homme à son avenir, pour former l'enfant, il faut dans l'éducation donner une part prépondérante à la pensée religieuse. Vous l'admettez, dites-vous ; alors, je ne puis m'empêcher de vous accuser de le méconnaître dans la loi ; vous avez sacrifié le principe à une difficulté d'application, vous avez envisagé la question sous son point de vue le plus étroit, vous avez reculé devant le problème des rapports entre l'Eglise et l'Etat.

Non, me direz-vous, nous respectons comme vous le principe, mais nous nous sommes placés au point de vue de la Constitution du 7 février 1831, acclamée par toutes les opinions, tous les partis qui divisent le pays. Or la Constitution veut que l'Etat ait un enseignement à lui, il enseignera par conséquent toutes les branches dos connaissances humaines; mais quant à l'enseignement religieux, comme le clergé catholique a de grandes exigences, que du reste l'Etat est et doit être indépendant de tous les citoyens qui le composent, l'Etat se bornera à inviter les ministres des cultes à donner l'instruction religieuse dans ses écoles. Tous les intérêts seront ainsi sauvegardés. Non, mille fois, non. Votre système pèche par sa base, car il met manifestement l'instruction profane au-dessus de l'instruction religieuse, et l'article 8 ne contient qu'une simple invitation. Nulle part il n'est parlé dans la loi de la nécessité de l'enseignement de la morale et de la religion. Le projet ne dit pas un mot de ce qui arrivera si les ministres des cultes refusent de se rendre à l'invitation de votre article 8.

Est-ce ainsi que l'on doit traiter l'intérêt le plus vital de la société?

La loi sur l'instruction primaire, le projet de 1834, le projet de l'honorable M. Van de W'cyer, le projet de M. de Theux de 1846, démontrent qu'il est légal et constitutionnel au point de vue belge de déclarer obligatoire l'instruction morale et religieuse; la législation de tous les peuples civilisés ou barbares, européens ou autres, vous prouve qu'il en doit être ainsi dans toutes les sociétés humaines.

Je repousse donc de toutes mes forces le projet de loi, parce que l'enseignement de la religion et de la morale ne figure pas sur la liste des matières scientifiques, et qu'à mes yeux une instruction dont toutes les parties ne sont pas basées sur la religion et la morale, est un mal immense pour le pays.

Je repousse en second lieu le projet de loi, parce qu'il exagère les droits et les devoirs de l'Etat en matière d'enseignement.

Quel est à cet égard le système du projet de loi? M. le ministre de l'intérieur parle, en plusieurs endroits de l'exposé des motifs, « du besoin d'une intervention plus directe et plus efficace du pouvoir central dans l'enseignement public (Exposé des motifs, p. 3) de l'intention de ressaisir sur l'instruction publique une légitime influence (Ib. p. 4), de la nécessité de changer l'esprit et la marche du gouvernement (Ib. p. 5) ». Mais les idées dirigeantes ne sont nettement formulées que dans le rapport de M. Dequesne.

Deux doctrines, dit l'honorable rapporteur, ont été successivement préconisées en Belgique sur cette matière : l'enseignement de l'Etat n'est pas d'obligation stricte, voilà le premier système; il faut combiner les droits de l'Eglise et de l'Etat en matière d'instruction et donner à chacun sa part légitime, tel est le deuxième système. Le projet de loi a pour prétention d'inaugurer un troisième système.

Il y a nécessité absolue pour l'Etat d'intervenir et dans l'enseignement et dans tout ce qui touche aux intérêts moraux de la nation. Cette nécessité existerait, même en supposant que l'article 17 n'existât pas. L'Etat doit avoir des écoles dans lesquelles on donnera un enseignement conforme à l'esprit et aux tendances de la nation. (Rapport p. 31.)

Voilà le troisième système expliqué dans les propres termes de l'honorable rapporteur.

Examinons succinctement les arguments par lesquels la section centrale combat les deux premiers systèmes, et étaye celui du projet de loi.

La doctrine de non-intervention de l'Etat est contraire à toutes les dispositions de nos lois; elle est contraire aux usages de toutes les nations civilisées; elle aboutit à la dissolution même de la société. La doctrine des garanties légales et officielles données au clergé conduit à l'absorption de l'Etat par l'Eglise, à annuler l'indépendance de l'Etat que la Constitution a voulu sauvegarder.

La troisième doctrine est la seule vraie, la seule constitutionnelle, parce que l'Etat doit avoir une force morale à lui; composé d'autorités qui doivent leur existence à l'élection, il est le représentant le plus élevé des pères de famille (Rapport p. 31, 32), il est le gardien le plus fidèle de l'intérêt général (Ib.. 2.).

Quelques mots seulement, messieurs, sur les raisons alléguées contre les deux premiers systèmes :

La doctrine de non-intervention de l'Etat en matière d'enseignement n'aboutit point à la dissolution de la société, parce que la société subsiste en vertu de principes éternels qui ne sont point du domaine de l'Etat. Le gouvernement de la Providence dans les choses humaines maintient seul la société : la Providence se joue des vaines combinaisons de la politique ; quelque bien ordonnées qu'elles paraissent aux hommes, elles ne peuvent sauver la société; nous en avons des exemples terribles sous les yeux. D'ailleurs les mœurs sont plus fortes que les lois, et l'exemple des Etats-Unis d'Amérique réduit votre argument à néant.

La doctrine des garanties légales et officielles données au clergé ne conduit point à faire absorber l'Etat par l'Eglise; lorsque l'on parle de garanties mutuelles, on suppose des stipulations, des conventions réciproques. Dès lors chacune des parties sait jusqu'où elle peut aller, à quel point il faut qu'elle s'arrête ; l'Etat, l'Eglise, par cela même qu'il y a discussion et convention, exposent leurs exigences particulières, les modifient, en vue du but commun à atteindre, et ne cèdent que ce qu'ils peuvent se concéder loyalement. C'est renverser toutes les notions que de prétendre que la nécessité du concours implique l'abdication de l'indépendance de l'une des deux parties. Si cela était vrai il faudrait rayer le droit public de nos Codes, dire qu'il n'y a plus de traités, de conventions possibles entre les Etats, comme entre les particuliers. L'honorable M. de Liedekerke a éloquemment développé cette thèse dans la séance d'hier ; toutes nos lois, celles qui concernent l'instruction publique comme les autres, plaident en faveur de cette doctrine ; il y a plus : l'honorable M. Rogier, p. 14 de l'exposé des motifs, dit : « Il appartient au gouvernement de s'entendre avec le clergé, et M. Lelièvre, dans la séance d'hier, déclare que le gouvernement aura soin de se concerter avec les ministres du culte. Le concert est donc reconnu par les auteurs et les défenseurs du projet de loi, comme utile et nécessaire. Il y aura donc des garanties réciproques. Il est par conséquent illogique de soutenir, comme le faisait, au commencement de ces débats, M. le ministre de l'intérieur, que l'Etat ne peut convenir avec le clergé, sans user de la contrainte, et que, lorsqu'il ne peut imposer d'obligation, l'Etat doit être absorbé par l'Eglise.

La troisième doctrine, qui est celle d'un enseignement national, mène à des conséquences monstrueuses ; elle tend évidemment à donner, à l'être moral appelé l'Etat, la prépondérance sur la direction des esprits. S'il est vrai qu'il y a nécessité absolue pour l'Etat d'intervenir dans tout ce qui touche aux intérêts moraux de la nation, vous ne devez pas vous récrier lorsque l'on vous accuse de vouloir absorber les intelligences el les consciences (Rapport p. 30).

Non, c'est là une doctrine contraire aux principes mêmes de l'ordre social européen qui est basé sur le christianisme, des plus hostiles aux traditions et au caractère de la Belgique.

Et voyez où vous en arrivez avec cette doctrine. L'Etat, d'après vous, doit professer, enseigner dans son indépendance: par conséquent, il doit avoir des doctrines, des tendances à lui : vous le dites vous-mêmes; par conséquent, il doit se constituer en juge de la vérité et des doctrines, en partisan de quelques-unes, en adversaire d'autres. Cela est-il écrit dans la Constitution? Où avez-vous vu dans la Constitution belge que le gouvernement est chargé en Belgique d'imprimer la direction morale à la nation?

En vain direz-vous que les pouvoirs publics sont les représentants les plus élevés des pères de famille, c'est là une erreur véritable ; dans notre pays, les pouvoirs publics sont l'expression seulement des majorités: ainsi l'esprit, les tendances des pouvoirs publies changeront avec l'esprit et les tendances des majorités. Aujourd'hui catholiques, demain libéraux, (page 1116) après-demain philosophes ou incrédules, les professeurs seront appelés alternativement à enseigner le pour et le contre suivant l'esprit et les tendances du gouvernement; ils dépendront à tous égards du gouvernement, et celui-ci dépend à son tour des oscillalious de l'opinion publique

Qui dit enseignement dit doctrine, or dans quelle société les doctrines sont-elles soumises à de semblables variations?

Non, l'enseignement comme la religion doit être basé sur une idée, et cette idée est permanente, invariable: pour les catholiques, elle est éternelle; pour les juifs, elle subsiste la même depuis leur dispersion; pour les mâhométans, elle n'a point change depuis l'islam ; pour les protestants, le libre examen n'a point cessé de se poser en face du principe de l'autorité et de la foi qui est celui des catholiques. Tout cela est immuable et permanent, c'est ce qui constitue l'homme social, l'homme raisonnable, et vous voulez que tout cela soit abandonné au vent des fluctuations politiques !

Cette notion de l'Etat enseignant, professant dans son indépendance, amené dans l'application les auteurs du projet de loi à des conséquences extrêmement graves, dont je me bornerai à relever deux seulement :

1° Un appareil d'écoles qui va au delà des besoins réels du pays, la création d'une corporation enseignante complète.

2° Une attitude des plus dangereuses vis-à-vis des doctrines religieuses.

Vous instituez d'abord un corps enseignant, payé, dirigé, pensionné et assermenté par le gouvernement, depuis les premiers jusqu'aux plus hauts degrés de l'échelle : les membres de ce corps seront formés dans une école normale spéciale, il y aura des règles fixes d'avancement, une discipline sévère, des changements de résidence; c'est donc une véritable corporation que vous constituez, avec l'intention avouée de lui donner une tendance et un esprit propres.

Je me sers à dessein du mot de « corporation », parce qu'il exprime parfaitement l'idée du gouvernement. M. le ministre de l'intérieur l'a employé dans son discours avant-hier, le Moniteur le remplace par le mot « association »; la pensée est la même.

Cette corporation aura une large base, une hiérarchie complète; elle tendra par son essence même à embrasser toutes les parties du pays ; elle tendra par son essence à développer son action que vous ne limitez pas d'une manière ni sincère, ni suffisante, sur tous les degrés de l'instruction publique.

Evidemment, c'est là chose nouvelle et inouïe en Belgique. Sous aucun des gouvernements précédents, je ne crains pas d'être démenti, on n'a eu la prétention de créer une corporation enseignante aussi fortement organisée que celle-ci.

