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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mercredi 24 avril 1850

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1849-1850)

(Présidence de M. Verhaegen.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 1255) M. Dubus procède à l'appel nominal à midi et quart.

M. de Luesemans donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Dubus présente l'analyse des pétitions adressées à la chambre.

« Plusieurs habitants d'Elverdinghe prient la chambre de rejeter le projet de loi sur l'enseignement moyen ou de le modifier profondément. »

« Même demande de plusieurs habitants de Hoves, Corbeek-Loo, Keerbergen, Everbergh, Attenrode-Wever, Averbode, Bucken, Louvain, Glabbeek, Holsbeek. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi et impression au Moniteur.


« Quelques habitants de l'arrondissement de Charleroy prient la chambre de voter la loi sur l'enseignement moyen, en sauvegardant toutefois les prérogatives de la commune et en maintenant intacts les droits de l'Etat. »

- Même décision.


« Plusieurs habitants de Brusseghem prient la chambre de rejeter le projet de loi sur l'enseignement moyen.

« Même demande de plusieurs habitants de Wardamme, Zonhoven, Baiseux, Vaux-et-Lompret, Pulle, Avelghem, Thimister. »

-Même décision.


M. A. Dumon, retenu chez lui par une indisposition, demande un congé de quelques jours.

- Ce congé est accordé.


M. le président. - M. le ministre de l'intérieur nous adresse la lettre suivante :

« Bruxelles, le 23 avril 1850.

« Monsieur le président,

« En exécution du paragraphe final de l'article 23 de la loi du 23 septembre 1842, le gouvernement aurait dû joindre au projet de budget du département de l'intérieur, pour 1851, un état détaillé des dépenses effectuées en faveur de l'instruction primaire, pendant l'année 1849.

« Mais il est à remarquer, M. le président, que l'on ne peut justifier de l'emploi des fonds affectés à l'instruction primaire qu'après l'approbation des comptes communaux, et qu'aux termes de l'article 142 de la loi du 30 mars 1850, les comptes communaux de 1849 ne seront rendus que vers le mois de juillet prochain. Le gouvernement s'est donc trouvé dans l'impossibilité de satisfaire au vœu de la disposition prérappelée. L'état détaillé des dépenses de 1848 peut seul être soumis à la chambre, et ce document, dont j'ai l'honneur de vous envoyer ci-joint un exemplaire, a été imprimé à la suite du deuxième rapport triennal sur l'instruction primaire, présenté à la législature, le 20 juin 1849.

« Agréez, M. le président, l'assurance de ma haute considération.

« Le ministre de l'intérieur,

« Ch. Rogier. »

- Pris pour notification.

Projet de loi relatif au tarif des voyageurs sur les chemins de fer

Rapport de la section centrale

M. Mercier. - J'ai l'honneur de présenter à la chambre le rapport de la section centrale qui a été chargée de l'examen du projet de loi relatif au tarif des voyageurs sur les chemins de fer.

- Ce rapport sera imprimé, distribué et mis à la suite des objets à l'ordre du jour.

Projet de loi sur l’enseignement moyen

Discussion générale

M. le président. - La parole est continuée à M. de Theux.

M. de Theux. - Le projet que nous discutons, messieurs, repose sur une base fausse, l'obligation supposée de faire concurrence à l’enseignement libre, de réunir dans ce but les forces de l'Etat et des communes. Loin d'opposer un principe contraire à celui de la liberté, le Congrès national n'a pas voulu garantir à l'Etat le droit constitutionnel d'avoir un enseignement public à ses frais. L'objet de la loi doit être, au contraire, d'empêcher le retour des abus qui avaient été pratiqués sous le gouvernement précédent, de mettre un obstacle aux empiétements de la centralisation et de donner aux pères de famille des garanties d'une bonne éducation.

Il y a, messieurs, une nécessité absolue de bien fixer le sens de l'article 17 de la Constitution. En effet, on vient de découvrir en 1850 que cet article prescrit impérieusement au gouvernement de faire, aux frais de l'Etat, une concurrence à l'enseignement libre, de la même manière que, sous le gouvernement des Pays-Bas, on avait découvert en 1825 que la loi fondamentale donnait au gouvernement un droit absolu sur l'enseignement.

La devise du Congrès national fut celle-ci : Liberté en tout et pour tous, excepté pour le gouvernement. Cette devise, messieurs, elle résulte de tous les textes de la Constitution, et elle est particulièrement applicable à l'enseignement.

Mais, vous dit-on, si la Constitution ne fait point au gouvernement l'obligation d'établir une concurrence à l'enseignement libre, tout au moins fait-elle l'obligation d'établir un enseignement aux frais de l'Etat; l'article 17 dit que l'enseignement donné aux frais de l'Etat est réglé par la loi ; donc il doit y avoir un enseignement aux frais de l'Etat. Messieurs, pour arriver à cette conclusion, il faut ajouter quelque chose à l'article 17; il faut dire : L'enseignement qui devra être donné ou qui sera donné aux frais de l'Etat est réglé par la loi; si vous n'ajoutez rien au texte, vous ne pouvez pas lui trouver le sens que vous lui donnez. De la même manière, l'article 50 de la Constitution dit :« Le membre de l'une ou de l'autre chambre nommé à un emploi public salarié, est sujet à réélection. » La rédaction est exactement la même. A-t-on osé soutenir dans les chambres qu’il résultait de ce texte un empêchement à ce qu'on prononçât des incompatibilités entre les fonctions publiques et le mandat législatif? C'est donc vous, messieurs, qui, par la loi de 1848, interprétant l'article 36 de la Constitution, avez aussi interprété l'article 17 comme nous l'interprétons.

Mais, dit M. Delfosse, et c'est la première fois que l'argument a été présenté, j'en fais volontiers l'honneur à l'honorable membre, l'article 17 est relatif aux faits existants ; au moment où il a été porté, il n'était point nécessaire de décréter qu'il y aurait un enseignement de l'Etat ; il y en avait un, le Congrès l'a sanctionné, seulement il a dit qu'il serait réglé par la loi. Je pense que l'argument est bien reproduit. Eh bien, messieurs, je trouve que c'est précisément la condamnation du système que je combats. En effet, quels étaient les faits en 1830? Il existait aux frais de l'Etat un enseignement universitaire; celui-là est réglé par la loi. Mais existait-il aux frais de l'Etat un enseignement moyen? Non, il n'en existait pas.

(page 1256) Il existait, messieurs, un enseignement dirigé par l'Etat, mais aux frais des communes et non point aux frais de l'Etat, la distinction est essentielle,. Je dis donc que si l'on s'en rapportait aux faits existants en 1850, on arriverait par l'argumentation de l’honorable M. Delfosse à cette conclusion, que l'enseignement moyen, n'étant point alors donné aux frais de l'Etat, ne peut point l'être aujourd'hui que l'enseignement supérieur était le seul prévu par l'article 17. Mais nous n'irons pas jusque-là.

La question de l'enseignement a été vivement discutée au sein du Congrès; or, messieurs, nous n'avons trouvé dans aucune de ces discussions, auxquelles d'ailleurs nous avons assisté assidûment ; nous n'avons trouvé, dans aucune de ces discussions, la moindre allusion à l'obligation de créer un enseignement aux frais de l'Etat. N'en doutez pas, si cette prétention eût été mise en avant, elle eût eu des contradicteurs ; le Congrès était trop susceptible, à l'endroit de l'enseignement, pour qu'on puisse supposer qu'une semblable prétention n'eût pas même été discutée.

D'ailleurs, l'article 139 de la Constitution confirme pleinement cette argumentation. Certainement, l’enseignement est une des matières les plus importantes; l'article 139 détermine quelles sont les matières auxquelles il est nécessaire de pourvoir dans un bref délai ; or, l'enseignement n'est pas mentionné dans l'article 139; et peut-on croire que l'enseignement qui avait fait l'objet de débats si vifs et si passionnés dans le pays et au sein du Congrès, s'il avait été obligatoire aux frais de l'Etat, n'eût pas été compris parmi les matières urgentes à régler par la législation? Non, sans doute.

Le texte des articles 17, 36 et 139 de la Constitution est donc un argument en faveur de l'opinion que je soutiens. Les griefs antérieurs, l'opinion des défenseurs des intérêts moraux sous le royaume des Pays-Bas, opinion qui était en majorité dans le sein du Congrès ; la pratique même des chambres depuis 1830, et enfin l'opinion des communes qui, immédiatement après la Constitution, ont ressaisi l'enseignement dont le gouvernement s'était emparé; tout concourt à établir d'une manière péremptoire, que notre opinion est la seule vraie, la seule constitutionnelle.

Si nous avons discuté avec tant de soin la question constitutionnelle, c'est pour prévenir des erreurs fatales qui pourraient avoir, quoique dans une proportion moins grande, les mêmes conséquences qu'avait eues, sous le royaume des Pays-Bas, l'interprétation tardive de la loi fondamentale.

Mais est-ce à dire que nous ne voulons pas d'enseignement moyen aux frais de l'Etat? Non, messieurs, nous n'avons pas changé d'opinion, nous restons d'accord avec tous nos antécédents. Nous avons concouru à la loi de l'enseignement supérieur, à la loi de l'enseignement primaire; nous avons fait partie de la commission de 1834 qui avait admis trois établissements d'enseignement moyen aux frais de l'Etat; nous-même en 1846, nous vous avons présenté un projet plus étendu, Ainsi, il ne s'agit pas ici de nos intentions quant au fait: nous reconnaissons, nous avons toujours reconnu l'utilité de la loi ; je dirai même que si notre désir personnel, eût été suivi, il y a longtemps que la question de l'enseignement moyen serait réglée par la loi.

Mais, messieurs, il a toujours existé dans le sein des chambres une certaine appréhension à aborder cette grande question, elle a existé sous tous les cabinets qui se sont succédé au pouvoir depuis 1830. Si la section centrale du projet de loi de 1834 n'a pas présenté son rapport sur le titre de l'enseignement moyen, la section centrale de 1846, composée en majorité de libéraux, ne s'est pas non plus occupée du projet qu'on avait cependant réclamé avant tant d'empressement.

Messieurs, sous le cabinet actuel, nous voulons encore une loi sur l'enseignement moyen; mais nous voulons une loi qui garantisse l'éducation. Nous ne voulons pas d'une loi qui repose sur une base fausse, celle d'une concurrence non nécessaire à l'enseignement libre.

En ce qui concerne l'éducation, nous pensons que le projet de loi ne donne pas des garanties suffisantes.

Le projet de 1834, auquel nous avons pris part, consacrait deux garanties. L'enseignement de la religion figurait au programme des athénées, il devait être donné par les ministres des cultes.

Le projet de 1846 de l'honorable M. Van de Weyer posait également des principes. L'enseignement de la religion figurait aussi au programme. L'honorable M. Van de Weyer faisait une innovation d'une part et des concessions d'autre part. Ainsi, il proposait, dans son projet, que l'enseignement de la religion pût être donné soit par des laïques, soit par des ministres du culte. Mais à côté de la faculté de faire donner l'enseignement par des laïques, il plaçait de nombreuses garanties : ainsi, par exemple, la direction par le cure de la paroisse; l'inspection par les inspecteurs des écoles primaires ; le droit accordé à ces inspecteurs de faire rapport au directeur et au gouvernement, et aux évêques d'adresser annuellement des réclamations au gouvernement.

Le projet de 1850 est d'un laconisme qui n'est pas compatible avec le système législatif. Il se borne à dire que le clergé sera invité à donner ou à diriger l'enseignement de la religion. Mais il ne s'explique pas sur cette question, qui a été controversée en 1846. et qui est un des principaux objets du dissentiment qui a éclaté entre l'honorable M. Van de Weyer et ses collègues. Il ne s'explique pas sur ce point ; s'il y a défaut de concours des ministres du culte, l'enseignement sera-t-il donné par des laïques, ou sera-t-il suspendu?

Quelques orateurs se sont expliqués sur ce point : ils ont fait sortit la question de la réserve prudente où le ministre l'avait laissée.

Ils ont soutenu qu'à défaut du prêtre renseignement de la religion doit être donné par des laïques, qui ont tout aussi bien qualité pour donner cet enseignement au nom du gouvernement, qu'en définitive le prêtre, quoique la préférence lui soit accordée.

Nous pensons que, pour satisfaire aux prescriptions de l'article 17, puisque nous faisons une loi, nous devons, dans cette loi, consacrer des principes dont l'application sera nécessairement abandonnée au gouvernement; et puisque l'éducation est une partie intégrante et essentielle de l'enseignement, il est nécessaire que, pour l'éducation, il y ait des règles tracées dans la loi.

Messieurs, était-ce au point de vue de l'insuffisance ou de l'imperfection de l'enseignement des lettres et des sciences sous le gouvernement des Pays-Bas, qu'une loi était réclamée? Certainement non. Tout le monde disait que le gouvernement des Pays-Bas était un gouvernement progressif sous le rapport de l'enseignement des lettres et des sciences.. On sait que cet enseignement subit des variations avec le temps ; aussi dans tous les projets, le gouvernement s'est-il réservé la faculté d'apporter au programme toutes les modifications qu'il croira convenable, par suppression, par addition.

L'honorable rapporteur de la section centrale a signalé le fait que, dans les sections, on ne s'est pas occupé du programme, qu'il n'a pas rencontré de contradiction; il en a conclu la reconnaissance de la perfection du programme.

Que résulte-t-il de ce silence? C'est que la chambre s'est reconnue incompétente pour régler le programme des athénées et des collèges. C'est, en effet, un point qui doit être abandonné à l'administration.

Ce en quoi elle est compétente, c'est pour poser quelques règles que le gouvernement aura à suivre pour assurer une bonne éducation.

Mais, nous demande-t-on, la loi peut-elle contenir quelques règles sur ce point? La loi de 1842 sur l'enseignement primaire en contient plusieurs... Je les énumérerai tout à l'heure, puisque M. le ministre dès finances fait une dénégation.

Toutefois, je n'hésite pas à dire que je ne propose pas aujourd'hui, par plus que je n'ai proposé en 1846, d'appliquer intégralement le système de la loi de 1842 à l’enseignement moyen. Chacun comprend qu'il existe' entre les écoles primaires et les athénées des différences importantes dont on doit tenir compte.

Ainsi, par exemple, en ce qui concerne l'enseignement de la religion,, il est évident qu'il peut être donné par l'instituteur sous la direction du curé de la paroisse. Cela ne souffre aucune difficulté, la pratique constante le justifie. Mais dans un athénée, la position change; là l'enseignement religieux doit être donné par les ministres du culte; tout indique cette nécessité, les principes, l'étendue que l'enseignement doit recevoir dans l'athénée. En effet, dans les athénées il ne s'agit pas d'apprendre simplement le catéchisme, de faire apprendre, de mémoire, quelques leçons de l'histoire sainte ; l'enseignement de la religion doit être bien différent dans un athénée. Le premier enseignement est supposé avoir été donné à l'école primaire ou dans la famille. A l'athénée, un jeune homme est arrivé à un âge plus avancé; il est exposé à beaucoup plus de dangers. Il faut donc, pour satisfaire son intelligence, pour satisfaire son cœur, pour le prémunir contre les dangers qu'il court, il lui faut un enseignement plus élevé, il faut nécessairement des développements, des explications; que dirait-on dans un athénée si on voulait se borner à faire apprendre aux jeunes gens des diverses classes, le catéchisme ou quelque autre enseignement primaire de la religion?

