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Chambres des représentants de Belgique
Séance du lundi 23 décembre 1850

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1850-1851)

(Présidence de M. Verhaegen.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 379) M. A. Vandenpeereboom procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.

- La séance est ouverte.

M. T'Kint de Naeyer donne lecture du procès-verbal de la séance d'avant-hier, dont la rédaction est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. A. Vandenpeereboom fait connaître l'analyse des pièces suivantes adressées à la chambre.

« Le bourgmestre et les échevins de Bar-le-Duc demandent qu'il soit nommé une commission chargée d'examiner quelle direction il est préférable de donner à la route de Turnhout à Tilbourg et présentent des considérations en faveur du tracé par Bar-le-Duc. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« L'administration communale de Louvain prie la chambre de se prononcer sur l'abrogation ou le maintien de la loi du 19 janvier 1811, concernant les enfants trouvés et abandonnés, de réviser la loi du 30 juillet 1844, et d'établir une règle uniforme pour toutes les provinces. »

- Même renvoi.


« Le sieur Merckaart, ancien employé au ministère de l'intérieur, prie la chambre de lui accorder une pension ou un secours annuel. »

- Même renvoi.


Le sénat, par un message, fait connaître l'adoption du projet de loi de budget des voies et moyens et de 24 projets de naturalisation ordinaire.

- Pris pour information.


Dépêche de M. le ministre de la justice accompagnant l'envoi de quatre demandes de naturalisation ordinaire.

- Renvoi à la commission des naturalisations.


MM. Thibaut et de Haerne demandent un congé pour cause d'indisposition.

- Ces congés sont accordés.

Projet de loi fixant le contingent de l’armée pour l’année 1851

Rapport de la section centrale

M. de Chimay. - J'ai l'honneur de déposer le rapport de la section centrale sur le projet de loi relatif au contingent de l'armée pour l'année 1851.

M. le président. - Ce rapport sera imprimé et distribué et la discussion en sera fixée après les objets à l'ordre du jour.

M. de Chimay. - Je ferai observer qu'il est indispensable que ce projet de loi soit voté avant les vacances.

- Plusieurs voix. - C'est entendu ! c'est entendu.

Projet de loi rapportant l’article premier de la loi du 31 mars 1847 sur la monnaie d’or

Discussion générale

M. le président. - Le gouvernement se rallie-t-il au projet de la section centrale ?

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Non, M. le président.

M. De Pouhon. - Messieurs, je n'ai pas été partisan de la création de notre monnaie d'or. Je croyais alors, comme aujourd'hui, que le meilleur système pour la Belgique, c'était de n'avoir pas de système monétaire propre, qu'il était préférable d'admettre dans notre circulation les monnaies des Etats voisins.

La fabrication d'une monnaie nationale est une charge onéreuse. Les Etats qui composent le Zollverein ne se soumettent à l'obligation de battre monnaie que contraints et en acquit d'une contribution fédérale ;. c'est, qu'en effet, la monnaie entraîne une responsabilité pour l'Etat qui la produit.

Quels que puissent être nos regrets, nous devons subir les conséquences du fait de notre monnaie d'or ; heureusement que la somme en est très limitée.

Le projet de loi a pour but la refonte de nos pièces de 10, de 25 francs et de retirer le cours légal aux monnaies d'or étrangères.

Je regrette vivement que le gouvernement n'ait pas fait plus de résistance à l'adoption d'une idée qui devait nécessairement aggraver la perturbation qui se produisait en Europe dans la valeur de l'or et occasionner beaucoup de pertes et de mécontentement dans le pays.

Je ne méconnais pas l'action que doivent exercer sur la valeur de l'or le développement qu'a pris sa production dans les possessions russes et la nouvelle production de la Californie. Mais ces excédants se répandant dans l'univers entier, ne devaient y produire qu'une dépréciation graduelle et insensible. Dépassent-ils, d'ailleurs, l'accroissement de fortune des nations européennes et américaines, fortune que l'or et l'argent représentent ? La plus grande partie de l'or de Californie arrive aux Etats-Unis où son effet est neutralisé par l'usage plus étendu d'une monnaie d'or qui y circule au préjudice de l'argent et du papier des banques.

Avec des réservoirs tels que la banque d'Angleterre, qui renferme 16 millions sterling presque entièrement en or, et la banque de France, dont l'existence métallique est de 400 millions, l'or pourrait attendre que la pondération naturelle lui rendît sa valeur.

Ce qui a précipité la baisse de l'or, c'est la démonétisation des pièces de 5 et 10 florins des Pays-Bas. Elle a fait affluer une valeur de 250 à 300 millions de francs vers trois à quatre centres qui avaient à porter aussi tout ce que la panique produite par cette mesure faisait sortir des caisses en matières d'or.

On a vu dans cette démonétisation un acte de prévoyance et de l'ancienne habileté hollandaise, parce que son exécution a commencé après la découverte du nouveau Pactole et pendant que les esprits en étaient frappés.

Cependant, messieurs, la loi qui a adopté un étalon unique en Hollande est antérieure à la découverte des sables aurifères de la Californie.

Il m'a été assuré par quelqu'un en position d'être très bien informé, que le ministre des finances des Pays-Bas penchait pour l'or comme unité monétaire et que ce fut l'influence de la banque des Pays-Bas qui détermina l'adoption de l'étalon d'argent.

Les banques sont intéressées à ce que la monnaie du pays soit en argent parce qu'elle assure une plus grande circulation à leurs billets. J'espère que notre Banque Nationale aura assez d'éléments de prospérité sans devoir en chercher qui ne s'accordent point avec l'intérêt du pays et les convenances du public.

Ce n'est donc pas la production de l'or en Californie qui a décidé le gouvernement hollandais à démonétiser ses pièces de cinq et de dix florins.

Nous n'avons pas vu qu'aucun gouvernement ait encore pris une pareille mesure. Je déplore que la Belgique, en en prenant l'initiative, ait rendu un aussi mauvais service aux autres pays et à elle-même ; le fait seul de la présentation du projet de loi que nous discutons a plus déprécié la valeur de l'or que ne le ferait une couple d'années de la production californienne. Les pièces de 10 fl. ont baissé de 10 à 12 centimes du jour au lendemain ; le change sur Londres a fléchi dans cette proportion à Paris et ici, et en France, les préoccupations se sont accrues à ce point d'y faire agiter la question de la démonétisation des pièces de 20 et de 40 fr.

Ah ! si une pareille mesure venait à être adoptée en France, vous seriez justifiés de l'avoir prévenue, car la baisse de l'or ferait encore un grand progrès, mais je suis persuadé que le projet de loi n'aura réussi qu'à la faire mettre en question.

(page 380) Le gouvernement français a nommé une commission pour examiner la matière. On s'en plaint à Paris, moins parce que cette commission renferme trop peu d'hommes pratiques, que parce qu’elle est de nature à entretenir les préoccupations sur les intentions du gouvernement.

La nomination de cette commission ne semble au moins présenter un bon côté, c'est de prendre du temps et d'empêcher que des modifications irréfléchies ne soient apportées à la législation monétaire existante.

Des changements de cette nature, destinés à réagir aussi activement sur l'économie sociale et sur les rapports internationaux, ne devraient être adoptés par un grand Etat comme la France, qu'après des délibérations entre les puissances qui y sont le plus intéressées.

A quoi servirait à la France d'abaisser sa propre fortune en fournissant à l'Angleterre un avantage de plus dans la concurrence industrielle et commerciale.

On paraît ne s'émouvoir que médiocrement en Angleterre de la baisse de l'or.

J'ai appris, d'une personne revenue ces jours-ci de Londres, que la banque a profité du prix élevé de l'argent pour écouler deux millions de livres qu'elle possédait en ce métal et qu'elle remplace par l'or.

Un million de piastres américaines sont consignées à la banque, par suite d'un litige judiciaire ; les intéressés sont en instance pour obtenir l'autorisation de les remplacer par de l'or, afin de bonifier la valeur du dépôt.

L'Angleterre est si complètement engagée dans son système monétaire d'or, qu'elle ne peut penser à le changer. Au premier abord, et avec les préjugés existant encore, on pourrait être porté à croire que ce serait une raison pour la France de ne pas s'y aventurer. Je pense qu'un examen approfondi donnerait une solution contraire.

La loi française, en établissant que le poids d'une pièce de 20 francs a la même valeur que le poids de 4 pièces de 5 francs, n'a fait que fixer un rapport qui existait approximativement dans la circulation générale de l'Europe. Qui nous assure que cette proportion a définitivement changé ? Comment établirait-on qu'elle devrait être en réalité de 19, 18, 17 francs pour la pièce de 20 francs contre 20 francs d'argent ?

Si cela n'est pas possible, pourquoi changer les étalons respectifs ? En les maintenant, on fabrique plus de monnaies d'or et la valeur se relèvera tandis que la hausse de l'argent sera contenue.

Supposez que la France trouve convenable de profiter du bas prix actuel de l'or pour fabriquer une monnaie plus commode que des pièces de 5 francs, une monnaie qui s'use infiniment moins, et qu'elle partage sa circulation par moitié entre ses deux étalons ? Elle aurait, dans ce cas, à faire pour un milliard en pièces de 20 francs, et ainsi elle absorberait la production de la Californie de nombre d'années.

L'Autriche, qui a chassé sa monnaie métallique en en prohibant la sortie, devra remédier à ce grand mal en rappelant des matières pour fabriquer des pièces d'or et d'argent. Il y a encore place là pour des années de production de l'Oural et de l'Altaï.

Remarquez bien, messieurs, que si la France décidait résolument qu'elle ne changerait pas son système, les pièces d'or que la panique a fait sortir des caisses particulières se hâteraient d'y rentrer, ce qui ne serait pas un bien sous certains rapports, mais cela satisferait des goûts innés et des besoins très positifs. L'or ressaisirait son rapport avec l'argent.

Ce qui vous prouve, messieurs, que le gouvernement français est moins touché que le nôtre à l'endroit de l'or, c'est que la monnaie n'a pas cessé de frapper des 20 francs ; elle en délivrait encore un million de francs par jour la semaine dernière. La peur des progrès de la baisse et les exportations de farines font affluer à la monnaie de Paris de l'or venant d'Angleterre ; il continue d'en arriver de Hollande et de Belgique. Vendredi dernier, on en livra pour huit millions à la monnaie, qui s'est vue dans le cas de donner ses derniers bons de monnaie à 20 jours au lieu de 10 jours, comme d'ordinaire.

La question est bien controversée, mais j'inclinerais à croire à la dépréciation progressive de l'or qu'encore refuserais-je mon vote à l'article 2 du projet de loi qui autorise le gouvernement à retirer de la circulation nos 10 et 25 fr.

La Belgique a été sévèrement traitée pour être entrée dans le système monétaire d'or établi par la loi de 1846. Nous devons éviter d'en sortir en encourant des reproches plus fondés.

Nous voyons, par un tableau joint au rapport de votre commission, que le gouvernement faisait fabriquer des 25 francs, taudis qu'il retirait avec raison, de la circulation, les souverains anglais qui avaient une valeur relative plus grande.

Un autre tableau nous fait connaître qu'il sortait de l'hôtel des monnaies 80,000 fr. en pièces de 25 fr. le 4 de ce mois, deux jours avant la date du projet de loi. Je sais bien que c'était le solde d'une fabrication autorisée dès le 4 octobre 1849, mais ceux qui avaient perdu sur leurs souverains, puis après sur les pièces hollandaises, croyaient avoir de légitimes sujets de plaintes en voyant sortir successivement des pièces d’or encore chaude de la Monnaie, pendant et longtemps après l'exécution de ces deux mesures. Un très grand nombre de personnes, après avoir essuyé des pertes sur les souverains et sur les pièces hollandaises, avaient acheté de l'or belge avec prime. Les voilà de nouveau menacées dans la possession de leur or national. Il est impolitique de susciter tant de froissements, je voudrais voir le gouvernement moins prompt à s'y décider.

Pour démonétiser nos 10 et 25 francs, l'Etat devrait subir aujourd'hui une perte de 300 mille francs.

