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Chambres des représentants de Belgique
Séance du lundi 22 avril 1850

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1849-1850)

(Présidence de M. Verhaegen.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 1231) M. A. Vandenpeereboom procède à l'appel nominal à deux heures un quart.

La séance est ouverte.

M. de Luesemans donne lecture du procès-verbal de la dernière séance; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. A. Vandenpeereboom présente l'analyse des pièces qui ont été adressées à la chambre.

« Plusieurs habitants d'Enghien prient la chambre d'adopter le projet de loi sur l'enseignement moyen. »

« Même demande de plusieurs habitants de Tournay. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi.


« Plusieurs habitants d'Exaerde prient la chambre de rejeter le projet de loi sur l'enseignement moyen et demandent que l'enseignement de la langue flamande soit obligatoire dans les athénées ou collèges des provinces flamandes et qu'on y soit tenu de se servir de cette langue pour enseigner l'allemand et l'anglais. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi.


« Plusieurs habitants de Tirlemont prient la chambre de rejeter le projet de loi sur l'enseignement moyen ou de le modifier profondément. »

« Même demande de plusieurs habitants de Heyst-op-den-Berg, Boortmeerbeek, Onkerzele et Lokeren. »

- Même décision.


« Plusieurs habitants de Leke prient la chambre de rejeter le projet de loi sur l'enseignement moyen. »

« Même demande de plusieurs habitants de Heyndonck, Ranst, Bulscamp, Moeres, Broechem, Moll, Berchem, Reninghelst, Moen, Seloignes, Villers-La-Tour, Heffen, Ousselghem, d'une commune non désignée, du sieur Wacquez, des membres du conseil communal de Lille-Saint-Hubert et de Biesmerée. »

- Même décision.


« Le conseil communal de Houthem demande que, dans les provinces flamandes, les administrations provinciales et communales, et, autant que possible, les tribunaux fassent exclusivement usage de la langue flamande. »

- Renvoi à la commission des pétitions.

MM. Osy et Van Hoorebeke demandent un congé.

- Accordé.


M. le ministre de la justice transmet, accompagnée des pièces d'instruction, la demande en naturalisation ordinaire du sieur Th. de la Ferronnay-Burnell.

- Renvoi à la commission des naturalisations.

Projet de loi sur l'enseignement moyen

Discussion générale

M. Le Hon. - Messieurs, une indisposition m'a empêché de parler à mon tour d'inscription. J'aurais renoncé à la parole si, en qualité d'ancien membre du Congrès, je ne devais aussi à la chambre le témoignage de mes souvenirs. D'ailleurs, je l'avoue, une considération nouvelle m'aurait déterminé à rompre le silence.

Je ne puis dire quelle impression pénible j'éprouve au spectacle des agitations factices qui entourent ce débat, et semblent vouloir rappeler les émotions populaires de nos mauvais jours.

Quoi! dans un pays paisible comme le nôtre, cité en exemple à l'Europe, des prières publiques sont ordonnées pour le salut de nos institutions ; on voit s'organiser sur toute la ligne un pétitionnement général !

Et puis encore, comme si quelques soldats de la milice cléricale avaient fait feu avant l'ordre, je lis dans un écrit très remarquable, où l'un des prélats les plus distingués de France, Mgr. l'évêque de Langres, vient d'expliquer les motifs du concours qu'il avait prêté à la loi de l'instruction publique; je lis, dis-je, le passage suivant :

« Nous avons vu..... d'un autre côté, quelques pouvoirs encore debout, partagés entre la crainte du socialisme, qui déjà les dévore, et les vieilles défiances contre l'Eglise; mais de qui les imprudents apôtres du rationalisme obtiennent chaque jour quelques nouvelles mesures de vexation contre la religion catholique, comme on le voit, en ce moment même, à Turin, hélas! et même à Bruxelles, et, par-dessus tout cela, le pape toujours dans l'exil ! ! ! »

Voilà, messieurs, notre patrie où jamais plus de liberté ne fut donnée à l'Eglise et à ses ministres; la voilà placée par un des hommes, je le répète, les plus recommandables et les plus dignes de l'épiscopat français, placée entre les mesures réactionnaires du Piémont et l'ingratitude de Rome envers son digne et illustre pontife.

Oui, messieurs, vous l'ignoriez sans doute; c'est un prélat français indignement trompé, qui vous en instruit : la religion catholique subit chaque jour à Bruxelles de nouvelles vexations.

J'avoue, messieurs, que devant de pareilles manifestations au sujet d'une loi dont la présentation, fort constitutionnelle après tout, est la conséquence obligée de l'organisation de l'enseignement primaire et de l'enseignement universitaire, il ne s'agit plus d'un simple projet de loi ; il s'agit de la dignité de la chambre et de l'honneur du pays : il faut que la vérité des faits combatte et détruise l'erreur.

Tel est, au reste, le triste fruit de la polémique des passions. Alarmer l'ignorance ou la crédulité au dedans; tromper, au dehors, les meilleurs esprits; ce n'est pas ainsi que la religion, quand elle est menacée, demande à être défendue.

Et d'abord, en ce qui touche ce pétitionnement si fortement organisé, et qui paraît avoir des agents très actifs, c'est, à mon sens, le plus fort argument en faveur d'une bonne et forte organisation de l'enseignement moyen ; car il faut éclairer de plus en plus le pays où l'on peut trouver cette masse de signataires pour des pétitions qui, au milieu du calme et de la liberté, expriment les plus vives alarmes sur le caractère et la portée d'une loi présentée aux chambres, par le ministère, dans l'ordre constitutionnel de ses devoirs.

Voilà ma réponse à ce pétitionnement, considéré en général. Nous verrons, s'il y a lieu, la réponse que comportent les pétitions en particulier.

La loi proposée, on l'a dit avant moi, mais on ne saurait trop le redire, ne concerne que l'instruction publique, c'est-à-dire, celle qui est donnée aux frais de l'Etat, des provinces ou des communes.

J'insiste sur ces trois points, parce que je ne connais pas de pays où les lois sur l'instruction n'aient toujours enveloppé l'instruction publique et l'instruction privée.

Je citerai, en preuve, la dernière loi française, qui a pour titre : De l'instruction publique, et qui impose des entraves à l'instruction privée.

On a fait des doléances si vives sur la situation que la loi va faire à notre pays ; on a parlé en termes si favorables de la dernière loi française, que je crois utile de m'arrêter un moment sur le terrain de l'instruction privée. J'y pourrai comparer, à cet égard, la situation respective de la France et de la Belgique.

La Constitution française de 1830 (cette date est pour nous un point de départ commun) ordonnait, article 69, qu'il serait pourvu par des lois, dans le plus court délai possible, à l'instruction publique et à la liberté d'enseignement. Après quatre projets avortés et dix-neuf ans d'attente dans les liens du monopole universitaire, la loi du 15 mars 1850 a paru. Elle embrasse l'enseignement privé et l'enseignement public; je m'attache, comme je l'ai dit, au premier.

Pour être autorisé à enseigner, il faut, en France, d'après la loi nouvelle, produire : 1° un certificat de stage constatant cinq années de professorat ou de surveillance dans un établissement secondaire; 2° soit le diplôme de bachelier, soit un brevet de capacité délivré par un jury d'examen. De plus, les collèges sont soumis à l'inspection : 1° des inspecteurs généraux et supérieurs ; 2° des recteurs et des inspecteurs d'académie.

En outre, les petits séminaires sont assujettis à la surveillance de l'Etat.

Voilà les conditions transactionnelles de la liberté accordées en France à l'enseignement privé.

En Belgique, quel est le Code de la liberté en, matière d'enseignement? Il est tout entier dans un seul article de la Constitution. Que dis-je? Il est dans un seul paragraphe : « L'enseignement est libre ; toute mesure préventive est interdite. »

Depuis près de vingt ans, je le répète à dessein, messieurs, depuis près de vingt ans, la liberté la plus absolue a reçu chez nous la consécration des faits ; toujours et partout inviolablement respectée. Le clergé, les congrégations religieuses, tout individu quelconque, sans distinction, sans exception, donnent à leur gré l'instruction affranchie de tout contrôle et de toute entrave. En Belgique, tout le monde enseigne ce qu'il veut, à qui il veut et comme il veut.

Permettez-moi, messieurs, de vous citer l'opinion d'un homme d'Etat recommandable par beaucoup de savoir et d'expérience. M. le duc de Broglie, dans son rapport présenté à la chambre des pairs sur la loi d'instruction publique du 2 février 1844, voulant répondre à ceux qui demandaient alors la liberté de l'enseignement comme en Belgique, disait :

« Nous ne sommes pas à même de nous rendre compte des motifs qui ont déterminé la nation belge à accepter un pareil régime; mais cette liberté absolue, illimitée, constitue un état de choses sans exemple, peut-être, dans le monde, et propre à abaisser le niveau des études. » C'était là l'opinion d'un homme fort distingué et très conservateur.

Maintenant quelle a été, sous le régime des entraves et sous celui de la liberté, la conduite du clergé de chaque pays, pendant la même période?

Le clergé français, quoique privé de tout droit d'intervention et de surveillance en matière d'enseignement scientifique et de direction intérieure, n'a cessé de prêter au pouvoir civil un concours général et régulier, pour l'instruction religieuse, dans les collèges royaux, malgré les lois qui enchaînaient sa liberté et plaçaient ses établissements sous le contrôle de l'Etat. Voici comment s'exprimait M. Villemain, dans son rapport au roi, du 3 mars 1843 :

« L'enseignement religieux disait ce ministre, l'enseignement (page 1232) religieux, confié à l'aumônier, se partage graduellement entre trois divisions d'élèves, selon les âges et le degré des connaissances acquises.

« Les plus jeunes élèves assistent à deux conférences par semaine, pour l'explication du catéchisme diocésain.

« Dans une seconde division, formée de deux classes d'élèves plus avancés, il y a, chaque semaine, une conférence sur les principes de la religion, sur la vérité et sur l'authenticité des livres saints.

« Une troisième division, composée des élèves de troisième, de seconde de rhétorique, de philosophie et de mathématiques, reçoit, chaque semaine, une instruction sur le christianisme, considéré dans ses dogmes, dans sa morale, dans son culte et dans ses monuments écrits.

« Cette instruction, recueillie par les élèves, est l'objet de rédactions fréquentes qui, dans plusieurs collèges, sont encouragées par des prix.

« Ces divers enseignements sont indépendants des instructions qui font partie des exercices religieux, et que l'aumônier donne le dimanche et les jours de fête à tous les élèves réunis. »

Voilà, messieurs ce qu'ont fait depuis vingt ans, le clergé français, les ministres d'une religion qui est la nôtre, juges éclairés, je pense, des devoirs et de la dignité de leur caractère.

Qu'a fait le clergé belge dans le même temps, lui, en possession d'une liberté si large, si complète, pour combattre, par des établissements privés, l'influence des mauvaises doctrines? Depuis 60 ans, même à l'époque du monopole, sous le consulat et l'empire, comme sous le gouvernement des Pays-Bas, toujours il avait donné l'enseignement religieux dans les établissements publics. Il avait, avec une sorte de bienveillant empressement, accordé un principal et un aumônier à tous les collèges qui en demandaient.

La Constitution du 7 février 1831 vint nous doter des institutions libérales que vous connaissez. La loi du 30 mars 1836, en organisant l'administration de la commune, lui attribua la direction de ses collèges, avec la nomination des professeurs.