Vous ne satisferiez pas l'intelligence des jeunes gens, vous la froisseriez au contraire. Si vous voulez que cet enseignement soit donné avec fruit, et c'est sans doute ce que vous voulez, il faut que le gouvernement tâche d'obtenir, pour donner cet enseignement dans l'athénée, des hommes tout à fait distingués et par le savoir et par le caractère; qui puissent tout à la fois, par la variété de leur enseignement et par la hauteur à laquelle ils l'élèvent, satisfaire l'intelligence du jeune homme, gagner son affection. Alors vous aurez atteint votre but. Mais si vous n'en agissiez pas ainsi, vous ne rempliriez que très imparfaitement le but que vous vous proposez.

Mais cet enseignement développé par diverses explications, peut-il être donné par des laïques? Assurément non. Le laïque n'a pour cela ni l'autorité de la mission, ni la garantie d'orthodoxie.

J'ai établi cette première différence entre l'enseignement religieux donné dans les collèges et l'enseignement religieux donné dans les écoles primaires. Il en est une autre en sens inverse. Au point de vue de l'instruction moyenne, je n'ai jamais vu proposer, et je ne propose pas d'organiser une inspection à triple degré dans les athénées.

Tout ce que je demande, c'est que l'on donne au clergé le moyen de s'assurer que, dans les établissements auxquels il prêtera son concours, il n'y aura pas contradiction entre l'enseignement religieux et l'enseignement laïque; que les professeurs laïques ne viendront pas, dans les cours de littérature, détruire tout ce que le prêtre aura cherché à édifier dans le cours de religion.

De quelle manière ces apaisements doivent-ils être donnés au clergé? C'est ce que j'abandonne au gouvernement. Dans la loi de 1846, il était dit que le gouvernement se concerterait avec le clergé. Je n'en exige pas davantage aujourd'hui. Mais tout le monde conviendra que le clergé ne pourrait pas prêter son concours avec confiance, avec dignité, avec sécurité pour les familles, s'il restait dans l'impuissance de connaître la situation des collèges.

M. le ministre de l'intérieur me fait un signe d'assentiment; nous sommes donc d'accord sur les faits.

(page 1257) On nous a reproché, messieurs, d'avoir proposé, en 1840, qu'à défaut du concours du clergé, l’enseignement de la religion serait suspendu dans les athénées. On a cru que s'il n'y avait pas intention de nuire aux établissements de l'Etat, de les discréditer en cas de suspension de l'enseignement religieux, telle au moins serait la conséquence.

C'est là encore une erreur. En effet, il existe aujourd'hui plusieurs athénées où il n'y a pas de concours du clergé. Cet état de choses existait en 1846. En proposant la suspension, nous n'avons pas eu en vue, nous étions même certain du contraire, de faire déserter les établissements publics.

Quelle était donc notre pensée? C'était simplement une protestation contre le principe déposé par l'honorable M. Van de Weyer, une protestation contre l'enseignement laïque facultatif. Messieurs, en protestant dans le projet de 1846, nous restions d'accord avec le principe qui avait été admis à l'unanimité, sans aucune opposition, dans le projet de 1834. A la vérité, la suspension de l'enseignement religieux n'y était pas prévue; mais elle était la conséquence de deux dispositions contenues dans ce projet : l'enseignement de la religion, cet enseignement donné par les ministres du culte.

Il est évident qu'à défaut du concours des ministres du culte, l'enseignement religieux ne pouvait être transféré aux laïques. C'eût donc été une suspension de fait.

Cette suspension de fait, je crois que l'honorable M. Orts la veut aussi ; il ne veut pas de l'enseignement religieux par les laïques. Mais, dit-il, nous ne voulons pas une déclaration solennelle, avec fracas, humiliante pour les établissements.

Messieurs, serait-ce moi qui aurais conçu un tel procédé? Mais tous nos antécédents protestent contre une pareille supposition. Il ne s'agit pas d'une déclaration, il ne s'agit pas de fracas. Il s'agit simplement de dire ce qui serait, tel événement arrivant. Il n'y avait pas de prêtre momentanément, pour une cause quelconque; il ne s'agissait pas de publier quels étaient les motifs du défaut de concours ; seulement puisqu'il n'y avait pas de prêtre, il n'y avait pas d'enseignement religieux.

Voilà tout le sens des propositions que nous avions faites; et quoi qu'on fasse, si l'on ne veut pas exposer les établissements à une décadence immédiate et complète, on devra en agir ainsi. Car, puisqu'on parle de discrédit, je dirai que si quelques familles peuvent suppléer à l'absence de l'enseignement religieux dans l'athénée, elles ne peuvent pas corriger, détruire les inconvénients d'un enseignement laïque.

Ainsi, messieurs, je ne pense pas qu'un père de famille, tant soit peu soigneux de l'éducation religieuse de ses enfants, consentît à les laisser fréquenter un établissement où l'enseignement de la religion serait donné par des laïques, non pas seulement en l'absence de la direction du clergé, mais en opposition avec le clergé.

Du reste, messieurs, ce que nous disions bien franchement, bien ouvertement pour expliquer aux deux opinions quelle était notre manière de voir, cela résulte implicitement aussi de la disposition du projet, Car si le gouvernement est obligé à inviter les ministres des cultes et si les ministres des cultes refusent l'invitation, on doit supposer qu'ils ont des motifs graves, et alors si discrédit il doit y avoir, discrédit il y aura par le projet du gouvernement comme par les projets antérieurs.

Je pense donc avoir mis complètement de côté ce fantôme qu'on avait cru apercevoir dans le projet de 1846. C'était de la franchise pour l'une et pour l'autre opinion, et rien de plus.

La grande objection que l'on fait à insérer dans la loi comme obligatoire l'enseignement religieux par les ministres du culte, c'est que, la Constitution ayant déclaré les cultes libres, la loi ne peut prescrire aux ministres des cultes de donner leur concours. Cette objection a frappé beaucoup d'esprits. Cependant, qu'il me soit permis de le dire en toute sincérité, je n'ai jamais pu comprendre que des hommes sérieux s'y arrêtassent un instant.

Dans aucun projet, personne n'a eu l'intention de rien prescrire aux ministres du culte, parce que la Constitution s'y oppose. Mais est-ce donc aux ministres du culte que la loi prescrit? En aucune manière. Le projet de 1834, le projet de 1846 prescrivaient à qui? Au ministre, sur lequel sans doute la loi a action, a autorité, à qui elle peut tracer des règles. La conséquence de cette prescription était d'obliger les ministres à faire ce qui serait en leur pouvoir pour assurer l'enseignement religieux. Ce langage a-t-il quelque chose d'extraordinaire? Mais non, messieurs ; lorsque nous disons qu'il y aura dans un établissement autant de professeurs, que telles matières seront enseignées, prescrivons-nous à qui que ce soit d'accepter les fonctions de professeur, d'enseigner telle ou telle science? Mais non, nous prescrivons aux ministres de faire ce qui dépend d'eux pour avoir des professeurs qui réunissent les conditions requises et qui remplissent leurs devoirs.

Mais, dira-t-on, les emplois publics sont assez recherchés pour qu'on soit assuré du concours des hommes savants et lettrés, pour être assuré que les emplois seront acceptés, que le ministre pourra faire exécuter la loi. Messieurs, ceci ne répond point à mes observations, mais je puis les corroborer par d'autres faits. Ainsi, par exemple, la loi statue que chaque commune aura un bourgmestre nommé par le Roi. Cette disposition de la loi, dépend-il toujours du ministre de l'exécuter? Mais non, messieurs, nous avons vu bien des fois des communes rester sans bourgmestre malgré les efforts du ministre pour leur en assurer un. Et quel serait le moyen coercitif pour obliger quelqu'un à accepter les fonctions de bourgmestre dans une commune? Très récemment il a été porté une loi qui va plus loin. En organisant la cour militaire, on a statué qu'il y aurait un conseiller de la Cour d'appel ; mais est-ce en vertu de la Constitution qu'on pouvait prescrire à la cour d'appel de déléguer un de ses membres pour faire partie de la cour militaire? Qu'avez-vous fait par cette loi? Vous avez prescrit au ministre d'inviter la cour d'appel à déléguer un de ses membres; et si elle refusait, la loi resterait sans sanction ; vous n'auriez pas le droit de choisir d'office, vous n'auriez pas le droit de contraindre la cour. (Interruption.) Cela n'arrivera pas. Soit. Mais mon raisonnement n'en subsiste pas moins.

Je dis donc, messieurs, que la loi peut prescrire aux ministres, leur tracer des règles en ce qui concerne l'intervention des ministres du culte pour donner l'enseignement religieux, bien que, du reste, le clergé soit libre d'accepter l'intervention ou de la refuser.

Il me reste, messieurs, à répondre à une objection, en ce qui concerne l'intervention légale des ministres du culte. On dit : Nous la voulons bien par voie administrative, mais nous ne la voulons pas à titre d'autorité. Nous ne la voulons pas à titre d'autorité. Il est nécessaire de s'expliquer sur ce mot.

Pense-t-on que nous reconnaissions au clergé un droit d'intervenir dans les établissements publics, alors que la loi ni le gouvernement ne l'y aurait appelé? Mais non; personne de nous n'a soutenu cette opinion. Nous soutenons que, pour que le clergé entre dans les établissements, il faut qu'il y soit appelé ou par le gouvernement ou par la loi; mais si le gouvernement peut l'y appeler, le législateur ne peut-il pas l'y appeler? De quel droit refuseriez-vous au législateur ce que vous accorderiez au gouvernement? (Interruption.) La loi, messieurs, peut conférer des droits et quelquefois elle le doit.

L'indépendance civile serait-elle compromise, parce que quelques prescriptions seraient faites au gouvernement par la loi?

Assurément non, l'autorité civile reste toujours chargée de l'exécution de la loi. Ainsi, en cas de désaccord entre le bourgmestre et le curé de la paroisse, le curé ne s'introduit pas d'autorité dans l'école. Il doit s'en retirer, il ne peut y revenir que lorsque le ministre aura rappelé le bourgmestre à son devoir, et si c'est le ministre qui refuse l'entrée de l'établissement au clergé, le clergé peut-il, de son autorité, y pénétrer ? Il ne lui reste d'autre ressource que des réclamations adressées aux chambres vis-à-vis desquelles les ministres sont responsables. Il y a donc, messieurs, indépendance complète du pouvoir civil dans tous les cas et à tous les degrés, du bourgmestre au ministre, du ministre aux chambres.

Nous avons discuté l'intervention du clergé au point de vue de l'enseignement moyen, nous avons fait voir que la disposition vague de l'article 8 ne répond pas à la pensée de l'article 17, mais voyons ce qui arriverait si ce système était appliqué à l'enseignement primaire. Voudriez-vous, messieurs, pour cette loi, si essentielle, laisser tout à l'arbitraire du ministre? Y aurait-il ou n'y aurait-il pas inspection à un, deux ou trois degrés?

L'instituteur sera-t-il libre du choix des livres relativement à l'enseignement de la religion et de la morale? Les conférences seront-elles facultatives? Mais cet arbitraire, vous le comprendrez à l'instant, serait réellement effrayant, serait complètement inadmissible. Comment ! messieurs, vous abandonneriez à l'arbitraire de l'administration ce que vous devez considérer comme fondamental pour les intérêts moraux du pays, alors que vous n'accorderiez pas à l'administration la moindre autorité dans les affaires matérielles, que là vous voulez tout définir de la manière la plus détaillée; et pour un intérêt si haut, si élevé, qui résume en lui tout l'avenir de notre société, vous abandonneriez le tout à l'arbitraire du gouvernement? Non, messieurs, vous ne le ferez pas.

Mais, a-t-on dit, si les ministres négligeaient les garanties religieuses, ils seraient responsables devant les chambres.

Messieurs, n'exposez pas notre paisible et catholique Belgique à arriver à une situation semblable à celle où la France, autrefois si catholique, est arrivée; n'attendez pas que le mal soit arrivé à un haut degré, pour chercher plus tard à y porter remède par des moyens violents.

Messieurs, nous croyons avoir épuisé la question de l'intervention du clergé à titre d'autorité, la question des garanties légales; nous croyons avoir prouvé que tout nous convie et nous oblige à établir dans la loi les garanties qui sont en notre pouvoir.

Une seule objection que je n'ai pas encore rencontrée me revient à la mémoire; elle consiste à dire que « du moment que vous écrivez dans la loi que l'enseignement de la religion est obligatoire, qu'il est donné par les ministres du culte ou sous leur direction, vous exagérez les prétentions du clergé. »

Mais non, messieurs, c'est précisément le contraire. Lorsqu'il n'y a dans la loi aucune garantie de stabilité, alors on doit prendre en dehors de la loi des garanties d'autant plus fortes. Car enfin une grande institution comme celle du clergé ne peut s'engager à la légère dans une position dont elle serait bientôt obligée de se retirer, à son grand détriment, en se mettant en hostilité avec le gouvernement et avec une partie de l'opinion publique. Une institution aussi importante que le clergé, qui doit sauvegarder sa dignité, ne se hasarde pas à la légère, et elle a raison ; c'est un devoir pour elle ; c'est un bien pour la société qu'il en soit ainsi.

Qu'arrive-t-il, lorsqu'il n'y a pas de règles tracées dans la loi? Les gouvernements, qui aujourd'hui malheureusement sont en général déjà trop faibles, sont incessamment tiraillés par deux opinions contraires; tantôt ils sont accusés de faire trop, et tantôt, de faire trop peu.

Pense-t-on que le gouvernement gagne quelque chose à de pareils tiraillements ? Pense-t-on que ces discussions si fréquentes sur les (page 1258) établissements de l’enseignement public profitent à cet enseignement? Pense-t-on que des discussions si fréquentes sur l'action du clergé dans l'instruction publique, sur son concours ou trop faible ou exagéré, tournent à la considération du clergé?

Je dis donc que tous les grands intérêts que nous avons à prendre en considération se réunissent pour nous engager à faire dans la loi tout ce qu'il est en notre pouvoir de faire.

J'ai maintenant complètement épuisé la question de l'intervention du clergé dans l'instruction, je n'y reviendrai pas.

J'aborde le second point que j'ai indiqué hier, et je dis : Le projet organise contre l'enseignement libre une concurrence contraire à l'esprit de la Constitution; il lui oppose toutes les forces de l'Etat et de la commune.

Mais, dit-on, cette organisation si forte, elle est nécessaire; le clergé a le monopole de l'enseignement.