En présence de cette perte certaine et de la chance de l'éviter en s'abstenant, je préférerais exposer l'Etat à une perte double dans quelques années. Mais je suis persuadé que, sans la présentation du projet de loi, nos pièces d'or seraient restées longtemps dans les caisses qui les renferment avec tant de soin que l'on en voyait bien rarement, et que leurs paisibles possesseurs auraient évité toute perte à l'Etat.

Je voterai l'article 3 tel qu'il a été modifiée par la commission. Il donne les apaisements désirables contre un danger sérieux. Notre nouvel établissement financier qui aura une grande partie de l'or dont on redoute l'importation, serait à même de le faire arriver à temps à Paris pour profiter des mesures que le gouvernement français jugerait, sans doute devoir prendre en faveur des détenteurs régnicoles.

C'est une chose grave et qui mérite bien que l'on s'expose à quelques inconvénients, que d'entraver les relations de commerce avec un pays comme la France. En adoptant une mesure dans laquelle on pourrait (on n'y est que trop porté chez nos voisins) voir un manque d'égards nous pourrions attirer des représailles.

Le refus de nos 5 francs par la banque de France, nous l'avons déjà éprouvé, rendrait nos échanges très difficiles avec ce pays.

Ordre des travaux de la chambre

M. David (pour une motion d’ordre). - Messieurs, je vous prie de vouloir bien décider la question de savoir si la chambre s'ajournera ou non à partir de demain. La discussion actuelle paraît devoir être longue ; c'est tout au plus si nous pourrons la terminer en deux jours ; après-demain c'est fête, jeudi c'est encore fête ; nous ne pourrions aborder la discussion du budget de la guerre avant vendredi ; ce budget soulève des questions d'une très grande importance, il est évident qu'il nous reste trop peu de temps pour pouvoir le discuter d'une manière convenable.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Messieurs, le gouvernement a le plus vif désir de voir les budgets votés régulièrement, conformément à la loi de comptabilité, avant l'ouverture de l'exercice. Il me semble que la discussion du budget de la guerre n'est pas de nature à prendre un temps très long. Le budget de la guerre ne se discute pas dans ses détails. Il y a une grande question, une question de principe qui se traite dans la discussion générale ; puis, la discussion générale close, le budget de la guerre est pour ainsi dire voté. Je pense qu'il conviendrait que la chambre ne se séparât pas avant d'avoir voté le budget de la guerre.

M. Dumortier. - La question soulevée par le budget de la guerre est une question d'une excessivement grande importance, dont la discussion prendra de toute nécessité plusieurs jours. Or, comme vient de le dire avec beaucoup de raison l'honorable M. David, le temps qui nous reste d'ici à la nouvelle année est scindé par une série de fêtes et dimanches. Après-demain c'est la Noël, le jour suivant c'est une fête, vous avez ensuite deux jours, puis un dimanche ; de sorte qu'il ne vous reste pas trois jours de séances consécutives à consacrer à une discussion d'une importance aussi majeure que celle du budget de la guerre ; ce sera peut-être la plus importante de toute la session ; elle mérite bien qu'on consacre plusieurs jours à son examen ; il faut ensuite laisser au sénat le temps de discuter une question de cette importance.

Le sénat, dont il ne nous appartient pas d'absorber la prérogative, serait dans l'impossibilité d'examiner cette importante question avant le nouvel an.

Il serait donc à désirer qu'un crédit provisoire fût voté pour le département de la guerre, sauf à mettre la discussion sur le budget de la guerre à l'ordre du jour pour l'époque de notre rentrée. Alors la chambre et le sénat auront le loisir d'examiner cette question avec toute l'attention qu'elle comporte ; autrement ce serait impossible.

J'appuie donc la proposition de l'honorable M. David ; et j'engage le gouvernement à présenter un projet de loi de crédit provisoire, de manière à laisser à la chambre le temps d'examiner le budget de la guerre, avec toute la maturité désirable. C'est une question de défense du pays et de nationalité. Ce ne peut être emporté à la baïonnette. Il faut une discussion sérieuse, approfondie.

M. le président. - La section centrale a donné beaucoup de temps à l'examen du budget de la guerre. Depuis plusieurs jours, le rapport est imprimé et distribué. La chambre a donc été mise à même d'examiner ce budget et d'exécuter ainsi la loi de comptabilité. Elle verra ce que, dans ces circonstances, elle juge convenable de faire quant à la motion d'ordre de l'honorable M. David.

M. Delehaye. - Je crois que l'honorable M. David aurait plus de chances de faire adopter sa motion d'ordre par la chambre, s'il proposait de mettre la discussion du budget de la guerre comme premier objet à l'ordre du jour après la rentrée. Je lui demanderai de modifier en ce sens sa proposition.

M. David. - Volontiers !

M. Rodenbach. - On propose de s'ajourner au mardi 14 janvier.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - On pourrait statuer demain, ou à la fin de la séance d'aujourd'hui. Il s'agit de savoir combien durera la discussion de la loi sur les monnaies d'or.

M. le Bailly de Tilleghem. - Si elle est votée aujourd'hui, il est à craindre que la chambre ne soit pas en nombre demain.

(page 381) - La chambre, consultée, adopte la proposition de M. David ; en conséquence la discussion sur le projet de budget du département de la guerre est mise à l'ordre du jour comme premier objet après la rentrée de la chambre.

M. Osy. - Nous ferions très bien de fixer également le jour de notre rentrée. J'ai l'honneur de proposer de le fixer au mardi 14 janvier.

M. David. - Je propose l'ajournement au 8 janvier.

M. Delehaye. - Je m'aperçois que la proposition de l'honorable M. Osy a paru faire quelque impression sur plusieurs honorables membres, parce que l'époque du 14 janvier leur paraît assez éloignée. Mais j'aurai l'honneur de vous faire observer que peut-être jamais nous n'avons eu autant de séances aussi longues et qui se soient suivies avec autant de rapidité que cette année-ci. Il y a longtemps que je siège dans cette enceinte et je ne me rappelle pas que jamais nous soyons arrivés à cette époque de l'année ayant voté autant de projets importants. Je crois, messieurs, que les membres qui comme moi ont suivi avec beaucoup d'assiduité toutes les séances el tous les travaux des sections, ont acquis des droits à quelques moments de repos.

Remarquez d'un autre côté que la chambre a à l'ordre du jour, après le budget de la guerre, un projet de loi extrêmement important, c'est le projet sur le régime hypothécaire. En prenant des vacances jusqu'au 14 janvier, vous pourrez utiliser votre temps. Il est bon qu'un projet de cette importance soit examiné à loisir.

- La chambre décide qu'elle s'ajournera demain, après la discussion du projet de loi sur la monnaie d'or et du projet de loi fixant le contingent de l'armée, jusqu'au mardi 14 janvier, à 2 heures.

Projet de loi rapportant l’article premier de la loi du 31 mars 1847 sur la monnaie d’or

Discussion générale

M. de Brouwer de Hogendorp. - Messieurs, je viens donner mon adhésion au projet du gouvernement, en premier lieu comme un retour aux bons principes qui doivent régler notre système monétaire et en second lieu comme un acte de bonne prévoyance.

Je dis, messieurs, que d'abord j'approuve la mesure qui nous est proposée, comme un retour aux bons principes. Je crois, messieurs, que, par suite de la mesure que nous allons prendre, nous arriverons bientôt à décider législativement que nous n'aurons plus qu'un seul étalon. L'honorable M. De Pouhon a attribué tout à l'heure à une bien petite cause la mesure prise par la Hollande ; c'était pour favoriser une banque, disait-il, que le gouvernement hollandais a pris cette mesure. Non, messieurs, la Hollande a démonétisé l'or parce qu'elle a cru nécessaire d'en venir à un seul étalon. La Hollande a éprouvé de grands inconvénients par suite du double étalon, et ces inconvénients, nous les avons éprouvés également en Belgique. En 1846, lorsque l'on avait adopté le double étalon, l'argent a disparu, parce qu'il y avait un agio ; l'or est venu prendre sa place, et si à cette époque nous n'avions pas eu les anciennes monnaies belges, les anciennes monnaies autrichiennes et françaises, on se serait trouvé dans le plus grand embarras. Aussi longtemps qu'un pays a deux étalons, il n'en a aucun ; il est impossible qu'il y ail deux mesures des valeurs.

L'honorable M. De Pouhon, en critiquant la mesure proposée par le gouvernement, a dit que la baisse qui frappe l'or en ce moment-ci doit surtout être attribuée à la proposition du gouvernement. Mais l'honorable membre a donc oublié que bien longtemps avant que le gouvernement eût fait cette proposition, le change de Londres sur Paris, sur Amsterdam, sur Hambourg était tout à fait contraire à l'Angleterre ! Or, messieurs, d'où cela résulte-t-il ? Cela résulte assurément de la dépréciation de l'or. L'étalon de l'Angleterre étant l'or, le change doit être défavorable à l'Angleterre chaque fois qu'il y a baisse de l'or ou augmentation de l'argent.

Il est donc évident que la mesure proposée par le gouvernement belge n'a produit sous ce rapport que très peu d'effet, et je dirai également que l'effet que l'honorable membre attribue à la démonétisation hollandaise, est excessivement exagéré.

Ce à quoi l'on doit attribuer la baisse de l'or, c'est d'abord à la grande production de la Californie. Il faut l'attribuer encore, messieurs, à l'augmentation de la valeur de l'argent.

Il y a eu des demandes considérables d'argent depuis quelque temps pour le continent de l'Europe, il y a eu des demandes considérables d'argent pour la Hollande, pour l'Allemagne et même pour la Russie. Il en est résulté évidemment une plus grande appréciation de l'argent cl par conséquent une dépréciation de l'or. Mais, messieurs, ce n'est pas là la cause principale de ce que nous voyons aujourd'hui ; la cause principale, je l'ai déjà dit, git dans les grandes masses qui sont produites par la Californie, non pas parce que ces masses pèsent déjà sur le marché de l'Europe, mais parce que la grande production agit sur l'opinion.

L'opinion doit être naturellement alarmée par ce qui se passe en ce moment-ci. La Californie a produit, dans l'année 1850, une valeur en or que l'on peut évaluer, sans exagération, à 250 millions de francs. Or, cette production va continuellement en augmentant ; pendant les trois premiers mois de 1850, l'importation à Philadelphie n'a été que de 4,270,000 dollars ; pendant les trois mois suivants, elle a été de 6,920,000 dollars ; et enfin, pendant les mois de juillet, août et septembre, elle s'est élevée à 9,250,000 dollars. Il est évident, messieurs, qu'une progression aussi considérable dans l'exportation de l'or de la Californie doit agir puissamment sur les esprits.

Maintenant, la mesure que le gouvernement belge propose, est-elle nécessaire ? Je n'hésite pas à dire qu'elle est tout à fait indispensable.

Il est évident, messieurs, que la valeur de l'or décroissant journellement, il doit en résulter un déplacement de l'argent par l'or. L'argent ayant en ce moment-ci une valeur intrinsèque relativement plus considérable que l'or, l'argent doit lentement disparaître et il disparaîtra si vous n'adoptez pas la proportion du gouvernement.

La monnaie d'or de France a une valeur légale en Belgique. Evidemment, si l'or continue à baisser ou même reste au taux actuel, la monnaie d'or de France doit venir remplacer notre monnaie d'argent. Il est donc plus qu'urgent d'adopter la mesure que le gouvernement propose.

Je m'arrête ici, messieurs ; je n'ai pas eu le temps d'étudier le rapport de la commission spéciale, ce rapport ne m'étant parvenu que ce matin. Je me borne donc aux simples considérations que je viens d'avoir l'honneur de soumettre à la chambre.

M. Osy. - Ayant combattu en 1847 la fabrication des pièces de 25 et 10 fr., vous pensez bien, messieurs, que j'ai fait aujourd'hui partie de la minorité de votre commission, qui repousse la démonétisation des 14 millions qui se trouvent en circulation el qui ont été frappés en vertu de la loi de 1847.