Cette organisation puissante n'est aucunement réclamée par les nécessités de la situation.

Comment! en 1834, alors que l'enseignement libre n'avait encore rien produit, l'Etat devait se contenter de trois athénées modèles et de l'inspection sur les collèges communanx, et aujourd'hui vous imposez une corporation enseignante nouvelle, une multitude d'établissements gouvernementaux à un pays où, comme en Angleterre et en Amérique, l'enseignement libre a déjà satisfait à la plus grande partie des exigences morales et sérieuses de la nation, où des sacrifices énormes ont déjà été faits par l'Etat, par les provinces, par les communes, par les particuliers, et avec succès, l'expérience le prouve, pour donner l'éducation à toutes les classes de la société.

Afin d'organiser cette puissante corporation, vous êtes obligés d'amoindrir les franchises communales, l'élément le plus vital de notre nationalité après la famille; je soutiens qu'il en est ainsi, malgré ce que vient encore de dire l'honorable M. Rogier. Vous augmentez outre mesure les charges du trésor ; que sais-je encore? Tout cela pour parvenir, à quoi? A créer une espèce de squelette (Rapport, p, 19), à instituer une éducation que vous proclamez d'avance incomplète, à fonder des écoles, insuffisantes, d'après votre aveu, pour assurer le développement intellectuel et moral de la jeunesse! (Rapport, page 14.) La section centrale avoue tout cela en propres termes.

Mais la conséquence la plus fausse qui découle de la notion de l'Etat enseignant, professant dans son indépendance, est l'attitude des pouvoirs politiques vis-à-vis des doctrines religieuses.

Voyons les textes : Suivant M. Rogier, le concurrent le plus sérieux de l'Etat est le clergé. L'honorable ministre revient à plusieurs reprises, dans son exposé, sur cette idée. On a parlé du monopole du clergé catholique, de la nécessité de préserver la liberté de ses propres excès : cette objection a été et sera encore disculée ; pour le moment, je me borne à constater que, dans la pensée du gouvernement, il y aura lutte, antagonisme entre les deux enseignements, et cela dès l'origne et avant même que loi soit mise à exécution.

D'autre pari, comment le développement religieux et moral de la jeunesse, le plus important de tous, sera-t-il assuré? Il est convenable que l'enseignement religieux soit confié aux ministres du culte, dit M. le ministre; on les invitera par conséquent à le donner, mais si pour quelque motif que et soit, cet enseignement ne peut être donné dans l’établissement, les élèves iraient le chercher dans les églises de leur communion respective.

De quelle manière cela sera-t-il réglé? On répond: Il est préférable que la loi ne s'en occupe point, les règlements généraux le détermineront d'après les habitudes locales et les circonstances. Ainsi, vous abandonnez le plus essentiel de l'éducation à l'arbitraire ministériel, au vague des circonstances!

On parle ensuite de professeurs spéciaux de religion (Exposé, p, 14), de pratiques de dévotion (Rapport, p. 20), de laïques donnant l'instruction religieuse (Rapport, p. 10) avec les garanties convenables. L'honorable M. Dequesne estime qu'en cas de refus de concours des prêtres, l'enseignement n'en sera pas coins religieux, « à moins que la Belgique ne change singulièrement! » (Rapport, p. 31.)

Ah! messieurs, votre esprit lutte vainement contre l’évidence. Croyez-vous que c'est ainsi que l'on peut sauvegarder la foi des élèves? Mais vos paroles renferment un aveu effrayant pour la grande majorité des Belges, qui sont catholiques, et, par conséquent, absolument soumis à la doctrine de l'Eglise; les catholiques condamnent et repoussent toute instruction religieuse, donnée par un laïque en cas de non-concours des ministres des cultes, même en s'entourant de toutes les garanties nécessaires. Je me sers des termes de l'honorable M. Dequesne (p. 16). Une instruction semblable est positivement contraire aux croyances catholiques, et c'est pour empêcher que la Belgique ne change singulièrement, ce qui ne tardera pas si le projet devient loi, que nous le combattons de toute la force de notre âme, de toute l'énergie de nos convictions.

Messieurs, le rôle de l'Etat au point de vue de la Constitution belge, comme au point de vue de la raison, n'est pas difficile à déterminer : le rôle naturel de l'Etat, d'après la pensée des anciens eux-mêmes, est la réalisation du droit : rien de plus, rien de moins. Les droits des Belges sont écrits dans la Constitution, le devoir suprême de l'Etat est de sauvegarder ces droits. Quels sont les devoirs du gouvernement en matière d'instruction.

C'est d'abord de protéger la liberté d'enseignement, puisque l'article 17 de la Constitution proclame, avant tout le reste, que l'enseignement est libre ; c'est le premier, le plus important des devoirs de l'Etat.

C'est, ensuite, de réprimer les délits, puisque toute mesure préventive est interdite. Ce n'est pas, comme l'a dit M. le ministre de l'intérieur, de proposer des lois répressives des abus de la liberté d'enseignement, mais de réprimer les délits qui peuvent se commettre dans l'enseignement, ce qui est tout autre chose ; pour mon compte, j'appelle une loi semblable de tous mes vœux, et notre tâche ne sera complète que lorsque cette loi aura été faite.

C'est enfin de faire régler par la loi l'enseignement qui est donné aux frais de l'Etat.

Mais cette loi, celle que nous discutons, peut-elle aller à rencontre des droits garantis aux Belges par la Constitution , la liberté des cultes, la liberté de manifester ses opinions? Assurément non. D'où il suit que pour l'enseignement, il y a nécessité incontestable de se concerter avec les chefs des cultes, de consulter l'opinion des parents.

Cette nécessité est véritablement hors de doute, car qui parle d'instruction parle de religion, c'est irréfragable. Ainsi, si vous ne vous concertez point avec les chefs des cultes, stipulant librement au nom de leur pouvoir spirituel, ou bien vous donnerez une instruction sans idée religieuse, une instruction empreinte d'athéisme, ou bien vous créerez de par la loi, soit un culte national, soit une religiosité plus ou moins vague, selon les habitudes des localités et les circonstances ; dans l'un comme dans l'autre cas, vous constituerez l'Etat en hostilité avec les cultes existants; ce qui est interdit par la Constitution.

La réalisation du droit est la véritable attribution du pouvoir politique, de l'Etat. Si vous allez au-delà, le pouvoir de l'Etat n'a plus de limites, vous arrivez en droite ligne à la notion politique de Platon, l'Etat omnipotent, à la négation de l'idée chrétienne sur laquelle est basée la société européenne.

On pourrait croire, d'après mes prémisses, que l'Etat ne doit pas donner l'instruction publique; on se tromperait étrangement. L'instruction publique donnée aux frais de l'Etat ne va pas au-delà de la réalisation de droit; d'abord, c'est un droit de l'Etat, il est écrit dans la Constitution; on peut donc le réaliser complètement, souverainement, sincèrement; mais il est indispensable, nécessaire que ce droit de l'Etat se combine avec les droits des particuliers, garantis par la même Constitution, droits dont les plus précieux pour les catholiques sont la liberté de l'enseignement et du culte.

L'Etat ne peut exercer son droit de manière à contrarier, à amoindrir, à combattre les deux autres dans leur libre développement. Quant à cette partie de votre tâche, qui est la coordination des droits de l'Etat avec les droits des particuliers, des opinions, des cultes, l'article 8, l'invitation simple qu'il renferme, sont, à mes yeux, tout à fait insuffisants.

Il y a plus, dans l'exécution, la loi sera nécessairement hostile aux droits des particuliers, des opinions, des cultes.

Je crois l'avoir démontré.

Admettez sans limites, et l'honorable M. Dequesne n'en pose aucune, la nécessité absolue pour l'Etat d'intervenir dans tout ce qui touche aux intérêts moraux de la nation (Rapport, p. 31): et vous êtes obligés de donner à l'Etat un droit absolu d'intervenir dans la religion, dans la presse, dans les opinions, dans les associations. Tout cela n'est-il pas l'expression des intérêts moraux de la nation ?

Ce droit ne sera pas seulement de surveillance, de police, de répression: mais un droit d'intervention réelle, de direction, c'est-à-dire que si vous entendez ainsi la suprématie de l'Etat, vous confisquez la liberté.

M. Osy. - Il y a quelques années, lorsque la droite voulait aller trop loin à l'occasion de quelques changements à introduire dans nos lois communales, vous vous rappelez que publiquement je me suis séparé de mes amis politiques pour combattre, avec la gauche, les prétentions que je regardais alors comme des empiétements de domination; et ce n'est-que depuis 1848 que nous avons pu revenir sur les lois pour la nomination du bourgmestre, le fractionnement, etc. Le bon sens de la nation et (page 1117) des chambres nous a permis de traverser ces deux dernières années dans le plus grand calme. Il n'y avail plus de partis dans le pays, et nous avons pu marcher d'accord pour nous préserver de la tourmente générale de l’Europe.

Depuis ma séparation de la droite, le parti libéral modéré a grandi, et je suis persuadé que ce sont les élections de 1847 et 1848 qui ont sauvé la Belgique. Mais il est nécessaire, pour la préserver désormais de secousses, de continuer à marcher avec beaucoup de sagesse et de précautions et d'éviter de réveiller les anciens partis et les anciennes inimitiés. Aussi quand je me suis séparé de mes amis, j'étais trèsdécidé de ne marcher avec mes amis nouveaux qu'à ces conditions et de m'opposer, toujours avec la même indépendance, aux empiétements et dominations de quelque côté qu'ils pourraient nous venir.

Je conçois qu'il était temps de s'occuper de la loi de l'enseignement secondaire. Cependant on aurait mieux fait de ne présenter un système qu'à la session prochaine, celle-ci devant être courte, et ensuite parce que nous sommes à la veille des élections; et il ne fallait pas donner de prétexte pour remuer désormais les passions politiques.

J'avais espéré que la modération du ministère depuis les événements de février aurait continué, que la loi aurait été conciliante et qu'elle aurait pu être acceptée par tout le monde ; mais à mon grand regret, on fait le contraire de ce que la prudence commandait, on va aux extrêmes, on dépouille les communes, on veut une centralisation et domination ministérielles et on refuse aux parents toute garantie de voir donner à la jeunesse une instruction qui nous préserve des principes révolutionnaires et subversifs que nous voyons chez nos voisins et qui sont provenus du monopole universitaire ; aussi tandis que les hommes les plus conséquents en France et qui étaient les plus avancés pour soutenir l'ancien système, donnent la main à ceux qui l'ont combattu pendant tant d'années, on nous propose de décréter ce qu'on abandonne en France, et la conséquence inévitable, c'est tandis qu'en France les partis les plus opposés tâchent de se rapprocher, nous allons de nouveau nous déchirer et renouveler les antipathies de nos anciens partis et cela au détriment de l'avenir, de la tranquillité du pays et de la bonne instruction de la jeunesse.