Eh bien, messieurs, en 1837, monseigneur l'évêque de Liège, sollicité d'accorder un principal et un professeur ecclésiastiques à un collège de son diocèse, formule une série de conditions qui tendent à investir le principal de la direction complète de ce collège. Je m'abstiens d'entrer dans le détail des négociations; je signale ce point de départ, parce qu'on a fait bon marché de la convention de Tournay, que chacun consent à répudier aujourd'hui à cause du retentissement que lui a donné une discussion publique.

Mais, messieurs, si j'ai combattu énergiquement en 1846, comme rapporteur, dans le conseil communal, les prétentions de monseigneur l'évêque de Tournay, je dois rendre hommage au motif qui a déterminé sa persistance: il a voulu, et ce mobile est respectable, rester fidèle aux engagements qui avaient été pris entre tous les membres de l'épiscopat belge. Or, il serait souverainement injuste de jeter la pierre à ce prélat. Ses exigences étaient l'œuvre commune du haut clergé, comme nous en aurons la preuve tout à l'heure. Je retrouve partout la trace des mêmes prétentions, à Anvers comme à Mons, à Liège comme à Tournay.

Ce qui s'était pratiqué de tout temps, sans difficulté aucune, sous les divers régimes du monopole, a donc cessé, alors que l'entente commune semblait devoir être plus efficace et plus facile, je veux dire, peu à près l'institution du régime de la liberté.

En 1838, un aumônier meurt à l'athénée de Tournay, l'administration demande à l'ordinaire diocésain la nomination d'un autre ecclésiastique; monseigneur répond : « Qu'il existe entre les évêques de notre pays une convention relativement à l'instruction publique, et qu'il ne peut, sans manquer à ses engagements, prêter le concours que réclame de lui l'administration municipale, si on ne lui accorde pas une part active dans la nomination du corps enseignant; que c'est là une condition sine qua non dont il ne peut se départir. »

En 1845, la place de principal devient vacante dans le même athénée, par la retraite de l'ecclésiastique qui l'occupait : nouvelle demande à l'évêché, nouveau refus, ou plutôt concession inacceptable, consignée dans la convention du 30 mai que vous connaissez. Les faits que je viens de citer répondent à cette observation de l'honorable M. de Haerne, que les cas d'abstention du clergé, en matière d'instruction religieuse, seraient fort rares et presque toujours fondés sur des causes graves et spéciales. Il est constant, en effet, que l'abstention a été érigée en système. J'appelle sur ce point toute votre attention. De l'aveu de monseigneur de Tournay, l'athénée de cette ville réunissait toutes les conditions d'un établissement modèle; les professeurs, disaient-ils, étaient tels, sous tous les rapports, qu'il les aurait choisis lui-même.

Le conseil communal manifesta les dispositions les plus conciliantes, tout en restant attaché aux principes dont il ne pouvait s'écarter, sans violer la loi de ses attributions.

Pendant la discussion, il chercha les moyens d'aplanir les difficultés, il exprima les idées les plus favorables à un rapprochement. Vous jugerez des sentiments el des désirs sincères de l'administration de Tournay par l'extrait suivant du second travail de sa commission.

« Assurément, tous les bons esprits reconnaissent combien serait avantageux le commun accord de l'autorité civile et de l'autorité religieuse; nul ne le comprend mieux que vous, et vos actes officiels témoignent hautement de l'esprit de conciliation avec lequel vous avez maintes fois tenté de l'obtenir; mais la convention du 30 mai n'est pas le type unique et sacramentel des moyens d'assurer ce concert; nous pensons même que de tous les systèmes, celui des traités est le moins digne et le moins convenable.

« Puisque l'athénée, de l'aveu de l'évêché, réunit toutes les conditions d'un établissement modèle, pourquoi le chef du diocèse, à l'exemple de ses prédécesseurs, ne maintiendrait-il pas, sans contrat préalable, à la tête du pensionnat, l'ecclésiastique éclairé qui le dirige en ce moment? La confiance qu'il inspire aux autres fonctionnaires formerait entre eux ces liens qui, bien mieux que la loi écrite, entretiennent l'harmonie des vues, des sentiments et des principes.

« Vous-mêmes, messieurs, respectés dans vos droits, vous seriez plus libres, et, par conséquent, plus empressés de cultiver des relations de bonne intelligence avec l'évêché, relations qui ne seraient alors que plus honorables et plus dignes pour les autorités.

« Le principal serait toujours révocable à la volonté de l'ordinaire diocésain. L'intérêt de chaque pouvoir serait le gage de son concours à l'entente commune.

« Il serait satisfait pleinement aux vœux de la morale et de la religion, et l'épiscopat, fidèle à sa mission véritable, associerait noblement ses efforts et son nom aux progrès réguliers de l'éducation publique.

« Cette résolution serait d'une haute sagesse et d'un succès infaillible.

« Si notre idée n'est pas accueillie ; si, résistant aux conseils de la prudence, l'ordinaire diocésain se séparait violemment de notre athénée par la révocation du principal actuel et le refus même d'un aumônier, il aurait à subir devant le pays la responsabilité de cet acte de contrainte morale; vous pourriez, vous, appeler sans crainte sur vos résolutions et votre conduite le jugement des chefs de famille et de l'opinion publique.

« Les conséquences d'un pareil interdit franchiraient, n'en doutez pas, les limites de notre cité. Elles iraient soulever, dans les hautes régions du pouvoir, des questions qu'il est toujours imprudent d'agiter, parce qu'il est dangereux de les résoudre.

« Le clergé veut-il obliger la législature à se préoccuper vivement du système et de la tendance des conditions qu'il met aux plus simples actes de son ministère sacerdotal dans les établissements d'instruction publique?

« A-t-il intérêt, trouve-t-il de sa dignité, que la loi détermine elle-même la mesure exacte des devoirs spirituels pour lesquels il est inscrit au budget de l'Etat?

« Tient-il absolument à faire décider aussi par elle que dans les établissements de l'Etat ou de la commune l'instruction morale et religieuse sera confiée à des professeurs laïques? »

Eh bien, messieurs, ce langage et toutes les autres instances furent inutiles : monseigneur l'évêque révoqua le principal qu'il avait nommé d'abord ; et 300 élèves, privés de l'instruction religieuse du prêtre , furent réduits à n'entendre que deux fois par semaine l'office divin que de tout temps, sous tous les régimes, on leur avait donné chaque jour, dans l'église annexée à l'établissement.

Ce qui s'est passé à Tournay n'a donc été que l'application d'un système général.

Je ne saurais appeler autrement un principe, d'après lequel, quels que soient la moralité et l'esprit religieux des professeurs, quelles que soient la supériorité de l'enseignement et la discipline du collège, le clergé refuse l'instruction publique, si vous ne lui donnez pas une part active d'autorité.

Je dis que c'est là un déplorable système d'abstention qui me paraît, au jugement intime de ma conscience, tout à la fois anti social et anti-chrétien.

On aura des aspirations ferventes pour la conversion des insulaires de l'Océanie; on accorde un aumônier aux hommes frappés par la justice du pays et détenus dans les prisons; on accompagne le condamné à l'échafaud, alors même qu'endurci dans le crime, il repousse, à son heure suprême, les consolations de la religion.

Là je vois s'accomplir la mission du prêtre avec un dévouement que j'honore; on n'est arrêté par aucune crainte de responsabilité.

Mais quand il s'agit de donner l'aliment de la parole divine aux enfants des plus honorables familles, qui sont réunis dans les collèges de la commune ou de l'Etat, oh ! alors, si on n'exerce pas une part d'autorité suffisante dans ces établissements placés sous la direction et la surveillance du pouvoir civil, on fait au gouvernement du pays et à l'administration élective de la commune l'injure de s'abstenir, par je ne sais quelle raison de responsabilité dont on ne se préoccupait nullement autrefois.

J'ai cru jusqu'ici que les ministres de la religion n'étaient responsables qu'envers Dieu et leur conscience, la responsabilité purement humaine de l'amour-propre et de l'orgueil devant être au-dessous de leur caractère et de leur dignité.

Je me suis arrêté sur le terrain de l'enseignement privé, précisément parce qu'il est en dehors du projet de loi, et pour mieux vous convaincre qu'il est encore un espace immense dans lequel l'enseignement libre peut se mouvoir.

Quel a été le résultat, pendant ces 20 années, de l'exercice de la liberté de l'enseignement?

Elle compte aujourd'hui 53 établissements, dont 44 sont dirigés par l'autorité religieuse; 5 établissements particuliers et 4 collèges communaux seulement ont pu résister et se soutenir. 3 établissements subventionnés sont soumis aussi à la direction du clergé.

Les faits que je viens de vous exposer sont de nature à faire apprécier la portée générale de la loi que nous discutons. On ne peut pas dire qu'elle (page 1233) va envahir tout le domaine de l’enseignement ; car nous sommes en présence de 47 établissements privés que l'autorité religieuse dirige et continuera de diriger, et de 19 établissements publics subventionnés par l'Etat.

Maintenant, je pose ces trois questions : le projet de loi blesse-l-il la Constitution? Porte-t-il atteinte à la liberté communale? Etablit-il d'une manière convenable, pour l'instruction religieuse, les rapports du pouvoir civil avec le clergé?

Messieurs, tout a été dit sur le texte de la Constitution, par les orateurs qui m'ont précédé. L'honorable M. Delfosse m'a paru avoir résumé sur ce point les arguments les plus décisifs, invoqués dans le débat.

« Mais, dit-on, l'esprit de la Constitution est violé. »

Je trouve l'objection au moins étrange, lorsque, depuis longtemps déjà, les chambres, sans être arrêtées par ce scrupule, ont voté les lois sur l'instruction primaire et sur l'enseignement universitaire. Il est incontestable que le deuxième degré a le même droit que le premier et le troisième, de prendre place dans l'organisation de l'instruction publique.

Pour bien juger l'esprit du principe constitutionnel déposé dans l'article 17, paragraphe 2, il faut se rendre compte des réclamations élevées avant 1830, par les partisans les plus avancés de l'enseignement libre, dans le sein des états généraux, et des discussions du Congrès. A ces deux époques, on a contesté à l'Etat non le droit de diriger l'enseignement public, mais le droit d'enseigner à l'exclusion de tous ; mais le privilège exclusif qui constituait un véritable monopole.

L'honorable M. Lebeau a cité le passage d'un discours prononcé en 1827, par un ancien membre des états généraux qui jouissait, à juste titre, d'une grande autorité. Ce passage exprime fidèlement les principes et les vœux que manifestaient alors et l'opposition catholique et les principaux organes du clergé.

Je sais que l'honorable membre dont on a cité le discours a tout récemment modifié, par des explications, la portée de l'opinion qu'il a émise.

Je l'avoue, je respecte trop le caractère de cet honorable magistrat pour prendre au sérieux, comme homme politique, les explications dans lesquelles il entre aujourd'hui. (Interruption.)

Je serais heureux d'entendre les interruptions que mon observation fait naître.

M. Dumortier. - Il n'est pas là pour se défendre.

M. le président. - Je prie de ne pas interrompre.

M. Le Hon. - J'accepte volontiers les interruptions ; elles ont souvent pour effet de dissiper à l'instant des erreurs d'interprétation.

M. le président. - Votre volonté ne suffit pas; les interruptions sont interdites par le règlement; elles auraient pour résultat de rendre les discussions interminables.

