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Chambres des représentants de Belgique
Séance du samedi 12 avril 1851

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1850-1851)

(Présidence de M. Verhaegen.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 1197) M. Ansiau procède à l'appel nominal à midi et demi.

La séance est ouverte.

M. de Perceval donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier ; la rédaction en est approuvée.

Projet de loi relatif à l’emmagasinage du sel brut dans les entrepôts publics

Rapport de la section centrale

M. Vermeire, au nom de la section centrale qui a examiné le projet de loi relatif à l'emmagasinage du sel brut dans les entrepôts publics, dépose le rapport sur ce projet de loi.

- La chambre ordonne l'impression et la distribution de ce rapport.

Projet de loi, amendé par le sénat, révisant la législation sur les faillites, banqueroutes et sursis

Discussion des articles

Article 437

La discussion est ouverte sur l'article suivant.

« Art. 437. Tout commerçant qui cesse ses payements et dont le crédit se trouve ébranlé est en état de faillite. »

(Les mots « et dont le crédit se trouvé ébranlé » constituent l’amendement adopté par le sénat.)

« Celui qui n'exerce plus le commerce peut être déclaré en faillite, si la cessation de ses payements remonte à une époque où il était encore commerçant.

« La faillite d'un commerçant peut être déclarée après son décès, lorsqu'il est mort en état de cessation de payement.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Messieurs, pour éviter que l’article 437, tel qu’il vient d’être rédigé par le sénat, ne soit interprété d’une manière erronée, ne donne lieu à des difficultés dans l’application, je crois devoir expliquer dans quel ordre d'idées il a été admis par le sénat et en fixer le véritable sens.

Sous l'empire du Code de commerce actuel, et en présence des articles 437 et 441 de ce Code, l'on s'est demandé si la cessation de payement des dettes civiles pouvait entraîner l'état de faillite ; si le créancier porteur d'une dette civile pouvait provoquer cet état ; sur ces points il y a divergence d'opinions, et pour la faire cesser sous l'empire de la législation nouvelle, la commission à laquelle vous avez confié l'examen de la loi sur les faillites, crut devoir déclarer dans le rapport qu'elle me chargea de faire en son nom « qu'en admettant les expressions générales : « Tout commerçant qui cesse ses payements est en état de faillite », elle entendait exclure toute distinction qui pourrait être faite entre le commerçant qui ne paye pas ses dettes civiles et le commerçant qui n'acquitte pas ses dettes commerciales. » Cette manière de voir n'a donné lieu dans la chambre à aucune observation.

Le sénat crut voir dans cette interprétation une innovation dangereuse et contraire aux principes. Il craignit que les créanciers civils ne provoquassent l'état de faillite, alors que l'intérêt des créanciers porteurs de titres commerciaux, exigeait le maintien à la tête de ses affaires du débiteur obéré ; il pensa que le commerçant seul pouvant être déclaré en état de faillite, la cessation de payement des dettes commerciales pouvait seule déterminer cet état. Il rédigea en conséquence, lors de la première discussion de la loi par cette assemblée, l'article 437 de la manière suivante : ;

« Tout commerçant qui cesse le payement de ses dettes commerciales est en état de faillite. »

La chambre, de nouveau saisie de l'examen de la question, persista dans sa rédaction première. Le sénat fut de nouveau appelé à se prononcer.

Lors d'un premier vote, il maintint l'article 437 tel qu'il l'avait rédigé la première fois qu'il eut à s'occuper de la loi. Le lendemain, un nouvel amendement fut proposé par M. d'Anethan ; cet amendement fut renvoyé à la commission qui voulut bien m’appeler dans son sein lors de la discussion.

Il fut reconnu que la rédaction admise par le sénat, de même que le nouvel amendement proposé par M. d'Anethan, avaient des inconvénients ; la commission du sénat était surtout préoccupée de la crainte, dont je parlais tout à l'heure, de voir la faillite d'un commerçant déclarée par suite de la cessation de payement d'une simple dette civile, alors qu'il n'avait laissé aucune obligation commerciale en souffrance, alors que son crédit était resté parfaitement intact, alors qu'aucun dérangement dans ses affaires commerciales ne justifiait une semblable mesure.

Je déclarai à la commission que je regardais ces craintes comme peu fondées. J'opposai que le cas d'un homme faisant de bonnes affaires commerciales et de mauvaises affaires civiles était tout à fait exceptionnel ; que l'intérêt du créancier civil n'était jamais de faire déclarer la faillite, mais bien d'exécuter son débiteur et de se faire payer avant la déclaration de la faillite ; qu'au surplus il pouvait, par une saisie sur ce qui fait l'objet du commerce du débiteur, arriver d'une manière sûre à faire déclarer l'étal de faillite ; et qu'enfin il ne suffirait pas de la cessation de payement d'une dette civile pour forcer les tribunaux de commerce à déclarer la faillite ; que la cessation de payement était un fait complexe, constituait toute une situation que les tribunaux de commerce pouvaient seuls apprécier. Je constatai que telle avait été l'opinion de la commission de la chambre qui dans son rapport s'en expliquait de la manière suivante :

« La cessation de payement est un fait complexe que les tribunaux, dans leur prudence, dans leur sagacité, devront apprécier. Pour constituer l'état de faillite, il ne suffira pas de quelques payements refusés, soit par des motifs spéciaux, soit par suite de contestations, comme aussi il ne suffira pas de quelques payements isolés, partiels, du remboursement de quelques sommes modiques pour empêcher l'état de faillite. Ce que les tribunaux auront à examiner, quant aux faits sur lesquels repose la cessation de payement, c'est leur multiplicité, leur importance, leurs caractères et les conséquences qui peuvent en résulter pour le débiteur. »

C'est à la suite de cette conférence que la commission du sénat crut, après une nouvelle réunion, devoir soumettre à cette assemblée la rédaction sur laquelle vous êtes appelés à voter en ce moment, et qui consacre dans la loi même l'opinion qui se trouve exprimée dans la partie du rapport que je viens de lire.

Le gouvernement eût préféré la rédaction première de l'article 437 ; et dans son opinion, elle était claire, elle ne pouvait donner lieu à aucune équivoque sérieuse, en présence surtout du passage du rapport que je viens de citer. Mais comme les mots ajoutés au texte de l'article n'ajoutaient rien au sens que le gouvernement et la chambre avaient donné à la rédaction première, ne le modifiaient absolument en rien, comme ces mots n'ont d'autre but que de rendre d'une manière que l'on a considérée comme plus explicite, cette pensée, qu'il ne suffisait pas que le commerçant ne payât pas la location de sa maison, son épicier, son tailleur, la pension de ses enfants ou toute autre dette civile, mais que la cessation de payement devait être le résultat d'une situation gênée, embarrassée, compromettante pour l'ensemble des affaires du commerçant, le gouvernement n'a pas cru devoir le combattre, car, ainsi que je viens de le dire, tel était le sens qu'il attachait à la rédaction première de l'article. Avec ou sans l'amendement, ce seront toujours les tribunaux de commerce qui auront à examiner si la cessation de payement existe, quels sont les faits dont elle résulte, l'importance des obligations en souffrance, les conséquences du défaut de payement pour les autres créanciers.