Je n'entrerai plus dans les détails de la faute que nous avons commise en 1847, de décréter la fabrication de l'or, parce que, d'après moi et les meilleurs économistes, c'est un faux système d'avoir deux étalons. Déjà, lors de la discussion de la loi de 1847, nous savions que la Hollande était décidée à n'adopter que le seul étalon argent, et qu'on allait retirer de la circulation les pièces de 10 et 5 florins, qui ne pouvaient pas continuer à circuler après la refonte de toutes les anciennes monnaies d'argent, car conservant les deux étalons, il est certain que dans un temps donné, toutes les nouvelles pièces d'argent devront disparaître et être remplacés par de nouvelles pièces d'or.

Aujourd'hui peut-être la Hollande pourra suffire avec le crédit de 750,000 fl., ouvert pour la perte présumable de l'opération de démonétisation, mais si on avait tardé quelque temps encore, la perte aurait été beaucoup plus sensible, et peut-être le mal aurait été irrémédiable. Depuis le peu de mois que la Hollande a commencé la démonétisation, l'or a baissé, ou, pour être plus exact, il faut dire l'argent a haussé de 2 1/2 à 3 p. c.

La Hollande a commencé à vendre avec une prime de 13 3/4 et ne fera peut-être pas aujourd'hui 10 1/2 ; aussi les pièces de 10 fl. sont tombées à 20 francs 60 centimes, ce qui fait une perte de 2 3/4 sur le prix nominal d'émission.

Je conviens avec votre commission qu'aussi longtemps qu'on pourra frapper en France des pièces de 20 fr., la baisse de l'or ou la hausse de l'argent est arrêtée, puisque pour les 20 francs on peut se procurer des 5 francs également au pair, qui continueront à être exportés, et si la France fait d'après moi la faute de continuer à frapper des 20 francs, le moment ne sera pas très éloigné où on se plaindra de n'avoir dans la circulation que des 20 francs, et l'argent devra disparaître ; car il est certain que l'or chasse l'argent, et on va chercher celui-ci là où il se trouve en plus grande abondance et là où on peut se le procurer le plus facilement.

Vous savez, messieurs, que l'Angleterre n'a qu'un seul étalon, l'or, et qu'elle n'a de l'argent que pour les appoints. Aussi il n'y a jamais eu de grandes quantités d'argent en circulation, et on calcule que la banque d'Angleterre avait ordinairement dans ses caves pour un million et demi sterling en argent blanc.

L'or qui est arrivé depuis quelques années de la Russie, de la Californie el de la Hollande (depuis sa démonétisation) a commencé à chasser l'argent blanc de la circulation en Angleterre, et il paraît que, lors du dernier relevé, il ne restait plus dans les caves de la banque que 40,000 liv. st.

C'est l'emprunt russe de cette année de 5 1/2 mill. st. qui est la principale cause de la hausse de l'argent qui est monté depuis quelques mois de 4/11 1/4 à 5/11 1/2 soit 3 1/2 p. c. de hausse. L'Allemagne et surtout l'Autriche a aussi eu de grands besoins, et ensuite la Hollande est obligée d'acheter de l'argent blanc pour rembourser ses « muntspecies » qu'elle a donnés en échange des 10 fl.

Voilà les véritables causes de la hausse de l'argent, et comme les arrivages des piastres et des lingots d'argent de l’Amérique du Sud ne suffisaient pas aux besoins pressants pour les pays que je viens de mentionner, le change anglais a dû continuer à baisser et est tombé successivement de 25 fr. 30 cent, à 24 fr. 85 cent, également près de 3 p. c. de baisse ; aussi maintenant l'or qui arrive ne peut que prendre la route de l'hôtel des monnaies et c'est à Paris qu'il faut chercher l'argent blanc dont on a besoin pour les pays qui ont pour système l'étalon d'argent et échange des 5 francs de France se fera concurremment avec le monnayage des 20 francs à l'hôtel des monnaies.

Il est heureux pour la Belgique que nous n'ayons en circulation en or belge qu'une somme peu importante et que, dans les données actuelles, le sacrifice pour nous aujourd'hui ne dépassera pas 300 mille francs, mais si vous adoptiez la proposition de la commission que j'ai combattue dans son sein, vous ne pouvez pas calculer où votre perte s'arrêtera et si, d'une opération, très facile à faire aujourd'hui, vous ne vous créez pas, non seulement une perte plus forte, mais de grands embarras.

Si, comme je l'espère, vous décrétez aujourd'hui le retrait de nos 25 et 10 fr., le gouvernement aura à faire vendre l'or retiré comme lingot à Paris et à faire venir en retour des 5 fr. Mais admettons que la France, qui est également très préoccupée de cette question d'or et qui a déjà nommé une commission pour l'examiner, décrète (ce qui, d'après (page 382) moi, serait le plus rationnel dans ces circonstances) qu'on ne pourra plus continuer à frapper des 20 et 40 fr., parce que par là elle arrête également la somme de sacrifices à faire, si plus tard on était obligé de venir à la démonétisation de l'or ; si cette mesure était prise en France, et je la conseillerais si j'étais Français, je vous demanderai, messieurs, où le gouvernement trouverait à vendre l'or qu'il aurait à retirer de la circulation, et où et avec quel sacrifice il devrait se procurer de l'argent blanc pour remplacer l'or retiré et qu'il aurait à rembourser.

L'or retiré ne pourrait plus se vendre comme lingots qu'en Angleterre, et comme on y trouve difficilement des matières d'argent, il faudra prendre des valeurs sur le continent ; déjà l'échange perd près de 3 p. c. et il sera difficile à calculer quelle perte on aurait à supporter, et le sacrifice qui, aujourd'hui ne dépassera pas 300 mille francs (aussi longtemps qu'on peut faire frapper des 20 francs à Paris) pourra facilement dépasser le double et le triple.

En n'adoptant pas la mesure proposée par le gouvernement, vous vous exposez à une éventualité dont j'ai déjà parlé en 1847. C'est la contrefaçon de nos pièces de 25 francs à l'étranger, ayant exactement le titre et le poids de nos pièces fabriquées à Bruxelles.

Aujourd'hui il y a une marge de 3 p. c. à faire cette contrefaçon, mais si l'argent continue à hausser et à déprécier l'or, cette opération se fera, non aux hôtels de monnaies des grandes puissances, mais dans les ateliers particuliers, comme on l'a fait en 1814 et 1815 à Birmingham pour des 20 francs. Depuis cette époque, l'industrie a fait de grands progrès et on saura imiter nos pièces à ne pas s'y reconnaître, tant à la vue qu'au creuset.

La commission a combattu cette supposition, et a ajouté que si elle avait lieu, on pourrait alors aviser ; mais si cette opération se faisait, par exemple, en Amérique, dans l'intervalle de nos sessions, et qu'on nous importât des sommes considérables, comme arbitrage d'échanges, le sacrifice minime aujourd'hui pourrait devenir douloureux pour le pays. Il faut donc tout prévoir, et pourquoi s'exposera cette éventualité quand il y a tant d'autres raisons pour adopter la proposition du gouvernement ?

Comment ! la commission est d'accord pour repousser comme monnaie légale les 40 et 20 fr. français, quand ceux-ci valent 2 p. c. de plus que nos 25 fr. ! Si jamais vous êtes obligés de payer à l'étranger, et que vous n'ayez que des 25 fr., la perte est considérable ; car vous pouvez bien décréter que, pour la circulation intérieure, les 25 fr. sont une monnaie de convention, mais cela ne peut exister pour l'étranger, qui ne vous les prend que pour une valeur réelle.

J'avais proposé la rédaction de l'article 3, pour les espèces étrangères, dans ce sens : au lieu de décréter de tout suite la démonétisation immédiate, d'autoriser le gouvernement à le faire par arrêté d'après les circonstances. Voilà quinze jours que j'ai fait cette proposition, et depuis ce temps, les événements ont bien marché et voilà le gouvernement français lui-même qui cherche un moyen pour conjurer l'orage ; et on commence à croire qu'on proposera de suspendre la fabrication ,et même il y a de très bonnes raisons à alléguer, pour prouver que le gouvernement décrétant la démonétisation de 20 fr. ne doit pas les retirer de la circulation, et une lettre qui se trouve dans le Journal des Débats de samedi et que j'engage mes honorables contradicteurs à lire, me prouve que ce raisonnement a assez de fondement.

La Hollande et la Belgique se réservaient pour le gouvernement la fabrication de l'or et le gouvernement en avait le profit ; mais en France et en Angleterre tout le monde peut faire frapper de l'or en remettant des lingots ou des espèces étrangères. En France, si vous remettez à l'hôtel des monnaies 1,000 souverains, on doit vous délivrer 12,555 pièces de 20 fr., sans autres frais, mais il est naturel que chacun doit attendre son tour et dans les circonstances actuelles, la monnaie ; tant d'occupations, qu'on a été obligé seulement de prolongera le terme pour remettre les pièces fabriquées.

Ainsi en Hollande, en Belgique le gouvernement doit retirer à ses périls et risques l'or fabriqué, lorsqu'on décrète la démonétisation ; mais en France c'est douteux, et si l'assemblée nationale venait à décréter la démonétisation sans l'échange, nous ferions supporter de grandes pertes à nos concitoyens, je dois engager la chambre à donner son adhésion. Aussi l'article 3 proposé par le gouvernement et tous les arguments que j'avais fait valoir dans la commission disparaissent, et il faut que nous décrétions dès aujourd'hui, si nous voulons être conséquents, que le cours légal des espèces étrangères cesse lors de la publication de la loi.

Je ne parlerai pas du retrait des souverains en 1849, et des guillaumes en 1850 ; les pièces fournies par M. le ministre à la commission et qui se trouvent imprimés à la suite du rapport, me prouvent que, pour les premiers, le gouvernement a choisi un moment très opportun pour en faire cesser le cours légal, et pour les guillaumes, tout ce que la presse en a dit tombe, et la justification me paraît complète. Si on entrait dans d'autres considérations à ce sujet, je me réserve de prendre la parole.

Je pense que le gouvernement a très heureusement choisi le moment unique qui s'est présenté depuis 1848 pour le retrait des souverains. Nous n'avons eu le change qu'un seul instant, le change à fr. 25 50. Eh bien, M. le ministre des finances n'a pas hésité à prendre des mesures pour les retirer. La baisse a été continuelle depuis l'époque que je viens de citer, et si M. le ministre des finances n'avait pas saisi ce moment heureux, la perte aurait été considérable pour le pays à l'heure où nous nous trouvons.

Depuis octobre 1845, le gouvernement hollandais avait autorisé par arrêté de retirer les guillaumes de la circulation, aussitôt que le moment favorable s'en serait présenté. Aussitôt que M. le ministre des finances a su que le gouvernement hollandais retirerait les guillaumes de la circulation, il en a averti le public ; il a même pris sur lui ce qui était peut-être au-delà de la loi, il a fixé pendant quelques jours même le change auquel on pouvait verser les guillaumes dans les caisses de l'Etat. Cette opération a été plutôt avantageuse pour le pays, parce que M. le ministre des finances ayant à payer à l'étranger pour notre dette publique, le pays n'a eu à supporter aucun sacrifice, et pour ma part je remercie M. le ministre des finances de la manière dont il a mené cette affaire.

M. Pirmez. - A une époque où l'on se complaît à attribuer au gouvernement une puissance presque surnaturelle pour lui faire régir les intérêts de la société, constatons, du moins par exception, qu'en ce qui concerne les monnaies ou le numéraire, bien peu de gens lui accordent encore la puissance extraordinaire dont tout le monde le revêtait autrefois.

Personne ne demandera plus, par exemple, comme on le faisait il y a dix ans, que le gouvernement fasse battre de la monnaie pour augmenter la quantité circulante du numéraire. Presque tout le monde reconnaît aujourd'hui que le gouvernement n'a pas la puissance d'augmenter la quantité du numéraire et que la quantité de monnaie circulante est basée sur le nombre et la valeur des choses à échanger, d'une part, et sur la confiance ou le crédit, de l'autre.