Il est vrai que le parti libéral a aujourd'hui une grande majorité dans nos chambres, parce que les électeurs avaient compté sur la modération et la sagesse de ce parti; mais on dirait que le gouvernement s'est enivré de cette grande majorité et voit le moment venir, d'en profiter, pour faire des lois de domination et de centralisation. Pour moi je ne le suivrai pas dans cette voie dangereuse et j'espère que beaucoup de nos amis politiques me seconderont pour arrêter le char gouvernemental qui est condamné à une chute inévitable, voulant se lancer de la manière la plus effrayante et avec une imprudence extrême.

Aussi, dès le jour que j'avais bien approfondi le système présenté, je n'ai pas hésité un instant pour combattre la gauche, comme dans le temps j'avais combattu la droite, décidé de n'être d'aucun parti extrême et de m'opposer à tout empiétement, de quelque côté qu'il pourrait venir ; comme je vous l'ai souvent dit, je ne vois pas les hommes qui sont devant moi, mais seulement les principes, et vous me verrez toujours allié à ceux qui veulent faire des lois justes et raisonnables pour tout le monde, c'est-à-dire que je veux la conciliation et que je combattrai toujours tout système de domination; au lieu de continuer d'être modérés, vous voulez profiler de votre victoire électorale de 1847 et 1848 pour opprimer, dépouiller les communes et déclarer une guerre à mort au clergé et aux établissements libres, tandis que nous devrions créer une noble émulation entre l'instruction privée et l'instruction publique, respecter les droits des communes et repousser toute centralisation ministérielle.

Par la création de vos dix athénées et cinquante collèges, vous enlevez à nos communes leur plus belle prérogative de pouvoir donner l'instruction à la jeunesse, d'après le désir des pères de famille ; soyez persuadés qu'on aura beaucoup plus de confiance dans vos conseillers communaux que dans votre conseil supérieur ou de perfectionnement, car s'il y a des abus ou des lacunes, en s'adressant aux autorités communales on les redressera de suite, tandis que si tout dépend d'un ministre qui aura la nomination des professeurs, même sans contrôle du conseil supérieur, vous ne donnez aucune garantie; le mal n'ira qu'en empirant, vos établissements seront déserts et vous ne laisserez plus le choix aux parents de mettre leurs enfants là où ils désirent les voir élever.

Je vois ce qui se passe dans ma commune; à Anvers, notre athénée va très bien sous le rapport de l'instruction et nous y avons un digne ecclésiastique qui assure à notre jeunesse une bonne instruction morale et religieuse.

Faites diriger cet établissement par le gouvernement, avec le programme qu'on nous propose, et avant un an cet établissement perdra au moins les trois quarts de ses élèves et les parents qui n'ont pas voulu, jusqu'à présent, placer leurs enfants chez les jésuites, seront forcés de les y envoyer, n'ayant plus de choix; alors toute concurrence d'émulation cessera et ce sera votre œuvre et vous allez juste à l'encontre du but que vous vous proposez. Avec la liberté d'instruction décrétée par la Constitution, je veux des établissements publics dirigés par nos communes et chacun pourra choisir ce qu'il croit le plus utile pour ses enfants.

La force de la Belgique et ce qui nous a certainemenl sauvés en 1848, ce sont nos institutions communales ; en nous enlevant l'instruction et voulant tout centraliser, vous nous ôtez notre plus belle prérogative, et, avant peu, le mécontentement sera si grand, que je prévois pour notre heureux pays qui fait l'admiration de toute l'Europe, les plus grands malheurs. Vous allez créer et réveiller deux partis qui, seront irréconciliables.

Joseph II et Guillaume Ier ont aussi voulu, comme le ministère actuel, se poser en réformateurs de l'instruction publique en l'isolant de l'influence salutaire de la foi : vous connaissez tous les tristes résultats de cet essai.

Guillaume n'a pas profité des fautes de Joseph II et notre gouvernement qui devait connaître tous les griefs qu'on avait sous ces deux règnes, veut encore aller plus loin, établir un odieux monopole tombé en 1830 et demande d'être investi d'un pouvoir absolu et despotique; je trouve même que ce qu'on nous propose est moins sincère que ce qui existait dans ces époques que je viens de rappeler et qui nous menace d'une série de luttes intestines.

D'autres honorables collègues feront mieux ressortir que moi le monopole qu'on veut introduire.

On enlève aux communes, toujours au nom de la liberté de l'enseignement, le droit de fonder un seul établissement dans les localités où le gouvernement en a formé un des siens. Ainsi les neuf chefs-lieux de province et Tournay sont frappés du même coup.

Là où le gouvernement n'établit pas de collège, les communes conservent une certaine action, et on leur permet, en paroles, une libre administration ; mais elle est tout à fait illusoire ; car on ne peut rien fonder sans le consentement et la permission de M. le ministre ; on permet la nomination des professeurs, mais de suite on restreint le cercle du choix à faire et au lieu de pouvoir choisir le personnel parmi tous les hommes capables qui existent en Belgique, les conseils communaux comme le gouvernement ne pourront nommer que des professeurs auxquels le gouvernement aura accordé un diplôme de capacité et seulement ceux qui auront étudié dans les établissements du gouvernement.

La libre administration subit encore d'autres restrictions importantes; l'inspection et le concours dont M. le ministre déterminera les conditions; le programme officiel sera élaboré par le ministre, le choix des livres dont s'occupera le conseil de perfectionnement nommé par M. le ministre et qui ne donne aucune garantie.

D'après la nouvelle loi française, est représenté : le clergé, le conseil d'Etat, la cour de cassation, l'Institut, tous élus par leurs collègues; en tout 16 membres nommés par l'élection et seulement 8 nommés par le chef de l'Etat,en conseil des ministres, pris parmi les anciens membres du conseil de l'uniniversité, les inspecteurs et les professeurs des facultés.

Voilà au moins des garanties qui sont loin de se trouver dans votre article 33, et la réponse de M. le ministre à la section centrale (p. 16) ne peut me satisfaire par son vague , laissant tout à M. le ministre, et rien n'étant déterminé par la loi.

Pour les règlements généraux, et même les règlements intérieurs , tout sera imposé par le ministre ; finalement le ministre se réserve le droit de révocation, après avoir laissé la nomination aux communes.

Ce que je trouve le plus odieux dans le projet de loi, c'est de décréter que le gouvernement et les communes ne pourront nommer que des professeurs qui ont étudié dans les établissements du gouvernement, et cela dans un pays où nous avons décrété l'instruction libre, de manière que vous mettez à l'index tous ceux qui ont fait leurs études dans les établissements privés. Je suis vraiment étonné que le gouvernement s'arrête en si beau chemin, et qu'il ne propose pas qu'aucune fonction publique ne pourra être remplie que par ceux qui auront fait leurs études dans les établissements et universités de l'Etat. Ce n'est que le premier pas qui coûte, et une fois que vous aurez décrété cette monstruosité, le gouvernement aura un antécédent pour faire tomber tous les établissements rivaux. On dirait qu'on cherche à faire oublier tous les antécédents de notre histoire.

Si le gouvernement obtient la loi de monopole présentée, il aura une nouvelle armée de trois à quatre cents fonctionnaires à sa disposition.

Ils seront tous, dans les mains du gouvernement, des hommes politiques; on regardera moins aux bons principes et à la bonne instruction, on prendra des hommes dévoués à la politique ministérielle, et comme on le fait aujourd'hui pour toutes les fonctions, même jusqu'à des candidats de juges de paix (je pense que M. le ministre de l'intérieur ne niera pas le fait) à qui on demande leurs opinions politiques avant de les faire nommer. Ainsi voilà de belles garanties pour notre jeunesse!

Vraiment, plus j'étudie la loi, moins je vois ce qui a pu engager l'honorable M. Rogier à abandonner ses principes de 1834 et même ceux de 1840. Et vraiment nous pourrions nous borner à le combattre par ses propres paroles.

Il disait, en 1834, dans l'exposé des motifs :

« En laissant à la commune la libre direction de ses établissements d'instruction moyenne, on va stimuler le zèle de l'autorité locale, qui seule aura l'honneur du succès ou la responsabilité de ses fautes.

« Relativement à la part d'intervention du gouvernement, les dispositions du projet sont très simples; elles se bornent à donner au gouvernement le pouvoir de fonder et de diriger trois athénées modèles. »

Une loi dans ce sens aurait été acceptée avec reconnaissance, et j'aurais été le premier à la soutenir; mais aujourd'hui on vous demande de créer une vaste concurrence contre la liberté.

Ce qu'on voulait faire en 1834 était le résultat des délibérations du Congrès national ; tandis qu'aujourd'hui, je dirai toute ma pensée, ce (page 1118) que vous faites vous est imposé par le congrès libéral de 1846, et vous allez au-delà de vos principes et de vos propres idées.

Ne voulant pas vous accorder les 10 athénées et les 50 collèges, je dirai peu de chose du reste de la loi. Mais là encore vous aviez d'excellents principes en 1840, ainsi que vos honorables collègues MM. Lebeau, Liedts et Leclerq, tandis qu'aujourd'hui, pour toute garantie de l'instruction religieuse et morale, vous n'avez à nous offrir que l'article 8.

On promettait alors d'améliorer même le projet de 1834 en accordant moins d'action au pouvoir et plus de garanties religieuses aux familles.

M. Liedts disait :

« Nous déclarons que la loi, tout en respectant la plus entière liberté d'instruction, doit donner aux pères de famille la plus complète garantie d'une éducation morale et religieuse. »

L'honorable M. Rogier disait dans les débats de 1841 :

« Je veux que l'instruction donnée aux frais de l'Etat soit florissante et offre toute espèce de garantie aux pères de famille ; je n'entends point qu'elle fasse une concurrence mortelle aux établissements privés ; loin de là, je crois qu'il est de l'intérêt du pays, qu'il est même dans les mœurs, que les établissements libres existent ; quant à moi, je leur prêterai toujours le concours de mes vœux et de mes actes, au besoin. »

Aujourd'hui, l'honorable M. Rogier propose, dans un but politique, de faire une concurrence mortelle aux établissements privés, et il réclame, par son article 6, de supprimer les collèges florissants qu'il voulait maintenir et auxquels il promettait le concours de ses actes, au besoin.

Je ne vous citerai pas les paroles remarquables de l'honorable M. Leclercq, mais j'espère que dans la discussion l'honorable M. Lebeau n'oubliera pas ce qu'il disait alors de si rassurant ; permettez-moi de vous citer ses paroles.

« Si par les débats, disait M. Lebeau, il nous était démontré que, dans le projet de 1834, les principes de la liberté religieuse ne sont pas suffisamment garantis, s'il nous était prouvé que l'intervention civile va trop loin, la conciliation ne serait pas sans doute impossible. »

Vous voyez, messieurs, qu'en vous citant les paroles des membres les plus influents de la gauche, ce n'est pas moi qui me sépare de mes anciens amis politiques, mais que ce sont eux qui abandonnent leurs opinions et leur volonté de conciliation.

Avant de terminer je dois m'occuper un instant du paragraphe 2 de l'article 2. Dans ma section, j'avais proposé de supprimer cette disposition, pour maintenir les écoles primaires supérieures sous le régime de la loi de l'instruction primaire.