Je le nie : ce n'est pas d'aujourd'hui que cette thèse est défendue dans les assemblées délibérantes. Depuis 50 ans, dans tous les pays, les gouvernements ont soutenu et pratiqué cette thèse. En est-il résulté de grands avantages pour ces pays? J'en attends la démonstration.

Mais ce que je ne crains pas de dire, c'est cette théorie à laquelle le Congrès national a opposé une barrière infranchissable par l'article 17 de la Constitution.

Depuis 20 ans nous sommes en possession de la liberté la plus complète; le clergé a-t-il, de fait, créé un monopole?

Non, messieurs, et s'il l'avait fait, il n'aurait fait qu'user d'un droit constitutionnel ; il n'aurait fait que répondre à la confiance des pères de famille; dès lors, ce fait même, c'est la condamnation du système que nous combattons ; car pour qui l'enseignement est-il créé? Il est créé dans l'intérêt des pères de famille ; il est créé dans l'intérêt de la collation aux emplois publics. Or les archives des départements ministériels font foi qu'il n'y a pas pénurie de candidats pour les emplois publics ; il n'y a pas de pénurie aujourd'hui et il n'y en aura pas dans l'avenir.

L'Etat n'a-t-il pas déjà fait, pour ainsi dire, tout ce qu'il était en son pouvoir de faire ? N'a-t-il pas organisé des enseignements spéciaux de toute nature et à tous les degrés? Il a créé l’enseignement universitaire, l'école militaire, l'école des ponts et chaussées, l'école des mines, l'école des arts et manufactures; l'école centrale de commerce est subsidiée; on a fondé des écoles de navigation, l'école vétérinaire; des subsides sont accordés à une foule d'établissements industriels et professionnels, d'arts et métiers; des subventions sont allouées aux académies de toutes nos villes; et pour l'enseignement moyen même, mais pour l'enseignement moyen depuis 1830, la dépense est plus considérable qu'elle n'était sous le gouvernement des Pays-Bas. Sur quoi donc fondait-on la nécessité de ce vaste projet qu'on est venu présenter?

On a énuméré les établissements du clergé ; mais on a omis de dire que dans cette énumération sont compris les écoles professionnelles , les séminaires ; on a omis de dire que dans cette énumération figurent un grand nombre d'établissements laïques auxquels le clergé prête son concours; on a omis de dire que plusieurs sont situés dans des localités de peu d'importance, qu'ils ne peuvent être comparés aux grands établissements publics, pour l'importance du siège, le nombre des élèves, le rôle que les élèves sont appelés à jouer un jour dans le pays. Voilà de grandes considérations qu'on a constamment perdues de vue en se bornant à citer des chiffres. Mais si, usant des droits qu'il réclame par l'article 6, le gouvernement venait à annuler les conventions faites entre quelques communes et le clergé, M. le ministre de l'intérieur et M. le ministre des travaux publics pourraient-ils dire encore avec vérité, que conformément à notre système constitutionnel et à leur opinion personnelle, la plus grande part dans l'enseignement est laissée à la liberté, que l'Etat n'a réclamé que la deuxième part? Non, cette assertion serait dénuée de vérité; la plus grande part serait passée à l'enseignement public officiel, la plus petite qu'on n'aurait pu enlever de par la loi, la Constitution s'y opposant, ferait restée à l'enseignement libre.

S'il y a une lacune dans l'enseignement public, je vais la signaler; c'est au point de vue de l'enseignement religieux.

L'enseignement libre lutte contre les budgets des communes et de l'Etat; il n'obtient que bien peu de subsides, l'enseignement public coûte beaucoup et cependant il présente une grande lacune, celle de l'enseignement religieux. Le gouvernement la comblera-t-il? Je regrette sa réserve dans les termes de l'article 8 de la loi. Mais on nous dira : Ses intentions sont bonnes, il les a proclamées telles. Nous acceptons cette déclaration. Mais d'abord les ministres ne sont pas perpétuels; en second lieu le gouvernement ne doit pas perdre de vue les difficultés de la tâche qu'il veut entreprendre. Il veut donner des garanties d'instruction religieuse dans les établissements publics, mais il ignore les obstacles contre desquels il aura à lutter.

D'abord la multiplicité de ses occupations, l'impossibilité de donner aux établissements d'instruction tous les soins, toute l'attention qu'ils réclament, les lenteurs de l'administration, les tiraillements qui se manifestent trop fréquemment dans son sein, la crainte, le danger de se faire des ennemis, crainte qui saisit tous les esprits prudents à quelque degré que ce soit de la hiérarchie administrative; tel homme qu'un fonctionnaire aura cherché à faire punir aujourd'hui fera prononcer demain sa destitution.

C'est avec de tels éléments que vous prétendez que vous pouvez remplacer complètement, ou du moins offrir des sécurités égales à celles des établissements dirigés par le clergé ou pour lesquels il a fait des conventions avec certaines communs? Non, quoi que vous fassiez, quelles que soient vos intentions, fussé-je chargé d'exécuter la loi, ni vous ni moi ne pourrions parvenir à ce résultat.

Mais au moins y aurait-il des avantages au point de vue littéraire ? Non, messieurs.il est un fait constant, c'est que dans les établissements qui se trouvent dans des conditions égales, dont l'un a une forte et bonne direction, dont l'autre est abandonné aux tiraillements divers, manque d'une forte discipline, d'une bonne instruction religieuse, il y aura aussi inégalité de progrès dans l'étude des lettres et des sciences.

Je le demande, n'y a-t-il pas dans le monde assez de causes de démoralisation pour le jeune homme, pour que vous ne lui refusiez pas la garantie de la direction d'une bonne éducation première? Ne craignez pas les garanties que vous pourrez donner à la jeunesse, quelque fortes qu'elles soient, jamais elles ne dépasseront le but, souvent elles resteront en deçà.

Les communes, dit-on, ont dû subir les exigences du clergé dans les contrats qu'elles ont passés, les conventions qu'elles ont faites; les ressources leur manquaient pour soutenir leurs établissements d'enseignement. A-t-on refusé des subsides aux communes qui ont démontré la nécessité d'en obtenir? Dans votre loi, ne vous réservez-vous pas la faculté d'accorder des subsides aux communes qui en demanderont? Le clergé ne s'est pas imposé aux communes, les communes ont traité librement avec lui, beaucoup n'ont pas traité avec lui, c'est la meilleure preuve de la liberté.

L'Etat, messieurs, pour être impartial, ne devrait pas refuser les subsides à un établissement patronné quand les conditions d'éducation et d'instruction sont satisfaisantes. Le projet de 1846 consacrait cette faculté.

Il nous reste à traiter la question des pédagogies; et, nous le dirons sans détour, c'est un monopole, un privilège qui n'est point compatible avec la Constitution.

Des cours de pédagogie furent créés par le gouvernement des Pays-Bas, en 1827, près des universités. Mais le gouvernement des Pays-Bas n'allait pas aussi loin que le gouvernement actuel ; il ne consacrait pas de privilèges en faveur des jeunes qui avaient suivi ces cours de pédagogie. Loin de là, l'arrêté de juin 1830 proclama, pour le professorat comme pour toutes les autres professions, la libre admissibilité, et cependant, à cette époque, il existait un grand nombre de jeunes gens qui, par suite de l'arrêté de 1825, avaient fait leurs études à l'étranger.

A cette époque il n'existait point d'universités libres.

Aux termes de l'arrêté de 1830, le gouvernement pouvait choisir les professeurs parmi les jeunes gens qui avaient fait leurs études, soit dans des collèges, soit chez de simples maitres particuliers, soit même à l'étranger.

Je dis donc que le projet de loi, au point de vue du monopole des fonctions de professeur, va beaucoup plus loin que n'a été le gouvernement hollandais.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - C'est emprunté à la loi sur l'instruction primaire.

M. Moncheur. - Ce n'est pas exact.

M. de Theux. - Je réponds à l'objection. Que porte la loi de 1842? que pour être nommé librement comme instituteur, il faut avoir fréquenté une école normale soit du gouvernement, soit libre ayant accepté le régime de l'inspection. Or tout établissement qui voulait se soumettre à ce régime était admis à fournir des instituteurs. De plus, le gouvernement pouvait encore autoriser à nommer instituteur tout individu qui n'avait pas passé par les écoles normales.

Mais on me dira: Tout au moins y avait-il, en règle générale, obligation de passer par une école normale quelconque soit de l'Etat, soit libre? Oui. Mais vous n'avez pas admis que des établissements libres pussent fournir des professeurs à l'enseignement moyen. Cependant il existe un établissement libre (l'université de Louvain) qui le premier a institué des cours de pédagogie pour la formation des professeurs. Je le demande , cette université, au point de vue de la morale , au point de vue des sciences, n'offre-t-elle pas des garanties sérieuses? Cependant vous l'excluez.

Il y a plus : vous accordez des subsides aux écoles normales primaires. Vous présidez à la délivrance des diplômes. Que faites-vous? Nonobstant, vous créez un privilège pour les deux écoles normales primaires de l'Etat; et vous excluez de la concurrence pour les écoles moyennes les instituteurs formés dans les établissements que vous subsidiez, que vous patronnez, et qui ont reçu leurs gardes au nom du gouvernement qui a présidé aux examens.

Peut-on expliquer de semblables dispositions?

Pour l'enseignement primaire, j'admets qu'il faille, en règle générale, avoir passé par une école normale. Pour l'enseignement primaire, il y a une différence facile à saisir. L'instituteur primaire est seul dans l'établissement, presque toujours ; il est chargé de l'éducation religieuse; il la donne sous la direction du ministre du culte. L'école primaire est seule dans la commune.

L'enseignement primaire est un besoin pour tous les habitants.

Du moment donc que ces faits sont reconnus, il est tout simple que l'autorité publique qui salarie ces établissements exige de la part des instituteurs des garanties particulières de moralité et d'aptitude.

Les enfants ne peuvent être déplacés de leur commune pour recevoir ailleurs l'instruction primaire. C'est dans le sein de la commune qu'ils doivent la recevoir.

(page 1259) Cette instruction s'adresse à tout le monde; elle se trouve dans des conditions particulières. Cela explique cette légère réserve qu'on a mise à la liberté, en ce qui concerne l'instruction primaire. Mais encore il y a entre la loi de 1842 et le projet en discussion une très grande différence; car si vous appliquiez ici les principes de la loi de 1842, les élèves sortis de la pédagogie de Louvain, ayant subi un examen devant des jurys que vous institueriez, devraient être admis aux fonctions de professeurs, de la même manière que les élèves sortis des pédagogies des universités de l'Etat.

Les jeunes gens sortis des écoles primaires normales libres devraient être admis au professorat des écoles moyennes comme ceux qui sont sortis des écoles normales de l'Etat.

Ce sont des vérités qu'on ne peut contester, à moins de nier la lumière du soleil en plein jour.

Nous avons démontré les principaux vices du projet que nous combattons. Il ne nous reste plus maintenant qu'à établir la comparaison entre ce projet et le projet que nous avons présenté en 1846, et à indiquer les modifications que nous réclamons. Ici, je serai court, car la sphère se restreint.

Mais un mot auparavant sur les actes administratifs que nous avons posés; un mot sur le collège de Hasselt, que nous avons, dit-on, usurpé.

Messieurs, les conditions que nous avons posées aux communes et qu'elles ont acceptées, n'entravaient pas leur liberté. Nous leur demandions tout simplement de réaliser, dans leurs établissements, les améliorations dont elles avaient indiqué la nécessité et pour lesquelles elles obtenaient des subsides. Nous leur demandions le maintien des traitements, la communication des budgets et des comptes. Voilà les seules conditions que nous avions prescrites aux communes, en attendant la loi qui restait à faire.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Vous avez accepté les établissements acquis par l'Etat.

M. de Theux. - Nous avons accepté, dit-on, les établissements que d'autres ministres avaient acquis à la direction de l'Etat. En effet, nous avons accepté tous les précédents posés par l'administration et qui avaient été sanctionnés implicitement par les chambres. Ainsi, nous avions accepté aussi le concours, quoique, dans notre opinion, ce concours ait été institué prématurément et illégalement. Mais il avait reçu la sanction tacite des chambres.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Et l'athénée de Hasselt ?

M. de Theux. - En accordant à Hasselt un subside, nous ne lui avons pas imposé des conditions exceptionnelles; mais, plus tard, sous un de mes successeurs, la ville a proposé d'abandonner à l'Etat son collège, à condition que l'Etat l'érigeât en athénée. Arrivé au pouvoir en 1846, nous n'avons pas détruit cette convention faite entre le gouvernement et la ville de Hasselt; mais par les motifs que je viens d'expliquer; c'est que tout fait posé par l'un ou l'autre ministre, tacitement sanctionné par le législateur, nous croyions pouvoir le laisser subsister jusqu'à ce que la loi eût prononcé.

Voici maintenant la comparaison bien précise entre le projet de 1846 et celui de 1850.

Dans l'un comme dans l'autre, il y avait dix athénées. Mais dans le projet de 1846, le siège des athénées était fixe par la loi. Nous pensons, messieurs, que quand une loi crée un grand établissement public, elle doit en fixer le siège; que cela rentre dans les attributions du législateur. Nous ne voulions pas que la fixation du siège des athénées pût être abandonnée à l'arbitraire. Nous ne voulions pas non plus de double emploi. Car, en supposant que nous ne les eussions pas fixés aux chefs-lieux de province, là où ils existent, il y en aurait eu 20 dans le pays au lieu de 10; et telle n'était pas notre intention.

Que serait-il arrivé si des communes, ainsi que la ville de Gand en avait annoncé l'intention, n'avaient pas voulu de l'athénée aux frais de l'Etat! Messieurs, ma réponse est toute simple. Nous croyions faire une concession aux communes, une concession à l'opinion libérale en proposant les dix athénées. Lorsque l'honorable M. Van de Weyer proposa les dix athénées, cette proposition ne parut soulever d'opposition dans aucune des grandes villes qui devaient les recevoir; et lui cependant fixait aussi le siège des athénées dans les chefs-lieux de province,

Du reste, messieurs, nous nous serions montrés très accommodants sur ce point. L'honorable M. Rolin peut être persuadé que nous n'aurions pas eu recours à la force publique pour dépouiller la ville de Gand de ses bâtiments, pour substituer notre personnel au sien. Nous lui eussions dit : Vous êtes content de votre athénée; conservez-le ; au lieu de dix, il n'y en aura que neuf.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Il fallait exécuter la loi.

M. de Theux. - Dans ce cas, j'eusse demandé une dispense ou une modification.

Il aurait fallu me prêter des opinions bien excentriques pour croire qu'avec les précédents que j'avais poses dans le projet de 1834, j'aurais été d'autorité imposer une institution à une ville qui n'en aurait pas voulu.

On nous dira peut-être : Mais ces dix athénées, vous les jugiez indispensables au point de vue des progrès des lettres et des sciences; conséquemment vous deviez à tout prix les établir. Non, messieurs, nous n'avons pas du tout eu cette opinion; en effet, la loi de 1834 n'en proposait que 3, et nous savons parfaitement bien que, quoi que fasse le gouvernement, les athénées qu'il dirigera ne seront pas supérieurs, quant au progrès des lettres et des sciences, à ceux que nos grandes villes ont érigés.