On ne conteste plus que les métaux précieux qui à défaut de confiance ou de crédit sont indispensables aux échanges, sous la forme de numéraire, deviennent absolument inutiles et ne sauraient exister sous cette forme lorsque les échanges peuvent s'opérer sans leur entremise, parce que les métaux précieux ont la faculté sous une autre forme de satisfaire d'autres besoins, de procurer des jouissances ou, si on l'aime mieux, de donner un intérêt, un profit.

Ainsi, en Angleterre, où le crédit est très développé, on ferait frapper en monnaie tous les produits des mines du Mexique, de l'Oural et de la Californie, que l'on ne parviendrait pas à rendre la quantité de monnaie circulante aussi considérable qu'elle l'est aujourd'hui en France, où le crédit existe à un bien moindre degré.

Vous pensez bien, messieurs, que je ne veux pas démontrer ici une vérité connue de tous. Je veux seulement la rappeler.

La quantité de. monnaie circulante est donc bornée, peu importe qu'elle se compose exclusivement de pièces d'or ou exclusivement de pièces d'argent, ou tout à la fois de pièces d'or et de pièces d'argent. La valeur totale du numéraire circulant reste la même puisque c'est le crédit seul qui règle cette quantité.

Si la quantité de numéraire est bornée, on sent bien que chez les nations qui emploient tout à la fois à cet usage l'or et l'argent, la quantité monnayée d'un de ces métaux précieux ne peut exister qu'aux dépens de la quantité de l'autre.

On s'est imaginé pendant longtemps qu'il existait un rapport constant entre la valeur de l'or et la valeur de l'argent, puisque les législateurs de presque tous les pays l'ont établi. C'est sous l'empire de ce système légal que se trouve encore aujourd'hui la Belgique qui est régie par la loi du 5 juin 1832 qui donne cours légal aux pièces de 20 et de 40 fr. de France, et par la loi du 31 mars 1847 qui ordonne la fabrication des pièces de 10 et de 25 francs.

S'il n'était pas maintenant hors de toute contestation que la valeur de chacun des deux métaux précieux est soumise à la règle commune de tous les produits, c'est-à-dire la difficulté de production et la demande qui s'en fait, nos récentes résolutions relatives aux souverains et aux guillaumes suffiraient pour en donner la plus complète démonstration.

Ces mesures que l'abondance de l'or nous a forcés de prendre, accomplies à l'instant sous nos yeux, démontrent la vérité de la théorie établie par tant d'autres faits, et qui prescrit ce qu'on appelle l'unité de l'étalon monétaire. Tous les efforts que l'on fera pour se soustraire à l'évidence amèneront infailliblement de nouvelles déceptions.

Les deux nations de l'Europe les plus versées dans les sciences économiques et commerciales l'ont adopté, les Anglais définitivement depuis 1816 et les Hollandais tout récemment.

Pour ce qui nous concerne, considérez, je vous prie, les législations auxquelles nous avons été soumis. Celle de l'an XI, eh bien, depuis près d'un demi-siècle qu'elle régit la France et nous-mêmes, pourrait-on soutenir que les pièces d'or sur lesquelles il est inscrit 40 francs et 20 francs, ont réellement existé dans la circulation ? Chacun sait qu'il n'en est rien.

Et d'un autre côté, sous l'empire de la loi monétaire qui nous a régis sous le royaume des Pays-Bas, les pièces d'argent sur lesquelles il était inscrit 1 florin, 5 florins ont-elles eu plus d'existence que les pièces dites de 40 francs et 20 francs ? Non, pas davantage.

Quant aux souverains et aux guillaumes, à qui nous avions assigné un rapport avec l'argent, vous venez de les voir disparaître. Démonstration saisissante, palpable, que c'est une erreur de croire que l'or vaut régulièrement une certaine quantité d'argent.

Ainsi par toutes ces expériences aucune nation mieux que la Belgique ne peut apprécier cette erreur, je crois que nous devons saisir l'occasion qui se présente pour ne pas y persévérer.

(page 383) Le projet du gouvernement me paraît aller vers ce but, je lui donnerai mon vote.

« On ne saurait s'y tromper, dit le rapport de la commission, frapper l'or de démonétisation, c'est le chasser en réalité même sous la forme de marchandise, des transactions usuelles de la population. »

Je reconnais qu'au moins dans l'origine, la circulation des pièces d'or dont le rapport avec le franc d'argent ne serait pas indiqué, souffrirait quelque difficulté ; mais je pense que la nécessité et l'habitude du public amèneraient une fixation exacte du cours.

Un économiste célèbre voudrait en faire régler le cours périodiquement par le gouvernement, malgré toute son autorité, je ne saurais partager cet avis.

Au surplus, il me semble que dans une pareille question nous nous trouvons dans une position favorablement exceptionnelle. Si les pièces de 20 fr. et de 40 fr. continuent d'avoir cours légal en France dans un rapport fixe avec la pièce d'argent, elles circuleront, me paraît-il, dans ce même rapport en Belgique, puisqu'on pourra si près de nous les donner comme de l'argent. Seulement les détenteurs belges sont prévenus qu'ils sont soumis à toutes les mesures que prendra le gouvernement français, mais ces mesures ne sauraient les atteindre plus rigoureusement que les habitants de la France eux-mêmes, et il serait étrange que nous demandassions d'autres conditions.

Il résulte donc, quant aux pièces françaises de 20 et 40 francs, que si nos appréciations sur l'abondance de l'or sont chimériques ou fort exagérées, il ne sera probablement rien changé, en France, aux dispositions de la loi, et alors les pièces de 20 et 40 francs continueront de circuler en Belgique, non pas légalement, mais naturellement ; et si, au contraire, nos appréciations sont fondées, nous éviterons au trésor public, en adoptant le projet, une perte certaine, mais dont nous ne pouvons aujourd'hui calculer l'étendue.

Les progrès de l'art ont rendu le monnayage facile, c'est-à-dire peu coûteux ; il faut donc, lorsque la loi a établi un rapport fixe entre deux métaux, un moins grand changement qu'autrefois dans leurs valeurs respectives pour que l'un soit substitué à l'autre.

Il paraît évident que si l'abondance de l'or augmente encore, la quantité de numéraire ne sera pas plus considérable, comme je l'ai déjà dit ; mais la monnaie d'or se substituera en France à la monnaie d'argent. Quelque énorme que soit la quantité de cette monnaie, elle disparaîtra naturellement et sans la moindre secousse si le législateur n'intervient pas.

Nous ne connaissons pas l'intention future du législateur français ; ne voudra-t-il pas profiter de cette occasion pour substituer en France la monnaie d'or à la monnaie d'argent ? Il ne faut que laisser aller les choses à leur cours naturel. Certes il en a le pouvoir et il en a peut-être aussi le droit puisque depuis près d'un demi-siècle le franc est, en vertu de la loi, ou bien un poids d'argent, ou bien un poids d'or, et que c'est sur ce poids d'argent ou bien sur ce poids d'or que toutes les conventions el transactions se sont passées.

Quant à nous législateurs belges, avons-nous bien le pouvoir, avons-nous bien le droit de conserver l'existence à la loi de 1847 ?

Je sais bien qu'en 1847 les rapports entre les deux métaux précieux n'étaient pas ce qu'ils sont aujourd'hui, et que la valeur de l'or était encore, relativement à la valeur de l'argent, dans une période d'ascension.

Il est vrai aussi que la faculté donnée au gouvernement de diminuer le poids du franc d'or est limitée à vingt millions.

Ces circonstances qui pouvaient bien peut-être, selon les événements, atténuer le préjudice matériel qu'éprouveraient les particuliers ou l'Etat ne légitiment pas le droit de diminuer le poids des monnaies qui a été établi par la loi.

La loi de 1847 nous a replacés dans un ordre d'idées qui commençaient à disparaître et qui demeure pourtant encore dans certains esprits. Elles consistent à attribuer ou au législateur la puissance de donner de la valeur aux pièces de monnaie et à croire que l'empreinte qu'elles reçoivent peut avoir une autre vertu que d'en constater le poids et le titre.

Elles consistent encore à croire que les noms que nous donnons aux monnaies ont une autre signification que celle d'un poids et d'un titre, que, sous notre législation, par exemple, qui admettait les deux métaux précieux le mot « franc » signifie autre chose qu'un certain poids d'or ou qu'un certain poids d'argent, et qu'il est permis au législateur de modifier ces poids quoiqu'ils aient servi à toutes les transactions.

Il importe de ne point sanctionner encore une fois par notre assentiment des erreurs qui ont été la source des abus les plus révoltants dans des temps encore peu éloignés de nous et de ne pas entraîner, par notre exemple, le législateur futur dans une fausse route où aucun signe n'indique de point d'arrêt.

Si nous avons diminué le poids des pièces d'un 50ème, pourquoi ne les diminuerait-if pas d'un 40ème ?

Si nous avons opéré sur 20 millions, pourquoi n'opérerait-il pas sur 100 millions ?

Si mus avons diminué le poids des pièces d'or pour les égaler aux pièces d'argent, pourquoi ne diminuerait-il pas le poids des pièces d'argent pour les égaler aux pièces d'or ?

Messieurs, je vous ai soumis ces réflexions, non pour attaquer ce que nous avons fait, chose aussi facile qu'inutile dans la situation actuelle, mais pour attirer votre attention sur ce que nous aurons à faire dans l'avenir. Vous ne pouvez vous dispenser d'adopter le projet de loi. L'or aura donc à peu près perdu son cours légal en Belgique. On vous proposera peut-être une nouvelle monnaie d'or ; rappelons-nous alors les leçons de l'expérience qui nous ont appris ce que les théories, dont on se moque tant, nous avaient déjà enseigné. C'est que c'est tenter l'impossible que de vouloir établir un rapport constant entre la valeur d'un poids d'or et la valeur d'un poids d'argent.

M. Malou. - Messieurs, les trois derniers orateurs qui la chambre vient d'entendre ont défendu le projet du gouvernement. Je prie la chambre de me permettre d'appuyer par quelques considérations les conclusions de la commission qui a examiné le projet de loi.

Je ne discuterai pas la question purement théorique de l'unité ou de la pluralité des étalons monétaires.

Il y a un fait que personne ne peut contester, c'est que à toutes les époques, dans tous les pays, les deux métaux précieux, l'or et l'argent, ont coexisté comme monnaie dans une certaine mesure. Ainsi pour ne parler que de deux pays où le principe a subi le plus de restrictions, l'Angleterre et la Hollande, voici comment se présentent les faits.

L'Angleterre adopte l'or comme seul étalon monétaire qui puisse être employé indéfiniment dans les payements, mais à cause de l'intérêt de l'Angleterre, à raison de la position spéciale qui lui est assignée par le mouvement général, il y a des tempéraments très importants à son système.

Ainsi l'Angleterre admet l'argent jusqu'à un certain point comme monnaie de convention dans les payements jusqu'à 2 liv. sterl., et à ce titre de 1816 à 1835, si j'ai bon souvenir, elle a monnayé au-delà de 200 millions.

Mais, messieurs, ce n'est pas là le fait principal.

Le tempérament assez important que l'Angleterre impose à son système, résulte de ce que par la loi du parlement qui a constitué la banque d'Angleterre, la réserve métallique peut être composée d'argent pour 1/4 ou 1/5.

La raison du tempérament apposé à ce système, c’est que très souvent, dans les transactions internationales, l'Angleterre, comme d'autres pays, peut avoir intérêt à solder sa dette plutôt en argent qu'en or.

La Hollande est arrivée récemment à admettre l'unité d'étalon d'argent. Comment y est-elle arrivée ? On a parlé tout à l'heure de l'émission d'argent faite en 1826 et de la disparition successive de cet argent. La cause de ce fait est connue de chacun de vous : on avait mal apprécié la valeur intrinsèque de la pièce de 3 florins ; et à peine le balancier de la monnaie des Pays-Bas avait-il frappé des pièces de 3 florins qu'elles étaient converties en pièces de 5 francs à la monnaie de Lille. Ce n'était donc pas à cause du double étalon, mais à cause d'une erreur dans l'appréciation intrinsèque de la pièce de 3 florins que l'argent disparaissait aussitôt qu'il était produit.