M. Le Hon. - Les réclamations que mon observation a provoquées me suggèrent une autre réflexion : c'est que si je devais croire que cet honorable membre des états généraux fût, en 1827, partisan de la liberté d'enseignement, dans toute l'étendue qu'il lui donne aujourd'hui, et que, par conséquent, il se fût exprimé alors avec réticence, je pourrais être amené, malgré moi, et par la force de ce précédent, à craindre aussi qu'il n'y eût quelque réticence, quant à l'avenir, au fond du langage qu'on tient en ce moment. Voilà pourquoi je dis que je respecte trop le caractère des hommes et la loyauté d'un parti, même quand je les combats, pour croire légèrement qu'ils fassent de semblables réticences.

Je livre l'appréciation de ce que je viens de dire au jugement des hommes impartiaux. (Interruption.)

Je ne vous empêche pas de penser à cet égard autrement que moi.

M. de Theux. - Heureusement.

M. Le Hon. - L'honorable auteur des explications dont je parle disait que si les murs du Congrès pouvaient parler, ils confirmeraient son langage. Je ne sais si ces murs auraient des confidences à répéter. Mais j'ai relu les discours consignés dans le recueil officiel des délibérations du Congrès; et j'ai pu me convaincre que pas un mot n'y a été prononcé qui ait mis sérieusement en doute le droit de l'Etat de faire enseigner concurremment avec les établissements libres.

Veuillez remarquer que les principes posés dans les états généraux, en faveur de la liberté de l'enseignement, ont été la base naturelle des questions résolues par le Congrès en cette matière.

M. Dumortier. - Pas du tout. Vous avez voté contre l'art. 17.

M. Le Hon. - M. Dumortier n'était pas membre du Congrès; j'en faisais partie. Il est dans l'erreur sur mon vote.

J'ai accepté l'article 17; j'ai voté aussi pour la surveillance.

M. Dumortier. - Par conséquent contre la liberté

M. Le Hon. - Je ne comprends pas que ces deux choses s'excluent nécessairement. D'honorables membres ont repoussé la surveillance, non pour elle-même, mais par crainte de l'abus qu'on en pourrait faire. La liberté dont on fait un usage raisonnable et loyal peut ne pas repousser la surveillance, l'appeler même, sans cesser d'avoir tous les caractères de la liberté. (Interruption.)

M. Dumortier m'a parlé comme ancien membre du Congrès, je me suis placé dans cette position, et j'ai dit quel avait été mon vote sur l'article 17.

M. Dumortier. - Et vous avez voté pour la surveillance.

M. Le Hon. - Oui, et si l'honorable baron de Sécus, l'un des membres éminents de l'opposition catholique, était ici, il vous dirait qu'il a fait plus qu'émettre un vote pour la surveillance, qu'il l'a proposée.

Je ne crains pas de rendre compte de mes votes antérieurs. Si je changeais d'opinion sur quelque point, ce serait consciencieusement et avec franchise.

Mais laissons là un témoignage, isolé, toujours incertain quelque honorable qu'en soit l'auteur, quand il ne repose que sur des souvenirs. Fixons le vrai sens de l'article 17, par un document officiel très important, par la lettre de monseigneur l'archevêque de Malines, prince de Méan, adressée au Congrès le 15 décembre 1830, au nom du clergé belge. J'en extrais les passages suivants :

« Au congrès.

« Messieurs, je croirais manquer aux devoirs essentiels de mon ministère si, au moment où vous allez décréter la Constitution, je ne m'adressais à vous pour vous engager à garantir à la religion catholique cette pleine et entière liberté qui seule peut assurer son repos et sa prospérité.

« La Constitution brabançonne, le concordat de 1801, la loi fondamentale des Pays-Bas, l'ont protégée dans les termes; mais que d'entraves le culte catholique n'eût-il pas à essuyer sous les différents gouvernements qui se sont succédé depuis un demi-siècle...

« En vous exposant les besoins et les droits des catholiques, je n'entends demander pour eux aucun privilège.

« Les stipulations qui devraient être insérées dans la Constitution me paraissent pouvoir se réduire aux suivantes :

« 1° L'exercice public du culte catholique ne pourra jamais être empêché ni restreint;

« La condition essentielle et vitale, sans laquelle la liberté du culte catholique ne serait qu'illusoire, c'est qu'il soit parfait, libre et indépendant dans son régime, et particulièrement dans la nomination et l'installation de ses ministres, ainsi que dans la correspondance avec le Saint-Siège.

« 2° La religion a une connexion si intime et si nécessaire avec l'enseignement qu'elle ne saurait être libre si l'enseignement ne l'est aussi.

« 3° Liberté d'association.

« 4° Enfin les traitements ecclésiastiques.

« Telles sont, messieurs, les dispositions qu'il est nécessaire de consigner dans la Constitution belge, pour assurer aux catholiques le libre exercice de leur culte, et les mettre à l'abri des vexations qu'une longue et triste expérience leur fait craindre. »

Permettez-moi de placer en regard de la lettre de M. le prince de Méan, quelques lignes du discours prononcé par l'honorable M. Dedecker :

« Quelle est la portée du principe constitutionnel de la séparation de l'Eglise et de l'Etat?

« Il y a deux sociétés, la société religieuse et la société civile.

« Chacune de ces sociétés a son origine et son organisation distinctes.

« Chacune aussi, dans le domaine qui lui est propre, est indépendante de l'autre.

« Comme il n'y pas de société sans pouvoir, ces deux sociétés sont représentées par deux puissances distinctes et indépendantes en tout ce qui concerne directement le but et l'existence de ces sociétés.

« Il y a donc deux pouvoirs, séparés ou plutôt distincts.

« S'ils sont indépendants, ils doivent rester unis pour atteindre ensemble leur but commun, le bien-être moral et matériel de la société.

« Les matières mixtes doivent être réglées par des négociations qui aboutissent à des concordats, quand il s'agit de l'ensemble des rapports de l'Eglise avec l'Etat, ou à des conventions particulières, quand il s'agit de tel ou tel rapport spécial. (…)

« L'Etat ne compromet pas sa dignité, ne sacrifie pas ses prérogatives en traitant de puissance à puissance. »

Messieurs, j'avoue franchement que le langage de l'honorable membre, conçu avec tout l'esprit qu'il sait y mettre, m'a paru étrange, rapproché de la lettre de Mgr de Méan ; il me semble qu'il y a, entre ces deux documents, la distance (je n'accuse personne), la distance que je faisais remarquer tout à l'heure entre des opinions émises en 1827 et en 1850.

M. Dedecker. - Suspectez-vous mes intentions?

M. Le Hon. - Du tout.

M. Dedecker. - Exprimez-vous franchement.

M. Le Hon. - Je n'ai fait aucune allusion aux intentions.

Comme je tiens à écarter de mon discours tout ce qui est loin de ma pensée, j'ai commencé par dire que je ne voulais accuser les intentions ni les desseins de personne; mais en rapprochant deux documents séparés par vingt ans d'intervalle, j'ai voulu caractériser, à l'aide d'une comparaison, la différence que présentait à mon esprit le langage de l'honorable M. Dedecker en 1850, et celui de Mgr. l'archevêque de Malines, en 1830.

Messieurs, dans la lettre de l'archevêque, il y a liberté, système défensif contre les entraves et l'oppression; le discours de l'honorable M. Dedecker suppose dans l'Etat deux sociétés distinctes, deux puissances indépendantes...

M. Dedecker. - Certainement, et cela est très-constitutionnel.

M. Le Hon. - Je pourrais vous défier de trouver dans la Constitution que la Belgique forme deux sociétés. (Interruption.) «. Le principal mandat du Congrès, disait Mgr. de Méan, est de consolider la liberté à (page 1234) laquelle vos concitoyens attachent le plus de prix: celle de pouvoir pratiquer librement la religion de leurs ancêtres. » Quant à la société civile, qui doit, je le reconnais, avoir pour base la religion, cette société, dit l'honorable M. Dedecker, a essentiellement besoin de l'instruction religieuse que le clergé seul peut lui donner, et pour laquelle il lui est libre de stipuler les conditions qui lui conviennent.

Mais s'il en est ainsi, les deux puissances ne sont plus indépendantes l'une de l'autre; le pouvoir temporel dépend nécessairement du pouvoir spirituel. Cela me semble logique, incontestable.

M. Dedecker. -Vous avez une logique à part.

M. Le Hon. - Le véritable esprit de la Constitution, puisé à ses sources les plus pures, dans les délibérations publiques du Congrès et dans les demandes officielles qui lui furent adressées au nom du clergé, n'est donc pas douteux, quant à la portée de l'article 17. Il comporte l'action directe de l'Etat dans l'instruction publique, il exige seulement la complète liberté de l'enseignement privé. Celte liberté, j'ai prouvé tout à l'heure qu'on en a fait largement usage.

Je pense, au surplus, que l'enseignement public donné aux frais de l'Etat est le seul mobile certain, la seule base régulière de l'instruction du peuple, par cela même que la liberté peut s'abstenir et n'admet point de règle.

La volonté nationale a écrit dans la Constitution la nature, la forme et l'organisation du gouvernement de la Belgique ; les droits, les garanties et les devoirs de tous les citoyens.

La mission du pouvoir est d'imprégner nos mœurs de ces doctrines constitutionnelles; d'en pénétrer les intelligences en les cultivant ; de combattre le dissolvant actif de l'individualisme; de fortifier le principe permanent de l'unité nationale.

Cette mission, il la remplit au moyen d'un système d'instruction publique réglé par la loi, mais fonctionnant en partie sous sa direction, en partie sous sa simple surveillance et tout entier sous le contrôle du pays.

Ma pensée est parfaitement exprimée dans ce peu de mots d'un publiciste :

« Il n'existe pas, dit Corne en parlant de l'éducation publique, de société sans liens nécessaires de l'individu avec l'Etat : la cohésion de tous les intérêts qui forment l'Etat suppose non seulement le rapprochement matériel et territorial de ces intérêts, mais surtout une communauté d'idées, de sentiments, de mœurs qui crée entre tous les citoyens un même besoin d'attachement aux institutions protectrices des droits de tous, une solidarité de vigilance et de dévouement pour les maintenir. »

Ensuite, messieurs, est-ce qu'il n'est pas nécessaire d'élever le niveau de l'enseignement moyen pour former les capacités que demandent les fonctions publiques, la magistrature, les professions libérales, les industries scientifiques? Et, pour imprimer cette impulsion uniforme aux études scientifiques ou professionnelles, est-il une force sociale qui puisse remplacer l'initiative et l'action du pouvoir?

Il y a plus encore : sans l'intervention de l'Etat, la concurrence, qui est la conséquence naturelle de la liberté, ne peut pas exister, et sans elle, pas d'émulation ni de progrès. Supposez, messieurs, que l'Etat s'abstienne. Nous voyons qu'en dix-neuf ans, sur 53 établissements qui existent en Belgique, 44 ont été placés sous la direction de l'autorité religieuse.

Celte situation constitue, dans l'enseignement libre, un quasi-monopole. Si cette autorité reste seule en concurrence avec les efforts des individus ou des communes, l'instruction tout entière, tant publique que privée, tombera en son pouvoir.

Je sais que de bons esprits, des hommes fort éclairés penseront que ce serait peut-être un grand bien. A cet égard, il y a deux besoins également sentis, également impérieux pour le bien-être et la stabilité de la société : l'une, immuable par sa nature, l'instruction morale et religieuse, que je crois volontiers à la base ; l'autre, l'instruction scientifique qui doit suivre la voie du progrès. Permettez-moi de vous prouver par l'expérience du passé, quelle a été l'influence du monopole sur l'enseignement, lorsqu'il a été entre les mains de l'autorité religieuse.