Avec ou sans l'amendement, ce seront toujours les tribunaux de commerce qui examineront l'ensemble de la situation du commerçant dont on provoque la mise en état de faillite, et qui prononceront d'après l'examen qu'ils en auront fait.

Si le système primitif du sénat avait été maintenu ; si la loi avait dû consacrer une distinction entre les dettes civiles et commerciales, le gouvernement eût continué à combattre une disposition, qui, loin d'être favorable au commerce, lui était, dans mon opinion, des plus préjudiciable, et pouvait devenir la source de nombreux procès.

Mais, ce système étant abandonné, l'amendement admis en dernier lieu par le sénat, n'altérant en rien le sens de la loi et ne pouvant donner lieu, dans la pratique, à aucun inconvénient, je crois devoir demander à la chambre de bien vouloir l'adopter.

Elle fera ainsi disparaître un conflit qui pourrait se perpétuer et priver le pays d'une loi que les plus graves intérêts réclament depuis si longtemps.

- Plusieurs membres. - Aux voix ! aux voix !

M. Moreau, rapporteur. - Messieurs, je n'avais demandé la parole que pour déclarer, en ma qualité de rapporteur de votre commission, que celle-ci a donné à l'amendement que le sénat a introduit dans l'article 437, la portée que vient d'indiquer M. le ministre de la justice, et qu'elle partage entièrement sa manière de voir. Puisque la chambre manifeste le désir de passer au vote, je crois qu'il est inutile d'en dire davantage.

- L'article est adopté.

Article 546

« Art. 546. Le privilège et le droit de revendication établis par le n°4 de l'article 2102 du Code civil au profit du vendeur d'effets mobiliers, ainti que le droit de résolution ne seront pas admis en cas de faillite.

« Néanmoins ce privilège continuera à exister pendant deux ans, à partir de la livraison, en faveur des fournisseurs de machines et appareils employés dans les établissements industriels.

« Il n’aura d’effet que pour autant que, dans la quinzaine de cette livraison, l'acte constatant la vente soit transcrit dans un registre spécial, tenu à cet effet au greffe du tribunal de commerce de l'arrondissement dans le débiteur aura son domicile, et, à défaut de domicile, au greffe du tribunal dans lequel le débiteur aura sa résidence. Le greffier du tribunal sera tenu de donner connaissance de cette transcription à toutes les personnes qui en feront la demande.

(Les mots « à défaut de domicile, au greffe du tribunal dans lequel le débiteur aura sa résidence. Le greffier du tribunal sera tenu de donner connaissance de cette transcription » constituent l’amendement adopté par le sénat.)

« Ce privilège pourra êlre exercé même dans le cas où les machines et appareils seraient devenus immeubles par destination ou par incorporation.

(Le mot « privilège » constitue l’amendement adopté par le sénat.)

« La livraison sera établie, sauf la preuve contraire, par les livres du vendeur.

« En cas de faillite du débiteur, déclarée avant l'expiration des deux années de la durée du privilège, celui-ci continuera à subsister jusqu'après la liquidation de ladite faillite. »

- Adopté.

Vote sur l’ensemble du projet

Il est procédé au vote, par appel nominal, sur l'ensemble du projet de loi, qui est adopté à l'unanimité des 75 membres présents.

Ce sont : MM. David, de Baillet (Hyacinthe), de Breyne, de Brouwer de Hogendorp, (page 1198) de Decker, de Denterghem, de Haerne, de la Coste, Delehaye, Delescluse, Delfosse, Deliége, de Meester, de Merode Felix, de Merode-Westerloo, de Muelenaere, de Perceval, de Pitteurs, de Renesse, de Royer, Desoer, de Steenhault, Destriveaux, de Theux, de T'Serclaes, d'Hoffschmidt, Dumon (Auguste), Dumont (Guillaume), Faignart, Frère-Orban, Jacques, Jouret, Julliot, Landeloos, Lange, le Bailly de Tilleghem, Lebeau, Lesoinne, Manilius, Mascart, Mercier, Moncheur, Moreau, Moxhon, Orts, Osy, Pirmez, Rodenbach, Roussel (Adolphe), Rousselle (Charles), Tesch, Thibaut, Thiéfry, T’Kint de Naeyer, Van Cleemputte, Vandenpeereboom (Alphonse), Vandenpeereboom (Ernest), Van Grootven, Van Iseghem, Van Renynghe, Vermeire, Vilain XIIII, Allard, Ansiau, Anspach, Bruneau, Cans, Clep, Cools, Coomans, Cumont, Dautrebande et Verhaegen,

Projet de loi sur le crédit foncier

Discussion des articles

Article 37 nouveau (projet de la section centrale)

M. le président. - Nous sommes restés à l'article 37 nouveau proposé par la seclion centrale. Cet article est ainsi conçu :

« Les provinces, les communes, les établissements publics et la caisse des dépôts et consignations sont autorisés à placer leurs capitaux en lettres de gage nominatives, sous les conditions et formalités qui leur sont respectivement imposées par les lois en vigueur pour le placement de leurs capitaux. »

M. Jacques propose par amendement la suppression des mots : « la caisse des dépôts et consignations ».

M. Jacques. - Messieurs, je désire que, pour les fonds de la caisse des dépôts et consignations, on conserve ce qui existe. D’après la loi de 1847, lorsque cette caisse présente plus de fonds qu’il n’est nécessaire aux besoins courants du service, on applique l’excédant à l’achat de titres de la dette nationale. De cette manière le service se fait sans que l'Etat contracte une responsabililé nouvelle. L'Etat n'est toujours responsable que du capital de sa dette, de sorte que les titres de la dette publique, qui représentent les fonds de cautionnements et de consignations, n'imposent à l'Etat aucune responsabilité nouvelle.

Il n'en serait plus ainsi, messieurs, si vous autorisiez à disposer des fonds des cautionnements et des consignations pour acheter des lettres de gage. Car alors l'Etat resterait tout à la fois responsable du total de sa dette et du montant du fonds des cautionnements et des consignations. Il aurait ainsi deux responsabilités au lieu d'une seule.

Je vais expliquer mon opinion d'une manière plus claire.