Cette proposition avait été acceptée par 3 voix contre 1 et 12 abstentions ; cela vous prouve qu'il y avait au moins beaucoup de doute pour faire passer cette disposition dans la loi actuelle.

Ni l'exposé des motifs, ni le rapport de la section centrale, qui rejette la proposition de la première et de la deuxième section, ne fait connaître les raisons de ce changement; cependant je crois les avoir devinées et on les a consignées dans le procès-verbal de la première section; je puis donc me plaindre qu'on ne les ai pas reproduites dans le rapport de la section centrale.

D'après moi, comme je le disais, il ne peut pas y avoir d'autres raisons qu'un manque de franchise et qu'on veut indirectement détruire la garantie que nous avons insérée dans la loi de 1842 sur l'instruction primaire, qui accorde l'inspection religieuse que nous avons votée à une grande majorité et que je veux maintenir lors de la révision de cette loi. Mais admettez le paragraphe 2 que je combats, on vous dira que le principe de cette inspection a déjà été effacé par cette disposition et qu'il faut entièrement revenir sur cette garantie donnée pour l'instruction religieuse et morale.

Je prierai M. le ministre de vouloir s'expliquer franchement à ce sujet et combler les lacunes que nous trouvons dans l'exposé des motifs et dans le rapport de la section centrale; il faut qu'il n'y ait pas de surprise, dont on viendra plus tard s'armer pour nous ravir les autres garanties qui nous restent.

Je me suis expliqué sans réserve, j'espère qur la réponse du ministre sera également sans réticence et qu'il nous dira toute sa pensée, pour que nous soyons tous avertis, lorsque nous aurons à voter l'article 2.

Messieurs, d'après tous les motifs que je viens de vous donner, il m'est impossible, moi qui ai aidé à faire la Constitution comme membre du Congrès, de donner mon assentiment au projet de loi, qui va tout à fait à l'enconlre de ce que nous voulions alors. On a dépouillé les communes, et voyez même ce que disait notre honorable ministrc des travaux publics, en 1842. Comme membre du conseil de régence de Gand, il refusait même alors un subside pour garder intactes les prérogatives de la commune.

Permettez-moi de vous donner lecture des paroles de l'honorable M. Rolin, à cette occasion, le 28 novembre 1841 : « Ce n'est nullement en haine du ministère que nous voulons rejeter les conditions qu'il nous impose. Le ministère nous importe peu, mais ce qui nous importe, c'est de n'accepter aucune condition honteuse et de conserver intact le droit de pouvoir approprier l'instruction aux besoins spéciaux de la ville. Il s'agit ici d'une question de dignité et de liberté communale dont nous avons le droit d'être jaloux. »

Ce que l'honorable M. Rolin disait seulement à l'occasion d'une offre d'un subside, moyennant de donner au gouvernement le droit d'approbation du budget de l'athénée de Gand, je vous demande s'il est possible d'accepter la loi actuelle qui va beaucoup plus loin que ce qu'on voulait en 1841.

Il m'en coûte beaucoup de combattre le ministère actuel, qui a rendu des services depuis les événements de février, ainsi que de différer d'opinion avec mes honorables collègues de la gauche ; aussi vous pouvez être persuadés que mon opposition est toute consciencieue et que je veux éviter au pays u déchirement inévitable et le réveil des partis politiques qui ont déjà fait tant de mal au pays, dans d'autres occasions. Je connais beaucoup de personnes qui courbent la tête et se soumettent à la loi pour maintenir le ministère ; pour moi, je ne puis aller jusque-là, et toutes les conséquences de l'adoption du système proposé, j'en rejette la responsabilité sur les imprudents, d'après moi, qui ont pu nous la soumettre.

J'ignore si M. le ministre, en cas de rejet de la loi, en ferait une question de cabinet, et je le regretterais; car je crois que, dans les circonstances actuelles, il nous faut encore de la stabilité et de la tranquillité ; mais je ne puis sacrifier mes opinions à l'occasion d'une loi aussi importante et qui peut avoir les conséquences les plus graves. Nous sommes donc obligés de faire notre devoir sans considération des hommes et, pour moi, je suis si persuadé des suites funestes pour le pays, si le projet de loi était adopté, que je dis : Je préfère sacrifier des hommes qu'un royaume et toute une génération.

Mais pour éviter des secousses inévitables au pays et comme M. le ministre a parlé de conciliation, j'ai l'honneur, messieurs, de vous proposer de revenir à la loi de M. Rogier de 1834, et je vais déposer quelques amendements, qu'on pourrait voter comme principe, avant d'aborder la loi maintenant en discussion ; s'ils étaient adoptés, nous pourrions les envoyer en section centrale pour formuler un projet de loi ; j'en fais la proposition formelle.

En adoptant un système calqué sur celui de 1834, nous réalisons les intentions du Congrès national sous le rapport de la liberté d'enseignement, tant pour l'instruction privée que pour l'instruction donnée par les communes, en respectant leurs franchises et prérogatives, et nous nous conformons au paragraphe 2 de l'article 17 de la Constitution qui veut que l'instruction soit réglée par la loi.

Après la clôture, je prendrai la parole pour développer ultérieurement mes amendements, ces amendements sont ainsi conçus :

« Art. 3. Le gouvernement est autorisé à établir trois athénées modèles aux frais de l'Etat. »

« Art. 22. L'enseignement dans ces athénées comprend :

« 1° L'instruction morale et religieuse.

« Art. 33. Un conseil supérieur d'instruction publique est établi près du ministère que cet objet concerne. « Il est composé :

« De deux ecclésiastiques nommés par les évêques;

« D'un haut fonctionnaire public, délégué par le ministre ;

« Des deux inspecteurs de l'enseignement moyen ;

« D'un délégué de chaque université ;

« De deux délégués de l'Académie belge ;

« Ce conseil est présidé par le ministre ou son délégué. »

« Premier article nouveau. Il pourra être accordé des subsides sur le trésor public, pour contribuer au premier établissement d'athénées, de collèges, d'écoles industrielles, aux communes qui offriront des garanties d'une institution durable et utile.

« La demande de subsides indiquera les causes qui motivent l'érection des écoles et les moyens de faire face aux dépenses. Le plan d'organisation et le budget communal y seront annexés. »

« Deuxième article nouveau. Les écoles moyennes communales, même lorsqu'elles reçoivent des subsides, sont librement administrées par les communes. »

« Troisième article nouveau. Indépendamment des subventions provinciales, des subsides annuels sur le trésor public pourront être accordés aux communes pour soutenir ou perfectionner leurs écoles moyennes.

« L'état des écoles, sous le rapport de l'enseignement et de la morale, ainsi que les ressources locales, seront principalement pris en considération.

« A cet effet, on joindra à la demande de subsides, le programme des cours, le tableau des professeurs et des élèves avec l'indication des traitements et rétributions et le budget communal. »

« Quatrième article nouveau. Les inspecteurs de l'enseignement moyen pourront visiter les écoles secourues par le gouvernement et donner des avis aux administrations communales pour améliorer l'instruction et la mettre en rapport avec les besoins de la localité. »

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je tiens à répondre à l'honorable représentant, d'abord parce que la position qu'il a prise donne une portée particulière à ses observations, et ensuite parce que le cercle qu'il a parcouru paraît devoir être le cercle convenu dans lequel l'opposition se renfermera pendant toute cette discussion.

L'honorable M. Osy ne veut point d'équivoque: il veut de la franchise de la part du gouvernement; il demande une discussion claire, nette, positive. C'est ce que nous demandons. C'est ce que nous appelons de tous nos vœux. Ce que nous demandons, ce que nous appelons de tous nos vœux depuis longtemps, c'est la franchise dans nos discussions; c'est qu'on veuille bien en éliminer tout ce qui ressemble à des fantômes ; c'est qu'on veuille bien se dispenser de combattre des dispositions que ne renferme pas la loi, des intentions qu'il n'est permis à personne de nous attribuer.

Le but ou l’effet de la loi, d'après l'honorable préopinant, serait de réveiller les anciens partis. L'honorable membre a fait allusion aux prochaines (page 1119) élections. Il a pensé que le gouvernement avait présenté cette loi en vue des prochaines élections; que cette loi était, au point de vue du gouvernement, une loi de parti.

Rien, messieurs, n'est plus inexact. Le gouvernement ne s'attendait pas à ce que la présentation du projet de loi donnerait lieu à une agitation aussi générale qu'on veut bien la représenter. Mais, messieurs, s'il lui avait été permis de reculer, après tant d'années d'attente, après tant de promesses faites et invoquées sur tous les bancs de cette chambre; s'il lui avait été permis d'ajourner une loi que, dans sa pensée, il pût croire de nature à provoquer de profonds dissentiments dans le pays, il eût ajourné la présentation de cette loi.

Ceux qui ont donné à la loi une couleur politique; ceux qui se plaignent que la loi vienne réveiller les anciens partis, ceux qui nous accusent de susciter les passions politiques, ceux-là sont précisément les premiers auteurs de l'agitation (interruption), ce sont ceux-là qui provoquent, par tout le pays, un pétitionnement comme s'il s'agissait, messieurs, de replacer la Belgique sous le joug hollandais ; c'est le thème donné dans les pétitions pour lesquelles on a adopté et envoyé presque partout la même formule.

Ce n'est donc pas de nous que vient l'agitation. Ce n'est pas nous qu poussons aux dissensions civiles. Ce n'est pas de notre côté qu'ont surgi tout à coup tous ces germes de dissension et de discorde. Nous n'avons appelé aucun de ces moyens à notre aide; nous n'avons appelé personne à notre secours ni dans le pays ni hors du pays. La chambre saura à quelle circonstance je veux faire allusion.

Ainsi, messieurs, s'il y a de l'agitation dans le pays, et je me hâte de le dire, je ne crois pas que l'agitation soit aussi profonde qu'on veut bien le dire, soit aussi profonde qu'on voudrait bien la faire; mais s'il y a de l'agitation, nous en laissons la responsabilité à ceux qui ont provoqué, qui continuent de provoquer cette agitation.

M. Rodenbach. - C'est vous qui avez agité le pays par une mauvaise loi.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Voici maintenant la question : La loi est-elle mauvaise? Est-ce avec justice qu'on a provoqué cette agitation ? N'est-ce pas par des moyens peu loyaux, en propageant les erreurs, les erreurs les moins croyables, que l'on est parvenu à agiter le pays, à sa surface au moins?

Nous allons prouver que c'est à tort qu'on cherche à soulever tant d'agitation, qu'on n'a pas apprécié la loi dms son véritable esprit, qu'on ne l'étudie pas dans son texte; et à mes yeux la seule excuse de beaucoup d'adversaires, je dois le dire, la seule excuse à mes yeux serait de penser qu'ils n'ont pas lu la loi.

Cette loi, dit-on, dépouille les communes de leur liberté et, en deuxième lieu, elle déclare une guerre à mort au clergé. Voilà, messieurs, de quelle manière l'honorable M. Osy a formulé son accusation contre la loi. Voyons ce que l'un et l'autre de ces reproches ont de fondé. Ce sont d'ailleurs les reproches généralement produits, sous des formes plus ou moins vives, plus ou moins acerbes, plus ou moins passionnées, contre le projet de loi.