J'emprunte mon exemple au règne de Marie-Thérèse, à l'époque de la suppression des jésuites, et je le trouve dans les rapports officiels qui ont été faits à l'impératrice pour lui rendre compte de l'état antérieur de l'enseignement.

Avant 1773, il existait dans nos provinces 62 collèges appartenant tous aux congrégations religieuses. Le prince de Stahrenberg, ministre plénipotentiaire à Bruxelles, fit avec le concours de l'abbé Nélis et de M. des Roches, tous deux membres de l'Académie et de la Commission royale des études, un des rapports que je viens d'indiquer :

Voici des extraits du travail plus technique de ces derniers :

« A l'époque où la société de Jésus fut abolie dans les Pays-Bas, les études étaient tombées dans une décadence qui différait peu d'une barbarie complète. Les écoles publiques étaient régentées ou par les Jésuites ou par les moines de différents ordres, principalement des Augustins ou par des prêtres séculiers. Les premiers avaient su attirer la vogue, mais l'enseignement était partout également mauvais. Dans les meilleurs collèges, toute l'explication des auteurs latins se réduisait, pendant sept années d'études, à une centaine de vers de Virgile, à quelques lignes de Quinte-Curce, et à cinq ou six des plus courtes épitres de Cicéron. Le reste du temps était employé à la composition de thèmes dans un latin moderne; en poésie, ou s'amusait principalement à faire des chronogrammes. L'éloquence était dégénérée en une servile imitation qui consistait à coudre ensemble des lambeaux de tous les styles et de tous les genres. Tout ce qui peut inspirer le goût et former le jugement était profondément oublié. Les écoles des séculiers ne valaient pas mieux que celles des réguliers. Ce qui les caractérisait c'était la manie d'imaginer des constructions bizarres et difficiles, dont on ne trouve aucune trace dans les bons auteurs. Au reste, dans tous les collèges, on parlait avec assez de facilité un latin singulièrement barbare. »

Le même abbé Nélis, dans un mémoire officiel, s'exprimait encore ainsi :

« La plupart des collèges, soit qu'ils se fussent insensiblement écartés de leur première institution, soit qu'ils n'eussent jamais été établis sur de bons principes, exigeaient une réforme totale. La plupart des auteurs classiques n'y étaient non seulement pas expliqués, mais n'y étaient pas même connus; on n'y avait jamais entendu parler de la langue grecque, ni d'histoire, ni de chronologie, ni de géographie. La grammaire latine y était traitée d'une manière pitoyable, la poésie et la rhétorique tout au plus effleurées; la police et la discipline se trouvaient dans un état à déplorer. Tout se réduisait à apprendre aux écoliers un peu de latin du moyen âge; car, pour celui du siècle d'Auguste, la plupart des maîtres ainsi que leurs disciples ne le connaissaient que comme on sait qu'on parle un langage différent du nôtre à la Chine et au Japon. Et, comme ces connaissances ne demandaient guère cinq ou six années d'études, on avait soin d'accorder annuellement trois mois de vacances, de donner des congés pour la moitié de l'autre partie de l'année, et, par conséquent, de réduire l'année scolastique à quatre ou cinq mois effectifs d'exercice et de classe. »

Vous voyez où peut conduire le monopole de l'enseignement scientifique livré aux mains de l'autorité religieuse.

Loin de moi la pensée d'accuser par ces documents les congrégations qui, à cette époque, étaient seules en possession d'enseigner. A mon sens, l'immutabilité des dogmes et des fondements de la foi qui donne au clergé une aptitude particulière pour l'instruction religieuse dont il est nourri, ne favorise pas les tendances habituelles de l'esprit vers la science progressive et peut contribuer à rendre, sous cette direction, l'enseignement scientifique stationnaire.

M. de Mérode. - Quels grands progrès a-t-on faits?

M. Le Hon. - Il s'en est fait de considérables. On a justement loué la grande pensée de Napoléon qui, par le Concordat de 1801, a relevé en France le culte et ses autels; mais ce qu'on n'a pas dit : c'est qu'en rendant cet hommage à l'empire nécessaire de la religion sur les âmes, il instituait, par un décret du 1er mai 1802, l'université à qui il confiait le soin de la culture intellectuelle de la France. Et on ne peut sans injustice méconnaître que cette grande institution, qui a duré près d'un demi-siècle, n'ait, pour un temps, rendu des services réels à l'enseignement et à la science, malgré les vices de son organisation et de son monopole.

Je crois avoir établi que l'enseignement, sous la direction de l'Etat, est conforme à l'esprit de la Constitution, non moins qu'à son texte, et que la véritable liberté, c'est-à-dire celle qui fait naître la concurrence, l'émulation et le progrès, n'a rien à redouter de l'action simultanée des deux grandes forces sociales, le pouvoir civil et l'autorité religieuse.

Le projet de loi blesse-t-il les libertés communales? En principe, je ne le pense pas. L'article 31 de la Constitution n'attribue à la commune, sans partage, que les intérêts exclusivement communaux, et l'article 108 réserve l'approbation royale pour les cas à déterminer par la loi.

Je m'étonne un peu, je le confesse, de la sollicitude que certaine opinion témoigne pour la liberté communale en fait d'enseignement, après ce qui s'est passé depuis 1837.

Il est impossible de nier que l'instruction publique ne soit essentiellement d'intérêt général.

La loi offre, au point de vue de la commune, une disposition que je regarde comme une heureuse amélioration, c'est le principe qui restreint l'application de la loi à l'externat.

L'externat, en effet, c'est la classe où se donnent les leçons des professeurs, où se cultive l'intelligence; c'est l'instruction. L'internat, c'est le foyer de l'éducation morale et religieuse ; c'est la succursale de la famille, c'est l'éducation.

La nomination des professeurs appartenant à l'Etat, une cause habituelle de conflit sera éteinte entre le clergé et la commune au sujet de l'enseignement religieux.

La commune, de son côté, conservant la direction exclusive du pensionnat, pourra faire au clergé, en cette partie, toutes les concessions propres à établir l'entente commune, sans être arrêtée par la loi de ses attributions.

L'honorable M. Dedecker m'a paru penser que la nomination par l’Etat avait un caractère antinational, c'est-à-dire contraire aux traditions des anciennes libertés de la commune. (Dénégation de la part de M. Dedecker.)

Je l'ai lu dans le rapport de la section centrale.

J'ai vérifié, en étudiant ce point de notre histoire administrative, que, sous le gouvernement de Marie-Thérèse, la règle établie était à peu près conforme au système du projet de loi.

En voici le résumé :

« Dans les collèges dotés par l'Etat, les principaux, sous-principaux, professeurs et autres employés étaient nommés par le gouvernement (page 1235) sur la présentation unique de la commission des études, et sans que le résultat des concours ouverts lui liât en rien les mains à cet égard.

« Dans ceux qui, sans être dotés par l'Etat, en recevaient quelque subside, la nomination des professeurs et principaux ne sortait son effet qu'après qu'ils avaient été agréés par lui. »

Ainsi, messieurs, la liberté communale ne me semble pas compromise : je la trouve même plus protégée, à certains égards, en ce que la commune est affranchie d'une cause irritante de collision avec l'autorité religieuse.

Maintenant, le projet fait-il une part suffisante aux rapports du clergé avec l'Etat? Je vous avouerai que l'article 8 n'est pas fort de mon goût. Le langage législatif ordonne ou défend; il n'a pas coutume d'inviter. Il faut une situation exceptionnelle comme la nôtre, pour que ce langage ne me paraisse pas étrange.

Cependant, je dois dire que nous sommes placés dans l'alternative de l'accepter ou de déclarer l'enseignement religieux obligatoire.

Eh bien, si vous prenez ce dernier parti, moi je ne m'y refuse pas, mais à une condition, c'est que le principe posé aura toutes ses conséquences; le clergé serait invité à donner ou à surveiller l'enseignement religieux; mais, en cas de refus de concours, il y serait pourvu, dans l'établissement même, d'après les livres approuvés, pour cet usage, par les autorités ecclésiastiques compétentes.

Et ce n'est pas une innovation. L'athénée de Tournay a un programme d'études où l'instruction religieuse figure, en tête de chaque cours : les leçons et les ouvrages y sont gradués suivant l'âge des élèves et le rang des classes.

Insérer dans la loi l'obligation de l'enseignement religieux, et mettre le pouvoir dans l'impuissance de la remplir, en cas de refus de concours, ce serait décréter une contradiction, ordonner l'impossible.

C'est l'embarras de cette situation qui permet d'accepter la rédaction de l'article 8.

Voilà les trois points qui m'ont paru culminants dans le projet.

J'adopte les principes et le système de la loi sous la réserve de modifier certaines parties de ses dispositions. Je pense, par exemple, qu'on n'a pas fait à la commune une part suffisante d'intervention, surtout pour la nomination des professeurs. Je prouverai qu'il y a des établissements qui ont dû à l'heureuse initiative des administrations communales de s'être relevés de leur décadence, et d'avoir porté leur enseignement à un niveau très élevé.

Il en sera de même pour la composition du conseil de perfectionnement; je trouve qu'il y a une modification à lui faire subir.

Je me réserve encore d'ajouter une disposition relative à l'école pédagogique.

En terminant, messieurs, je me bornerai à présenter quelques observations à un honorable membre qui a recommandé à votre sérieuse attention l'état encore agité de l'Europe et le calme si paisible que nous avons conservé au milieu de la tourmente générale. Je partage l'avis de l'honorable orateur; oui, faisons respecter, honorer la religion de nos pères; cela est facile à obtenir dans un pays comme le nôtre, où le sentiment religieux a de profondes racines : mais n'oublions pas qu'une des plus puissantes garanties de l'ordre est le respect du domaine et des limites assignés à chaque pouvoir. L'influence de l'enseignement religieux n'a pas manqué, vous le savez, à d'autres nations que le fléau des révolutions a bouleversées. Elle existait à Rome, à Naples, à Turin. Nul n'aurait dit, il y a trois ans, que le métropole du monde catholique serait en proie à une sanglante anarchie, et que le plus saint, le plus vénérable des pontifes serait payé par tant d'ingratitude des bienfaits qu'il avait répandus sur son peuple.

Ce qui sauve les Etats au milieu des grandes crises, c'est, outre le sentiment religieux qui contient l'homme et le guide, une organisation politique qui satisfait à tous les intérêts, à tous les sentiments et à tous les besoins d'une nation.

Nous sommes sortis avec bonheur de la commotion de 1848 ; vous en avez reconnu hautement la cause presque providentielle dans le résultat des élections de 1847. Eh bien, messieurs, nous qui possédons ces institutions à la fois libérales et tutélaires, attachons-nous, par une communauté d'efforts, à maintenir dans les faits cette sorte d'équilibre que la Constitution a placé dans les droits. Le projet de loi me semble destiné, par les principes qui le dominent, à concourir à ce résultat, en matière d'enseignement, et c'est un motif de plus pour donner mon adhésion à l'ensemble de son système.

(page 1240) M. Dechamps. - Messieurs, avant d’entrer dans la discussion, j’ai une explication à donner à la chambre.

Dans la séance de samedi dernier, j’étais absent ainsi que mon honorable ami M. de Theux, quand notre tour de parole est arrivé. Ailleurs on a eu la délicate pensée de supposer que nous avions voulu fuit le débat et surtout le discours de l’honorable ministre des finances.

Mes collègues savent que je sors à peine d’une assez longue indisposition ; je crains même que mes forces ne me trahissent avant la fin de mon discours.