Je crois que sur ce fait aucun dissentiment n'est possible ; les souvenirs de chacun de vous sont trop récents.

La Hollande est arrivée au système de l'argent par deux causes ; d'abord elle était obligée de faire disparaître de la circulation toutes les anciennes monnaies provinciales d'argent ; ensuite elle réalisait par le taux d'émission de la monnaie d'argent un bénéfice considérable. Ce serait une erreur de croire que le gouvernement des Pays -Bas s'est déterminé à démonétiser sa monnaie d'or et à adopter uniquement la monnaie d'argent, par la découverte et par les importations de la Californie.

Le système d'argent a été décrété avant la découverte de la Californie. Il y avait, pour exécuter ce décret, deux mesures à prendre : retirer les monnaies provinciales pour y substituer le florin d'argent au prix de 21 fr., relativement à l'or, et non 21 fr. 16 c, comme on l'admettait dans notre pays, et comme conséquence nécessaire démonétiser l'or émis depuis 1816.

Dans la discussion de 1849, le ministre des finances de Hollande disait simplement que la découverte de la Californie, à laquelle il n'attachait pas une importance décisive, était seulement un motif de plus de passer sans attendre l'expiration du délai à l'exécution complète du système qui avait été décrété. Voici donc un premier fait que je crois avoir établi, c'est que tous les pays, même ceux qui paraissent avoir adopté l'étalon unique, ont admis des tempéraments fondes sur ce qu'exige la position spéciale de chacun de ces pays.

En Belgique, nous avons successivement passé du régime français au régime hollandais qui, par la faute de la surtaxe de l'argent, est devenu, le système de l'or.

Après la révolution de 1830, on a discuté sur le système qui convenait le mieux à la Belgique dans la position nouvelle qu'elle s'était créée. Après de longs débats, on a admis, quant à l'unité monétaire, le régime de la France. Le système français repose en quelque sorte sur le double étalon. Mais par suite des faits qui se sont produits depuis la loi de germinal an XI, l'unité monétaire française est devenue l'argent tempéré par l'or comme le système de l'Angleterre est le système de l'or tempéré par l'argent.

On sait, en effet, que depuis la loi de l'an XI, l'écart entre les deux valeurs a été constamment en augmentant malgré le développement considérable qu'avait pris l'exploitation de l'or.

Depuis que cette loi a été portée, on a émis en France au-delà de 4 milliards de monnaie d'argent et seulement pour 1,300 millions d'or.

La France a donc le système d'argent comme base essentielle de ses transactions ; l'or est devenu jusqu'à certain point marchandise. La seule dérogation qu'on ait apportée à ce système en Belgique a été décrétée en 1847 pour la fabrication d'une certaine quantité de monnaie d'or. Je (page 384) ne pense pas que le moment soit venu de renouveler à tous égards la discussion si longue, si approfondie qui a eu lieu en 1847.

Je tiens seulement à préciser le point de vue auquel s'est placée la majorité en adoptant la proposition du gouvernement quant à la création d'une monnaie d'or.

Quelles que soient les habitudes d'une nation, elles doivent être prises en considération. Or, s'il est un fait évident avant la loi de 1847 et surtout depuis cette époque, c'est qu'il entre dans les habitudes du pays d'avoir pour ses transactions une certaine quantité de monnaie d'or. Ce fait a acquis depuis les événements de 1848, si tant est qu'il en fût besoin, une confirmation nouvelle.

Dépend-il de la loi de détruire en un instant ces habitudes ? Non, sans doute, vous ne pouvez pas faire que ces habitudes n'existent pas, qu'elle ne produisent pas leurs conséquences.

Je suppose un instant qu'on porte une loi qui déclare démonétiser en peu de temps toutes les espèces d'or, qu'en résultera-t-il ? Que dans ce moment où l'or est tombé au prix le plus bas où il puisse arriver de longtemps, vous le chasserez autant qu'il dépend de vous de la circulation pour le remplacer par de l'argent, et cet argent vous le prendrez au moment où il est arrivé dans l'équilibre des valeurs des métaux à son prix le plus élevé. Vous chassez l'or quand il est au meilleur marché possible, vous vendez la marchandise au prix le plus bas, pour en acheter une autre au prix le plus élevé qu'elle puisse atteindre.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - C'est pour garder l'argent que nous avons.

M. Malou. - J'aime à le croire ; mais vous pourriez aussi bien en acheter plus tard à meilleur marché et pour le garder aussi.

Le moment ne me paraît pas très opportun pour prendre une mesure aussi absolue. Cette opinion est produite en moi par l'ensemble des circonstances qui ont amené la baisse actuelle de l'or. En l'an XI, on a déterminé la valeur relative de l'or et de l'argent ; la loi est arbitraire, sans doute, mais elle a égard aux faits qui existent au moment où elle est votée ; la loi de l'an XI a établi la proportion comme 15 1/2 est à un, c’est-à-dire que 15 1/2 kilog. d'argent représentent un kilogramme d'or.

Pendant cette année même, la proposition est tombée, d'après les renseignements que j'ai trouvés dans un rapport fait en France, à 14-78, c'est-à-dire que la baisse de l'or après le vote de la loi était de 48 pour mille ou près de 5 p. c. ; en l'an XII elle remonte à 15,612 ; déjà la valeur relative de l'or s'était relevée au-delà de 15 1/2, valeur fixée par la loi de germinal an XI. En 1807, quatre années plus tard, l'or atteint la valeur de 16 kil. Différence en plus 31 pour mille. Voilà donc en quatre années une perturbation arrivée dans la valeur de l'or qui équivaut à peu près à 8 p. c.

Lorsque cette perturbation s'est produite, la législature, en France, ne s'est pas empressée de déclarer qu'elle faisait cesser le cours légal de la monnaie d'or. On n'a pas cédé, comme on paraît le faire aujourd'hui, à une véritable panique qui me porterait à dire aujourd'hui que l'or est devenu en quelque sorte une chimère (interruption), ou qu'il a du moins perdu beaucoup de sa réputation. On a examiné les causes de cette perturbation ; l'on a attendu que, par une loi naturelle qui doit exercer son empire dans toutes les circonstances, l'équilibre entre les valeurs se rétablit ; il n'a pas tardé à se rétablir, en effet ; et malgré l'accroissement constant de la production, la valeur relative de l'or, c'est-à-dire l'écart entre les deux valeurs, s'est accrue au point qu'en 1847 on était arrivé à une prime moyenne de 1 1/2 p. c. ou de 15 pour mille en faveur de l'or.

Veuillez-le remarquer, cette augmentation relative de la valeur de l'or s'est déclarée, alors que les mines d'or d'Europe portaient leurs produits à peu près au quadruple de ce qu'ils avaient été jusque-là.

Lorsque la loi de 1847 a été faite, on a déterminé la valeur nominale, la valeur légale de nos pièces de 25 francs d'après les faits qui ont été constatés, d'après la valeur proportionnelle qu'elles avaient alors relativement à la monnaie d'argent. On combattait vivement la loi, comme permettant au gouvernement de faire (ainsi que le disait l'honorable M. Osy), un bénéfice au préjudice de la nation.

Aujourd'hui, les faits sont bien changés ; toutes ces prophéties sont démenties par les événements, et nous subissons une crise momentanée qui paraît menacer le gouvernement de subir une perte en raison de la fabrication de l'or.

Quelles sont les véritables causes de cette perturbation ?

A-t-elle une limite quelconque ?

Paraît-elle devoir s'arrêter ?

A mon sens, la première cause, la plus essentielle, c'est la démonétisation de l'or prononcée en Hollande.

La quantité fabriquée dans ce pays, d'après les documents qui ont été fournis, était de 172 millions de florins. Une telle quantité venant s'ajouter à la quantité toujours croissante d'or qui nous arrive devait nécessairement produire un grand encombrement sur les marchés de l'occident de l'Europe. La baisse n'aurait cependant, pas été si rapide et si considérable, si ces circonstances n'avait pas coïncidé avec un fait commercial qui a ajouté à cette cause de perturbation une autre cause extrêmement énergique. Je veux parler de la baisse considérable du change, en Angleterre.

C'est à certains égards un effet de la mesure prise en Hollande. Mais les retours considérables que l'Angleterre a à faire sur le continent, et qu'elle ne peut faire qu'en or sont une deuxième cause qui est venue s’ajouter à la première.

- Un membre. - Et la Californie !

M. Malou. - La Californie ! J'admets un instant qu'elle ait produit, ainsi que le disait tout à l'heure l'honorable M. de Brouwer de Hogendorp, en 1850, 22 millions de dollars.

Mais cette production n'a pu se déverser jusqu'à présent en Europe que pour une très faible partie. En voici la cause : une production nouvelle, telle que celle de la Californie, doit se porter et se porte immédiatement dans les pays où le besoin du placement de l'or est le plus considérable.

D'après cette loi naturelle, elle devait se porter, et s'est portée dans les Etats-Unis et dans d'autres parties de l'Amérique. Là en effet l'or est évalué à un taux bien supérieur à celui de notre monnaie.

Tout le monde sera d'accord, je pense, pour reconnaître que la production de l'or devait avoir pour effet de remplacer aux Etats-Unis une grande partie de la circulation du papier, qui y avait acquis de très considérables développements.

Ainsi en admettant que, depuis le 11 mai 1848, date de la découverte de mines californiennes, ce pays ait produit de 250 à 300 millions, une très petite partie s'est montrée sur le marché d'Europe ; la loi naturelle des affaires devait au contraire porter, en première ligne, cet or sur les marchés de l'Amérique.

Mais, je le reconnais, l'accroissement successif de la production de l'or, en Amérique, a exercé sur notre marché (jointe aux causes plus directes dont j'ai parlé tout à l'heure) une influence défavorable, un effet moral, qui n'a fait que contribuer à la dépréciation de l'or.

La limite de cette dépréciation, où se trouve-t-elle ? Dans deux faits : d'abord dans celui que l'honorable M. Osy signalait tout à l'heure avec raison en vous disant que tant que le gouvernement français maintiendrait son système, quant à la monnaie d'or, l'or ne pourrait guère tomber d'une manière normale en dessous du pair. Elle se trouve encore dans cette loi d'équilibre entre les valeurs qui se révèle dans toutes les transactions.

On conçoit en effet qu'une telle perturbation agisse pendant quelques mois ; mais il est certain que les causes qui combattent cette perturbation agiront avec d'autant plus d'intensité que cette crise aura eu plus de durée.

Ainsi l'on ne peut comprendre que l'état du change sur l'Angleterre reste constamment tel qu'il est aujourd'hui.

Les arrivages d'argent continuent à exercer, en Angleterre, une salutaire influence sur l'état du marché.

Quoi qu'il en soit de ces considérations générales, nous devons nous demander si, dans l'état actuel des choses, il y a des raisons suffisantes pour que le gouvernement décide dès à présent qu'il retire les pièces de 25 fr. de la circulation, et pour qu'il doive le faire.

En tenant compte des habitudes du pays, de la loi votée en 1847, nous devons dire, ce me semble, qu'il n'y a pas urgence, qu'il n'y a pas dès à présent nécessité de retirer de la circulation la petite quantité de monnaie d'or frappée en vertu de cette loi.

Quant aux pièces de 20 fr., nous aurions tort, au fond et dans la forme, en décidant dès à présent, avant que le gouvernement français ait pris aucune mesure, que nous ôtons le cours légal à ces monnaies.

Nous aurions tort au fond, puisque aussi longtemps qu'il n'aura été pris aucune disposition nouvelle en France, les relations que nous avons avec ce pays nous permettront toujours d'obtenir comme contre-valeur de la pièce de 20 fr. quatre pièces de 5 fr. Il est évident que nous ne pouvons pas perdre à cette opération.