S'il y a quelques conditions de progrès, il y a aussi d'autre part quelques causes de désorganisation dans la centralisation. Ainsi les avantages et les inconvénients sont balancés; et je ne pense pas qu'au point de vue des lettres et des sciences, on ait considérablement à s'applaudir de la création des dix athénées aux frais de l'Etat substitués aux athénées communaux.

Dans tous les cas, messieurs, il existe d'autres différences, en ce qui concerne les athénées, entre les deux projets.

Dans mon projet, il y avait des garanties d'éducation ou d'enseignement de la religion plus fortes que dans celui que nous discutons. D'autre part, j'en conviens, il y a dans le projet actuel certaines concessions faites à l'administration communale, par exemple, la création d'un bureau. Mais ce bureau, j'ai lu soigneusement les articles qui le concernent, soit dans le projet du gouvernement, soit dans le projet de la section centrale, et je n'y trouve qu'un bureau consultatif. Le bureau ne peut rien décider; la décision appartient toujours au gouvernement, et dans cette situation il ne m'est pas démontré que la supériorité soit pour ce-mélange dans un même établissement. Pour moi personnellement, j'ai toujours été partisan de l'unité dans l'administration, et il me paraissait naturel que, la commune acceptant l'établissement de la part de l'Etat, le gouvernement eût la pleine liberté d'administration et de direction. Il est possible que je me trompe. Je sais que beaucoup d'honorables membres, que l'honorable M. Dumortier notamment, sont partisans du bureau d'administration. Mais je dis que c'est là une expérience à faire.

Par le projet de 1846, peu de conditions étaient imposées aux communes pour l'octroi des subsides; le gouvernement n'exigeait que des garanties de moralité, la faculté d'inspection, l'obligation du concours, la communication des programmes, l'approbation des budgets et des comptes.

Ces mesures avaient exclusivement pour objet de s'assurer que l’établissement continuait à mériter les subsides dont il jouissait.

En ce qui concerne les écoles industrielles et commerciales, le gouvernement n'exigeait que les conditions de moralité, d'inspection, d'approbation des budgets et des comptes.

Le projet de 1850 exige pour tout établissement communal d'enseignement moyen, d'abord que l'établissement soit complet. Or, je crois qu'il peut être utile pour certaines villes d'avoir un collège incomplet, où il n'y aurait, par exemple, que trois années d'étude.

J'ai vu traiter cette question dans un rapport parfaitement bien fait. On y démontrait l'utilité pour beaucoup de communes d'avoir des établissements ainsi restreints, les jeunes gens allant plus tard dans des établissements plus considérables. Je dirai même que la situation financière de bien des communes exige en quelque sorte ce tempérament.

Le projet de 1850 exige en outre les conditions que nous avons exigées, mais, de plus, il soumet à l'approbation du gouvernement l'emploi des livres, les règlements intérieurs, le programme détaillé des cours. Puis il impose aux communes ce que j'appellerai des professeurs du monopole ; elles ne peuvent plus prendre que ceux qui ont fréquenté la pédagogie de l'Etat, sauf les docteurs en droit. Puis la section centrale permet au gouvernement d'accorder des dispenses sur l'avis conforme du conseil supérieur.

Le projet de 1850 attribue aux députations permanentes le droit de suspendre les professeurs. Rien de semblable n'existait dans le projet de 1846. Il attribue aussi au gouvernement le droit d'annuler la suspension prononcée par la commune, le droit exclusif de révoquer les professeurs. Eh bien, messieurs, ce sont encore là des conditions que nous n'avions point imposées.

Position des collèges non subventionnés, communaux ou patronnés. D’après le projet de 1846, les communes peuvent conserver ou fonder des collèges; elles peuvent patronner des collèges; rien n'est changé à la loi communale. D'après le projet de 1850, les communes ne peuvent conserver leurs collèges ou en fonder de nouveaux qu'avec l'approbation du Roi; elles ne peuvent conserver les conventions déjà faites que moyennant une approbation nouvelle; pour faire d'autres conventions, il faut, en outre, l'avis conforme de la députation permanente, comme si le gouvernement avait besoin de mettre un obstacle à sa propre décision, comme si le goût de la centralisation qui domine, qui dirige les bureaux, n'était déjà par lui-même un obstacle insurmontable quand il s'agit de soustraire un établissement à l'action de l'autorité centrale !

Le projet de 1846 admettait dans le conseil de perfectionnement un inspecteur provincial ecclésiastique de l'enseignement primaire. Le projet de 1850 n'accorde point de place au clergé dans le conseil de perfectionnement.

Ici l'honorable ministre de l'intérieur nous a fait une objection; il a dit : Mais la voix isolée d'un ministre du culte dans le conseil de perfectionnement peut être complètement méconnue. Cette objection, messieurs, serait sérieuse, si la décision appartenait au conseil supérieur, mais il n'en était pas ainsi d'après le projet de 1846, comme il n'en est pas ainsi d'après le projet de 1850; le conseil supérieur n'est qu'un corps consultatif, et alors que la voix isolée d'un ministre du culte n'aurait pu se faire accepter par les autres membres du conseil, le ministre, gardien des grands intérêts de l'Etat, aurait su faire à chacun sa part; s'il trouvait que la raison était du côté de la voix isolée, il aurait fait justice à ses réclamations, comme aussi il n'en aurait pas tenu compte si la raison eût été du côté de la majorité. Voilà le côté pratique, et dans ce concours d'un inspecteur ecclésiastique et des autres membres du conseil, il y aurait eu bien des avantages.

Dans ce contact du prêtre et des laïques, il s'opère naturellement, par la discussion et les bons procédés, un rapprochement de part et d'autre. On se comprend beaucoup mieux que si l'on reste isolé, que si, par exemple, les questions, surtout les questions de faits, concernant les garanties religieuses, devaient être traitées par écrit. Dans les écrits, de part et d'autre, l'autorité civile et l'autorité religieuse sont plus réservées, le rapprochement est beaucoup plus difficile.

Du reste, M. le ministre de l'intérieur, qui a fait l'éloge de la commission centrale de l'instruction primaire, m'a paru avoir l'intention d'organiser administrativement quelque chose d'analogue à cette institution ; certainement si cela pouvait être en fait, je n'aurais aucune objection à faire, le gouvernement aurait rempli le but que nous nous proposons, loyalement, convenablement. Mais du moment que l'intention du ministre est d'assurer au clergé les moyens de faire parvenir au gouvernement ses observations en ce qui concerne les intérêts religieux et moraux de l'enseignement, je l'en conjure, qu'il médite les divers moyens qui ont été 'indiqués et qu'il propose franchement d'insérer dans la loi celui auquel il croira devoir s'arrêter.

En ce qui concerne les écoles primaires supérieures, messieurs, le projet de loi de 1846 les laissait sous l'égide de la loi de 1842 qui offre de grandes garanties à l'éducation, et il est essentiel que ces garanties soient maintenues, parce que les écoles primaires supérieures sont encore suivies par des enfants, par des jeunes gens d'un âge tendre qui ont besoin d'une éducation plus complète. Si l'on veut créer auprès de ces écoles un bureau d'administration, donner une part d'autorité consultative à la commune, nous ne nous opposerons pas à cette innovation. Nous croyons le système d'unité très bon en soi, mais si le gouvernement désire partager l'administration avec la commune où l'école se trouve, nous ne nous y opposons pas.

Le projet de 1846 rendait les douze écoles commerciales subsidiées, au régime communal ; le projet de 1850 en fait décidément des établissements de l'Etat légalement organisés. A ces douze écoles déjà existantes, il en ajoute réellement seize nouvelles. Je sais que la loi sur l'enseignement primaire permet de créer quatre écoles primaires supérieures de plus, mais comme les chefs-lieux d'arrondissement qui pouvaient les recevoir les ont refusées, il n'en serait plus question. C'est donc, de fait, seize écoles nouvelles qu'on ajoute aux douze écoles déjà existantes.

Le projet de 1846 laissait aux communes la liberté, dont elles jouissent, de créer des écoles d'industrie et de commerce ou toutes autres, à leur gré; le projet de 1850 exige l'approbation royale pour tout établissement au-dessus de l'école primaire la plus simple, car, veuillez bien le remarquer, si la loi est acceptée telle qu'elle est présentée, aucune commune quelque grande qu'elle soit, quelque intérêt qu'elle y ait, ne pourra rien créer sans l'approbation du gouvernement, qu'une simple école primaire, où l'on apprend les premiers éléments à la première enfance.

Le projet de 1846 n'instituait pas de pédagogie ; il faisait pour l'enseignement moyen ce qu'on a fait pour l'enseignement supérieur. Pour l'enseignement supérieur, le gouvernement est libre dans ses choix; aucune condition ne lui est imposée. Pourquoi, dans l'enseignement moyen, exiger des conditions qu'on n'exige pas pour l'enseignement supérieur?

Et remarquez que, l'année dernière, vous avez adopté une disposition qui aurait dû détourner le gouvernement de cette mesure que je ne puis comprendre: on a institué le grade d'élève universitaire; par ce grade, on a voulu arriver à ce résultat, d'amener à une uniformité d'organisation dans tous les établissements d'instruction moyenne, pour que les élèves fussent également forts pour passer aux études universitaires. Pourquoi, maintenant, ce privilège en faveur des candidats professeurs formés dans les universités de l'Etat?

Le projet de 1846 ne créait qu'un inspecteur général et deux inspecteurs temporaires; celui de 1850 institue un inspecteur général et deux inspecteurs permanents. Ces trois inspecteurs n'ayant pas assez de besogne pour mériter leurs honoraire, que feront-ils ? Ils rechercheront les moyens de centraliser de plus en plus l'enseignement moyen, pour multiplier leurs attributions et justifier l'existence de leur place.

Messieurs, dans quelques discours précédents, nous avons entendu des membres de la majorité invoquer le projet de 1846, invoquer nos antécédents. Eh bien, nous ferons à cela une réponse bien nette :

Si le gouvernement, si la majorité se contentaient du projet de 1846, dans ce cas, nous leur promettons notre vote sincère, cordial, et si le secours de notre parole pouvait être de quelque utilité, nous défendrions le projet avec toute l'énergie dont nous sommes capables; je soutiendrais mon projet de 1846 contre ceux de mes amis qui l'ont combattu; ce que je n'ai pas trouvé mauvais.

Messieurs, la base du projet de 1850 me paraît être celle-ci, et il est important de la signaler à l'attention de la chambre et du pays : « Il n’est rien de bon que ce qui émane du gouvernement. »

Eh bien, nous disons que c'est là une grande présomption, une présomption incompatible avec les événements dont nous sommes témoins. Partout les gouvernements centralisent, et partout ils deviennent de plus en plus insuffisants.

Dans les temps anciens, les gouvernements avaient une longue durée; cependant ils avaient peu de ressources; de grands intérêts n’étaient pas centralisés; il n'y avait pas cette multitude innombrable d'emplois publics; les revenus étaient peu considérables ; l'instruction publique n'était pas centralisée, et cependant ces gouvernements anciens ont été séculaires.

A l'époque actuelle, je le dis à regret, ils ont une durée éphémère. Nous entendons souvent des hommes qui ont fait une étude spéciale de la politique, appartenant à l'une ou à l'autre opinion, se dire : Quelle est la forme de gouvernement qui peut asseoir la société sur une base solide?

Il est vrai qu'à l'époque où le clergé avait réellement le monopole de l'enseignement public, il s'est formé des hommes qui ont été les principaux instigateurs des innovations qui ont été accomplies ; il est vrai qu'en Italie, au centre même de la catholicité, il s'est propagé un mouvement qui a été jusqu'à renverser de son siège un pape dont tout le monde admire les éminentes qualités.

Qu'est-ce que cela prouve? Nous n'avons jamais entendu dire que l'enseignement religieux était la seule garantie sociale; tout ce que nous prétendons, c'est que l'enseignement, appuyé sur une solide éducation religieuse et morale, est essentiel à une nation, qu'il peut maintenir ou amener dans la voie du bien les jeunes intelligences qui, égarées, pourraient, au contraire, faire du mal à leur pays.

Mais ce que nos contradicteurs ont perdu de vue, c'est que, dans les gouvernements séculaires, il s'est créé peu à peu des intérêts nouveaux; que des intérêts nouveaux amènent des opinions nouvelles, et qu'alors certaines circonstances politiques aidant, ces opinions nouvelles éclatent en révolutions.

Ainsi, il n'est pas étonnant qu'en 1789, lors de la réunion des états généraux, les idées révolutionnaires se soient propagées ; il n'est pas étonnant qu'en Italie, à Rome même, ces idées se soient répandues. Les Italiens, en général, considéraient le souverain pontife, ne voulant pas faire la guerre à l'Autriche, comme un obstacle à l'émancipation de leur pays. C'était là le vœu de toute l'Italie ; Rome devait en devenir le centre. Résulte-t-il de ce fait que le clergé ait été au-dessous de sa mission; qu'il ait mal dirigé l'éducation publique? En aucune manière.

Passons à une comparaison. Chacun de nous reconnaît l'utilité d'un corps médical, pour tracer des règles d'hygiène, pour combattre les épidémies et les maladies contagieuses.

Mais, messieurs, quelque fortement que soit organisé le corps médical, peut-il toujours empêcher les épidémies, les contagions? Suit-il de là que la médecine doit perdre la légitime influence, la grande position qu'elle occupe dans le monde? Je ne le pense pas. Eh bien, de ce que le clergé n'a pas pu prévenir tous les maux, de ce que Dieu, en donnant aux hommes pour guides les prêtres, pour règle la loi, leur a donné aussi la liberté et qu'ils en abusent, s'ensuit-il que la mission du clergé est insuffisante, la religion imparfaite? Non, tout ce que cela prouve, c'est que Dieu a voulu laisser la liberté à l'homme pour lui réserver une récompense quand il en aura bien usé.

Je termine en indiquant à la chambre les modifications dont le projet de loi me paraît susceptible.

On a souvent dit que nous ne précisions pas le débat, que nous restions dans les ombres ; nous allons préciser nos idées d'une manière claire, intelligible.

Nous demandons d'abord que les sièges des athénées soient fixés par la loi. Nous disons que si le siège des athénées n'est pas fixé par la loi, aux chefs-lieux de province et à Tournay, qui est déjà en possession d'un athénée, la loi est injustifiable. Comment! les établissements de l'Etat, qui doivent être des établissements modèles pour l'enseignement libre des lettres et des sciences, pourront être relégués dans une position inférieure! D'autre part, messieurs, la liberté exige qu'il en soit ainsi. A dix établissements publics communaux ayant leur siège dans les grandes villes, vous ajouteriez dix autres établissements semblables dans des villes de second ordre, où donc serait la place pour la liberté?