Avant-hier, je m’étais assuré auprès de M. le président, que d’après l’ordre des inscriptions, il était impossible que mon tour de parole vînt dans cette séance. En effet, le premier orateur inscrit était M. Coomans ; puis devait venir M. Le Hon ; je croyais que M. Le Hon serait un peu long ; après venait M. Rodenbach et M. Liefmans. Il était donc impossible que mon tour vînt samedi.

Je ne pouvais pas prévoir que M. Le Hon avait fait rayer son nom.

M. Le Hon. - Je n’avais pas fait rayer mon nom.

M. Dechamps. - Vous avez renoncer à prendre la parole.

M. Le Hon. - M. le ministre des finances venait de répondre aux adversaires du projet précédemment entendus.

M. Dechamps. - Bien, mais vous n’en avez pas moins renoncé à la parole qui devait vous être donnée. Du reste, j’espère prouver que je n’avais aucun motif de fuir le débat.

J’arrive à l’objet en discussion.

Messieurs, j’ai à répondre à plusieurs orateurs, à trois ministres et particulièrement à l’honorable ministre des finances qui, selon moi, a donné à ce débat un tout autre caractère que celui de ses honorables collègues avait paru vouloir lui conserver.

J’examinerai d’abord les principales dispositions de la loi. J’espère établir que c’est toujours, comme lors de la présentation de la loi du jury universitaire, comme quand on présentera la réforme de l’enseignement primaire, dont les principes sont connus, que c’est toujours la liberté qu’on restreint, l’action de l’Etat qu’on exagère, l’influence religieuse sur la société qu’on affaiblit ; j’espère démontrer, armé des textes combinés du projet, que si cette loi est adoptée, nulle part ailleurs, je ne parle pas des pays de liberté comme l’Angleterre, comme les Etats-Unis, nous n’en sommes plus à aller chercher là nos exemples et nos comparaisons, j’espère démontrer que nulle part ailleurs on n’a constitué un enseignement public avec une centralisation aussi forte,

Avec des garanties religieuses aussi faibles,

Avec une influence communale aussi nulle,

Avec des dépenses aussi exagérées.

L’honorable comte Le Hon vient de nier tout cela ; il a traité les adversaires du projet de loi avec une tolérance rare et une urbanité plus rare encore.

Mon honorable ami M. Dedecker disait dans une des dernières séances que les pétitionnaires, il y a 27 ans, on les appelait des infâmes, et qu’aujourd’hui ils étaient devenus des calomniateurs. L’honorable comte Le Hon leur adresse une autre qualification, il les appelle des ignorants ! On s’est adressé, a-t-il dit, à l’ignorance et à la crédulité. La loi est nécessaire, selon lui, pour éclairer cette profonde ignorance. Il a dit de Mgr Parisis, de l’évêque de Langres, de ce grand esprit, qu’il avait été trompé ou qu’il s’était laissé tromper ; sans doute, il n’avait pas su lire la loi qu’il a qualifiée.

M. Le Hon. - Je n’ai pas dit cela.

M. Dechamps. - Je ne croyais pas avoir mal entendu.

- Des membres. - Non ! non !

M. Le Hon. - On l’a trompé !

M. Dechamps. - C’est cela, il n’aura pas su lire la loi.

Nos évêques belges, M. le comte Le Hon a été jusqu’à dire qu’ils avaient fait preuve de vanité et d’orgueil ; ils n’ont invoqué que la responsabilité de la vanité et de l’orgueil !

M. Le Hon. - Je n’ai pas dit cela. (Interruption).

M. Dechamps ; - Comment ! mais je prends toute la chambre à témoin de l’exactitude de ce que je dis.

M. de Gerlache, le président du Congrès, le président de la cour de cassation, cette belle intelligence, ce beau caractère, M. de Gerlache, d’après le préopinant, il ne faut pas le prendre au sérieux. M. de Gerlache a été jusqu’à user de réticence dans la lettre qu’il a publiée ; or, cette réticence serait de l’hypocrisie.

M. Le Hon. - J’ai dit cela ?

M. Dedecker. - Vous avez dit qu’il avait usé de réticence. (Interruption.)

M. Le Hon. - Je demande la parole pour un fait personnel.

M. Dechamps. - Vous avez dit de l’honorable M. de Gerlache : S’il a usé, et vous l’insinuez, s’il a usé de réticence, il y a 27 ans, ne puis-je pas croise qu’il en use aujourd’hui ? ce serait de l’hypocrisie cela.

M. de Liedekerke. - Très bien !

M. Dechamps. - Et nous, les adversaires de la loi, notre opinion est probablement factice, comme celle des pétitionnaires ; nous ne savons probablement pas lire, comme l’évêque de Langres. Nous sommes probablement des ignorants comme les pétitionnaires, à moins que nous ne soyons pas dignes d’être pris au sérieux, comme l’honorable baron de Gerlache.

J’abandonne à l’honorable comte Le Hon ces qualifications odieuses et ce vocabulaire des injures.

La loi est bonne ou mauvaise. Si elle est bonne, le mouvement de l’opinion est factice ; il s’évanouira. Si la loi est mauvaise, le mouvement est réel, et le mal restera. La question est donc de savoir si la loi est bonne, ou si elle est mauvaise.

Eh bien, je vais examiner ce point.

Avant d’entrer dans le détail des principales dispositions du projet, je vais m’attacher d’abord au principe général qui l’a inspiré tout entier.

Quel est ce principe ? Il se résume ainsi.

Au point de vue de l’enseignement lui-même, la mission de l’Etat serait d’être le concurrence et non le protecteur de la liberté. L’enseignement public et l’enseignement privé doivent être constitués dans un état de séparation et de lutte. Le caractère fondamental de l’enseignement public, c’est sa parfaite indépendance laïque à l’égard du clergé, c’est ce qu’on appelle ailleurs la sécularisation.

Au point de vue politique le résultat (je ne veux pas dire le but, quoique des amis du ministère l’aient dit et quoique M. le ministre des finances n’ait donné le droit de le dire), le résultat de la loi, si elle n’est profondément modifiée, sera d’être votée par une majorité libérale, repoussée par une minorité catholique. Elle aura été faite pour vous et contre nous ; elle est destinée à nous tenir bien désunis, en présence des dangers européens qui nous environnent, comme avant février, en France, on avait tenu divisés les éléments du parti de l’ordre, au profit de la révolution.

Ainsi, antagonisme, dans la sphère de l’enseignement, antagonisme dans la sphère politique, voilà les résultats de la loi que nous discutons.

Avant de reprendre ces divers point, il est nécessaire que je fasse ici une observation préalable.

Le ministère jusqu’ici a eu deux langages tout à fait différents, selon qu’il s’adressait à la majorité, à l’opinion qui l’a porté au pouvoir, ou qu’il s’adressait aux adversaires de la loi.

Quand il s’adresse à la majorité, à l’opinion libérale, il exalte son œuvre, il montre toute l’importance du principe qu’il proclame et qu’il veut réaliser.

Il fait, dans l’exposé des motifs, l’histoire de l’enseignement public chez nous depuis 1830.

Il caractérise la première période de cette histoire « par l’abus qui se faisait de la liberté d’enseignement, qui avait surtout profité au clergé. » Il dépeint la seconde période « comme ayant eu pour résultat de laisser les communes désarmées en présence d’un concurrent toujours prêt à absorber leur autorité. » C’est pour venir au secours de ces communes désarmées, ajoute l’exposé des motifs, que le besoin d’une intervention plus efficace du gouvernement est devenu plus évident et c’est pour cela qu’il a fallu changé l’esprit et la marche du gouvernement. »

Vous le voyez, c’est toute une politique de 17 ans, c’’est tout un principe que l’on condamne. C’est une grande œuvre qu’on accomplit !

Et quand nous venons défendre ces principes et cette politique, on s’étonne de la vivacité de nos plaintes ; on s’amoindrit ; on se fait modeste.

On prétend qu’on ne fait que régulariser ce qui existe ; au fond, on ne change rien ; les principes ne sont pas aussi différents qu’ils paraissent être ; les résultats sont à peu près les mêmes que ceux que voulait obtenir l’honorable M. de Theux par son projet de 1846 ! Mais, à coup sûr, pour un tel résultat, il ne fallait pas changer l’esprit et la marche du gouvernement.

Entre ces deux langage que je veux croire sincères l’un et l’autre, quel est, en réalité, le langage vrai ? je vais vous dire toute ma pensée.

La langage de conciliation, qu’ont tenu M. le ministre de l’intérieur et surtout M. le ministre des travaux publics, c’est le langage de leurs intentions, je le crois. Le langage provocateur de l’exposé des motifs, c’est le langage de la loi, qui ne vaut pas les intentions des deux ministres.

Il est vrai que la loi elle-même, on l’a mise en doute, à peu près dans toutes ses dispositions.

Lorsque le projet fut présenté dans les sections, la discussion sur quoi porta-t-elle ? Sur cinq points :

1° Ecoles moyennes, leur nombre et leur régime ;

2° Entraves mis à la fondation, au maintien et au patronage des collèges communaux ;

3° Création des écoles normales, et privilèges qu’on leur attribue.

4° Part d’intervention de la commune dans les établissements public d’instruction ;

5° Enseignement religieux.

Dans les discussions longues et laborieuses des sections, les ministres qui y assistaient, n’ont rien voulu céder ; en section centrale, rien ou presque rien.

Voyons ce qu’est devenue cette ténacité et quelles sont les modifications qu’on nous fait espérer.

Ecoles moyennes : Si la chambre a dit M. le ministre de l’intérieur, pense que 50 c’est trop pour le pays, eh bien qu’on propose d’en réduire le nombre, la loi ne sera pas pour cela entamée dans son principe. M. le (page 1241) ministre des travaux publics a exprimé la même opinion. Peu importe, ajoutait M. Rogier, que vous mettiez ces écoles dans l’enseignement primaire ou dans l’enseignement moyen pourvu que, par son programme, l’école réponde à ce but utile, c’est tout ce que nous voulons.

Intervention de la commune dans les établissements d’instruction publique : Voici ce que dit M. le ministre des travaux publics : « Si, dans le cours de la discussion, il se présentait tel amendement qui aurait pour effet de donner une plus grand extension aux droits de la commune et auquel le gouvernement croirait pouvoir se rallier, je serais heureux de le voir accueillir. »

Privilèges accordés aux écoles normales : Les deux honorables ministres ont dit que le gouvernement était disposé à élargir le cercle des exceptions.

Autorisation pour fonder des collèges non subsidiés : L’honorable M. Rogier a dit : « S’il se produit un amendement ayant pour but d’exempter les communes de la nécessité de cette autorisation, j’espère que le gouvernement reconnaîtra la possibilité de s’y rallier. »

Article 8, enseignement religieux : On a consenti très volontiers à ce que l’enseignement religieux fût compris dans le programme et figurât au frontispice de la loi.

Messieurs, je ne viens pas me plaindre assurément de ces intentions conciliatrices ; je me souviens pourtant de quelle manière, à une autre époque, on qualifiait ces mesures de prudence, ces mesures de conciliation et de gouvernement, quand le ministère se les permettait pour amener l’adhésion d’une majorité à ses projets. Je me souviens comment on qualifiait cette conduite. Pour moi, je ne m’en plains pas ; je désire que ces intentions prennent corps et que la loi s’améliore.

On ne précise rien encore ; on ne formule rien ; on ne promet encore définitivement rien. On entoure les espérances qu’on nous donne de beaucoup de réserve encore ; j’espère que les débats les feront tomber.