Si l'on proposait d'autoriser M. le ministre des finances à prêter aux particuliers sur hypothèque les fonds des cautionnements et des consignations, je ne pense pas que vous accorderiez une pareille autorisation ; et cependant si vous admettez la disposition qui a été proposée par la section centrale, si vous autorisez le placement des fonds des cautionnements et des consignations en achats de lettres de gage, c'est absolument la même chose que si vous autorisiez à prêter ces fonds à des particuliers sur hypothèque.

Je crois que je n'ai pas besoin d'en dire davantage pour faire comprendre les motifs qui m'engagent à demander qu'on laisse les fonds de la caisse des dépôts et consignations dans la situation où ils se trouvent placés par la loi de 1847.

J'ajouterai un dernier mot.

Je ne vois pas pour les fonds des provinces, des communes et des établissements publics, la même nécessité de m'opposer à l'adoption de l'article, parce que les provinces, les communes et les établissements publics sont déjà autorisés à placer sur hypothèque entre les mains des particuliers, pourvu qu'ils prennent les autorisations qui sont prescrites par la loi en vigueur. L'article proposé par la section centrale n'innove donc pas à la situation actuelle en ce qui concerne les fonds des provinces, des communes et des établissements publics. C'est pour ces motifs que j'admets cette partie de l'article.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Ce que vient de dire en terminant l'honorable préopinant, est exact. Il est certain qu'il n'y a pas innovation en ce qui concerne les communes, les provinces et les établissements publics qui, avec l'autorisation voulue, peuvent placer leurs fonds sur hypothèque. Mais comme il s'agit ici d'un mode particulier de placement, et que l'on aurait pu contester que les communes ou les établissements publics pussent appliquer leurs capitaux en acquisition de lettres de gage, il a paru utile d'insérer une disposition dans la loi.

L'honorable préopinant a commis, à mon sens, une double erreur, pour motiver la suppression qu'il demande d'une partie de l'article en discussion. Il a supposé que le gouvernement, en convertissant en fonds publics les capitaux qui sont versés dans la casse des dépôts et consignations, ne contracte pas une nouvelle obligation, qu'il reste toujours uniquement responsable des titres de sa dette.

Cela serait vrai s'il avait le droit de remettre aux particuliers des titres de la dette, mais il doit les rembourser en écus. Or, il doit réaliser, comme tout particulier, ces fonds publics lorsqu'il a des payements à faire, il est exposé, si ces fonds sont à un cours plus bas que celui auquel il a acheté, d'essuyer une perte. Maintenant, en acquérant des lettres de gage pour la caisse des consignations, la position sera la même ; elle ne saurait pas être plus défavorable, car ces lettres sont moins exposées aux fluctuations que les fonds publics.

Il y a un deuxième motif pour autoriser la caisse des consignations, si elle le juge convenable, à acquérir des lettres de gage ; cette caisse est placée sous la direction du gouvernement, mais sous la surveillance d'une commission parlementaire ; aucune espèce de préjudice n'est donr à craindre car il est évident que la commission de surveillance s’opposerait à tout acte préjudiciable à la caisse.

M. De Pouhon. - Le rapport de la section centrale exprime une grande vérité, messieurs. C'est quand il dit que la caisse de crédit foncier « utilisera les forces de l'Etat ».

Ce n’est pas seulement le trésor public qui, par des modérations et des exemptions d’impôts, doit contribuer au succès d’un établissment que vous prétendez n’être qu’une association entre prêteurs et emprunteurs, association entre gens qui, pour la plupart, s’entendraient mieux et plus utilement entre eux que par l'intermédiaire du gouvernement ; c'est encore le crédit de l'Etat qui doit lui être voué en holocauste. Il ne suffira pas de répandre dans le pays des titres qui, s'ils venaient à captiver la confiance des rentiers, délogeraient les fonds nationaux de leurs portefeuilles et qui, dans des circonstances données, occasionneraient des crises déplorables, il faut encore recommander ces valeurs comme placement d'argent, aux provinces, aux communes et aux établissements publics qui, jusqu'à présent, ont été le plus constant appui du crédit de l'Etat. Il ne faudra pas s'étonner de voir les agents du ministère des finances parcourir le royaume pour démontrer aux administrations des communes, des bureaux de bienfaisance, des fabriques d'église et autres la supériorité de garantie des lettres de gage sur les fonds nationaux

Ils n'auraient qu'à leur rapporter les paroles que M. le ministre des finances vient de prononcer pour expliquer que la caisse des dépôts et consignations pourrait prendre de préférence des lettres de gage au lieu de fonds de l'Etat, puisqu'elles seront moins exposées à des fluctuations.

Il y a cependant quelque chose à dire à ce sujet, c'est que l'Etat est garant des dépôts qui sont faits à la caisse des consignations, et qu'il répondrait ainsi du remboursement intégral des lettres de gage.

Rien n'est moins vrai que cette prétendue supériorité des lettres de gage sur les fonds nationaux.

Pour que les fonds belges présentassent un péril réel, il faudrait des événements qui ne ménageraient pas davantage les lettres de gage. Il ne faudrait pas moins que l'invasion de la république rouge. Sa présence ne serait pas de longue durée dans ce pays-ci, mais il lui suffirait de bien peu de temps pour faire de la grosse besogne.

Vous voulez remplacer dans les portefeuilles les fonds de l'Etat qui chez leurs détenteurs sont des garanties d'ordre et de sollicitude pour le gouvernement, par des titres qui les laisseront indifférents et qui proviendront eux-mêmes d'une source de désaffection et de sentiments hostiles.

Aux yeux des hommes qui ne s'occupent pas de théories politiques et sociales, mais qui ont l'habitude de considérer les faits en eux-mêmes et d'étudier leurs conséquences naturelles, il y a tant d'aberration dans l'idée de votre grande caisse de crédit foncier, qu'ils ont besoin d'être convaincus de la probité et de la moralité de ses promoteurs pour ne pas être inquiets de leur mobile réel.

Heureusement, messieurs, que les emprunteurs feront défaut à la caisse foncière, je l'espère du moins. Les petits ne se contenteront pas des avances limitées de l'institution ; les grands emprunteurs n'auront pas besoin de se mettre sous sa tutelle pour trouver de l'argent à meilleur marché qu'elle ne leur en présente, hormis toutefois dans des moments difficiles quand les fonds publics seront très dépréciés. Alors, les caisses qui sont sous la direction ou l'influence du gouvernement pourront trouver qu'un 4 p. c. hypothécaire vaut mieux pour elles au pair, qu'un 5 p. c. de l'Etat à 90, 80, 70 p. c.

Il est toutefois des éventualités qui seraient de nature à alimenter la banque foncière.