Nous demandons, messieurs, que les écoles primaires supérieures restent sous le régime de la loi de l'instruction primaire. Toutefois nous accepterons l'institution du bureau d'administration que le gouvernement préfère.

Nous demandons que les 12 écoles industrielles et commerciales subsidiées par l'Etat soient rendues au régime communal, sauf le contrôle du plan d'études, du budget et des comptes.

Toutefois, par concessions, si le gouvernement veut encore en cette matière des modèles, nous lui donnerons 10 écoles industrielles modèles, comme nous lui donnons dix athénées modèles ; nous pensons qu'il sera satisfait de cette concession, qui nous a paru dans les termes de la raison.

Nous demandons que l'instruction religieuse figure en tête du programme, nous demandons qu'il soit dit dans la loi que l'instruction religieuse est donnée par les ministres du culte. Nous ne demandons pas qu'il soit écrit dans la loi que l'instruction sera suspendue à défaut de concours.

Il suffit qu'il est entendu que le gouvernement ne substituera pas un enseignement laïque, dangereux pour lui-même, incompatible avec le principe d'unité, d'autorité de la religion catholique, à celui que nous avons en vue, qui est la garantie, la sauvegarde de bonnes mœurs.

En cinquième lieu, nous demandons qu'il n'y ait pas de privilège pour la formation des professeurs de l'enseignement moyen. Si le gouvernement veut éclairer ses choix, qu'il institue un jury d'examen, devant lequel pourra comparaître quiconque aspire à l'honorable carrière de l'enseignement.

Nous demandons au gouvernement de ne pas s'attribuer le droit de (page 1261) détruire les conventions existantes, librement consenties par les communes à la satisfaction des pères de famille; une preuve irrécusable, ce sont les nombreux élèves qui les fréquentent; une autre preuve, c'est que ces conventions ont été maintenues, malgré le mouvement électoral, malgré l'esprit de parti qui a pu dominer dans quelques localités; plusieurs conseils communaux ont été renouvelés partiellement ou intégralement, les mêmes établissements ont continué à jouir de la même confiance auprès des conseils communaux, des administrations communales.

En fait que rendriez-vous à la ville de Louvain à la place du collège qu'elle a, à la ville de Malines, à celle de Courtray, d'Alost, à celle de Saint-Trond, de Hervé, à la ville de Hervé qui, quoique peu importante par elle-même, jouit, grâce au concours du clergé, d'un collège excellent, que rendriez-vous à la ville de Dinant? Vous feriez en fin de compte de grands sacrifices à charge du budget, et vous ne leur rendriez rien qui pût les satisfaire davantage que ce qu'elles possèdent aujourd'hui, vous courrez le risque de ne pas les satisfaire au même degré, car ces établissements en plusieurs occasions ont fait preuve d'un enseignement littéraire et scientifique qui ne laissait rien à désirer; la discipline est excellente, la dépense a été réduite.

Pourquoi, dans un régime de liberté, donner lieu de croire à un esprit d'hostilité?

Le Congrès national a établi nos institutions sur deux bases : le développement de la liberté et le développement des intérêts moraux. Tous les textes de la Constitution justifient cette assertion. Elle a renversé tout ce qui faisait obstacle au développement des intérêts moraux. En effet, le Congrès était parfaitement sensé en adoptant ce double principe. La liberté est compromise si la moralité se perd; à défaut de soumission volontaire aux lois, il faut une action publique d'autant plus puissante.

Nous demandons que vous laissiez les communes aussi sous le régime du droit commun, c'est-à-dire de la loi communale, en ce qui concerne la création d'établissements d'enseignement moyen ou professionnel.

Nous ne sachions pas que les communes aient abusé de ce droit. La commune doit pouvoir apprécier, à son point de vue, quel est l'enseignement, quel est le degré d'enseignement qui convient le mieux à ses habitants et aux divers intérêts existants dans la commune.

Nous demandons que vous admettiez un ecclésiastique dans le conseil supérieur, ou que vous admettiez l'idée émise par l'honorable ministre de l'intérieur.

Il doit être constant, pour chacun de vous, que la présence d'un ou de deux ministres du culte, comme l'a proposé l'honorable M. Osy, dans le conseil supérieur, ne pourrait, en aucune manière, entraver l'action du gouvernement. Elle pourrait, au contraire, lui être très utile, lui faire connaître bien des choses, qu'autrement il ignorera. Les discussions qui s'élèveront dans ce conseil pourront faciliter la solution de bien des difficultés.

Messieurs, ma conclusion est celle-ci :

En 1846, nous avons fait une concession à l'opinion libérale : nous proposions la création de dix athénées, proposition dont l'honorable M. Van de Weyer avait pris l'initiative. Nous avions cru pouvoir faire cette concession, sans manquer de dignité, sans froisser trop fortement nos amis politiques. Eh bien, vous aussi, vous pouvez nous faire des concessions, sans manquer à votre dignité et sans froisser la plupart de vos amis politiques. Ayez, messieurs, quelques égards pour la minorité, pour l'opinion exclue du gouvernement. C'est toujours d'une sage politique. Ne prononcez pas contre vos adversaires au-dehors et au-dedans de la chambre le vae victis!

Si c'était par esprit de parti que nous eussions pris part à la discussion, nous n'aurions indiqué aucune modification. Nous vous dirions, au contraire : Vous avez commencé à nous froisser par les principes de la loi sur l'enseignement supérieur. Le projet de loi actuel nous froisse encore davantage. Le projet annoncé pour l'instruction primaire nous froissera au plus haut degré.

Si nous étions animés par l'esprit de parti, nous vous dirions encore : Maintenez votre système hostile aux influences religieuses dans les établissements de charité. Alors nous espérerions davantage que le jour de la réparation arriverait plus tôt, plus certainement. Mais, messieurs, animé des sentiments qui doivent guider tout bon citoyen, tout membre de cette chambre, tout homme qui a pris part à la direction du gouvernement, tout homme qui respecte son caractère, nous dirons : Comprenez que la religion est le seul frein aux mauvaises passions des riches et des pauvres, qu'elle est la seule égalité, le seul lien possible entre toutes les classes de la société sur cette terre, nous vous dirons : Montrez plus de confiance au prêtre chargé de faire connaître à tous la vérité, de porter des consolations, de soulager foutes les misères.

En 1846, prévoyant notre avènement possible au pouvoir, nous vous disions :

« Il est impossible, pour un gouvernement libre surtout, de froisser pendant longtemps cette partie de la population qui est la plus attachée aux intérêts de la religion. »

Nous citions l'exemple de la France, des Pays-Bas, de la Prusse.

Eh bien, nous vous disons : La Belgique religieuse est froissée par votre système, en ce qui concerne l’enseignement, les établissements de charité et les emplois publics.

Il s'agit de grandes questions sociales. Que le cabinet, que la majorité veuillent bien se rendre compte de toute leur importance, qu'ils veuillent bien les résoudre au point de vue des intérêts du pays, et non au point de vue des intérêts d'un parti.

Si le gouvernement, si la majorité obtiennent ce grand succès, de satisfaire la nation, de satisfaire à son principal intérêt, à celui qui l'a fait vivre, qui lui a fait conserver son esprit national sous tant de gouvernements étrangers, nous applaudirons au succès. Et loin de nous une pensée d'envie ! Ce sentiment n'entrera jamais dans notre cœur; et, de quelque mains que vienne le bien, nous y applaudirons cordialement.

Si nous devions subir une loi de parti, si les grands principes du Congrès national devaient être méconnus, nous resterions fidèles à ses sentiments, fidèles à ses traditions; et nous serions obligés de voter contre la loi.

J'ai dit.

M. Devaux. - Messieurs, l'honorable membre qui vient de se rasseoir a débuté hier par faire l'apologie des pétitions. Je ne viens pas combattre ce qu'il a défendu. Mais avant d'entrer en matière, je dirai à mon tour un mot des pétitions.

Les pétitions qui nous arrivent prouvent, à mon avis, une seule chose, c'est que la loi n'a pas répondu à une partie des exigences du clergé; c'est que, dans les hauts rangs du clergé, il existe quelque mécontentement à cet égard, et qu'on a jugé convenable qu'il nous parvînt avec un certain retentissement.

Ce fait, messieurs, je ne le regarde pas comme indifférent ; je ne dis pas que nous ne devions pas en tenir compte, mais il faut le réduire cependant à ce qu'il est.

Toutes les fois qu'une partie du haut clergé ne sera pas satisfait d'un projet de loi et qu'il voudra que son opposition arrive un peu bruyamment jusqu'à nous, l'organisation d'un pétitionnement du genre de celui qui a lieu en ce moment sera toujours facile.

Il y a dans le pays, sans parler des corporations religieuses, environ 4,000 ecclésiastiques, organisés et recevant les instructions de leurs chefs. Il serait bien malheureux que chaque ecclésiastique n'eût pas assez d'influence sur dix ou vingt personnes, pour les amener à signer une chose aussi peu compromettante qu'une pétition contre un projet de loi. Rien n'est donc plus facile, quand le clergé le veut, que d'organiser un pétitionnement de 40,000 à 80,000 signatures.

Messieurs, la différence entre ce pétitionnement et celui qui eut lieu sous le roi Guillaume, c'est qu'à cette dernière époque tous les pétitionnaires n'appartenaient pas à une seule opinion, n'appartenaient pas à une opinion qu'il est extrêmement facile de faire obéir à un mot d'ordre; c'est qu'alors, à côté de l'opinion catholique, figurait une autre opinion, dans les rangs de laquelle tous n'obéissent pas aux ordres de quelques-uns, et où chacun agit pour son propre compte. Alors c'était le pays qui pétitionnait ; aujourd'hui, ce n'est pas même une opinion tout entière, car dans les rangs de celle à laquelle appartiennent les pétitionnaires, il y a eu de notables refus.

Depuis le commencement de ce mouvement pétitionnaire, depuis la présentation de la loi, j'ai toujours pensé, qu'au fond, ce qui causait tant d'émotion, ce n'étaient pas précisément les dispositions de la loi elle-même. Et sans que je veuille ici, comme vous le verrez, incriminer les intentions de personne, j'ai toujours cru que si une loi toute différente avait été présentée à la chambre, il y aurait eu les mêmes cris d'alarme.

Ce n'est pas parce que nos libertés sont menacées par certaines dispositions de la loi que l'on s'est tant ému. J'en ai pour preuve que ce qui est grief principal pour l'un devient tout à fait secondaire pour l'autre. Vous avez entendu, par exemple, l'honorable M. Dedecker abandonner à peu près tous les principaux griefs des pétitions et trouver le mal ailleurs. Vous avez entendu d'autre part aujourd'hui l'honorable M. de Theux réduire la différence entre le projet de loi et ce qu'il veut à sa juste expression.

Eh bien, entre le projet du gouvernement et que propose l'honorable M. de Theux, il reste certainement place pour des dissentiments de quelque importance; je le veux bien; mais certainement aussi il n'y a pas là de place pour des orages, ni pour une agitation populaire, et l'honorable M. Vilain XIIII avait parfaitement raison de le dire, et de réduire la situation à ces mots : Querellons-nous et entendons-nous ; c'est-à-dire que l'honorable membre voit là un de ces nuages éphémères qui s'élèvent dans les meilleurs ménages et qui, loin d'altérer profondément le bonheur des époux, ne font que mieux ressortir la solidité du lien conjugal.

La sérénité avec laquelle l'honorable M. de Theux vient de proposer ses amendements est une réponse suffisante au ton d'irritation que l'honorable M. Dechamps s'était efforcé de mettre hier dans son discours, et qui a rappelé ses discours d'opposition de 1841 où il lui fallait tant d'efforts d'imagination pour se montrer irrité et pour faire voir que le pays l'était comme lui.

Non, messieurs, ce n'est pas, par exemple, le nombre des établissements que propose le gouvernement qui cause tout ce bruit. Vous le savez, l'honorable M. de Theux en avait proposé dix. Le gouvernement en demande 60 ; mais pour la plupart c'est un transfert d'une loi il l'autre. Discutez, si vous le voulez, la nécessite, la régularité de ce transfert; cette question peut être examinée. Mais enfin supposez même que ce soient 60 établissements nouveaux : ajoutez-y, si vous le voulez, comme l'a fait l'honorable M. Dechamps, toutes les écoles spéciales que le ministère actuel n'a pas fondées, mais qui ont été fondées par ses prédécesseurs; ajoutez-y les universités; et pour le dire en passant, on ne s'est pas récrié autrefois contre le nombre des universités; car c'est l'opinion catholique qui en a voulu deux ; l'opinion libérale n'en voulait qu'une.

M. de Theux. - Vous en avez voulu deux.

(page 1626) M. Devaux. - Vos souvenirs ne sont pas exacts; je pourrai vous impliquer : j'avais voulu, dans la commission dont vous parlez, tout autre chose que ce qu'on a fait.

Eh bien, messieurs, je suppose qu'il y ait, comme le disait hier l'honorable M. Dechamps, 75 établissements du gouvernement. Je vais plus loin; cherchez encore bien; prenez les écoles professionnelles et arrivez même à ceci : que le gouvernement aura cent établissements d'instruction publique de toute espèce. Combien y a-t-il d'établissements d'instruction publique de toute espèce en Belgique? De 5,000 à 6,000; elle gouvernement en aurait 100.

M. Coomans. - Ce sont des écoles primaires.

M. Devaux. - Sans doute, les écoles primaires font le grand nombre, mais dans le projet du gouvernement aussi, le grand nombre ce sont des écoles que M. de Theux vient de déclarer primaires et qu'il renvoie à la loi de l'instruction primaire.

Est-ce là de quoi s'effrayer? Non, ce n'est pas là ce qui a causé un si grand émoi dans le pays.

Serait-ce le recrutement professoral? Mais, messieurs, le principe de ce recrutement, c'est d'abord que tous ceux qui sont docteurs en lettres ou en sciences, peuvent être professeurs dans les établissements du gouvernement et dans les collèges subsidiés. Car la section centrale a complètement mis de côté les établissements non subsidiés. La loi sur l'instruction primaire avait-elle été jusque-là ? Admettait-elle les docteurs en lettres? admettait-elle d'autres candidats que les élèves des écoles normales? Si le grand Newton se présentait aujourd'hui dans une école communale, dans la dernière de nos campagnes, pour enseigner la table de multiplication ou l'alphabet, il serait de plein droit éconduit, parce qu'il n'a pas passé par une de nos écoles normales. Voilà votre loi de l'instruction primaire.

Cette fois on n'a pas vu là de monopole, parce qu'il est vrai que les écoles du clergé en ont une part. C'est un monopole à deux têtes, et cependant voici la différence avec le projet actuel : pour l'instruction primaire, il s'agit de plusieurs milliers d'écoles communales, ici il ne s'agit que d'un petit nombre d'écoles du gouvernement ou subventionnées par lui. De plus, tous ceux qui ont le grade de docteur en lettres ou en sciences peuvent être admis comme professeurs.