Messieurs, je me trouve donc toujours en face du projet de loi avec sa double interprétation officielle, l’exposé des motifs et le rapport de la section centrale.

M. Dequesne, rapporteur. - Le rapport de la section centrale n’a aucun rapport avec le ministère.

M. Dechamps. - Non ; mais je dis que c’est une interprétation officielle de la loi.

Je remercie le ministère de ses intentions, mais je félicite surtout les adversaires de la loi de la persistance, de la fermeté qu’ils ont mises à la défense de leurs principes. Car cette fermeté a exercé et devait exercer sa légitime pression. C’est parce que j’espère contribuer à exercer cette légitime pression que je continue à combattre la loi. J’espère ainsi faire tomber les hésitations qui existent encore et ramener peut-être nos adversaires sur un terrain commun où pourra se faire une conciliation que je reconnais très désirable.

Je reviens donc au projet.

Je disais tout à l’heure que le principe fondamental du projet de loi était celui-ci : que le gouvernement devait être le concurrent au lieu d’être le protecteur de la liberté.

Le besoin d’une intervention plus efficace du gouvernement dans l’enseignement, par quoi est-il motivé, d’après l’exposé des motifs ? Serait-ce que la liberté a été impuissante à rien fonder, à rien produire ? Serait-ce que le nombre des établissements communaux et des établissements privés serait insuffisant ? Serait-ce que, sous le rapport des études et de la discipline, sous le rapport moral et religieux, ces établissements ne présentent que des garanties incomplètes ? Mais c’est le contraire. On demande une intervention de l’Etat plus directe, précisément parce que le nombre des établissements privés est trop grand ; parce que la religion, dans une certaine mesure, a été appelé à les diriger ; parce que les communes surtout ont été ou trop faibles ou trop complices dans la lutte qu’il fallait engager contre le clergé. Voilà pourquoi on veut intervenir.

Le mal auquel il faut parer, l’abus contre lequel il faut armer le pouvoir, c’est donc l’efflorescence même de la liberté ; ce sont les fruits abondants qu’elle a produits ; c’est surtout l’usage que le clergé a fait de la liberté !

Eh bien, messieurs, non, le gouvernement ne doit pas être le concurrent, le rival jaloux de la liberté d’enseignement.

L’honorable M. Van Hoorebeke a rappelé un mot de M. de Broglie dans son rapport de 1844, qui est la condamnation du principe que je combats : Le gouvernement, disait M. de Broglie, ne doit pas enseigner à titre de souverain, il doit enseigner à titre de protecteur.

Le gouvernement doit protéger les lettres, les sciences, les arts, l’instruction, la bienfaisance, la religion, le travail. Il doit veiller à ce qu’il y ait dans chaque village une école, une église, un presbytère, autant que possible un hospice de charité. Il doit veiller à ce que le niveau des études reste élevé, à ce que ces sources de la civilisation, toujours abondantes et ouvertes, soient mises à la portée des populations qui viennent s’y abreuver.

Il doit veiller à tout cela, comme il doit veiller à ce que le pain de l’assistance et le pain du travail ne manquent pas aux classes ouvrières. C’est pour tout cela qu’il est gouvernement.

Vous voyez donc bien que je ne nie pas la compétence de l’Etat d’une manière absolue dans la sphère intellectuelle ; je ne l’ai jamais fait, quoiqu’on l’ait beaucoup répété, que l’honorable rapporteur l’ait soutenu dans son rapport, que M. le ministre des finances l’ait dit de nouveau avant-hier.

J’ai relu encore ce matin mon rapport de 1835. Que disais-je dans ce rapport ? J’indiquais les trois systèmes qui étaient défendus : le premier, celui de l’Etat enseignant ; le second système, celui de l’incompétence absolue de l’Etat en matière d’enseignement.

Eh bien ! la section centrale, je le dis expressément, ne s’est ralliée ni à l’une ni à l’autre de ces doctrines que j’ai exposées, et c’est dans un de ces passages que l’honorable rapporteur a puisé le texte à l’aide duquel il a cru me combattre.

J’ai dit que l’article 17 n’impliquait pas l’obligation absolue d’un enseignement de l’Etat à tous les degrés ; ce qu’a soutenu aussi l’honorable M. de Brouckere ; mais j’ai ajouté que cet article admettait la possibilité d’un tel enseignement. J’ai défendu en d’autres mots l’interprétation admise par M. le ministre des travaux publics lui-même ; pas autre chose.

Je disais tout à l’heure que l’Etat devait veiller à tous ces grands intérêts sociaux dont j’ai parlé. Mais est-ce à-dire que ce pain matériel, ce pain intellectuel, ce pain religieux doive toujours, partout, de préférence être le pain de l’Etat ? Est-ce à dire que l’Etat, pour le fournir, devra faire concurrence à l’action individuelle, aux efforts des associations et des particuliers ? devra-t-il, comme on l’a dit à une autre tribune, créer des ateliers nationaux d’instruction publique, comme on a demandé des ateliers nationaux du travail.

Non ! d’après nous, il doit confier tous ces grands intérêts de la Société à la liberté d’abord, aux forces vives du pays. Il doit stimuler, encourager. Il n’intervient directement lui-même que quand il est utile de le faire, quand l’action individuelle, l’action des associations et de particuliers ne suffit pas ; en un mot il aide la liberté ; jamais il ne doit d’y substituer.

Messieurs, le système du projet de loi peut être, selon moi, clairement défini et je vais tâcher de le faire avec précision.

Voici comment, selon moi, ce projet peut être caractérisé : le gouvernement demande un grand pouvoir pour organiser ; un grand pouvoir pour détruire et un grand pouvoir pour empêcher. Voilà toute la loi.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Nous demandons moins que vous.

M. Dechamps. - Nous allons voir.

Il demande un grand pouvoir pour organiser.

Ce pouvoir d’organisation, quel est-il ? Création de 10 athénées royaux ; création de 50 écoles moyennes, indépendamment des écoles professionnelles agricoles ; école normale avec privilège et monopole ; organisation d’un corps enseignant aboutissant à l’inspectorat et au conseil supérieur de perfectionnement.

Mais, dit-on, ces dix athénées royaux existent ; c’est une transformation, et du reste, cette concession a été faite par l’honorable M. de Theux et ses collègues du ministère de 1846.

Messieurs, permettez-moi ici une explication. Dans le ministère présidé par l’honorable M. Van de Weyer, vous le savez, un dissentiment éclata et amené la dissolution de ce ministère.

Je dois le dire, de grands efforts de conciliation, de part et d’autre, ont été faits pour empêcher ce dissentiment et pour maintenir une situation politique. Eh bien, notre grande concession à nous, c’était la création de dix athénées royaux.

Nous avions admis, comme concession, que nous accorderions plus d’action à l’Etat que ne lui en donnait le projet de 1834. Or, on pouvait donner plus de pouvoir à l’Etat de deux manières : ou bien en confiant à sa direction plus d’athénées royaux, ou bien en lui accordant une plus grande influence dans les établissements communaux.

Entre ces deux systèmes, nous avons choisi le premier ; nous avons concédé dix athénées royaux. Nous ne disions pas, non, comme vous le dire, que c’était là régulariser le statu quo. Comment ! faire passer du régime communal dans les mains de l’Etat les athénées royaux des dix plus grandes villes du royaume, ce n’était pas, à coup sûr, régulariser le statu quoi ; nous le changions fondamentalement comme vous le changez fondamentalement. Mais au-delà de cette grande concession que nous faisions, en dehors des dix athénées royaux, nous n’en faisions aucune autre ; et ici, messieurs, est la grande différence entre des projets qu’on a comparés et que M. le ministre de l’intérieur a oublié de signaler.

D’après le projet de l’honorable M. de Theux, pour les collègues communaux il y avait, pour les communes, libre administration, libre direction de ces établissement ; la nomination, la révocation, la fondation, le maintien, le patronage, tout était laissé à la liberté ; et que faites-vous, par votre projet ?

Je vois bien un article où vous dites que les communes ont la libre administration de leurs collèges ; mais la nomination, vous la limitez ; vous la limitez parmi les candidats que le gouvernement, au fond, présente aux communes, c’est-à-dire parmi les élèves sortis de l’école normale de l’Etat. Il y a de très rares exceptions dans le projet ; on en promet d’autres ; nous les apprécierons.

La nomination est donc limitée. La révocation, on l’enlève. Lorsque la commune veut fonder un collège communal, même sans demander une obole au gouvernement, lorsque la commune veut maintenir son collège, lorsque la commune veut patronner un collège privé, c’est-à-dire lui accorder sa bienveillance, un local ou un subside, il lui fait la double autorisation de la province et de l’Etat.

(page 1242) L’enseignement professionnel, dans le projet de M. de Theux, était communal seulement ; il était permis au gouvernement d’accorder des subsides pour les fonder. Des écoles normales, dans le projet de 1846, il n’en existait pas. Un corps enseignant, on ne le constituait pas à l’aide d’un privilège.

Quoi, messieurs, ce sont là deux projets qui se ressemblent, la liberté communale n’est pas plus respectée, plus entière dans le projet de 1846 que dans celui que nous examinons ? mais la différence, c’est que dans le première cette liberté est complète, et dans le second elle est bien près d’être supprimée.

Ici, messieurs, je trouve l’occasion de répondre, part parenthèse, à un passage d’un de mes discours que l’honorable M. Lebeau a cité, je ne comprends pas dans quelle intention. Qu’ai-je dit en 1842 ? j’ai dit que les commune fait partie de l’Etat et que dès lors la loi devait régler l’enseignement communal, comme elle règle l’enseignement de l’Etat. Qu’ai-je dit là, autre chose que ce que je dis aujourd’hui ? Parce que la commune fait partie de l’Etat, est-ce à dire qu’il faille l’absorber, lui enlever toute espèce de liberté ?

M. Lebeau. - Et qu’avez-vous fait pour la commune en ce qui concerne les écoles primaires supérieures ?

M. Dechamps. - Ce n’est pas la question. Messieurs, j’ai rappelé que la concession que nous faisions en 1846 était une grande concession.

En effet, personne n’aurait songé en 1834 à donner au gouvernement la direction de 10 athénées royaux. Le ministère libéral de 1840, à coup sûr, n’y songeait pas. L’honorable M. Lebeau et ses collègues promettaient, au contraire, des concessions sur le projet de 1834, des concessions sous le double rapport des garanties religieuses à augmenter et de l’action du pouvoir civil à diminuer.

En 1846, lorsque nous avons fait cette concession, l’opinion libérale l’avait acceptée comme suffisante. Je me souviens qu’un membre éminent de la majorité actuelle, l’honorablet M. d'Elhoungne, a dit à cette tribune que le projet de 1846, de l’honorable M. de Theux, était un projet libéral, mais qu’il ne voulait pas qu’il fût exécuté catholiquement, c’est-à-dire par nous.

M. d’Elhoungne. - j’ai dit qu’il était un peu libéral, relativement à M. de Theux.

M. Dechamps. - Il ne faut pas me démentir pour ce diminutif.

Je dis, messieurs, que l’opinion libérale, en général, et j’en ai pour preuve les débats dans les sections à cette époque, que l’opinion libérale accueillait les concessions que nous avions faites, comme suffisantes ; mais que faites-vous ? Vous acceptez les concessions que nous avons faites, et vous y ajoutez le système dont nous n’avons pas voulu, et qui prive les communes de leur liberté.