Nous aurions tort dans la forme. Et, en effet, il ne faut pas se dissimuler que dans l'état actuel de nos rapports avec la France, on pourrait trouver, avec une certaine raison, un grief dans la démonétisation de la monnaie française, lorsque nous prétendons continuer à notre profit, en quelque sorte, la communauté de système monétaire quant à l'argent. Les difficultés qui déjà se sont produites et auxquelles on a fait allusion, doivent nous porter à réfléchir et à ne pas poser précipitamment, quant à la monnaie française, des actes que les circonstances actuelles ne justifient pas.

Aussi, messieurs, la commission a-t-elle pensé qu'il était satisfait à ce que l'intérêt public exige en donnant au gouvernement le moyen, si des dispositions sont adoptées en France, de sauvegarder nos intérêts en prenant dans notre pays les mesures qui seraient rendues légitimes, ou même nécessaires, comme conséquence de celles qui auraient été prises en France.

La loi par laquelle vous ôteriez aux pièces d'or françaises leur cours légal, pourrait, je le crois, être considérée comme une sorte de mauvais procédé et provoquer, en ce qui concerne notre monnaie d'argent, des représailles qui ne seraient pas favorables à notre pays. Il est, en effet, démontré par l'expérience que nous avons intérêt pour nos transactions, par la facilité de nos affaires avec la France, à conserver la faculté d'y remettre des monnaies d'argent fabriquées dans notre pays.

J'oubliais de répondre à une objection que l'honorable M. Osy a produite ou plutôt qu'il reproduite ; car elle a été longuement discutée en 1847. Il a dit que si nous ne démonétisons pas immédiatement les pièces de 25 fr., nous risquons que ces pièces soient contrefaites à l'étranger et qu'il en résulte un grand dommage. Pour le soutenir, on invoque un fait aujourd'hui parfaitement expliqué : la fabrication des pièces de 20 francs en 1814, à Birmingham, pour les armées alliées.

Messieurs, c'est là un fait complètement anormal ; c'est une exception qui ne détruit pas la règle, mais qui la confirme plutôt, en ce sens que (page 385) ces monnaies ont été fabriquées en Angleterre pour compte et avec la sanction du souverain qui était alors reconnu comme légitime pat l'Angleterre, et dont l’effigie se trouvait sur ces monnaies.

D'après le droit des gens européen, quant à la fabrication des monnaies, le souverain seul a le droit de frapper de la monnaie à son effigie. Ainsi en France, en Angleterre, en Belgique, chez toutes les nations européennes, le droit public est qu'on ne peut fabriquer de la monnaie d'un autre pays. En fabriquer serait encore une contravention, d'après notre Code pénal.

En 1847, je vous ai lu un bill porté récemment en Angleterre, qui interdit positivement de fabriquer en Angleterre des monnaies étrangères.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Preuve qu'on en faisait.

M. Malou. - Non, il me semble que cette conséquence n'est pas logique, parce qu'en Angleterre ordinairement une législation se rattache à l'autre, et souvent on confirme par une loi nouvelle un principe qui existait déjà.

Ce bill prouve d'ailleurs le contraire ; il ne porte pas seulement l'interdiction de fabriquer des monnaies étrangères, mais aussi l'interdiction de posséder dans toute l'étendue du Royaume-Uni des instruments quelconques propres à la fabrication de la monnaie ; et en effet il n'y a pas seulement un principe de droit des gens, il y a un intérêt commun à toutes les nations.

Car si l'on permettait aux particuliers de posséder des instruments propres à fabriquer la monnaie, la tentation pourrait être fort grande, on courrait un grand danger de voir fabriquer non seulement des monnaies étrangères, mais peut-être aussi de la fausse monnaie nationale.

Je n'ai pas à examiner si dans l'autre hémisphère, si aux Etats-Unis, par exemple, on peut fabriquer à volonté des monnaies à l'effigie des puissances européennes. La crainte que de telles fabrications aient lieu ne peut pas être un motif d'adoption du projet de loi, parce que, au Mexique comme aux Etats-Unis, il y aurait un avantage beaucoup plus grand à fabriquer de la monnaie américaine.

Pour nous, la différence est de 1 1/2 p. c. à peu près ; pour eux elle est de 3 1/3 p. c Ainsi, si vous admettez le pair entre le dollar d'argent des Etats-Unis el le taux d'émission des pièces de 5 dollars d'or, vous trouvez qu'il y a une différence de 3 fr. 30 p. c.

Il est donc évident, en laissant de côté la question du droit des gens, en laissant de côté l'intérêt de toutes les nations, que l'on fabriquerait plutôt au Mexique des pièces de 3 dollars que de s'amuser à faire des pièces de 25 fr.

Il y a une autre raison encore, les moyens de placement, pour la monnaie américaine, sont beaucoup plus étendus. Car si l'on fabriquait à l'étranger des quantités considérables de notre monnaie, il faudrait des moyens de placement et des retours, et on les trouve beaucoup plus grands en fabriquant des monnaies des Etats-Unis ou des quadruples d'Espagne au Mexique.

L'objection pouvait se produire en 1847, mais aujourd'hui elle est jugée par les faits. Jusqu'à présent il y a toujours eu l'avantage d'un et demi pour cent à fabriquer de la monnaie d'or belge, et cependant on ne l'a pas fait. Quelle peut être la raison qui vous porte à croire, aussi longtemps surtout que d'autres nations émettent l'or à une valeur supérieure, que l'on s'occuperait à l'étranger à faire des pièces de 25 fr. ?

Si cette objection pouvait exercer quelque influence sur votre décision, j'ajouterais qu'une importation d'or belge fabriqué à l'étranger se ferait à peine qu'elle serait connue par le mouvement même des caisses des banques.

Ainsi, lorsqu'une importation d'or en certaine quantité se fait dans notre pays, elle est immédiatement connue. Aujourd'hui, par exemple, on pourrait dire avec certaine probabilité, à très peu de chose près, quelle est la quantité d'or français qui est entrée dans notre circulation.

Ainsi, aujourd'hui même l'état des caisses de la Société Générale permet d'apprécier la quantité d'or français qui s'est récemment introduite dans notre circulation. Cette somme ne dépasse guère un demi-million.

Pour le dire en passant, vous voyez, messieurs, que les membres de cette chambre qui seraient dominés de la crainte de se voir inondés d'or français (inondation dont pour ma part je ne serais pas très effrayé) ne doivent pas causer de grandes inquiétudes d'après les faits tels qu'ils se sont produits.

Pour revenir à la question monétaire française, y a-t-il quelque probabilité que la France change son système ?

J'ai examiné, messieurs, les documents qui ont été publiés dans ce pays où la question monétaire a été agitée aussi plusieurs fois, surtout en ce qui concerne la monnaie d'or. Une commission nommée en 1839, avait constaté quelques faits très intéressants pour la France. Ainsi, de 1816 à 1838, le mouvement des métaux précieux, en France, s'était établi de telle manière que 1,820 millions d'argent sont venus s'ajouter à sa circulation métallique d'argent, tandis que l'excédant des exportations sur les importations d'or était à peu près d'un demi-milliard, de 540,000,000.

La commission se préoccupait alors, au point de vue des intérêts de la France, des conséquences de l'émigration de l'or. Le remède que l'on proposait était de frapper de l'or, non plus à raison de 155 pièces de 20 francs, mais à raison de 100 pièces pour le kilogramme, c'est-à-dire que l'on proposait d'évaluer le kilogramme d'or à 100 francs de plus qu'il ne l'était d'après la loi de germinal an XI.

Dans ce pays où, pour la première fois peut-être depuis un demi-siècle, on voit l'or rentrer dans la circulation, produire l’utilité qu’on en espérait lorsque la législation monétaire a été établie, se pourrait-il que subitement, cédant à une espèce de panique d'un instant, d'un seul jour, on en vînt à changer complètement le système de la circulation ? Pour moi, je suis convaincu que lorsqu'on aura examiné plus mûrement les faits, on reconnaîtra qu'il est d'un grand intérêt pour la France de recevoir maintenant, au pair même, quelques centaines de millions d’or qui, plus tard, si le mouvement des affaires l'exige, pourront sortir successivement de ce pays avec bénéfice pour lui.

Si l'Angleterre qui, d'après son système fondé trop exclusivement sur l'or, doit solder en cette monnaie ce qu'elle a à remettre au continent, pouvait, grâce au double étalon si antipathique aux purs théoriciens, remettre de l'argent ; sans doute elle arrêterait plus efficacement la baisse excessive du change qui se fait à son préjudice.

Pour nous, messieurs, les conséquences des perturbations actuelles peuvent être analogues.

Si, en France quelques doutes s'élèvent, c'est de la part de ceux qui craignent que la baisse subite de 1 1/2 p. c. qui s'est produite en quelques mois, continue avec la même vivacité pendant quelques mois encore. Mais cette baisse ne peut pas nous atteindre quant à l'or français. En définitive, c'est une monnaie toujours échangeable en France, et nous pouvons, à volonté, puiser dans cet immense réservoir d'argent la contre-valeur de l'or que nous posséderions.

Je comprendrais qu'on eût hâte de faire cesser un tel état de choses si l'on pouvait avantageusement remplacer ces monnaies dans la circulation ; mais je ne puis trop le répéter, on les remplacerait aujourd'hui d'une manière onéreuse par de l'argent, ou bien on les remplacerait, ce qui est plus onéreux encore, par l'accroissement de la circulation du papier, et je ne crains pas de dire que c'est là ce qui se produira inévitablement si la loi est adoptée.

Il y a deux causes de perturbation, l'abaissement du prix de l'or ; mais par le même fait, l'élévation du prix de l'argent. La prime sur l'argent s'est accrue dans une proportion analogue à l'abaissement de la prime de l'or.

Dans les circonstances actuelles, vous ne pouvez presque pas vous procurer d'argent à des conditions telles que la fabrication de l'argent en Belgique soit possible. On attend, on espère voir arriver en Angleterre, au premier jour, un paquebot qui doit amener à peu près 25 millions de piastres ou lingots d'argent ; on les attend comme une marchandise qui viendra combattre la dépréciation de l'or.

Vous ne pouvez pas aujourd'hui remplacer avantageusement l'or par l'argent, et vous vous trouvez en présence de ce fait que votre or sera remplacé dans votre circulation par du papier.

Est-ce à dire, messieurs, qu'il faille s'abstenir complètement ? Votre commission, tout en regrettant (du moins ce sentiment m'a paru dominer la majorité des membres de la commission), tout en regrettant que la question ait été soulevée dès à présent, a cru que, puisqu'elle était soulevée ; il fallait éviter que, de nouveau, elle dût être soumise à la législature ; qu'il fallait, enfin, fixer les pouvoirs du gouvernement et lui donner le moyen de prévenir toute lésion, soit pour les particuliers, soit pour l'Etat. Ainsi la commission ne refuse pas de donner au gouvernement les pouvoirs nécessaires pour faire cesser la circulation de l'or français, si le gouvernement de la République française modifiait son système monétaire ; mais je désire qu'on explique d'une manière plus précise, plus nette qu'on ne l'a fait dans l'exposé des motifs, quelle peut être la raison d'utilité pour démonétiser l'or français avant que cette modification intervienne en France.

Quant aux souverains et aux pièces de 5 et de 10 florins, je n'examinerai pas si le gouvernement a gagné ou perdu à ces opérations qui se trouvent longuement développées dans les notes adressées à la commission par M. le ministre. Je regrette que le gouvernement n'ait pas saisi le moment opportun pour devancer le gouvernement hollandais ; je ne lui en fais pas précisément un reproche, mais j'exprime un regret sur un fait : il est permis à tout le monde de se tromper en ce qui concerne les prédictions sur la valeur des monnaies.

Mais, en fait, il existait en Hollande une loi qui portait que les pièces de 5 et de 10 florins seraient démonétisées en 1850, et le gouvernement belge a cru devoir attendre que la démonétisation fût prononcée en Hollande.

Or, pendant le premier semestre de l'année il a existé un moment où le change était tel que la démonétisation aurait pu être prononcée en Belgique sans que nos nationaux eussent été exposés à aucune perte.