Trouve-t-on cette condition trop rigoureuse? Croit-on qu'il est des classes pour lesquelles on puisse se contenter de moins? On peut examiner ce point, mais encore une fois, ce n'est pas là non plus une question qui doive tant alarmer.

Serait-ce la question de l'instruction religieuse qui devrait jeter le trouble dans les esprits? Mais, messieurs, le désaccord sur cette question, il devient extrêmement difficile de le saisir et de le préciser. C'est à tel point que, dans la section centrale, l'honorable membre qui formait la minorité (et il l'a dit dans la séance publique) était sur le point de voter pour l'article 8.

M. Dedecker. - Je n'ai pas voté pour l'article 8, précisément, comme je l'ai dit, parce qu'un abîme nous séparait quant au principe.

M. Devaux. - Il a dit, en effet, qu'il pourrait voter le texte, mais qu'il n'était pas d'accord avec la majorité sur le principe.

Un texte sur lequel l'honorable membre est d'accord avec nous n'est pas, il faut en convenir, un texte bien effrayant.

Mais, messieurs, que renfermait, sous ce rapport, le projet de M. de Theux? Une invitation adressée au clergé sous une autre forme.

On demande maintenant l'inscription de l'enseignement religieux dans le programme. Entendons-nous, messieurs. Vous voulez l'inscription de l'enseignement religieux dans le programme, et, en même temps, vous ne voulez pas l'obligation absolue de donner cet enseignement. C'est-à-dire que vous voulez l'inscription dans le programme et que vous ne la voulez pas, ou au moins vous voulez en suspendre les effets.

M. Dedecker. - Moi, jamais!

M. Devaux. - Il y a dissentiment entre nos adversaires : les uns voudraient que, dans le cas où le clergé refuserait de donner l'enseignement religieux dans l'établissement, les enfants fussent conduits à l'église; les autres ne parlent pas de conduire les enfants à l'église.

Il y en a qui voudraient qu'on fît des lectures religieuses, d'autres condamnent les lectures religieuses, n'en veulent pas. Vous voyez donc que nos adversaires ont peine à s'entendre sur cette question. Inscrivez ou non l'enseignement religieux dans le programme; s'il n'y a pas obligation absolue de la donner, vous devez reconnaître vous-mêmes que cette inscription est assez insignifiante. Car aucun de vous n'exige que l'établissement soit fermé, si le clergé n'accorde pas son concours.

Messieurs, est-ce un grief bien considérable aussi que l'absence de mention du clergé dans la composition du bureau administratif qui dirigera l'athénée? Mais l'honorable M. de Theux, dans son projet de loi, n'exigeait pas la présence du clergé dans le bureau administratif, car il n'y avait pas de bureau administratif indiqué dans la loi.

Le gouvernement pouvait en nommer un, mais il ne s'engageait pas à y faire intervenir le clergé. M. de Theux se bornait à demander l'admission du clergé dans un conseil de perfectionnement, mais ce sont là de ces dispositions que les uns veulent dans la loi, et les autres, par mesure administrative. Dans tous les cas, est-ce là une garantie telle que son absence doive donner lieu à tant de récriminations ? Qu'est-ce donc que la voix de ce membre du clergé : il sera seul dans un conseil de perfectionnement composé de huit ou dix personnes. Ce n'est donc pas là une garantie qui puisse vous rassurer contre les maux dont la loi menacerait, selon vous, le pays. La liberté communale a été alléguée aussi. Les pétitionnaires en ont parlé; on en a beaucoup parlé aussi dans la discussion. Mais, messieurs, on vous l'a dit et il est inutile de le répéter plus longuement, votre loi sur l'instruction primaire a fait bon marché de la liberté communale. La commune nomme les instituteurs dans un cercle qui lui est imposé par le clergé et par le gouvernement, au moyen des écoles normales. Le gouvernement révoque les instituteurs. L'inspection, toute l'administration de l'école est soumise à une autre influence que celle de la commune.

D'ailleurs, messieurs, combien reste-t-il de communes indépendantes pour l'enseignement moyen? Combien y en a-t-il qui ont conservé complètement l'indépendance de leurs établissements? Dans tout le pays il en reste deux! Je le demande, est-ce le danger que courrait l'indépendance de ces deux établissements, dont la plupart d'entre nous ne connaissent pas même le nom, qui doit alarmer si vivement le pays?

Messieurs, veut-on la preuve que ce n'est pas en réalité l'indépendance de l'action de la commune dont on se préoccupe? Elle est dans les amendements mêmes qui nous sont proposés; quand l'action de la commune gêne, on en fait bon marché.

C'est ainsi que dans les sections, et tout à l'heure encore dans le discours de l'honorable M. de Theux, on vient proposer que vous fixiez les athénées aux chefs-lieux des provinces, de par la loi, c'est-à-dire que si la commune chef-lieu ne veut pas de l'athénée, vous la forcez de le recevoir...

M. de Theux. - Non ! non!

M. Devaux. - Alors que signifie l'injonction de l'amendement?

Je concevrais que vous proposassiez de dire : Le gouvernement ne pourra établir les athénées que dans telles communes, d'accord avec la commune. Mais, pas du tout, vous forcez le gouvernement à les établir là où la commune pourrait ne pas les vouloir. Certainement cela prouve que la liberté communale, on en fait bon marché quand elle gêne.

J'en dirai autant à ceux qui demandent que le clergé fasse partie du bureau de l'athénée. Que propose le gouvernement ? Il propose de laisser à la commune la nomination des candidats, librement, en y comprenant des membres du clergé si elle le trouve convenable, en se bornant aux laïques si elle le veut. Que propose-t-on?

On veut que la commune soit limitée dans ses choix. On ne veut pas que la commune compose exclusivement la liste des candidats; on en impose un ; on veut que le gouvernement nomme forcément, alors même que la commune ne le voudrait pas, un membre du clergé. Cela prouve, encore une fois, que, quand l'action de la commune gêne, on y met des limites.

Ce n'est pas, messieurs, ce que je blâme, parce que dans cette matière il y a des limites naturelles à l'action des communes. Messieurs, est-ce la liberté d'enseignement qui est menacée? La liberté d'enseignement!...

Mais l'enseignement privé ne reste-t-il pas libre en Belgique? Ne reste-t-il pas libre après la loi comme avant la loi? Tout individu, quel qu'il soit, jusqu'au forçat libéré inclusivement, peut ouvrir en Belgique toute école qu'il voudra, enseigner tout ce qu'il voudra et comme il le voudra. Rien dans la loi ne gêne l'action des particuliers, ils sont complètement en dehors du projet.

Quelques écoles communales tombent, il est vrai, sous l'action de la loi; mais les communes n'ont pas la liberté d'enseignement de par la Constitution. La Constitution n'a pas fondé la liberté d'enseignement pour les communes, l'article 17 de la Constitution ne les regarde pas; les communes tiennent leurs droits d'un autre article, de l'article 108; mais l'article 17 concerne uniquement les particuliers. Les communes n'ont pas plus la liberté d'enseignement, en vertu de l'article 17, qu'elles n'ont, en vertu d'une autre disposition constitutionnelle, la liberté d'association.

Les Belges ont le droit de s'associer, les communes ne l'ont pas. Si elles voulaient s'associer entre elles, la loi pourrait et devrait peut-être s'y opposer.

Ainsi la liberté d'enseignement n'est pas en cause. Messieurs, si le gouvernement nous avait présenté, en 1830, le projet de loi qui a été présenté à la chambre, en 1850, par l'honorable M. de Theux, et que ce projet eût vu alors le jour pour la première fois, des réclamations à peu près aussi vives se seraient, je pense, élevées. Mais si ce ne sont pas les dispositions mêmes du projet, quelles sont donc les véritables causes de ces frayeurs? D'où naît ce trouble de quelques esprits?

Je crois qu'il a plusieurs causes. La première, c'est qu'à l'endroit de l'instruction publique, il y a une opinion, dans le pays, extraordinairement ombrageuse, extrêmement défiante. Par cela seul qu'un ministère libéral, une majorité libérale allaient toucher à une loi d'instruction, il était certain qu'il allait s'élever de grandes méfiances dans les rangs de cette opinion. Cela s'est vu lors de la discussion de la loi sur l’enseignement supérieur, où cependant l'on s'était ingénié à trouver un système de jury qui remplit les conditions d'impartialité les plus sincères, les plus complètes. Eh bien, nous avons vu ce projet accueilli ici ; comme une nouvelle tentative faite sur la liberté d'enseignement; l'on a même poussé les soupçons si loin, qu'on est venu défendre un système qui présentait deux fois moins de garanties; on a soutenu qu'il valait mieux à une université libre d'avoir deux voix dans un jury que d'en avoir quatre; tellement tout ce que le gouvernement présentait inspirait de défiance.

Et cependant, à cette époque, personne parmi ceux qui combattaient la loi n'est venu proposer à la chambre l'ancienne loi du jury (page 1263) d'examen ; personne n'a demandé qu'on rétablît une ancienne loi que l'ancienne majorité avait maintenue malgré toutes nos réclamations.

Messieurs, une seconde cause de cette espèce d'agitation qui s'est manifestée, ce sont les événements de France.

Oui, messieurs, il s'est passé des événements bien graves en France. A la suite de ces événements, un mouvement de réaction a eu lieu dans les idées de l’autre côté de la frontière. En Belgique, quelques personnes se sont imaginé que le même mouvement de réaction allait se propager chez nous à leur profit. Elles oubliaient qu'en Belgique il ne s'est pas passé ce qui s'est passé en France; elles oubliaient que la Belgique ne s'était pas lancée tout à coup au-delà du but qu'elle s'était prescrit; elles oubliaient que la Belgique n'avait pas cessé de marcher régulièrement, pas à pas, dans la voie du progrès pacifique et raisonné; elles oubliaient que la Belgique n'avait rien obtenu qu'elle ne pût maintenir. Non, il ne doit pas y avoir en Belgique de réaction, parce que l'action n'a été ni brusque ni violente.

Vous avez entendu hier un discours dans lequel on s'est efforcé de confondre constamment l'état de la société en Belgique avec l'état de la société en France. Les deux situations morales et politiques sont toutes différentes ; c'est méconnaître ce que l'on doit à la Belgique que de les confondre.

Il fut un temps, messieurs, où l'on dépeignait aussi la société en Belgique sous de tristes couleurs. Il fallait à tout prix maintenir un autre ministère. Quand la moralité politique de ce ministère était attaquée et que ses défenseurs ne savaient plus comment la défendre, ils se réfugiaient aussi derrière la corruption de la société ; ils nous disaient que l'état de la société était tel qu'il ne fallait pas se montrer si difficile, que le pouvoir devait bien lui ressembler, que la palme était au plus rusé.

Eh bien, ce ministère a été renversé; d'autres hommes sont venus s'asseoir à son banc; et aujourd'hui l'opinion libérale, cette opinion à laquelle vous n'accordiez pas cependant le privilège de la moralité, a montré que l'état de la société n'était pas tel qu'il fallût désespérer de la moralité du pouvoir; aujourd'hui les amis du ministère ne sont pas, pour le défendre, obligés de se cacher derrière une prétendue corruption sociale. Ils peuvent se montrer sévères en fait de moralité politique, et, sous ce rapport, ne craignent pas la discussion pour les hommes qui sont actuellement au pouvoir.

Messieurs, entre la Belgique et la France il y a aujourd'hui une grande différence que je puis résumer en deux mots : La France, on ne peut se le dissimuler, quelque sympathie qu'on éprouve pour ses gloires et ses grandeurs, la France, aujourd'hui, est une grande nation qui s'affaisse; la Belgique est une petite nation qui s'élève. La France, depuis 60 ans, cherche un gouvernement qui lui convienne, et ne parvient pas à franchir les difficultés pratiques de la liberté. La Belgique a trouvé une seule fois l'occasion de se créer des institutions de ses propres mains, et ces institutions se sont trouvées parfaitement adaptées à son caractère. Elle a pratiqué les plus larges libertés sans y rencontrer ni difficultés ni obstacles.

Les événements de France n'agitent pas seuls aujourd'hui l'esprit de nos adversaires; un autre fait qui est prochain et qui a toujours eu le privilège de les agiter beaucoup, exerce en ce moment son influence, ce sont les élections.

Messieurs, il y a certaines époques où, sous l'influence de causes diverses, l'opinion catholique perd son calme et son sang-froid habituels; nous l'avons vu en 1838, sous l'influence du traité proposé par la conférence, et en même temps sous l'influence d'autres événements qui s'étaient passés en Prusse.

En 1838, les choses en étaient venues à tel point que des hommes, d'ailleurs très sensés, de l'opinion catholique, avaient la velléité d'aller délivrer nos frères des bords du Rhin. En 1841, le sang-froid a manqué encore une fois. Vous savez qu'il a fallu agiter le pays pour renverser un ministère auquel on ne trouvait pas un acte à reprocher. C'était aussi à l'approche des élections. Aujourd'hui il va s'agir de mettre une seconde fois à l'épreuve notre nouvelle législation électorale. On a de singulières illusions, on croit qu'on peut tout renverser, que le pays est complètement changé; on croit que le pays a déjà oublié que sa tranquillité actuelle, l'état si exceptionnel en Europe où il se trouve, tient principalement à ce qu'il a fait aux élections en 1847 et 1848, et qu'il ne se dira pas que s'il était possible qu'il défit en 1850 ce qu'il a fait en 1847, que la majorité fût changée, tout serait remis en question en Belgique.

Non, détrompez-vous, le pays est modéré, le pays est conservateur. Voilà pourquoi il ne voudra rien bouleverser, rien changer, conserver la situation actuelle dont il a tant à s'applaudir, voilà ce qu'il veut.

M. Dedecker. - En voilà une de réclame !

M. Delfosse. - On ne fait que vous répondre.

M. Devaux. - Messieurs, c'est sous de pareilles influences qu'on se laisse aller, dans cette chambre, à un langage qu'on n'a jamais tenu, qu'on énonce des prétentions plus élevées, des principes beaucoup plus nets, avec une hardiesse qui s'était voilée jusqu'à présent.

Jamais on n'avait dit, dans cette enceinte, qu'il ne fallait plus de concurrence aux établissements du clergé; jamais on n'avait dit dans cette enceinte que le gouvernement devait se garder de faire concurrence aux établissements d'enseignement du clergé. Ce langage est tout nouveau. Pardon! nous avions un rapport de M. Dechamps de 1836, rapport bien timide en raison de la hardiesse d'aujourd'hui, rapport que son auteur a eu plusieurs fois soin d'interpréter et d'adoucir, sur lequel d'ailleurs depuis longtemps il insistait peu et qu'il s'attachait peu à rappeler si ses adversaires eux-mêmes n'avaient pris ce soin.

S'il est défendu au gouvernement de faire concurrence aux écoles du clergé, s'il ne lui était permis d'avoir un établissement d'enseignement qu'à la condition qu'il ne fît pas concurrence à un établissement ecclésiastique, où placerait-il cet établissement? Il suffirait que le clergé vînt ouvrir une école près de celle de l'Etat, pour que l'Etat dût fermer la sienne. Depuis 20 ans nous avons deux universités, elles ont fait concurrence aux établissements du clergé; s'il n'est pas permis à l'Etat de faire concurrence à l'enseignement du clergé, il faut fermer les universités de l'Etat, elles n'ont plus le droit d'exister.