Des événements peuvent survenir qui en feraient redouter de plus funestes aux grands propriétaires. L'idée ne leur viendrait-elle pas de réaliser, par l'emprunt à la caisse, la moitié de leur fortune pour la transporter en lieu qu'ils jugeraient plus sûr, sauf à rembourser, la tourmente étant passée, ou à racheter des lettres de gage qu'ils garderaient en portefeuille ?

Il est d'autres combinaisons du même genre dont les caisses publiques pourraient faciliter la réalisation par l'institution que vous allez créer.

Je regrette, messieurs, de n'avoir qu'un vote à opposer à l'article 37.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Messieurs, il est tout simple que les adversaires du projet de loi, se constituant les juges de l'utilité des dispositions proposées, décident contre notre opinion qu'il faut rejeter tout ce que nous considérons comme favorable à l'institution que nous voulons créer. Tout ce que nous approuvons, ils le blâment ; leur but est opposé au nôtre. Nous voulons édifier ; ils veulent renverser.

Les paroles et les conseils de l'honorable préopinant sont pour moi très suspectes, parce qu'il est l'adversaire du projet de loi. Tout ce qu'il désire, c'est que l'institution échoue. (Interruption.) L'honorable membre vient de le déclarer sans détours : tout ce qu'il désire, c'est qu'elle échoue ; en conséquence, il convie la chambre à rejeter l'article 37. L'institution est pernicieuse, au sens de l'honorable membre. Mais quant aux compagnies formées en vue de la spéculation qui prélèvent des bénéfices considérables sur les emprunteurs, il les trouve excellentes.

Si les sociétés qui existent et qui se livrent aux mêmes opérations que celles que fera la caisse, sont utiles et ont rendu des services ; si on les recommande au public, si l'on engage à prendre leurs actions ou leurs obligations, pourquoi la caisse du crédit foncier devrait-elle être condamnée ? Je ne vois entre ces sociétés et la caisse projetée qu'une seule différence véritablement importante ; celles-là opèrent dans des vues de spéculation, celle-ci agira dans l'intérêt exclusif des emprunteurs et des prêteurs.

(page 1199) La caisse ne fait pas de spéculation, elle ne fait pas de bénéfices ; elle n'a pas des actionnaires auxquels elle doive répartir des intérêts et des dividendes.

L'honorable préopinant regrette vivement que l'on autorise les communes, les provinces, les établissements publics, la caisse des dépôts et consignations à placer leurs fonds disponibles en lettres de gage ; cette mesure, suivant l'honorable membre, est de nature à nuire au crédit public.

J'ai souvenir de circulaires qui ont reçu, si je ne me trompe, la très haute approbation de l'honorable préopinant, qui a coutume de se poser ici contre moi en défenseur exclusif des intérêts de l'Etat, et qui aime à jouer le rôle de protecteur de la dette publique belge : j'ai le souvenir de circulaires dans lesquelles on engageait les établissements publics, les bureaux de bienfaisance, les communes et les fabriques d'églises à placer leurs capitaux dans les opérations guatémaliennes. Il est vrai qu'il s'agissait encore là d'intérêts privés à favoriser, et que l'on ne pouvait montrer trop de déférence envers eux.

Est-ce que par hasard on voudrait établir une comparaison entre un tel placement auquel on provoquait et celui qui sera offert par l'institution que nous voulons fonder, institution établie par l'autorité publique, sous son patronage, sous la surveillance des grands pouvoirs de l'Etat !

M. de Mérode. - Vous avez blâmé cet emploi.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Oui, j'ai blâmé l'appel fait aux établissements publics, parce que c'était une mauvaise action, parce qu'il s'agissait d'une spéculation déplorable qui devrait entraîner des pertes inévitables pour ceux qui s'y intéresseraient ; mais ici j'ai le droit de dire que les fonds seront sûrement et utilement employés ; et que l'on n'est exposé à aucune perte. (Interruption.) Il est impossible qu'il y ait perte, dans les conditions stipulées par la loi. Personne n'a essayé de prouver le contraire dans cette longue discussion.

On peut donc en toute sécurité recommander, et non pas imposer, comme le dit l'honorable préopinant qui ne paraît pas avoir lu la disposition qu'il critique ; non pas imposer aux établissements publics, aux communes, aux bureaux de bienfaisance l'obligation de placer leurs fonds en lettres de gage. (Interruption de M. De Pouhon.)

Vous avez dit « imposer » ; si on a tenu note de votre discours, on le verra au Moniteur.

M. de Pouhon. - Voilà mon discours écrit, et le mot « imposé » n'y est pas.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Relisez-le, et vous y trouverez l'expression que je viens de relever.

Messieurs,l'honorable membre soutient que la disposition proposée nuira aux fonds publics, que les agents du département des finances pourront se répandre par le pays, et, porteurs des paroles de M. le ministre des finances, démontrer aux particuliers que les fonds publics ne valent pas les lettres de gage ; c'est ce que l'honorable membre vient de dire. Je m'étonne qu'il ait ainsi travesti ma pensée et mes paroles ; c'est probablement pour relever la défense qu'il se croit obligé de faire constamment des fonds publics en accusant le ministre des finances.

Que l'honorable membre le sache, le crédit public n'a pas besoin d'être défendu par lui ; je saurai, en toute circonstance, le détendre comme mon devoir et l'intérêt de l'Etat me le commandent. Mais ce que j'ai eu le droit d'énoncer, parce que c'est une observation de bon sens, c'est que les fonds publics, influencés par tous les événements politiques, sont, par leur nature, soumis à des fluctuations plus considérables, plus brusques, plus rapides que les lettres de gage ; voilà ce que j'ai dit ; je l'ai dit parce que cela est incontestable ; parce que l'expérience le prouve ; c'est un fait qui ne peut être méconnu par personne.

J'ai donc dit que, sous ce rapport, les lettres de gage n'exposaient pas aux mêmes différences, lorsque, par événement, on pouvait être obligé à les réaliser. C'est là ce qui explique qu'elles peuvent donner un intérêt moindre que les fonds publics.