L'on a voulu attendre plus longtemps parce que l'on pensait que les circonstances seraient meilleures plus tard ; mais la question n'est pas de savoir si le gouvernement a eu recours à une combinaison plus ou moins-heureuse pour éviter une perte au trésor, la véritable question est de savoir s'il n'y avait, en réalité, aucun moyen d'éviter que nos nationaux ne perdissent à l'échange des pièces de 10 florins ; or, cette question n'est nullement traitée dans les notes remises à la commission spéciale.

Je crois, messieurs, pouvoir tirer de ces observations la conséquence qu'en arrêtant la fabrication des pièces de 25 et de 10 francs, en ajournant à une loi future la démonétisation des pièces de 25 et de 10 fr. frappées dans ce pays, et en subordonnant pour la monnaie décimale d'or française l'action du gouvernement belge taux mesures qui seraient prises en France, nous faisons tout ce que la position actuelle commande en ne compromettant aucun intérêt.

(page 386) M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Messieurs, nous n'avons pas, je pense, à nous livrer à de bien longues discussions ou à de pénibles recherches afin de connaître quelle est la quantité de métaux précieux qui existe dans le monde, pour essayer de déterminer les causes qui amènent la perturbation dont nous sommes les témoins ; il doit suffire à un gouvernement et à des chambres législatives de se trouver en présence du fait grave, extraordinaire, exceptionnel qui se présente ; il doit suffire qu'un danger soit probable, sinon certain, pour que l'on soit amené à poser la question de savoir s'il faut aviser.

Il faudrait remonter bien haut dans le passé pour rencontrer une situation présentant quelque analogie avec celle où nous nous trouvons maintenant.

La baisse de l'or est constante ; elle est considérable. Quelles sont les causes de cette baisse ? A-t-elle un caractère de permanence ? Est-elle passagère ? Qui oserait le dire ? Qui voudrait répondre catégoriquement à ces questions ? Les esprits les plus éminents ont traité cette matière, et je crois que bien peu de personnes ont conclu d'une manière positive.

Mais si l'on incline vers une opinion plutôt que vers une autre, c'est vers l'opinion que la baisse continuera. Il y a de grandes raisons de le croire, il y a de faibles raisons d'en douter.

La production de l'or est quadruplée depuis le commencement du siècle ; elle continue dans une proportion qu'elle n'a présentée à aucune autre époque. D'après des renseignements que j'ai tout lieu de croire bien exacts, la production générale de l'or, qui était en 1848 de 275 millions, a été en 1850 de 525 millions.

11 est peu probable que la demande de l'or soit telle désormais qu'elle arrête la baisse que l'on constate.

Dans cette situation, et examinant la question exclusivement au point de vue belge, la solution nous a paru, quant à nous, d'une extrême simplicité ; et nous nous étonnons de rencontrer des contradicteurs.

Et, en effet, de quoi s'agit-il pour nous ? Nous avons dans la circulation une certaine quantité de monnaie d'or belge ; par accident, le souverain anglais, et par suite d'une longue tolérance, le guillaume de Hollande, s'y rencontraient il y a peu de temps encore : mais ces deux dernières monnaies ont disparu ; on approuve les mesures qui ont été prises à l'égard de cette monnaie d'or.

Les événements qui se passent sous nos yeux contraignent à renoncer à ces accusations si violentes qu'on avait lancées contre le gouvernement, parce qu'il n'avait pas reculé devant les résolutions que la prudence lui commandait de prendre.

Que nous reste-t-il donc en fait de monnaie d'or ? Nous avons une monnaie d'or de mauvais aloi qui a été décrétée par la loi du 31 mars 1847, une monnaie qui, je puis le dire, est un mensonge légal, puisqu'en définitive, l'inscription qu'on a mise sur la pièce, à savoir qu'elle vaut 25 francs, n'est pas vraie, si ou la compare à 25 francs d'argent. Nous en avons, d'ailleurs, une petite quantité, eu égard à la circulation totale de la Belgique qu'on estime généralement à 200 millions au moins ; on ferait disparaître cette quantité très peu importante, qu'évidemment il n'en pourrait résulter aucune perturbation.

Quant à une autre monnaie d'or, je sais parfaitement qu'une loi du 5 juin 1832 déclare que les pièces de 20 et de 40 francs de France ont cours légal en Belgique ; mais ces pièces de 20 et de 40 francs de France sont des mythes en Belgique ; elles y sont parfaitement inconnues ; pendant dix-huit années, jusqu'à ces derniers jours, il n'y a pas eu de circulation établie à l'aide des pièces de 20 et de 40 francs ; depuis qu'il en résulte quelque préjudice pour le pays, elles commencent à entrer dans la circulation.

En présence de faits de ce genre, qu'est-ce que la mesure que nous proposons ? C'est une déclaration par la loi qui met le droit en harmonie avec le fait, rien de plus. Quoi qu'en dise l'honorable M. Malou, il est impossible que la mesure cause le moindre mal au pays. Je voudrais qu'on m'expliquât en quoi il peut être défavorable au pays qu'une loi déclare que les pièces de 20 fr. et de 40 fr. cessent d'avoir cours légal en Belgique ?

Sans doute, si l'on établissait en fait que depuis 1832, les pièces de 20 et de 40 francs qui ont cours légal, ont eu un cours réel ; si effectivement ces pièces étaient un moyen d’échange indispensable aux affaires, on pourrait élever des objections contre la proposition ; mais les pièces de 20 et de 40 francs n'existent pas dans la circulation ; il n'y a donc aucun inconvénient à déclarer par la loi qu'elles cesseront d'avoir cours légal en Belgique.

Messieurs, on a souvent comparé les monnaies aux routes ; cette comparaison est pleine de justesse. La monnaie, c'est le moyen, c'est le chemin des affaires. Si le gouvernement venait proposer de supprimer le chemin de fer, on se récrierait contre cette proposition, quelques raisons que le gouvernement pût alléguer pour faire disparaître ce grand agent de circulation ; un pareil acte troublerait entièrement les relations du pays.

Mais si la loi du 1er mai 1834, relative à la construction du chemin de fer, n'avait pas reçu d'exécution et qu'un jour le gouvernement fût venu proposer à la chambre de rapporter cette loi, quel mal le pays aurait-il pu en éprouver ?

Cela aurait empêché le pays d'avoir un chemin de fer ; mais cela n'aurait pas causé la moindre perturbation dans le pays, on aurait continué à se servir des autres moyens de circulation.

Il en est de même des pièces de 20 et de 40 fr., avec cette différence qu'on veut les imposer au moment où il y a des inconvénients à s'en servir.

Si elles étaient dans la circulation, on pourrait hésiter, comme on aurait pu hésiter à l'égard des pièces de 10 florins qui s'y trouvaient, et qui étaient un instrument d'échange ; mais il est impossible d'hésiter lorsqu'il s'agit des pièces de 20 et de 40 francs qui pour nous, jusqu'à ce jour, n'ont été d'aucune utilité, et qui, demain peut-être, deviendront un danger.

Vous voulez attendre que la France ait décide des mesures touchant sa monnaie d'or, pour en prendre aussi chez vous à l'égard de cette monnaie étrangère, c'est-à-dire qu'il faut attendre, pour prendre une résolution, qu'il y ait préjudice par vous, que le pays doive nécessairement subir une perte. Mais la prudente ne vous commande-t-elle pas d'agir autrement ? Quel intérêt avez-vous à attendre ? Aucun. Si la France sous le coup de la nécessité se résout à apporter des changements à son système monétaire ; si elle touche à sa monnaie d'or, ce qui est grave pour elle, ce qui n'est rien aujourd'hui pour nous, les choses seront dans une situation que vous ne pourrez plus maîtriser. Avant que la France ait pris un parti, il y aura ou plutôt il y a dès ce moment pour les détenteurs de pièces de 20 et de 40 fr., avantage à les échanger contre des pièces de 5 fr. ; vous aurez des pièces de 20 et de 40 fr., mais vous n'aurez plus de pièces de 5 fr., car il y aura intérêt à les exporter ; de deux monnaies, c'est celle qui a le moins de valeur, qui reste dans la circulation.

Il semble, messieurs, que l'on a déjà oublié ce qui s'est passé à l'égard des souverains anglais. Ces faits sont pourtant bien récents. Lorsque, en raison de nos tarifs, on a eu intérêt à en importer chez nous, n'avez-vous pas vu notre circulation se transformer immédiatement, et a-t-on pu à toute heure échapper à l'inconvénient grave de voir ainsi la circulation se modifier à notre détriment ?

On sait qu'au commencement de l'année 1849, les plaintes les plus vives s'élevaient quant à la circulation de la monnaie anglaise ; on éprouvait une grande gène dans les affaires ; on m'écrivait de toutes parts : il est temps d'aviser, il est temps de prendre des mesures.

On m'écrivait de divers côtés, et, du reste, les journaux attestent que telles étaient les plaintes générales que des entraves, des embarras, des pertes allaient résulter de cet état de choses.

Nos agents, les gouverneurs des provinces, nous écrivaient pour appeler notre attention sur ce point.

Or, messieurs, il était impossible de porter remède au mal ; il fallait le subir ; il fallait attendre que le cours du change permît au gouvernement d'affronter la dangereuse opération de l'échange des souverains anglais.

Le gouvernement pouvait être mis dans la situation la plus fâcheuse par suite de la circulation des souverains anglais. Vous avez vu, par les pièces qui sont sous vos yeux, qu'il en est arrivé jusqu'à 24 millions de francs dans les caisses de l'Etat ; et on m'a accusé pourtant de n'avoir pas laissé un délai assez long pour laisser opérer l'échange.

Eh bien ! que demande l'honorable M. Malou ? Il se garde bien de suivre l'exemple que vient de lui donner l'honorable M. Osy, qui reconnaît franchement qu'il faut abandonner l'opinion de la majorité de la commission ; il se garde bien de proclamer, avec l'honorable M. Osy, qu'il n'y a plus à hésiter sur la proposition du gouvernement ; il continue à soutenir l'opinion de l'ancienne majorité, devenue minorité....

M. Cools. - Je demande la parole.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Attendez, nous dit-il, qu'il y ait quelque péril pour agir, et c'est dans le même moment que l'honorable M. Malou me fait une espèce de grief de n'avoir pas, plus promptement, dans un prétendu moment opportun qu'il ne précise pas d'ailleurs, de n'avoir pas plus promptement démonétisé les pièces de dix florins !

M. Malou veut donc que l'on attende, pour les pièces de 20 et de 40fr., une situation analogue à celle qui a existé pour les pièces de 10 florins ? Il trouve mauvais que l'on propose de démonétiser si vite les pièces de 20 fr., et il est d'avis que l'on a démonétisé peut-être trop tard les pièces de 10 florins ! L'honorable membre ne veut donc pas, ou plutôt il veut, mais il ne signale pas les raisons de différence qu'il y a entre l'un et l'autre cas ?

Pour les pièces de 10 florins je ne pouvais pas prendre les devants sans danger ; je devais attendre que la Hollande eût elle-même pris des mesures ; j'aurais été accusé de troubler la circulation, si j'avais agi avant la démonétisation des guillaumes en Hollande ; je le pouvais d'autant moins que la loi ne me permettant pas d'opérer l'échange des pièces de 10 florins, j'étais obligé de faire subir la perte par les particuliers.

Si j'avais démonétisé et que la Hollande ne l'eût pas fait, qu'auriez-vous dit ?

Il y a cette différence non moins grande et non moins radicale, que les pièces de 10 florins étaient pour la Belgique son ancienne monnaie légale ; qu'elles étaient pour nous un moyen d'échange, que les pièces de 10 florins étaient entrées profondément dans la circulation, et que par conséquent il y avait un mal réel inévitable à démonétiser les pièces de 10 florins. Mais quant aux pièces de 20 fr., aucune de ces circonstances n'existe ; car elles ne sont monnaie légale que de nom. La loi admet l'or français comme « legal tender » : mais abstraction faite de la fraction minime de pièces de 25 fr., vous n'avez de monnaie légale en réalité que l'argent. Si le grief articulé par M. Malou était aussi fondé qu'il l'est peu, ce serait une raison déterminante d'agir sans retard, comme je le propose, quant à la pièce de 20 francs.