Jamais on n'a été si net dans ses prétentions, jamais non plus on n'a attaqué les établissements laïques en pareils termes. C'est la première fois que ces institutions ont été ainsi trainées devant notre barre, et dans un langage que j'hésite à répéter. N'a-t-on pas été jusqu'à dire que l'instruction donnée par l'Etat était une « entretenue » ? Je suppose que ce n'est pas dans les écoles auxquelles seules on accorde le privilège de la religion et de la morale, qu'on a puisé la décence et le bon goût de ce langage !

L'enseignement de l'Etat, messieurs, c'est l'enseignement approuvé par la majorité légale du pays, surveille, contrôlé par la majorité légale du pays; si cet enseignement n'est pas moral, comme vous avez le droit de le contrôler, vous pouvez forcer le gouvernement à y apporter une plus grande surveillance, une plus grande sévérité.

L'enseignement de l'Etat, c'est l'enseignement des doctrines que la majorité du pays approuve. La minorité ne perd pas ses droits, elle a la liberté. L'enseignement de l'Etat est le seul qui puisse offrir l'impartialité scientifique, car, quand les partis fondent des établissements scientifiques, quel est leur but ? Un but de parti, un but d'opinion; quand les partis fondent un établissement scientifique, il faut que la science atteigne ce but. Quand l'Etat fonde un établissement scientifique, il ne recommande aucun parti, il permet aux professeurs d'enseigner ce que la science révèle.

Jamais le pouvoir civil n'a été traité comme il l'a été dans cette discussion, jamais on n'a vu des conservateurs traîner ainsi le pouvoir laïque dans la boue, aller jusqu'à lui dénier la morale et la religion; pourquoi? Pour élever au-dessus de lui un pouvoir nouveau qu'on veut à toute force introniser et que la Constitution proscrit; car on veut faire reconnaître le clergé comme pouvoir par la loi. Sans doute il a son autorité dans la sphère de la conscience des fidèles. Mais pour nous, législateurs, il n'y a pas de pouvoir religieux; ceux qui veulent ériger un pouvoir religieux en pouvoir légal violent la Constitution. La Constitution dit que tous les pouvoirs émanent de la nation. Et pourquoi a-t-on inséré cette disposition dans la Constitution? Précisément pour en proscrire les pouvoirs de droit divin. (Interruption )

M. de Mérode me fait l'honneur de m'interrompre. Puisqu'il le veut, je m'adresserai directement à lui; mais je le prie de ne pas m'interrompre; je ne l'ai pas interrompu une seule fois pendant la lecture de son long discours.

Très volontiers je m'occuperai du discours de l'honorable M. de Mérode; car c'est, à mon avis, l'un des documents les plus curieux pour l'histoire des partis, en Belgique, qui ait paru depuis vingt ans.

Il ne manque, on l'a déjà dit, à ce discours que des conclusions dont la hardiesse réponde à celle des prémisses. Mais l'honorable membre n'a été hardi qu'en théorie; une certaine timidité l'a repris, lorsqu'il est arrivé à ses conclusions.

Tout à l'heure l'honorable M.de Mérode m'a interrompu pour me dire : Mais quelle est la doctrine du gouvernement ? Car il ne suffit pas que les doctrines du gouvernement soient celles de la majorité du pays. Je demande quelles sont ces doctrines. Mais, pour faire voir à l'honorable M. de Mérode qu'il s'est trop tôt arrêté dans ses conclusions, je lui demanderai quelle est la doctrine de la liberté d'enseignement, quel est le Dieu de la liberté d'enseignement.

La liberté d'enseignement, ce n'est pas seulement la liberté d'une opinion, d'une religion; c'est la liberté de toutes les opinions, de toutes les religions. Quelle est la doctrine de la liberté d'enseignement?

Eh bien, si vous croyez que la religion puisse seule sauver la société, si vous croyez que l'éducation peut seule affermir la religion, si vous croyez que les ministres des cultes sont seuls capables de donner l'enseignement religieux, ce n'est pas l'enseignement de l'Etat qu'il faut proscrire; c'est tout enseignement autre que celui du clergé.

Mais il ne faut pas vous arrêter là. Ce n'est pas la liberté d'enseignement seule qu'il faut rayer de la Constitution.

Il y a un autre enseignement bien autrement important que celui des écoles, et qui agit bien autrement sur la société. Lorsque les écoles du XVIIIème siècle étaient impuissantes à maintenir l'esprit religieux, comme on l'a reconnu tout à l'heure, d'où venait l'incrédulité? Elle sortait de la presse. Voilà le grand mobile de la société actuelle.

D'après vos principes, si le clergé est seul compétent pour diriger l'enseignement des écoles, à bien plus forte raison il doit l'être pour diriger cet enseignement bien autrement influent, bien autrement grave dans ses résultats. Rayons donc la liberté de la presse de nos institutions!

M. Dumortier. - C'est absurde!

(page 1264) M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - C'est logique.

M. Devaux. - Ah ! vous êtes sur une pente qui conduit bien plus loin encore.

Le pouvoir laïque, nous a-t-on répété, est un pouvoir sans morale, sans religion ; le Code pénal et le bourreau : voilà son affaire! Messieurs, le pouvoir laïque ce n'est pas seulement le ministère, ce sont aussi les chambres: nous sommes donc un pouvoir sans morale, sans religion ! Qu'on restreigne donc notre action dans le cercle des choses purement matérielles, qu'on ne nous fasse plus de discours qui s'adressent à nos sentiments.

Jusqu'ici l'honorable M. de Mérode, quand il nous a parlé, s'est adressé à notre patriotisme, à notre justice, à nos sentiments religieux. Mais à quel titre entendons-nous ce langage?

Que parlez-vous de notre justice? Nous sommes pouvoir laïque; nous ne connaissons pas la justice.

Vous vous adressez à nos sentiments religieux : nous sommes pouvoir laïque, vous l'avez dit, nous n'avons pas de religion.

Vous vous adressez à notre patriotisme. Mais le patriotisme, le dévouement à la patrie, c'est encore de la morale. Nous ne connaissons pas le patriotisme; nous ne connaissons pas la morale. Notre domaine moral, vous l'avez circonscrit entre le Code pénal et le bourreau.

Mais nous ne sommes pas les seuls qui soyons traités de cette façon par l'honorable M. de Mérode. Le pouvoir laïque, ce n'est pas seulement nous, ce sont aussi les autorités provinciales, et ces autorités communales dont on prétend faire si grand cas, toutes autorités laïques, par conséquent sans religion, sans morale, athées, impies! Vous avez des bureaux de bienfaisance, des administrations d'hospices. Il y a là des hommes qui s'avisent de consacrer leur vie à de bonnes œuvres; les fous! Les administrateurs laïques ne savent-ils pas que, pour le pouvoir laïque, il n'y a pas de morale, pas de charité, pas de dévouement philanthropique? Le Code pénal et le bourreau, voilà leur affaire !

M. Dumortier. - Il n'est pas permis de dénaturer ainsi les paroles de ses collègues.

M. le président. - Veuillez ne pas interrompre, M. Dumortier. Vous aurez votre tour.

M. Devaux. - Quand on proclame un principe, il faut avoir le courage d'en entendre les conséquences.

Si, comme vous le déclarez, la religion seule peut sauver la société, si le pouvoir laïque est sans religion, sans morale, incapable de sentiments moraux, n'est-il pas évident que, lorsque la société est à vos yeux dans un état si alarmant, ce n'est pas seulement de l'avenir, ce n'est pas seulement de l'enfance que vous devez vous préoccuper? Le remède que vous voulez appliquer à la direction de l'enfance, il faut l'appliquer à la direction de la société, du gouvernement. A un pouvoir sans religion, sans morale, il faut substituer le seul pouvoir moral et religieux , c'est-à-dire le clergé, c'est-à-dire, comme une bouche plus éloquente que la mienne vous le disait l'autre jour, la théocratie. Voilà vos principes. Il y a trop longtemps que nous nous nommons Belgique ; désormais appelons-nous Paraguay.

Il n'y a qu'un malheur, c'est que la société éprouve tant de répugnance pour le remède que, plutôt que de s'y résigner, elle se laisserait mille fois mourir.

Je sais bien, messieurs, que ces principes on n'en admet pas expressément toutes les conséquences; je sais bien aussi que ce sont pas ceux que beaucoup de nos honorables adversaires s'avouent à eux-mêmes, mais la discussion montre que ces idées exercent dans ce moment leur influence sur un assez grand nombre d'entre eux sans que peut-être ils s'en rendent bien compte à eux-mêmes. Car sous l'empire de certaines circonstances et lorsqu'une certaine agitation se manifeste, ces idées prennent une grande influence dans l'opinion catholique, et il est très difficile, je le sais, aux hommes modérés de leur résister. C'est ce qui arrive aujourd'hui. Heureusement, je crois que, quand nous en viendrons à la discussion plus précise des articles, tout le monde ou presque tout le monde pourra rentrer dans la vérité des faits et dans la modération des doctrines. J'attendrai, messieurs, cette discussion pour aborder plus particulièrement les amendements annoncés par l'honorable M. de Theux.

Avant de finir, je voudrais dire un mot sur le degré d'importance de l'enseignement religieux dans l'instruction moyenne.

Messieurs, je crois que le devoir du gouvernement est de favoriser l'enseignement religieux dans ses établissements d'instruction moyenne, d'appeler, d'inviter, d'exciter le clergé à le donner. La sincérité de mes paroles ne vous sera pas suspecte, si vous me permettez de vous citer un de mes précédents administratifs dans mes fonctions de conseiller communal.

Lorsque je suis entré, il y a treize ans, au conseil communal de la ville de Bruges, depuis des années l'athénée n'avait pas d'enseignement religieux. Cet état de choses existait sans réclamation aucune de la part des parents. On ne songeait pour ainsi dire pas à remplir la lacune. On craignait quelques difficultés. La première proposition que je fis au conseil communal fut de faire des démarches auprès de l'évêque de Bruges pour qu'il voulût désigner un ecclésiastique chargé de l'enseignement religieux. La demande se fit, l'évêque de Bruges consentit; l'ecclésiastique fut désigné, et, pour le dire en passant, sans aucune espèce de condition de concours; et aujourd'hui encore l'enseignement religieux se donne dans l'athénée de Bruges sur le même pied, sans que jamais il soit survenu ni trouble, ni conflit, ni inconvénient quelconque. La meilleure entente n'a cessé de subsister, sous ce rapport, entre l'autorité et le clergé.

Messieurs, je persiste à croire, aujourd'hui comme alors, que l’enseignement religieux est très désirable dans les établissements d'instruction moyenne; qu'il y est utile; mais je ne crois pas qu'il soit indispensable; je ne le crois pas surtout, pour des établissements qui sont des externats.

Messieurs, je crois que l'enseignement religieux des collèges n'a pas une influence aussi grande que celle que beaucoup de personnes lui accordent. Déjà on vous a cité des exemples; on vous a dit que les générations de la régence, de Louis XV, de 1793, étaient sorties d'écoles où certainement l'enseignement religieux ne manquait pas. On vous a cité les populations italiennes, espagnoles; et certainement, messieurs, cela prouve que l'enseignement moyen n'exerce pas sur la société l'empire qu'on lui attribue.

Je sais bien qu'aujourd'hui, en France, il est des hommes qui pensent que c'est la seule ressource de la société; que si la population française était élevée dans les écoles où domine l'enseignement religieux, peut-être même dans les écoles ecclésiastiques, la France serait sauvée.

Messieurs, permettez-moi de le dire, je ne risque pas de détruire une illusion; mes paroles n'arriveront pas jusqu'à la France. Le remède aux maux de ce malheureux pays n'est pas si facile; s'il n'y en a pas d'autres que celui-là, le terme de la cure est encore bien éloigné.

M. de Haerne. - Il arrive un peu tard.

M. Devaux. - Messieurs, ne me faites pas dire plus que je ne veux dire. N'exagérez pas la conséquence que je veux tirer de ces prémisses. La conséquence, messieurs, c'est que si l'action religieuse est désirable, elle n'est cependant pas indispensable, c'est qu'elle n'a pas cette influence exclusive qu'on lui donne.

Messieurs, aux exemples d'autres peuples qu'on vous a cités, on pourrait ajouter des exemples pris plus près de nous.

Certainement, messieurs, la Belgique, depuis vingt ans, a donné un admirable exemple au monde.

Amie de l'ordre et de la liberté, la Belgique a satisfait à toutes les nécessités sociales, à toutes les exigences d'une position nouvelle qui eût été pleine de périls et de difficultés pour d'autres. Eh bien, cette génération qui fait la force de nos institutions depuis 1830, d'où était-elle sortie? Non pas des écoles ecclésiastiques , mais, écoles tant blâmées du roi Guillaume.

M. de Mérode. - Il y a de vieilles racines.

M. Devaux. - L'honorable M. de Mérode me dit : Il y a de vieilles racines. Eh bien, encore un exemple!

Ces vieilles racines, où se trouvent-elles principalement? Dans les familles de l'opinion de l'honorable membre. Ces familles, en Belgique, où envoient-elles leurs enfants? Dans les écoles ecclésiastiques. Au sortir des écoles ecclésiastiques, où se rendent ces jeunes gens? A l'université de Louvain.

Eh bien, messieurs, à la suite des événements de février, il y a eu dans le pays un seul établissement d'instruction supérieure où s'est montrée une telle effervescence qu'il a fallu le fermer? Quel a été cet établissement? L'université catholique de Louvain.

Messieurs, ne concluez pas de ce que je dis que, selon moi, l'université de Louvain et les écoles ecclésiastiques nourriraient chez les jeunes gens des sentiments révolutionnaires. Rien n'est plus loin de ma pensée. Mais ces faits prouvent que l'influence qu'on regarde comme si indispensable, comme si exclusivement importante, n'a pas toute la portée qu'on lui donne.

Messieurs, les principes philosophiques et les principes politiques ne se forment pas définitivement au collège. Trop souvent même, au sortir du collège, le jeune homme s'empresse de rejeter ceux qu'il y a reçus. Si ces principes se formaient à l'école, ce serait bien plutôt dans les écoles de l'enseignement supérieur. Or, chose remarquable! personne ne demande des garanties d'enseignement religieux dans les universités. Cependant, je le répète, si les principes philosophiques, si les principes politiques se forment quelque part dans l'enseignement, c'est bien plutôt aux universités que dans les collèges. Personne ne réclame de garanties, ni même le concours du clergé dans l'enseignement supérieur. Bien plus, messieurs, à l'université catholique de Louvain il n'y a pas d'instruction religieuse pour les élèves qui ne sont pas théologiens... (Interruption.}

Est-ce que les élèves des facultés de droit ou de médecine reçoivent l'instruction religieuse? On les invite à fréquenter les églises, dites-vous, soit, mais on peut être élève de l'université de Louvain pendant plusieurs années, sans entendre parler d'enseignement religieux. (Nouvelle interruption.) Cela est incontestable.