Voilà les paroles que j'ai prononcées et que je maintiens. Quel inconvénient peut présenter la disposition ? Aucun. C'est une simple, autorisation ; c’est une faculté pour les établissements d'utilité publique de faire emploi de leurs fonds en lettres de gage ; personne ne pourra les contraindre ; les administrateurs qui sont aussi bons juges des intérêts de ces établissements que l'honorable préopinant, décideront s'il convient de faire emploi de leurs fonds en lettres de gage. Mais, dit-il, ces lettres de gage feront concurrence aux fonds publics. C'est un mode de placement analogue. L'honorable membre sait parfaitement que les capitaux ne veulent pas tous le même emploi. Les uns se dirigent vers le commerce, d'autres vers la dette publique, d'autres vers les prêts hypothécaires, d'autres enfin vers les actions industrielles où l'agiotage peut facilement s'exercer. Si la dette foncière se convertit en lettres de gage, les mêmes capitaux existeront ; il faudra qu'on leur cherche un emploi, ils seront refoulés vers la dette publique bien loin d'en être éloignés ; et comme il y aura plus d'affinité entre les titres de l'emprunt hypothécaire et les titres de la dette publique, il y aura là, pour les fonds publics, une chance d'élévation plutôt qu'une chance de dépréciation.

M. De Pouhon. - Je demande la parole pour un fait personnel.

A entendre M. le ministre, il semblerait que je suis préoccupé des intérêts des sociétés de prêts hypothécaires ; déjà il avait fait cette insinuation.

Je dirai que ces intérêts me touchent fort peu et qu'ils sont à peine en cause. Les établissements hypothécaires ne font plus guère que quelques prêts industriels ; tous réunis n’opèrent pas annuellement pour plus de 4 millions. L'un de nos honorables collègues qui dirige l'un de ces établissements peut vous dire si mon estimation est exagérée.

Or, l'exposé des motifs du projet de loi établit à 54 millions la moyenne des emprunts hypothécaires des trois dernières années. Il y aurait donc 50 millions de prêts faits annuellement par les capitalistes particuliers. Ceux-ci suffiront à des besoins plus considérables lorsque la législation nouvelle aura écarté les dangers des prêts hypothécaires et des expropriations.

Ne comprenez vous pas, messieurs, combien il est préférable, au point de vue des intérêts généraux et de la sécurité dn pays, que l'argent sorte de la caisse du prêteur pour entrer directement dans celle de l'emprunteur plutôt que d'y arriver par l'intermédiaire d'une circulation de papier qui sera un véritable danger ?

M. le ministre a de plus fait une insinuation relativement à la compagnie de Guatemala. Je n'ai qu'un mot à répondre, c'est que quand le gouvernement a autorisé la souscription par les communes, je ne faisais plus partie de la compagnie de Guatemala. Par conséquent, ses observations ne peuvent pas s'adresser à moi.

M. Osy. - Je voterai contre l’article entier, non seulement par les raisons données par M. Jacques, mais par d'autres encore. Je commencerai par la première partie de la disposition qui concerne les provinces, les communes et les établissements publics. Ici il y a un véritable privilège qu'on accorde à la caisse particulière dont il s'agit. Comment ! on autorise les caisses publiques à acquérir des lettres de gage d'une caisse particulière, tandis que d'autres sociétés fondées dans le même but n'auront pas le même avantage !

Voilà un privilège. Sous ce rapport, je le combats, comme j'ai combattu tous les autres privilèges. La section centrale en a effacé un minime ; elle a malheureusement conservé tous les autres.

Le gouvernement actuel a très sagement agi en engageant les établissements publics à placer leurs fonds en fonds nationaux et en obligations de la Société Générale qui, tant que la législation ne sera pas changée, est une annexe à la caisse d'épargne. Mais quand le gouvernement aura pris la caisse d'épargne, il est probable qu'il ne conseillera plus ce dernier mode de placement aux établissements publics.

Je dis donc que c'est un privilège. Il y a plus : c'est une dérogation à l'article 11 de la loi du 15 novembre 1847, ainsi conçu :

« Les sommes portées au crédit de chaque compte qui ne sont pas nécessaires pour le service courant, sont placées par les soins du ministre des finances, en rentes sur l'Etat, ou en obligations du trésor, la commission préalablement entendre. »

Vous voyez que, d'après la loi existante, les fonds de la caisse des dépôts et consignations ne peuvent être employés qu'en rentes sur l'Etat.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - C’est précisément pour cela, que la disposition du projet est nécessaire.

M. Osy. - Je le conçois. Mais vous l'avez dit souvent vous-même, ce n'est pas par une disposition introduite incidemment dans une loi que l'on change une loi importante et relative à un autre sujet.

M. le ministre des finances dit qu'en tout cas il y a une commission de surveillance parlementaire ; cela est vrai ; mais ce n'est qu'une commission de surveillance. Je reconnais que depuis deux ans que je suis membre de la commission de surveillance de la caisse d'amortissement, cette commission a toujours eu beaucoup d'agrément avec M. le ministre des finances, et a toujours été d'accord avec lui. Il a accueilli favorablement les propositions qui nous avons eu l'honneur de lui faire ; sous ce rapport, je ne puis que me louer de lui. Mais il n'a pas besoin des avis de la commission ; s'il n'est pas d'accord avec elle, il peut agir comme il l'entend et en rendre compte à la chambre. Voilà le mécanisme de la loi.

M. le ministre des finances fera place, d'ici à quelques années, à un autre ministre : qui nous dit que, par amour-propre, son successeur pour faire aller cette malheureuse caisse du crédit foncier ne préconisera pas les placements en lettres de gage au détriment des fonds nationaux ? Dans ces fonds, s'il peut y avoir perte, il peut aussi y avoir bénéfice. Mais avec les lettres de gage, que pouvez-vous gagner ? Vous êtes remboursé au pair, mais lorsque, dans les temps difficiles, les lettres de gage seront au-dessous du pair, vous devez les prendre à perte ; ce sera donc une perte pour la caisse.

On dit qu'il ne peut y avoir perte. Cependant nous voyons par les journaux allemands que les lettres de gage de la banque de Munich sont cotées à 2 p. c. au-dessous des 4 p. c. de l'Etat. De même, quand nos 4 p. c. que je considère comme un fonds extrêmement solide, sont à 84, soyez sûrs que les lettres de gage n'atteindront pas le pair.

Je ne puis donc voter la proposition de la section centrale, à laquelle s'est rallié le gouvernement.

Il y a évidemment privilège ; car vous n'accordez pas la même faveur à la caisse hypothécaire, à la caisse des propriétaires, créées dans le même but que la société qui nous occupe ; ce n'est que pour la caisse du crédit foncier que vous dérogez à une loi existante.

Ensuite la mesure qu'on propose peut un jour ou l'autre avoir des résultat funestes pour les fonds nationaux. La caisse des dépôts et consignations a 16 millions de capitaux de fonds publics belges : un ministre des finances peut trouver convenable, comme je l'ai dit tout à l'heure, d'affecter ces fonds à des achats de lettres de gage au détriment du trésor.