D'abord, messieurs, la loi va dépouiller les communes. Qu'est-ce que la loi propose? De régler l'enseignement donné aux frais de l'Etat.

Je ne pense pas que l'on veuille nier la nécessité de régler l'enseignement donné aux frais de l'Etat, par une loi ; la Constitution l'a voulu. Depuis vingt ans comment est réglé l'enseignement public donné aux frais de l'Etat? Par le caprice ministériel, par la simple volonté des ministres qui se sont succédé au pouvoir.

Si les ministres voulaient ravir la liberté aux communes en matière d'enseignement, leur marche serait très simple, ils n'auraient pas besoin de venir apporter aux chambres des projet de loi; ils seraient beaucoup plus maîtres des communes par la voie administrative que par la voie législative. La voie administrative laisse aux ministres toute espèce de liberté vis-à-vis des communes. L'état actuel des choses soumet les communes pieds et poings liés au gouvernement. N'en a-t-on pas vu se livrer, pour des subsides, à l'administration centrale ? (Interruption.)

M. Vilain XIIII. - La ville de Gand vous a prouvé le contraire.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Nous parlons ici de subsides relatifs à leurs établissements d'enseignement. (Interruption.) Je vous prie, messieurs, de ne pas m'interrompre. Mon intention est de rester, autant que je le pourrai, dans les limites de la modération, de la conciliation ; je demande qu'on me laisse parler, on verra que nous sommes d'accord sur beaucoup de points.

Si je me suis servi d'expressions blessantes pour la dignité des communes, je les retire volontiers. Mais en fait que se passe-t-il ? Contre quoi le gouvernement a-t-il à lutter? Est-ce contre la résistance des communes aux envahissements du gouvernement ?

C'est le contraire : quand le gouvernement a-t-il à lutter contre les communes, et je puis en citer plusieurs exemples, c’est lorsque les communes viennent lui offrir leurs établissements d'enseignement tout entiers. J'ai là les dossiers de communes qui ont insisté, à plusieurs reprises, auprès de mon administration, pour faire passer exclusivement, complètement dans les mains de l'Etat, leurs établissements d'enseignement. Aujourd'hui, messieurs, vous avez beaucoup de pétitions de communes rurales, que la loi ne concerne en aucune manière.

M. Coomans. - C'est d'intérêt général.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Vous avez beaucoup de communes rurales (il est vrai que toutes ne savent pas ce qu'elles ont signé; il en est une, entre autres, qui déclare avoir signé le contraire de ce qu'elle voulait signer), vous avez des communes rurales qui se prononcent contre la loi, mais vous avez aussi des villes importantes qui réclament contre la loi, pourquoi? Parce que la loi prend trop aux communes? Nullement; parce que la loi ne donne pas assez d'autorité au gouvernement sur les collèges communaux. Vous avez les villes de Huy, de Charleroy, d'Ypres et d'autres encore qui se plaignent qu'à côté de dix athénées royaux le gouvernement n'ait pas proposé un certain nombre de collèges royaux.

Ainsi donc, messieurs, loin de vouloir pousser aussi loin qu'on le dit l'esprit d'envahissement, il paraîtrait, suivant l'opinion de communes importantes, que le gouvernement n'a pas été assez loin, puisque ces communes reprochen. au gouvernement de ne pas avoir établi un assez grand nombre de collèges royaux.

Est-il vrai, messieurs, que la loi actuelle ait pour effet d'enlever aux communes une part de leur liberté? Voyons l'état des choses. Nous proposons d'établir dix athénées royaux. Cela est vrai. Les projets de loi antérieurs fixaient d'autorité chacun de ces athénées au chef-lieu de la province. De plus, les projets de loi antérieurs attribuaient au gouvernement l'administration, la direction et la nomination du personnel dans ces dix athénées royaux imposés aux chefs-lieux des provinces. Ils étaient entièrement aux mains de l'Etat. C'était le système de l'honorable M. Van de Weyer, le système de l'honorable M. de Theux. L'honorable M. Dechamps a présenté ce système avec l'honorable M. Van de Weyer ; il l'a présenté également avec l'honorable M. de Theux. (Interruption.) Vous étiez d'accord sur ce point... (Interruption.)

M. le président. - Je prie de ne pas interrompre; ce n'est pas là une discussion; c'est un colloque.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je suis bien convaincu qu'on sera d'accord avec moi, car je ne citerai que des faits.

Je dis, messieurs, que le projet de loi ne va pas aussi loin que les projets de lois antérieurs. D'abord il n'impose pas les athénées aux chefs-lieux des provinces. Notre intention, je le dis tout de suite, est de les y maintenir, car je ne pense pas qu'aucun chef-lieu refuse un athénée royal; mais si, par hassrd, il y avait un obstacle, si par exemple la capitale trouvait qu'elle n'est pas un siège convenable pour un athénée royal, eh bien, alors le gouvernement aviserait, et au besoin l'athénée serait tout aussi bien placé par-delà la porte de Namur, par-delà la porte de Louvain qu'en deçà de ces portes ; ainsi pas de difficulté sur ce point.

Reste maintenant l'administration, la direction et les nominations. Que faisaient les projets antérieurs? Ils donnaient tout au gouvernement. Que fait le projet actuel? Il donne à la commune une très large part dans l'administration, la direction et les nominations. En effet, le projet de loi suppose l'existence d'un bureau d'administration. Ce bureau d'administration émane du conseil communal, et ce bureau d'administration a des attributions très importantes: c'est lui qui est chargé de former le budget et les comptes de l'établissement, de préparer le règlement d'ordre intérieur, d'en surveiller l'exéculion ; il sera consulté sur les nominations, d'après un amendement de la section centrale, amendement auquel, je me hâte de le dire, nous nous rallierons. (Interruption.)

Avons-nous montré des intentions absolues? Avons-nous déclaré que nous n'adopterions aucun amendement, alors surtout que ces amendements seraient proposés par nos propres amis?

Ce bureau administratif fait donc à la commune où l'athénée sera établi, une large part d'intervention. Une part quelconque lui est absolument déniée par les projets précédents.

Passons aux écoles moyennes. Et ici j'ai raison de dire que ceux qui reprochent au gouvernement l'esprit de domination qui l'aurait dirigé dans la présentation de la loi ; j'ai raison de dire qu'ils n'ont pas lu la loi, ou du moins qu'ils n'en ont nullement compris la portée.

Que sont ces écoles moyennes ? Ce sont les écoles primaires supérieures qui se trouvent dans la loi de l'instruction primaire; ce sont, en outre, les écoles industrielles et commerciales, qui ne se trouvent autorisées par aucune loi, qui sont le produit du caprice ministériel.

En l'absence d'une loi, faisant tout ce qu'il veut, et comme il le veut, le gouvernements'est mis à créer 12 écoles industrielles et commerciales, dont il s'est réservé à lui seul toute la direction.

Eh bien, nous demandons à régulariser cet état de choses; nous demandons à transformer en écoles moyennes les écoles primaires supérieures, et à consacrer par la loi l'existence des douze écoles industrielles et commerciales; nous demandons, en outre, à pouvoir créer douze nouvelles écoles moyennes. Si la chambre pense que 50 écoles moyennes c'est trop pour le pays, eh bien, qu'on propose d'en réduire le nombre; la loi, pour cela, ne serait pas entamée dans son principe. Mais la chambre reconnaîtra avec moi que ces écoles moyennes sont une des institutions les plus utiles à consacrer par la loi; ce sont ces écoles qui sont le plus demandées dans le pays. Une fois la loi faite, et retenez bien cette prédiction, beaucoup d'entre vous viendront réclamer pour leurs communes l'établissement de pareilles écoles.

Or, quel est le régime actuel des écoles primaires supérieures, tel (page 1120) qu'il résulte de la loi de l'instruction primaire, de cette loi qu'on nous cite comme un modèle comme ayant respecté toutes les libertés? Les écoles primaires supérieures sont aujourd'hui exclusivement dans les mains de l'Etat; les communes où elles sont établies n'ont absolument rien à y voir, rien à y faire; seulement elles doivent fournir le local et se charger d'une partie des dépenses. Voilà la position que la loi de l'instruction primaire a fait aux communes à l'égard des écoles primaires supérieures.

Et que fait la loi nouvelle? Elle donne aux communes une large part d'intervention dans la direction de ces écoles. A l'avenir, il y aura auprès de ces écoles un bureau d'administration ; ce bureau sera chargé de préparer les règlements d'ordre intérieur, d'en surveiller l'exécution; il sera consulté sur les nominations ; il sera autorisé, par les règlements, à suspendre au besoin, les professeurs et maîtres d'école. Voilà de quelle manière la loi actuelle dépouille les communes.

Nous dépouillons les communes.... mais de quoi? Les communes n'ont absolument rien à dire aujourd'hui dans les écoles primaires supérieures et dans les écoles industrielles et commerciales ; la loi nouvelle leur donne des attributions qu'elles n'ont pas, et vous appelez cela de la spoliation !

Ah ! messieurs, si le gouvernement, avide de domination, s'y était toujours pris de cette façon en Belgique, il n'est pas à croire que l'honorable préopinant eût jamais eu à regretter le mouvement de 1830.

Je vois que ce que j'ai prédit arrive. Vous êtes bien d'accord avec moi que la loi, sous le rapport des écoles moyennes, donne aux communes des attributions qui leur font complètement défaut aujourd'hui.

Appelez ces écoles comme vous voudrez, mettez-les où vous voudrez, peu importe, pourvu que vous fournissiez à certaines communes des écoles autres que de petits collèges latins et grecs, des écoles où la petite bourgeoisie, l'artisan, le fils du modeste employé puissent recevoir l'instruction appropriée à leur condition, à leurs besoins. Je le répète, peu importe que vous mettiez ces établissements dans la loi de l'enseignement primaire ou dans celle de l'enseignement moyen, pourvu que, par son programme, l'école réponde à ce but si utile, c'est tout ce que nous voulons.

Mais si vous rendez ces établissements à l'enseignement primaire, alors, dans l'intérêt de la liberté communale, rendez-les au moins telles que nous voulons les constituer; rendez-les avec les attributions que nous donnons aujourd'hui à la commune; rendez-les, accompagnées du bureau d'administration qu'elles n'ont pas et que nous voulons leur donner; changez la loi de l'instruction primaire, afin d'y introduire l'influence communale que vous en avez repoussée, et ici je m'adresse aux membres de la droite, que vous avez repoussé à une époque où vous n'aviez que la défiance pour la commune; alors vous n'invoquiez pas la liberté communale, vous n'en faisiez aucun cas, vous la traitiez sans pitié ni merci; à entendre alors quelques-uns de vos organes importants, il n'y avait rien de bon à attendre de l'intervention de la commune.

Le collège échevinal n'était pas même jugé apte à prononcer le renvoi des élèves; une pareille prétention, disait-on alors, ne pouvait être inspirée que par les plus mauvaises doctrines, il y avait pour ainsi dire immoralité à attribuer au collège échevinal le droit de renvoyer les élèves.