Je dis que cette concession de 10 athénées est grande. En effet, la France, ce pays de l’organisation universitaire, a proportionnellement moitié moins de lycées de plein exercice que vous aurez d’athénées royaux. En France il y a 50 ou 56 lycées de plein exercice, c’est-à-dire un peu plus d’un lycée pour deux départements : ici vous aurez 10 athénées royaux pour 9 provinces !

Sous le gouvernement des Pays-Bas, aux jours du monopole, alors que la liberté n’existait pas et que par conséquent l’action de l’Etat était plus nécessaire puisque la liberté n’avait rien produit, avant 1830 savez-vous combien le gouvernement des Pays-Bas possédait d’athénées royaux dans les provinces qui forment la Belgique actuelle ? Cinq, parmi lesquels trois seulement étaient subventionnés.

Cette concession ne vous a pas suffi. Vous demandez, au-delà des dix athénées royaux, le pouvoir de diriger 50 écoles moyennes. C’est, dites-vous, à peu près ce qui existe. Il existe 22 ou 26 écoles primaires supérieures et 12 écoles industrielles et commerciales fondées sous le couvert du budget : le gouvernement ne demande donc que 12 ou 16 écoles nouvelles à créer.

Mais, messieurs, on ne dit pas tout : pourquoi ne parle-t-on pas des écoles professionnelles agricoles ? Nous verrons, lorsque nous serons arrivés à cet article, pourquoi le gouvernement ne les comprend pas dans le projet actuel.

Mais puisqu’il s’agit d’examiner le pouvoir d’organisation que vous demandez, voyez le programme de ces écoles agricoles ; au point de vue littéraire, c’est à peu près le même programme que celui des écoles moyennes, il n’y a que le côté professionnel qui en diffère ; l’une sera agricole, l’autre industrielle et commerciale ; mais, je le répète, ce sont des écoles moyennes comme les autres ; il faut donc les compter.

Combien y a -t-il de ces écoles ? 12 ou 15. Evidemment si le gouvernement ne veut pas les comprendre dans la loi, c’est qu’il veut en augmenter le nombre, et quand on aura augmenté ce nombre, on viendra vous demander de régulariser ce qui existe.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - C’est ce qui a été annoncé à la chambre.

M. Dechamps. - Ce n’est donc pas 50, mais bien 65 ou 70 écoles moyennes que le gouvernement demander à pouvoir fonder et diriger : c’est-à-dire que l’on demande de doubler le nombre des écoles primaires supérieures et des écoles industrielles qui existent.

Or, que vient-il de se passer à nos portes, en France, à propos de cette question d’enseignement professionnel ? Vous avez pu lire dans le rapport de M. le comte Beugnot, qu’en France on avait fondé, en vertu de la loi de 1833, des écoles primaires supérieures, semblables à celles que nous avons érigées en vertu de la loi du 23 septembre 1842 ; que la commission a demandé la suppression des écoles primaires supérieures, comme constituant un enseignement bizarre, incohérent et mauvais. On les a supprimées, non pour les transférer dans la sphère de l’enseignement secondaire… (Interruption.)

Le rapport dit « que la commission a cru que l’enseignement professionnel devait être un fruit de la liberté, qu’en tout cas il ne pouvait faire l’objet que d’un codification spéciale. »

En France donc, le gouvernement abandonne l’enseignement professionnel à la liberté, sans en rien réserver ; ici, on l’organise, au nom de l’Etat, sur la plus vaste échelle.

Mais que seront chez nous ces écoles moyennes ? Elles seront tout ce qu’on voudra ; on pourra les élever jusque dans la sphère des collèges ; on pourra les abaisser jusque dans la région de l’école primaire ; le gouvernement se réserve le droit d’y adjoindre une section primaire, pour s’emparer des enfants des classes aisées de la société ; il se réserve la faculté, par l’adjonction de cours non déterminés, de faire de ces écoles soit un gymnase de premier degré, soit un collège de second degré, comme en France, c’est-à-dire qu’on se conduira, selon le caprice du gouvernement, et selon les besoins de la concurrence.

Quant aux écoles normales, le gouvernement demande à pouvoir en créer une, ou plutôt deux, auprès de chacune de nos deux universités ; il en fera des écoles-normales-internats. Eh bien, en France, une seule école normale secondaire suffit ; vous en demandez deux. Le rapport de la commission de l’assemblée législative, que j’ai déjà cité, dit qu’on n’a guère à se louer des résultats obtenus par l’école normale de France.

Vous demandez ensuite, pour ces écoles, un privilège, un monopole que l’université de France et la législation prussienne n’ont pas osé établir ; vous demandez ce privilège, dans le but de constituer un corps enseignant, doté, pensionné, bien hiérarchisé, une véritable université enseignante, formée par un recrutement de privilège, se perpétuant elle-même, comme une corporation, et s’appuyant sur l’inspectorat et sur le conseil supérieur.

Voilà votre pouvoir d’organisation, et pour que la chambre puisse apprécier d’un seul coup d’œil quelle est l’étendue de ce pouvoir, je rappellerai que notre budget pour l’instruction secondaire s’élèvera à 550,000 ou à 600,000 francs, d’après les calculs présentés par M. le ministre de l’intérieur.

Quad nous arriverons aux articles, nous examinerons les éléments de ces calculs ; je suis convaincu que le chiffre sera bien plus élevé, mais j’admets 600,000 francs.

Eh bien, savez-vous que est le budget de l’enseignement secondaire pour toute la France, sous le régime du monopole ? 1,500,000 francs. Et veuillez remarquer qu’à côté des dépenses, il y a des recettes. Le gouvernement perçoit les rétributions universitaires qui s’élèvent à un chiffre à peu près égal à celui de la dépense. Votre budget, qui ne devrait s’élever qu’au huitième du budget français, atteindra à peu près la moitié de ce budget.

Sous le gouvernement des Pays-Bas, en 1829, c’est-à-dire sous le régime du monopole, savez-vous quel était le chiffre du budget des Pays-Bas, pour l’enseignement secondaire dans les provinces méridionales, c’est-à-dire dans la Belgique actuelle ? 24,000 à 25,000 florins.

M. Dumortier. - Non, 23,000 florins.

M. Dechamps. - 23,000 florins, me dit l’honorable M. Dumortier ; ce n’est pas 50,000 francs. C’est-à-dire que vous demandez d’élever ce chiffre dix ou douze fois au-dessus de celui du budget des Pays-Bas. Et vous soutiendrez qu’il n’y a là aucune centralisation, qu’on ne fait que régulariser ce qui existe et que vos prétentions sont modérées !

Soyons vrais : c’est une forte action universitaire que vous demandez.

Mais à côté de ce grand pouvoir d’organiser, vous demandez un plus grand pouvoir pour détruire. C’est ici le point capital de la loi.

Vous réclamez, par l’article 6, le pouvoir de supprimer, par ordonnances, les collèges communaux qui pourraient vous gêner dans votre plan d’organisation ; et nous savons que cette menace de suppression pèse surtout sur les collèges à convention ; sur les 22 collèges que protège, selon l’expression de M. Van Hoorebeke, la volonté des communes et que protège la volonté des familles.

Ces 22 collèges florissants, assis sur cette double confiance des familles et des communes, vous demandez le pouvoir de les supprimer.

Le roi Guillaume, en 1825, n’en a supprimé que 5 (interruption), il a supprimé 5 collèges dirigés par le clergé ; et, chose remarquable, parmi ces 5 collèges supprimés par les arrêtés de 1825 et rétablis en 1830, il en est 2 ou 3 qui font partie de ces collèges que les commune sont confiés à la direction du clergé et que vous menacez aujourd’hui.

La plupart de ces collèges ont traversé toute l’époque impériale, toute l’époque du royaume des Pays-Bas jusqu’à la violente réaction de 1825 ; ils ont traversé tout le régime belge jusqu’aujourd’hui ; et c’est vous qui osez vouloir, aujourd’hui, que le gouvernement puisse, comme en 1825, les supprimer par simples ordonnances, sans garanties pour la liberté !

Et cela, vous l’appelez régularisation du statu quo, et vous dites que vous ne révolutionnez pas l’enseignement du pays !

Mais vous oubliez que l’article 17 de la Constitution a été dicté précisément en réaction contre ces arrêtés de 1825 ! On a voulu, au Congrès, ruiner ce régime d’arrêtés arbitraires et empêcher le gouvernement de rien faire, sinon en vertu de la loi ; et vous demandez d’agir de nouveau par ordonnance ; vous demandez à la loi de vous autoriser de faire ce que la Constitution a voulu vous interdire.

L’honorable M. Van Hoorebeke a déclaré que cet article répugnait à tous ses sentiments et que si la chambre l’adoptait, on aurait assis l’enseignement public sur les ruines des établissements privés.

Voilà votre pouvoir d’organiser, voilà votre pouvoir de détruire, voyons quel est le pouvoir d’empêcher que vous réclamez.

La commune, même quand elle ne demande rien au gouvernement, ne pourra pas fonder un collège sans la double autorisation de la province et du gouvernement.

Je vous a rappelé que cette double autorisation était exigée pour maintenir les collèges existants.

On va plus loin : quand une commune, n’ayant pas de ressources suffisantes pour organiser un collège communal, ou bien n’ayant pu empêcher son collège de tomber en décadence, ou bien obéissant au vœu manifeste des familles, adopte un collège, le patronne au lieu d’en établir un ; le projet de loi oppose à cette adoption une double et puissante entrave : l’avis conforme de la députation et l’autorisation royale ; c’est-à-dire que si une députation refuse son autorisation sous la pression de passions politiques, le gouvernement s’interdit la faculté de réparer cette injustice, et si une députation autorisait, le gouvernement se réserve le droit de refuser.

Voyez dans quelle condition vous tombez : par l’article 5, vous admettez le principe de collèges patronnés, vous trouvez légitime qu’une commune accorde un local ou des subsides à un établissement privé pour tenir lieu d’établissement communal ; et par l’article 6, vous demandez quoi ? Le pouvoir de détruire les établissements créés en vertu du principe même que l’article 5 consacre, et, par l’article 32, vous voulez obtenir le double pouvoir pour la province et pour le gouvernement d’empêcher leur existence.

M. le ministre des travaux publics a voulu nous rassurer : « Nous ne voulons pas détruire, dit-il, nous autoriserons, fiez-vous-en à l’impartialité du gouvernement. » C’est toujours la même doctrine, le même langage.

Quand il s’est agi du jury universitaire, on a dit : Accordez-nous la faculté de composer le jury, fiez-vous à notre impartialité dans l’exécution.

Quand il s’agit de la difficulté d’écrire dans la loi les garanties relatives à l’enseignement religieux, on insère une phrase vague et équivoque dans la loi et l’on nous dit : Fiez-vous au gouvernement, il sera prudent et modéré dans l’exécution.

Quand il s’agit de supprimer des établissements adoptés par la commune, nous nous récrions de l’énormité de cette exigence ; on nous répond toujours : Fiez-vous donc à l’impartialité du gouvernement.

Messieurs, quand la liberté n’a plus que des garanties administratives, des garanties toutes personnes, je dis que la liberté n’existe plus…

Mais, généralisons plus encore ; examinons quel sera le système d’enseignement public en Belgique, après l’adoption de la loi que nous discutons, et nous verrons s’il est bien vrai qu’on aura laissé à la liberté de l’air et de l’espace.

Vous avez fait la réforme de l’enseignement supérieur. Je viens de vous dire comment vous avez fait du jury universitaire une commission ministérielle, une chose du gouvernement ; vous n’avez plus laissé aux universités libres que des garanties administratives, personnelles et dès lors arbitraires.