(page 1200) Je considère les prêts hypothécaires comme une opération plus avantgeuse que le placement en lettres de gage. C'est l'opinion que m'exprimait hier soir un des plus riches capitalistes du pays : il préférerait, me disait-il, un placement sur une hypothèque, où ayant son gage sous la main et étant lui-même son receveur, il est certain de recevoir ses 4 p. c, à l'achat des lettres de gage à 90 et même à 80 ; car à 80, il gagne 2 p. c. ; mais ces 20 p. c ; répartis sur 42 ans, font un demi p. c. par an, soit en tout 4 et demi p. c. par an.

Si la caisse du crédit foncier était une institution du gouvernement, je concevrais que l'on dît qu'il ne peut y avoir perte. Mais par l'amendement que nous avons fini par obtenir de M. le ministre des finances...

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je n'ai pas cessé de faire des déclarations dans le sens de l'amendement que j'ai proposé.

M. Osy. - Mes honorables amis et moi nous avons proposé d'insérer dans la loi que le gouvernement ne serait pas responsable ; M. le ministre n'a pas voulu de cette rédaction : il a présenté un amendement qui est la même chose, et par lequel il dit, que s'il y a des pertes, ce ne sera pas le gouvernement qui les supportera, mais les porteurs de lettres de gage.

Je ne veux pas rentrer dans les détails de la loi et dans la discussion générale ; nous ferons cela dans une autre occasion. Mais, messieurs, n'abusons pas le public. Le public est bien prévenu que par l'amendement de M. le ministre auquel nous nous sommes ralliés, la perte retombera sur les porteurs de lettres de gage. Or, nous, qui sommes les tuteurs des caisses publiques et de la caisse des dépôts et consignations, Nous devons raisonner comme le public raisonnera ; nous dirons qu'il peut y avoir perte et qu'il vaut bien mieux employer les capitaux de cette caisse en achats de fonds publics dans lesquels nous avons confiance et que nous devons tous soutenir. Car enfin, nous ne devons pas perdre de vue que, même sans dépenses extraordinaires, nous serons obligés dans peu de temps de faire un emprunt de 37 millions, car il y a un engagement d'honneur de rembourser l'emprunt forcé au pair. Et c'est dans ce moment que vous voulez laisser l'espoir aux porteurs de lettres de gage, qu'ils auront pour auxiliaires les caisses de l'Etat qui accepteront ce papier nouveau.

Pour moi. je m'oppose formellement à l'article 37. Je demande, en tout cas, que le vote en ait lieu par division. Pour la caisse des dépôts et consignations, vous dérogez à une loi existante ; et quant aux établissements publics, j'aime beaucoup mieux qu'ils fassent eux-mêmes leurs affaires, qu'ils placent leurs fonds sur hypothèque et qu'ils gardent eux-mêmes la grosse, que de leur voir prendre un papier pour lequel ils n'ont pas la même garantie.

- Plusieurs membres. - La clôture !

M. Malou. - La question est réellement très importante. Je crois que nous pouvons encore y consacrer quelques instants.

Je regrette l'insistance que M. le ministre des finances apporte pour l'adoption de cet article. Les lois existantes ont réglé le mode de placement des fonds des provinces, des communes et des établissements de bienfaisance. La députation permanente, dans chaque circonstance, apprécie quelle est la nature de placement la plus utile à ces établissements. Je ne connais aucune interdiction ; c'est-à-dire que la province, la commune et l’établissement public apprécie quel est le placement le plus convenable à ses intérêts, et la députation permanente contrôle. Pourquoi dès lors faire une loi qui déclare ce qui existe, qui déclare que les provinces, les communes et les établissements publics peuvent placer en lettres de gage, puisque dans toutes les circonstances où ces placements seront reconnus utiles, les lois existantes donnent le pouvoir de les faire.

Cet article est donc complètement inutile en ce qui concerne les provinces, les communes et les établissements de bienfaisance. Il n'a de portée, comme on vient de le faire remarquer, qu'en tant qu'il déroge à la loi portant institution de la caisse des cautionnements et des consignations. Si on veut déroger à cette loi, qu'on le fasse, mais qu'on supprime le reste de l'article.

Si la disposition n'était qu'inutile, je crois que nous ne devrions pas nous y arrêter fort longtemps. Mais elle me paraît dangereuse, et j'ajouterai que, selon moi, la chambre n'a pas le droit de l'adopter.

Si l'on avait déclaré dans la loi que les porteurs de lettres de gage ne sont en aucun cas passibles d'une perte, si, en d'autres termes, les emprunteurs étaient engagés par une solidarité illimitée, je comprendrais qu'on insérât cette disposition dans la loi, parce qu'alors le capital des établissements publics, des établissements de bienfaisance, par exemple, serait en tout cas garanti.

Mais, d'après l'amendement qui a été introduit dans la loi et d'où il résulte qu'en cas de perte les emprunteurs ne sont tenus que jusqu'à concurrence de 3 annuités, le surplus devant être réparti sur les porteurs de lettres de gage (ils sont compris sous le nom d'intéressés), si vous adoptez l'article en discussion, vous décidez par la loi que les établissements publics peuvent placer leurs capitaux de manière à en compromettre une partie. Et cela est très grave.

Remarquez que tous les établissements publics sont compris dans la loi, y compris les établissements de bienfaisance. Quand les établissements de bienfaisance prennent des fonds belges, par exemple, ils ont la garantie de l'Etat pour la restitution intégrale de leur capital, tandis qu'ici ils courrent la chance d'une dépréciation.

Vous croyez que cette chance est faible ; peu m'importe, je dis qu'elle existe, qu'elle peut se réaliser, que vous mettez ces établissements dans la position de compromettre leur capital.

M. le ministre des finances invoquait tout à l'heure un antécédent déplorable posé par le gouvernement ; mais les motifs qui le portent à blâmer cet antécédent doivent le porter à retirer l'article actuel. (Interruption) Ce n'est pas la même chose, mais c'est une chose analogue.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Allons donc !

M. Malou. - C'est une chose analogue en ce sens que, dans l'un comme dans l'autre cas, le capital n'est pas parfaitement garanti, qu'on peut être soumis à certaines chances de pertes. Qu'elles eussent été plus grandes dans le premier cas que dans celui-ci, c'est ce que je suis le premier à reconnaître. J'ajouterai, du reste, pour qu'on ne revienne plus sur cet incident, qu'il n'a été approuvé par personne. C'est une faute que le gouvernement a commise, qui a été signalée en quelque sorte à l'unanimité par la chambre. Ainsi on ne peut tirer de fait un argument à l'appui de l'article en discussion.