Voilà le cas qu'on faisait, à cette époque, de la commune, qu'on vient aujourd'hui appeler à son secours.

Messieurs, on a voulu voir une profonde tactique de la part du gouvernement, lorsque, obéissant à une espèce de symétrie légale, il a transporté dans l'enseignement moyen les écoles primaires supérieures.

On a quelque fois invoqué l'autorité de M. Beugnot ; eh bien, M. Beugnot rapporteur de la loi française critique fortement cette dénomination d'école primaire supérieure; il dit que, d'après leur programme, ces écoles ne sont plus de l'enseignement primaire, il démontre que c'est un enseignement intermédiaire entre l'enseignement primaire et l'enseignement classique.

Ces établissements, où voulez-vous les mettre? Voulez-vous les laisser dans la loi d'enseignement primaire ou les transporter dans la loi d'instruction moyenne? Pourvu que leur destination soit bien comprise, que leur programme reste le même, peu importe. Supposez que les 50 écoles moyennes soient ainsi retranchées de la loi, il restera 10 athénées; voilà tout le bagage du grand monopole du gouvernement.

Mais ce n'est pas par les athénées seulement que le gouvernement va exercer le monopole; les communes ne sont plus libres dans la direction de leurs établissements.

C'est ici que je suis en droit encore de dire que ceux qui font ce reproche à la loi ne l'ont pas lue.

Les communes dont les collèges ne seront pas subventionnés, seront libres de les administrer comme elles l'entendront ; subventionnées on non, elles auront la nomination de leurs professeurs ; les communes qui ne voudront pas établir d'école à leurs frais auront la faculté de subventionner des établissements privés.

Aujourd'hui quelle est la position des communes vis-à-vis des établissements pour lesquels elles reçoivent un subside de l'Etat ?

Quand il donne un subside, l'Etat peut imposer toute espèce de condition ; l'honorable M. de Theux en a donné l'exemple à l'égard du collège du chef-lieu de l'arrondissement qui l'envoie dans cette enceinte. Le gouvernement peut aller jusqu'à confisquer l'établissement ; l'honorable M. de Theux a confisque le collège de Hasselt.

M. de Theux. - C'est une erreur, je n'ai pas été jusqu'à confisquer l'élabliisement de Hasselt ; il l'a été après moi.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Vous avez accepté la confiscation, si elle a été faite par un autre. Sous prétexte de subsidier le collège communal de Hasselt, on s'en est emparé, on en a pris l'administration et la direction, le gouvernement y fait tout; et nous allons faire cesser cet état de choses, nous allons donner dans l'administration du collège de Hasselt, à la ville de Hasselt, une part d'influence qu'elle n'a pas aujourd'hui. Nous allons leur donner un bureau émanant du conseil communal qui surveillera la manière dont l'enseignement est donné dans l'athénée royal.

Il en sera de même pour le collège d'Arlon que pour le collège de Hasselt; je regrette de ne pas voir les représentants du Luxembourg, je les rassurerais. Le gouvernement est maître du collège d'Arlon; d'après la loi, ce collège sera administré, en grande partie, par l'administration communale d'Arlon. Voilà comment nous voulons étendre le despotisme du gouvernement sur tous les établissement d'enseignement du royaume.

Comment ces communes sont-elles tombées de la liberté dans les bras du gouvernement? C'est par les subsides ; c'est en payant que le gouvernement se les est attachées. Je le dis en toute sincérité, si j'ai eu des luttes à soutenir, tout partisan ferme que je suis de l'intervention du gouvernement dans l'enseignement public, c'est contre les communes qui venaient offrir leur collège au gouvernement; j'ai reçu des reproches d'honorables représentants qui me trouvaient indifférent à l'égard de l'intervention de l'Etat dans l'enseignement public, parce que je ne voulais pas faire passer des établissements communaux sous la direction de l'Etat.

Je pourrais invoquer des témoignages ici et au sénat.

Nous sommes affligés profondément de voir de quel côté des reproches nous sont adressés à nous qui avons vieilli dans la défense de toutes nos libertés; nous qui n'avons jamais dévié d'une ligne des principes libéraux, à nous qui faisions partie de l'union libérale avant 1830 et qui avons continué à en faire partie après 1830. Nous qui, s'il y avait à choisir, comme je l'ai déjà dit, entre l'enseignement libre et l'enseignement de l'Etat, n'hésiterions pas à nous prononcer pour l'enseignement libre, parce que nous avons toute confiance dans la liberté.

C'est ainsi que tout partisans que nous sommes de l'enseignement donné par l'Etat, nous avons adouci la rigueur de la loi sur l'enseignement primaire en ce qui concerne l'administration des établissements d'enseignement primaire supérieur. Par une circulaire administrative, nous avons invité les conseils communaux des villes où sont établies les écoles primaires supérieures à présenter des candidats pour la formation de la commission administrative annexée à l'école primaire périeure; tandis que la loi donne toute espèce d'action directe et indirecte au gouvernement sur l'administration de ces écoles, nous avons abandonné une partie de l'action du gouvernement, pour la remettre à la commune; ce n'est pas hier, c'est il y a un an que nous avons fait cela.

Ce que nous avons fait administrativement, nous demandons de le consacrer par la loi. Cette intervention de l'autorité communale aura une autre garantie que la volonté d'un ministre, elle aura désormais la consécration dé la loi.

Voilà quant aux communes.

Quant au clergé, nous lui déclarons, dit-on, une guerre à mort, nous l'excluons des écoles, nous ne voulons pas de religion dans l'enseignement; le gouvernement est assez oublieux de ses devoirs,.assez aveuglé sur la situation du pays, sur les besoins de l'époque, pour repousser de l'enseignement la religion et le clergé.

Lorsque tous les hommes d'Etat, en France, ont senti aujourd'hui le besoin de se réconcilier avec le clergé, avec la religion, les hommes d'Etat belges, oh douleur! persistant dans leur impénitence finale, et voulant à tout prix satifairc ce besoin qui les travaille, de combattre la religion, repoussent l'inlluence religieuse de l'enseignement moyen.

J'ai lu très attentivement la discussion qui vient d'avoir lieu dans une assemblée voisine; j'ai lu, j'ai annoté très soigneusement les jugements portes sur l'œuvre qui vient de sortir de cette assemblée, œuvre sainte, suivant quelques-uns, à laquelle ont concouru toutes les opinions : des catholiques, des philosophes, des juifs, des chrétiens, des représentants de toutes lcs couleurs. Cette œuvre, on vous la propose volontiers pour modèle : il semble que, pour rendre tout le monde content, pour calmer toutes les craintes, il suffirait de transporter en Belgique le système qu'on va inaugurer en France. (Interruption.)

Je vois que déjà s'il s'agissait d'appliquer à soi-même ce système qu'on trouve excellent contre nous, on le trouverait détestable.

M. Coomans. - La Constitution s'y oppose.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - C'est cela.

M. Coomans. - Heureusement!

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Heureusement, ou malheureusement? D'après le langage qu'on a tenu, j'ai le droit de me demander si j'ai bien entendu.

Ainsi, ce système modèle, on n'en veut pas, et l'on a raison; car, dans notre pays, on a ce qu'on n'a nulle part ailleurs au même degré, la liberté, la liberté la plus absolue; et voilà ce qu'on omet de dire à ceux avec lesquels on se met en rapport en dehors de cette enceinte. On leur laisse ignorer qu'à côté de l'enseignement donné par l'Etat et régie par la loi, il existe en Belgique des écoles complètement libres, où le gouvernement n'intervient en aucune manière. Voilà un des côtés de la question qu'on laisse ignorer à ceux dont on vient ensuite ici invoquer (page 1121) les opinions d'une manière si imprudente. Voilà ce qu'on laisse ignorer et ce qu'il fallait dire.

M. Dedecker. - Qui ignore cela?

M. Coomans. - Tout le monde connaît la Constitution belge.

M. le président. - Messieurs, lorsque vous avez la parole, vous désirez ne pas être interrompus; veuillez, vous-mêmes, ne pas interrompre.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - En France, beaucoup d'écrivains et d'orateurs paraissent ne pas connaître toute la Constitution belge.

M. Coomans. - Ce sont des ignorants.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Si l'on veut égayer la discussion, je le veux bien. Tout à l'heure l'honorable M. Coomans disait que tout le monde est savant; maintenant, s'il faut l'en croire, tout le monde est ignorant.

Je dis que si le clergé français avait pu obtenir, même avec des restrictions, la part faite au clergé belge, jamais au grand jamais il n'aurait songé à rien réclamer; jamais il n'aurait songé à contester au gouvernement sa légitime part dans l'instruction publique. Ce que le clergé français a constamment demandé, c'est la liberté. Contre quoi protestait-il? Contre l'invasion de l'université dans ses propres établissements, contre le monopole de l'université, contre la défense faite à qui que ce fût d'élever tel ou tel établissement, sans avoir passé par la férule, par le régime universitaire.

Et aujourd'hui encore, cette loi qu'on vous cite comme un modèle, qu'impose-t-elle au clergé? La surveillance par l'Etat de ses propres établissements. La loi française donne au gouvernement le droit de surveiller l'enseignement donné dans les établissements libres. Elle pense qu'il peut être utile d'aller s'informer de ce qui se fait dans tous ces établissements , de vérifier s'il ne s'y enseigne rien de contraire à la constitution française. Ce système peut jusqu'à un certain point être soutenu. Mais nous ne le réclamons pas. La liberté, en Belgique, est entièrement libre. Il n'y a point la moindre restriction. Il est permis à tous d'enseigner tout. Il est permis au premier venu d'ouvrir une école, d'y enseigner ce qu'il veut; il est permis de s'associer dans ce but; des associations, même étrangères, peuvent ouvrir des écoles et y enseigner des doctrines contraires à notre Constitution et à nos lois. Et l'on ose comparer le système belge et le système français, en donnant quelque préférence au système français, qui vient d'être inauguré avec la protestation, par parenthèse, de 60 évêques! Ainsi l'honorable M. Osy nous propose d'emprunter à la loi française le conseil de perfectionnement. C'est ici que je rentre spécialement dans la question du clergé. D'après l'honorable M. Osy, on composerait ce conseil des délégués de la cour de cassation, de l'Académie, des évêques et de l'université.

Mais le clergé belge ne vous dira-t-il pas, comme a dit le clergé en France : « Je ne veux pas de cet amalgame; vous m'associez dans ce conseil à des hommes avec qui je ne veux ni ne puis frayer. » Ne perdons pas de vue que notre Constitution parle des ministres des cultes. Cela conviendra-t-il au clergé? Je crois que ce serait une innovation malheureuse.

Voici comment je conçois le conseil de perfectionnement.

Le gouvernement choisira des hommes aptes, des hommes capables, des hommes considérés. Le clergé, donnant son concours, sera appelé dans le conseil de perfectionnement pour faire connaître les besoins de l'enseignement religieux ; pour faire connaître de quelle manière l'enseignement religieux est donné dans les établissements de l'Etat. Il sera fait pour le conseil de perfectionnement de l'enseignement moyen ce qui se passe aujourd'hui pour le conseil de perfectionnement de l'enseignement primaire.