Messieurs, je pense, moi, que la société fait le collège bien plus que le collège ne fait la société. Je crois que ce n'est point par le collège qu'on réformera la société. Je crois que ceux qui veulent réformer la société doivent la prendre par en haut et non par en bas. Mes souvenirs, messieurs, sont un peu différents, je dois le dire, de ceux de l'honorable M. Vilain XIIII. J'ai connu l'enseignement des lycées de l'empire, j'ai connu l’enseignement des athénées du roi Guillaume, le premier à Bruges, le second à Bruxelles, et j'ai même pendant quelque temps, comme l'honorable M. Vilain XIIII connu l'un des quatre grands lycées de Paris. Eh bien, messieurs, quand j'interroge mes souvenirs, j'avoue, et je dirais la chose franchement s'il en était autrement, que je ne trouve aucun reproche à faire à l'enseignement de ces divers lycées. Je n’ai trouvé là ni immoralité ni irréligion. Est-ce à dire, messieurs, que tout y était bien? Ces collèges reflétaient l'état de la société.

(page 1265) Ainsi, messieurs, les lycées de l'Empire, dans ce pays-ci, avaient une masse de jeunes boursiers français; beaucoup de ces enfants étaient très mal élevés, et c'était un fort mauvais élément dans nos lycées. Ce n'était pas la faute de l'enseignement. Dans les athénées du roi Guillaume, il pouvait rester encore quelques traces de cet état de choses. En France, j'ai vu aussi que la régularité des mœurs n'était pas au mieux chez tous les élèves, mais comment voulez-vous que les collèges français ne reflètent pas les générations de la Révolution et de l'Empire, comme ils reflètent aujourd'hui celle du règne de Louis-Philippe ? Comment voudriez-vous qu'aujourd'hui, dans les collèges de Paris, quel que soit l'enseignement, il ne se trouvât rien de ce qu'on rencontre à chaque pas au-dehors ?

Messieurs, ce qui vous frappe, c'est que dans vos rangs vous voyez beaucoup d'élèves des écoles ecclésiastiques; vous en concluez à l'influence politique et religieuse de ces écoles.

Mais ici je crois que vous confondez l'influence de la famille avec l'influence de l'école. Si tel homme parmi vous, appartient à votre opinion, c'est bien moins parce qu'il a été élevé à telle école que parce qu'il appartient à telle famille dont il a reçu les traditions.

L'honorable M. Vilain XIIII, qu'il me pardonne de le mettre en scène, n'a pas pris dans les écoles les opinions qu'on y professait.

M. Vilain XIIII. - Pardon, monsieur, j'ai fait ma rhétorique et ma philosophie à Saint-Acheul, et c'est là que j'ai retrouvé la paix du cœur et le repos de l'intelligence.

M. Devaux. - Laissez-moi continuer à attribuer une partie de cet honneur à vos parents.

M. Vilain XIIII. - Oui, puisqu'ils m'y ont placé.

M. Devaux. - Messieurs, à toutes les époques de ma vie j'ai trouvé dans les rangs les plus extrêmes, soit sous le rapport politique, soit sous d'autres rapports encore, et dans toutes les localités, des hommes qui étaient sortis des écoles ecclésiastiques, je ne dis pas en majorité, mais en nombre suffisant pour montrer les limites de l'influence de ces écoles. Voyez ce qui se passe autour de nous, interrogez chacune de vos localités et vous n'en disconviendrez pas.

Vous-mêmes, messieurs, vous ne pensez pas que l'enseignement religieux, tel qu'il se donne dans les établissements d'instruction moyenne, quelque désirable qu'il soit, ait ce caractère de nécessité; car enfin, si cela était, s'il y avait un tel péril pour la société à ce que les établissements d'instruction moyenne manquent d'instruction religieuse, eh bien, messieurs, vous n'auriez pas laissé pendant vingt ans les établissements de nos grandes villes manquer de cette instruction.

Cette opinion, d'ailleurs, est confirmée par une autorité plus imposante, c'est l'opinion du clergé. Je dis qu'aux yeux du clergé catholique belge l'enseignement religieux spécialement destiné aux adolescents, aux jeunes gens qui se trouvent en âge d'être au collège et qui ont fait leur première communion ; qu'aux yeux du clergé de la Belgique, cet enseignement n'est pas indispensable. Car, seraient-ce donc les jeunes gens des collèges seuls qui le recevraient s'il avait ce degré extrême d'importance ? Qu'est-ce que la population des collèges? Prenons les jeunes gens de 12 à 18 ans, il y en a en Belgique 500,000 ou 600,000; et la population des collèges, de combien est-elle? Oh ! tout au plus assurément de 8, 9 ou 10,000, la cinquantième partie. Si l'enseignement religieux était indispensable à ceux qui sont en âge de fréquenter le collège, cet enseignement n'existerait-il que pour la cinquantième partie de cette génération? Cela est impossible! Si le clergé catholique de la Belgique jugeait qu'il y a un enseignement nécessaire aux adolescents autre que le prône, qui s'adresse aux adultes, cet enseignement existerait pour tout le monde, il se donnerait à l'église, et dès lors vous ne rencontreriez pas les difficultés qui existent aujourd'hui. Elles naissent précisément de ce que le clergé, ne le jugeant pas indispensable, ne le donne pas à l'église, où tout le monde pourrait aller le recevoir, mais exceptionnellement et par une espèce de faveur, aux personnes ou aux établissements de son choix.

Messieurs, tout désireux que je sois de voir établir dans tous les collèges du gouvernement l'enseignement religieux, je ne suis pas non plus disposé à l'acheter à tout prix; je suis disposé à mettre dans la loi tout ce qui est raisonnable, conciliable avec l'indépendance et la dignité du pouvoir; mais je ne crois pas que cet enseignement soit tellement indispensable qu'il faille lui sacrifier toutes les autres considérations.

Nous aurons ou nous n'aurons pas le concours du clergé. Je crois qu'il ne faut rien faire pour provoquer un refus; je crois qu'il faut faire tout ce qui est raisonnable et digne pour obtenir ce concours; mais il ne faut pas s'effrayer d'un refus. Il est impossible que ce soit une phase par laquelle il faille passer pour arriver plus tard à des rapports meilleurs et plus stables entre le pouvoir et le clergé.

Si les idées extrêmes, si des idées comme quelques-unes de celles que vous avez entendues ici, dominent, le gouvernement n'obtiendra pas ce concours.

Mais il l'obtiendra, si des idées plus modérées prévalent, et j'espère encore qu'elles prévaudront.

Le clergé a certainement le droit de préférer certaines écoles à d'autres écoles; mais, il faut l'espérer, il se dira qu'après tout, quoi qu'il fasse, les écoles du pouvoir laïque, et l'épreuve est là pour le démontrer, subsisteront; que de ces écoles sont sortis et continueront à sortir les hommes les plus influents du pays. Le clergé se dira que refuser à exercer sur ces hommes, sur cette partie si importante de la société future, une action qu'il croit si puissante, ce serait à la fois une mauvaise action et un mauvais calcul. Le clergé se dira que, lorsque dans ces établissements où l'on se plaint que son action manque, on l'appelle sincèrement et respectueusement; lorsqu'on lui présente des chaires dans toutes les classes; lorsqu'on livre à toute l'influence de sa parole des jeunes gens destines à devenir la partie culminante de notre société politique et administrative, ce n'est pas la peine de regarder si, à son entrée, on lui ouvre deux battants de la porte ou un seul.

C'est quelque chose peut-être que l'autorité qu'on tient de la loi, mais pour des ministres du culte, l'important n'est pas d'exercer son autorité au nom de la loi ; c'est d'exercer son empire sur les âmes. Quand on lui livre toute la partie de notre jeune population, à laquelle il lui importerait le plus d'étendre son influence, au lieu de s'efforcer d'augmenter son action sur elle, se refuserait-il à sa mission pour se retirer dans une vaine et inutile bouderie?

Messieurs, si aux sectaires politiques qui agitent un pays voisin on offrait une chaire dans chaque collège de grande ville, croyez-vous que l'ardeur du prosélytisme ne les y précipiterait pas? Ceux qui parlent au nom du Christ pourraient-ils avoir moins de zèle, moins de confiance dans leur mission que ceux qui parlent au nom de Fourier ou de Proudhon? Lorsque le grand propagateur du christianisme naissant, lorsque l'apôtre saint Paul a porté la doctrine chrétienne de la Judée dans le monde grec et romain, a-t-il demandé au paganisme s'il le recevait comme autorité légale ? A-t-il demandé à prêcher de par la loi ou le règlement? Non; soutenu par son zèle et son inspiration, il n'a pas attendu qu'on lui offrît des chaires, il a parlé, il a traversé les mauvais traitements et les humiliations; il s'est emparé des âmes et il a doté des bienfaits du christianisme l'Europe païenne et tout l'avenir de sa civilisation.

Ce rôle est assez beau, assez glorieux pour n'être au-dessous de la dignité de personne. Que le clergé vienne dans les établissements de l’État, ce qui l'y attend, ce ne sont ni les obstacles ni les humiliations, mais un accueil respectueux et cordial, un désir sincère de travailler de-commun accord à l'œuvre commune.

- Plus de dix membres demandent la clôture.

M. Dumortier (contre la clôture). - Messieurs, je ne pense pas que la chambre, ou du moins l'immense majorité de la chambre veuille clore les débats, au moment où la liste des inscriptions va être épuisée...

- Un membre. - Elle est épuisée.

M. le président. - Pardon, la liste n'est pas épuisée; un seul orateur est encore inscrit, c'est M. Boulez, qui a cédé la parole à M. Dumortier...

- Des membres. - La clôture !

M. Dumortier. - Est-ce que par hasard quelques personnes demandent la clôture pour ne pas m'entendre? Je dois le croire, puisque j'entends dire : « Que M. Boulez parle ! » alors qu'on sait que l'honorable M. Boulez a eu l'extrême complaisance de me céder son tour de parole. On ne veut donc pas m'entendre?

Maintenant l'honorable M. Dequesne demande aussi la parole, pour son compte. Eh bien, je prendrai la confiance de faire remarquer à l'assemblée que ce serait une chose inouïe que la chambre clôturât une discussion après avoir entendu deux orateurs dans le même sens. (Interruption.)

L'honorable M. Dequesne me dit que c'est comme rapporteur qu'il vient parler. Or, il n'y a pas, dans le règlement, un seul article qui donne au rapporteur, précisément à cause de sa qualité de rapporteur, le privilège de ne faire part de sa rhétorique qu'après tous les autres. (Interruption.)

C'est l'usage! me dit-on. Je vous demande bien pardon; l'usage a toujours été dans cette chambre que le rapporteur avait la parole le dernier, lorsqu'il combattait le projet du gouvernement; mais lorsque le rapporteur approuve et vient défendre le projet du gouvernement, jamais les usages n'ont été ainsi ; ce serait contraire à votre règlement qui exige que l'ordre d'inscription soit sur, pour et contre; d'où il résulte que le dernier à entendre est un orateur contre. C'est ce que veut votre règlement, vous ne pouvez pas le modifier.

Je crois qu'après ces considérations, la chambre ne peut pas consentir à fermer une discussion après avoir entendu deux orateurs pour le projet de loi. Je ferai remarquer que j'ai pris la parole au début de la discussion; je n'ai pu prononcer que quelques mots; il me serait pénible qu'on ne me fît pas l'honneur de m'entendre, d'autant plus que j'ai entendu des personnes qui disaient : Nous voulons bien entendre M. Boulez, mais non M. Dumortier.

M. Dequesne, rapporteur. - Je n'avais demandé la parole que pour résumer les débats; mais on conteste le droit du rapporteur et si la chambre veut clore, je suis prêt à renoncer à la parole.

- Plusieurs voix. - La clôture! la clôture!

M. Lebeau. - J'ai demandé la parole ; si M. Boulez veut prononcer son discours, je suis prêt à retirer toute espèce de motion.

M. Boulez. - Je demande à être autorisé à faire insérer mon discours au Moniteur. Dans ce cas je n'insisterai pas pour avoir mon tour de parole.

- L'insertion est autorisée.

M. de T’Serclaes. - Il n'y a plus que deux orateurs inscrits; si on (page 1266) accorde la parole au rapporteur, il est impossible qu'il finisse aujourd'hui; si donc on lui accorde la parole, je demande qu'on l'accorde aussi aux deux autres orateurs. (Aux voix ! aux voix !)

- La chambre, consultée, ferme la discussion générale.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Un grand nombre d'amendements ont été présentés pendant la discussion générale. Dans l'intérêt de l'ordre de nos travaux, je demande que tous ces amendements soient renvoyés à la section centrale.

M. Delfosse. - Si d'autres amendements sont présentés ultérieurement, on prendra, à l'égard de ces nouveaux amendements, la décision qu'on jugera convenable.

Quant aux amendements déjà déposés et qu'on propose de lui renvoyer, la section centrale pourra les examiner et faire immédiatement un rapport sur ceux qui se rapportent aux premiers articles, de manière que la discussion ne soit pas interrompue.

M. Dumortier. - Nous avons le droit de présenter des amendements pendant la discussion ; pour moi, je ne présente pas des amendements à la section centrale, mais à la chambre ; je ne veux pas que mes amendements lui soient renvoyés; je les retirerai plutôt, sauf à les représenter quand les articles auxquels ils se rapportent seront mis en discussion. .

M. le président. - Les amendements qui ont été déposés sont imprimé ; ils sont acquis à la discussion à moins que ceux qui les ont présentés n'y renoncent. M. le ministre de l'intérieur en demande le renvoi à la section centrale; s’il est ordonné, elle fera successivement son rapport au fur et à mesure que les articles auxquels ils se rapportent seront mis en discussion. On lui renverra, s'il y a lieu, les amendements qui seront ultérieurement présentés.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je ne comprends pas l'opposition de M. Dumortier. La section centrale est l'émanation de toutes les sections. Dans toutes nos discussions, des renvois semblables à celui que je propose ont été ordonnés; s'il est arrivé qu'on s'y opposât, c'est de la part du gouvernement que partait l'opposition. Le gouvernement demande à s'éclairer par l'examen en section centrale; où est le mal? où est le motif de l'opposition de M. Dumortier?

M. Dumortier a déposé des amendements ; la chambre en fera ce qu'elle voudra sans que M. Dumortier ait le moins du monde à s'y opposer; libre à lui seulement de les retirer.

Le renvoi que je demande a pour but de gagner du temps; c'est sous la réserve que la chambre continuera la discussion sans s'arrêter. S'il devait en résulter de nouveaux retards, je retirerais ma proposition.

M. Dumortier. - Elle aura pour résultat inévitable de prolonger la discussion.

- Le renvoi des amendements à la section centrale est ordonné.

La séance est levée à 4 heures et demie.