Encore un mot, messieurs ; il est constant que ce qui a fait, depuis plusieurs années, le plus de bien au crédit de nos fonds belges, ce sont les placements réguliers des caisses gérées par l'Etat et des établissements publics. Pendant le temps que j'ai passé au ministère des finances, j'ai pu me convaincre de ce fait : c'est qu'alors que par suite de la crise extérieure les fonds belges qui se trouvaient à l'étranger ont refusé sur notre marché avec une très grande violence. Cette intervention a été des plus utile. Maintenant si vous dirigez les placements des communes et des établissements publics vers une autre destination, vous diminuez la force de cette intervention et vous nuisez au développement du crédit.

Si du moins l'intérêt des établissements publics le conseillait. Mais, messieurs, il n'en est absolument rien. Je suppose que le cours des lettres de gage reste constant, qu'elle se négocient constamment au pair ; y a-t-il quelque analogie possible au point de vue de l'intérêt de ces établissements, entre ces placements en lettres de gage et les placements en fonds publics. Ainsi, qu'on prenne les fonds belges au taux le plus élevé où ils aient été depuis deux ans. Vous aurez du 3 p. c. à 64 avec chance d'une augmentation considérable de capital ; vous aurez du 4 p. c. à 84, du 5 p. c. au pair ou au-dessous ; et c'est dans un pareil moment que vous mettez dans la loi que vos établissements publics, que vos établissements de bienfaisance, seront invités...

- Plusieurs membres. - Non, non, seront autorisés.

M. Malou. - Mais s'ils ne sont pas invités, votre article ne signifie rien. Autorisés, ils le sont. Je dis donc qu'ils seront invités officieusement par la loi à placer à 4 plutôt qu'à 5 p. c.

Pour me résumer, messieurs, je dis que l'article est inutile et qu'il est dangereux.

- La clôture est demandée.

M. Cools (contre la clôture). - Je crois, messieurs, que nous devons encore consacrer quelques moments à cette discussion.

On lui a donné une portée plus grande que je ne l'aurais désiré. On a mêlé l'examen de la question de savoir s'il convient d'autoriser d'une manière générale le placement des capitaux de tous les établissements publics en lettres de gage, ou s'il ne faut pas se borner à refuser cette faculté à la caisse des dépôts et consignations.

Pour ma part, messieurs, je crois qu'il y a une distinction à faire ; je crois qu'il y a des motifs pour qu'on n'autorise pas la caisse des dépôts et consignations à acquérir des lettres de gage, et je désire que la chambre me permette de dire quelques mots à cet égard.

M. Jacques. - Je désire qu'on ne prononce pas la clôture, afin que je puisse répondre quelques mots à ce que disait tout à l'heure M. le ministre des finances que le placement des fonds de la caisse des dépôts et consignations en titres de la dette publique expose le trésor à faire des pertes lorsqu'il doit rembourser les cautionnements ou les consignations. Je prouverai en deux mots qu'il n'y a jamais de perte à craindre de ce chef.

- La discussion est close.

M. de Mérode (pour un fait personnel). - M. le minisire des finances revient souvent sur l'invitation faite aux communes, par une simple circulaire, de placer quelques fonds disponibles pour favoriser la colonisation de leurs habitants pauvres et sans emploi à Santo-Tomas.

M. le ministre a qualifié cette circulaire de scandaleuse. Comme je l'ai sollicitée, messieurs, je dois réclamer ma part du scandale ; car justice exige que chacun reconnaisse sa propre culpabilité ; c'est en tout cas plus généreux que d'exagérer les torts des autres.

Mais quels que soient ces torts, s'ils existent, ils ne prouvent rien en faveur de l'article 37 ; et l'atrocité de la circulaire fùt-elle mathématiquement démontrée, les raisons de M. le ministre des finances n'y gagneraient rien. Elles ne constituent qu'une récrimination, rien de plus, contre tel ou tel adversaire de la loi du crédit foncier dirigé par le gouvernement.

M. Osy. - Je demande la division, c'est-à-dire le vote séparé sur ce qui concerne, d'une part, les communes, les provinces et les établissements publics, et, d'autre part, la caisse des dépôts et consignations.

M. le président. - La divsion résulte de l'amendement de M. Jacques ; en votant sur l'amendement de M. Jacques on vote par division.

(page 1201) M. Osy. - Je n’insiste pas.

- L’amendement de M. Jacques est mis aux voix par appel nominal.

76 membres sont présents.

29 adoptent.

47 rejettent.

En conséquence l'amendement n'est pas adopté.

Ont voté l'adoption : MM. de Baillet (Hyacinthe), Dedecker, de la Coste, de Liedekerke, de Man d'Attenrode, de Meester, de Mérode (Félix), de Mérode-Weslerloo, De Pouhon, de Steenhault, de Theux, de T'Serclaes, Dumon (Auguste), Dumortier, Faignart, Jacques, Julliot, Malou, Mercier, Moncheur, Osy, Pirmez, Rodcnbach, Roussel (Adolphe), Thibaut, Vermeire, Vilain XIIII, Clep, Cools et Coomans.

Ont voré le rejet : MM. David, de Baillet-Latour, de Breyne, de Brouwer de Hogendorp, de Denterghem, Delehaye, Delfosse, Deliége, de Perceval, de Pitteurs, Dequesne, de Renesse, de Royer, Desoer, Destriveaux, d'Hoffschmidt, Frère-Orban, Jouret, Landeloos, Lange, Lebeau, Lesoinne, Manilius, Mascart, Moreau, Moxhon, Orts, Ch. Rousselle, Tesch, Thiéfry, T'Kint de Naeyer, Van Cleemputte, Vandenpeereboom (Alphonse), Vandenpeereboom (Ernest), Van Grootven, Van Hoorebeke, Van Iseghem, Van Renynghe, Allard, Ansiau, Anspach, Bruneau, Cans, Cumont, Dautrebande et Verhaegen.

- La disposition du projet est ensuite mise aux voix et adoptée.

Article 28 (projet du gouvernement)

« Art. 28. Il sera pourvu, par arrêté royal, le conseil d'administration et la commission de surveillance entendus, à l'organisation des services de la caisse et à l'application des dispositions de la présente loi.