Je reconnais que M. Rogier a fait preuve d’impartialité dans l’exécution, je m’y attendais, je crois aux intentions impartiales de M. Rogier, en fait d’administration. Mais la question n’est pas là ; une liberté qui, comme je le disais tout à l’heure, n’a plus que des garanties variables et éphémères, en vérité, n’existe plus.

A l’assemblée législative française, M. Thiers disait que l’université n’était pas détruite par la nouvelle loi, puisqu’elle conservait le droit de conférer les grades, et que le pouvoir qui avait la collation des grades était le maître de l’enseignement.

Le gouvernement possède le pouvoir de composer les jurys pour le grade d’élève universitaire, et par là il s’est aussi rendu le maître de l’enseignement moyen.

La loi actuelle, j’en ai défini les principes et le caractère ; j’ai fait voir quelle est la puissance qu’elle conférait au gouvernement ; je n’ai pas à y revenir.

La loi de 1842 sur l’instruction primaire ; je conviens qu’elle a donné au gouvernement un assez grand pouvoir, par l’inspectorat et le régime des écoles normales. Mais il est une chose étonnante, c’est qu’on vienne tourner contre nous la concession que nous avons faite dans la transaction de 1842.

Voici ce qui s’est passé en 1842 : l’opinion libérale se rattachait plutôt aux idées françaises, elle demandait qu’on fortifiât l’action du gouvernement dans l’enseignement. L’opinion catholique se rattachait plutôt à l’idée anglaise, au système de libre concurrence ; elle insistait surtout sur les garanties d’une éducation religieuse que la loi devait donner aux familles.

Quelle fut la transaction : l’opinion catholique accorda une assez forte organisation de l’instruction primaire, et l’opinion libérale admit l’intervention officielle du clergé dans les écoles publiques. Nous cédions l’enseignement de l’Etat, on cédait l’enseignement religieux légal. Voilà quel fut ce concordat.

Aujourd’hui, que voulez-vous faire ? Vous gardez soigneusement les concessions que nous avions faites, et vous retirez les vôtres. Voilà la réforme que vous annoncez. C’est-à-dire que la loi de 1842, si on ne renverse ainsi les bases aura été un piège, un piège dans lequel on aura déloyalement jeté une grande opinion. (Interruption.)

Ainsi vous aurez au moins une école primaire de l’Etat dans chaque commune, bien dotée, fondée presque sur la gratuité.

Vous aurez peuplé nos villes, grandes et petites, d’athénées royaux ou de collèges communaux placés sous la haute tutelle de l’Etat.

Vous posséderez un enseignement professionnel qui s’étendra depuis la modeste école d’agriculture, depuis l’école moyenne professionnelle jusqu’à l’enseignement polytechnique des écoles des mines, de génie civil et de l’école militaire.

Au sommet, vous aurez les deux universités de l’Etat, non des universités fractionnées comme les facultés de France, mais des universités complètes comme les universités d’Allemagne.

Vous vous serez réservé l’examen de passage d’un degré d’enseignement à un autre degré, la collation des grades et la nomination des grands jurys.

Cette puissance organisation, vous l’avez encadrée dans un corps enseignant, dans une université enseignante, ayant pour bras l’inspection à tous les degrés, et pour tête le conseil supérieur.

Cet enseignement public, vous l’aurez jusqu’à un certain point sécularisé.

Eh bien, je le demande franchement à tous ceux qui ont u peu étudié les diverses législations sur l’instruction publique : où trouvent -ils rien de pareil, où trouvent-ils un aussi complet casernement de l’enseignement public combiné avec la sécularisation ? Nulle part… (Interruption.)

Je vous interroge ; vous ne me répondez pas.

Mais ce n’est pas tout. Si la Belgique est le pays qui, avec l’Allemagne, aura l’instruction publique la plus fortement organisée, la Belgique est aussi le pays où l’Etat aura le plus de privilèges pour préparer aux professions libérales, aux fonctions publiques. J’appelle l’attention de la chambre sur ce point qui n’a pas encore été apprécié jusqu’ici.

Le gouvernement possède une école militaire qui a le privilège d’être la pépinière des officiers des armes spéciales. Il possède une école du génie civil, qui a le privilège de fournir des conducteurs, des ingénieurs aux corps des ponts et chaussées et à l’administration du chemin de fer. Il possède une école des mines qui a le privilège de fournir des ingénieurs au corps des mines.

Le ministère, en se réservant de former les jurys pour les collation des grades qui ouvrent la carrière des professions libérales, aura évidemment la clef des carrières vers lesquelles chaque année une jeunesse nombreuse se précipite ; seul, le gouvernement pourra les lui ouvrir.

Pour l’enseignement primaire, un privilège aussi absolu n’existe pas. Le gouvernement n’a pas un privilège pour former les instituteurs dans ses écoles normales, puisque les écoles normales privées partagent ce privilège.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - C’est une erreur.

M. Dechamps. - Comment cela ? A moins qu’on ne change la loi. Evidemment, les écoles adoptées, qui se soumettent aux prescriptions de la loi, peuvent présenter des instituteurs aux choix des communes.

Vous demandez aujourd’hui un pouvoir bien plus absolu que pour l’enseignement primaire, vous voulez que les écoles normales de l’Etat servent seules au recrutement du corps professoral, des athénées et des collèges communaux.

Messieurs, je vous le demande, en dehors de toutes ces fonctions publiques et de toutes ces carrières libérales, que restera-t-il ? Quels sont les professions libérales et les emplois auxquels l’enseignement libre pourra préparer ?

Je sais bien qu’on viendra me répondre que les ministères qui se sont succédé ont apporté chacun leur pierre à cet édifice ; je le reconnais, mais il faut reconnaître que le ministère de 1840 et le ministère actuel y ont apporté le plus de matériaux.

Je ne conteste pas la nécessité, pour quelques fonctions spéciales, pour l’armée, par exemple, de conserver un pareil privilège ; mais ces exceptions, il ne faut pas les étendre, les généraliser, sous peine de tuer la liberté d’enseignement.

Je me sens fatigué, l’heure fixée pour la fin de nos séances est arrivée ; je demande à continuer demain ce discours.

M. Le Hon (pour un fait personnel). - L’explication sur un fait personnel doit être immédiate pour dissiper l’erreur ou le malentendu, s’il existe.

L’honorable M. Dechamps a coloré mes paroles et dénaturé ma pensée. Ma pensée, j’ai peut-être le droit de la savoir mieux que personne.

Suivant l’honorable membre, j’aurais accusé Mgr l’évêque de Langres d’erreurs ; MMgrs les évêques de Belgique, d’orgueil ; un honorable magistrat, d’hypocrisie, et les pétitionnaires, d’ignorance.

- Plusieurs membres. - Cela est vrai.

M. Le Hon. - Je dénie aux quelques membres qui m’interrompent le droit de déclarer que cela est vrai. Ce qu’ils peuvent dire, c’est qu’ils ont compris ainsi mes paroles.

M. Coomans. - Nous l’avons tous compris ainsi.

M. Le Hon. - Tous ! Votre unité, à elle seule, ne représente que vous. J’ai la parole pour repousser vos imputations ; ne voulant pas que (page 1244) le doute subsiste sur une question d'offense, vous jugerez, après m'avoir entendu, si vous avez bien ou mal compris.

Voici maintenant ce que j'ai dit : J'ai déploré qu'on ait pu tromper, au dehors, un esprit aussi distingué, aussi éminent que Mgr l'évêque de Langres, et même, après avoir cité un passage de son écrit, j'ai ajouté que c'était sans doute un soldat de la milice cléricale qui, ayant fait feu avant l'ordre, avait propagé l'erreur au-delà de nos frontières.

Je ne me plaignais donc pas de Mgr l'évêque de Langres, dont j'ai les sentiments et la science en très haute estime, mais de ceux qui avaient pu nous calomnier auprès de lui.

Les évêques de Belgique, je les aurais accusés d'orgueil ! Cela n'est pas plus exact. J'ai dit que, selon moi, on ne pouvait pas systématiquement refuser l'instruction religieuse par une simple crainte de responsabilité. J'ai ajouté ce peu de mots :

« J'ai toujours cru que les ministres de la religion n'étaient responsables qu'envers Dieu et leur conscience ; la responsabilité purement humaine de l'amour-propre et de l'orgueil devant être au-dessous de leur caractère et de leur dignité. »

En troisième lieu, j'aurais accusé un honorable magistrat d'hypocrisie! Qui vous a donné le droit de dénaturer ainsi ma pensée ?

M. Dechamps. - Des réticences, c'est de l'hypocrisie.

M. Le Hon. - Libre à vous de définir et qualifier les choses, les noms comme vous l'entendez; mais veuillez ne pas m'attribuer cette confusion de deux sens parfaitement distincts, au moins dans mon esprit.

Quant à l'honorable magistrat dont on a parlé, j'ai siégé avec lui aux états généraux et, quoique d'avis divergents en matière d'enseignement, j'ai pu connaître les vœux réels de l'opinion avancée, dont il était l'un des défenseurs les plus distingués.

J'ai dit que, comme homme politique, je respectais trop le caractère de l'honorable magistrat pour prendre au sérieux l'explication qu'il avait donnée, et je l'ai dit moins encore d'après sa lettre et son discours que d'après mes souvenirs des états généraux, où il n'avait jamais été question, de la part d'aucun autre membre, de contester les droits non exclusifs du gouvernement en matière d'enseignement public. Je proteste, au surplus, contre toute intention d'offense envers un ancien collègue.

Enfin, j'ai accusé les pétitionnaires d'être des ignorants! Je n'ai pas eu cette pensée ; je n'ai pas proféré cette grossière injure : j'ai dit que s'il y avait un grand nombre de citoyens qui trouvassent sérieusement, dans le projet de loi présenté en vertu de la Constitution, un danger pour nos institutions et pour nos libertés, je puiserais dans cette circonstance un argument de plus en faveur d'une organisation étendue et perfectionnée de l'enseignement moyen.

Et puis, généralisant mes réflexions, sans aucune allusion personnelle, j'ai ajouté : Voilà les tristes fruits de la polémique des passions; au-dedans, alarmer l'ignorance ou la crédulité et, au dehors, tromper les meilleurs esprits.

La chambre jugera maintenant si aucune des interprétations que l'on a faites peut se soutenir. Je laisse à M. Dechamps le mérite de les avoir si légèrement imaginées.

M. le président. - La séance est levée.

M. Dechamps. - Je demande la parole.

- De toutes parts. - La séance est levée.

M. Dechamps. - Deux mots seulement ; je ne veux pas prolonger cet incident.

Evidemment l'honorable comte Le Hon a le droit, plus que personne, d'interpréter sa propre pensée. Je ne m'attaque pas à ses intentions. Mais ce que j'affirme, c'est que, lorsqu'il parlait, j'ai tenu note de toutes les expressions que j'ai reproduites, et j'avais cru ne pas me tromper sur le sens que je leur attribuais.

M. Le Hon. - Je viens moi-même de les rapporter.

M. Dechamps. - Vous venez de les rapporter, en les entourant d'explications qui modifiaient le sens qu'elles avaient présentées d'abord à mon esprit.

M. Le Hon. - Respectez les intentions que j'affirme, ou je vous donnerais un démenti. (Interruption.)

M. Dechamps. - Je respecte vos intentions; mais il m'est permis de m'emparer de vos paroles. La chambre jugera si je les ai inexactement interprétées.

- La séance est levée à 5 heures.