(page 387) Votre commission spéciale n’a pas d’idée nette, d’idée arrêtée sur la résolution qu’il fallait prendre ; votre commission flotte indécise entre la crainte et l’espérance ; elle ne sait à quoi se prendre, à quoi s’arrêter ; elle approuve et blâme, elle se contredit à chaque page. Ainsi, votre commission spéciale dit au début de son rapport : La baisse de l’or est constante ; deux mesures ont été prises par le gouvernement, l'une à l'égard des guillaumes, l'autre à l'égard des souverains anglais ; nous les approuvons, mais nous nous hâtons de déclarer que ce n'est pas assez ; il faut quelque chose de plus, il faut aller au-delà. Ce sont les termes du rapport, page 2.

Bientôt après, oubliant qu'elle vient de déclarer qu'il y a quelque chose à faire, qu'elle s'est associée à l'unanimité à la pensée qui a dicté l’article premier du projet de loi, la commission, à la page 14, dit qu'elle regrette que le projet de loi ait été présenté, que sa présentation a eu pour effet d'accroître la crise. Mettez ces deux idées d'accord, si vous pouvez ! Ailleurs, votre commission déclare qu'il ne faut pas se dissimuler l'importance du projet ; que bien évidemment on va chasser l'or de la circulation, qu'il n'existera plus même comme marchandise. C'est à la page première que je lis ces mots : « On ne saurait s'y tromper : frapper l'or de démonétisation, c'est le chasser en réalité, même pour la prime de marchandise, des transactions commerciales et journalières de la population. »

C'est tout bonnement inadmissible.

Ainsi, à la page 10, s'occupant des pertes qui peuvent éventuellement résulter de l'introduction de la monnaie d'or étrangère dans la circulation, la commission pense que ces pertes ne seront pas considérables ; quelques-uns, dit-elle, pourront en souffrir. Mais c'est inévitable « parce qu'il est impossible de faire disparaître ces chances de perte pour les régnicoles, l'or devant continuer à circuler comme marchandise. » Je cite ; c'est le contraire de ce qui est écrit à la page première.

Je pourrais relever une série de contradictions de ce genre. En effet, la commission n'a pas pris de parti. Que propose-t-elle d'adopter, l'article première du projet de loi, qui abroge l'article premier de la loi du 31 mars 1847 sur la monnaie d'or.

Il me semble qu'il faut être logique, conséquent.

C'est un sacrifice, sans doute, pour ceux qui ont fait et voté la loi de 1847, de reconnaître qu'il y a eu là erreur économique et qu'il faut enfin en revenir aux sains principes sur la fabrication des monnaies. Si on reconnaît aujourd'hui que cette monnaie d'or est une monnaie de mauvais aloi...

M. Malou. - Je ne reconnais pas cela.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - On ne reconnaît pas cela explicitement, c'est possible, mais on fait partie de la commission et l'on vote le rappel de la loi à l'unanimité. Des lors, pourquoi déclarer qu'on laissera cette monnaie dans la circulation ? Quelle est la raison d'agir ainsi ? Il n'y en a pas ; il faut, comme conséquence nécessaire, inévitable, de l'article premier, il faut déclarer que le gouvernement est autorisé à retirer cette monnaie de la circulation.

Maintenant le gouvernement la retirera-t-il immédiatement, sur l'heure ? Non, le gouvernement choisira le moment opportun ; si des circonstances favorables se présentent, le gouvernement en profitera ; si la situation s'aggrave, si, ce qui est peu probable, il y a danger à maintenir dans la circulation les 14 millions 600 mille francs de monnaie d'or, le gouvernement devra aviser, pourquoi ne pas l'autoriser à agir dans le moment opportun ? Est-ce que, dans la loi de 1847, on n'a pas donné un pouvoir bien autrement grand dont j'ai usé, celui de faire cesser le cours des pièces de 5 et de 10 florins ?

En 1847 cependant, on pouvait hésiter ; le gouvernement hollandais n'ayant pas encore annoncé l'intention de démonétiser ses monnaies d'or, on pouvait hésiter à accorder ce pouvoir au gouvernement. Ici il n'y a pas une seule raison pour ne pas accorder au gouvernement une autorisation dont il ne peut user que dans l'intérêt du pays.

Vous dites que l'or reprendra sa valeur, ou, si vous voulez, que la baisse ne se soutiendra pas, qu'il y aura une reprise sur l'or ; j'accepte cet espoir ; s'il se réalise, nous atténuerons la perte que l'Etat doit subir.

J'ai eu soin de déclarer que je ne considère pas comme urgent, indispensable, de retirer dès ce moment les 14 millions d'or de la circulation.

On a eu quelques craintes sur la contrefaçon de cette monnaie à l'étranger ; ces craintes M. Osy les a exprimées en 1847 ; il les a reproduites aujourd'hui ; je ne les partage pas d'une manière absolue ; mais le fait n'est pas impossible. L'honorable M. Malou se trompe quand il énonce qu'il n'y a qu'un seul exemple de fabrication de monnaie d'un pays dans un pays étranger ; il est bien reconnu qu'il y a des monnaies de fabrique ; il existe des fabriques de bonnes et aussi de mauvaises monnaies. On sait que la Russie fabrique des ducats de Hollande ; la mauvaise monnaie est fabriquée clandestinement. L'opinion est assez accréditée en Hollande que l'on contrefait en Angleterre les pièces de 10 florins. Des esprits éminents n'ont pas refusé d'accueillir une pareille possibilité.

M. Michel Chevalier, dans un livre qu'il a publié sur la monnaie, en faisant remarquer que le gouvernement français sera obligé de prendre une mesure quant à sa monnaie d'or, s'exprime ainsi :

« A moins d'une loi nouvelle, les particuliers tireront à eux le bénéfice de la législation actuelle, en payant, autant qu'ils le pourront, leurs impôts en monnaie d'or. Il nous viendrait de la monnaie d'or frappée à l’étranger avec notre coin et avec le titre et le poids de nos pièces ; dis lors comment la reconnaître et la refuser ?

« Quand on songe qu’il suffit que l'or baisse de 3 ou 4 pour cent pour que cet effet s'accomplisse, on reste convaincu qu'une réorganisation de notre système monétaire, qui soit conforme aux principes, n'est pas une meure qui puisse s'ajourner. »

La possibilité de la contrefaçon n'est donc pas une idée qui doive être non plus absolument écartée.

Mais, dit l'honorable membre, on aurait plus d'intérêt à fabriquer d'autre monnaie, de la monnaie des Etats-Unis ou bien de la monnaie française, puisqu'il y aurait un marché plus étendu. Soit ! Cela n'empêche pas que l'on aurait aussi, à contrefaire la monnaie belge, un intérêt d'autant plus grand que sa valeur nominale s'écarte davantage de sa valeur intrinsèque.

Mais je n'insiste pas sur ces considérations, si ce n'est pour faire remarquer que l'autorisation que réclame le gouvernement est le meilleur obstacle à la contrefaçon.

L'honorable M. Malou me paraît n'avoir produit qu'un seul argument pour faire écarter la troisième disposition du projet de loi : il fait entendre qu'elle pourrait être considérée comme un mauvais procédé de la Belgique vis-à-vis de la France.

Mais s'il y a eu un mauvais procédé à l'égard de la France, c'est peut-être la fabrication des pièces de 25 francs. On ne s'est pas fait faute de le signaler.

Des écrivains ont formé les plaintes les plus vives à ce sujet : on est allé jusqu'à soutenir qu'un acte de ce genre pourrait être comme un casus belli, et que la France devrait obliger la Belgique à effacer de ses monnaies le pavillon monétaire de la France. (Interruption)

Messieurs, je n'invente pas ; je rapporte ce que plusieurs d'entre vous auront lu sans doute ; je suis le premier à reconnaître que les attaques ont été empreintes de beaucoup d'exagération, d'autant plus que la fabrication était limitée à 20 millions de francs. Je l’ai signalé dans l'exposé des motifs, car il faut être juste avant tout ; mais l'écrivain que je cite n'est autre que le contrôleur au change de la monnaie de Paris.. (Interruption.)

Vous m'objectez que la mesure que je propose pourrait être considérée comme un mauvais procédé à l'égard de la France ; je réponds par la manière dont on a apprécié, en France, l'acte que vous avez posé sans que le gouvernement français ait songé à se plaindre de la loi de 1847.

M. Malou. - Je demande si le contrôleur au change de la monnaie de Paris est le gouvernement français ? Je ne le crois pas.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je n'ai pas prétendu que ce fût le gouvernement français qui avait ainsi apprécié cet acte ; mais je dis comment il a été apprécié en France et quel tort il a fait à la bonne réputation de la Belgique.

Si le gouvernement français n'avait pas à se préoccuper et ne s'est pas préoccupé de notre monnaie d'or, à plus forte raison ne trouvera-t-il rien à redire si l'on fait cesser ici le cours des monnaies d'or étrangères. Aucun gouvernement ne peut avoir la pensée d'imposer sa monnaie à un autre pays.

Il n'y a donc, par rapport à la France, aucun inconvénient pour la Belgique à procéder comme le gouvernement le propose.

Nous ne prenons pas, d'ailleurs, une mesure isolée à l'égard des pièces de 20 et de 40 francs ; nous prenons une mesure générale à l'égard de la monnaie d'or. Nous disons d'abord que « l'article premier de la loi du 31 mars 1817, décrétant la fabrication des pièces d'or de 10 et de 25 francs, est rapporté. » Nous relirons ensuite de la circulation la monnaie d'or de ce genre qui s'y trouve. Nous ôtons enfin le cours légal aux monnaies d'or étrangères.

Déjà, nous avons exécuté une disposition analogue quant aux souverains anglais ; une disposition plus grave quant aux guillaumes. Ne sommes-nous pas libres d'adopter le système monétaire qui paraît le mieux nous convenir ? La démonétisation de l'or français en Belgique, qui est la conséquence d'une mesure générale, ne peut soulever en France la moindre critique.

Il ne peut résulter, je l'ai dit tout à l'heure, aucun préjudice ni pour le pays, ni pour les particuliers, de la loi qui vous est proposée ; mais il est infiniment probable, pour ne pas dire certain, que si vous ne preniez pas de résolution vous causeriez au pays un préjudice considérable. Au moment où la démonétisation en France serait prononcée, nos nationaux pourraient, dit-on, échanger soit à Valenciennes, soit à Lille, soit à Paris, les pièces dont ils seraient détenteurs Mais cela est-il sérieux ? Ne devraient ils point passer par des intermédiaires ? Ne subiraient-ils pas nécessairement une perte considérable pour faire opérer l'échange ?

Si le gouvernement était chargé de faire cet échange ; si, après avoir remis une autre valeur, il faisait transporter les pièces soit à Lille, soit à Paris, le préjudice serait moins grand pour les particuliers ; mais il pèserait entièrement sur le trésor. Personne ne prétend imposer cette obligation à l'Etat. Or, puisqu'il s'agit, dans l'hypothèse où nous raisonnons, de supprimer le cours légal en laissant aux particuliers le soin d'opérer l'échange, la perte pour ceux-ci sera grande ; elle est inévitable.

Lorsque l'arrêté qui a démonétisé les guillaumes a été publié, est-il venu à l'idée de quelqu'un de prétendre qu'il n'y aurait pas de perte parce que les Belges avaient le temps d'aller en Hollande pour y recevoir les billets de monnaie que donnait le gouvernement hollandais ?

Que l'on ne se fasse pas d'illusion ; si une monnaie étrangère pénètre dans la circulation, et s'il faut ensuite y substituer la monnaie nationale, il y aura trouble, embarras, et pertes incalculables pour les particuliers.

(page 388) C’est pour affranchir le pays de ces troubles, de ces embarras, de ces pertes que le projet de loi a été présenté, je ne pense pas que vous puissiez hésiter à l'adopter.

- La discussion est continuée à demain.

La séance est levée à cinq heures et un quart.