« Le jour de la mise à exécution de la présente loi sera fixé par arrêté royal. »

Articles additionnels

M. le président. - Viennent ici les articles additionnels proposés par M. Malou. Le premier est ainsi conçu :

« Les membres de l'administration de la caisse, les conservateurs des hypothèques, les experts et tous les agents qui concourront aux opérations sont responsables envers la caisse. »

M. Malou. - M. le ministre a combattu hier, un peu prématurément, le principe de cet amendement. Il est bien certain qu'en général la responsabilité existe ; mais le Code civil, qui pose le principe général de la responsabilité, définit aussi, pour certains cas, une responsabilité spéciale. Ainsi vous voyez la responsabilité des conservateurs des hypothèques envers les particuliers, la responsabilité des mandataires envers leurs mandants. Je crois qu'il n'y a pas d'inconvénients et qu'il y a des avantages à déclarer que les agents sont responsables envers la caisse. C'est une garantie pour les emprunteurs et pour les prêteurs.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - J’ai déjà dit hier que je ne voyais pas la nécessité d'insérer l'article 1382 du Code civil dans la loi. L'honorable préopinant disait tantôt qu'on devrait retrancher de l'article 37 que nous venons, de voter la disposition relative aux communes et aux provinces parce que cela est de droit commun ; c'était une erreur, en ce sens du moins que, non pour le fond, mais à cause de la forme des titres, il était nécessaire qu'une disposition prescrivit aux établissements publics de n'acquérir que des lettres de gage nominatives ; mais par la raison que donnait l'honorable membre, il faut écarter son amendement.

Il est inutile de reproduire ici l'article 1382 du Code civil ; il est certain que tous ceux qui interviennent dans l'administration de la caisse, d'une manière quelconque, sont responsables, aux termes du droit commun.

Quand vous aurez introduit cette disposition dans la loi, vous n'aurez rien fait, car il restera toujours au juge à examiner s'il y a faute. Il faut qu'il y ait faute pour que la responsabilité soit encourue.

L'honorable membre objecte qu'il y a des cas dans lesquels la loi indique plus spécialement la responsabilité ; ainsi, par exemple, pour les conservateurs des hypothèques,

Messieurs, cela se comprend très bien : la loi a déclaré les conservateurs des hypothèques responsables, parce qu'elle ne voulait pas que l'Etat fût responsable ; alors on a dû nécessairement indiquer que les conservateurs étaient personnellement responsables. Mais ici vis-à-vis de la caisse, il en est tout autrement ; ils sont responsables des actes qu'ils posent, des fautes qu'ils commettent. Je le répète, il est inutile d'insérer cette disposition additionnelle dans la loi.

- La disposition est mise aux voix et n'est pas adoptée.


M. le président. - Voici la seconde disposition additionnelle proposée par M. Malou :

« Les lettres de gage ne pourront être refusées par la caisse, à concurrence de la valeur reconnue susceptible d'hypothèque, en vertu des articles 9 et 12. »

M. Malou. - Messieurs, cet article a pour objet d'empêcher la partialité dans le crédit.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Messieurs, la disposition est inacceptable, et elle se trouve en contradiction formelle avec l'amendement qui vient d'être rejeté et qui était également proposé par l'honorable membre. Dans l'article que nous venons de rejeter, il déclarait la responsabilité ; dans l'article qui suit, il commande l'obéissance passive. (Interruption.) Oui, vous commandez l'obéissance passive. Celui qui, aura une propriété dans les conditions déterminées par la loi, aurait le droit absolu de reclamer des lettres de page. Mais voyez quelle serait la situation : l'administration de la caisse n'a pas seulement à apprécier le fait matériel, à savoir si la propriété qui lui est offerte présente les garanties voulues ; elle a à examiner aussi les titres de propriété.

L'individu qui se présente pour emprunter est-il réellement propriétaire ? Il faut que la caisse puisse examiner ; l'individu aura un titre apparent, mais ce titre peut être entaché de nullité ; la vente qui a eu lieu peut être attaquée du chef de lésion. Est-ce que la caisse ne devra pas apprécier si, en pareil cas, elle ne s'expose pas à des dangers, en prêtant à cet individu ? (Interruption.) Si vous admettez que la caisse peut apprécier, votre article n'est pas exécutable. La caisse aura toujours à examiner les titres de propriété, les conditions dans lesquelles on veut emprunter ; par conséquent, elle devra juger souverainement.

Vous craignez la partialité ; mais celui qui aurait à se plaindre de la partialité de la caisse pourra réclamer auprès du conseil de surveillance, et ce conseil est formé de membres élus par les deux chambres. La partialité n'est nullement à redouter de la part de l'administration.

- L'article est mis aux voix et n'est pas adopté.


M. le président. - Voici la troisième disposition additionnelle proposée par M. Malou :

« Le cours moyen des lettres de gage sera arrêté à la fin de chaque mois, par les chambres syndicales des agents, de change à Bruxelles, Anvers et Gand.

« Ce cours sera publié au Moniteur, inséré aux mémoriaux administratifs des provinces et affiché dans toutes les communes du royaume. »

M. Malou. - Messieurs, le but de cet article s'explique assez ; il est à craindre que si l'on ne prend pas quelques précautions, de publicité, le cours des lettres de gage ne soit pas connu partout, et qu'on n'abuse, dans certaines circonstances, de l'ignorance des emprunteurs.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Messieurs, cet article est inutile ; par suite d'une prescription de la loi de 1847, on fait établir chaque semaine par des agents de change le cours de tous les fonds publics et de toutes les valeurs cotées à la bourse ; ce cours est publié au Moniteur ; il est envoyé à tous les receveurs de l'enregistrement ; on en a connaissance dans tous les cantons et même dans toutes les communes, de manière que cette publicité est complète.

La seule innovation que consacre l'amendement tend à faire afficher le cours des lettres de gage dans toutes les communes du royaume ; cette innovation ne peut pas être admise ; elle n'aurait aucune utilité pratique, et il en résulterait des frais énormes pour la caisse.

- L'article esl mis aux voix et n'est pas adopté.

M. le président. - La chambre est arrivée à la fin de la loi ; à quand veut-elle fixer le second vote ?

- Des membres. - Apres les vacances.

- La chambre, consultée, décide qu'elle procédera, après les vacances, au vote du projet de loi sur le crédit foncier.

Projet de loi autorisant le gouvernement à aliéner des domaines

Dépôt

Projets de loi régularisant ou annuler des crédits inscrits au budget du département de la guerre

Dépôt

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Messieurs, j'ai l'honneur de soumettre aux délibérations de la chambre trois projets de loi, dont le premier a pour objet d'autoriser le gouvernement à aliéner des domaines et dont les deux autres tendent à allouer, à régulariser ou à annuler des crédits au budget du département de la guerre.

- Ces projets de loi seront imprimés et distribués. La chambre les renvoie à l'examen des sections.

Rapport sur une pétition

M. H. de Baillet, au nom de la commission des pétitions, fait rapport sur la demande du sieur Lefebvre, qui réclame un subside pour l'aider à faire connaître le moyen de combattre la maladie qui attaque les pommes de terre.

La commission propose le renvoi de la pétition à M. le ministre de l'intérieur.

- Ces conclusions sont adoptées.

Sur la proposition de MM. Osy et Rodenbach, la chambre s'ajourne à mardi 29 avril courant, à deux heures.

La séance est levée à 2 heures et demie.