Chaque année le ministre invite les évêques à envoyer un délégué au conseil de perfectionnement de l'enseignement primaire. Que fait le délégué des évêques? Il fait connaître au gouvernement, au conseil central de perfectionnement de quelle manière l'enseignement religieux est donné dans les écoles. Il indique les améliorations à introduire sous ce rapport, etc. Voilà ce qui, je crois, pourra parfaitement se faire pour le conseil de perfectionnement de l'enseignement moyen.

Je crois que cette participation volontaire sera meilleure, sera plus digne pour le clergé, respectera mieux son indépendance qu'une disposition impérative qui ferait entrer, bon gré malgré, les ministres du culte dans le conseil de perfectionnement.

Ainsi, si la loi emploie, au lieu de la formule impérative, la formule d'une simple invitation, je le dis sincèrement, c'est surtout par respect pour l'indépendance du clergé. Nous avons cherché longtemps, de bonne foi, la formule définitive que nous pouvions adopter pour donner,dans la loi, au clergé la part d'influence qui lui revenait légitimement, pour lui permettre de pouvoir exercer efficacement, honorablement sa mission religieuse dans l'enseignement moyen. Après avoir longtemps cherché, combiné toute espèce de formules, consulté sur l'un et l'autre banc, nous avons pensé que la seule formule acceptable pour le clergé comme pour l'Etat, était celle-ci : Le clergé sera invité à donner et surveiller l'enseignement religieux. Il y aura obligation pour le gouvernement de lui adresser cette invitation.

Trouvez-vous que le clergé serait mieux traité, si la loi disait : Vous avez à donner l'enseignement religieux? Trouvez-vous que la position du clergé est beaucoup plus belle en France, lorsque le gouvernement lui dit : Vous aurez à chanter un Te Deum; vous aurez à célébrer un service funèbre; vous aurez à donner l'enseignement religieux? Tout cela s'enchaîne, messieurs. Mais, en Belgique nous ne disons pas au clergé : Vous aurez à chanter un Te Deum; vous aurez à célébrer un service funèbre ; vous aurez à donner l'enseignement religieux. Respectant la position indépendante que lui a faite la Constitution, nous l'invitons à chanter un Te Deum ; nous l'invitons à célébrer un service funèbre; nous l'invitons à venir donner l'enseignement religieux. N'est-ce pas là lui faire une position tout à-fait digne, tout à fait indépendante? Peut-on, messieurs, accuser une loi ainsi faite, ainsi expliquée, de déclarer la guerre au clergé?

La religion n'est pas inscrite dans le programme. Eh bien! pourquoi la religion n'est-elle pas dans le programme? Je vais vous le dire.

Nous désirerions que la religion fût dans le programme, et si l'on peut l'y introduire sans blesser aucun principes constit nous consentons bien volontiers à ce que l'enseignement religieux figure dans le programme. Il suffit seulement de s'entendre sur les conséquences de cette inscription.

Quelles seront les conséquences de cette inscription de l'enseignement religieux dans le programme? Par qui sera donné cet enseignement? Par le clergé ? Nous croyons qu'à lui tout d'abord revient ce devoir, cette mission de donner l'enseignement religieux. Mais supposez que le clergé refuse, qui donnera l'enseignement religieux inscrit au programme? Car une fois inscrit au programme, il devient, en quelque sorte, obligatoire.

Qui donnera l'enseignement religieux en l'absence du prêtre ? Vous pouvez conduire les enfants à l'église, ou vous pouvez, de l'assentiment des pères de famille, appeler un laïque qui, avec des livres parfaitement orthodoxes, approuvés par le clergé, pourra donner l'enseignement religieux ; ou bien il n'y aura pas d'enseignement religieux du tout. Or, il faut que cet enseignement soit utilement, efficacement donné , et s'il n'y a pas d'enseignement donné, voilà une disposition de la loi, que vous proclamez vous-mêmes indispensable, essentielle, qui reste sans exécution.

Voulez-vous, après avoir proclamé indispensable l'enseignement religieux, voulez-vous, à l'exemple de ce qu'avait proposé l'honorable M. de Theux dans son projet, déclarer qu'à défaut du concours du clergé, l'enseignement religieux sera suspendu? Je ne pense pas que personne veuille aujourd'hui d'une pareille formule. Car inscrire d'un côté dans la loi l'enseignement religieux comme essentiellement obligatoire, puis, au paragraphe suivant, déclarer que cette chose essentielle sera suspendue, ce serait jeter dans la loi un germe de défiance, un germe de mort pour les établissements de l'Etat.

Je n'accuse pas l'intention de ceux qui ont inventé cette formule. Mais si j'avais eu l'intention de nuire aux établissements de l'Etat, de préparer leur ruine en faisant une loi, je vous aurais proposé cette formule; j'aurais dit : L'enseignement religieux est obligatoire ; mais si le clergé refuse son concours, cet enseignement sera suspendu; de telle sorte qu'il serait officiellement proclamé qu'il y a anathème contre l'établissement.

Ainsi, ce remède ne vaut rien, et je ne pense pas qu'on vous propose de le rétablir.

Me résumant sur cette question délicate, je déclare à la chambre que nous sommes prêts à recevoir dans la loi l'enseignement religieux, le clergé à tous les articles, si l'on veut; mais à la condition cependant de faire au gouvernement, et au clergé, et à la religion, une part convenable, la part surtout qui leur revient; à la condition constitutionnelle de ne pas déposer dans la loi des germes de dissention, des germes de répulsion contre nos propres établissements.

Nous serons donc, sous ce rapport, très conciliants. Nous vous invitons seulement à nous proposer des choses acceptables. Nous croyons qu'après avoir longtemps cherché, vous ne trouverez rien de plus acceptable à nous donner que ce que nous vous avons offert, que ce qui a été adopté d'ailleurs par l'immense majorité des membres qui ont pris part à la discussion dans les sections.

J'espère, messieurs, que ces simples explications contribueront à calmer quelque peu les appréhensions de certains honorables membres sur les conséquences du projet.

J'aime à croire que l'honorable membre auquel je réponds particulièrement, en y réfléchissant, avec l'esprit pratique qui le caractérise et qui ne s'attache pas invinciblement à la même opinion, quand il reconnaît qu'une opinion nouvelle est plus conforme aux intérêts du pays, je suis convaincu que l'honorable M. Osy, quand il aura réfléchi aux conséquences de la loi telles que je viens de les exposer, dans toute leur vérité, ne sera plus aussi effrayé qu'il l'était tout à l'heure.

Il y a cependant encore quelque chose qui l'effraye dans la loi. C'est l'école normale. Ce sont les 450 fonctionnaires publics que nous allons décréter par la loi.

D'abord, messieurs, ces craintes-là se concilient très mal; d'une part, vous reprochez au gouvernement de vouloir créer un très grand nombre de fonctionnaires publics, de vouloir éveiller une trop grande quantité d'appétits pour les places, et, d'autre part, vous lui reprochez de restreindre le nombre de ceux qui peuvent aspirer à ces places, en instituant l'école normale dans laquelle il faudra avoir étudié pour devenir (page 1122) professeur. Mais si vous craignez de voir se répandre dans le pays le besoin des places, tâchez de restreindre autant que possible le cercle de ceux qui peuvent aspirer à ces places; c'est ce que nous faisons en établissant un enseignement normal et en soumettant les candidats à certaines conditions scientifiques. Vous, au contraire, vous voulez que la carrière soit ouverte à tout le monde; vous voulez exciter l'appétit de tout le monde, l'ambition de tout le monde.

Il s'agit, dites-vous, de créer 450 fonctionnaires publics. C'est une exagération du genre de celle qui porte à un million, à deux millions, à quatre millions, comme le font certaines pétitions, la dépense que va occasionner l'organisation de l'enseignement moyen. Je conçois cet argument comme moyen d'exercer une certaine action sur l'esprit des contribuables; on leur dit que le projet est d'autant plus contraire à la liberté communale, d'autant plus impie, qu'il vous coûtera quatre ou cinq millions. Je conçois très bien que beaucoup d'habitants des campagnes, qui n'auront pas à profiter directement de la loi, se laissent prendre à ces erreurs, je ne ne dirai pas à ces mensonges : l'augmentation de dépenses ne s'élèvera pas à quatre, ni à deux, ni à un million, elle s'élèvera au maximum à 250 mille francs.

Y aura-t-il 450 fonctionnaires publics nouveaux? Mais, messieurs, il y a 10 athénées, dont deux déjà ont des professeurs nommés par le gouvernement, reste 8 athénées; mettez 10 professeurs par athénée. Voilà 80 professeurs, 80 nouveaux fonctionnaires du gouvernement, au lieu de 450. Parleriez-vous des professeurs des écoles primaires supérieures, transformées en écoles moyennes? Mais déjà aujourd'hui ils sont nommés par le gouvernement sans l'intervention de la commune. Parleriez-vous des écoles industrielles et commerciales? Mais déjà aujourd'hui les professeurs de ces établissements sont nommés par le gouvernement, sans l'intervention de la commune.

Voilà donc réduit de 450 à 80 le nombre des fonctionnaires qu'on va créer. Trouvez-vous qu'il y ait un si grand mal à ce que l'on fasse du professorat une sorte de fonction publique? Quelle est aujourd'hui la position du professeur? Il est fonctionnaire communal. S'il est professeur de sixième, il a la perspective, si tout va au gré de ses désirs, d'arriver à la troisième ou à la seconde lorsqu'il sera à la fin de sa carrière. Au lieu de cela, nous ouvrons une perspective, une carrière à celui qui se destine à l'enseignement. Il aura des chances d'avancement dans les dix athénées de l'Etat. La carrière de professeur, qui aujourd'hui, il faut le dire, est peu suivie, pour laquelle on se prépare moins que pour beaucoup d'autres, cette carrière qui aujourd'hui n'en est pas une, qui ne présente que peu de chance d'avancement à l'homme qui a consacré sa vie aux plus hautes études, cette profession ingrate nous l'élevons au rang de fonction publique, pour un certain nombre de professeurs.

Si vous faites une loi qui a pour but de régler l'enseignement donné aux frais de l'Etat, vous voulez sans doute que l'enseignement soit bon, que les professeurs soient capables de lutter pour le talent, la considération, l'importance, avec les professeurs de l'enseignement libre. Or, si vous en faites des employés communaux, à la merci de la commune, sans autre perspective d'avancement que les limites mêmes de la commune, je crains que vous ne fassiez pas pour l'enseignement public ce qu'il convient de faire, c'est-à-dire de créer de bons professeurs et, à cet effet, de leur donner à l'avenir une position qui réponde à leur talent et à leurs travaux. C'est là, messieurs, un des côtés utiles de la loi.

C'est pour cela aussi que nous créons une école normale, ou plutôt nous ne la créons pas, nous consacrons ce qui existe. En l'absence d'une loi, des cours normaux ont été créés auprès des universités ; les élèves y reçoivent un diplôme qui peut leur servir de titre pour obtenir une nomination. Nous demandons de consacrer par la loi ce qui existe sans réclamation aucune depuis deux ans.

N'est-il pas, messieurs, du devoir de l'Etat de former autant que possible les hommes qui doivent ensuite agir en engageant sa responsabilité? Trouvez-vous mauvais que l'Etat ait une école militaire? Il en a d'autres pour un certain nombre de fonctions publiques, et vous ne le trouvez pas mauvais.

Du moment que vous reconnaissez de bonne foi qu'il faut un enseignement donné aux frais de l'Etat, reconnaissez aussi de bonne foi que l'Etat ne va pas trop loin en cherchant à former de bons professeurs. Ce principe n'existe-t-il pas d'ailleurs pour l'enseignement primaire? Là aussi il y a des écoles normales, et les instituteurs doivent sortir des écoles normales de l'Etat. A la vérité ils peuvent aussi sortir des écoles normales adoptées par l'Etat. Mais si l'Etat adoptait ces écoles à des conditions telles qu'elles ne voulussent plus s'y soumettre, il en résulterait que tous les instituteurs primaires, au nombre de plusieurs mille, devraient sortir des écoles normales de l'Etat.

Aujourd'hui déjà il en est un très grand nombre qui doivent en sortir. Et vous ne vous récriez pas contre un pareil système. Cependant la chose est beaucoup plus importante pour l'enseignement primaire que pour l'enseignement moyen.

Maintenant, messieurs, est-il vrai que les professeurs de l'enseignement moyen devront nécessairement sortir des établissements normaux de l'Etat? Cela est complètement inexact. Je le répéterai encore, il faut ne pas avoir lu la loi pour le soutenir. Le professeur peut être choisi d'abord parmi tous les membres actuels du corps enseignant ; la loi ne commence, en outre, à agir que dans quatre ans. Nous avons donc pour longtemps encore le régime de la complète liberté.

En second lieu, les professeurs peuvent être choisis parmi les docteurs en sciences et en lettres, sortis des établissements libres comme des établissements de l'Etat, et le jour où, par une bonne loi, vous aurez donné une garantie à la carrière professorale, le jour où les professeurs seront certains, en entrant dans un établissement, de voir une carrière s'ouvrir devant eux, dès ce jour-là beaucoup de jeunes gens rechercheront ce titre de docteur en sciences ou en lettres dont ils ne font aujourd'hui aucun cas, parce que ce titre ne mène à rien.

Les docteurs en sciences ou en lettres étant ainsi des candidats désignés par la loi, il est très probable qu'ils auront souvent la préférence sur les élèves sortis des cours normaux ; il est très probable que ceux-ci, pour gagner la confiance des établissements du gouvernement ou des autres établissements, chercheront à se procurer le titre de docteur en philosophie ou en sciences.

A moins qu'on ne veuille refuser au gouvernement toute influence utile dans l'enseignement, n'est-ce pas son premier devoir de chercher à former de bons professeurs? Et on laisse une large part à la liberté, puisque les professeurs peuvent être choisis parmi les docteurs en science ou en philosophie.

La loi est trop sévère, nous dit-on. Eh bien, nous verrons si le titre de candidat en lettres et de candidat en sciences ne pourraient pas suffire pour les classes inférieures.

En outre, le conseil de perfectionnement peut autoriser le gouvernement à choisir pour professeur un individu qui n'aurait pas un titre scientifique, qui ne serait pas sorti des écoles normales; c'est encore une garantie très forte accordée à la liberté et nous nous rallierons à cette proposition de la section centrale.

Messieurs, l'enseignement libre, l'enseignement du clergé n'a-t-il pas aussi ses écoles normales où il forme ses professeurs? Un docteur en sciences ou un docteur en philosophie, sorti de nos universités, serait-il bien venu de se présenter comme candidat pour les établissements de l'enseignement libre ? Le clergé forme le personnel de ses établissements, et il s'y tient, je pense, presque exclusivement ; le gouvernement sera loin d'être aussi exclusif, puisque je viens de faire voir par combien de chemins l'on pourra arriver au professorat dans les établissements de l'Etat.

Messieurs, l'on a beaucoup parlé du calme et de la tranquillité dont jouissait le pays. L'on a bien voulu reconnaître que le gouvernement n'était pas entièrement étranger au maintien de ce calme, de cette paix publique; l'on a bien voulu reconnaître que, dans les circonstances difficiles que nous avons traversées et qui peuvent renaître, les hommes, assis sur ce banc, avaient rendu quelques services par leur modération et par leur fermeté; eh bien, croit-on de bonne foi que les mêmes hommes qui, dans des circonstances difficiles, sont parvenus, sans restreindre en aucune manière aucune de nos libertés, mais en les étendant, au contraire, de outes les manières; croit-on de bonne foi que ces hommes, aujourd'hui que nous avons obtenu ce calme et cette paix, tout en agrandissant nos libertés, vont les amoindrir? Croit-on de bonne foi que moi, vieil athlète de la liberté, je veuille consacrer le reste de ma carrière à détruire tout ce que mes premières années ont puissamment, j'ose le dire, contribué à fonder.

Est-ce de bonne foi qu'on nous reproche ce besoin de despotisme et de tyrannie? L'honorable M. Osy ne peut méconnaître nos intentions, il a suivi nos antécédents. Appartenons-nous à cette génération qui a soutenu et regretté le système que nous avons renversé? Appartenons-nous à cette génération qui, en France, a provoqué le renversement du système établi jusqu'en 1830?

Alors aussi il y avait des hommes de bonne foi, des hommes considérables qui déclaraient à la tribune et dans la presse que l'opinion libérale était incapable de gouverner; que l'enseignement de l'université était immoral; qu'il n'y avait de salut pour le pays comme pour les âmes que dans l'enseignement religieux; que l'enseignement de l'Etat était une source d'immoralité et d'impiété.

Ce raisonnement, on le tient encore; toute l'opposition se résume en ceci : l'Etat ne doit pas intervenir dans l'enseignement public; au clergé seul appartient la mission d'enseigner. Voilà le résumé de toutes les doctrines, de tous les discours...

M. Dedecker. - C'est une erreur.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je suis enchanté d'apprendre que telles ne sont pas fies opinions de l'honorable M. Dedecker...

M. Dedecker. - Vous les connaissiez d'avance.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - L'honorable membre a toute confiance dans l'enseignement donné aux frais de l'Etat, et il n'hésitera pas sans doute à attribuer à l'Etat une part d'intervention assez grande, pour qu'il puisse donner cet enseignement avec fruit.

Mais je le répète , les discours que nous avons entendus allaient à ceci: Que l'Etat n'ayant pas de doctrines, de principes, était incapable d'enseigner.

M. Dumortier. - J'ai dit que l'Etat était incapable d'enseigner la religion.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Eh bien, où ces opinions ont-elles, en 1830, conduit la monarchie de France ? Elles florissaient encore dans d'autres pays, trop malheureux aujourd'hui pour que je les fasse en quelque sorte comparaître dans cette enceinte; en Belgique il y a eu une heureuse transaction entre cejque j'appellerai les idées d'une autre époque et les idées modernes; il y a eu une heureuse transaction entre ceux que pensent que l'enseignement ne peut être donné utilement que par le clergé et ceux qui pensent que l'enseignement peut être donné utilement par d'autres que par le clergé. C'est la conciliation entre ces deux principes que nous avons consignée dans la Constitution. Pour (page 1123) ceux qui pensent que l’enseignement par le clergé est le seul moyen de faire de bons citoyens, pour ceux-là l'article 17 de la Constitution proclame l'enseignement libre.

Personne ne veut porter atteinte à cette disposition de la Constitution.

Pour ceux qui pensent que le clergé ne doit pas avoir la direction de tout l'enseignement, qu'il y a une forte part à réserver à l'enseignement laïque, pour ceux-là, il y a aussi une garantie dans la Constitution, qui porte que l'enseignement public donné aux frais de l'Etat sera réglé par la loi. C'est cette loi que nous vous présentons ; et ce n'est pas, après tout, chose nouvelle ; car la même loi vous a été présentée par nos prédécesseurs ; seulement le projet que nous vous soumettons renferme des garanties qui ne se trouvaient pas dans les projets antérieurs.

Ceux qui veulent rester fidèles aux souvenirs et aux conditions de l'union de 1830, ceux-là doivent voter la loi que nous proposons comme l'exécution de la transaction de l'union ; ceux qui sont redevenus ce qu'ils étaient, ceux-là, avant d'entrer dans cette union, devront repousser la loi, devront faire tous leurs efforts pour anéantir, pour déshonorer l'enseignement donné par l'Etat.

Ceux-là devront faire propager dans le public ces défiances contre le pouvoir, si peu opportunes en tout temps, mais surtout dans l'époque où nous sommes, où ce n'est pas de trop de toute la puissance de l'autorité publique pour protéger la société; ils devront propager par des attaques outrageantes pour l'autorité les doctrines irréligieuses les plus dangereuses.

Ce n'est pas faire acte de bon conservateur que de présenter aux yeux des populations ignorantes le gouvernement de votre pays comme un composé d'hommes impurs, immoraux.

Voilà le tableau que je lisais tout à l'heure dans une brochure émanée je ne veux pas dire d'où : Les ministres vont plus loin que Julien l'apostat , les ministériels de la section centrale sont plus apostats que Julien. Cet exemple, je le cite entre mille; il n'est pas d'accusations auxquels on n'ait recours pour chercher à frapper le gouvernement de discrédit, et provoquer contre lui la défiance et le mépris des populations.

Si vous avez un gouvernement semblable à votre tête, ne venez pas lui rendre hommage, comme vous le faisiez sous l'empire d'autres circonstances, où vous disiez que par notre modération, par notre fermeté nous avions contribué à sauver l'indépendance du pays, ou au moins à y maintenir l'ordre, le calme.

Il fallait continuer cette guerre que vous aviez commencée avant les événements de 1848, guerre que vous n'auriez interrompue pendant un certain temps que pour un motif que je n'ai pas maintenant à qualifier. (Applaudissements dans les tribunes.)

M. le président. - Je préviens les tribunes qu'elles ne peuvent prendre aucune part à nos débats. Si des manifestations se renouvelaient je les ferais évacuer.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Nous méritions alors votre confiance ou nous ne la méritions pas. Si nous la méritions, nous la méritons encore; si nous ne la méritions pas, que devons-nous penser des hommages qui nous étaient rendus alors! Nous prouverons dans cette discussion, comme dans l'exécution de cette loi, que notre devoir était de vous présenter, que nous sommes toujours restés les mêmes hommes, libéraux modérés, libéraux tolérants, voulant franchement toute la Constitution sans restriction, sans réserve.

Faisons libéralement la part du clergé, mais maintenons au gouvernement la part que lui a faite la Constitution, dont il a plus besoin dans la circonstance actuelle, que dans toutes celles qui l'ont précédée.

- Plusieurs voix. - A demain !

La séance est levée à 4 heures et demie.